COUR INTERNATIONALE DE JUSTICE
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Résumé
Document non officiel
Résumé 2020/1
Le 23 janvier 2020
Application de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Gambie c. Myanmar) Demande en indication de mesures conservatoires
La Cour commence par rappeler que, le 11 novembre 2019, la Gambie a déposé au Greffe de la Cour une requête introductive d’instance contre la République de l’Union du Myanmar, concernant des violations alléguées de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide du 9 décembre 1948 (ci-après la «convention sur le génocide» ou la «convention»). La requête contenait une demande en indication de mesures conservatoires, présentée en application de l’article 41 du Statut et des articles 73, 74 et 75 du Règlement de la Cour, en vue de sauvegarder, avant que la Cour ne se prononce de manière définitive en l’affaire, les droits que la Gambie revendique au titre de la convention.
I. COMPÉTENCE PRIMA FACIE (PAR. 16-38)
1. Introduction générale (par. 16-19)
La Cour rappelle que, lorsqu’une demande en indication de mesures conservatoires lui est présentée, elle doit examiner si les dispositions invoquées par le demandeur semblent prima facie constituer une base sur laquelle sa compétence pourrait être fondée, mais n’a pas besoin de s’assurer de manière définitive qu’elle a compétence quant au fond de l’affaire. En la présente espèce, la Gambie entend fonder la compétence de la Cour sur l’article IX de la convention sur le génocide1. La Cour relève que la Gambie et le Myanmar sont parties à la convention et que ni l’une ni l’autre n’a formulé de réserve à l’article IX.
1 L’article IX de la convention sur le génocide est ainsi libellé :
«Les différends entre les Parties contractantes relatifs à l’interprétation, l’application ou l’exécution de la présente Convention, y compris ceux relatifs à la responsabilité d’un Etat en matière de génocide ou de l’un quelconque des autres actes énumérés à l’article III, seront soumis à la Cour internationale de Justice, à la requête d’une partie au différend.»
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2. Existence d’un différend relatif à l’interprétation, l’application ou l’exécution de la convention sur le génocide (par. 20-31)
La Cour note que l’article IX de la convention sur le génocide subordonne sa compétence à l’existence d’un différend relatif à l’interprétation, l’application ou l’exécution dudit instrument, et qu’elle doit par conséquent déterminer l’existence prima facie d’un tel différend entre les Parties. Elle précise qu’en principe la date à laquelle doit être appréciée l’existence d’un différend est celle du dépôt de la requête.
Tout d’abord, le Myanmar ayant soutenu qu’il n’existait pas de différend entre les Parties étant donné que l’instance devant la Cour avait été introduite, non pas par la Gambie en tant que telle, mais «pour le compte» et «au nom» de l’Organisation de la coopération islamique (OCI), contournant ainsi les dispositions de l’article 34 du Statut, la Cour note que le demandeur a introduit l’instance en son nom propre et qu’il soutient qu’un différend l’oppose au Myanmar au sujet de ses propres droits en vertu de la convention. La Cour considère que le fait que la Gambie puisse avoir cherché et obtenu le soutien d’autres Etats ou d’organisations internationales en se préparant à la saisir n’exclut pas l’existence d’un différend entre les Parties relatif à la convention sur le génocide.
Examinant ensuite la question de savoir s’il existait un différend entre les Parties au moment du dépôt de la requête, la Cour note que la mission internationale indépendante d’établissement des faits sur le Myanmar mise en place par le Conseil des droits de l’homme des Nations Unies (ci-après la «mission d’établissement des faits») a publié, le 8 août 2019, un rapport dans lequel elle confirmait sa conclusion antérieure «selon laquelle la responsabilité de l’Etat [du Myanmar était] engagée au regard de l’interdiction d[u] crime[] de génocide» et se félicitait des efforts déployés par la Gambie, le Bangladesh et l’OCI pour engager une procédure contre le Myanmar devant la Cour au titre de la convention. La Cour relève que, le 26 septembre 2019, la Gambie a déclaré, pendant le débat général de la soixante-quatorzième session de l’Assemblée générale, qu’elle était prête à jouer un rôle de chef de file dans le cadre d’efforts concertés visant à porter la question des Rohingya devant la Cour internationale de Justice, et que le Myanmar a pris la parole deux jours plus tard, affirmant que les rapports de la mission d’établissement des faits étaient «biaisés et lacunaires, basés non sur des faits mais sur des [récits]». Selon la Cour, ces déclarations révélaient l’existence d’une divergence de vues au sujet des événements qui se seraient déroulés dans l’Etat rakhine en ce qui concerne les Rohingya. En outre, la Cour tient compte de la note verbale de la Gambie en date du 11 octobre 2019, dans laquelle celle-ci indiquait qu’elle estimait que le Myanmar persistait à manquer à ses obligations au regard de la convention sur le génocide et du droit international coutumier et qu’elle lui demandait instamment de prendre toutes les mesures nécessaires pour se conformer à ces obligations. Au vu de la gravité des allégations qui y étaient formulées, la Cour considère que l’absence de réponse du défendeur peut être une indication supplémentaire de l’existence d’un différend entre les Parties.
Enfin, s’agissant de la question de savoir si les actes dont le demandeur tire grief sont susceptibles d’entrer dans les prévisions de la convention sur le génocide, la Cour observe que la Gambie allègue notamment que l’armée et les forces de sécurité du Myanmar se sont rendues responsables, entre autres, de meurtres, de viols et d’autres formes de violence sexuelle, d’actes de torture, de passages à tabac, de traitements cruels, ainsi que de destruction ou de privation de nourriture, d’abris et d’autres moyens d’existence élémentaires, et ce, avec l’intention de détruire le groupe rohingya en tout ou en partie. La Cour relève que la Gambie tient le Myanmar pour responsable d’avoir commis un génocide, ainsi que d’avoir manqué à d’autres obligations lui incombant au titre de la convention sur le génocide, et que le défendeur, quant à lui, a nié avoir commis l’une quelconque des violations de la convention sur le génocide dont l’accuse la Gambie. La Cour rappelle que, à ce stade de la procédure, elle n’est pas tenue de déterminer si des violations des obligations du Myanmar au titre de la convention sur le génocide ont eu lieu, ce qu’elle ne pourrait faire qu’au stade de l’examen au fond de l’affaire. De l’avis de la Cour, au moins certains des actes allégués par la Gambie sont susceptibles d’entrer dans les prévisions de la convention.
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La Cour conclut que les éléments susmentionnés sont suffisants pour établir l’existence prima facie d’un différend entre les Parties relatif à l’interprétation, l’application ou l’exécution de la convention sur le génocide.
3. La réserve du Myanmar à l’article VIII de la convention (par. 32-36)
La Cour examine ensuite l’argument du Myanmar selon lequel la Gambie ne pouvait saisir valablement la Cour en raison de la réserve qu’il a faite à l’article VIII de la convention sur le génocide. Par cette réserve, le défendeur avait déclaré que «les dispositions dudit article ne seront pas applicables à l’Union [birmane]». L’article VIII dispose que
«[t]oute Partie contractante peut saisir les organes compétents des Nations Unies afin que ceux-ci prennent, conformément à la Charte des Nations Unies, les mesures qu’ils jugent appropriées pour la prévention et la répression des actes de génocide ou de l’un quelconque des autres actes énumérés à l’article III».
La Cour estime que les termes employés dans cette disposition laissent à penser que l’article VIII ne s’applique pas à la Cour. Elle relève en particulier que cette disposition se contente de prévoir en des termes généraux la possibilité pour toute partie contractante de «saisir» les organes compétents des Nations Unies afin que ceux-ci prennent «les mesures … appropriées» pour la prévention et la répression des actes de génocide. La Cour observe que la question de la soumission à la Cour de différends entre parties contractantes à la convention sur le génocide aux fins de règlement judiciaire est régie spécifiquement par l’article IX de la convention, auquel le Myanmar n’a fait aucune réserve. La Cour considère que seul cet article est pertinent en ce qui concerne la question de la saisine de la Cour en la présente espèce. Dès lors, conclut-elle, la réserve que le défendeur a formulée à l’article VIII de la convention sur le génocide ne paraît pas priver la Gambie de la possibilité de saisir la Cour d’un différend l’opposant au Myanmar sur la base de l’article IX de la convention.
4. Conclusion quant à la compétence prima facie (par. 37-38)
A la lumière de ce qui précède, la Cour conclut que, prima facie, elle a compétence en vertu de l’article IX de la convention sur le génocide pour connaître de l’affaire. Compte tenu de cette conclusion, la Cour considère qu’elle ne peut accéder à la demande du Myanmar tendant à ce qu’elle raye l’affaire du rôle général pour défaut manifeste de compétence.
II. QUESTION DE LA QUALITÉ POUR AGIR DE LA GAMBIE (PAR. 39-42)
La Cour examine ensuite l’argument du défendeur selon lequel la Gambie n’aurait pas qualité pour porter une affaire devant la Cour concernant des violations de la convention sur le génocide que le Myanmar aurait commises sans avoir été spécialement affectée par ces violations. La Cour commence par observer que, au regard des fins supérieures de la convention et en raison des valeurs qu’ils partagent, tous les Etats parties à la convention sur le génocide ont un intérêt commun à assurer la prévention des actes de génocide et, si de tels actes sont commis, à veiller à ce que leurs auteurs ne bénéficient pas de l’impunité. La Cour ajoute que cet intérêt commun implique que les obligations en question s’imposent à tout Etat partie à la convention à l’égard de tous les autres Etats parties. Comme la Cour l’avait indiqué, dans l’arrêt rendu en l’affaire relative à des Questions concernant l’obligation de poursuivre ou d’extrader (Belgique c. Sénégal), au sujet des dispositions comparables de la convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains et dégradants, les dispositions pertinentes de la convention sur le génocide peuvent être qualifiées d’obligations erga omnes partes, en ce sens que, quelle que soit l’affaire, chaque Etat partie a un intérêt à ce qu’elles soient respectées. Il s’ensuit, poursuit la Cour, que tout Etat partie à
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la convention sur le génocide, et non pas seulement un Etat spécialement affecté, peut invoquer la responsabilité d’un autre Etat partie en vue de faire constater le manquement allégué de celui-ci à ses obligations erga omnes partes et de mettre fin à ce manquement. La Cour conclut que la Gambie a prima facie qualité pour lui soumettre le différend qui l’oppose au Myanmar sur la base de violations alléguées d’obligations prévues par la convention sur le génocide.
III. LES DROITS DONT LA PROTECTION EST RECHERCHÉE ET LE LIEN ENTRE CES DROITS ET LES MESURES DEMANDÉES (PAR. 43-63)
La Cour rappelle que le pouvoir d’indiquer des mesures conservatoires qu’elle tient de l’article 41 de son Statut a pour objet de sauvegarder, dans l’attente de sa décision sur le fond de l’affaire, les droits revendiqués par chacune des parties. Il s’ensuit que la Cour doit se préoccuper de sauvegarder par de telles mesures les droits que l’arrêt qu’elle aura ultérieurement à rendre pourrait reconnaître à l’une ou à l’autre des parties. Aussi ne peut-elle exercer ce pouvoir que si elle estime que les droits allégués par le demandeur sont au moins plausibles. En outre, un lien doit exister entre les droits dont la protection est recherchée et les mesures conservatoires demandées.
La Cour observe que, conformément à l’article premier de la convention, tous les Etats parties à cet instrument se sont engagés à prévenir et à punir le crime de génocide. Aux termes de l’article II de la convention,
«le génocide s’entend de l’un quelconque des actes ci-après, commis dans l’intention de détruire, en tout ou en partie, un groupe national, ethnique, racial ou religieux, comme tel :
a) Meurtre de membres du groupe ;
b) Atteinte grave à l’intégrité physique ou mentale de membres du groupe ;
c) Soumission intentionnelle du groupe à des conditions d’existence devant entraîner sa destruction physique totale ou partielle ;
d) Mesures visant à entraver les naissances au sein du groupe ;
e) Transfert forcé d’enfants du groupe à un autre groupe.»
La Cour note que, en application de l’article III de la convention, sont également prohibées l’entente en vue de commettre le génocide, l’incitation directe et publique à commettre le génocide, la tentative de génocide et la complicité dans le génocide.
La Cour observe que les dispositions de la convention visent à protéger les membres d’un groupe national, ethnique, racial ou religieux contre les actes de génocide ou tous autres actes punissables tels qu’énumérés à l’article III. Selon la Cour, les Rohingya au Myanmar semblent constituer un groupe protégé au sens de l’article II de la convention.
En l’espèce, la Cour note que, au sujet de ce qu’il qualifie d’«opérations de nettoyage» menées dans l’Etat rakhine en 2017, le Myanmar a indiqué à l’audience qu’
«il ne [pouvait] pas être exclu que des membres des services de défense aient, dans certains cas, fait un usage disproportionné de la force au mépris du droit international humanitaire, ou qu’ils n’aient pas fait assez clairement la distinction entre combattants de [l’armée du salut des Rohingya de l’Arakan] et civils».
La Cour relève notamment que l’Assemblée générale des Nations Unies, dans sa résolution 73/264 adoptée le 22 décembre 2018, s’est déclarée
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«profondément préoccupée par les constatations de la mission internationale indépendante d’établissement des faits sur le Myanmar, qui a conclu que la quantité d’informations disponibles était suffisante pour justifier l’ouverture d’enquêtes et le lancement de poursuites, de façon qu’un tribunal compétent puisse déterminer les responsabilités dans le génocide, au regard de la situation dans l’Etat rakhine»,
et que l’Assemblée générale a condamné, dans cette même résolution,
«toutes les violations des droits de la personne et atteintes à ces droits commises au Myanmar qu’a relevées la mission d’établissement des faits dans son rapport, notamment les violations et atteintes généralisées, systématiques et flagrantes commises dans l’Etat rakhine».
A cet égard, la Cour rappelle que la mission d’établissement des faits a déclaré, dans son rapport du 12 septembre 2018, qu’elle avait «des motifs raisonnables de conclure que des crimes graves de droit international [avaient] été commis», y compris le crime de génocide, contre les Rohingya au Myanmar, «et qu’ils mérit[ai]ent de faire l’objet d’enquêtes et de poursuites pénales». La Cour note également que, au sujet des actes perpétrés contre les Rohingya dans l’Etat rakhine, la mission d’établissement des faits a conclu qu’elle avait «des motifs raisonnables de penser que les éléments permettant de déduire l’existence d’une intention génocidaire [étaient] réunis». La Cour relève en outre que la mission d’établissement des faits a estimé que les niveaux extrêmes de la violence perpétrée contre les Rohingya en 2016 et 2017 résultaient de l’«oppression et de la persécution systématiques» de ces derniers, y compris le déni de leurs statut juridique, identité et citoyenneté, et avaient fait suite à l’incitation à la haine contre les intéressés pour des motifs ethniques, raciaux ou religieux. La Cour rappelle enfin que, à la suite des événements qui se sont produits dans l’Etat rakhine en 2016 et 2017, des centaines de milliers de Rohingya ont fui au Bangladesh.
La Cour précise que, compte tenu de la fonction des mesures conservatoires, l’exceptionnelle gravité des allégations formulées n’est pas un élément décisif justifiant d’établir, à ce stade de la procédure, l’existence d’une intention génocidaire. Selon elle, l’ensemble des faits et circonstances mentionnés ci-dessus suffisent pour conclure que les droits que la Gambie revendique et dont elle sollicite la protection à savoir le droit du groupe rohingya au Myanmar et de ses membres d’être protégés contre les actes de génocide et les actes prohibés connexes mentionnés à l’article III, ainsi que le droit de la Gambie de demander que le Myanmar s’acquitte de ses obligations de ne pas commettre et de prévenir et de punir le génocide en application de la convention sont plausibles.
La Cour en vient ensuite à la question du lien entre les droits revendiqués et les mesures conservatoires sollicitées. La Cour considère que, de par leur nature même, les trois premières mesures conservatoires sollicitées par la Gambie visent à sauvegarder les droits que celle-ci revendique sur la base de la convention sur le génocide en la présente espèce, à savoir le droit du groupe rohingya au Myanmar et de ses membres d’être protégés contre les actes de génocide et les autres actes mentionnés à l’article III, ainsi que le droit du demandeur à ce que le Myanmar s’acquitte des obligations de prévenir et de punir les actes définis et prohibés par les articles II et III, y compris en veillant à la préservation des éléments de preuve. Compte tenu de l’objet des quatrième et cinquième mesures conservatoires sollicitées par la Gambie, la Cour estime que la question de leur lien avec les droits que celle-ci cherche à protéger ne se pose pas. Enfin, en ce qui concerne la sixième mesure conservatoire sollicitée par la Gambie, la Cour ne considère pas que son indication soit nécessaire dans les circonstances de l’espèce.
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IV. LE RISQUE DE PRÉJUDICE IRRÉPARABLE ET L’URGENCE (PAR. 64-75)
La Cour rappelle qu’elle tient de l’article 41 de son Statut le pouvoir d’indiquer des mesures conservatoires lorsqu’il existe un risque qu’un préjudice irréparable soit causé aux droits en litige dans une procédure judiciaire ou lorsque la méconnaissance alléguée de ces droits risque d’entraîner des conséquences irréparables, et que ce pouvoir n’est exercé que s’il y a urgence, c’est-à-dire s’il existe un risque réel et imminent qu’un préjudice irréparable soit causé avant que la Cour ne rende sa décision définitive.
La Cour rappelle, ainsi qu’elle l’a observé dans son avis consultatif sur les Réserves à la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide, que la convention avait «été manifestement adoptée dans un but purement humain et civilisateur», puisque qu’elle «vis[ait] d’une part à sauvegarder l’existence même de certains groupes humains, d’autre part à confirmer et à sanctionner les principes de morale les plus élémentaires». A la lumière des valeurs fondamentales que la convention sur le génocide entend protéger, la Cour considère que les droits en cause en l’espèce et, en particulier, celui du groupe rohingya au Myanmar et de ses membres d’être protégés contre les meurtres et autres actes menaçant leur existence en tant que groupe, sont de nature telle que le préjudice qui leur serait porté pourrait être irréparable.
La Cour relève qu’il ressort des rapports de la mission d’établissement des faits que, depuis le mois d’octobre 2016, les Rohingya au Myanmar subissent des actes susceptibles de porter atteinte à leur droit à l’existence en tant que groupe protégé au titre de la convention sur le génocide, tels que des massacres, des viols et d’autres formes de violence sexuelle généralisés ainsi que des passages à tabac, des destructions de villages et de maisons, et des privations de nourriture, d’abris et d’autres moyens d’existence élémentaires. La Cour est en outre d’avis que les Rohingya au Myanmar demeurent extrêmement vulnérables. A cet égard, la Cour observe que, dans sa résolution 74/246 du 27 décembre 2019, l’Assemblée générale a constaté que,
«bien qu’ayant vécu au Myanmar depuis des générations avant l’indépendance de ce pays, les musulmans rohingya avaient été rendus apatrides par la promulgation de la loi de 1982 sur la citoyenneté et privés du droit de vote et exclus du processus électoral en 2015».
La Cour prend également note des constatations détaillées de la mission d’établissement des faits sur le Myanmar présentées au Conseil des droits de l’homme en septembre 2019, dans lesquelles il est fait référence au risque de violations de la convention sur le génocide et dans lesquelles la mission «conclut sur la base de motifs raisonnables que le peuple rohingya continue de courir un risque sérieux de génocide au sens de la convention sur le génocide».
Par ailleurs, la Cour est d’avis que les mesures que le défendeur a déclaré avoir prises en vue de faciliter le retour des réfugiés rohingya se trouvant au Bangladesh, de promouvoir la réconciliation interethnique, la paix et la stabilité dans l’Etat rakhine, et de faire en sorte que son armée réponde des violations du droit international humanitaire et des droits de l’homme qui ont été commises, ne paraissent pas suffisantes en elles-mêmes pour écarter la possibilité que soient commis des actes de nature à causer un préjudice irréparable aux droits invoqués par la Gambie en vue de protéger les Rohingya au Myanmar. La Cour relève notamment que le Myanmar ne lui a présenté aucune mesure concrète visant spécifiquement à reconnaître et à garantir le droit des Rohingya d’exister en tant que groupe protégé au titre de la convention sur le génocide. En outre, la Cour note que l’Assemblée générale des Nations Unies a dit, dans sa résolution 74/246 en date du 27 décembre 2019, regretter que
«la situation ne se soit pas améliorée dans l’Etat rakhine, afin de créer les conditions nécessaires au retour volontaire, dans la dignité et dans la sécurité, dans leur lieu d’origine, des réfugiés et autres personnes déplacées de force»,
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et s’est de nouveau déclarée
«profondément consternée par les informations selon lesquelles, dans l’Etat rakhine, des Rohingya non armés étaient soumis à un emploi excessif de la force ainsi qu’à des violations du droit des droits de l’homme et du droit international humanitaire par l’armée et les forces de sécurité».
Enfin, la Cour fait observer que, indépendamment de la situation à laquelle le Gouvernement du Myanmar est confronté dans l’Etat rakhine, notamment le fait qu’un conflit interne continuerait de s’y dérouler entre des groupes armés et l’armée du Myanmar et que des mesures de sécurité sont en vigueur, le défendeur reste soumis aux obligations qui lui incombent en tant qu’Etat partie à la convention sur le génocide. La Cour rappelle que, conformément au libellé de l’article premier de cet instrument, les Etats parties ont expressément confirmé leur volonté de considérer le génocide comme un crime du droit des gens qu’ils doivent prévenir et punir indépendamment du contexte «de paix» ou «de guerre» dans lequel il se produirait. Le contexte invoqué par le Myanmar ne saurait avoir d’incidence sur l’appréciation par la Cour de l’existence d’un risque réel et imminent qu’un préjudice irréparable soit causé aux droits protégés par la convention.
La Cour conclut qu’il existe un risque réel et imminent qu’un préjudice irréparable soit causé aux droits invoqués par le demandeur, tels qu’elle les a énoncés.
V. CONCLUSION ET MESURES À ADOPTER (PAR. 76-85)
La Cour conclut que les conditions auxquelles son Statut subordonne l’indication de mesures conservatoires sont réunies, et qu’il y a lieu pour elle d’indiquer, dans l’attente de sa décision définitive, certaines mesures visant à protéger les droits revendiqués par la Gambie.
Gardant à l’esprit le devoir du Myanmar de s’acquitter des obligations qui lui incombent au titre de la convention sur le génocide, la Cour considère que, s’agissant de la situation décrite précédemment, le défendeur doit, conformément aux obligations lui incombant au titre de la convention, prendre toutes les mesures en son pouvoir afin de prévenir la commission, à l’encontre des membres du groupe rohingya présents sur son territoire, de tout acte entrant dans le champ d’application de l’article II de la convention, en particulier : a) meurtre de membres du groupe ; b) atteinte grave à l’intégrité physique ou mentale de membres du groupe ; c) soumission intentionnelle du groupe à des conditions d’existence devant entraîner sa destruction physique totale ou partielle ; et d) mesures visant à entraver les naissances au sein du groupe.
Le Myanmar doit également veiller à ce que ni ses unités militaires, ni aucune unité armée irrégulière qui pourrait relever de son autorité ou bénéficier de son appui ou organisation ou personne qui pourrait se trouver sous son contrôle, son autorité ou son influence ne commettent, à l’encontre des membres du groupe rohingya présents sur son territoire, d’actes de génocide, ou ne participent à une entente en vue de commettre le génocide, n’incitent directement et publiquement à le commettre, ne se livrent à une tentative de génocide ou ne se rendent complices de ce crime.
En outre, la Cour est d’avis que le Myanmar doit prendre des mesures effectives pour prévenir la destruction et assurer la conservation de tout élément de preuve relatif aux allégations d’actes entrant dans le champ d’application de l’article II de la convention sur le génocide.
La Cour estime enfin que le Myanmar doit lui fournir un rapport sur l’ensemble des mesures prises pour exécuter la présente ordonnance dans un délai de quatre mois à compter de la date de celle-ci, puis tous les six mois jusqu’à ce que la Cour ait rendu sa décision définitive en l’affaire.
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VI. DISPOSITIF (PAR. 86)
Le texte intégral du dernier paragraphe de l’ordonnance se lit comme suit :
«Par ces motifs,
LA COUR,
Indique à titre provisoire les mesures conservatoires suivantes :
1) A l’unanimité,
La République de l’Union du Myanmar doit, conformément aux obligations lui incombant au titre de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide, prendre toutes les mesures en son pouvoir afin de prévenir la commission, à l’encontre des membres du groupe rohingya présents sur son territoire, de tout acte entrant dans le champ d’application de l’article II de la convention, en particulier :
a) meurtre de membres du groupe ;
b) atteinte grave à l’intégrité physique ou mentale de membres du groupe ;
c) soumission intentionnelle du groupe à des conditions d’existence devant entraîner sa destruction physique totale ou partielle ; et
d) mesures visant à entraver les naissances au sein du groupe ;
2) A l’unanimité,
La République de l’Union du Myanmar doit veiller à ce que ni ses unités militaires, ni aucune unité armée irrégulière qui pourrait relever de son autorité ou bénéficier de son appui ou organisation ou personne qui pourrait se trouver sous son contrôle, son autorité ou son influence ne commettent, à l’encontre des membres du groupe rohingya présents sur son territoire, l’un quelconque des actes définis au point 1) ci-dessus, ou ne participent à une entente en vue de commettre le génocide, n’incitent directement et publiquement à le commettre, ne se livrent à une tentative de génocide ou ne se rendent complices de ce crime ;
3) A l’unanimité,
La République de l’Union du Myanmar doit prendre des mesures effectives pour prévenir la destruction et assurer la conservation des éléments de preuve relatifs aux allégations d’actes entrant dans le champ d’application de l’article II de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide ;
4) A l’unanimité,
La République de l’Union du Myanmar doit fournir à la Cour un rapport sur l’ensemble des mesures prises pour exécuter la présente ordonnance dans un délai de quatre mois à compter de la date de celle-ci, puis tous les six mois jusqu’à ce que la Cour ait rendu sa décision définitive en l’affaire.»
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Mme la juge Xue, vice-présidente, joint à l’ordonnance l’exposé de son opinion individuelle ; M. le juge Cançado Trindade joint à l’ordonnance l’exposé de son opinion individuelle ; M. le juge ad hoc Kress joint une déclaration à l’ordonnance.
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Annexe au résumé 2020/1
Opinion individuelle de Mme la juge Xue, vice-présidente
La juge Xue a voté en faveur du dispositif de l’ordonnance. En expliquant son vote, elle exprime toutefois certaines réserves quant au raisonnement de la Cour.
Premièrement, la plausibilité que la présente espèce entre dans les prévisions de la convention sur le génocide continue de lui inspirer de sérieuses réserves. La juge Xue est d’avis que, même si la Cour n’était pas tenue de se prononcer sur l’existence d’une intention génocidaire, les actes allégués et les circonstances pertinentes devaient, à tout le moins, démontrer prima facie que la nature et la portée desdits actes avaient atteint le niveau à partir duquel une ligne de conduite peut être considérée comme un comportement génocidaire. Or, les éléments de preuve et documents qui ont été soumis à la Cour en la présente espèce, bien que révélant d’effroyables violations des droits de l’homme, mettent en évidence, non pas un génocide, mais un problème de mauvais traitement de certaines minorités ethniques au Myanmar qui n’a que trop duré. La gravité de la situation ne change pas la nature de ce que celle-ci recouvre, à savoir la question de la réconciliation nationale et de l’égalité des minorités ethniques au Myanmar.
En ce qui concerne la question de la qualité pour agir de la Gambie, la juge Xue n’est pas d’accord avec la majorité pour considérer que, au vu de l’arrêt que la Cour a rendu en l’affaire Belgique c. Sénégal, la Gambie a qualité pour agir en la présente espèce. Elle souligne que les faits de cette dernière sont entièrement différents de ceux de l’affaire Belgique c. Sénégal. Dans cette affaire, le demandeur avait introduit l’instance contre le Sénégal devant la Cour non pas parce qu’il avait simplement un intérêt partagé par tous les Etats parties à ce que la convention contre la torture soit respectée, mais parce qu’il était spécialement affecté par l’inexécution alléguée par le Sénégal de son obligation aut dedere aut judicare énoncée à l’article 7 dudit instrument, des actions ayant été engagées devant ses juridictions nationales contre M. Hissène Habré au sujet d’allégations de torture. Autrement dit, la Belgique était supposée être un Etat lésé au regard des règles relatives à la responsabilité des Etats.
Selon la juge Xue, le fait que chaque Etat partie à la convention contre la torture ait un intérêt à ce que les obligations erga omnes partes qui y sont énoncées soient respectées est une chose ; c’en est une tout autre que de permettre à tout Etat partie d’introduire une instance devant la Cour contre un autre Etat partie sans aucune restriction en matière de compétence et de recevabilité. Il en va de même en ce qui concerne la convention sur le génocide ou tout autre traité relatif aux droits de l’homme.
La juge Xue souligne en outre que, si noble soit-elle, la raison d’être de la convention sur le génocide, telle qu’illustrée par la Cour dans l’avis consultatif qu’elle a donné sur les Réserves à la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide ne confère pas, en soi, à tout Etat partie une base juridictionnelle et la qualité pour agir devant la Cour. Dans le cas contraire, il serait inexplicable que le droit international autorise que soient formulées des réserves à la compétence de la Cour en vertu de l’article IX de la convention. Les Etats ayant formulé pareilles réserves sont eux aussi attachés à la raison d’être de celle-ci. Le fait qu’il ne puisse être recouru à la Cour ni par eux ni contre eux ne signifie nullement qu’ils ne partagent pas l’intérêt commun que soient réalisées les fins supérieures de cet instrument. La mesure dans laquelle un Etat partie peut agir au nom des autres Etats parties en faveur de cet intérêt commun en introduisant une instance devant la Cour n’est pas sans incidence sur les relations internationales ainsi que sur la structure du droit international.
La juge Xue relève en outre que le recours à la Cour n’est pas le seul moyen de protéger l’intérêt commun des Etats parties à ce que soient réalisées les fins supérieures de la convention. Certains organes des Nations Unies, dont l’Assemblée générale, le Conseil des droits de l’homme et le bureau du Haut-Commissaire des Nations Unies pour les droits de l’homme se tiennent prêts à agir et, de fait, interviennent en l’espèce pour veiller à ce que soit assurée la prévention des actes
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prohibés par la convention sur le génocide et, si de tels actes se sont produits, à ce que leurs auteurs soient traduits en justice. A cet égard, c’est au système de justice pénale de l’Etat concerné qu’incombe la responsabilité principale.
La juge Xue est d’avis que, au regard des règles relatives à la responsabilité des Etats, c’est l’Etat lésé, qui est spécialement affecté par les violations alléguées, qui a qualité pour invoquer la responsabilité d’un autre Etat devant la Cour. La position exprimée par la Cour dans la présente ordonnance, bien que provisoire, remettrait en cause l’article 48 des articles de la CDI sur la responsabilité de l’Etat pour fait internationalement illicite. La question de la portée que peut avoir concrètement cette interprétation involontaire de la convention reste entière, puisque ses répercussions sur le droit international général et la pratique des Etats iraient sans doute bien au-delà de la présente espèce.
En dépit de ses réserves, la juge Xue souscrit à l’indication des mesures conservatoires énoncées dans la présente ordonnance, et ce, pour un certain nombre de raisons. Premièrement, les deux rapports de la mission d’établissement des faits des Nations Unies sur le Myanmar révèlent, même prima facie, que de graves violations des droits de l’homme et du droit international humanitaire ont été commises contre les Rohingya et d’autres minorités ethniques dans l’Etat rakhine au Myanmar. Compte tenu de la gravité et de l’ampleur des actes qui auraient été commis, des mesures visant à s’assurer que le Myanmar, en tant qu’Etat partie à la convention sur le génocide, respecte ses obligations internationales au titre de la convention et, en particulier, celle de prévenir le génocide, ne sauraient être considérées comme injustifiées dans les circonstances de l’espèce. Deuxièmement, le Myanmar a reconnu à l’audience que, au cours des opérations militaires qu’il a menées, il pouvait y avoir eu un recours excessif à la force, que des violations des droits de l’homme et du droit international humanitaire avaient pu être commises dans l’Etat rakhine et qu’il y avait peut-être eu également des manquements à empêcher des civils de piller ou détruire des biens après des combats ou dans des villages abandonnés. Des conflits armés internes risquant d’éclater de nouveau dans l’Etat rakhine, les mesures conservatoires que la Cour a indiquées devraient, selon la juge Xue, permettre de mieux contrôler la situation. Enfin, il est manifeste que les Rohingya en tant que groupe demeurent vulnérables dans les conditions actuelles. Avec plus de 740 000 personnes déplacées de leur pays, la situation exigeait des mesures préventives.
Au vu des considérations qui précèdent, la juge Xue souscrit à l’indication des mesures conservatoires énoncées dans la précédente ordonnance. Elle précise que les questions qu’elle a soulevées dans l’exposé de son opinion individuelle devraient être examinées de manière plus approfondie le moment venu.
Opinion individuelle de M. le juge Cançado Trindade
1. Dans son opinion individuelle, qui compte sept parties, le juge Cançado Trindade présente les fondements de sa position personnelle au sujet de la décision que la Cour a rendue en la présente affaire relative à l’Application de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Gambie c. Myanmar). Après quelques considérations introductives formulées dans une perspective historique (partie I), il souligne que la présente ordonnance, qui vient d’être adoptée par la Cour, l’a été à l’unanimité, ce qui est un point important, les mesures conservatoires indiquées visant à apporter la protection nécessaire à des êtres humains qui sont de longue date victimes d’une situation d’extrême vulnérabilité.
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2. Le juge Cançado Trindade, qui a voté en faveur de l’ordonnance, rejette d’emblée toute approche volontariste de la question, la conscience humaine l’emportant sur la volonté des Etats (par. 5). Il examine ensuite les mesures conservatoires précédemment indiquées par la Cour au titre de la convention sur le génocide (partie II). Gardant ces éléments à l’esprit, il s’attache plus particulièrement aux constatations de la mission internationale d’établissement des faits dans le cas d’espèce.
3. Le juge Cançado Trindade examine attentivement (parties III et IV) les passages pertinents, d’abord, des rapports de la mission internationale indépendante d’établissement des faits de l’ONU sur le Myanmar (en date du 12 septembre 2018, du 8 août 2019 et du 16 septembre 2019), puis de ceux du rapporteur spécial de l’ONU sur la situation des droits de l’homme au Myanmar (en date du 30 août 2019, du 2 mai 2019 et du 20 août 2018), qui révèlent les souffrances infligées aux Rohingya au Myanmar (par. 15-52).
4. Ces rapports de l’ONU rendent effectivement compte, souligne-t-il, de
«la grande souffrance endurée par les nombreuses victimes de la tragédie qui se déroule au Myanmar ; outre ceux qui ont été tués ou sont décédés, les rescapés demeurent dans une situation d’extrême vulnérabilité. J’attache une grande importance à la vulnérabilité humaine, à laquelle j’ai toujours été attentif ; je reviendrai sur ce point plus longuement dans les paragraphes suivants de la partie V de la présente opinion individuelle.
Les mesures conservatoires que la Cour vient d’indiquer dans le cas d’espèce visent à sauvegarder les droits fondamentaux des rescapés. La souffrance des victimes a occupé une place importante dans les écrits des penseurs au fil des siècles.» (Par. 53 et 54.)
5. Dans la partie V de son opinion individuelle, le juge Cançado Trindade s’intéresse ensuite plus particulièrement aux mesures conservatoires et à l’impérieuse nécessité de remédier à l’extrême vulnérabilité des victimes, rappelant notamment l’héritage de la deuxième conférence mondiale sur les droits de l’homme (1993) et l’attention portée dans ce cadre à la question de la vulnérabilité humaine (par. 55-65), ainsi que la jurisprudence internationale et la nécessité de traiter cette question comme il se doit (par. 66-74).
6. Il souligne que
«[l]’invocation de l’extrême vulnérabilité humaine est un élément qu’il est fondamental de prendre en compte au moment de décider de l’indication de mesures conservatoires dans une affaire comme celle-ci, qui concerne l’Application de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide. En effet, la Cour est régulièrement saisie d’affaires révélatrices de la cruauté des hommes, laquelle est aussi ancienne que le genre humain.» (Par. 72.)
Après avoir examiné la jurisprudence récente de la Cour, le juge Cançado Trindade fait observer qu’il est «indispensable d’adopter une approche centrée sur les populations, en gardant à l’esprit le droit fondamental à la vie, la raison d’humanité l’emportant sur la raison d’Etat» (par. 74).
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7. Le juge Cançado Trindade relève ensuite qu’il est de la plus haute importance de sauvegarder les droits fondamentaux au moyen de mesures conservatoires, dans le domaine du jus cogens, au titre de la convention sur le génocide et du droit international coutumier correspondant (partie VI). Il souligne le caractère véritablement fondamental des droits protégés par la présente ordonnance en indication de mesures conservatoires, à commencer notamment par le droit à la vie, le droit à l’intégrité personnelle et le droit à la santé (par. 75).
8. Le juge Cançado Trindade ajoute que ces droits ne sont pas simplement «plausibles», comme le dit la Cour. Il est indispensable de mener une réflexion approfondie sur cet emploi superficiel du terme «plausible» — invention récente et malheureuse de la majorité de la Cour —, qui est dénué de sens (par. 76). L’objectif premier est de protéger les êtres humains se trouvant dans une situation continue d’extrême vulnérabilité qui porte atteinte à leurs droits fondamentaux (par. 77). S’agissant ici de droits de l’homme fondamentaux, il convient de rappeler que le principe essentiel de l’égalité et de l’absence de discrimination est au coeur des droits protégés par la convention sur le génocide et les conventions relatives aux droits de l’homme, ainsi que par les mesures conservatoires (par. 80).
9. Selon le juge Cançado Trindade, le droit et la justice sont indissociables dans la mission dont est investie la Cour, qui consiste à oeuvrer en faveur d’un droit international humanisé dans un monde contemporain déshumanisé (par. 80). Il faut se préoccuper des victimes plutôt que de ménager les susceptibilités des Etats, estime-t-il. En somme, «le jus cogens doit être dûment pris en considération au regard de la convention sur le génocide et du droit international coutumier correspondant» (par. 87).
10. Le juge Cançado Trindade en arrive ainsi à un épilogue récapitulant les principaux points soulevés dans son opinion individuelle (partie VII), de sorte à pérenniser les progrès accomplis dans le domaine du régime juridique autonome des mesures conservatoires (par. 88). Dans une affaire comme celle-ci, affirme-t-il, les dispositions de la convention sur le génocide constituent un «droit de protection» qui tend à sauvegarder les droits fondamentaux de ceux qui sont victimes d’une situation continue d’extrême vulnérabilité humaine, de manière également à garantir la primauté du droit (par. 89).
11. Les mesures conservatoires telles que celles indiquées ici par la Cour ont pour but de mettre fin à la situation continue d’extrême vulnérabilité dans laquelle se trouvent les victimes (par. 91). Le juge Cançado Trindade ajoute que les mesures conservatoires, qui ont récemment permis de protéger un nombre croissant de personnes se trouvant dans une telle situation, semblent être devenues une véritable garantie juridique de nature préventive (par. 92).
12. Il relève que l’héritage de la deuxième conférence mondiale sur les droits de l’homme (Vienne, 1993) a largement contribué, précisément, à la protection des personnes en situation de grande vulnérabilité. En outre, la jurisprudence internationale, comme le montre le cas d’espèce, peut servir à prendre dûment en compte l’extrême vulnérabilité humaine (par. 93). Et le juge Cançado Trindade de conclure que la présente affaire montre que
«la détermination et l’indication de mesures conservatoires au titre de la convention sur le génocide et des conventions relatives aux droits de l’homme exigent d’adopter un point de vue humaniste qui évite nécessairement les écueils d’une approche volontariste dépassée et inopportune privilégiant la volonté des Etats» (par. 94).
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Déclaration de M. le juge ad hoc Kress
Dans sa déclaration, le juge ad hoc Kress observe que l’ordonnance doit être lue en gardant à l’esprit la fonction protectrice qui caractérise l’indication de mesures conservatoires. Il relève en particulier que la Cour n’a nullement procédé, à ce premier stade de la procédure, à un examen détaillé de la question de l’intention génocidaire, loin de là. Dès lors, et compte tenu de l’exceptionnelle gravité des violations alléguées, le juge ad hoc Kress estime opportun de souligner que l’ordonnance de la Cour ne préjuge en rien le fond de l’affaire.
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Résumé de l'ordonnance du 23 janvier 2020