Pièce additionnelle du Nicaragua relative aux demandes reconventionnelles de la Colombie

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155-20190304-WRI-01-00-EN
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Note: Cette traduction a été établie par le Greffe à des fins internes et n’a aucun caractère officiel
16319
COUR INTERNATIONALE DE JUSTICE
VIOLATIONS ALLÉGUÉES DE DROITS SOUVERAINS ET D’ESPACES MARITIMES
DANS LA MER DES CARAÏBES
(NICARAGUA c. COLOMBIE)
PIÈCE ADDITIONNELLE DE LA RÉPUBLIQUE DU NICARAGUA
RELATIVE AUX DEMANDES RECONVENTIONNELLES
DE LA COLOMBIE
4 mars 2019
[Traduction du Greffe]
TABLE DES MATIÈRES
Page
CHAPITRE I. INTRODUCTION .............................................................................................................. 1
CHAPITRE II. LES DROITS DE PÊCHE TRADITIONNELS REVENDIQUÉS PAR LA COLOMBIE N’EXISTENT PAS ET LE NICARAGUA NE LES A EN TOUT ÉTAT DE CAUSE PAS VIOLÉS ................... 3
A. Les droits de pêche traditionnels ont été rendus caducs par le régime de la ZEE .................... 3
B.Les tentatives du président Ortega visant à désamorcer les tensions politiques n’ont enrien modifié la situation juridique .......................................................................................... 10
C. La Colombie n’a pas établi l’existence des droits qu’elle allègue .......................................... 13
D.La Colombie n’a toujours pas prouvé la violation par le Nicaragua des «droits» de pêchetraditionnels des Raizals ........................................................................................................ 18
CHAPITRE III. LIGNES DE BASE DU NICARAGUA .............................................................................. 23
A.Pratique de la Colombie en matière de lignes de base droite : un éléphant dans unmagasin de porcelaine ............................................................................................................ 24
B.Les lignes de base normales du Nicaragua et le décret n° 33-2013 fixant des lignes debase droites ............................................................................................................................ 27
C.La côte continentale et les îles du Nicaragua permettent de tracer des lignes de basedroites conformes au droit international ................................................................................ 32
a)La Colombie tire un argument erroné des arrêts rendus en l’affaire relative à laDélimitation maritime en mer Noire et en l’affaire du Différend territorial etmaritime ............................................................................................................................ 32
b) Le chapelet d’îles du Nicaragua est une réalité géographique ........................................... 33
c)Les îles frangeantes du Nicaragua constituent un chapelet situé à proximité immédiatede la côte ........................................................................................................................... 37
d) La côte méridionale du Nicaragua est profondément échancrée et découpée ................... 44
e)Les étendues de mer situées en deçà des lignes de base droites du Nicaragua sontétroitement liées à son domaine terrestre .......................................................................... 44
D. Conclusions ............................................................................................................................. 48
CONCLUSIONS .................................................................................................................................. 49
CERTIFICATION ................................................................................................................................. 50
LISTE DES ANNEXES ......................................................................................................................... 51
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LISTE DES ACRONYMES
CMC Contre-mémoire de la Colombie
DC Duplique de la Colombie
MN Mémoire du Nicaragua
RN Réplique du Nicaragua
LISTE DES FIGURES
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Figure 1. Lignes de base droites de la Colombie ............................................................................. 24
Figure 2. Lignes de base droites de la Colombie (Pacifique) ........................................................... 25
Figure 3. Comparaison entre les portions d’espaces maritimes enfermées respectivement par les lignes de base droites du Nicaragua et par celles de la Colombie dans la Bahia de Bonaventura ................................................................................................................................ 26
Figure 4. Demande présentée par le Nicaragua à la CLCS .............................................................. 29
Figure 5. Les îles du Nicaragua et la mer territoriale qui les relie, telles qu’identifiées par la Colombie à la figure R-5.4 de sa duplique en l’affaire du Différend territorial et maritime ...... 35
Figure 6. Groupes autochtones du Nicaragua .................................................................................. 36
Figure 7. Exploitation de l’environnement marin par les groupes autochtones du Nicaragua ......... 37
Figure 8. Ligne de base droite de la Norvège dans la région de Trondheim .................................... 41
Figure 9. Lignes de base droites de la Finlande ............................................................................... 42
Figure 10. La réserve biologique marine des cayes des Miskitos .................................................... 45
Figure 11. Emprise maritime traditionnelle des communautés miskitos ......................................... 47
___________
CHAPITRE I INTRODUCTION
1.1. Le Nicaragua soumet la présente pièce additionnelle relative aux demandes reconventionnelles de la Colombie conformément à l’ordonnance rendue par la Cour le 4 décembre 20181. Le contre-mémoire2 déposé par la Colombie le 17 novembre 2016 contenait quatre demandes reconventionnelles faisant état de la violation par le Nicaragua :
1. de «son obligation d’exercer la diligence requise aux fins de protéger et de préserver l’environnement marin du sud-ouest de la mer des Caraïbes»3 ;
2. de «son obligation d’exercer la diligence requise aux fins de protéger le droit des habitants de l’archipel de San Andrés, en particulier les Raizals, de bénéficier d’un environnement sain, viable et durable»4 ;
3. «[du] droit des pêcheurs artisanaux d’accéder aux bancs de pêche traditionnels et de les exploiter»5 ;
4. des droits souverains et des espaces maritimes de la Colombie en raison de la promulgation du décret 33-2013 du 19 août 2013 fixant des lignes de base droite6.
1.2. La Cour ayant décidé dans son ordonnance du 15 novembre 2017 que seules les troisième et quatrième demandes reconventionnelles étaient recevables7, le Nicaragua se limitera ici à celles-ci.
1.3. Le Nicaragua rappelle que la présente instance a été initialement introduite par une requête qu’il a déposée le 26 novembre 2013. Le 3 octobre 2014, le Nicaragua a déposé un mémoire faisant état de deux griefs : 1) la violation par la Colombie des espaces maritimes du Nicaragua tels que délimités dans l’arrêt rendu par la Cour le 19 novembre 2012, ainsi que de ses droits souverains et de sa juridiction dans lesdits espaces, et 2) la violation par la Colombie de son obligation de ne pas recourir ou menacer de recourir à la force8.
1.4. Le 19 décembre 2014, la Colombie a soulevé des exceptions préliminaires sur lesquelles la Cour s’est prononcée le 17 mars 2016 par un arrêt dans lequel elle a conclu à sa compétence pour connaître de la première demande du Nicaragua9 et jugé déterminant que le différend en cours au
1 Violations alléguées de droits souverains et d’espaces maritimes dans la mer des Caraïbes (Nicaragua c. Colombie), demandes reconventionnelles, ordonnance du 4 décembre 2018, C.I.J. Recueil xxxx.
2 Voir CMC, chap. 7-10.
3 CMC, par. 8.2.
4 CMC, par. 8.2
5 CMC, chap. 9.
6 CMC, chap. 10.
7 Violations alléguées de droits souverains et d’espaces maritimes dans la mer des Caraïbes (Nicaragua c. Colombie), demandes reconventionnelles, ordonnance du 15 novembre 2017, C.I.J. Recueil 2017, p. 314-315, par 82 A) 3)–4).
8 Voir en particulier MN, chap. II et III.
9 Violations alléguées de droits souverains et d’espaces maritimes dans la mer des Caraïbes (Nicaragua c. Colombie), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 2016 (I), p. 33, par. 74 et p. 43, par. 111 2).
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moment du dépôt de la requête ne concerne pas la violation par la Colombie de l’interdiction du recours à la menace ou à l’emploi de la force10. Même s’il n’a pas estimé devoir revenir sur la deuxième demande dans sa réplique ou dans la présente pièce additionnelle, le Nicaragua fait valoir que les faits invoqués à l’appui de ladite demande ne soient plus pertinents au regard du différend opposant les Parties11. Au contraire, la Colombie persiste à violer les droits souverains et la juridiction du Nicaragua jusqu’à aujourd’hui et a même adopté une conduite encore plus hostile12.
1.5. Le présent résumé de la procédure montre que la Colombie a utilisé tous les moyens possibles pour tenter de détourner l’attention de la Cour de la question fondamentale, à savoir le rejet public par la Colombie de l’arrêt de 2012 et les violations ultérieures des droits souverains et de la juridiction du Nicaragua reconnus dans cette décision, laquelle, en vertu des articles 59 et 60 du Statut de la Cour, revêt un caractère définitif et contraignant.
1.6. Dans le chapitre II de la présente pièce additionnelle, le Nicaragua prouvera que la Colombie n’a établi ni l’existence des prétendus «droits de pêche traditionnels» qu’elle allègue ni la violation de ces droits par le Nicaragua. Il démontrera en outre que le droit de la mer dans son état actuel ne permet pas la survie de supposés droits de pêche traditionnels dans la zone économique exclusive d’un autre pays.
1.7. Il sera démontré dans le chapitre III que le Nicaragua s’est conformé au droit international en fixant des lignes de base droites alors que la pratique suivie par la Colombie et que celle-ci voudrait voir érigée en norme en l’espèce est contraire au dit droit.
10 Ibid., p. 33, par. 78 et p. 42, par. 111 1) c).
11 Voir RN, chap. IV.
12 Le Nicaragua complétera le compte rendu de ces incidents en présentant des preuves d’événements supplémentaires survenus depuis le dépôt de sa réplique.
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CHAPITRE II LES DROITS DE PÊCHE TRADITIONNELS REVENDIQUÉS PAR LA COLOMBIE N’EXISTENT PAS ET LE NICARAGUA NE LES A EN TOUT ÉTAT DE CAUSE PAS VIOLÉS
2.1. La Colombie continue de soutenir que le Nicaragua a violé les «droits de pêche traditionnels» des habitants de l’archipel de San Andrés. Il convient, aujourd’hui comme hier, de rejeter cette allégation, et ce, pour les quatre raisons déjà invoquées par le Nicaragua dans sa réplique du 15 mai 2018, à savoir que :
 «les droits de pêche traditionnels» tels qu’invoqués par la Colombie, à supposer qu’ils aient jamais existé, ont été rendus caducs par le régime de la ZEE ;
 les déclarations publiques du président Ortega visant à désamorcer les tensions politiques résultant du véhément rejet par la Colombie de l’arrêt de la Cour de 2012 n’ont en rien modifié la situation juridique ;
 en tout état de cause, la Colombie ne s’est pas acquittée  et ne peut pas s’acquitter  de son obligation de prouver que les droits de pêche traditionnels revendiqués ont jamais existé ; et
 la Colombie ne s’est pas davantage acquittée de son obligation de prouver que le Nicaragua avait violé ces droits allégués.
2.2. Rien dans la duplique de la Colombie n’est de nature à remettre en question l’une quelconque de ces conclusions. En effet, comme le Nicaragua le démontrera, les réponses du défendeur à ses arguments ne font que souligner la faiblesse de la thèse de celui-ci à tous égards. Les sections A à D du présent chapitre expliquent, respectivement, pourquoi les réponses de la Colombie sur chacun des quatre points susmentionnés ne sauraient convaincre.
A. LES DROITS DE PÊCHE TRADITIONNELS ONT ÉTÉ RENDUS CADUCS PAR LE RÉGIME DE LA ZEE
2.3. Le Nicaragua a démontré dans sa réplique que l’adoption du régime de la ZEE avait éteint les droits de pêche traditionnels tels qu’invoqués par la Colombie en l’espèce13. La Colombie n’est pas de cet avis et soutient que les droits de pêche traditionnels qu’elle revendique ont survécu à l’émergence du régime de la ZEE14. Pour corroborer cette thèse, elle est néanmoins contrainte de déformer de manière répétée les arguments du Nicaragua.
2.4. La Colombie prétend, par exemple, que «[i]n fine, le Nicaragua s’appuie, pour défendre sa thèse selon laquelle les droits de pêche traditionnels auraient été rendus caducs dans la ZEE, sur un seul paragraphe d’une disposition de la CNUDM [à savoir l’article 62.315]»16. Tel n’est pas le cas,
13 RN, par. 6.3-6.30.
14 DC, chap. 5, titre d’argument C.
15 En vertu du paragraphe 3 de l’article 62,
«[l]orsqu’il accorde à d’autres Etats l’accès à sa zone économique exclusive en vertu du présent article, l’Etat côtier tient compte de tous les facteurs pertinents, entre autres … la nécessité de réduire à un minimum les perturbations économiques dans les Etats dont les ressortissants pratiquent habituellement la pêche dans la zone ou qui ont beaucoup contribué à la recherche et à l’inventaire des stocks.»
16 DC, par. 5.18.
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le Nicaragua ayant en réalité présenté une analyse détaillée du texte de la CNUDM
17 (un instrument que la Colombie reconnaît comme constitutif du droit international coutumier liant les deux Parties à la présente instance), du contexte18, des travaux préparatoires19 et de la jurisprudence, y compris celle de la présente Cour20, lesquels confirment unanimement que le régime de la ZEE a éteint les droits de pêche traditionnels dans les eaux de cette zone.
2.5. En effet, comme l’a montré le Nicaragua, l’ensemble du régime de la ZEE exclut la possibilité pour d’autres Etats et/ou pour leurs ressortissants de conserver des droits de pêche traditionnels. L’objectif même du régime de la ZEE est de rendre exclusif le droit de l’Etat côtier sur les ressources biologiques, exactement comme l’expression «zone économique exclusive» le suggère. Selon le Virginia Commentary : «L’importance de la notion d’exclusivité tient à ce que l’Etat côtier, à l’exclusion des autres Etats et entités, est le seul à avoir juridiction sur les ressources de la zone et a le droit d’exercer son pouvoir discrétionnaire à leur égard.»21.
2.6. Diverses dispositions de la partie V de la CNUDM confirment le caractère exclusif des droits conférés à l’Etat côtier. Citons notamment :
 l’article 56, qui confie à l’Etat côtier «des droits souverains aux fins d’exploration et d’exploitation, de conservation et de gestion des ressources naturelles» de la zone ;
 l’article 58, qui précise les droits des autres Etats et les limite à la liberté de navigation et de survol et à la liberté de poser des câbles et pipelines sous-marins, ainsi qu’à la liberté d’utiliser la mer à d’autres fins internationalement licites liées à l’exercice de ces libertés ;
 l’article 60, qui confère à l’Etat côtier «le droit exclusif de procéder à la construction et d’autoriser et réglementer la construction, l’exploitation et l’utilisation» d’îles artificielles et autres installations et ouvrages ;
 l’article 61, qui confère à l’Etat côtier le pouvoir de «fixe[r] le volume admissible des captures en ce qui concerne les ressources biologiques dans sa zone économique exclusive» ;
 l’article 62, paragraphe 4, qui impose aux ressortissants d’autres Etats pêchant dans la ZEE de «se conforme[r] aux mesures de conservation et aux autres modalités et conditions fixées par les lois et règlements de l’Etat côtier» ; et
 l’article 73, paragraphe 1, qui prévoit qu’un Etat côtier «peut prendre toutes mesures, y compris l’arraisonnement, l’inspection, la saisie et l’introduction d’une instance judiciaire, qui sont nécessaires pour assurer le respect des lois et règlements qu’il a adoptés conformément à la Convention».
2.7. Toutes ces dispositions indiquent clairement que l’Etat côtier jouit de droits souverains et d’une juridiction exclusifs sur les ressources naturelles de sa ZEE. Dans la mesure où d’autres Etats et leurs ressortissants pourraient souhaiter pêcher dans la ZEE de l’Etat côtier, l’article 62 précise
17 RN, par. 6.8-6.12.
18 Ibid., par. 6.13-6.17.
19 Ibid., par. 6.18-6.21.
20 Ibid., par. 6.22-6.29.
21 Satya N. Nanda & Shabtai Rosenne (éditeurs), United Nations Convention on the Law of the Sea 1982: A Commentary, vol. II (1993), p. 519 (les italiques sont de nous).
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qu’ils ne pourront le faire qu’avec l’autorisation expresse de ce dernier et sous réserve des conditions qu’il pourrait fixer.
2.8. Il est révélateur que, dans sa duplique, la Colombie ne procède à l’analyse d’aucune de ces dispositions, et encore moins de leur importance d’ensemble. Elle se limite à affirmer  à tort et avec condescendance  qu’«[i]n fine, le Nicaragua s’appuie» seulement sur l’article 62, paragraphe 3, pour démontrer que «les droits de pêche traditionnels auraient été rendus caducs dans la ZEE».22
2.9. Malgré son importance, l’article 62, paragraphe 3, est loin d’être la seule disposition invoquée par le Nicaragua. Il a toutefois le mérite de démontrer que les rédacteurs de la CNUDM se sont spécifiquement penchés sur la question de savoir quelle portée accorder aux pratiques de pêche historiques des Etats tiers et de leurs ressortissants, et ont décidé qu’elles ne devraient constituer qu’un élément parmi tous ceux pris en considération par l’Etat côtier dans l’exercice de son droit souverain d’accorder ou de refuser l’accès aux ressources biologiques de sa ZEE à d’autres Etats.
2.10. En effet, les travaux préparatoires de la CNUDM sur ce point ne sauraient être plus clairs et confirment l’interprétation naturelle du texte même de la convention. Comme le Nicaragua l’a expliqué dans sa réplique, un certain nombre d’Etats auraient souhaité que la convention protège leurs pratiques de pêche historiques dans les eaux en passe d’être transformées en ZEE23. Cette position a été résolument rejetée en faveur de l’octroi à l’Etat côtier des droits souverains exclusifs énoncés dans la partie V24.
2.11. La Colombie ne conteste pas ce point et, de fait, sa duplique passe totalement sous silence les travaux préparatoires et la conclusion claire qui en découle. Ce silence équivaut à une reconnaissance tacite du caractère indéfendable de sa position à la lumière de l’histoire de la négociation de la convention.
2.12. La Colombie se garde bien également de mentionner la position adoptée par la Chambre de la Cour dans l’affaire du Golfe du Maine, telle qu’elle a été rappelée par le Nicaragua dans sa réplique25. Comme indiqué par ce dernier, la Chambre a estimé que l’adoption de la ZEE avait pour effet de rendre caduc tout droit de pêche historique :
«Jusqu’à une époque très récente … les espaces maritimes dont il s’agit étaient des espaces de haute mer, ouverts librement aux activités de pêche, non seulement des Etats-Unis et du Canada, mais aussi des autres pays, et les ressortissants de ces derniers venaient nombreux pêcher dans ces eaux … Mais, après la création des zones de pêche exclusives de 200 milles par les Etats côtiers, la situation a radicalement changé. Les Etats tiers et leurs ressortissants se sont trouvés privés de tout droit d’accès aux espaces maritimes compris dans lesdites zones et de tout avantage qu’ils avaient pu y acquérir. Quant aux Etats-Unis, la condition de simple primauté de fait qu’ils avaient pu s’assurer sur les lieux s’est transformée en une situation de monopole de droit dans la mesure où les lieux en question sont juridiquement devenus parties de leur propre zone de pêche exclusive. Au cas par
22 DC, par. 5.18.
23 RN, par. 6.18-6.21.
24 Ibid.
25 Ibid., par. 6.22-6.23.
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contre où ces mêmes lieux seraient devenus parties de la zone exclusive de pêche de l’Etat voisin, cette condition de primauté aurait aujourd’hui perdu toute valeur.»
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2.13. La simple lecture de l’arrêt rendu par la Chambre suffit à réfuter la thèse de la Colombie. En vertu de la déclaration du Nicaragua de 2002 établissant une ZEE, «les Etats tiers et leurs ressortissants» se sont trouvés «privés de tout droit d’accès aux espaces maritimes» dans ladite zone. Le Nicaragua a acquis «un monopole de droit» sur les ressources naturelles de sa ZEE. Le fait que la Colombie n’ait même pas mentionné l’affaire du Golfe du Maine démontre que sa position et la jurisprudence de la Cour sont absolument irréconciliables.
2.14. Alors même qu’elle s’abstient de mentionner la jurisprudence directement pertinente de la Cour, la Colombie accuse le Nicaragua de «méconnaît[re] à la fois» la sentence arbitrale relative à la Délimitation de la région de l’Abyei et celle afférente au Différend entre la Barbade et la République de Trinité-et-Tobago27. Selon la Colombie, «[l] a première concluait que «le transfert de la souveraineté ne d[evait] pas s’entendre comme ayant pour effet de rendre caducs les droits traditionnels d’utilisation de la terre (ou des ressources maritimes)»»28 et la seconde «précisait spécifiquement que, nonobstant la délimitation, Trinité-et-Tobago avait l’obligation d’accorder à «la Barbade un accès aux pêcheries dans [sa] ZEE»»29. Si le Nicaragua n’a jusqu’à présent évoqué aucune de ces sentences c’est en raison de leur manque de pertinence en l’espèce mais aussi parce qu’elles ne sauraient faire le poids face à la décision rendue par la Chambre en l’affaire du Golfe du Maine.
2.15. L’arbitrage Abyie manque de pertinence pour deux raisons : a) il porte sur des questions de souveraineté et b) il porte sur des questions de souveraineté sur un territoire terrestre. La présente affaire, en revanche, porte sur des questions de droits souverains et de juridiction sur des espaces maritimes situés dans la ZEE. L’arbitrage Barbade et République de Trinité-et-Tobago, quant à lui, n’est pas pertinent dans la mesure où il ne corrobore pas les prétentions de la Colombie. Le Tribunal arbitral n’a en effet pas conclu que les dispositions de la CNUDM faisaient obligation à Trinité-et-Tobago d’accorder à la Barbade un accès aux pêcheries situées dans sa ZEE. Il s’est contenté d’affirmer que, compte tenu des représentations formelles présentées par l’agent de Trinité-et-Tobago en l’instance, «il s’était senti tenu de … négocier de bonne foi un accord avec la Barbade conférant à cette dernière un accès aux pêcheries situées dans la ZEE de Trinité-et-Tobago, sous réserve des limitations et conditions énoncées dans ledit accord»30. Le Nicaragua, en revanche, n’a jamais conclu d’accord avec la Colombie lui donnant accès à l’une quelconque des ressources de sa ZEE et ne s’est jamais engagé en ce sens.
2.16. La Colombie prétend également que l’affaire Erythrée/Yémen conforte sa thèse. Comme démontré précédemment par le Nicaragua, cette affaire ne permet cependant en rien d’étayer la
26 Délimitation de la frontière maritime dans la région du golfe du Maine (Canada/Etats-Unis d’Amérique), arrêt, C.I.J. Recueil 1984 (ci-après «Golfe du Maine»), p. 246, p. 341-342, par. 235 (les italiques sont de nous).
27 DC, par. 5.20.
28 Ibid. (citant Arbitrage relatif à la délimitation de la région de l’Abyei entre le Gouvernement du Soudan et le Mouvement-Armée populaire de libération du Soudan, sentence du 22 juillet 2009, Recueil des sentences arbitrales (RSA), vol. XXX, p. 408, par. 753).
29 Ibid. (citant Arbitrage entre la Barbade et la République de Trinité-et-Tobago, relatif à la délimitation de la zone économique exclusive et du plateau continental entre ces deux pays (ci-après «Barbade c. Trinité-et-Tobago»)), RSA, vol. XXVII, p. 227, par. 292.
30 Barbade c. Trinité-et-Tobago, par. 292 [traduction du Greffe].
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position du défendeur
31. Le Tribunal arbitral s’était vu demander de déterminer la frontière maritime entre les parties uniquement pendant la deuxième étape de la procédure. Auparavant, pendant la première étape, il avait accordé certaines îles au Yémen et, sur la base de préoccupations concernant les moyens de subsistance des pêcheurs érythréens exerçant leurs activités à proximité desdites îles «depuis des temps immémoriaux» avait décidé que : «le Yémen veillera[it] à ce que le régime de pêche traditionnel assurant libre accès et libre jouissance aux pêcheurs du Yémen comme de l’Erythrée soit préservé afin de protéger l’existence et les moyens d’existence de cette catégorie pauvre et industrieuse de la population»32.
2.17. Pendant la deuxième étape de la procédure, les parties avaient demandé au Tribunal arbitral de délimiter leurs frontières maritimes, «en prenant en compte l’opinion qu’il se sera[it] faite sur les questions de souveraineté territoriale, la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer et tout autre élément pertinent»33. En d’autres termes, le Tribunal était habilité, par accord exprès des parties, à aller au-delà des dispositions de la CNUDM pour délimiter les frontières maritimes. La décision Erythrée/Yémen doit donc être considérée comme sui generis et son application limitée aux circonstances uniques de l’espèce.
2.18. La Colombie suggère en outre qu’il serait anormal d’estimer que le régime de la ZEE a rendu caducs les droits de pêche traditionnels :
«La Colombie ne voit pas en quoi des droits de pêche traditionnels devraient être considérés comme incompatibles avec les droits exclusifs de l’Etat côtier dans la ZEE. Après tout, les Etats jouissent d’une souveraineté pleine et entière, qui est également exclusive, sur leur territoire, et le Nicaragua ne conteste pas le fait que des droits de pêche traditionnels ont, de manière générale, été préservés tant sur le territoire terrestre que dans les eaux intérieures et dans la mer territoriale des Etats.»34
2.19. Lorsque la Colombie «ne voit pas en quoi» le territoire terrestre et la mer territoriale d’un Etat diffèrent de la ZEE dudit Etat, elle fait preuve d’un aveuglement volontaire. Le régime juridique de la souveraineté exercée sur le territoire terrestre (y compris les eaux intérieures) d’un Etat se situe bien entendu hors du champ d’application de la CNUDM et n’est régi que par le droit international général. Pour sa part, le régime juridique de la mer territoriale revêt un caractère hybride puisqu’il se fonde à la fois sur la CNUDM et sur le droit international général. L’article 2, paragraphe 3, de la convention est parfaitement clair sur ce point : «La souveraineté sur la mer territoriale s’exerce dans les conditions prévues par les dispositions de la convention et les autres règles du droit international.».
2.20. Le régime juridique de la ZEE constitue un cas particulier. Il s’agit d’une création de la CNUDM elle-même et il est régi par les dispositions de la partie V de cette convention. Alors que l’article 2, paragraphe 3, permet l’application générale des «autres règles du droit international» à la mer territoriale, il en va différemment en ce qui concerne la ZEE. En vertu de l’article 58, paragraphe 2, en effet, «les autres règles pertinentes du droit international s’appliquent à la zone
31 Voir RN, par. 6.24-6.29.
32 Sentence du Tribunal arbitral rendue au terme de la première étape de la procédure entre l’Erythrée et la République du Yémen (Souveraineté territoriale et portée du différend), 9 octobre 1998, par. 526.
33 Ibid., par. 7 (les italiques sont de nous).
34 DC, par. 5.15.
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économique exclusive» uniquement «dans la mesure où ils ne sont pas incompatibles avec la présente partie».
2.21. La Colombie considère que le paragraphe 2 de l’article 58 de la CNUDM «n’est pas sans rappeler [son] paragraphe 3)»35. En réalité, il n’en est rien, ces deux dispositions divergeant totalement. Dans la mer territoriale, d’autres règles du droit international s’appliquent sans réserve. Dans la ZEE, de telles règles s’appliquent si et seulement dans la mesure où elles ne sont pas incompatibles avec le régime juridique établi dans la partie V de la convention.
2.22. Dans la mesure où la partie V de la CNUDM confère à l’Etat côtier des droits «exclusifs» en matière de pêche et d’exploitation des autres ressources biologiques dans sa ZEE, toute dérogation à cette exclusivité, à moins d’être explicitement prévue dans la partie V, serait incompatible avec les dispositions de ladite partie. La caractéristique essentielle de la ZEE tient justement à l’exclusivité des droits souverains et de la juridiction de l’Etat côtier. Pour reprendre une expression utilisée par la Cour elle-même, le régime de la ZEE confère à l’Etat côtier un «monopole de droit» sur les ressources biologiques de cette zone36. Les autres Etats «et leurs ressortissants [se sont trouvés] privés de tout droit d’accès aux espaces maritimes compris dans lesdites zones»37 indépendamment de leurs pratiques de pêche historiques38.
2.23. Telles sont précisément les raisons pour lesquelles la Colombie ne saurait tirer le moindre profit de ces citations extraites de l’arrêt rendu en l’affaire des Pêcheries (Royaume-Uni c. Norvège) ou des arrêts rendus dans les affaires de la Compétence en matière de pêcheries39. En ce qui concerne la première de ces décisions, la Colombie elle-même énonce la raison : «la Cour s’est prononcée en faveur de la Norvège car il était impossible de soutenir que sa demande historique entrait en conflit avec le droit international coutumier»40. Dans la présente instance, au contraire, il est possible de dire que la revendication historique de la Colombie entre en conflit avec le régime juridique de la ZEE, lequel fait désormais partie du droit international coutumier.
2.24. En ce qui concerne les affaires de la Compétence en matière de pêcheries, la Colombie affirme que «ce précédent … atteste … que des droits historiques, dont la vocation n’est pas de faire pièce aux droits de l’Etat côtier, peuvent exister quel que soit l’espace maritime concerné qui faisait auparavant partie de la haute mer»41. Même à supposer qu’il en ait été réellement ainsi l’année où cet arrêt a été rendu, c’est-à-dire en 1974, soit huit ans avant la signature de la CNUDM et dix ans avant que la Cour reconnaisse que le régime de la ZEE pouvait être considéré «comme conforme
35 DC, par. 5.20.
36 Golfe du Maine, par. 235.
37 Ibid.
38 La Colombie interprète à tort l’argument du Nicaragua comme voulant que «des «clauses» préservant explicitement les droits de pêche traditionnels seraient impérativement nécessaires» (DC, par. 5.16). Or, telle n’est pas la position du Nicaragua. L’existence de clauses préservant des droits historiques telles que celles énoncées aux articles 15 (concernant la délimitation de la mer territoriale), 9 6) (concernant les baies historiques), ou 51 1) (concernant la pêche traditionnelle dans les eaux archipélagiques) est certainement instructive, mais ce qui est impérativement nécessaire, c’est à tout le moins une disposition rendant applicable d’autres règles du droit international, comme les renvois contenus dans les articles 2 3), 19, 21, 31, 34, 87 et 138.
39 Voir DC, par. 5.17 et 5.24.
40 Ibid., par. 5.17.
41 Ibid., par. 5.24.
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actuellement au droit international général»
42, cet argument n’est plus pertinent aujourd’hui. Aucun droit historique d’un Etat tiers ne peut subsister dans la ZEE de l’Etat côtier.
2.25. En définitive, la Colombie semble reconnaître l’incompatibilité majeure entre sa demande en l’espèce et le régime de la ZEE. Elle admet qu’«une telle incompatibilité peut exister en relation avec des revendications étatiques concurrentes en matière de régulation et de gestion des ressources biologiques de l’Etat côtier»43. Elle tente de contourner le problème en habillant ses revendications en autant de protections des droits privés de ses ressortissants et en affirmant que «la Colombie ne revendique ni souveraineté sur la ZEE du Nicaragua ni droits souverains dans celle-ci. Elle ne revendique même pas de droits en son nom propre puisque les droits de pêche traditionnels sont en fait des droits d’ordre privé acquis par les pêcheurs artisanaux de l’archipel de San Andrés.»44
2.26. Cette distinction ne fait aucune différence. L’existence de droits de pêche étrangers, qu’ils revêtent un caractère souverain ou privé, est également incompatible avec le «monopole de droit» que le régime des ZEE crée au profit de l’Etat côtier. Comme la Chambre de la Cour l’a clairement affirmé dans son arrêt en l’affaire du Golfe du Maine, les Etats tiers «et leurs ressortissants» sont les uns et les autres privés d’accès aux ressources de la zone à moins d’avoir obtenu l’autorisation de l’Etat côtier45.
2.27. En guise de conclusion, le Nicaragua fait observer qu’il serait incompatible avec l’objet même de la convention des Nations Unies sur le droit de la mer que des droits de pêche traditionnels puissent coexister avec le régime de la ZEE. Le premier alinéa du préambule de cet instrument présente en effet les Etats parties comme «animés du désir de régler, dans un esprit de compréhension et de coopération mutuelles, tous les problèmes concernant le droit de la mer». Le président de la conférence, M. Koh, de Singapour, avait tenu à souligner l’importance d’un accord complet dans ses remarques à la plénière informelle et au groupe d’experts juridiques chargé de rédiger les dispositions finales :
«Notre préoccupation majeure est d’établir un ordre juridique totalement intégré régissant l’utilisation des océans, de leurs ressources et de leur potentiel. Tout le reste doit être subordonné à cet objectif. Telle est la fonction du préambule et des dispositions finales, qui ne doivent en aucun cas être à l’origine de controverses risquant d’obscurcir et de rendre irréalisable notre objectif premier ni gêner les travaux de la Conférence ou compromettre nos chances de succès.
Nous devons nous efforcer de préserver l’intégrité et de garantir l’efficacité et la pérennité du corpus juridique que nous essayons de créer sous la forme d’une Convention embrassant la totalité des questions et problèmes relatifs au droit de la
42 Golfe du Maine, par. 94.
43 DC, par. 5.14.
44 Ibid. En d’autres termes, la Colombie tente d’exercer la protection diplomatique au nom de ses ressortissants. A supposer qu’elle eût formulé une telle allégation au moment de présenter ses demandes reconventionnelles, elle aurait été tenue de démontrer que les ressortissants en question avaient épuisé les voies de recours internes avant que les demandes présentées en leur nom dans cette affaire puissent être considérées comme recevables. Voir Projet d’articles sur la protection diplomatique et commentaires y relatifs de la Commission du droit international (2006), article 14, par. 1.
45 Golfe du Maine, par. 235.
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mer et regroupant divers éléments en un ensemble unique et indivisible.»
46 [Traduction du Greffe.]
2.28. Permettre que se constitue au sein de cet «ensemble», de cette convention «embrassant la totalité des questions et problèmes relatifs au droit de la mer», un espace au sein duquel s’appliqueraient des règles juridiques externes incompatibles avec «un ordre juridique totalement intégré régissant l’utilisation des océans, de leurs ressources et de leur potentiel» reviendrait précisément à introduire ces risques de controverse et de confusion que les rédacteurs de la convention désiraient éviter. Il convient par conséquent de rejeter l’argument de la Colombie selon lequel les droits de pêche traditionnels relevant de la catégorie qu’elle revendique en l’espèce auraient survécu à la création du régime de la ZEE.
B. LES TENTATIVES DU PRÉSIDENT ORTEGA VISANT À DÉSAMORCER LES TENSIONS POLITIQUES N’ONT EN RIEN MODIFIÉ LA SITUATION JURIDIQUE
2.29. La Colombie affirme également que les déclarations du président Ortega, dans lesquelles l’intéressé exprime sa volonté de tenir compte des préoccupations de la Colombie concernant les pratiques de pêche des Raizals, à condition que des mécanismes appropriés puissent être mis en place, constitueraient une «reconnaissance expresse» des droits de pêche traditionnels de cette population. Il n’en est rien. Comme il ressort de la réplique du Nicaragua47, les déclarations du président Ortega s’analysent en fait comme autant de tentatives responsables visant à désamorcer les tensions politiques dues au rejet par la Colombie de l’arrêt de la Cour de 2012.
2.30. La Colombie ne nie pas  ce qui lui serait d’ailleurs impossible  les circonstances dans lesquelles le président Ortega a tenu ses déclarations. La réaction virulente de la Colombie à l’arrêt de 2012, laquelle a abouti à la dénonciation par ce pays du pacte de Bogotá, est à la fois bien connue et indiscutable.
2.31. La Colombie ne nie pas non plus que toutes les déclarations du président Ortega «reconnaissant» les droits de pêche traditionnels des Raizals étaient expressément conditionnelles :
 dans sa déclaration du 26 novembre 2012, le président Ortega a certes affirmé que le Nicaragua respecterait les droits des habitants «à pêcher et [à] naviguer dans les eaux sur lesquelles ils ont toujours navigué», mais il a également précisé que «les pêcheurs artisanaux devraient obtenir l’autorisation des autorités nicaraguayennes compétentes» 48 ;
 dans sa déclaration du 1er décembre 2012, s’il a affirmé que le Nicaragua «respecterait les droits ancestraux des Raizals», il a également indiqué qu’il y aurait lieu de prévoir des «mécanismes» afin de «garantir le droit de pêche d[e ce] peuple»49 ;
46 «Note by the President on the Final Clauses», UN Doc. FC/1 (23 juillet 1979), reproduit dans Renate Platzöder (éditeur), Third United Nations Conference on the Law of the Sea: Documents, Vol. XII, p. 349 (1987) (les italiques sont de nous).
47 RN, par. 6.63-6.75.
48 CMC, par. 3.94 (les italiques sont de nous).
49 Ibid. (les italiques sont de nous).
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 dans sa déclaration de février 2013, il s’est déclaré disposé à travailler avec la Colombie tout en proposant l’établissement d’une commission bilatérale chargée «de travailler à un accord entre la Colombie et le Nicaragua afin de régler cette situation»
50 ;
 dans sa déclaration de novembre 2014, le président Ortega a affirmé : «si la délimitation de 2012 devait en tout état de cause être mise en oeuvre, il conviendrait d’inclure dans l’accord à négocier avec la Colombie des garanties à l’intention des communautés raizales de l’archipel»51 ;
 enfin, dans sa déclaration de novembre 2015, le président Ortega s’est exprimé en ces termes : «nous comprenons qu’il faut de la patience pour parvenir enfin à des conditions propices à la ratification par le Parlement colombien de l’arrêt de la Cour. Et là, nous avons des engagements, comme je l’ai dit, envers nos frères Raizals concernant leurs droits de pêche, qui devront être définis plus tard»52.
2.32. La Colombie tente de tirer avantage de la «reconnaissance» des droits de pêche traditionnels des Raizals par le président Ortega tout en s’abstenant d’accepter les conditions dont celle-ci est assortie. Tout en étant contrainte d’admettre que «[l]e président Ortega aborde souvent en même temps les deux questions»53, la Colombie avance que le Nicaragua fait fausse route en suggérant qu’il «ne saurait exister des «droits» de pêche artisanale en dehors des «mécanismes» devant être approuvés par le Nicaragua»54. Pourtant, la Colombie réduit elle-même son argument à néant lorsqu’elle reconnaît, à juste titre, dans son contre-mémoire que l’imposition de tels mécanismes «aurait privé de tout sens la reconnaissance des droits historiques des Raizals»55.
2.33. Cela est parfaitement exact. Un «droit» soumis à «autorisation» et subordonné à l’adoption de «mécanismes» ou d’un «accord» ne saurait être un véritable droit. La Colombie ne peut pas accepter unilatéralement la proposition du Nicaragua de tenir compte des intérêts des Raizals sans accepter en même temps les conditions explicites dont elle est assortie. Le droit international n’est pas un self-service.
2.34. Tout en se gardant de l’affirmer explicitement, la Colombie semble assimiler les déclarations du président Ortega à un engagement unilatéral contraignant56. Vu sous cet angle, il est clair que le Nicaragua ne «reconnaît» pas les droits de pêche traditionnels des Raizals. Dans ses arrêts Essais nucléaires, la Cour a en effet déclaré :
«Il est reconnu que des déclarations revêtant la forme d’actes unilatéraux et concernant des situations de droit ou de fait peuvent avoir pour effet de créer des obligations juridiques.
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
50 CMC, annexe 76 (les italiques sont de nous).
51 Ibid., par. 3.94 (les italiques sont de nous).
52 Ibid., annexe 78 (les italiques sont de nous).
53 DC, par. 5.30.
54 Ibid., par. 5.32 (citant RN, par. 6.70 (les guillemets internes ont été omis)).
55 CMC, par. 3.94.
56 Voir DC, par. 5.29, note de bas de page 475 (citant Essais nucléaires (Australie c. France), arrêt, C.I.J. Recueil 1974, p. 267, par. 43 ; Essais nucléaires (Nouvelle-Zélande c. France), arrêt, C.I.J. Recueil 1974, p. 472, par. 46).
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Bien entendu, tout acte unilatéral n’entraîne pas des obligations, mais un Etat peut choisir d’adopter une certaine position sur un sujet donné dans l’intention de se lier  ce qui devra être déterminé en interprétant l’acte. Lorsque des Etats font des déclarations qui limitent leur liberté d’action future, une interprétation restrictive s’impose.»57
Dans l’affaire du Différend frontalier (Burkina Faso/République du Mali), la Cour a pris soin de faire remarquer que «[t] out dépend donc de l’intention de1’Etat considéré»58.
2.35. En vertu du troisième des principes directeurs applicables aux déclarations unilatérales des Etats susceptibles de créer des obligations juridiques («les principes directeurs») adoptés par la CDI en 2006, «[p]our déterminer les effets juridiques de telles déclarations, il convient de tenir compte de leur contenu, de toutes les circonstances de fait dans lesquelles elles sont intervenues, et des réactions qu’elles ont suscitées»59.
2.36. En l’espèce, les circonstances dans lesquelles les déclarations du président Ortega ont été faites ne reflètent pas une intention de se lier sans réserve. Comme nous l’avons dit, elles ont été prononcées dans le contexte de la situation politique très tendue consécutive au rejet par la Colombie de l’arrêt rendu par la Cour en 2012. Le président Ortega s’est en fait efforcé de ramener la Colombie à la table des négociations en proposant de tenir compte des préoccupations exprimées.
2.37. C’est ce qui ressort clairement des propos suivants tenus par le président Santos à l’issue d’une réunion entre les deux chefs d’Etat tenue en décembre 2012 :
«Nous continuerons à oeuvrer pour la restauration des droits des Colombiens gravement affectés par l’arrêt de La Haye. Nous avons rencontré le President Ortega. Nous lui avons très clairement expliqué notre position : nous voulons que les droits des Colombiens et de la population raizale  pas uniquement les droits des pêcheurs artisanaux, mais également d’autres droits  soient garantis et rétablis. Il a compris. Nous lui avons fait part de la nécessité de gérer cette situation avec sang-froid, de manière diplomatique et amicale, dans la mesure où il convient d’éviter les incidents. Il a aussi compris. Nous sommes convenus d’établir des canaux de communication afin d’aborder tous ces points.»60
2.38. Selon le président Santos, le président Ortega aurait compris la position de la Colombie, et non partagé. Le président Santos a déclaré avoir expliqué à son homologue la nécessité «de gérer cette situation avec sang-froid, de manière diplomatique et amicale, dans la mesure où il convient d’éviter les incidents». Le fait que le président Ortega se soit plié à cette demande ne saurait être retenu contre lui en amenant à conclure qu’il aurait délibérément souscrit au nom du Nicaragua à l’obligation juridique de respecter les droits de pêche traditionnels que la Colombie revendique pour les Raizals.
57 Essais nucléaires (Nouvelle-Zélande c. France), arrêt, C.I.J. Recueil 1974, p. 472-473, par. 46-47 ; Essais nucléaires (Australie c. France), arrêt, C.I.J. Recueil 1974, p. 267, par. 43-44.
58 Affaire concernant le Différend frontalier (Burkina Faso/République du Mali), arrêt, C.I.J. Recueil 1986, p. 573, par. 39.
59 CDI, Principes directeurs applicables aux déclarations unilatérales des Etats susceptibles de créer des obligations juridiques (ci-après «les principes directeurs»), principe directeur 3 (2006) (les italiques sont de nous).
60 CMC, annexe 74 (les italiques sont de nous).
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2.39. En vertu du septième principe directeur de la CDI :
«Une déclaration unilatérale n’entraîne d’obligations pour l’Etat qui l’a formulée que si elle a un objet clair et précis. En cas de doute sur la portée des engagements résultant d’une telle déclaration, ceux-ci doivent être interprétés restrictivement. Pour interpréter le contenu des engagements en question, il est tenu compte en priorité du texte de la déclaration ainsi que du contexte et des circonstances dans lesquelles elle a été formulée.»61
2.40. Les déclarations du président Ortega ont été faites en termes «clair[s] et précis» et contiennent des engagements expressément subordonnés à l’élaboration de «mécanismes» appropriés, dont un accord, avec la Colombie. L’argument de la Colombie ignore délibérément le fait que le président Ortega a énoncé des conditions précises.
2.41. Contrairement à ce qu’affirme la Colombie, le Nicaragua ne tente pas «de priver [les] propos [du président Ortega] de conséquences juridiques embarrassantes»62 ni de «limiter la portée des déclarations de son président»63. Au contraire, le Nicaragua s’en tient fermement à ces déclarations. Comme indiqué par le président Ortega, le Nicaragua est prêt à répondre aux préoccupations de la Colombie concernant les intérêts des Raizals en matière de pêche artisanale, à condition que les deux Parties élaborent des mécanismes appropriés dans le cadre d’un accord bilatéral respectant les droits souverains et la juridiction exclusive du Nicaragua tels que reconnus dans l’arrêt de la Cour. Comme il l’a déjà dit, le Nicaragua reste disposé, dans un esprit de fraternité et de bon voisinage, à travailler avec la Colombie pour parvenir à un accord bilatéral tenant compte des préoccupations des deux pays et notamment des besoins de leurs populations autochtones respectives en matière de pêche64.
C. LA COLOMBIE N’A PAS ÉTABLI L’EXISTENCE DES DROITS QU’ELLE ALLÈGUE
2.42. Dans sa réplique, le Nicaragua a démontré que la revendication de droits traditionnels par la Colombie méritait en outre d’être rejetée pour la raison supplémentaire que cette Partie n’était pas parvenue à prouver l’existence de pratiques traditionnelles de pêche par les Raizals dans des espaces maritimes que la Cour a décidé d’attribuer au Nicaragua en 201265. Dans sa duplique, la Colombie accuse le Nicaragua de tenter d’«étouffer la parole des Raizals»66. Il n’en est rien. Le Nicaragua se borne à examiner les preuves présentées par le défendeur pour en démontrer l’insignifiance.
2.43. Apparemment consciente de la faiblesse de son argument, la Colombie commence par examiner la question du «niveau de preuve requis pour établir l’existence de droits de pêche traditionnels»67 et conclut en faveur d’un niveau relativement faible. A ses yeux, la nécessité s’impose «d’aborder la question de la preuve avec bon sens» compte tenu du fait que «[l]a Colombie
61 Principes directeurs, septième principe (les italiques sont de nous).
62 DC, par. 5.27.
63 Ibid., par. 5.33.
64 RN, par. 6.76.
65 RN, par. 6.47-6.62.
66 DC, par. 5.35.
67 Ibid., par. 5.36.
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invoque des droits acquis par une petite communauté de pêcheurs artisanaux qui vivent dans une région importante, certes, mais relativement reculée du sud-ouest de la mer des Caraïbes»
68. Elle invoque deux affaires à l’appui de sa thèse, lesquelles sont cependant dépourvues de toute pertinence en l’espèce.
2.44. La Colombie cite en premier lieu l’arbitrage relatif à la Mer de Chine méridionale (Philippines c. Chine) dans lequel le Tribunal [en l’occurrence la Cour permanente d’arbitrage] a déclaré «qu’en matière de droits de pêche traditionnels, les éléments de preuve doivent être approchés avec discernement»69. Le Tribunal n’a jamais déclaré cependant qu’il conviendrait d’abaisser le niveau de la preuve, se contentant d’estimer que l’absence de «documents officiels»70 n’était pas nécessairement incompatible avec l’existence de ces droits. Plus important encore, la question n’était pas vraiment en litige dans cette affaire, les deux parties admettant que leurs pêcheurs pratiquaient depuis toujours leur activité dans les environs du banc dit Scarborough Shoal, le seul endroit d’ailleurs en cause71. Ainsi, même en supposant que le Tribunal ait adopté un niveau de preuve inférieur (ce qui n’est pas le cas), il aurait été tout à fait justifié de procéder ainsi compte tenu des prétentions mutuelles des parties.
2.45. Il en va de même en ce qui concerne la deuxième affaire citée par la Colombie, celle du Différend relatif à des droits de navigation et des droits connexes (Costa Rica c. Nicaragua)72. Dans son arrêt rendu en l’instance, la Cour a fait remarquer en passant qu’il ne fallait pas s’attendre à ce que la pratique d’une pêche de subsistance en cause «soit consignée de manière formelle dans un quelconque compte rendu officiel»73, mais n’en a pas pour autant abaissé le niveau de la preuve. Dans cette même affaire, nul ne pouvait contester l’existence de longue date d’une pêche de subsistance dans la zone concernée74. Le Nicaragua ne niant pas ce fait, la question du niveau de la preuve ne s’est pas posée.
2.46. En l’espèce, comme dans n’importe quelle autre affaire, «c’est à la partie qui avance certains faits d’en démontrer l’existence»75. En outre, la Colombie soutenant que les prétendus droits de pêche traditionnels des Raizals reposent sur une coutume locale76, elle est tenue d’établir l’existence de faits démontrant une «pratique constante et uniforme» des Raizals «acceptée par les
68 DC, par. 5.36.
69 Ibid. (citant Arbitrage entre la République des Philippines et la République populaire de Chine  mer de Chine méridionale, CPA affaire n° 2013-19, sentence (12 juillet 2016) (ci-après «Mer de Chine méridionale»), p. 315, par. 805 (en anglais uniquement).
70 Mer de Chine méridionale, p. 315, par. 805.
71 Ibid. («Dans le cas de Scarborough Shoal, le Tribunal admet que les allégations des Philippines et de la Chine faisant état d’une pêche traditionnelle autour du récif sont exactes et ont été avancées de bonne foi.»).
72 DC, par. 5.36 (citant Différend relatif à des droits de navigation et des droits connexes (Costa Rica c. Nicaragua), arrêt, C.I.J. Recueil 2009, p. 213, par. 141).
73 Différend relatif à des droits de navigation et des droits connexes (Costa Rica c. Nicaragua), arrêt, C.I.J. Recueil 2009, p. 213, par. 141.
74 Différend relatif à des droits de navigation et des droits connexes (Costa Rica c. Nicaragua), arrêt, C.I.J. Recueil 2009, p. 213, par. 141 («La Cour rappelle que les Parties sont d’accord sur le fait que la seule question en litige est celle de la pêche pratiquée par les riverains costa-riciens à des fins de subsistance … La pêche de subsistance se pratique indubitablement depuis très longtemps … [L]es Parties conviennent que la pratique de la pêche de subsistance est établie de longue date.»).
75 Usines de pâte à papier sur le fleuve Uruguay (Argentine c. Uruguay), arrêt, C.I.J. Recueil 2010 (I), p. 71, par. 162.
76 CMC, p. 140 (chap. 3, titre d’argument D 1).
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Parties comme étant le droit»
77. Elle en est incapable. De fait, quel que soit le niveau de preuve appliqué, la revendication de la Colombie ne tient toujours pas. Les preuves qu’elle présente ne sauraient corroborer la conclusion que les Raizals pêchent «depuis des temps immémoriaux»78 dans des eaux situées aujourd’hui à l’intérieur de la ZEE du Nicaragua.
2.47. La seule preuve présentée par la Colombie dans son contre-mémoire consiste en 11 déclarations sous serment recueillies en 2016 sur une période de deux semaines juste avant le dépôt de cette pièce79. Dans sa réplique, le Nicaragua explique pourquoi ces déclarations  prises à la lettre  permettent en fait de réfuter les prétentions de la Colombie80. Ces documents montrent en particulier que les activités de pêche traditionnelles dont il y est fait état, si tant est qu’elles aient existé, se seraient en grande partie déroulées à proximité d’îles colombiennes et non dans la ZEE du Nicaragua81. Même si des auteurs de déclaration, parmi les plus jeunes, affirment avoir péché récemment davantage dans ce qui fait désormais partie des eaux nicaraguayennes, il ressort des déclarations sous serment considérées dans leur ensemble que certains Raizals n’ont commencé à s’aventurer plus loin des côtes qu’au cours des dernières décennies, en raison des progrès techniques et de l’épuisement des stocks de poissons dans leurs zones de pêche traditionnelles proches des côtes82.
2.48. Dans sa duplique, la Colombie ne répond directement sur aucun de ces points, préférant avoir recours à la rhétorique en faisant valoir qu’il serait surprenant «que ces activités de pêche traditionnelles n’aient eu lieu que du côté colombien de la ligne de 2012 … comme si le fait de tracer une ligne pouvait avoir une incidence rétroactive sur la conduite de pêcheurs artisanaux»83. Le Nicaragua ne prétend évidemment pas que «le fait de tracer une ligne [pourrait] avoir une incidence rétroactive sur la conduite de pêcheurs artisanaux». Il soutient en revanche que les preuves attestent d’activités historiques des pêcheurs colombiens dans des eaux plus proches des îles où ils résident, lesquelles se situent maintenant du côté colombien de la frontière et non du côté nicaraguayen.
2.49. Cette situation n’a rien de «surprenant», mais s’explique pour deux raisons simples qui ressortent clairement des déclarations sous serment produites par la Colombie. Premièrement, les pêcheurs n’avaient pas besoin dans le passé de s’aventurer loin des îles colombiennes dans la mesure où les côtes regorgeaient de poissons84. Deuxièmement, l’état de la technique à l’époque leur interdisait de se lancer régulièrement dans des expéditions lointaines85.
2.50. La Colombie tente de solliciter abusivement le texte de ses déclarations sous serment en mettant en avant des extraits soigneusement sélectionnés. Pourtant, un examen plus approfondi de
77 Affaire du Droit de passage sur territoire indien (Portugal c. Inde), fond, arrêt, C.I.J. Recueil 1960, p. 276 («conforme à un usage constant et uniforme, pratiqué par les Etats en question»).
78 CMC, par. 3.102 («Les pêcheurs artisanaux de l’archipel pêchent dans ces eaux depuis des temps immémoriaux») ; Ibid., par. 2.64 («Depuis des temps immémoriaux, les Raizals sillonnent les eaux du sud-ouest des Caraïbes pour pêcher et chasser la tortue.»).
79 Voir RN, par. 6.50.
80 Ibid., par. 6.51-6.57.
81 Ibid., par. 6.51-6.55 (citant les annexes 63, 66, 67, 68 et 70).
82 Ibid., par. 6.55-6.57 (citant les annexes 2, 63 et 67).
83 DC, par. 5.39.
84 Voir, par exemple, CMC, annexes 62, 63, 67 ; voir aussi RN, par. 6.56.
85 Voir, par exemple, CMC, annexes 63, 65, 69 ; voir aussi RN, par. 6.55.
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l’ensemble de ces documents confirme qu’aucune des zones de pêche traditionnelles des Raizals ne se trouve du côté nicaraguayen de la frontière maritime.
2.51. On peut classer les passages de ces déclarations sous serment cités par la Colombie en trois catégories. Premièrement, la Colombie cite six passages mentionnant expressément Cape Bank86, une formation maritime située dans la ZEE du Nicaragua. Selon la Colombie : «[n]ombre des auteurs de déclaration considèrent Cape Bank comme l’une des zones traditionnelles les plus importantes pour les pêcheurs artisanaux de l’archipel»87. Il s’agit là d’une déformation pure et simple des propos tenus par les auteurs des déclarations sous serment. La preuve en est que la Colombie ne cite pas une seule d’entre elles (ni aucune autre source) à l’appui de sa proposition88. Elle préfère y recourir pour corroborer des thèses formulées ultérieurement, à savoir que «Luna Verde est simplement [une] partie de Cape Bank»89, que Cape Bank «est considéré par les pêcheurs artisanaux comme «l’une des meilleures zones de pêche»»90 et que «certains des auteurs de déclarations mentionnent expressément «Cape Bank»»91. Le recours à ces citations est donc loin de prouver que «Cape Bank [constitue] l’une des zones traditionnelles les plus importantes pour les pêcheurs artisanaux de l’archipel», tant s’en faut. De fait, l’examen des six déclarations sous serment citées par la Colombie à propos de Cape Bank révèle qu’aucun de leurs auteurs respectifs n’y voit un lieu de pêche traditionnel et encore moins l’un des plus importants92.
2.52. Prenons par exemple l’un des auteurs de déclaration cités par la Colombie pour avoir «expressément mentionné» Cape Bank : M. Landel Hernando Robinson Archbold93 ; or, si l’intéressé mentionne bien cette formation, c’est pour dire : «Je ne me rends pas jusqu’à La Esquina ou Cape Bank»94. M. George de la Cruz de Alba Barker est l’un des autres auteurs de déclaration cités par la Colombie pour avoir «expressément mentionné» Cape Bank95. Cependant l’intéressé ne qualifie pas cette formation de zone de pêche traditionnelle. Au contraire, il admet : «Nous pratiquons ces activités de pêche depuis les années 1980 ou 1990»96. Les propos des quatre autres auteurs de
86 DC, par. 5.42 (citant CMC, annexes 62, 65, 68, 70, 71, 72).
87 Ibid., par. 5.41.
88 Voir Ibid.
89 Ibid., (citant CMC, annexe 71).
90 Ibid., par. 5.42 (citant CMC, annexe 68).
91 Ibid., (citant CMC, annexes 62, 65, 68, 70, 71, 72).
92 Voir CMC, annexes 62, 65, 68, 70, 71, 72.
93 Ibid., annexe 62.
94 Ibid., annexe 62.
95 Ibid., annexe 71.
96 Ibid., annexe 71 (les italiques sont de nous). La Colombie laisse entendre au passage que des droits de pêche traditionnels pourraient se cristalliser sur une période de cinq décennies ou moins. Voir DC, par. 5.49. Le Nicaragua ne partage pas de point de vue. Même si la durée exacte de la période requise pour qu’un droit de pêche traditionnel puisse naître n’est pas gravée dans le marbre, une période de quelques décennies seulement ne saurait suffire. Dans l’arbitrage Erythrée/Yémen, le Tribunal arbitral a reconnu l’existence d’un «régime de pêche traditionnel» dans une zone où les pêcheurs pêchaient et naviguaient «depuis des temps immémoriaux» (Sentence du Tribunal arbitral rendue au terme de la première étape de la procédure entre l’Erythrée et la République du Yémen (9 octobre 1998), par. 127). De même, dans l’arbitrage relatif à la mer de Chine méridionale, le Tribunal arbitral a reconnu des «droits de pêche traditionnelle» dans une zone où cette activité était «pratiquée depuis des générations» (mer de Chine méridionale, p. 315, par. 806). La Colombie semble elle-même souscrire à cette norme. Dans son contre-mémoire, elle allègue à deux reprises que la pêche se pratique «depuis des temps immémoriaux» (CMC, par. 2.64 et 3.102). Une période de cinq décennies ou moins est tout simplement insuffisante.
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déclaration sous serment cités par la Colombie ne corroborent pas non plus la thèse de cette dernière
97.
2.53. La seconde catégorie de citations regroupe cinq déclarations sous serment «indiqu[ant] des lieux qui font manifestement partie du haut-fond [de Cape Bank] ou de ses eaux profondes, tels que le «82e méridien ouest», «Luna Verde», «Mangle Chico et Mangle Grande», «Rosalind Bank», la «caye de Bobel» et le «cap Gracias a Dios»»98. Même si les endroits en question sont bien «indiqu[és]» dans les cinq déclarations citées, ce n’est jamais en tant que zones de pêche traditionnelles  c’est même parfois le contraire qui en ressort.
2.54. Prenons par exemple la déclaration sous serment de M. Domingo Sanchez McNabb99, citée par la Colombie comme «indiqu[ant] … le Cap Gracias a Dios»100. Il est vrai que M. McNabb «indique» à deux reprises le cap Gracias a Dios. Il déclare une première fois : «[N]ous avions l’habitude de nous rendre à Cabo Gracias a Dios au Honduras … pour chercher de nouveaux bancs de pêche»101. Le fait que M. McNabb se soit rendu au Cap Gracias a Dios «pour chercher de nouveaux bancs de pêche» démontre amplement que celui-ci ne constituait pas une zone de pêche traditionnelle. M. McNabb mentionne une deuxième fois le Cap Gracias a Dios en ces termes :
«Les pêcheurs artisanaux commencent à utiliser du matériel technologique comme des radios, des radars et des systèmes de navigation GPS. Ces améliorations facilitent grandement les expéditions de pêche vers des zones plus éloignées, à savoir le long du 82e méridien voire à proximité du cap Gracias a Dios.»102
Là encore, la déclaration en question démontre que les expéditions s’aventurant «le long du 82e méridien … voire à proximité du Cap Gracias a Dios» relèvent d’une tendance récente et non d’une pratique historique.
2.55. La troisième catégorie de citations se compose, elle aussi, d’extraits de cinq déclarations sous serment évoquant «d’autres zones traditionnelles importantes situées du côté nicaraguayen de la ligne de 2012, telles que le «Julio Bank», le «Far Bank» et le «North East Bank»»103. Le fait que les cinq déclarations en cause évoquent ces bancs de pêche ne saurait pour autant démontrer qu’il s’agit de zones de pêche traditionnelles.
2.56. En fait, un seul auteur de déclaration affirme «avoir péché sur ces bancs» 104, un autre indiquant simplement devoir «se montrer extrêmement prudent» lorsqu’il veut aller y pêcher105, et
97 Voir CMC, annexes 65, 68, 70, 72.
98 DC, par. 5.42 (citant CMC, annexes 63, 64, 65, 69, 71) (les notes de bas de page ont été omises).
99 CMC, annexe 69.
100 DC, par. 5.42 (citant CMC, annexe 69).
101 CMC, annexe 69 (les italiques sont de nous).
102 Ibid., annexe 69.
103 DC, par. 5.44 (citant CMC, annexes 62, 63, 64, 65, 66).
104 CMC, annexe 64.
105 Ibid., annexe 62.
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deux autres indiquant les «connaître»
106 107. Aucune de ces déclarations, même prises au pied de la lettre, ne prouve que les bancs en question sont des zones de pêche traditionnelles.
2.57. Un seul auteur de déclaration sous serment (M. Ligorio Luis Archbold Howard) affirme que «Far Bank, North East Bank et Julio Bank sont autant de zones traditionnelles de pêche des habitants de Providencia»108. Mais cette déclaration unique, sans nuance et catégorique ne fournit aucune information probante qui pourrait renforcer sa crédibilité. En fait, d’autres parties de la déclaration de M. Howard ont tendance à la contredire, notamment lorsque l’intéressé affirme : «Nos parents et nos grands-parents ignoraient les limites maritimes dans ces eaux ; ils avaient l’habitude de pêcher dans la caye de Bobel à proximité du Honduras, à Serrana, à Quitasueño, à Serranilla et dans la caye du sud-ouest [Alburquerque].»109 Julio Bank, Far Bank et North East Bank sont donc manifestement absents de la liste des endroits où ses parents et grands-parents «avaient l’habitude de pêcher».
2.58. En démontrant que les déclarations sous serment de la Colombie n’appuient pas l’argument selon lequel les pêcheurs artisanaux de cet Etat pratiquaient leurs activités dans des eaux faisant désormais partie de sa ZEE, le Nicaragua ne tente en rien d’«étouffer la parole des Raizals»110. Au contraire, il prête une oreille attentive aux intéressés et en tire les conséquences qui s’imposent.
D. LA COLOMBIE N’A TOUJOURS PAS PROUVÉ LA VIOLATION PAR LE NICARAGUA DES «DROITS» DE PÊCHE TRADITIONNELS DES RAIZALS
2.59. La Colombie soutient que, par son comportement, le Nicaragua a violé les droits de pêche traditionnels des Raizals. Il convient de rejeter ce grief, tout d’abord en raison de l’inexistence de tels droits pour les raisons expliquées dans les sections A à C ci-dessus, ensuite parce que la Colombie n’a présenté aucun élément de preuve fiable à l’appui de son argument.
2.60. Dans sa réplique, le Nicaragua a méthodiquement examiné les éléments de preuve fournis par la Colombie à cet égard et démontré qu’aucun d’entre eux n’était suffisamment fiable pour étayer ses prétentions111. La Colombie n’a manifestement présenté aucun élément de preuve direct ou contemporain à l’appui de ses affirmations. Les éléments de preuve cités dans son contre-mémoire se composent de déclarations politiques112 ou des neuf déclarations sous serment mentionnées plus haut, lesquelles émanent d’auteurs dont aucun ne semble avoir été directement concerné par un acte des autorités nicaraguayennes113. Les auteurs de ces déclarations font en effet uniquement état d’actes qui auraient visé d’autres personnes et, à ce titre, ces documents ne constituent que des preuves par ouï-dire.
2.61. Deux ans séparent les dépôts par la Colombie de son contre-mémoire (novembre 2016) et de sa duplique (novembre 2018). Par ailleurs, six mois se sont écoulés entre le dépôt par le
106 CMC, annexe 66.
107 Ibid., annexe 63.
108 Ibid., annexe 65.
109 Ibid.
110 DC, par. 5.35.
111 RN, par. 6.78-6.6.93.
112 Ibid., par. 6.78-6.79.
113 Ibid., par. 6.87-6.93.
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Nicaragua de sa réplique en mai 2018 et le dépôt par la Colombie de sa duplique. Pourtant, la Colombie n’a produit dans cette dernière pièce aucune preuve supplémentaire à l’appui de cette partie de ses griefs. Le Nicaragua considère cette omission comme révélatrice en soi. A supposer qu’il poursuive véritablement la stratégie active d’intimidation
114 et de «pillage»115 dénoncée par la Colombie, on aurait pu raisonnablement s’attendre à ce que cette dernière ait réuni des preuves supplémentaires au cours des deux années écoulées entre le dépôt de son contre-mémoire et celui de sa duplique.
2.62. Au lieu de présenter des preuves nouvelles ou meilleures, la Colombie choisit une approche différente. En particulier, elle adopte le sophisme du tu quoque. De l’avis du défendeur, le Nicaragua ne saurait se plaindre de l’inadéquation des preuves produites par la Colombie dans la mesure où ses propres preuves seraient tout aussi insuffisantes. Il prétend ainsi que «[d]ans sa réplique, le Nicaragua ne cherche même pas à cacher qu’il use de poids et de mesures différents pour, d’une part, ses propres griefs et, de l’autre, la demande reconventionnelle de la Colombie»116.
2.63. Le Nicaragua conteste cette comparaison entre les éléments de preuve qu’il a présentés à l’appui de sa demande principale et ceux produits par la Colombie à l’appui de sa demande reconventionnelle. Entre autres choses, le Nicaragua a soumis les enregistrements de multiples avertissements que la marine colombienne a envoyés à des navires nicaraguayens opérant pourtant dans les propres eaux du Nicaragua117. C’est de toute manière à la Cour qu’il appartient de décider de la qualité des preuves produites par les Parties. La Colombie ne saurait justifier l’insuffisance de ses propres preuves en critiquant celles produites par le Nicaragua.
2.64. Non contente d’avoir adopté la ligne de défense du tu quoque, la Colombie recycle les déclarations sous serment annexées à son contre-mémoire pour les invoquer à l’appui de nombre des allégations de seconde main qu’elle avait déjà avancées. Elle cite notamment la déclaration de M. Alfredo Rafael Howard Newball selon laquelle «les garde-côtes nicaraguayens … [auraient] arraisonn[é] [des pêcheurs], leur [auraient] confisqu[é] leur prise et leur matériel, les [auraient] menac[és] et les [auraient] maltrait[és]»118. Pourtant, M. Newball commence sa déclaration par ces mots : «[a] près la décision de 2012, nous avons entendu [dire] que les pêcheurs [avaient rencontré] des problèmes avec les garde-côtes nicaraguayens»119. En d’autres termes, sa déclaration se fonde sur des ouï-dire concernant ce qui a pu arriver à des tiers et non sur son expérience personnelle.
2.65. La Colombie cite également l’extrait suivant de la déclaration sous serment de M. George de la Cruz de Alba Barker «[i]l est fréquent que les garde-côtes nicaraguayens s’emparent de notre GPS, de notre radio VHF, de nos cigarettes et de nos provisions»120. Cependant, l’examen de la déclaration de l’intéressé révèle que celui-ci ne semble pas dénoncer une conduite dont il aurait été lui-même victime. Sa déclaration revêt un caractère général dans la mesure où il fait état de comportements subis par des tiers121. Le fait qu’il prétende que «[l]es associations et les coopératives [de pêcheurs] reçoivent des plaintes faisant état de ces incidents» pourrait être encore plus révélateur
114 CMC, par. 9.5.
115 Ibid.
116 DC, par. 5.63.
117 Voir, par exemple, RN, annexe 32.
118 CMC, par. 5.68.
119 Ibid., annexe 67, p. 6.
120 DC, par. 5.68.
121 CMC, annexe 71.
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à cet égard
122, surtout dans la mesure où la Colombie n’a fourni aucun document attestant de telles plaintes.
2.66. L’analyse des neuf déclarations sous serment jointes au contre-mémoire de la Colombie à l’appui de ce volet de sa demande révèle qu’aucun de ces témoins ne prétend avoir été lui-même l’objet d’actes de «pillage» ou d’«intimidation» de la part des autorités nicaraguayennes123. La Colombie ne saurait fonder sa thèse sur des bases aussi faibles. Comme la Cour n’a pas manqué de le rappeler dans son arrêt Croatie c. Serbie, «un témoignage sur des points dont le témoin n’a pas eu personnellement une connaissance directe, mais seulement par «ouï-dire», n’a pas grand poids»124.
2.67. Les très rares autres éléments de preuve auxquels se réfère la réplique de la Colombie sont tout aussi peu fiables et insuffisants pour étayer la thèse du défendeur. La Colombie renvoie, par exemple, à la recommandation de 2014 d’un comité d’experts de l’Organisation internationale du travail («OIT») indiquant qu’«en traversant des zones maritimes nicaraguayennes, [les pêcheurs raizals] s’exposent à des difficultés et seraient passibles d’amendes»125. Il s’agit là manifestement aussi d’une preuve par ouï-dire dépourvue des précisions indispensables à l’établissement d’un fait.
2.68. L’appréciation par les auteurs de la recommandation précitée de la position adoptée par le Gouvernement colombien est encore plus intéressante :
«Le Gouvernement déclare que les eaux dans lesquelles la communauté raizale pratiquait traditionnellement la pêche artisanale appartiennent toujours à la Colombie et que les pêcheurs peuvent continuer à mener leurs activités comme ils le faisaient avant le jugement rendu par la CIJ en novembre 2012. S’agissant du droit des habitants de San Andrés d’accéder à leurs lieux traditionnels de pêche, le gouvernement explique que les zones de pêche en question se situent précisément autour des îlots et que ces zones n’ont pas été affectées par le jugement de la CIJ puisqu’il s’agit, comme l’a reconnu la Cour, d’une zone maritime appartenant à la Colombie, qui a également la souveraineté sur les îles et les sept îlots [cayes].»126
122 CMC, annexe 71.
123 Voir généralement ibid., annexes 63-65, 67-72.
124 Application de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Croatie c. Serbie), arrêt, C.I.J. Recueil 2015 (I), p. 78, par. 197 (citant Activités militaires et paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci (Nicaragua c. Etats-Unis d’Amérique), fond, arrêt, C.I.J. Recueil 1986, p. 42, par. 68).
125 DC, par. 5.69 (citant les observations de la commission d’experts pour l’application des conventions et recommandations de l’OIT (CEACR) adoptées en 2014 et publiées dans le rapport de la 104e session de la Conférence internationale du Travail (2015), convention relative aux peuples indigènes et tribaux, 1989 (n° 169)  Colombie (ratification : 1991), disponible à l’adresse : http://www.ilo.org/dyn/normlex/fr/f?p=1000:13100:0::NO::P13100_ COMMENT_ID,P13100_LANG_CODE:3182299,fr:NO (consultées pour la dernière fois le 21 février 2019).
126 Observations de la commission d’experts pour l’application des conventions et recommandations de l’OIT (CEACR) adoptées en 2014 et publiées dans le rapport de la 104e session de la Conférence internationale du Travail (2015), convention relative aux peuples indigènes et tribaux, 1989 (n° 169)  Colombie (ratification : 1991), disponibles à l’adresse : http://www.ilo.org/dyn/normlex/fr/f?p=1000:13100:0::NO::P13100_COMMENT_… CODE:3182299,fr:NO (consultées pour la dernière fois le 8 février 2019).
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De sorte que loin de corroborer la thèse de la Colombie, la recommandation la réfute127.
2.69. La Colombie renvoie également à l’annexe 20 de la réplique du Nicaragua, laquelle «mentionne[rait] trois incidents ayant impliqué les forces navales nicaraguayennes et des pêcheurs raizals»128, ainsi qu’à l’annexe 12 de son mémoire, laquelle, toujours selon la Colombie, «atteste du fait que les pêcheurs artisanaux ne peuvent exercer leur activité en raison de la conduite des forces navales nicaraguayennes»129. Aucun de ces documents ne constitue une preuve valable de la légitimité des prétentions de la Colombie.
2.70. L’annexe 20 de la réplique du Nicaragua est un compte rendu de dépêches d’actualité en provenance de Colombie dans lesquelles le commandant de la marine de ce pays est cité pour corroborer la proposition énoncée. Peu de détails sont fournis si ce n’est une référence à «un incident au cours duquel un groupe de pêcheurs colombiens a fait l’objet d’une inspection et a apparemment été expulsé d’une zone frontalière entre les deux pays par les forces navales du Nicaragua»130. L’expression «groupe de pêcheurs colombiens» pourrait tout aussi bien désigner une flottille de pêche commerciale qu’un groupe de pêcheurs artisanaux. De l’avis du Nicaragua, la réaction de la Colombie à ces incidents présumés est plus révélatrice. Le commandant de sa marine indiquait son intention de «déployer [] toutes les capacités dont dispose [celle-ci] pour imposer le respect à tous les pêcheurs de la région»131. En d’autres termes, la Colombie a réagi en exerçant des droits souverains et une juridiction dans la ZEE du Nicaragua.
2.71. L’annexe 12 au mémoire du Nicaragua se compose d’un «rapport sur l’état des ressources naturelles et de l’environnement» établi en 2013 par le contrôleur général du département de San Andrés, Providencia et Santa Catalina. Il s’agit par conséquent d’un document officiel du gouvernement colombien. En tout cas, ce document se contente d’affirmer que «les autorités nicaraguayennes ont été très agressives et maintenant, avec cette nouvelle décision, elles peuvent arrêter les pêcheurs alors qu’ils transitent dans leurs eaux et saisir leurs prises et/ou leurs navires»132. Tout d’abord, le contexte de cette déclaration ne permet pas de savoir s’il s’agit de pêcheurs commerciaux ou artisanaux. De plus, l’affirmation selon laquelle les autorités nicaraguayennes se sont montrées «très agressives» est totalement dénuée de fondement  elle est même si vague et imprécise qu’elle en devient dépourvue de sens. En outre, l’affirmation selon laquelle le Nicaragua «peut détenir» des pêcheurs colombiens en vertu de l’arrêt de 2012 évoque une situation hypothétique : il s’agit de quelque chose qui pourrait se produire et non de quelque chose qui s’est produit.
127 La Colombie, manifestement embarrassée par la position qu’elle a adoptée devant l’OIT, ne ménage pas ses efforts pour tenter de se justifier dans sa duplique (DC par. 5.55-5.61). En définitive, la Colombie en est effectivement réduite à prétendre que l’organe officiel ayant adopté la position décrite, à savoir l’office de la coopération et des relations internationales du ministère du travail, «n’a cependant pas fourni le moindre élément de preuve à l’appui de son allégation selon laquelle les lieux de pêche traditionnelle se trouvaient précisément près des zones qui n’auraient pas été affectées par l’arrêt» (DC, par. 5.56). A supposer que cette circonstance soit avérée, on ne saurait autoriser la Colombie à dire une chose et son contraire. La Colombie ne peut pas adopter une position défensive devant l’OIT et s’attendre à ce que la Cour accepte la proposition contraire lorsqu’elle adopte une position offensive dans le cadre de la présente procédure.
128 DC, par. 5.70.
129 Ibid.
130 RN, annexe 20.
131 Ibid.
132 MN, annexe 12, p. 11.
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2.72. Là encore, le Nicaragua considère que d’autres parties du rapport sont encore plus révélatrices. Dans les sections relatives aux «lieux de pêche traditionnelle» et aux «lieux de pêche industrielle», on peut en effet lire ce qui suit :
«Lieux de pêche traditionnelle
Les pêcheurs artisanaux de l’île de San Andrés se répartissent sur l’ensemble du plateau, en utilisant des points de référence pour les lieux de pêche tels que : Hors du banc (Outside Bank) (nord de l’île de San Andres), Sous le vent (Under the Lee) (côté ouest de l’île de San Andres), Southend Bank (sud de l’île de San Andres), Cayes d’Albuquerque (50 km au sud-ouest de l’île de San Andres) et Méridien 82 sur la frontière avec le Nicaragua.
A Providencia et Santa Catalina, la pêche a lieu à l’intérieur et à l’extérieur de la barrière de corail, à proximité de la terrasse récifale, en respectant la zone du parc et la zone marine protégée. Selon Arango et Marquez (1995), les zones de travail spécifiques sont El Faro, Taylor Reef, Morning Star, Northest Bank, South Banks et North Banks.
Lieux de pêche industrielle
Sur tous les bancs de la zone nord comme Roncador, Serrana et Quitasueño, dans les zones de régime commun avec le Honduras et la Jamaïque comme Serranilla, Bajos Alicia et Nuevo, ainsi que sur Luna Verde ou La Esquina.»133
2.73. Conformément aux déclarations susmentionnées du gouvernement colombien à l’OIT, le rapport suggère donc que les zones de pêche traditionnelle des Raizals étaient situées pour la plupart autour des trois îles principales et que les zones situées plus loin des côtes étaient le domaine des pêcheurs industriels. La Colombie n’a donc pas réussi à prouver que le Nicaragua avait violé les droits de pêche traditionnels des Raizals, à supposer qu’ils aient jamais existé (ce qui n’est pas le cas).
2.74. Pour toutes les raisons qui précèdent, le Nicaragua soutient respectueusement que la demande reconventionnelle de la Colombie concernant les droits de pêche traditionnels allégués des Raizals doit être rejetée.
133 MN, annexe 12, p. 9.
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CHAPITRE III LIGNES DE BASE DU NICARAGUA
3.1. Le présent chapitre traite de la quatrième demande reconventionnelle de la Colombie selon laquelle la législation nicaraguayenne sur les lignes de base droites n’est pas conforme au droit international coutumier134. Il expose la position du Nicaragua selon laquelle sa législation sur les lignes de base droites est conforme à la fois au droit coutumier et aux dispositions pertinentes de la convention des Nations Unies sur le droit de la mer (la convention).
3.2. La réplique du Nicaragua comporte une analyse de la pratique colombienne en matière de lignes de base droites sur ses côtes caraïbe et pacifique135. Elle conclut que :
«Pour tenter de prouver que les lignes de base droites du Nicaragua n’ont pas été tracées conformément à l’article 7 de la convention et des règles correspondantes du droit international coutumier, la Colombie s’appuie sur une interprétation desdites règles qu’elle se dispense d’appliquer à ses propres lignes de base droites dans la mer des Caraïbes et l’océan Pacifique. Les lignes de base droites du Nicaragua sont conformes aux règles telles qu’elles ont été interprétées et appliquées par la Colombie au moment où celle-ci a adopté sa propre législation en la matière.»136
A la lumière de cette conclusion, on aurait pu s’attendre à une réfutation vigoureuse de la Colombie ; or celle-ci demeure dans sa duplique muette sur ce point. Le Nicaragua regrette ce silence peu utile à la Cour s’agissant de démêler les points d’accord et de désaccord entre les Parties. Compte tenu de l’importance de la pratique colombienne, la section A du présent chapitre récapitule brièvement les principaux points pertinents de la réplique.
3.3. Le système de lignes de base droites du Nicaragua a été fixé par le décret n° 33-2013137. En outre, le Nicaragua a utilisé des points de base sur Nee Reef, London Reef et Blowing Rock, situés au large des lignes de base droites, pour déterminer les limites extérieures de sa mer territoriale et la limite des 200 milles marins de sa zone économique exclusive. La section B du présent chapitre traite de la modification apportée au décret no 33-2013 après le dépôt de la réplique, ainsi que des arguments de la duplique relatifs aux points de base situés sur Nee Reef, London Reef et Blowing Rock.
3.4. Enfin, la section C du présent chapitre explique en quoi la configuration de la côte continentale du Nicaragua et la présence d’îles permettent de tirer des lignes de base droites conformes au droit international. La présente section a pour objet de réfuter l’argument contraire exposé dans le chapitre 6 de la duplique de la Colombie.
3.5. Les conclusions du présent chapitre sont énoncées dans sa section D.
134 CMC, par. 7.6. d) ; DC, par. 6.1.
135 RN, chap. 7 passim.
136 RN, par. 7.60. g).
137 RN, annexe 1.
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A. PRATIQUE DE LA COLOMBIE EN MATIÈRE DE LIGNES DE BASE DROITE : UN ÉLÉPHANT DANS UN MAGASIN DE PORCELAINE
3.6. Dans sa réplique, le Nicaragua analyse la pratique de la Colombie, tant sur sa côte caraïbe que sur sa côte pacifique, en matière de lignes de base droites138. La duplique ne daigne pas accorder la moindre attention à l’analyse par le Nicaragua de la pratique de la Colombie en matière de lignes de base droites. Comme on le verra dans la section C du présent chapitre, cette pratique est parfaitement pertinente pour évaluer les critiques formulées par la Colombie à l’égard des lignes de base droites du Nicaragua. La présente section récapitule brièvement l’argument principal de la réplique concernant la pratique de la Colombie et l’analyse qui y fait suite s’y référera.
3.7. Le paragraphe 7.8 de la réplique examine la longueur des segments de ligne de base droite du Nicaragua et fait observer que celle-ci (comprise entre 44 et 83 milles marins) n’est pas exceptionnelle par rapport à la pratique des autres Etats, et que le propre système de lignes de base droites de la Colombie comprend des segments mesurant respectivement 130,5, 81,6 (pour deux d’entre eux) et 76,8 milles marins.
3.8. Le paragraphe 7.19 de la réplique examine la pratique de la Colombie au regard du caractère «profondément échancré et découpé» mentionné à l’article 7, paragraphe 1, de la convention. Le Nicaragua y démontre que la partie de la côte colombienne en question «est moins découpée que la côte nicaraguayenne entre Monkey Point et l’extrémité de la frontière terrestre avec le Costa Rica», laquelle forme une échancrure fermée par les lignes de base droites du Nicaragua. La figure 1 reproduit la figure 7.2 de la réplique, sur laquelle sont représentées la côte colombienne et la ligne de base droite pertinente.
Figure 1 Lignes de base droites de la Colombie
3.9. Le paragraphe 7.42 de la réplique analyse la pratique de la Colombie sous l’angle du respect du critère de l’existence d’un chapelet d’îles situées à proximité immédiate de la côte pour
138 RN, chap. 7 passim.
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pouvoir tracer des lignes de base droites conformément à l’article 7, paragraphe 1, de la convention. Il démontre que «[l] a propre pratique de la Colombie en matière de lignes de base indique qu’elle non plus n’a pas adopté les normes qu’elle entend maintenant imposer au Nicaragua». L’un des îlots colombiens discutés dans cet exemple est en effet plus distant de la côte que l’une des îles servant de points de base au Nicaragua, mais également plus distant de la côte colombienne que bon nombre des îles du Nicaragua incluses dans le système de lignes de base droites de ce dernier. La figure 2 reproduit la figure 7.8 de la réplique, laquelle montre la côte, les îles et les lignes de base pertinentes de la Colombie.
Figure 2 Lignes de base droites de la Colombie (Pacifique)
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3.10. En réponse à l’argument de la Colombie selon lequel le Nicaragua empiéterait sur les droits d’Etats tiers, le paragraphe 7.53 de la réplique compare les portions d’espaces maritimes délimitées par les lignes de base droites du Nicaragua à l’enfermement par la Colombie du secteur comprenant la Bahia de Bonaventura. Il démontre que «les lignes de base droites du défendeur dans la Bahia de Bonaventura sont beaucoup plus expansionnistes que celles du Nicaragua le long de sa côte caraïbe». La figure 3 compare les figures 7.9 et 7.10 de la réplique, lesquelles décrivent les portions d’espaces maritimes enfermées respectivement par les lignes de base droites du Nicaragua et par celles de la Colombie dans la Bahia de Bonaventura.
Figure 3 Comparaison entre les portions d’espaces maritimes enfermées respectivement par les lignes de base droites du Nicaragua et par celles de la Colombie dans la Bahia de Bonaventura
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3.11. Comme il ressort de la présente analyse, la pratique de la Colombie en ce qui concerne les aspects critiques du régime des lignes de base droites apparaît comparable à celle du Nicaragua, laquelle se révèle même sur certains points plus modérée. De ce point de vue, force est de constater le caractère peu sincère des critiques actuelles de la Colombie. Le silence du défendeur face à la démonstration faite par le Nicaragua dans sa réplique ne relève pas d’un simple oubli, mais traduit plutôt l’embarras consécutif à la mise en lumière de ses contradictions.
B. LES LIGNES DE BASE NORMALES DU NICARAGUA ET LE DÉCRET N° 33-2013 FIXANT DES LIGNES DE BASE DROITES
3.12. Le chapitre VII de la réplique du Nicaragua est consacré à l’analyse de son décret n° 33-2013 établissant un système de lignes de base droites le long de sa côte caraïbe ainsi qu’une ligne de base normale le long de la même côte139. Comme indiqué précédemment140, le préambule de ce décret indique que le Nicaragua exerce sa souveraineté, ses droits et sa juridiction sur ses espaces maritimes conformément au droit international141. Le même préambule rappelle également que le Nicaragua a ratifié la convention des Nations Unies sur le droit de la mer le 3 mai 2000 et que, partant, en établissant un système de lignes de base droites dans la mer des Caraïbes, il agit conformément à cet instrument142. Comme indiqué plus bas, la duplique de la Colombie ne contient aucun argument convaincant de nature à contester le respect par le Nicaragua des dispositions de la convention relatives à la détermination des lignes de base servant à mesurer la largeur de la mer territoriale.
3.13. Le segment de ligne de base droite compris entre les points 8 et 9 définis à l’annexe I du décret no 33-2013 a déjà été examiné143. Le point 9, situé par 10° 55' 52,0" de latitude nord et 083° 39' 58,1" de longitude ouest, se trouve sur la côte de la lagune de Harbor Head. La Cour, dans son arrêt rendu le 2 février 2018 dans les affaires jointes relatives à la Délimitation maritime dans la mer des Caraïbes et l’océan Pacifique (Costa Rica c. Nicaragua) et à la Frontière terrestre dans la partie septentrionale d’Isla Portillos (Costa Rica c. Nicaragua) a confirmé la souveraineté du Nicaragua sur la lagune de Harbor Head et le cordon littoral séparant cette dernière de la mer des Caraïbes144. Cependant, la Cour a aussi estimé que cette partie de la côte du Nicaragua ne pouvait pas se voir attribuer des eaux territoriales dans le cadre de la délimitation maritime entre le Nicaragua et le Costa Rica145. Par conséquent, le point 9 défini à l’annexe I au décret n° 33-2013 n’était plus contigu à la mer territoriale du Nicaragua146. A l’issue de son examen des implications de l’arrêt de la Cour, le Nicaragua a procédé à une nouvelle détermination des coordonnées du point de base le plus méridional de son système de lignes de base droites. Ce nouveau point de base 9, situé par 10° 57' 56,6” de latitude nord et 83° 44' 41,2" de longitude ouest, se trouve sur Barra Indio Maíz
139 RN, par. 7.7-7.12, 7.14-7.15 et 7.56-7.59.
140 RN, par. 7.7.
141 Décret n° 33-2013, préambule, par. I. (RN, annexe 1).
142 Ibid., préambule, par. II et VI.
143 RN, par. 7.12.
144 Délimitation maritime dans la mer des Caraïbes et l’océan Pacifique (Costa Rica c. Nicaragua) et Frontière terrestre dans la partie septentrionale d’Isla Portillos (Costa Rica c. Nicaragua), arrêt, C.I.J. Recueil 2018 (I), p. 139, par. 205 2).
145 Ibid., par. 105.
146 RN, par. 7.12.
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(Greytown)
147. Cette modification du point de base le plus méridional est sans incidence sur l’analyse faite par le Nicaragua des dispositions de son décret n° 33-2013 dans le contexte de la demande reconventionnelle de la Colombie relative aux lignes de base droites du requérant148.
3.14. Dans sa réplique, le Nicaragua explique que les points de base de ses lignes de base droites ont été déterminés conformément aux articles 5 et 7 de la convention, lesquels reflètent le droit international coutumier. Deux de ces points de base sont situés sur la laisse de basse mer le long de la côte continentale du Nicaragua, tandis que les sept autres sont situés sur la laisse de basse mer des îles frangeantes149. Dans sa duplique, la Colombie ne conteste pas la validité des points de base utilisés par le Nicaragua dans ce contexte150. Elle conteste en revanche les points de base du Nicaragua situés sur un certain nombre de formations maritimes faisant face à la côte nicaraguayenne, au large des lignes de base droites.
3.15. Selon la duplique, les points de base placés par le Nicaragua le long de la laisse de basse mer sur Nee Reef et London Reef, au large des cayes des Miskitos et sur Blowing Rock au sud de Great Corn Island (ou grande île du Maïs), n’auraient jamais été mentionnés «dans les documents juridiques officiels internes du Nicaragua»151. La duplique critique également l’omission de ces points dans la liste de l’annexe I du décret no 33-2013 et, par conséquent, le manquement par le Nicaragua à son obligation de notification en vertu de l’article 16 de la convention des Nations Unies sur le droit de la mer152. Ces affirmations démontrent que la Colombie n’a pas sérieusement examiné le droit et la pratique internes du Nicaragua et qu’elle comprend mal l’article 16 de la convention.
3.16. A titre préliminaire, on peut noter que Nee Reef, London Reef et Blowing Rock sont situés à moins de 12 milles marins des cayes des Miskitos (Nee Reef et London Reef) et de la grande île du Maïs, ou Great Corn Island (Blowing Rock). Par conséquent, ces formations  même si elles sont toutes des hauts-fonds découvrants  peuvent parfaitement servir à tirer les lignes de base du Nicaragua conformément à l’article 13, paragraphe 1, de la convention des Nations Unies sur le droit de la mer153.
3.17. En vertu de la loi nicaraguayenne n° 420 du 15 mars 2002 sur les espaces maritimes, les lignes de base servant à mesurer la largeur de la mer territoriale peuvent être indifféremment des
147 Décret présidentiel no 17-2018, décret portant modification du décret no 33-2013, «Lignes de base des espaces maritimes de la République du Nicaragua dans la mer des Caraïbes» (reproduit en tant qu’annexe 2 à la présente pièce additionnelle), annexe I. Le texte du décret est également disponible sur le site Internet de la division des affaires maritimes et du droit de la mer du secrétariat de l’Organisation des Nations Unies. (accessible à l’adresse suivante : http://www.un.org/Depts/los/LEGISLATIONANDTREATIES/STATEFILES/NIC.htm) (dernière consultation le 21 février 2019).
148 Pour les raisons exposées à la section F du chapitre VII de la réplique du Nicaragua, le changement de coordonnées du plus méridional des points de base servant à la définition des lignes de base droites du Nicaragua est sans incidence sur l’emplacement de la limite extérieure de la zone économique exclusive de ce dernier à 200 milles marins.
149 RN, par. 7.14 et 7.15.
150 DC, par. 6.2.
151 DC, par. 6.9.
152 DC, par. 6.8-6.9.
153 L’article 13, paragraphe 1, se lit comme suit :
«Par «hauts-fonds découvrants», on entend les élévations naturelles de terrain qui sont entourées par la mer, découvertes à marée basse et recouvertes à marée haute. Lorsque des hauts-fonds découvrants se trouvent, entièrement ou en partie, à une distance du continent ou d’une île ne dépassant pas la largeur de la mer territoriale, la laisse de basse mer sur ces hauts-fonds peut être prise comme ligne de base pour mesurer la largeur de la mer territoriale.»
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lignes droites ou la laisse de basse mer du littoral
154. Cette loi prévoit par conséquent la possibilité de combiner les deux méthodes, comme l’a d’ailleurs fait le Nicaragua le long de sa côte caraïbe.
3.18. En juin 2013, à la suite de l’arrêt rendu par la Cour en 2012 en l’affaire du Différend territorial et maritime, le Nicaragua a présenté à la commission des limites du plateau continental (CLCS), conformément à l’article 76 de la convention, une demande concernant les limites extérieures de son plateau continental. La version résumée de la demande du Nicaragua a été publiée sur le site Internet de la commission155. Sa page 4 contient une figure représentant la ligne des 200 milles marins du Nicaragua et les points de base ayant servi à la tracer. Cette figure est reproduite ci-après en tant que figure 4, laquelle indique en outre les lignes de base droites du Nicaragua. Comme il ressort de cette figure 4, figurent parmi les points de base ayant servi à tracer la ligne représentant la limite des 200 milles marins des points situés sur Nee Reef, London Reef et Blowing Rock, tous situés au large des lignes de base droites. Conformément au règlement intérieur de la commission, une communication a été diffusée auprès de tous les Etats Membres de l’Organisation des Nations Unies, dont les Etats Parties à la convention, afin de rendre public le résumé de la demande, y compris l’ensemble des cartes et coordonnées géographiques figurant dans celle-ci156. Par conséquent, contrairement à ce que prétend la Colombie, le Nicaragua n’a pas recours pour la première fois aux dits points de base, puisque ceux-ci ont déjà été utilisés et rendus publics il y a six ans.
Figure 4 Demande présentée par le Nicaragua à la CLCS
3.19. L’affirmation de la Colombie selon laquelle les points de base situés sur Nee Reef, London Reef et Blowing Rock ne figurent pas à l’annexe I du décret no 33-2013 est pour le moins
154 Loi n° 420 sur les espaces maritimes (reproduite en tant qu’annexe 1 à la présente pièce additionnelle), article 3.
155 Disponible en anglais à l’adresse : http://www.un.org/Depts/los/clcs_new/submissions_files/nic66_13/ Executive%20Summary.pdf. (consultée pour la dernière fois le 21 février 2019).
156 Avis de réception de la demande présentée par la République du Nicaragua à la commission des limites du plateau continental, CLCS.66.2013.LOS (notification) du 1er juillet 2013 ; accessible à l’adresse suivante : http://www.un.org/Depts/los/clcs_new/submissions_files/nic66_13/clcs66_…) (dernière consultation le 21 février 2019).
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fallacieuse. Comme l’indique son titre, l’annexe I vise à fournir des informations sur les coordonnées géographiques des points de base à partir desquels sont tracées les lignes de base droites du Nicaragua et non sur les points se trouvant sur des formations situées au-delà desdites lignes.
3.20. L’affirmation figurant dans la duplique de la Colombie, selon laquelle le Nicaragua  en omettant de mentionner les lignes de base de Nee Reef, London Reef et Blowing Rock dans sa communication de 2013 au Secrétaire général de l’Organisation des Nations Unies  aurait manqué à son obligation au titre du paragraphe 2 de l’article 16 de la convention, est tout aussi malencontreuse157. L’article 16 de la convention se lit comme suit :
«1. Les lignes de base à partir desquelles est mesurée la largeur de la mer territoriale établies conformément aux articles 7, 9 et 10 ou les limites qui en découlent et les lignes de délimitation tracées conformément aux articles 12 et 15 sont indiquées sur des cartes marines à l’échelle appropriée pour en déterminer l’emplacement. A défaut, une liste des coordonnées géographiques de points précisant le système géodésique utilisé peut y être substituée.
2. L’Etat côtier donne la publicité voulue aux cartes ou listes des coordonnées géographiques et en dépose un exemplaire auprès du Secrétaire général de l’Organisation des Nations Unies.»
3.21. Comme indiqué dans son paragraphe 1, l’obligation énoncée à l’article 16 vise les lignes de base établies conformément aux articles 7, 9, 10, 12 et 15 de la convention et non à ses articles 5 et 13, lesquels visent respectivement la laisse de basse mer le long de la côte continentale ou les îles et les hauts-fonds découvrants. Conformément à l’article 16, paragraphe 2, le Nicaragua a communiqué des informations sur ses lignes de base droites au Secrétaire général de l’Organisation des Nations Unies.
3.22. Dans sa duplique, la Colombie fait valoir que, dans la mesure où les points de base se trouvant sur les récifs de Nee Reef, London Reef et Blowing Rock ne sont pas mentionnés dans le décret n° 33-2013, elle «n’abordera pas la question de [leur] existence  qui n’a pas été démontrée par le Nicaragua  ni de [leur] pertinence, le cas échéant»158. Comme on l’a vu plus haut, l’argument de la Colombie est infondé. L’omission de ces points de base dans le décret n° 33-2013 s’explique par le fait que celui-ci visait uniquement les lignes de base droites. Comme on l’a vu plus haut au paragraphe 3.18, l’utilisation de la laisse de basse mer le long de Nee Reef, London Reef et Blowing Rock a été rendue publique en 2013 dans le cadre de la demande soumise par le Nicaragua à la CLCS concernant son plateau continental.
3.23. L’argument de la Colombie selon lequel le Nicaragua n’a pas démontré l’existence de ces points de base est également erroné sur le plan juridique. L’article 5 de la convention dispose que : «Sauf disposition contraire de la convention, la ligne de base normale à partir de laquelle est mesurée la largeur de la mer territoriale est la laisse de basse mer le long de la côte, telle qu’elle est indiquée sur les cartes marines à grande échelle reconnues officiellement par l’Etat côtier.». Comme indiqué dans la sentence arbitrale relative à la délimitation de la frontière maritime entre le Guyana et le Surinam (Guyana/Surinam) rendue par le Tribunal arbitral constitué conformément à l’annexe VII de la convention, la laisse de basse mer est présumée être la ligne de base normale.
157 DC, par. 6.9.
158 DC, par. 6.10.
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Comme l’indique la sentence, cette présomption peut être contestée par l’autre partie à la procédure. Dans l’affaire Guyana/Surinam, le Tribunal a conclu à cet égard que :
«396. Le Guyana s’est également opposé au point de base S14 du Surinam, identifié par ce dernier en se fondant sur ce que le Guyana prétendait être une carte inexacte. La carte en question, NL 2218, a été publiée par l’Office hydrographique des Pays-Bas (avec l’aide de l’Autorité maritime du Surinam) en juin 2005, après le début de la procédure d’arbitrage. En outre, le Guyana affirme qu’une autre carte néerlandaise, NL 2014, ainsi que l’imagerie satellitaire, «réfutent l’existence d’une côte à marée basse à Vissers Bank, là où le Surinam a placé son prétendu point de base S14.
396. Le Tribunal n’est pas convaincu que la représentation de la laisse de basse mer sur la carte NL 2218, une carte reconnue comme officielle par le Surinam, soit inexacte. En conséquence, le Tribunal accepte le point de base de Vissers Bank, le point de base S14 du Surinam.» [Traduction du Greffe.]
3.24. Contrairement au Guyana, la Colombie n’a présenté aucun élément de preuve montrant que les lignes de base décrites par le Nicaragua dans le résumé de sa demande à la CLCS pourraient être imprécises. Dans ce contexte, rien ne s’oppose à ce que la laisse de basse mer le long de Nee Reef, London Reef et Blowing Rock puisse être considérée comme faisant partie de la ligne de base du Nicaragua.
3.25. Cependant, afin de lever tout doute quant au fait que le Nicaragua a déterminé la limite extérieure de sa zone économique exclusive conformément à l’arrêt rendu en 2012 par la Cour en l’affaire du Différend territorial et maritime  lequel mentionne un point sur cette limite extérieure159 , la marine nicaraguayenne a effectué un relevé de Nee Reef et de London Reef en janvier et février 2019. C’est à partir des points de base situés sur ces récifs qu’est définie la limite extérieure de la zone économique exclusive du Nicaragua qui s’étend vers le nord depuis le point A défini par la Cour en 2012. Le relevé de la marine nicaraguayenne confirme l’existence continue d’élévations à marée basse sur les deux récifs. Il est accompagné d’un rapport repris à l’annexe 5 de la présente pièce additionnelle.
3.26. Blowing Rock, au sud de Great Corn Island, est un site prisé pour la plongée sous-marine et les touristes y affluent régulièrement. Le site Internet du centre de plongée local décrit ce récif en ces termes :
«L’un des meilleurs sites de plongée du Nicaragua, Blowing Rock est très populaire auprès de nos plongeurs. Situé à environ 11 km (7 milles) de Corn Island, ce monticule géant constitué de rochers volcaniques attire une faune marine nombreuse. Il s’élève sur une base d’environ 24 mètres (80 pieds) pour, brisant la surface, former une petite île rocheuse.»160
159 Le dispositif de l’arrêt dispose que, à partir du point 1 de la frontière maritime entre le Nicaragua et la Colombie, celle-ci «se poursuit plein est le long du parallèle situé par 13° 46' 35,7" de latitude nord, jusqu’à la limite située à 200 milles marins des lignes de base à partir desquelles est mesurée la largeur de la mer territoriale du Nicaragua» (Différend territorial et maritime (Nicaragua c. Colombie), arrêt, C.I.J. Recueil 2012 (II), p. 719-720, par. 251 4)). Ce point 1 est le point A du paragraphe 237 de l’arrêt.
160 Dive Sites, accessible à l’adresse suivante : https://www.cornislanddivecenter.com/dive-sites (dernière consultation le 31 janvier 2019).
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C. LA CÔTE CONTINENTALE ET LES ÎLES DU NICARAGUA PERMETTENT DE TRACER DES LIGNES DE BASE DROITES CONFORMES AU DROIT INTERNATIONAL
3.27. La présente section expose comment la géographie de la côte nicaraguayenne permet de tracer des lignes de base droites conformes au droit coutumier tel qu’énoncé à l’article 7 de la convention. La sous-section a. explique comment la duplique fausse la discussion consacrée par la réplique aux arrêts rendus par la Cour dans l’affaire relative à la Délimitation maritime en mer Noire et dans l’affaire du Différend territorial et maritime. La sous-section b. examine l’argument de la Colombie selon lequel le Nicaragua n’a pas fourni suffisamment de données sur les îles le long de sa côte caraïbe. Cet argument dénature la présentation des faits par le Nicaragua. Les îles en question sont une réalité géographique reconnue par la Colombie elle-même. La sous-section c. explique que les îles adjacentes à la côte nicaraguayenne constituent un chapelet situé à proximité immédiate de la côte au sens de l’article 7, paragraphe 1, de la convention. La sous-section d. explique que la partie méridionale de la côte nicaraguayenne étant profondément échancrée et découpée, elle crée une autre situation géographique permettant de tirer des lignes de base droites. Enfin, la sous-section e. explique que les eaux délimitées par les lignes de base droites du Nicaragua sont étroitement liées au domaine terrestre, comme l’exige le paragraphe 3 de l’article 7.
a) La Colombie tire un argument erroné des arrêts rendus en l’affaire relative à la Délimitation maritime en mer Noire et en l’affaire du Différend territorial et maritime
3.28. Dans sa réplique, le Nicaragua explique comment le contre-mémoire de la Colombie déforme la relation entre le décret 33-2013 et l’arrêt de la Cour de 2012161. La duplique n’aborde pas les arguments de la réplique sur cette relation. La réplique, quant à elle, explique également que le contre-mémoire ne tient pas compte de la caractérisation par l’arrêt de 2012 des îles au large de la côte caraïbe du Nicaragua comme des îles limitrophes162. La réplique fait en outre observer que la Cour, dans le même temps, mentionne le caractère isolé de la formation QS32 située sur le banc de Quitasueño et, à cet égard, établit une comparaison avec le traitement réservé à l’île des Serpents en l’affaire relative à la Délimitation maritime en mer Noire163. La Cour avait d’ailleurs relevé à propos de cette île isolée que la compter «comme une partie pertinente du littoral reviendrait à greffer un élément étranger sur la côte ukrainienne»164. Aux yeux du Nicaragua, ces conclusions confirment que ses îles limitrophes ont un lien étroit avec sa côte continentale et qu’il convient, à cet égard, de les distinguer des formations isolées n’étant pas liées à cette dernière.
3.29. La duplique présente un argument alambiqué pour solliciter la jurisprudence de la Cour et en déduire que les conclusions tirées par celle-ci à propos des îles du Nicaragua et de l’île des Serpents l’ont été dans le contexte d’une délimitation maritime165. Toutefois, on serait bien en peine de trouver dans l’arrêt de 2012 un quelconque passage permettant d’affirmer que si les îles du Nicaragua ont été considérées comme frangeantes en l’instance, c’était parce que celle-ci portait sur une délimitation maritime. Or, les îles en question ont été caractérisées comme telles en raison de leur relation géographique avec la côte continentale du Nicaragua, laquelle n’a subi aucun changement depuis 2012.
161 Différend territorial et maritime (Nicaragua c. Colombie), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 2007 (II), p. 624. RN, par. 7.7-7.12.
162 RN, par. 7.22.
163 RN, par. 7.22-7.23.
164 Délimitation maritime en mer Noire (Roumanie c. Ukraine), arrêt, C.I.J. Recueil 2009, p. 109-110, par. 149.
165 DC, par. 6.13-6.26.
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3.30. Il n’est pas nécessaire d’examiner plus avant l’argument de la duplique tiré des affaires en question (Délimitation maritime en mer Noire et Différend territorial et maritime). Cet argument  qui occupe une grande partie du chapitre de la duplique consacré à la demande reconventionnelle de la Colombie concernant les lignes de base droites du Nicaragua  s’appuie en effet sur une prémisse erronée. La Colombie soutient ainsi dans sa duplique que le Nicaragua aurait affirmé que l’arrêt de la Cour de 2012 reconnaissait ses îles côtières comme formant un «chapelet», terme utilisé à l’article 7, paragraphe 1, de la convention166. Or, tel n’est pas le cas. Dans sa réplique, le Nicaragua a explicitement noté que «l’arrêt rendu en 2012 mentionne à deux reprises «les îles côtières nicaraguayennes»»167. La réplique ne prétend à aucun moment que la Cour a qualifié ces îles de chapelet au sens prêté à ce terme par l’article 7 de la convention.
b) Le chapelet d’îles du Nicaragua est une réalité géographique
3.31. Les Parties demeurent clairement divisées sur la question de savoir si les îles frangeantes du Nicaragua constituent un chapelet au sens de l’article 7, paragraphe 1, de la convention, et relèvent à ce titre du droit coutumier. Toutefois, l’attention de la Colombie semble s’être quelque peu déplacée. Alors que dans son contre-mémoire, le défendeur se concentrait sur la distance entre les îles les plus éloignées et la côte continentale du Nicaragua, en ignorant totalement la présence de nombreuses autres îles entre les premières et la seconde168, dans sa réplique il explique que cette approche ne convient pas pour déterminer l’existence d’un chapelet d’îles et préconise d’examiner la relation géographique entre l’ensemble des îles concernées d’une part et entre ces dernières et la côte continentale d’autre part169. Le Nicaragua, quant à lui, conclut dans sa réplique que, si l’on considère la géographie pertinente de ce point de vue, il existe bel et bien un chapelet d’îles le long de sa côte continentale.
3.32. Dans sa duplique, la Colombie change de tactique et ne se concentre plus exclusivement sur les îles abritant les points de base des lignes de base droites du Nicaragua, tout en continuant à leur accorder tout au long de cette pièce une attention disproportionnée170. Dans la présente pièce additionnelle, le Nicaragua se concentrera au contraire sur la question qui est au coeur du problème : la côte continentale du Nicaragua et l’ensemble des îles qui la bordent permettent-ils de tracer des lignes de base droites conformément à l’article 7 de la convention ?
3.33. Dans sa réplique, le Nicaragua a relevé qu’il existerait, le long de sa côte caraïbe, de nombreuses îles situées entre cette côte continentale et les îles abritant les points de base de son système de lignes de base droites, faisant également observer que le nombre total d’îles le long de sa côte caraïbe s’élevait à 95 et que toutes ces formations étaient recensées dans l’annexe 31 de la réplique171. Dans sa duplique, la Colombie, déplorant que le Nicaragua ne nomme pas toutes les îles ou n’indique pas leur emplacement, les qualifie de «formations non identifiées» et de «prétendues îles»172.
166 Voir, par exemple, par. 6.14.
167 RN, par. 7.22 (la note de bas de page a été omise). La citation a été extraite de l’arrêt rendu par la Cour en l’affaire du Différend territorial et maritime (Nicaragua c. Colombie), arrêt, C.I.J. Recueil 2012 (II), p. 671, par. 135 et p. 678, par. 145.
168 Voir RN, par. 7.29-7.32.
169 Ibid.
170 Voir, par exemple, DC, par. 6.34 et 6.42.
171 Voir RN, par. 7.26.
172 Voir, par exemple, DC, par. 6.28-6.29, 6.32, 6.34, 6.39, 6.43, 6.47.
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3.34. L’argument de la Colombie n’est pas pertinent. L’article 7 n’exige pas que, aux fins de l’établissement de lignes de base droites, chaque formation composant un chapelet d’îles soit identifiée. L’élément important tient à la réalité géographique et non à la nomenclature. Un chapelet d’îles est un chapelet en raison de son emplacement et non de l’identification spécifique de chacune des îles le composant.
3.35. De toute façon, la critique de la Colombie tenant à l’absence d’identification et de localisation géographique des îles est manifestement dépourvue de fondement. Dans l’annexe 31 de sa réplique, le Nicaragua répertorie ces îles dans un tableau composé de trois colonnes. La première, intitulée «Emplacement», précise l’emplacement du groupe dont les différentes îles font partie. La deuxième, intitulée «Cayes», indique le nom des cayes en question. Quant à la troisième, elle indique le nombre d’îles constituant chaque groupe. Il est donc aisé d’identifier toutes ces îles sur les cartes marines pertinentes173.
3.36. En fait, la Colombie n’a jamais éprouvé la moindre difficulté à identifier les îles bordant la côte continentale du Nicaragua ni à reconnaître leur statut insulaire. Sa duplique en l’affaire du Différend territorial et maritime (Nicaragua c. Colombie) contient en effet pléthore de figures incluant les îles répertoriées dans l’annexe 31 à la réplique déposée par le Nicaragua en la présente espèce174. La figure R-5.4 de ladite duplique est reproduite dans la présente pièce additionnelle en tant que figure 5. Elle révèle que la Colombie non seulement n’a éprouvé aucune difficulté à identifier les îles bordant la côte nicaraguayenne, mais a reconnu aussi que ces formations avaient droit à une mer territoriale175. A titre d’observation, la propre figure de la Colombie montre clairement que toutes les îles du Nicaragua génèrent des droits à une mer territoriale qui se chevauchent, ce qui confirme leur grande proximité et leur interdépendance.
173 Voir, par exemple, les cartes NGA 28110, 28120 et 28130 reproduites par la Colombie aux figures 6.2a et 6.2 b de sa duplique.
174 Voir, par exemple, dans la duplique de la Colombie en l’affaire du Différend territorial et maritime (Nicaragua c. Colombie), vol. II, p. 112, figure R-5.4 et p. 113, figure R-5.5.
175 Le Nicaragua considère que la figure R-5.4 ne représente pas nécessairement correctement la totalité de sa mer territoriale. Précisons aussi dans ce contexte que cette figure a été établie avant que le Nicaragua n’adopte son système de lignes de base droites en 2013.
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Figure 5 Les îles du Nicaragua et la mer territoriale qui les relie, telles qu’identifiées par la Colombie à la figure R-5.4 de sa duplique en l’affaire du Différend territorial et maritime
Zone pertinente entre l’archipel de San Andrés et le Nicaragua
3.37. Même dans la duplique qu’elle a déposée en la présente instance et dans laquelle elle prétend soudainement éprouver des difficultés à identifier et à localiser les îles du Nicaragua, la Colombie a inséré des illustrations graphiques contredisant sa thèse. Les figures DC 6.2, DC 6.2a et DC 6.2c incluent en effet les îles prétendument si difficiles à localiser si l’on s’en réfère au texte de la duplique.
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3.38. Sans entrer dans le détail pour réfuter un argument par ailleurs sans fondement, il suffit d’observer que les îles sont également identifiées dans des études universitaires traitant de l’importance des cayes et de leur environnement marin au large de la côte continentale du Nicaragua pour sa population autochtone176. Le croquis reproduit en tant que figure 6 est extrait de l’étude de Bernard Nietschmann intitulée «Between Land and Water; The Subsistence Ecology of the Miskito Indians, Eastern Nicaragua»177. On y distingue les différents groupes d’îles au large de la côte caraïbe du Nicaragua, la plupart du temps nommément désignés. La figure 7, quant à elle, reproduit un croquis extrait de l’étude intitulée «Indigenes Management mariner Ressourcen in Zentralamerika» et montre la partie septentrionale de la côte nicaraguayenne, y compris les nombreuses îles qui parsèment la mer des Caraïbes au large de cette côte continentale178.
Figure 6 Groupes autochtones du Nicaragua
176 Pour plus de détails sur ces publications, voir plus bas la sous-section e).
177 B. Nietschmann, Between Land and Water; The Subsistence Ecology of the Miskito Indians, Eastern Nicaragua (Seminar Press, New York and London, 1973).
178 V. Sandner Le Gall, Indigenes Management mariner Ressourcen in Zentralamerika : Der Wandel von Nutzungsmustern und Institutionen in den autonomen Regionen der Kuna (Panama) und Miskito (Nicaragua) (Geographischen Institut der Universität Kiel ; Kieler Geographische Schriften, vol. 116).
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Figure 7 Exploitation de l’environnement marin par les groupes autochtones du Nicaragua
c) Les îles frangeantes du Nicaragua constituent un chapelet situé à proximité immédiate de la côte
3.39. L’article 7, paragraphe 1, de la CNUDM prévoit la possibilité de tracer des lignes de base droites «s’il existe un chapelet d’îles le long de la côte, à proximité immédiate de celle-ci». Le Nicaragua fait valoir que ce critère est rempli dans le cas de sa côte caraïbe. Comme indiqué plus haut, l’arrêt rendu par la Cour en 2012 en l’affaire du Différend territorial et maritime qualifie ces formations d’îles côtières, ce qui confirme leur proximité de la côte continentale. Le nombre d’îles concernées et leur situation géographique indiquent qu’elles constituent un chapelet. Les différents groupes d’îles, énumérés à l’annexe 31 de la réplique, sont situés à proximité de la côte continentale et s’étirent en mer.
3.40. Dans sa duplique, la Colombie conteste que les îles qui s’étendent le long de la côte continentale du Nicaragua constituent un chapelet au sens de l’article 7, paragraphe 1, de la convention et de la règle de droit international coutumier correspondante. Elle présente un certain nombre d’arguments en ce sens, lesquels sont successivement analysés ci-dessous.
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3.41. Premièrement, il s’agit encore une fois d’un cas où la duplique cherche à s’appuyer sur la théorie fantaisiste selon laquelle, aux fins d’étudier la relation entre les îles et la côte continentale, l’accent doit être mis sur les îles abritant les points de base du système de lignes de base droites. Cette approche ressort clairement du paragraphe 6.34 de la duplique qui, en vue de déterminer l’existence d’un chapelet d’îles le long de la côte nicaraguayenne, se focalise exclusivement sur les îles sur lesquelles le Nicaragua a placé les points de référence de son système de lignes de base droites. Ce paragraphe se termine comme suit : «Ainsi qu’il ressort de la figure [identifiant ces points de base], les diverses composantes de ce «chapelet d’îles» invoqué par le Nicaragua sont tout bonnement trop isolées les unes des autres pour pouvoir être considérées comme formant une quelconque «unité»». Cette conclusion pourrait être justifiée si ces îles étaient les seules au large de la côte continentale du Nicaragua. Cependant, comme il ressort clairement de l’analyse consacrée plus haut aux îles situées au large des côtes du Nicaragua, la réalité géographique diffère totalement de la situation imaginée par la Colombie, dans laquelle seules sept formations isolées se trouvaient dans la zone considérée.
3.42. La Colombie prétend ensuite que «ces formations maritimes ne forment pas, comme l’exigerait la règle de droit international coutumier reflétée dans l’article 7 de la CNUDM, une bande continue le long de la côte»179. Là encore, la duplique se concentre à tort sur les îles abritant les points de base des lignes de base droites du Nicaragua, à l’exclusion des autres îles (dont 95 sont énumérées à l’annexe 31 de la réplique)180.
3.43. Comme indiqué plus haut, les propres lignes de base droites de la Colombie s’écartent de l’interprétation restrictive de la notion de chapelet d’îles. L’exemple présenté aux figures 2 et 3 de la présente pièce additionnelle démontre que le défendeur a incontestablement inclus dans son propre système de lignes de base droites un groupe composé de deux îles. Qui plus est, la pratique d’autres Etats sur laquelle la Colombie s’appuie contredit, elle aussi, cette interprétation restrictive de la notion de chapelet d’îles181. C’est ainsi que la Norvège, dans sa zone côtière au large de la ville de Trondheim, a établi une ligne de base droite entre deux points de base identifiés comme NM49 et NM50182. Ces points, situés respectivement sur un rocher au sud-ouest d’Ertenbraken dans la région de Vikna et sur Utgrunnskjer dans la région de Frøya, sont distants de près de 85 kilomètres. Cette approche indique que l’expression «chapelet d’îles» n’a pas la portée restrictive que la Colombie cherche à lui conférer. Un chapelet peut parfaitement comprendre des groupes d’îles distincts, comme c’est le cas pour la frange d’îles le long de la côte du Nicaragua.
3.44. La Colombie soutient en outre dans sa duplique que les îles situées le long de la côte continentale du Nicaragua ne sauraient être considérées comme formant une unité avec cette dernière dans la mesure où elles n’ont qu’un effet de masquage très limité183. La Colombie avait déjà fait valoir cet argument dans son contre-mémoire. Dans sa réplique, le Nicaragua en a démontré le caractère défaillant à plusieurs égards. Premièrement, s’agissant de déterminer l’effet de masquage des îles du Nicaragua, le contre-mémoire a omis de prendre en considération une bonne partie de ces formations. Deuxièmement, il a été fait observer que le contre-mémoire n’expliquait pas pourquoi il
179 DC, par. 6.35 (les italiques sont dans l’original).
180 DC, par. 6.35.
181 Dans son analyse consacrée à l’article 7 de la convention et à son équivalent en droit coutumier, la duplique s’appuie notamment sur les pratiques de la Norvège, de la Finlande et du Yémen (voir notamment DC, par. 6.45.).
182 Règlement relatif aux lignes de base tracées aux fins de la détermination de l’étendue de la mer territoriale autour de la Norvège continentale ; arrêté royal du 14 juin 2002 pris en application de la loi du 17 mai 1814 relative à la Constitution du Royaume de Norvège et arrêté royal du 22 février 1812 (le texte anglais de cet instrument est reproduit dans Law of the Sea Bulletin n° 49, p. 51 (accessible à l’adresse suivante : http://www.un.org/Depts/los/doalos ; dernière consultation le 21 février 2019).
183 DC, par. 6.36 et suiv.
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faudrait recourir à une projection strictement frontale pour déterminer l’ampleur de l’effet de masquage
184. La duplique demeure muette sur ces deux points ; elle n’accorde pas non plus la moindre attention à l’argument réitéré dans la réplique selon lequel même l’approche restrictive de la Colombie, si elle est correctement appliquée, révèle que 25 % de la côte continentale du Nicaragua sont masqués par des îles185. Au lieu de cela, le défendeur, toujours dans sa duplique, continue simplement de s’appuyer sur le chiffre de 5 à 6 %, lequel se fonde sur son application erronée de la méthode de projection frontale qu’il a choisie à mauvais escient en l’espèce186.
3.45. Sans prendre la peine de justifier l’approche de la Colombie consistant à n’utiliser qu’une projection frontale pour déterminer l’effet de masquage des îles du Nicaragua, la duplique critique l’approche adoptée par le Nicaragua pour déterminer cet effet. Comme le Nicaragua l’a expliqué dans sa réplique, il n’existe pas de règle spécifique pour déterminer l’effet de masquage des îles. Toutefois, d’aucuns ont établi une analogie avec l’approche adoptée par la Cour pour déterminer la projection en mer des côtes concernées dans le cadre de la délimitation des frontières maritimes. Comme souligné également dans la réplique187, la Cour n’a jamais adopté dans ces affaires une projection strictement frontale, méthode pourtant proposée par la Colombie sans la moindre explication dans son contre-mémoire.
3.46. Dans sa duplique, la Colombie qualifie les calculs du Nicaragua de «fantaisistes» et estime «absurde» la tentative de celui-ci de s’appuyer sur la jurisprudence de la Cour188, se contentant comme d’habitude d’invoquer l’argument erroné selon lequel «[u]ne fois de plus, le Nicaragua s’appuie sur des formations maritimes non identifiées»189.
3.47. La duplique fait valoir que le calcul est dépourvu de toute base factuelle, car, en l’effectuant, le Nicaragua aurait ignoré les caractéristiques des îles concernées. C’est là un argument «fantaisiste et absurde», pour reprendre une terminologie chère à la Colombie. Pour effectuer ses calculs, le Nicaragua a pris en considération les côtes occidentales des îles répertoriées à l’annexe 31 de sa réplique190. On ne voit pas très bien quelles autres caractéristiques auraient dû être prises en considération par le Nicaragua dans ce contexte.
3.48. Une note de bas de page de la duplique fournit un indice sur les autres caractéristiques qui, selon la Colombie, auraient dû être prises en considération par le Nicaragua. Cette note fait référence aux dimensions des îles concernées191, élément sur lequel la duplique insiste à plusieurs
184 RN, par. 7.34-7.35.
185 RN, par. 7.35.
186 DC, par. 6.41. Dans une note de bas de page (note 616) relative à ce paragraphe, la Colombie fait valoir que : «A supposer même que, comme le prétend le Nicaragua, la longueur pertinente de sa côte continentale sur la mer des Caraïbes doive, aux fins d’apprécier l’effet de masquage, être mesurée à partir du cap Gracias a Dios au nord jusqu’à Monkey Point au sud, ce pourcentage n’en demeurerait pas moins négligeable.». Qualifier de «négligeable» le chiffre de 25 %  obtenu en appliquant la propre méthodologie de la Colombie pour calculer l’effet de masquage  paraît pour le moins excessif.
187 RN, par. 7.35.
188 DC, par. 6.39.
189 DC, par. 6.39.
190 Les calculs de masquage ont été effectués sur la base de la longueur de la côte occidentale de chacune des îles réparties dans les principaux groupes identifiés à l’annexe 31 de la réplique du Nicaragua, comme illustré par la figure 7.5 de cette dernière.
191 DC, par. 6.39, note de bas de page 612.
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reprises
192. Pourtant, la taille de ces formations n’est pas pertinente s’agissant de déterminer si elles peuvent être considérées comme des îles aux fins de l’application de l’article 7 de la convention. Par exemple, les points de base NM49 et NM50 du système de lignes de base droites de la Norvège, dont il a été question plus haut, sont de petits rochers. On peut également se référer à l’arbitrage en l’affaire Erythrée/Yémen. Comme indiqué dans la duplique, le Nicaragua et la Colombie conviennent que la sentence arbitrale rendue en l’affaire au terme de la deuxième étape constitue un précédent pertinent en l’espèce193. Le Tribunal arbitral a estimé dans sa sentence que les îles au large de la côte du Yémen avaient un effet de masquage194. Les îles concernées apparaissent à la figure 7.4 de la réplique, laquelle montre bien que nombre de ces formations sont en fait très petites. Rien dans la sentence arbitrale ne laisse entendre que la taille d’une île pourrait l’empêcher d’être prise en considération s’agissant de déterminer son effet de masquage.
3.49. La Colombie reproche également dans sa duplique au Nicaragua de s’appuyer sur la jurisprudence relative à la délimitation maritime pour élaborer une méthodologie permettant d’évaluer l’effet de masquage des îles. L’affirmation de la Colombie selon laquelle le Nicaragua s’appuie uniquement sur le croquis utilisé par la Cour en l’affaire relative à la Délimitation maritime en mer Noire (Roumanie c. Ukraine) est trompeuse195. La réplique ne mentionne en effet ce croquis qu’à titre d’exemple196, lequel pourrait être facilement complété par d’autres. Il suffit pour ce faire de se référer à la discussion consacrée par la Cour à la détermination des côtes pertinentes du Nicaragua et de la Colombie dans son arrêt de 2012. Ces côtes ne se projettent pas uniquement de face, c’est-à-dire selon un angle de 90 degrés197.
3.50. La Colombie rejette également dans sa duplique l’analogie établie par le Nicaragua entre les méthodes qui, dans les affaires de délimitation, permettent de déterminer, d’une part, l’effet de masquage des îles et, d’autre part, les côtes pertinentes198. Elle se garde pourtant d’y justifier ce rejet, n’offrant pas même la moindre indication sur la manière de déterminer l’effet de masquage des îles en l’espèce.
3.51. Le Nicaragua fait valoir que l’analogie avec la jurisprudence de la Cour concernant la détermination de la côte pertinente dans les affaires de délimitation est utile pour établir une méthode permettant de déterminer l’effet de masquage des îles. Dans l’un et l’autre cas, il s’agit de définir la relation entre différentes entités géographiques, à savoir, dans le cas de la délimitation maritime, la relation entre la côte pertinente et la zone pertinente au large de celle-ci, et, dans le cas de l’effet de masquage des îles, la relation entre les îles et la côte continentale. Le rejet du recours à une projection strictement frontale s’agissant de déterminer la zone pertinente peut s’analyser comme une reconnaissance du fait que la géographie est trop complexe pour être saisie en suivant une approche
192 Voir entre autres le paragraphe 6.34 de la duplique, qui recourt aux adjectifs «minuscules», «petites» et «très petites» pour définir certaines îles du Nicaragua. Pourtant, cette qualification n’est pas toujours entièrement appropriée, notamment lorsque la duplique mentionne les «petites» cayes des Miskitos, dont la plus grande (celle qui donne son nom au groupe) mesure pourtant plus de 35 km².
193 DC, par. 6.37.
194 Sentence du Tribunal arbitral rendue au terme de la deuxième étape de la procédure entre l’Erythrée et la République du Yémen (Délimitation maritime), p. 369.
195 DC, par. 6.40.
196 Voir, au paragraphe 7.35 de la RN, la note de bas de page 506 : «[le rejet d’une projection strictement frontale] ressort notamment du croquis n° 5 de l’arrêt rendu en l’affaire relative à la Délimitation maritime en mer Noire, lequel figure la zone pertinente aux fins de la délimitation maritime entre la Roumanie et l’Ukraine».
197 Différend territorial et maritime (Nicaragua c. Colombie), arrêt, C.I.J. Recueil 2012 (II), p. 679-680, par. 151-153, et carte-croquis 6.
198 DC, par. 6.40.
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mathématique dogmatique reposant uniquement sur l’application d’un angle de 90° dans le cadre de cette méthode de projection frontale. Le Nicaragua fait valoir que cette explication est tout aussi pertinente s’agissant de déterminer la relation entre les îles et la côte continentale. La méthode frontale ne rendrait pas bien compte des circonstances géographiques souvent complexes en imposant de force un angle de 90° comme le fait la Colombie.
3.52. L’exemple du Yémen confirme le caractère aberrant de l’argumentation actuelle de la Colombie concernant l’effet de masquage. La figure 7.4 de la réplique décrit cette portion de la côte yéménite considérée par le Tribunal comme masquée par des îles199. Ainsi que le montre cette figure, la partie centrale de la côte yéménite en particulier n’a devant elle que de petites îles qui, selon la méthode de projection frontale colombienne, ne génèrent quasiment pas d’effet de masquage. L’analyse de la pratique de la Norvège atteste encore mieux de la fragilité de l’argument de la Colombie. La figure 8 montre une partie de la côte norvégienne autour de la ville de Trondheim. Dans cette zone, la Norvège a tracé des lignes de base droites entre les groupes d’îles situés au large de sa côte continentale. Toutefois, si l’on appliquait la méthode colombienne de projection frontale pour déterminer l’effet de masquage de ces îles, on parviendrait à la conclusion que celles-ci masquent uniquement les extrémités septentrionale et méridionale de la côte continentale, dont la plus grande partie fait face à la haute mer.
Figure 8 Ligne de base droite de la Norvège dans la région de Trondheim
3.53. La Colombie soutient également dans sa duplique que les îles du Nicaragua ne satisfont pas à l’exigence de «proximité immédiate» de la côte imposée par l’article 7 de la convention et le droit international coutumier. Elle vise, ce faisant, à appeler de nouveau l’attention de la Cour sur les sept îles sur lesquelles le Nicaragua a situé les points de base de ses lignes de base droites ; dans ce contexte, elle insiste une fois de plus sur le fait que les îles prétendument non identifiées situées à l’intérieur des lignes de base droites ne devraient pas être prises en considération en l’espèce200. Selon la duplique :
«puisque, s’il faut en croire le Nicaragua, les «îles» les plus occidentales (et non les sept îles «principales») se trouvent à proximité de la côte continentale, l’ensemble
199 Sentence du Tribunal arbitral rendue au terme de la deuxième étape de la procédure entre l’Erythrée et la République du Yémen (Délimitation maritime), p. 369, par. 151.
200 DC, par. 6.42-6.44.
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du chapelet, y compris les îles «principales» qui ne sont pas «proches» de la côte, satisfait à l’exigence de «proximité immédiate» ... Cet argument est totalement dépourvu de fondement.»
201
La Colombie prétend donc que toutes les îles concernées  et pas seulement les îles les plus proches de la côte  doivent se trouver à proximité immédiate de cette dernière. Toutefois, la duplique contredit immédiatement cette prémisse en examinant la pratique invoquée par le Nicaragua à l’appui de sa thèse.
3.54. Dans sa réplique, le Nicaragua, sur la base d’un examen des côtes de la Finlande, de la Norvège et du Yémen, a conclu que, dans les affaires auxquelles ces trois Etats avaient été parties, les îles les plus éloignées étaient situées à une distance supérieure ou égale à celle séparant son propre chapelet d’îles de sa côte continentale202. La duplique ignore ce fait géographique et fait simplement observer que «des lignes de base droites ont été tirées de manière à englober un système complexe d’îles, dont le bord intérieur est effectivement très proche de la côte continentale»203. L’examen des figures de la réplique décrivant les lignes de base droites pertinentes de la Norvège et de la Finlande204 permet de réfuter facilement l’argument selon lequel ces différentes affaires se caractérisaient chacune par un système complexe d’îles très proches les unes des autres. Les points de base 21 et 25 de la Norvège sont situés sur des formations considérablement éloignées des autres îles et, comme indiqué dans la réplique, situées à une distance beaucoup plus grande encore de la côte continentale205. Dans le cas de la Finlande, on peut notamment mentionner le point de base 16 sur Flötjan qui, du point de vue de la Colombie, serait un élément minuscule et isolé non susceptible d’abriter un point de base dans un système de lignes de base droites (voir la figure 9 de la présente pièce additionnelle)206.
Figure 9 Lignes de base droites de la Finlande
201 DC, par. 6.43-6.44.
202 RN, par. 7.38-7.40.
203 DC, par. 6.45 (les italiques de l’original ont été remplacés par nos propres italiques).
204 Respectivement les figures 7.6 et 7.7 de la réplique du Nicaragua.
205 RN, par. 7.39.
206 Décret n° 993 du 31 juillet 1995 relatif à l’application de la Loi sur la délimitation des eaux territoriales de la Finlande, article 1 (disponible en anglais à l’adresse http://www.un.org/Depts/los/LEGISLATIONANDTREATIES/ PDFFILES/FIN_1995_Decree.pdf (consultée pour la dernière fois le 21 février 2019).
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3.55. A ce stade, il n’est pas surprenant que l’argument de la Colombie concernant «un système complexe d’îles, dont le bord intérieur est effectivement très proche de la côte continentale», soit également réfuté par sa propre pratique en matière de lignes de base droites. Comme le montre l’exemple présenté aux figures 2 et 3, la Colombie a inclus dans son système de lignes de base droites un groupe composé de deux îles. En vertu de la pratique colombienne, deux îles peuvent apparemment être considérées comme formant un système complexe d’îles alors que ces formations ne répondent pas non plus au critère strict de proximité immédiate du continent énoncé dans la duplique.
3.56. Enfin, il n’est pas inutile de rappeler les principes énoncés dans la publication intitulée «Le droit de la mer  Lignes de base», abondamment invoquée par la Colombie dans ses écritures et pourtant superbement ignorée par elle sur ce point précis. Les auteurs de cette publication formulent notamment l’observation suivante à propos de l’expression «à proximité immédiate» :
«On convient généralement que, avec une mer territoriale large de 12 milles, une distance de 24 milles peut définir la «proximité immédiate» … A noter que cette distance est comptée jusqu’à la rive des îles côté continent, car le chapelet peut lui-même avoir une largeur considérable.»207
Pour mettre cette observation en perspective, il convient de noter que la distance entre les îles les plus au large du chapelet du Nicaragua et la limite des 24 milles marins à partir du continent telle qu’elle est mentionnée dans «Le droit de la mer  Lignes de base» ne fait que quelques milles. Le bord intérieur (c’est-à-dire «la rive des îles côté continent») des îles limitrophes du Nicaragua se trouve largement en deçà de cette distance.
3.57. La Colombie essaie également dans sa duplique d’invoquer une règle de droit international coutumier selon laquelle «une distance de 25 à 30 milles marins entre la côte et les îles serait généralement considérée comme n’ayant pas un caractère excessif»208. Cette règle n’existe pas en droit international coutumier. Observons d’emblée que, de l’avis même de la Colombie, l’article 7 de la convention reflète exactement le droit international coutumier en la matière209. Or, l’article 7 ne fait nulle mention de la règle imaginaire de la Colombie. En outre, dans le cas présent, la Colombie s’appuie sur les principes énoncés dans la publication citée plus haut, «Le droit de la mer  Lignes de base». Toutefois, au lieu de citer les observations formulées dans cette publication à propos de l’expression «à proximité immédiate de celle-ci [la côte]», elle renvoie dans sa duplique à un argument sans rapport avec la question210. L’observation formulée dans cette publication à propos de l’expression «à proximité immédiate de celle-ci [la côte]», telle qu’elle est résumée au paragraphe précédent de la présente pièce additionnelle, explique que la rive des îles frangeantes côté continent peut être située à 24 milles marins du continent et sa rive tournée vers le large bien au-delà de cette limite dans la mesure où «le chapelet peut lui-même avoir une largeur considérable»211. Cette démonstration réfute de façon concluante la prétendue règle de droit international coutumier invoquée par la Colombie.
207 Bureau des affaires maritimes et du droit de la mer, Nations Unies, «Le droit de la mer  Lignes de base : Examen des dispositions relatives aux lignes de base dans la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer», (New York, 1989), par. 46.
208 DC, par. 6.48 (la note de bas de page a été omise).
209 Voir, par exemple, DC, par. 6.35.
210 DC, par. 6.49.
211 Bureau des affaires maritimes et du droit de la mer, Nations Unies, «Le droit de la mer  Lignes de base : Examen des dispositions relatives aux lignes de base dans la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer», (New York, 1989), par. 46.
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d) La côte méridionale du Nicaragua est profondément échancrée et découpée
3.58. Dans sa réplique, le Nicaragua explique que, contrairement à ce qu’avance la Colombie dans son contre-mémoire, il s’est fondé sur deux circonstances autorisant le tracé de lignes de base droites, à savoir la présence d’un chapelet d’îles et celle d’une côte profondément échancrée et découpée212. Dans sa duplique, la Colombie n’examine pas sérieusement cet argument, se contentant de faire observer qu’
«[u]n simple coup d’oeil sur la carte montre que la côte nicaraguayenne située derrière le segment de ligne de base droite entre Mangle Grande et Harbour Point (connu aujourd’hui sous le nom de Barra Indio Maiz [Greytown]) n’est pas «profondément échancrée et découpée». La géographie étant ce qu’elle est, le Nicaragua ne peut démontrer le contraire»213.
Pourtant, les choses ne sont pas si simples. Comme indiqué dans la duplique, la propre pratique de la Colombie consiste à tirer des lignes de base droites le long de côtes moins échancrées et découpées que la portion du littoral nicaraguayen comprise entre Monkey Point et l’extrémité de la frontière terrestre avec le Costa Rica214. La duplique reste muette sur ce point. La pratique de la Norvège dans la partie de sa côte située autour de Trondheim, telle que décrite plus haut à la figure 8, confirme par ailleurs que le test dit «du simple coup d’oeil» pèche par son insuffisance. Cette zone peut être décrite comme formant approximativement un rectangle. Les côtés les plus courts sont formés par les îles au nord et au sud de cette zone, les côtés les plus longs par la côte continentale de la Norvège et les lignes de base droites que cette dernière a tirées dans la zone en question. Cette échancrure ressemble à celle de la côte nicaraguayenne entre Monkey Point et l’extrémité de la frontière terrestre avec le Costa Rica.
e) Les étendues de mer situées en deçà des lignes de base droites du Nicaragua sont étroitement liées à son domaine terrestre
3.59. Dans sa duplique, la Colombie conteste l’explication du Nicaragua quant à la raison pour laquelle les étendues de mer situées en deçà de ses lignes de base droites sont «suffisamment liées au domaine terrestre pour être soumises au régime des eaux intérieures» comme prévu à l’article 7, paragraphe 3, de la convention215. Son argument se résume à faire valoir que le Nicaragua n’a pas prouvé l’existence d’un lien suffisamment étroit, sans pour autant contester les calculs afférents figurant dans la réplique216. Une fois de plus, la duplique passe sous silence la comparaison faite dans la réplique entre les pratiques respectives du Nicaragua et de la Colombie, laquelle démontre que «les lignes de base droites du défendeur dans la Bahia de Bonaventura sont beaucoup plus expansionnistes que celles du Nicaragua le long de sa côte caraïbe»217.
3.60. Outre le test mathématique appliqué par le Nicaragua dans sa réplique afin de démontrer que les étendues de mer situées en deçà de ses lignes de base droites sont liées de manière suffisamment étroite au domaine terrestre pour être soumises au régime des eaux intérieures, il n’est pas inutile de rappeler l’importance de ces eaux pour la population autochtone du demandeur. Dans
212 RN, par. 7.17-7.19.
213 DC, par. 6.52.
214 RN, par. 7.19.
215 DC, par. 6.54-6.57.
216 DC, par. 6.56 et 6.57. Pour un exposé de l’argument du Nicaragua, voir les paragraphes 7.49 à 7.53 de sa réplique.
217 RN, par. 7.53. Pour une représentation graphique de ces deux exemples, voir les figures 7.9 et 7.10 de la réplique du Nicaragua.
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une étude publiée en 2007 et consacrée à la partie nord de la côte nicaraguayenne, Sandner Le Gall observe que «la zone entourant les cayes des Miskitos revêt, en raison de ses caractéristiques naturelles et spatiales, une grande importance économique pour les Indiens Miskito en termes de pêche et de chasse au homard et à la tortue»
218. Le lien étroit entre ces cayes et la côte continentale ressort également de la création par le Nicaragua, dès 1991, d’une réserve biologique marine qui comprend à la fois une portion de la bande côtière et les cayes des Miskitos. Les limites de la réserve sont représentées à la figure 10 de la présente pièce additionnelle. Cette zone a été inscrite comme zone humide d’importance internationale dans le cadre de la convention de Ramsar le 8 novembre 2001219.
Figure 10 La réserve biologique marine des cayes des Miskitos
218 V. Sandner Le Gall, Indigenes Management mariner Ressourcen in Zentralamerika : Der Wandel von Nutzungsmustern und Institutionen in den autonomen Regionen der Kuna (Panama) und Miskito (Nicaragua) (Geographischen Institut der Universität Kiel ; Kieler Geographische Schriften, vol. 116), p. 223. Le texte original en allemand se lit comme suit : «ist das Gebiet um die Cayos Miskitos aufgrund der naturräumlichen Ausstattung zum einen ein wichtiger Wirtschaftsraum für Fischerei, Langusten- und Schildkrötenfang für die Miskito». Voir l’annexe 4 à la présente pièce additionnelle.
219 Voir la liste «Annotated List of Wetlands of International Importance»  48/427, p. 48, Cayos Miskitos Franja Costera Immediata (disponible à l’adresse https://rsis.ramsar.org/sites/default/files/rsiswp_search/exports/Ramsa…- Nicaragua.pdf?1549025253) (consultée pour la dernière fois le 21 février 2019).
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3.61. Niestschmann, dans son étude intitulée Between Land and Water, décrit en ces termes les eaux peu profondes de la côte nicaraguayenne entre le cap Gracias a Dios au nord et San Juan del Norte au sud :
«La partie la plus large du plateau se situe au large du cap Gracias a Dios. Elle s’étend sur plus de 75 milles et diminue progressivement en largeur vers le sud en direction de San Juan del Norte. Caractérisée par une pente très douce, cette zone présente rarement une profondeur dépassant 50 brasses ... Elle abrite les plus grandes zones d’alimentation des tortues de mer de l’hémisphère occidental, où prédominent la zostère et la thalassie. Ces graminées marines sont des producteurs efficaces d’énergie et contribuent de façon importante à la productivité des eaux tropicales ... Les pâturages sous-marins, ou «bancs de tortues», abritent ce qui reste des populations de tortue verte de l’Atlantique (Chelonia mydas), une espèce autrefois abondante. Les bancs de tortues peuvent se présenter sous forme de bancs isolés, de 2 à 3 milles de diamètre, ou de bancs rapprochés dispersés sur une vaste zone. Nombre d’aspects de la stratégie d’approvisionnement alimentaire du Miskito côtier, comme la structure et les quantités d’intrants de main-d’oeuvre, le calendrier des activités d’approvisionnement en viande et les distances parcourues, sont en rapport étroit avec les habitudes migratoires et l’habitat de la tortue verte.»220
3.62. Niestschmann fournit une description plus détaillée de la relation traditionnelle entre la population autochtone du Nicaragua et les zones maritimes le long de la côte des Caraïbes dans la publication intitulée Conservation, Self-determination, and the Miskito Coast Protected Area, Nicaragua221. Il formule notamment l’observation suivante :
«Les espaces occupés par les communautés côtières englobent également des territoires marins. Une grande partie de la plate-forme de Miskito, d’une largeur de 900 kilomètres, se répartit en plusieurs territoires marins s’étendant souvent sur plusieurs kilomètres de la plage à la mer, en fonction des modes traditionnels d’utilisation des ressources de la biogéographie du plateau continental (fig. 8)(222). Une grande partie de la chasse et de la pêche se déroulant en haute mer, où l’on trouve des récifs et des herbiers, les territoires marins des communautés s’étendent vers l’est pour englober ces zones. Ceux de dix communautés de Sandy Bay, de Dakura et d’Awastara, par exemple, s’étendent jusqu’aux zones de récifs coralliens et aux bancs de fruits de mer entourant les cayes des Miskitos (fig. 8), soit une distance de plus de 80 kilomètres dans leur partie la plus large … Le territoire marin et terrestre de Miskito constitue une extension continue de terres et d’eaux appartenant traditionnellement aux communautés individuelles.»223
220 B. Nietschmann, Between Land and Water; The Subsistence Ecology of the Miskito Indians, Eastern Nicaragua (Seminar Press, New York and London, 1973), p. 92-93. Voir l’annexe 3 à la présente pièce additionnelle.
221 B. Nietschmann, «Conservación, autodeterminación y el Área Protegida Costa Miskita, Nicaragua» Mesoamérica 1995, vol. 29, p. 1-55. Cet article est accessible en espagnol et au format PDF à l’adresse suivante : https://dialnet.unirioja.es/descarga/articulo/4011108.pdf (dernière consultation le 21 février 2019).
222 La référence à la figure 8 est probablement due à une erreur d’impression. La figure 7 contenue dans la publication décrit l’emprise maritime de l’ensemble des populations de la côte caraïbe (question précisément examinée dans cette partie de la publication), tandis que la figure 8  mentionnée plus loin dans la même citation  se concentre sur l’emprise maritime des communautés locales au voisinage des cayes des Miskitos.
223 Nietschmann «Conservación, autodeterminación y el Área Protegida Costa Miskita, Nicaragua» Mesoamérica 1995, vol. 29, p. 17. Le texte original en espagnol se lit comme suit :
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3.63. La figure 11.A de la présente pièce additionnelle reproduit la figure 7 à laquelle il est fait référence dans la publication précitée (Conservation, Self-determination, and the Miskito Coast Protected Area, Nicaragua) et dont le titre en anglais est «The traditional tenure of the sea of the Miskito communities of the coast». La figure 11.B montre la même figure avec, superposées, les lignes de base droites du Nicaragua : on se rend compte que les deux domaines se chevauchent très largement. Le Nicaragua considère que cette circonstance suffit à satisfaire au critère de l’existence d’un lien suffisamment étroit entre les étendues de mer situées en deçà de ses lignes de base droites et son domaine terrestre pour que ces espaces soient soumis au régime des eaux intérieures, conformément à l’article 7, paragraphe 3, de la convention.
Figure 11 Emprise maritime traditionnelle des communautés miskitos
A) carte originale ; B) carte avec les lignes de base droites du Nicaragua en surimpression
«Las comunidades costeñas cuentan también con territorios marinos. Gran parte de la Plataforma Miskita de 900 kilómetros de largo está seccionada en territorios marinos delimitados, que se extienden a menudo por muchos kilómetros de la playa al mar dependiendo de patrones tradicionales del uso de recursos y de la biogeografía de la plataforma continental (Figura 8). Como mucha de la caza y pesca en mar abierto se da donde hay arrecifes de coral y bancos de pastos marinos, los territorios marinos de las comunidades se extienden hacia el este para incluir estas áreas. Los territorios marinos de diez comunidades de Sandy Bay y de Dakura y Awastara, por ejemplo, se extienden hasta incluir las zonas de coral y pastos marinos que rodean los Cayos Miskitos (véase la Figura 8), una distancia de 80 kilómetros en su parte más ancha […] El territorio marino y terrestre miskito está compuesto por una extensión continua de tierras y aguas que por tradición pertenecen a las comunidades individuales.»
Texte accessible au format PDF à l’adresse suivante : https://dialnet.unirioja.es/descarga/articulo/4011108.pdf (dernière consultation le 21 février 2019).
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D.CONCLUSIONS
3.64. Le Nicaragua considère que l’analyse qui précède comme venant parfaitement conforter la réfutation, dans sa réplique, des demandes reconventionnelles de la Colombie relatives aux lignes de base droites tracées par lui et aux points de base situés au large de ces lignes224. En résumé, la côte caraïbe du Nicaragua permet de tracer des lignes de base droites conformément à l’article 7 de la convention et à la règle identique de droit international coutumier. Les points de base situés côté large de ces lignes de base droites sur Nee Reef, London Reef et Blowing Rock répondent également aux critères énoncés dans les dispositions pertinentes de la convention.
3.65. Le silence complet observé par la Colombie dans sa duplique sur sa propre pratique constitue peut-être l’aspect le plus choquant de son argumentation. Au lieu d’évaluer la pratique du Nicaragua à l’aune de sa propre application des règles du droit international coutumier telles que reflétées dans la convention, la Colombie préfère recourir à des arguments intéressés qui ont été concoctés aux seules fins de la présente procédure et sont en complète contradiction avec sa propre pratique.
224 Ces conclusions sont énoncées au paragraphe 7.60 de la réplique.
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CONCLUSIONS
Pour les motifs exposés dans sa réplique et dans la présente pièce additionnelle, la République du Nicaragua demande à la Cour de dire et juger que les demandes reconventionnelles de la Colombie doivent être rejetées.
La Haye, le 4 mars 2019.
L’agent de la République du Nicaragua,
Carlos J. ARGÜELLO GÓMEZ.
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CERTIFICATION
J’ai l’honneur de certifier que la présente pièce additionnelle et les documents constituant ses annexes sont des copies conformes aux documents originaux et que les traductions anglaises qui en ont été faites par la République du Nicaragua sont fidèles.
La Haye, le 4 mars 2019.
L’agent de la République du Nicaragua,
Carlos J. ARGÜELLO GÓMEZ.
___________
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LISTE DES ANNEXES
Annexe
Titre
Page
1
Loi no 420 relative aux espaces maritimes (2002)
52
2
Décret présidentiel n° 17-2018 portant modification du décret n° 33-2013 intitulé «Lignes de base des espaces maritimes de la République du Nicaragua dans la mer des Caraïbes»
54
3
B. Nietschmann Between Land and Water; The Subsistence Ecology of the Miskito Indians, Eastern Nicaragua (Seminar Press, New York and London, 1973) [Annexe non traduite]
-
4
V. Sandner Le Gall Indigenes Management mariner Ressourcen in Zentralamerika: Der Wandel von Nutzungsmustern und Institutionen in den autonomen Regionen der Kuna (Panama) und Miskito (Nicaragua) (Geographischen Institut der Universität Kiel; Kieler Geographische Schriften, vol. 116) [Annexe non traduite]
-
5
Technical Report, Fieldwork Results in the Nee Reef and London Reef, February 2019 [Annexe non traduite]
-
6
Figures [Annexe non reproduite]
-
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ANNEXE 1 LOI NO 420 RELATIVE AUX ESPACES MARITIMES (2002),
adoptée le 5 mars 2002 et publiée au journal officiel, La Gaceta, no 57 daté du 22 mars 2002
Le président de la République du Nicaragua informe le peuple nicaraguayen de ce que l’Assemblée nationale de la République du Nicaragua, dans l’exercice de ses pouvoirs, a adopté la loi relative aux espaces maritimes du Nicaragua
Article premier
Les espaces maritimes du Nicaragua comprennent toutes les zones que reconnaît aujourd’hui le droit international.
Article 2
Les espaces maritimes du Nicaragua correspondent à ceux visés par le droit international, c’est-à-dire :
1) la mer territoriale ;
2) les eaux intérieures ;
3) la zone contiguë ;
4) la zone économique exclusive ;
5) le plateau continental.
Article 3
La largeur de la mer territoriale est de 12 milles marins mesurés à partir de la ligne de base droite ou de la laisse de basse mer le long de la côte.
Article 4
L’Etat exerce sa souveraineté sur les eaux intérieures, c’est-à-dire les espaces maritimes situés entre les côtes et la limite de la mer territoriale du Nicaragua.
Article 5
La zone contiguë du Nicaragua s’étend jusqu’à 24 milles marins des lignes de base à partir desquelles est mesurée la largeur de la mer territoriale, conformément aux dispositions de la présente loi et de ses règlements.
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Article 6
Dans la zone contiguë à sa mer territoriale, l’Etat exerce le contrôle et la surveillance nécessaires en vue :
1) de prévenir les infractions à ses lois et règlements en matière de douane, de droit pénal, de fiscalité, d’immigration ou de santé, sur son territoire, dans ses eaux intérieures ou dans sa mer territoriale ;
2) de réprimer les infractions à ces mêmes lois et règlements commises sur son territoire, dans ses eaux intérieures ou dans sa mer territoriale ;
3) d’empêcher que des objets archéologiques ou historiques découverts sur son territoire, dans ses eaux intérieures ou dans sa mer territoriale n’en soient enlevés sans son autorisation.
Article 7
La zone économique exclusive de la République du Nicaragua s’étend jusqu’à 200 milles marins de la ligne de base à partir de laquelle est mesurée la mer territoriale.
Article 8
Le plateau continental du Nicaragua comprend les fonds marins et leur sous-sol au-delà de sa mer territoriale, constituant un prolongement naturel et une projection du territoire continental du Nicaragua sous la mer sur une distance minimale de 200 milles marins et maximale de 350 milles marins, comme le reconnaît le droit international.
Article 9
Dans le cadre des processus de délimitation maritime, les intérêts de la nation sont préservés, conformément au droit international.
Article 10
La présente loi abroge toute disposition contraire.
Article 11
La présente loi entrera en vigueur à compter de la date de sa publication au Journal officiel, La Gaceta.
Faite à Managua, à l’Assemblée nationale de la République du Nicaragua, le 5 mars 2002.
Arnoldo Aleman Lacayo, président de l’Assemblée nationale.
Rene Herrera Zuñiga, secrétaire de l’Assemblée nationale.
La présente loi est considérée comme une loi de la République.
Pour publication et application.
Managua, le 15 mars 2002.
Enrique Bolaños Geyer, président de la République du Nicaragua.
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ANNEXE 2 DÉCRET PRÉSIDENTIEL N° 17-2018 PORTANT MODIFICATION DU DÉCRET N° 33-2013 INTITULÉ «LIGNES DE BASE DES ESPACES MARITIMES DE LA RÉPUBLIQUE DU NICARAGUA DANS LA MER DES CARAÏBES»
Source : division des affaires maritimes et du droit de la mer, bureau des affaires juridiques, Droit de la mer, Bulletin no 99, Nations Unies, New York, 2019, pages 38 et 39.
https://www.un.org/Depts/los/doalos_publications/LOSBulletins/bulletinf…
[Original espagnol non reproduit]
Décret présidentiel n° 17-2018 pris le 10 octobre 2018 et publié au journal officiel no 23 daté du 23 octobre 2018.
Gouvernement de réconciliation et d’unité nationales
Le président de la République du Nicaragua Le commandant Daniel Ortega Saavedra
Considérant
I
Que la République du Nicaragua, dans l’exercice de sa pleine souveraineté sur ses espaces maritimes et conformément aux dispositions énoncées dans la convention des Nations Unies sur le droit de la mer et à la loi n° 420 sur les espaces maritimes du Nicaragua, détermine les lignes de base droites à partir desquelles sera mesurée l'étendue de ses espaces maritimes dans la mer des Caraïbes.
Article premier
Sont modifiées les coordonnées géographiques du point 9, qui figurent aux annexes I et II et font partie intégrante du décret n° 33-2013, publié au Journal officiel n° 161 du 27 août 2013.
Article 2
Conformément au paragraphe 2 de l’article 16 de la convention des Nations Unies sur le droit de la mer, il est procédé à la publication du présent décret et un exemplaire en est déposé auprès du Secrétaire général de l’Organisation des Nations Unies.
Article 3
Le présent décret entrera en vigueur à la date de sa publication au journal officiel.
Fait à Managua, au siège du gouvernement de la République du Nicaragua, le 10 octobre 2018. Le président de la République du Nicaragua, Daniel Ortega Saavedra Le secrétaire privé chargé des politiques nationales, Paul Oquist Kelley
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Annexe I
«Lignes de base des espaces maritimes de la République du Nicaragua dans la mer des Caraïbes» Coordonnées géographiques (système géodésique mondial WGS 84)
Point no
Latitude (N) degré, minute, seconde
Longitude (O) degré, minute, seconde
Nom
1
15°00'05.9"
083°07'43.0"
Cap Gracias a Dios
2
14°49'15.8"
082°41'00.0"
Caye d’Edimbourg
3
14°22'31.2"
082°44'06.1"
Cayes des Miskitos
4
14°08'40.6"
082°48'29.0"
Caye de Ned Tho- mas
5
13°02'11.6"
083°20'38.6"
Cayes de Man of War
6
12°56'10.8"
083°17'31.9"
Est de la grande caye de Tyra
7
12°16'55.5"
082°57'54.0"
Petite île du Maïs
8
12°10'39.3"
083°01'49.9"
Grande île du Maïs
9
10°57'56.6"
083°44'41.2"
Barra Indio Maiz (Greytown)
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Annexe II
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Document file FR
Document Long Title

Pièce additionnelle du Nicaragua relative aux demandes reconventionnelles de la Colombie

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