COUR INTERNATIONALE DE JUSTICE
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Résumé
Document non officiel
Résumé 2019/4
Le 17 juillet 2019
Affaire Jadhav (Inde c. Pakistan) Résumé de l’arrêt du 17 juillet 2019
Contexte procédural (par. 1-19)
La Cour rappelle que, le 8 mai 2017, le Gouvernement de la République de l’Inde (ci-après l’«Inde») a déposé une requête introductive d’instance contre la République islamique du Pakistan (ci-après le «Pakistan»), dénonçant des violations de la convention de Vienne sur les relations consulaires du 24 avril 1963 (ci-après la «convention de Vienne») qui auraient été commises «dans le cadre de la détention et du procès d’un ressortissant indien, M. Kulbhushan Sudhir Jadhav», condamné à mort par un tribunal militaire au Pakistan en avril 2017. Le même jour, l’Inde a présenté une demande en indication de mesures conservatoires.
Par ordonnance du 18 mai 2017, la Cour a indiqué les mesures conservatoires suivantes :
«Le Pakistan prendra toutes les mesures dont il dispose pour que M. Jadhav ne soit pas exécuté tant que la décision définitive en la présente instance n’aura pas été rendue, et portera à la connaissance de la Cour toutes les mesures qui auront été prises en application de la présente ordonnance.»
La Cour a également indiqué que, «jusqu’à ce qu’elle rende sa décision définitive, [elle] demeurera[it] saisie des questions qui f[aisaient] l’objet de [cette] ordonnance».
I. CONTEXTE FACTUEL (PAR. 20-32)
La Cour commence par exposer le contexte factuel de l’affaire. Elle rappelle que depuis le 3 mars 2016, une personne du nom de Kulbhushan Sudhir Jadhav (ci-après «M. Jadhav») est détenue par les autorités pakistanaises. Les circonstances de son arrestation demeurent controversées entre les Parties. Selon l’Inde, l’intéressé a été enlevé en Iran, puis transféré et mis en détention au Pakistan pour y faire l’objet d’interrogatoires. Le défendeur soutient que M. Jadhav, qu’il accuse de s’être livré à des actes d’espionnage et de terrorisme pour le compte de l’Inde, a été arrêté au Baloutchistan, à proximité de la frontière avec l’Iran, après être entré illégalement sur le territoire pakistanais. Il précise que, au moment de son arrestation, l’intéressé était en possession d’un passeport indien établi au nom de «Hussein Mubarak Patel». L’Inde nie ces allégations.
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La Cour relève que, le 25 mars 2016, le Pakistan a soulevé la question auprès du haut-commissaire indien à Islamabad et diffusé un enregistrement vidéo dans lequel M. Jadhav semble avouer avoir participé à des actes d’espionnage et de terrorisme en territoire pakistanais sur ordre du «Research and Analysis Wing», le service de renseignement extérieur de l’Inde (également désigné par l’acronyme «RAW»). La Cour ignore dans quelles circonstances cet enregistrement a été réalisé. Le même jour, le défendeur a informé les membres permanents du Conseil de sécurité de l’Organisation des Nations Unies de la question.
Le même jour également, l’Inde a, au moyen d’une note verbale adressée au ministère pakistanais des affaires étrangères par son haut-commissariat à Islamabad, pris note de l’«arrestation présumée d’un ressortissant indien» et demandé à pouvoir entrer en communication «au plus vite» avec «l’intéressé» par l’entremise de ses autorités consulaires. Par la suite, et jusqu’au 9 octobre 2017 au moins, elle a envoyé plus de dix notes verbales dans lesquelles elle identifiait M. Jadhav comme étant un ressortissant indien et sollicitait la possibilité de communiquer avec lui par l’entremise de ses autorités consulaires.
Le procès de M. Jadhav a débuté le 21 septembre 2016 et, selon le Pakistan, a été conduit devant une cour martiale générale de campagne. Différents détails concernant ce procès ont été rendus publics dans un communiqué de presse et une déclaration datés des 10 et 14 avril 2017, respectivement. Au vu de ces éléments (qui sont les seuls à avoir été fournis à la Cour), il apparaît que M. Jadhav a été jugé au titre de l’article 59 de la loi militaire pakistanaise de 1952 et de l’article 3 de la loi sur les secrets d’Etat de 1923. Le Pakistan affirme que, après que le procès eut commencé, l’intéressé s’est vu accorder un délai supplémentaire de trois semaines pour préparer sa défense, un «officier juriste qualifié» ayant été spécialement désigné à cette fin.
Le 23 janvier 2017, le ministère pakistanais des affaires étrangères a adressé au haut-commissariat de l’Inde à Islamabad une «demande d’assistance aux fins d’enquête pénale contre le ressortissant indien Kulbhushan Sudhair Jadhev», sollicitant notamment une aide en vue d’«obtenir des preuves, des éléments et des enregistrements aux fins de l’enquête pénale» sur les activités de l’intéressé.
Le 21 mars 2017, le ministère pakistanais des affaires étrangères a adressé au haut-commissariat de l’Inde à Islamabad une note verbale précisant que la demande de celle-ci tendant à pouvoir communiquer avec son ressortissant par l’entremise de ses autorités consulaires serait examinée «à la lumière de la suite [qu’elle] donnera[it] à la demande d’assistance aux fins d’enquête et de célérité de la justice formulée par le Pakistan». Le 31 mars 2017, l’Inde a répondu que «le fait d’être autorisée à communiquer avec M. Jadhav par l’entremise de ses autorités consulaires [était] une condition préalable essentielle pour établir les faits et comprendre les circonstances de la présence de l’intéressé au Pakistan». Les Parties ont avancé des arguments analogues dans le cadre d’échanges diplomatiques ultérieurs.
Le 10 avril 2017, le Pakistan a annoncé que M. Jadhav avait été condamné à mort.
Le 26 avril 2017, le haut-commissariat de l’Inde à Islamabad a remis au défendeur, au nom de la mère de M. Jadhav, un «appel» formé au titre de l’article 133 B) de la loi militaire pakistanaise et un recours auprès du Gouvernement fédéral du Pakistan introduit au titre de l’article 131 de ce même texte. Le 22 juin 2017, le service interarmées de relations publiques du Pakistan a publié un communiqué de presse annonçant que l’intéressé avait introduit un recours en grâce auprès du chef d’état-major de l’armée après que son appel eut été rejeté par la cour d’appel militaire. L’Inde affirme n’avoir reçu aucune information claire sur les circonstances dans lesquelles cet appel aurait été formé ni sur l’état d’avancement de tout recours introduit contre la condamnation de l’intéressé.
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II. COMPÉTENCE (PAR. 33-38)
La Cour commence par observer que l’Inde et le Pakistan sont parties à la convention de Vienne depuis le 28 décembre 1977 et le 14 mai 1969, respectivement, et qu’ils étaient également, au moment du dépôt de la requête, parties au protocole de signature facultative à la convention de Vienne sur les relations consulaires concernant le règlement obligatoire des différends (ci-après le «protocole de signature facultative»), auquel ils n’ont pas émis de réserve ni joint de déclaration. L’Inde entend fonder la compétence de la Cour sur le paragraphe 1 de l’article 36 du Statut et sur l’article premier du protocole de signature facultative, qui se lit comme suit :
«Les différends relatifs à l’interprétation ou à l’application de la Convention relèvent de la compétence obligatoire de la Cour internationale de Justice qui, à ce titre, pourra être saisie par une requête de toute partie au différend qui sera elle-même partie au présent Protocole.»
Selon la Cour, le différend qui oppose les Parties a trait à la question de l’assistance consulaire au regard de l’arrestation, de la détention, du procès et de la condamnation de M. Jadhav. La Cour note que le Pakistan n’a pas contesté qu’il porte sur l’interprétation et l’application de la convention de Vienne.
En ce qui concerne les conclusions de l’Inde, dans lesquelles celle-ci la prie de dire que le Pakistan a violé les «droits de l’homme élémentaires de M. Jadhav, auxquels il convient également de donner effet en application de l’article 14 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques de 1966», la Cour observe que sa compétence en la présente espèce découle de l’article premier du protocole de signature facultative et, partant, ne s’étend pas à la question de savoir si des obligations de droit international autres que celles découlant de la convention de Vienne n’ont pas été respectées.
Cette conclusion n’empêche pas la Cour de tenir compte d’autres obligations de droit international dans la mesure où elles sont pertinentes aux fins de l’interprétation de la convention de Vienne.
Au vu de ce qui précède, la Cour conclut qu’elle a compétence en vertu de l’article premier du protocole de signature facultative pour connaître des demandes de l’Inde fondées sur des violations alléguées de la convention de Vienne.
III. RECEVABILITÉ (PAR. 39-66)
Le Pakistan a soulevé trois exceptions d’irrecevabilité de la requête de l’Inde. Celles-ci sont fondées sur les prétendus abus de procédure, abus de droit et comportement illicite de l’Inde. La Cour examine ces exceptions tour à tour.
A. Première exception : abus de procédure (par. 40-50)
Dans sa première exception d’irrecevabilité, le Pakistan prie la Cour de dire que l’Inde a abusé des procédures devant la Cour. Il avance à cet effet deux arguments principaux. Premièrement, le Pakistan soutient que, dans sa demande en indication de mesures conservatoires du 8 mai 2017, l’Inde n’a pas appelé l’attention de la Cour sur l’existence d’un droit, énoncé dans sa Constitution, d’introduire un recours en grâce. Deuxièmement, il soutient que, avant d’introduire la présente instance le 8 mai 2017, l’Inde a omis de prendre en considération d’autres mécanismes de règlement des différends prévus aux articles II et III du protocole de signature facultative.
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S’agissant du premier argument du Pakistan, la Cour observe que, dans son ordonnance en indication de mesures conservatoires, elle a pris en considération les éventuelles conséquences sur la situation de M. Jadhav des différentes procédures d’appel ou de recours prévues en droit pakistanais, y compris le recours en grâce auquel le défendeur se réfère à l’appui de son argument. A cet égard, elle a notamment conclu qu’«[i]l exist[ait] une grande incertitude quant à la date à laquelle une décision sur un éventuel appel ou recours pourrait être rendue et, dans le cas où la condamnation serait confirmée, quant à la date à laquelle M. Jadhav pourrait être exécuté». En conséquence, il n’existe aucun fondement permettant de conclure que l’Inde aurait abusé de ses droits procéduraux lorsqu’elle a demandé à la Cour d’indiquer des mesures conservatoires en la présente affaire.
S’agissant du second argument, la Cour note qu’aucune des dispositions du protocole de signature facultative sur lesquelles le Pakistan se fonde n’énonce des conditions préalables à l’exercice de sa compétence. Il s’ensuit que l’Inde n’était pas tenue, en la présente espèce, d’envisager le recours à d’autres mécanismes de règlement des différends avant d’introduire une instance devant la Cour le 8 mai 2017. L’exception du Pakistan fondée sur le fait que l’Inde n’aurait pas respecté les articles II et III du protocole de signature facultative ne saurait donc être retenue.
La Cour en conclut que la première exception d’irrecevabilité de la requête de l’Inde soulevée par le Pakistan doit être rejetée.
B. Deuxième exception : abus de droit (par. 51-58)
Dans sa deuxième exception d’irrecevabilité, le Pakistan prie la Cour de juger que l’Inde a abusé de différents droits que lui confère le droit international. Dans ses écritures et plaidoiries, il a fondé cette exception sur trois arguments principaux. Premièrement, il se réfère au refus de l’Inde de «fournir des preuves» de la nationalité indienne de M. Jadhav au moyen du «véritable passeport [de l’intéressé] établi à son vrai nom», alors même qu’elle a l’obligation de le faire. Deuxièmement, il fait valoir que l’Inde a omis de donner suite à sa demande d’assistance dans le cadre des enquêtes pénales visant les activités de M. Jadhav. Troisièmement, il soutient que l’Inde a autorisé celui-ci à traverser la frontière indienne muni d’un «passeport authentique établi sous une fausse identité» en vue de mener des activités d’espionnage et de terrorisme. Pour étayer ces arguments, le Pakistan invoque diverses obligations relatives à la lutte contre le terrorisme énoncées dans la résolution 1373 (2001) du Conseil de sécurité.
La Cour rappelle que, dans l’arrêt qu’elle a rendu sur les exceptions préliminaires en l’affaire des Immunités et procédures pénales (Guinée équatoriale c. France), elle a précisé que l’abus de droit ne peut être invoqué comme cause d’irrecevabilité alors que l’établissement du droit en question relève du fond de l’affaire. Elle note cependant que, en soulevant l’argument selon lequel l’Inde ne lui a pas fourni le véritable passeport portant le vrai nom de l’intéressé, le Pakistan semble indiquer que celle-ci n’a pas prouvé la nationalité de l’intéressé.
A cet égard, la Cour observe qu’il ressort des éléments versés au dossier que les deux Parties ont considéré M. Jadhav comme étant un ressortissant indien. Dès lors, elle estime que les éléments qui lui ont été soumis ne laissent guère de doute quant au fait que l’intéressé est de nationalité indienne.
Le Pakistan se réfère en outre à différents manquements allégués de l’Inde à ses obligations au titre de la résolution 1373 (2001) du Conseil de sécurité, soutenant en particulier que l’Inde n’a pas répondu à sa demande d’entraide judiciaire aux fins des enquêtes pénales menées par lui sur les activités de terrorisme et d’espionnage de M. Jadhav. La Cour observe que, en substance, il semble faire valoir que l’Inde ne peut demander à fournir une assistance consulaire à M. Jadhav, alors que, dans le même temps, elle a, par suite des actes susmentionnés, manqué à certaines obligations que
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lui impose par ailleurs le droit international. Quoique le Pakistan n’ait pas clairement expliqué le lien entre ces allégations et les droits invoqués par l’Inde au fond, la Cour estime que celles-ci relèvent du fond de l’affaire et, partant, ne sauraient être invoquées pour fonder une exception d’irrecevabilité.
Pour ces motifs, la Cour conclut que la deuxième exception d’irrecevabilité de la requête de l’Inde soulevée par le Pakistan doit être rejetée. Les deuxième et troisième arguments avancés par le défendeur sont examinés au fond.
C. Troisième exception : allégation de comportement illicite de l’Inde (par. 59-65)
Dans sa troisième exception d’irrecevabilité, le Pakistan prie la Cour de rejeter la requête en raison du comportement prétendument illicite de l’Inde, se fondant sur la doctrine des «mains propres» et les principes «ex turpi causa non oritur actio» et «ex injuria jus non oritur». Il fait valoir, en particulier, que celle-ci n’a pas répondu à sa demande d’assistance dans le cadre de l’enquête visant les activités de M. Jadhav, qu’elle a fourni à ce dernier un «passeport authentique établi sous une fausse identité» et, plus généralement, qu’elle est responsable des activités d’espionnage et de terrorisme menées par l’intéressé au Pakistan.
La Cour ne considère pas qu’une exception fondée sur la doctrine des «mains propres» puisse en soi rendre irrecevable une requête reposant sur une base de compétence valable. Elle en conclut que l’exception soulevée par le Pakistan sur la base de ladite doctrine doit être rejetée.
S’agissant de l’argument fondé sur un principe qu’il appelle «ex turpi causa [non oritur actio]», la Cour estime que le Pakistan n’a pas expliqué de quelle manière l’un quelconque des actes illicites qu’aurait commis l’Inde l’aurait empêché de satisfaire à son obligation consistant à faire en sorte que M. Jadhav puisse bénéficier d’une assistance consulaire. Elle en conclut qu’il ne saurait être fait droit à l’exception du Pakistan fondée sur le principe «ex turpi causa non oritur actio».
Cette constatation conduit la Cour à une conclusion analogue en ce qui concerne le principe ex injuria jus non oritur, selon lequel un comportement illicite ne saurait modifier le droit applicable dans les relations entre les parties. Selon la Cour, ce principe est dépourvu de pertinence dans les circonstances de la présente espèce.
En conséquence, la Cour considère que la troisième exception d’irrecevabilité de la requête de l’Inde soulevée par le Pakistan doit être rejetée.
Compte tenu de ce qui précède, la Cour conclut que les trois exceptions d’irrecevabilité de la requête soulevées par le Pakistan doivent être rejetées, et que la requête de l’Inde est recevable.
IV. LES VIOLATIONS ALLÉGUÉES DE LA CONVENTION DE VIENNE SUR LES RELATIONS CONSULAIRES (PAR. 67-124)
La Cour relève que le Pakistan avance plusieurs arguments concernant l’applicabilité de certaines dispositions de la convention de Vienne au cas de M. Jadhav.
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A. Applicabilité de l’article 36 de la convention de Vienne sur les relations consulaires (par. 68-98)
La Cour observe que l’argumentation du Pakistan concernant l’applicabilité de la convention de Vienne comporte trois volets. Premièrement, le défendeur affirme que l’article 36 de cet instrument ne s’applique pas dans les cas relevant prima facie de l’espionnage. Deuxièmement, il soutient que, dans les cas d’espionnage, les relations consulaires relèvent du droit international coutumier et que celui-ci autorise les Etats à prévoir certaines exceptions aux dispositions relatives à la communication entre les autorités consulaires et les ressortissants de l’Etat d’envoi, énoncées à l’article 36 de la convention. Troisièmement, il fait valoir que c’est l’accord conclu en 2008 entre l’Inde et le Pakistan sur la communication consulaire (ci-après l’«accord de 2008»), et non l’article 36 de la convention de Vienne, qui régit cette communication en l’espèce. La Cour examine chacun de ces arguments tour à tour.
1. L’exception alléguée à l’article 36 de la convention de Vienne fondée sur des accusations d’espionnage (par. 69-86)
a) Interprétation de l’article 36 de la convention de Vienne suivant le sens ordinaire de ses termes (par. 72-75)
En ce qui concerne le premier argument du Pakistan, la Cour observe que ni l’article 36 ni aucune autre disposition de la convention de Vienne ne fait mention des cas d’espionnage. L’article 36, lorsqu’il est interprété dans son contexte et à la lumière de l’objet et du but de cet instrument, n’exclut pas non plus de son champ d’application certaines catégories de personnes, telles que celles qui sont soupçonnées d’espionnage.
Ainsi que cela est indiqué dans son préambule, la convention de Vienne a pour objet et pour but de «contribue[r] à favoriser les relations d’amitié entre les pays». Quant au paragraphe 1 de l’article 36 de cet instrument, il a pour but, comme il est précisé dans sa phrase introductive, de faire en sorte que «l’exercice des fonctions consulaires relatives aux ressortissants de l’Etat d’envoi soit facilité». En conséquence, les fonctionnaires consulaires peuvent, dans tous les cas, exercer les droits relatifs à la communication avec les ressortissants de l’Etat d’envoi énoncés dans cette disposition. Il serait contraire au but de celle-ci que les droits qu’elle établit puissent être méconnus lorsque l’Etat de résidence allègue qu’un ressortissant étranger détenu par lui a participé à des actes d’espionnage.
La Cour en conclut que, lorsqu’il est interprété suivant le sens ordinaire à attribuer aux termes de la convention de Vienne dans leur contexte et à la lumière de l’objet et du but de celle-ci, l’article 36 de cet instrument n’exclut pas de son champ d’application certaines catégories de personnes, telles que celles qui sont soupçonnées d’espionnage.
b) Les travaux préparatoires de l’article 36 (par. 76-86)
Selon la Cour, les travaux préparatoires (en particulier les débats de la Commission du droit international de 1960 au sujet des «relations et immunités consulaires» et ceux de la conférence des Nations Unies sur les relations consulaires, qui s’est tenue à Vienne du 4 mars au 22 avril 1963) viennent confirmer l’interprétation selon laquelle l’article 36 n’exclut pas de son champ d’application certaines catégories de personnes, telles que celles qui sont soupçonnées d’espionnage.
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2. L’exception que prévoirait le droit international coutumier pour les cas d’espionnage (par. 87-90)
S’agissant du deuxième argument du Pakistan, la Cour relève que, dans le préambule de la convention de Vienne, il est indiqué que «les règles du droit international coutumier continueront à régir les questions qui n’ont pas été expressément réglées dans les dispositions de la présente Convention». L’article 36 de cet instrument régit expressément la question de la communication entre les autorités consulaires et les ressortissants de l’Etat d’envoi et ne prévoit aucune exception en ce qui concerne les cas d’espionnage. La Cour considère donc que c’est de l’article 36 de la convention, et non du droit international coutumier, que relève la question à l’examen dans les relations entre les Parties.
Etant parvenue à cette conclusion, la Cour n’estime pas nécessaire de déterminer si la règle de droit international coutumier qu’avance le Pakistan existait au moment de l’adoption de la convention de Vienne en 1963.
3. Pertinence de l’accord conclu en 2008 entre l’Inde et le Pakistan sur la communication consulaire (par. 91-97)
La Cour examine ensuite le troisième argument du Pakistan, selon lequel l’accord de 2008 régit, en l’espèce, la communication entre les autorités consulaires et les ressortissants de l’Etat d’envoi.
La Cour rappelle que le point vi) de l’accord de 2008 dispose que, «[e]n cas d’arrestation, de détention ou de condamnation pour des motifs politiques ou relatifs à la sécurité, chaque partie peut examiner l’affaire au fond». Elle rappelle également que, dans le préambule de l’accord, les Parties ont déclaré qu’elles étaient «désireu[ses] d’oeuvrer à la réalisation de l’objectif consistant à garantir un traitement humain aux ressortissants de chacun des deux Etats en cas d’arrestation, de détention ou d’emprisonnement sur le territoire de l’autre». La Cour estime que le point vi) de l’accord ne saurait être lu comme autorisant l’Etat de résidence à refuser la communication entre les autorités consulaires et les ressortissants de l’Etat d’envoi en cas d’arrestation, de détention ou de condamnation de ces derniers pour des raisons politiques ou de sécurité. Etant donné l’importance des droits en question pour la garantie d’un traitement humain des ressortissants de chacun des deux Etats en cas d’arrestation, de détention ou d’emprisonnement sur le territoire de l’autre, il y a tout lieu de penser que, si l’intention des Parties avait été de restreindre de quelque façon les droits garantis par l’article 36, cette intention ressortirait sans équivoque des dispositions de l’accord. La Cour considère que tel n’est pas le cas.
En outre, toute dérogation à l’article 36 de la convention de Vienne pour des raisons politiques ou de sécurité risquerait de priver de sens le droit à la communication entre les autorités consulaires et les ressortissants de l’Etat d’envoi, puisque cela donnerait à l’Etat de résidence la possibilité de refuser cette communication.
Il y a aussi lieu, aux fins de l’interprétation de l’accord de 2008, de prendre en considération le paragraphe 2 de l’article 73 de la convention de Vienne. Celui-ci prévoit qu’«[a]ucune disposition de [cet instrument] ne saurait empêcher les Etats de conclure des accords internationaux confirmant, complétant ou développant ses dispositions, ou étendant leur champ d’application». Il ressort de son libellé que ce paragraphe fait référence aux accords susceptibles d’être conclus ultérieurement par certaines parties à la convention. La Cour relève que celle-ci a été rédigée en vue d’établir, dans la mesure du possible, des normes uniformes régissant les relations consulaires. Le sens ordinaire du paragraphe 2 de l’article 73 indique que seule la conclusion d’accords ultérieurs qui confirment, complètent, développent les dispositions de la convention de Vienne, ou étendent leur champ d’application, tels que des accords régissant certaines questions qu’elle ne couvre pas, est compatible avec cet instrument.
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La Cour note que les Parties ont négocié l’accord de 2008 en pleine connaissance du paragraphe 2 de l’article 73 de la convention de Vienne. Ayant examiné cet accord, et à la lumière des conditions énoncées par cette disposition, elle est d’avis que l’accord en question est un accord ultérieur qui a pour objet de «confirmer, compléter ou développer les dispositions de la convention, ou d’étendre leur champ d’application». En conséquence, elle considère que le point vi) dudit accord ne se substitue pas, contrairement à ce que prétend le Pakistan, aux obligations découlant de l’article 36 de la convention.
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Au vu de ce qui précède, la Cour estime qu’aucun des arguments avancés par le Pakistan en ce qui concerne l’applicabilité de l’article 36 de la convention de Vienne au cas de M. Jadhav ne saurait être retenu. Elle en conclut que cet instrument est applicable en la présente affaire, indépendamment des allégations selon lesquelles l’intéressé se serait livré à des activités d’espionnage.
B. Les violations alléguées de l’article 36 de la convention de Vienne sur les relations consulaires (par. 99-120)
Dans ses conclusions finales, l’Inde affirme que le Pakistan a agi en violation des obligations que lui impose l’article 36 de la convention de Vienne i) en ne l’avertissant pas sans retard de la détention de M. Jadhav ; ii) en n’informant pas M. Jadhav de ses droits aux termes de l’article 36 ; et iii) en refusant aux fonctionnaires consulaires de l’Inde la possibilité de communiquer avec M. Jadhav.
1. Le manquement allégué à l’obligation d’informer M. Jadhav de ses droits aux termes de l’alinéa b) du paragraphe 1 de l’article 36 (par. 100-102)
S’agissant de la première conclusion de l’Inde, la Cour rappelle que l’alinéa b) du paragraphe 1 de l’article 36 de la convention de Vienne dispose que les autorités compétentes de l’Etat de résidence doivent informer un ressortissant étranger en détention de ses droits aux termes de cette disposition. Elle doit donc déterminer si, en application de cette dernière, les autorités pakistanaises compétentes ont informé M. Jadhav de ses droits. A cet égard, elle observe que le Pakistan n’a pas contesté l’affirmation de l’Inde selon laquelle M. Jadhav n’a pas été informé de ses droits aux termes de l’alinéa b) du paragraphe 1 de l’article 36. Dans ses écritures et plaidoiries, le défendeur a au contraire constamment soutenu que la convention ne s’appliquait pas à une personne soupçonnée d’espionnage. La Cour déduit de cette position du Pakistan que celui-ci n’a pas informé l’intéressé de ses droits aux termes de l’alinéa b) du paragraphe 1 de l’article 36 de la convention de Vienne, et en conclut qu’il a manqué à l’obligation que lui impose cette disposition.
2. Le manquement allégué à l’obligation d’avertir l’Inde, sans retard, de l’arrestation et de la détention de M. Jadhav (par. 103-113)
S’agissant de la deuxième conclusion de l’Inde, la Cour rappelle que l’alinéa b) du paragraphe 1 de l’article 36 de la convention de Vienne prévoit que, si un ressortissant de l’Etat d’envoi est arrêté ou détenu, et «[s’il] en fait la demande», les autorités compétentes de l’Etat de
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résidence doivent, «sans retard», avertir le poste consulaire de l’Etat d’envoi. Pour se prononcer sur l’argument de l’Inde selon lequel le Pakistan a manqué à l’obligation que lui impose cette disposition, la Cour recherche, premièrement, si M. Jadhav a formulé pareille demande et, deuxièmement, si le défendeur a averti le poste consulaire de l’Inde de l’arrestation et de la détention de l’intéressé. Enfin, si elle juge que tel est le cas, elle déterminera si le Pakistan l’a fait «sans retard».
En interprétant l’alinéa b) du paragraphe 1 de l’article 36 conformément au sens ordinaire des termes qui y sont employés, la Cour relève qu’il existe un lien intrinsèque entre l’obligation de l’Etat de résidence d’informer une personne détenue de ses droits aux termes de ladite disposition et la capacité de cette personne de demander que le poste consulaire de l’Etat d’envoi soit averti de sa détention. Si l’Etat de résidence ne s’acquitte pas de son obligation, l’intéressé peut ne pas avoir connaissance de ses droits en vertu de cette disposition et, partant, ne pas être à même de formuler une demande tendant à ce que les autorités compétentes dudit Etat avertissent le poste consulaire de l’Etat d’envoi de son arrestation.
La Cour observe que l’alinéa b) du paragraphe 1 de l’article 36 de la convention dispose que, si une personne détenue «en fait la demande», les autorités compétentes de l’Etat de résidence doivent avertir le poste consulaire de l’Etat d’envoi. L’expression «si l’intéressé en fait la demande» doit être lue conjointement avec l’obligation de l’Etat de résidence d’informer la personne détenue de ses droits aux termes de l’alinéa b) du paragraphe 1 de l’article 36. La Cour a déjà conclu que le Pakistan n’avait pas informé M. Jadhav de ses droits. Dès lors, elle est d’avis que le défendeur avait l’obligation d’avertir le poste consulaire de l’Inde de l’arrestation et de la détention de l’intéressé, conformément à l’alinéa b) du paragraphe 1 de l’article 36 de la convention.
En outre, la Cour relève que, lorsqu’un ressortissant de l’Etat d’envoi est incarcéré, en état de détention préventive ou toute autre forme de détention, une obligation pour les autorités de l’Etat de résidence d’avertir le poste consulaire de l’Etat d’envoi découle des droits des fonctionnaires consulaires, prévus à l’alinéa c) du paragraphe 1 de l’article 36, de se rendre auprès du ressortissant, de s’entretenir et de correspondre avec lui et de pourvoir à sa représentation en justice.
La Cour en vient ensuite à la deuxième question, c’est-à-dire celle de savoir si le Pakistan a averti l’Inde de l’arrestation et de la détention de M. Jadhav. Elle relève que l’alinéa b) du paragraphe 1 de l’article 36 ne précise pas la manière dont l’Etat de résidence doit avertir le poste consulaire de l’Etat d’envoi de la détention de l’un de ses ressortissants. Ce qui importe, c’est que les informations contenues dans la notification suffisent à faciliter l’exercice, par l’Etat d’envoi, des droits consulaires énoncés au paragraphe 1 de l’article 36. La démarche entreprise par le Pakistan le 25 mars 2016 a permis à l’Inde de formuler le même jour une demande tendant à entrer en communication avec son ressortissant par l’entremise de ses autorités consulaires. Dès lors, la Cour considère que le défendeur a notifié à l’Inde le 25 mars 2016 l’arrestation et la détention de M. Jadhav, comme l’exige l’alinéa b) du paragraphe 1 de l’article 36 de la convention de Vienne.
La Cour examine la dernière question, c’est-à-dire celle de savoir si l’Inde a été avertie «sans retard». Le Pakistan affirme que, au moment de son arrestation le 3 mars 2016, M. Jadhav était en possession d’un passeport indien établi au nom de «Hussein Mubarak Patel». Dans les circonstances de la présente espèce, la Cour considère que, à cette date ou peu après, le défendeur disposait d’éléments suffisants pour conclure que M. Jadhav était, ou était probablement, un ressortissant indien, et avait dès lors l’obligation d’avertir l’Inde de son arrestation conformément à l’alinéa b) du paragraphe 1 de l’article 36 de la convention de Vienne.
Quelque trois semaines se sont écoulées entre l’arrestation de M. Jadhav le 3 mars 2016 et la notification de celle-ci à l’Inde le 25 mars 2016. La Cour rappelle que ni les termes de la convention de Vienne dans leur sens ordinaire, ni son objet et son but ne permettent de penser que
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«sans retard» doit s’entendre par «immédiatement après l’arrestation et avant l’interrogatoire». Elle rappelle également que rien dans les travaux préparatoires n’indique que l’expression «sans retard» pourrait avoir des sens différents dans chacun des trois contextes particuliers où elle est employée à l’alinéa b) du paragraphe 1 de l’article 36. Compte tenu des circonstances particulières de la présente espèce, la Cour considère que le fait qu’il ait été procédé à la notification quelque trois semaines après l’arrestation de M. Jadhav constitue un manquement à l’obligation d’avertir «sans retard» les autorités consulaires, comme l’exige l’alinéa b) du paragraphe 1 de l’article 36 de la convention de Vienne.
3. Le manquement allégué à l’obligation de permettre la communication consulaire (par. 114-119)
La Cour examine ensuite la troisième conclusion de l’Inde concernant le manquement allégué du Pakistan à l’obligation de permettre aux autorités consulaires indiennes d’entrer en communication avec M. Jadhav. Elle rappelle que le paragraphe 1 de l’article 36 crée des droits individuels qui, en vertu de l’article premier du protocole de signature facultative, peuvent être invoqués devant elle par 1’Etat dont la personne détenue a la nationalité.
En la présente affaire, il n’est pas contesté que le Pakistan n’a permis à aucun fonctionnaire consulaire indien d’entrer en communication avec M. Jadhav. Depuis le 25 mars 2016, l’Inde a formulé un certain nombre de demandes à cet effet. Le défendeur y a répondu pour la première fois dans sa note verbale en date du 21 mars 2017, dans laquelle il indiquait que «la possibilité [pour l’Inde] de communiquer par l’entremise de ses autorités consulaires avec son ressortissant, M. Kulbushan Jadhev, sera[it] étudiée à la lumière de la suite qu’elle donnera[it] à la demande d’assistance aux fins d’enquête et de célérité de la justice [qu’il avait] formulée». La Cour est d’avis que le manquement allégué de l’Inde, qui n’aurait pas apporté son concours à l’enquête menée au Pakistan, ne dispense pas ce dernier de son obligation énoncée au paragraphe 1 de l’article 36 de la convention, et ne justifie pas son refus de permettre aux fonctionnaires consulaires indiens d’entrer en communication avec M. Jadhav.
L’alinéa c) du paragraphe 1 de l’article 36 prévoit que les fonctionnaires consulaires ont le droit de pourvoir à la représentation en justice d’un ressortissant de l’Etat d’envoi en détention. Il présuppose que les fonctionnaires consulaires puissent organiser cette représentation en justice sur la base des conversations et de la correspondance qu’ils ont eues avec l’intéressé. La Cour estime que, même si elle est établie, l’affirmation du Pakistan selon laquelle M. Jadhav a choisi d’être représenté par un officier défenseur possédant les qualifications requises pour assurer une représentation en justice alors qu’il avait été autorisé à désigner l’avocat de son choix ne rend pas superflu le droit des fonctionnaires consulaires de pourvoir à la représentation en justice de l’intéressé.
La Cour conclut de ce qui précède que le Pakistan a manqué aux obligations qui lui incombent au titre des alinéas a) et c) du paragraphe 1 de l’article 36 de la convention de Vienne en refusant aux fonctionnaires consulaires de l’Inde la possibilité d’entrer en communication avec M. Jadhav, contrairement au droit qui leur est reconnu de se rendre auprès de celui-ci, de s’entretenir et de correspondre avec lui et de pourvoir à sa représentation en justice.
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Ayant conclu que le Pakistan avait agi en violation des obligations que lui imposent les alinéas a), b) et c) du paragraphe 1 de l’article 36 de la convention de Vienne, la Cour examine ensuite les arguments du défendeur fondés sur l’abus de droit.
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C. Abus de droit (par. 121-124)
Compte tenu de ce qui précède, la Cour se penche sur la question de savoir si les violations du droit international qu’aurait commises l’Inde et que le Pakistan invoque à l’appui de ses arguments fondés sur l’abus de droit peuvent constituer un moyen de défense au fond. En substance, le Pakistan allègue que l’Inde ne peut demander à fournir une assistance consulaire à M. Jadhav, alors qu’elle a, dans le même temps, manqué à certaines obligations que lui impose par ailleurs le droit international.
A cet égard, la Cour rappelle que la convention de Vienne «énonce certaines normes que tous les Etats parties doivent observer aux fins du «déroulement sans entrave des relations consulaires»», et que l’article 36, qui a trait à l’assistance consulaire aux ressortissants étrangers faisant l’objet d’une procédure pénale et à la communication avec ces derniers, énonce des droits de l’Etat aussi bien que de l’individu, droits qui sont interdépendants. Selon la Cour, la convention de Vienne n’offre aucun fondement permettant à un Etat de conditionner l’exécution de ses obligations au titre de l’article 36 au respect, par l’autre Etat, d’autres obligations de droit international. Dans le cas contraire, il serait gravement porté atteinte au système d’assistance consulaire dans son ensemble.
Pour ces motifs, la Cour conclut qu’aucune des allégations du défendeur relatives à l’abus de droit qu’aurait commis l’Inde ne justifie un manquement par le Pakistan aux obligations qui lui incombent au titre de l’article 36 de la convention de Vienne. Les arguments du défendeur sur ce point doivent dès lors être rejetés.
V. REMÈDES (PAR. 125-148)
En résumé, l’Inde prie la Cour de dire et juger que le Pakistan a agi en violation de l’article 36 de la convention de Vienne sur les relations consulaires. En conséquence, elle lui demande de dire que la condamnation à laquelle est parvenu le tribunal militaire pakistanais est contraire au droit international et aux dispositions de la convention de Vienne, et qu’elle a droit à la restitutio in integrum. Elle prie également la Cour d’annuler la décision du tribunal militaire et de prescrire au Pakistan de ne pas donner effet au verdict de culpabilité rendu ou à la peine prononcée, de libérer M. Jadhav et de faciliter son retour en Inde en toute sécurité. A titre subsidiaire, et si la Cour devait conclure qu’il n’y a pas lieu de libérer l’intéressé, elle lui demande d’annuler la décision du tribunal militaire et d’ordonner au défendeur de ne pas donner effet à la peine prononcée par ce tribunal. A titre plus subsidiaire, l’Inde prie la Cour d’enjoindre au Pakistan de prendre des mesures pour annuler la décision du tribunal militaire. Dans les deux cas, elle demande à la Cour de prescrire, après avoir déclaré irrecevables les aveux de M. Jadhav, que soit organisé un procès de droit commun devant une juridiction civile, dans le strict respect des dispositions du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, ainsi que du droit des autorités consulaires indiennes de communiquer avec l’intéressé et de pourvoir à sa représentation en justice.
La Cour note qu’elle a déjà conclu que le Pakistan avait agi en violation des obligations que lui impose l’article 36 de la convention de Vienne, premièrement en n’informant pas M. Jadhav de ses droits aux termes de l’alinéa b) du paragraphe 1 de l’article 36 ; deuxièmement en n’avertissant pas sans retard l’Inde de l’arrestation et de la détention de M. Jadhav ; et troisièmement en refusant aux fonctionnaires consulaires de l’Inde la possibilité de communiquer avec M. Jadhav, en violation, notamment, de leur droit de pourvoir à la représentation en justice de l’intéressé.
La Cour considère que le premier et le troisième manquements du Pakistan, tels qu’énoncés ci-dessus, constituent des faits internationalement illicites présentant un caractère continu. En conséquence, elle estime que le défendeur est tenu d’y mettre fin et de se conformer pleinement aux obligations que lui impose l’article 36 de la convention de Vienne. Dès lors, le Pakistan doit informer sans autre retard M. Jadhav de ses droits aux termes de l’alinéa b) du paragraphe 1 de
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l’article 36 et permettre à des fonctionnaires consulaires indiens de se rendre auprès de l’intéressé et de pourvoir à sa représentation en justice, comme le prévoient les alinéas a) et c) du paragraphe 1 de l’article 36.
S’agissant de la conclusion de l’Inde tendant à ce qu’elle dise que la peine prononcée par le tribunal militaire du Pakistan est contraire au droit international et aux dispositions de la convention de Vienne, la Cour rappelle qu’elle tient sa compétence de l’article premier du protocole de signature facultative. Celle-ci se limite à l’interprétation ou à l’application de la convention de Vienne et ne s’étend pas aux demandes de l’Inde fondées sur toutes autres règles de droit international. La Cour note toutefois que le remède qu’il y a lieu de prescrire en la présente espèce a pour but de réparer uniquement le préjudice causé par le fait internationalement illicite du Pakistan qui relève de sa compétence, à savoir le manquement de ce dernier aux obligations que lui impose l’article 36 de ladite convention et non le Pacte.
S’agissant de l’affirmation de l’Inde selon laquelle elle a droit à la restitutio in integrum et de sa demande tendant à ce que la Cour annule la décision du tribunal militaire et prescrive au défendeur de ne pas donner effet au verdict de culpabilité ou à la peine, ainsi que de sa demande supplémentaire tendant à ce qu’elle lui prescrive de prendre des mesures pour annuler la décision du tribunal militaire, libérer M. Jadhav et faciliter son retour en Inde en toute sécurité, la Cour rappelle que ce ne sont pas le verdict de culpabilité rendu et la peine prononcée contre l’intéressé qui doivent être considérés comme une violation de l’article 36 de la convention de Vienne. Elle rappelle également qu’il ne saurait être présumé que l’annulation partielle ou totale des verdicts de culpabilité et des peines constitue nécessairement le seul mode de réparation en cas de violation de l’article 36 de la convention de Vienne. En conséquence, la Cour conclut que ces conclusions de l’Inde ne peuvent être retenues.
La Cour considère que le remède approprié en la présente espèce consiste en un réexamen et une revision du verdict de culpabilité et de la peine prononcés contre M. Jadhav qui soient effectifs. Elle relève que le Pakistan reconnaît qu’il s’agit du remède approprié en l’espèce. Il y a lieu de mettre particulièrement l’accent sur le fait que le réexamen et la revision doivent être effectifs. Pour que le réexamen et la revision de la déclaration de culpabilité rendue et de la peine prononcée contre M. Jadhav soient effectifs, il convient de s’assurer que soit accordé tout le poids qui sied à l’effet de la violation des droits énoncés au paragraphe 1 de l’article 36 de la convention et de garantir que la violation et le préjudice en résultant seront pleinement étudiés, ce qui présuppose l’existence d’une procédure adaptée à cette fin. La Cour observe que c’est normalement la procédure judiciaire qui est adaptée à la tâche de réexamen et de revision.
La Cour note que, selon le défendeur, les High Courts du Pakistan peuvent exercer une compétence en matière de réexamen judiciaire. Elle relève cependant que le paragraphe 3 de l’article 199 de la Constitution pakistanaise a été interprété par la Cour suprême du Pakistan comme limitant la faculté d’une personne soumise à toute loi relative aux forces armées de cet Etat, dont la loi militaire de 1952, de bénéficier de pareil réexamen. La Cour suprême a précisé que les High Courts et elle-même ne pouvaient exercer une compétence en matière de réexamen judiciaire à l’égard d’une décision d’une cour martiale générale de campagne «que pour les motifs suivants : coram non judice, incompétence ou mauvaise foi, y compris l’intention implicite de nuire». Le paragraphe 1 de l’article 8 de la Constitution pakistanaise dispose que toute loi incompatible avec des droits fondamentaux garantis par la Constitution est nulle, cette disposition ne s’appliquant cependant pas à la loi militaire pakistanaise de 1952 en raison d’un amendement constitutionnel. Il est donc difficile de savoir si le réexamen judiciaire d’une décision rendue par un tribunal militaire est possible au motif qu’il y a eu violation des droits énoncés au paragraphe 1 de l’article 36 de la convention de Vienne.
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La Cour considère que la procédure de recours en grâce ne saurait suffire à elle seule à constituer un moyen approprié de réexamen et revision, mais que des procédures appropriées de recours en grâce peuvent compléter le réexamen et la revision judiciaires, notamment dans l’hypothèse où le système judiciaire n’aurait pas dûment tenu compte de la violation des droits prévus par la convention de Vienne.
La Cour tient pleinement compte des déclarations faites par le Pakistan. Pendant la procédure orale, l’agent du défendeur a ainsi indiqué que la Constitution pakistanaise garantissait, en tant que droit fondamental, le droit à un procès équitable ; que ce droit était «absolu» et «ne saurait être retiré» ; que tous les procès étaient conduits en conséquence et que, dans le cas contraire, «la procédure de réexamen judiciaire demeurait ouverte». Un conseil du défendeur a par ailleurs assuré à la Cour que les High Courts du Pakistan exerçaient une compétence effective en matière de réexamen judiciaire, citant comme exemple une décision rendue par la High Court de Peshawar en 2018. La Cour souligne que le respect des principes d’un procès équitable revêt une importance capitale dans le cadre de tout réexamen et de toute revision, et que, dans les circonstances de l’espèce, il est essentiel pour que le réexamen et la revision du verdict de culpabilité rendu et de la peine prononcée contre M. Jadhav soient effectifs. Elle considère que la violation des droits énoncés au paragraphe 1 de l’article 36 de la convention de Vienne et ses conséquences sur les principes d’un procès équitable devraient être pleinement examinées et dûment traitées au cours de la procédure de réexamen et de revision. A cette occasion, il conviendrait en particulier d’analyser en profondeur tout préjudice potentiel et son incidence sur les éléments de preuve et les droits de la défense de l’accusé.
La Cour note que l’obligation d’assurer un réexamen et une revision effectifs peut être mise en oeuvre de diverses façons. Le choix des moyens revient au Pakistan. Ce nonobstant, cette liberté quant au choix des moyens n’est pas sans limite. L’obligation d’assurer un réexamen et une revision effectifs est une obligation de résultat qui doit être exécutée de manière inconditionnelle. En conséquence, le Pakistan doit prendre toutes les mesures permettant d’assurer un réexamen et une revision effectifs, y compris, si nécessaire, en adoptant les mesures législatives qui s’imposent.
La Cour conclut que le Pakistan est tenu d’assurer, par les moyens de son choix, un réexamen et une revision effectifs du verdict de culpabilité rendu et de la peine prononcée contre M. Jadhav, de manière à ce que soit accordé tout le poids qui sied à l’effet de la violation des droits énoncés à l’article 36 de la convention de Vienne, en tenant compte des paragraphes 139, 145 et 146 de l’arrêt rendu par la Cour.
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* *
Enfin, la Cour rappelle qu’elle a indiqué une mesure conservatoire prescrivant au Pakistan de prendre toutes les mesures dont il dispose pour que M. Jadhav ne soit pas exécuté tant que la décision définitive en la présente instance n’aura pas été rendue. Elle estime que la poursuite du sursis à exécution constitue une condition indispensable au réexamen et à la revision effectifs du verdict de culpabilité rendu et de la peine prononcée contre l’intéressé.
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DISPOSITIF (PAR. 149)
LA COUR,
1) A l’unanimité,
Dit qu’elle a compétence, sur le fondement de l’article premier du protocole de signature facultative à la convention de Vienne sur les relations consulaires du 24 avril 1963 concernant le règlement obligatoire des différends, pour connaître de la requête déposée par la République de l’Inde le 8 mai 2017 ;
2) Par quinze voix contre une,
Rejette les exceptions d’irrecevabilité de la requête de la République de l’Inde soulevées par la République islamique du Pakistan et dit que la requête est recevable ;
POUR : M. Yusuf, président ; Mme Xue, vice-présidente ; MM. Tomka, Abraham, Bennouna, Cançado Trindade, Mme Donoghue, M. Gaja, Mme Sebutinde, MM. Bhandari, Robinson, Crawford, Gevorgian, Salam, Iwasawa, juges ;
CONTRE : M. Jillani, juge ad hoc ;
3) Par quinze voix contre une,
Dit que, en n’informant pas sans retard M. Kulbhushan Sudhir Jadhav des droits qui sont les siens en vertu de l’alinéa b) du paragraphe 1 de l’article 36 de la convention de Vienne sur les relations consulaires, la République islamique du Pakistan a manqué aux obligations que lui impose cette disposition ;
POUR : M. Yusuf, président ; Mme Xue, vice-présidente ; MM. Tomka, Abraham, Bennouna, Cançado Trindade, Mme Donoghue, M. Gaja, Mme Sebutinde, MM. Bhandari, Robinson, Crawford, Gevorgian, Salam, Iwasawa, juges ;
CONTRE : M. Jillani, juge ad hoc ;
4) Par quinze voix contre une,
Dit que, en ne notifiant pas sans retard au poste consulaire approprié de la République de l’Inde en République islamique du Pakistan la détention de M. Kulbhushan Sudhir Jadhav et en privant ainsi la République de l’Inde du droit de rendre à l’intéressé l’assistance prévue par la convention de Vienne, la République islamique du Pakistan a manqué aux obligations que lui impose l’alinéa b) du paragraphe 1 de l’article 36 de la convention de Vienne sur les relations consulaires ;
POUR : M. Yusuf, président ; Mme Xue, vice-présidente ; MM. Tomka, Abraham, Bennouna, Cançado Trindade, Mme Donoghue, M. Gaja, Mme Sebutinde, MM. Bhandari, Robinson, Crawford, Gevorgian, Salam, Iwasawa, juges ;
CONTRE : M. Jillani, juge ad hoc ;
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5) Par quinze voix contre une,
Dit que la République islamique du Pakistan a privé la République de l’Inde du droit de communiquer avec M. Kulbhushan Sudhir Jadhav, de se rendre auprès de lui alors qu’il était en détention et de pourvoir à sa représentation en justice, et a de ce fait manqué aux obligations que lui imposent les alinéas a) et c) du paragraphe 1 de l’article 36 de la convention de Vienne sur les relations consulaires ;
POUR : M. Yusuf, président ; Mme Xue, vice-présidente ; MM. Tomka, Abraham, Bennouna, Cançado Trindade, Mme Donoghue, M. Gaja, Mme Sebutinde, MM. Bhandari, Robinson, Crawford, Gevorgian, Salam, Iwasawa, juges ;
CONTRE : M. Jillani, juge ad hoc ;
6) Par quinze voix contre une,
Dit que la République islamique du Pakistan est tenue d’informer sans autre retard M. Kulbhushan Sudhir Jadhav de ses droits et de permettre aux fonctionnaires consulaires indiens d’entrer en communication avec lui conformément à l’article 36 de la convention de Vienne sur les relations consulaires ;
POUR : M. Yusuf, président ; Mme Xue, vice-présidente ; MM. Tomka, Abraham, Bennouna, Cançado Trindade, Mme Donoghue, M. Gaja, Mme Sebutinde, MM. Bhandari, Robinson, Crawford, Gevorgian, Salam, Iwasawa, juges ;
CONTRE : M. Jillani, juge ad hoc ;
7) Par quinze voix contre une,
Dit que, pour fournir la réparation appropriée en l’espèce, la République islamique du Pakistan est tenue d’assurer, par les moyens de son choix, un réexamen et une revision effectifs du verdict de culpabilité rendu et de la peine prononcée contre M. Kulbhushan Sudhir Jadhav, de manière à ce que soit accordé tout le poids qui sied à l’effet de la violation des droits énoncés à l’article 36 de la convention de Vienne sur les relations consulaires, en tenant compte des paragraphes 139, 145 et 146 du présent arrêt ;
POUR : M. Yusuf, président ; Mme Xue, vice-présidente ; MM. Tomka, Abraham, Bennouna, Cançado Trindade, Mme Donoghue, M. Gaja, Mme Sebutinde, MM. Bhandari, Robinson, Crawford, Gevorgian, Salam, Iwasawa, juges ;
CONTRE : M. Jillani, juge ad hoc ;
8) Par quinze voix contre une,
Dit que la poursuite du sursis à exécution constitue une condition indispensable au réexamen et à la revision effectifs du verdict de culpabilité rendu et de la peine prononcée contre M. Kulbhushan Sudhir Jadhav.
POUR : M. Yusuf, président ; Mme Xue, vice-présidente ; MM. Tomka, Abraham, Bennouna, Cançado Trindade, Mme Donoghue, M. Gaja, Mme Sebutinde, MM. Bhandari, Robinson, Crawford, Gevorgian, Salam, Iwasawa, juges ;
CONTRE : M. Jillani, juge ad hoc.
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M. le juge CANÇADO TRINDADE joint à l’arrêt l’exposé de son opinion individuelle ; Mme la juge SEBUTINDE, MM. les juges ROBINSON et IWASAWA joignent des déclarations à l’arrêt ; M. le juge ad hoc JILLANI joint à l’arrêt l’exposé de son opinion dissidente.
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Annexe au résumé 2019/4
Opinion individuelle de M. le juge Cançado Trindade
1. Dans l’exposé de son opinion individuelle, qui compte 12 parties, le juge Cançado Trindade commence par souligner que, bien qu’il souscrive à l’arrêt rendu le 17 juillet 2019 en l’affaire Jadhav (Inde c. Pakistan), son raisonnement s’écarte parfois nettement de celui de la Cour. Il estime en outre que certaines questions méritent d’être traitées plus amplement ou avec une plus grande attention, et que d’autres points pertinents ont été passés sous silence. Aussi le juge Cançado Trindade croit-il devoir les approfondir, en exposant son propre raisonnement et sa position personnelle à cet égard, essentiellement fondée sur des questions de principe qui, selon lui, revêtent une grande importance aux fins de la réalisation de la justice.
2. Le juge Cançado Trindade aborde tout d’abord un point qui a été porté à l’attention de la Cour dans le cadre de la présente procédure en l’affaire Jadhav, à savoir l’édifice jurisprudentiel qui s’est construit sur l’héritage de l’avis consultatif no 16 (1999) donné par la Cour interaméricaine des droits de l’homme (ci-après la «CIDH») sur la question à l’examen, avant de s’intéresser à l’avis consultatif no 18 (2003) émanant de cette même juridiction. L’avis consultatif no 16 (1999) de la CIDH confirme que le droit à l’information sur l’assistance consulaire (alinéa b) du paragraphe 1 de l’article 36 de la convention de Vienne sur les relations consulaires (ci-après la «convention de Vienne»)) est directement lié au droit international des droits de l’homme, et en particulier au droit à la vie et aux garanties d’une procédure régulière (articles 6 et 14 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques (ci-après le «Pacte»)).
3. Le juge Cançado Trindade relève ensuite que la CIDH a ainsi lié le droit à l’information sur l’assistance consulaire à l’évolution des garanties d’une procédure régulière, ajoutant que
«[l’]inobservation [de ce droit], lorsque la peine de mort est prononcée et exécutée, constitue une privation arbitraire du droit à la vie lui-même …, entraînant toutes les conséquences juridiques inhérentes à une telle violation, à savoir celles relatives à la responsabilité internationale de l’Etat et à l’obligation de réparation ... Cette décision historique et véritablement révolutionnaire que constitue l’avis consultatif no 16 (1999) de la CIDH a servi d’inspiration à la jurisprudence internationale in statu nascendi sur la question» (par. 9).
4. L’avis no 18 (2003), rendu ultérieurement par la CIDH, reposait sur les notions évolutives du jus cogens (notamment le principe fondamental d’égalité et de non-discrimination) et des obligations de protection erga omnes. Le juge Cançado Trindade ajoute que la CIDH est la première juridiction internationale à avoir, dès la décision historique que constitue son avis consultatif no 16 (1999), «soulign[é] que l’inobservation de l’alinéa b) du paragraphe 1 de l’article 36 de la convention de Vienne porterait préjudice non seulement à un Etat Partie, mais également aux êtres humains concernés», et «consacr[é] l’existence d’un droit individuel à l’information sur l’assistance consulaire dans le cadre des garanties d’une procédure régulière» (par. 15).
5. Examinant ensuite la jurisprudence de la Cour postérieure à l’avis consultatif no 16 (1999) de la CIDH (affaires LaGrand, Avena et Jadhav), le juge Cançado Trindade revient en particulier sur le fait que, dans ces trois procédures contentieuses, les demandeurs ont souligné l’importance historique de cet avis novateur, la Cour ayant néanmoins choisi de ne pas en tenir compte dans ses arrêts.
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6. Poursuivant son analyse des affaires LaGrand, Avena et Jadhav (par. 24-26 pour ce qui concerne cette dernière), le juge Cançado Trindade rappelle ensuite que la Cour a reconnu les «droits individuels» garantis par l’article 36 de la convention de Vienne, sans toutefois considérer qu’ils revêtaient le caractère de droits de l’homme, et ce, alors même qu’ils sont directement liés au droit à la vie et aux garanties d’un procès équitable et d’une procédure régulière (articles 6 et 14 du Pacte). Depuis les décisions qu’elle a rendues dans les affaires LaGrand (2001) et Avena (2004), le peu d’intérêt que la Cour a manifesté à l’égard de la contribution inédite de l’avis consultatif no 16 (1999) de la CIDH, que les parties n’ont pourtant cessé de porter à son attention, a suscité des critiques de plus en plus vives et nombreuses de la part des commentateurs (par. 19, 21 et 23).
7. Le juge Cançado Trindade souligne en outre que, depuis le début des années 2000, «l’idée s’est peu à peu imposée que le droit d’assistance consulaire, étant étroitement lié aux droits de l’homme, accorde au ressortissant étranger détenu une protection en la matière» (par. 22). Il dénonce les limites du raisonnement suivi dans les affaires LaGrand (2001) et Avena (2004), estimant que la Cour n’avait aucune raison d’adopter une approche aussi lacunaire s’agissant de la question en cause (ce qu’elle a fait également dans la présente affaire Jadhav), et précise que, bien au-delà des conclusions auxquelles la Cour est parvenue, le droit à l’information sur l’assistance consulaire est indissociablement lié aux droits de l’homme que constituent les garanties d’une procédure régulière et d’un procès équitable, ce qui a une incidence sur le droit fondamental à la vie (par. 27-31).
8. Telle est, du point de vue du juge Cançado Trindade, l’interprétation qu’il convient de retenir, afin de continuer à favoriser le processus inédit d’humanisation du droit consulaire et, en dernière analyse, du droit international dans son ensemble en cours aujourd’hui. Après tout, l’on se trouve ici «dans le domaine de la convention de Vienne (article 36), mais également dans celui des droits de l’homme consacrés par le droit international, général ou coutumier». Le juge Cançado Trindade estime que «le droit à l’information sur l’assistance consulaire prévu à l’article 36 de la convention de Vienne est un droit individuel incontestablement lié aux droits de l’homme» (par. 37). La Cour, en la présente affaire Jadhav (2019), aurait dû constater l’existence de cette «nécessaire interdépendance» entre ce droit et les droits de l’homme que constituent les garanties d’une procédure régulière et d’un procès équitable, «avec toutes les conséquences juridiques qui s’ensuivent» (par. 42).
9. Le juge Cançado Trindade examine ensuite de manière approfondie la tendance en faveur de l’abolition de la peine de mort qui se dessine aujourd’hui dans le corpus juris gentium (les traités et instruments internationaux, ainsi que le droit international général) en raison du caractère illicite de la peine capitale en tant que violation des droits de l’homme ; la jurisprudence de la CIDH va également en ce sens (partie VII). Dans un enchaînement logique, le juge Cançado Trindade en vient (partie VIII) à une analyse approfondie des initiatives et efforts de l’Organisation des Nations Unies pour condamner la peine de mort au niveau mondial (notamment par l’action du Comité des droits de l’homme prévu par le Pacte, de l’ex-Commission des droits de l’homme et du Conseil des droits de l’homme de l’Organisation des Nations Unies), et souligne ce qui suit :
«Selon moi, la Cour ne pouvait, dans la présente affaire Jadhav, faire totalement abstraction de ce contexte factuel. L’on ne saurait en effet dissocier la violation du droit individuel fondamental garanti par l’alinéa b) du paragraphe 1 de l’article 36 de la convention de Vienne, que la Cour a, à juste titre, établie dans le présent arrêt, des effets de cette violation sur les droits de l’homme énoncés aux articles 6 et 14 (droit à la vie et garanties procédurales) du Pacte. La Cour était, selon moi, tenue de prendre en considération ces effets, afin de veiller à ce que la nécessaire question de la réparation soit dûment examinée» (par. 66).
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10. Le juge Cançado Trindade s’intéresse ensuite à l’ampleur des effets préjudiciables de la peine capitale sur les droits de l’homme, soulignant que, de ce point de vue, la Cour a adopté (dès le stade de la compétence) un raisonnement fort restrictif, et qu’il convient de garder à l’esprit le caractère indissociable du droit et de la justice, qui est d’autant plus essentiel lorsque les droits de l’homme sont en jeu (partie IX). Cela conduit le juge Cançado Trindade à une analyse approfondie de la pensée humaniste, qui dénonce de longue date la cruauté de la peine capitale en ce qu’elle constitue une violation des droits de l’homme (partie X).
11. Le juge Cançado Trindade fait observer que, à la base du corpus juris gentium susmentionné qui a condamné le caractère illicite de la peine de mort en tant que violation des droits de l’homme,
«l’on trouve les fondements de la pensée humaniste qui, de [s]on point de vue, ne saurait être ignorée : pendant longtemps, les tenants de cette pensée remarquable ont protesté contre la cruauté de la peine de capitale, appelant à son abolition à travers le monde. Après tout, la privation arbitraire de la vie peut résulter d’actes et d’omissions «licites» décidés par des organes de l’Etat en vertu d’une législation qui est elle-même source d’arbitraire» (par. 71).
12. Le juge Cançado Trindade précise que c’est en réaction à l’arbitraire entourant l’exécution par l’Etat de la peine capitale qu’est née, il y a fort longtemps, la pensée humaniste, un certain nombre de juristes, de philosophes et d’écrivains clairvoyants ayant condamné le caractère illicite de la peine capitale, et ainsi concouru à établir l’idée selon laquelle «droit et justice ne font qu’un et ne sauraient être dissociés», ces deux notions étant nécessairement interdépendantes. Telle est l’idée que nous «devons garder à l’esprit à tout moment, en particulier au sein de notre institution, la Cour internationale de Justice» (par. 83).
13. Le juge Cançado Trindade se penche ensuite sur la nécessité de fournir réparation (partie XI). Il commence par souligner que, «si l’on veut maintenir le lien indissociable entre droit et justice, l’on ne saurait se laisser restreindre par le positivisme juridique [et qu’]il convient de dépasser les limites regrettables que pose celui-ci» (par. 85). Ainsi, même lorsqu’elle est, en dépit de son caractère arbitraire, exécutée conformément au droit positif, la peine capitale n’est en rien justifiée. Le positivisme juridique, qui a toujours montré une grande servilité à l’égard du pouvoir établi (quelle que soit l’orientation de celui-ci), ouvre la voie à des décisions ne concourant pas à la réalisation de la justice. Le juge Cançado Trindade ajoute que pareils errements ne sauraient être admis, le droit positif ne pouvant faire abstraction de la justice.
14. Il y a donc lieu, selon le juge Cançado Trindade, d’examiner la question de la réparation due au titre du fait illicite établi par la Cour en la présente affaire Jadhav, qui découle du manquement à l’alinéa b) du paragraphe 1 de l’article 36 de la convention de Vienne. La nécessaire réparation vise à effacer toutes les conséquences de ce fait illicite (la condamnation de M. K. S. Jadhav à la peine capitale par un tribunal militaire). Dans la présente affaire, la réparation allait bien au-delà des simples mesures de «réexamen et de revision», telles qu’ordonnées par la Cour, de la condamnation à la peine capitale prononcée par le tribunal militaire, qui faisait suite à une violation du droit consulaire (par. 86-88).
15. Le juge Cançado Trindade est d’avis que le devoir de réparation de l’Etat consiste à rétablir la situation qui existait avant la survenance du fait illicite, notamment en mettant fin à celui-ci et en prévenant tout effet qui continuerait d’en découler. Les mesures de «réexamen et de revision» que la Cour a ordonnées une nouvelle fois en la présente affaire Jadhav (ainsi qu’elle
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l’avait déjà fait dans les affaires LaGrand et Avena), sont manifestement insuffisantes et inadéquates, revenant à s’en remettre au défendeur.
16. Le juge Cançado Trindade se dit préoccupé de ce que, en dépit des nombreuses zones d’incertitude que cela comporte, la Cour ne s’intéresse, pour l’essentiel, aux «remèdes» que sur le plan du droit interne, se contentant d’ordonner des mesures «de réexamen et de revision» de la condamnation à la peine capitale. Il souligne ainsi :
«Etant donné le peu d’éléments de preuve produits, la position de la Cour sur ce point particulier me semble peu satisfaisante, si ce n’est indéfendable. Je suis d’avis que les faits de la présente affaire Jadhav, tels qu’ils ont été présentés à la Cour, excluent que la peine capitale prononcée contre M. K. S. Jadhav soit exécutée, et exigent qu’une réparation soit ordonnée à raison de la violation du paragraphe 1 de l’article 36 de la convention de Vienne.» (Par. 93.)
17. Le juge Cançado Trindade estime en conséquence qu’une procédure effective de «réexamen et de revision» mise en oeuvre par le défendeur ne saurait déboucher sur une nouvelle condamnation à mort de l’intéressé. Il souligne que la Cour, en tant qu’organe judiciaire principal de l’Organisation des Nations Unies, est tenue de rendre la justice conformément à l’évolution progressive du droit international vers l’interdiction et l’abolition de la peine de mort. Enfin, dans l’épilogue (partie XII) de l’exposé de son opinion individuelle, le juge Cançado Trindade récapitule les différents points qui constituent sa position personnelle.
18. Le juge Cançado Trindade souligne qu’il entend, dans cet exposé, indiquer clairement que son raisonnement va au-delà de celui adopté par la Cour. Il ajoute que, suivant ce même raisonnement (le sien), il attache une attention toute particulière à la nécessité de transcender la logique purement interétatique, ainsi qu’au droit à l’information sur l’assistance consulaire dans le contexte des garanties d’une procédure régulière qui, en tant que véritable droit de l’homme, dépasse le simple cadre d’un droit individuel, avec toutes les conséquences juridiques qui en découlent.
Déclaration de Mme la juge Sebutinde
La juge Sebutinde a voté avec la majorité en faveur du dispositif de l’arrêt, mais elle est d’avis que plusieurs aspects du raisonnement de la Cour méritent des explications plus approfondies afin que le lecteur comprenne mieux la décision rendue. Le premier aspect a trait au point de savoir si les deux passeports qui auraient été trouvés en la possession de M. Jadhav au moment de son arrestation ont quelque pertinence pour établir la nationalité de l’intéressé aux fins de l’article 36 de la convention de Vienne sur les relations consulaires de 1963 (ci-après la «convention de Vienne»). La juge Sebutinde conclut que la question de la nationalité de M. Jadhav aux fins de la communication entre les autorités consulaires et les ressortissants de l’Etat d’envoi en application de l’article 36 de la convention de Vienne ne doit pas être confondue avec celle de l’identité de l’intéressé.
Le deuxième aspect a trait à l’applicabilité de l’article 36 de la convention de Vienne aux personnes soupçonnées d’espionnage ou de terrorisme, à la lumière des dispositions de l’accord bilatéral sur la communication consulaire conclu par l’Inde et le Pakistan le 21 mai 2008 (ci-après l’«accord de 2008»). En recourant aux règles de droit international coutumier applicables en matière d’interprétation des traités et en analysant le contexte et les travaux préparatoires de l’accord de 2008, la juge Sebutinde aboutit à la conclusion que les Parties n’avaient pas l’intention de priver les personnes accusées d’espionnage ou de terrorisme du droit à la communication
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consulaire. Le point vi) de l’accord de 2008 autorise l’Etat de résidence, lorsqu’il détermine s’il convient de libérer et de rapatrier une personne «arrêtée, détenue ou condamnée pour des motifs politiques ou relatifs à la sécurité», à examiner chaque cas en fonction des circonstances qui lui sont propres. Cette disposition ne se substitue pas aux droits et privilèges prévus à l’article 36 de la convention de Vienne, et elle n’y déroge pas.
Le troisième aspect a trait à l’incidence du droit interne sur le droit de communication entre les autorités consulaires et les ressortissants de l’Etat d’envoi dans le cadre de la convention de Vienne. Si elle convient que ce droit doit être exercé conformément aux lois internes de l’Etat de résidence, comme le prévoient les alinéas i) et m) de l’article 5 et le paragraphe 2 de l’article 36 de la convention, la juge Sebutinde appelle l’attention sur la clause conditionnelle énoncée dans cette dernière disposition, qui prescrit à l’Etat de résidence de s’assurer que ses lois et règlements permettent la pleine réalisation des fins pour lesquelles les droits sont accordés en vertu de l’article 36.
Déclaration de M. le juge Robinson
1. Dans sa déclaration, le juge Robinson se penche sur deux points : premièrement, le lien entre la convention de Vienne sur les relations consulaires (ci-après la «convention de Vienne») et le Pacte international relatif aux droits civils et politiques (ci-après le «Pacte») et, deuxièmement, l’accord sur la communication consulaire conclu en 2008 entre l’Inde et le Pakistan à la lumière du paragraphe 2 de l’article 73 de la convention de Vienne.
2. S’agissant du premier point, le juge Robinson estime qu’il existe un lien juridique étroit et significatif entre l’article 36 de la convention de Vienne et l’article 14 du Pacte. Il formule à cet égard plusieurs propositions, qui peuvent être résumées comme suit :
1) il existe un lien juridique entre l’article 36 de la convention de Vienne et l’article 14 du Pacte susceptible d’avoir une incidence sur la question de la compétence de la Cour ;
2) étant un traité relatif aux droits de l’homme, le Pacte est un instrument conventionnel essentiel pour la protection des droits de la personne ;
3) les droits énoncés à l’article 14 du Pacte s’appliquent à tous, y compris aux personnes qui se trouvent à l’étranger, et ce, en pleine égalité, de sorte que, en vertu de ces droits, une personne qui se trouve à l’étranger bénéficie de la même protection que si elle se trouvait dans son pays et de la même protection qu’un ressortissant de l’Etat de résidence ;
4) les droits énoncés au paragraphe 3 de l’article 14 du Pacte comprennent des «garanties [minimales]» et ne constituent pas une liste exhaustive ;
5) le droit à un procès équitable énoncé à l’article 14 du Pacte et la notion d’égalité devant la loi signifient que toute personne doit bénéficier d’un accès égal aux tribunaux, sans distinction fondée sur les éléments cités au paragraphe 1 de l’article 2 du Pacte, notamment l’origine nationale ou sociale ;
6) les droits relatifs à la protection et à la communication consulaires, garantis par l’article 36 de la convention de Vienne, sont des droits de l’homme au même titre que ceux, au nombre de sept, énumérés au paragraphe 3 de l’article 14 du Pacte ;
7) l’article 36 de la convention de Vienne devrait donc être considéré comme conférant aux ressortissants étrangers une sorte de parité concernant les droits dont bénéficie toute personne accusée d’une infraction pénale dans l’Etat de résidence ;
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8) le droit à la communication entre les autorités consulaires et les ressortissants de l’Etat d’envoi, ainsi que l’obligation qui en découle, que ce soit au titre de l’article 36 de la convention de Vienne ou de tout autre traité mentionné dans cet instrument, s’est ancré dans le droit international coutumier ;
9) le droit qu’a un fonctionnaire consulaire, au titre de l’alinéa c) du paragraphe 1 de l’article 36 de la convention de Vienne, de se rendre auprès d’un ressortissant de l’Etat d’envoi qui est incarcéré, en état de détention préventive ou toute autre forme de détention, de s’entretenir et de correspondre avec lui et de pourvoir à sa représentation en justice s’applique au profit de l’intéressé, lequel peut avoir besoin d’une telle représentation dans le cadre d’un procès à venir. S’il n’est pas permis à un fonctionnaire consulaire de pourvoir à la représentation en justice d’un ressortissant étranger, il est fort probable qu’aucun effet ne sera donné aux sept droits énoncés à l’article 14 du Pacte. Parmi ces droits, le plus menacé pour un ressortissant étranger accusé d’une infraction pénale est celui, énoncé à l’alinéa b) du paragraphe 3, de «disposer du temps et des facilités nécessaires à la préparation de sa défense et à communiquer avec le conseil de son choix» ; ce droit est en outre étroitement lié au droit à ce qu’un fonctionnaire consulaire pourvoie à sa représentation en justice, dont bénéficie l’intéressé ;
10) l’affirmation selon laquelle «l’assistance consulaire, à la différence de l’assistance juridique, n’est pas considérée comme une condition à remplir dans une procédure pénale» est difficilement acceptable ;
11) la convention de Vienne doit être interprétée à la lumière de l’évolution essentielle qu’a connue le droit international à la suite de la seconde guerre mondiale, qui a mis l’accent sur les droits des personnes dans leurs relations avec les Etats. Cette interprétation, qui consiste à considérer la convention d’un point de vue global, est étayée par ce que McLachlan appelle le «principe général d’interprétation des traités, à savoir celui de l’intégration systémique dans le système juridique international», principe qui trouve son expression à l’alinéa c) du paragraphe 3 de l’article 31 de la convention de Vienne sur le droit des traités ; et
12) il s’ensuit qu’une violation des obligations découlant du paragraphe 1 de l’article 36 de la convention de Vienne, et notamment de son alinéa c), constitue une violation d’un droit de l’homme qui est étroitement liée à une violation des droits à un procès équitable dont tout accusé bénéficie au titre du paragraphe 3 de l’article 14 du Pacte, et en particulier du droit énoncé à l’alinéa b).
3. En ce qui concerne le second point, le juge Robinson examine l’accord de 2008 et soutient que la question de savoir si celui-ci est conforme au paragraphe 2 de l’article 73 de la convention de Vienne ne saurait être réglée en présumant que telle devait être l’intention des Parties, au motif qu’elles avaient connaissance des dispositions de la convention. Pareille présomption serait à tout le moins réfutable, et elle est d’ailleurs réfutée par le point vi) de l’accord.
Déclaration de M. le juge Iwasawa
1. S’il souscrit aux conclusions de la Cour, le juge Iwasawa tient à préciser sa position et à exposer ses vues sur certains points qui ne sont pas abordés dans l’arrêt.
2. Dans les circonstances de l’espèce, le juge Iwasawa convient que l’exception soulevée par le Pakistan sur la base de la doctrine des mains propres ne rend pas en soi la requête de l’Inde irrecevable. Selon lui, ce n’est que dans des circonstances exceptionnelles qu’une exception reposant sur ladite doctrine peut rendre une requête irrecevable.
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3. S’agissant du droit de communication entre les autorités consulaires et les ressortissants de l’Etat d’envoi, le juge Iwasawa souligne que, après l’adoption de la convention de Vienne en 1963, les Etats ont conclu un certain nombre de conventions relatives à la lutte contre le terrorisme, dans lesquelles figure le droit de toute personne soupçonnée de terrorisme de communiquer sans retard avec ses autorités consulaires. Selon lui, bien que le terrorisme et l’espionnage soient deux crimes distincts, ces instruments confirment également l’interprétation selon laquelle l’article 36 de la convention exige que les personnes soupçonnées d’espionnage puissent communiquer sans retard avec leurs autorités consulaires.
4. S’agissant du rapport entre la convention de Vienne et l’accord de 2008, le juge Iwasawa rappelle que celle-ci avait pour but de définir, dans la mesure du possible, des normes minimales et uniformes en matière de relations consulaires. Il considère que le paragraphe 2 de l’article 73 de la convention n’autorise pas les parties à cet instrument à conclure des accords dérogeant aux obligations qui y sont énoncées. Dans le cas où un accord ultérieur y dérogerait, il serait inapplicable, la convention s’appliquant dans les relations entre les Etats concernés. Par conséquent, le juge Iwasawa estime que, même si les Parties entendaient, par l’accord de 2008, autoriser une limitation de la communication entre les autorités consulaires et les ressortissants de l’Etat d’envoi dans les cas d’espionnage, l’article 36 de la convention de Vienne l’emporte sur ledit accord et s’applique dans les relations entre l’Inde et le Pakistan.
Opinion dissidente de M. le juge ad hoc Jillani
Le juge ad hoc Jillani considère que la Cour aurait dû juger la requête de l’Inde irrecevable compte tenu du comportement de cette dernière en la présente espèce, lequel constitue un abus de droit. Selon lui, le fait que l’Inde se soit fondée sur la convention de Vienne sur les relations consulaires est malvenu et va à l’encontre de l’objet et du but mêmes de cet instrument. Celui-ci ayant été conclu afin de contribuer au «développement de relations amicales entre les nations», il n’est guère vraisemblable que ses rédacteurs aient entendu que les droits et obligations qu’il énonce s’appliquent aux espions et aux ressortissants de l’Etat d’envoi (l’Inde) en mission secrète pour menacer et compromettre la sécurité nationale de l’Etat de résidence (le Pakistan). En l’espèce, l’intéressé était en possession d’un passeport indien authentique établi sous une fausse identité musulmane, à savoir Hussain Mubarak Patel. La défense du Gouvernement de l’Inde sur la question du passeport a même été dénoncée par trois journalistes indiens réputés, MM. Karan Thapar, Praveen Swami et Chandan Nandy. M. Jadhav est passé aux aveux devant un magistrat, reconnaissant avoir organisé et exécuté des actes de terrorisme ayant causé des pertes en vies humaines et la destruction de biens, et ce, au nom du RAW. En ne tenant pas compte de ces éléments, l’arrêt de la Cour établit un précédent dangereux à une époque où les Etats sont de plus en plus confrontés à des activités terroristes transnationales et à des menaces imminentes pour leur sécurité nationale. Le terrorisme est aujourd’hui devenu une arme de guerre systémique, que les Etats ne pourraient ignorer qu’à leurs risques et périls. Ces menaces peuvent légitimement justifier que, à tout moment, certaines limites soient imposées au champ d’application de l’article 36 de la convention de Vienne dans les relations bilatérales entre deux Etats.
Malgré les nombreuses demandes que le Pakistan lui a adressées à cet effet, l’Inde n’a pas apporté son concours à l’enquête visant M. Jadhav, ce qui constitue une violation de la résolution 1373 du Conseil de sécurité de l’Organisation des Nations Unies, laquelle enjoint aux Etats Membres de se prêter mutuellement assistance dans le cadre d’enquêtes criminelles portant sur le financement d’actes de terrorisme ou de la répression de tels actes.
Selon le juge ad hoc Jillani, la Cour a mal interprété et privé de son sens le paragraphe 2 de l’article 73 de la convention de Vienne, qui n’interdit pas aux Etats parties de conclure ultérieurement des accords bilatéraux. Ce nonobstant, la Cour n’a pas tenu compte de l’effet juridique de l’accord de 2008, et plus particulièrement de son point vi), qui dispose que, «[e]n cas
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d’arrestation, de détention ou de condamnation pour des motifs politiques ou relatifs à la sécurité, chaque partie peut examiner l’affaire au fond». Le juge ad hoc Jillani estime que, en concluant l’accord de 2008, les Parties entendaient clarifier l’application de certaines dispositions de la convention de Vienne dans leurs relations bilatérales, et ce, en reconnaissant que chacun des deux Etats contractants pouvait se prononcer au fond sur l’opportunité de permettre aux ressortissants de l’autre Etat arrêtés ou détenus «pour des motifs politiques ou relatifs à la sécurité» de communiquer avec leurs autorités consulaires et de bénéficier d’une assistance consulaire. Le point vi) de l’accord de 2008 est en outre conforme au droit international coutumier, qui prévoit une exception à la communication entre les autorités consulaires et les ressortissants de l’Etat d’envoi ainsi qu’à l’assistance consulaire lorsque les intéressés se sont livrés à l’espionnage et à des activités terroristes dans l’Etat de résidence.
Le juge ad hoc Jillani déplore également que la Cour n’ait pas tenu compte du contexte historique et politique pour le moins tendu dans lequel se déroulent les relations diplomatiques entre les deux Etats, même si cela n’a pas empêché ces derniers d’exécuter l’accord de 2008. Dans son mémoire, l’Inde elle-même s’est ainsi référée à un point de presse au cours duquel un porte-parole du Pakistan a évoqué les violations des droits de l’homme au Cachemire. La cause sous-jacente des troubles à l’ordre public croissants que connaît cette région et qui ont contribué à la détérioration des relations entre les deux voisins est l’inexécution de la résolution 47 de 1948 du Conseil de sécurité, qui prescrivait notamment qu’un plébiscite soit tenu pour décider de l’avenir du Cachemire. La situation a été rendue plus confuse encore par des actes de terrorisme perpétrés par des acteurs non étatiques, ce qui a conduit, entre les deux Etats, à des accusations réciproques d’ingérence. Il arrive ainsi que des ressortissants de l’un ou de l’autre traversent la frontière par inadvertance et soient arrêtés, pareilles affaires revêtant une dimension «politique» ou «relative à la sécurité». Il doit alors être possible d’enquêter sur ces incidents, la question de savoir s’il convient de permettre immédiatement aux intéressés de communiquer avec leurs autorités consulaires ou de les libérer pouvant se révéler sensible pour chacun des deux Etats. La convention de Vienne ne traitant pas spécifiquement de l’arrestation et de la détention pour des motifs «politiques» et «relatifs à la sécurité» (point vi) de l’accord de 2008), l’Inde et le Pakistan ont négocié et conclu un accord au sens du paragraphe 2 de l’article 73 de cet instrument, afin de «compléter» et «d’étendre le champ d’application» de ses dispositions. Le cas de M. Jadhav est un exemple classique du type de situations ou d’affaires que les deux Etats avaient à l’esprit lorsqu’ils ont inséré le point vi) dans l’accord de 2008.
Même si la convention de Vienne était applicable au cas de M. Jadhav, le juge ad hoc Jillani estime que le comportement du Pakistan ne constitue pas une violation des obligations que lui impose le paragraphe 1 de l’article 36 dudit instrument. Compte tenu de la gravité des infractions commises par l’intéressé, de la menace qu’elles ont fait peser sur la sécurité nationale du Pakistan et du fait que plusieurs complices nommément identifiés de M. Jadhav devaient encore faire l’objet d’une enquête, ainsi que de l’absence constante de coopération de l’Inde dans le cadre de celle qui visait son ressortissant, le juge ad hoc Jillani est d’avis que le comportement du Pakistan ne constitue pas une violation du paragraphe 1 de l’article 36 de la convention de Vienne.
Enfin, le juge ad hoc Jillani considère que les procédures de réexamen judiciaire existantes au Pakistan permettent déjà de satisfaire pleinement au remède prescrit par la Cour. Selon lui, le fait qu’il soit indiqué dans l’arrêt que le Pakistan devra, si nécessaire, adopter les mesures législatives qui s’imposent pour permettre un réexamen et une revision effectifs est déplacé, le raisonnement de la Cour s’écartant sur ce point de sa jurisprudence. En dictant ainsi à un Etat la manière dont il doit s’acquitter de ses obligations, la Cour établit un précédent dangereux.
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Résumé de l'arrêt du 17 juillet 2019