Contre-mémoire de la Colombie - Volume I

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155-20161117-WRI-01-00-EN
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Note: Cette traduction a été établie par le Greffe à des fins internes et n’a aucun caractère officiel
14693
COUR INTERNATIONALE DE JUSTICE
AFFAIRE RELATIVE À DES VIOLATIONS ALLÉGUÉES DE DROITS SOUVERAINS ET D’ESPACES MARITIMES DANS LA MER DES CARAÏBES
(NICARAGUA C. COLOMBIE)
CONTRE-MÉMOIRE DE LA RÉPUBLIQUE DE COLOMBIE
VOLUME I
17 novembre 2016
[Traduction du Greffe]
TABLE DES MATIÈRES
Page
CHAPITRE 1. INTRODUCTION ET PRÉSENTATION GÉNÉRALE ......................................................... 1
A. Le dossier de la Colombie et la portée du différend ........................................................... 1
B. Les demandes du Nicaragua à la lumière de l’arrêt sur les exceptions préliminaires ........ 4
C. Le manquement du Nicaragua à ses propres obligations et aux droits des habitants
de l’archipel de San Andrés, et en particulier de la communauté raizale ........................... 6
D. Demandes reconventionnelles de la Colombie ................................................................... 7
E. Aperçu du contre-mémoire .................................................................................................. 7
PREMIÈRE PARTIE. CONTEXTE FACTUEL, HUMAIN ET JURIDIQUE DE L’AFFAIRE ............................... 1
CHAPITRE 2. LES PARTICULARITÉS DE LA MER DES CARAÏBES ET LES SOLUTIONS
RÉGLEMENTAIRES APPORTÉES PAR LA COLOMBIE .................................................................. 1
A. Introduction ......................................................................................................................... 1
1. Le sud-ouest des Caraïbes en tant que mer semi-fermée ................................................ 1
2. Le caractère interdépendant des différents éléments composant la zone ........................ 2
B. L’environnement marin et les mesures de protection prises par la Colombie ..................... 3
1. Les caractéristiques distinctives de l’environnement marin ........................................... 3
2. La fragilité de l’écosystème de l’archipel ....................................................................... 5
3. Les mesures de protection prises par la Colombie dans la zone ..................................... 6
a) Les réponses apportées par la Colombie aux préoccupations liées à
l’environnement...................................................................................................... 6
b) Les accords régionaux et leur mise en oeuvre par la Colombie .............................. 8
i) La convention de Cartagena ............................................................................. 8
ii) La réserve de biosphère Seaflower................................................................. 10
iii) L’aire marine protégée Seaflower .................................................................. 14
C. La dépendance des habitants de l’archipel et du groupe des Raizals à l’égard de
l’environnement marin et de la pêche artisanale ............................................................... 17
1. La dépendance à l’égard du sud-ouest de la mer des Caraïbes ..................................... 17
2. La pratique de longue date des activités artisanales de pêche et de chasse à la
tortue ........................................................................................................................... 19
- 2 -
a) La pêche artisanale par opposition à la pêche de subsistance et à la pêche
industrielle ............................................................................................................ 19
b) Histoire et évolution de la pêche artisanale dans la région................................... 20
c) Les frontières n’ont eu aucune incidence sur les activités de pêche..................... 27
D. La menace que représentent le trafic de stupéfiants, la criminalité transnationale et
d’autres problèmes liés à la sécurité ................................................................................. 28
1. Présence des forces navales et aériennes de la Colombie aux fins de la sécurité,
de la surveillance de l’environnement et de l’interception du trafic de
stupéfiants ................................................................................................................... 28
2. Accords conclus entre la Colombie et d’autres Etats des Caraïbes sur les
responsabilités en matière d’interception du trafic de stupéfiants .............................. 35
E. Conclusion ......................................................................................................................... 40
CHAPITRE 3. LES DROITS ET OBLIGATIONS DES PARTIES DANS LE SUD-OUEST DE LA MER
DES CARAÏBES ........................................................................................................................ 41
A. Introduction : l’interprétation erronée que fait le Nicaragua des principes juridiques
applicables ........................................................................................................................ 41
B. La liberté de navigation et de survol ................................................................................. 43
1. L’interprétation erronée que fait le Nicaragua des libertés de navigation et de
survol .......................................................................................................................... 43
2. La Colombie a exercé sa liberté de navigation et de survol en tenant dûment
compte des droits du Nicaragua .................................................................................. 45
C. Les droits et les devoirs qu’ont les Parties de préserver et de protéger
l’environnement marin et de faire preuve de la diligence requise .................................... 48
1. Les droits et les devoirs qu’ont les Parties de préserver l’environnement dans le
sud-ouest de la mer des Caraïbes ................................................................................ 48
a) Le devoir de protéger et de préserver exige une action préventive et en
amont .................................................................................................................... 50
b) Le devoir et le droit qu’ont les Parties de protéger et de préserver la
diversité biologique dans le sud-ouest de la mer des Caraïbes............................. 52
2. Le devoir qu’ont les Parties de faire preuve de la diligence requise dans les
espaces maritimes du sud-ouest de la mer des Caraïbes ............................................. 55
a) Le devoir renforcé qu’ont les Parties de faire preuve de la diligence requise
à l’égard de l’environnement dans le sud-ouest de la mer des Caraïbes .............. 55
b) Le devoir renforcé qu’ont les Parties de faire preuve de la diligence requise
s’agissant des pratiques de pêche déprédatrices dans le sud-ouest de la mer
des Caraïbes.......................................................................................................... 57
- 3 -
3. Le droit et l’obligation qu’ont les Parties de protéger le droit des Raizals et des
autres habitants de l’archipel à un environnement sain, viable et durable .................. 61
D. Droits coutumiers des pêcheurs artisanaux d’accéder aux bancs où ils ont coutume
de travailler, et de les exploiter ......................................................................................... 63
1. Formation et reconnaissance d’un droit coutumier local à pratiquer la pêche
artisanale ..................................................................................................................... 63
2. Les droits de pêche traditionnels ont survécu à la délimitation maritime de 2012 ....... 66
E. Conclusion ......................................................................................................................... 70
DEUXIÈME PARTIE. LA COLOMBIE A AGI CONFORMÉMENT AU DROIT DANS LA MER DES
CARAÏBES ..................................................................................................................... 71
CHAPITRE 4. LE MAL-FONDÉ DES DEMANDES DU NICARAGUA RELATIVES À DES
VIOLATIONS ALLÉGUÉES DE SES DROITS MARITIMES ............................................................. 71
A. Introduction ....................................................................................................................... 71
B. Le manque de sérieux des demandes du Nicaragua .......................................................... 71
C. La présentation trompeuse que fait le Nicaragua des événements .................................... 74
1. La Cour n’est pas compétente à l’égard des violations alléguées qui sont
postérieures au 26 novembre 2013 ............................................................................. 75
2. Les «incidents» allégués par le Nicaragua .................................................................... 76
3. Les arguments infondés du Nicaragua concernant la délivrance, par la Colombie,
de permis à des bateaux de pêche ............................................................................... 87
D. Conclusions ....................................................................................................................... 87
CHAPITRE 5. LA ZONE CONTIGUË DE LA COLOMBIE NE CONSTITUE PAS UN FAIT ILLICITE
EN DROIT INTERNATIONAL ..................................................................................................... 89
A. Introduction ....................................................................................................................... 89
B. La zone contiguë unique de la Colombie est internationalement licite ............................. 91
1. La zone contiguë unique de la Colombie a été proclamée conformément à la
constitution colombienne ............................................................................................ 91
2. Les îles de la Colombie ont droit à une zone contiguë au regard du droit
international ................................................................................................................ 93
3. Rien dans l’arrêt de 2012 ne traite de la zone contiguë ni ne peut être interprété
comme remettant en question les droits de la Colombie à cet égard .......................... 93
C. L’exercice régulier par un Etat des droits qui lui sont conférés dans sa zone
contiguë n’est pas incompatible avec les droits souverains internationalement
définis dont un Etat voisin jouit dans sa ZEE et ne leur porte pas atteinte ....................... 94
- 4 -
D. La construction dans l’espace de la zone contiguë unique de la Colombie est dictée
par la configuration naturelle et spécifique de l’archipel et ne viole pas le droit
international ...................................................................................................................... 95
1. La zone contiguë unique de la Colombie résulte presque entièrement du
chevauchement naturel des zones contiguës des îles composant l’archipel de
San Andrés .................................................................................................................. 95
2. L’ajout de lignes géodésiques reliant les zones contiguës se chevauchant qui
relèvent des îles permet une gestion ordonnée des droits et obligations de la
Colombie dans sa zone contiguë unique ..................................................................... 97
3. Les pouvoirs que la Colombie pourrait éventuellement exercer dans la zone
contiguë unique, tels que définis dans le décret présidentiel no 1946, sont
conformes au droit international ................................................................................. 99
E. L’étendue de la zone contiguë unique de la Colombie et les pouvoirs subordonnés à
celle-ci sont conformes au droit international ................................................................. 100
F. En tout état de cause, le Nicaragua ne peut citer aucune action menée dans la zone
contiguë unique de la Colombie qui aurait porté atteinte aux droits qu’il tient de sa
zone économique exclusive ............................................................................................ 105
G. Conclusion ...................................................................................................................... 106
CHAPITRE 6.MESURES DEMANDÉES ......................................................................................... 107
TROISIÈME PARTIE. DEMANDES RECONVENTIONNELLES ............................................................... 110
CHAPITRE 7. DEMANDES RECONVENTIONNELLES DE LA COLOMBIE........................................ 110
A. Introduction ..................................................................................................................... 110
B. Recevabilité des demandes reconventionnelles de la Colombie ..................................... 111
1. Les demandes reconventionnelles relèvent de la compétence de la Cour .................. 111
2. La condition de connexité directe ............................................................................... 113
CHAPITRE 8. PREMIÈRE ET DEUXIÈME DEMANDES RECONVENTIONNELLES : LE MANQUE
DE DILIGENCE DU NICARAGUA À L’ÉGARD DE L’ENVIRONNEMENT MARIN DU
SUD-OUEST DE LA MER DES CARAÏBES ET DE L’HABITAT DES RAIZALS .............................. 115
A. Introduction ..................................................................................................................... 115
B. La connexité directe avec l’objet des demandes du Nicaragua ....................................... 115
C. Les faits à l’appui des demandes reconventionnelles de la Colombie concernant la
protection de l’environnement du sud-ouest de la mer des Caraïbes ainsi que de
l’habitat des Raizals et des autres habitants de l’archipel ............................................... 117
1. Les activités de pêche déprédatrices menées dans la mer territoriale de la
Colombie et la zone de régime commun .................................................................. 117
2. Les activités de pêche déprédatrices menées dans la réserve de biosphère
Seaflower et l’aire marine protégée du même nom .................................................. 120
- 5 -
D. La violation, par le Nicaragua, de son devoir d’agir avec la diligence requise pour
protéger et préserver l’environnement marin du sud-ouest de la mer des Caraïbes ....... 127
1. Le manquement du Nicaragua à l’obligation de prévenir la pêche illicite, non
déclarée et non autorisée ........................................................................................... 127
2. Le manquement du Nicaragua à l’obligation de prévenir la pollution du
sud-ouest de la mer des Caraïbes .............................................................................. 133
E. La violation, par le Nicaragua, de son devoir d’agir avec la diligence requise pour
protéger le droit des habitants de l’archipel à bénéficier d’un habitat sain, viable et
durable ............................................................................................................................ 135
1. Le manquement du Nicaragua à l’obligation de faire la preuve de la diligence
requise pour prévenir les pratiques de pêche dommageables ................................... 135
2. Le manquement du Nicaragua à l’obligation de faire preuve de la diligence
requise pour prévenir la dégradation de l’habitat marin des Raizals et des autres
habitants de l’archipel ............................................................................................... 136
F. Conclusion ....................................................................................................................... 138
CHAPITRE 9. TROISIÈME DEMANDE RECONVENTIONNELLE : LA VIOLATION, PAR LE
NICARAGUA, DU DROIT DES PÊCHEURS ARTISANAUX D’ACCÉDER AUX BANCS DE
PÊCHE TRADITIONNELS ET DE LES EXPLOITER ..................................................................... 139
A. Introduction ..................................................................................................................... 139
B. La connexité directe avec l’objet des demandes du Nicaragua ....................................... 140
C. Le comportement intimidant de la marine nicaraguayenne ............................................ 141
D. Conclusion ...................................................................................................................... 145
CHAPITRE 10. QUATRIÈME DEMANDE RECONVENTIONNELLE : LE DÉCRET DU NICARAGUA
FIXANT DES LIGNES DE BASE DROITES, QUI EST CONTRAIRE AU DROIT INTERNATIONAL,
EMPORTE VIOLATION DES DROITS SOUVERAINS ET DES ESPACES MARITIMES DE LA
COLOMBIE ............................................................................................................................ 146
A. Introduction ..................................................................................................................... 146
B. Lien de connexité directe avec l’objet des demandes du Nicaragua ............................... 146
1. Aspects factuels et juridiques de la demande du Nicaragua à laquelle se rapporte
la demande reconventionnelle .................................................................................. 147
2. Aspects factuels et juridiques de la quatrième demande reconventionnelle de la
Colombie .................................................................................................................. 148
3. Lien de connexité directe ............................................................................................ 149
C. Les lignes de base revendiquées par le Nicaragua vont à l’encontre des principes de
droit international coutumier régissant le tracé de lignes de base droites ....................... 149
1. L’arrêt de 2012 de la Cour ne justifie pas le choix, par le Nicaragua, de lignes de
base droites ............................................................................................................... 149
- 6 -
2. La nature coutumière des principes régissant le tracé de lignes de base droites......... 153
3. Les lignes de base du Nicaragua ont été tracées en violation des principes du
droit international coutumier .................................................................................... 155
a) Les circonstances géographiques autorisant le recours aux lignes de base
droites ne sont pas présentes............................................................................... 155
b) Les lignes de base dont se prévaut le Nicaragua ne remplissent pas les
conditions requises ............................................................................................. 161
i) Les lignes de base droites dont se prévaut le Nicaragua s’écartent de la
direction générale de la côte......................................................................... 161
ii) Les espaces maritimes situés en deçà des lignes de base droites ne sont
pas étroitement liés au domaine terrestre ..................................................... 161
D. Les lignes de base revendiquées par le Nicaragua dans la mer des Caraïbes
emportent atteinte aux droits de la Colombie ................................................................. 164
1. En s’appropriant certaines étendues d’eau en deçà de ses lignes de base droites,
le Nicaragua viole les droits de la Colombie ............................................................ 164
2. L’extension de sa mer territoriale à l’est de la limite permise par le droit
international, dont se prévaut le Nicaragua, emporte violation des droits de la
Colombie .................................................................................................................. 165
3. Violation du droit de la Colombie à une zone économique exclusive de
200 milles marins ...................................................................................................... 168
E. Conclusion ....................................................................................................................... 168
CHAPITRE 11. RÉSUMÉ .............................................................................................................. 169
CONCLUSIONS ........................................................................................................................... 172
TABLE DES MATIÈRES - VOLUME II. LISTE DES APPENDICES, ANNEXES ET FIGURES ................ 174
___________
CHAPITRE 1
INTRODUCTION ET PRÉSENTATION GÉNÉRALE
1.1. La Colombie dépose le présent contre-mémoire conformément à l’ordonnance du
17 mars 2016 par laquelle la Cour a fixé au 17 novembre 2016 la date d’expiration du délai à cet
effet. Dans la présente pièce de procédure, elle répondra aux prétentions, à l’égard desquelles la
Cour est compétente, que le Nicaragua a formulées dans sa requête et dans son mémoire, et
démontrera qu’elles sont infondées en fait et en droit.
1.2. Dans ses écritures, le Nicaragua insiste sur ce qu’il affirme être les violations de ses
droits et espaces maritimes par la Colombie. Non seulement ces allégations donnent une
représentation trompeuse des faits et des conséquences juridiques des événements sur lesquels sont
fondées les prétentions du Nicaragua, mais elles méconnaissent le fait que celui-ci a également des
obligations à l’égard de la zone maritime pertinente au titre du droit international coutumier. Parmi
ces obligations figure celle de protéger et de préserver l’environnement marin, notamment en
faisant preuve de la diligence requise en ce qui concerne les activités de ses propres nationaux et
des navires battant pavillon nicaraguayen ou titulaires de permis délivrés par le Nicaragua, et en
respectant l’habitat et les droits de pêche traditionnels de la population locale de l’archipel de
San Andrés, Providencia et Santa Catalina1.
1.3. En d’autres termes, les écritures du Nicaragua ne visent à donner qu’une version
tronquée de l’histoire. Le différend concerne non seulement la licéité du comportement de la
Colombie dans le sud-ouest des Caraïbes, où celle-ci a également des droits, mais aussi la licéité du
comportement du Nicaragua. Comme la Colombie le démontrera, le Nicaragua a ouvertement
méconnu les obligations que lui impose le droit international, ce qui a abouti à causer un dommage
important à la Colombie et à porter préjudice à ses ressortissants, en particulier aux Raizals habitant
l’archipel, et à l’environnement. En conséquence, conformément à l’article 80 du Règlement de la
Cour, la Colombie présente des demandes reconventionnelles contre le Nicaragua pour ces
manquements. Comme elle l’expliquera plus amplement dans la troisième partie du présent
contre-mémoire, ses demandes reconventionnelles relèvent de la compétence de la Cour et sont en
connexité directe avec l’objet des demandes du Nicaragua.
A. LE DOSSIER DE LA COLOMBIE ET LA PORTÉE DU DIFFÉREND
1.4. Dans sa requête en date du 26 novembre 2013, le Nicaragua a présenté deux demandes
contre la Colombie. La première était fondée sur l’allégation de manquement de celle-ci à son
obligation de ne pas violer les droits souverains et les espaces maritimes du Nicaragua tels
qu’établis par la Cour dans son arrêt du 19 novembre 2012. Dans la seconde, il était affirmé que la
marine colombienne n’avait pas respecté l’obligation de s’abstenir de recourir à la menace ou à
l’emploi de la force que la Charte des Nations Unies et le droit international coutumier font à la
Colombie2.
1 Dans la présente pièce de procédure, l’archipel de San Andrés, Providencia et Santa Catalina est également
appelé «l’archipel de San Andrés» ou «l’archipel». Il comprend les trois îles susnommées ainsi que les cayes
d’Albuquerque, les cayes de l’Est-Sud-Est, de Roncador, de Serrana, de Quitasueño, de Serranilla et de Bajo Nuevo, et
les îlots, rochers et récifs qui les entourent.
2 Violations alléguées de droits souverains et d’espaces maritimes dans la mer des Caraïbes (Nicaragua
c. Colombie), requête de la République du Nicaragua introduisant une instance contre la République de Colombie,
26 novembre 2013 (ci-après la «requête»), par. 2.
1
2
3
- 2 -
1.5. Les demandes du Nicaragua doivent être appréciées à la lumière des droits et obligations
des deux Parties dans le sud-ouest de la mer des Caraïbes, des caractéristiques spécifiques de ce
secteur de la mer, dont l’unité politique de l’archipel de San Andrés, Providencia et Santa Catalina,
de la liberté de navigation et de survol que la Colombie et tous les autres Etats ont le droit
d’exercer et du devoir qu’a chaque Partie de protéger et de préserver l’environnement marin ainsi
que de respecter l’habitat des populations locales.
1.6. Comme il sera décrit au chapitre 2, le sud-ouest des Caraïbes est une mer semi-fermée,
bordée par plusieurs pays. Il convient d’accorder une importance particulière à la fragilité
écologique de grandes parties de cette mer résultant du manque de profondeur relatif des eaux, de
la vulnérabilité des écosystèmes des récifs coralliens, des courants et de la présence d’espèces
risquant de s’épuiser et de disparaître si elles continuent d’être victimes de pratiques de pêche
abusives. C’est ce qui a conduit à établir dans cette mer des espaces particulièrement protégés et à
adopter un traité majeur, la convention pour la protection et la mise en valeur du milieu marin dans
la région des Caraïbes (ci-après la «convention de Cartagena»), qui traite de ces questions3.
1.7. Les habitants de l’archipel, dont la communauté raizale, sont très dépendants des droits
de pêche traditionnels dont ils bénéficient depuis longtemps dans les espaces maritimes qui
entourent ce groupe d’îles et sont une partie intégrante et essentielle de leur culture et de leur
habitat. Ces droits sont violés par les pratiques de pêche déprédatrices du Nicaragua et son
incapacité et/ou son manque de volonté de protéger et de préserver l’environnement marin, qui est
essentiel à la subsistance de la population locale, et par ses manoeuvres d’intimidation à l’égard des
pêcheurs locaux.
1.8. Cette région de la mer des Caraïbes est en outre susceptible d’être le théâtre d’opérations
criminelles transnationales, par exemple lorsque des groupes criminels en font la route principale
de leur trafic de stupéfiants et d’armes. La Colombie a toujours joué un rôle central dans la lutte
contre ce fléau tant en raison de son emplacement géographique que parce qu’elle est le seul pays
de la région qui ait investi dans les ressources navales et aériennes permettant de surveiller et de
localiser les activités suspectes et d’en intercepter les auteurs. En outre, elle a des obligations
internationales en matière de lutte contre cette criminalité transnationale.
1.9. Ces facteurs permettent d’expliquer la présence de la Colombie dans la zone et pourquoi
il est essentiel pour elle et pour la communauté internationale qu’elle puisse exercer son droit à la
liberté de navigation et de survol. Le Nicaragua reconnaît que la Colombie a le droit de survoler sa
zone économique exclusive et que cela n’implique pas en soi un déni de ses droits sur ces eaux4. Il
ne reconnaît toutefois pas que la Colombie a exercé ces droits de manière positive, en tenant
dûment compte des droits et des devoirs des autres Etats, lui-même inclus. Contrairement à ce qu’il
affirme, le comportement de la Colombie ne l’a en aucune manière empêché d’exercer ses droits
souverains à l’intérieur des espaces maritimes que lui a reconnus la Cour.
1.10. Il en va différemment du comportement du Nicaragua. Comme il sera démontré,
celui-ci a systématiquement manqué d’exercer la diligence requise pour réglementer la pêche et
réprimer les pratiques déprédatrices de ses propres ressortissants, ainsi que des navires battant
3 Annexe 17 : convention pour la protection et la mise en valeur du milieu marin dans la région des Caraïbes
(ci-après la «convention de Cartagena»), adoptée à Cartagena de Indias (Colombie) le 24 mars 1983.
4 Violations alléguées de droits souverains et d’espaces maritimes dans la mer des Caraïbes (Nicaragua
c. Colombie), mémoire de la République du Nicaragua, 3 octobre 2014 (ci-après le «MN»), par. 3.34. Il en va de même
de la liberté de navigation de la Colombie.
5
4
- 3 -
pavillon nicaraguayen ou titulaires de permis délivrés par le Nicaragua. Il n’a pas non plus respecté
les obligations qui lui incombent de préserver et de protéger l’environnement marin, de conserver
les ressources biologiques de la zone et de respecter les droits de pêche traditionnels des habitants
de l’archipel, ce qui conduit la Colombie à présenter plusieurs demandes reconventionnelles.
1.11. Dans ce contexte, l’idée que le Nicaragua est la partie lésée en l’espèce et que la portée
du différend est limitée au comportement de la Colombie est indéfendable. Non seulement les
demandes du Nicaragua sont infondées en fait et en droit, mais c’est lui qui a manqué à ses
obligations à l’égard de la Colombie dans le sud-ouest de la mer des Caraïbes.
1.12. Le contraste entre les comportements des Parties dans la zone pertinente ne saurait être
plus frappant, comme il ressort des exemples ci-après :
 La Colombie n’a pas fait obstacle à l’exercice, par le Nicaragua, de ses droits souverains sur sa
zone économique exclusive. Les Nicaraguayens n’ont pas non plus été empêchés de pêcher
dans ces espaces maritimes. Or, alors que les dirigeants nicaraguayens avaient promis de
respecter les droits historiques des Raizals, les forces navales nicaraguayennes ont gêné
activement, par des manoeuvres d’intimidation, l’accès des habitants de l’archipel à leurs zones
de pêche traditionnelles.
 Les navires immatriculés en Colombie ont respecté les espaces maritimes du Nicaragua et les
pêcheurs ont même modifié leurs pratiques pour éviter tout conflit et toute confrontation avec
les forces navales nicaraguayennes. A l’inverse, des navires immatriculés au Nicaragua ont
pénétré dans la mer territoriale colombienne, y ont pêché en usant de pratiques déprédatrices,
en ont pollué les eaux, ont laissé derrière eux de grandes quantités de déchets et ont causé des
dommages à l’environnement marin dans les eaux relevant de la juridiction de la Colombie.
 La Colombie a pris nombre de mesures concrètes pour protéger et préserver l’environnement
marin du sud-ouest de la mer des Caraïbes et pour exercer la diligence requise concernant les
pratiques de pêche abusives. Le Nicaragua, au contraire, a fait fi de ses obligations
internationales à cet égard et n’a fait preuve ni de sa volonté ni de sa capacité de contrôler les
activités destructrices menées dans des zones écologiques hautement sensibles par ses propres
pêcheurs ou par des navires immatriculés auprès de lui. Il a plutôt encouragé ces pratiques
abusives en partant du principe qu’il avait sur sa zone économique exclusive des droits
souverains exempts de restrictions et qu’il n’avait aucune obligation concomitante.
 La Colombie est même allée jusqu’à fournir une assistance humanitaire et technique à des
pêcheurs nicaraguayens en difficulté dans les eaux du sud-ouest de la mer des Caraïbes. Le
Nicaragua a fait exactement l’inverse. Ses forces navales ont harcelé les pêcheurs colombiens
de l’archipel, confisqué leurs équipements et leurs prises, et, ce faisant, compromis leur
bien-être.
 La Colombie a également fait preuve de diligence pour réprimer la criminalité transnationale
dans la région, ce qui présente un intérêt essentiel en matière de sécurité pour elle-même, mais
aussi pour d’autres Etats. Le Nicaragua n’a manifesté aucune volonté d’en faire autant. Sa
seule réponse consiste à se plaindre de la présence, parfaitement licite, de la Colombie dans la
zone.
6
7
8
- 4 -
B. LES DEMANDES DU NICARAGUA À LA LUMIÈRE DE L’ARRÊT SUR
LES EXCEPTIONS PRÉLIMINAIRES
1.13. Dans son arrêt sur les exceptions préliminaires, la Cour a rejeté pour défaut de
compétence le grief que le Nicaragua tirait du recours allégué à la menace ou à l’emploi de la force
par la Colombie. Comme elle l’a fait observer, avant que le Nicaragua ne dépose sa requête, «rien
dans les éléments de preuve produits ne laiss[ait] entendre que [celui-ci] avait indiqué que la
Colombie avait manqué à ses obligations au titre du paragraphe 4 de l’article 2 de la Charte des
Nations Unies ou du droit international coutumier en [la] matière»5. Au contraire, le président du
Nicaragua lui-même avait confirmé publiquement qu’«aucune confrontation n’a[vait] eu lieu entre
les forces navales colombiennes et nicaraguayennes», et des hauts responsables militaires
nicaraguayens avaient, eux aussi, relevé l’absence de conflit dans les eaux en cause6.
1.14. En conséquence, dans le dispositif de son arrêt du 17 mars 2016, la Cour a retenu à
l’unanimité la deuxième exception préliminaire colombienne «en ce qu’elle a[vait] trait à
l’existence d’un différend relatif aux prétend[us manquements] de la Colombie [à] l’obligation lui
incombant de s’abstenir de recourir à la menace ou à l’emploi de la force»7. Les faits — ou, pour
reprendre les termes du Nicaragua, les «incidents»8 — dont celui-ci se prévaut dans sa requête et
son mémoire afin d’étayer son grief relatif au recours à la menace ou à l’emploi de la force sont
donc écartés, la Cour n’ayant pas compétence à cet égard.
1.15. Pour ce qui est des autres «incidents» constituant le fondement factuel de la demande
du Nicaragua, il convient de rappeler qu’ils reposent sur une description que les forces navales de
cet Etat n’ont envoyée au ministère nicaraguayen des affaires étrangères que le 26 août 2014, soit
neuf mois après l’introduction de sa requête et, ce qui est fort commode, quelques semaines avant
le dépôt de son mémoire9. Point essentiel, la majorité des prétendus faits que le Nicaragua a
invoqués à l’appui de son grief de violation de ses droits souverains et de ses espaces maritimes par
la Colombie se sont produits, comme il l’indique lui-même, après le 27 novembre 2013, date à
laquelle celle-ci a cessé d’être liée par le traité américain de règlement pacifique (ci-après le «pacte
de Bogotá»). La Cour n’a donc pas compétence ratione temporis pour connaître d’une quelconque
demande fondée sur des événements prétendument survenus alors que les dispositions du pacte ne
s’imposaient plus à la Colombie, de sorte que bien des «incidents» sur lesquels le Nicaragua fait
fond n’ont pas à être examinés.
1.16. Seuls treize des prétendus «incidents» invoqués par le Nicaragua auraient eu lieu avant
la date critique à laquelle le pacte de Bogotá a cessé de produire ses effets à l’égard de la
Colombie10. Nombre d’entre eux reposent toutefois sur des informations erronées et ne corroborent
5 Violations alléguées de droits souverains et d’espaces maritimes dans la mer des Caraïbes (Nicaragua
c. Colombie), exceptions préliminaires, arrêt, 17 mars 2016 (ci-après l’«arrêt sur les exceptions préliminaires»), par. 76.
6 Ibid.
7 Arrêt sur les exceptions préliminaires, par. 111 (point 1 c) du dispositif).
8 Dans ses écritures et plaidoiries, le Nicaragua se réfère à un certain nombre d’événements qu’il qualifie
d’«incidents». Comme on le verra, aucun de ces événements n’a toutefois constitué un «incident» au véritable sens du
terme, et le Nicaragua lui-même ne les a pas considérés comme tels au moment où ils ont eu lieu.
9 MN, annexe 23 A.
10 Dans son arrêt sur les exceptions préliminaires, la Cour a jugé que la «date critique», pour déterminer
l’existence d’un différend entre les Parties, était celle du dépôt de la requête du Nicaragua (à savoir le
26 novembre 2013). D’un point de vue pratique, cette date — ou plutôt celle du lendemain, où le pacte a cessé de
produire ses effets à l’égard de la Colombie — doit également être retenue aux fins d’apprécier la compétence
ratione temporis de la Cour pour connaître des «incidents» signalés par le Nicaragua.
9
10
- 5 -
tout simplement pas la grave allégation du Nicaragua, qui prétend que la Colombie a violé ses
droits souverains et ses espaces maritimes.
1.17. Autre fait tout aussi frappant, rien ne prouve que les militaires nicaraguayens aient
réellement considéré la présence colombienne dans la zone en cause ou l’un quelconque des
«incidents» qui s’y seraient produits comme étant suffisamment graves pour mériter d’être
immédiatement signalés, que ce soit aux dirigeants politiques de leur propre pays ou à ceux de la
Colombie. Pour trouver trace de la première protestation adressée à celle-ci au sujet d’un tel
«incident», il faut en effet se reporter à la note diplomatique que le Nicaragua lui a envoyée le
13 septembre 2014, soit longtemps après avoir introduit avec opportunisme la présente instance
devant la Cour, le dernier jour où il lui était loisible de le faire avant que le pacte de Bogotá ne
cessât de produire ses effets à l’égard de la Colombie.
1.18. Dans son arrêt du 17 mars 2016, la Cour n’a pas estimé que cette temporisation
signifiait qu’à la date du dépôt de la requête il n’existait pas, à des fins juridictionnelles, de
différend entre les Parties11. Cependant, l’absence totale de réaction de la part des responsables
militaires et des dirigeants politiques nicaraguayens, ceux-ci ayant par la suite confirmé que la
situation en mer était calme et ceux-là, indiqué que les forces navales colombiennes avaient fait
preuve de respect et qu’aucune confrontation n’avait eu lieu, montre que, au moment où ils
s’étaient censément produits, les prétendus «incidents» sur lesquels le Nicaragua insiste tant
aujourd’hui ne pouvaient, même selon sa propre version des faits, avoir été jugés importants ou
considérés comme des motifs valables d’accuser la Colombie de violations de ses droits souverains
et de ses espaces maritimes.
1.19. La Colombie traitera chacun de ces treize «incidents» au chapitre 4. Aux fins présentes,
elle relève qu’aucun d’eux ne vient étayer la théorie du Nicaragua, qui affirme qu’elle a violé ses
droits souverains et ses espaces maritimes. Contrairement à l’impression que cet Etat cherche à
donner, les «incidents» en cause résultaient de l’exercice licite, par la Colombie, des droits et
devoirs qui sont les siens au titre du droit international, et ils n’ont nullement empêché le Nicaragua
d’exercer ses droits souverains dans ses espaces maritimes.
1.20. Le grief du Nicaragua, qui prétend que ses droits souverains et ses espaces maritimes
ont été violés par la Colombie, est également fondé sur la promulgation par celle-ci du décret
présidentiel no 1946 du 9 septembre 2013, portant création d’une zone contiguë unique entourant
les îles colombiennes. En formulant cette allégation, le Nicaragua accuse la Colombie de rejeter
l’arrêt de 2012 de la Cour12.
1.21. Il convient de rappeler que, dans cet arrêt rendu le 19 novembre 201213, la Cour a tracé
une frontière maritime unique, délimitant la zone économique exclusive et le plateau continental,
sans examiner une quelconque question ayant trait à la zone contiguë unique. Ainsi qu’il sera
démontré au chapitre 5, le simple fait que la Colombie proclame une telle zone entourant ses îles,
en précisant expressément dans son décret que cette opération serait effectuée conformément au
droit international et en tenant dûment compte des droits des Etats tiers14, ne constitue pas un fait
11 Arrêt sur les exceptions préliminaires, par. 73.
12 MN, par. 3.27.
13 Différend territorial et maritime (Nicaragua c. Colombie), arrêt, C.I.J. Recueil 2012, p. 624 (ci-après l’«arrêt
de 2012»).
14 Annexe 7 : décret présidentiel no 1946 du 9 septembre 2013, tel que modifié par le décret présidentiel no 1119
du 17 juin 2014 (version composite), article 7.
11
12
- 6 -
internationalement illicite et n’a en aucune façon porté atteinte aux droits souverains et aux espaces
maritimes du Nicaragua.
1.22. Le caractère unitaire de la zone découle de sa configuration géographique, les îles de
l’archipel étant distantes de moins de 24 milles marins les unes des autres. En outre, la portée de la
juridiction prévue dans le cas de la zone contiguë est fondamentalement différente des droits
souverains qu’un Etat côtier est fondé à exercer dans sa zone économique exclusive ; les deux ne
sont pas mutuellement incompatibles, mais coexistent.
1.23. Ainsi que la Colombie le démontrera, ni l’étendue de sa zone contiguë ni le type de
pouvoirs que sa législation l’habilite à y exercer si nécessaire ne sont incompatibles avec le droit
international coutumier. Le Nicaragua ne peut citer un seul acte commis par la Colombie dans cette
zone qui aurait si peu que ce fût entravé sa capacité d’exercer les droits souverains qui lui sont
reconnus dans sa zone économique exclusive ou sur son plateau continental. Inversement, s’il
obtenait gain de cause, c’est la Colombie qui ne pourrait plus jouir pleinement des facultés que lui
confère le droit international.
C. LE MANQUEMENT DU NICARAGUA À SES PROPRES OBLIGATIONS ET AUX DROITS DES
HABITANTS DE L’ARCHIPEL DE SAN ANDRÉS, ET EN PARTICULIER DE
LA COMMUNAUTÉ RAIZALE
1.24. Si, dans son mémoire, le Nicaragua n’a de cesse de revenir sur les droits qu’il fait grief
à la Colombie d’avoir violés, il passe sous silence que le droit international coutumier lui impose
également certaines obligations relatives à l’exercice de ses droits souverains dans ses espaces
maritimes, obligations auxquelles il a manqué à l’égard de la Colombie. Le Nicaragua est en outre
tenu de respecter les droits de pêche et l’habitat naturel de la population de l’archipel.
1.25. Au regard du droit international coutumier, le Nicaragua a l’obligation de protéger et
de préserver l’environnement marin, ce qu’il n’a pas fait dans les zones dans lesquelles il allègue
que ses droits auraient été violés, notamment celles qui appartiennent à la réserve de biosphère et à
l’aire marine protégée Seaflower. La Colombie a réuni des informations sur plusieurs cas dans
lesquels les autorités nicaraguayennes n’ont ni obvié ni remédié à des pratiques de pêche
déprédatrices auxquelles se sont livrés des navires battant pavillon nicaraguayen, qui ont mis en
oeuvre à son détriment des méthodes destructrices dans les parties écologiquement les plus
sensibles de la mer des Caraïbes, sans que le Nicaragua n’exerce le moindre contrôle ou ne
s’acquitte de son devoir de diligence. En plus de causer de graves dommages à l’environnement,
ces activités constituent des atteintes aux lieux de pêche et à l’habitat traditionnels de la population
de l’archipel15.
1.26. Le Nicaragua a également d’importantes obligations de caractère coutumier et régional,
énoncées dans d’autres instruments auxquels les deux Etats sont parties, notamment la convention
de Cartagena. La Colombie reviendra sur les sources des obligations juridiques non observées par
lui dans le cadre de ses demandes reconventionnelles.
15 Voir les chapitres 8 et 9 ci-après.
13
14
- 7 -
D. DEMANDES RECONVENTIONNELLES DE LA COLOMBIE
1.27. C’est précisément parce que le Nicaragua manque à ses obligations envers elle et
envers sa population que la Colombie soumet les demandes reconventionnelles exposées dans la
troisième partie du présent contre-mémoire, dans laquelle il sera démontré
 que le Nicaragua a manqué et continue de manquer aux obligations qui lui incombent de
préserver et de protéger l’environnement marin  notamment à son obligation, au regard du
droit international coutumier, d’exercer la diligence requise dans le sud-ouest des Caraïbes ,
ce qui a des incidences fondamentalement néfastes sur l’environnement de la zone concernée et
sur les droits des habitants de l’archipel ;
 que, de la même manière, en tolérant que des navires  notamment battant pavillon
nicaraguayen ou titulaires de permis qu’il a délivrés  se livrent à des pratiques de pêche
déprédatrices dans la mer territoriale de la Colombie, le Nicaragua a violé les droits de celle-ci
et ceux des Raizals, à l’égard, en particulier, des territoires et ressources naturelles des zones
qui constituent leur habitat naturel, ainsi que leurs droits humains ;
 que le Nicaragua a également méconnu les droits de pêche traditionnels de la communauté
raizale et de la Colombie dans ces mêmes zones maritimes ;
 que, enfin, les lignes de base droites que le Nicaragua a établies par décret après l’arrêt de
2012, à partir desquelles il entend mesurer la largeur de ses espaces maritimes  sur lesquels il
reproche à la Colombie d’empiéter , ne sont ni conformes au droit international ni
opposables à la Colombie. Tant que ces lignes ne seront pas rectifiées, les droits souverains de
la Colombie continueront d’être bafoués et ses espaces maritimes violés.
E. APERÇU DU CONTRE-MÉMOIRE
1.28. Le présent contre-mémoire est composé de trois parties. La première partie porte sur le
contexte factuel, humain et juridique de l’affaire.
 Sont en premier lieu examinées, au chapitre 2, les particularités qui caractérisent le sud-ouest
des Caraïbes dans le contexte global au regard duquel il convient d’apprécier le comportement
des Parties. Ce contexte forme une toile de fond essentielle pour examiner les prétentions du
Nicaragua ainsi que les demandes reconventionnelles de la Colombie, qui sont fondées sur les
mêmes faits.
 Le chapitre 3 traite ensuite des droits et obligations des Parties dans le sud-ouest des Caraïbes,
s’agissant de la liberté de navigation et de survol, de la protection et de la préservation de
l’environnement marin et des droits coutumiers des habitants de l’archipel à leurs zones de
pêche traditionnelles, y compris de la relation entre ces droits et l’environnement, et de la
nécessité de réprimer la criminalité transnationale en luttant notamment contre le trafic de
stupéfiants et le transport d’autres matériels illicites dans la région. Ainsi qu’il sera démontré,
la présence de la Colombie dans l’archipel et aux alentours découle de droits qui sont les siens
et est conforme aux devoirs et obligations qui incombent au pays en droit international, compte
dûment tenu des droits des Etats tiers, et notamment de ceux du Nicaragua.
La deuxième partie montre que, contrairement à ce qu’affirme le Nicaragua, la Colombie a
agi en toute licéité dans la mer des Caraïbes.
 Le chapitre 4 a trait aux failles que présente, tant en droit que du point de vue des faits,
l’allégation du Nicaragua, qui prétend que la Colombie a violé ses droits et espaces maritimes
en harcelant ses navires et en l’empêchant d’exercer ses droits souverains dans lesdits espaces
15
16
17
- 8 -
maritimes. Outre qu’ils ne viennent pas étayer ses allégations, les faits invoqués par le
Nicaragua en la présente affaire sont incompatibles avec son propre comportement.
 Au chapitre 5, la Colombie répond à l’assertion du Nicaragua selon qui, en promulguant un
décret établissant la zone contiguë unique, elle a également violé ses droits souverains et ses
espaces maritimes. Elle démontrera qu’en établissant pareille zone, d’importance capitale pour
elle et pour la région, elle a agi en toute licéité, et que ni les limites de la zone contiguë unique,
ni les fonctions que la Colombie s’y est réservées n’enfreignent le droit international coutumier
ni ne portent atteinte aux droits des autres Etats.
 Le chapitre 6 porte sur les remèdes demandés par le Nicaragua, tels qu’exposés en détail au
chapitre IV du mémoire. Ainsi que cela sera expliqué, ces remèdes sont dépourvus de
fondement, étant donné que la Colombie n’a pas manqué aux obligations qui lui incombent à
l’égard du Nicaragua.
La troisième partie est consacrée aux demandes reconventionnelles de la Colombie.
 Au chapitre 7, la Colombie fournira un bref aperçu de ses demandes reconventionnelles et
montrera qu’elles relèvent de la compétence de la Cour. S’agissant des critères de recevabilité,
elle établira que chacune de ses demandes y satisfait pleinement. Plus précisément, elle
i) démontrera que ses demandes reconventionnelles sont recevables en ce qu’elles sont en
connexité directe avec l’objet de la demande du Nicaragua, ii) présentera les faits pertinents
aux fins de ces demandes et iii) exposera en quoi le Nicaragua a manqué à ses obligations
juridiques.
 Dans le chapitre 8, la Colombie présente ses deux premières demandes reconventionnelles, qui
sont connexes quoique distinctes. La première est fondée sur le manquement du Nicaragua, au
détriment de la Colombie et de la communauté internationale dans son ensemble, à son
obligation de préserver et de protéger l’environnement marin du sud-ouest des Caraïbes ; la
deuxième, sur la violation concomitante, par le Nicaragua, des droits des habitants de
l’archipel, notamment des Raizals. Ces droits, subordonnés à la protection et à la préservation
de l’environnement marin qui fait partie de l’habitat des populations vivant dans l’archipel,
sont donc étroitement liés à la première demande reconventionnelle.
 Le chapitre 9 fait ensuite état de la troisième demande reconventionnelle, fondée sur la
méconnaissance, par le Nicaragua, des droits de pêche traditionnels des habitants de l’archipel
et de la Colombie. Il s’agit, tant en droit que du point de vue des faits, de droits distincts de
ceux relatifs à l’intégrité écologique de leur habitat dont jouissent ces populations.
 Le chapitre 10 expose les fondements factuels et juridiques de la quatrième demande
reconventionnelle de la Colombie, qui concerne le caractère illicite des lignes de base droites
que le Nicaragua a promulguées après l’arrêt de 2012 de la Cour. En effet, alors que le
Nicaragua affirme que la Colombie a violé ses espaces maritimes, il est impossible de
déterminer l’étendue de ces espaces à partir de lignes de base droites tracées d’une manière non
conforme au droit international coutumier.
Le contre-mémoire présente, pour finir, un bref résumé de l’argumentation de la Colombie
(chapitre 11) suivi de ses conclusions et d’une liste d’appendices, d’annexes et de figures.
1.29. Le volume II contient les appendices, figures et autres documents et annexes produits à
l’appui du contre-mémoire.
18
19
20
PREMIÈRE PARTIE
CONTEXTE FACTUEL, HUMAIN ET JURIDIQUE DE L’AFFAIRE
CHAPITRE 2
LES PARTICULARITÉS DE LA MER DES CARAÏBES ET LES SOLUTIONS RÉGLEMENTAIRES
APPORTÉES PAR LA COLOMBIE
A. INTRODUCTION
2.1. Dans le présent chapitre, la Colombie exposera les particularités qui caractérisent le
sud-ouest de la mer des Caraïbes et au regard desquelles il convient d’apprécier les prétentions du
Nicaragua ainsi que ses propres demandes reconventionnelles. Il est essentiel que la Cour
comprenne ces particularités pour apprécier l’importance que revêt cette région pour la Colombie :
elles expliquent en effet la présence de celle-ci dans les eaux pertinentes et les mesures qu’elle a
prises pour s’acquitter de ses obligations juridiques, ainsi que les manquements du Nicaragua à
celles que lui impose le droit international.
2.2. La présente section porte tout d’abord sur les conséquences du fait que le sud-ouest des
Caraïbes est une mer semi-fermée au sens du droit international, après quoi des explications sur le
caractère interdépendant des différents éléments composant la zone sont données. Plusieurs aspects
des particularités de la zone sont examinés dans les trois sections suivantes. La section B est axée
sur les caractéristiques distinctives et le caractère interdépendant des différentes composantes de
l’environnement marin ; la section C contient une description des habitants de l’archipel et de leurs
pratiques de pêche traditionnelles; la section D traite de l’importance de la géographie physique et
humaine de l’archipel, notamment des préoccupations que suscitent le trafic de stupéfiants, la
criminalité transnationale et d’autres questions de sécurité.
1. Le sud-ouest des Caraïbes en tant que mer semi-fermée
2.3. La figure 2.1 représente la géographie côtière du sud-ouest des Caraïbes. En partant du
nord dans le sens des aiguilles d’une montre, la mer est bordée successivement par la Jamaïque,
Haïti, la République dominicaine, la Colombie, le Panama, le Costa Rica et le Nicaragua.
21
23
24
- 2 -
Figure 2.1. Le sud-ouest des Caraïbes : une mer semi-fermée
2.4. Dans la région du sud-ouest des Caraïbes sur laquelle la Colombie et le Nicaragua ont
une façade maritime, aucune zone n’est distante de plus de 200 milles marins du territoire terrestre
le plus proche. Par conséquent, le sud-ouest des Caraïbes entre dans la définition classique d’une
mer semi-fermée. L’ensemble des eaux du sud-ouest des Caraïbes relève donc obligatoirement de
la zone économique exclusive des Etats riverains, et cette mer semi-fermée ne comprend aucune
zone de haute mer.
2.5. Les îles de cette mer qui composent l’archipel de San Andrés sont les suivantes :
San Andrés, Providencia, Santa Catalina, les cayes d’Albuquerque et les cayes de l’Est-Sud-Est, de
Quitasueño, de Roncador, de Serrana, de Serranilla et de Bajo Nuevo. La souveraineté sur ces îles
appartient à la Colombie, et les habitants qui y vivent, y compris les Raizals, sont de nationalité
colombienne. La mer est tout entière un ensemble écologique fragile, dont les zones les plus
vulnérables comprennent la réserve de biosphère Seaflower et l’aire marine protégée du même nom
qui se trouvent dans l’espace délimité par les îles colombiennes.
2.6. Le fait que le sud-ouest des Caraïbes soit une mer semi-fermée a des conséquences dans
les domaines juridique mais aussi environnemental et social, ainsi qu’en matière de sécurité16. La
zone est particulièrement sensible aux pratiques de pêche destructrices et déprédatrices qui causent
des dommages aux récifs coralliens sous-jacents et sont incompatibles avec l’obligation
fondamentale qu’impose le droit international coutumier de protéger et de préserver
l’environnement marin.
2.7. La Colombie a montré l’exemple en matière de réglementation, de contrôle et de
répression de telles pratiques en s’acquittant des obligations juridiques que lui impose le droit
international coutumier. Comme nous le verrons plus loin dans le présent chapitre, les instruments
juridiques, dont la convention de Cartagena, et d’autres arrangements visant à protéger et à
préserver l’environnement marin et ses écosystèmes, comme l’établissement de la réserve de
biosphère Seaflower et de l’aire marine protégée du même nom, constituent des éléments essentiels
de la structure normative conçue pour assurer la conservation des ressources biologiques de la
région.
2.8. Le Nicaragua n’a montré à aucun moment qu’il entendait faire de même. Au contraire,
comme il sera démontré au chapitre 8, il a manqué de manière flagrante aux obligations qui lui
incombent de préserver et de protéger l’environnement marin et d’exercer la diligence requise à
l’égard de ses nationaux et des navires titulaires de permis nicaraguayens qui naviguent dans ces
eaux.
2. Le caractère interdépendant des différents éléments composant la zone
2.9. L’archipel de San Andrés - îles, cayes et bancs de sable compris – forme une unité
naturelle, politique et sociale. S’agissant de son environnement, de ses habitants et plus
généralement de son «fonctionnement», l’archipel ne se résume pas à la somme de composantes
indépendantes. Il s’agit au contraire d’une zone dans laquelle chaque élément est lié aux autres de
16 A titre d’exemple, l’article 123 de la CNUDM, qui s’impose au Nicaragua en sa qualité de partie à la
convention, prévoit que les Etats riverains d’une mer fermée ou semi-fermée doivent notamment coordonner la gestion,
la conservation, l’exploration et l’exploitation des ressources biologiques de la mer ainsi que l’exercice de leurs droits et
l’exécution de leurs obligations concernant la protection et la préservation du milieu marin.
25
26
27
- 3 -
manière à constituer une unité englobant un écosystème qui ne peut être géré correctement que s’il
est considéré comme un tout.
2.10. Le fait que les habitants de l’archipel, notamment les Raizals, dépendent fortement de
la pêche traditionnelle et du tourisme lié à la mer pour leurs moyens d’existence est un des aspects
de ce rapport d’interdépendance. Or, les ressources biologiques de la zone sont situées dans un
écosystème extrêmement fragile formé de plusieurs récifs coralliens successifs et d’autres
formations sous-marines. Elles courent un risque réel d’épuisement, voire d’extinction, à cause de
la surpêche, des pratiques de pêche destructrices et de la pollution générée par les navires et
l’activité humaine. Ces pratiques ont des répercussions négatives sur d’autres parties de
l’écosystème et mettent en danger les droits de pêche traditionnels de la population locale et leur
existence même, ainsi que l’environnement d’une biosphère reconnue sur le plan international.
2.11. Parallèlement, la zone qui entoure l’archipel sert de route maritime principale pour des
opérations criminelles transnationales. La Colombie est le seul Etat capable de surveiller et de
réprimer ces activités illicites à partir de ses bases situées sur l’île de San Andrés et de ses
avant-postes installés sur d’autres îles. Elle est aussi le seul Etat à faire preuve d’une véritable
volonté de protéger l’habitat naturel de la population insulaire.
2.12. La combinaison de ces facteurs explique l’importance que la Colombie attache à son
droit d’exercer sa liberté de navigation et de survol dans la zone. C’est seulement en maintenant
cette présence que le pays peut surveiller des activités qui menacent une zone cruciale pour sa
population, pour les Etats côtiers caribéens, et, plus généralement, pour la communauté
internationale. Cela explique également la nécessité des mesures prises par le Gouvernement
colombien à la suite de l’arrêt rendu par la Cour en 2012, notamment le décret présidentiel no 1946
en date du 9 septembre 2013 qui rétablit l’unité fondamentale de l’archipel de San Andrés et crée
une zone contiguë unique formée de la somme des zones contiguës, qui se chevauchent, de ses
composantes insulaires.
B. L’ENVIRONNEMENT MARIN ET LES MESURES DE PROTECTION
PRISES PAR LA COLOMBIE
1. Les caractéristiques distinctives de l’environnement marin
2.13. On reconnaît «[sur le plan écologique] une importance régionale et internationale» aux
eaux de l’archipel de San Andrés, qui constitue l’«une des dix régions du monde les plus riches en
espèces marines mais aussi ... une zone extrêmement menacée»17.
2.14. D’une grande complexité, le système récifal de l’archipel est le plus étendu qui soit
dans le sud-ouest de la mer des Caraïbes et abrite une variété remarquable de coraux et de poissons.
Il est recensé parmi les «hauts lieux de la biodiversité terrestre caribéenne et des récifs coralliens de
l’ouest de la mer des Caraïbes»18. Ses écosystèmes comprennent les récifs-barrières et les récifs
frangeants ainsi que les lagunes, herbiers marins et mangroves côtières de San Andrés, de
Providencia et de Santa Catalina ; les récifs et bancs de sable peu profonds entourant le groupe de
17 UNESCO, Programme sur l’homme et la biosphère  MAB/CORALINA, Evaluation Report Seaflower
Biosphere Reserve Implementation: The First Five Years 2000-2005, M. Howard, juin 2006, p. 8. Accessible en anglais à
l’adresse suivante : http://www.unesco.org/csi/smis/siv/Caribbean/San_actEnvEd_Seaflower2000… (dernière
consultation le 10 novembre 2016).
18 Ibid.
28
29
- 4 -
cayes composé notamment de celles de l’Est-Sud-Est ; la terrasse de récifs d’Albuquerque ; la
grande structure corallienne de Quitasueño, qui mesure près de 60 kilomètres de long par 20 de
large et comprend une paroi récifale de 40 kilomètres et une couverture en corail vivant de
496 kilomètres carrés ; le complexe système récifal de Serrana, long de 37 kilomètres et large de
30, dont une couverture en corail vivant de 75 kilomètres carrés ; la couverture en corail vivant de
Roncador, d’une superficie de 30 kilomètres carrés.
2.15. Cet ensemble forme la base des écosystèmes de l’archipel, caractérisés par un flux
continu de biomasse entre les récifs coralliens et les différents habitats côtiers et marins comme les
plages, herbiers marins et mangroves19.
2.16. Les herbiers marins jouent plusieurs rôles importants. Ils servent en particulier
d’habitat à toute une série d’organismes et sont source de nourriture pour des espèces telles que les
poissons perroquet et chirurgien, le strombe géant (également connu sous le nom de «lambi»20,
l’oursin ainsi que la tortue verte. Ils occupent une place centrale dans la chaîne alimentaire marine,
puisqu’ils sont utilisés comme zones d’alevinage par de nombreuses espèces d’intérêt commercial
(poissons, crustacés et mollusques), tandis que des carnassiers inféodés aux récifs avoisinants
viennent y chercher de quoi se nourrir21.
2.17. Les mangroves remplissent d’importantes fonctions socio-économiques et
environnementales : elles constituent par exemple une source de divers produits forestiers ligneux
ou non, protègent les côtes contre les effets du vent, des vagues et des courants marins, concourent
au maintien de la biodiversité (reptiles, amphibiens et oiseaux) et préservent les récifs coralliens
ainsi que les herbiers marins. Elles fournissent également un habitat, des frayères et des substances
nutritives à un large éventail de poissons et de coquillages, dont nombre d’espèces d’intérêt
commercial, et peuvent générer des revenus en tant qu’attractions écotouristiques22.
2.18. Les récifs sains offrent une nourriture riche et variée : poissons, crustacés, mollusques,
concombres de mer, algues, etc. La pêche est l’une des activités qui illustre le plus directement la
dépendance de l’homme à l’égard des récifs, source vitale de subsistance, de revenus et d’emplois.
La plupart des pêcheries récifales ont une taille réduite et un caractère artisanal, ce qui facilite
l’accès à ce secteur économique des plus attrayant pour les habitants de l’archipel, dont la
population raizale.
2.19. Les récifs coralliens jouent en outre un rôle précieux de prémunition des communautés
côtières contre les effets matériels de l’action des vagues et des tempêtes, d’où une réduction de
l’érosion des côtes et des inondations provoquées par les vagues, qui voient en règle générale leur
intensité atténuée de 75 à 95 %.
19 J. B. R. Agard, A. Cropper, Caribbean Sea Ecosystem Assessment (CARSEA), A contribution to the Millennium
Ecosystem Assessment, document établi par l’équipe d’évaluation de l’écosystème de la mer des Caraïbes, études marines
caribéennes, édition spéciale, 2007, p. 12-21. Accessible en anglais à l’adresse suivante : http://www.icmyl.unam.mx/
pdf/GRAMED/Assessments_Delivery-Item-1/GRAMED_revised/pdf_support%20information/GRAMED_before%2020
12_pdf/Caribbean%20Sea%20Ecosystem%20Assessment_COMPL1.pdf (dernière consultation le 10 novembre 2016).
20 Le nom scientifique du lambi est Lobatus gigas ou Strombus gigas. En espagnol, il est appelé «caracol pala».
21 J. B. R. Agard, A. Cropper, op. cit., p. 13.
22 Ibid., p. 15.
30
31
- 5 -
2.20. De plus, les récifs de coraux favorisent le tourisme, activité phare de l’économie de
l’archipel. De fait, les amateurs de plongée libre ou sous-marine qu’ils attirent, en plus de se faire
conduire sur les lieux et de louer les services de guides, soutiennent un large éventail de secteurs
tels que les boutiques spécialisées, l’hôtellerie, la restauration et les transports. Certains vont
également à la plage, le sable de la grève provenant des récifs voisins. De surcroît, l’environnement
naturel général des récifs coralliens, y compris les oiseaux présents dans les mangroves, profite à
l’éco-tourisme, qui ne cesse de gagner en popularité et en importance économique. Il convient
toutefois de mentionner que, même si le tourisme joue un grand rôle dans la région, la
réglementation colombienne interdit aux visiteurs l’accès à certaines îles de l’archipel en vue de
protéger l’environnement.
2.21. Ces éléments de l’archipel sont liés entre eux par un écosystème complexe. Bien que
celui-ci n’ait guère été étudié à ce jour, les experts relèvent que «[l]es étendues d’eau profonde qui
séparent les sites … sont importantes pour les flux, la connectivité, les bancs de reproducteurs, la
dispersion des larves, la préservation des réseaux trophiques marins, etc.»23.
2. La fragilité de l’écosystème de l’archipel
2.22. Nombre de documents attestent la fragilité de l’écosystème caribéen, menacé entre
autres par la pollution et les dommages d’origine marine dus aux pressions exercées par le transport
maritime et le canotage (immersion de déchets, déversement d’hydrocarbures, rejet des eaux de
lest, dommages matériels causés par l’échouage et le mouillage de navires, etc.), la surpêche ou
autres pratiques déprédatrices, l’introduction d’espèces de poissons exotiques24, l’érosion des
plages et le réchauffement de la mer entraîné par le changement climatique.
2.23. La pêche excessive menace plus de 60 % des récifs de coraux caribéens, dont
l’équilibre écologique est perturbé par l’inobservation des niveaux de durabilité. La prise de
poissons herbivores, qui se nourrissent d’algues, contribue à la prolifération de celles-ci au
détriment des coraux. On observe actuellement dans toute la région un recul de la couverture
corallienne au profit de la couverture algale ; un tiers environ des récifs caribéens sont gravement
menacés par la surpêche et près d’un autre tiers, exposés à un niveau de risque moyen. En outre, on
estime que 15 % des récifs caribéens sont menacés en raison du rejet en mer des eaux usées des
bateaux de croisière, pétroliers et yachts, des fuites ou déversements d’hydrocarbures provoqués
par l’infrastructure pétrolière et des dommages causés par l’échouage et le mouillage de navires25.
2.24. Bien que les Etats côtiers de la mer des Caraïbes aient conscience de cette situation
(qui a notamment donné lieu à la conclusion de la convention de Cartagena), celle-ci est
particulièrement préoccupante pour la Colombie et les habitants de l’archipel. Ces îles abritent en
effet une zone corallienne qui est non seulement l’une des plus étendues de l’Atlantique ouest, mais
est aussi extrêmement complexe et exposée aux menaces mentionnées plus haut. A titre d’exemple,
sur toutes les espèces de poissons recensées dans l’aire marine protégée Seaflower, pas moins de 53
23 Liste des zones protégées en vertu du protocole relatif aux zones et à la vie sauvage spécialement protégées à la
convention pour la protection et la mise en valeur du milieu marin dans la région des Caraïbes, zones et vie sauvage
spécialement protégées, aire marine protégée Seaflower, description du site. Accessible en anglais et en espagnol à
l’adresse suivante : http://www.spaw-palisting.org/area_public/show/id/31/template/C3_2 (dernière consultation le
10 novembre 2016).
24 Le poisson-lion (Pterois) est reconnu comme une espèce exotique susceptible de nuire gravement aux espèces
locales. Il peut notamment réduire de 79 % le recrutement des poissons indigènes.
25 L. Burke, J. Maidens, Reefs at Risk in the Caribbean, Institut des ressources mondiales, 2004, p. 12. Accessible
en anglais à l’adresse suivante : http://pdf.wri.org/reefs_caribbean_full.pdf (dernière consultation le 10 novembre 2016).
32
33
- 6 -
sont inscrites sur la liste rouge des espèces menacées tenue par l’Union internationale pour la
conservation de la nature (UICN)26.
3. Les mesures de protection prises par la Colombie dans la zone
a) Les réponses apportées par la Colombie aux préoccupations liées à l’environnement
2.25. En réponse à ces menaces pour l’équilibre de l’archipel, la Colombie a adopté plusieurs
mesures de protection. Elle a notamment pris des dispositions visant à protéger et à préserver la
zone dans laquelle se trouvent les îles constituant l’archipel qui sont les plus vulnérables à ces
risques27. Elle a tenté de décourager et de réprimer des pratiques telles que la surpêche, l’utilisation
d’explosifs et de scaphandres autonomes qui causent des dommages à l’environnement des récifs
coralliens et produisent de nombreux déchets, ainsi que l’emploi systématique de filets qui
capturent les ressources biologiques sans tenir compte des espèces ni du risque d’épuisement de
leurs réserves. Elle a également dû s’occuper des bateaux de pêche abandonnés et de la pollution
générée par les navires, et même lancer des missions de recherche et de sauvetage, y compris pour
des navires battant pavillon nicaraguayen qui exerçaient des activités nuisibles28. Cela fait plus de
six décennies que la Colombie s’efforce de contrôler cette situation29.
2.26. Dès 1972, lorsque la Colombie et les Etats-Unis d’Amérique ont signé un traité réglant
leurs différends concernant les îles de Quitasueño, de Roncador et de Serrana, dont les eaux font
partie de cet écosystème, il a été convenu que les navires américains pêchant dans ces eaux seraient
soumis à des mesures de conservation raisonnables appliquées par le Gouvernement colombien30. Il
s’agissait d’un point essentiel puisque les navires de pêche battant pavillon américain étaient à
l’époque les plus nombreux des navires étrangers dans la région. En 1983, la Colombie et les
Etats-Unis d’Amérique ont procédé à un autre échange de notes prévoyant le droit pour la
Colombie de contrôler l’arrivée des navires américains dans les eaux insulaires ainsi que leur
départ et d’exiger d’eux une déclaration sur la quantité et les espèces de chacune des prises
effectuées31.
2.27. La Colombie et les Etats-Unis d’Amérique ont passé d’autres accords en 1987 et
en 1989. Les arrangements de 1987 prévoyaient notamment une interdiction temporaire de la pêche
au lambi dans les eaux de Quitasueño pour éviter l’épuisement des stocks. L’accord de 1989 a
reconduit cette interdiction, en a établi une autre, saisonnière, de trois mois pour la pêche au lambi
26 Ibid., p. 13.
27 Voir, par exemple, Institut colombien pour la réforme agraire, résolution no 206 de 1968 ; Institut national des
ressources naturelles renouvelables et de l’environnement, accord no 028 de 1970 ; Institut national des ressources
naturelles renouvelables et de l’environnement, décision no 23 de 1971 ; loi no 47 de 1993 ; loi no 99 de 1993 ; ministère
de l’environnement, résolution no 1021 de 1995 ; ministère de l’environnement, résolution no 013 de 1996 ; ministère de
l’environnement, résolution no 1426 de 1996 ; Société autonome pour le développement durable de l’archipel de
San Andrés, Providencia et Santa Catalina (CORALINA), résolution no 163 de 1999 ; arrêté départemental no 325 de
2003 ; loi no 915 de 2004 ; ministère de l’environnement, résolution no 876 de 2004 ; ministère de l’environnement,
résolution no 107 de 2005 (annexe 4) ; CORALINA, accord no 021 de 2005 (annexe 5) ; CORALINA, accord no 025 de
2005 (annexe 6) ; ministère de l’environnement, résolution no 0149 de 2006 ; ministère de l’environnement, résolution
no 019 de 2007. Voir également le par. 3.43 ci-dessous.
28 Ces activités sont examinées en détail aux chapitres 4 et 8.
29 Voir, par exemple, Institut colombien pour la réforme agraire, résolution no 206 du 16 décembre
1968 (annexe 2).
30 Différend territorial et maritime (Nicaragua c. Colombie), contre-mémoire de la Colombie, vol. II, annexe 3,
p. 18-20.
31 Ibid., annexe 8.
34
35
- 7 -
autour de Roncador et de Serrana, et a imposé celle de pêcher la langouste blanche32 inférieure à
une certaine taille33.
2.28. En 1990, la Colombie a adopté d’autres réglementations en matière de pêche pour
préserver le milieu marin. Ces réglementations ont permis de reconduire l’interdiction de la pêche
au lambi au large de Quitasueño, de fixer des limites concernant la taille des langoustes blanches
pouvant être pêchées et d’imposer des restrictions concernant certains types d’équipements de
plongée et de filets ainsi que les activités de pêche des navires-usines34. Aucune de ces
réglementations n’a été contestée ; elles ont toutes été mises en place dans le but de protéger et de
préserver le milieu marin.
2.29. En 1994, et à nouveau en 1996, la Colombie et les Etats-Unis d’Amérique ont conclu
d’autres arrangements donnant à la Colombie le droit de monter à bord des navires battant pavillon
américain pour vérifier le respect de ses réglementations et de prendre d’autres mesures de
conservation. Les deux pays ont également convenu de coopérer pour élaborer un plan d’action
visant à évaluer les ressources halieutiques de la zone et les menaces qui pesaient sur celles-ci35.
2.30. Plus au nord, la Colombie a passé avec la Jamaïque une série d’accords réglementant la
pêche artisanale des nationaux et des navires jamaïcains dans les eaux baignant les cayes de
Bajo Nuevo et de Serranilla. Le premier accord de ce type a été signé le 30 juillet 198136. Il a été
complété par un accord additionnel conclu le 30 août 198437, puis par un autre, en date du
12 novembre 1993, établissant notamment une zone de régime commun autour de ces îles38.
2.31. Dans les accords de 1981 et de 1984, la Colombie a conditionné la pêche jamaïcaine au
respect d’une série de réglementations environnementales, lesquelles prévoyaient notamment des
limites quant au nombre et à la taille des navires autorisés à opérer dans les eaux des cayes, aux
espèces qui pouvaient être pêchées et à la prise annuelle autorisée pour chacune d’elles. Ces
réglementations prévoyaient également le type d’engins de pêche qui pouvait être utilisé et
l’obligation de donner certaines informations. Les navires battant pavillon jamaïcain étaient en
outre soumis à toutes les lois et réglementations colombiennes applicables concernant la
conservation des ressources biologiques, la préservation de l’environnement, la pollution,
l’hygiène, la navigation et d’autres domaines similaires.
2.32. Tous ces actes témoignaient de l’intérêt que la Colombie portait à la préservation et à la
protection du milieu marin ainsi qu’à la conservation des ressources biologiques de la zone, de
même que sa détermination à prendre des mesures concrètes à cet effet. Parallèlement, la Colombie
a été l’un des principaux Etats à agir en faveur de la négociation et de la conclusion de la
convention pour la protection et la mise en valeur du milieu marin dans la région des Caraïbes,
aussi appelée «convention de Cartagena», dont elle est le dépositaire. La section suivante porte sur
32 Le nom scientifique de la langouste blanche est Panulirus argus. En espagnol, elle est appelée «Langosta
Espinosa del Caribe».
33 Différend territorial et maritime (Nicaragua c. Colombie), contre-mémoire de la Colombie, vol. II, annexes 11
et 13.
34 Ibid., annexe 151.
35 Ibid., annexes 16, 68 et 150.
36 Ibid., annexe 7.
37 Ibid., annexe 9.
38 Ibid., annexe 14.
36
37
- 8 -
cette convention et l’établissement de la réserve de biosphère Seaflower sous les auspices de
l’UNESCO et de l’aire marine protégée du même nom.
b) Les accords régionaux et leur mise en oeuvre par la Colombie
i) La convention de Cartagena
2.33. La convention de Cartagena a été signée dans la ville éponyme, en Colombie, le
25 mars 1983, et est entrée en vigueur le 11 octobre 1986. A l’époque de sa conclusion, c’était le
seul traité de protection de l’environnement juridiquement contraignant dans les Caraïbes. La
Colombie a signé la convention dès son adoption et l’a ratifiée en 1988. Par contraste, le Nicaragua
a attendu août 2005, soit plus de 22 ans, pour la ratifier.
2.34. Le texte de la convention de Cartagena figure à l’annexe 17. Comme l’indique son
préambule, la convention a été signée à la lumière de la conscience qu’avaient les parties
contractantes de la valeur économique et sociale du milieu marin, du devoir qui leur incombait de
protéger ce milieu et ses écosystèmes, et des caractéristiques hydrographiques et écologiques
spéciales de la région ainsi que de sa vulnérabilité à la pollution et à la détérioration de
l’environnement.
2.35. Les obligations énoncées dans la convention sont notamment fondées sur le principe de
droit international coutumier imposant de préserver et de protéger l’environnement. L’article 4
dispose que les parties contractantes prennent, individuellement ou conjointement,
«toutes mesures appropriées conformes au droit international et aux dispositions de la
présente Convention et de ses protocoles auxquels elles sont parties pour prévenir,
réduire et combattre la pollution de la zone d’application de la Convention et pour
assurer une gestion rationnelle de l’environnement, en mettant en oeuvre à cette fin les
moyens les mieux adaptés dont elles disposent, en fonction de leurs capacités»39.
Le paragraphe 3 de ce même article prévoit que les parties contractantes «coopèrent en vue
d’élaborer et d’adopter des protocoles ou autres accords afin de faciliter l’application effective de la
présente Convention».
2.36. L’article 10, intitulé «zones spécialement protégées» dispose que les «Parties
contractantes prennent, individuellement ou conjointement, toutes les mesures appropriées pour
protéger et préserver … les écosystèmes rares ou fragiles ainsi que l’habitat des espèces en
régression, menacées ou en voie d’extinction». A cet effet, il prévoit que «les Parties contractantes
s’efforcent d’établir des zones protégées», sans porter atteinte aux droits des autres Parties
contractantes ni à ceux des Etats tiers. Compte tenu de la fragilité de l’écosystème qui entoure les
îles colombiennes, la Colombie a établi une aire marine protégée dans le secteur maritime le plus
susceptible de subir une dégradation de l’environnement (point qui sera examiné plus loin).
2.37. Selon l’article 17 de la convention de Cartagena, les parties contractantes peuvent
adopter des protocoles additionnels à la convention conformément au paragraphe 3 de l’article 4.
Trois protocoles à la convention ont été conclus : le protocole de 1983 relatif aux déversements
39 Le paragraphe 3 de l’article 3 de la convention est libellé comme suit : «Aucune disposition de la présente
Convention ou de ses protocoles ne préjuge des revendications ou positions juridiques actuelles ou futures de l’une
quelconque des Parties contractantes en ce qui concerne la nature et l’étendue de la juridiction maritime.»
38
39
- 9 -
d’hydrocarbures, le protocole de 1990 relatif aux zones et à la vie sauvage spécialement protégées,
et le protocole de 1999 relatif aux sources terrestres de pollution marine.
2.38. Aux fins de la présente espèce, c’est le deuxième qui importe, à savoir le protocole
relatif aux zones et à la vie sauvage spécialement protégées à la convention pour la protection et la
mise en valeur du milieu marin dans la région des Caraïbes40. Cet instrument a été adopté en 1990
et est entré en vigueur en 2000. La Colombie y a adhéré en janvier 1998. Le Nicaragua ne l’a ni
signé ni ratifié, à la différence de nombreux autres Etats aussi bien dans la région qu’à l’extérieur41.
2.39. Le préambule du deuxième protocole reconnaît les caractéristiques hydrographiques,
biologiques et écologiques particulières à la région des Caraïbes. Il y est également fait référence à
la menace grave constituée par des choix mal conçus en matière de développement pour l’intégrité
du milieu marin et côtier de la région des Caraïbes et à l’immense valeur écologique, économique,
esthétique, scientifique, culturelle, nutritionnelle et récréative des écosystèmes rares et fragiles. Il y
est aussi relevé que la protection et la conservation du milieu marin de la région des Caraïbes sont
essentielles à un développement durable dans la région.
2.40. L’article 4 du protocole fait obligation aux parties de «crée[r], selon les besoins, des
zones protégées … dans le but de préserver les ressources naturelles de la région des Caraïbes et
d’encourager une approche écologiquement saine et appropriée pour l’utilisation, la connaissance
et la jouissance de ces zones, conformément à leurs caractéristiques particulières».
2.41. Conformément à l’article 5, les parties sont tenues, en conformité avec leur législation
et réglementation nationales et le droit international, de prendre progressivement les mesures
nécessaires et pratiques pour atteindre les objectifs pour lesquels ont été créées les zones protégées.
Une série de mesures à adopter selon les besoins est ensuite énumérée.
2.42. Le paragraphe 3 de l’article 7 énonce des procédures pour la création de cette liste de
zones protégées. Les Etats peuvent proposer de telles zones, auquel cas ils doivent fournir la
documentation nécessaire s’y rapportant au Comité scientifique et technique qui étudie la
proposition et indique au Programme des Nations Unies pour l’environnement (ci-après le
«PNUE»), qui est l’«Organisation» désignée à l’article 15 de la convention de Cartagena pour
exercer cette fonction, si elle est conforme aux lignes directrices et critères prévus à l’article 21 du
protocole. Si ces lignes directrices et critères ont été respectés, l’Organisation en informera les
parties contractantes qui inscriront la zone proposée sur la liste des zones protégées.
2.43. Comme nous le verrons, l’établissement et la réglementation d’une aire marine
protégée était cruciale pour la Colombie, non seulement pour protéger et préserver l’écosystème
des eaux de l’archipel, mais également pour tenir compte des droits et intérêts traditionnels de la
population autochtone raizale, laquelle vit sur les îles et dépend de la pérennité des ressources
biologiques des eaux qui ont toujours fait partie de son habitat naturel et traditionnel.
40 Annexe 18 : protocole relatif aux zones et à la vie sauvage spécialement protégées à la convention pour la
protection et la mise en valeur du milieu marin dans la région des Caraïbes, adopté à Kingston, Jamaïque, le
18 janvier 1990.
41 Les Etats suivants ont signé et ratifié le protocole relatif aux zones et à la vie sauvage spécialement protégées :
les Bahamas, la Barbade, le Belize, la Colombie, Cuba, les Etats-Unis d’Amérique, la France, la Grenade, le Guyana, le
Panama, les Pays-Bas, la République dominicaine, Sainte-Lucie, Saint-Vincent-et-les Grenadines, la Trinité-et-Tobago et
le Venezuela.
40
41
42
- 10 -
ii) La réserve de biosphère Seaflower
2.44. Dans les années 1970, l’UNESCO a lancé son Programme sur l’homme et la biosphère
(MAB) pour permettre aux Etats de désigner des réserves de biosphère dans le but de concilier
durablement les objectifs consistant à préserver la biodiversité, promouvoir le développement
économique et perpétuer les valeurs culturelles connexes. Les réserves de biosphère sont des aires
abritant des écosystèmes terrestres et côtiers/marins reconnus au niveau international dans le cadre
du programme MAB de l’UNESCO42. Comme l’ont précisé les auteurs de la stratégie de Séville
consacrée à ce projet dans leur évaluation du programme réalisée en 1995,
«[l]es réserves de biosphère sont destinées à remplir trois fonctions complémentaires :
une fonction de conservation, pour préserver les ressources génétiques, les espèces, les
écosystèmes et les paysages ; une fonction de développement, pour promouvoir un
développement économique et humain durable ; et une fonction d’appui logistique,
pour soutenir les projets de démonstration, l’éducation et la formation dans le domaine
de l’environnement, ainsi que la recherche et la surveillance concernant des questions
locales, nationales et mondiales liées à la conservation et au développement
durable»43.
L’initiative vise également à promouvoir les réserves de biosphère «comme moyen de mettre en
oeuvre les objectifs de la Convention sur la diversité biologique»44.
2.45. La procédure de désignation d’une réserve de biosphère au titre du programme MAB
est énoncée à l’article 5 du cadre statutaire du réseau mondial de réserves de biosphère45. Les Etats
envoient au secrétariat leurs propositions en ce sens, étayées par la documentation nécessaire, en
tenant compte des critères définis à l’article 4 du cadre statutaire, auxquels toute réserve doit
satisfaire. Une fois le contenu du dossier vérifié par le secrétariat, la proposition de désignation est
examinée par le comité consultatif sur les réserves de biosphère pour recommandation au Conseil
international de coordination (CIC) du programme MAB.
2.46. Le comité consultatif est le principal organe scientifique et technique conseillant le CIC
et le directeur général de l’UNESCO sur les questions relatives au réseau mondial de réserves de
biosphère. Organe directeur principal du MAB, le CIC est composé de 34 Etats membres élus par
la Conférence générale biennale de l’UNESCO. Aux termes de l’alinéa d) du paragraphe 1 de
l’article 5 du cadre statutaire, il prend une décision sur la désignation.
2.47. Consciente de la nécessité de protéger et de préserver l’écosystème des fonds marins
ainsi que des eaux de l’archipel et de promouvoir les principes du développement durable auprès de
la population locale, la Colombie a proposé le 25 septembre 2000 la désignation de la réserve de
biosphère Seaflower au titre du programme MAB de l’UNESCO. Cette réserve couvrait certaines
parties de sa zone économique exclusive, sur lesquelles elle exerçait alors son contrôle,
conformément à son obligation internationale de protéger l’environnement marin. Après avoir
42 Réserves de biosphère : la stratégie de Séville et le cadre statutaire du réseau mondial, entérinés à la
treizième session du Conseil international de coordination (CIC) du Programme sur l’homme et la biosphère (MAB),
Séville, 12-16 juin 1995. Accessibles à l’adresse suivante : https://www.mab-france.org/workspace/uploads/intranet/
documents/strate-gie-de-se-ville.pdf (dernière consultation le 10 novembre 2016).
43 Réserves de biosphère : la stratégie de Séville et le cadre statutaire du réseau mondial, op. cit., p. 4.
44 Ibid., grand objectif I, objectif I.1, première recommandation au niveau international.
45 Cadre statutaire du réseau mondial de réserves de biosphères, art. 5. Accessible à l’adresse suivante :
https://www.mab-france.org/workspace/uploads/intranet/documents/strate-… (dernière consultation le
10 novembre 2016).
43
44
- 11 -
dûment examiné la proposition de la Colombie, le CIC a approuvé son dossier et officiellement
désigné la réserve de biosphère Seaflower pour inclusion dans le réseau mondial de réserves de
biosphère en 200046.
2.48. La réserve de biosphère Seaflower a été créée conformément au droit international
coutumier, qui impose à tous les Etats de préserver et de protéger l’environnement. La manière
dont les objectifs correspondants ont été définis tient compte de l’intégrité de la zone couverte. Ces
objectifs doivent permettre de parvenir à un équilibre durable entre le maintien de la biodiversité, le
développement économique et la préservation culturelle. A cet effet, la réserve de biosphère a trois
fonctions complémentaires à remplir : une fonction de conservation (préserver les ressources
génétiques, les espèces, les écosystèmes et les paysages) ; une fonction de développement
(promouvoir un développement économique et humain durable) ; une fonction d’appui logistique
(soutenir les projets de démonstration, l’éducation et la formation dans le domaine de
l’environnement, ainsi que la recherche et la surveillance concernant des questions locales,
nationales et mondiales liées à la conservation et au développement durable)47.
2.49. La zone couverte par la réserve de biosphère Seaflower est représentée à la figure 2.2.
Comme indiqué à la rubrique «Description générale» du programme MAB la concernant, cette
réserve abrite des zones de mangroves côtières et des «écosystèmes de récifs coralliens connexes,
en grande partie intacts et productifs, [qui constituent des] sites essentiels par leur diversité de
coraux et de poissons»48. L’autorité administrative responsable de la réserve Seaflower en
Colombie est la Société pour le développement durable de l’archipel de San Andrés, Providencia et
Santa Catalina (CORALINA).
46 UNESCO, Biosphere Reserve Information: Colombia, Seaflower. Accessible en anglais à l’adresse suivante :
http://www.unesco.org/mabdb/br/brdir/directory/biores.asp?mode=all&code… (dernière consultation le
10 novembre 2016).
47 M. W. Howard, Evaluation Report Seaflower Biosphere Reserve Implementation: The First Five Years 2000-
2005, Archipelago Of San Andrés, Old Providence & Santa Catalina, juin 2006, p. 7. Accessible en anglais à l’adresse
suivante : http://www.unesco.org/csi/smis/siv/Caribbean/San_actEnvEd_Seaflower2000… (dernière
consultation le 10 novembre 2016).
48 UNESCO, Biosphere Reserve Information: Colombia, Seaflower. Accessible en anglais à l’adresse suivante :
http://www.unesco.org/mabdb/br/brdir/directory/biores.asp?mode=all&code… (dernière consultation le
10 novembre 2016).
45
- 12 -
Figure 2.2. La réserve de biosphère Seaflower de la Colombie
Légende :
Seaflower Biosphere Reserve = Réserve de biosphère Seaflower
12 M Territorial Sea = Mer territoriale de 12 milles marins
Boundary from the 2012 ICJ Judgment = Frontière fixée dans l’arrêt de 2012 de la CIJ
46
- 13 -
2.50. La CORALINA a joué un rôle majeur dans la gestion de la réserve de biosphère
Seaflower, rôle rendu possible par la législation et l’administration colombiennes49. Pour ce qui est
des préoccupations essentielles concernant l’archipel, son environnement naturel et l’interaction
humaine avec celui-ci, en particulier les activités halieutiques50, les principales instances
dirigeantes au niveau local sont la CORALINA51, le secrétaire à l’agriculture et à la pêche52, le
secrétaire aux services publics et à l’environnement53, le gouvernement du département de
l’archipel de San Andrés et la municipalité de Providencia et Santa Catalina54, ainsi que le conseil
départemental de la pêche et de l’aquaculture55. La CORALINA exerce une compétence tant
terrestre que maritime, ce qui lui permet de suivre une approche intersectorielle en matière de
gestion des ressources marines, comme le préconisent l’initiative White Water to Blue Water, le
Sommet mondial pour le développement durable (SMDD) et l’Initiative internationale pour les
récifs coralliens (ICRI)56.
2.51. La CORALINA est notamment chargée de mener des études sur le climat,
l’océanographie, l’hydrologie, la flore et la faune de la réserve, les aspects socio-économiques et la
surveillance à long terme des écosystèmes marins. Elle a élaboré un programme spécial visant à
sensibiliser le public, à lui faire prendre conscience des problèmes et à susciter l’engagement de la
communauté, afin de s’assurer que la population locale des îles comprenne et fasse siennes la
philosophie et les approches du programme MAB dans les domaines de la culture, de
49 La législation colombienne confère à l’archipel une grande autonomie en matière de gouvernance (Constitution
colombienne, art. 310 et art. transitoire 42 ; décret présidentiel no 2762 de 1991, art. 1 ; loi n° 47 de 1993, art. 1 ; et
loi no 915 de 2004, art. 1) et de gestion de ses ressources naturelles (Constitution colombienne, art. 79, 80, 150-157 et
310 ; loi no 47, art. 5, 23-30 ; loi no 99 de 1993, art. 37 ; loi no 915, art. 24-47).
50 S’agissant de l’interaction de l’homme avec les différentes formations de l’archipel, voir chap. 2, section C,
ci-dessous.
51 La composition du conseil d’administration de la CORALINA est la suivante : a) le ministre de
l’environnement ou son représentant ; b) le gouverneur du département de l’archipel de San Andrés, Providencia et
Santa Catalina, qui en assure la présidence ; c) un représentant du président de la République ; d) le directeur de l’Institut
de recherche marine et côtière (INVEMAR) ; e) un représentant des groupes économiques présents dans l’archipel ; f) un
représentant des groupes de producteurs (artisans, agriculteurs, éleveurs de bétail et pêcheurs) dûment immatriculés dans
l’archipel ; et g) le directeur de la direction générale maritime du ministère de la défense ; h) les membres du conseil pour
la protection des ressources naturelles et environnementales du département de l’archipel de San Andrés, Providencia et
Santa Catalina.
52 Comme son titre l’indique, le secrétaire à l’agriculture et à la pêche est chargé du contrôle et de la surveillance
de toutes les activités agricoles et halieutiques dans l’archipel.
53 Le secrétaire aux services publics et à l’environnement est chargé d’élaborer les activités du système
environnemental du département de l’archipel ainsi que des programmes destinés à en préserver, administrer et utiliser
les ressources naturelles comme il se doit et de manière durable.
54 Le gouvernement du département de l’archipel de San Andrés et la municipalité de Providencia et de
Santa Catalina sont chargés de mettre en oeuvre la politique de pêche du gouvernement national ; de réglementer et de
mettre en oeuvre les activités halieutiques, et de définir périodiquement le nombre maximum de navires, leur type et leur
taille afin d’éviter tout dépassement du rendement autorisé.
55 Le conseil départemental de la pêche et de l’aquaculture se compose de neuf membres : le gouverneur de
l’archipel ; le secrétaire à l’agriculture et à la pêche ; un agent de la direction générale maritime du ministère de la
défense (DIMAR) ; des représentants de la CORALINA, du Service national d’apprentissage (SENA), de la présidence
nationale, des pêcheurs artisanaux de Providencia et de San Andrés, ainsi que des pêcheurs industriels. Il incombe à ces
acteurs de trouver des accords sur le système de règlementation de la pêche et de l’aménagement du territoire, ainsi que
sur la lutte contre les activités illicites en mer telles que le trafic de stupéfiants.
56 Programme des Nations Unies pour l’environnement (PNUE), format annoté pour les rapports de présentation
des zones proposées pour inscription sur la liste SPAW (projet révisé). Quatrième réunion du Comité consultatif
scientifique et technique (STAC) au protocole relatif aux zones et à la vie sauvage spécialement protégées (SPAW) dans
la région des Caraïbes. Le Gosier, Guadeloupe, France, 2-5 juillet 2008. Par. 8, p. 2. Accessible à l’adresse suivante :
http://cep.unep.org/meetings/documents/3bcb4f7bcf53d20c8fed039a00635f53…-
[6spawcop]-fr.pdf (dernière consultation le 10 novembre 2016).
47
48
- 14 -
l’environnement et de l’économie. Comme il est indiqué dans les informations concernant ce
programme,
«[p]our contribuer à un développement économique et humain durable, la réserve de
biosphère promouvra le tourisme écologique et ethnoculturel et renforcera
l’agriculture de subsistance, l’élevage de petits animaux et la pêche artisanale,
activités traditionnelles autochtones qui favorisent l’autosuffisance»57.
2.52. La zone couverte par la réserve de biosphère Seaflower est riche en ressources
biologiques qu’il est impératif de protéger et de préserver. Comptent au nombre de ces ressources
quelque 400 espèces de poissons, 170 de macroalgues, 99 de coraux durs et mous, 66 d’invertébrés,
dont des langoustes et autres crustacés, et quatre des sept espèces mondiales de tortues marines58.
En créant cette réserve, la Colombie a contribué à la pérennité de ses ressources vivantes et appelé
l’attention sur l’importance que revêt la protection de l’environnement marin de la région.
iii) L’aire marine protégée Seaflower
2.53. Soucieuse en particulier de répondre aux craintes exprimées par la population locale
raizale au sujet de la protection de l’environnement archipélagique, de la surpêche et de la
préservation de ses zones et ressources halieutiques traditionnelles, la Colombie a lancé en
juin 2000 un projet appelé «Réserve de biosphère de l’archipel caribéen : système régional d’aires
marines protégées», qui est mis en oeuvre par la CORALINA. Ce projet s’appuyait sur une
initiative de 1998, parrainée par l’université écossaise Heriot-Watt et financée par l’Union
européenne, visant à faire face aux problèmes environnementaux dans l’archipel.
2.54. Le 27 janvier 2005, la Colombie a poursuivi le processus en créant l’aire marine
protégée Seaflower (ci-après l’«AMP Seaflower»), représentée sur la figure 2.3. S’inscrivant dans
la réserve de biosphère du même nom, qui est plus étendue, cette aire couvre des zones maritimes
situées à proximité des îles de San Andrés, de Providencia, de Santa Catalina, de Quitasueño, de
Serrana et de Roncador, ainsi que des cayes d’Albuquerque et des cayes de l’Est-Sud-Est, dont les
écosystèmes sont réputés être exposés à des risques particulièrement élevés. Ainsi qu’il était noté
dans la proposition d’inscription de nouvelles zones à la liste d’aires marines protégées prévue par
le protocole SPAW,
«[l]’AMP a été créée en réponse aux appels de la communauté insulaire  tributaire
depuis des siècles des ressources marines pour sa subsistance , qui réclamait
instamment que la biodiversité marine soit mieux préservée et gérée afin d’en
promouvoir une utilisation durable»59.
57 UNESCO, Biosphere Reserve Information: Colombia, Seaflower. Accessible en anglais à l’adresse suivante :
http://www.unesco.org/mabdb/br/brdir/directory/biores.asp?mode=all&code… (dernière consultation le
10 novembre 2016).
58 Vue d’ensemble de la réserve de biosphère Seaflower. Accessible en anglais à l’adresse suivante :
http://www.caribbeancolombia.com/content/reserva-de-biosfera-seaflower-… // http://www.caribbean
colombia.com/content/reserva-de-biosfera-seaflower-san-andrés-providencia-y-santa-catalina-colombia/asaE3ABFDDF
B2B93D4B9 (dernière consultation le 10 novembre 2016).
59 Annexe 89 : zones proposées pour inscription sur la liste SPAW, format annoté pour le rapport de présentation
de l’aire marine protégée Seaflower, Colombie, 5 octobre 2010, p. 5.
49
50
- 15 -
Figure 2.3. L’aire marine protégée Seaflower de la Colombie
Légende :
Seaflower Biosphere Reserve = Réserve de biosphère Seaflower
12 M Territorial Sea = Mer territoriale de 12 milles marins
Boundary from the 2012 ICJ Judgment = Frontière fixée dans l’arrêt de 2012 de la CIJ
Seaflower Marine Protected Area = Aire marine protégée Seaflower
2.55. L’aire marine protégée Seaflower était destinée à mettre en oeuvre, dans une région
caractérisée par la présence d’importants écosystèmes marins et coralliens, certains objectifs en
matière de biosphère, conformément aux principes du droit international coutumier régissant la
conservation et la protection de l’environnement. Elle vise à préserver, à restaurer et à pérenniser
les espèces, la biodiversité ainsi que les écosystèmes et autres richesses naturelles comme les
habitats spéciaux, à promouvoir les pratiques de bonne gestion en vue d’assurer une utilisation
durable des ressources côtières et marines, à répartir équitablement les avantages économiques et
sociaux pour renforcer le développement local, à protéger les droits relatifs à l’usage historique et à
51
52
- 16 -
éduquer le public afin d’encourager la bonne intendance et la participation de la communauté à la
gestion60. A ce titre, l’AMP suit une approche intégrée qui repose sur des considérations tant
sociales que biologiques et écologiques.
2.56. L’aire marine protégée Seaflower couvre quelque 2000 kilomètres carrés de récifs
coralliens qui, selon la fiche de synthèse du centre d’activités régional CAR-SPAW du PNUE,
«comptent parmi les écosystèmes coralliens les plus ... productifs et variés de la région», ainsi que
des atolls, mangroves et herbiers marins61. Une description détaillée du site figure dans la
proposition tendant à le faire inscrire sur la liste du protocole SPAW, soumise par la Colombie le
5 octobre 2010 et jointe en tant qu’annexe 8962.
2.57. La proposition relative à l’AMP Seaflower s’accompagnait d’un plan de gestion
intégrée, tous deux ayant été élaborés en collaboration avec les parties prenantes locales,
notamment celles vivant des ressources marines de la région, auxquelles est revenue la décision
finale63. L’initiative a donc reposé sur un processus hautement participatif ayant du reste associé
étroitement les Raizals, dont les valeurs culturelles traditionnelles dépendent fortement des
ressources côtières et marines. Le plan de gestion de l’AMP visait notamment à :
 protéger et préserver les espèces et habitats ;
 restaurer certaines espèces ;
 fixer des limites en matière de taille et de prises ;
 créer, en tant que de besoin, des zones interdites d’accès ou de pêche ;
 réduire au minimum les conséquences socio-économiques ;
 définir des mesures de bonne gestion afin de permettre une utilisation durable et la poursuite de
la pêche historique, notamment par l’élaboration de programmes d’éducation à l’intention de la
population locale.
2.58. Ainsi qu’il a été noté plus haut, la Colombie a soumis en octobre 2010 une proposition
tendant à faire inscrire l’aire marine protégée au titre du protocole SPAW. Le PNUE, agissant dans
l’exercice des fonctions de secrétariat que lui confère cet instrument, a procédé à une évaluation
standard avec examen externe. La proposition a ensuite été communiquée pour décision au Comité
consultatif scientifique et technique du SPAW et, étant donné qu’elle satisfaisait clairement aux
critères fixés en la matière, l’aire marine protégée Seaflower a été inscrite le 23 octobre 2012 sur la
liste prévue par le protocole.
2.59. A l’instar de la réserve de biosphère éponyme, l’aire marine protégée Seaflower est
gérée et administrée par la CORALINA, dont les travaux lui ont valu les éloges du Fonds pour
l’environnement mondial (FEM) de la Banque mondiale. Comme celui-ci l’a fait observer en 2010
60 Annexe 89 : p. 26.
61 Annexe 94 : Seaflower Marine Protected Area  a SPAW Listed Site: Factsheet (undated).
62 Annexe 89.
63 Annexe 89.
53
54
- 17 -
lors de la soumission de la proposition d’inscription du site sur la liste SPAW des aires marines
protégées,
«[l]e processus dirigé par la CORALINA, qui a débouché sur la déclaration de l’AMP,
était exceptionnel. Selon Mme Cheri Recchia, présidente du conseil consultatif
international Seaflower, «la CORALINA a donné avec ce projet un exemple de
meilleure pratique internationale en matière de création d’AMP. Elle a mené un
processus réellement participatif, rassemblant et employant les meilleures
informations disponibles dans les domaines biologique et socio-économique, qu’elle a
associées aux éléments fournis par les parties prenantes, afin de définir tous les aspects
de l’AMP Seaflower : objectifs, frontières extérieures, type et disposition des zones, et
règlementation. La conception de l’AMP en tant que telle est avant-gardiste, en ce
qu’elle englobe les îles et suit une logique de zones pour trouver un équilibre entre un
large éventail d’activités humaines et la nécessité impérieuse de protéger
l’environnement, notamment par l’instauration mûrement réfléchie d’une série de
zones «interdites de pêche», essentielles à la régénération du système récifal et à la
restauration de sa productivité. Avec de telles fondations, l’AMP Seaflower ne devrait
pas manquer d’apporter des avantages de taille tant à la Colombie qu’à la région des
Caraïbes dans son ensemble.»64
2.60. En résumé, la Colombie prend à coeur les responsabilités environnementales que lui
impose le droit international coutumier. Elle a joué un rôle de premier plan dans l’élaboration et la
mise en oeuvre d’un régime géographique, juridique et environnemental complexe et
multidimensionnel dans le sud-ouest des Caraïbes, régime qui comprend des programmes de
protection et de préservation de l’environnement marin dans les eaux baignant l’archipel de
San Andrés. Il convient de noter que, compte tenu du caractère interconnecté de l’écosystème de
cet archipel, la Colombie a décidé de traiter les questions de développement de manière intégrée
afin d’en assurer la pérennité, un choix largement salué par la communauté internationale.
C. LA DÉPENDANCE DES HABITANTS DE L’ARCHIPEL ET DU GROUPE DES RAIZALS
À L’ÉGARD DE L’ENVIRONNEMENT MARIN ET DE LA PÊCHE ARTISANALE
1. La dépendance à l’égard du sud-ouest de la mer des Caraïbes
2.61. Les habitants de l’archipel ont toujours compté, pour leur subsistance, sur ce que
pouvaient leur offrir les îles qui composent cette entité géopolitique et le sud-ouest de la mer des
Caraïbes. Cela n’a rien de surprenant, l’archipel étant situé au milieu d’une mer semi-fermée,
c’est-à-dire relativement loin des côtes continentales. Ces populations insulaires, traditionnellement
tournées vers la mer, ont toujours dépendu du sud-ouest de la mer des Caraïbes et de ses
ressources, dont ils font commerce avec les communautés établies sur la côte des Mosquitos, au
Costa Rica, au Panama, en Jamaïque, aux Iles Caïmans et sur le territoire continental de la
Colombie.
2.62. Selon les estimations, ce «departamento» colombien, le seul à être dépourvu de
territoire continental, comptait 76 442 habitants en 201565, ce qui en fait l’un des archipels
64 Global Environment Facility: «Persistence and a Clear Vision Mark the Way Forward for the Caribbean’s
Largest Marine Protected Area», 7 juillet 2010. Accessible en anglais à l’adresse suivante : https://www.thegef.org/
news/2010-iyb-persistence-and-clear-vision-mark-way-forward-caribbean%E2%80%99s-largest-marine-protected
(dernière consultation le 10 novembre 2016).
65 Annexe 86 : Département administratif national des statistiques de Colombie (Departamento Administrativo
Nacional de Estadística  DANE), étude post-recensement no 7, estimations démographiques nationales et
départementales 2005-2020, mars 2010, p. 50.
55
56
- 18 -
océaniques les plus densément peuplés au monde. Chacune des îles qui le composent, ainsi que les
eaux qui l’entourent et le relient aux autres, est donc essentielle au fonctionnement
socio-économique de l’archipel dans son ensemble.
2.63. L’agriculture y est actuellement peu développée en raison de la faible quantité de terres
arables. La pêche artisanale, en revanche, demeure une activité fondamentale qui assure la sécurité
alimentaire de l’archipel et permet aux traditions de perdurer au sein de sa population.
2.64. La population insulaire compte notamment la communauté autochtone des Raizals,
descendants des esclaves africains et des premiers colons néerlandais, britanniques et espagnols et
qui, bien qu’issus du mélange de ces différents groupes, ont acquis au cours des siècles une culture
qui leur est propre. Cette communauté ancestrale tient fort justement son nom du mot «raiz», qui
signifie «racines» en créole. Depuis des temps immémoriaux, les Raizals sillonnent les eaux du
sud-ouest des Caraïbes pour pêcher et chasser la tortue. Ils représentent plus d’un tiers de la
population totale de l’archipel et 90 % environ de celle des îles de Providencia et de Santa
Catalina66. Leur culture est aisément reconnaissable. Ils parlent créole, anglais et espagnol, et sont
majoritairement de confession protestante, conséquence directe de la présence historique des
puritains britanniques.
2.65. Les Raizals et les autres habitants de l’archipel ont bien conscience de ce que leur
habitat et leurs activités séculaires de pêche dépendent, à long terme, de la préservation de
l’environnement marin et de leur capacité d’accéder aux zones traditionnelles dans lesquelles leurs
ancêtres ont toujours pu librement pêcher et chasser la tortue. Les pêcheurs artisanaux comprennent
qu’il est essentiel de trouver le juste équilibre entre l’exploitation et la préservation des ressources,
pour parvenir à un développement durable. La bonne gestion des ressources marines est un objectif
difficile qui ne peut être atteint qu’en veillant à l’intégrité de l’archipel dans son ensemble. Il
importe donc de déterminer l’équilibre approprié entre la quantité de ressources que l’archipel peut
offrir et celle qui est nécessaire au bien-être économique des pêcheurs, responsabilité qui incombe
aux autorités colombiennes, et notamment à la CORALINA67. Quoiqu’ayant pour effet immédiat
de leur imposer un certain nombre de contraintes, les mesures telles que l’adoption de quotas et
d’interdictions temporaires pour certaines pêches ou, dans d’autres cas, la création de zones
d’interdiction totale de pêche ou d’accès à l’intérieur de l’aire marine protégée Seaflower, visent, à
plus long terme, à aider les pêcheurs.
2.66. La création de la réserve de biosphère Seaflower et de l’aire marine protégée du même
nom montre que la Colombie a à coeur de protéger l’habitat des populations de l’archipel. Le pays
est en outre déterminé à satisfaire aux obligations juridiques qui lui incombent, au regard du droit
international coutumier, d’assurer la protection de l’environnement marin de ces populations, et
tout particulièrement des Raizals, la communauté autochtone de l’archipel. Selon l’interprétation
qu’en fait la Cour interaméricaine des droits de l’homme, la convention américaine relative aux
droits de l’homme (à laquelle la Colombie et le Nicaragua sont parties) oblige, de fait, les Etats
parties à «prendre des mesures actives et concrètes en vue d’assurer le respect du droit à une vie
décente, en particulier à l’égard des populations vulnérables et menacées qu’il est urgent de
66 Annexe 87 : Département administratif national des statistiques de Colombie (Departamento Administrativo
Nacional de Estadística  DANE), bulletin relatif au recensement général 2005  profil du département de l’archipel
de San Andrés, 13 septembre 2010, p. 2 ; annexe 88 : Département administratif national des statistiques de Colombie
(Departamento Administrativo Nacional de Estadística  DANE), bulletin relatif au recensement général 2005  profil
des îles de Providencia et de Santa Catalina, 14 septembre 2010, p. 2.
67 Pour des éléments supplémentaires sur le rôle et les objectifs de la CORALINA, voir plus haut, par. 2.49 et
suiv.
57
58
- 19 -
protéger»68, et notamment des groupes que le droit international qualifie de peuples autochtones, et
à veiller à ce que les communautés autochtones et tribales «puissent conserver leurs modes de vie
traditionnels, et que leurs spécificités, qu’il s’agisse d’identité culturelle, d’organisation sociale, de
système économique ou de coutumes, croyances et traditions, soient respectées, garanties et
protégées»69. Ce point est également examiné au chapitre 370.
2. La pratique de longue date des activités artisanales de pêche
et de chasse à la tortue
2.67. Si la pêche artisanale pratiquée dans l’archipel a évolué depuis le début du
XVIIe siècle, les insulaires sont restés les marins rompus à l’art de la navigation, de la pêche et de
la chasse à la tortue qu’ils ont toujours été.
2.68. Dans la présente section, qui porte sur ces pratiques anciennes dans l’archipel, la
Colombie commencera par définir la notion de pêche artisanale (paragraphe a)), avant de retracer
l’histoire de la pêche et de la chasse à la tortue dans l’archipel, en montrant que ces activités étaient
exercées dans tous les lieux de pêche traditionnels du sud-ouest des Caraïbes et comment les
bateaux et pratiques de pêche ont évolué au cours des années (paragraphe b)). Point important,
l’exercice immémorial de ces activités démontre que, dans la pratique, le tracé de frontières
maritimes n’a pas eu d’incidence sur l’ampleur de la pêche pratiquée par les peuples autochtones
(paragraphe c)).
a) La pêche artisanale par opposition à la pêche de subsistance et à la pêche industrielle
2.69. La pêche artisanale consiste généralement en une activité traditionnelle et de faible
ampleur exercée par des individus à des fins de subsistance ou, collectivement, par la communauté
locale. La pêche de subsistance, pratiquée par de nombreux habitants de l’archipel, vise, pour
l’essentiel, la consommation personnelle. Bien qu’elle soit elle aussi destinée, dans une large
mesure, à assurer la subsistance, la pêche artisanale ne concerne pas uniquement les eaux entourant
les îles de San Andrés, de Providencia et de Santa Catalina ; historiquement, elle a également été
pratiquée dans des zones plus éloignées des côtes, en eaux peu profondes ou en eaux profondes,
selon les espèces recherchées.
2.70. Outre qu’elle revêt une importance particulière pour les pêcheurs qui en dépendent
pour assurer la prospérité économique de leurs familles, la pêche artisanale contribue, de façon plus
générale, à la sécurité alimentaire de la population de l’archipel71. En effet, les pêcheurs se
regroupent souvent en coopératives qui imposent des obligations spécifiques allant dans le sens de
leurs intérêts propres comme de ceux de la communauté de l’archipel dans son ensemble. C’est ce
qu’expose clairement M. Landel Hernando Robinson Archbold, pêcheur et président de la
coopérative «Pêche et agriculture» de Providencia, dans une déclaration dont un extrait est
reproduit ci-dessous.
68 Yakye Axa Indigenous Community v. Paraguay, arrêt du 17 juin 2005 (fond, réparations et frais), CIADH,
série C, no 125, par. 162.
69 Saramaka People v. Suriname, arrêt du 28 novembre 2007 (fond, réparations et frais), CIADH, série C, no 172,
par. 121.
70 Voir chap. 3, sect. C 3) plus loin.
71 Annexe 71 : déclaration sous serment de Jorge De la Cruz De Alba Barker, «La pêche artisanale joue un rôle
social dans l’archipel : elle contribue à la sécurité alimentaire locale, contrairement à la pêche industrielle, qui poursuit
des intérêts purement économiques» ; annexe 62 : déclaration sous serment de Landel Hernando Robinson Archbold ;
annexe 65 : déclaration sous serment de Ligorio Luis Archbold Howard.
59
60
- 20 -
«La pêche de subsistance, c’est tout simplement se promener sur la plage avec
une canne à pêche, prendre un poisson et le rapporter chez soi. La pêche artisanale,
c’est vendre les produits à la communauté, pour assurer sa propre sécurité
économique. Cette dimension commerciale n’existe pas dans la pêche de subsistance,
dont le seul but est la survie. Dans la coopérative, notre politique est de vendre le
produit de la pêche en priorité à la communauté, seul le surplus pouvant être vendu à
l’extérieur. S’ils n’en ont pas l’obligation, les pêcheurs ont néanmoins intérêt à
adhérer aux coopératives parce que celles-ci peuvent, en contrepartie du paiement des
cotisations, les aider dans leurs projets. Par exemple, un pêcheur ne possédant pas de
bateau peut utiliser celui de la coopérative. Mais lorsqu’elle constitue un équipage en
vue d’une expédition particulière, la coopérative donne systématiquement la priorité à
ses membres, et s’il n’y a plus de place, les autres doivent attendre.»72
2.71. Il convient aussi de distinguer la pêche artisanale de la pêche industrielle. Les deux ont
une connotation commerciale, mais leurs échelles de production respectives sont très différentes.
Ainsi, un pêcheur artisanal pêche à la ligne avec cinq à dix hameçons, là où un navire industriel
peut utiliser une palangre portant un millier d’hameçons qui capture indifféremment toutes sortes
d’espèces. C’est ce qui ressort de la déclaration de M. Ligorio Luis Archbold Howard, autre
membre de la coopérative «Pêche et agriculture».
«Pour moi, la pêche artisanale est un art ; c’est ainsi que pêchaient nos ancêtres.
Contrairement aux navires industriels modernes qui sont équipés de longues lignes
garnies de milliers d’hameçons et capturent toutes les espèces sans aucune distinction,
la pêche artisanale consiste à n’utiliser que quatre, cinq ou dix hameçons. C’est la
méthode traditionnelle. La pêche de subsistance est destinée uniquement à l’usage
personnel, celui du foyer, de la famille. Si elle a des fins commerciales, la pêche
artisanale est avant tout nécessaire à notre survie, et je crois savoir que 90 % de la
population de Providencia en est tributaire. Cela est dû à la rareté de l’emploi. Les
gens doivent pêcher pour améliorer leurs conditions de vie. De nombreux pêcheurs
sont aidés par la coopérative qui met ses ressources à leur disposition pour les soutenir
dans leur activité. Certains possèdent leur propre bateau, mais d’autres dépendent des
trois dont la coopérative est propriétaire. En ce moment, le plus gros bateau de pêche
de Providencia est une embarcation de 35 pieds appartenant à la coopérative, et c’est
actuellement le seul de ses bateaux en état de fonctionnement. J’ai un bateau mais je
suis en train de le réparer, c’est pourquoi, à l’heure actuelle, je dépends des autres
pêcheurs ou de la coopérative pour sortir en mer.»73
b) Histoire et évolution de la pêche artisanale dans la région
2.72. L’histoire de la pêche artisanale dans l’archipel atteste que cette activité est pratiquée
dans l’ensemble du sud-ouest de la mer des Caraïbes, entre la côte des Mosquitos et l’archipel, dans
la zone appelée «Cape Bank», ainsi que sur les bancs qui se trouvent autour des îles de Quitasueño,
de Serrana, de Bajo Nuevo, de Serranilla et de Roncador. La figure 2.4 montre les bancs peu
profonds où travaillent traditionnellement les pêcheurs artisanaux de l’archipel des deux côtés de la
frontière établie par la Cour dans son arrêt de 2012.
72 Annexe 72. Voir également annexe 68 : déclaration sous serment d’Orlando Eduardo Francis Powell.
73 Annexe 65. Voir également annexe 64 : déclaration sous serment d’Ornuldo Rodolfo Walters Dawkins ;
annexe 71.
61
62
- 21 -
Page laissée intentionnellement vide
Figure 2.4
- 22 -
2.73. Il ressort de la carte que la zone appelée Luna Verde dans le mémoire du Nicaragua
correspond à la partie de Cape Bank située à l’est du 82e méridien de longitude ouest et au sud du
quinzième parallèle nord74. Alors que, pour le Nicaragua, Luna Verde n’est qu’une fraction d’une
immense zone peu profonde, cette partie spécifique de Cape Bank constitue, pour la Colombie, l’un
des bancs traditionnels les plus grands et les plus importants pour les habitants de l’archipel75. La
figure 2.5 montre à plus grande échelle les bancs peu profonds et les bancs profonds qui
représentent les principales zones de pêche traditionnelles des pêcheurs artisanaux de l’archipel.
74 MN, par. 2.23, figures 2.3 à 2.5.
75 Annexe 68 ; annexe 71 ; annexe 72 : déclaration sous serment d’Antonio Alejandro Sjogreen Pablo.
64
65
Figure 2.5 non reproduite
- 23 -
2.74. Les figures 2.4 et 2.5 montrent que ces bancs se situent entre Providencia et
Quitasueño, entre Quitasueño et Serrana et entre Serrana et Roncador76. Elles montrent également
que, au-delà du triangle décrit dans le mémoire du Nicaragua, il existe d’importants bancs
traditionnels peu profonds et bancs traditionnels profonds dont les écosystèmes sont interconnectés,
comme cela a été expliqué précédemment.
2.75. Par le passé, les activités de pêche traditionnelles avaient souvent lieu à proximité de
San Andrés et de Providencia. Des documents historiques et des déclarations sous serment
montrent toutefois que les habitants de l’archipel naviguaient, pêchaient et chassaient la tortue
également dans les eaux entourant les bancs situés au nord et à l’ouest de Quitasueño, de Serrana,
de Serranilla, de Roncador et de Bajo Nuevo, ainsi que dans l’ensemble de Cape Bank77.
2.76. Dans la seconde moitié du XXe siècle, en raison de la diminution des prises autour de
Providencia et de San Andrés, les pêcheurs artisanaux ont commencé à naviguer beaucoup plus
souvent dans Cape Bank et sur des bancs septentrionaux78. Si de longues expéditions de pêche ont
eu lieu de tout temps, depuis quelques décennies, nombre de pêcheurs artisanaux fréquentent plus
assidûment ces bancs plus éloignés (du moins avant l’arrêt de 2012), car il s’agit des zones les plus
poissonneuses qui assurent la sécurité alimentaire des habitants de l’archipel79.
2.77. Les pratiques des pêcheurs artisanaux ont aussi évolué avec les technologies et les
bateaux dont ils disposaient. Les cat-boats sont probablement les plus emblématiques des
embarcations traditionnelles utilisées et servent d’ailleurs parfois encore aux habitants de
l’archipel80. Introduits au début du XXe siècle par les habitants des Îles Caïmanes, qui menaient, à
l’instar de ceux de l’archipel, des expéditions de chasse à la tortue, ces bateaux témoignent
directement des interactions culturelles positives entre les communautés maritimes du sud-ouest
des Caraïbes81. Sur ces embarcations relativement frêles d’une trentaine de pieds, de petits groupes
de pêcheurs artisanaux se rendaient dans les zones de pêche situées bien au-delà des eaux
immédiatement adjacentes à San Andrés, à Providencia et à Santa Catalina82. Ces bateaux étaient
spécifiquement conçus pour la chasse à la tortue en mer, mais servaient aussi à la pêche et au
commerce83.
2.78. Dans sa déclaration sous serment, M. Wallingford González Steele Borden parle de
l’évolution de la pêche artisanale dans l’archipel.
76 Annexe 62 ; annexe 63 : déclaration sous serment de Wallingford González Steele Borden ; annexe 64 ;
annexe 65 ; annexe 66 : déclaration sous serment de Jonathan Archbold Robinson.
77 Annexe 63 ; annexe 64 ; annexe 66 ; annexe 67 : déclaration sous serment d’Alfredo Rafael Howard Newball ;
annexe 69 : déclaration sous serment de Domingo Sánchez McNabb ; annexe 71.
78 Annexe 65 ; annexe 69.
79 Annexe 71 ; annexe 72.
80 Annexe 69.
81 Annexe 91 : A. I. Márquez-Pérez, «Catboats, lanchs and canoes: Notes towards a history of the relations
between the islands of Providencia, Santa Catalina and the Central American and Insular Caribbean by means of the
construction and use of wooden vessels», Revista Internacional de História Política e Cultura Jurídica, vol. 6, no 3,
septembre-décembre 2014, p. 491 ; annexe 67.
82 Annexe 65.
83 Annexe 63 ; annexe 65.
66
67
- 24 -
«Nous autres pêcheurs artisanaux avons toujours pêché à Roncador, à
Quitasueño, Serrana et dans la zone du 82e méridien, à l’ouest de Providencia. Nous
allions même plus loin, jusqu’à Bobel Cay, près du cap Gracias a Dios. Mais, à cette
époque, les expéditions étaient moins fréquentes, car, dans les années 1960, il y avait
aussi beaucoup de poissons autour de Providencia. Nous partions en expédition vers
les bancs du nord et de l’ouest plusieurs fois par an et y restions un ou deux mois.
Quand il y a eu moins de poissons autour de Providencia, nous avons commencé à
nous rendre plus souvent sur ces bancs. Bien entendu, c’était plus facile lorsque nous
avons eu des moteurs et que nous avons commencé à utiliser des lanchas [petits
bateaux à moteur]. Aller en cat-boat jusqu’aux cayes du Nord demande un effort
physique très important. Les lanchas nous permettent d’atteindre les zones de pêche
plus facilement. Personnellement, j’avais l’habitude d’aller une ou deux fois par mois
à Quitasueño et Serrana. Lors des expéditions plus longues, je dormais même pendant
un mois à Serrana où j’avais construit une cabane avec des palmes de cocotiers. La
durée de notre séjour à Serrana dépendait du type d’embarcations utilisées. Avec un
petit bateau, comme mon lancha, je restais deux ou trois jours. Lorsque nous y allions
avec des bateaux plus gros qui transportaient nos cat-boats, nous restions jusqu’à
quinze jours, voire un mois dans les cayes de Serrana.»84
Comme il est dit à la fin de cet extrait, les pêcheurs artisanaux utilisaient également des goélettes et
des sloops pour amener leurs cat-boats jusqu’aux bancs traditionnels. Ces bateaux servaient parfois
de bases flottantes85. D’autres fois, ils laissaient les pêcheurs sur une île comme Serrana ou
Roncador pendant plusieurs semaines ou mois puis revenaient les chercher et embarquaient les
produits que ceux-ci avaient salés et séchés86. A partir de ces îles et de ces «bateaux-mères», les
pêcheurs naviguaient entre les différentes cayes et à l’ouest, vers Cape Bank et la côte des
Mosquitos.
2.79. La déclaration sous serment de M. Ligorio Luis Archbold Howard porte sur cet aspect
particulier.
«Nous construisions de grands bateaux en bois, de 50 pieds de long, qui
pouvaient transporter 20 marins vers les zones de pêche du nord. C’était grand pour
l’époque, mais cela semble aujourd’hui petit, par rapport aux navires industriels. Ces
bateaux pouvaient transporter 5 à 15 petits cat-boats sur leur pont. Ceux-ci étaient
alors utilisés pour pêcher dans les cayes pendant plusieurs semaines ou mois. Les
pêcheurs se servaient habituellement du grand bateau comme base après leurs
activités. Mais, très souvent, ils construisaient des abris sur les cayes pour se reposer
et traiter (saler) le produit de leur pêche. Une fois plein de poissons, le grand bateau
retournait sur l’île principale pour les vendre à la communauté, tandis que la plupart
des pêcheurs restaient avec leurs cat-boats à leur base provisoire afin de constituer un
84 Annexe 63. Voir aussi annexe 69.
85 Annexe 65.
86 Annexe 65. Les pratiques des pêcheurs d’autres communautés caraïbes étaient similaires, voir par exemple
l’annexe 83, où R. C. Smith rappelle que «les pêcheurs de l’île [Caïmane] de Brac ramassaient également des oeufs
d’oiseaux de mer et du guano, riche en phosphate, en particulier sur la plus grande des cayes de Serrana … Ils campaient
souvent dans de petites cabanes … pendant des semaines, jusqu’à avoir collecté suffisamment de ces produits pour le
marché jamaïcain» (p. 79). Les ouvrages historiques mentionnent également le fait que les îles comme Roncador
servaient de base aux pêcheurs. Un texte connu du milieu du XIXe siècle offre la description suivante : ««El Roncador»
est connu pour les tortues qui y viennent en grand nombre ; en saison, l’île est fréquentée par les chasseurs de tortues de
Old Providence et, parfois, du continent. Entre les palmiers, que j’ai évoqués, ces pêcheurs construisaient des cabanes
rudimentaires avec des piquets, des planches et des palmes qui étaient littéralement entrelacées et arrimées aux arbres
pour qu’elles ne s’envolent pas sous l’effet des vents violents.» S. A. Bard, Waikna  Adventures on the Mosquito
Shore, University of Florida Press (réimpression de l’édition de 1855), 1965, p. 39-40, accessible à l’adresse suivante :
https://archive.org/details/waiknaoradventur00bard (dernière consultation le 10 novembre 2016).
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69
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nouveau stock dans les zones de pêche du nord. Parfois, le grand bateau allait en
Jamaïque pour vendre les produits, puis revenait dans les cayes pour prendre, avec
leur nouveau stock, les pêcheurs qui y étaient restés et rentrer enfin à Providencia et à
San Andrés. De nos jours, il est plus facile de se rendre dans les cayes du nord grâce
aux lanchas qui sont équipées de moteurs hors-bord. Nous pouvons aller plus loin plus
rapidement.»87
2.80. Si la pêche et la chasse à la tortue étaient initialement pratiquées sur des cat-boats, ainsi
que sur d’autres voiliers tels que des goélettes et des sloops, au cours de la seconde moitié du
XXe siècle, les habitants de l’archipel ont adapté la conception de leurs embarcations de manière à
ménager de l’espace pour un moteur hors-bord, puis commencé à se servir de lanchas, c’est-à-dire
de bateaux destinés à être motorisés, pour mener leurs activités de pêche88. Ces navires jouent
parfois le rôle auparavant dévolu aux goélettes et aux sloops. Régulièrement utilisés pour
transporter des bateaux de plus petite taille jusqu’aux bancs de pêche situés dans la partie
septentrionale de l’archipel89, ils le sont aussi parfois pour la navigation et la pêche.
2.81. En résumé, l’histoire démontre que les habitants de l’archipel se sont consacrés à la
pêche artisanale dans tout le sud-ouest de la mer des Caraïbes, même si leurs pratiques ont évolué
avec le temps et les avancées techniques.
2.82. Bien qu’elle soit aujourd’hui interdite en Colombie, la chasse à la tortue a elle aussi
joué un rôle essentiel dans l’histoire de l’archipel. Comme l’ont écrit Mmes Sharika Crawford et
Ana Isabel Márquez-Pérez, la recherche de tortues et leur commerce «ont facilité la création et la
restauration d’une zone de contacts dynamique, caractérisée par de continuels échanges
transnationaux et interculturels entre les habitants autochtones, européens et afro-caribéens»90 dans
le sud-ouest des Caraïbes. La population de l’archipel a chassé la tortue près des rives
septentrionales de Quitasueño, de Serrana, de Roncador, de Serranilla et de Bajo Nuevo, mais aussi
dans les îles du Maïs et les eaux entourant les communautés continentales de Bluefields, de
Tortuguero et de Bocas del Toro, ville fondée par des pêcheurs de l’archipel91. C’est ainsi que, du
XVIIe siècle au XXe siècle, cette activité a conduit les pêcheurs artisanaux de San Andrés, de
Providencia et de Santa Catalina à exploiter les ressources marines dans tout le sud-ouest des
Caraïbes.
2.83. Pratiquée depuis la nuit des temps, la chasse à la tortue l’était déjà par les puritains
anglais venus des Bermudes qui se sont installés à Providencia en 163092. De fait, au milieu du
XVIIIe siècle, elle constituait l’une des principales activités économiques des populations de
pêcheurs établies dans l’archipel et, en particulier, à Providencia93. Les habitants de l’archipel
vivaient de la chasse à la tortue  de la consommation de sa viande et du commerce de sa viande
et de son écaille. Ce négoce a fortement stimulé les échanges économiques et culturels entre les
87 Annexe 65 ; voir aussi l’annexe 66.
88 Annexe 69.
89 Annexe 68 ; annexe 71.
90 Annexe 93 : S. D. Crawford, A. I. Márquez-Pérez, «A Contact Zone: The Turtle Commons of the Western
Caribbean», The International Journal of Maritime History, 2016, p. 64.
91 Annexe 91, p. 495.
92 Annexe 93, p. 73 ; annexe 85 : M. J. Jarvis, In the Eye of All Trade: Bermuda, Bermudians, and the Maritime
Atlantic World, 1680-1783, Chapel Hill, 2010, p. 190, 219.
93 Annexe 93, p. 74.
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communautés de pêcheurs du sud-ouest des Caraïbes, qui suivaient en mer les déplacements
migratoires circulaires de ces reptiles marins94.
2.84. Vers le milieu du XIXe siècle, des Caïmanais afro-caribéens chasseurs de tortues qui
venaient d’être affranchis se sont établis à leur tour dans l’archipel, qu’ils avaient été amenés à
reconnaître au cours de leurs expéditions sur les bancs de pêche de Quitasueño, de Serrana et de
Roncador95. En 1835, le capitaine britannique Beaufort, qui procédait à un levé de la côte orientale
de l’Amérique centrale, a par ailleurs souligné que les plus jeunes des 342 habitants de Providencia
se livraient six mois sur douze à des activités de chasse à la tortue au moyen de «trois navires
jaugeant de dix à quinze tonneaux» avec lesquels «ils sillonn[aient] fort aisément, compte tenu de
la taille de leurs embarcations, les bancs où ils opér[aient], dont ceux de Serrana, de Serranilla, de
Roncador, etc.»96. Dans le célèbre ouvrage Waikna, Adventures on the Mosquito Shore publié en
1855, Ephraim Squier, diplomate des Etats-Unis d’Amérique, a décrit l’arrivée à Roncador d’une
goélette de chasse à la tortue ayant à son bord des pêcheurs des îles de Providencia ou de
Santa Catalina97. Voilà qui atteste les compétences en navigation généralement reconnues aux
habitants de l’archipel, Roncador se trouvant à quelque 75 milles marins de Providencia.
2.85. Au cours de la seconde moitié du XIXe siècle et de la première moitié du XXe siècle,
les incursions effectuées sur les bancs septentrionaux de Quitasueño, de Serrana, de Roncador, de
Serranilla et de Bajo Nuevo dans le cadre d’expéditions britanniques et américaines non autorisées
de chasse à la tortue ont mis en péril les intérêts des communautés de pêcheurs, tributaires des
reptiles marins pour leur subsistance. Dans une lettre en date du 26 septembre 1871, le préfet du
territoire national de San Andrés et San Luis de Providencia a porté à la connaissance du secrétaire
américain aux finances et au développement que, dans les eaux de Quitasueño et de Roncador,
certains ressortissants des Etats-Unis d’Amérique se livraient à la pêche aux «tortues» et
extrayaient le «guano» sans les autorisations requises, soulignant que ces activités constituaient «un
abus hautement préjudiciable aux intérêts du territoire»98. Par une note diplomatique en date du
25 mars 1914, le ministre de la Colombie à Londres a insisté sur le fait que le «Gouvernement
colombien re[cevait] de manière constante des plaintes des autorités de San Andrés en ce qui
concern[ait] la pratique illégale par certains sujets de Sa Majesté britannique de la pêche à la tortue
sur ces îles», habitude qui «sembl[ait] avoir augmenté»99.
2.86. En conséquence, même si la chasse à la tortue a aujourd’hui perdu de son importance,
l’histoire de cette pratique démontre elle aussi que les pêcheurs artisanaux de l’archipel exploitaient
les ressources marines dans tout le sud-ouest des Caraïbes.
94 Annexe 93, p. 70.
95 Annexe 83 : R. C. Smith, The Maritime Heritage of the Cayman Islands, Gainesville, 2000, p. 77 ; annexe 91,
p. 7.
96 C. F. Collet, «On the Island of Old Providence», Journal of the Royal Geographical Society, vol. 7 (1837),
p. 207-208. Accessible en anglais à l’adresse suivante : https://ia601704.us.archive.org/1/items/jstor-
1797524/1797524.pdf (dernière consultation le 10 novembre 2016).
97 S. A. Bard, Waikna  Adventures on the Mosquito Shore (New York, Harper & Brothers, 1855), p. 36-55.
Accessible en anglais à l’adresse suivante : https://archive.org/details/waiknaoradventur00bard (dernière consultation le
10 novembre 2016).
98 Différend territorial et maritime (Nicaragua c. Colombie), contre-mémoire de la Colombie (vol. II),
annexe [74].
99 Ibid., annexe 37.
73
74
- 27 -
c) Les frontières n’ont eu aucune incidence sur les activités de pêche
2.87. Comme il ressort de ce qui précède, les habitants de l’archipel se sont livrés à la pêche
artisanale et à la chasse à la tortue partout dans le sud-ouest de la mer des Caraïbes. En pratique, les
frontières n’ont eu aucune incidence sur l’étendue des activités des pêcheurs.
2.88. Aux termes du protocole de 1930 au traité Esguerra-Bárcenas de 1928 conclu entre la
Colombie et le Nicaragua, «l’archipel de San Andrés et Providencia, mentionné à l’article premier
du traité susmentionné, ne s’étend pas à l’ouest du quatre-vingt-deuxième degré de longitude
Greenwich»100. Cependant, nombre de pêcheurs artisanaux ont bien précisé que, nonobstant
l’adoption du traité de 1928 et de son protocole de 1930, ils avaient continué de pêcher, souvent
avec leurs parents, grands-parents ou oncles, sur des bancs situés à l’ouest du 82e méridien de
longitude ouest, c’est-à-dire de l’autre côté de ce que la Colombie considérait alors comme sa
frontière maritime avec le Nicaragua. Ces zones de pêche traditionnelles se trouvent à Cape Bank
et notamment à proximité des îles du Maïs101, du cap Gracias a Dios102 et de Bobel Cay103, ou
encore le long de «La Esquina», qui constitue la limite géographique de Cape Bank, située de part
et d’autre du 82e méridien de longitude ouest104.
2.89. Les pêcheurs artisanaux de l’archipel ont donc estimé que l’existence de frontières, ou
de frontières alléguées, n’avait pas, dans la pratique, d’incidence sur l’étendue de leurs activités. Ce
point est bien exposé dans la déclaration sous serment de M. Alfredo Rafael Howard Newball :
«A l’époque, il n’y avait aucune limite ; nous pêchions dans toutes les cayes et
sur tous les bancs. Les pêcheurs de la côte nicaraguayenne s’y rendaient également et
en faisaient autant. Ils allaient et venaient, tout comme nous. C’était le même
territoire ; nous n’avions pas à demander d’autorisation à qui que ce soit, aucune
autorité n’étant exercée à cette période.»105
2.90. En conséquence de l’arrêt de 2012, nombre de bancs de pêche traditionnels des
habitants de l’archipel se trouvent désormais dans les zones maritimes relevant de la juridiction du
Nicaragua, tandis que d’autres demeurent dans celles de la Colombie (tels que les bancs situés à
Quitasueño, à Serrana, à Bajo Nuevo et à Serranilla ou à proximité de ces lieux), mais ne peuvent
être rejoints qu’en traversant des eaux qui font partie de la zone économique exclusive du
Nicaragua.
100 Traité de règlement territorial entre les deux pays, signé à Managua le 24 mars 1928, et protocole d’échange
des ratifications, signé à Managua le 5 mai 1930, Société des Nations, Recueil des traités, vol. 105, p. 337. Pour le texte
de ces instruments, voir Différend territorial et maritime (Nicaragua c. Colombie), exceptions préliminaires (vol. II),
annexe 1 a).
101 Annexe 64 : déclaration sous serment d’Ornuldo Walters.
102 Annexe 69 ; annexe 71.
103 Annexe 65.
104 Annexe 64 ; annexe 65 ; annexe 70 ; annexe 71.
105 Annexe 67. Voir également l’annexe 69 :
«Le différend entre la Colombie et le Nicaragua oppose Bogotá et Managua, et non la population
des îles de San Andrés et Providencia, des îles du Maïs, de Bluefields, de Laguna de Perlas, de
Puerto Limon ou de la Jamaïque. Nous formons tous une seule et même civilisation et avons toujours eu
des échanges culturels et commerciaux. La mer des Caraïbes était unique. Aucune limite ne s’appliquait
aux communautés et nous n’entendions pas en fixer, ce qui a permis des échanges de connaissances et
d’informations ainsi que des échanges culturels et commerciaux entre tous les Caribéens.»
75
- 28 -
2.91. Les bancs de pêche traditionnels présents dans les zones maritimes qui relèvent
désormais du Nicaragua se situent notamment à Cape Bank, de part et d’autre du 82e méridien de
longitude ouest, ainsi qu’entre les deux enclaves que la Cour a créées, à savoir Quitasueño et
Serrana, et la ligne de délimitation longeant le parallèle nord qu’elle a tracée en 2012. Par ailleurs,
plusieurs de ces bancs chevauchent la frontière.
2.92. Les habitants de San Andrés, de Providencia et de Santa Catalina s’inquiètent de ne
plus pouvoir accéder à certains de leurs bancs traditionnels les plus importants qu’en traversant les
zones maritimes attribuées au Nicaragua. Ils en ont bien sûr le droit, mais la solution de continuité
des espaces maritimes de l’archipel dissuade les pêcheurs artisanaux de gagner les zones où
eux-mêmes, ainsi que leurs ancêtres, ont toujours pêché. Compte tenu du comportement des forces
navales nicaraguayennes, leur crainte n’est pas purement hypothétique, ainsi que le démontrera la
Colombie dans ses demandes reconventionnelles106.
D. LA MENACE QUE REPRÉSENTENT LE TRAFIC DE STUPÉFIANTS, LA CRIMINALITÉ
TRANSNATIONALE ET D’AUTRES PROBLÈMES LIÉS À LA SÉCURITÉ
2.93. En raison de sa taille et de sa situation, au carrefour entre l’Amérique du Sud et celle
du Nord, l’archipel se prête à toutes sortes d’activités illégales. La Colombie s’est engagée à le
protéger, ainsi que ses différentes composantes interdépendantes, à la fois dans l’intérêt de sa
population et dans celui de l’intégrité et de la sécurité de la mer des Caraïbes, en tant que bien
commun. Cet aspect sera développé plus avant dans la sous-section 1.
2.94. De nombreux Etats comptent sur la Colombie pour assurer la sécurité dans la région et,
pour illustrer cet état de fait, la sous-section 2 sera consacrée à l’examen de certains des accords
conclus entre la Colombie et d’autres Etats sur les responsabilités en matière d’interception du
trafic de stupéfiants.
1. Présence des forces navales et aériennes de la Colombie aux fins de la sécurité,
de la surveillance de l’environnement et de l’interception du
trafic de stupéfiants
2.95. Le Nicaragua affirme que la présence de forces colombiennes dans l’archipel et à
proximité traduit une attitude hostile107. Rien ne saurait être plus faux. La présence de la Colombie
dans la région a pour objet la protection de l’archipel et, en particulier, de son environnement, dont
la préservation est indispensable pour les habitants, ainsi que la répression des activités illégales,
sans empiéter sur les droits souverains du Nicaragua.
2.96. Malgré une prise de conscience croissante de la nécessité de protéger l’environnement,
les normes à cet effet ne sont malheureusement pas respectées spontanément. Leur application doit
faire l’objet d’un contrôle et, si les circonstances l’exigent, être imposée. Pareilles mesures
coercitives n’entrent pas dans le champ des compétences et de la juridiction de CORALINA et du
secrétaire à l’agriculture et à la pêche. La coopération et l’assistance de la marine colombienne sont
donc requises pour veiller au respect de la réserve de biosphère marine Seaflower et de l’aire
marine protégée du même nom.
106 Voir le chapitre 9 du présent contre-mémoire.
107 MN, p. 33, par. 2.22, 2.26, 2.27 et 2.28, entre autres, et annexe 50.
76
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78
- 29 -
2.97. Il est de notoriété publique que l’archipel de San Andrés est utilisé depuis des
décennies par des narcotrafiquants transnationaux, qui le considèrent comme une porte d’entrée
majeure pour acheminer des substances illégales d’Amérique du Sud vers les marchés d’Amérique
du Nord (voir figure 2.6). De plus, comme mentionné dans un rapport officiel des Etats-Unis daté
de 2016, «[l]es côtes caraïbes du Nicaragua … restent les principales routes empruntées par les
narcotrafiquants internationaux»108. L’Office des Nations Unies contre la drogue et le crime a
dressé le même constat109. La proximité entre les côtes nicaraguayennes et l’archipel rend celui-ci
particulièrement vulnérable, car ses formations diverses offrent de nombreuses caches aux
narcotrafiquants. C’est pourquoi la marine colombienne a été chargée de surveiller l’archipel et ses
alentours et d’y lutter contre la criminalité, notamment transnationale.
108 Bureau of International Narcotics and Law Enforcement Affairs des Etats-Unis d’Amérique, 2016
International Narcotics Control Strategy Report (INCSR), Country Report: Nicaragua, Conclusion. Accessible en anglais
à l’adresse suivante : https://www.state.gov/j/inl/rls/nrcrpt/2016/vol1/253295.htm (dernière consultation le 10 novembre
2016).
109 Comme l’Office des Nations Unies contre la drogue et le crime l’a exposé, «[l]es Caraïbes sont situées à
l’intersection de certaines des grandes routes mondiales du trafic de stupéfiants, soit entre les principaux pays producteurs
de drogue, au Sud, et les principaux marchés de consommateurs, au Nord». Accessible en anglais à l’adresse suivante :
https://www.unodc.org/ropan/en/unodc-regional-programme-2014-2016-in-su….
html (dernière consultation le 10 novembre 2016).
79
- 30 -
80 Page laissée intentionnellement vide
Figure 2.6
- 31 -
2.98. Afin de lutter contre le trafic de stupéfiants, de protéger l’environnement et de veiller à
la sécurité, la Colombie a construit sur différentes formations de l’archipel des infrastructures dont
elle assure également l’entretien (voir figure 2.7). Des détachements d’infanterie de marine sont
chargés de missions relatives à la lutte contre le trafic de stupéfiants, à la protection de
l’environnement et à la sécurité, non seulement sur l’île de San Andrés, où se trouve la principale
garnison navale de l’archipel, mais aussi sur Serrana, Serranilla, Roncador et Bolívar Cay (l’une
des cayes de l’Est-Sud-Est). Sur ces îles, la Colombie a construit des phares et des quartiers et mis
en place d’autres équipements pour les détachements de la marine ; elle a aussi installé, entre
autres, des panneaux solaires, des puits de collecte d’eau et des stations ou antennes de radio à
l’usage des corps d’infanterie de marine et des pêcheurs qui se rendent dans les îles et les cayes.
Figure 2.7. Exemples de la présence de la Colombie sur les îles de l’archipel
Légende :
Serranilla Cay = Caye de Serranilla
Joint regime area (Colombia/Jamaica) = Zone de régime commun (Colombie/Jamaïque)
Serrana Cay = Caye de Serrana
Roncador Cay = Caye de Roncador
Naval base – San Andrés Island = Base navale – île de San Andrés
Bolívar Cay = Bolívar Cay
North Cay = North Cay
Boundary from the 2012 ICJ Judgment = Frontière fixée dans l’arrêt de 2012 de la CIJ
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Marins colombiens basés à Serranilla
Caye de Serranilla
Logement militaire sur la caye de Serrana
Caye de Serrana
Caye de Roncador
Légende :
Light tower = Phare
Communication tower = Tour de communication
Military housing = Logement militaire
- 33 -
North Cay - cayes d’Albuquerque
Légende :
Light tower = Phare
Naval base = Base navale
Bolívar Cay – cayes de l’Est-Sud-Est
Légende :
Heliport = Héliport
Light tower = Phare
Military housing = Logement militaire
2.99. Si importants soient-ils, ces détachements ne peuvent à eux seuls assurer une
surveillance efficace. Les criminels internationaux peuvent passer au large pour éviter d’être
appréhendés, et les pollueurs et les pêcheurs qui recourent à des méthodes de pêche déprédatrices
peuvent se cacher dans des endroits isolés. Une présence navale non négligeable est dès lors
requise pour surveiller et décourager les activités illicites, notamment celles qui nuisent à
l’environnement.
83
- 34 -
2.100. La marine colombienne compte trois forces navales et quatre commandements, dont
le commandement spécial de San Andrés et Providencia. Elle a construit une grande base à
San Andrés, qui joue un rôle essentiel dans la surveillance de l’archipel et la guerre contre le trafic
de stupéfiants110. Cette base se compose du quartier général du commandement spécial (la base
navale no 4) et d’une unité rattachée à la force navale des Caraïbes. A partir de cette base, la marine
effectue régulièrement des missions, y compris aériennes, à des fins de surveillance, de protection
de l’environnement marin, de contrôle de la pêche, de défense contre les actions armées telles que
la piraterie, de lutte contre la contrebande, notamment d’armes, et contre toute autre activité
criminelle, ainsi que de répression de ces actes, dans le cadre de la stratégie contre la criminalité
transnationale111.
2.101. La Colombie est également présente dans la zone pour s’acquitter des obligations qui
lui incombent dans le cadre des coalitions internationales contre les narcotrafiquants, notamment
l’Opération Martillo («marteau» en espagnol), qui associe actuellement 14 pays, dont les
Etats-Unis et six Etats côtiers d’Amérique centrale et des Caraïbes (le Panama, le Costa Rica, le
Nicaragua, le Honduras, le Guatemala et le Belize)112, et vise à couper les routes du trafic de
stupéfiants dans l’Atlantique, les Caraïbes et le Pacifique. Depuis son lancement,
le 15 janvier 2012, l’Opération Martillo a permis la saisie de plus d’un million de livres de cocaïne
et de plus de 100 000 livres de marijuana. Au moins 1348 personnes ont été arrêtées au cours des
différentes phases du programme et, d’après les estimations officielles américaines113, les
organisations de narcotrafiquants ont enregistré une perte de revenus de quelque 8 milliards de
dollars.
2.102. La Colombie joue un rôle prépondérant dans l’Opération Martillo. Ainsi que cela
ressort d’un communiqué de presse conjoint sur le plan d’action des Etats-Unis et de la Colombie
relatif à la coopération en matière de sécurité régionale, en date du 15 avril 2012,
«[l]’Opération Martillo illustre les efforts conjugués des Etats-Unis et de la Colombie
sur le terrain, dans le cadre desquels la force opérationnelle interorganisations Sud des
Etats-Unis et les forces navales et aériennes de la Colombie coordonnent leurs actions
aériennes et maritimes de détection, de surveillance et de répression pour dépister et
110 Décret présidentiel no 487 du 8 mars 1940 établissant la garnison navale sur San Andrés. Base navale ARC
San Andrés, située par 12° 31' 31" de latitude nord et 81° 43' 48" de longitude est. Le quartier général du commandement
spécial de San Andrés et de Providencia (Comando Específico de San Andrés y Providencia, CESYP) se trouve sur l’île
de San Andrés. Le CESYP assume la responsabilité militaire de la région de l’archipel et le commandement opérationnel
des navires de la marine détachés dans cette zone. Il en répond devant la force navale des Caraïbes (Fuerza Naval del
Caribe), à Cartagena, où se trouve la base principale de la marine colombienne.
111 Les opérations menées entre 2009 et 2016 par la marine dans les Caraïbes (dans la région de l’archipel de
San Andrés) ont notamment donné les résultats suivants : saisie de 59 299 kg de chlorhydrate de cocaïne (soit 6662,3 kg
par an en moyenne) ; arrestation, pour trafic de stupéfiants, de 163 personnes (33 par an en moyenne) ; sauvetage de
248 personnes dans le cadre d’opérations de recherches et de sauvetage (31 par an en moyenne) ; saisie de 24 420 gallons
de carburant de contrebande (4070 gallons par an en moyenne) et de 28 713 kg de poissons (4785 kg par an en moyenne)
pêchés par des navires utilisant des méthodes interdites ou ne respectant pas les restrictions en vigueur ou les saisons de
pêche.
112 Quatorze pays y participent : le Belize, le Canada, la Colombie, le Costa Rica, El Salvador, l’Espagne, les
Etats-Unis, la France, le Guatemala, le Honduras, le Nicaragua, le Panama, les Pays-Bas et le Royaume-Uni.
113 Miami Herald, «Drug interdictions result in a loss of about $8 billion in revenue for drug traffickers»
(«L’interception du trafic de stupéfiants entraîne une perte de revenus s’élevant à quelque 8 milliards de dollars pour les
narcotrafiquants»), 4 juillet 2015. Accessible en anglais à l’adresse suivante : http://www.miamiherald.com/news/local/
crime/article26499271.html (dernière consultation le 10 novembre 2016).
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- 35 -
arrêter les groupes criminels transnationaux organisés qui tirent profit de la longue
façade côtière et des régions intérieures peu peuplées de l’Amérique centrale»114.
2.103. Lancé en 2012, ce plan d’action mérite également d’être cité :
«[Il] s’appuie sur l’expertise de la Colombie, expertise reconnue et qui ne cesse
de s’étendre, pour mettre en place des programmes d’assistance en matière de sécurité
ainsi que des actions opérationnelles visant à aider six pays de l’hémisphère touchés
par les effets de la criminalité transnationale organisée, notamment ceux du Triangle
du Nord.
Avec le soutien du Bureau of International Narcotics and Law Enforcement
Affairs du Département d’Etat et du SOUTHCOM [United States Southern Command,
commandement Sud des Etats-Unis], des centaines de missions de renforcement des
capacités ont été effectuées depuis les débuts du plan d’action, en 2013. Nombre
d’entre elles ont été menées par des équipes de formation militaire et des experts de la
Colombie ou organisées dans ses écoles de police et ses écoles militaires.»115
2.104. Il est désormais bien établi que la Colombie joue un rôle central dans la lutte contre le
trafic de stupéfiants, qui requiert la présence de forces navales et un niveau élevé de vigilance dans
l’archipel et aux alentours. Les Etats-Unis l’ont reconnu en 2016 en ces termes :
«La Colombie poursuit ses efforts de lutte contre le trafic de stupéfiants, ce qui
a vraisemblablement empêché l’arrivée aux Etats-Unis et sur d’autres marchés de
centaines de tonnes de substances chaque année et a contribué à stabiliser le pays. Elle
est devenue un partenaire qui exporte à l’international son expertise et sa formation en
matière de sécurité.»116
2.105. Reconnaissant les activités menées par la Colombie dans ce domaine et son efficacité,
un certain nombre d’autres Etats des Caraïbes ou de pays soucieux de sécuriser la région ont conclu
avec elle des accords internationaux sur les responsabilités en matière d’interception du trafic de
stupéfiants.
2. Accords conclus entre la Colombie et d’autres Etats des Caraïbes sur les
responsabilités en matière d’interception du trafic de stupéfiants
2.106. La Colombie, d’autres pays des Caraïbes (le Mexique, la Jamaïque, le Costa Rica, le
Honduras, le Panama, le Guatemala et la République dominicaine) et les Etats-Unis ont encouragé
la conclusion de conventions internationales instaurant une coopération dans la lutte contre le trafic
de stupéfiants par voie maritime, en particulier dans la mer des Caraïbes. Dans cet esprit, la
114 Département d’Etat des Etats-Unis, bureau du porte-parole, Washington, D. C., 15 avril 2012 (accessible en
anglais à l’adresse suivante : https://2009-2017.state.gov/r/pa/prs/ps/2012/04/187928.htm, dernière consultation le
10 novembre 2016).
115 J. Ruiz, Southern Command Public Affairs, «US Joins Northern Triangle Security Dialogue Hosted by
Colombia» (Les Etats-Unis se joignent au dialogue sur la sécurité du Triangle du Nord, organisé par la Colombie)
(accessible en anglais à l’adresse suivante : http://www.southcom.mil/newsroom/Pages/U-S--joins-Northern-Trianglesecu…-
dialogue-hosted-by-Colombia.aspx (dernière consultation le 10 novembre 2016).
116 Bureau of International Narcotics and Law Enforcement Affairs des Etats-Unis d’Amérique, 2016
International Narcotics Control Strategy Report (INCSR), Country Report: Colombia, Conclusion. Accessible en anglais
à l’adresse suivante : https://www.state.gov/j/inl/rls/nrcrpt/2016/vol1/253252.htm (dernière consultation le 10 novembre
2016).
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Colombie a conclu avec des Etats voisins un certain nombre d’accords bilatéraux dits «shiprider»
pour renforcer cette lutte en facilitant les visites et inspections par les autorités compétentes des
navires privés ou commerciaux battant pavillon de l’une des parties. D’après un rapport de 2016 du
Bureau of International Narcotics and Law Enforcement Affairs des Etats-Unis, l’accord conclu
le 1er avril 1997 entre le Gouvernement de la République de Colombie et le Gouvernement des
Etats-Unis d’Amérique pour la répression du trafic illicite par mer «demeure l’un des plus efficaces
dans la région et a permis aux Etats-Unis de saisir plus de 29 tonnes de cocaïne au cours de
l’exercice financier 2015»117.
2.107. A l’échelle internationale, la Colombie est considérée comme un acteur essentiel dans
la mise en oeuvre efficace de mesures de lutte contre la criminalité transnationale dans la région. La
marine colombienne renforce ses capacités et développe ses compétences depuis de nombreuses
années, notamment dans un cadre de coopération internationale, qui va entre autres de sa
participation à la Conférence navale interaméricaine118 à des échanges de personnel naval avec la
marine américaine119. La Colombie exporte aussi son expertise en matière de sécurité maritime vers
d’autres pays. Selon un commentateur, «[elle] … est un «exportateur net de sécurité», dispensant
des formations [à la lutte contre les stupéfiants] à de nombreux pays d’Amérique latine, des
Caraïbes et d’Afrique de l’Ouest. Les forces colombiennes fournissent également des ressources
aériennes et navales à l’effort multinational de répression de la contrebande le long des côtes
pacifiques et atlantiques de l’Amérique centrale»120, satisfaisant ainsi à l’un des objectifs du plan
d’action des Etats-Unis et de la Colombie relatif à la coopération en matière de sécurité régionale,
qui prévoit que les forces de sécurité colombiennes fassent bénéficier les pays d’Amérique centrale
et des Caraïbes de leur savoir-faire dans le domaine de la lutte contre la criminalité transnationale
organisée et le trafic de stupéfiants, avec l’aide des Etats-Unis. Comprenant 39 activités de
renforcement des capacités dans quatre pays en 2013, ce plan d’action s’est développé jusqu’à en
compter plus de 200 dans six pays121. Parallèlement, la Colombie a aussi conclu une série d’accords
de coopération avec des pays voisins, la Jamaïque122, le Costa Rica123, le Mexique124, le
117 Bureau of International Narcotics and Law Enforcement Affairs des Etats-Unis d’Amérique, 2016
International Narcotics Control Strategy Report (INCSR), Country Report: Colombia, Conclusion. Accessible en anglais
à l’adresse suivante : https://www.state.gov/j/inl/rls/nrcrpt/2016/vol1/253252.htm (dernière consultation le 10 novembre
2016).
118 Lancée en 1959 par la marine américaine, la conférence navale favorise l’échange d’idées et de connaissances
ainsi que la compréhension mutuelle des problèmes maritimes qui touchent l’hémisphère. Son principal objectif est
d’encourager l’établissement de contacts professionnels permanents entre les marines du continent (Argentine, Bolivie,
Brésil, Canada, Chili, Colombie, Equateur, Etats-Unis d’Amérique, Guatemala, Honduras, Mexique, Panama, Paraguay
et Uruguay) afin d’y promouvoir la solidarité. A titre d’exemple, elle comprend une conférence spécialisée sur le contrôle
naval de la navigation commerciale, qui, en 2012, s’est tenue à Cartagena (Colombie).
119 Mémorandum d’accord sur l’échange de personnel naval, 30 avril 1985, permettant l’échange de personnel en
vue de développer les échanges de connaissances en matière de doctrine et de services entre les deux institutions.
120 J. Thomas et C. Dougherty, Beyond the Ramparts: The Future of U.S. Special Operations Forces, Center for
Strategic and Budgetary Assessments (CSBA), mai 2013. Accessible en anglais à l’adresse suivante : http://www.csba
online.org/publications/2013/05/beyond-the-ramparts-the-future-of-u-s-special-operations-forces/ (dernière consultation
le 10 novembre 2016).
121 Bureau of International Narcotics and Law Enforcement Affairs des Etats-Unis d’Amérique, 2016
International Narcotics Control Strategy Report (INCSR), Country Report: Colombia. Accessible en anglais à l’adresse
suivante : https://www.state.gov/j/inl/rls/nrcrpt/2016/vol1/253252.htm (dernière consultation le 10 novembre 2016).
122 Accord opérationnel entre le ministère de la défense nationale de la Colombie et le ministère de la sécurité
nationale de la Jamaïque, 2 mai 2002, permettant, grâce à la coopération, de combattre et de réduire les activités illégales
dans les eaux juridictionnelles, au moyen d’opérations navales coordonnées, d’échange d’informations et d’opérations de
renforcement de la sécurité maritime globale.
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- 37 -
Honduras125, la République dominicaine126, le Guatemala127, le Panama128, et les Pays-Bas129.
2.108. C’est dans ce contexte  que le Nicaragua a complètement passé sous silence dans
son mémoire  que la Colombie déploie d’importantes et onéreuses forces de sécurité dans
123 Accord complémentaire entre le Gouvernement de la République de Colombie et le Gouvernement de la
République du Costa Rica sur la coopération maritime dans les eaux juridictionnelles jouxtant chacun de ces Etats aux
fins de la lutte contre le trafic de stupéfiants et contre l’exploitation illégale dans la zone économique exclusive, ainsi que
du sauvetage des navires perdus, 23 février 2004, permettant, grâce à la coopération, de mener des actions coordonnées
de lutte contre le trafic de stupéfiants en mer, au moyen d’échange d’informations et de formations conjointes, de
conseils mutuels, d’opérations de recherche et de sauvetage de navires perdus en mer, de mesures de protection des
ressources tant biologiques que non biologiques présentes dans les zones économiques exclusives des Parties, ainsi que
de mesures de protection, de préservation et de conservation de l’environnement marin.
124 Accord interinstitutionnel de coopération maritime entre le ministère de la défense nationale et la marine
nationale au nom de la République de Colombie et le secrétariat de la marine des Etats-Unis du Mexique,
31 janvier 2005, permettant de développer la coopération aux fins de combattre et de réduire les activités illicites dans les
eaux juridictionnelles, au moyen d’opérations d’interception maritime coordonnées, d’échange d’informations, d’un
accroissement de la sécurité maritime globale, de mesures de protection de l’environnement marin, de plans et
programmes conjoints d’éducation et de formation, de conseils mutuels et de la mise en place de programmes de
recherche scientifique et de développement technique.
125 Accord de coopération maritime entre le ministère de la défense nationale de Colombie et le secrétariat de la
défense de la République du Honduras, 8 août 2005, permettant la coopération en vue de développer des actions
coordonnées de lutte contre le trafic illicite en mer, au moyen d’échange d’informations et de formations conjointes, de
conseils mutuels et du développement de programmes de recherche scientifique et technologique, de mesures de sécurité
maritime globale, d’opérations de recherche et de sauvetage de navires perdus en mer, de mesures de protection des
ressources tant biologiques que non biologiques, ainsi que de protection, de préservation et de conservation de
l’environnement marin.
126 Accord interinstitutionnel de coopération maritime entre, d’une part, le ministère de la défense nationale et la
marine nationale au nom de la République de Colombie et, d’autre part, le secrétariat d’Etat des forces armées et la
marine de la République dominicaine, 5 décembre 2005, permettant la coopération en vue de mener des actions
coordonnées de lutte contre le trafic illicite en mer, au moyen d’échange d’informations et de plans et programmes
conjoints d’éducation et de formation, de conseils mutuels et du développement de programmes de recherche scientifique
et technologique, de mesures de sécurité maritimes globales, d’opérations de recherche et de sauvetage de navires perdus
en mer, de mesures de protection des ressources tant biologiques que non biologiques, ainsi que de protection, de
préservation et de conservation de l’environnement marin.
127 Accord de coopération maritime entre le ministère de la défense nationale de la République de Colombie et le
ministère de la défense nationale de la République du Guatemala, 2 octobre 2013, permettant, grâce à la coopération, de
combattre et de réduire les activités illégales dans les eaux juridictionnelles, au moyen d’opérations coordonnées,
d’échange d’informations, de formations et de la promotion du développement mutuel de mesures communes visant à
préserver l’environnement marin et à prévenir l’exploitation illégale de ses ressources.
128 Accord interinstitutionnel de coopération maritime entre, d’une part, le ministère de la défense nationale et la
marine nationale au nom de la République de Colombie et, d’autre part, le ministère de la sécurité publique et le service
aéronaval national de la République du Panama, 26 juillet 2014, permettant le développement d’actions coordonnées de
lutte contre le trafic de stupéfiants, de substances psychotropes et de précurseurs chimiques, ainsi que contre le trafic
d’armes, de munitions et d’explosifs et les activités criminelles connexes, au moyen de plans et programmes d’éducation
et de formation, d’échange d’informations, de mesures de sécurité maritimes globales, d’opérations de recherche et de
sauvetage de navires perdus en mer, de mesures de protection des ressources marines et de l’environnement marin en
général et de conseils sur les questions maritimes.
129 Mémorandum d’accord entre le ministère de la défense nationale et la marine nationale au nom de la
République de Colombie et le ministère de la défense des Pays-Bas, 2 août 2015, promouvant les activités de coopération
et de complémentarité sur les questions opérationnelles, la collecte de renseignements et l’échange d’informations aux
fins de combattre la criminalité transnationale organisée en mer, de favoriser la coopération dans le domaine de la
formation et de l’éducation et de dispenser des conseils en matière maritime, notamment concernant la sécurité et la
sûreté.
90
- 38 -
l’archipel de San Andrés et aux alentours. Malgré son coût130, un tel déploiement est nécessaire
pour assurer la protection de l’environnement, la sécurité en mer, la protection des habitants de
l’archipel et pour réprimer la criminalité transfrontalière, entre autres missions publiques que la
Colombie assume au bénéfice de la région, y compris du Nicaragua.
2.109. Il convient de souligner à cet égard que le Nicaragua omet de mentionner des
événements qui montrent clairement que la marine colombienne lui apporte une aide très précieuse
en assurant la sécurité de ses navires de pêche, particulièrement dans la zone du banc de
Luna Verde. Lui-même n’y exerce en effet aucun contrôle de sécurité ni contrôle réglementaire sur
les navires titulaires de permis délivrés par ses autorités, alors que nombre d’entre eux, surchargés
et dépourvus du moindre équipement de sécurité à bord, agissent dans le mépris total des normes
environnementales et des règles de navigation, mettant ainsi en danger l’environnement et la vie de
leur équipage et passagers, voire d’autres bateaux. Des exemples d’interventions de la marine
colombienne pour fournir assistance humanitaire131 et technique132 ou effectuer des opérations de
recherche et de sauvetage133, la plupart du temps à la demande expresse de navires de pêche, y
compris battant pavillon nicaraguayen, sont rapportés à l’appendice A, et les lieux où ces
événements se sont produits sont indiqués sur la figure 2.8. De même, le Nicaragua se garde
d’évoquer l’importance et l’efficacité dont fait preuve la marine colombienne lorsqu’elle s’acquitte
des missions qui lui incombent dans la lutte mondiale contre le trafic de stupéfiants134.
130 Chaque année, en moyenne, les unités navales suivantes sont basées en permanence dans la région : sept unités
majeures Fragata/OPV, un avion de patrouille maritime, un hélicoptère de reconnaissance et quatre navires de patrouille
RRU. Le nombre moyen d’hommes détachés dans la zone à bord des unités navales engagées s’élève à 598 par an.
Chaque année, 19 opérations sont effectuées en moyenne, pour lesquelles, de 2012 à 2016, 69 362 982 542 COP
(soixante-neuf milliards trois cent soixante-deux millions neuf cent quatre-vingt-deux mille cinq cent quarante-deux
COP) ont été investis, soit environ 15 413 996 120 COP (quinze milliards quatre cent treize millions neuf cent quatrevingt-
seize mille cent vingt COP) par an.
131 Ainsi de l’exemple suivant, qui mérite d’être cité : le 17 août 2013, le capitaine du navire Trapper, battant
pavillon nicaraguayen, se trouvant dans la zone de Luna Verde, a demandé une assistance sanitaire pour 15 personnes
présentes à bord. Le capitaine du bateau colombien ARC Antioquia, en patrouille, a donné à son personnel l’ordre
d’apporter une aide humanitaire, dont 12 personnes ont bénéficié. Au cours de l’opération, la présence sur le navire de
bouteilles de plongée et de canoës (cayucos) a été constatée. Il a aussi été relevé que de piètres conditions de vie
régnaient à bord, le navire de pêche n’étant pas équipé pour accueillir 70 personnes.
132 A titre d’exemple, le 8 novembre 2013, le bateau colombien ARC San Andrés a été appelé à l’aide sur le
canal no 16 de la radio VHF par le navire de pêche nicaraguayen Pacific Star, situé sur le banc de Luna Verde, en raison
d’une infiltration d’eau dans le compartiment moteur. Le bateau colombien a aidé le navire de pêche à résoudre le
problème à l’aide de pompes et de matériel d’étayage.
133 Par exemple, le 17 novembre 2013, la frégate colombienne ARC Almirante Padilla a trouvé deux pêcheurs
nicaraguayens dérivant à bord d’un canoë (cayuco) sur le banc de Luna Verde sans aucun équipement de sécurité à bord.
La frégate a porté secours aux pêcheurs, qui ont déclaré faire partie de l’équipage du Miss Sofía. Ayant vainement tenté
d’entrer en contact avec ce bateau à plusieurs reprises, la marine colombienne n’a eu d’autre choix que de chercher, avec
l’aide des forces navales nicaraguayennes, un autre navire pour ramener les deux pêcheurs. Ceux-ci ont donc été remis à
un autre navire de pêche nicaraguayen, le Caribbean Star.
134 Voir, plus haut, chap. 2, sect. D, par. 2.93-2.110.
91
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- 39 -
Figure 2.8. Exemples d’interventions au cours desquelles la marine colombienne a fourni une
assistance humanitaire et technique ou effectué des opérations de recherche et de sauvetage
Légende :
Assistance humanitaire et technique fournie à :
1. Navire de pêche nicaraguayen Lady Aimee 2 février 2013
2. Navire de pêche nicaraguayen Papa D 5 février 2013
3. Navire de pêche nicaraguayen Papa D 30 avril 2013
4. Navire de pêche nicaraguayen Trapper 18 août 2013
5. Navire de pêche nicaraguayen Sea Falcon 25 septembre 2013
6. Navire de pêche nicaraguayen Pacific Star 8 novembre 2013
7. Navire de pêche nicaraguayen Miss Sofía 17 novembre 2013
93
- 40 -
E. CONCLUSION
2.110. A la lumière des circonstances spéciales qui existent dans cette région des Caraïbes,
les droits de liberté de navigation et de survol, ainsi que l’exécution d’obligations juridiques et
internationales, fondent et justifient la présence de la Colombie dans les eaux concernées et les
mesures qu’elle y prend. Les demandes du Nicaragua doivent être évaluées dans ce contexte et
compte tenu de ses propres manquements graves à ses obligations de droit international.
94
- 41 -
CHAPITRE 3
LES DROITS ET OBLIGATIONS DES PARTIES DANS LE SUD-OUEST
DE LA MER DES CARAÏBES
A. INTRODUCTION : L’INTERPRÉTATION ERRONÉE QUE FAIT LE NICARAGUA
DES PRINCIPES JURIDIQUES APPLICABLES
3.1. Etant donné que la Colombie n’est pas partie à la convention des Nations Unies sur le
droit de la mer (CNUDM), le droit applicable, en la présente espèce, découle du droit international
coutumier tel qu’établi par les autres conventions et instruments juridiques auxquels la Colombie et
le Nicaragua sont parties. Cela s’applique aux prétentions du Nicaragua, autant qu’aux demandes
reconventionnelles de la Colombie, qui sont exposées dans la troisième partie du présent
contre-mémoire135.
3.2. Le Nicaragua adopte une vision à courte vue des principes juridiques applicables. Il
fonde son argumentation sur ce qui constitue, selon lui, des violations de ses droits et espaces
maritimes par la Colombie  droits souverains essentiellement destinés à permettre l’exploration
et l’exploitation des ressources naturelles de la zone économique exclusive et du plateau
continental. Or, en adoptant ce point de vue unilatéral, il ne tient pas compte du fait que i) la
Colombie a elle aussi, au regard du droit international, des droits et obligations qui régissent son
comportement et requièrent sa présence dans le sud-ouest des Caraïbes, et que, ii) outre ses droits,
il a également des obligations juridiques importantes dans la zone en question  obligations
auxquelles il a gravement manqué, comme le démontrera la Colombie.
3.3. Autrement dit, le fait d’avoir des droits souverains et la juridiction sur des espaces
maritimes ne dispense pas un Etat tel que le Nicaragua de se conformer à ses obligations
internationales vis-à-vis des autres Etats, et notamment de la Colombie. De la même manière, ces
droits et cette juridiction ne privent pas la Colombie de ses propres droits, et ne la dispensent pas de
s’acquitter de ses obligations. Cela s’applique tout particulièrement dans les cas tels que la présente
espèce, où un certain nombre de circonstances spéciales exigent que les Etats côtiers du sud-ouest
de la mer des Caraïbes exercent un degré élevé de diligence pour préserver et protéger le fragile
environnement marin de cette mer semi-fermée et veiller à ce qu’il ne soit pas porté atteinte aux
droits de pêche historiques et à l’habitat naturel de la population de l’archipel, et notamment du
peuple raizal.
3.4. Ainsi que le Tribunal arbitral l’a récemment relevé en l’affaire relative à l’Aire marine
protégée des Chagos, dans un certain nombre de zones maritimes (telles que la mer territoriale, les
détroits internationaux et la zone économique exclusive), le droit international coutumier exige que
«les Etats exercent leurs droits … sous réserve ou compte tenu des droits et obligations des autres
Etats»136.
3.5. Dans le présent chapitre, la Colombie traitera des droits et obligations de chacune des
deux Parties à l’égard de la zone maritime en cause, au regard desquels il y a lieu d’apprécier la
135 Par ailleurs, ainsi que la Cour l’a souligné en l’affaire du Différend territorial et maritime, le fait que la
Colombie ne soit pas partie à la CNUDM n’exonère pas le Nicaragua des obligations qui lui incombent au titre de cet
instrument. Voir arrêt de 2012, p. 669, par. 126.
136 Chagos Marine Protected Area Arbitration (Mauritius v. United Kingdom), sentence finale, Cour permanente
d’arbitrage, 18 mars 2015, par. 503.
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96
- 42 -
licéité de leurs comportements respectifs. Ces droits et obligations découlent de principes et de
règles de droit international qui vont bien au-delà de la catégorie artificiellement étroite des «droits
souverains» sur laquelle se fonde le Nicaragua, et englobent notamment :
 les droits fondamentaux de libre circulation et de libre survol dont jouit la Colombie, et
notamment son droit de contrôler et de signaler tout trafic maritime douteux dans le cadre de
l’obligation qui lui incombe de lutter contre le trafic de stupéfiants et de décourager les
pratiques destructrices en matière de pêche et dans d’autres domaines (section B) ;
 l’obligation de préserver et de protéger l’environnement marin, à laquelle s’ajoutent celle
d’exercer la diligence requise dans les espaces maritimes du sud-ouest des Caraïbes, ainsi que
celle de respecter et de protéger le droit des populations de l’archipel de disposer d’un habitat
et d’un environnement sains, au regard du droit international coutumier tel qu’établi par la
convention de Cartagena, à laquelle la Colombie et le Nicaragua sont tous deux parties
(section C) ;
 les droits de pêche historiques conférés à la Colombie et aux habitants de l’archipel, qui ont
besoin, pour assurer leur survie et préserver leur culture ancestrale, de pouvoir accéder à leurs
zones de pêche traditionnelles (section D).
3.6. Ces droits et obligations sous-tendent les trois grands axes autour desquels s’articule
l’argumentation de la Colombie.
Premièrement, les droits et la juridiction dont jouit le Nicaragua dans sa zone économique
exclusive sont des droits exclusifs répertoriés, obtenus sur des eaux qui font par ailleurs partie de la
haute mer. Ils ne font aucunement obstacle à ce que d’autres Etats, dont la Colombie, donnent effet
dans ces zones à leurs propres droits et obligations.
Deuxièmement, la Colombie a le droit d’être présente dans la zone économique exclusive du
Nicaragua aux fins de contrôler et de surveiller les activités susceptibles de porter atteinte à
l’environnement marin, de relever du trafic de stupéfiants ou d’autres formes de criminalité
transnationale, ou de menacer l’habitat ou la subsistance des populations de l’archipel qui
possèdent des droits traditionnels de pêche dans cette zone.
Troisièmement, parallèlement aux obligations environnementales qui incombent à un Etat
côtier à l’égard de ses zones maritimes (obligations environnementales spécifiques), tous les Etats
qui jouissent des libertés de la haute mer sont soumis à des obligations environnementales
générales. Dès lors qu’il manque aux obligations spécifiques et générales lui incombant, le
Nicaragua ne saurait s’opposer à l’exécution par d’autres Etats de leurs propres obligations
environnementales générales, tant que cela n’empiète pas sur ses droits souverains (ce que ne font
pas les activités de la Colombie).
3.7. Ainsi que cela sera exposé dans les deux chapitres suivants, qui présentent les faits se
rapportant au comportement de la Colombie, les actes de celle-ci dans le sud-ouest de la mer des
Caraïbes témoignent en réalité de ce qu’elle exerce ses droits de bonne foi et compte dûment tenu
des obligations qui lui incombent en droit international. Le Nicaragua, au contraire, manque à ses
propres obligations, ainsi que la Colombie le démontrera dans le cadre de l’exposé de ses demandes
reconventionnelles.
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99
- 43 -
B. LA LIBERTÉ DE NAVIGATION ET DE SURVOL
3.8. En introduction de la présente section, la Colombie se doit d’abord de préciser sa
position au sujet de la conclusion énoncée par la Cour au paragraphe 71 de son arrêt du
17 mars 2016, qui se lit comme suit :
«En ce qui concerne les incidents qui se seraient produits en mer avant la date
critique, [la Colombie] ne se défend pas d’avoir continué à exercer sa juridiction dans
les espaces maritimes que le Nicaragua considère comme siens sur le fondement de
l’arrêt de 2012.»137
3.9. La Colombie tient à indiquer très clairement qu’elle s’inscrit en faux contre l’assertion
indiquant, au sujet des prétendus «incidents» invoqués par le Nicaragua, qu’elle aurait exercé sa
«juridiction» dans la zone économique exclusive du Nicaragua. Ce n’est tout simplement pas le
cas, et ce n’est pas non plus le fondement de ses demandes reconventionnelles. Ce qu’affirme la
Colombie, en réalité, c’est que l’allégation du Nicaragua, qui prétend que, en laissant ses navires
pénétrer dans les eaux de sa zone économique exclusive et ses appareils survoler celle-ci, elle aurait
enfreint ses espaces maritimes, est dépourvue de fondement et manifestement inexacte. Cette
accusation procède d’une grossière erreur d’interprétation des libertés de navigation et de survol
dont jouit la Colombie en tout point de la mer des Caraïbes, hormis les eaux territoriales des autres
Etats (1), et ne tient aucun compte du fait que celle-ci a exercé ces libertés paisiblement et en
respectant comme il se doit les droits souverains du Nicaragua (2).
1. L’interprétation erronée que fait le Nicaragua des libertés
de navigation et de survol
3.10. Le Nicaragua reconnaît que les forces aériennes et navales de la Colombie sont en droit
d’être présentes dans le sud-ouest de la mer des Caraïbes, et notamment dans sa zone économique
exclusive, en vertu des droits dont cet Etat jouit dans la zone au titre du droit international
coutumier. Il indique en particulier que les aéronefs colombiens sont «autorisés à survoler [s]a zone
économique exclusive»138, admettant par ailleurs que «le survol, par [lesdits] aéronefs …, de
navires de pêche dans des eaux relevant de la zone économique exclusive du Nicaragua n’implique
pas en soi un déni des droits que celui-ci possède dans ces eaux»139. On ne peut que s’étonner que
le Nicaragua fasse abstraction d’un autre principe fondamental, celui de la liberté de navigation, qui
est pourtant lui aussi un élément important du contexte juridique de la présente affaire. Autrement
dit, s’il met l’accent sur les droits souverains et la juridiction qui lui sont conférés dans sa zone
économique exclusive, le Nicaragua se voit néanmoins obligé de reconnaître que la Colombie peut
elle aussi prétendre à certains «droits» dans cette zone.
3.11. Nonobstant cet aveu isolé et assez incomplet, l’argumentation du Nicaragua est dénuée
de cohérence. Sa demande demeure fondée sur l’hypothèse selon laquelle la simple présence de la
Colombie dans sa zone économique exclusive constitue, en soi, une violation de ses droits et de sa
juridiction, ainsi qu’un déni de l’arrêt de 2012. Dans son mémoire, le Nicaragua affirme que
137 Arrêt sur les exceptions préliminaires, par. 71.
138 MN, par. 3.34.
139 Ibid.
100
101
- 44 -
«i) [l]a République de Colombie maintient en permanence des unités navales
dans des secteurs relevant de la souveraineté et de la juridiction du Nicaragua,
au mépris des droits de ce dernier, tels que reconnus par l’arrêt de la Cour du
19 novembre 2012»140.
3.12. Cette allégation fait écho à la déclaration du président Ortega  reflétant, semble-t-il,
l’hypothèse juridique fondamentale qui sous-tend l’argumentation du Nicaragua  à savoir, que la
Colombie n’a pas le droit de pénétrer dans la zone économique exclusive du Nicaragua. Dans sa
déclaration, M. Ortega indique :
«Il y a peu encore, jusqu’à une date récente, à savoir le 19 novembre, la
surveillance était exercée par la marine colombienne, par l’aviation colombienne ;
elles exerçaient une surveillance dans la zone …
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
lorsque nous parlons de mettre en oeuvre les accords découlant de l’arrêt, de la
décision de la Cour internationale de Justice, la situation est analogue à un
changement de gouvernement. C’est-à-dire que par le passé, c’est par la fermeté que
les Colombiens contrôlaient la zone ; mais aujourd’hui la fermeté ne découle plus de
la force, elle découle d’une décision ; et celle-ci commande que nous exercions notre
juridiction dans la zone, que nous patrouillions cette zone en tant que
Nicaraguayens … en l’occurrence, afin que le Nicaragua puisse commencer à exercer
sa juridiction dans la zone, comme nous le faisons désormais avec la marine et l’armée
de l’air…»141
3.13. Le Nicaragua semble donc estimer que, en vertu de l’arrêt du 19 novembre 2012, il est
autorisé à exercer sa «souveraineté dans la zone» ; son argumentation juridique consiste
essentiellement à affirmer que la Colombie a l’obligation de retirer ses navires et appareils de ce
qui constitue aujourd’hui sa zone économique exclusive, comme s’il s’agissait de son territoire.
3.14. Il n’en est rien. La zone économique exclusive n’a jamais été considérée comme une
zone de souveraineté ; au contraire, il s’agit d’une zone de droits et de responsabilités partagés. Si
les Etats côtiers ont le droit souverain d’explorer et d’exploiter les ressources naturelles de leur
zone économique exclusive, les autres Etats continuent pour leur part d’y exercer un certain
nombre de droits, dont la liberté de navigation et de survol. Cela découle du droit international
coutumier ainsi que de la CNUDM, les règles applicables protégeant expressément les droits de
survol et de navigation dans la zone économique exclusive pour tous les appareils et navires, y
compris militaires. La Colombie peut donc exercer cette liberté de navigation et de survol dans la
zone économique exclusive du Nicaragua, et cela vaut pour tous les appareils et bâtiments
immatriculés en Colombie ou battant pavillon colombien, y compris ceux qui relèvent de ses
autorités militaires.
3.15. La Colombie convient que, si les droits souverains et la juridiction d’un Etat côtier
dans sa zone économique exclusive doivent être exercés «compte dûment tenu» des droits et
obligations des autres Etats, il en va de même des droits découlant de la liberté de navigation et de
survol, qui doivent eux aussi être exercés «compte dûment tenu» des droits et obligations de l’Etat
côtier. Cela étant, la liberté de navigation et de survol englobe le droit d’exercer des activités de
140 MN, par. 3.38.
141 Ibid., annexe 27, p. 361.
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- 45 -
surveillance, sous réserve que celles-ci soient entreprises de manière paisible et compte dûment
tenu des droits souverains et de la juridiction de l’Etat côtier142.
3.16. Il importe tout d’abord de souligner que la liberté de navigation et de survol est
essentielle pour permettre à un Etat de s’acquitter de ses obligations143. Il découle notamment du
droit international coutumier qu’un Etat a le droit, ainsi que le devoir, de protéger et de préserver
l’environnement marin. L’Etat a également le droit de surveiller les activités touchant de près à sa
sécurité et à son intégrité territoriale, telles que le trafic de stupéfiants et le trafic d’armes en mer, y
compris dans la zone économique exclusive d’un autre Etat, dans la mesure où il exerce cette
surveillance «compte dûment tenu» des droits de celui-ci. La convention des Nations Unies contre
le trafic illicite de stupéfiants et de substances psychotropes adoptée à Vienne le 20 décembre 1988,
à laquelle la Colombie et le Nicaragua sont tous deux parties, rappelle que le droit coutumier exige
qu’il soit «dûment tenu compte» des droits et de la juridiction de l’Etat côtier. Le paragraphe 11 de
l’article 17 de ce texte dispose en effet que les mesures visant à réprimer le trafic illicite par mer
doivent «t[enir] dûment compte, conformément au droit international de la mer, de la nécessité de
ne pas empiéter sur les droits et obligations et l’exercice de la compétence des Etats côtiers, ni de
porter atteinte à ces droits, obligations ou compétence».
2. La Colombie a exercé sa liberté de navigation et de survol en
tenant dûment compte des droits du Nicaragua
3.17. La Colombie a exercé sa liberté de navigation et de survol en s’acquittant de ses
obligations en matière de protection de l’environnement et des droits de la population locale, en
assurant la sécurité en mer, et en honorant son engagement à lutter contre le trafic de stupéfiants,
pacifiquement et dans le plein respect de la nécessité de «tenir dûment compte» des droits du
Nicaragua.
3.18. Le Nicaragua entend faire accroire que la Colombie n’a pas exercé ses activités de
manière pacifique, mais en employant la force et en menaçant d’y recourir. Dans son mémoire, il
écrit ainsi :
«[A]près le prononcé de l’arrêt du 19 novembre 2012 et en dépit de celui-ci, la
Colombie a continué de déployer ses forces navales dans des secteurs qui pourtant,
d’après la Cour, relevaient de la zone économique exclusive et du plateau continental
du Nicaragua, et les a utilisées pour empêcher ce dernier d’y exercer sa juridiction et
ses droits souverains.»144
3.19. Cet argument n’est pas sérieux, et la Cour, dans son arrêt du 17 mars 2016, s’est
déclarée incompétente à l’égard de toute demande du Nicaragua concernant la menace ou l’emploi
de la force.
3.20. La seule question toujours en cause entre les Parties est donc celle de savoir si les
activités menées par la Colombie dans la zone économique exclusive nicaraguayenne l’ont été
142 J. S. Kraska, «Ressources Rights and Environmental Protection in the Exclusive Economic Zone: The
Functional Approach to Naval Operations», dans Military Activities in the EEZ, P. Dutton (dir. publ.), p. 82, accessible à
l’adresse suivante : https://www.usnwc.edu/Research---Gaming/China-Maritime-Studies-Institut…
documents/China-Maritime-Study-7_Military-Activities-in-the-.pdf (dernière consultation le 10 novembre 2016).
143 Voir plus loin chap. 3, sect. B, par. 3.17, 3.29-3.30 ; chap. 3, sect. C 2), par. 3.52-3.84.
144 MN, par. 3.37.
104
105
- 46 -
«compte dûment tenu» de la juridiction et des droits souverains du Nicaragua. Celui-ci a fait état de
«cas de harcèlement», par des navires et aéronefs colombiens, de bateaux de pêche battant son
pavillon et titulaires de permis délivrés par ses autorités. Selon lui, la Colombie a exercé son droit
de survol «à des fins de harcèlement, dans le but manifeste d’amener les navires que le Nicaragua
a[vait] autorisés à pêcher dans [l]es eaux [en question] à rebrousser chemin ou de les «dissuader»
de s’y hasarder»145. Il est également reproché aux frégates et aéronefs militaires de la Colombie
d’avoir
«empêché, par des manoeuvres de harcèlement et d’intimidation, les navires de pêche
titulaires de permis délivrés par le Nicaragua d’opérer dans des eaux qui relèvent
pourtant de la juridiction exclusive du Nicaragua, privant celui-ci de son droit d’avoir
la pleine jouissance de zones riches en poissons»146.
3.21. La Colombie montrera au chapitre 4 que le tableau de son comportement dressé par le
Nicaragua ne reflète pas la réalité : du point de vue des faits, le Nicaragua n’a tout simplement pas
établi le bien-fondé de ses allégations de «harcèlement». Aux fins de la présente section, toutefois,
un seul exemple suffira à démontrer l’invraisemblance de l’allégation du Nicaragua, qui prétend
que les activités de la Colombie auraient privé les pêcheurs nicaraguayens de l’accès aux zones où
ils avaient coutume de pêcher. Si tel avait été le cas, le volume de leurs prises en mer des Caraïbes
serait en effet resté identique à celui d’avant novembre 2012. Or, il n’en est manifestement rien.
D’après une évaluation officielle publiée en 2014 par l’institut nicaraguayen de la pêche et de
l’agriculture (INPESCA)147, le nombre de ces prises a plus que doublé entre 2012 et 2014, passant
de 12 589 596 à 16 735 109 livres en 2013, et à 25 551 466 en 2014. Le graphique suivant se passe
de commentaires148.
145 MN, par. 3.34. Voir aussi le paragraphe 1.9.
146 Ibid., par. 2.22. Voir aussi, entre autres, par. 2.28, 2.36.
147 Annexe 92 : Institut nicaraguayen de la pêche et de l’aquaculture (INPESCA), Fishing and Aquaculture
Yearbook for 2014, juin 2015, p. 7.
148 Figure tirée de l’annexe 92.
106
- 47 -
Graphique no 2 : Produits de la mer débarqués, d’après les informations disponibles.
Mer des Caraïbes 2005-2014
Légende :
Pounds = Livres
Fish = Poisson
[Queen] Conch meat = Chair de lambi
Squat lobster tail and whole = Galathée (queue et entière)
[Spiny] Lobster (tail and whole) = Langouste [blanche] (queue et entière)
Sea cucumber = Holothurie
Total = Total
Coast shrimp (tail and whole) = Crevette (queue et entière)
Others = Autres
3.22. Il est parfaitement clair, d’après les propres documents soumis par le Nicaragua, que
ses pêcheurs n’ont subi, de la part de la Colombie, aucune forme de «harcèlement»  quoi qu’on
entende par-là  ni autre acte qui les auraient empêchés de mener à bien leurs activités. La
Colombie a exercé sa liberté de navigation et de survol, et honoré l’obligation lui incombant
d’exercer toute la diligence requise à des fins de surveillance du trafic de stupéfiants et de
protection de l’environnement. Elle n’a pas pour autant empêché les pêcheurs nicaraguayens de se
livrer à leurs activités, mêmes déprédatrices et destructrices, dans la zone économique exclusive du
Nicaragua. Certains pêcheurs nicaraguayens auraient assurément préféré pouvoir exercer leurs
pratiques illicites à l’abri des regards. Mais les faits relevant du comportement de la Colombie ne
sauraient être assimilés à une violation de la juridiction et des droits souverains du Nicaragua.
107
108
- 48 -
C. LES DROITS ET LES DEVOIRS QU’ONT LES PARTIES DE PRÉSERVER ET DE PROTÉGER
L’ENVIRONNEMENT MARIN ET DE FAIRE PREUVE DE LA DILIGENCE REQUISE
3.23. La présente section exposera le cadre juridique dans lequel s’inscrivent les droits et les
obligations qu’ont les Parties de protéger et de préserver l’environnement marin, en ce compris
l’environnement dans lequel évoluent les habitants de l’archipel.
3.24. Ainsi qu’il sera montré, la Colombie n’a cessé d’agir dans le respect de trois types de
droits et de devoirs reconnus par le droit international comme étant applicables à la fois au
Nicaragua et à elle-même : premièrement, le droit et le devoir de protéger et de préserver
l’environnement dans le sud-ouest de la mer des Caraïbes (section 1) ; deuxièmement, le devoir
d’exercer la diligence requise dans la zone maritime pertinente (section 2) ; troisièmement, le droit
et le devoir de protéger l’environnement et l’habitat des Raizals et des autres communautés locales
installées dans l’archipel (section 3). Ce faisant, elle n’a en rien empiété sur les espaces maritimes
ni les droits souverains du Nicaragua. Aux chapitres 8, 9 et 10, consacrés à ses demandes
reconventionnelles, la Colombie montrera que le Nicaragua, en revanche, a violé les obligations qui
lui incombent à ces trois égards.
1. Les droits et les devoirs qu’ont les Parties de préserver l’environnement
dans le sud-ouest de la mer des Caraïbes
3.25. A plusieurs reprises, la Cour a souligné que l’obligation faite aux Etats de respecter
l’environnement ne visait pas simplement à bénéficier à d’autres Etats, mais à l’humanité entière.
Comme elle l’a relevé dans son avis consultatif sur la Licéité de la menace ou de l’emploi d’armes
nucléaires,
«l’environnement n’est pas une abstraction, mais bien l’espace où vivent les êtres
humains et dont dépendent la qualité de leur vie et leur santé, y compris pour les
générations à venir. L’obligation générale qu’ont les Etats de veiller à ce que les
activités exercées dans les limites de leur juridiction ou sous leur contrôle respectent
l’environnement dans d’autres Etats ou dans des zones ne relevant d’aucune
juridiction nationale fait maintenant partie du corps de règles du droit international de
l’environnement.»149
3.26. A la suite de la Cour, d’autres juridictions internationales ont également reconnu que
l’«obligation d’empêcher, ou au moins d’atténuer»150, les dommages importants qui pourraient être
causés à l’environnement constituait désormais un principe du droit international général.
3.27. Il ne fait aucun doute que l’obligation de respecter l’environnement s’impose à tous les
Etats. Tous ont donc un «intérêt commun»151 — et même un «intérêt essentiel»152 — à empêcher
qu’un dommage soit causé à l’environnement et à préserver l’équilibre écologique. Cette obligation
revêt une importance particulière dans le contexte d’un écosystème aussi rare et fragile que celui du
149 Licéité de la menace ou de l’emploi d’armes nucléaires, avis consultatif, C.I.J. Recueil 1996 (I), p. 241-242,
par. 29.
150 Arbitrage relatif à la ligne du Rhin de fer (Belgique c. Pays-Bas), sentence du 24 mai 2005, Cour permanente
d’arbitrage, par. 59. Voir, pour la version française : https://pcacases.com/web/sendAttach/481.
151 Questions concernant l’obligation de poursuivre ou d’extrader (Belgique c. Sénégal), arrêt,
C.I.J. Recueil 2012, p. 449, par. 68.
152 Projet Gabčíkovo-Nagymaros (Hongrie/Slovaquie), arrêt, C.I.J. Recueil 1997, p. 41, par. 53.
109
110
- 49 -
sud-ouest de la mer des Caraïbes. Comme la Cour l’a reconnu dans l’affaire des Usines de pâte à
papier, à propos du fragile écosystème du fleuve Uruguay, la «vigilance et [la] prévention sont
particulièrement importantes lorsqu’il s’agit de préserver l’équilibre écologique puisque les effets
négatifs des activités humaines … risquent de toucher d’autres composantes de l’écosystème …,
telles que [l]a flore, [l]a faune et [le lit du fleuve]»153. Le fait est que, en raison de leur fragilité et
de leur interconnexion, les terres, les eaux et les habitants de la Colombie sont particulièrement
vulnérables.
3.28. La Colombie attache la plus haute importance à la nécessité de préserver
l’environnement de la mer des Caraïbes, et elle s’est comportée en conséquence. Elle a fait état de
ses préoccupations d’ordre environnemental dans le cadre de la procédure en l’affaire du Différend
territorial et maritime154, et agit, depuis que la Cour a statué sur celle-ci, dans le respect des droits
et des devoirs qui sont les siens au titre du droit international. Dans plusieurs notes diplomatiques,
elle a souligné qu’elle s’employait à «analyser dûment et avec discernement l’arrêt de 2012 afin
d’en saisir toutes les implications», dans le dessein de «tirer parti de l’ensemble des voies qui lui
sont ouvertes, en droit international, pour favoriser … la pérennité de la réserve marine Seaflower,
ainsi que les droits souverains de la Colombie»155.
3.29. Les préoccupations relatives à l’environnement dans le sud-ouest de la mer des
Caraïbes doivent être pleinement prises en compte, indépendamment de considérations de
souveraineté ou de droits souverains. Le «paravent de la souveraineté (ou des droits souverains)»
(«sovereignty (or sovereign rights) umbrella»)156 derrière lequel le Nicaragua s’abrite pour affirmer
que la Colombie a violé ses droits et ses espaces maritimes ne peut être invoqué au détriment de
l’environnement dans cette partie de la mer des Caraïbes ni justifier une dérogation à l’obligation
incombant aux deux Etats de préserver et de protéger le milieu marin, non plus qu’au droit des
communautés locales de jouir et de bénéficier d’un environnement sain.
3.30. En résumé, le Nicaragua et la Colombie ont tous deux l’obligation d’adopter, de
prendre et de mettre en oeuvre les mesures à même de garantir le respect de l’environnement des
espaces maritimes constituant le sud-ouest de la mer des Caraïbes, en tenant compte des droits et
devoirs de l’autre Etat. Comme l’a dit la Cour en l’affaire du Différend relatif à des droits de
navigation et des droits connexes (Costa Rica c. Nicaragua), dans un autre contexte où le
Nicaragua défendait une conception étendue de sa souveraineté, «[l]a souveraineté du Nicaragua
153 Usines de pâte à papier sur le fleuve Uruguay (Argentine c. Uruguay), arrêt, C.I.J. Recueil 2010, p. 67,
par. 188.
154 Voir en particulier l’affaire du Différend territorial et maritime (Nicaragua c. Colombie), contre-mémoire de
la Colombie, vol. I, par. 2.16, 2.8 (concernant les cayes de l’archipel en général), et par. 3.89-3.91, 3.99 (concernant les
règlements et lois internes régissant la protection de l’environnement de l’archipel).
155 A la suite du prononcé de l’arrêt de 2012, la Colombie a exprimé ses préoccupations environnementales
relatives au sud-ouest de la mer des Caraïbes dans divers cadres multilatéraux. En atteste une série de lettres adressées
aux secrétariats de l’Organisation des Nations Unies, de l’Organisation des Etats américains, et de l’Unesco. Ainsi qu’elle
l’écrit dans chacune de ces lettres, la Colombie a à coeur de garantir la «pérennité de la réserve marine Seaflower» depuis
le prononcé de l’arrêt de 2012. Voir, annexe 19 : note diplomatique DM no 94331 du 23 novembre 2012 adressée au
Secrétaire général de l’Organisation des Nations Unies par la ministre des affaires étrangères de la Colombie ;
annexe 20 : note diplomatique DM no 94365 du 23 novembre 2012 adressée au secrétaire général de l’Organisation des
Etats américains par la ministre des affaires étrangères de la Colombie ; et annexe 21 : note diplomatique DM no 78634
du 23 novembre adressée au directeur général de l’Organisation des Nations Unies pour l’éducation, la science et la
culture (Unesco) par la ministre des affaires étrangères de la Colombie.
156 Expression empruntée à l’arbitrage rendu en l’affaire Chagos Marine Protected Area Arbitration
(Mauritius v. United Kingdom), Final Award (18 mars 2015), Cour permanente d’arbitrage, ICGJ 486 (PCA 2015),
par. 122.
111
112
- 50 -
n’est affirmée que pour autant qu’elle ne porte pas atteinte à la substance même du droit»157 d’un
autre Etat.
3.31. La Colombie a, à tout le moins, le droit de surveiller toute pratique contrevenant à
l’obligation de préserver et de protéger l’environnement marin, et d’en demander instamment la
cessation. Cela est particulièrement vrai lorsque de telles activités sont entreprises dans des zones
écologiquement sensibles telles que la réserve de biosphère marine Seaflower et l’aire marine
protégée du même nom, qui entourent l’archipel de San Andrés. Le Nicaragua a également
l’obligation de préserver et de protéger l’environnement marin, et d’exercer à cet égard la diligence
voulue vis-à-vis de ses navires et ressortissants.
a) Le devoir de protéger et de préserver exige une action préventive et en amont
3.32. Le droit international applicable en jeu dans la présente affaire est clair,
particulièrement en ce qui concerne la protection et la préservation du milieu marin dans le
sud-ouest de la mer des Caraïbes. Le droit international coutumier impose au Nicaragua et à la
Colombie d’agir de manière à la fois préventive et en amont, pour empêcher qu’un préjudice soit
causé à l’environnement dans cette région.
3.33. Il s’agit ici d’une double obligation de protéger l’environnement marin de tout
préjudice qui pourrait lui être causé, et de le préserver, c’est-à-dire d’en conserver ou améliorer
l’état présent158. Le droit international coutumier interdit ainsi au Nicaragua et à la Colombie de
mener des actions dont l’effet serait de dégrader le milieu marin. Cette interdiction revêt une
importance particulière s’agissant de la réserve Seaflower et de l’aire marine protégée du même
nom, qui sont écologiquement fragiles. En droit international coutumier, tous les Etats ont
l’obligation de protéger et de préserver «les ressources partagées»159, telles que la réserve
Seaflower.
3.34. Par le passé, la Colombie a pris plusieurs initiatives concrètes en vue de protéger
l’environnement du sud-ouest de la mer des Caraïbes, dont la création de la réserve de biosphère
Seaflower et de l’aire marine protégée du même nom160. Plus récemment, elle a établi une zone
contiguë unique, ce dont le Nicaragua lui a vigoureusement contesté le droit dans son mémoire ;
l’un des buts ainsi visés était pourtant de garantir la protection et la préservation de
157 Différend relatif à des droits de navigation et des droits connexes (Costa Rica c. Nicaragua), arrêt,
C.I.J. Recueil 2009, p. 237, par. 48.
158 C’est également ce qu’il ressort de l’article 192 de la CNUDM, à laquelle le Nicaragua est partie, et qui lui est
donc opposable en droit.
159 Usines de pâte à papier sur le fleuve Uruguay (Argentine c. Uruguay), arrêt, C.I.J. Recueil 2010, p. 82,
par. 204.
160 Les autorités colombiennes ont adopté la législation suivante aux fins de protéger l’environnement des
Caraïbes : décision no 107 en date de 2005 du ministère de l’environnement, du logement et du développement territorial
(annexe 4) ; décision no 679 en date de 2005 du ministère de l’environnement, [du logement] et du développement
territorial (aires marines protégées des archipels de Rosario et de San Bernardo) ; CORALINA, accord no 21 en date de
2005 (annexe 5) ; CORALINA, accord no 25 en date de 2005 (annexe 6) ; décision no 2372 en date de 2010 du ministère
de l’environnement, du logement et du développement territorial ; décision no 977 en date de 2014 du ministère de
l’environnement et du développement durable (annexe 9) ; CORALINA, accord no 27 en date de 2001 (déclaration sur le
parc régional Johnny Cay) ; CORALINA, accord no 41 en date de 2001 (délimitation et réserve du parc régional
Johnny Cay). La Colombie compte aujourd’hui 54 zones protégées, dont 12 sont des aires marines. La liste de ces zones
en mer des Caraïbes peut être consultée à l’adresse suivante : http://www.invemar org co/redcostera1/invemar/
docs/cartillasampcolombia.pdf (dernière consultation le 10 novembre 2016).
113
114
- 51 -
l’environnement marin que recouvre cette zone161. Le Nicaragua n’a pris aucune mesure analogue,
ni ne serait-ce que reconnu qu’il était tenu, en droit, de protéger et de préserver l’environnement
marin.
3.35. La convention de Cartagena, à laquelle sont parties la Colombie et le Nicaragua, mais
dont ce dernier s’abstient de faire mention, est également pertinente à cet égard, puisqu’elle traite
expressément de la protection et du développement du milieu marin dans la région des Caraïbes162.
3.36. La convention de Cartagena s’inspire du principe du droit international coutumier
conformément auquel les Etats sont tenus de protéger et de préserver l’environnement marin. Ses
dispositions visent à assurer l’application de cette obligation générale compte tenu des
caractéristiques propres à la région des Caraïbes. Le paragraphe 2 de son article 3 indique ainsi que
la «Convention et ses protocoles doivent s’interpréter conformément au droit international
applicable en la matière»163.
3.37. La convention de Cartagena reflète le même souci d’agir en amont que le droit
international coutumier, et impose aussi bien au Nicaragua qu’à la Colombie de prendre,
«individuellement ou conjointement, toutes mesures appropriées conformes au droit
international … pour prévenir, réduire et combattre la pollution de la zone
d’application de la Convention et pour assurer une gestion rationnelle de
l’environnement, en mettant en oeuvre à cette fin les moyens les mieux adaptés dont
[ils] disposent, en fonction de leurs capacités»164. (Les italiques sont de nous.)
3.38. Ses actes et les mesures qu’elles a prises — y compris en établissant une zone contiguë
unique — attestent que la Colombie a mis en oeuvre les moyens les mieux adaptés pour assurer la
protection et la préservation du milieu marin de l’archipel de San Andrés et du sud-ouest de la mer
des Caraïbes. La Colombie a également adopté, conformément aux exigences de la convention de
Cartagena, une conduite et des mesures «appropriées … pour prévenir, réduire et combattre la
pollution de la zone d’application de la Convention causée par les rejets des navires»165. Il n’en va
161 Voir en particulier le préambule du décret présidentiel no 1946 du 9 septembre 2013 tel que modifié par le
décret présidentiel no 1119 du 17 juin 2014 (version composite), annexe 7.
162 La convention de Cartagena (annexe 17) définit comme suit la portée de son application :
«Article premier : Zone d’application de la convention
1. La présente convention s’applique à la région des Caraïbes, telle qu’elle est définie au paragraphe 1 de
l’article 2 sous la dénomination «zone d’application de la convention»
2. Sauf disposition contraire de l’un quelconque des protocoles relatifs à la présente convention, la zone
d’application de la convention ne comprend pas les eaux intérieures des Parties contractantes.
Article 2 : Définitions
Aux fins de la présente Convention :
1. On entend par «zone d’application de la Convention» le milieu marin du golfe du Mexique, de la mer
des Caraïbes et des zones de l’océan Atlantique qui lui sont adjacentes, au sud d’une limite constituée
par la ligne des 30 degrés de latitude nord et dans un rayon de 200 milles marins à partir des côtes
atlantiques des Etats visés à l’article 25 de la présente convention.»
Voir aussi chap. 2, sect. B 2), par. 2.33-2.43, ci-dessus.
163 Convention de Cartagena, art. 3, par. 2 (annexe 17).
164 Ibid., art. 4, par. 1.
165 Ibid., art. 5.
115
116
- 52 -
pas de même pour le Nicaragua, ainsi qu’il apparaîtra au chapitre 8, consacré aux demandes
reconventionnelles de la Colombie.
3.39. Compte tenu de ce qui précède, et au contraire de ce qu’affirme le Nicaragua dans son
mémoire, les deux Parties sont tenues à des obligations qui intéressent leurs actions (ou inaction,
dans le cas du Nicaragua) dans la zone maritime pertinente. Les mesures et la conduite adoptées
par la Colombie l’ont été non seulement en vertu des libertés qui sont les siennes, telles
qu’analysées à la section B, mais aussi afin de lui permettre d’honorer ses devoirs au regard du
droit international, et, plus particulièrement, celui de protéger et de préserver l’environnement
marin du sud-ouest de la mer des Caraïbes. Le paradoxe réside en ceci que la Colombie se trouve
en position de défenderesse en la présente affaire. Le demandeur — c’est-à-dire le Nicaragua —
tire grief de prétendues violations de ses droits souverains et de ses espaces maritimes alors que,
non content de méconnaître les droits et les devoirs de la Colombie, lui-même n’a consenti aucun
effort, ni fait le moins du monde preuve de diligence, pour s’acquitter de son devoir de protéger et
de préserver l’environnement marin166.
b) Le devoir et le droit qu’ont les Parties de protéger et de préserver la diversité biologique
dans le sud-ouest de la mer des Caraïbes
3.40. L’un des principaux objectifs de la règle de droit coutumier qui impose de protéger et
de préserver le milieu marin est de garantir la pérennité de la biodiversité marine.
3.41. La Cour n’ignore rien de la nécessité de protéger et de préserver la diversité biologique
dans le milieu marin, et en a reconnu l’importance dans le contexte du droit de la mer. Selon elle,
«le fait même d’avoir convoqué la troisième Conférence sur le droit de la mer
témoigne, de la part de tous les Etats, d’un souci manifeste de poursuivre la
codification de ce droit sur une base universelle, notamment en ce qui concerne la
pêche et la conservation des ressources biologiques de la mer»167 (les italiques sont de
nous).
3.42. Dans l’affaire relative à des Usines de pâte à papier, la Cour a mis en avant, à propos
de l’obligation de préserver le milieu aquatique, le «devoir de protéger la faune et la flore»168, et
noté que les normes et les mesures que les Etats adoptent en vue de préserver le milieu aquatique
«devraient également refléter leurs engagements internationaux en matière de protection de la
biodiversité et des habitats»169. (Les italiques sont de nous.) Le droit international coutumier
souligne ainsi la nécessité de protéger et de préserver la biodiversité marine, et en particulier les
«écosystèmes rares ou fragiles»170. Dans la même veine, la convention de Cartagena dispose que
«[l]es Parties contractantes prennent, individuellement ou conjointement, toutes les
mesures appropriées pour protéger et préserver, dans la zone d’application de la
Convention, les écosystèmes rares ou fragiles ainsi que l’habitat des espèces en
166 Voir chap. 8 ci-dessous.
167 Compétence en matière de pêcheries (Royaume-Uni c. Islande), arrêt, C.I.J. Recueil 1974, p. 23, par. 53.
168 Usines de pâte à papier sur le fleuve Uruguay (Argentine c. Uruguay), arrêt, C.I.J. Recueil 2010, p. 100,
par. 262.
169 Ibid.
170 CNUDM, art. 194, par. 5
117
118
- 53 -
régression, menacées ou en voie d’extinction. A cet effet, les Parties contractantes
s’efforcent d’établir des zones protégées.»171 (Les italiques sont de nous.)
L’aire marine protégée Seaflower est l’incarnation de ces objectifs.
3.43. Ainsi qu’il a été montré au chapitre 2, le sud-ouest de la mer des Caraïbes constitue un
important réservoir de diversité biologique. D’où l’attachement dont la Colombie, conformément
aux devoirs que lui impose le droit international coutumier, a toujours fait preuve172 envers la
protection et la préservation de la diversité biologique de la mer des Caraïbes. L’un des objectifs
auxquels répond l’établissement de la réserve de biosphère Seaflower et de l’aire marine protégée
du même nom, comme de la zone contiguë unique, est ainsi d’assurer la conservation de la
biodiversité dans le sud-ouest de la mer des Caraïbes afin de protéger les écosystèmes menacés. Le
préambule de la convention de Cartagena précise que les parties à cet instrument considèrent «la
protection des écosystèmes du milieu marin de la région des Caraïbes [comme] l’un de leurs
principaux objectifs»173. (Les italiques sont de nous.)
3.44. Ce souci qu’a la Colombie de préserver la diversité biologique dans le sud-ouest de la
mer des Caraïbes remonte à de nombreuses années. En 1968, déjà, par sa résolution no 206, le
conseil d’administration de l’institut colombien pour la réforme agraire (Incora) avait décidé que
les territoires de l’archipel de San Andrés ne feraient plus partie de la «réserve territoriale de
l’Etat» et certains secteurs desdits territoires furent proclamés réserves spéciales. Aux termes du
dispositif de cette résolution :
«Article 3 : sont proclamés réserves spéciales, aux fins de la préservation de la
flore, de la faune, du niveau des lacs, des torrents et des beautés panoramiques
naturelles, les secteurs suivants de l’archipel de San Andrés et Providencia.
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Cayes et bancs
Zones protégées
b) La caye de Serrana et les bancs de Roncador, de Quitasueño, de Serrana, de
Serranilla, de Bajo Nuevo et d’Alicia
Article 4 : sont proclamés réserves spéciales à des fins touristiques les secteurs
suivants de l’archipel de San Andrés et Providencia :
Cayes et bancs
Tous les cayes et bancs faisant partie de l’archipel de San Andrés et
Providencia, à l’exception des cayes de Cangrejo et de Serrana ainsi que des bancs de
Roncador, de Quitasueño, de Serranilla, de Bajo Nuevo et d’Alicia, qui font partie des
zones de protection intangibles visées à l’article précédent...»174
171 Ibid., art. 10.
172 A cet égard, voir, en particulier : Différend territorial et maritime (Nicaragua c. Colombie), contre-mémoire
de la Colombie, vol. I, par. 2.16, 2.26, 2.8, 3.28, 3.89-3.91, 3.99. Ibid., duplique de la Colombie, vol. I, par. 2.89, 3.35.
Ibid., CR 2012/11, p. 52, p. 55 (Bundy) ; Ibid., CR 2012/13, p. 25 (Bundy).
173 Convention de Cartagena, préambule, cinquième alinéa (annexe 17).
174 Annexe 2 : Institut colombien pour la réforme agraire, résolution no 206 du 16 décembre 1968.
119
120
- 54 -
3.45. Ainsi qu’il a été indiqué au chapitre 2, la Société autonome pour le développement
durable de l’archipel (CORALINA), à sa création, fut dotée d’un ressort de compétence
comprenant le «territoire du département de l’archipel de San Andrés, Providencia et
Santa Catalina, la mer territoriale et la zone économique exclusive engendrée par les parties
terrestres de l’archipel», et investie de la mission de promouvoir la préservation, la protection et
l’utilisation durable des ressources naturelles renouvelables et de l’environnement de l’archipel,
tout en intégrant dans ce processus les communautés autochtones habitant les îles et leurs méthodes
ancestrales d’utilisation des ressources naturelles.
3.46. Au-delà des préoccupations relatives à la diversité biologique, s’exprime aussi le souci
de maintenir les «processus essentiels»175 de la nature ou de préserver ce que l’on désigne
désormais sous le terme générique d’«écosystèmes». Parmi les définitions universellement admises
de ce terme, citons celle donnée à l’article 2 de la convention sur la diversité biologique, aux
termes de laquelle un écosystème s’entend d’un «complexe dynamique formé de communautés de
plantes, d’animaux et de micro-organismes et de leur environnement non vivant qui, par leur
interaction, forment une unité fonctionnelle»176.
3.47. Le Nicaragua semble penser que de simples promesses de protéger l’environnement
marin du sud-ouest de la mer des Caraïbes et sa diversité biologique pourraient suffire. Toutefois,
le respect du droit international s’apprécie au regard d’actes, et non de paroles ou de promesses. En
particulier, dès lors qu’un écosystème fragile est en jeu, le droit international fait obligation aux
deux Parties de prendre des mesures en amont et non d’adopter une attitude «attentiste».
3.48. Il est pour le moins surprenant que le Nicaragua, lorsqu’il tire grief, dans son mémoire,
de la prétendue présence illicite de la Colombie dans sa zone économique exclusive, ne fasse
aucune mention de ces importants objectifs juridiques, pourtant consacrés dans des conventions
internationales auxquelles il est partie. Il ne reconnaît pas davantage qu’il y va de l’intérêt légitime,
et même du devoir, de la Colombie de veiller à la protection et à la préservation du milieu marin du
sud-ouest de la mer des Caraïbes, et moins encore qu’il a lui-même d’importantes obligations à cet
égard.
3.49. Pour garantir un développement durable, il convient de préserver la biodiversité, tout
particulièrement dans le cas de mers semi-fermées, dont les écosystèmes sont non seulement
fragiles, mais très interdépendants et interconnectés.
3.50. Ainsi que le souligne le préambule de la convention sur la diversité biologique, qui
présente les droits et obligations existant en droit international coutumier, «la conservation de la
diversité biologique est une préoccupation commune à 1’humanité»177. La convention précise
également que «la conservation de la diversité biologique exige essentiellement la conservation
in situ des écosystèmes et des habitats naturels ainsi que le maintien et la reconstitution de
populations viables d’espèces dans leur milieu naturel»178.
175 Nations Unies, doc. A/RES/37/7. Charte mondiale de la nature, premier principe général. Accessible à
l’adresse suivante : http://www un org/documents/ga/res/37/a37r007.htm (dernière consultation le 10 novembre 2016).
176 Convention sur la diversité biologique, art. 2. Accessible à l’adresse suivante : https://www.cbd.int/
convention/text/ (dernière consultation le 10 novembre 2016).
177 Ibid., préambule.
178 Ibid.
121
122
- 55 -
3.51. La réserve de biosphère Seaflower, l’aire marine protégée du même nom et la zone
contiguë unique contribuent toutes au processus de conservation in situ des écosystèmes. Elles
témoignent du respect par la Colombie de son obligation de protéger et de préserver la diversité
biologique de la mer des Caraïbes et les fragiles écosystèmes de l’archipel de San Andrés. En
s’acquittant de cette obligation, la Colombie honore un autre devoir fondamental qu’impose le droit
international, celui de faire preuve de la diligence requise.
3.52. Dès lors, l’on ne saurait voir dans ces initiatives une entrave à l’exercice, par le
Nicaragua, de ses droits souverains  droits qui, en tout état de cause, ne sont pas illimités, et qui
doivent être exercés dans le respect de l’obligation de protéger et de préserver le milieu marin.
2. Le devoir qu’ont les Parties de faire preuve de la diligence requise dans
les espaces maritimes du sud-ouest de la mer des Caraïbes
3.53. Le droit international coutumier exige des Etats et, en particulier, des Etats dotés
d’espaces maritimes situés dans une mer semi-fermée, telle que la mer des Caraïbes, qu’ils fassent
preuve de la diligence requise pour prévenir toute infraction dans ces espaces, et éviter notamment
toute infraction pouvant compromettre les ressources halieutiques ou la protection de
l’environnement.
3.54. La section ci-après vise à montrer que le Nicaragua et la Colombie ont, conformément
au droit international, le devoir de faire preuve de la diligence requise dans les espaces maritimes
du sud-ouest de la mer des Caraïbes, ce devoir étant «renforc[é]»179, compte tenu des
caractéristiques environnementales propres à cette partie de la mer des Caraïbes. Ce devoir renforcé
de faire preuve de la diligence requise s’applique, plus spécifiquement, en l’espèce, à la protection
de l’environnement (sous-section a)) et aux pratiques de pêche déprédatrices dans la partie sudouest
de la mer des Caraïbes (sous-section b)).
3.55. Ainsi qu’il sera montré dans la partie consacrée aux demandes reconventionnelles, le
Nicaragua, dans ses écritures, ne fait nul cas de son devoir de faire preuve de la diligence requise.
La Colombie n’en est pas pour autant fondée à méconnaître le devoir qui lui incombe tout autant à
cet égard, ni le Nicaragua en droit de lui reprocher de «harceler» les pêcheurs nicaraguayens
lorsqu’elle s’en acquitte.
a) Le devoir renforcé qu’ont les Parties de faire preuve de la diligence requise à l’égard de
l’environnement dans le sud-ouest de la mer des Caraïbes
3.56. La Colombie a déjà insisté sur l’importance que revêtent les devoirs que le droit
international coutumier impose au Nicaragua et à la Colombie de protéger et de préserver le milieu
marin, ainsi que la biodiversité marine de la mer des Caraïbes. Ceux-ci participent d’un devoir plus
large, celui d’exercer la diligence requise s’agissant de l’environnement en général.
3.57. Ce devoir de diligence requise fait partie du droit international coutumier. La Cour a
relevé que, conformément au droit international coutumier, les Etats étaient tenus «de mettre en
oeuvre tous les moyens à [leur] disposition pour éviter que les activités qui se déroulent sur [leur]
territoire, ou sur tout espace relevant de [leur] juridiction, ne causent un préjudice sensible à
179 Usines de pâte à papier sur le fleuve Uruguay (Argentine c. Uruguay), arrêt, C.I.J. Recueil 2010, p. 80,
par. 197.
123
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- 56 -
l’environnement d’un autre Etat»180. La Cour est d’ailleurs allée plus loin, soulignant que
l’obligation d’exercer la diligence requise vis-à-vis de toutes les activités qui se déroulent sous la
juridiction et le contrôle de chacune des parties impliquait la nécessité non seulement d’adopter les
normes et mesures appropriées, mais encore
«d’exercer un certain degré de vigilance dans leur mise en oeuvre ainsi que dans le
contrôle administratif des opérateurs publics et privés, par exemple en assurant la
surveillance des activités entreprises par ces opérateurs, et ce, afin de préserver les
droits de l’autre [Etat]»181. (Les italiques sont de nous.)
3.58. L’obligation de diligence requise impose donc à un Etat d’adopter les normes et
mesures appropriées, et d’exercer une vigilance dans leur mise en oeuvre et contrôle administratif.
En d’autres termes, l’Etat en cause a l’obligation «de mettre en place les moyens appropriés, de
s’efforcer dans la mesure du possible et de faire le maximum»182.
3.59. La Cour a en outre reconnu, dans l’affaire relative à des Usines de pâte à papier, que
l’obligation de diligence requise pouvait, dans certains circonstances, être «encore renforcée»183.
Les spécificités du sud-ouest de la mer des Caraïbes, conjuguées à la fragilité des écosystèmes
concernés et aux risques croissants pesant sur son environnement — du fait, par exemple, des
pratiques de pêche déprédatrices, de la pollution ou encore de grands projets d’infrastructure —,
appellent un renforcement de ce devoir. Un Etat doit en conséquence être autorisé à exercer les
droits correspondants afin de pouvoir s’acquitter de son devoir en la matière (précisons néanmoins,
pour qu’aucun doute ne subsiste à cet égard, que les droits en question existent indépendamment de
l’observation de ce devoir). La Colombie doit donc être en mesure d’exercer conformément au
droit international son droit à la liberté de navigation, ses droits de survol, de surveillance,
d’assistance humanitaire et autres droits connexes, dont celui d’assurer comme il se doit la
«surveillance des activités entreprises»184 par des opérateurs publics et privés, sans être accusée
d’entraver le Nicaragua dans l’exercice de ses droits souverains.
3.60. C’est précisément le degré de vigilance requis en matière de protection de
l’environnement qui est ici en jeu. En s’acquittant de son devoir à cet égard, la Colombie n’a en
aucune façon empêché le Nicaragua d’exercer ses propres droits souverains.
3.61. Réciproquement, cependant, le Nicaragua a également le devoir de faire preuve de la
diligence requise à l’égard des navires de pêche battant pavillon nicaraguayen ou titulaires de
permis délivrés par ses autorités, comme à l’égard de ses nationaux. Compte tenu de la nature de
l’espace maritime en question, c’est une «tolérance zéro» qu’il devrait pratiquer à l’égard des
opérateurs nicaraguayens publics ou privés qui se livrent à des pratiques destructrices, et ne font
aucun cas de l’environnement. Or, le Nicaragua a entièrement méconnu cette obligation.
180 Usines de pâte à papier sur le fleuve Uruguay (Argentine c. Uruguay), arrêt, C.I.J. Recueil 2010, p. 56,
par. 101.
181 Ibid., p. 89, par. 197.
182 Responsabilités et obligations des Etats qui patronnent des personnes et des entités dans le cadre d’activités
menées dans la Zone, avis consultatif du 1er février 2011, Tribunal international du droit de la mer (TIDM),
Recueil 2011, p. 41, par. 11[0] ; Demande d’avis consultatif soumise par la commission sous-régionale des pêches
(CSRP), avis consultatif du 2 avril 2015, par. 129.
183 Usines de pâte à papier sur le fleuve Uruguay (Argentine c. Uruguay), arrêt, C.I.J. Recueil 2010, p. 80,
par. 197.
184 Ibid., p. 79, par. 197.
125
126
- 57 -
b) Le devoir renforcé qu’ont les Parties de faire preuve de la diligence requise s’agissant des
pratiques de pêche déprédatrices dans le sud-ouest de la mer des Caraïbes
3.62. En outre, le droit international coutumier impose aussi bien au Nicaragua qu’à la
Colombie un devoir renforcé de faire preuve de la diligence requise en matière de protection et de
préservation des ressources biologiques de la mer des Caraïbes. Ainsi que l’a rappelé le Tribunal
international du droit de la mer (TIDM), «la conservation des ressources biologiques de la mer
constitue un élément essentiel de la protection et de la préservation du milieu marin»185.
3.63. L’Assemblée générale des Nations Unies a fait état des préoccupations relativement à
la pêche dans la mer des Caraïbes, et encouragé les Etats concernés à mettre en oeuvre des pratiques
de pêche durables. En 2004, elle a ainsi adopté la résolution 59/230 sur la «[p]romotion d’une
approche intégrée de la gestion de la zone de la mer des Caraïbes dans la perspective du
développement durable», dans laquelle elle demandait «aux Etats de mettre au point, compte tenu
de la convention sur la diversité biologique, des programmes nationaux, régionaux et
internationaux pour contrecarrer l’appauvrissement de la biodiversité marine, en particulier
d’écosystèmes fragiles comme les récifs coralliens»186. Les mêmes préoccupations furent de
nouveau exprimées dans sa résolution 63/214, adoptée en 2008 («Vers le développement durable
de la mer des Caraïbes pour les générations présentes et à venir»)187. L’Assemblée générale alla
même jusqu’à encourager les Etats des Caraïbes à «respecter les principes du Code de conduite
pour une pêche responsable adopté par l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et
l’agriculture»188.
3.64. Adopté le 31 octobre 1995 par plus de 170 membres de l’Organisation des
Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture, dont la Colombie et le Nicaragua, le Code de
conduite pour une pêche responsable est considéré comme énonçant des normes internationales
minimales189. Ce code dispose que «[l]e droit de pêcher implique l’obligation de le faire de manière
responsable afin d’assurer effectivement la conservation et la gestion des ressources
bioaquatiques»190, et énonce, entre autres, que les Etats doivent empêcher la surexploitation et la
constitution d’une capacité de pêche excédentaire191, tout en prenant en compte les intérêts des
pêcheurs192. L’Assemblée générale a mis en exergue les mêmes préoccupations en 2012193.
3.65. Tant le Nicaragua que la Colombie sont donc tenus à un devoir renforcé de faire preuve
de la diligence requise pour empêcher les pratiques de pêche nocives, les activités de pêche
déprédatrices et les prises d’espèces menacées d’extinction à même d’avoir des effets
préjudiciables sur les ressources biologiques de la mer des Caraïbes, et d’en menacer la pérennité.
185 Affaires du Thon à nageoire bleue (Nouvelle-Zélande c. Japon ; Australie c. Japon), demandes en
prescription de mesures conservatoires, ordonnance du 27 août 1999, TIDM, Recueil 1999, p. 295, par. 70.
186 Nations Unies, doc. A/RES/59/230, par. 14.
187 Nations Unies, doc. A/RES/63/214.
188 Nations Unies, Instruments internationaux relatifs à la pêche accompagnés d’un index, sect. III. Disponible à
la bibliothèque du Palais de la Paix.
189 R. Wolfrum, «Preservation of the Marine Environment», in J. Basedow, U. Magnus, R. Wolfrum, The
Hamburg Lectures on Maritime Affairs, 2011-2013 (Springer, 2015), p. 6. Disponible à la bibliothèque du Palais de la
Paix.
190 Art. 6.1.
191 Art. 6, par. 3.
192 Art. 7.2.2 c).
193 Nations Unies, doc. A/RES/67/205.
127
128
- 58 -
Ce devoir revêt une importance particulière compte tenu de l’interconnexion et de la fragilité de
l’écosystème de l’archipel et des eaux qui l’entourent. Les activités de pêche déprédatrices dans la
zone maritime pertinente en l’espèce sont notamment le fait de scaphandriers autonomes usant de
méthodes destructrices. Les deux Parties ont l’obligation d’adopter les mesures voulues et
d’intervenir pour empêcher de telles activités dans la partie sud-ouest de la mer des Caraïbes.
3.66. Ces obligations ne découlent pas uniquement du droit international coutumier, mais
également de la convention de Cartagena et de la convention de 1973 sur le commerce international
des espèces de faune et de flore sauvages menacées d’extinction (ci-après la «convention
CITES»)194.
3.67. Les espèces les plus pêchées dans la zone frontalière, qui recouvre essentiellement le
banc de Luna Verde, de Quitasueño et de Serrana, sont la langouste blanche et le lambi195.
3.68. La langouste blanche est une espèce dont il est reconnu qu’elle pourrait rapidement se
trouver menacée d’extinction. Elle figure dans la liste incluse à l’annexe III du protocole relatif aux
zones et à la vie sauvage spécialement protégées (protocole SPAW) de la convention de Cartagena.
Les pays parties à ce protocole, dont la Colombie, doivent donc prendre des mesures spécifiques
pour assurer la protection et la restauration de la langouste blanche tout en réglementant son
exploitation.
3.69. Le strombe géant figure parmi les espèces énumérées à l’annexe II de la convention
CITES. Conformément à cette dernière, la Colombie a drastiquement réduit ses activités de pêche
pour cette espèce. Seuls 90 de ses ressortissants sont autorisés à la pratiquer, à bord de 15 petites
embarcations196. Aucun navire de pêche industrielle n’est autorisé à pêcher le strombe géant, seule
la plongée en apnée étant permise. La Colombie n’exporte pas de strombe géant197, et sa pêche,
dans l’archipel, est soumise à des réglementations précises, avec un système strict d’attribution de
quotas réservé aux seuls pêcheurs artisanaux, et uniquement destinée à la consommation locale198.
3.70. En invitant des navires titulaires de permis délivrés par le Nicaragua et battant pavillon
nicaraguayen à mettre fin à des activités déprédatrices préjudiciables pour ces espèces, la Colombie
honore l’obligation lui incombant de faire preuve de la diligence requise. S’agissant en particulier
194 Convention de 1973 sur le commerce international des espèces de faune et de flore sauvages menacées
d’extinction (CITES). Accessible à l’adresse suivante : https://treaties.un.org/doc/Publication/UNTS/Volume%
20993/volume-993-I-14537-French.pdf.
195 Voir chap. 6, par. 6.8 ci-dessous.
196 Voir M. C. Prada, R. S. Appeldoorn, Draft Regional Queen Conch Fisheries Management and Conservation
Plan, p. 16, 23. Accessible en anglais à l’adresse suivante : http://www.fao.org/fi/static-media/MeetingDocuments/
WECAFC16/Ref20e.pdf (dernière consultation le 10 novembre 2016).
197 D’après la décision no 350 du 10 octobre 2013 adoptée par le ministère de l’agriculture et du développement
rural, un quota de 16 tonnes a été fixé pour les prises de strombes géants, celles-ci étant réservées aux pêcheurs artisanaux
et uniquement destinées à la consommation locale (et non, donc, à l’exportation) (annexe 8). Ces dispositions ont été
entérinées par les résolutions no 1680 du 27 décembre 2013, no 1845 du 13 décembre 2014 et no 1975 du
10 novembre 2015, adoptées par l’autorité nationale de l’aquaculture et de la pêche.
198 Conformément à la résolution no 3312 du 24 novembre 2010, la pêche de strombe géant a été interdite dans le
département de San Andrés, Providencia et Santa Catalina ; aucun quota de pêche n’a donc été fixé en 2011 et 2012 pour
cette espèce. Depuis 2013, les autorités compétentes ont fixé la limite globale des prises de strombe géant à 16 tonnes aux
alentours de l’archipel de San Andrés. Seuls les pêcheurs artisanaux bénéficient de ces quotas, la pêche de cette espèce
étant en outre uniquement destinée au marché local.
129
130
- 59 -
du strombe géant, la seizième session de la conférence des parties à la convention CITES (COP 16)
a encouragé les Etats à
«participer à l’élaboration de plans nationaux, sous-régionaux et régionaux pour la
gestion et la conservation de S[trombus] gigas [le strombe géant], à échanger des
informations et à collaborer sur : … c) les questions relatives à la lutte contre la
fraude, y compris la pêche illégale, non réglementée et non déclarée (INN)»199.
3.71. De manière plus générale, la nécessité d’exercer une diligence requise renforcée à
l’égard de la pêche INN a également été consacrée dans le cadre de la commission des pêches pour
l’Atlantique Centre-Ouest (COPACO), dont le Nicaragua et la Colombie sont tous deux membres.
Dans la résolution COPACO/15/2014/6 relative au soutien régional de la mise en oeuvre du
mécanisme régional de gestion des pêches des Caraïbes (CRFM, d’après l’acronyme anglais), dite
«déclaration sur la pêche illicite, non déclarée et non réglementée (déclaration de Castries),
Castries, Ste Lucie, (2010)», la COPACO a insisté sur la nécessité de lutter contre la pêche INN et
donc de «faciliter l’élaboration et l’application de politiques et de mesures visant à prévenir, à
contrecarrer et à éliminer [ce type de pratique] dans la région»200. (Les italiques sont de nous.)
3.72. Dans le document final de la Conférence des Nations Unies sur le développement
durable (Rio+20), la communauté internationale s’est déclarée consciente que «la pêche illégale,
non déclarée et non réglementée priv[ait] de nombreux pays de ressources naturelles essentielles et
continu[ait] de faire peser une menace persistante sur leur développement durable»201.
Et de s’engager de nouveau à
«éliminer la pêche illégale, non déclarée et non réglementée … et à prévenir et
combattre ces pratiques, notamment : en élaborant et en appliquant des plans d’action
nationaux et régionaux conformes au Plan d’action international de la FAO pour lutter
contre la pêche illégale, non déclarée et non réglementée ; en faisant en sorte que les
Etats côtiers, les Etats du port, les Etats qui affrètent les navires pratiquant ce type de
pêche et les Etats de nationalité de leurs propriétaires réels, ainsi que les Etats qui
soutiennent ou pratiquent cette pêche mettent en oeuvre, dans le respect du droit
international, des mesures efficaces et coordonnées en vue d’identifier les navires qui
exercent ce type d’activité et de priver les contrevenants des profits qu’ils en
tirent.»202 (Les italiques sont de nous.)
Les objectifs de développement durable (ODD) vont dans le même sens. L’objectif 14
(«Conserver et exploiter de manière durable les océans, les mers et les ressources marines aux fins
du développement durable») prévoit d’ailleurs que l’ensemble des Etats Membres de
199 Convention sur le commerce international des espèces de faune et de flore sauvages menacées d’extinction,
seizième session de la Conférence des Parties, Bangkok, Thaïlande, 3-14 mars 2013, décisions 16.141 à 16.148,
concernant la coopération régionale sur la gestion et le commerce du lambi ou strombe géant (Strombus gigas) ;
accessible à l’adresse suivante : https://cites.org/fra/dec/valid16/F16-Dec.pdf.
200 Commission des pêches pour l’Atlantique Centre-Ouest, quinzième session, Port of Spain, Trinité-et-Tobago,
26-28 mars 2014, document COPACO/XV/2014/16, «Projet de résolutions et de recommandations», projet de résolution
COPACO/15/2014/6 relative au soutien régional de la mise en oeuvre du CRFM «déclaration sur la pêche illicite, non
déclarée et non réglementée (déclaration de Castries), Castries, Ste Lucie, (2010)». Accessible à l’adresse suivante :
http://www.google.com/url?sa=t&rct=j&q=&esrc=s&source=web&cd=1&ved=0ahU…
wC4AQFggcMAA&url=http%3A%2F%2Fwww.wecafc.org%2Fen%2Frecommendations-and-resolutions%2Fresolut
ions.html%3Fdownload%3D78%3Awecafc-15-2014-6&usg=AFQjCNHdQYKS7Ut4eY3ToPntTWctWb-a3A&sig2=
Z0UBk4eEoE8cIXircS5dYg.
201 Nations Unies, doc. A/66/L.56, Rio+20, document final, par. 170.
202 Ibid.
131
132
- 60 -
l’Organisation des Nations Unies doivent «réglementer efficacement la pêche, mettre un terme à la
surpêche, à la pêche illicite, non déclarée et non réglementée et aux pratiques de pêche
destructrices»203. (Les italiques sont de nous.)
3.73. Il convient en outre de faire preuve d’une diligence requise renforcée s’agissant de la
conservation des habitats d’espèces de poissons menacées d’extinction, tout particulièrement dans
les écosystèmes fragiles. Le droit international coutumier ne vise pas seulement à prévenir
l’exploitation directe d’espèces dont le risque de disparition est universellement reconnu, mais
aussi à prévenir les dommages susceptibles de toucher de manière indirecte des espèces en
régression, menacées ou en voie d’extinction, en contribuant à la dégradation de leur habitat. Si les
mesures prises par la Colombie s’agissant de la réserve de biosphère Seaflower et de l’aire marine
protégée du même nom contribuent à la protection et la préservation de ces espèces, le Nicaragua,
pour sa part, n’a pris aucune initiative en ce sens.
3.74. Outre ces considérations, la Cour a pris acte du devoir qu’a un Etat (tel que le
Nicaragua en la présente espèce) «de tenir pleinement compte de[s] droits [d’un autre Etat] et des
mesures de conservation dont la nécessité dans [telle ou telle zone maritime] est démontrée»204.
Pour elle,
«[l’]un des progrès dont le droit international maritime est redevable à l’intensification
de la pêche est que, à l’ancienne attitude de laissez-faire à l’égard des ressources
biologiques …, se substitue désormais la reconnaissance qu’il existe un devoir de
prêter une attention suffisante aux droits d’autres Etats ainsi qu’aux impératifs de la
conservation dans l’intérêt de tous»205. (Les italiques sont de nous.)
3.75. Tous ces droits et devoirs concernant la préservation de l’environnement et la
conservation durable des ressources halieutiques ne peuvent être dissociés d’autres droits, en
particulier ceux de la communauté raizale et d’autres habitants de l’archipel. Le droit international
coutumier impose aux Parties de préserver l’environnement eu égard à des considérations non
seulement écologiques, mais également humaines. Ainsi que l’énonce le principe 1 de la
déclaration de Rio sur l’environnement et le développement de 1992, «[l]es êtres humains sont au
centre des préoccupations relatives au développement durable. Ils ont droit à une vie saine et
productive en harmonie avec la nature.»206
3.76. Le droit à un environnement sain, viable et durable est plus crucial encore dès lors que
les communautés vulnérables de l’archipel, telle celle des Raizals, sont en jeu. Les moyens de
subsistance de ces communautés sont indissociablement liés à l’existence d’un environnement sain
et durable, et en sont même tributaires. Cet état de fait a été expressément reconnu par la
communauté internationale lors de la conférence Rio+20, où il a été souligné «que les populations
autochtones et les communautés locales dépendent souvent plus directement de la biodiversité et
des écosystèmes et sont par conséquent plus fréquemment et immédiatement touchées par leur
perte et leur dégradation»207.
203 Nations Unies, doc. A/70/L.1.
204 Compétence en matière de pêcherie (Royaume-Uni c. Islande), fond, arrêt, C.I.J. Recueil 1974, p. 31, par. 72.
205 Ibid.
206 Nations Unies, doc. A/CONF. 151/26 (vol. I), principe 1 de la déclaration de Rio sur l’environnement et le
développement.
207 Nations Unies, doc. A/66/L.56, Rio+20, document final, par. 197.
133
134
- 61 -
La prochaine section sera consacrée à cette question.
3. Le droit et l’obligation qu’ont les Parties de protéger le droit des Raizals et
des autres habitants de l’archipel à un environnement sain,
viable et durable
3.77. La Cour a en plusieurs occasions reconnu le lien existant entre la protection de
l’environnement et le bien-être de communautés humaines. L’environnement, a-t-elle observé,
«n’est pas une abstraction, mais bien l’espace où vivent les êtres humains et dont dépendent la
qualité de leur vie et leur santé, y compris pour les générations à venir»208. (Les italiques sont de
nous.) Cette reconnaissance est bien la preuve que l’un des objectifs ultimes auquel répond
l’obligation qu’ont les Etats de protéger l’environnement est de préserver, à l’intention des êtres
humains, un environnement qui soit sain et viable. Lorsque l’environnement en cause est celui de
communautés aussi vulnérables que le sont les habitants de l’archipel, et en particulier les Raizals,
la nécessité de le protéger doit faire l’objet de la part des Etats d’une diligence encore accrue.
3.78. Cette obligation s’applique indépendamment de considérations de souveraineté. Ce qui
est ici en jeu, ce ne sont pas des droits souverains sur des espaces maritimes, mais le droit qu’ont
les Raizals et les autres habitants de l’archipel à un environnement sain et durable.
3.79. Le droit qu’ont les peuples autochtones et les communautés locales à voir leur
environnement et leurs habitats protégés est reconnu dans la pratique étatique. Mentionnons tout
particulièrement, dans le contexte du présent différend, la déclaration américaine sur les droits des
peuples autochtones, adoptée le 15 juin 2016, dont l’article XIX (sur le «droit à la protection de
l’environnement salubre») énonce en son paragraphe 2 : «Les peuples autochtones ont le droit de
conserver, réhabiliter et protéger leur environnement et d’assurer la gestion durable de leurs terres,
territoires et ressources.»209
3.80. La Cour interaméricaine des droits de l’homme (ci-après la «CIADH») a maintes fois
examiné le lien entre protection de l’environnement et droits des peuples autochtones et des
communautés locales. Sa jurisprudence présente un intérêt particulier, en ce qu’il y est reconnu que
la protection des territoires des peuples autochtones et des communautés locales découle de la
nécessité de leur assurer une continuité dans l’utilisation de leurs ressources naturelles, garante du
maintien de leur mode de vie.
3.81. Ainsi, en l’affaire Sarayaku, la CIADH a estimé que «le droit à l’utilisation et à la
jouissance du territoire n’aurait aucun sens pour les communautés tribales et autochtones s’il n’était
pas rattaché à la protection des ressources naturelles sur le territoire»210 [Traduction du Greffe]. En
l’affaire Bayano, elle a encore élargi ce lien entre protection de l’environnement et exercice de
leurs droits par les peuples autochtones et les communautés locales, en disant ceci :
208 Licéité de la menace ou de l’emploi d’armes nucléaires, avis consultatif, C.I.J. Recueil 1996, p. 241-242,
par. 29 ; Projet Gabčíkovo-Nagymaros (Hongrie/Slovaquie), arrêt, C.I.J. Recueil 1997, p. 41, par. 53.
209 Déclaration américaine sur le droit des peuples autochtones, accessible à l’adresse suivante :
http://www.oas.org/fr/46ag/ (dernière consultation le 10 novembre 2016).
210 CIADH, Kichwa Indigenous People of Sarayaku v. Ecuador, Judgment (Merits and Reparations)
27 juin 2012, par. 146-147. Voir aussi Xákmok Kásek Indigenous Community, Merits, Reparations and Costs, Judgment,
24 août 2010, par. 85 ; Sawhoyamaxa Indigenous Community, Merits, Reparations and Costs, Judgment, 29 mars 2006,
Series C no 146, par. 118 ; Yakye Axa Indigenous Community, Merits, Reparations and Costs, Judgment, 17 juin 2005,
Series C no 125, par. 137 ; Saramaka People, Preliminary Objections, Merits, Reparations and Costs, Judgment,
28 novembre 2007, Series C no 172, par. 88.
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136
137
- 62 -
«En outre, bien que ni la déclaration américaine des droits et devoirs de
l’homme ni la convention américaine relative aux droits de l’homme ne fassent
expressément référence à la protection de l’environnement, il est clair que plusieurs
des droits fondamentaux qui s’y trouvent consacrés supposent nécessairement, afin de
pouvoir être dûment exercés, une qualité environnementale minimale, et pâtissent
considérablement de la dégradation du stock de ressources naturelles.»211 [Traduction
du Greffe]
3.82. C’est sur le fondement du lien entre environnement et jouissance des droits des peuples
autochtones que la CIADH a conclu que les Etats avaient le devoir de protéger l’habitat de ces
peuples et d’empêcher qu’il n’y soit porté atteinte «compte tenu des spécificités des peuples
autochtones, et de la relation unique et spéciale qu’ils entretiennent avec leurs territoires ancestraux
et avec les ressources naturelles que ceux-ci recèlent»212. Et de rappeler que
«les Etats sont tenus de surveiller et d’empêcher les activités illicites d’extraction,
telles que l’exploitation du bois, la pêche, et les activités minières illégales sur les
territoires ancestraux, tribaux ou autochtones, d’enquêter sur de telles pratiques et d’en
punir les responsables»213 [traduction du Greffe].
3.83. Ainsi qu’il a été expliqué au chapitre 2, la protection de l’environnement, l’accès aux
ressources halieutiques et la conservation de ces ressources dans les zones où elles sont
traditionnellement pêchées revêtent une importance cruciale pour la subsistance même des Raizals.
La Cour elle-même a reconnu l’importance des activités de pêche pour le bien-être et la qualité de
vie des habitants de zones côtières ou riveraines. Se référant spécifiquement à la pêche à des fins de
subsistance, elle a ainsi, dans son arrêt en l’affaire du Différend relatif à des droits de navigation et
des droits connexes (Costa Rica c. Nicaragua), confirmé que les habitants du Costa Rica
jouissaient d’un droit coutumier de pêche dans le fleuve San Juan du Nicaragua214.
3.84. Tant le Nicaragua que la Colombie ont le devoir d’empêcher qu’il ne puisse être porté
atteinte aux droits de pêche traditionnels des Raizals, en protégeant leur environnement et leur
habitat. La Colombie s’est acquittée de ce devoir, en veillant à faire intervenir les Raizals et les
autres communautés de l’archipel dans la réglementation et la gestion d’initiatives telles que celle
dont procède la création de l’aire marine protégée Seaflower. Cette dernière a été établie en 2005,
conformément à la législation colombienne, en vertu des accords no 021 et 025 de la
CORALINA215. Le Nicaragua, dans son mémoire, n’en fait cependant aucun cas. Il considère
apparemment que le simple fait de posséder des droits souverains sur sa zone économique
exclusive le dispense de s’acquitter des obligations qui vont de pair avec ces droits et sont pourtant
dûment reconnues par le droit international coutumier. De même, il refuse de reconnaître les droits
et les devoirs qui sont ceux de la Colombie dans la zone pertinente, à l’exception de l’obligation
qu’il impute à celle-ci de ne pas mener d’activités dans la zone économique exclusive
nicaraguayenne.
211 CIADH, rapport no 125/12, affaire 12.534, Kuna Indigenous People of Mudungandi and Embera Indigenous
People of Bayano and their Members v. Panama, Merits, 13 novembre 2012, par. 233.
212 Ibid., par. 234.
213 Ibid.
214 La Cour a conclu «que la pêche à des fins de subsistance pratiquée par les habitants de la rive costa-ricienne
du San Juan depuis cette rive d[evait] être respectée par le Nicaragua en tant que droit coutumier», Différend relatif à des
droits de navigation et des droits connexes (Costa Rica c. Nicaragua), arrêt, fond, C.I.J. Recueil 2009, p. 266,
par. 143-144.
215 Annexes 5 et 6.
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139
- 63 -
3.85. Or, l’existence de droits souverains ne surpasse ni, a fortiori, ne fait disparaître le
devoir incombant aussi bien au Nicaragua qu’à la Colombie de protéger les droits des Raizals et
des autres habitants de l’archipel à un environnement sain, viable et durable.
D. DROITS COUTUMIERS DES PÊCHEURS ARTISANAUX D’ACCÉDER AUX BANCS
OÙ ILS ONT COUTUME DE TRAVAILLER, ET DE LES EXPLOITER
3.86. L’existence de droits de pêche coutumiers reconnus aux habitants de l’archipel ne prête
pas à controverse. La pratique dont témoignent les déclarations sous serment et documents
historiques mis en avant par la Colombie au chapitre 2 est claire à cet égard: depuis l’époque
coloniale, les Raizals, dont l’archipel est le territoire ancestral, et les autres communautés qui y sont
installées n’ont cessé de naviguer, de pêcher et de chasser la tortue dans des zones du sud-ouest de
la mer des Caraïbes situées au-delà de celles dont la Cour a reconnu l’appartenance à la Colombie
dans son arrêt de 2012. Jusque-là, point de désaccord. Le Nicaragua n’a pas seulement reconnu
l’existence de cette pratique ancienne, mais également le droit qu’ont les pêcheurs artisanaux de
l’archipel de l’exercer, sans avoir à en solliciter l’autorisation, dans les zones maritimes qui lui
appartiennent216.
1. Formation et reconnaissance d’un droit coutumier local à
pratiquer la pêche artisanale
3.87. Il n’est pas inhabituel que des Etats conviennent, tacitement ou explicitement, que les
habitants de régions frontalières doivent pouvoir traverser les frontières en question pour accéder
aux ressources dont ils ont besoin pour assurer la subsistance de leurs communautés. Cela se
produit dans le contexte de frontières terrestres217, comme dans celui de frontières maritimes
fonctionnelles218.
216 Annexe 73 : President Daniel meets Juan Manuel Santos in Mexico, El 19 Digital, 2 décembre 2012 ;
annexe 74 : Daniel ratifies to Colombia his vocation for peace, radio La Primerísima, 2 décembre 2012 ; annexe 76 :
Powerful interests want a confrontation with Colombia, radio La Primerísima, 21 février 2013 ; annexe 75 : Nicaragua
exercises peaceful sovereignty over its waters, radio La Primerísima, 5 décembre 2012 ; annexe 77 : Daniel meets
delegation from Iceland, El 19 Digital, 18 novembre 2014.
217 Ile de Kasikili/Sedudu (Botswana/Namibie), C.I.J. Recueil 1999, p. 1094, par. 74 : «Il n’est d’ailleurs pas
inhabituel que les habitants de régions frontalières en Afrique traversent les frontières en question, pour des raisons liées
à l’agriculture ou au pacage, sans que les autorités d’un côté ou de l’autre de ces frontières s’en alarment» ; commission
frontalière Erythrée-Ethiopie, Decision Regarding Delimitation of the Border between the State of Eritrea and the
Federal Democratic Republic of Ethiopia, 13 avril 2002, ILM, vol. 41, par. 7.3 : «Il faut tenir compte des droits
coutumiers de la population locale d’accéder au fleuve» ; Différend frontalier (Burkina Faso/Niger), arrêt,
C.I.J. Recueil 2013, p. 90-91, par. 112 ; article 9 de l’arrangement concernant les droits relatifs à l’usage des eaux à la
frontière entre le Tanganyika et le Ruanda-Urundi, Londres, 22 novembre 1934, Société des Nations, Recueil des traités,
vol. 190, p. 106.
218 Affaire de la délimitation de la frontière maritime entre l’Erythrée et le Yémen (Erythrée c. République du
Yémen), sentence arbitrale du 17 décembre 1999, deuxième étape : délimitation maritime, RSA, vol. XXII, par. 103-112 ;
article 5-1 de l’accord entre le Gouvernement de la République d’Indonésie et le Gouvernement de Papouasie-Nouvelle-
Guinée concernant les frontières maritimes entre la République d’Indonésie et la Papouasie-Nouvelle-Guinée et la
coopération sur les questions y relatives (Agreement between the Government of the Republic of Indonesia and the
Government of Papua New Guinea concerning Maritime Boundaries between the Republic of Indonesia and Papua
New Guinea and cooperation on related matters, 1980) ; accord entre le Gouvernement de Papouasie-Nouvelle-Guinée et
le Gouvernement des Iles Salomon concernant l’administration des zones spéciales (Agreement between the Government
of Papua New Guinea and the Government of Solomon Islands concerning the administration of the special areas) ;
mémorandum d’accord entre le Gouvernement de l’Australie et le Gouvernement de la République d’Indonésie
concernant les activités des pêcheurs traditionnels indonésiens dans certaines parties de la zone de pêche exclusive et du
plateau continental australiens (Memorandum of understanding between the Government of Australia and the
Government of the Republic of Indonesia regarding the operations of Indonesian traditional fishermen in areas of the
Australian exclusive fishing zone and continental shelf).
140
- 64 -
3.88. Dans bien des cas, des pratiques de cette nature sont observées pendant de longues
années sans donner lieu à la moindre protestation de la part des autorités de l’Etat voisin. Dans
certains, la pratique «positive» de personnes privées implique nécessairement l’existence d’une
pratique «négative» des autorités étatiques qui, alors qu’elles ont connaissance des activités
exercées dans les limites de leur juridiction, s’abstiennent d’intervenir dans des circonstances
appelant une réaction dans un délai raisonnable.
3.89. C’est ce qu’a reconnu la Cour dès 1960 dans son arrêt en l’affaire du Droit de passage
sur territoire indien (Portugal c. Inde)219. Dans cette décision, elle a jugé que la pratique
«négative» de libre passage entre l’arrondissement côtier de Damao et les enclaves [de Dadrá et de
Nagar-Aveli] maintenue par les autorités d’abord britanniques, puis indiennes, avait été à l’origine
d’une coutume locale entre le Portugal et l’Inde220. La conclusion selon laquelle le Portugal avait
un droit coutumier de passage pour les personnes privées, les fonctionnaires civils et les
marchandises n’a pas nécessité une analyse exhaustive de l’opinio juris sive necessitatis. Les
circonstances étaient telles que la Cour a considéré, eu égard au fait que l’Inde avait toléré les
activités qui se déroulaient dans le cadre de sa juridiction, que la pratique de libre passage «a[vait]
été acceptée par les Parties comme étant le droit et a[vait] donné naissance à un droit et à une
obligation correspondante»221. En revanche, les griefs exprimés en temps utile par l’Inde quant au
passage, sans notification préalable, de troupes portugaises sur son territoire étaient bien, selon elle,
la preuve de l’inexistence d’un droit coutumier équivalent pour les forces armées, la police armée
et les armes et munitions222.
3.90. Dans une récente affaire mettant elle aussi en cause le Nicaragua, la Cour a de même
jugé que «le fait que … n’[ait] pas [été] nié[e] l’existence d’un droit découlant de [la]
pratique … qui s’était poursuivie sans être entravée ni remise en question durant une très longue
période, [était] particulièrement révélateur», avant de conclure à l’existence d’un droit coutumier
du Costa Rica à pêcher sur le territoire du Nicaragua223. Dans de telles circonstances, lorsque les
deux Parties ont reconnu une pratique existant de longue date224, l’Etat qui a toléré la manifestation
d’un comportement donné dans sa juridiction ne saurait s’abriter derrière l’argument selon lequel il
appartiendrait à l’Etat qui entend se prévaloir d’une norme de droit coutumier d’apporter la preuve
de l’opinio juris sive necessitatis. A vrai dire, la Cour s’est montrée disposée à reconnaître
l’existence d’un droit coutumier en se fondant sur des éléments de preuve pour le moins ténus,
ayant à bon droit relevé qu’il ne fallait pas s’attendre qu’une telle pratique, «tout particulièrement
au vu de l’isolement de la région [en question], ainsi que de la faible densité et du caractère
clairsemé de sa population, [fût] consignée de manière formelle dans un quelconque compte rendu
officiel»225.
3.91. Les conclusions auxquelles la Cour est parvenue dans le cadre de ces deux précédents,
qu’un demi-siècle sépare, montrent également que l’existence en droit international de normes
coutumières locales, venant s’ajouter aux normes coutumières générales, ne saurait faire de doute.
Et, ainsi que l’a dit la Cour dans son arrêt de 1960 en l’affaire du Droit de passage sur territoire
219 Droit de passage sur territoire indien (Portugal c. Inde), fond, arrêt, C.I.J. Recueil 1960, p. 6.
220 Ibid., p. 40.
221 Ibid.
222 Op. cit., p. 41-43.
223 Différend relatif à des droits de navigation et des droits connexes (Costa Rica c. Nicaragua), arrêt,
C.I.J. Recueil 2009, p. 236-266, par. 141.
224 Ibid., p. 265, par. 141.
225 Ibid.
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indien (Portugal c. Inde), l’on voit «difficilement pourquoi le nombre des Etats entre lesquels une
coutume locale peut se constituer sur la base d’une pratique prolongée devrait nécessairement être
supérieur à deux»226.
3.92. Il peut aussi arriver que les autorités étatiques ne se contentent pas de prendre acte de la
réalité d’une pratique, mais constatent expressément l’existence de droits coutumiers. Il ne reste
plus aucune incertitude lorsque les omissions sont suivies d’une reconnaissance explicite et répétée
de ce que la pratique en question vaut exercice d’un droit.
3.93. Or  fait significatif , en la présente espèce, les droits traditionnels qu’ont les
Raizals de pratiquer la pêche artisanale dans les eaux qui relèvent désormais de la zone
économique exclusive du Nicaragua ont été expressément reconnus à plusieurs reprises. Ils l’ont
été une première fois le 26 novembre 2012, lorsque le président Ortega a souligné que le Nicaragua
respectait pleinement le droit des habitants de l’archipel à «pêcher et [à] naviguer dans les eaux sur
lesquelles ils navigu[aient] depuis toujours»227.
3.94. Dans cette déclaration, le président du Nicaragua avait certes aussi indiqué que les
pêcheurs artisanaux devraient obtenir l’autorisation des autorités nicaraguayennes compétentes,
obligation qui aurait privé de tout sens la reconnaissance des droits historiques des Raizals. Mais,
dans des déclarations ultérieures, il n’a plus fait référence à une quelconque exigence de cet ordre.
Lors de la réunion qui s’est tenue à Mexico le 1er décembre 2012, il a ainsi affirmé que le
Nicaragua «respecterait les droits ancestraux des Raizals» et mis en avant la nécessité d’instituer
divers «mécanismes» afin de «garantir le droit de pêche d[e ce] peuple»228. Le 21 février 2013, il a
expressément distingué les cas de la pêche artisanale et industrielle229 : aucun permis ne serait exigé
par les forces navales nicaraguayennes des pêcheurs pratiquant celle-ci, tandis que les pêcheurs
pratiquant celle-là devraient solliciter l’autorisation de l’autorité nicaraguayenne compétente230.
M. Ortega a également précisé quelle serait la portée des «mécanismes» institués, en expliquant
que le problème technique, était d’identifier les pêcheurs traditionnels de l’archipel et leurs
embarcations afin de leur permettre de «pêcher librement»231. Le 18 novembre 2014, il a encore
indiqué que, si la délimitation de 2012 devait en tout état de cause être mise en oeuvre, il
conviendrait d’inclure dans l’accord qu’il s’agissait de négocier avec la Colombie des garanties à
l’intention des communautés raizales de l’archipel232. Enfin, le 5 novembre 2015, il a une fois de
plus souligné qu’il serait fait état du droit de pêche de ses «frères raizals» dans ledit accord233.
3.95. Le fait que ce droit ait été reconnu par les plus hauts représentants du Nicaragua est
essentiel dans le cadre de la présente instance. Compte tenu de l’importance que la Colombie
attache à la protection des droits de pêche historiques des habitants de l’archipel, il mérite d’être
rappelé qu’au lendemain même du prononcé de l’arrêt de 2012, la ministre des affaires étrangères
de la Colombie s’est déclarée disposée à entamer un dialogue avec les autorités nicaraguayennes
226 Droit de passage sur territoire indien (Portugal c. Inde), fond, arrêt, C.I.J. Recueil 1960, p. 39.
227 Message du président Daniel au peuple nicaraguayen, El 19 Digital, 26 novembre 2012 (MN, annexe 27).
228 Annexes 73 et 74.
229 Annexe 76.
230 Ibid.
231 Ibid.
232 Annexe 77.
233 Annexe 78 : President Daniel receives letters of credence from the ambassadors of Colombia, El Salvador,
Germany and Italy, El 19 Digital, 6 novembre 2015.
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145
- 66 -
afin de s’assurer que les pêcheurs colombiens, et tout particulièrement ceux pratiquant la pêche
artisanale, ne pâtiraient pas de la décision de la Cour234.
3.96. Dans la déclaration qu’il a faite le 13 février 2013, le président colombien a également
souligné qu’il importe de respecter les droits en matière de pêche artisanale. Le président Santos a
en outre affirmé que les habitants de l’archipel ne devraient pas avoir à demander une autorisation
au Nicaragua pour exercer leurs droits de pêche historiques sur les bancs où ils avaient coutume de
pêcher235.
3.97. L’importance accordée à la protection des droits de pêche artisanale est aussi attestée
par l’adoption du décret no 1946 du 9 septembre 2013, qui reflétait également la mission de la
Colombie en matière de protection de droits de pêche historiques des habitants de l’archipel236,
ainsi que par la décision du Gouvernement tendant à indemniser les pêcheurs artisanaux ayant pâti
de la perte de leurs territoires de pêche traditionnels consécutivement à la délimitation effectuée
en 2012237.
2. Les droits de pêche traditionnels ont survécu à la
délimitation maritime de 2012
3.98. Si le Nicaragua a ainsi reconnu en principe l’existence de droits de pêche traditionnels
dévolus aux habitants de l’archipel, il importe de rappeler que la règle générale, en droit
international, veut que la délimitation de nouvelles frontières internationales soit sans incidence sur
les droits traditionnels. Ainsi que l’a dit récemment, dans sa sentence, un Tribunal arbitral,
«[l]a jurisprudence des juridictions internationales ainsi que la pratique
conventionnelle internationale viennent elles aussi étayer le principe selon lequel, à
défaut d’interdiction expresse, le transfert de souveraineté dans un contexte de
délimitation ne doit pas être réputé emporter extinction des droits traditionnels à
l’utilisation de la terre (ou de ressources maritimes)»238. [Traduction du Greffe]
3.99. Il s’ensuit que les régimes coutumiers survivent à la délimitation de frontières
maritimes; ce n’est que lorsque les parties concernées conviennent du contraire que de tels droits
viennent à s’éteindre239. Ainsi que l’a indiqué un autre Tribunal arbitral, les régimes de pêche
traditionnels ne dépendent pas, «du point de vue de [leur] existence ou de [leur] protection, du tracé
d’une frontière internationale»240, et «aucun nouvel accord conjoint n’est juridiquement nécessaire
pour que soit perpétué un régime fondé sur la liberté réciproque»241.
234 Conférence de presse de la ministre des affaires étrangères de Colombie (18 février 2013) (EPC, annexe 10).
235 Déclaration du président de la République de Colombie (18 février 2013) (EPC, annexe 10).
236 MN, p. 46, par. 241 (annexe 23-B, transcription d’un enregistrement audio en date du 8 mai 2014, p. 339) ;
«Communication entre les forces navales», El Nuevo Diario (5 décembre 2012) (EPC, annexe 36).
237 Voir, par exemple, l’accord entre le fonds national de gestion des risques de catastrophe et le département pour
la prospérité sociale no 9677-20-251-2013.
238 Délimitation de la région de l’Abyei entre le Gouvernement du Soudan et le Mouvement/Armée populaire de
libération du Soudan, sentence arbitrale du 22 juillet 2009, RSA, vol. XXX, p. 408, par. 753.
239 Ibid., p. 408-410, par. 753-760.
240 Arbitrage Erythrée/Yémen, sentence du Tribunal arbitral dans la deuxième étape de la procédure (délimitation
maritime), sentence du 17 décembre 1999, traduction de la Cour permanente d’arbitrage, par. 110.
241 Ibid., par. 111.
146
147
- 67 -
3.100. Il est possible de voir dans ce régime coutumier, qui pourrait également être qualifié
de servitude internationale242, et qui constitue une sorte d’usufruit international ou encore de droit
réel, une dérogation à l’exclusivité de la souveraineté et des droits souverains. Or, la Cour a déjà
jugé, sur la base d’arguments qui portaient sur des dispositions conventionnelles mais qui valent
aussi bien pour les normes coutumières, les accords tacites et les engagements unilatéraux que, une
fois établie une limite à la souveraineté, rien ne justifie d’en interpréter étroitement la portée243. La
portée ratione materiae et ratione personae des droits de pêche ici en cause devrait être claire.
Ainsi que l’a déclaré le président Ortega le 22 février 2013, tandis que les pêcheurs artisanaux de
l’archipel pourraient pêcher dans les zones maritimes attribuées au Nicaragua sans avoir à en
demander l’autorisation aux autorités de ce pays, ceux pratiquant la pêche industrielle devraient
solliciter un permis à cet effet244.
3.101. Il va sans dire que les droits coutumiers en question, dont le contenu sera précisé plus
loin, ne constituent pas des droits souverains exclusifs ; ils n’emportent pas davantage dérogation
aux droits souverains du Nicaragua. L’on ne doit pas même y voir le pendant coutumier d’une zone
de régime commun telle que celle établie entre la Jamaïque et la Colombie, dans le cadre de
laquelle les deux Etats partagent des obligations et des droits équivalents. Leur nature est plus
limitée. Loin de constituer une prétention à la souveraineté ou à des droits souverains à l’égard du
plateau continental et de la zone économique exclusive, il s’agit simplement de droits coutumiers
d’accès et d’exploitation. Les exercer ne revient nullement à mettre en cause les droits souverains
exclusifs de l’Etat côtier  en l’occurrence, le Nicaragua.
3.102. Cette situation est conditionnée par l’histoire de la région. Les pêcheurs artisanaux de
l’archipel pêchent dans ces eaux depuis des temps immémoriaux, indépendamment des différends
passés ou présents. Jusqu’à la seconde moitié du XXe siècle, la population de l’archipel avait
coutume de suivre les migrations des tortues dans l’ensemble de la partie sud-ouest de la mer des
Caraïbes. Il ne s’agit donc pas d’exclure ces communautés de leurs zones de pêche traditionnelles,
mais de leur permettre de continuer de pratiquer, sans entraves, leur activité de pêche artisanale,
dans la mesure où celle-ci est respectueuse de l’environnement.
242 Arbitrage Erythrée/Yémen, sentence rendue par le Tribunal arbitral dans la première étape de la procédure
(souveraineté territoriale et champ du différend), 9 octobre 1998, traduction de la Cour permanente d’arbitrage, par. 126 :
«Tout d’abord, la situation qui a existé pendant de nombreux siècles où il fut de tout temps
possible d’exploiter les ressources marines de la mer Rouge méridionale et d’y pratiquer la pêche, d’y
pratiquer aussi sans restriction la circulation d’une côte à l’autre, et où il fut aussi toujours possible aux
populations des deux côtes d’utiliser conjointement les îles, présente par là d’importants éléments à même
de créer certains «droits historiques» au bénéfice des deux Parties sous l’effet d’une consolidation
historique constituant comme une sorte de «servitude internationale» beaucoup plus qu’une souveraineté
territoriale.»
243 Différend relatif à des droits de navigation et des droits connexes (Costa Rica c. Nicaragua), arrêt,
C.I.J. Recueil 2009, p. 237, par. 48 :
«[L]a Cour n’est pas convaincue par l’argument du Nicaragua selon lequel le droit de libre
navigation du Costa Rica devrait recevoir une interprétation étroite dès lors qu’il représente une limite à
la souveraineté que le traité confère au Nicaragua … S’il est bien exact que les limites à la souveraineté
d’un Etat sur son territoire ne se présument pas, il n’en résulte pas pour autant que des dispositions
conventionnelles instituant de telles limites, telles que celles qui sont en cause dans la présente espèce,
devraient recevoir pour cette raison une interprétation étroite a priori. La disposition d’un traité qui a pour
objet de limiter les pouvoirs souverains d’un Etat doit être interprétée comme toute autre disposition
conventionnelle, à savoir conformément aux intentions de ses auteurs telles qu’elles sont révélées par le
texte du traité et les autres éléments pertinents en matière d’interprétation.»
244 «Le Nicaragua demande à Bogotá de constituer des commissions chargées de l’application de l’arrêt de
La Haye», La Opinión, 22 février 2013, MN, annexe 35.
148
149
- 68 -
3.103. Ce droit restreint d’accès et d’exploitation est également une nécessité, puisqu’il
s’agit d’aider à la satisfaction de besoins concrets de la population qui risquerait, autrement, d’être
fortement compromise. Comme l’a montré la Colombie au chapitre II, les habitants de l’archipel et,
en particulier, la communauté raizale, pêchent depuis plus de trois siècles sur des bancs
traditionnels situés de part et d’autre du 82e méridien de longitude ouest. Ces pratiques de pêche
artisanales, impliquant de naviguer sur des distances relativement longues à bord de bateaux à voile
dans un premier temps, puis de lanchas, participent de l’identité culturelle des habitants de
l’archipel et permettent de répondre aux besoins économiques et, plus généralement, aux besoins
vitaux de la population de l’île.
3.104. Au cours de la procédure orale consacrée aux exceptions préliminaires, le Nicaragua a
ressenti le besoin de faire valoir que «la Colombie n’avait jamais avancé aucun argument au sujet
des droits ancestraux de pêche que posséderaient les Raizals, population autochtone de
San Andrés»245 dans le cadre de la première affaire ayant opposé les deux Parties. Mais le tracé de
frontière ne tient pas nécessairement compte des besoins et droits traditionnels des communautés
locales. Comme l’a fait remarquer le Tribunal arbitral en l’affaire opposant la Barbade et la
République de Trinité-et-Tobago, «prendre en considération l’activité de pêche pour déterminer le
tracé de la frontière est … tout autre chose que d’en tenir compte afin de se prononcer sur les droits
et devoirs des Parties à l’égard des ressources halieutiques dans des eaux qui, par suite du tracé de
cette frontière, relèvent de la zone économique exclusive de l’une ou de l’autre»246.
3.105. Pour des raisons de compétence, le Tribunal arbitral n’a pas, dans cette affaire, été en
mesure de se prononcer sur la prétention de la Barbade à un droit coutumier d’accès aux stocks de
poissons volants247. Il a toutefois estimé que «la Trinité-et-Tobago a[vait] assumé l’obligation»
d’accorder «à la Barbade un accès à ses ressources halieutiques au sein de [sa] zone économique
exclusive»248 [traduction du Greffe].
3.106. La Cour ainsi que différents tribunaux arbitraux et Etats ont maintes fois fait valoir
que les droits traditionnels devaient être respectés indépendamment du tracé de la frontière. En
conséquence, même si ces droits ne jouent pas un rôle important dans la détermination du tracé que
suivra une frontière, la ligne retenue par les parties, juges ou arbitres, ne remet pas en cause leur
existence. Ainsi, la Chambre de la Cour n’a guère fait de cas des arguments d’El Salvador fondés
sur la nécessité humaine essentielle lorsqu’elle a fixé le tracé de la frontière dans son arrêt de 1992
en l’affaire du Différend frontalier terrestre, insulaire et maritime (El Salvador/Honduras ;
Nicaragua (intervenant)), ce qui ne l’a pas empêchée de se déclarer convaincue que les parties
parviendraient à garantir que les «droits acquis» des habitants qui se trouveraient vivre du mauvais
côté de la ligne de délimitation seraient pleinement respectés249. De même, dans sa sentence en
l’affaire Erythrée-Yémen, le Tribunal arbitral a relevé que le régime de pêche traditionnel qui
245 Question de la délimitation du plateau continental entre le Nicaragua et la Colombie au-delà de
200 milles marins de la côte nicaraguayenne (Nicaragua c. Colombie), CR 2015/29 (9 octobre 2015), p. 50, par. 30
(agent).
246 Arbitrage entre la Barbade et la République de Trinité-et-Tobago, relatif à la délimitation de la zone
économique exclusive et du plateau continental entre ces deux pays, décision du 11 avril 2006, par. 276 [traduction du
Greffe].
247 Ibid., par. 283.
248 Ibid., par. 292.
249 Différend frontalier terrestre, insulaire et maritime (El Salvador/Honduras ; Nicaragua (intervenant)), arrêt,
C.I.J. Recueil 1992, p. 400-401, par. 66. Voir aussi : Colons allemands en Pologne, avis consultatif, C.P.J.I. 1923,
série B no 6, p. 36.
150
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- 69 -
s’appliquait au bénéfice des pêcheurs locaux «ne dépend[ait] pas, du point de vue de son existence
ou de sa protection, du tracé d’une frontière internationale par le … Tribunal»250.
3.107. A la lumière de ce qui précède, il apparaît que l’existence de droits de pêche
traditionnels dans les zones maritimes attribuées au Nicaragua est incontestée. Il n’est donc pas
surprenant que, dans la foulée du prononcé de l’arrêt de 2012, la Colombie et le Nicaragua aient
reconnu, tant tacitement qu’expressément, qu’un tel régime fondé sur une pratique ancestrale s’était
mué en norme coutumière locale qui survivait à la délimitation maritime.
3.108. Il n’est toutefois pas nécessaire, aux fins d’établir l’existence d’un droit coutumier de
pêche, que les Parties aient convenu de conclure des accords de pêche. En la présente instance,
l’existence de ce droit coutumier avait déjà été établie. Les déclarations des plus hauts
représentants des deux Parties témoignent d’une communauté de vues à cet égard. Elles reflètent
également la reconnaissance de l’existence d’un régime déjà consolidé protégeant les droits de
pêche traditionnels des habitants de l’archipel. En d’autres termes, les Etats concernés pourront à
l’avenir régler certaines questions techniques par voie d’accords de pêche, mais ils ont déjà admis
que les pêcheurs artisanaux de l’archipel avaient le droit d’exercer leur activité dans les zones
maritimes que la Cour a attribuées au Nicaragua.
3.109. La reconnaissance par les deux Parties des droits de pêche historiques des habitants de
l’archipel atteste la formation d’un droit coutumier local. Peu importe que celui-ci tire,
formellement, sa source d’une norme coutumière locale, d’un accord tacite, d’un acte
d’acquiescement, d’un engagement unilatéral voire d’une règle de droit international sur le sort à
réserver aux droits acquis de ressortissants étrangers. Le résultat est le même. Les habitants de
l’archipel et, en particulier, les Raizals, ont le droit de pêcher sur les bancs situés dans les zones
maritimes dont l’appartenance a été reconnue au Nicaragua, où ils ont toujours exercé cette activité,
sans avoir à en demander l’autorisation.
3.110. Ainsi qu’il a déjà été indiqué au chapitre II, ces bancs traditionnels sont notamment
situés :
 dans les eaux peu profondes, à Cape Bank et, en particulier, le long de la Esquina, autrement
dit de part et d’autre du 82e méridien de longitude ouest, et la zone dite de Luna Verde ainsi
que
 dans les eaux profondes, au nord de Quitasueño, à l’est du 82e méridien de longitude ouest et à
l’ouest et au nord-ouest de Providencia, de même qu’entre Providencia et Quitasueño, entre
Quitasueño et Serrana et entre Serrana et Roncador.
3.111. Toutefois, ce n’est pas parce qu’il a reconnu l’existence de tels droits de pêche
traditionnels et bien établis dévolus aux pêcheurs que le Nicaragua a, dans la pratique, respecté ces
droits. Ainsi que le montrera la Colombie au chapitre 9, le Nicaragua a au contraire, par son
comportement, fait obstacle à la capacité des habitants de l’archipel d’accéder librement à leurs
bancs de pêche traditionnels, en dépit des déclarations en sens contraire faites par ses plus hauts
représentants.
250 Arbitrage Erythrée/Yémen, sentence du Tribunal arbitral dans la deuxième étape de la procédure (délimitation
maritime), sentence du 17 décembre 1999, traduction de la Cour permanente d’arbitrage, par. 110.
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154
- 70 -
E. CONCLUSION
3.112. Le comportement des Parties en tant qu’Etats côtiers du sud-ouest de la mer des
Caraïbes doit être apprécié à la lumière des droits et devoirs incombant à chacune d’entre elles à
l’égard de la zone maritime pertinente. Dans ce contexte, force sera de conclure que la Colombie a
exercé ses droits de bonne foi et dans le dessein de s’acquitter des devoirs qui sont les siens en droit
international. Le Nicaragua, au contraire, a systématiquement manqué à ses obligations et a violé
les droits de la Colombie.
- 71 -
DEUXIÈME PARTIE
LA COLOMBIE A AGI CONFORMÉMENT AU DROIT
DANS LA MER DES CARAÏBES
CHAPITRE 4
LE MAL-FONDÉ DES DEMANDES DU NICARAGUA RELATIVES À DES VIOLATIONS
ALLÉGUÉES DE SES DROITS MARITIMES
A. INTRODUCTION
4.1. Dans le présent chapitre, la Colombie répondra aux allégations du Nicaragua, qui
prétend qu’elle a violé ses droits souverains et ses espaces maritimes, et montrera que ces griefs ne
sont fondés ni en fait ni en droit.
4.2. Dans la section B, la Colombie replacera la question dans son contexte en démontrant le
manque de sérieux des demandes du Nicaragua, tel qu’il ressort de leur examen à l’aune du propre
comportement de celui-ci et de ses déclarations publiques antérieures au dépôt de la requête. En
effet, s’il s’évertue aujourd’hui à donner l’impression que la Colombie aurait systématiquement
harcelé ses navires et violé ses espaces maritimes, le demandeur n’a formulé aucune plainte à
l’époque où ces événements se seraient produits. Au contraire, les responsables du Nicaragua, y
compris son chef d’Etat, avaient confirmé à maintes reprises qu’il n’y avait pas eu d’incident et que
la situation en mer était calme.
4.3. Les demandes du Nicaragua sont donc inconciliables avec son comportement à l’époque
en question. En réalité, si cet Etat a introduit l’instance au moment où il l’a fait, c’est parce que le
26 novembre 2013 (date du dépôt de la requête) était le dernier jour où le pacte de Bogotá
constituait une base de compétence lui permettant de saisir la Cour d’une affaire contre la
Colombie, et non parce que ses demandes avaient le moindre fondement. Telle est l’unique
explication plausible de ce dépôt, dont la date était totalement opportuniste.
4.4. Dans la section C, la Colombie traitera au cas par cas les «incidents» invoqués par le
Nicaragua à l’appui de ses demandes. Comme nous le verrons, les propres éléments de preuve que
celui-ci a produits montrent qu’il n’y a eu ni violation de ses droits maritimes ni atteinte à
l’exercice de ses droits souverains ou de sa juridiction dans les espaces qui, selon lui, relèvent de sa
zone économique exclusive ou de son plateau continental. Les assertions contraires du Nicaragua
sont non seulement trompeuses, mais reposent aussi dans bien des cas sur des «faits» dont
l’inexactitude peut être démontrée.
B. LE MANQUE DE SÉRIEUX DES DEMANDES DU NICARAGUA
4.5. Dans son arrêt sur les exceptions préliminaires, la Cour a jugé que, à la date critique
(celle du dépôt de la requête), il existait entre les Parties un différend relatif à de prétendues
violations par la Colombie des droits du Nicaragua dans les zones maritimes dont celui-ci affirmait
qu’elles lui avaient été reconnues par l’arrêt de 2012251. Cependant, l’existence d’un différend est
251 Arrêt sur les exceptions préliminaires, par. 74.
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- 72 -
une chose, et la question de savoir si, en fait et en droit, une ou plusieurs violations de ce type ont
été commises en est une autre.
4.6. Dans sa requête, le Nicaragua ne s’est pas référé à un seul «incident» survenu en mer qui
aurait donné lieu à une violation de ses droits maritimes. Au lieu de cela, il s’est pour l’essentiel
élevé contre certaines déclarations de hauts responsables colombiens sur l’arrêt de 2012 et la
promulgation par la Colombie du décret no 1946 portant création d’une zone contiguë unique
(question qui sera traitée au chapitre suivant). Il a certes allégué que «la Colombie a[vait]
constamment menacé de recourir à la force»252, mais l’exception préliminaire que celle-ci a
soulevée contre le grief en question a été retenue par la Cour. En outre, il a accusé dans sa requête
les forces navales colombiennes d’avoir fait preuve d’«hostilité» à l’égard de navires
nicaraguayens, ce qui aurait gravement compromis sa capacité d’exploiter les ressources de sa zone
économique exclusive et de son plateau continental253. Il n’a toutefois pas cité le moindre exemple
précis d’un tel comportement.
4.7. Comme la Colombie l’a montré au stade de l’examen de la compétence, pendant la
période comprise entre la date du prononcé de l’arrêt de 2012 de la Cour et celle à laquelle le pacte
de Bogotá a cessé d’être en vigueur pour la Colombie (soit le lendemain du dépôt de la requête du
Nicaragua), les responsables nicaraguayens eux-mêmes ont indiqué publiquement et à maintes
reprises qu’il n’y avait pas eu de problème avec les forces navales colombiennes, non plus que de
confrontation ou d’incident. En tant que telles, ces déclarations contredisent l’argument du
Nicaragua, qui affirme que le comportement de la Colombie aurait constitué une violation de ses
droits souverains. A l’évidence, le Nicaragua n’était pas de cet avis à l’époque. Ce n’est que près de
dix mois après avoir introduit la présente instance qu’il a adressé pour la première fois une plainte à
la Colombie.
4.8. Afin de remettre en perspective les affirmations du Nicaragua au sujet des prétendus
incidents qui sous-tendent sa demande, un rappel de la chronologie des événements pertinents peut
se révéler utile :
 le 5 décembre 2012, peu après que la Cour eut rendu son arrêt en l’affaire du Différend
territorial et maritime, le général Avilés, commandant en chef de l’armée du Nicaragua, a
précisé que la communication avec les autorités colombiennes se poursuivait et que les forces
navales de la Colombie n’avaient pas eu maille à partir avec les bateaux de pêche
nicaraguayens254 ;
 le 14 août 2013, quelque neuf mois et demi après le prononcé de l’arrêt, M. Ortega, président
du Nicaragua, a indiqué ceci :
«Comme je l’ai dit, nous devons reconnaître que, au milieu de tout ce tourbillon
médiatique, la marine colombienne, qui est très puissante, qui dispose assurément
d’une très grande puissance militaire, s’est montrée prudente et respectueuse, et
qu’aucune confrontation n’a eu lieu entre les forces navales colombiennes et
nicaraguayennes, que Dieu en soit remercié et qu’il nous aide à continuer de coopérer
ainsi»255 ;
252 Requête, par. 9.
253 Ibid., par. 15.
254 Exceptions préliminaires de la Colombie, annexe 36.
255 Ibid., annexe 11.
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 le 18 novembre 2013, peu avant que le Nicaragua ne dépose sa requête, l’amiral Corrales
[Rodriguez], commandant en chef des forces navales nicaraguayennes, a fait la déclaration
suivante : «en une année de présence [c’est-à-dire une année depuis le prononcé de l’arrêt
de 2012 de la Cour], nous n’avons rencontré aucun problème avec les forces navales
colombiennes», ajoutant que celles des deux pays étaient en «contact permanent» et qu’il n’y
avait eu entre elles «aucun conflit dans [l]es eaux [en cause]»256 ;
 le 18 mars 2014, soit trois mois et demi après que la requête eut été déposée et que la
Colombie eut cessé d’être liée par le pacte de Bogotá, le général Aviles, de l’armée
nicaraguayenne, a répété qu’il n’y «a[vait] pas eu d’incidents» et que les forces navales des
deux Etats naviguaient dans leurs eaux respectives et demeuraient en «contact permanent»257.
4.9. Ces déclarations sont inconciliables avec l’idée que, tout au long de la période en
question, la Colombie aurait fait preuve d’un comportement emportant violation des droits
souverains et des espaces maritimes du Nicaragua. Si des incidents ayant porté atteinte aux droits
de cet Etat s’étaient réellement produits, il est inconcevable que ses commandants militaires et son
président les eussent passés sous silence. Or, pas un mot n’a été dit à ce sujet. Au contraire, les
déclarations des plus hauts responsables du Nicaragua sont allées exactement dans l’autre sens.
4.10. Le président colombien, M. Santos, qui avait rencontré à Mexico le président
nicaraguayen, M. Ortega, quelques jours après le prononcé de l’arrêt de 2012, a, quant à lui, déclaré
ceci :
«Nous lui avons dit [à M. Ortega] qu’il fallait faire preuve de sang-froid et agir
diplomatiquement et en bonne entente en vue d’éviter les incidents. Il nous a entendus.
Nous sommes convenus d’établir des voies de communication pour traiter de
tous ces points. Cela me semble être le plus important. Et j’estime que cette réunion a
été fructueuse.»258
4.11. Comme l’attestent les déclarations faites par les responsables du Nicaragua après cette
réunion, des voies de communication ont été ouvertes, notamment entre les forces navales des deux
Etats, et il n’y a pas eu d’incident ni d’affrontement.
4.12. Ce n’est que le 13 août 2014, quelque huit mois et demi après que le Nicaragua eut
déposé sa requête et que la Colombie eut cessé d’être liée par le pacte, que M. César Vega Masís,
vice-ministre des affaires étrangères et directeur des affaires juridiques, de la souveraineté et du
territoire du Nicaragua, a écrit à l’amiral Corrales, chef des forces navales nicaraguayennes,
«afin de [le] prier de bien vouloir [l’]informer de tout incident qui se serait produit
entre les forces navales colombiennes et les forces navales nicaraguayennes, ainsi
qu’avec des pêcheurs nicaraguayens, dans la zone dont la Cour internationale de
Justice (CIJ) a reconnu l’appartenance au Nicaragua dans son arrêt du
19 novembre 2012»259.
256 Exceptions préliminaires de la Colombie, annexe 43.
257 Ibid., annexe 46.
258 Exceptions préliminaires de la Colombie, annexe 9.
259 MN, annexe 23-A, p. 281.
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4.13. Le 26 août 2014, l’amiral Corrales a adressé une lettre de réponse accompagnée d’une
liste de prétendus «incidents» mettant en cause les forces navales et les aéronefs de la Colombie260.
Or, c’est ce même M. Corrales qui, une semaine encore avant le dépôt de la requête du Nicaragua,
avait indiqué qu’au cours de l’année ayant suivi le prononcé de l’arrêt de la Cour, il n’y avait eu ni
problème avec les forces navales colombiennes ni conflit dans ces eaux. Aujourd’hui pourtant, le
Nicaragua dépeint sous un jour nouveau des événements qui ne méritaient même pas d’être
mentionnés au moment où ils se sont produits, allant jusqu’à les qualifier d’«incidents», et les
invoque, dans son mémoire, comme des éléments qui attestent les violations alléguées de ses droits
par la Colombie. Cet argument n’est pas crédible.
4.14. Le 13 septembre 2014, près de dix mois après le dépôt de la requête et trois semaines à
peine avant celui du mémoire, le Nicaragua a adressé à la Colombie une note diplomatique dans
laquelle il lui faisait pour la première fois grief d’avoir violé ses droits souverains et menacé de
recourir à la force261. La Colombie a répondu par une note diplomatique en date du
1er octobre 2014, indiquant avoir été surprise par la note nicaraguayenne et ajoutant que, sans
préjudice des faits relatifs à l’un quelconque des prétendus «incidents» qui y étaient mentionnés, le
Nicaragua ne pouvait avoir considéré aucun de ceux-ci comme un véritable incident au moment où
ils étaient censés s’être produits, puisqu’il ne les avait pas signalés malgré l’existence de voies de
communication de qualité entre les responsables des deux pays262.
4.15. Il ressort donc clairement de ce qui précède que, même après le dépôt de la requête, le
ministère nicaraguayen des affaires étrangères n’avait aucune information sur ces prétendus
«incidents». Ce fait, pris conjointement avec les déclarations des plus hauts responsables politiques
et militaires du Nicaragua, confirme une nouvelle fois que, avant la date du dépôt de la requête et
celle de la prise d’effet de la dénonciation du pacte par la Colombie, celle-ci ne s’était livrée à
aucune activité en mer que le Nicaragua aurait considérée comme une violation de ses espaces
maritimes. Quant aux «incidents» que cet Etat semble avoir découverts par la suite, il sera
démontré dans la section suivante qu’aucun d’eux n’a emporté violation de ses droits.
C. LA PRÉSENTATION TROMPEUSE QUE FAIT LE NICARAGUA DES ÉVÉNEMENTS
4.16. Dans son mémoire, le Nicaragua invoque trente-six «incidents» censés étayer le
prétendu manquement de la Colombie à son obligation, énoncée par la Cour dans son arrêt de 2012,
de ne pas porter atteinte aux droits souverains et aux zones maritimes du Nicaragua. Or, près des
deux tiers de ces incidents (vingt-trois sur trente-six) se sont produits alors que la Colombie n’était
plus liée par les dispositions du pacte de Bogotá (soit après le 26 novembre 2013) et après le dépôt,
par le Nicaragua, de sa requête. Ainsi qu’on le verra dans la sous-section 1, les éléments en
question ne sont pas des preuves recevables, la Cour n’ayant pas compétence à l’égard des
violations alléguées qui sont postérieures à la date critique.
4.17. S’agissant, ensuite, des autres incidents, il apparaît clairement, lorsqu’on les examine à
la lumière des éléments de preuve datant de cette période, que les allégations du Nicaragua
procèdent d’une description inexacte et d’une présentation déformée des événements (pour autant
que ceux-ci aient effectivement existé). La sous-section 2 démontre que ces allégations sont, dans
chaque cas, dépourvues de fondement, et qu’aucun des incidents invoqués ne constitue une
violation des droits maritimes du Nicaragua.
260 Ibid., p. 282 et suiv.
261 Exceptions préliminaires de la Colombie, annexe 17.
262 Ibid., annexe 18.
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4.18. L’accusation du Nicaragua, qui prétend que, en permettant à des navires de pêcher dans
les eaux nicaraguayennes, la Colombie a violé ses droits souverains et ses espaces maritimes,
procède elle aussi d’une distorsion des faits. En réalité, ainsi qu’il sera démontré dans la
sous-section 3, la Colombie agit de manière conforme à ses obligations internationales dans la mer
des Caraïbes, et n’a en rien entravé l’exercice, par le Nicaragua, de ses droits souverains.
1. La Cour n’est pas compétente à l’égard des violations alléguées
qui sont postérieures au 26 novembre 2013
4.19. Dans le dispositif de son arrêt sur les exceptions préliminaires, la Cour a conclu qu’elle
avait compétence, sur la base de l’article XXXI du pacte de Bogotá, pour statuer sur le différend
entre les Parties concernant les prétendues violations par la Colombie des zones maritimes du
Nicaragua263. Ainsi qu’elle l’a rappelé dans le même arrêt, «la date à laquelle s’apprécie sa
compétence est celle du dépôt de la requête»264.
4.20. La Cour est donc effectivement compétente pour connaître des demandes du
Nicaragua, dans la mesure où celles-ci existaient à la date critique  soit la date du dépôt de la
requête. Elle est, de même, compétente pour rechercher si les faits se rapportant à des événements
antérieurs à la date critique viennent étayer les allégations du Nicaragua. Ainsi qu’elle l’a dit dans
son arrêt du 17 mars 2016, «[l]’extinction ultérieure du pacte entre le Nicaragua et la Colombie n’a
pas d’incidence sur la compétence qui existait à la date à laquelle l’instance a été introduite»265.
4.21. Il en va toutefois différemment s’agissant des événements postérieurs à la date critique.
La Colombie l’ayant dénoncé le 27 novembre 2012, le pacte de Bogotá  en particulier, ses
dispositions relatives à la résolution des différends  a cessé d’être en vigueur pour elle dès cette
date, soit le lendemain du dépôt de sa requête par le Nicaragua. L’acceptation par la Colombie de la
juridiction de la Cour est dès lors devenue caduque, et toute violation alléguée postérieure à cette
date échappe donc à la compétence de la Cour ratione temporis. Autrement dit, tous les faits
invoqués par le Nicaragua à l’appui de ses demandes, qui sont postérieurs au 26 novembre 2013,
sont dénués de pertinence ou non susceptibles d’être soumis à l’examen d’un organe judiciaire. Si
ces faits avaient été présentés dans le cadre d’une demande distincte ou d’une nouvelle affaire
introduite par le Nicaragua contre la Colombie après le 26 novembre 2013, ils auraient sans aucun
doute échappé à la compétence de la Cour. Pareils faits ne constituent pas non plus une pratique
récurrente se caractérisant par des comportements prétendument illicites de la part de la Colombie.
4.22. Etant donné que seuls treize des incidents sont antérieurs à la date à laquelle la
Colombie a cessé d’être liée par le pacte, et sont donc recevables à titre d’éléments de preuve, la
présente section ne portera que sur ces éléments spécifiques. Ainsi que nous le verrons, loin de
constituer des violations des droits du Nicaragua, les événements en question relevaient en réalité
de l’exercice de la liberté de navigation ou de survol, de mesures destinées à aider des habitants de
l’archipel qui exerçaient leurs droits de pêche traditionnels, de mesures visant à protéger
l’écosystème de la réserve de biosphère Seaflower, inscrite auprès de l’UNESCO, et de l’aire
marine protégée du même nom établie en vertu du protocole SPAW (protocole relatif aux zones et
à la vie sauvage spécialement protégées à la convention pour la protection et la mise en valeur du
milieu marin dans la région des Caraïbes), de la protection par la Colombie de ses propres droits
maritimes, et de situations dans lesquelles la marine colombienne prêtait assistance à des navires en
263 Arrêt sur les exceptions préliminaires, par. 111, point 2.
264 Ibid., par. 33.
265 Ibid., par. 48.
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- 76 -
détresse, y compris des navires battant pavillon nicaraguayen. Pour autant qu’elle se trouvât dans la
zone, la Colombie s’est également acquittée de ses obligations internationales vis-à-vis des Etats
tiers. Elle a ainsi conclu des accords internationaux avec la Jamaïque, le Costa Rica, le Mexique,
les Etats-Unis d’Amérique, le Honduras, la République dominicaine, le Guatemala et le Panama en
vue de coordonner la lutte contre le trafic illicite de stupéfiants et de substances psychotropes, de
mener des opérations de recherche et de sauvetage de navires perdus en mer, de renforcer la
sécurité maritime globale et de protéger et préserver l’environnement marin266.
2. Les «incidents» allégués par le Nicaragua
4.23. Ainsi qu’il ressort clairement de l’analyse qui en est faite dans la présente section,
nombre des allégations du Nicaragua sont inexactes du point de vue des faits et ne sont pas étayées
par les éléments versés au dossier. Le premier incident allégué, dans l’ordre chronologique, se
serait produit le 19 février 2013. Le Nicaragua prétend que la frégate ARC Almirante Padilla avait
empêché un navire de la marine nicaraguayenne d’inspecter un bateau de pêche colombien présent
dans la zone de Luna Verde. Selon lui, il s’agissait d’un exemple de cas dans lesquels la Colombie
avait entravé les efforts qu’il faisait pour exercer sa propre compétence en matière de pêche267
(ci-après, l’«incident no 1»). Or, il est impossible que cet «incident» se soit réellement produit. Le
journal de bord de l’ARC Almirante Padilla indique que le 9 février 2013, la frégate était amarrée
au quai BN1 de la base navale de Cartagena. La figure 4.1 ci-dessous illustre les positions
respectives du bâtiment nicaraguayen et de la frégate. Le journal de bord de l’ARC montre
également que son départ suivant pour l’île de San Andrés était prévu pour le 20 février 2013268.
Cette frégate n’a donc pu entraver d’une quelconque manière les droits du Nicaragua. Les «faits»
sur lesquels il se fonde étant manifestement inexacts, le Nicaragua ne s’est en aucune façon
acquitté de la charge de la preuve qui lui incombe s’agissant de la prétendue violation, par la
Colombie, de ses droits et espaces maritimes.
266 Voir chapitre 2, section D 2), ci-dessus.
267 MN, par. 2.39.
268 Annexe 31 : marine colombienne, journal de bord de l’ARC Almirante Padilla, 19 février 2013.
168
- 77 -
Figure 4.1. «Incident» no 1 allégué par le Nicaragua (19 février 2013)
Légende :
Approximate location of the unnamed Nicaraguan naval vessel = Position approximative du navire de la
marine nicaraguayenne non identifié
Boundary from the 2012 ICJ Judgment = Frontière fixée dans l’arrêt de 2012 de la CIJ
Location of the ARC «Almirante Padilla» at Pier BN1 of Cartagena’s Naval Base = Position de l’ARC
Almirante Padilla, amarré au quai BN1 de la base navale de Cartagena
4.24. Le deuxième événement auquel le Nicaragua se réfère dans son mémoire n’est pas un
«incident», mais une simple assertion fondée sur quelques articles de presse disparates. Le
Nicaragua affirme que des manoeuvres militaires de surveillance ont été menées par un aéronef
colombien au-dessus de la mer des Caraïbes, opération dans laquelle, selon les médias, il fallait
169
170
- 78 -
voir un «exercice de souveraineté» de la Colombie sur ses zones maritimes269 (ci-après,
l’«incident no 2»). Le Nicaragua tente par ailleurs d’attacher de l’importance aux propos de
Mme Aury Guerrero Bowie, gouverneur de l’archipel de San Andrés, qui a déclaré n’avoir
constaté, lors de sa visite dans cette zone, la présence d’aucun autre navire, hormis les frégates de
la marine colombienne270. Or, indépendamment de la manière dont les médias ont présenté
l’événement, la seule chose dont font état les articles de presse, c’est l’exercice par les navires et
appareils colombiens de leur liberté de navigation et de survol, droit dont jouissent tous les Etats,
au regard du droit international coutumier, dans la zone économique exclusive.
4.25. Le troisième incident (ci-après, «l’incident no 3») s’apparente à l’incident no 2 ; il
concerne l’exercice, par des navires colombiens, de leur droit à la liberté de navigation. Quelle que
soit la manière dont il est décrit271, l’exercice de ce droit par un Etat ne porte pas atteinte aux droits
de l’Etat côtier à une zone économique exclusive, et le Nicaragua n’indique en aucune façon en
quoi il aurait été empêché d’exercer ses droits souverains. En outre, le Nicaragua passe sous silence
le fait que, dans sa déclaration (sur laquelle cet Etat fonde sa plainte), le président Santos a insisté
sur l’engagement de la Colombie à «continuer[] à protéger la réserve Seaflower, qui figure sur la
liste du patrimoine mondial de l’UNESCO» et souligné qu’il s’agissait d’«un secteur très important
pour les pêcheurs colombiens traditionnels»272. En réalité, dans nombre des «incidents» allégués, la
Colombie a appelé l’attention du Nicaragua et de ses navires et leur a enjoint de respecter les zones
de pêche traditionnelles des pêcheurs artisanaux et de protéger l’écosystème fragile de la réserve de
biosphère Seaflower. Comme il a été montré au chapitre 3, l’obligation de préserver et de protéger
l’environnement marin fait partie des droits et obligations de la Colombie au titre du droit
international.
4.26. Le quatrième «incident» serait survenu le 13 octobre 2013, à 8 h 55. Selon le lieutenant
de vaisseau Holvin Martínez, commandant nicaraguayen du Río Escondido (GC-205), le navire se
trouvait par 14° 50' 00" de latitude nord et 81° 42' 00" de longitude ouest lorsque la frégate
colombienne ARC 20 de Julio l’a appelé sur la bande marine pour l’avertir qu’il se dirigeait vers
les eaux colombiennes, ce à quoi le lieutenant de vaisseau a répondu qu’il naviguait dans les eaux
relevant de la juridiction de l’Etat du Nicaragua273 (ci-après «l’incident no 4»). Les documents de la
Colombie indiquent cependant que la frégate ARC 20 de Julio ne se trouvait pas dans la zone en
question au moment où les événements allégués se seraient produits et qu’elle effectuait alors des
exercices avec l’hélicoptère ARC 201 dans une autre zone274. Les positions approximatives du
GC-205 et de l’ARC sont indiquées à la figure 4.2 ci-dessous. L’ARC s’est ensuite déplacée
jusqu’à se trouver par 12° 31,2' de latitude nord et 81° 43,9' de longitude ouest, dans la mer
territoriale de San Andrés, et est restée ancrée à cet endroit le reste de la journée pour qu’il puisse
être procédé au chargement et au déchargement de matériel pédagogique, don de la Fondation
sud-américaine (en espagnol «Fundación Suramericana»)275. Par ailleurs, le Nicaragua n’a fourni ni
enregistrement ni transcription de la communication entre l’ARC et le Río Escondido. Cependant,
si l’on en croit la propre annexe du Nicaragua, le commandant de la frégate colombienne s’est
269 MN, par. 2.25 et annexe 36.
270 Ibid., par. 2.26 et annexe 37.
271 Ibid., par. 2.27.
272 Ibid., annexe 5.
273 Ibid., par. 2.40 et annexes 18, 23-A et 24.
274 Selon le rapport de voyage maritime de l’ARC, la frégate se trouvait par 12° 01,1' de latitude nord et
81° 59,0' de longitude ouest à 6 h 28, et par 12° 05,7' de latitude nord et 81° 58,0' de longitude ouest à 6 h 57. Voir
annexe 46, rapport de voyage maritime de l’ARC 20 de Julio, 21 octobre 2013, p. 5.
275 Ibid.
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abstenu de rappeler après que le lieutenant de vaisseau eut répondu276. En tout état de cause,
appeler simplement l’attention d’un navire sur le fait qu’il se dirige vers les eaux d’un autre Etat ne
cause absolument aucun préjudice et peut difficilement être assimilé à une violation des droits
maritimes du Nicaragua. Ainsi, même si l’incident no 4 avait eu lieu, il n’aurait pas mis le
Nicaragua dans l’incapacité d’exercer ses droits souverains.
Figure 4.2. «Incident» no 4 allégué par le Nicaragua (13 octobre 2013)
Légende :
Approximate location of Nicaraguan Naval Vessel GC-205 «Río Escondido» = Position approximative du
Río Escondido (GC205), navire des forces navales nicaraguayennes
Approximate location of Colombian Naval Vessel l’ARC «20 de Julio» = Position approximative de
l’ARC 20 de Julio, navire des forces navales colombiennes
Boundary from the 2012 ICJ Judgment = Frontière fixée dans l’arrêt de 2012 de la CIJ
276 MN, annexe 23-A, p. 136.
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4.27. En réalité, l’annexe 23-A du mémoire du Nicaragua démontre que, le 13 octobre 2013,
des navires des forces navales nicaraguayennes opéraient dans les eaux situées à l’est du
82e méridien. Elle indique que, peu après l’incident no 4 qui serait survenu à 8 h 55, le
Río Escondido a signalé à 9 h 20 qu’il se trouvait par 14° 42' 00" de latitude nord et 81° 39' 00" de
longitude ouest et qu’il avait reçu l’ordre de poursuivre sa route jusqu’au point de coordonnées
14° 41' 00" de latitude nord et 81° 35' 00" de longitude ouest. A midi, le navire a signalé qu’il était
arrivé au point situé par 14° 36' 00" de latitude nord et 81° 48' 00" de longitude ouest, et, à 13 h 10,
le commandant du Río Escondido a «rapport[é] n’avoir rien à signaler de nouveau au point de
coordonnées 14° 36' 00" de latitude nord et 81° 49' 00" de longitude ouest (à 65 milles au nord-est
des cayes des Miskitos)». A 9 h 45, le Río Grande de Matagalpa a également rapporté avoir jeté
l’ancre par 15° 32' 00" de latitude nord et 81° 59' 00" de longitude ouest et fourni 50 gallons d’eau
à La Capitana, bateau de pêche exerçant cette activité dans la zone et titulaire à cet effet d’un
permis nicaraguayen277278. Les navires des forces navales nicaraguayennes naviguaient donc
librement, rendaient compte des activités exercées dans la zone et assistaient les navires de pêche
titulaires de permis nicaraguayens sans ingérence de la part de la Colombie.
4.28. Les quelques «incidents» suivants concernent les différents survols du territoire
nicaraguayen auxquels aurait procédé un aéronef colombien. Il importe de rappeler que, s’agissant
des prétentions du Nicaragua, qui affirme que ces survols représentaient une menace de l’emploi de
la force, la Cour a fait observer qu’aucun de ces incidents n’avait trait, même de loin, à une telle
prétention279. La Cour a également conclu qu’elle n’avait pas compétence pour examiner des griefs
concernant un recours à la menace ou à l’emploi de la force280. En outre, tous ces incidents (no 4
à 13) ou presque se sont produits au cours du mois précédant ou des quelques jours suivant la
déclaration dans laquelle le chef des forces navales nicaraguayennes avait nié catégoriquement
l’existence de problèmes ou de conflits avec les forces navales colombiennes. Comme l’a reconnu
la Cour, «de hauts responsables politiques et militaires nicaraguayens avaient confirmé que la
situation en mer était calme et stable.»281
4.29. Le Nicaragua soutient que, le 19 octobre 2013, deux OV-10 Bronco de l’armée de l’air
colombienne (ci-après la «FAC») ont survolé le Río Escondido pendant dix minutes d’une manière
hostile selon une direction nord-sud. Ces appareils auraient également survolé les bateaux de pêche
La Capitana, battant pavillon hondurien et titulaire d’un permis de pêche nicaraguayen, et
Le Camerón, battant pavillon nicaraguayen282. («Incident no 5») Cependant, les aéronefs, qui
volaient à une altitude de 4600 pieds283, exerçaient leur liberté de survol dans la zone économique
exclusive, et ni l’unité des forces navales nicaraguayennes ni les navires de pêche n’ont été
empêchés de poursuivre leurs activités dans la zone.
4.30. De plus, le lieu où se serait déroulé l’incident no 5 se situe dans une zone où se trouve
l’une des routes aériennes et maritimes les plus largement utilisées pour le transport des stupéfiants
en provenance d’Amérique du Sud et à destination d’Amérique centrale et d’Amérique du Nord.
277 MN, annexe 23-A, p. 129.
278 Ibid., p. 136.
279 Violations alléguées de droits souverains et d’espaces maritimes dans la mer des Caraïbes (Nicaragua
c. Colombie), exceptions préliminaires, arrêt du 17 mars 2016, par. 77.
280 Ibid., dispositif, par. 111 1) c).
281 Ibid., par. 76.
282 MN, par. 2.28 et annexes 18, 20, 23-A et 24. Il est cependant relevé que, au vu de l’annexe 20 susvisée, il
semble qu’il n’y ait qu’un seul bateau de pêche nommé Capitana-Camerón, et non deux navires distincts La Capitana et
Le Camerón.
283 Annexe 49 : rapport de voyage maritime de l’ARC Independiente, 6 novembre 2013.
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Les Etats sont tenus, conformément au droit international, de coopérer à la répression du trafic
illicite de stupéfiants et de substances psychotropes284. Jusqu’au prononcé de l’arrêt de 2012, la
Colombie a exécuté, dans le cadre de la lutte contre la criminalité organisée et le trafic de
stupéfiants, des missions visant à garantir la sécurité du trafic maritime et à contrôler l’espace
aérien dans la zone visée. Elle continue d’être le seul Etat de la région à être doté de la capacité
technique et opérationnelle pour ce faire et, en survolant la zone, elle continuait de coopérer à la
répression du trafic illicite de stupéfiants, conformément à ses obligations internationales.
4.31. Le sixième incident allégué, qui, selon le Nicaragua, est survenu le 29 octobre 2013,
présente des similitudes avec l’incident no 5. Apparemment, les navires des forces navales
nicaraguayennes le Río Grande Matagalpa (GC-201) et le Río Escondido (GC-205) se trouvaient
par 14° 36' 00" de latitude nord et 81° 55' 00" de longitude ouest, et 14° 37' 00" de latitude nord et
81° 58' 00" de longitude ouest, respectivement, lorsqu’ils auraient fait l’objet d’un survol «hostile»
par un avion de la FAC285. («Incident no 6»). Comme dans le cas de l’incident no 5, l’existence d’un
quelconque acte d’hostilité visant les unités des forces navales nicaraguayennes n’est nullement
démontrée. L’incident no 6 se serait produit dans une zone largement utilisée pour le transport des
stupéfiants et, si le Nicaragua n’a pas identifié l’aéronef en question, des avions sont régulièrement
envoyés dans cette zone en mission de reconnaissance pour détecter le trafic de stupéfiants et la
contrebande et surveiller des incidents qui seraient liés à un tel trafic. En tout état de cause, l’avion
en question avait la liberté de survoler la zone économique exclusive et son vol n’a eu aucune
incidence sur la capacité du Nicaragua d’exercer ses droits maritimes.
4.32. Le 30 octobre 2013, le navire nicaraguayen Río Grande Matagalpa (GC-201) a
rapporté qu’il se trouvait par 14° 36' 00" de latitude nord et 81° 55' 00" de longitude ouest
lorsqu’un hélicoptère des forces navales colombiennes est passé au-dessus de lui. Cet appareil
aurait également survolé de la même manière le Río Escondido (GC-205), à la position de
14° 37' 00" de latitude nord et 81° 58' 00" de longitude ouest286. Si l’on en croit l’annexe soumise
par le Nicaragua, ces deux survols ont apparemment eu lieu à 16 h 40, l’un à une altitude
approximative de 200 pieds (soit 60,96 mètres), et l’autre à une altitude de 400 pieds (soit
121,92 mètres)287. («Incident no 7»).
4.33. Les documents de la Colombie indiquent que, si l’hélicoptère ARC 201 se trouvait bien
dans la zone, il n’a pas eu un comportement hostile et n’a pas survolé ces navires nicaraguayens à
des altitudes aussi basses. Suivant les instructions navales internes de la Colombie, ses hélicoptères
ne sont pas autorisés à survoler un navire de type militaire à moins de 3500 pieds. Selon l’ordre de
mission pris par le commandement spécial de San Andrés et Providencia, «il est interdit de survoler
un navire de type militaire à moins de 3500 pieds, car le navire en question pourrait considérer
pareille manoeuvre comme hostile»288. D’après les documents de la Colombie, cet ordre a été
dûment respecté puisque l’hélicoptère, qui ne transportait aucune arme air-sol289, volait à
284 Le Nicaragua et la Colombie sont tous deux parties à la convention des Nations Unies contre le trafic illicite
de stupéfiants et de substances psychotropes de 1988, dont le paragraphe 1 de l’article 17 dispose que «[l]es Parties
coopèrent dans toute la mesure possible en vue de mettre fin au trafic illicite par mer, en conformité avec le droit
international de la mer».
285 MN, annexes 18, 23-A et 24.
286 Ibid.
287 Ibid., annexe 23-A, p. 142.
288 Annexe 61 : communication no 241000R/MDN-CGFM-CARMA-SECAR-JONA-CAVNA-CGANCA
-CEANCAR 29.60, 24 juin 2016, p. 1.
289 Ibid.
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6400 pieds290. En tout état de cause, l’appareil ne faisait rien d’autre qu’exercer sa liberté de survol
dans la zone économique exclusive. En outre, bien qu’il ait également survolé un navire des
garde-côtes américains, les Etats-Unis d’Amérique n’ont jamais formulé la moindre protestation à
cet égard. De plus, l’incident no 7 serait survenu dans une zone largement utilisée pour le transport
des stupéfiants et la Colombie s’acquittait des obligations qui lui incombent d’exercer une
surveillance et de coopérer en vue de réprimer le trafic illicite de telles substances.
4.34. Dans le cadre du huitième «incident», le commandant du Río Grande Matagalpa
(GC-201) a rapporté que, le 31 octobre 2013, il se trouvait par 14° 36' 00" de latitude nord et
81° 55' 00" de longitude ouest lorsque, à 9 heures, un hélicoptère a survolé son navire dans la
direction nord-sud. Il a également rapporté avoir repéré, à 10 heures, arrivant à environ 5 milles
marins au sud-est de son navire, une frégate colombienne sur laquelle s’est posé l’hélicoptère avant
que tous deux ne se dirigent vers le nord-est, disparaissant des radars291. («Incident no 8»). En fait,
il ne s’agissait absolument pas d’un «incident». Suivant les documents de la Colombie,
l’hélicoptère ARC 201 a décollé à 9 h 42, mais, ayant perdu la communication, il a dû se poser à
nouveau sur l’ARC Independiente à 10 h 23292. Cela n’aurait donc pu en aucune manière porter
préjudice au Nicaragua. De toute évidence, le chef des forces navales nicaraguayennes ne l’avait
pas perçu autrement lorsqu’il a rapporté, pendant la même période, qu’il n’y avait pas eu de
problème avec la marine colombienne.
4.35. A ce stade, il convient de rappeler que, en ce qui concerne les incidents nos 5, 6, 7 et 8,
la Cour a fait observer qu’aucun de ces survols ne relevaient d’une demande relative à la menace
de l’emploi de la force293. Ces survols n’ont pas non plus eu d’incidence sur la capacité du
Nicaragua à exercer des droits souverains dans ses espaces maritimes.
4.36. Le prétendu «incident» suivant, qui se serait produit le 7 novembre 2013, repose sur un
compte rendu indirect. Selon le Nicaragua, le responsable de la base navale de Puerto Cabezas a
rapporté que le capitaine du Lady Dee II, bateau de pêche battant pavillon nicaraguayen, l’avait
informé que son navire avait été approché par la frégate colombienne ARC Antioquia294. Compte
tenu de la situation, le commandant du GC-401 des forces navales nicaraguayennes était entré en
communication avec la frégate pour signaler que le Lady Dee II pêchait dans des eaux relevant de
la juridiction du Nicaragua295 (ci-après l’«incident no 9»).
4.37. Le Nicaragua n’a fourni aucun élément attestant que les communications alléguées ont
eu lieu entre les navires, et sa version des faits ne saurait s’écarter davantage de la réalité. Il ressort
des archives de la Colombie que l’ARC Antioquia n’était même pas en mer des Caraïbes à la date
où les faits invoqués se seraient produits. En outre, aucun document n’apporte la preuve d’une
quelconque interaction entre la frégate et le Lady Dee II ou entre la frégate et le GC-401, ce qui n’a
rien de surprenant puisque le navire colombien ne se trouvait pas dans la région. Il est en effet
indiqué dans le journal de bord de l’ARC Antioquia que, le 7 novembre 2013, celle-ci était amarrée
290 Annexe 49 : rapport de voyage maritime de l’ARC Independiente, 6 novembre 2013, p. 7.
291 MN, annexes 18, 23-A, p. 144, et 24.
292 Annexe 49 : rapport de voyage maritime de l’ARC Independiente, 6 novembre 2013, p. 10.
293 Violations alléguées de droits souverains et d’espaces maritimes dans la mer des Caraïbes (Nicaragua
c. Colombie), exceptions préliminaires, arrêt du 17 mars 2016, par. 77.
294 MN, par. 2.29, et annexes 18, 20, 23-A et 24.
295 Ibid., annexes 18, 20, 23-A et 24.
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à un quai de la base navale de Malaga, dans l’océan Pacifique296. Les positions respectives du
Lady Dee II et de l’ARC sont représentées à la figure 4.3 ci-après. Il apparaît donc clairement que
la description de l’événement donnée par le Nicaragua n’est pas fiable et, partant, qu’elle ne saurait
étayer un grief de violation de ses espaces maritimes par la Colombie.
Figure 4.3. «Incident» no 9 allégué par le Nicaragua (7 novembre 2013)
Légende :
Boundary from the 2012 ICJ Judgment = Frontière fixée dans l’arrêt de 2012 de la CIJ
Approximate location of Nicaraguan-flagged fishing vessel «Lady Dee II» = Position approximative du
Lady Dee II, bateau de pêche battant pavillon nicaraguayen
Location of the ARC «Antioquia» at a pier in Malaga’s Naval Base = Position de l’ARC Antioquia, à quai
dans la base navale de Malaga
4.38. Le dixième «incident» est également fondé sur un compte rendu indirect, que la
Colombie conteste. Selon le Nicaragua, le lieutenant de vaisseau Mario Páramo, commandant du
296 Annexe 50 : journal de bord de l’ARC Antioquia, 7 novembre 2013.
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GC-205 Río Escondido, a rapporté que le capitaine du Miss Sofía, langoustier battant pavillon
nicaraguayen, lui avait indiqué se trouver par 14° 50' 00" de latitude nord et 81° 45' 00" de
longitude ouest le 17 novembre 2013, lorsque le commandant de la frégate colombienne
ARC Almirante Padilla lui avait ordonné de se retirer au motif que les eaux en question relevaient
de la juridiction de la Colombie. Le langoustier refusant d’obtempérer, l’ARC aurait envoyé une
vedette pour le déloger297. Par la suite, le navire nicaraguayen Río Escondido serait entré en
communication avec la frégate colombienne Almirante Padilla pour l’informer que, d’après l’arrêt
de 2012, il se trouvait dans les eaux nicaraguayennes, mais l’Almirante Padilla aurait refusé
d’abandonner sa position298 (ci-après l’«incident no 10»).
4.39. L’ARC Almirante Padilla n’a toutefois jamais ordonné au Miss Sofía de quitter sa
position, pas plus qu’elle n’a envoyé une vedette pour harceler le bateau de pêche. Selon des
rapports des forces navales colombiennes, l’ARC a tenté, mais en vain, d’établir une
communication avec le Miss Sofía le 17 novembre. Les positions approximatives des deux navires
sont représentées à la figure 4.4 ci-après.
297 MN, par. 2.30, et annexes 18, 20, 23-A et 24.
298 Ibid., par. 2.31, et annexes 18, 20, 23-A, p. 297, et 24.
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Figure 4.4. «Incident» no 10 allégué par le Nicaragua (17 novembre 2013)
Légende :
Reported location of Colombian Naval Frigate ARC «Almirante Padilla» = Position indiquée de
l’ARC Almirante Padilla, frégate des forces navales colombiennes
Boundary from the 2012 ICJ Judgment = Frontière fixée dans l’arrêt de 2012 de la CIJ
Approximate location of Nicaraguan-flagged fishing vessel «Miss Sofía» = Position approximative du
Miss Sofía, bateau de pêche battant pavillon nicaraguayen
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4.40. De plus, le 17 novembre 2013, l’ARC Almirante Padilla a en réalité procédé au
sauvetage de deux pêcheurs du Miss Sofía, apparemment abandonnés par l’équipage du navire et
dépourvus de tout équipement de communication. C’est pourquoi elle a cherché une nouvelle fois à
entrer en contact avec le Miss Sofía, mais là encore sans obtenir la moindre réponse. Les deux
pêcheurs ont été conduits à bord de la frégate, où ils ont reçu les premiers soins et de la
nourriture299.
4.41. Le droit international coutumier impose, dans une zone économique exclusive, de
prêter assistance à quiconque est trouvé en péril en mer et de se porter aussi vite que possible au
secours des personnes en détresse, et c’est précisément ce que le navire colombien a fait. L’ARC
n’étant toutefois pas parvenue à entrer en communication avec le bateau de pêche le
17 novembre 2013, elle a contacté une unité nicaraguayenne présente dans la zone, qui lui a
recommandé d’attendre le lendemain afin de coordonner le transfert des deux pêcheurs. Le
18 novembre 2013, le Miss Sofía a pris la mer au point du jour en vue de poursuivre ses activités,
alors même que son équipage savait que deux de ses pêcheurs, qui étaient en péril, avaient été
trouvés par l’ARC. Au cours de cette même journée, la frégate, en coordination avec une unité des
forces navales nicaraguayennes, a remis les deux hommes au bateau de pêche Caribbean Star,
puisque le Miss Sofía s’était éloigné de la zone du sauvetage300.
4.42. Enfin, les trois derniers «incidents» ont trait à des survols, qui ne sauraient servir de
fondements à un grief de menace de l’emploi de la force, et n’ont, en tout état de cause, nullement
entravé la capacité du Nicaragua d’exercer ses droits maritimes.
4.43. A titre d’exemple, le Nicaragua allègue que, le 19 novembre 2013, le GC-201
Río Grande de Matagalpa a rapporté avoir fait l’objet d’un survol par un aéronef de la marine
colombienne301 (ci-après l’«incident no 11»). La Colombie n’a cependant pas adopté un
comportement hostile ; l’aéronef en question exerçait simplement sa liberté de survol. Ainsi qu’il a
été mentionné plus haut, les hélicoptères doivent respecter une altitude minimale de 3500 pieds
lorsqu’ils survolent tout navire de type militaire. De plus, le prétendu incident s’est produit dans
une zone à travers laquelle sont souvent acheminées des substances psychotropes, et la Colombie
devait s’acquitter de ses obligations de surveillance et de coopération à la répression du trafic
illicite de stupéfiants.
4.44. Le GC-201 Río Grande de Matagalpa a fait des rapports similaires les 21 et
24 novembre 2013, indiquant qu’un hélicoptère de la marine colombienne l’avait survolé302
(ci-après l’«incident no 12»), ce qui se serait reproduit le 25 novembre 2013303 (ci-après
l’«incident no 13»). Selon le rapport sur les déplacements maritimes de l’ARC Almirante Padilla,
navire des forces navales colombiennes, l’ARC 201 (un hélicoptère) a bien effectué un survol du
GC-201 aux dates en cause. La Colombie n’a toutefois pas fait preuve d’un comportement hostile,
l’aéronef ayant pour mission de repérer toute activité suspecte liée au trafic de stupéfiants304. En
299 Annexe 112 : enregistrement vidéo, incident du Miss Sofía, 17 novembre 2013. Voir également l’appendice A,
incident no 7.
300 Annexe 53 : communication no 304  MD-CGFFMM-CARMA-SECAR-JONA-CFNC-CFSUCACMW29.57,
20 novembre 2013.
301 MN, par. 2.46, et annexes 18, 23-A et 24.
302 Ibid.
303 Ibid.
304 Annexe 55 : rapport de voyage maritime de l’ARC Almirante Padilla, 5 décembre 2013, p. 21-23.
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tout état de cause, l’hélicoptère exerçait sa liberté de survol, et le Nicaragua n’a pas été empêché
d’exercer ses droits souverains, non plus qu’il a formulé une plainte auprès de la Colombie.
4.45. En plus de comporter des inexactitudes factuelles, la description donnée par le
Nicaragua de ces treize «incidents» allégués est incomplète. En effet, non seulement la Colombie
n’a pas violé les droits souverains ni les espaces maritimes de cet Etat, mais elle a prêté une
assistance technique et humanitaire à des navires — dont certains battaient pavillon
nicaraguayen — et à des personnes en détresse, protégé l’environnement marin, en particulier la
réserve de biosphère Seaflower et la zone marine protégée du même nom, et lutté contre des
activités illégales, notamment des activités de pêche illicites, non déclarées et non réglementées
menées par des bateaux nicaraguayens. Ces événements seront traités plus en détail au chapitre 8.
3. Les arguments infondés du Nicaragua concernant la délivrance,
par la Colombie, de permis à des bateaux de pêche
4.46. A titre distinct, et sans parler à cet égard d’«incident» proprement dit, le Nicaragua
allègue que ses droits ont été violés au motif que, le 22 octobre 2013, le gouverneur de San Andrés
a autorisé un navire hondurien, le Captain KD, à utiliser un «permis de pêche industrielle et
commerciale» qui avait été accordé à M. Armando Basmagui Perez en septembre 2012. Selon lui,
ce permis habilitait la flotte relevant de M. Perez à pêcher dans différentes zones qu’il ne conteste
pas, mais aussi en un lieu appelé «Luna Verde», qui ressortirait «clairement de [s]a juridiction ... en
vertu de l’arrêt rendu par la Cour en 2012»305. Cependant, à l’examen du document, l’on constate
que le passage sur lequel le Nicaragua fonde son assertion est tiré des considérants de la résolution.
Le permis prévoit uniquement, en son article trois (c’est-à-dire après la partie de la résolution
consacrée à la décision), que la zone d’exploitation serait composée «du département de l’archipel
de San Andrés, Providencia et Santa Catalina (cayes de Roncador, de Serrana, de Quitasueño et de
Serranilla) ainsi que des hauts-fonds (Alicia et Nuevo)» et que «le port de débarquement sera[it]
l’île de San Andres»306. Aucune autorisation n’est donnée de pêcher sur le banc de Luna Verde, et
l’exploitant du navire, pour autant qu’il s’y soit réellement rendu, l’a fait de sa propre initiative.
D. CONCLUSIONS
4.47. Les «incidents» allégués qui se seraient produits alors que la Colombie était encore liée
par le pacte portaient pour la plupart sur l’exercice, par des navires et aéronefs colombiens, de leur
liberté de navigation ou de survol, droits que possèdent tous les Etats dans la zone économique
exclusive. Ces événements ne se rapportent pas à un grief de menace de l’emploi de la force, grief
qui, en tout état de cause, échappe par définition à la compétence de la Cour. Pour ce qui est des
autres «incidents», l’un a trait au sauvetage, par la Colombie, de deux pêcheurs du Miss Sofía,
langoustier battant pavillon nicaraguayen, et les autres reposent en grande partie sur des
informations manifestement erronées. Un certain nombre de ces allégations ne sont tout
simplement pas étayées par des documents de l’époque, et le Nicaragua ne s’est pas acquitté de la
charge de la preuve qui lui incombe. Plus important encore, aucun de ces «incidents» n’a empêché
cet Etat ou ses nationaux d’exercer leurs droits maritimes, et les hauts responsables nicaraguayens
n’ont pas estimé que l’un quelconque d’entre eux avait causé le moindre problème, affrontement ou
conflit au moment où il aurait eu lieu, pas plus qu’ils n’ont adressé de protestation à la Colombie.
4.48. Dans la mesure où elle était présente dans la zone, la Colombie exerçait sa liberté de
navigation et de survol, s’employant à satisfaire à son obligation de surveillance et de coopération à
305 MN, par. 2.51, et annexe 11.
306 Ibid., annexe 11, p. 174-175.
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la répression de la criminalité transnationale, à protéger la vie humaine en mer, à prêter l’assistance
requise par certains navires qui se trouvaient dans ces espaces maritimes et à protéger l’écosystème
de la réserve de biosphère Seaflower et la zone marine protégée du même nom, inscrites auprès de
l’UNESCO. En plus d’être essentielles à la subsistance des pêcheurs artisanaux colombiens, ces
zones comprennent les eaux dont la communauté raizale a de tout temps tiré ses moyens
d’existence ; elles font partie de l’identité, de l’habitat et du mode de vie des intéressés. Les actions
de la Colombie à cet égard étaient parfaitement conformes aux droits et obligations qui sont les
siens au titre du droit international, dont la liberté de navigation et de survol.
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CHAPITRE 5
LA ZONE CONTIGUË DE LA COLOMBIE NE CONSTITUE PAS UN FAIT ILLICITE
EN DROIT INTERNATIONAL
A. INTRODUCTION
5.1. Est en cause ici la question de la licéité de la zone contiguë de la Colombie autour des
îles qui constituent l’archipel de San Andrés, telle que définie à l’article 5 du décret présidentiel
colombien n° 1946 relatif à la mer territoriale, à la zone contiguë et au plateau continental des
territoires insulaires colombiens dans le sud-ouest des Caraïbes, promulgué le 9 septembre 2013307.
L’objectif de cette disposition est
«d’assurer la bonne administration et la gestion ordonnée de l’ensemble de l’archipel
de San Andrés, Providencia et Santa Catalina, de ses îles, cayes et autres formations,
ainsi que de ses espaces maritimes et ressources, et d’éviter de créer des formes aux
contours irréguliers difficiles à respecter dans la pratique, [ce pourquoi] les lignes
correspondant aux limites extérieures des zones contiguës seront reliées par des lignes
géodésiques. De la même manière, celles-ci seront reliées à la zone contiguë de l’île
de Serranilla à l’aide de lignes géodésiques qui suivront le parallèle situé par
14° 59' 08" de latitude nord jusqu’au méridien situé par 79° 56' 00" de longitude ouest,
avant de bifurquer vers le nord, formant ainsi la zone contiguë unique du département
de l’archipel de San Andrés, Providencia et Santa Catalina.»308
Les pouvoirs devant être exercés dans la zone contiguë sont destinés à
«a) Prévenir et réprimer les infractions aux lois et règlements touchant à la sûreté de
l’Etat, notamment la piraterie et le trafic de stupéfiants et de substances
psychotropes, ainsi que les comportements qui attentent à la sûreté en mer et aux
intérêts maritimes nationaux, aux affaires douanières, fiscales, migratoires et
sanitaires, commises sur ses territoires insulaires ou dans leur mer territoriale. De
la même manière, prévenir et réprimer les infractions aux lois et règlements
touchant à la préservation de l’environnement maritime et du patrimoine culturel.
b) Punir les infractions aux lois ou règlements relatifs aux questions visées à
l’alinéa a) ci-dessus, commises dans les territoires insulaires de la Colombie ou
dans leur mer territoriale.»309
Ces dispositions particulières de l’article 5 seront examinées dans le présent chapitre.
Aucune carte officielle de la zone contiguë unique n’a été publiée.
5.2. Dans sa requête du 26 novembre 2013, le Nicaragua ne produit aucun élément de preuve
convaincant du préjudice qu’il aurait effectivement subi, mais évoque l’existence de la zone
contiguë unique de la Colombie, telle que définie à l’article 5 du décret, comme si elle constituait
en soi une violation de ses droits310. Dans son mémoire du 3 octobre 2014, il affirme
307 Le texte du décret no 1946 a déjà été soumis à la Cour (exceptions préliminaires de la Colombie, annexe 3). Il
a été modifié et complété par le décret no 1119 du 17 juin 2014 (exceptions préliminaires de la Colombie, annexe 5). Pour
en faciliter la consultation, une version consolidée de ces deux décrets est présentée à l’annexe 7 du présent
contre-mémoire.
308 Annexe 7.
309 Ibid., art. 3 a) et b).
310 Requête, p. 6, par. 10.
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sommairement que, par l’article 5 de son décret présidentiel n° 1946, la Colombie
«rejet[te] … l’arrêt de novembre 2012»311. Selon lui, cette dernière «prétendait établir par ce
[décret] ses droits et sa juridiction sur des secteurs de la mer des Caraïbes dont la Cour avait
incontestablement reconnu l’appartenance au Nicaragua»312. Au paragraphe 2.14 de ce même
document, le Nicaragua soutient que «ni la taille de la zone contiguë unique … ni la nature des
droits et de la juridiction que la Colombie y revendique ne sont conformes à la définition que le
droit international donne de la zone contiguë»313. Pareille assertion démontre une incompréhension
de ce qu’est la nature d’une zone contiguë ainsi que du fait que le droit de la mer s’est toujours
adapté aux situations géographiques particulières. Cette mauvaise interprétation donnée par le
Nicaragua sera examinée, avec d’autres, dans le présent chapitre. Il sera toutefois utile de rappeler
en premier lieu la situation juridique internationale actuelle.
5.3. Dans son arrêt du 19 novembre 2012, la Cour a reconnu que «c’[était] la Colombie, et
non le Nicaragua, qui a[vait] la souveraineté sur les îles faisant partie d’Albuquerque, de
Bajo Nuevo, des cayes de l’Est-Sud-Est, de Quitasueño, de Roncador, de Serrana et de
Serranilla»314, la question de la souveraineté de la Colombie sur les îles de San Andrés, Providencia
et Santa Catalina ayant pour sa part été réglée par le traité signé par les Parties en 1928315. La Cour
a ensuite, au point 4) du dispositif de son arrêt, établi le tracé de la frontière maritime unique
délimitant le plateau continental et les zones économiques exclusives des Parties316.
5.4. Si la Cour a reconnu que les îles colombiennes pouvaient générer des droits maritimes
en vertu du droit international, elle n’a pas abordé la question de la zone contiguë, alors même que,
dans leurs plaidoiries, la Colombie et le Nicaragua avaient admis l’idée que celle-ci avait droit à
une zone contiguë autour de ses îles. Ainsi que l’a rappelé la Colombie dans ses exceptions
préliminaires en 2003,
«[a]u cours de la procédure relative à la demande d’intervention du Costa Rica, le
Nicaragua a cherché à faire valoir que la Colombie n’avait jamais revendiqué de zone
contiguë autour de ses îles. Toutefois, il s’est gardé de renouveler cette allégation
après que la Colombie eut évoqué l’article 101 de sa Constitution, qui proclamait
expressément une telle zone. En revanche, les deux Parties ont consacré des
développements assez détaillés aux zones contiguës entourant les îles au cours des
audiences tenues sur le fond.»317
5.5. Ce nonobstant, le Nicaragua a, dans sa requête du 26 novembre 2013, prié la Cour de
dire et juger que la Colombie «manqu[ait] a l’obligation qui lui incomb[ait] de ne pas violer [s]es
311 MN, p. 26, par. 2.11.
312 Ibid.
313 Ibid., p. 28-29, par. 2.14.
314 Arrêt de 2012, p. 662, par. 103.
315 Différend territorial et maritime (Nicaragua c. Colombie), exceptions préliminaires, arrêt,
C.I.J. Recueil 2007, p. 861, par. 88.
316 Arrêt de 2012, p. 719-720, point 4) du par. 251.
317 Exceptions préliminaires de la Colombie, p. 35, par. 2.53. Voir également : Différend territorial et maritime
(Nicaragua c. Colombie), duplique de la Colombie, par. 3.10 in fine, 5.34, 6.51, 7.35, 8.63 et 8.68. Voir notamment
par. 7.9 à 7.11, dans lesquels la Colombie décrit le chevauchement des zones contiguës de l’archipel et le représente sur
la figure R-7.1. La Colombie a également soulevé cette question lors des audiences publiques sur le fond (voir
CR 2012/12, p. 15, par. 27 (Bundy), et, surtout, p. 18-19, par. 42-46 (Bundy)). Elle a décrit de façon détaillée le
chevauchement des zones contiguës des îles. Voir également CR 2012/12, p. 27, par. 3 ; p. 29, par. 9 (Crawford).
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espaces maritimes … tels que délimités au paragraphe 251 de l’arrêt rendu par la Cour le
19 novembre 2012, ainsi que [s]es droits souverains et [s]a juridiction … sur lesdits espaces»318.
5.6. Pour tenter d’étayer ces allégations, le Nicaragua cite plusieurs déclarations de hauts
responsables colombiens, qu’il qualifie d’«hostiles»319 et dont la majorité ont été faites au
lendemain de l’arrêt de 2012320. Il choisit par ailleurs de passer sous silence des déclarations
officielles ultérieures qui clarifient la position colombienne321. Mais ce parti pris mis à part, la
licéité de la zone contiguë unique de la Colombie dépend de la configuration qui lui a été donnée
ainsi que des pouvoirs qui lui ont été associés.
5.7. Le Nicaragua affirme que la zone contiguë unique établie par l’article 5 du décret, «en
débordant au nord, à l’ouest et au sud, la frontière maritime déterminée par la Cour empiète … sur
[s]es droits souverains et [s]a juridiction» (ci-après, «le premier grief du Nicaragua»). Il soutient en
outre que
«ni la taille de la zone contiguë unique (laquelle, en de nombreux endroits, s’étend à
bien plus de 24 milles marins des lignes de base de la Colombie) ni la nature des droits
et de la juridiction que la Colombie y revendique ne sont conformes à la définition que
le droit international donne de la zone contiguë» (ci-après, «le second grief du
Nicaragua»)322.
Ainsi que cela sera démontré, ces griefs reposent tous deux sur une mauvaise interprétation des
règles de droit international pertinentes et une qualification erronée des faits pertinents.
B. LA ZONE CONTIGUË UNIQUE DE LA COLOMBIE EST
INTERNATIONALEMENT LICITE
5.8. La portée géographique et la teneur juridique de la zone contiguë qui s’étend au-delà des
eaux territoriales qui baignent les côtes continentales et insulaires de la Colombie sont régies par le
droit international coutumier, auquel la législation colombienne a toujours été conforme.
1. La zone contiguë unique de la Colombie a été proclamée conformément
à la constitution colombienne
5.9. S’agissant de l’existence de la zone contiguë323, le droit interne colombien en fait
mention pour la première fois dans un décret de 1984 portant réorganisation de l’autorité maritime
nationale (la DIMAR), lequel prévoyait que l’autorité «exerce sa compétence … dans les secteurs
318 Requête, p. 12.
319 MN, p. 3, par. 1.3.
320 Ibid., p. 22-26. Les déclarations citées sont celles du président colombien, Juan Manuel Santos, en date des
19 novembre 2012, 28 novembre 2012, 3 décembre 2012, 9 septembre 2013, 19 septembre 2013 et 17 juin 2014 ; celle de
la ministre colombienne des affaires étrangères, María Angela Holguín, en date du 27 novembre 2012 ; une lettre en date
du 27 novembre 2012 adressée au secrétaire général de l’Organisation des Etats américains par la Colombie ; une
déclaration du commandant des forces navales colombiennes, le vice-amiral Hernando Wills, en date du
19 septembre 2013 ; et une déclaration du gouverneur de San Andrés, en date du même jour.
321 Voir Violations alléguées de droits souverains et d’espaces maritimes dans la mer des Caraïbes (Nicaragua
c. Colombie), séance publique du 28 septembre 2015, CR 2015/22, p. 17 (agent).
322 MN, p. 28, par. 2.14.
323 Exceptions préliminaires de la Colombie, par. 2.47-2.64.
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suivants : [la] zone contiguë …»324. Cet espace a été à nouveau reconnu par la Constitution de
1991, dont l’article 101 énonce que le territoire de la Colombie compte «le sous-sol, la mer
territoriale, la zone contiguë, le plateau continental, la zone économique exclusive …»325. Selon les
termes explicites de cette même disposition, il s’agit là d’une définition posée «conformément au
droit international», la Colombie réaffirmant ainsi sa volonté d’appliquer celui-ci.
5.10. Les critères ayant servi à l’établissement des lignes de base à partir desquelles est
mesurée la mer territoriale de 12 milles marins de la Colombie sont définis dans les articles 4, 5, 6
et 9 de la loi no 10 de 1978326. Ces lignes de base sont également utilisées, conformément au droit
international coutumier, pour mesurer la zone contiguë de la Colombie.
5.11. La législation relative aux territoires insulaires de la Colombie dans le sud-ouest des
Caraïbes a été complétée par le décret présidentiel no 1946, qui met en application la Constitution
de la Colombie et la loi no 10 de 1978, et est adapté à l’unité territoriale, culturelle, administrative
et politique de l’archipel de San Andrés327. L’unité de fait de l’archipel a été historiquement
reconnue par la Colombie328. En attestent un certain nombre d’éléments, et notamment sa
désignation en tant qu’«intendance nationale» en 1912, «intendance spéciale» en 1972 et
«département» en 1991 (article 309 de la Constitution politique). Ces lois énoncent, comme
l’article 101 de la Constitution, que leurs dispositions doivent être lues et appliquées conformément
au droit international. Ainsi, l’article 7 du décret présidentiel no 1946 se lit comme suit :
«Droits des Etats tiers  Rien dans le présent décret ne doit être interprété
comme modifiant ou limitant les droits et obligations découlant du traité de
délimitation des zones maritimes conclu le 12 novembre 1993 entre la Colombie et la
Jamaïque, ni comme modifiant ou limitant les droits des Etats tiers.»
5.12. Le caractère continu de la zone contiguë unique de la Colombie n’est pas seulement
une manifestation de l’unité culturelle, administrative et politique de l’archipel ; c’est avant tout
une conséquence factuelle inévitable. Les zones contiguës de la plupart des îles colombiennes se
chevauchent naturellement  et nécessairement. Cette continuité est donc largement dictée par la
géographie329. A cet égard, le décret ne fait que rappeler une circonstance géographique.
324 Annexe 3 : décret présidentiel no 2324 du 18 septembre 1984.
325 Constitution de la Colombie, article 101 (EPC, annexe 1) :
«Les frontières de la Colombie sont celles établies dans les traités internationaux approuvés par le
Congrès et dûment ratifiés par le président de la République, et celles définies dans les sentences
arbitrales auxquelles la nation est partie. Les frontières fixées selon les modalités prescrites par la
Constitution ne peuvent être modifiées qu’en vertu d’un traité approuvé par le Congrès, dûment ratifié par
le président de la République. Outre son territoire continental, la Colombie comprend l’archipel de
San Andrés, Providencia et Santa Catalina ainsi que Malpelo, de même que les îles, îlots, cayes et bancs
qui en dépendent. Font également partie de la Colombie le sous-sol, la mer territoriale, la zone contiguë,
le plateau continental, la zone économique exclusive, l’espace aérien, le segment de l’orbite
géostationnaire, le spectre électromagnétique et l’espace correspondant, conformément au droit
international, ou, en l’absence de normes internationales, au droit colombien.»
326 Différend territorial et maritime (Nicaragua c. Colombie), contre-mémoire de la Colombie (vol. II),
annexe 142.
327 Voir à cet égard l’analyse du chapitre 2 et la note de bas de page 27 ci-dessus.
328 Voir par exemple Différend territorial et maritime (Nicaragua c. Colombie), contre-mémoire de la Colombie
(vol. I), chap. 2.
329 Voir chap. 2, sect. A 2) ci-dessus.
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2. Les îles de la Colombie ont droit à une zone contiguë
au regard du droit international
5.13. Dès 1924, le juge Alvarez, en sa qualité de président de la commission sur la neutralité
de l’International Law Association, a confirmé que les groupes d’îles devaient, »aux fins de la
délimitation des eaux territoriales, être envisagés dans leur ensemble». Cette position, que
sir Thomas Barclay et lui-même ont réaffirmée en 1927 en leur qualité de rapporteurs spéciaux, a
consacré, en substance, la capacité des archipels de générer des espaces maritimes330.
5.14. Dans le droit fil de cette évolution, l’article 10 de la convention de 1958 sur la mer
territoriale et la zone contiguë a confirmé le droit des îles de posséder des eaux territoriales331. En
son article 24, celle-ci a par ailleurs reconnu que les zones contiguës étaient adjacentes aux mers
territoriales, ne faisant à cet égard aucune distinction entre les côtes continentales et les îles.
Compte tenu de l’objet fondamental de la zone contiguë, les rédacteurs de la convention sont
manifestement partis du principe que, si elle ouvrait droit à une mer territoriale, une possession
territoriale ouvrait également droit à une zone contiguë.
5.15. Si, lors de la troisième conférence sur le droit de la mer, les débats ont essentiellement
porté sur le droit des îles de posséder un plateau continental et une zone économique exclusive, y a
également été confirmée, par implication logique, l’hypothèse selon laquelle une mer territoriale
générait une zone contiguë. L’article 121 de la CNUDM, en définitive, dispose que «[l]es rochers
qui ne se prêtent pas à l’habitation humaine ou à une vie économique propre, n’ont pas de zone
économique exclusive ni de plateau continental». Exclusio unius est inclusio alterius : l’exclusion
explicite, au paragraphe 3 de cet article, de la zone économique exclusive et du plateau continental,
associée à l’absence de mention, dans cette même disposition, de la mer territoriale et de la zone
contiguë, confirme que ces espaces peuvent être générés par toutes les îles.
3. Rien dans l’arrêt de 2012 ne traite de la zone contiguë ni ne peut être interprété
comme remettant en question les droits de la Colombie à cet égard
5.16. Dans son arrêt de 2012, la Cour a reconnu que San Andrés, Providencia et
Santa Catalina, ainsi que ses îlots et cayes, formaient un archipel générant des espaces maritimes et
sous-marins, notamment une mer territoriale, un plateau continental et une zone économique
exclusive.
5.17. Ledit arrêt étant muet sur la question de la zone contiguë et des droits de la Colombie à
cet égard, rien ne permet, du point de vue juridique, de contester que la Colombie puisse se
prévaloir de pareille zone au titre des îles de l’archipel.
5.18. Ainsi, la zone contiguë de la Colombie existe de longue date, est conforme au droit
international et n’est pas remise en cause par l’arrêt de 2012.
330 Annexe 82 : S. Ghosh, Law of the Territorial Sea: Evolution and Development, 1988, p. 223-225.
331 La Colombie a signé la Convention mais ne l’a jamais ratifiée. Accessible à l’adresse suivante :
https ://treaties.un.org/doc/Publication/UNTS/Volume%20516/volume-516-I-7477-French.pdf (dernière consultation le
10 novembre 2016).
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C. L’EXERCICE RÉGULIER PAR UN ETAT DES DROITS QUI LUI SONT CONFÉRÉS DANS
SA ZONE CONTIGUË N’EST PAS INCOMPATIBLE AVEC LES DROITS SOUVERAINS
INTERNATIONALEMENT DÉFINIS DONT UN ETAT VOISIN JOUIT DANS
SA ZEE ET NE LEUR PORTE PAS ATTEINTE
5.19. S’agissant de son premier grief, le Nicaragua332 affirme que, en débordant à l’intérieur
de sa ZEE telle que délimitée, la zone contiguë unique de la Colombie empiète sur ses droits
souverains et sa juridiction. Ce grief est infondé puisque l’exercice par un Etat côtier, dans sa zone
contiguë, de pouvoirs subordonnés à certains types d’événements ne méconnaît ni n’enfreint de
quelque autre façon que ce soit l’exercice par un Etat voisin de ses droits souverains spécifiques
dans sa ZEE, lorsque les deux espaces se chevauchent.
5.20. Dans son arrêt de 2012, la Cour a relevé qu’elle n’«a[vait] jamais restreint le droit d’un
Etat de fixer à 12 milles marins la largeur de la mer territoriale entourant une île en raison d’un
chevauchement avec la zone économique exclusive et le plateau continental d’un autre Etat»333 (les
italiques sont de nous).
5.21. Le Nicaragua part du principe que l’exercice par un Etat d’un droit licite dans sa zone
contiguë, lorsque ces eaux font également partie de la zone économique exclusive d’un autre Etat
lui faisant face, viole ipso facto les droits souverains et espaces maritimes de ce dernier. Il va même
plus loin, affirmant que la simple proclamation d’une zone contiguë viole la ZEE de l’Etat voisin.
Ces deux allégations procèdent d’une interprétation erronée de la nature et de la portée des droits
dont jouissent les Etats dans leur ZEE et de celles des pouvoirs contingents propres aux zones
contiguës.
5.22. La ZEE est un espace maritime adjacent à la mer territoriale, dans lequel l’Etat côtier
détient, en vertu du jus gentium, un certain nombre de droits exclusifs spécifiques et d’obligations
connexes. Ainsi qu’il ressort de l’article 56, paragraphe 1, de la CNUDM, le droit international
coutumier lui confère expressément des «droits souverains aux fins d’exploration et d’exploitation,
de conservation et de gestion des ressources naturelles», ainsi que «la juridiction … en ce qui
concerne i) la mise en place et l’utilisation d’îles artificielles, d’installations et d’ouvrages ; ii) la
recherche scientifique marine ; et iii) la protection et la préservation du milieu marin».
5.23. Ce qui importe en l’occurrence, c’est qu’une ZEE n’est en aucun cas la «propriété» de
l’Etat côtier ; c’est un espace de haute mer dans lequel celui-ci peut exercer des droits économiques
limités et définis. Or, les eaux de la ZEE étant en partie soumises au régime de la haute mer, les
utilisateurs internationaux demeurent autorisés à y exercer les droits que leur confère le droit
international  sous réserve que cet exercice tienne dûment compte des droits économiques
souverains définis dont jouit l’Etat côtier dans sa ZEE et ne leur porte pas atteinte. A cet égard, la
ZEE se distingue de la mer territoriale, dont on peut considérer que l’Etat côtier a la «propriété»
sous réserve de la servitude erga omnes que constitue le droit de passage inoffensif. Hormis
celui-ci, l’utilisateur international ne détient aucun droit dans la mer territoriale de l’Etat côtier. Le
Nicaragua semble oublier tous ces éléments et considérer qu’il jouit dans sa ZEE d’une
souveraineté pleine et absolue.
332 Voir par. 5.7 ci-dessus.
333 Arrêt de 2012, p. 690, par. 178.
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5.24. Les différents pouvoirs susceptibles d’être exercés par un Etat côtier dans sa zone
contiguë au regard du droit international coutumier334 n’empiètent pas sur les droits économiques
de l’Etat titulaire d’une ZEE. Ainsi, la ZEE d’un Etat et la zone contiguë d’un autre peuvent, d’une
certaine manière, se chevaucher ou coexister dans les mêmes eaux.
5.25. Il en irait différemment si l’on était en présence d’un détroit où la zone contiguë
revendiquée par un Etat s’étendrait dans la mer territoriale d’un autre Etat lui faisant face. En pareil
cas, l’exercice des pouvoirs et prérogatives conférés au titulaire de la zone contiguë constituerait
inévitablement une atteinte à la juridiction et à la souveraineté pleines et entières de l’autre Etat
dans ses eaux territoriales335. Cela ne saurait toutefois s’appliquer aux droits et à la juridiction
limités conférés à l’Etat titulaire de la ZEE, lorsque l’Etat voisin exerce dans des conditions
raisonnables les droits dont il jouit dans sa zone contiguë.
5.26. Ainsi, l’exercice régulier par un Etat, dans sa zone contiguë, de pouvoirs qui lui sont
conférés dans cet espace n’est pas incompatible avec les droits souverains internationalement
définis dont dispose un Etat voisin dans sa ZEE, et ne leur porte pas atteinte.
D. LA CONSTRUCTION DANS L’ESPACE DE LA ZONE CONTIGUË UNIQUE DE LA COLOMBIE
EST DICTÉE PAR LA CONFIGURATION NATURELLE ET SPÉCIFIQUE DE L’ARCHIPEL
ET NE VIOLE PAS LE DROIT INTERNATIONAL
1. La zone contiguë unique de la Colombie résulte presque entièrement
du chevauchement naturel des zones contiguës des îles
composant l’archipel de San Andrés
5.27. Si le droit de la Colombie à une zone contiguë autour de ses îles a été examiné par les
Parties dans l’affaire qui s’est conclue par l’arrêt du 19 novembre 2012336, la configuration de cette
zone n’a jamais été abordée ni tranchée par la Cour. Il est donc utile de présenter quelques éléments
contextuels.
5.28. A titre de rappel337, la zone contiguë unique établie en vertu de l’article 5 du décret
présidentiel no 1946 et présentée à des fins d’illustration à la figure 5.1 a été configurée à partir des
arcs de cercle de 24 milles marins (12 milles marins pour la largeur de la mer territoriale et
12 milles marins pour celle de la zone contiguë) qui entourent les îles constituant l’archipel de
San Andrés. En raison de sa géographie, la zone contiguë unique ainsi créée comprend
nécessairement les zones contiguës, qui se chevauchent, des îles et cayes de l’archipel. Les points
extrêmes de ces arcs de cercle ont ensuite été reliés par des lignes géodésiques, d’autres zones étant
ainsi englobées. L’introduction de ces lignes géodésiques a permis la création d’une zone continue
et viable dont la limite extérieure n’a pas été fixée intentionnellement. La clarté qui en résulte
facilite la réalisation de l’objectif visé par la zone et permet aux autorités colombiennes
d’administrer celle-ci plus facilement.
334 Pour une analyse des pouvoirs que le droit coutumier confère à un Etat côtier dans sa zone contiguë, voir
chap. 5, sect. E ci-dessous.
335 Cela ne signifie pas qu’un exercice spécifique et dûment mis en oeuvre par l’Etat titulaire de la zone contiguë,
en vertu du droit de légitime défense, emporterait nécessairement violation du droit international.
336 Voir chap. V, sect. A, par. 5.4, et note de bas de page 317 ci-dessus.
337 Voir par. 5.1 ci-dessus.
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Figure 5.1. La zone contiguë unique de la Colombie telle qu’établie
dans le décret présidentiel no 1946 de 2013
Légende :
Integral Contiguous Zone = Zone contiguë unique
Joint Regime Area = Zone de régime commun
204
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5.29. Cette partie de l’article 5 du décret est solidement fondée sur la jurisprudence. Dans
l’affaire des Pêcheries (Royaume-Uni c. Norvège), la Cour a énoncé le principe selon lequel, dans
certaines conditions géographiques ou socio-économiques exceptionnelles, les méthodes
employées pour établir des zones maritimes peuvent déroger aux règles générales. Dans le cadre de
cette affaire, la Cour avait jugé qu’il convenait d’appliquer une méthode souple, en prenant
notamment en compte la géographie idiosyncratique que présentait le cas d’espèce, à savoir la
nature fragmentée de la côte ou, ainsi que la Cour l’a exposé :
«La zone côtière en litige a un développement considérable. […], elle comprend
la côte du continent norvégien, l’ensemble des îles, îlots, rochers et récifs, connu sous
le nom de «skjasraard» (littéralement, rempart de rochers), ainsi que l’ensemble des
eaux norvégiennes intérieures ou territoriales. La côte de la terre ferme, dont la
longueur, sans compter les fjords, les baies et les enfoncements mineurs, dépasse
1 500 kilomètres, est d’une configuration très caractéristique. Profondément découpée
sur tout son parcours, elle ouvre à tout instant des échancrures qui pénètrent dans les
terres, sur une distance souvent très considérable…»338
5.30. Comme il est expliqué dans le décret présidentiel no 1946, la configuration de la zone a
été dictée non seulement par la proximité géographique des îles entre elles, mais également par la
nécessité «d’éviter de créer des formes aux contours irréguliers difficiles à respecter dans la
pratique»339. La configuration dans l’espace de la zone contiguë unique de la Colombie, et plus
précisément le fait que celle-ci s’appuie sur les lignes géodésiques reliant les points extrêmes des
arcs de cercle de 24 milles marins pour aboutir à une zone unifiée, découle directement, comme
dans le cas du décret norvégien, des caractéristiques géographiques uniques de l’archipel lui-même
et est conforme à la pratique de la Cour.
5.31. Pour des raisons similaires, la Cour, invoquant la nécessité de lignes géodésiques, a
elle-même procédé ainsi dans son arrêt de 2012 :
«235. La méthode utilisée pour construire la ligne pondérée telle qu’exposée au
paragraphe précédent produit une ligne incurvée présentant de nombreux points
d’inflexion. Cette configuration risquant de donner lieu à certaines difficultés
pratiques, la Cour procédera à un ajustement supplémentaire en réduisant le nombre
de points d’inflexion et en les reliant par des lignes géodésiques ; il en résulte une
ligne pondérée simplifiée, qui est illustrée sur le croquis no 10…»340
2. L’ajout de lignes géodésiques reliant les zones contiguës se chevauchant qui relèvent
des îles permet une gestion ordonnée des droits et obligations de
la Colombie dans sa zone contiguë unique
5.32. Au paragraphe 2 de l’article 5 du décret présidentiel no 1946, il est précisé que la
configuration de la zone contiguë unique répond à la nécessité d’assurer «la bonne administration
et la gestion ordonnée de l’ensemble de l’archipel de San Andrés, Providencia et Santa Catalina».
Elle a été décidée en application d’un principe général de bonne administration et de gestion
ordonnée des ressources maritimes. Ce principe a été appliqué implicitement par la Cour dans son
338 Pêcheries (Royaume-Uni c. Norvège), arrêt, C.I.J. Recueil 1951, p. 127.
339 Annexe 7, art. 5 2).
340 Différend territorial et maritime (Nicaragua c. Colombie), arrêt, C.I.J. Recueil 2012 (II), p. 710, par. 235, et
croquis no 10, p. 712.
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207
- 98 -
arrêt de 2012 lorsqu’elle a rejeté la proposition du Nicaragua consistant à tracer des enclaves autour
de chacune des îles appartenant à la Colombie. La Cour l’a formulé ainsi :
«En outre, la proposition nicaraguayenne donnerait naissance à un système
désorganisé d’enclaves colombiennes, coupées les unes des autres, à l’intérieur d’un
espace maritime qui ressortirait par ailleurs au Nicaragua. Ce système aurait des
conséquences fâcheuses sur les activités de surveillance ainsi que sur la gestion
ordonnée des ressources maritimes et des océans en général, autant de fins qu’un
partage plus simple et plus cohérent de la zone pertinente permettrait d’atteindre plus
aisément.»
Ainsi qu’il a été observé plus haut, cette règle du droit de la mer, établie de longue date et
empreinte de bon sens, a été au coeur de l’affaire des Pêcheries (Royaume-Uni c. Norvège), avant
d’être réaffirmée plus récemment dans l’arrêt de 2012341.
5.33. La Colombie a établi la zone contiguë unique pour protéger et gérer de manière
ordonnée son territoire et ses ressources maritimes, en tenant compte des difficultés et des défis
spécifiques en matière de sécurité auxquels doit faire face la région des Caraïbes dans son
ensemble, et en particulier la Colombie, qui a souffert pendant plus de cinquante ans d’un conflit
armé interne et continue d’être exposée à la menace que font peser la traite des êtres humains, le
trafic de stupéfiants et d’armes et le terrorisme. Celle-ci a également l’obligation de garantir la
protection de l’environnement marin et du patrimoine culturel, deux éléments vitaux pour
l’existence des habitants de l’archipel342. Comme il est précisé dans le préambule du
décret no 1946, l’un des objectifs de la zone contiguë unique est de garantir la conservation de la
biodiversité de la partie sud-ouest de la mer des Caraïbes afin de préserver les écosystèmes de la
région343. Cela concerne en particulier les écosystèmes fragiles de la réserve de biosphère
Seaflower et de l’aire marine protégée du même nom344. Une configuration régulière de la zone
permet à la Colombie de s’attaquer plus efficacement ces sujets de préoccupation sans que son
action ne porte préjudice aux Etats voisins.
5.34. Il y a lieu d’insister sur deux points. Premièrement, les lignes issues du décret ne sont
pas des lignes de délimitation ; leur seul objectif est de définir une zone fonctionnelle dans laquelle
la Colombie peut exercer, au cas par cas, les pouvoirs qui lui sont conférés par le droit
international. Deuxièmement, une configuration de la zone non fondée sur des lignes géodésiques
reliant les points extrêmes des arcs de cercle aurait produit  pour reprendre les termes employés
par la Cour  une ligne incurvée présentant de nombreux points d’inflexion qui donneraient lieu à
certaines difficultés pratiques. La zone aurait ainsi perdu en efficacité, voire aurait été inopérante
au regard de ses buts déclarés.
341 Différend territorial et maritime (Nicaragua c. Colombie), arrêt, C.I.J. Recueil 2012 (II), p. 708, par. 230.
Voir également par. 5.29, note de bas de page 338 ci-dessus.
342 Pour une analyse du type de contrôle qu’un Etat côtier peut exercer sur sa zone contiguë au titre du droit
international coutumier, voir par. 5.39-5.55 ci-dessous.
343 Le préambule du décret no 1946 indique notamment qu’il convient de déterminer l’étendue de la zone contiguë
«de manière à … garantir … la protection de l’environnement et des ressources naturelles» et que «l’Etat colombien est
tenu de veiller à la préservation des écosystèmes de l’archipel, essentiels à l’équilibre écologique de la zone, et à la
protection des droits historiques, traditionnels, ancestraux, environnementaux et culturels de ses habitants, ainsi que leur
droit à la survie».
344 Voir ci-dessus chap. 3, sect. C 1).
208
- 99 -
3. Les pouvoirs que la Colombie pourrait éventuellement exercer dans la zone contiguë
unique, tels que définis dans le décret présidentiel no 1946,
sont conformes au droit international
5.35. Par définition, les pouvoirs qu’un Etat côtier est en droit d’exercer dans sa zone
contiguë, quand les circonstances s’y prêtent et par les moyens appropriés, concernent les libertés
dont jouissent les Etats tiers et leurs ressortissants en haute mer et dont l’exercice, dans certains
cas, menace ou compromet les intérêts vitaux  et internationalement reconnus  dudit Etat
côtier. Le décret présidentiel no 1946 concerne donc également des domaines qui relèvent
habituellement des pouvoirs de police d’un Etat côtier dans sa zone contiguë, telles que les
dispositions réglementaires relatives aux douanes, à la fiscalité, à l’immigration et aux questions
sanitaires. D’autres droits susceptibles d’être exercés dans la zone contiguë au titre du décret se
rapportent à des problèmes spécifiques, et malheureusement notoires, qui infestent la région des
Caraïbes : «la sécurité de l’Etat», «notamment … la piraterie, [le] trafic de stupéfiants et de
substances psychotropes, et [les] comportements portant atteinte à la sécurité en mer et aux intérêts
maritimes nationaux». Le décret prévoit également que «[l]a répression et la prévention
s’appliqueront … aux infractions aux lois et règlements relatifs à la protection de l’environnement
et du patrimoine culturel et à l’exercice des droits de pêche historiques»345.
5.36. Compte tenu des objets et des buts d’une zone contiguë en ce qu’ils ont trait aux
responsabilités de l’Etat côtier, il est évident qu’un Etat doit pouvoir exercer, dans la zone contiguë,
au moins autant de droits à l’égard d’archipels habités et dépendants que de régions côtières
continentales. De fait, les archipels sont particulièrement vulnérables aux actions engagées sur leurs
composantes terrestres et dans leurs mers territoriales, ainsi qu’au-delà, qui pourraient avoir une
incidence sur leur sécurité et leurs processus sociaux et écologiques souvent fragiles. Il n’est donc
pas surprenant que le décret fasse expressément référence à la compétence de la Colombie en
matière de répression des infractions aux lois et aux règlements relatifs aux domaines susvisés,
dans la mesure où lesdites infractions sont «commises dans [s]es territoires insulaires» ou «dans
leur mer territoriale»346.
5.37. Le libellé de ce décret confirme le fait que ce dernier a été soigneusement conçu pour
satisfaire aux exigences du droit international. Ainsi, au paragraphe 3 de l’article 1, il est précisé
que la Colombie exerce sa juridiction et ses droits souverains sur les espaces maritimes autres que
la mer territoriale, «conformément aux dispositions applicables du droit international …». Il y est
également précisé que «[d]ans ces espaces, la Colombie exerce des droits … historiques [ayant
pour origine la pratique exercée dans les eaux considérées depuis longtemps comme lui
appartenant], «conformément au droit international». Cette disposition est essentielle car la
question principale en matière de licéité ne concerne pas l’existence d’une zone contiguë en tant
que telle mais plutôt les circonstances et la manière dont certains pouvoirs sont exercés à l’intérieur
de cette zone, ainsi que la mesure dans laquelle il a été tenu dûment compte des droits des Etats
tiers dans l’exercice de ces pouvoirs.
5.38. Ainsi, comme toute zone contiguë, la zone contiguë unique de la Colombie i) est
nécessaire à la gestion ordonnée, à la réglementation et au maintien de l’ordre public dans les
espaces maritimes relevant de l’archipel de San Andrés ; ii) doit être mise en pratique
conformément au droit international, compte dûment tenu des droits des autres Etats ; iii) est
conforme au droit international ; et iv) ne saurait donc être considérée comme contraire à l’arrêt
rendu par la Cour le 19 novembre 2012.
345 Annexe 7, art. 5 3) a).
346 Annexe 7, art. 5 3) b).
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- 100 -
E. L’ÉTENDUE DE LA ZONE CONTIGUË UNIQUE DE LA COLOMBIE ET LES POUVOIRS
SUBORDONNÉS À CELLE-CI SONT CONFORMES AU DROIT INTERNATIONAL
5.39. Dans sa seconde demande347, le Nicaragua affirme que ni la configuration spatiale de la
zone contiguë unique ni la nature des pouvoirs subordonnés que la Colombie revendique au sein de
celle-ci ne sont conformes au droit international coutumier. Compte tenu tant de la genèse de
l’article 24 de la convention des Nations Unies sur la mer territoriale et la zone contiguë et de
l’article 33 de la CNUDM que de la pratique y afférente ultérieurement suivie par les Etats, la
Colombie considère que ces articles ne reflètent pas les règles du droit international coutumier et
que, partant, même s’ils peuvent éventuellement servir de références, ils ne sont pas applicables en
l’espèce.
5.40. En droit coutumier de la mer, la conception spatiale de la zone contiguë repose sur des
considérations d’ordre contextuel, fonctionnel et politique. (Même dans le cas des Etats parties à la
CNUDM, certaines circonstances uniques permettent de déroger à la norme quantitative de la
distance géographique et aux fonctions énumérées à l’article 33 de la CNUDM, ainsi qu’il sera
exposé ci-après.)
5.41. Le projet de convention sur les eaux territoriales de 1929 a été élaboré par un comité de
recherche de la faculté de droit de Harvard, en préparation de la conférence de La Haye de 1930
pour la codification du droit international. Ce projet a également été la première tentative
internationale conjointe de définir et de concevoir la zone contiguë. Son article 20 disposait ce qui
suit :
«Tous les Etats sont libres de naviguer en haute mer. Pour ce qui est de la haute
mer adjacente à la mer marginale, un Etat peut toutefois prendre les mesures
nécessaires afin de faire respecter sur son territoire ou dans ses eaux territoriales ses
lois ou règlements en matière de douanes, de navigation, de santé publique ou de
police, ou d’assurer sa protection immédiate.»348
Les tenants de l’article 20 du projet ont refusé de fixer des conditions techniques strictes, qu’il
s’agisse de la largeur de cette zone ou de la nature des mesures pouvant y être prises. En lieu et
place, ils ont privilégié un critère général de nécessité respectant la souplesse caractéristique de la
zone, ainsi qu’ils l’ont précisé dans leur commentaire :
«Il semble inutile de chercher à définir en milles le terme «adjacent», les
pouvoirs décrits dans le présent article n’étant ni tributaires de la souveraineté sur le
lieu ni limités à une zone géographique susceptible d’être ainsi spécifiée. La distance
par rapport à la rive à laquelle ces pouvoirs peuvent être exercés n’est pas fonction du
nombre de milles mais de la nécessité de l’Etat riverain et du lien qui unit ses intérêts
territoriaux et les actes accomplis en haute mer. Le fait que pareilles mesures sont
considérées comme appropriées lorsqu’il peut être démontré qu’elles sont nécessaires
pour permettre à un Etat de faire respecter ses lois ou règlements en matière de
douanes, de navigation, de santé publique ou de police, ou d’assurer sa protection
immédiate, modifie bien, dans une certaine mesure, le principe général de la liberté de
navigation en haute mer, mais cette modification est ici étroitement limitée et paraît
347 Voir par. 5.7 ci-dessus.
348 Harvard Research in International Law, projet de convention sur les eaux territoriales, art. 20, réimprimé dans
Am. J. Int’l L. Supp., vol. 23, 1929, p. 243, 333 et 334. Disponible à la bibliothèque du Palais de la Paix.
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totalement raisonnable, puisqu’elle constitue la pratique établie de longue date d’un
grand nombre d’Etats.»349
5.42. Lors de la conférence de La Haye de 1930, les Etats ont continué de débattre des fins
auxquelles la zone devrait être reconnue. Comme l’a résumé M. Reeves,
«[l]’application de la législation douanière, la supervision et même le contrôle des
pêcheries, ainsi que la sécurité de l’Etat riverain, étaient les principaux fondements de
la théorie de la zone contiguë, certains Etats insistant sur l’un ou l’autre de ces aspects
selon leur propre politique ou point de vue»350.
5.43. Les débats concernant la souplesse spatiale du régime de la zone contiguë se sont
poursuivis dans le cadre de la conférence de Genève de 1958 sur le droit de la mer. La CDI avait
adopté une approche stricte, cherchant, dans le projet d’articles relatifs au droit de la mer de 1956, à
limiter aussi bien la nature que l’étendue géographique de ladite zone351. A cette occasion, un
certain nombre d’Etats (la Yougoslavie, le Chili, l’Equateur, la Pologne, les Philippines, Ceylan et
la Corée) ont soumis des propositions visant à en développer la nature352. Deux d’entre elles ont été
adoptées par la Première Commission : celle de Ceylan, tendant à inclure des considérations ayant
trait à l’immigration, et celle de la Pologne, à l’effet d’inclure les intérêts en matière de sécurité353.
5.44. A la séance plénière de la Commission, le nouveau projet ainsi consolidé a recueilli
40 voix, 27 Etats ayant voté contre et 9 s’étant abstenus. La majorité des deux tiers requise pour
l’adoption n’étant toutefois pas atteinte, les Etats-Unis d’Amérique ont proposé à la dernière
minute une autre formulation couvrant l’immigration mais pas la sécurité, et le projet a finalement
été adopté354. Au vu du déroulement de la conférence, le juge Oda a relevé que l’on ne saurait
considérer le libellé définitif de l’article 24 de la convention de 1958 comme reflétant le consensus
des Etats présents : «Il ressort de l’examen du processus de rédaction mené à la conférence de
Genève que les termes de l’article 24 ne traduisent pas véritablement l’opinion de la majorité des
Etats présents.»355
349 Harvard Research in International Law, projet de convention sur les eaux territoriales, art. 20, réimprimé dans
Am. J. Int’l L. Supp., vol. 23, 1929, p. 243, 333 et 334. Disponible à la bibliothèque du Palais de la Paix.
350 J. S. Reeves, «The Codification of the Law of Territorial Waters», Am. J. Int’l L., vol. 24, 1930, p. 486, 494.
Disponible à la bibliothèque du Palais de la Paix.
351 Commentaires sur les articles relatifs au droit de la mer, texte adopté par la Commission du droit international
à sa huitième session, reproduit dans l’Annuaire de la Commission du droit international, 1956, vol. II (commentaire de
l’article 66). Bien que la CDI ait rejeté l’idée qu’un Etat côtier pouvait être autorisé à exercer sa compétence sur des
questions touchant la sécurité, la pêche, la conservation des ressources biologiques et l’immigration au sein de la zone, la
Colombie soutient que, ce faisant, cet organe s’est largement appuyé sur des justifications générales qui ne
correspondaient pas à la pratique suivie à l’époque par les Etats. Accessibles à l’adresse suivante :
http://legal.un.org/ilc/texts/instruments/french/commentaries/8_1_8_2_1… (dernière consultation le 10 novembre
2016).
352 S. Oda, «The Concept of the Contiguous Zone», Int’l & Comp. L.Q., vol. 11, 1962, p. 131, 147-149.
Disponible à la bibliothèque du Palais de la Paix.
353 Ibid. (La proposition de Ceylan a été adoptée par 39 voix contre 15 et 20 abstentions ; celle de la Pologne l’a
été par 33 voix contre 27 et 5 abstentions. Le projet final de la Première Commission, qui intégrait ces deux propositions,
a été soumis à la séance plénière à l’issue d’un vote, par 50 voix contre 18 et 8 abstentions.)
354 Ibid.
355 S. Oda, op. cit., p. 158.
214
215
- 102 -
5.45. A la session de 1972 du comité du fond des mers, un groupe de 55 Etats a appuyé
l’inscription à l’ordre du jour, en tant que point 3, de la question de la zone contiguë356. Ce point a
été divisé en trois sous-points : 3.1 — Nature et caractéristiques ; 3.2 — Limites ; et 3.3 — Droits
des Etats riverains en matière de sécurité nationale, de douane et de contrôle fiscal, de contrôle
sanitaire et de contrôle des immigrations. L’introduction de ce nouveau point approuvé, et les
discussions continues auxquelles il a donné lieu, souligne encore davantage le fait que les
divergences et débats relatifs à l’étendue et à la nature de la zone contiguë étaient toujours
d’actualité après l’adoption de la convention de 1958.
5.46. Lors des négociations menées dans le cadre de la troisième conférence des
Nations Unies sur le droit de la mer, l’accent a été déplacé sur la résolution des problèmes liés au
régime émergent de la zone économique exclusive. Ces délibérations ont relégué au second plan les
débats persistants sur la nature et l’étendue de la zone contiguë. Néanmoins, des propositions
appelant à davantage de souplesse ont une nouvelle fois été avancées : l’Inde a ainsi suggéré
d’opter pour une zone contiguë s’étendant jusqu’à 30 milles ; l’Egypte et le Honduras d’établir
celle-ci à 18 milles ; et Israël d’ajouter «diffusion» à la liste des domaines dans lesquels les Etats
côtiers peuvent imposer leur compétence. Bien qu’aucune de ces propositions n’ait été adoptée et
que celle, formulée en dernier lieu par l’Union soviétique et ses partisans, de reprendre simplement
le libellé de la convention de 1958 ait finalement été acceptée, il est indiqué dans le compte rendu
in extenso que l’article 33 de la CNUDM était loin de faire l’unanimité357.
5.47. On peut noter que, en 1975, une juridiction nationale des Etats-Unis d’Amérique a été
appelée à se prononcer sur la légalité de la saisie d’un navire japonais, le F/V Taiyo Maru, par les
garde-côtes américains dans la zone de pêche contiguë des Etats-Unis, au motif d’une violation
alléguée de la loi américaine sur la pêche. Pour déterminer si la poursuite effectuée par les gardecôtes
était légale, le juge de district Edward Thaxter Gignoux a dû se pencher sur la question de
savoir si la convention de 1958 prévoyait la possibilité qu’une zone contiguë confère des droits de
pêche. Le juge Gignoux a conclu que l’article 24 n’interdisait pas «la création d’une zone contiguë
dans un but autre que ceux spécifiés dans [cet] article», soutenant au contraire que la liste y figurant
n’était pas exhaustive :
«L’article 24, qui porte sur les fins auxquelles la création d’une zone contiguë
est autorisée, est libellé en termes permissifs, et non restrictifs. Il dispose qu’un Etat
côtier «peut» créer pareille zone afin de faire respecter ses règlements douaniers,
fiscaux, sanitaires ou d’immigration. Bien que l’article 24 ne reconnaisse
expressément que le droit d’un Etat côtier de créer une zone contiguë à l’une des
quatre fins énumérées, rien dans cette disposition n’interdit de procéder ainsi dans
d’autres buts, notamment celui d’assurer l’application de la loi nationale sur la
pêche.»358
356 Nations Unies, doc. A/AC.138/66 et Corr. 2, 14 mars 1972 : Algérie, Argentine, Brésil, Cameroun, Chili,
Chine, Chypre, Colombie, Congo, Côte d’Ivoire, Egypte, El Salvador, Equateur, Espagne, Ethiopie, Fidji, Gabon, Ghana,
Guatemala, Guyane, Inde, Indonésie, Irak, Iran, Islande, Jamaïque, Kenya, Koweït, Libéria, Madagascar, Malaisie,
Maroc, Maurice, Mauritanie, Nicaragua, Nigéria, Pakistan, Panama, Pérou, Philippines, République arabe libyenne,
République-Unie de Tanzanie, Roumanie, Sénégal, Sierra Leone, Somalie, Soudan, Sri Lanka, Trinité-et-Tobago,
Tunisie, Uruguay, Venezuela, Yémen, Yougoslavie et Zaïre (annexe 80).
357 S. N. Nandan et S. Rosenne (sous la dir. de), United Nations Convention on the Law of the Sea 1982: A
Commentary, vol. II, 1993, p. 268-275 (commentaire de l’Université de Virginie). Disponible à la bibliothèque du Palais
de la Paix ; voir également l’annexe 82 : S. Ghosh, op. cit., p. 271-277.
358 Annexe 81 : United States v. F/V Taiyo Maru, Civ. no 74-101 SD, Cr. no 74-46 SD, F. Supp., vol. 395, 1975,
p. 413.
216
217
- 103 -
5.48. Le point essentiel du propos du juge Gignoux se reflète dans la pratique que les Etats
ont été assez nombreux à suivre après la conclusion de la convention de 1958 et de la CNUDM.
Ces derniers ont adopté et fait appliquer des dispositions législatives étendant les limitations
quantitatives et matérielles énumérées aux articles 24 et 33. C’est ainsi que les lois nationales des
Etats et leurs pouvoirs au sein de la zone contiguë ont fini par couvrir diverses préoccupations, qui
vont de la sécurité et de la défense à la protection de l’environnement et à la conservation maritime,
en passant par les droits de pêche et la protection du patrimoine culturel, comme en atteste une
pratique étatique considérable. L’appendice B du présent contre-mémoire contient des exemples
tirés de la pratique de pas moins de 41 Etats dotés d’une législation nationale leur conférant des
pouvoirs visant à leur permettre de répondre à ces préoccupations359.
5.49. Le droit coutumier est un processus dynamique et continu, comme l’illustre
l’abondante pratique des Etats examinée plus haut, qui rappelle en outre que la Cour admet une
interprétation évolutive des traités lorsque les circonstances s’y prêtent. Dans son arrêt de 2009 en
l’affaire du Différend relatif à des droits de navigation et des droits connexes, la Cour a en effet dit
ceci :
«[I]l existe des cas où l’intention des parties au moment même de la conclusion
du traité a été, ou peut être présumée avoir été, de conférer aux termes employés — ou
à certains d’entre eux — un sens ou un contenu évolutif et non pas intangible, pour
tenir compte notamment de l’évolution du droit international.»360
5.50. Le libellé de l’article 24 de la convention de 1958 et de l’article 33 de la CNUDM, en
ce qu’il a trait à des «règlements douaniers, fiscaux, sanitaires ou d’immigration», peut donc être lu
à la lumière des développements contemporains du droit international. Les Etats ayant interprété ce
que recouvrent respectivement les qualificatifs «douaniers», «fiscaux», «sanitaires» et
«d’immigration» en fonction des besoins administratifs modernes, les termes des deux conventions,
ainsi que la norme coutumière corrélée qui s’y reflète, peuvent être considérés comme souples et
évolutifs. Compte tenu de ce qui précède, les «lois … relati[ves] à la protection de
l’environnement», visées à l’article 5 du décret présidentiel no 1946, doivent être assimilées à des
«lois et règlements … sanitaires» dans le cadre de la conception actuelle du régime de la zone
contiguë prévu par le droit international coutumier361.
359 Appendice B : exemples d’Etats ayant adopté une législation nationale relative à la zone contiguë.
360 Différend relatif à des droits de navigation et des droits connexes (Costa Rica c. Nicaragua), arrêt,
C.I.J. Recueil 2009, p. 242, par. 64.
361 A cet égard, la Cour a dit ce qui suit :
«La Cour ne voit aucune difficulté à reconnaître que les préoccupations exprimées par la Hongrie
en ce qui concerne son environnement naturel dans la région affectée par le projet Gabčikovo-Nagymaros
avaient trait à un «intérêt essentiel» de cet Etat, au sens où cette expression est utilisée à l’article 33 du
projet de la Commission du droit international.
La Commission, dans son commentaire, a indiqué qu’il ne fallait pas, dans ce contexte, réduire un
«intérêt essentiel» de 1’Etat à sa seule «existence», et que tout était, en définitive, question d’espèce (voir
Annuaire de la Commission du droit international, 1980, vol. II, deuxième partie, p. 48, par. 32) ; en
même temps, elle a mentionné, parmi les situations susceptibles d’engendrer un état de nécessité, «un
danger grave … pour la conservation écologique [du] territoire [d’un Etat] ou d’une partie de son
territoire» (ibid., p. 34, par. 3) et a précisé, en se référant à la pratique des Etats, que : «C’est surtout dans
les deux dernières décennies que la sauvegarde de l’équilibre écologique en est venue à être considérée
comme répondant à un «intérêt essentiel» de tous les Etats.» (Ibid., p. 38, par. 14.)
La Cour rappellera qu’elle a récemment eu l’occasion de souligner dans les termes suivants toute l’importance
que le respect de l’environnement revêt à son avis, non seulement pour les Etats mais aussi pour l’ensemble du genre
humain :
218
- 104 -
5.51. Voilà qui cadre en outre parfaitement avec la fonction historique de la zone contiguë.
Dans sa vénérable décision de 1804 en l’affaire Church v. Hubbart, le juge John Marshall,
président de la Cour suprême des Etats-Unis, a contribué à jeter les bases d’une zone contiguë
souple en droit international coutumier. Il a relevé que, conformément à des principes
«universellement reconnus», le pouvoir d’un Etat de «se prémunir contre un préjudice p[ouvait]
assurément être exercé au-delà des limites de son territoire» :
«Ces moyens ne semblent pas être circonscrits à des frontières clairement
délimitées, fixées une fois pour toutes et quelles que soient les circonstances. S’ils
sont de nature à entraver et à pénaliser inutilement le commerce extérieur licite, les
nations étrangères s’opposeront à leur exercice. S’ils sont raisonnables et nécessaires
pour faire appliquer les lois d’un Etat, ils seront respectés. Selon la mer et la côte
concernées, les autres pays consentiront à laisser à l’Etat une marge de manoeuvre plus
ou moins grande pour exercer sa vigilance.»362
5.52. Le juge Marshall a donc conclu qu’il y avait lieu de s’en remettre non pas à des
limitations rigides mais à des normes plus souples concernant le caractère raisonnable et nécessaire.
Dans un tel régime, le degré d’intrusion, l’étendue d’une éventuelle substitution aux droits d’autres
Etats, la justification juridique de l’action étatique en question, y compris son caractère d’urgence
et sa proportionnalité corrélative, et la réaction de la communauté internationale sont autant
d’éléments qui jouent un rôle lors de l’appréciation contextuelle de la licéité de la mesure dans
laquelle des pouvoirs associés à la zone contiguë sont exercés, ainsi que de la licéité des actions
concrètes accomplies par l’Etat dont relève ladite zone.
5.53. Cette approche a été examinée par MM. McDougal et Burke, qui sont parvenus à la
conclusion que le «bref et énigmatique article 24 de la convention de 1958» était «aussi éloigné des
politiques communautaires souhaitables que de ce que ser[aient] probablement les prétentions et les
décisions». Au vu de «la souplesse considérable qui caractérise les distances auxquelles les Etats
ont projeté, et continuent de projeter, de créer leur zone contiguë», ces deux auteurs faisant autorité
ont conclu qu’une zone unique de 12 milles était «profondément anachronique»363. S’agissant de la
question de la nature et des fonctions de la zone, ils ont préconisé une approche qui tienne compte
du contexte et des politiques internationales :
«La limitation proposée des buts ouvrant droit à la création de zones contiguës,
énumérés dans l’expression «douaniers, fiscaux, sanitaires et d’immigration», est loin
de couvrir exactement les fins auxquelles les Etats ont, par le passé, occasionnellement
exigé — et obtenu — une compétence exclusive dans des eaux contiguës. Comme
nous l’avons vu, leurs exigences mutuelles, de même que leurs divergences
réciproques, se sont étendues à d’importants intérêts communs relatifs à la sécurité et
au pouvoir, ainsi qu’à d’autres formes de protection des richesses. Progrès techniques
et nouvelles connaissances aidant, nous sommes quasiment certains de voir apparaître
«l’environnement n’est pas une abstraction, mais bien l’espace où vivent les êtres humains et dont
dépendent la qualité de leur vie et leur santé, y compris pour les générations à venir. L’obligation générale
qu’ont les Etats de veiller à ce que les activités exercées dans les limites de leur juridiction ou sous leur
contrôle respectent l’environnement dans d’autres Etats ou dans des zones ne relevant d’aucune
juridiction nationale fait maintenant partie du corps de règles du droit international de l’environnement».
(Licéité de la menace ou de l’emploi d’armes nucléaires, avis consultatif, C.I.J. Recueil 1996, p. 241-242,
par. 29.)
Projet Gabčíkovo-Nagymaros (Hongrie/Slovaquie), arrêt, C.I.J. Recueil 1997, p. 41, par. 53.
362 Annexe 79 : Church v. Hubbart, U.S., vol. 6, p. 187, 234 et 235 (1804).
363 M. S. McDougal & W. T. Burke, The Public Order of the Oceans: A Contemporary International Law of the
Sea, 1962, p. 604-607. Disponible à la bibliothèque du Palais de la Paix.
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221
- 105 -
de nouveaux usages des océans. Il est difficile de considérer que l’on précise comme il
se doit les intérêts communs des Etats en défendant, pour ce qui est des fins les
autorisant à exercer une compétence exclusive raisonnable, une formulation qui
présente le double inconvénient d’omettre un intérêt partagé important et
synchronique et d’empêcher que soient protégés à l’avenir les nouveaux intérêts
émergents, quelle que soit l’importance ou le caractère d’urgence qu’ils revêtent. A
n’en pas douter, toute prédiction selon laquelle les Etats seront à même non seulement
de cohabiter mais aussi de protéger leurs intérêts communs dans un cadre aussi
restreint doit être jugée on ne peut plus hasardeuse.»364
Au vu de la pratique ultérieure des Etats, la dernière phrase, dont la publication remonte
à 1962, s’est révélée être prémonitoire365.
5.54. L’examen qui précède étaye la position de la Colombie selon laquelle, au regard du
droit international coutumier, tant la conception spatiale de la zone contiguë que les pouvoirs qu’il
est loisible à l’Etat limitrophe d’y exercer sont fonction de considérations contextuelles et
fonctionnelles.
5.55. Si, toutefois, la Cour devait conclure que le droit international coutumier fixe à
24 milles la limite de la zone contiguë, la zone contiguë unique de la Colombie n’en serait pas
moins licite, en vertu de l’exemption coutumière à pareille règle quantitative. Comme nous l’avons
vu à la section 3 A) ci-dessus, le droit international coutumier prévoit, en présence de
caractéristiques géographiques uniques et pour autant que ce soit raisonnable dans le contexte, la
possibilité de recourir, aux fins de déterminer la limite extérieure d’une zone maritime, à des
techniques qui dérogent aux règles générales en vue de créer une zone contiguë viable à même de
remplir ses objectifs. L’archipel de San Andrés présente des caractéristiques géographiques telles
que l’application de la règle générale rendrait la zone contiguë impraticable. Au regard du droit
international coutumier, la configuration de celle de la Colombie est donc licite.
F. EN TOUT ÉTAT DE CAUSE, LE NICARAGUA NE PEUT CITER AUCUNE ACTION MENÉE DANS LA
ZONE CONTIGUË UNIQUE DE LA COLOMBIE QUI AURAIT PORTÉ ATTEINTE AUX DROITS
QU’IL TIENT DE SA ZONE ÉCONOMIQUE EXCLUSIVE
5.56. Il ressort de l’analyse qui précède que chacune des actions concrètes que la Colombie
aurait accomplies dans sa zone contiguë, et pas uniquement la configuration spatiale de la zone
elle-même, doit être examinée au cas par cas à l’aune des principes internationaux généralement
admis et de la pratique des Etats. Dans le cadre de cette analyse contextuelle, il convient de
rechercher si la justification de ces différentes actions est valide, en tenant compte du caractère
excessif ou trivial des conséquences préjudiciables alléguées des mesures concernées. Bien
évidemment, la charge de la preuve incombe à la partie qui invoque l’événement dommageable : ei
incumbit probatio qui dicit, non qui negat.
5.57. S’agissant des prétendus événements «dommageables» invoqués par le Nicaragua dans
son mémoire et ses annexes, celui-ci constatera qu’il est impossible de démontrer que la Colombie
lui a causé le moindre préjudice, faute d’avoir établi qu’un quelconque incident s’est produit dans
la zone contiguë unique. Au surplus, lors d’aucun des événements relevant de la compétence de la
Cour, c’est-à-dire ceux qui ont lieu avant que la Colombie ne dénonce le pacte de Bogotá, le
364 M. S. McDougal & W. T. Burke, The Public Order of the Oceans: A Contemporary International Law of the
Sea, 1962, p. 604-607. Disponible à la bibliothèque du Palais de la Paix.
365 Ibid.
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- 106 -
Nicaragua n’a-t-il soulevé la question d’une violation, par celle-ci, d’un prétendu droit souverain
ou de son espace maritime du fait de l’exploitation de la zone contiguë unique. Ce n’est qu’en ce
qui concerne quelques rares événements intervenus après la dénonciation (le 2 janvier 2014 ainsi
que les 1er , 2 et 5 février 2014) que le Nicaragua fait expressément grief à la Colombie d’avoir
utilisé cette zone à son détriment. Ainsi qu’il a été exposé dans la section C du chapitre 4,
indépendamment de leur absence de fondement, ces événements allégués échappent à la
compétence de la Cour. Le point essentiel est toutefois que le Nicaragua n’a pas démontré qu’il
avait effectivement subi un préjudice en raison d’actions ou de mesures concrètes mises en oeuvre
par la Colombie dans sa zone contiguë unique.
G. CONCLUSION
5.58. Comme il a été démontré dans le présent chapitre, la promulgation par la Colombie du
décret présidentiel no 1946 du 9 septembre 2013 portant création d’une zone contiguë unique n’est
pas un fait illicite au regard du droit international. En particulier : i) la configuration spatiale de
cette zone est internationalement licite ; ii) les pouvoirs spécifiés par ce décret le sont également ;
et iii) le Nicaragua n’a pas démontré avoir subi le moindre préjudice du fait de l’existence de la
zone contiguë unique.
224
- 107 -
CHAPITRE 6
MESURES DEMANDÉES
6.1. Le Nicaragua soutient qu’il a subi un préjudice d’ordre à la fois matériel et moral en
conséquence des faits internationalement illicites de la Colombie366. S’agissant du préjudice
matériel, il demande à la Colombie de mettre immédiatement un terme aux faits internationalement
illicites qu’il lui attribue, de rétablir la situation antérieure à ces faits, de l’indemniser et de lui
fournir des garanties de non-répétition367. S’agissant du préjudice moral, le Nicaragua, arguant de
ce qu’un tel préjudice est «peu susceptible d’évaluation financière», prie la Cour de faire une
déclaration confirmant le caractère illicite du comportement de la Colombie368.
6.2. La réponse aux mesures demandées par le Nicaragua est, en résumé, la suivante :
i) la Cour a déjà déclaré ne pas être compétente pour connaître de la demande fondée sur
l’allégation relative à la menace de l’emploi de la force369, et
ii) la Colombie n’a commis aucun des faits internationalement illicites allégués.
6.3. La Colombie a démontré que les prétendus «incidents» impliquant ses forces navales
reposent en réalité sur des informations erronées ou, au mieux, totalement fallacieuses. Aucun
bateau de pêche nicaraguayen n’a été empêché d’exercer ses activités dans les eaux déclarées
appartenir au Nicaragua du fait de l’exercice par la Colombie de son droit de navigation et de
survol ainsi que de son droit de surveiller les trafics suspects et les pratiques nuisibles au milieu
marin. De fait, même après avoir été prétendument chassés de la zone par la marine colombienne,
des navires tels que le Miss Sofía ont continué de pêcher, non seulement dans les eaux déclarées
appartenir au Nicaragua, mais également dans la mer territoriale de Serrana et dans les eaux de la
zone de régime commun établie par la Colombie et la Jamaïque370. Il convient également de
mentionner que les membres d’équipage de ces deux navires sont régulièrement abandonnés à leur
sort371.
6.4. Quant au décret no 1946 par lequel elle a instauré une zone contiguë unique, la Colombie
a démontré que ce texte n’était ni contraire au droit international, ni incompatible avec la capacité
du Nicaragua d’exercer ses droits souverains dans sa zone économique exclusive ou sur son plateau
continental. Une fois encore, aucun navire de pêche nicaraguayen n’a été empêché d’exercer ses
activités dans les parties de la zone contiguë unique qui chevauchent la zone économique exclusive
du Nicaragua.
6.5. Il s’ensuit que l’allégation du Nicaragua selon laquelle la Colombie devrait rétablir le
statu quo ante en abrogeant des lois, des règlements ainsi que des permis accordés à des navires de
pêche est dépourvue de fondement et ne saurait donner lieu à d’autres commentaires à ce stade. De
même, son allégation selon laquelle la Colombie serait tenue de l’indemniser n’est pas défendable.
Les faits de la présente affaire démontrent que, quand bien même les prétendus incidents auraient
366 MN, par. 4.6.
367 Ibid., par. 4.11.
368 Ibid., par. 4.12-4.13.
369 Arrêt relatif aux exceptions préliminaires, par. 75-79.
370 MN, par. 2.30 et 2.36.
371 Voir chap. 8, section C, ci-dessous, et appendice A (dans vol. II).
225
226
- 108 -
eu lieu (quod non) et qu’ils constitueraient une violation des normes internationales (ce qui n’est
pas le cas), le Nicaragua n’a subi aucun préjudice, puisque les navires de pêche auxquels il a
délivré un permis n’ont pas été empêchés d’exercer leurs activités dans sa zone économique
exclusive.
6.6. Dès lors, le demandeur n’est pas crédible lorsqu’il soutient que la Colombie devrait
l’indemniser au titre du «manque à gagner résultant … des pertes d’investissements qu’ont
entraînées les déclarations à caractère comminatoire faites par les plus hautes autorités
colombiennes»372. Non seulement il ressort de la description même qu’il donne des «incidents» que
les navires de pêche bénéficiant d’un permis nicaraguayen n’ont en rien été entravés dans leurs
activités, mais le demandeur n’a en outre pas fourni le moindre élément de preuve à l’appui de ses
allégations.
6.7. Le Nicaragua ne peut tout simplement pas démontrer qu’il a subi des préjudices
matériels du fait du comportement de la Colombie. Bien au contraire, il ressort de la situation dans
la zone pertinente qu’il jouit déjà pleinement de ses droits dans les espaces maritimes que la Cour a
déclaré lui appartenir en 2012. De fait, selon un rapport de l’Instituto Nicaragüense de la Pesca y
Acuicultura (INPESCA) datant de 2014, la production de ressources halieutiques dans la partie
nicaraguayenne de la mer des Caraïbes a plus que doublé entre 2012 et 2014. Cette augmentation a
été constante en ce qui concerne la plupart des ressources marines, notamment les poissons, les
langoustes, les strombes et les crevettes373.
6.8. De même, dans le rapport de la FAO relatif à la première réunion du groupe de travail
sur la langouste des Caraïbes, à laquelle participait le Nicaragua mais non la Colombie, il est
précisé que celui-ci a suspendu ses quotas sur les prises totales autorisées de cette espèce «en 2012,
après avoir obtenu des droits territoriaux sur une zone en litige dans l’Atlantique, ce qui lui a
permis d’étendre sa zone de pêche»374. Mais, plus important encore, ce rapport contient une
présentation par le Nicaragua d’un rapport de l’INPESCA sur le statut de cette ressource dans les
Caraïbes375, qui appelle spécifiquement l’attention sur la zone de Luna Verde à travers une carte
indiquant les quantités considérables de langouste qui y ont été pêchées à la suite de l’arrêt
de 2012. S’il n’est pas fait mention du tonnage exact, les pointillés montrent que, entre le prononcé
de l’arrêt de 2012 et l’adoption du rapport en octobre 2014, le Nicaragua a pleinement joui de ses
droits nouvellement acquis dans cette zone, même si cela s’est accompagné de l’usage généralisé
de pratiques de pêche déprédatrices. Ainsi qu’il est précisé dans ledit rapport, Luna Verde est
actuellement l’un des «principaux bancs», si ce n’est le plus important, pour l’exploitation de la
langouste. Ce rapport montre de façon incontestable que, contrairement à ce que soutient le
Nicaragua sans en apporter la preuve, ses pêcheurs puisent dans les ressources de langoustes
situées à Luna Verde  et les épuisent sensiblement — indépendamment de la présence
prétendument «menaçante» de la marine colombienne.
6.9. Par conséquent, ni les prétendus «incidents» ni le décret no 1946 n’ont causé au
Nicaragua un quelconque préjudice. Les navires de pêche nicaraguayens n’ont pas non plus été
372 MN, conclusions, point c) du par. 2.
373 Annexe 92 : institut nicaraguayen de la pêche et de l’aquaculture (INPESCA), Annuaire 2014 de la pêche et
de l’aquaculture, juillet 2015, p. 7-9.
374 FAO, commission des pêches pour l’Atlantique Centre-Ouest, Report of the First Meeting of the
OSPESCA/WECAFC/CRFM/CFMC Working Group on Caribbean Spiny Lobster, Panama, 21-23 octobre 2014, p. 22,
par. 32. Accessible à l’adresse suivante : http://www.fao.org/3/a-i4860b.pdf. (dernière consultation le 10 novembre
2016.)
375 Ibid., p. 80-83.
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229
- 109 -
empêchés d’exercer leurs activités, pas plus qu’il n’aurait par ailleurs été porté atteinte aux droits
souverains ou à la juridiction du Nicaragua. Bien au contraire, la Colombie a démontré que sa
présence dans la zone pertinente était justifiée et son comportement, conforme aux obligations que
lui impose le droit international. Pour ces raisons, la demande présentée par le Nicaragua est
infondée en fait et en droit, et doit être rejetée.
- 110 -
TROISIÈME PARTIE
DEMANDES RECONVENTIONNELLES
CHAPITRE 7
DEMANDES RECONVENTIONNELLES DE LA COLOMBIE
A. INTRODUCTION
7.1. Dans les chapitres qui précèdent, la Colombie a montré que la manière dont son
comportement dans le sud-ouest de la mer des Caraïbes est présenté dans les pièces de procédure
du Nicaragua ne correspondait pas à la réalité et qu’aucun comportement illicite ne pouvait lui être
attribué. Cependant, la version donnée par le Nicaragua n’est pas seulement inexacte, elle est aussi
à l’opposé de ce qui s’est réellement produit pendant la période écoulée entre le prononcé de l’arrêt
de la Cour, le 19 novembre 2012, et la date critique, le 27 novembre 2013 (ci-après la «période
considérée»), et se révèle donc incomplète.
7.2. Comme la Colombie le montrera dans les chapitres qui suivent, c’est le comportement
du Nicaragua lui-même au cours de cette période concernant, d’une part, les deux zones dans
lesquelles il revendique des droits souverains et prétend pouvoir exercer sa juridiction et, d’autre
part, les zones situées dans la mer territoriale de la Colombie, c’est-à-dire relevant de la
souveraineté de celle-ci, qui est à l’origine d’un certain nombre de manquements aux obligations
qui lui incombent envers la Colombie.
7.3. L’arrêt rendu par la Cour le 19 novembre 2012 n’a pas donné au Nicaragua une
juridiction ou des droits souverains absolus sur sa zone économique exclusive. Au contraire, les
droits récemment reconnus s’accompagnent de responsabilités et d’obligations, en particulier
vis-à-vis de la Colombie mais aussi d’Etats tiers. Dans ses pièces de procédure, le Nicaragua
n’affiche que mépris pour ces obligations.
7.4. Le Nicaragua est notamment dans l’obligation de protéger et de préserver
l’environnement marin. Or non seulement il néglige totalement de surveiller et de prévenir le
recours à des pratiques de pêche déprédatrices et la destruction de l’habitat marin perpétrée par des
bateaux naviguant sous son pavillon ou immatriculés auprès de lui dans la zone concernée, mais il
tolère, voire encourage, de telles pratiques. Ce faisant, il a non seulement manqué à ses obligations
générales en matière d’environnement, mais aussi violé les droits des habitants de l’archipel,
notamment de la communauté raizale, à bénéficier d’un environnement et d’un habitat sains,
viables et durables. Ce sera là l’objet des deux premières demandes reconventionnelles de la
Colombie, qui seront examinées dans le chapitre 8.
7.5. En outre, alors que de hauts représentants nicaraguayens se sont prononcés
publiquement en faveur de la reconnaissance des droits de pêche traditionnels de la communauté
raizale et de la Colombie, le Nicaragua enfreint en pratique les droits reconnus aux pêcheurs
artisanaux de l’archipel d’accéder à leurs bancs traditionnels et de les exploiter. Ses forces navales
harcèlent les petits pêcheurs, en les intimidant et en saisissant le produit de leur pêche, leur
matériel, leur nourriture et leurs biens personnels. Cela fera l’objet de la troisième demande
reconventionnelle de la Colombie, qui sera exposée dans le chapitre 9.
231
23 3
234
- 111 -
7.6. Enfin, le Nicaragua est allé plus loin encore en adoptant un décret établissant des lignes
de base droites pour déterminer la largeur de ses zones maritimes, en contradiction flagrante avec le
droit international et dans le but d’étendre ses espaces maritimes au-delà de ce que permet celui-ci.
Ce décret viole directement les droits et les espaces maritimes de la Colombie et est à l’origine de
la quatrième demande reconventionnelle, qui sera traitée dans le chapitre 10.
B. RECEVABILITÉ DES DEMANDES RECONVENTIONNELLES
DE LA COLOMBIE
7.7. Le paragraphe 1 de l’article 80 du Règlement de la Cour dispose ce qui suit : «La Cour
ne peut connaître d’une demande reconventionnelle que si celle-ci relève de sa compétence et est
en connexité directe avec l’objet de la demande de la partie adverse.» Par conséquent, pour que la
Cour puisse connaître de demandes reconventionnelles, celles-ci doivent i) relever «de sa
compétence» et ii) être «en connexité directe avec l’objet de la demande de la partie adverse».
Dans des décisions antérieures rendues par la Cour, ces deux conditions ont été décrites comme
ayant trait à la «recevabilité» de la demande reconventionnelle376. Autrement dit, «le terme
«recevabilité», dans ce contexte, doit être compris au sens large, comme couvrant à la fois la
condition de compétence et celle de connexité directe …»377.
7.8. La section 1 ci-dessous portera sur la condition de compétence en ce qui concerne les
demandes reconventionnelles de la Colombie. La section 2 exposera ensuite les considérations
juridiques qui étayent la condition de «connexité directe». Dans les chapitres qui suivent, la
Colombie montrera que les conditions de recevabilité pour chacune de ses demandes
reconventionnelles sont remplies et que celles-ci sont fondées en fait et en droit.
1. Les demandes reconventionnelles relèvent de la compétence de la Cour
7.9. La compétence de la Cour pour régler un différend entre deux Etats dépend du
consentement de ceux-ci. En la présente espèce, la Cour a considéré dans son arrêt sur les
exceptions préliminaires que le consentement à sa compétence pour statuer sur le différend entre le
Nicaragua et la Colombie découlait de l’article XXXI du pacte de Bogotá378.
7.10. Cet article se lit comme suit :
«Conformément au paragraphe 2 de l’article 36 du Statut de la Cour
internationale de Justice, les Hautes Parties Contractantes en ce qui concerne tout
autre Etat américain déclarent reconnaître comme obligatoire de plein droit, et sans
convention spéciale tant que le présent Traité restera en vigueur, la juridiction de la
Cour sur tous les différends d’ordre juridique surgissant entre elles et ayant pour
objet :
a) [l]’interprétation d’un traité ;
376 Plates-formes pétrolières (République islamique d’Iran c. Etats-Unis d’Amérique), demande
reconventionnelle, ordonnance du 10 mars 1998, C.I.J. Recueil 1998, p. 203, par. 33 ; Activités armées sur le territoire
du Congo (République démocratique du Congo c. Ouganda), demandes reconventionnelles, ordonnance du 29 novembre
2001, C.I.J. Recueil 2001, p. 678, par. 35.
377 Immunités juridictionnelles de l’Etat (Allemagne c. Italie), demande reconventionnelle, ordonnance
du 6 juillet 2010, C.I.J. Recueil 2010, p. 315-316, par. 14.
378 Arrêt sur les exceptions préliminaires, p. 41, par. 111, point 2 du dispositif.
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236
- 112 -
b) [t]oute question de droit international ;
c) [l]’existence de tout fait qui, s’il était établi, constituerait la violation d’un
engagement international ;
d) [l]a nature ou l’étendue de la réparation qui découle de la rupture d’un engagement
international.»
7.11. Aux fins d’évaluer si les demandes reconventionnelles relèvent de la compétence de la
Cour, il convient d’établir une distinction entre les compétences ratione materiae, ratione temporis
et ratione personae.
7.12. S’agissant de la compétence ratione materiae, les demandes reconventionnelles de la
Colombie concernent incontestablement un «différend[] d’ordre juridique», comme le requiert
l’article XXXI du pacte de Bogotá. De fait, elles ont toutes pour objet des «question[s] de droit
international» (paragraphe b) de l’article XXXI), l’existence de faits qui, s’ils étaient établis,
constitueraient des violations d’engagements du Nicaragua (paragraphe c)) et la nature ou l’étendue
de la réparation qui découle de ces violations (paragraphe d)).
7.13. Quant à la compétence ratione temporis, l’article XXXI du pacte dispose que le
consentement à la compétence de la Cour existe i) «tant que le présent Traité restera en vigueur» et
ii) dès lors qu’un différend surgit entre les parties et iii) a pour objet «[l]’existence» de faits. En
conséquence, la Cour ne saurait connaître d’un différend surgissant entre les parties au sujet de
l’«existence» de faits qui n’ont pas eu lieu «tant que le … Traité [était] en vigueur» mais qui sont
survenus après que celui-ci a cessé de produire ses effets. Or, les faits invoqués par la Colombie
dans ses demandes reconventionnelles ont tous eu lieu avant le 27 novembre 2013, c’est-à-dire à
l’époque où, selon la Cour, le pacte de Bogotá était encore en vigueur entre le Nicaragua et la
Colombie.
7.14. Nul ne conteste non plus que la Cour a jugé que le pacte de Bogotá avait cessé de
s’appliquer entre les Parties à partir du 27 novembre 2013. Cela étant, il était encore en vigueur et
exprimait le consentement des Parties à la compétence de la Cour le 26 novembre 2013, date à
laquelle le Nicaragua a déposé la requête qui a introduit la présente affaire379. Dès lors, les
compétences ratione personae et ratione temporis de la Cour sont établies.
7.15. Le paragraphe 2 de l’article 80 du Règlement de la Cour dispose qu’une demande
reconventionnelle est présentée dans le contre-mémoire de la partie concernée. Ainsi, les demandes
reconventionnelles de la Colombie ne sont pas soumises au titre d’une nouvelle procédure mais
d’une «procédure incidente»380, «c’est-à-dire dans le cadre d’une instance déjà en cours»381.
Présentées dans le contre-mémoire, elles sont introduites dans le cadre juridictionnel de la
procédure déjà instituée par le Nicaragua le 26 novembre 2013. En d’autres termes, la compétence
de la Cour pour connaître des procédures incidentes doit s’apprécier au regard de la date à laquelle
la procédure principale a été introduite. La Cour ayant estimé avoir compétence à l’égard de la
379 Arrêt sur les exceptions préliminaires, p. 24, par. 48.
380 «Procédures incidentes» est le titre de la section D du Règlement de la Cour, dans laquelle se trouve
l’article 80.
381 Application de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Bosnie-Herzégovine
c. Yougoslavie), demandes reconventionnelles, ordonnance du 17 décembre 1997, C.I.J. Recueil 1997, p. 257, par. 30.
237
238
239
- 113 -
procédure principale, sa compétence est également établie pour ce qui est des demandes
reconventionnelles.
2. La condition de connexité directe
7.16. La jurisprudence de la Cour établit qu’il appartient à celle-ci d’apprécier
souverainement si le lien qui doit rattacher la demande reconventionnelle à la demande principale
est suffisant. Pour ce faire, la connexité directe doit être examinée «aussi bien en fait qu’en droit»,
comme cela a été expliqué dans l’affaire de la Bosnie :
«le Règlement ne définit pas la notion de «connexité directe» ; … il appartient à la
Cour d’apprécier souverainement, compte tenu des particularités de chaque espèce, si
le lien qui doit rattacher la demande reconventionnelle à la demande principale est
suffisant ; et … , en règle générale, le degré de connexité entre ces demandes doit être
évalué aussi bien en fait qu’en droit»382.
7.17. S’agissant de la connexité factuelle, la Cour doit se poser la question de savoir «si les
faits invoqués par chaque partie concern[ent] une même zone géographique ou une même
période»383 et rechercher si ces faits sont «de même nature, c’est-à-dire si les parties tir[ent] grief
de comportements similaires»384. La Cour s’est penchée sur ces questions dans les affaires relatives
à Certaines activités et à la Construction d’une route :
«Dans de précédentes décisions concernant la recevabilité de demandes
reconventionnelles, la Cour a pris en considération divers facteurs susceptibles
d’établir la connexité directe, tant en fait qu’en droit, entre une demande
reconventionnelle et les demandes formulées dans le cadre de la procédure principale,
requise par l’article 80. Elle s’est ainsi posé la question de savoir si les faits invoqués
par chaque partie concernaient une même zone géographique ou une même période
(voir Application de la convention pour la prévention et la répression du crime de
génocide (Bosnie-Herzégovine c. Yougoslavie), demandes reconventionnelles,
ordonnance du 17 décembre 1997, C.I.J. Recueil 1997, p. 258, par. 34 ; Plates-formes
pétrolières (République islamique d’Iran c. Etats-Unis d’Amérique), demande
reconventionnelle, ordonnance du 10 mars 1998, C.I.J. Recueil 1998, p. 205, par. 38).
Elle a également recherché si ces faits étaient de même nature, c’est-à-dire si les
parties tiraient grief de comportements similaires (voir Activités armées sur le
territoire du Congo (République démocratique du Congo c. Ouganda), demandes
382 Application de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Bosnie-Herzégovine
c. Yougoslavie), demandes reconventionnelles, ordonnance du 17 décembre 1997, C.I.J. Recueil 1997, p. 258, par. 33.
383 Certaines activités menées par le Nicaragua dans la région frontalière (Costa Rica c. Nicaragua) et
Construction d’une route au Costa Rica le long du fleuve San Juan (Nicaragua c. Costa Rica), demandes
reconventionnelles, ordonnance du 18 avril 2013, C.I.J. Recueil 2013, p. 211-212, par. [32] ; voir aussi Application de la
convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Bosnie-Herzégovine c. Yougoslavie), demandes
reconventionnelles, ordonnance du 17 décembre 1997, C.I.J. Recueil 1997, p. 258, par. 34 ; Plates-formes pétrolières
(République islamique d’Iran c. Etats-Unis d’Amérique), demande reconventionnelle, ordonnance du 10 mars 1998,
C.I.J. Recueil 1998, p. 205, par. 38.
384 Certaines activités menées par le Nicaragua dans la région frontalière (Costa Rica c. Nicaragua) et
Construction d’une route au Costa Rica le long du fleuve San Juan (Nicaragua c. Costa Rica), demandes
reconventionnelles, ordonnance du 18 avril 2013, C.I.J. Recueil 2013, p. 211-212, par. 32 ; voir aussi Activités armées
sur le territoire du Congo (République démocratique du Congo c. Ouganda), demandes reconventionnelles, ordonnance
du 29 novembre 2001, C.I.J. Recueil 2001, p. 678-679, par. 38.
240
- 114 -
reconventionnelles, ordonnance du 29 novembre 2001, C.I.J. Recueil 2001, p. 679,
par. 38).»385
7.18. Quant à la connexité directe en droit, la question essentielle consiste à savoir s’il existe
une connexité directe au regard des principes ou instruments juridiques invoqués ou si les parties
peuvent être réputées poursuivre le même but juridique. Ainsi qu’elle l’a déclaré dans les affaires
relatives à Certaines activités et à la Construction d’une route,
«[l]a Cour s’est par ailleurs demandé si la demande reconventionnelle était en
connexité directe avec les demandes principales de la partie adverse au regard des
principes ou instruments juridiques invoqués, ou si le demandeur et le défendeur
pouvaient être réputés poursuivre le même but juridique à travers leurs demandes
respectives (voir Application de la convention pour la prévention et la répression du
crime de génocide (Bosnie-Herzégovine c. Yougoslavie), demandes
reconventionnelles, ordonnance du 17 décembre 1997, C.I.J. Recueil 1997, p. 258,
par. 35 ; Plates-formes pétrolières (République islamique d’Iran c. Etats-Unis
d’Amérique), demande reconventionnelle, ordonnance du 10 mars 1998,
C.I.J. Recueil 1998, p. 205, par. 38 ; Frontière terrestre et maritime entre le
Cameroun et le Nigéria (Cameroun c. Nigéria), ordonnance du 30 juin 1999,
C.I.J. Recueil 1999, p. 985-986 ; Activités armées sur le territoire du Congo
(République démocratique du Congo c. Ouganda), demandes reconventionnelles,
ordonnance du 29 novembre 2001, C.I.J. Recueil 2001, p. 679, par. 38 et 40)»386.
7.19. Les chapitres qui suivent permettront d’établir la connexité entre l’objet des demandes
du Nicaragua et chacune des demandes reconventionnelles, et il sera démontré que ces dernières
remplissent toutes les conditions de recevabilité. En particulier, toutes concernent la même zone
géographique et la même période, portent sur le comportement et la présence des deux Parties
relativement à la zone maritime en cause et poursuivent les mêmes buts juridiques s’agissant
d’évaluer la licéité de ce comportement au regard du droit international.
385 Certaines activités menées par le Nicaragua dans la région frontalière (Costa Rica c. Nicaragua) et
Construction d’une route au Costa Rica le long du fleuve San Juan (Nicaragua c. Costa Rica), demandes
reconventionnelles, ordonnance du 18 avril 2013, C.I.J. Recueil 2013, p. 211-212, par. 32.
386 Certaines activités menées par le Nicaragua dans la région frontalière (Costa Rica c. Nicaragua) et
Construction d’une route au Costa Rica le long du fleuve San Juan (Nicaragua c. Costa Rica), demandes
reconventionnelles, ordonnance du 18 avril 2013, C.I.J. Recueil 2013, p. 211-212, par. 32.
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CHAPITRE 8
PREMIÈRE ET DEUXIÈME DEMANDES RECONVENTIONNELLES : LE MANQUE
DE DILIGENCE DU NICARAGUA À L’ÉGARD DE L’ENVIRONNEMENT MARIN
DU SUD-OUEST DE LA MER DES CARAÏBES ET DE L’HABITAT
DES RAIZALS
A. INTRODUCTION
8.1. Comme il a été exposé plus haut, le sud-ouest de la mer des Caraïbes est une zone à
l’environnement extrêmement fragile. L’interdépendance y est élevée, et les actes de chacune des
Parties ont des répercussions sur son équilibre écologique et ses écosystèmes. Dans le présent
chapitre, il sera démontré que le Nicaragua a manqué à son obligation de préserver et de protéger
l’environnement marin en faisant preuve d’un comportement qui nuit non seulement à l’équilibre
écologique de la zone, mais aussi à l’habitat de communautés vulnérables, notamment les Raizals,
dont les moyens d’existence dépendent de la mer.
8.2. La Colombie présente par conséquent deux demandes reconventionnelles relatives aux
actions (et inactions) du Nicaragua. La première est fondée sur le manquement de celui-ci à son
obligation d’exercer la diligence requise aux fins de protéger et de préserver l’environnement marin
du sud-ouest de la mer des Caraïbes. La seconde, qui découle logiquement de la première, porte sur
son manquement à son obligation d’exercer la diligence requise aux fins de protéger le droit des
habitants de l’archipel de San Andrés, en particulier les Raizals, de bénéficier d’un environnement
sain, viable et durable.
8.3. En présentant ces demandes reconventionnelles, la Colombie démontrera tout d’abord
qu’elles sont en connexité directe avec l’objet des demandes principales du Nicaragua (sect. B).
Elle exposera ensuite les faits qui les sous-tendent (sect. C), avant de préciser pourquoi elles sont
toutes deux pleinement justifiées en droit (sect. D et E).
B. LA CONNEXITÉ DIRECTE AVEC L’OBJET DES DEMANDES DU NICARAGUA
8.4. Il existe un certain nombre d’éléments montrant que ces deux demandes
reconventionnelles de la Colombie sont en connexité directe avec l’objet des demandes principales
du Nicaragua, qu’elles poursuivent les mêmes objectifs juridiques et qu’elles sont donc recevables
au regard des normes juridiques traitées au chapitre précédent.
8.5. S’agissant des faits, les demandes reconventionnelles de la Colombie s’inscrivent dans
le même «ensemble factuel» que les demandes principales du Nicaragua. Premièrement, elles
portent sur l’omission, de la part de celui-ci, de préserver et de protéger l’environnement marin,
ainsi que d’exercer la diligence requise auprès des navires et pêcheurs relevant de sa juridiction, et
ce, dans la même zone géographique que celle à propos de laquelle il invoque des violations de ses
droits souverains et de ses espaces maritimes. Cette zone couvre partiellement la réserve de
biosphère Seaflower et l’aire marine protégée du même nom, dont l’espace maritime entourant le
banc de Luna Verde, où se seraient produits la plupart des «incidents» mentionnés par le Nicaragua
et qui fait partie de la zone contiguë unique de la Colombie.
8.6. En substance, les demandes reconventionnelles colombiennes constituent le pendant des
demandes nicaraguayennes et, partant, sont de même nature que celles-ci. Le Nicaragua reproche à
la Colombie d’avoir violé ses droits souverains et ses espaces maritimes, mais ces accusations ne
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- 116 -
tiennent pas compte du fait que son propre comportement dans les mêmes zones est soumis à des
obligations juridiques — à savoir celle de préserver et de protéger l’environnement marin et celle
de faire preuve de la diligence requise pour ce faire — et que la Colombie a, elle aussi, un certain
nombre de devoirs à cet égard. Aussi le comportement des deux Parties dans la zone maritime
pertinente, et pas uniquement celui de la Colombie, est-il en cause en l’espèce, ce qui atteste la
connexité directe entre l’objet des demandes du Nicaragua et celui des demandes
reconventionnelles de la Colombie.
8.7. Deuxièmement, les demandes reconventionnelles de la Colombie ont trait à des
événements qui se sont produits au cours de la même période que les «faits» invoqués par le
Nicaragua. Ainsi qu’il a été relevé au chapitre 7, la période pertinente aux fins de l’évaluation des
demandes principales et des demandes reconventionnelles est comprise entre la date de l’arrêt sur
le fond rendu par la Cour en l’affaire du Différend territorial et maritime, à savoir le
19 novembre 2012, et celle à laquelle le pacte de Bogotá a cessé de produire ses effets à l’égard de
la Colombie, à savoir le 27 novembre 2013. Tous les faits présentés par la Colombie à l’appui de
ses demandes reconventionnelles ont eu lieu durant la même période que les «faits» relatifs aux
demandes principales du Nicaragua. Là encore, il existe une connexité directe entre les demandes
des deux Parties.
8.8. Pour ce qui est des considérations juridiques, les demandes reconventionnelles sont
fondées sur le même ensemble de règles — le droit international coutumier — que les demandes
principales, et leurs objectifs juridiques sont identiques. Dans ses demandes, le Nicaragua conteste
avant tout la présence de la Colombie dans sa zone économique exclusive et les actions de certains
de ses navires et aéronefs. La Colombie a toutefois démontré qu’elle était fondée à se trouver dans
ces eaux et qu’elle avait le droit ainsi que l’obligation de surveiller et de signaler les pratiques de
pêche destructrices ou autres (sans les interdire par la force). Les prétendus «incidents» dont le
Nicaragua tire grief n’en étaient pas réellement, loin s’en faut. Dans la mesure où la Colombie se
trouvait dans la zone en cause, sa présence était largement dictée par le manquement du Nicaragua
à son obligation juridique de faire preuve de la diligence requise pour s’assurer que ses bateaux de
pêche préservent et protègent l’environnement marin, dont l’habitat naturel des Raizals et des
autres habitants de l’archipel.
8.9. Autrement dit, les demandes reconventionnelles de la Colombie sont, quant à elles,
fondées sur des règles du droit international coutumier qui limitent et conditionnent l’exercice par
le Nicaragua de ses droits souverains et de sa juridiction dans ses zones maritimes. Alors que, selon
lui, les droits en question seraient quasiment illimités, chaque Partie conteste la licéité du
comportement de l’autre dans les mêmes zones maritimes. Les demandes principales et les
demandes reconventionnelles poursuivent donc le même objectif juridique, et le lien qui les unit est
clair. En déclarant recevables ces deux demandes reconventionnelles, la Cour «réaliser[a] une
économie de procès tout en [se donnant la possibilité] d’avoir une vue d’ensemble des prétentions
respectives des parties et de statuer de façon plus cohérente»387.
387 Application de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Bosnie-Herzégovine
c. Yougoslavie), demandes reconventionnelles, ordonnance du 17 décembre 1997, C.I.J. Recueil 1997, p. 257, par. 30.
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- 117 -
C. LES FAITS À L’APPUI DES DEMANDES RECONVENTIONNELLES DE LA COLOMBIE
CONCERNANT LA PROTECTION DE L’ENVIRONNEMENT DU SUD-OUEST
DE LA MER DES CARAÏBES AINSI QUE DE L’HABITAT DES RAIZALS ET
DES AUTRES HABITANTS DE L’ARCHIPEL
8.10. La présente sous-section est consacrée aux faits qui sous-tendent les deux demandes
reconventionnelles de la Colombie concernant l’environnement du sud-ouest de la mer des
Caraïbes ainsi que l’habitat des Raizals et des autres habitants de l’archipel.
8.11. Les événements qui seront examinés prouvent que le Nicaragua n’a pas fait preuve de
la diligence requise s’agissant de l’environnement marin et des écosystèmes du sud-ouest de la mer
des Caraïbes, ainsi que de l’habitat des Raizals et des autres habitants de l’archipel. Il convient de
noter que les événements en question se sont produits non seulement dans les eaux de la zone
économique exclusive du Nicaragua, mais aussi dans la mer territoriale de la Colombie. Ils se
rapportent à des activités de pêche déprédatrices menées par des navires nicaraguayens qui, en plus
de menacer l’environnement marin, mettent en péril l’habitat de la population de l’archipel,
notamment des Raizals.
8.12. Ainsi qu’il a été indiqué, certains des événements alarmants qui sous-tendent les
demandes reconventionnelles se sont produits dans la mer territoriale colombienne et la zone de
régime commun de la Colombie et de la Jamaïque (sect. 1). D’autres ont eu lieu dans le périmètre
de la réserve de biosphère Seaflower et de l’aire marine protégée du même nom (sect. 2).
1. Les activités de pêche déprédatrices menées dans la mer territoriale
de la Colombie et la zone de régime commun
8.13. Entre le 19 novembre 2012 et le 27 novembre 2013, trois incidents se sont produits
dans la mer territoriale colombienne et la zone de régime commun de la Colombie et de la
Jamaïque ; ils sont représentés à la figure 8.1 et exposés ci-après.
8.14. Le 13 janvier 2013, l’avion de patrouille colombien ARC 802, a constaté la présence de
deux navires battant pavillon nicaraguayen qui pêchaient de manière illicite dans les eaux
colombiennes de la mer territoriale de Serranilla ; il s’agissait du Charlie Junior IV388 et du
Capt. Alex II389. L’aéronef colombien a tenté d’établir une communication VHF avec ces bateaux
mais n’a obtenu aucune réponse.
8.15. Le 28 avril 2013, l’hélicoptère colombien ARC 202, qui effectuait des patrouilles dans
la région de Bajo Nuevo et de Bajo Alicia, a signalé la présence du navire de pêche nicaraguayen
Al John390, ainsi que de trois vedettes et d’une vingtaine de bateaux de type pirogue (cayucos), qui
se livraient à la pêche avec des plongeurs. Des appels radio ont été lancés sur le canal VHF 16 mais
sont restés sans réponse. Après avoir aperçu l’hélicoptère, le navire nicaraguayen a récupéré les
388 Latitude : 15º 49,0' N ; longitude : 80º 00,3' O (mer territoriale de l’île colombienne de Serranilla). Voir
annexe 30 : marine colombienne, communication n° 0080, 16 janvier 2013.
389 Latitude : 15º 50,0' N ; longitude : 80º 01,0' O (mer territoriale de l’île colombienne de Serranilla). Voir ibid..
390 Latitude : 15º 59,3' N ; longitude : 79º 51,8' O (Bajo Alicia dans la zone de régime commun de la Colombie et
de la Jamaïque). Voir annexe 59 : marine colombienne, communication n° 070824, 7 juin 2014 ; annexe 95 :
photographies, incident de l’Al John, 28 avril 2013.
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- 118 -
bateaux et autres équipements, puis a quitté la zone. Il y a lieu de noter que les activités de
l’Al John sont bien connues du Nicaragua, qui le mentionne dans son mémoire391.
8.16. Toujours le 28 avril 2013, l’unité aérienne colombienne ARC 202 a indiqué à
l’ARC Caldas qu’elle avait constaté, dans la région de Bajo Alicia (située dans la zone de régime
commun de la Colombie et de la Jamaïque), la présence du navire de pêche nicaraguayen Papa D.
Mouillé et entouré d’environ 25 cayucos, celui-ci se livrait à des activités non autorisées de pêche
avec des plongeurs. Après avoir été contacté à plusieurs reprises par l’unité des forces navales
colombiennes, le capitaine du Papa D a précisé qu’il se trouvait involontairement dans les eaux de
la Colombie, en raison d’une avarie de moteur. Les autorités colombiennes ont ensuite procédé à
l’arraisonnement du navire, situé par 16º 04,5' de latitude nord et 79º 21,4' de longitude ouest, et
trouvé quelque 200 livres de lambi provenant d’une pêche illicite. Après vérification, il est en outre
apparu que l’équipage ne se composait pas de huit personnes, comme l’avait déclaré le capitaine,
mais de onze, et que les pêcheurs étaient au nombre de soixante-douze, et non de cinquante. Le
navire a par conséquent été immobilisé à raison de l’exploitation illicite de ressources
colombiennes et de violations des normes de la marine marchande. Le bateau à moteur et son
équipage ont été transférés à San Andrés pour la suite de la procédure392.
391 MN, par. 2.36.
392 Annexe 34 : marine colombienne, communication no 0877, 30 avril 2013 ; annexe 96 : photographies, incident
du Papa D, 28 avril 2014.
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- 119 -
Figure 8.1. Les activités de pêche déprédatrices menées par le Nicaragua dans
la mer territoriale colombienne et la zone de régime commun
Légende :
Serranilla’s 12 M limit provided for in the 1993 Colombia/Jamaica agreement = Limite des 12 milles marins
de Serranilla prévue par l’accord conclu entre la Colombie et la Jamaïque en 1993
Predatory Fishing Activities of Nicaragua within the Territorial Sea of Colombia and the Joint Regime
Area = Activités de pêche déprédatrices menées par le Nicaragua dans la mer territoriale colombienne
et la zone de régime commun
1. Bateau de pêche nicaraguayen Charlie Junior IV 13 janvier 2013
Bateau de pêche nicaraguayen Captain Alex II
2. Bateau de pêche nicaraguayen Al John 28 avril 2013
3. Bateau de pêche nicaraguayen Papa D 28 avril 2013
Seaflower Biosphere Reserve = Réserve de biosphère Seaflower
Boundary from the 2012 ICJ Judgment = Frontière fixée dans l’arrêt de 2012 de la CIJ
Seaflower MPA = AMP Seaflower
- 120 -
2. Les activités de pêche déprédatrices menées dans la réserve de
biosphère Seaflower et l’aire marine protégée du même nom
8.17. Entre la date du prononcé de l’arrêt de 2012 et le 27 novembre 2013, d’autres incidents
se sont produits. Quatorze exemples d’activités mettant en jeu des bateaux de pêche nicaraguayens
seront exposés ci-après. La plupart de ces événements ont eu lieu dans la région de Luna Verde,
située dans une partie de la zone Seaflower déclarée réserve de biosphère par l’UNESCO et de
l’aire marine protégée du même nom, qui sont représentées aux figures 2.2 et 2.3. Au cours de
nombre de ces incidents, le Nicaragua a violé le droit international de plusieurs manières,
notamment par la mise en oeuvre de pratiques de pêche déprédatrices telles que la pêche en
plongée, la pêche excessive et le recours à des navires surchargés, qui mettent en péril la santé et la
vie des personnes à leur bord. Lesdits incidents sont décrits ci-après et représentés à la figure 8.2.
8.18. La première série d’incidents a impliqué le bateau nicaraguayen Pescasa 35 qui, en
l’espace de sept mois, a été surpris à deux reprises en train de se livrer à des pratiques de pêche
déprédatrices. Il convient de relever que le capitaine a maintes fois tenté de se justifier en affirmant
avoir été dûment autorisé par le Gouvernement nicaraguayen à se comporter de la sorte. Les faits
tels que consignés dans les rapports des forces navales colombiennes sont les suivants :
1) le 9 mai 2013, le navire colombien ARC Caldas a repéré le bateau de pêche nicaraguayen
Pescasa 35, ainsi que deux navires à moteur avec quatre membres d’équipage chacun et
18 cayucos ayant à leur bord deux personnes chacun, qui pêchaient le lambi avec des plongeurs
dans la réserve de biosphère Seaflower et l’aire marine protégée du même nom393. Après avoir
demandé aux intéressés de suspendre leurs activités, l’ARC Caldas a adressé une protestation
au port de San Andrés ;
2) le 5 octobre 2013, au cours d’une patrouille navale de routine, l’ARC Caldas a revu le bateau
de pêche nicaraguayen Pescasa 35394, qui transportait 78 personnes (soit bien plus que le
nombre maximum autorisé, d’où des conditions inhumaines à bord), et cinq cayucos en train de
se livrer à des activités de pêche avec des plongeurs. L’ARC Caldas a une nouvelle fois
informé par VHF le navire nicaraguayen qu’il pêchait illicitement dans la réserve naturelle
Seaflower, protégée par l’UNESCO. Cette fois-ci, le capitaine du Pescasa 35 a répondu qu’il
avait été autorisé par le Gouvernement nicaraguayen à se livrer précisément à cette activité,
ajoutant qu’il continuerait de ce faire.
8.19. Une deuxième série d’incidents rapportés au cours de la période en question concerne
le navire nicaraguayen Miss Sofía. Il ressort des dossiers des forces navales colombiennes que :
1) le 4 juillet 2013, l’aéronef de patrouille maritime colombien ARC 801 a repéré le Miss Sofía
lors d’un vol de routine. Ce bateau se trouvait par 14° 50' 3'' de latitude nord et 81º 45' 0'' de
longitude ouest, dans la réserve de biosphère Seaflower et l’aire marine protégée du même nom,
accompagné de navires auxiliaires se livrant à des activités de pêche déprédatrices à l’aide de
plongeurs395 ;
393 Latitude : 14º 47,6' N ; longitude : 81º 57,6' O (réserve de biosphère Seaflower et aire marine protégée du
même nom). Voir annexe 58 : commandant de l’ARC Caldas, attestation de protestation n° 027, 9 mai 2014 ; annexe 97 :
photographies, incident du Pescasa 35, 9 mai 2013 ; annexe 98 : enregistrement vidéo, incident du Pescasa 35,
9 mai 2013.
394 Latitude : 14º 46,2' N ; longitude : 81º 45,6' O (réserve de biosphère Seaflower et aire marine protégée du
même nom). Voir annexe 43 : marine colombienne, communication n° 678, 5 octobre 2013 ; annexe 107 : photographies,
incident du Pescasa 35, 5 octobre 2013.
395 Annexe 39 : marine colombienne, communication n° 1693, 21 août 2013 ; annexe 99 : enregistrement vidéo,
incident du Miss Sofía, 4 juillet 2013.
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2) le 4 septembre 2013, le même patrouilleur aérien et l’ARC San Andrés ont signalé que le Miss
Sofía pêchait de nouveau illicitement la langouste à l’aide de plongeurs sur le banc de
Luna Verde396 ;
3) le 17 novembre 2013, la frégate colombienne ARC Almirante Padilla a découvert
deux pêcheurs nicaraguayens qui dérivaient dans un cayuco, équipés de quatre bouteilles et
d’un détendeur manifestement destinés à la plongée illicite, mais dépourvus de tout équipement
de sécurité maritime397. Il était du devoir de la frégate de les secourir. Les deux hommes ayant
indiqué qu’ils pêchaient avec le Miss Sofía, navire battant pavillon nicaraguayen, les forces
navales colombiennes ont ensuite tenté à plusieurs reprises d’entrer en contact avec ce bateau,
mais en vain. Elles n’ont donc eu d’autre choix que de chercher, avec le concours des forces
navales nicaraguayennes, un autre navire auquel elles pourraient remettre les deux pêcheurs.
C’est ainsi que, le 18 novembre 2013, ces derniers ont finalement été transférés sur un autre
bateau de pêche nicaraguayen, le Caribbean Star. Il y a lieu de noter que le Nicaragua
approuvait pleinement les activités du Miss Sofía, puisqu’il a présenté dans son mémoire
l’événement de novembre 2013 sous un faux jour, affirmant que c’était la Colombie, et non son
bateau, qui avait agi de manière illicite398.
8.20. Une troisième série d’incidents, survenus entre le 19 novembre 2012 et le
27 novembre 2013, se rapportent aux actes réitérés du bateau de pêche nicaraguayen Capt. Charly.
Voici les faits tels qu’ils ressortent des informations émanant de la marine :
1) le 23 juillet 2013, le navire colombien ARC Caldas et l’hélicoptère ARC 203 ont repéré un
bateau nicaraguayen, le Capt. Charly, se livrant à des activités de pêche déprédatrices à l’aide
de plongeurs, avec quatre cayucos, sur le banc de Luna Verde399. Lors de survols réalisés par
l’ARC 203, la communication a été établie sur le canal VHF 16. Le capitaine du bateau
nicaraguayen a averti qu’«en cas de nouveau survol, l’équipage tirera[it] en direction de
l’hélicoptère». L’ARC Caldas l’a invité à cesser ses activités de pêche illicites. Mais son
équipage a ensuite revu les plongeurs du Capt. Charly en train de s’y livrer. Il a réitéré son
appel, mais sans recevoir de réponse. Le capitaine colombien a, par la suite, adressé une
protestation au port de San Andrés, en soulignant qu’une telle pratique était inadmissible,
compte tenu de l’interdiction permanente de pêcher l’espèce en question dans l’aire marine
protégée Seaflower ;
2) un mois plus tard, le 24 août 2013, l’avion de patrouille ARC 801 a repéré le même bateau de
pêche par 014° 51' 2" de latitude nord et 081° 43' 1" de longitude ouest, dans la réserve de
396 Latitude : 14º 56,1' N ; longitude : 81º 50,0' O (réserve de biosphère Seaflower et aire marine protégée du
même nom). Voir annexe 40 : marine colombienne, rapport sommaire du chef des opérations navales, 24 août 2013 et
4 septembre 2013 ; annexe 41 : marine colombienne, communication no 427, 13 septembre 2013 ; annexe 105 :
photographie, incident du Miss Sofía, 4 septembre 2013.
397 Latitude : 14º 45,6' N ; longitude : 81º 46,6' O (réserve de biosphère Seaflower et aire marine protégée du
même nom). Voir annexe 53 : marine colombienne, communication n° 304, 20 novembre 2013 ; annexe 52 : attestation
de bons traitements de l’équipage, 17 novembre 2013 ; annexe 112 : enregistrement vidéo, incident du Miss Sofía,
17 novembre 2013 ; annexe 111 : photographies, incident du Miss Sofía, 17 novembre 2013.
398 MN, par. 2.30.
399 Latitude : 14° 30' 1" N ; longitude : 81° 58' 1" O (réserve de biosphère Seaflower et aire marine protégée du
même nom). Voir annexe 36 : marine colombienne, rapport sommaire du chef des opérations navales, 23 juillet 2013.
[NB : en raison d’une erreur typographique, le bateau est désigné dans le rapport sous le nom de «Capt. Charlie» au lieu
d’être orthographié «Capt. Charly»].
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biosphère Seaflower et l’aire marine protégée du même nom, en train de pêcher la langouste,
une fois de plus, à l’aide de plongeurs400.
8.21. Sept autres incidents ont été rapportés au cours de la période considérée, impliquant les
bateaux nicaraguayens Doña Emilia, Lady Dee III, Diego Armando, Marco Polo, Capt. Maddox,
Miss Joela, Al John. Ainsi, selon les informations de la marine colombienne,
1) le 3 août 2013, le bateau de pêche nicaraguayen Doña Emilia a été observé par l’avion de
patrouille colombien ARC 801 dans la zone de Luna Verde401, accompagné de cayucos, alors
qu’il s’adonnait illégalement à la pêche à l’aide de plongeurs dotés de scaphandres ;
2) le 24 août 2013, le bateau de pêche nicaraguayen Lady Dee III a été vu par ce même avion de
patrouille colombien en train de pêcher la langouste en plongée dans la zone de Luna Verde402 ;
3) le 5 octobre 2013, le navire colombien ARC Caldas a vu, dans la zone de Luna Verde403, le
bateau de pêche nicaraguayen Diego Armando G, avec 72 personnes à son bord, se livrer à des
activités de pêche déprédatrices, aidé de plongeurs, de six cayucos transportant quatre membres
d’équipage et un compresseur, et d’un bateau à moteur. Il a établi la communication par VHF,
pour informer le bateau nicaraguayen du caractère illicite de ses activités dans la zone naturelle
protégée de la réserve de biosphère Seaflower. Le capitaine du Diego Armando G a répondu
qu’il avait été autorisé à y pêcher par le Gouvernement nicaraguayen, et continuerait à ce titre ;
4) Le 9 octobre 2013, le navire colombien ARC 20 de Julio a rapporté que le bateau de pêche
nicaraguayen Marco Polo, comptant quelque 45 personnes à son bord, et accompagné d’un
bateau en fibres de verre long de plus de huit mètres doté d’un moteur de 75 CV, ainsi que de
12 cayucos ayant chacun trois membres d’équipage, se livrait sur le banc de Luna Verde404 à
des activités de pêche déprédatrices à l’aide de plongeurs. Le bateau nicaraguayen a établi la
communication avec l’ARC 20 de Julio sur le canal 16, l’invitant à garder ses distances, parce
que ses pêcheurs étaient en train de plonger ;
5) le 23 octobre 2013, le navire colombien ARC Independiente a vu, sur le banc de Luna Verde405,
le bateau de pêche nicaraguayen Capt. Maddox en train de se livrer à des activités de pêche
déprédatrices à l’aide de plongeurs ;
400 Voir annexe 40 : marine colombienne, rapport sommaire du chef des opérations navales, 24 août 2013 et
4 septembre 2013 ; annexe 41 : marine colombienne, communication no 427, 13 septembre 2013 ; annexe 104 :
enregistrement vidéo, incident du Capt. Charly, 24 août 2013.
401 Latitude : 14° 48' 4'' N ; longitude : 81° 53' 5'' O (réserve de biosphère Seaflower et aire marine protégée du
même nom). Voir annexe 37 : marine colombienne, communication no 375, 6 août 2013 ; annexe 101 : enregistrement
vidéo, incident du Doña Emilia, 3 août 2013 ; annexe 100 : photographies, incident du Doña Emilia, 3 août 2013.
402 Latitude : 14° 53' 2" N ; longitude : 81° 39' 5" O (réserve de biosphère Seaflower et aire marine protégée du
même nom). Voir annexe 40 : marine colombienne, compte rendu du chef des opérations navales, 24 août 2013 et
4 septembre 2013 ; annexe 41 : marine colombienne, communication no 427, 13 septembre 2013 ; annexe 103 :
enregistrement vidéo, incident du Lady Dee III, 24 août 2013.
403 Latitude : 14° 50' 6" N ; longitude : 81° 42' 6" O (réserve de biosphère Seaflower et aire marine protégée du
même nom). Voir annexe 42 : marine colombienne, communication no 677, 5 octobre 2013 ; annexe 106 : photographie,
incident du Diego Armando G, 5 octobre 2013.
404 Latitude 14° 47' 0" N ; longitude 81° 46' 0" O (réserve de biosphère Seaflower et aire marine protégée du
même nom). Voir annexe 45 : marine colombienne, communication no 059, 16 octobre 2013 ; annexe 108 : photographie,
incident du Marco Polo, 9 octobre 2013.
405 Latitude 14° 54' 0" N ; longitude 81° 41' 3" O (réserve de biosphère Seaflower et aire marine protégée du
même nom). Voir annexe 48 : marine colombienne, communication no 202, 29 octobre 2013 ; annexe 109 :
photographies, incident du Capt. Maddox, 23 octobre 2013.
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257
258
- 123 -
6) le même jour, ce même navire colombien a fait état d’activités analogues menées dans la même
zone par le bateau de pêche nicaraguayen Miss Joela406 ;
7) le 26 novembre 2013, le navire colombien ARC Almirante Padilla a constaté, dans la zone de
Luna Verde407, que le bateau de pêche nicaraguayen Al John, excessivement chargé et avec, à
son bord, des bouteilles et autre matériel de plongée, était en train de se livrer à des activités de
pêche illicites. Il a établi le contact sur le canal 16 pour informer le bateau nicaraguayen qu’il
s’adonnait à des pratiques de pêche déprédatrices dans une zone protégée, mais sans recevoir de
réponse.
8.22. Les incidents présentés ci-dessus ne sont que quelques exemples des actes destructeurs
et illicites commis par un certain nombre de bateaux nicaraguayens à la suite de l’arrêt de 2012.
Ces incidents se poursuivent à ce jour selon le même scénario. Loin de diminuer, leur intensité est
demeurée inchangée, voire a augmenté depuis la date critique. La responsabilité internationale du
Nicaragua est donc engagée à raison de son manquement à l’obligation d’exercer la diligence
requise pour contrôler et prévenir les activités de pêche déprédatrices de ses bateaux, activités qui
font peser un risque sur l’environnement marin du sud-ouest des Caraïbes, ainsi que sur l’habitat
des Raizals et des autres habitants de l’archipel.
8.23. Ce qui caractérise les incidents évoqués ci-dessus est le fait qu’ils impliquent un certain
nombre de bateaux nicaraguayens, plus ou moins les mêmes à chaque fois, s’autorisant de la
protection du pavillon nicaraguayen. Non seulement le Nicaragua était pleinement conscient de
leurs activités, mais il a aussi systématiquement refusé, comme il le fait encore aujourd’hui,
d’intervenir pour mettre fin aux pratiques destructrices de ses bateaux de pêche. Les pêcheurs
nicaraguayens y ont vu une autorisation de poursuivre leurs pratiques, non seulement au cours de la
période considérée, mais également après le 27 novembre 2013, ainsi qu’il ressort des réponses
reçues des bateaux nicaraguayens mentionnés ci-dessus.
406 Latitude 14° 52' 0" N ; longitude 81° 41' 0" O (réserve de biosphère Seaflower et aire marine protégée du
même nom). Voir annexe 47 : marine colombienne, communication no 201, 29 octobre 2013 ; annexe 110 :
photographies, incident du Miss Joela, 23 octobre 2013.
407 Latitude 14° 33' 0" N ; longitude 81° 54' 6" O (réserve de biosphère Seaflower et aire marine protégée du
même nom). Voir annexe 55 : marine colombienne, communication no 2572, 12 décembre 2013 ; annexe 54 : marine
colombienne, rapport sommaire du chef des opérations navales, 26 novembre 2013.
259
- 124 -
Figure 8.2. Exemples d’activités de pêche déprédatrices menées par des bateaux battant pavillon
nicaraguayen
Légende :
Activités de pêche déprédatrices du Nicaragua dans la réserve Seaflower
1. Bateau de pêche nicaraguayen Pescasa 35, 9 mai 2013
2. Bateau de pêche nicaraguayen Miss Sofía, 4 juillet 2013
3. Bateau de pêche nicaraguayen Capitán Charlie, 23 juillet 2013
4. Bateau de pêche nicaraguayen Doña Emilia, 3 août 2013
5a. Bateau de pêche nicaraguayen Capitán Charlie, 24 août 2013
5b. Bateau de pêche nicaraguayen Lady Dee III, 24 août 2013
5c. Bateau de pêche nicaraguayen Miss Sofía, 4 septembre 2013
6. Bateau de pêche nicaraguayen Pescasa 35, 5 octobre 2013
7. Bateau de pêche nicaraguayen Diego Armando G, 5 octobre 2013
8. Bateau de pêche nicaraguayen Marco Polo, 9 octobre 2013
9. Bateau de pêche nicaraguayen Capt. Maddox, 23 octobre 2013
10. Bateau de pêche nicaraguayen Miss Joela, 23 octobre 2013
11. Bateau de pêche nicaraguayen Miss Sofía, 17 novembre 2013
12. Bateau de pêche nicaraguayen Al John, 26 novembre 2013.
Légendes de la carte :
Réserve de biosphère Seaflower (en vert)
Frontière fixée dans l’arrêt de 2012 de la CIJ (en rouge)
Aire marine protégée Seaflower (en jaune)
260
- 125 -
8.24. La meilleure illustration à cet égard est fournie par le grave incident du mois de
février 2016, représenté à la figure 8.3, à l’occasion duquel pas moins de quatre bateaux battant
pavillon nicaraguayen, dont les fameux Miss Sofía, Doña Emilia, Capitán Charlie, ainsi que le
Lady Prem, ont été repérés dans la mer territoriale de la Colombie, près de Serrana, en train de se
livrer à des activités de pêche INN. Ayant constaté la présence des forces navales colombiennes,
les bateaux ont immédiatement quitté les lieux, laissant derrière eux 73 pêcheurs, et abandonnant
34 bateaux, 152 bouteilles de plongée, 24 masques, 34 harnais de plongée, 26 paires de palmes,
30 détendeurs de plongée, 69 couteaux, 31 marteaux, 35 hameçons et 100 kilos de lambi408. Si la
Cour n’a pas compétence pour se prononcer sur des faits postérieurs à la date critique, tels que
celui-ci, le manquement persistant du Nicaragua à s’acquitter de ses obligations n’en est pas moins
frappant.
408 Voir annexe 60 : marine colombienne, communication no 20160042230059101, 9 février 2016 ; annexe 26 :
note verbale no S-DISTD-16-013262 en date du 10 février 2016 adressée à l’ambassade du Nicaragua à Bogotá par le
ministère des affaires étrangères de la Colombie ; annexe 27 : note verbale no MRE/VM-AJ/0079/02/16 en date du
11 février 2016 adressée au ministère des affaires étrangères de la Colombie par le ministère des affaires étrangères du
Nicaragua ; annexe 112 : photographies, incidents des Doña Emilia, Lady Prem, Miss Sofía et Capitán Charlie,
8 février 2013. [NB : en raison d’une erreur typographique, le bateau est désigné dans le rapport sous le nom de
«Capt. Charlie» au lieu d’être orthographié «Capt. Charly»].
261
- 126 -
Figure 8.3. Exemple d’activités de pêche déprédatrices menées par le Nicaragua
dans la mer territoriale de la Colombie après la date critique
Légende :
Predatory Fishing Activities of Nicaragua within the Territorial Sea of Colombia = Activités de pêche
déprédatrices menées par le Nicaragua dans la mer territoriale de la Colombie
Nicaraguan fishing vessels = Bateaux de pêche nicaraguayens
Seaflower MPA = AMP Seaflower
Boundary from the 2012 ICJ Judgment = Frontière fixée dans l’arrêt de 2012 de la CIJ
Seaflower Biosphere Reserve = Réserve de biosphère Seaflower
See inset for detail : voir encadré
Serrana’s 12 M TS = Mer territoriale de 12 milles marins entourant Serrana
262
- 127 -
8.25. Tous ces incidents confirment le bien-fondé des deux premières demandes
reconventionnelles de la Colombie. Ils sont la preuve concrète du manquement du Nicaragua aux
obligations que lui impose le droit international coutumier de préserver et de protéger
l’environnement, et d’exercer la diligence requise pour ce faire.
8.26. Dans les sections suivantes, la Colombie commencera par examiner les manquements
qui sont à l’origine de sa première demande reconventionnelle  à savoir, la violation, par le
Nicaragua, de son devoir de faire preuve de la diligence requise pour protéger et préserver
l’environnement marin du sud-ouest de la mer des Caraïbes , puis elle se penchera sur ceux qui
fondent sa deuxième demande reconventionnelle  à savoir la violation, par le Nicaragua, de son
devoir de faire preuve de la diligence requise en vue d’empêcher qu’il ne soit porté atteinte au droit
qu’ont les habitants de l’archipel de San Andrés, en particulier les Raizals, de bénéficier d’un
habitat sain, viable et durable dans le sud-ouest de la mer des Caraïbes.
D. LA VIOLATION, PAR LE NICARAGUA, DE SON DEVOIR D’AGIR AVEC LA DILIGENCE
REQUISE POUR PROTÉGER ET PRÉSERVER L’ENVIRONNEMENT
MARIN DU SUD-OUEST DE LA MER DES CARAÏBES
8.27. On peut constater à cet égard deux violations particulières du droit international
coutumier par le Nicaragua. La première est son manquement à l’obligation de prévenir la pêche
illicite, non déclarée et non autorisée dans les zones maritimes pertinentes du sud-ouest de la mer
des Caraïbes (sect. 1). La seconde est son manquement au devoir d’agir avec la diligence requise
pour prévenir la pollution du sud-ouest de la mer des Caraïbes (sect. 2).
1. Le manquement du Nicaragua à l’obligation de prévenir la pêche illicite,
non déclarée et non autorisée
8.28. La pêche a toujours joué un rôle majeur dans la partie sud-ouest de la mer des
Caraïbes. Bien conscients de cette situation, les Etats caribéens ont adopté de nombreuses mesures
pour assurer la gestion durable des ressources halieutiques, et notamment des espèces en voie
d’extinction. Les espèces les plus exploitées dans les espaces maritimes relevant de la Colombie et
du Nicaragua, et plus précisément au niveau du banc de Luna Verde/Cape et aux alentours de
Quitasueño et Serrana, sont le lambi et la langouste des Caraïbes.
8.29. Le lambi est inscrit à l’annexe II de la convention sur le commerce international des
espèces de faune et de flore sauvages menacées d’extinction (ci-après la «CITES»), à laquelle la
Colombie et le Nicaragua sont tous deux partie. L’annexe II dresse la liste des espèces qui, bien
que n’étant pas nécessairement menacées actuellement d’extinction, pourraient le devenir si leur
exploitation n’était pas étroitement contrôlée. C’est pourquoi seule la conférence des parties à la
convention peut décider de supprimer de l’annexe II une espèce qui s’y trouve inscrite. La pêche du
263
264
- 128 -
lambi (également appelé «strombe rosé») a également fait l’objet d’une attention croissante au
niveau régional409.
8.30. La langouste des Caraïbes, pour sa part, est reconnue comme une espèce
qui pourrait rapidement devenir menacée410. Même si le Nicaragua n’est pas partie
409 Une étape importante a été franchie avec la déclaration de Panama, qui a été adoptée par le groupe de travail
sur le strombe rosé établi par le conseil de gestion des pêches des Caraïbes (CFMC), l’Organisation du secteur des pêches
et de l’aquaculture de l’isthme centraméricain (OSPESCA), la Commission des pêches pour l’Atlantique Centre-Ouest
(COPACO) et le mécanisme régional des pêches des Caraïbes (CRFM). Voir Déclaration de Panama, groupe de travail
CFMC/OSPESCA/COPACO/CRFM sur le strombe rosé, Panama, 23-25 octobre 2012. Le document peut être consulté à
l’adresse suivante : http ://www.fao.org/docrep/017/i3193t/i3193t.pdf, p. 42 et suiv. ; les membres de la COPACO, y
compris la Colombie et le Nicaragua, ont en outre établi un plan régional de gestion et de conservation des pêcheries de
lambi comprenant des recommandations relatives à l’adoption d’une réglementation plus stricte en matière de techniques
de plongée sous-marine autonome, ainsi qu’à la coopération régionale pour assurer des patrouilles coordonnées, «de
nombreux pays de la région ne disposant pas des ressources leur permettant de faire respecter leur espace maritime».
Voir : M. C. Prada, R. S. Appeldoorn, Draft Regional Queen Conch Fisheries Management and Conservation Plan [projet
de plan régional de gestion et de conservation des pêcheries de lambi], CFMC/COPACO/OSPESCA/CRFM/CITES, juin
2015, p. 8. Accessible en anglais à l’adresse suivante : http ://www.fao.org/fi/staticmedia/MeetingDocuments/
WECAFC16/Ref20e.pdf (dernière consultation le 10 novembre 2016) ; le soutien au plan régional a récemment été
réaffirmé à l’occasion de la seizième réunion de la COPACO, qui s’est tenue en Guadeloupe du 20 au 24 juin 2016.
Voir : Commission des pêches pour l’Atlantique Centre-Ouest (2016), Recommendation WECAFC/15/2014/3 On the
Regional Plan for the Management and Conservation of lambi in the WECAFC Area [recommandation
WECAFC/15/2014/3 relative au plan régional de gestion et de conservation du lambi dans la zone relevant de la
COPACO], 2016, accessible en anglais à l’adresse suivante : http ://www.wecafc.org/en/documents/category/17-
recommendations.html?download=76 :wecafc-15-2014-3 (dernière consultation le 10 novembre 2016) ; et commission
des pêches pour l’Atlantique Centre-Ouest, Recommendation WECAFC/16/2016/1 On the Regional Plan for the
Management and Conservation of Queen Conch in the WECAFC Area — addendum to Recommendation
WECAFC/15/2014/3 [recommandation WECAFC/16/2016/1 relative au plan régional de gestion et de conservation du
strombe rosé dans la zone relevant de la COPACO  addendum à la recommandation WECAFC/15/2014/3], p. 1-2,
accessible en anglais à l’adresse suivante : http ://www.fao.org/3/a-bo087e.pdf (dernière consultation le 10 novembre
2016). Ces efforts ont été avalisés au niveau mondial par les décisions 16.141 à 16.146 adoptées par la conférence des
parties à la CITES à l’occasion de sa seizième session. Voir : seizième session de la conférence des parties, décisions
16.141-16.146, coopération régionale sur la gestion et le commerce du lambi (Strombus gigas), p. 36-37. Accessible à
l’adresse suivante : https ://cites.org/sites/default/files/fra/dec/valid16/F16-Dec.pdf (dernière consultation le 10 novembre
2016).
410 Plusieurs rapports de la FAO font depuis longtemps état de préoccupations quant au fait que le niveau
d’exploitation maximal des stocks de langouste a été atteint, voire dépassé, dans une grande partie de l’aire de répartition
de la ressource. Il convient de noter que, en 2006 déjà, à l’occasion du cinquième atelier régional sur l’évaluation et la
gestion de la langouste des Caraïbes (Mérida, Yucatán, Mexique, 19-29 septembre 2006), le Nicaragua a été désigné
parmi les Etats dont les populations nationales de langouste étaient surexploitées. Voir : FAO Fisheries Report No. 826
FIE/R826 (Bi), Fifth Regional Workshop on the Assessment and Management of the Caribbean Spiny Lobster [FAO,
Rapport sur les pêches n° 826, FIE/R826 (Bi), cinquième atelier régional sur l’évaluation et la gestion de la langouste des
Caraïbes], Mérida, Yucatán, Mexique, 19-29 septembre 2006. Accessible en anglais à l’adresse suivante :
ftp ://ftp.fao.org/docrep/fao/010/a1518b/a1518b00.pdf (dernière consultation le 10 novembre 2016). Voir également :
FAO, rapport sur les pêches n° 788, SLAC/R788 (Tri), rapport de la douzième session de la commission et de la
neuvième session du comité du développement et de l’aménagement des pêches dans les petites Antilles, Port of Spain,
Trinité-et-Tobago, 25-28 octobre 2005, accessible à l’adresse suivante : http ://www.fao.org/3/a-a0285t.pdf (dernière
consultation le 10 novembre 2016) ; et FAO Fisheries and Aquaculture Report SLC/FIPS/SLM/R1095 (Bi), Report of the
First Meeting of the OSPESCA/WECAFC/CRFM/CFMC Working Group on Caribbean Spiny Lobster [FAO, rapport sur
les pêches et l’aquaculture, SLC/FIPS/SLM/R1095 (Bi), rapport de la première réunion du groupe de travail
OSPESCA/COPACO/CRFM/CFMC sur la langouste des Caraïbes], Panama, Panama, 21-23 octobre 2014, accessible (en
anglais) à l’adresse suivante : http ://www.fao.org/3/a-i4860b.pdf (dernière consultation le 10 novembre 2016).
265
- 129 -
au protocole concernant les zones spécialement protégées et la faune et la flore sauvages de la
convention de Cartagena, la langouste est inscrite à l’annexe III de cet instrument. Plusieurs autres
mesures ont été adoptées pour assurer la gestion durable de la pêche à la langouste dans la région
des Caraïbes. Ainsi, l’Organisation du secteur des pêches et de l’aquaculture de l’isthme
centraméricain (ci-après l’«OSPESCA»), dont le Nicaragua est membre, a adopté le règlement
OSP-02-09 en 2009411, qui prévoit une interdiction totale des prises en plongée. La date d’entrée en
vigueur de cette interdiction n’a pas été arrêtée.
8.31. Malgré les efforts menés au niveau régional pour protéger le lambi et la langouste des
Caraïbes, le Nicaragua n’a manifesté aucune volonté de préserver ces ressources halieutiques
vulnérables. Ainsi, d’après le plan régional de gestion et de conservation des pêcheries de lambi
établi en 2014, 1650 pêcheurs nicaraguayens, jusqu’à 70 cayucos et 22 navires industriels prennent
part à la pêche au lambi. Fort de cette «armée» de navires de pêche surpeuplés, le Nicaragua figure
au deuxième rang des exploiteurs de cette espèce, avec 640 tonnes métriques de lambi pêchées
en 2013. Jusqu’à 90 % de sa production sont exportés, générant un revenu annuel de quelque
9 millions de dollars des Etats-Unis en 2013412.
8.32. Le Nicaragua a également versé dans la surexploitation après la date critique en la
présente affaire. Pour les années 2015 et 2016, l’institut nicaraguayen de la pêche et de
l’aquaculture (ci-après l’«INPESCA») a adopté les décisions PA-No 001-2015 du 6 janvier 2015 et
PA-No 001-2016 du 4 janvier 2016, par lesquelles le quota d’exportation de lambi a été fixé à
589 670 kg, soit trois millions neuf cent mille (3 900 000) individus. Cette législation prévoit en
outre un quota supplémentaire de 45 359 kg, soit 45,36 tonnes métriques, pour prélever des lambis
à des fins de recherche scientifique413. Cela montre que les événements antérieurs à la date critique
sur lesquels les demandes reconventionnelles présentées par la Colombie sont fondées n’étaient pas
des cas isolés.
8.33. Le Nicaragua s’est également livré à la pêche intensive et déprédatrice de la langouste
en ayant recours à des plongeurs. En 2007, avec la promulgation de la loi no 613, il a formellement
interdit la pêche commerciale en plongée de toutes les espèces, tant dans la mer des Caraïbes que
dans l’océan Pacifique. Cette interdiction, telle qu’établie par l’article 16, devait trouver à
s’appliquer trois ans après la promulgation de la loi, soit en 2010. Cette date butoir a cependant été
repoussée à deux reprises, tout d’abord par la loi no 753 de 2011, puis par la loi no 836 de 2013, qui
a fixé au 26 mars 2016 la date d’entrée en vigueur de l’interdiction. Or étonnamment, une autre
mesure législative promulguée par l’Assemblée nationale du Nicaragua en 2016 (la loi no 923
adoptée cette même année) a finalement supprimé toute référence à une date précise pour l’entrée
411 Annexe 84 : système d’intégration de l’Amérique centrale, département régional des pêches et de
l’aquaculture, règlement OSP-02-09 relatif à la gestion régionale de la pêche à la langouste des Caraïbes (Panulirus
argus), 21 mai 2009, art. 13. Un soutien à ce règlement a également été exprimé par la COPACO à l’occasion de sa
seizième réunion (Guadeloupe, 20-24 juin 2016). Voir : Commission des pêches pour l’Atlantique Centre-Ouest (2016),
Recommendation WECAFC/16/2016/2 On Spiny Lobster Management and Conservation in the WECAFC Area
[recommandation WECAFC/16/2016/2 relative à la gestion et à la conservation de la langouste dans la zone relevant de
la COPACO], p. 3-5. Accessible en anglais à l’adresse suivante : http ://www.fao.org/3/a-bo087e.pdf (dernière
consultation le 10 novembre 2016).
412 M. C. Prada, R. S. Appeldoorn, Draft Regional Queen Conch Fisheries Management and Conservation Plan
[projet de plan régional de gestion et de conservation des pêcheries de lambi], CFMC/COPACO/OSPESCA/
CRFM/CITES, juin 2015, p. 23. Accessible (en anglais) à l’adresse suivante : http://www.fao.org/fi/staticmedia/
MeetingDocuments/WECAFC16/Ref20e.pdf (dernière consultation le 10 novembre 2016).
413 Annexe 14 : Institut nicaraguayen de la pêche et de l’aquaculture (INPESCA), décision PA-no 001-2015 ; et
annexe 15 : Institut nicaraguayen de la pêche et de l’aquaculture (INPESCA), décision PA-no 001-2016.
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266
268
- 130 -
en vigueur de cette disposition414. En d’autres termes, le Nicaragua a simplement maintenu sa
politique concernant la pêche à la langouste en plongée. Rien ne pourrait mieux attester de cette
intention que le fait que, comme l’a indiqué le groupe de travail sur la langouste des Caraïbes
constitué par l’OSPESCA, la COPACO, le CRFM et le CFMC : «le Nicaragua avait établi un total
admissible des captures pour la langouste des Caraïbes, qu’il a suspendu en 2012 après avoir
obtenu des droits territoriaux sur une zone litigieuse dans l’Atlantique qui lui a permis d’étendre sa
zone de pêche.»415
8.34. Ce comportement en dit long sur l’interprétation faite par le Nicaragua de l’arrêt de
2012 : cet Etat y voit une autorisation de se livrer à des pratiques de pêche déprédatrices qui portent
atteinte à l’environnement marin et épuisent les ressources halieutiques sous le prétexte
extraordinaire que, avant le prononcé de cette décision, la Colombie l’avait «priv[é] de son droit
d’avoir la pleine jouissance de [ses] zones riches en poissons»416. En résumé, le Nicaragua indique
expressément qu’il entend «avoir la pleine jouissance de [ses] zones riches en poissons» sans pour
autant se conformer aux obligations correspondantes qui lui incombent au titre du droit
international coutumier.
8.35. Rien ne saurait être plus éloigné de l’esprit des efforts déployés dans les Caraïbes afin
de préserver les ressources naturelles de la région. Le fait que le Nicaragua n’a pas adopté de
mesures législatives et administratives appropriées en vue de protéger les ressources biologiques du
sud-ouest de la mer des Caraïbes constitue en soi un manquement à son obligation de faire preuve
de la diligence requise aux fins de protéger et de préserver l’environnement marin. Ce n’est
toutefois pas sur cet aspect que la Colombie souhaite mettre l’accent dans la présente sous-section.
En effet, plus grave encore est le fait que le Nicaragua n’a pas prévenu ou réprimé la pêche INN
dans le sud-ouest de la mer des Caraïbes, contrevenant ainsi clairement aux règles du droit
international coutumier relatives à la conservation des ressources biologiques de la mer. Comme l’a
relevé le TIDM, celle-ci «constitue un élément essentiel de la protection et de la préservation du
milieu marin»417. Et, pour rappeler ce que la Cour a dit en l’affaire relative à des Usines de pâte à
papier, la diligence requise impose non seulement d’adopter les normes et mesures appropriées,
mais encore d’exercer «un certain degré de vigilance dans leur mise en oeuvre ainsi que dans le
contrôle administratif»418.
8.36. Ainsi que cela ressort des événements décrits plus haut, non content de ne pas
empêcher ses pêcheurs et navires de se livrer à des activités de pêche illicites, le Nicaragua a
constamment cherché à justifier ces pratiques en alléguant que ce n’était pas lui mais la Colombie
414 Annexe 10 : Assemblée nationale de la République du Nicaragua, loi no 613 du 7 février 2007 relative à la
protection et la sécurité des personnes pratiquant la plongée sous-marine ; annexe 11 : Assemblée nationale de la
République du Nicaragua, loi no 753 du 22 février 2011 relative à la protection et la sécurité des personnes pratiquant la
plongée sous-marine ; annexe 12 : Assemblée nationale de la République du Nicaragua, loi no 836 du 13 mars 2013
portant modification de la loi no 613 de 2007 et la complétant ; annexe 16 : Assemblée nationale de la République du
Nicaragua, loi no 923 du 1er mars 2016 portant modification de l’article 16 de la loi no 613 de 2007.
415 FAO Fisheries and Aquaculture Report SLC/FIPS/SLM/R1095 (Bi), Report of the First Meeting of the
OSPESCA/WECAFC/CRFM/CFMC Working Group on Caribbean Spiny Lobster [FAO, rapport sur les pêches et
l’aquaculture, SLC/FIPS/SLM/R1095 (Bi), rapport de la première réunion du groupe de travail
OSPESCA/COPACO/CRFM/CFMC sur la langouste des Caraïbes], Panama, Panama, 21-23 octobre 2014, p. 6, par. 32.
Accessible (en anglais) à l’adresse suivante : http://www.fao.org/3/a-i4860b.pdf (dernière consultation le 10 novembre
2016).
416 MN, par. 2.22.
417 Affaires du thon à nageoire bleue (Nouvelle-Zélande c. Japon ; Australie c. Japon), mesures conservatoires,
ordonnance du 27 août 1999, par. 70.
418 Usines de pâte à papier sur le fleuve Uruguay (Argentine c. Uruguay), arrêt, C.I.J. Recueil 2010, p. 79-80,
par. 197.
269
270
- 131 -
qui agissait de façon dommageable. Dans son mémoire, sur la base d’une présentation
systématiquement erronée des faits, il accuse celle-ci d’avoir pratiqué «un harcèlement continu
vis-à-vis de pêcheurs nicaraguayens dans [s]es eaux ..., et en particulier dans la zone riche en
poissons dite Luna Verde»419. Outre que c’est le Nicaragua qui a harcelé les pêcheurs de l’archipel
en s’aventurant dans leurs zones de pêche traditionnelles et en exploitant ces dernières420 dans le
cadre d’un certain nombre d’«incidents» sur lesquels il se fonde, la Colombie n’a rien fait de plus
que d’informer des pêcheurs nicaraguayens qu’ils menaient des activités illicites. Et pourtant, le
Nicaragua affirme à présent que c’est la Colombie, et non ses propres bateaux de pêche, qui aurait
agi illicitement421. Cette allégation est totalement fallacieuse. Ce qui est clair, c’est qu’en adoptant
une telle position, le Nicaragua a démontré qu’il soutenait et faisait siennes les activités
déprédatrices mentionnées plus haut.
8.37. Ces activités peuvent clairement être considérées comme relevant de la pêche INN,
conformément aux définitions universellement admises en la matière422. Or, point n’est besoin
d’exposer l’obligation qui incombe au Nicaragua à l’égard de la Colombie en ce qui concerne les
activités de pêche INN menées dans la mer territoriale de celle-ci. Il est évident que, puisque le
Nicaragua n’a pris aucune mesure en réponse aux événements promptement dénoncés par les
autorités colombiennes, sa responsabilité est engagée à raison d’un manquement à son obligation,
en droit coutumier, de ne pas tolérer que soient menées des activités illicites dans une zone
maritime relevant de la souveraineté de la Colombie.
8.38. La responsabilité du Nicaragua est également engagée à raison des événements qui se
sont produits dans certaines zones de la réserve de biosphère Seaflower et de l’aire marine protégée
du même nom, bien que celles-ci se trouvent en partie dans la zone économique exclusive
419 MN, par. 2.28.
420 Voir par. 9.18-9.23 ci-après.
421 MN, par. 2.30, 2.32, 2.36 et 2.37.
422 Voir le Plan d’action international visant à prévenir, à contrecarrer et à éliminer la pêche illicite, non déclarée
et non réglementée ou PAI-INDNR (accessible à l’adresse suivante : http://www.fao.org/docrep/012/y1224f/
y1224f00.pdf ; dernière consultation le 10 novembre 2016), entériné par le conseil de la FAO lors de sa cent vingtième
session, tenue le 2 juin 2001, ainsi que par les Etats membres de la COPACO dans la déclaration de Castries sur la pêche
illicite, non déclarée et non réglementée du 28 juillet 2010. La pêche INN y est définie comme suit :
«3.1. Par pêche illicite, on entend des activités de pêche :
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
3.1.2. effectuées par des navires battant pavillon d’Etats qui sont parties à une organisation
régionale de gestion des pêches compétente, mais qui contreviennent aux mesures de conservation et de
gestion adoptées par cette organisation et ayant un caractère contraignant pour les Etats ou aux
dispositions pertinentes du droit international applicable ; ou
3.1.3. contrevenant aux lois nationales ou aux obligations internationales, y compris celles
contractées par les Etats coopérant avec une organisation régionale de gestion des pêches compétente.
3.2. Par pêche non déclarée, on entend des activités de pêche :
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
3.2.2. entreprises dans la zone de compétence d’une organisation régionale de gestion des pêches
compétente, qui n’ont pas été déclarées ou l’ont été de façon fallacieuse, contrevenant ainsi aux
procédures de déclaration de cette organisation.
3.3. Par pêche non réglementée, on entend des activités de pêche :
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
3.3.2. qui sont menées dans des zones, ou visent des stocks pour lesquels il n’existe pas de
mesures applicables de conservation ou de gestion, et d’une façon non conforme aux responsabilités de
l’Etat en matière de conservation des ressources biologiques marines en droit international.»
272
271
- 132 -
nicaraguayenne. A titre d’exemple, le Code de conduite pour une pêche responsable de la FAO,
que le Nicaragua a pleinement approuvé tant unilatéralement que conjointement avec d’autres Etats
caribéens, impose à tous les Etats de veiller à ce que «seules les opérations de pêche qu’ils ont
autorisées [soient] conduites dans les eaux relevant de leur juridiction et que ces opérations [soient]
conduites de manière responsable»423. Il s’ensuit que le Nicaragua doit se conformer à son
obligation en matière de pêche INN indépendamment du lieu où les événements se sont produits,
que ce soit dans ses propres zones maritimes ou dans celles d’un autre Etat. Les obligations
contenues aux articles 8.1.1 et 8.1.5 du Code de conduite de la FAO s’appliquent à «tous les Etats».
8.39. Le Nicaragua lui-même a reconnu les obligations qui lui incombent à cet égard,
appuyant par exemple les mesures de lutte contre la pêche INN que les Etats caribéens ont adoptées
au sein de la Commission des pêches pour l’Atlantique Centre-Ouest (COPACO). Conformément
au droit international coutumier, il a été reconnu dans la déclaration de Castries sur la pêche illicite,
non déclarée et non réglementée de 2010 que l’Etat du pavillon a pour responsabilité première de
prendre des «mesures garantissant que [ses] ressortissants ne soutiennent ni ne pratiquent la pêche
INN»424. Cet engagement, que les Etats membres de la COPACO ont contracté les uns envers les
autres, est valable dans l’intégralité de la zone relevant de leur souveraineté ou de leur juridiction
respectives. Dans la mesure où les Parties sont toutes deux membres de la COPACO, le Nicaragua
a l’obligation spécifique, en sus de celle que lui impose le droit international coutumier, de faire
preuve de la diligence requise pour prévenir la pêche INN.
8.40. Enfin, il convient de rappeler une fois de plus la nature particulière de la zone
Seaflower dont il est question en l’espèce. En effet, celle-ci est à la fois une réserve de biosphère au
titre du programme MAB et une aire marine protégée en vertu du protocole SPAW. Selon
l’article 10 de la convention de Cartagena,
«[l]es Parties contractantes prennent, individuellement ou conjointement, toutes les
mesures appropriées pour protéger et préserver, dans la zone d’application de la
Convention, les écosystèmes rares ou fragiles ainsi que l’habitat des espèces en
régression, menacées ou en voie d’extinction. A cet effet, les Parties contractantes
s’efforcent d’établir des zones protégées. L’établissement de telles zones ne porte pas
atteinte aux droits des autres Parties contractantes ni à ceux des Etats tiers. En outre,
les Parties contractantes procèdent à l’échange de renseignements concernant
l’administration et la gestion de ces zones.»
8.41. L’aire marine protégée Seaflower est conforme à l’objet et au but de l’article 10 de la
convention de Cartagena. En tant que partie à cet instrument, le Nicaragua a l’obligation générale
de s’abstenir d’agir d’une manière vraisemblablement contraire aux objectifs de l’article 10. En ne
prévenant pas la pêche INN dans la zone d’application de la convention, le Nicaragua a manqué à
cette obligation, qui lui impose là encore de faire preuve de bonne foi et de toute la diligence
requise. S’il est vrai que l’article 10 dispose que l’établissement d’une zone protégée par une partie
à la convention ne doit pas «porte[r] atteinte aux droits des autres Parties contractantes», ce serait
aller à l’encontre des principes fondamentaux de la bonne foi et du caractère raisonnable que
d’interpréter lesdits droits comme incluant celui de tolérer la pêche INN dans une zone protégée
établie par une autre partie sur la base des dispositions de la convention de Cartagena. Le fait que la
423 FAO, Code de conduite pour une pêche responsable, Rome, 1995. Accessible à l’adresse suivante :
http://www.fao.org/3/a-v9878f.pdf (dernière consultation le 10 novembre 2016).
424 Secrétariat de l’Organisation des Etats des Caraïbes orientales (OECO), Déclaration de Castries sur la pêche
illicite, non déclarée et non réglementée, 2e réunion spéciale du conseil ministériel du CRFM, Castries, Sainte-Lucie,
28 juillet 2010. Accessible à l’adresse suivante : ftp ://ftp.fao.org/FI/DOCUMENT/wecafc/15thsess/ref11f.pdf (dernière
consultation le 10 novembre 2016).
273
274
- 133 -
réserve de biosphère Seaflower est également reconnue par l’UNESCO et dans le cadre du
programme MAB renforce encore l’obligation coutumière d’exercer la diligence requise qui
incombe au Nicaragua.
2. Le manquement du Nicaragua à l’obligation de prévenir la pollution
du sud-ouest de la mer des Caraïbes
8.42. Outre son manquement à l’obligation de prévenir la pêche INN, le Nicaragua n’a pas
fait preuve de la diligence requise pour prévenir la pollution du sud-ouest de la mer des Caraïbes,
contrevenant ainsi aux dispositions de la convention de Cartagena et aux «règles et normes
internationales applicables»425.
8.43. Cette convention, en ses articles 5 et 6, dispose ce qui suit :
«Article 5 - Pollution par les navires
Les Parties contractantes prennent toutes les mesures appropriées pour prévenir,
réduire et combattre la pollution de la zone d’application de la Convention causée par
les rejets des navires et, à cette fin, assurent la mise en oeuvre effective des règles et
normes internationales applicables établies par l’organisation internationale
compétente.
Article 6 - Pollution due aux opérations d’immersion
Les Parties contractantes prennent toutes les mesures appropriées pour prévenir,
réduire et combattre la pollution de la zone d’application de la Convention due aux
opérations d’immersion de déchets et autres matières effectuées en mer à partir de
navires, d’aéronefs ou de structures artificielles placées en mer, et assurent la mise en
oeuvre effective des règles et normes internationales applicables.»426
8.44. Or, le Nicaragua n’a fait aucun effort pour prévenir, réduire ou combattre la pollution
dans la région. Ainsi, les événements du 16 décembre 2012 impliquant le bateau de pêche
nicaraguayen Lady Dee I (figure 8.4) constituent une infraction au droit international coutumier et
aux articles 5 et 6 de la convention de Cartagena. Lors de l’inspection de ce bateau, les
responsables de la marine colombienne ont constaté que l’équipage avait pillé celui-ci avant de
l’abandonner, ne laissant que des déchets et environ 3000 gallons de résidus huileux, que la marine
colombienne a dû évacuer pour éviter tout dommage environnemental supplémentaire. La
Colombie a traité cet incident avec les moyens diplomatiques à sa disposition427.
425 Convention de Cartagena, article 5 (annexe 17).
426 Convention de Cartagena, art. 5 et 6 (annexe 17) ; la pollution par les navires et celle due aux opérations
d’immersion sont également traitées dans la convention MARPOL et ses annexes, à laquelle le Nicaragua et la Colombie
sont tous deux parties.
427 Latitude : [14]° 28’,01 N, longitude : 80° 15’,4 O (mer territoriale de l’île colombienne de Serrana). Voir
annexe 29 : marine colombienne, communication no 101, 22 décembre 2012 ; annexe 28 : marine colombienne,
communication no 2175, 17 décembre 2012 ; annexe 22 : note verbale E-16 en date du 14 janvier 2013 adressée au
ministère des affaires étrangères du Nicaragua par l’ambassade de Colombie à Managua ; annexe 23 : note verbale
MRE/SCPE/014/01/13 en date du 14 janvier 2013 adressée à l’ambassade de Colombie à Managua par le ministère des
affaires étrangères du Nicaragua ; annexe 24 : note verbale MRE/DGAJ//0014//13 en date du 17 janvier 2013 adressée au
ministère des affaires étrangères du Nicaragua par l’ambassade de Colombie à Managua.
275
276
- 134 -
Figure 8.4. Activités du Nicaragua ayant causé des dommages à l’environnement
marin dans la mer territoriale de la Colombie
Légende :
Serrana’s 12 M TS = Mer territoriale de 12 milles marins entourant Serrana
Harmful Activities to the Marine Environment = Activités dommageables à l’environnement marin
1- Nicaraguan fishing vessel Lady Dee I ran aground 16 December 2012 = 1- bateau de pêche nicaraguayen
Lady Dee I échoué, 16 décembre 2012
Joint regime area = Zone de régime commun
Seaflower MPA = AMP Seaflower
Seaflower Biosphere Reserve = Réserve de biosphère Seaflower
Boundary from the 2012 ICJ Judgment = Frontière fixée dans l’arrêt de 2012 de la CIJ
277
- 135 -
8.45. Le manquement du Nicaragua à ses obligations de prévenir la pêche INN et non
réglementée et la pollution des zones maritimes du sud-ouest de la mer des Caraïbes met gravement
en danger l’habitat des espèces de poissons et des autres organismes marins en régression, menacés
ou en voie d’extinction. Par ailleurs, il menace également l’habitat des Raizals et des autres
communautés vivant dans l’archipel, menace à laquelle est consacrée la section suivante.
E. LA VIOLATION, PAR LE NICARAGUA, DE SON DEVOIR D’AGIR AVEC LA DILIGENCE
REQUISE POUR PROTÉGER LE DROIT DES HABITANTS DE L’ARCHIPEL
À BÉNÉFICIER D’UN HABITAT SAIN, VIABLE ET DURABLE
8.46. La protection de l’environnement marin du sud-ouest de la mer des Caraïbes est
également cruciale pour la préservation de l’environnement de l’archipel qui constitue l’habitat des
Raizals et d’autres communautés. Or, les événements décrits précédemment mettent en péril cet
habitat, et il s’agit là d’un manquement distinct aux obligations qui incombent au Nicaragua envers
la Colombie.
8.47. Le Nicaragua n’a pas fait preuve de la diligence requise en vertu du droit international
coutumier pour «prévenir les activités de pêche dommageables et l’exploitation des espèces
vulnérables» (sect. 1), pas plus que pour prévenir la dégradation de l’habitat marin des Raizals
(sect. 2).
8.48. Ces actes illicites diffèrent de ceux énumérés dans la première demande
reconventionnelle, portant sur la violation, par le Nicaragua, de son devoir d’agir avec la diligence
requise pour protéger et préserver l’environnement marin du sud-ouest de la mer des Caraïbes. Les
manquements du Nicaragua faisant l’objet de la deuxième demande reconventionnelle ont pour leur
part des répercussions négatives directes sur les communautés vivant dans l’archipel, qu’il s’agisse
des Raizals ou d’autres habitants, en ce qu’ils menacent le droit de ces peuples à bénéficier d’un
habitat sain, viable et durable. Le manquement du Nicaragua à l’obligation de prévenir les activités
de pêche dommageables nuit aux populations locales, pour qui l’accès aux ressources halieutiques
se trouve entravé, alors que celles-ci sont essentielles à leur subsistance et à «leur santé»428, à
«l’espace où [elles] vivent»429 et à «la qualité de leur vie»430.
1. Le manquement du Nicaragua à l’obligation de faire la preuve de la diligence
requise pour prévenir les pratiques de pêche dommageables
8.49. Le Nicaragua n’a pas prévenu les activités de pêche dommageables dans les eaux
territoriales de la Colombie, ni dans la réserve de biosphère Seaflower, ni dans l’aire marine
protégée du même nom, en autorisant le recours à des méthodes de pêche destructrices, notamment
la surpêche et la pêche en plongée (plongeurs équipés de bouteilles). L’usage incontrôlé de cette
dernière technique conduira inexorablement à l’épuisement rapide des ressources essentielles au
bien-être et à l’habitat des Raizals et des autres habitants de l’archipel.
8.50. Comme il est expliqué dans le chapitre 2, la réserve de biosphère Seaflower et l’aire
marine protégée du même nom jouent un rôle fondamental pour la protection de l’habitat et le
bien-être des Raizals. La Colombie interdit toute activité de pêche dommageable dans cette zone
428 Licéité de la menace ou de l’emploi d’armes nucléaires, avis consultatif, C.I.J. Recueil 1996 (I), p. 241-242,
par. 29 ; Projet Gabčíkovo-Nagymaros (Hongrie/Slovaquie), arrêt, C.I.J. Recueil 1997, p. 41, par. 53.
429 Ibid.
430 Ibid.
278
279
280
- 136 -
protégée. Il incombe au Nicaragua de veiller à ce que ses navires respectent eux aussi cette
interdiction. La responsabilité du Nicaragua est engagée dès lors que les navires impliqués dans les
événements décrits plus haut battent son pavillon ou sont immatriculés auprès de lui.
8.51. Il est établi que des bateaux de pêche nicaraguayens ont été impliqués de manière
répétée dans des activités de pêche dommageables, sans que le Nicaragua n’exerce sur eux le
moindre contrôle effectif. Au cours de la période concernée, de nombreux cas de pratiques de
pêche dommageables et excessives ont été constatés, principalement dans la zone de Luna Verde.
Tous impliquaient des navires nicaraguayens pratiquant la pêche en plongée, au mépris de
l’obligation de protéger et préserver l’environnement marin.
8.52. L’obligation de protéger l’habitat des peuples autochtones raizals, y compris leurs
zones de pêche traditionnelles, procède de la nécessité de s’assurer que ces derniers puissent
continuer d’utiliser de façon pérenne les ressources naturelles de la zone et perpétuer ainsi leur
mode de vie. Ce lien a été souligné à juste titre par la Cour interaméricaine des droits de l’homme,
qui, en l’affaire Sarayaku, a considéré que «le droit de faire usage du territoire et d’en tirer profit
serait dénué de sens pour les communautés autochtones et tribales s’il n’était pas lié à la protection
des ressources naturelles qui s’y trouvent»431. [Traduction du Greffe]
8.53. Comme il a été exposé dans le chapitre 2, les Raizals sont largement tributaires de leurs
activités de pêche ancestrales. En n’empêchant pas les navires nicaraguayens de mener des activités
de pêche déprédatrices dans les zones de pêche traditionnelles des Raizals, le Nicaragua n’a pas fait
preuve de la diligence requise pour préserver l’habitat de ces derniers.
2. Le manquement du Nicaragua à l’obligation de faire preuve de la diligence requise
pour prévenir la dégradation de l’habitat marin des Raizals
et des autres habitants de l’archipel
8.54. La démarche du Nicaragua est contraire au droit international ainsi qu’à l’exigence
d’une approche préventive et proactive en matière de protection de l’habitat marin des
communautés vulnérables. Le Nicaragua considère qu’il est suffisant que le président Ortega ait
tenu compte de la préoccupation exprimée par le président Santos au sujet de la préservation de la
réserve de biosphère marine Seaflower, qui est un élément essentiel de l’habitat des Raizals432. Il se
borne par exemple à affirmer que
«[l]e 5 décembre 2012, [le président Ortega] a assuré que [son pays] protégerait les
eaux qui constituaient la réserve Seaflower d’origine, désormais situées dans sa zone
économique exclusive, comme il le ferait de toute zone désormais reconnue comme
faisant partie de ses possessions maritimes»433.
8.55. Le Nicaragua est conscient de la nécessité de protéger le réservoir de biodiversité que
constitue la réserve de biosphère marine Seaflower ; pourtant, à ce jour, les promesses qu’il a faites
sont restées lettre morte. Le respect du droit international ne saurait reposer sur de simples
promesses ; d’autant que, lorsqu’un habitat vulnérable est en danger, ce droit requiert la mise en
place de mesures proactives, et non la négligence intentionnelle et l’ignorance feinte.
431 Cour interaméricaine des droits de l’homme (CIADH), affaire du Peuple autochtone Kichwa de Sarayaku
c. Equateur, arrêt (fond et réparations), 27 juin 2012, p. 36-37, par. 146-147.
432 MN, par. 2.57.
433 Ibid.
281
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- 137 -
8.56. Le comportement adopté par le Nicaragua au sein d’enceintes internationales
compétentes à l’égard de la protection de la réserve de biosphère marine Seaflower est révélateur
d’un manque de diligence en ce qui concerne la prévention de la dégradation de l’habitat marin des
Raizals.
8.57. Lors de sa vingt-sixième session qui a eu lieu du 10 au 14 juin 2014, par exemple, le
conseil international de coordination du programme sur l’homme et la biosphère (MAB) a
encouragé le Nicaragua et la Colombie à poursuivre leur dialogue pour résoudre les problèmes
ayant trait à la réserve de biosphère Seaflower434. Il convient de relever que le comité consultatif et
le conseil international de coordination ont tous deux souligné que les deux Parties devaient
coopérer afin de veiller à ce que les changements éventuels apportés au statut de la réserve ne
compromettent en rien la protection de l’environnement dans la zone.
8.58. Pourtant, au fur et à mesure, le Nicaragua a cessé de s’employer activement à ce que
les Raizals continuent à jouir d’un habitat sain, viable et durable. Son comportement à l’égard du
statut de la réserve de biosphère Seaflower est particulièrement révélateur. Cette question a été
débattue lors de la réunion du conseil consultatif du MAB qui s’est tenue du 14 au 20 mars 2014435.
A cette occasion, le Nicaragua a reconnu qu’il ne disposait d’aucune information qui lui permettrait
de mettre en place des mesures de protection et d’assurer l’utilisation durable de la zone en
question, la pérennité de l’habitat des Raizals étant de ce fait menacée. Il a également fait observer
qu’aucune décision n’avait été prise quant au maintien même de la réserve au sein du programme
MAB.
8.59. Partant, le Nicaragua n’est pas parvenu à prouver qu’il avait à coeur de garder en l’état
le niveau de protection actuel de la réserve ni, par conséquent, d’assurer la pérennité de l’habitat
marin des Raizals et des autres habitants de l’archipel. Le demandeur n’a plus participé aux
discussions qui ont eu lieu au sein du conseil international de coordination du programme MAB
depuis 2014. Cette négligence constante confirme que le Nicaragua ne prend aucune mesure
concrète pour faire preuve de la diligence requise en matière de prévention de la dégradation de
l’habitat marin des habitants de l’archipel, comme l’exigerait le droit international coutumier.
8.60. La Colombie reconnaît que chaque réserve de biosphère demeure assujettie aux droits
souverains du ou des Etats sur le territoire desquels elle se trouve436. Toutefois, le conseil
international de coordination joue un rôle important dans le maintien d’un niveau de protection
adéquat au sein d’une zone donnée, a fortiori — comme c’est le cas en l’espèce — lorsqu’un Etat
autre que celui qui a créé la réserve de biosphère acquiert des droits souverains, assortis de devoirs,
à l’égard d’une partie de ladite zone. La participation aux activités du conseil international de
coordination est donc un élément essentiel d’appréciation du comportement d’un Etat et de sa
volonté de satisfaire à l’obligation qui lui incombe de protéger l’environnement marin et l’habitat
des communautés tributaires d’une zone aussi vulnérable que la réserve de biosphère Seaflower.
434 Conseil international de coordination du programme sur l’homme et la biosphère (MAB), vingt-sixième
session (10-14 juin 2014, Paris), rapport final, document SC-14/CONF.226/15, p. 83, accessible à l’adresse suivante :
http://www.unesco.org/new/fileadmin/MULTIMEDIA/HQ/SC/pdf/SC14-CONF-226-…-
7-2014.pdf (dernière consultation en novembre 2016).
435 Ibid., point XVI de l’ordre du jour : information sur le cas de la réserve de biosphère Seaflower,
document SC-14/CONF.226/14, accessible à l’adresse suivante: http://www.unesco.org/new/fileadmin/MULTIMEDIA/
HQ/SC/pdf/SC-14-CONF-226-14-Information_on_Seaflower-eng-rev.pdf (dernière consultation le 10 novembre 2016).
436 Dans un communiqué de presse daté du 30 août 2013, le ministère colombien des affaires étrangères a déclaré
que «la réserve de biosphère Seaflower, inscrite au programme sur l’homme et la biosphère de l’UNESCO par la voie
d’un acte souverain de la Colombie, [était] assujettie à la législation nationale. Par conséquent, la définition du
programme de gestion de cette réserve ne relève pas des attributions de l’UNESCO» (annexe 1).
283
284
- 138 -
Or, le comportement du Nicaragua montre que celui-ci est peu enclin à s’acquitter de son devoir de
diligence en ce qui concerne la protection de la réserve ou, par voie de conséquence, l’habitat marin
des Raizals et des autres habitants de l’archipel de San Andrés.
8.61. Un tel comportement est contraire au droit international coutumier. La Cour a
clairement établi un lien entre l’«obligation générale qu’ont les Etats de veiller à ce que les activités
exercées dans les limites de leur juridiction ou sous leur contrôle respectent l’environnement dans
d’autres Etats»437 et le droit des êtres humains (c’est-à-dire les Raizals et autres les habitants de
l’archipel) à jouir d’un environnement (ou habitat) durable qui leur permette d’avoir un «espace où
viv[re,] … [une bonne] qualité de … vie et [une bonne] santé.»438
F. CONCLUSION
8.62. Pour l’ensemble des raisons exposées ci-dessus, les deux demandes reconventionnelles
de la Colombie ayant trait au manquement du Nicaragua à son obligation de préserver et de
protéger l’environnement marin et l’habitat du peuple raizal et des autres habitants de l’archipel de
San Andrés, et de faire preuve de la diligence requise à cet égard, sont parfaitement fondées en fait
et en droit.
8.63. La Colombie prie la Cour de constater ces violations et de dire que le Nicaragua doit y
mettre fin sans délai et lui donner des garanties de non-répétition. La Cour est également priée
d’ordonner au Nicaragua d’indemniser la Colombie pour le préjudice matériel qu’elle a subi du fait
des violations commises par celui-ci. Cette indemnisation devrait couvrir tout dommage susceptible
d’évaluation financière, y compris le manque à gagner, sa forme et son montant devant être
déterminés à un stade ultérieur de la procédure, conformément à la pratique établie.
437 Usines de pâte à papier sur le fleuve Uruguay (Argentine c. Uruguay), arrêt, C.I.J. Recueil 2010, p. 78,
par. 193 ; Licéité de la menace ou de l’emploi d’armes nucléaires, avis consultatif, C.I.J. Recueil 1996 (I), p. 241-242,
par. 29.
438 Licéité de la menace ou de l’emploi d’armes nucléaires, avis consultatif, C.I.J. Recueil 1996 (I), p. 241-242,
par. 29 ; Projet Gabčíkovo-Nagymaros (Hongrie/Slovaquie), arrêt, C.I.J. Recueil 1997, p. 41, par. 53.
285
286
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CHAPITRE 9
TROISIÈME DEMANDE RECONVENTIONNELLE : LA VIOLATION, PAR LE NICARAGUA,
DU DROIT DES PÊCHEURS ARTISANAUX D’ACCÉDER AUX BANCS DE PÊCHE
TRADITIONNELS ET DE LES EXPLOITER
A. INTRODUCTION
9.1. Ainsi qu’il a été mentionné ci-dessus à la section D du chapitre 3439, les Parties ont
reconnu à plusieurs reprises qu’il était important de protéger les droits de pêche traditionnels des
habitants de l’archipel. Néanmoins, dès février 2013, des incidents entre les forces navales
nicaraguayennes et les pêcheurs artisanaux de l’archipel ont été portés à la connaissance du
président de la Colombie. Voici les propos que celui-ci a tenus lors du sommet des gouverneurs de
San Andrés, le 18 février 2013 :
«certains se sont plaints, m’a-t-on rapporté, de ce que les autorités nicaraguayennes les
avaient menacés ou leur avait indiqué qu’ils ne pouvaient pêcher dans la zone en
question sans y avoir été préalablement autorisés.
Que cela soit parfaitement clair : j’ai donné des instructions fermes et précises à
la marine ; les droits historiques de nos pêcheurs seront respectés, quoi qu’il arrive.
Aucun pêcheur n’a à demander à qui que ce soit la permission de pêcher là où il a
toujours pêché.
Ce type d’incident ne doit pas se reproduire, et la marine y veillera en
augmentant ses patrouilles ou le nombre de ses navires mobilisés dans la zone.»440
9.2. Déjà au cours de leur rencontre à Mexico à la fin de l’année 2012, les présidents de la
Colombie et du Nicaragua avaient engagé des discussions constructives sur l’importance de la
reconnaissance et de la protection des droits des pêcheurs artisanaux de l’archipel. A l’époque, le
président Ortega avait conscience de ce problème, comme il ressort clairement de la déclaration
suivante :
«[Le président] Santos se préoccupe également de l’avenir des pêcheurs raizals,
la communauté habitant l’archipel de San Andrés. Il est normal qu’il s’inquiète du
futur de ces pêcheurs, d’autant que certains d’entre eux ont fait part de leur crainte de
naviguer au motif que le Nicaragua déployait déjà ses forces navales dans la région.
Les forces navales nicaraguayennes ont toutefois reçu pour instruction de ne détenir
aucun pêcheur…»441
9.3. Dans le même ordre d’idées, en réponse à la déclaration susmentionnée du président
colombien, le président Ortega a répété que les pêcheurs artisanaux de l’archipel seraient autorisés
à «pêcher librement» dans les espaces maritimes du Nicaragua jusqu’à ce que soit mis en place un
mécanisme442, distinct de celui qui s’applique généralement aux pêcheurs industriels, lequel
nécessite l’obtention d’un permis de l’INPESCA. Dans sa déclaration, le président Ortega a
439 Voir chap. 3, sect. D, par. 3.58, 3.86 et 3.87 ci-dessus.
440 Exceptions préliminaires de la Colombie (ci-après «EPC»), annexe 10, p. 113.
441 Annexe 75 : Nicaragua exercises peaceful sovereignty over its waters, radio La Primerísima, 5 décembre
2012.
442 Annexe 76 : Powerful interests want a confrontation with Colombia, radio La Primerísima, 21 février 2013.
287
288
- 140 -
demandé au général Avilés de n’exiger aucun document des pêcheurs artisanaux de l’archipel,
sachant que le mécanisme spécial, qui prévoyait notamment l’établissement d’une liste des
pêcheurs artisanaux et de leurs bateaux, n’avait pas encore été créé443. Le général Avilés, ainsi que
les autres autorités auxquelles s’adressait le président Ortega, ont reçu pour instruction de ne pas
gêner les activités de pêche artisanale des habitants de l’archipel444.
9.4. Nonobstant ce qui précède, la Colombie est tenue de présenter une demande
reconventionnelle au titre des violations, directement attribuables au Nicaragua, des droits
coutumiers reconnus aux pêcheurs artisanaux habitant l’archipel. Même s’il est vrai que le
président Ortega a soutenu à maintes reprises les droits des habitants de l’archipel, le Nicaragua, de
par le comportement de ses forces navales, y a continuellement porté atteinte.
9.5. Après avoir abordé ci-après la condition de connexité directe requise par l’article 80 du
Règlement de la Cour, la Colombie démontrera que les forces navales nicaraguayennes cherchent
activement à intimider les pêcheurs artisanaux de l’archipel. Les menaces et des pillages auxquels
elles se sont livrées ont vidé de toute signification les assurances données par le président Ortega.
A l’inverse de la situation des pêcheurs nicaraguayens, qui continuent de pêcher dans les zones
pertinentes malgré les prétendus «incidents» mentionnés par le demandeur, la plupart des pêcheurs
artisanaux de l’archipel évitent désormais les bancs de pêche traditionnels situés dans les espaces
maritimes reconnus au Nicaragua, ainsi que les lieux de pêche qui, même s’ils sont situés dans les
espaces maritimes de la Colombie, nécessitent de traverser ceux du Nicaragua.
B. LA CONNEXITÉ DIRECTE AVEC L’OBJET DES DEMANDES DU NICARAGUA
9.6. La demande reconventionnelle afférente à la violation, par le Nicaragua, du droit des
pêcheurs artisanaux d’accéder aux bancs de pêche traditionnels et de les exploiter est fondée sur
des événements qui se sont déroulés à la suite de l’arrêt de 2012 dans les espaces maritimes
reconnus comme appartenant au Nicaragua  tels que Cape Bank et son extension, connue sous le
nom de Luna Verde, à l’est du 82e méridien de longitude ouest. Il existe en réalité un
chevauchement temporel et géographique manifeste entre les prétentions du Nicaragua et la
demande reconventionnelle de la Colombie dans la mesure où le cadre temporel et la zone
géographique pertinente sont exactement les mêmes dans les deux cas.
9.7. Quant à la nature du comportement en cause, il suffit de dire que la demande
reconventionnelle de la Colombie porte sur le harcèlement des pêcheurs artisanaux de l’archipel
par les forces navales nicaraguayennes. En conséquence, il existe un parallèle entre le
comportement allégué des forces navales colombiennes à l’égard des pêcheurs nicaraguayens et la
manière dont les forces navales nicaraguayennes traitent les pêcheurs artisanaux de l’archipel. La
seule différence concerne le degré, car, s’il n’est guère possible de qualifier d’incidents les
événements visés par les allégations du Nicaragua à l’encontre des forces navales colombiennes, le
comportement de ces dernières est lui bien plus grave, car il s’accompagne de mesures coercitives
prenant la forme de saisies des produits de la pêche, des équipements, de la nourriture et d’autres
biens personnels des pêcheurs artisanaux.
9.8. S’agissant de la condition imposant à la demande reconventionnelle d’être fondée sur les
mêmes principes ou instruments juridiques que la demande principale ou de poursuivre le même
but juridique, celle-ci est également satisfaite. Dans les deux cas, le droit applicable au différend
443 Annexe 76 : Powerful interests want a confrontation with Colombia, radio La Primerísima, 21 février 2013.
444 Ibid.
289
290
291
- 141 -
soumis à la Cour est le droit international coutumier. Les demandes du Nicaragua se rapportent aux
règles coutumières relatives aux droits reconnus à l’Etat côtier d’exploiter les ressources marines
de sa propre zone économique exclusive. La demande reconventionnelle de la Colombie concerne
les droits coutumiers relatifs à l’accès aux ressources marines contenues dans ce même espace
maritime et à leur exploitation.
9.9. En l’espèce, les Parties poursuivent les mêmes buts juridiques puisqu’elles cherchent
toutes deux à établir la responsabilité internationale de l’autre en invoquant la violation de règles
coutumières relatives à l’exploitation des ressources halieutiques à l’intérieur des espaces
maritimes du Nicaragua.
9.10. Partant, la condition afférente à la connexité juridique est également satisfaite. Pour les
raisons énoncées ci-dessus, la demande reconventionnelle doit être jugée recevable au regard de
l’article 80 du Règlement de la Cour.
C. LE COMPORTEMENT INTIMIDANT DE LA MARINE NICARAGUAYENNE
9.11. Avant d’en venir au comportement de la marine nicaraguayenne, la Colombie se doit
de préciser que, malheureusement, le Nicaragua s’est servi de la présente procédure, ainsi que de
celle en l’affaire relative à la Question de la délimitation du plateau continental entre le Nicaragua
et la Colombie au-delà de 200 milles marins de la côte nicaraguayenne, comme d’une occasion de
vider de tout sens les droits coutumiers des habitants de l’archipel en matière de pêche artisanale.
9.12. Ainsi, l’agent du Nicaragua a jugé bon, à l’issue de sa plaidoirie dans l’autre affaire
pendante, de déclarer ce qui suit :
«30. Monsieur le président, le Nicaragua a fait observer la semaine dernière que
lors de l’affaire du Différend territorial et maritime, la Colombie n’avait jamais
avancé aucun argument au sujet des droits ancestraux de pêche que possèderaient les
Raizals, population autochtone de San Andrés. Je précise bien, il n’est pas fait mention
une seule fois de cette communauté dans les écritures ou les plaidoiries de la
Colombie en la précédente affaire. Rien. Zéro.
31. Premièrement, si la Colombie essaie de nous émouvoir, ce n’est pas parce
que les quelques milliers de Raizals ont subi un quelconque préjudice. Je rappellerai
d’abord qu’en dépit de l’omission que la Colombie essaie maintenant de rattraper, le
président Ortega a offert d’accorder aux Raizals des droits de pêche artisanale dans les
eaux dont la Cour a reconnu dans son arrêt qu’elles appartenaient au Nicaragua. Il a
pris cette décision parce que les Raizals ont des liens étroits avec les communautés
nicaraguayennes des Caraïbes.
32. Deuxièmement, il suffit de constater les distances qui séparent les îles telles
que Providencia des bancs et cayes pour se rendre compte qu’aucun bateau de pêche
artisanale ne peut en réalité atteindre ces points situés au nord. Par exemple,
Quitasueño, le banc le plus proche, est à 61 milles marins de Providencia, île habitée
la moins éloignée. De même, Roncador et Serrana se trouvent respectivement à 77 et
88 milles marins de cette île, et Serranilla, formation qui en est le plus éloignée, à
170 milles. [Affichage de l’onglet no 43.] Vous voyez maintenant s’afficher sur votre
écran une photographie montrant à quoi ressemblent les bateaux que les Raizals des
îles colombiennes emploient pour la pêche artisanale. Ils ne sont pas équipés pour
naviguer sur de telles distances. Qui plus est, tous les incidents dont le Nicaragua a fait
292
293
- 142 -
état dans l’affaire qui a fait l’objet des audiences de la semaine dernière ne
concernaient que des navires de pêche industrielle, ce qui confirme qu’aucun bateau
de pêche artisanale ne peut s’aventurer si loin. [Fin de l’affichage de
l’onglet no 43.]»445
9.13. En réponse à cette déclaration, on peut mentionner certains faits révélateurs. Tout
d’abord, il est surprenant que le Nicaragua ait jugé bon de souligner que la Colombie n’avait pas
avancé l’argument des droits de pêche historiques des habitants de l’archipel en l’affaire du
Différend territorial et maritime. On pourrait par conséquent interpréter cette déclaration comme
laissant entendre que la prétendue omission de la Colombie démontre que ces droits ne sont pas
plausibles. Or, celle-ci a déjà démontré qu’il convenait d’opérer une distinction entre l’existence de
droits de pêche traditionnels et la question des circonstances pertinentes justifiant que soit modifiée
une ligne de délimitation maritime. Les droits de pêche traditionnels sont souvent invoqués
indépendamment du tracé de la frontière afin de permettre à certains ressortissants de pêcher là où
ils ont coutume de le faire446. Par conséquent, dans le cadre de la seconde étape de la procédure
entre l’Erythrée et la République du Yémen, le Tribunal arbitral a déclaré que l’existence d’un
régime de pêche traditionnelle ne dépendait pas «du tracé d’une frontière internationale»447.
9.14. Après avoir admis que le président du Nicaragua avait constaté l’existence de ces droits
de pêche historiques dans des eaux reconnues comme appartenant à son pays, l’agent du Nicaragua
a néanmoins soutenu qu’il ne peut en fait exister de tels droits dans les espaces maritimes attribués
au Nicaragua puisque les pêcheurs de l’archipel n’ont pas les moyens d’atteindre les lieux en
question. En d’autres termes, la reconnaissance à plusieurs reprises de l’existence de droits de
pêche traditionnels par les plus hautes autorités du Nicaragua est subitement privée de tout effet
utile puisque les Raizals de l’archipel devraient parcourir la distance séparant, par exemple,
Providencia et Luna Verde, en pagayant dans un canoë. Toutefois la pêche artisanale pratiquée
dans la partie sud-ouest de la mer des Caraïbes n’équivaut pas à la pêche de subsistance pratiquée
dans le fleuve San Juan.
9.15. A cet égard, ce qu’a déclaré le Tribunal arbitral dans le cadre de la seconde étape de la
procédure entre l’Erythrée et la République du Yémen est révélateur :
«le terme «artisanale» ne doit pas s’entendre comme ne s’appliquant à l’avenir qu’à un
certain type de pêche qui serait alors pratiquée exactement comme elle l’est
aujourd’hui. L’expression «pêche artisanale» est employée par opposition à
l’expression «pêche industrielle». Elle n’exclut pas que soient apportées des
améliorations en terme de puissance des petits navires, de techniques de navigation, de
communication ou de techniques de pêche ; mais le régime de la pêche traditionnelle
ne s’applique pas à la pêche commerciale ou industrielle pratiquée à grande échelle ni
445 Question de la délimitation du plateau continental entre le Nicaragua et la Colombie au-delà de
200 milles marins de la côte nicaraguayenne (Nicaragua c. Colombie), audiences du 9 octobre 2015, CR 2015/29, p. 50,
par. 30-32 (agent). Notes de bas de page omises.
446 Sentence du Tribunal arbitral rendue au terme de la seconde étape de la procédure entre l’Erythrée et la
République du Yémen (délimitation maritime), décision du 17 décembre 1999, par. 103-112 ; article 5 1) de l’accord entre
le Gouvernement de la République d’Indonésie et le Gouvernement de Papouasie-Nouvelle-Guinée relatif aux frontières
maritimes entre la République d’Indonésie et la Papouasie-Nouvelle-Guinée ainsi qu’à la coopération sur les questions
afférentes, 1980 ; accord entre le Gouvernement de Papouasie-Nouvelle-Guinée et les Gouvernements des Iles Salomon
relatif à l’administration des zones spéciales, 1989 ; protocole d’accord entre le Gouvernement d’Australie et le
Gouvernement de la République d’Indonésie relatif aux opérations menées par les pêcheurs indonésiens pratiquant la
pêche traditionnelle dans les espaces relevant de la zone de pêche exclusive et du plateau continental de l’Australie, 1974.
447 Ibid., par. 110.
294
295
- 143 -
à celle pratiquée par des ressortissants d’Etats tiers …, qu’elle soit à petite échelle ou
industrielle.»448 [Traduction du Greffe]
9.16. Ainsi que cela a déjà été exposé au chapitre 2449, il ressort de la pratique telle
qu’attestée par les documents historiques et déclarations sous serment versés au dossier que les
habitants de l’archipel ont tout d’abord eu recours à des goélettes, des sloops et des cat-boats, et
plus tard à des lanchas équipées de moteurs hors-bord ou in-bord, pour atteindre les zones de pêche
poissonneuses situées à Cape Bank des deux côtés du 82e méridien de longitude ouest, ainsi que les
bancs qui entourent les îles de Quitasueño, Serrana, Bajo Nuevo, Serranilla et Roncador.
9.17. Enfin, l’agent du Nicaragua a évoqué le fait que, puisque tous les incidents qui ont été
rapportés par son pays concernaient des navires industriels, il doit en découler qu’il n’y a pas de
bateaux de pêche artisanale dans les zones maritimes nicaraguayennes. Or, si les pêcheurs
pratiquant la pêche artisanale sont peu présents au niveau des bancs traditionnels situés dans les
zones maritimes qui ont été attribuées au Nicaragua, c’est pour une raison bien différente.
9.18. L’extrait reproduit ci-dessous de la déclaration sous serment de M. Jorge De la Cruz
De Alba Barker illustre bien les raisons pour lesquelles de nombreux pêcheurs pratiquant la pêche
artisanale ont décidé d’abandonner leurs bancs ancestraux :
«Dans ces zones, nous rencontrons d’autres pêcheurs en provenance de la côte
nicaraguayenne, de Bluefields et des îles du Maïs. Nous n’avons pas de problème avec
eux, puisque nous appartenons au même peuple et parlons la même langue. Le
problème est entre Bogotá et Managua. Aujourd’hui, nous ne pouvons pas nous rendre
dans les cayes septentrionales, car la décision de nous laisser passer dépend des
garde-côtes nicaraguayens. Nous courons le risque d’être détournés sur les côtes
nicaraguayennes par les autorités. Si vous allez à Quitasueño, les garde-côtes
nicaraguayens vous arraisonneront pour vous demander si vous venez pêcher ou si
vous ne faites que passer. C’est ce qui arrive quand vous vous rendez à Quitasueño et
à Cape Bank. Généralement, ils arrêtent les pêcheurs en provenance de San Andrés
qui naviguent à l’ouest et au nord de Providencia à destination de Cape Bank ou de
Quitasueño. Aujourd’hui, après la décision [de la Cour], il ne nous est plus possible de
nous déplacer en paix dans les eaux appartenant au Nicaragua. Or, nous devons
emprunter ces eaux pour atteindre les cayes septentrionales au départ des îles et
naviguer ensuite d’une caye à l’autre dans la zone nord, surtout à l’aller. C’est comme
si je possédais une maison et que je devais traverser le jardin d’un tiers pour m’y
rendre. Si l’intéressé ne me laisse pas passer chez lui, je ne peux pas entrer dans ma
maison. Il est fréquent que les garde-côtes nicaraguayens s’emparent de notre GPS, de
notre radio VHF, de nos cigarettes et de nos provisions. Ils font également main basse
sur tout le matériel embarqué présentant la moindre valeur. Généralement, les
rencontres avec les garde-côtes se produisent pendant le trajet entre les îles et les cayes
septentrionales. La marine colombienne, pour sa part, ne se conduit pas de la sorte et
traite correctement les pêcheurs nicaraguayens repérés dans les eaux colombiennes.
Les associations et les coopératives reçoivent des plaintes faisant état de ces incidents.
Les pêcheurs se sentent intimidés, car les garde-côtes nicaraguayens sont armés. Nous
avons des problèmes avec les garde-côtes, mais pas avec les pêcheurs du Nicaragua
qui font partie de mon peuple, ma famille … Avec la population côtière du Nicaragua,
nous partageons la même culture ; ces gens nous ressemblent beaucoup et certains
448 Sentence du Tribunal arbitral rendue au terme de la seconde étape de la procédure entre l’Erythrée et la
République du Yémen (délimitation maritime), décision du 17 décembre 1999, par. 106.
449 Chap. 2, sect. C 2), par. 2.77-2.81, ci-dessus.
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d’entre nous ont de la famille là-bas. Nous partageons traditionnellement la mer avec
les Nicaraguayens.»450
9.19. Ce qui est dit plus haut est confirmé dans d’autres déclarations sous serment telles que
celle de M. Antonio Alejandro Sjogreen Pablo, qui a précisé ce qui suit :
«Nous ne pouvons plus nous rendre dans les cayes septentrionales parce que, à
plusieurs occasions, nous avons rencontré des garde-côtes nicaraguayens naviguant
sur de grandes lanchas qui nous ont arraisonnés alors que nous faisions route vers les
bancs de pêche. Ils nous ont demandé de leur offrir du café et de la nourriture, mais il
s’agissait là d’une manoeuvre d’intimidation, car nous ne pouvions pas refuser. Ils
étaient armés et ils sont montés à bord. Pour cette raison, bon nombre de nos gens ont
cessé de se rendre à Cape Bank et dans les cayes septentrionales. […] Depuis la
décision de 2012, la situation des pêcheurs artisanaux s’est détériorée en raison des
menaces qui pèsent sur nous et du peu de sécurité dont nous jouissons lorsque nous
cherchons à gagner nos bancs traditionnels situés au-delà de San Andrés et
Providencia. Mais nous devons continuer à exploiter et à tirer avantage des cayes
septentrionales et de Cape Bank, car ces deux endroits garantissent la sécurité
alimentaire des îles.»451.
9.20. D’autres pêcheurs pratiquant la pêche artisanale ont formulé des accusations similaires
à l’encontre de la marine nicaraguayenne, ce qui met en évidence une ligne de conduite de la part
des autorités nicaraguayennes452. En conséquence du comportement de la marine nicaraguayenne,
les pêcheurs artisanaux ont dû modifier leurs pratiques de pêche, ce qui les a contraints à
abandonner nombre de leurs bancs traditionnels. Ainsi, M. Orlando Eduardo Francis Powell a
indiqué dans sa déclaration sous serment que, du fait de la politique d’intimidation menée par
la marine nicaraguayenne, il craint de naviguer dans les espaces maritimes nicaraguayens et
préfère par conséquent se rendre à Roncador, bien qu’il s’agisse d’un «petit banc comparé à
Quitasueño, Serrana et Cape Bank»453. De même la déclaration sous serment de M. Ligorio
Luis Archbold Howard illustre bien les conséquences du comportement de la marine
nicaraguayenne sur les activités des pêcheurs artisanaux. S’il continue de pêcher dans les zones
maritimes nicaraguayennes situées entre, respectivement, Providencia et Quitasueño, et
Roncador et Serrana, il évite les zones maritimes des bancs septentrionaux.
«A l’heure actuelle, je pêche dans les eaux nicaraguayennes au nord et à l’ouest
de Providencia, mais je procède ainsi parce que je sais que je suis près de la maison et
que je peux rapidement rentrer en cas de problème. La seule différence est que je sors
toujours avec quelqu’un d’autre et ne m’éloigne jamais des eaux colombiennes. Je ne
fais pas tout le trajet jusqu’à Serrana et Quitasueño pour ne pas multiplier les risques
d’être arraisonné par des pêcheurs ou des garde-côtes nicaraguayens.»454
9.21. En d’autres termes, la marine nicaraguayenne parvient, par le pillage et la menace,
à empêcher régulièrement, ou du moins à décourager fortement, les pêcheurs artisanaux de
l’archipel d’atteindre leurs bancs traditionnels situés dans les zones maritimes qui ont été
450 Annexe 71.
451 Annexe 72.
452 Annexe 64 ; annexe 67 ; annexe 68 ; annexe 69 ; annexe 70.
453 Annexe 68.
454 Annexe 65.
298
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reconnues comme appartenant au Nicaragua ainsi qu’aux bancs septentrionaux de Quitasueño,
Serrana, Serranilla et Bajo Nuevo. Pareil comportement contrevient au droit de pêche
coutumier reconnu, ainsi qu’aux ordres donnés par le président Ortega à la marine
nicaraguayenne le 21 février 2013.
9.22. De plus, s’il est vrai que la plupart des pêcheurs artisanaux de l’archipel ont fait état de
bonnes relations entre les Raizals et les autres communautés autochtones, certains ont mentionné
des problèmes avec les pêcheurs industriels nicaraguayens qui se livrent à des pratiques
déprédatrices ainsi qu’à des actes de piraterie455. Ainsi qu’il est précisé dans la déclaration sous
serment de M. Landel Hernando Robinson Archbold :
«De nos jours, nous avons peur de nous rendre dans les cayes septentrionales. Je
sais que Minival Ward, un membre de la coopérative, a été attaqué par des pêcheurs
nicaraguayens alors qu’il se rendait dans cette zone. Ils lui ont pris tous ses produits,
ainsi que son matériel de pêche et de navigation et la plus grande partie de son
carburant. Ils l’ont abandonné dans sa lancha de 25 pieds avec juste assez d’essence
pour retourner à Providencia.»456
9.23. Ces pêcheurs nicaraguayens ne font pas partie des communautés autochtones du
sud-ouest de la mer des Caraïbes. La marine nicaraguayenne a le devoir de veiller à ce que le
comportement des pêcheurs nicaraguayens n’aille pas à l’encontre des droits de pêche
artisanale coutumiers des habitants de l’archipel. En tolérant des pratiques de pêche
déprédatrices et des agissements criminels dans la zone des bancs traditionnels des pêcheurs
artisanaux de l’archipel, la marine nicaraguayenne est également responsable de la violation de
leur droit coutumier d’accéder à ces bancs et de les exploiter.
D. CONCLUSION
9.24. Dans ces circonstances, la Colombie soumet la présente demande reconventionnelle
afin de protéger le droit des pêcheurs artisanaux d’accéder aux bancs traditionnels et de les
exploiter, ce droit étant exercé depuis des temps immémoriaux par les habitants de l’archipel de
San Andrés, y compris les Raizals.
9.25. Par la présente demande reconventionnelle, la Colombie prie la Cour de déclarer que le
Nicaragua a l’obligation de cesser d’empêcher les pêcheurs artisanaux colombiens d’accéder à
leurs zones de pêche traditionnelles et de pleinement respecter les droits de pêche traditionnels dont
les Raizals et les autres pêcheurs de l’archipel ont toujours joui sur ces mêmes zones. La Cour est
également priée de prescrire au Nicaragua d’indemniser la Colombie pour le préjudice matériel
qu’elle a subi du fait des violations commises par celui-ci. Cette indemnisation devrait couvrir tout
dommage susceptible d’évaluation financière, y compris le manque à gagner, sa forme et son
montant devant être déterminés à un stade ultérieur de la procédure, conformément à la pratique
établie.
455 Annexe 65.
456 Annexe 62.
300
301
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CHAPITRE 10
QUATRIÈME DEMANDE RECONVENTIONNELLE : LE DÉCRET DU NICARAGUA FIXANT
DES LIGNES DE BASE DROITES, QUI EST CONTRAIRE AU DROIT INTERNATIONAL,
EMPORTE VIOLATION DES DROITS SOUVERAINS ET DES ESPACES MARITIMES
DE LA COLOMBIE
A. INTRODUCTION
10.1. Dans le cadre de la présente demande reconventionnelle, la Colombie soutient que, en
adoptant le décret no 33-2013 du 19 août 2013, le Nicaragua a étendu ses eaux intérieures, sa mer
territoriale, sa zone contiguë, sa ZEE et son plateau continental au mépris du droit international et
qu’il a, ce faisant, violé sa juridiction et ses droits souverains457. En conséquence, la Colombie prie
la Cour de dire et juger que ce décret va à l’encontre du droit international et de prescrire au
Nicaragua de le reviser, afin de le rendre conforme aux règles de droit international régissant le
tracé des lignes de base à partir desquelles est mesurée la largeur de la mer territoriale.
10.2. A la section B, la Colombie montrera que cette demande reconventionnelle est
recevable au regard des critères énoncés au paragraphe 1 de l’article 80 du Règlement. Dans la
section C, elle établira que le choix du Nicaragua de recourir à des lignes de base droites n’est pas,
contrairement à ce que celui-ci affirme, justifié eu égard aux indications données par la Cour dans
son arrêt de 2012 quant aux lignes de base à partir desquelles il convient de mesurer sa limite de
200 milles marins (sous-section 1), ni en harmonie avec les principes de droit international
coutumier régissant le tracé de telles lignes (sous-sections 2 et 3). Dans la section D, elle
démontrera que les lignes de base droites dont se prévaut le Nicaragua portent atteinte aux droits de
la Colombie, le Nicaragua ayant entrepris d’élargir, sans y être autorisé ni fondé en droit, ses eaux
internes (sous-section 1), sa mer territoriale (sous-section 2) et sa zone économique exclusive
(sous-section 3).
B. LIEN DE CONNEXITÉ DIRECTE AVEC L’OBJET DES DEMANDES DU NICARAGUA
10.3. Dans la présente section, la Colombie montrera que sa demande reconventionnelle est
recevable, en tant qu’elle est en connexité directe avec l’objet des demandes du Nicaragua458. La
Colombie a déjà examiné la jurisprudence de la Cour se rapportant à cette question459. Elle rappelle
que, pour déterminer si la condition relative à l’existence d’un lien de connexité directe est remplie,
il convient tout d’abord d’éclaircir les aspects factuels et juridiques de la demande du Nicaragua à
laquelle la demande reconventionnelle de la Colombie se rapporte (sous-section 1), puis d’en faire
autant s’agissant de la demande reconventionnelle elle-même (sous-section 2). Il conviendra, à
partir de là, de déterminer si le lien de connexité entre elles est «suffisant», tant du point de vue du
droit que des faits (sous-section 3).
457 Annexe 13 : décret n° 33-2013, lignes de base des espaces maritimes de la République du Nicaragua dans la
mer des Caraïbes, 19 août 2013.
458 Au chapitre 7, section B 1), ci-dessus, la Colombie a déjà démontré que cette demande reconventionnelle
relevait de la compétence de la Cour.
459 Voir chapitre 7, section B 2), ci-dessus.
303
304
- 147 -
1. Aspects factuels et juridiques de la demande du Nicaragua à laquelle
se rapporte la demande reconventionnelle
10.4. Ainsi qu’il a été rappelé dans l’arrêt sur les exceptions préliminaires,
«[d]ans sa requête, le Nicaragua expose en ces termes l’objet du différend qu’il
soumet à la Cour : «Le différend porte sur des violations des droits souverains et des
espaces maritimes du Nicaragua qui lui ont été reconnus par la Cour dans son arrêt du
19 novembre 2012 ainsi que sur la menace de la Colombie de recourir à la force pour
commettre ces violations.»»460
10.5. Les prétentions du Nicaragua sont également exposées dans les conclusions qui
viennent clore son mémoire en date du 3 octobre 2014, ainsi que dans le corps de celui-ci. Lesdites
conclusions, dans la mesure où elles n’ont pas été déclarées irrecevables par la Cour dans son arrêt
du 17 mars 2016, comportent deux demandes distinctes, le Nicaragua faisant grief à la Colombie
d’avoir violé ses droits souverains et ses espaces maritimes à raison, d’une part, d’actes commis par
ses forces navales et, d’autre part, de l’adoption d’un décret portant création d’une zone contiguë
unique. Seule la dernière demande est pertinente aux fins de la présente analyse. Dans les
conclusions du Nicaragua, elle est formulée en ces termes :
«2. Le Nicaragua prie également la Cour de dire et juger que la Colombie doit :
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
i) abroge[r] les lois et règlements promulgués par elle qui sont incompatibles
avec l’arrêt rendu par la Cour le 19 novembre 2012, notamment les
dispositions des décrets nos 1946 du 9 septembre 2013 et 1119 du 17 juin
2014 relatives aux zones maritimes qui ont été reconnues comme relevant de
la juridiction ou des droits souverains du Nicaragua»461.
10.6. Du point de vue des faits, cette demande concerne le décret no 1946 de 2013, tel que
modifié ensuite par le décret no 1119 de 2014. Ces deux actes :
 sont, par leur nature, des actes de droit interne fixant l’étendue d’une zone maritime, à savoir la
zone contiguë de la Colombie ;
 concernent, au dire du Nicaragua, des emplacements situés dans ses espaces maritimes «tels
que délimités au paragraphe 251 de l’arrêt rendu par la Cour le 19 novembre 2012»462 ;
 établissent les compétences que la Colombie exercera dans la zone en question ;
 ont été adoptés, respectivement, les 9 septembre 2013 et 17 juin 2014.
10.7. Les considérations juridiques au titre desquelles le Nicaragua souhaiterait faire déclarer
illicites ces actes de droit sont les suivantes. Selon lui, ils
460 Violations alléguées de droits souverains et d’espaces maritimes dans la mer des Caraïbes (Nicaragua
c. Colombie), arrêt, exceptions préliminaires, p. 26, par. 53.
461 MN, conclusion 2, p. 107.
462 Ibid., conclusion 1 a), p. 107.
305
306
- 148 -
 ne sont pas conformes au droit international de la mer relatif à la délimitation des espaces
maritimes des Etats côtiers ;
 emportent violation de ses espaces maritimes «tels que délimités au paragraphe 251 de l’arrêt
rendu par la Cour le 19 novembre 2012», délimitation ayant été fixée «jusqu’à la limite située à
200 milles marins des lignes de base à partir desquelles est mesurée la largeur de la mer
territoriale du Nicaragua», ainsi qu’il est précisé à deux reprises au point 4 du dispositif
(paragraphe 251) de l’arrêt ;
 emportent violation, a-t-il été ajouté dans le mémoire463, de ses droits souverains tels qu’établis
par les règles coutumières du droit de la mer, dans la mesure où ils attribuent à la Colombie des
compétences qui relèvent de sa propre juridiction.
10.8. Le Nicaragua prie la Cour d’ordonner à la Colombie d’abroger ces décrets, afin que
soient pleinement respectés sa juridiction et ses droits souverains, ainsi que l’intégrité des espaces
maritimes qu’il revendique.
2. Aspects factuels et juridiques de la quatrième demande reconventionnelle
de la Colombie
10.9. S’agissant de la Colombie, le fait dont celle-ci tire grief est le décret no 33-2013 du
Nicaragua464, qui :
 est, par sa nature, un acte de droit interne fixant les lignes de base droites du Nicaragua et, en
conséquence, l’étendue de l’ensemble des espaces maritimes de celui-ci, zone contiguë
comprise, en mer des Caraïbes. Son article 1 en expose en effet clairement l’objet, qui consiste
à établir
«les lignes de base droites de la République du Nicaragua à partir desquelles sera
mesurée la largeur de sa mer territoriale, de sa zone contiguë, de sa zone économique
exclusive et de son plateau continental dans la mer des Caraïbes».
 est expressément présenté, en son cinquième considérant, comme portant application des
décisions auxquelles la Cour est parvenue dans son arrêt du 19 novembre 2012 :
«La Cour internationale de Justice a pris, le 19 novembre 2012, une décision
historique dans le jugement relatif à la Délimitation territoriale et maritime entre le
Nicaragua et la Colombie dans la mer des Caraïbes, considérant que les îles
adjacentes à la côte du Nicaragua dans la mer des Caraïbes font partie intégrante de la
côte qu’elles longent et contribuent à l’établissement des lignes de base» ;
 est daté du 19 août 2013.
10.10. Les considérations juridiques sur lesquelles la Colombie fonde sa demande
reconventionnelle sont les suivantes. Selon elle, le décret nicaraguayen :
 n’est pas conforme au droit international de la mer relatif à la délimitation des espaces
maritimes des Etats côtiers, dont la largeur doit être calculée à partir de lignes de base tracées
conformément à certaines règles ;
463 MN, p. 66, par. 3.25, et p. 67, par. 3.27.
464 Annexe 13.
307
308
309
- 149 -
 repousse les limites des espaces maritimes du Nicaragua, y compris sa zone contigüe et sa
ZEE, au-delà de celles fixées par le droit international et le paragraphe 251 de l’arrêt de la Cour
du 19 novembre 2012 ;
 emporte violation de la ZEE et du plateau continental de la Colombie ;
 emporte violation de la juridiction et des droits de la Colombie, en tant qu’il revient à
proclamer une souveraineté inconditionnelle, ou une souveraineté ménageant la possibilité d’un
passage inoffensif, dans des zones sur lesquelles le Nicaragua ne détient pas de souveraineté
absolue, ou dans lesquelles la liberté de navigation et de survol doit être respectée.
10.11. La Colombie prie la Cour de dire que le décret du Nicaragua emporte violation du
droit international, ainsi que de ses espaces maritimes et de ses droits souverains.
3. Lien de connexité directe
10.12. Ainsi qu’il ressort de ce qui précède, la demande du Nicaragua et la demande
reconventionnelle de la Colombie portent toutes deux sur un comportement mettant en cause leurs
espaces maritimes respectifs. Le Nicaragua entendant mesurer l’ensemble des siens à partir de
lignes de base droites, la demande reconventionnelle est bien en connexité directe avec l’objet de la
demande. En outre, l’une et l’autre portent sur la même période et concernent l’arrêt de 2012. Le
lien de connexité entre elles est donc manifeste en droit comme en fait. Au surplus, les buts
recherchés de part et d’autre, du point de vue juridique, sont identiques. La demande
reconventionnelle de la Colombie est donc recevable au regard de l’article 80 du Règlement de la
Cour.
C. LES LIGNES DE BASE REVENDIQUÉES PAR LE NICARAGUA VONT À L’ENCONTRE
DES PRINCIPES DE DROIT INTERNATIONAL COUTUMIER RÉGISSANT
LE TRACÉ DE LIGNES DE BASE DROITES
10.13. Le décret nicaraguayen d’août 2013 fixant des lignes de base droites dans le sud-ouest
des Caraïbes se présente comme fondé sur l’arrêt rendu par la Cour en 2012 en l’affaire du
Différend territorial et maritime. La Colombie commencera par démontrer que l’arrêt de la Cour ne
peut être invoqué pour justifier les dispositions de ce décret (sous-section 1)), avant de se pencher
sur les règles et principes coutumiers régissant le tracé de lignes de base droites (sous-section 2)) et
de montrer que celles retenues par le Nicaragua en emportent clairement violation
(sous-section 3)).
1. L’arrêt de 2012 de la Cour ne justifie pas le choix, par le Nicaragua,
de lignes de base droites
10.14. Dans son arrêt du 19 novembre 2012, la Cour a relevé que le Nicaragua n’avait pas
encore arrêté sa position quant aux lignes de base à partir desquelles devait être mesurée la largeur
de sa mer territoriale ou d’autres espaces maritimes. Elle a ainsi observé que le Nicaragua n’avait
«pas encore notifié au Secrétaire général l’emplacement de ces lignes de base, en application du
paragraphe 2 de l’article 16 de la CNUDM»465.
10.15. Au paragraphe 237 de son arrêt, la Cour l’a redit :
465 Arrêt de 2012, p. 683, par. 159.
310
311
- 150 -
«le Nicaragua n’ayant pas encore notifié les lignes de base à partir desquelles sera[it]
mesurée sa mer territoriale, la position du point terminal A ne peut être déterminée
avec précision et l’emplacement du point représenté sur le croquis no 11 n’est donc
qu’approximatif»466.
La Cour, en conséquence, s’est contentée de figurer sur le croquis no 11 l’emplacement
approximatif des points terminaux A et B.
10.16. Par la suite, le 19 août 2013, le Nicaragua a adopté un décret relatif aux «[l]ignes de
base des espaces maritimes de la République du Nicaragua dans la mer des Caraïbes»467. Le
26 septembre 2013, en vertu de l’article 16 de la CNUDM, le Nicaragua a déposé auprès du
Secrétaire général des Nations Unies la liste des coordonnées géographiques figurant dans son
décret no 33-2013468.
10.17. Le but de ce décret, ainsi qu’indiqué dans son sixième considérant et en son article 1,
n’est pas de fixer des lignes de base «normales», soit des lignes de base correspondant à la laisse de
basse mer le long de la côte, mais une ligne composée de huit segments de lignes de base droites.
L’article 2 du décret spécifie que ces derniers relieront une série de neuf points géographiques
consécutifs qui, à l’exception du premier et du dernier d’entre eux, se trouvent sur des îles ou cayes
de la mer des Caraïbes situées à l’est de la côte continentale du Nicaragua. Son article 3 dispose
que l’ensemble des eaux qui s’étendent entre ces lignes de base droites et la masse continentale
nicaraguayenne sont à considérer comme des eaux intérieures. Son annexe I précise les
coordonnées des neuf points géographiques :
 le premier et le neuvième d’entre eux sont situés sur la côte continentale du Nicaragua,
respectivement au Cabo Gracias a Dios et à Harbor Head, à l’extrémité orientale des frontières
terrestres qu’il partage, respectivement, avec le Honduras et le Costa Rica ;
 les sept autres points sont situés sur diverses autres formations de la mer des Caraïbes, au large
de la côte du Nicaragua : la caye d’Edimbourg, les cayes des Miskitos, la caye de Ned Thomas,
les cayes de Man of War, la caye East of Great Tyra, ainsi que sur la Petite île et la Grande île
du Maïs (voir figure 10.1).
466 Arrêt de 2012, p. 713, par. 237.
467 Annexe 13.
468 Annexe 90 : circulaire de la division des affaires maritimes et du droit de la mer — bureau des affaires
juridiques, no M.Z.N.99.2013.LOS, 11 octobre 2013.
312
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- 151 -
Figure 10.1. Lignes de base droites proclamées par le Nicaragua
dans la mer des Caraïbes
314
- 152 -
10.18. Ainsi qu’observé ci-dessus, le décret est simplement censé porter application des
décisions auxquelles est parvenue la Cour dans son arrêt de 2012, notamment la conclusion, est-il
précisé en son cinquième considérant, «que les îles adjacentes à la côte du Nicaragua dans la mer
des Caraïbes font partie intégrante de la côte qu’elles longent et contribuent à l’établissement des
lignes de base».
10.19. La Cour a en effet jugé aux paragraphes 145 et 201 de son arrêt de 2012 qu’une série
d’îles nicaraguayennes contribuaient au tracé des «lignes de base à partir desquelles [étaient]
mesurés les espaces maritimes auxquels p[ouvait] prétendre le Nicaragua». Nul n’en disconviendra
puisque : en tant qu’îles, 1) elles peuvent nécessairement entrer en considération aux fins du tracé
des lignes de base, qui 2) «contribuent» ipso facto aux lignes de bases du Nicaragua. Pour autant, la
Cour n’a ni affirmé ni laissé entendre que le Nicaragua était en droit, en traçant des lignes de base
entre ces îles, de reconfigurer la totalité de sa côte continentale.
10.20. Au paragraphe 201 de son arrêt de 2012, la Cour écrit ceci :
«Ce[rtaines] îles s’avançant plus à l’est que la masse continentale
nicaraguayenne, elles fourniront l’ensemble des points de base aux fins de construire
la ligne médiane provisoire. A cet effet, la Cour utilisera des points situés sur le récif
d’Edimbourg, la caye de Muerto, les cayes des Miskitos, la caye de Ned Thomas,
Roca Tyra, Mangle Chico et Mangle Grande.»469
10.21. Or, dans ce paragraphe, la Cour ne se prononce en rien sur la question de savoir s’il
serait opportun, pour le Nicaragua, de tracer une série de lignes de base droites. Elle fait
simplement observer qu’elle a, aux seules fins de la construction de la ligne médiane provisoire
entre le Nicaragua et la Colombie, pris en considération certaines îles en tant que points de base,
car elles s’avancent «plus à l’est que la masse continentale nicaraguayenne». Mais le fait qu’elle ait
situé ces points de base sur des îles nicaraguayennes n’apporte aucune indication quant à l’éventuel
tracé de lignes de base nicaraguayennes entre ces îles ; et l’on ne saurait davantage considérer que
l’arrêt autorise le tracé de lignes de base droites en toutes circonstances.
10.22. Dans une note diplomatique adressée au Secrétaire général des Nations Unies, la
Colombie a protesté contre le décret du Nicaragua, au motif que les lignes de base droites
revendiquées étaient totalement contraires au droit international. Elle a fait valoir que ces lignes de
base :
«ne se justifi[aient] pas par la présence d’une côte profondément échancrée et
découpée, ni l’existence d’un chapelet d’îles le long de celle-ci ; que leur tracé
s’écart[ait] de la direction générale de la côte ; et que les étendues de mer situées en
deçà n[’étaient] pas suffisamment liées au domaine terrestre pour être soumises au
régime des eaux intérieures»470.
A la date du dépôt du présent contre-mémoire, la protestation de la Colombie restait lettre
morte.
469 Arrêt 2012, p. 699, par. 201.
470 Annexe 25 : note diplomatique no S-GACIJ-13-044275 en date du 1er novembre 2013 adressée à la ministre
des affaires étrangères de la Colombie.
315
316
- 153 -
10.23. Dans le cadre de sa demande reconventionnelle, la Colombie affirme donc que les
lignes de base droites dont se prévaut le Nicaragua sont contraires au droit international coutumier
et lui causeraient un préjudice direct.
2. La nature coutumière des principes régissant le tracé
de lignes de base droites
10.24. Dans l’affaire des Pêcheries de 1951471, la Cour a admis pour la première fois la
possibilité de se fonder, pour déterminer la largeur de la mer territoriale d’un Etat côtier, non pas
sur la laisse de basse mer de sa côte continentale, mais sur la laisse de basse mer de la côte
pertinente des îles dont il est bordé (soit le «skjærgaard», en Norvège) et d’utiliser à cet effet les
lignes de base droites reliant des points appropriés situés sur ces îles472. Depuis lors, le principe
énoncé par la Cour  selon lequel il peut en effet être loisible à un Etat côtier de tracer des lignes
de base droites, mais uniquement en présence de certaines circonstances géographiques et dans le
respect de certaines règles  est devenu un principe constant dans la pratique et le droit
international. Dans l’affaire des Pêcheries, la Cour a dit qu’un Etat doté d’une côte, et en
particulier d’une côte bordée d’un chapelet d’îles, pouvait avoir recours à des lignes de base droites
uniquement à certaines conditions. En résumé, il est entendu i) que ces lignes doivent être
déterminées de telle sorte que leur tracé ne s’écarte pas de façon appréciable de la direction
générale des côtes ; ii) qu’elles doivent l’être de manière à ce que les étendues de mer situées en
deçà soient suffisamment liées au domaine terrestre pour être soumises au régime des eaux
intérieures ; et iii) que certains intérêts économiques propres à une région peuvent légitimement
être pris en considération lorsque leur réalité et leur importance se trouvent clairement attestées par
un long usage473.
10.25. La convention de 1958 sur la mer territoriale et la zone contiguë, rédigée quelques
années seulement après que la Cour, dans son arrêt relatif aux Pêcheries, eut exposé in extenso les
règles applicables en matière de lignes de base droites, se lit comme suit en son article 4 :
«1. Dans les régions où la ligne côtière présente de profondes échancrures et
indentations, ou s’il existe un chapelet d’îles le long de la côte, à proximité immédiate
de celle-ci, la méthode des lignes de base droites reliant des points appropriés peut être
adoptée pour le tracé de la ligne de base à partir de laquelle est mesurée la largeur de
la mer territoriale.
2. Le tracé de ces lignes de base ne doit pas s’écarter de façon appréciable de la
direction générale de la côte et les étendues de mer situées en deçà de ces lignes
doivent être suffisamment liées au domaine terrestre pour être soumises au régime des
eaux intérieures.»
Ainsi que l’ont relevé certains auteurs, «[c]ette disposition [l’article 4, par. 1 et 2] reprend
presque mot pour mot l’arrêt rendu en l’affaire des Pêcheries anglo-norvégiennes.»474
471 Pêcheries (Royaume-Uni c. Norvège), arrêt, C.I.J. Recueil 1951, p. 116.
472 Ibid., p. 131 et suiv.
473 Voir R. R. Churchill & A. V. Lowe, The Law of the Sea, 3e éd., Manchester University Press, 2010, p. 35.
Disponible à la bibliothèque du Palais de la Paix.
474 Ibid., p. 37.
317
318
- 154 -
10.26. Depuis 1958, les règles énoncées à l’article 4 de cette convention ont été
communément appliquées dans la pratique étatique et la jurisprudence internationale. Elles ont
ensuite été incluses dans la convention des Nations Unies sur le droit de la mer, dont l’article 7 est
inspiré de l’article 4 de la convention de 1958.
10.27. Les sources attestant que ces règles ont été érigées en pratique générale acceptée
comme étant le droit sont régulièrement mises en avant dans la doctrine :
«Le procédé [le tracé de lignes de base droites] est attesté par une pratique
étatique abondante, la décision de la CIJ en l’affaire des Pêcheries
anglo-norvégiennes, et la continuité assurée à ce régime par les dispositions
essentielles des conventions sur la zone contiguë et le droit de la mer.»475
Il est également admis, dans la doctrine, que
«la méthode des lignes de base droites a été reconnue dans cet arrêt ancien de la Cour
internationale [Pêcheries anglo-norvégiennes], et [que] son principe n’a jamais été
remis en cause depuis lors.
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Compte tenu de ces dispositions [article 4 de la convention sur la mer
territoriale de 1958 et article 7 de la convention de 1982 sur le droit de la mer], prises
conjointement, il semble incontestable que la règle régissant le recours à des lignes de
base droites est fermement établie  cette méthode peut être mise en oeuvre si les
conditions qui justifient un tel choix, à savoir l’existence d’une côte profondément
échancrée ou bordée d’un chapelet d’îles, sont remplies.»476
10.28. Le Nicaragua n’a jamais élevé de protestation contre cette règle coutumière ; au
contraire, il a signé et ratifié la convention de 1982 sans formuler la moindre réserve quant au
contenu de ses articles 5, 7 ou 16. Dans ses écritures en l’affaire du Différend territorial et
maritime, il a reconnu le caractère coutumier des règles régissant le tracé par un Etat côtier de
lignes de base. La Cour a ainsi pu observer, au paragraphe 114 de son arrêt de 2012, que les Parties
«conv[enaient] en outre que les dispositions pertinentes de la [convention des Nations Unies sur le
droit de la mer] relatives aux lignes de base d’un Etat côtier … refl[étaient] le droit international
coutumier».
10.29. Le Nicaragua est donc tenu de se conformer aux règles internationales de droit
coutumier régissant le tracé de lignes de base, y compris les lignes de base droites.
475 D. R. Rothwell & T. Stephens, The International Law of the Sea, Hart Publishing, Oxford/Portland, 2010,
Section 2 «Coastal Waters», p. 43 et suiv. Disponible à la bibliothèque du Palais de la Paix.
476 R. Bernhardt, «Custom and treaty in the law of the sea», Collected courses of the Hague Academy of
International Law, vol. 205, Brill/Nijhoff, Leyde/Boston, 1987, p. 287-288. Disponible à la bibliothèque du Palais de la
Paix.
319
320
- 155 -
3. Les lignes de base du Nicaragua ont été tracées en violation des principes
du droit international coutumier
10.30. Les principes de droit coutumier régissant la méthode des lignes de base droites, et
son application en présence d’une configuration côtière donnée, trouvent leur expression à
l’article 7 de la CNUDM. Ils peuvent se résumer comme suit :
 L’utilisation de lignes de base droites est une dérogation au principe général énoncé à
l’article 5, selon lequel la «ligne de base normale» à partir de laquelle est mesurée la largeur de
la mer territoriale est la «laisse de basse mer le long de la côte». La Cour a ainsi souligné que
«la méthode des lignes de base droites, qui déroge aux règles normales de détermination des
lignes de base, ne peut être appliquée que si plusieurs conditions sont remplies. Cette méthode
doit être appliquée de façon restrictive»477.
Les conditions permettant de faire jouer cette dérogation sont précisées au premier paragraphe
de l’article 7:
«Là où la côte est profondément échancrée et découpée, ou s’il existe un
chapelet d’îles le long de la côte, à proximité immédiate de celle-ci, la méthode des
lignes de base droites reliant des points appropriés peut être employée pour tracer la
ligne de base à partir de laquelle est mesurée la largeur de la mer territoriale.»
 Le tracé des lignes de base droites, lorsqu’il est applicable, doit respecter «la direction générale
de la côte», et les étendues de mer qui seront situées en deçà de ces lignes devront être
«suffisamment liées au domaine terrestre pour être soumises au régime des eaux intérieures».
10.31. Ces deux principes directeurs cumulatifs, tels qu’exprimés aux paragraphes 1 et 3 de
l’article 7, lus conjointement avec l’article 5 de la CNUDM, indiquent a) quelles sont les deux
circonstances géographiques permettant d’utiliser des lignes de base droites, et b) comment, le cas
échéant, ces lignes de base peuvent être tracées.
10.32. Ainsi que le montrera la Colombie, la situation géographique du Nicaragua ne
l’autorise pas à recourir au tracé de lignes de base droites (sous-section a)), et les lignes de base
revendiquées par le Nicaragua ne satisfont pas aux critères applicables en droit (sous-section b)).
a) Les circonstances géographiques autorisant le recours aux lignes de base droites ne sont
pas présentes
10.33. Dans le commentaire de la convention sur le droit de la mer de 1982 publié sous les
auspices de l’université de Virginie, la section consacrée à l’article 7 expose en ces termes les
circonstances dans lesquelles il est possible de recourir à des lignes de base droites :
«7.9. b) Le paragraphe 1 énonce deux circonstances géographiques précises
autorisant le recours à la méthode des lignes de base droites aux fins de déterminer des
lignes de base. L’une est la présence d’une côte profondément «échancrée et
découpée» ; l’autre, l’«existe[nce d’]un chapelet d’îles le long de la côte, à proximité
immédiate de celle-ci». La première expression reprend, à l’identique [dans sa version
anglaise], la formule utilisée dans l’arrêt rendu par la Cour internationale de Justice en
l’affaire des Pêcheries pour désigner une côte présentant la configuration de celle du
477 Délimitation maritime et questions territoriales entre Qatar et Bahreïn (Qatar c. Bahreïn), fond, arrêt,
C.I.J. Recueil 2001, p. 103, par. 212.
321
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- 156 -
Finnmark oriental en Norvège. La seconde, également reprise de ce même arrêt,
quoique sous une forme légèrement modifiée, renvoie au cas d’îles nombreuses et de
tailles variées s’étalant près du littoral de manière à former un chapelet continu le long
de celui-ci.»478
10.34. Le préambule du décret no 33-2013 indique que, dans le cas du Nicaragua, ces
circonstances géographiques sont toutes deux présentes. Aux termes de son quatrième considérant,
la côte nicaraguayenne présenterait en effet «une configuration particulière en raison de la présence
de multiples îles côtières étroitement liées par leur histoire et leur économie au territoire continental
ainsi que de profondes ouvertures et échancrures».
10.35. C’est à l’évidence faux. En réalité, le Nicaragua semble faire reposer sa demande sur
le second de ces critères : sa côte serait ainsi bordée d’un «chapelet d’îles», lequel se trouverait «à
proximité immédiate» de celle-ci. Or la Cour, dans son arrêt de 2012, a certes noté que les îles du
Nicaragua étaient «adjacentes» à sa côte (aux paragraphes 159, 168 et 201) mais de là à constituer
un «chapelet d’îles le long de [s]a côte», et «à proximité immédiate de celle-ci», il y a loin. Pour
tracer les lignes de base droites, la présence d’îles adjacentes ne suffit pas ; il doit y avoir un
«chapelet d’îles le long de la côte», à «proximité immédiate» de celle-ci. Ni l’une ni l’autre de ces
conditions n’est ici remplie.
10.36. Ainsi qu’observé dans les commentaires publiés sous les auspices de l’université de
Virginie,
«l’expression «fringing islands» (îles frangeantes ou formant chapelet)… renvoie au
cas d’îles nombreuses et de tailles variées s’étalant près du littoral de manière à former
un chapelet continu le long de celui-ci». Quelques îles isolées ne suffisent pas à
constituer un véritable chapelet. Cette notion couvre généralement : i) les groupes
constitués d’îles semblant former un tout avec le territoire principal [QB] ; ou ii) les
formations d’îles-barrières situées à quelque distance de la côte, et masquant une
grande partie du littoral depuis la mer [DOALOS].»479
10.37. La première condition devant être remplie pour qu’il puisse être recouru aux lignes de
base droites est celle de l’existence d’un «groupe» d’îles. Il est exclu, en d’autres termes, que
celles-ci soient «assez peu nombreuses» [relatively small in number]. La Cour l’a dit expressément
dans l’affaire Qatar c. Barheïn. En réponse à Barheïn, qui s’estimait fondé, au regard du droit
international coutumier, à tracer des lignes de base droites entre les îles les plus éloignées de l’île
principale, la Cour a souligné que «[c]e serait aller trop loin que de … qualifier [les formations
maritimes situées à l’est de ses îles principales] de chapelet d’îles le long de la côte[, l]es îles dont
il s’agit [étant] assez peu nombreuses».480
10.38. Un «chapelet d’îles» est donc nécessairement un groupe d’îles ne pouvant être ainsi
qualifiées. Or, les «îles» du «groupe» qui s’étend au large des côtes nicaraguayennes sont assez peu
nombreuses, a fortiori si l’on en rapporte le nombre et la taille à la longueur de la côte continentale.
A l’exception de Cayo Mayor, dans les cayes des Miskitos, et des deux îles du Maïs, toutes les
formations sont des cayes de très petite taille. Si le Nicaragua n’a jamais décrit en détail les
478 Virginia Commentary, p. 100. Disponible à la bibliothèque du Palais de la Paix.
479 Ibid.
480 Délimitation maritime et questions territoriales entre Qatar et Bahreïn (Qatar c. Bahreïn), fond, arrêt,
C.I.J. Recueil 2001, p. 103, par. 214.
323
324
- 157 -
formations maritimes censées constituer son «chapelet d’îles», il n’a pu trouver que sept points
géographiques sur de minuscules formations destinées à servir de points de base, alors que sa côte
continentale est longue de quelque 453 kilomètres481. En comparaison, le «chapelet d’îles» dont se
prévalait Barheïn regroupait un ensemble plus nombreux et plus important en taille (la seule
longueur de l’île Hawar représente environ 30 % de celle de la côte orientale de l’île principale de
Barheïn). Or, la Cour n’en a pas moins considéré ces îles comme assez peu nombreuses482.
10.39. Quand bien même leur nombre serait suffisant, les îles d’un groupe ne seraient
réputées constituer un chapelet qu’à la condition de former un tout avec le territoire principal. Or,
ce n’est pas le cas en ce qui concerne les îles du Nicaragua, dont la plupart sont situées à des
distances considérables de la côte. Les trois principales formations — les cayes des Miskitos et les
îles du Maïs — se trouvent, respectivement, à 22 et 30 milles marins de la côte continentale la plus
proche483, soit plus de deux fois la largeur de ce qui constituerait normalement la mer territoriale.
10.40. A défaut d’être lié à la terre ferme au point de paraître en constituer le
prolongement — comme c’est le cas de la plus grande partie du skjærgaard, en Norvège484 —, un
groupe d’îles peut être considéré comme un chapelet d’îles si, dans la seconde hypothèse, il
«masque la côte»485. Ce critère a été confirmé dans la sentence Erythrée/Yémen, le Tribunal
arbitral ayant estimé que
«[l]’îlot relativement important de Tiqfash et les îles plus petites de Kutama et Uqban,
plus à l’ouest, paraissent tous appartenir à un système complexe d’îles, d’îlots et de
récifs qui gardent cette partie de la côte. De fait, il s’agit là, aux yeux du Tribunal,
d’un «système frangeant» du type envisagé à l’article 7 de la Convention»486.
10.41. Les îles adjacentes à la côte continentale du Nicaragua, quant à elles, ne masquent
pas, ou que très peu, la côte en question. Il en irait d’ailleurs ainsi quand bien même l’on prendrait
en compte non pas seulement les sept formations géographiques sur lesquelles le Nicaragua situe
ses points de base, mais l’ensemble des «minuscules» masses terrestres sises à l’est de sa côte
continentale. La projection de ces îles et formations par rapport à la direction générale de la côte
continentale du Nicaragua révèle qu’elles ne masquent pas plus de 5 à 6 % du littoral, ainsi que le
montre la figure 10.2.
481 Arrêt de 2012, p. 675, par. 144-145.
482 Délimitation maritime et questions territoriales entre Qatar et Bahreïn (Qatar c. Bahreïn), fond, arrêt,
C.I.J. Recueil 2001, p. 103, par. 214.
483 Voir fig. 10.3.
484 Affaire des Pêcheries (Royaume-Uni c. Norvège), arrêt, C.I.J. Recueil 1951, p. 116.
485 Nations Unies, bureau des affaires maritimes et du droit de la mer, Lignes de base  examen des dispositions
relatives aux lignes de base dans la convention des Nations Unies sur le droit de la mer, 1989, p. 23. Disponible à la
bibliothèque du Palais de la Paix.
486 Sentence du Tribunal arbitral rendue au terme de la seconde étape de la procédure entre l’Erythrée et la
République du Yémen (délimitation maritime), décision du 17 décembre 1999, traduction de la Cour permanente
d’arbitrage, par. 151.
325
326
- 158 -
Figure 10.2. Projection des îles et formations du Nicaragua sur la ligne figurant
la direction générale de sa côte continentale
327
- 159 -
10.42. L’on pourrait considérer que certaines des îles ou cayes situées près de la côte
principale du Nicaragua se trouvent «à proximité immédiate» de celle-ci. Mais le Nicaragua n’en
serait pas pour autant fondé à tracer des lignes de base droites tout le long de sa côte.
Premièrement, pour que la méthode des lignes de base droites trouve à s’appliquer, ce n’est pas
simplement un petit nombre d’îles appartenant à un groupe plus large, mais la totalité du «chapelet
d’îles» qui doit entretenir avec la côte un tel rapport de proximité immédiate. Deuxièmement,
aucune des îles sur lesquelles le Nicaragua entend fixer ses points de base ne peut être considérée
comme située à «proximité immédiate» de la côte, ainsi qu’il ressort du tableau ci-dessous et de la
figure 10.3 :
Points de base géographiques du Nicaragua Point correspondant le plus proche sur la
côte continentale
Point Coordonnées Distance Coordonnées Réf.
Caye d’Edimbourg 82° 40' O-14° 49' N 27.9 MM 83° 07' O-14° 59' N L2
Cayes des Miskitos 82° 48' O-14° 21' N 22.4 MM 83° 11' O-14° 19' N L3
Caye de Ned Thomas 82° 48' O-14° 08' N 25.2 MM 83° 11' O-14° 19' N L4
Caye de Man of War 83° 20' O-13° 03' N 11.6 MM 83° 32' O-13° 01' N L5
Caye de Great Tyra 83° 17' O-12° 56' N 12.7 MM 83° 30' O-12° 54' N L6
Petite île du Maïs 82° 59' O-12° 17' N 30.0 MM 83° 29' O-12° 23' N L7
Grande île du Maïs 82° 59' O-12° 17' N 28.4 MM 83° 29' O-12° 23' N L8
328
- 160 -
Figure 10.3. Distance entre les formations utilisées pour tracer les lignes
de bases droites et la côte continentale
329
- 161 -
10.43. Au vu de sa situation géographique, le Nicaragua n’est donc pas fondé à recourir à des
lignes de base droites, et, en tout état de cause, il ne lui serait pas loisible de recourir à celles dont il
est fait état dans son décret no 33-2013.
b) Les lignes de base dont se prévaut le Nicaragua ne remplissent pas les conditions requises
i) Les lignes de base droites dont se prévaut le Nicaragua s’écartent de la direction
générale de la côte
10.44. Comme indiqué au paragraphe 3 de l’article 7 de la CNUDM, lorsqu’un Etat est
autorisé à tracer des lignes de base droites, ces lignes doivent suivre «la direction générale de la
côte». De toute évidence, cette exigence se distingue de celle énoncée dans la définition des îles
frangeantes selon laquelle ces îles doivent être situées «le long de la côte, à proximité immédiate de
celle-ci». Ainsi que la Cour l’a relevé dans l’arrêt qu’elle a rendu en l’affaire des Pêcheries,
l’objectif général des règles relatives aux lignes de base droites, notamment l’exigence selon
laquelle les lignes de base doivent suivre «la direction générale de la côte», est de refléter le
principe général «que la ceinture des eaux territoriales doit suivre la ligne de la côte»487. De plus,
«l’esprit de l’article 7», tel qu’explicité par le bureau des affaires maritimes et du droit de la mer,
n’est pas d’«agrandir indûment la mer territoriale»488.
10.45. Le Nicaragua, pour sa part, ne saurait relier des îles très éloignées par des lignes de
base droites au simple motif que le tracé général de ces lignes a plus ou moins la même forme que
la côte continentale. Pour suivre «la direction générale de la côte», les lignes de base droites ne
peuvent aller que jusqu’aux îles les plus éloignées et aux îles frangeantes des hauts-fonds
découvrants dans les «régions»489 où ces îles masquent réellement la côte continentale490, et
seulement dans ces régions. Pour le reste de la côte, c’est la ligne de base «normale» qu’il convient
de suivre491.
ii) Les espaces maritimes situés en deçà des lignes de base droites ne sont pas
étroitement liés au domaine terrestre
10.46. La Cour a également insisté sur le fait que, s’agissant du tracé des lignes de base
droites, une autre
«considération fondamentale, particulièrement importante …, est celle du rapport plus
ou moins intime qui existe entre certaines étendues de mer et les formations terrestres
qui les séparent ou qui les entourent. La vraie question que pose le choix du tracé des
lignes de base est, en effet, de savoir si certaines étendues de mer situées en deçà de
487 Pêcheries (Royaume–Uni c. Norvège), arrêt, C.I.J. Recueil 1951, p. 129.
488 Nations Unies, bureau des affaires maritimes et du droit de la mer, Lignes de base  Examen des dispositions
relatives aux lignes de base dans la convention des Nations Unies sur le droit de la mer, 1989, par. 39. Disponible à la
bibliothèque du Palais de la Paix.
489 Convention sur la mer territoriale et la zone contiguë, 1958, section II, article 4 ; CNUDM, sect. 2, art. 7.
490 Il convient de rappeler que, dans les versions préparatoires de ce qui est devenu la convention sur la mer
territoriale de 1958, la Commission du droit international avait inséré une règle supplémentaire pour limiter la longueur
des lignes de base droites à 10 milles marins (voir «Régime de la mer territoriale», art. 5 2), Annuaire de la Commission
du droit international, documents de la sixième session y compris le rapport de la Commission à l’Assemblée générale,
1954, vol. II. Disponible à la bibliothèque du Palais de la Paix.
491 Convention sur la mer territoriale et la zone contiguë, 1958, sect. II, art. 3 ; CNUDM, sect. 2, art. 5.
330
331
332
- 162 -
ces lignes sont suffisamment liées au domaine terrestre pour être soumises au régime
des eaux intérieures.»492
10.47. En outre, ainsi que le bureau des affaires maritimes et du droit de la mer l’a précisé,
«[l’]esprit [de cette règle] est clair : les eaux intérieures doivent être dans une
proximité relativement étroite de la terre représentée par des îles ou promontoires.
Dans une déclaration à la commission du droit international, la Suède a estimé que le
critère selon lequel les eaux doivent être suffisamment liées au domaine terrestre
signifie que «… l’étendue des eaux en question est si entourée de terres, les îles le
long de la côte comprises elles aussi, qu’il semble naturel de l’assimiler au domaine
terrestre»»493.
10.48. Pour déterminer si le décret du Nicaragua satisfait à cette exigence, il convient de
garder à l’esprit que : a) la longueur des lignes de base droites tracées par le Nicaragua varie de
7 milles marins (entre le point 5 sur la caye de Man of War et le point 6 sur la caye East of Great
Tyra) à 83 milles marins (entre le point 8 sur la Grande île du Maïs et le point 9 à Harbor Head) ;
b) la distance entre l’île la plus éloignée et la partie de la côte continentale la plus proche atteint
presque 30 milles marins ; et c) la superficie de la zone comprise entre ces lignes de base et la côte
continentale du Nicaragua est estimée à environ 21 500 kilomètres carrés, soit la moitié de la
superficie des Pays-Bas. Ces chiffres-clés sont illustrés à la figure 10.4.
10.49. En conséquence, le décret relatif aux lignes de base droites du Nicaragua vaut
revendication d’une grande partie du sud-ouest de la mer des Caraïbes comme eaux intérieures
(voir la zone coloriée en bleu sur la figure 10.4). Or l’essentiel de cette zone ne relève même pas de
ce qui devrait être considéré comme la mer territoriale du Nicaragua, mesurée à partir des lignes de
base normales.
492 Pêcheries (Royaume–Uni c. Norvège), arrêt, C.I.J. Recueil 1951, p. 133.
493 Nations Unies, bureau des affaires maritimes et du droit de la mer, Lignes de base  Examen des dispositions
relatives aux lignes de base dans la convention des Nations Unies sur le droit de la mer, 1989, par. 57. Disponible à la
bibliothèque du Palais de la Paix.
333
- 163 -
Figure 10.4. Principaux chiffres concernant les lignes de base droites revendiquées
par le Nicaragua
334
- 164 -
10.50. Il n’existe aucune raison, ni géographique ni juridique, de considérer les espaces
maritimes situés entre les lignes de base droites revendiquées par le Nicaragua et sa côte
continentale comme des eaux intérieures. Ces espaces occupent une surface étendue, égale à celle
de la mer du Cattégat entre la Suède et le Danemark. Ces zones ne sont pas coupées de l’espace
maritime échappant à la souveraineté du Nicaragua, puisque les îles adjacentes de ce dernier sont
loin d’être assez proches pour pouvoir constituer un réseau de mers territoriales imbriquées les unes
dans les autres494. Bien au contraire, la grande majorité de ces espaces communiquent directement
et ouvertement avec des mers ne relevant pas de la souveraineté nicaraguayenne. Par conséquent,
aucune raison objective ne justifie de soumettre les vastes espaces maritimes situés en deçà des
lignes de base droites du Nicaragua au régime des eaux intérieures, le résultat étant que chaque
espace maritime du Nicaragua (mer territoriale, zone contiguë, ZEE et plateau continental) se
prolonge artificiellement en mer.
10.51. Compte tenu de ce qui précède, il est clair que le Nicaragua, par son
décret no 33-2013, a revendiqué dans la mer des Caraïbes une ligne de base extravagante qui non
seulement est contraire au droit international mais porte aussi préjudice aux droits d’autres Etats,
notamment la Colombie.
D. LES LIGNES DE BASE REVENDIQUÉES PAR LE NICARAGUA DANS LA MER
DES CARAÏBES EMPORTENT ATTEINTE AUX DROITS DE LA COLOMBIE
10.52. La décision illicite prise par le Nicaragua d’établir un système de lignes de base
droites pour déterminer la limite à partir de laquelle doit être mesurée la largeur de ses espaces
maritimes a directement porté atteinte aux droits de la Colombie dans la mer des Caraïbes, en tant
que :
 l’extension vers l’est des eaux intérieures du Nicaragua emporte un déni du droit de passage
inoffensif et de la liberté de navigation dans de vastes étendues de mer (sous-section 1)) ;
 l’extension de la mer territoriale du Nicaragua a entraîné une restriction indue des droits de
navigation de la Colombie (sous-section 2)) ;
 l’extension de la zone économique exclusive du Nicaragua a produit un chevauchement
artificiel avec les espaces auxquels la Colombie peut prétendre au titre de son droit à un plateau
continental et à une zone économique exclusive (sous-section 3)).
1. En s’appropriant certaines étendues d’eau en deçà de ses lignes de base droites,
le Nicaragua viole les droits de la Colombie
10.53. Ainsi qu’il a été expliqué, le Nicaragua, par le jeu des lignes de base qu’il revendique,
entend faire d’une vaste zone maritime s’étendant à l’est de sa côte continentale, sur une largeur
pouvant atteindre 30 milles marins, ses eaux intérieures. Les eaux intérieures étant considérées
comme un prolongement de la masse continentale, cela revient pour lui à jouir sur cette zone d’une
pleine souveraineté, ne souffrant aucune dérogation ; cela revient, en outre, à dénier tout droit de
passage inoffensif aux navires battant pavillon d’un autre Etat, quel qu’il soit, puisque le droit
494 Voir fig. 10.5.
335
337
336
- 165 -
international coutumier ne prévoit pas clairement l’existence d’un tel droit dans les eaux
intérieures495.
10.54. En conséquence, tout navire étranger qui franchirait, fût-ce involontairement, les
lignes de base droites fixées par le Nicaragua se trouverait aussitôt placé sous la juridiction
souveraine de celui-ci, avec des conséquences qui pourraient être extrêmes :
«En entrant dans des ports étrangers et autres eaux intérieures, les navires se
placent sous la juridiction territoriale de l’Etat côtier. Celui-ci, en conséquence, est
fondé à appliquer ses lois à l’encontre du navire et de ses occupants, sous réserve des
règles normales relatives à la souveraineté et aux immunités diplomatiques, qui
concernent essentiellement les navires de guerre.»496
10.55. Il convient de souligner que, en conséquence de la promulgation de son
décret no 33-2013, le Nicaragua peut non seulement dénier tout droit de passage à la Colombie dans
ce qui deviendrait ses eaux intérieures, mais également empêcher tout accès à celles-ci par voie
maritime. Ce régime ne pourrait être plus éloigné de celui qui trouverait à s’appliquer si les lignes
de base retenues par le Nicaragua étaient des lignes de base normales, telles que prévues par le
droit international. Dans ce dernier cas de figure, les eaux intérieures ne s’étendraient pas sur une
distance aussi considérable. La Colombie jouirait du droit de libre passage dans ce qui était
effectivement la mer territoriale du Nicaragua et de la liberté de navigation et de survol dans ce qui
devrait être sa ZEE.
10.56. En tant qu’il a pour conséquence de lui en dénier la jouissance, le décret du Nicaragua
fixant des lignes de base droites porte directement atteinte aux droits de la Colombie.
2. L’extension de sa mer territoriale à l’est de la limite permise par le droit international,
dont se prévaut le Nicaragua, emporte violation des droits de la Colombie
10.57. De même, les lignes de base droites que prétend utiliser le Nicaragua auraient pour
effet de repousser la limite extérieure de sa mer territoriale bien au-delà, à l’est, de la limite des
12 milles qui serait appliquée si les lignes de base étaient tracées comme il se doit.
10.58. Les implications en seraient importantes, et fâcheuses, pour tous les Etats, dont la
Colombie. Le Nicaragua peut en effet exercer sa souveraineté dans sa mer territoriale, y compris en
exerçant des pouvoirs de police à l’égard des navires qui s’y trouvent ou de leurs occupants, en
promulguant des lois et règlements portant sur les questions les plus diverses et en les appliquant à
l’encontre de toute personne présente dans ses eaux territoriales ou dans l’espace aérien surjacent.
Seule restriction, il ne lui est pas loisible, dans sa mer territoriale, de refuser aux navires le droit de
passage inoffensif ; cependant, il n’existe pas de droit de survol correspondant.
495 Tant la convention de 1958 sur la mer territoriale et la zone contiguë que la CNUDM (à laquelle la Colombie
n’est pas partie) contiennent des dispositions établissant un droit de passage inoffensif dans les eaux qui, par l’effet du
tracé de lignes de base droites, se trouvent incluses dans les eaux intérieures. Mais, ainsi que mentionné dans la doctrine,
«[i]l s’agit là, à tout le moins, de la situation telle qu’elle découle des conventions ; celle qui se présente lorsque de telles
lignes sont tracées dans l’exercice de droits prévus par le droit coutumier est moins claire, la Cour n’ayant, en l’affaire
des Pêcheries anglo-norvégiennes, fait aucune référence au maintien, dans de telles circonstances, de droits de passage
inoffensif», R. R. Churchill & A. V. Lowe, op. cit., p. 61. Disponible à la bibliothèque du Palais de la Paix.
496 Ibid.
338
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- 166 -
10.59. En traçant des lignes de base droites situées en moyenne à 25 milles marins de la côte
continentale, le Nicaragua a repoussé d’autant la limite extérieure de sa mer territoriale, ainsi qu’il
ressort de la figure 10.5 ci-dessous. Ce faisant, il empêche directement la Colombie d’exercer les
droits qui sont les siens dans une zone maritime qui, au regard du droit international, ne peut être
que la ZEE du Nicaragua. Ainsi qu’il a été relevé dans la doctrine,
«[s]i la portée de la souveraineté d’un Etat côtier dans sa mer territoriale n’a pas été
clairement énoncée, l’analyse du droit international coutumier, de la pratique étatique,
et d’autres dispositions pertinentes de la convention permet de s’en faire une idée. Il
est clair que l’Etat côtier a souveraineté sur l’ensemble des ressources qui se trouvent
dans sa mer territoriale et que, si le régime de la ZEE ou du plateau continental
ménage la possibilité, pour les Etats tiers, de jouir de droits d’accès, voire celle d’un
partage équitable des ressources, il n’en va pas de même dans le cas de la mer
territoriale, si ce n’est en présence d’arrangements conclus, peut-être, avant la
convention sur le droit de la mer ou pouvant s’expliquer par des raisons
historiques.»497
10.60. Les droits que la Colombie se trouve empêchée d’exercer par l’effet de l’extension de
la mer territoriale du Nicaragua sont, entre autres, le droit à l’exercice, par des aéronefs, y compris
militaires, de la liberté de navigation et de survol, et celui relatif à la pose de câbles et d’oléoducs.
Tous ces droits revêtent un caractère coutumier.
497 D. Rothwell & T. Stephens, op. cit., p. 69. Disponible à la bibliothèque du Palais de la Paix.
- 167 -
Figure 10.5. Mer territoriale du Nicaragua telle que générée par les lignes de base droites
fixées dans le décret no 33-2013
Légende :
Nicaragua’s territorial sea from straight baseline claim : mer territoriale du Nicaragua telle que générée par
les lignes de base droites proclamées
Nicaragua’s internal waters from straight baseline claim : eaux intérieures du Nicaragua telles que générées
par les lignes de base droites proclamées
Nicaragua’s territorial sea from normal baseline : mer territoriale du Nicaragua telle que générée par des
lignes de base normales
340
- 168 -
3. Violation du droit de la Colombie à une zone économique
exclusive de 200 milles marins
10.61. En vertu du droit international coutumier, un Etat côtier est fondé à exercer certains
droits souverains dans la zone se trouvant en deçà de 200 milles marins «des lignes de base à partir
desquelles est mesurée la largeur de la mer territoriale»498. Il a également droit, sur cette même
distance, à un plateau continental.
10.62. La Cour a appliqué ce principe dans son arrêt de 2012, lorsqu’elle a décidé que la
délimitation de la frontière maritime entre le Nicaragua et la Colombie dans le sud-ouest des
Caraïbes ne devait pas se prolonger au-delà de la limite  identifiée par elle au moyen des points
terminaux A et B  des « 200 milles marins des lignes de base à partir desquelles est mesurée la
largeur de la mer territoriale du Nicaragua»499. Mais, ainsi qu’il a déjà été indiqué, la Cour s’est
empressée d’ajouter que, «le Nicaragua n’ayant pas encore notifié les lignes de base à partir
desquelles sera[it] mesurée sa mer territoriale, la position du point terminal A ne p[ouvait] être
déterminée avec précision»500.
10.63. De par ses répercussions sur les espaces maritimes qui se succèdent à partir de la côte,
le décret no 33-2013 a pour effet de repousser plus à l’est la ZEE et le plateau continental du
Nicaragua dans des zones à l’égard desquelles la Colombie peut se prévaloir de droits. En traçant
des lignes de base droites à partir des îles les plus éloignées de la côte et de formations situées à
l’[est] de celles-ci, le Nicaragua étend de manière illicite ses droits dans des zones qui se trouvent
situées à plus de 200 milles marins des lignes de base qu’il serait fondé à revendiquer.
10.64. A ce titre également, la promulgation, par le Nicaragua, du décret fixant des lignes de
base droites emporte violation des droits légitimes de la Colombie, et la demande reconventionnelle
de la Colombie s’en trouve donc justifiée.
E. CONCLUSION
10.65. Pour les raisons exposées ci-dessus, la Colombie soutient que le décret
présidentiel no 33-2013 en date du 19 août 2013 emporte violation du droit international ainsi que
des espaces maritimes et des droits souverains de la Colombie, et que, partant, il doit être revisé
afin d’en assurer la conformité aux règles du droit international régissant le tracé des lignes de base
à partir desquelles est mesurée la largeur de la mer territoriale.
498 CNUDM, art. 57.
499 Arrêt de 2012, par. 237.
500 Ibid.
341
342
- 169 -
CHAPITRE 11
RÉSUMÉ
11.1. Le différend porté devant la Cour a trait non seulement au comportement de la
Colombie dans les parties du sud-ouest de la mer des Caraïbes qui font l’objet des demandes du
Nicaragua, mais aussi au comportement de celui-ci dans les mêmes zones maritimes et au cours de
la même période.
11.2. Le comportement des deux Parties doit être apprécié à la lumière des spécificités du
sud-ouest de la mer des Caraïbes, ainsi que des principes et règles applicables du droit international
coutumier.
11.3. Ces circonstances spéciales sont notamment les suivantes :
 le sud-ouest de la mer des Caraïbes est une mer semi-fermée dans laquelle est situé l’archipel
de San Andrés. Les îles dont celui-ci se compose, qui relèvent de la souveraineté de la
Colombie, forment une unité politique, sociale, environnementale et économique ;
 les habitants de l’archipel, y compris la communauté raizale, sont tributaires de la pêche
artisanale dans leurs bancs traditionnels, de l’écotourisme et de l’environnement marin, qui
constituent une partie essentielle de leur habitat, de leur mode de subsistance et de leur culture ;
 le sud-ouest de la mer des Caraïbes est une zone maritime fragile d’un point de vue écologique
qui se caractérise par un écosystème interconnecté et interdépendant. Il est très vulnérable aux
activités de pêche déprédatrices, à l’épuisement des ressources biologiques, à la pollution et à
d’autres pratiques destructrices. La Colombie a pris les devants pour protéger et préserver
l’environnement marin de cette région, notamment en établissant la réserve de biosphère
Seaflower ainsi que l’aire marine protégée du même nom, et en concluant divers accords
bilatéraux et multilatéraux à ces fins ;
 cette partie de la mer des Caraïbes suscite également de graves préoccupations en matière de
sécurité, dans la mesure où elle constitue une voie importante pour le trafic de stupéfiants et
autres agissements relevant de la criminalité transnationale. La Colombie a fait preuve d’une
diligence particulière à cet égard, concluant avec les Etats intéressés toute une série d’accords
visant à faire face comme il se doit à ces menaces.
11.4. Les deux Parties ont des droits et des obligations au titre du droit international, et c’est
sur cette base qu’il convient d’examiner leur comportement respectif.
11.5. S’il possède des droits souverains d’exploration et d’exploitation des ressources
naturelles situées dans sa zone économique exclusive, le Nicaragua a également des obligations que
lui impose le droit international et dont il fait abstraction dans ses exposés. Il est ainsi tenu de
protéger et de préserver l’environnement marin, d’exercer la diligence requise à l’égard de ses
nationaux et des navires détenteurs de permis nicaraguayens qui opèrent dans la zone maritime, et
de respecter le droit des habitants de l’archipel de vivre dans un environnement sain, viable et
durable, ainsi que leurs droits de pêche traditionnels. Au surplus, le Nicaragua doit tenir dûment
compte des droits de la Colombie dans l’exercice de ses droits souverains.
343
344
345
- 170 -
11.6. La Colombie possède, elle aussi, d’importants droits et obligations dans le sud-ouest de
la mer des Caraïbes, y compris dans certains espaces situés dans des zones maritimes attribuées au
Nicaragua en application de l’arrêt rendu par la Cour en 2012. En plus de jouir de la liberté de
navigation et de survol, elle a entre autres le droit de surveiller à un certain nombre de fins les
activités menées dans la région, l’obligation de protéger et de préserver l’environnement marin et
l’habitat de la communauté de l’archipel, ainsi que celle d’exercer la diligence requise à cet égard,
et le droit de s’assurer que les droits des pêcheurs artisanaux de l’archipel, dont les Raizals, sont
sauvegardés et respectés.
11.7. La Colombie a montré qu’elle n’avait pas violé les droits souverains ni les espaces
maritimes du Nicaragua. Conformément à la liberté de navigation et de survol dont elle jouit, elle
est fondée à être présente dans la zone économique exclusive nicaraguayenne et à s’acquitter des
obligations que lui impose le droit international, en tenant dûment compte des droits du Nicaragua
et d’autres Etats.
11.8. L’affirmation du Nicaragua selon laquelle la Colombie a violé ses droits souverains en
harcelant ses bateaux de pêche n’est pas factuellement étayée. En effet, nombre des «faits»
invoqués par cet Etat reposent sur des informations erronées, tandis que d’autres sont postérieurs à
la date critique (celle à laquelle la Colombie a cessé d’être liée par le pacte de Bogotá). Par ailleurs,
l’argumentation du Nicaragua est incompatible avec les déclarations qu’il a faites et le
comportement qu’il a adopté à l’époque en cause, qui confirment qu’il n’y a pas eu d’«incidents»
susceptibles de donner lieu à une plainte au moment où ils se seraient produits et que les faits
pertinents n’ont été portés à la connaissance des dirigeants politiques du Nicaragua que bien après
l’introduction de la présente instance devant la Cour par son agent. En outre, il n’a pas été
démontré que la Colombie ait jamais empêché le Nicaragua de jouir de ses droits souverains dans
sa zone économique exclusive.
11.9. L’argument selon lequel la Colombie aurait violé les espaces maritimes nicaraguayens
en promulguant un décret qui a porté création d’une zone contiguë unique entourant les îles de
l’archipel est tout aussi bancal. Outre qu’il n’existe aucune incompatibilité entre l’établissement
d’une zone contiguë par un Etat et l’exercice, par un Etat voisin, de ses droits souverains dans sa
zone économique exclusive, la Colombie a établi que ni la configuration de sa zone contiguë
unique ni la juridiction qu’elle y exerce n’emportent violation du droit international coutumier. Qui
plus est, le Nicaragua n’est pas en mesure de montrer que la Colombie l’aurait, de quelque façon
que ce soit, empêché d’exercer ses droits souverains dans sa zone économique exclusive par la
promulgation d’un décret portant création d’une zone contiguë unique.
11.10. Il s’ensuit qu’aucun des remèdes sollicités par le Nicaragua dans son mémoire n’est
justifié. En résumé, sur la base des faits et du droit, la Colombie n’a pas violé les droits souverains
ni les espaces maritimes nicaraguayens.
11.11. En revanche, le Nicaragua a manqué à plusieurs obligations internationales qui lui
incombent, causant ainsi un grave préjudice à la Colombie. En application de l’article 80 du
Règlement de la Cour, celle-ci présente par conséquent quatre demandes reconventionnelles à son
encontre. Ainsi qu’elle l’a démontré, le pacte de Bogotá confère compétence à la Cour pour statuer
sur ces demandes reconventionnelles qui, compte tenu de leur connexité directe avec l’objet des
demandes principales du Nicaragua, sont toutes recevables.
346
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- 171 -
11.12. Les deux premières demandes reconventionnelles de la Colombie sont étroitement
liées. La première est fondée sur le manquement, par le Nicaragua, à ses obligations de protéger et
de préserver l’environnement marin et d’exercer la diligence requise à cet égard. La Colombie a
consigné de nombreux cas dans lesquels des bateaux de pêche détenteurs de permis nicaraguayens
se sont livrés à des pratiques de pêche déprédatrices et destructrices, tant dans la mer territoriale
colombienne que dans d’autres parties du sud-ouest de la mer des Caraïbes, en violation de ces
obligations.
11.13. La deuxième demande reconventionnelle de la Colombie est également fondée sur le
défaut d’exercice, par le Nicaragua, de la diligence requise aux fins de protéger et de préserver
l’environnement marin. Elle repose toutefois sur l’omission consécutive de prévenir la dégradation
de l’habitat marin de la population de l’archipel, et en particulier des Raizals, qui sont tributaires de
l’intégrité et de la pérennité environnementales de leurs zones de pêche et de leur milieu
traditionnels.
11.14. La troisième demande reconventionnelle de la Colombie découle de la violation, par
le Nicaragua, des droits dont jouissent de longue date les pêcheurs artisanaux de l’archipel. Si le
président nicaraguayen a engagé son pays à reconnaître les droits de pêche traditionnels des
Raizals, dans la pratique, les forces navales du Nicaragua ont harcelé et intimidé les pêcheurs
colombiens, les empêchant ainsi de faire usage desdits droits.
11.15. La quatrième demande reconventionnelle de la Colombie fait suite à la promulgation,
par le Nicaragua, d’un décret censé établir un système de lignes de base droites reliant des îles
dispersées au large de sa côte continentale. Les lignes en question sont toutefois contraires aux
règles régissant le tracé de lignes de base droites et enfreignent donc le droit international. Etant
donné qu’elles ont pour effet d’étendre indûment les eaux internes, la mer territoriale, la zone
contiguë et la zone économique exclusive du Nicaragua, ces lignes de base portent directement
préjudice aux droits et espaces maritimes de la Colombie.
11.16. En conséquence, la Colombie prie la Cour de dire et juger que le Nicaragua a manqué
aux obligations internationales qui lui incombent envers elle et de lui ordonner de mettre fin à ces
manquements ; de verser des indemnités à raison des dommages matériels causés, y compris le
manque à gagner ; et de donner à la Colombie des garanties et assurances de non-répétition
adéquates.
348
349
- 172 -
CONCLUSIONS
I. Pour les raisons exposées dans le présent contre-mémoire, la République de Colombie prie
respectueusement la Cour de rejeter les conclusions que la République du Nicaragua a formulées
dans son mémoire en date du 3 octobre 2014 et de dire et juger que :
1. Le Nicaragua n’a pas démontré que l’un quelconque des navires des forces navales
colombiennes ou de ses garde-côtes avait violé les droits souverains et les espaces maritimes du
Nicaragua dans la mer des Caraïbes ;
2. La Colombie n’a pas violé, d’une autre manière, les droits souverains et les espaces maritimes
du Nicaragua dans la mer des Caraïbes ;
3. Le décret colombien no 1946 portant création d’une zone contiguë unique, en date du
9 septembre 2013, est licite au regard du droit international et ne viole aucun des droits
souverains et espaces maritimes du Nicaragua, étant donné que :
a) dans les circonstances de l’espèce, la zone contiguë unique produite par les cercles
concentriques se chevauchant naturellement qui forment les zones contiguës des îles de
San Andrés, Providencia et Santa Catalina et des cayes d’Albuquerque, Est-Sud-Est,
Roncador, Serrana, Quitasueño et Serranilla, cercles concentriques dont les points
extrêmes sont reliés par des lignes géodésiques, est licite au regard du droit international ;
b) les pouvoirs énoncés dans le décret sont conformes au droit international ; et
4. Aucune des mesures que la Colombie a prises dans sa zone contiguë unique, et dont le
Nicaragua lui fait grief, ne constitue une violation du droit international ou des droits souverains
et des espaces maritimes du Nicaragua.
II. En outre, la République de Colombie prie respectueusement la Cour de dire et juger que :
5. Le Nicaragua a violé les droits souverains et les espaces maritimes de la Colombie dans la mer
des Caraïbes en n’empêchant pas les navires qui battent son pavillon ou qui sont titulaires de
permis délivrés par lui de pêcher dans les eaux colombiennes ;
6. Le Nicaragua a violé les droits souverains et les espaces maritimes de la Colombie dans la mer
des Caraïbes en n’empêchant pas les navires qui battent son pavillon ou qui sont titulaires de
permis délivrés par lui de recourir à des méthodes de pêche déprédatrices et illicites, manquant
ainsi à ses obligations internationales ;
7. Le Nicaragua a violé les droits souverains et les espaces maritimes de la Colombie en manquant
aux obligations juridiques internationales qui lui incombent à l’égard de l’environnement dans
certaines zones de la mer des Caraïbes ;
8. Le Nicaragua n’a pas respecté les droits de pêche traditionnels et historiques des habitants de
l’archipel de San Andrés, notamment ceux de la population autochtone raizale, dans les eaux où
ils peuvent prétendre à les exercer ; et
9. Le décret nicaraguayen no 33-2013 établissant des lignes de base droites, en date du
19 août 2013, viole le droit international ainsi que les droits et les espaces maritimes de la
Colombie.
351
352
353
- 173 -
III. La Colombie prie en outre la Cour d’indiquer au Nicaragua :
10. S’agissant des conclusions nos 5 à 8 :
a) de mettre fin sans retard à ses violations du droit international ;
b) d’indemniser la Colombie pour tous les dommages, y compris le manque à gagner, qu’elle
a subis en raison des violations, par le Nicaragua, de ses obligations internationales, le
montant et la forme de l’indemnisation devant être déterminés lors d’une phase ultérieure
de la procédure ; et
c) de donner à la Colombie des garanties appropriées de non-répétition.
11. S’agissant de la conclusion no 8, en particulier, de garantir que les habitants de l’archipel de
San Andrés jouissent d’un libre accès aux eaux sur lesquelles portent leurs droits de pêche
traditionnels et historiques ; et
12. S’agissant de la conclusion no 9, de modifier son décret no 33-2013 en date du 19 août 2013 de
manière à ce qu’il respecte les règles du droit international concernant le tracé des lignes de
base à partir desquelles est mesurée la largeur de la mer territoriale.
IV. La Colombie se réserve le droit de compléter ou de modifier les présentes conclusions.
La Haye, le 17 novembre 2016.
L’agent de la Colombie,
(Signé) M. Carlos Gustavo ARRIETA PADILLA.
___________
354
- 174 -
TABLE DES MATIÈRES
VOLUME II. LISTE DES APPENDICES, ANNEXES ET FIGURES
APPENDICES
Appendice A Actions alléguées de la Colombie en mer des Caraïbes  Actions d’assistance
technique et humanitaire
Appendice B Exemples d’Etats ayant promulgué une législation nationale relative à la zone
contiguë
ANNEXES
I. DÉCLARATIONS OFFICIELLES
Annexe 1 Communiqué de presse du ministère des affaires étrangères concernant la réserve
de biosphère marine Seaflower en date du 30 août 2013
II. LOIS ET RÈGLEMENTS DE LA COLOMBIE
Annexe 2 Décision no 206 du 16 décembre 1968 de l’institut colombien pour la réforme
agraire
Annexe 3 Décret présidentiel no 2324 du 18 septembre 1984
Annexe 4 Décision no 107 du ministère de l’environnement, du logement et de
l’aménagement territorial en date du 27 janvier 2005
Annexe 5 Société pour le développement durable de l’archipel de San Andrés, Providencia et
Santa Catalina (CORALINA), accord no 021 du 9 juin 2005
Annexe 6 Société pour le développement durable de l’archipel de San Andrés, Providencia et
Santa Catalina (CORALINA), accord no 025 du 4 août 2005
Annexe 7 Décret présidentiel no 1946 du 9 septembre 2013, tel que modifié et amendé par le
décret no 1119 du 17 juin 2014 (version composite)
Annexe 8 Décision no 350 du ministère de l’agriculture et du développement rural en date du
10 octobre 2013
Annexe 9 Décision no 977 du ministère de l’environnement et du développement durable en
date du 24 juin 2014
III. LOIS ET RÈGLEMENTS DU NICARAGUA
Annexe 10 National Assembly of the Republic of Nicaragua, Law No. 613 of 7 February 2007
[annexe non traduite]
Annexe 11 Assemblée nationale de la République du Nicaragua, loi no 753 du 23 février 2011
Annexe 12 Assemblée nationale de la République du Nicaragua, loi no 836 du 13 mars 2013
- 175 -
Annexe 13 Décret no 33-2013, Lignes de base des espaces maritimes de la République du
Nicaragua dans la mer des Caraïbes, 19 août 2013 [disponible en anglais, en
français et en espagnol]
Annexe 14 Institut nicaraguayen de la pêche et de l’aquaculture (INPESCA), décision
PA-no 001-2015
Annexe 15 Institut nicaraguayen de la pêche et de l’aquaculture (INPESCA), décision
PA-no 001-2016
Annexe 16 Assemblée nationale de la République du Nicaragua, loi no 923 du 1er mars 2016
IV. TRAITÉS ET ACCORDS
Annexe 17 Convention pour la protection et la mise en valeur du milieu marin dans la région
des Caraïbes (la «convention de Cartagena») [disponible en anglais et en français]
Annexe 18 Protocole relatif aux zones et à la vie sauvage spécialement protégées à la
convention pour la protection et la mise en valeur du milieu marin dans la région
des Caraïbes (le «protocole SPAW») [disponible en anglais et en français]
V. NOTES DIPLOMATIQUES
Annexe 19 Note diplomatique no 94331 en date du 23 novembre 2012 adressée au Secrétaire
général des Nations Unies par le ministère des affaires étrangères de Colombie
Annexe 20 Note diplomatique no 94365 en date du 23 novembre 2012 adressée au secrétaire
général de l’Organisation des Etats américains par le ministère des affaires
étrangères de Colombie
Annexe 21 Note diplomatique no 78634 en date du 23 novembre 2012 adressée à la directrice
générale de l’Organisation des Nations Unies pour l’éducation, la science et la
culture (UNESCO) par le ministère des affaires étrangères de Colombie
Annexe 22 Note verbale no E-16 en date du 14 janvier 2013 adressée au ministère des affaires
étrangères du Nicaragua par l’ambassade de Colombie à Managua
Annexe 23 Note verbale no MRE/SCPE/014/01/13 en date du 14 janvier 2013 adressée à
l’ambassade de Colombie à Managua par le ministère des affaires étrangères du
Nicaragua
Annexe 24 Note verbale no MRE/DGAJ//0014//13 en date du 17 janvier 2013 adressée au
ministère des affaires étrangères du Nicaragua par l’ambassade de Colombie à
Managua
Annexe 25 Note diplomatique no S-GACIJ-13-044275 du 1er novembre 2013 adressée au
Secrétaire général de l’Organisation des Nations Unies par le ministère des affaires
étrangères de Colombie
Annexe 26 Note verbale no S-DISTD-16-013262 en date du 10 février 2016 adressée à
l’ambassade du Nicaragua à Bogotá par le ministère des affaires étrangères de
Colombie
Annexe 27 Note verbale no MRE/VM-AJ/0079/02/16 en date du 11 février 2016 adressée à
l’ambassade de Colombie à Managua par le ministère des affaires étrangères du
Nicaragua
- 176 -
VI. DOCUMENTS DE LA MARINE COLOMBIENNE
Annexe 28 Marine colombienne, communication no 2175-MD-CG-CARMA-SECARJONA-
OFAIN-29.80, 17 décembre 2012
Annexe 29 Marine colombienne, communication no 101/MD-CGFM-CARMA-SECARJONA-
CFSUCA-CMR-JDIMR-29.23, 22 décembre 2012
Annexe 30 Marine colombienne, communication no 0080–MD-CG-CARMA-SECAR-JONAOFAIN-
29.80, 16 janvier 2013
Annexe 31 Marine colombienne, journal de bord de l’ARC Almirante Padilla, 19 février 2013
Annexe 32 Marine colombienne, rapport sommaire du chef des opérations navales,
ARC 20 de Julio, 2 février 2013
Annexe 33 Marine colombienne, communication no 024-MD-CG-CARMA-SECAR-JONACFNC-
CFSUCA-CMA, 5 février 2013
Annexe 34 Marine colombienne, communication no 0877-MD-CG-CARMA-SECAR-JONAOFAIN-
29.80, 30 avril 2013
Annexe 35 Marine colombienne, rapport de voyage maritime, ARC Caldas, 19 mai 2013
Annexe 36 Marine colombienne, rapport sommaire du chef des opérations navales, hélicoptère
ARC 203 et ARC Caldas, 23 juillet 2013
Annexe 37 Marine colombienne, communication n° 375/MDN-CGFM-CARMA-SECARJONA-
CFNC-CCESYP-JEM-N3, 6 août 2013
Annexe 38 Marine colombienne, communication no 162/MD-CG-CARMA-SECAR-JONACFNCCFSUCA-
CMA, 17 août 2013
Annexe 39 Marine colombienne, communication no 1693-MD-CG-CARMA-SECAR-JONAOFAIN-
29.80, 21 août 2013
Annexe 40 Marine colombienne, rapport sommaire du chef des opérations navales, ARC 801
et ARC San Andrés, 24 août 2013/4 septembre 2014
Annexe 41 Marine colombienne, communication no 427/MD-CGFM-CARMA-SECARJONA-
CFNC-CCESYP-JEM-JNECESYP, 13 septembre 2013
Annexe 42 Marine colombienne, communication no 677/MD-CG-CARMA-SECAR-JONACFNC-
CFSUCA-CMB, 5 octobre 2013
Annexe 43 Marine colombienne, communication no 678/MD-CG-CARMA-SECAR-JONACFNC-
CFSUCA-CMB, 5 octobre 2013
Annexe 44 Marine colombienne, rapport de voyage maritime, ARC Cartagena de Indias,
11 octobre 2013
Annexe 45 Marine colombienne, communication no 059/MD-CGFM-CARMA-SECARJONA-
CFNC-CFSUCA-CMK-JDOMK-29.60, 16 octobre 2013
Annexe 46 Marine colombienne, rapport de voyage maritime, ARC 20 de Julio, 21 octobre
2013
Annexe 47 Marine colombienne, communication no 201/MD-CGFFMM-CARMA-SECARJONA-
CFNC-CFSUCA-CMC-29.57, 29 octobre 2013
- 177 -
Annexe 48 Marine colombienne, communication no 202/MD-CGFFMM-CARMA-SECARJONA-
CFNC-CFSUCA-CMC-29.57, 29 octobre 2013
Annexe 49 Marine colombienne, rapport de voyage maritime, ARC Independiente,
6 novembre 2013
Annexe 50 Marine colombienne, carnet de navigation, ARC Antioquia, 7 novembre 2013
Annexe 51 Marine colombienne, communication no 152023, 8 novembre 2013
Annexe 52 Marine colombienne, attestation de bons traitements de l’équipage de
l’ARC Almirante Padilla, 17 novembre 2013
Annexe 53 Marine colombienne, communication no 304/MD-CGFFMM-CARMA-SECARJONA-
CFNC-CFSUCA-CMW-29.57, 20 novembre 2013
Annexe 54 Marine colombienne, rapport sommaire du chef des opérations navales,
ARC Almirante Padilla et ARC Caldas, 26 novembre 2013
Annexe 55 Marine colombienne, rapport de voyage maritime, ARC Almirante Padilla,
5 décembre 2013
Annexe 56 Marine colombienne, communication no 2525/MD-CG-CARMA-SECAR-JIONAOFAIN-
29.80, 9 décembre 2013
Annexe 57 Marine colombienne, communication no 2572/MD-CG-CARMA-SECAR-JONAOFAIN-
29.80, 12 décembre 2013
Annexe 58 Marine colombienne, attestation de protestation no 027-MD-CG-CARMA-SECARJONA-
CFNC-CFSUCA-CMB-81.4, 9 mai 2014
Annexe 59 Marine colombienne, communication no 070824/MD-CG-CARMA-SECARJONA-
CFNC-CFSUCA-CMB-2CMB-JDO-81, 7 juin 2014
Annexe 60 Marine colombienne, communication no 20160042230059101/MD-CGFMCARMA-
SECAR-JONA-OFAIN-3, 9 février 2016
Annexe 61 Marine colombienne, communication no 241000R/MDN-CGFM-CARMASECAR-
JONA-CAVNA-CGANCA-CEANCAR-29.60, 24 juin 2016
VII. DÉCLARATIONS SOUS SERMENT
Annexe 62 Déclaration sous serment de M. Landel Hernando Robinson Archbold, 18 octobre
2016
Annexe 63 Déclaration sous serment de M. Wallingford González Steele Borden, 18 octobre
2016
Annexe 64 Déclaration sous serment de M. Ornuldo Rodolfo Walters Dawkins, 18 octobre
2016
Annexe 65 Déclaration sous serment de M. Ligorio Luis Archbold Howard, 19 octobre 2016
Annexe 66 Déclaration sous serment de M. Jonathan Archbold Robinson, 19 octobre 2016
Annexe 67 Déclaration sous serment de M. Alfredo Rafael Howard Newball, 21 octobre 2016
Annexe 68 Déclaration sous serment de M. Orlando Francis Powell, 21 octobre 2016
- 178 -
Annexe 69 Déclaration sous serment de M. Domingo Sánchez McNabb, 21 octobre 2016
Annexe 70 Déclaration sous serment de M. Eduardo Steele Martínez, 24 octobre 2016
Annexe 71 Déclaration sous serment de M. Jorge De la Cruz De Alba Barker, 25 octobre 2016
Annexe 72 Déclaration sous serment de M. Antonio Alejandro Sjogreen Pablo, 28 octobre
2016
VIII. INFORMATIONS DIFFUSÉES PAR LES MEDIAS
Annexe 73 President Daniel meets Juan Manuel Santos in Mexico, El 19 Digital, 2 décembre
2012 [annexe non traduite]
Annexe 74 Daniel ratifies to Colombia his vocation for peace, radio La Primerísima,
2 décembre 2012 [annexe non traduite]
Annexe 75 Nicaragua exercises peaceful sovereignty over its waters, radio La Primerísima,
5 décembre 2012 [annexe non traduite]
Annexe 76 Powerful interests want a confrontation with Colombia, radio La Primerísima,
21 février 2013 [annexe non traduite]
Annexe 77 Daniel meets delegation from Iceland, El 19 Digital, 18 novembre 2014 [annexe
non traduite]
Annexe 78 President Daniel receives letters of credence from the ambassadors of Colombia,
El Salvador, Germany and Italy, El 19 Digital, 6 novembre 2015 [annexe non
traduite]
IX. AUTRES DOCUMENTS
Annexe 79 Church v. Hubbart, 6 U.S. 187 (1804) [annexe non traduite]
Annexe 80 Nations Unies, doc. A/AC.138/66 et Corr. 2, 14 mars 1972
Annexe 81 United States v. F/V Taiyo Maru, Civ. No. 74-101 SD, Cr. No. 74-46 SD, F. Supp.,
vol. 395, 1975 [annexe non traduite]
Annexe 82 S. Ghosh, Law of the Territorial Sea: Evolution and Development, 1988 [annexe
non traduite]
Annexe 83 R. C. Smith, The Maritime Heritage of the Cayman Islands, Gainesville, 2000
[annexe non traduite]
Annexe 84 Système d’intégration de l’Amérique centrale, département régional des pêches et
de l’aquaculture, règlement OSP-02-09 relatif à la gestion régionale de la pêche à
la langouste des Caraïbes (Panulirus argus), 21 mai 2009 [annexe non traduite]
Annexe 85 M. J. Jarvis, In the Eye of All Trade: Bermuda, Bermudians, and the Maritime
Atlantic World, 1680-1783, Chapel Hill, 2010 [annexe non traduite]
Annexe 86 Département administratif national des statistiques de Colombie (Departamento
Administrativo Nacional de Estadística  DANE), étude post-recensement no 7,
estimations démographiques nationales et départementales 2005-2020, mars 2010
[annexe non traduite]
- 179 -
Annexe 87 Département administratif national des statistiques de Colombie (Departamento
Administrativo Nacional de Estadística  DANE), bulletin relatif au recensement
général 2005  profil du département de l’archipel de San Andrés, 13 septembre
2010 [annexe non traduite]
Annexe 88 Département administratif national des statistiques de Colombie (Departamento
Administrativo Nacional de Estadística  DANE), bulletin relatif au recensement
général 2005  profil des îles de Providencia et de Santa Catalina, 14 septembre
2010 [annexe non traduite]
Annexe 89 Proposed Areas for inclusion in the SPAW List, Annotated Format for Presentation
Report for Seaflower Marine Protected Area, Colombia, 5 octobre 2010 [annexe
non traduite]
Annexe 90 Circular Communication from the Division for Ocean Affairs and the Law of the
Sea  Office of Legal Affairs, No. M.Z.N.99.2013.LOS, 11 octobre 2013 [annexe
non traduite]
Annexe 91 A. I. Márquez-Pérez, Catboats, lanchs and canoes: Notes towards a history of the
relations between the islands of Providencia, Santa Catalina and the Central
American and Insular Caribbean by means of the construction and use of wooden
vessels, Internacional de História Política e Cultura Jurídica, vol. 6, no 3,
septembre-décembre 2014 [annexe non traduite]
Annexe 92 Institut nicaraguayen de la pêche et de l’aquaculture (INPESCA), Fishing and
Aquaculture Yearbook for 2014, juin 2015 [annexe non traduite]
Annexe 93 S. D. Crawford, A. I. Márquez-Pérez, A Contact Zone: The Turtle Commons of the
Western Caribbean, The International Journal of Maritime History, 2016 [annexe
non traduite]
Annexe 94 Seaflower Marine Protected Area  a SPAW Listed Site: Factsheet (non daté)
[annexe non traduite]
X.MATÉRIAUX AUDIOVISUELS ET PHOTOGRAPHIQUES
Annexe 95 Photographies, incident de l’Al John, 28 avril 2013
Annexe 96 Photographies, incident du Papa D, 28 avril 2013
Annexe 97 Photographies, incident du Pescasa 35, 9 mai 2013
Annexe 98 Enregistrement vidéo, incident du Pescasa 35, 9 mai 2013
Annexe 99 Enregistrement vidéo, incident du Miss Sofía, 4 juillet 2013
Annexe 100 Photographies, incident du Doña Emilia, 3 août 2013
Annexe 101 Enregistrement vidéo, incident du Doña Emilia, 3 août 2013
Annexe 102 Photographies, incident du Trapper, 17 août 2013
Annexe 103 Enregistrement vidéo, incident du Lady Dee III, 24 août 2013
Annexe 104 Enregistrement vidéo, incident du Capt. Charly, 24 août 2013
Annexe 105 Photographies, incident du Miss Sofía, 4 septembre 2013
- 180 -
Annexe 106 Photographies, incident du Diego Armando G, 5 octobre 2013
Annexe 107 Photographies, incident du Pescasa 35, 5 octobre 2013
Annexe 108 Photographies, incident du Marco Polo, 9 octobre 2013
Annexe 109 Photographies, incident du Capt. Maddox, 23 octobre 2013
Annexe 110 Photographies, incident du Miss Joela, 23 octobre 2013
Annexe 111 Photographies, incident du Miss Sofía, 17 novembre 2013
Annexe 112 Enregistrement vidéo, incident du Miss Sofía, 17 novembre 2013
Annexe 113 Photographies, incidents du Lady Prem, du Miss Sofía, du Capitán Charlie et du
Doña Emilia, 9 février 2016
___________
- 181 -
LISTE DES FIGURES
Figure 2.1. Le sud-ouest des Caraïbes : une mer semi-fermée
Figure 2.2. La réserve de biosphère Seaflower de la Colombie
Figure 2.3. L’aire marine protégée Seaflower de la Colombie
Figure 2.4. Bancs peu profonds où travaillent traditionnellement les pêcheurs
artisanaux de l’archipel
Figure 2.5. Bancs peu profonds et bancs profonds où travaillent traditionnellement
les pêcheurs artisanaux de l’archipel
Figure 2.6. Routes empruntées par les narcotrafiquants dans l’archipel et aux
alentours
Figure 2.7. Exemples de la présence de la Colombie sur les îles de l’archipel
Figure 2.8. Exemples d’interventions au cours desquelles la marine colombienne a
fourni une assistance humanitaire et technique ou effectué des opérations
de recherche et de sauvetage
Figure 4.1. «Incident» no 1 allégué par le Nicaragua (19 février 2013)
Figure 4.2. «Incident» no 4 allégué par le Nicaragua (13 octobre 2013)
Figure 4.3. «Incident» no 9 allégué par le Nicaragua (7 novembre 2013)
Figure 4.4. «Incident» no 10 allégué par le Nicaragua (17 novembre 2013)
Figure 5.1. La zone contiguë unique de la Colombie telle qu’établie dans le décret
présidentiel no 1946 de 2013
Figure 8.1. Les activités de pêche déprédatrices menées par le Nicaragua dans la mer
territoriale colombienne et la zone de régime commun
Figure 8.2. Exemples d’activités de pêche déprédatrices menées par des bateaux
battant pavillon nicaraguayen
Figure 8.3. Exemple d’activités de pêche déprédatrices menées par le Nicaragua dans
la mer territoriale de la Colombie après la date critique
Figure 8.4. Activités du Nicaragua ayant causé des dommages à l’environnement
marin dans la mer territoriale de la Colombie
Figure 10.1. Lignes de base droites proclamées par le Nicaragua dans la mer des
Caraïbes
Figure 10.2. Projection des îles et formations du Nicaragua sur la ligne figurant la
direction générale de sa côte continentale
Figure 10.3. Distance entre les formations utilisées pour tracer les lignes de bases
droites et la côte continentale
Figure 10.4. Principaux chiffres concernant les lignes de base droites revendiquées par
le Nicaragua
Figure 10.5. Mer territoriale du Nicaragua telle que générée par les lignes de base
droites fixées dans le décret no 33-2013
___________

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Contre-mémoire de la Colombie - Volume I

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