Demande en indication de mesures conservatoires des Emirats arabes unis

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172-20190322-REQ-01-00-EN
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Incidental Proceedings
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Note: Cette traduction a été établie par le Greffe à des fins internes et n’a aucun caractère officiel
15666
COUR INTERNATIONALE DE JUSTICE
APPLICATION DE LA CONVENTION INTERNATIONALE SUR L’ÉLIMINATION DE TOUTES LES FORMES DE DISCRIMINATION RACIALE (ÉTAT DU QATAR c. ÉMIRATS ARABES UNIS)
DEMANDE EN INDICATION DE MESURES CONSERVATOIRES DÉPOSÉE PAR LES ÉMIRATS ARABES UNIS DANS LE BUT DE SAUVEGARDER LEURS DROITS PROCÉDURAUX ET D’EMPÊCHER LE QATAR D’AGGRAVER ET D’ÉTENDRE LE DIFFÉREND
22 mars 2019
[Traduction du Greffe]
TABLE DES MATIÈRES
I. Introduction ..................................................................................................................................... 1
II. Eléments importants du contexte de la présente demande et principaux faits sur lesquels elle s’appuie .................................................................................................................................. 1
III. Compétence de la Cour ................................................................................................................ 7
IV. Motifs sur lesquels la présente demande est fondée .................................................................... 8
A. Le Qatar a abusé des droits que lui confère la CIEDR en engageant devant le Comité pour l’élimination de la discrimination raciale et devant la Cour deux procédures parallèles fondées sur les mêmes faits ..................................................................................... 9
B. Le Qatar ne s’est pas conformé à l’ordonnance rendue par la Cour le 23 juillet 2018 parce qu’il a entravé les efforts déployés par les Emirats arabes unis pour aider les Qatariens, ce qu’il a fait notamment en bloquant leur accès au site Internet mis à leur disposition pour le dépôt de demandes d’autorisation de retour aux Emirats arabes unis, et qu’il s’est servi de ses institutions d’Etat et des médias qu’il contrôle pour envenimer le différend ........................................................................................................... 13
V. La présente demande est déposée par les Emirats arabes unis dans le but de sauvegarder leurs droits procéduraux et d’empêcher le Qatar d’aggraver ou d’étendre encore le différend ...................................................................................................................................... 15
A. La Cour devrait faire droit d’urgence à la présente demande afin de sauvegarder en l’espèce les droits procéduraux des Emirats arabes unis ....................................................... 15
B. La Cour devrait faire droit d’urgence à la présente demande afin d’empêcher le Qatar d’aggraver ou d’étendre encore le différend .......................................................................... 18
VI. S’il n’est pas fait droit d’urgence à la présente demande, les Emirats arabes unis subiront un préjudice irréparable .............................................................................................................. 18
VII. Mesures demandées .................................................................................................................. 20
I. INTRODUCTION
1. Se référant à la requête introductive d’instance que l’Etat du Qatar (ci-après le «Qatar») a déposée contre eux devant elle le 11 juin 2018, les Emirats arabes unis soumettent à la Cour la présente demande conformément à l’article 41 de son Statut et aux articles 73 à 75 de son Règlement, demande qui tend, comme il est expliqué ci-après, à ce qu’elle indique d’urgence des mesures conservatoires afin i) de sauvegarder leurs droits procéduraux en la présente affaire et ii) d’empêcher le Qatar d’aggraver ou d’étendre encore le différend entre les Parties avant l’arrêt définitif.
2. Les Emirats arabes unis prient instamment la Cour de bien vouloir traiter la présente demande comme urgente, et de fixer pour l’ouverture d’audiences une date aussi rapprochée que possible. Ils demandent aussi que, en attendant que la Cour se réunisse, son président, dans l’exercice des pouvoirs que lui confère le paragraphe 4 de l’article 74 du Règlement, invite le Qatar à agir de manière que toute ordonnance de la Cour sur la présente demande puisse avoir les effets voulus.
II. ELÉMENTS IMPORTANTS DU CONTEXTE DE LA PRÉSENTE DEMANDE ET PRINCIPAUX FAITS SUR LESQUELS ELLE S’APPUIE
3. Ainsi que les Emirats arabes unis l’ont déjà expliqué en la présente instance et dans d’autres procédures engagées devant la Cour, la cause véritable du différend est que, comme il est bien connu, le Qatar s’emploie depuis longtemps à soutenir et à promouvoir des groupes terroristes et extrémistes qui, dans le monde entier, prennent pour cibles des communautés et des individus vulnérables1. Il aggrave son cas en se servant systématiquement d’Al Jazeera et des autres médias qu’il détient, contrôle ou finance pour répandre des informations mensongères et soutenir des groupes extrémistes et terroristes. La propagande diffusée par les médias qu’il contrôle a conféré de la légitimité à ces groupes et leur a permis d’étendre leur influence dans toute la région comprenant le Moyen-Orient et l’Afrique du Nord et ailleurs dans le monde. Ces groupes sont responsables des meurtres, viols, actes de torture, mutilations et déplacements forcés dont ont été victimes d’innombrables civils innocents.
4. Pendant la période 2011-2013, la menace que les groupes extrémistes font peser sur la région du Moyen-Orient et de l’Afrique du Nord a atteint un seuil critique. Les violences subies dans la région par des individus et des groupes vulnérables, dont le Qatar, en tant qu’Etat parrainant le terrorisme, était largement responsable, exigeaient une réaction collective à l’échelle régionale. C’est ainsi qu’entre novembre 2013 et novembre 2014, les Emirats arabes unis, le Qatar, le Royaume de Bahreïn, l’Etat du Koweït, le Sultanat d’Oman et le Royaume d’Arabie saoudite ont conclu une série d’accords contraignants sous les auspices du Conseil de coopération du Golfe (ci-après le «CCG») afin de contrer les menaces des groupes extrémistes (ci-après les «accords de Riyad»)2.
1 Voir notamment Application de la convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale (Qatar c. Emirats arabes unis), mesures conservatoires, audience tenue le 29 juin 2018 à 16 h 30 (CR 2018/15), p. 32-33, par. 10. Voir également Appel concernant la compétence du Conseil de l’OACI en vertu de l’article 84 de la convention relative à l’aviation civile internationale (Arabie saoudite, Bahreïn, Egypte et Emirats arabes unis c. Qatar), mémoire du Royaume de Bahreïn, de la République arabe d’Egypte, du Royaume d’Arabie saoudite et des Emirats arabes unis, 27 décembre 2018, vol. I, chap. I, sect. 3, et chap. II (annexe 1).
2 Premier accord de Riyad, 23 et 24 novembre 2013, numéro d’enregistrement auprès du Secrétariat de l’ONU 55378 (annexe 2) ; accord sur les modalités d’application de l’accord de Riyad, 17 avril 2014, numéro d’enregistrement auprès du Secrétariat de l’ONU 55378 (annexe 3) ; accord supplémentaire de Riyad, 16 novembre 2014, numéro d’enregistrement auprès du Secrétariat de l’ONU 55378 (annexe 4).
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5. Par les accords de Riyad, le Qatar a expressément pris l’engagement de ne soutenir «aucune des organisations ni aucun des groupes ou individus qui menacent la sécurité des Etats [membres du CCG]», pas plus que des «médias hostiles», quels qu’ils soient3. Le Qatar s’est de plus engagé «à ne pas abriter, employer ou soutenir … toute personne ou tout organe d’information qui, de par ses orientations, est susceptible de nuire à l’un quelconque des Etats [membres du CCG]»4. Il y a lieu de noter que l’accord supplémentaire de Riyad visait expressément Al Jazeera, réseau de chaînes d’information détenu et contrôlé par le Qatar5. Par l’accord de Riyad, le Qatar a en outre expressément accepté «de s’abstenir, au Yémen, en Syrie ou dans toute autre zone déstabilisée, d’accorder son soutien aux mouvements ou groupes extérieurs qui menacent la sécurité et la stabilité des pays membres du CCG»6.
6. Bien qu’il ait expressément pris ces engagements et implicitement admis les faits qui les avaient rendus nécessaires, le Qatar a continué de se servir d’Al Jazeera, son organe de propagande (en particulier de ses programmes en langue arabe) et d’autres médias qu’il détient, contrôle et finance, pour soutenir et promouvoir des organisations terroristes et diffuser des incitations à l’extrémisme7. Au Yémen, il a continué de soutenir et de promouvoir les groupes rebelles engagés dans de violents combats avec les forces du gouvernement dont la légitimité est internationalement reconnue. Il s’est également servi des médias qu’il contrôle, tels qu’Al Jazeera, pour répandre des informations mensongères sur les mesures prises par les Emirats arabes unis en réaction aux violations du droit international commises par lui, mesures qui font l’objet de la présente affaire8.
7. Par ses agissements, le Qatar met en danger la stabilité et la sécurité non seulement des Emirats arabes unis et des autres membres du CCG, mais aussi de nombreuses autres régions du monde, et il met en péril la vie des nombreux individus et communautés exposés aux conséquences du terrorisme.
8. Au premier semestre de 2017, le Qatar a exacerbé l’agitation dans la région du Moyen-Orient et de l’Afrique du Nord en manoeuvrant pour mettre fin aux accords de Riyad9. En conséquence, et constatant que le Qatar persistait à manquer aux obligations que lui impose le droit international, les Emirats arabes unis, le 5 juin 2017, ont rompu leurs relations diplomatiques avec
3 Premier accord de Riyad, articles 1 et 2 (voir l’annexe 2, où figurent des citations traduites en anglais à partir de l’original en langue arabe).
4 Accord supplémentaire de Riyad, article 3, alinéa c) (voir l’annexe 4, où figure une citation de cet alinéa traduite en anglais à partir de l’original en langue arabe).
5 Voir l’accord supplémentaire de Riyad, article 3, alinéa d) (annexe 4).
6 Accord sur les modalités d’application de l’accord de Riyad, article 2, alinéa c) (voir l’annexe 3, où figure une citation traduite en anglais à partir de l’original en langue arabe). Voir également l’article 3 du premier accord de Riyad (annexe 2).
7 Voir Appel concernant la compétence du Conseil de l’OACI en vertu de l’article 84 de la convention relative à l’aviation civile internationale (Arabie saoudite, Bahreïn, Egypte et Emirats arabes unis c. Qatar), mémoire du Royaume de Bahreïn, de la République arabe d’Egypte, du Royaume d’Arabie Saoudite et des Emirats arabes unis, 27 décembre 2018, vol. I, chap. II, sect. 4 (annexe 1).
8 Voir ci-après, section IV.B.
9 Le Qatar a manifesté son intention de dénoncer les accords de Riyad par une lettre en date du 19 février 2017 adressée au Secrétaire général du CCG. Il affirmait dans cette lettre que «l’objet de l’accord avait perdu toute pertinence» et demandait aux Etats membres du CCG de «convenir de mettre fin à l’accord de Riyad, qui a[vait] été dépassé par les événements survenus sur les plans international et régional». Il affirmait aussi ⎯ pour la première fois ⎯ que les accords de Riyad revenaient à «un abandon» de la charte du CCG, et ne «serv[aient] pas les intérêts et les objectifs du CCG», et il préconisait le retour aux principes du CCG (lettre en date du 19 février 2017 adressée à S. Exc. M. Abdullatif Bin Rashid Al Zayani, secrétaire général du CCG, par S. Exc. M. Mohammed Bin Abdulrahman Al-Thani, ministre des affaires étrangères du Qatar ; voir l’annexe 5, où figurent des citations traduites en anglais à partir de l’original en langue arabe).
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lui10. Ils ont ensuite pris contre l’Etat du Qatar une série de mesures licites pour l’inciter à se conformer à ses obligations juridiques. Ces mesures ont été soigneusement pesées afin d’en limiter dans toute la mesure du possible les répercussions pour les ressortissants qatariens. Chacune de ces mesures était licite. Aucune d’entre elles n’était contraire à une quelconque obligation de droit international incombant aux Emirats arabes unis.
9. Les médias contrôlés par le Qatar, y compris Al Jazeera, continuent d’envenimer le différend en diffusant à répétition des allégations incendiaires et mensongères contre les Emirats arabes unis11. Par exemple, le Qatar accuse faussement les Emirats arabes unis d’avoir imposé aux Qatariens une interdiction d’entrée sur le territoire émirien. Il n’en est rien. Le Qatar ne peut avancer aucune preuve d’une telle mesure, et pour cause, puisque les faits montrent que son assertion est fausse.
10. En fait, avant le 5 juin 2017, les Qatariens n’avaient besoin ni d’un visa ni d’une autorisation pour se rendre aux Emirats arabes unis. Après avoir rompu leurs relations diplomatiques avec le Qatar, les Emirats arabes unis ont appliqué un système en vertu duquel tout ressortissant qatarien qui veut entrer sur leur territoire est tenu d’obtenir une autorisation. L’imposition de cette obligation ne saurait, en tout état de cause, être assimilée à une interdiction d’entrée. L’obligation d’obtenir une autorisation d’entrée sur le territoire émirien vaut pour bien d’autres nationalités. Le droit international coutumier n’interdit nullement que soit prise une telle mesure. Il s’agit d’une mesure qui relève élémentairement de l’exercice légitime de la souveraineté et à laquelle les Etats ont recours dans le monde entier12 .
11. Outre que leur décision de subordonner l’entrée sur leur territoire à l’obtention d’une autorisation était parfaitement licite, les Emirats arabes unis se sont attachés à limiter les inconvénients qui pouvaient en résulter pour les Qatariens.
10 Ont également rompu leurs relations diplomatiques avec le Qatar la République arabe d’Egypte, le Royaume d’Arabie saoudite, le Royaume de Bahreïn, la République du Tchad, l’Union des Comores, la République des Maldives, la République islamique de Mauritanie, la République du Sénégal et la République du Yémen. Voir «L’Egypte rompt ses relations diplomatiques avec le Qatar en raison de son soutien à des «organisations terroristes»», Agence nationale d’information, 8 juin 2017 (communiqué citant la déclaration du ministre des affaires étrangères publiée le 5 juin 2017) (annexe 6) ; «3 Djeddah : le Royaume d’Arabie saoudite rompt ses relations diplomatiques et consulaires avec le Qatar», agence de presse saoudienne, 5 juin 2017 (annexe 7) ; «Communiqué du Royaume de Bahreïn sur la rupture de ses relations diplomatiques avec l’Etat du Qatar», ministère des affaires étrangères du Royaume de Bahreïn, 5 juin 2017 (annexe 8) ; «Le Tchad ferme son ambassade au Qatar», Agence émirienne de presse, 23 août 2017 (annexe 9) ; «Les Comores rompent leurs relations diplomatiques avec le Qatar», Agence de presse saoudienne, 7 juin 2017 (annexe 10) ; «Communiqué du gouvernement des Maldives», ministère des affaires étrangères de la République des Maldives, 5 juin 2017 (annexe 11) ; «La Mauritanie décide de rompre ses relations diplomatiques avec le Qatar», Agence mauritanienne d’information, 6 juin 2017 (annexe 12) ; «Le Sénégal et le Gabon se joignent au boycott du Qatar», Middle East Monitor, 9 juin 2017 (annexe 13) ; «Le Yémen rompt ses relations diplomatiques avec le Qatar, selon son agence nationale d’information», Reuters, 5 juin 2017, (annexe 14). En outre, le Royaume hachémite de Jordanie et la République du Niger ont restreint leurs relations diplomatiques avec le Qatar. Voir «La Jordanie restreint ses relations diplomatiques avec le Qatar et interdit Al Jazeera», The National, 7 juin 2017 (annexe 15) ; «Le Niger rappelle son ambassadeur au Qatar», Khaleej Times, 10 juin 2017 (annexe 16).
11 Voir ci-après, section IV.B. Ces allégations sont en particulier véhiculées par les programmes en langue arabe d’Al Jazeera, dont le contenu diffère souvent radicalement de celui des programmes que le réseau de chaînes diffuse en anglais.
12 Voir notamment Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme, Migration, droits de l’homme et gouvernance, Guide pratique à l’usage des parlementaires no 24, 2015, p. 19 («[L]e droit international reconnaît à chacun le droit de quitter un pays quel qu’il soit, y compris le sien, et de revenir ensuite dans son pays d’origine. Il ne concède toutefois pas de droit d’entrée dans un autre pays. Les Etats conservent en effet le pouvoir souverain de décider des critères d’admission et d’expulsion des personnes qui ne sont pas leurs ressortissants...»).
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12. Par exemple, le 11 juin 2017, le ministère de l’intérieur des Emirats arabes unis, afin de faciliter l’entrée des ressortissants qatariens sur le territoire national, a ouvert un service d’assistance téléphonique destiné à les aider à accomplir les formalités de demande d’autorisation d’entrée13. Par la suite, le ministère a même ajouté à son site Internet officiel de demande de visas un lien d’accès spécialement réservé aux Qatariens, leur permettant de demander en ligne une autorisation de retour aux Emirats arabes unis14. Le service d’assistance téléphonique reste ouvert et peut être consulté par les Qatariens qui éprouvent des difficultés techniques à se servir du site Internet.
13. Ayant accompli les formalités nécessaires par ces moyens, de très nombreux Qatariens ont continué d’entrer sur le territoire émirien et d’en sortir. Les statistiques officielles des entrées et sorties établies par les services d’immigration confirment qu’entre juin 2017 et juin 2018, des milliers de Qatariens ont franchi les frontières des Emirats arabes unis15. La même constatation vaut pour la période allant du 1er juin au 31 décembre 2018, durant laquelle 2876 entrées ou sorties de Qatariens ont été enregistrées16. Tous ces mouvements ont été facilités par la mise en place du service d’assistance téléphonique et le lien d’accès ajouté au site Internet.
14. Rien que pour le premier semestre de 2018, le service d’assistance téléphonique a reçu 1390 demandes. Sur ce nombre, 12 seulement ont été rejetées, pour des raisons de sécurité nationale ou autres17. Au second semestre, le nombre des demandes reçues par le service d’assistance téléphonique ou enregistrées sur le site Internet a encore augmenté. Il ressort en effet des preuves documentaires à jour jointes à la présente demande que, pour la période allant du 9 juillet au 22 décembre 2018, le nombre des demandes d’autorisation d’entrée émanant de Qatariens a atteint 3563, dont 3353, soit plus de 94 %, ont reçu une suite favorable18. Pour toute la période écoulée depuis l’annonce en juin 2017 de la décision d’exiger une autorisation d’entrée, les autorités émiriennes ont approuvé plus de 95 % des demandes d’autorisation présentées par des Qatariens.
15. Le service d’assistance téléphonique et le site Internet fournissent deux exemples qui illustrent clairement le succès des efforts qu’ont faits les Emirats arabes unis pour limiter les inconvénients que peuvent entraîner, pour les Qatariens, les mesures prises pour inciter le Qatar à remplir ses obligations juridiques. Or, celui-ci se fait un malin plaisir d’entraver les tentatives que font les Emirats arabes unis pour venir en aide aux Qatariens désireux de retourner aux Emirats.
13 Documents communiqués par les Emirats arabes unis le 25 juin 2018 à la suite du dépôt par le Qatar, le 11 juin 2018, d’une demande en indication de mesures conservatoires, pièce 2. Voir également Application de la convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale (Qatar c. Emirats arabes unis), mesures conservatoires, ordonnance du 23 juillet 2018, opinion dissidente de M. le juge Crawford, par. 6.
14 Voir le site Internet de l’autorité fédérale émirienne pour les questions d’identité et de nationalité, accessible à l’adresse suivante : https://echannels.moi.gov.ae.
15 Voir les documents communiqués par les Emirats arabes unis le 25 juin 2018 à la suite du dépôt par le Qatar le 11 juin 2018 d’une demande en indication de mesures conservatoires, pièce 14.
16 Voir la lettre en date du 10 janvier 2019 adressée au ministère des affaires étrangères et de la coopération internationale des Emirats arabes unis par l’autorité fédérale émirienne pour les questions d’identité et de nationalité, qui résume les statistiques et est accompagnée de nombreuses pièces justificatives (annexe 17).
17 Voir les documents communiqués par les Emirats arabes unis le 25 juin 2018 à la suite du dépôt par le Qatar le 11 juin 2018 d’une demande en indication de mesures conservatoires, pièce 3, p. 1. Voir également Application de la convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale (Qatar c. Emirats arabes unis), mesures conservatoires, ordonnance du 23 juillet 2018, opinion dissidente de M. le juge Crawford, par. 6.
18 Voir lettre en date du 10 janvier 2019 adressée au ministère des affaires étrangères et de la coopération internationale des Emirats arabes unis par l’autorité fédérale émirienne pour les questions d’identité et de nationalité (annexe 17).
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16. C’est ainsi que le Qatar a fait un certain nombre de déclarations fallacieuses et infondées sur l’efficacité du service d’assistance téléphonique et du site Internet, qu’il a répandues par de multiples voies, y compris, dans le cadre de la présente affaire, par l’entremise de plusieurs de ses organes d’Etat et en se servant des médias qu’il contrôle, y compris Al Jazeera19. Contrairement à ce que le Qatar prétend dans ses déclarations infondées, les relevés détaillés des entrées de Qatariens sur le territoire des Emirats arabes unis et de leurs sorties attestent de l’efficacité du fonctionnement du service d’assistance téléphonique et du site Internet.
17. Les Emirats arabes unis savent maintenant qu’en dépit de cette efficacité, ou plus probablement à cause d’elle, le Qatar, au début de cette année, a bloqué l’accès au site Internet sur son territoire, ce qui signifie qu’il empêche les gens qui y vivent de s’en servir. Il semble donc qu’il ne soit plus possible aux Qatariens, qu’il s’agisse d’étudiants, de familles ou d’individus, d’utiliser le site pour saisir la justice émirienne en vue de faciliter leur retour aux Emirats arabes unis. Tout en s’employant à empêcher ses citoyens de s’informer des démarches à accomplir pour retourner aux Emirats, le Qatar continue de répandre devant des organes des Nations Unies et au moyen des médias qu’il contrôle des informations mensongères sur les mesures prises par les Emirats arabes unis20.
18. Il est probable que ce soit en raison du succès même des mesures prises par les Emirats arabes unis pour venir en aider à ses ressortissants que le Qatar semble s’inquiéter du site Internet. L’existence de ce site infirme en effet les théories juridiques qu’il a échafaudées sur des fictions. Le Qatar s’applique à empêcher ses ressortissants de se rendre aux Emirats arabes unis, tout en s’ingéniant à en rejeter la responsabilité sur les autorités émiriennes. Les Emirats arabes unis invitent respectueusement la Cour à prendre note de ce comportement qui allie la duplicité à la duperie, et à bien vouloir le garder à l’esprit à tous les stades de la présente procédure. Une fois encore, le Qatar est pris en flagrant délit de fabrication de fausses preuves.
19. Le Qatar semble ne pas se contenter de diffuser des informations mensongères sur les chaînes d’Al Jazeera, son organe de propagande, et en se servant des autres médias qu’il contrôle. Il est apparemment porté aussi à fabriquer des preuves et à inventer des faits, et il s’attend manifestement à pouvoir le faire sans être découvert. Il compte sans doute pouvoir avancer devant la Cour et ailleurs de nouvelles allégations mensongères contre les Emirats arabes unis au sujet de l’impossibilité dans laquelle se trouveraient les Qatariens d’entrer sur le territoire émirien. En manipulant ainsi les éléments de preuve, le Qatar révèle à la Cour les véritables motifs qui l’ont amené à introduire devant elle une instance contre les Emirats arabes unis en invoquant la convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale (ci-après la «CIEDR»). Ces motifs n’ont manifestement rien à voir avec la protection de ses ressortissants.
19 Voir notamment Application de la convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale (Qatar c. Emirats arabes unis), mesures conservatoires, compte rendu de l’audience tenue le 29 juin 2018 à 10 heures (CR 2018/14), p. 30 et 31, par. 20 à 24 (où le Qatar émet trois assertions à la fois incompatibles et spéculatives au sujet du fonctionnement du service d’assistance téléphonique : premièrement, il affirme que le numéro du service d’assistance est en fait «un numéro de signalement à la police» que les Qatariens hésiteraient selon lui à appeler ; deuxièmement, alors que cela contredit l’assertion qui précède, il déclare que le service d’assistance a en fait reçu un grand nombre d’appels de Qatariens ; et, troisièmement, il relève que, au regard du nombre de ces appels, le nombre des demandes d’autorisation d’entrée a été étonnamment faible, en oubliant qu’il appartient à chaque usager du service (ou du site Internet) de décider de présenter ou non une demande d’autorisation, et que, ainsi, la question qu’il soulève n’est pas du ressort des autorités émiriennes) ; «Qatar : la mise en place d’un service d’assistance téléphonique n’est qu’un artifice destiné à sauver les apparences», Al Jazeera, 11 juin 2017 (annexe 18) («Le comité national des droits de l’homme a rejeté comme n’étant «guère plus qu’une manoeuvre destinée à sauver les apparences» une initiative de trois Etats arabes du Golfe, l’Arabie saoudite, les Emirats arabes unis et Bahreïn, visant à aider les familles mixtes qataro-émiriennes qui risquent d’être divisées»). Voir également ci-après, section IV.B.
20 Voir ci-après, par. 52-54.
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20. Comme il est indiqué plus haut, les mesures prises par les Emirats arabes unis contre le Qatar avaient pour but de l’inciter à satisfaire aux obligations que lui impose le droit international. Or, malgré les engagements qu’il avait pris, le Qatar a choisi de ne pas mettre fin à ses activités illicites. Il a cherché à détourner l’attention de ses manquements en utilisant Al Jazeera et d’autres médias qu’il détient, contrôle et finance, ainsi que d’autres moyens, pour répandre des accusations mensongères au sujet des mesures prises par les Emirats arabes unis à la suite des violations du droit international commises par lui21.
21. Le Qatar a en outre engagé abusivement contre les Emirats arabes unis deux procédures parallèles, en invoquant les dispositions de la CIEDR relatives au règlement des différends.
22. Il a introduit la première devant le Comité pour l’élimination de la discrimination raciale. Il a introduit la seconde, qui est la présente instance, en déposant une requête devant la Cour le 11 juin 2018, soit un mois seulement après la notification aux Emirats arabes unis, le 7 mai 2018, de la procédure engagée contre eux devant le Comité. Comme il est expliqué plus en détail ci-après, introduire deux instances parallèles en s’autorisant du même système séquentiel de règlement des différends constitue un abus des dispositions de la CIEDR. De plus, ces instances sont l’une et l’autre totalement dénuées de fondement aussi bien que vexatoires. Elles reposent sur des allégations infondées qu’aucune preuve crédible ne vient étayer, selon lesquelles les Emirats arabes unis auraient commis des violations de la CIEDR. En outre, à supposer même qu’elles reposent sur des faits avérés (quod non), les allégations de discrimination à raison de la nationalité qu’avance le Qatar n’entrent manifestement pas dans le champ d’application de la CIEDR. La Cour ne s’est pas définitivement prononcée sur cette question dans son ordonnance du 23 juillet 2018 sur la demande en indication de mesures conservatoires déposée le 11 juin 2018 par le Qatar (ci-après l’«ordonnance du 23 juillet 2018»), mais il y a lieu de noter qu’un nombre non négligeable de juges y ont répondu dans le sens indiqué ci-dessus, comme il ressort clairement des opinions dissidentes et des déclarations dont le texte est joint à l’ordonnance. Bref, les assertions du Qatar sont toutes dénuées de fondement.
23. Le Qatar a aussi sérieusement aggravé et étendu le différend, y compris après le prononcé de l’ordonnance du 23 juillet 2018, notamment :
i) en soumettant à nouveau la question au Comité pour l’élimination de la discrimination raciale le 29 octobre 2018, ce qui a eu pour effet de réactiver la communication qu’il avait adressée précédemment au Comité, restée pendante après qu’il eut abandonné la procédure engagée devant lui lors du dépôt de sa requête introduisant la présente instance22 ;
ii) en entravant les tentatives faites par les Emirats arabes unis pour venir en aide aux Qatariens, ce qu’il a fait notamment en bloquant sur son territoire l’accès au site Internet que les autorités émiriennes ont mis à leur disposition pour le dépôt de demandes d’autorisation de retour aux Emirats arabes unis23 ; et
21 Voir notamment «Les Emirats arabes unis continuent de violer la décision de la C.I.J.», Qatar Tribune, 24 janvier 2019 (annexe 19). Voir également la section IV.B ci-après.
22 Voir ci-après, section IV.A.
23 Voir ci-après, section IV.B.
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iii) en se servant de ses organes d’Etat et des médias qu’il détient, contrôle et finance, y compris Al Jazeera, pour répandre des accusations mensongères contre les Emirats arabes unis, notamment des accusations fausses se rapportant aux questions en litige dans la présente affaire24.
24. Il est donc nécessaire que la Cour indique d’urgence des mesures conservatoires afin i) de protéger les droits procéduraux que les Emirats arabes unis possèdent au titre de la CIEDR et en la présente instance des atteintes résultant de l’abus de procédure commis par le Qatar en introduisant deux instances parallèles, et ii) d’empêcher le Qatar d’aggraver et d’étendre encore le différend. Si la Cour ne fait pas droit d’urgence à la présente demande, un préjudice irréparable sera causé aux droits procéduraux des Emirats arabes unis, et le règlement du différend risquera de devenir impossible.
III. COMPÉTENCE DE LA COUR
25. La Cour n’a pas encore statué sur sa compétence en l’espèce. Dans son ordonnance du 23 juillet 2018, elle s’est bornée à dire qu’elle avait compétence prima facie en vertu de l’article 22 de la CIEDR25.
26. Comme la Cour l’a expliqué dans son ordonnance du 23 juillet 2018, sa décision d’indiquer des mesures conservatoires
«ne préjuge en rien la question de sa compétence pour connaître du fond de l’affaire, ni aucune question relative à la recevabilité de la requête ou au fond lui-même. Elle laisse intact le droit des Gouvernements du Qatar et des Emirats arabes unis de faire valoir leurs moyens à cet égard.»26
27. Dans leurs conclusions sur la demande en indication de mesures conservatoires déposée par le Qatar le 11 juin 2018, les Emirats arabes unis ont contesté la compétence de la Cour et la recevabilité de la requête dans les termes suivants :
«[M]ême si elles étaient prises pour argent comptant, les allégations factuelles du Qatar ne feraient pas intervenir une discrimination raciale interdite, au sens de la convention, ni d’autres actes prohibés dans celle-ci. Le présent différend excède donc clairement la portée ratione materiae de la convention, de sorte qu’il échappe à la compétence de la Cour.
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[L]a question initiale, cruciale et décisive est celle de l’application même de la convention aux mesures dont le Qatar tire grief. Selon la Partie adverse, ces mesures soit sont principalement dirigées contre le Qatar lui-même, soit, pour autant qu’elles
24 Voir ci-après, section IV.B.
25 Voir l’ordonnance du 23 juillet 2018, par. 41.
26 Ibid., par. 78.
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visent ou touchent des Qatariens, ne le font que parce que les intéressés sont actuellement des nationaux ou ressortissants du Qatar.»27
28. Les Emirats arabes unis informent respectueusement la Cour qu’ils maintiennent cette position, ainsi que l’intégralité de leur argumentation sur la compétence. Ils lui soumettent la présente demande sans préjudice de leur position sur la compétence, et sous réserve expresse de tous leurs droits à cet égard. Ni la présente demande, ni la décision que prendra la Cour à son sujet n’affectent donc le droit des Emirats arabes unis de faire valoir leurs moyens au sujet de la compétence de la Cour en l’espèce et de la recevabilité de la requête. Les Emirats arabes unis se réservent aussi expressément le droit de soumettre des arguments sur ces questions au stade approprié de la présente procédure.
29. Lorsqu’elle a écarté provisoirement les objections des Emirats arabes unis à sa compétence, la Cour a clairement dit, comme elle l’avait fait en d’autres affaires, que pour indiquer des mesures conservatoires «elle n’a[vait] pas besoin de s’assurer de manière définitive qu’elle a[vait] compétence quant au fond de l’affaire»28. Elle a confirmé qu’il lui suffisait de conclure que «les dispositions invoquées par le demandeur apparaiss[aient] prima facie constituer une base sur laquelle sa compétence pourrait être fondée»29.
30. Il n’est pas contesté que dans son ordonnance du 23 juillet 2018, la Cour a conclu qu’elle avait prima facie compétence pour connaître de la présente affaire30. Il est évident que rien dans le libellé de l’ordonnance du 23 juillet 2018 ne peut porter à conclure que la compétence prima facie de la Cour ne vaut que pour l’examen de la demande en indication de mesures conservatoires déposée par le Qatar. Cette compétence prima facie s’étend donc à l’examen de la présente demande. Comme il est montré dans les sections qui suivent, cette demande satisfait à toutes les autres conditions auxquelles sont subordonnées les décisions de la Cour d’indiquer des mesures conservatoires.
IV. MOTIFS SUR LESQUELS LA PRÉSENTE DEMANDE EST FONDÉE
31. Comme il est indiqué ci-dessus à la section II, le Qatar, au mépris de ses obligations de droit international, s’est systématiquement employé à soutenir et à promouvoir des groupes terroristes et extrémistes qui prennent pour cibles des communautés et des individus vulnérables. Il s’est aussi systématiquement servi d’Al Jazeera et des autres médias qu’il contrôle pour diffuser sa propagande, légitimer ces groupes et répandre des informations mensongères. En conséquence, après avoir maintes fois tenté de convaincre le Qatar de renoncer à ce comportement illicite, les Emirats arabes unis ont rompu leurs relations diplomatiques avec lui le 5 juin 2017. Ils ont ensuite pris une série de mesures licites contre le Qatar pour l’amener à se conformer aux obligations que lui impose le droit international.
27 Application de la convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale (Qatar c. Emirats arabes unis), mesures conservatoires, compte rendu de l’audience tenue le 28 juin 2018 à 10 heures (CR 2018/13), p. 31-32, par. 15 et 18.
28 Ordonnance du 23 juillet 2018, par. 14. Voir également Affaire Jadhav (Inde c. Pakistan), mesures conservatoires, ordonnance du 18 mai 2017, C.I.J. Recueil 2017, p. 236, par. 15.
29 Ordonnance du 23 juillet 2018, par. 14. Voir également Affaire Jadhav (Inde c. Pakistan), mesures conservatoires, ordonnance du 18 mai 2017, C.I.J. Recueil 2017, p. 236, par. 15.
30 Voir l’ordonnance du 23 juillet 2018, par. 41.
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32. Malheureusement, au lieu de mettre fin à ses activités illicites, le Qatar a engagé contre les Emirats arabes unis deux procédures parallèles qui reposent sur les mêmes allégations futiles et totalement infondées de violation de la CIEDR. Ce faisant, le Qatar a commis un abus des droits que lui confère la CIEDR. L’introduction de ces procédures parallèles constitue également une violation des droits que les Emirats arabes unis tiennent de la CIEDR, ainsi que des droits procéduraux qu’ils possèdent en la présente affaire.
33. En outre, le Qatar a aggravé et étendu le différend et en a rendu le règlement plus difficile en prenant une série de mesures en violation patente de l’ordonnance du 23 juillet 2018.
A. Le Qatar a abusé des droits que lui confère la CIEDR en engageant devant le Comité pour l’élimination de la discrimination raciale et devant la Cour deux procédures parallèles fondées sur les mêmes faits
34. Le Qatar a abusé des droits qu’il tient de la CIEDR en engageant devant le Comité pour l’élimination de la discrimination raciale et devant la Cour de céans deux procédures parallèles fondées sur les mêmes faits. Le 8 mars 2018, en vertu de l’article 11 de la CIEDR, il a adressé au Comité pour l’élimination de la discrimination raciale une communication (ci-après la «communication pendante») dans laquelle il alléguait que les Emirats arabes unis avaient violé la CIEDR en appliquant une série de mesures selon lui «coercitives», annoncées le 5 juin 2017. La communication pendante a été transmise aux Emirats arabes unis sous le couvert d’une note verbale du Secrétaire général de l’Organisation des Nations Unies (Haut-Commissaire aux droits de l’homme) en date du 7 mai 2018. Par la même note verbale, les Emirats arabes unis étaient informés que le Comité avait fixé au 7 août 2018 la date d’expiration du délai dont ils disposaient pour soumettre leurs observations sur la communication pendante du Qatar31.
35. Le 11 juin 2018, le Qatar a déposé devant la Cour une requête introductive d’instance dans laquelle il allègue des faits et des violations pratiquement identiques à ceux qu’il avait invoqués dans la communication pendante32. L’introduction devant la Cour de la présente instance valait abandon par le Qatar de la communication pendante. Cependant, après que la Cour eut rendu son ordonnance du 23 juillet 2018 et fixé le 25 juillet 2018 les délais de dépôt par les Parties des
31 Voir Etat du Qatar c. Emirats arabes unis, affaire no ICERD-ISC-2018/2, note verbale en date du 7 mai 2018 adressée au représentant permanent des Emirats arabes unis auprès de l’Office des Nations Unies à Genève par le Secrétaire général de l’Organisation des Nations Unies (Haut-Commissaire aux droits de l’homme), lui transmettant la communication soumise le 8 mars 2018 par le Qatar au Comité pour l’élimination de la discrimination raciale en vertu de l’article 11 de la convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale (annexe 20).
32 L’identité des faits et des moyens de droit avancés dans la présente affaire et de ceux invoqués dans la communication pendante est frappante et indéniable. La chronologie des événements et les rapports établis entre eux sont les mêmes dans la communication pendante et dans la requête. Les allégations de violations de la CIEDR sur lesquelles le Qatar s’est fondé pour introduire les deux instances parallèles portent pratiquement sur les mêmes dispositions de cet instrument. Voir Etat du Qatar c. Emirats arabes unis, affaire no ICERD-ISC-2018/2, note verbale en date du 7 mai 2018 adressée au représentant permanent des Emirats arabes unis auprès de l’Office des Nations Unies à Genève par le Secrétaire général de l’Organisation des Nations Unies (Haut-Commissaire aux droits de l’homme), lui transmettant la communication soumise le 8 mars 2018 par le Qatar au Comité pour l’élimination de la discrimination raciale en vertu de l’article 11 de la convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale (annexe 20), par. 57 : «Les Emirats arabes unis ont manqué aux obligations que leur imposent, entre autres, les articles 2, 4, 5 et 6 de la CIEDR, et n’ont respecté ni les principes moraux sur lesquels cet instrument est fondé, ni le principe de droit coutumier qui interdit la discrimination fondée sur des motifs arbitraires» ; requête, par. 58 : «Les Emirats arabes unis … ont contrevenu aux obligations spécifiques qui leur incombent au titre des articles 2, 4, 5, 6 et 7 de la convention, ainsi qu’au principe de non-discrimination consacré par le droit international coutumier…»).
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pièces de procédure écrite sur le fond33, le Qatar a réactivé la communication pendante en «soumet[tant] de nouveau la question au Comité [pour l’élimination de la discrimination raciale]» le 29 octobre 201834.
36. En tentant ainsi d’user de deux procédures parallèles engagées en application de la CIEDR, qui se déroulent simultanément, le Qatar agit contrairement à l’article 22 de la convention. Selon cet article, les Etats parties à la CIEDR ont le droit de porter devant la Cour tout différend touchant l’interprétation ou l’application de celle-ci. Toutefois, en dehors du fait que les allégations du Qatar ne portent même pas sur l’interprétation ou l’application de la convention35, l’article 22 dispose expressément que la saisine de la Cour est le stade ultime d’un processus de règlement des différends dont les phases sont rigoureusement échelonnées et hiérarchisées. L’article 22 se lit comme suit :
«Tout différend entre deux ou plusieurs Etats parties touchant l’interprétation ou l’application de la présente Convention qui n’aura pas été réglé par voie de négociation ou au moyen des procédures expressément prévues par ladite Convention sera porté, à la requête de toute partie au différend, devant la Cour internationale de Justice pour qu’elle statue à son sujet, à moins que les parties au différend ne conviennent d’un autre mode de règlement.» (Les italiques sont de nous.)
37. L’article 22 ne présente aucune difficulté de déchiffrage, et son interprétation n’est pas compliquée. Il ressort clairement de son libellé simple qu’un différend ne peut être porté devant la Cour qu’après épuisement des autres modes de règlement auxquels peuvent recourir les Etats parties selon le système prévu par la CIEDR (à savoir «[l]es procédures expressément prévues par [la] convention»).
38. La Cour a elle-même confirmé que le système de règlement des différends prévu par la CIEDR comprend des étapes dont l’ordre est fixe. En l’affaire relative à l’Application de la convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale (Géorgie c. Fédération de Russie), elle a dit ce qui suit :
«[P]ris dans leur sens ordinaire, les termes de l’article 22, à savoir «[t]out différend … qui n’aura pas été réglé par voie de négociation ou au moyen des procédures expressément prévues par ladite Convention», établissent des conditions préalables auxquelles il doit être satisfait avant toute saisine de la Cour.»36
33 Voir Application de la convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale (Qatar c. Emirats arabes unis), ordonnance du 25 juillet 2018.
34 Etat du Qatar c. Emirats arabes unis, affaire no ICERD-ISC-2018/2, note verbale en date du 31 octobre 2018 adressée à la mission permanente des Emirats arabes unis auprès de l’Office des Nations Unies à Genève par le Secrétariat de l’Organisation des Nations Unies (Haut-Commissariat aux droits de l’homme) lui transmettant la note verbale en date du 29 octobre 2018 adressée au Comité pour l’élimination de la discrimination raciale par la mission permanente de l’Etat du Qatar auprès de l’Office des Nations Unies à Genève (annexe 21) («[…] la mission permanente informe le Comité que l’Etat du Qatar a décidé de se prévaloir du droit de lui soumettre à nouveau la question que lui confère le paragraphe 2 de l’article 11 de la convention»).
35 Voir ci-dessus, section III.
36 Application de la convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale (Géorgie c. Fédération de Russie), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 2011, p. 128, par. 141 (citant l’article 22 de la CIEDR).
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39. Ce prononcé confirme que le Qatar était juridiquement tenu d’épuiser les modes de règlement constitués par les procédures expressément prévues par la convention pour se conformer aux «conditions préalables auxquelles il doit être satisfait avant toute saisine de la Cour». C’est ce que veut dire l’expression «conditions préalables» prise dans son sens ordinaire.
40. Or le Qatar, contrevenant délibérément aux dispositions de la CIEDR relatives au règlement des différends, a déposé sa requête devant la Cour sans attendre que la procédure engagée devant le Comité pour l’élimination de la discrimination raciale parvienne à son terme. Ensuite, aggravant encore son abus du système de règlement des différends prévu par la CIEDR, le Qatar, après avoir déposé sa requête, a réactivé la procédure qu’il avait engagée devant le Comité37.
41. Le Qatar a ainsi créé une situation de lis pendens, ce qui constitue un abus du système de règlement des différends prévu par la CIEDR. En adoptant un comportement qui procède de la manipulation et de la déformation délibérées des dispositions régissant ce système, le Qatar a voulu forcer les Emirats arabes unis à se défendre dans deux procédures redondantes, qui opposent les mêmes parties et ont été engagées en vertu du même instrument, et où sont invoqués les mêmes moyens de fait et de droit.
42. Les principes de la doctrine du lis pendens, que suivent les tribunaux pour éviter les actions en justice redondantes, sont qu’il faut écarter le risque que ne soient rendues des décisions contradictoires, éviter les procédures parallèles coûteuses et protéger les parties des tactiques procédurales abusives ou vexatoires. Dans l’exercice de son pouvoir inhérent de veiller au bon déroulement de la procédure et à la bonne administration de la justice, un tribunal peut enjoindre à une partie qui a engagé deux procédures parallèles de renoncer à l’une d’elles. En l’espèce, la Cour, dans l’exercice de son pouvoir inhérent de veiller au bon déroulement de la procédure, se doit d’ordonner au Qatar de mettre fin à la procédure parallèle qu’il a engagée devant le Comité.
43. L’abus de procédure commis par le Qatar risque d’enrayer le fonctionnement des institutions légitimes créées en application de la CIEDR et de porter un coup fatal à l’intégrité du système de règlement des différends qu’elle prévoit. Comme il est expliqué plus avant à la section V.A, l’abus de procédure commis par le Qatar risque aussi de causer un préjudice irréparable aux droits procéduraux que possèdent les Emirats arabes unis en la présente instance.
44. Plus inquiétant encore, en poursuivant abusivement devant deux organes deux procédures parallèles portant sur le même différend, le Qatar porte atteinte à l’autorité de la Cour et à l’intégrité de sa procédure. Par son comportement, il conteste tacitement le rôle de juridiction suprême et de dernier recours dévolu à la Cour dans le système séquentiel de règlement des différends prévu par l’article 22 de la convention.
45. En outre, la poursuite délibérée par le Qatar de deux procédures parallèles entraîne inévitablement le risque que ces procédures débouchent sur des constatations, des décisions, des conclusions et des injonctions contradictoires. En fait, certaines des opinions dissidentes ou individuelles de juges dont l’exposé est joint à l’ordonnance du 23 juillet 2018 révèlent déjà un désaccord radical entre plusieurs juges de la Cour et le Comité pour l’élimination de la discrimination raciale sur les principes juridiques à appliquer pour répondre à la question fondamentale de savoir si la CIEDR est applicable aux différences de traitement fondées sur la nationalité. Par exemple, les juges Tomka, Gaja et Gevorgian ont observé ce qui suit :
37 Voir ci-dessus, par. 35.
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«Il serait difficile d’accorder du poids à ce point de vue du Comité étant donné que celui-ci ne justifie d’aucune façon son interprétation selon laquelle les différences de traitement fondées sur la nationalité constituent une discrimination raciale au sens de la CIEDR, fût-ce seulement dans une certaine mesure.»38
46. De même, le juge Crawford a mis en évidence l’une des difficultés que soulève la position défendue par le Qatar, en expliquant ce qui suit :
« ... l’article premier de la convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale (ci-après la «CIEDR») établit, par son libellé même, une distinction entre la discrimination fondée sur l’origine nationale (assimilée à une discrimination raciale et interdite en tant que telle) et la différenciation fondée sur la nationalité (non interdite en tant que telle) ... Prima facie, à tout le moins, les mesures des Emirats arabes unis qui sont en cause en l’espèce, et qui découlent de la déclaration du 5 juin 2017, visent les Qatariens à raison de leur nationalité actuelle, et non de leur origine nationale. Cela ne signifie pas que l’expulsion collective de personnes d’une certaine nationalité soit licite en droit international ; tel n’est pas le cas. Le fait est simplement qu’elle ne relève manifestement pas de la CIEDR, qui est la seule base de compétence invoquée par le Qatar.»39
47. Le juge Salam a quant à lui déclaré catégoriquement ceci :
«Je suis persuadé que la Cour n’a pas prima facie compétence ratione materiae dans la mesure où le différend entre les Parties n’apparaît pas concerner l’interprétation et l’application de la CIEDR. En effet, il ressort de l’article premier de la CIEDR que cette convention s’applique à «toute distinction, exclusion, restriction ou préférence fondée sur la race, la couleur, l’ascendance ou l’origine nationale ou ethnique». Or, la discrimination fondée sur la «nationalité», objet des griefs de la demanderesse, ne s’y trouve pas mentionnée.»40
48. Le risque que les deux procédures parallèles, qui portent sur les mêmes questions de fond, ne débouchent sur des conclusions juridiques contradictoires entraînerait fatalement, s’il se concrétisait, des conséquences irréversibles, à savoir des irrégularités procédurales et une controverse juridique, ainsi que la prolongation et l’aggravation du différend. Il en résultera aussi des difficultés systémiques touchant les relations de travail entre les juridictions internationales concernées. Le comportement du Qatar, pour autant qu’il créerait un précédent, poserait à la Cour elle-même des problèmes d’ordre institutionnel, dont il faut se garder de sous-estimer la gravité. Des décisions juridiquement contradictoires pourraient constituer un précédent qui nuirait à l’autorité de la Cour, au bon fonctionnement des systèmes de règlement des différends prévus par des traités tels que la CIEDR, voire à la cohérence du droit international.
38 Ordonnance du 23 juillet 2018, déclaration commune de MM. les juges Tomka, Gaja et Gevorgian, par. 5.
39 Ordonnance du 23 juillet 2018, opinion dissidente de M. le juge Crawford, par. 1.
40 Ibid., opinion dissidente de M. le juge Salam, par. 2 (citant l’article premier de la CIEDR).
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B. Le Qatar ne s’est pas conformé à l’ordonnance rendue par la Cour le 23 juillet 2018 parce qu’il a entravé les efforts déployés par les Emirats arabes unis pour aider les Qatariens, ce qu’il a fait notamment en bloquant leur accès au site Internet mis à leur disposition pour le dépôt de demandes d’autorisation de retour aux Emirats arabes unis, et qu’il s’est servi de ses institutions d’Etat et des médias qu’il contrôle pour envenimer le différend
49. Au point 2 du dispositif (paragraphe 79) de son ordonnance du 23 juillet 2018, la Cour a dit que «[l]es deux Parties d[evaient] s’abstenir de tout acte qui risquerait d’aggraver ou d’étendre le différend dont la Cour est saisie ou d’en rendre le règlement plus difficile». Alors que cette injonction s’adresse expressément aux deux Parties, le Qatar a manifestement manqué aux obligations qu’elle lui impose. Il a continué d’aggraver et d’étendre encore le différend qu’il a porté devant la Cour.
50. Comme il est expliqué plus haut, après le prononcé par la Cour de son ordonnance du 23 juillet 2018, le Qatar a réactivé sa communication pendante devant le Comité pour l’élimination de la discrimination raciale en lui soumettant à nouveau la question41. Il a ainsi créé un risque important que la procédure engagée devant le Comité et la présente instance, qui se déroulent maintenant parallèlement, n’aboutissent à des décisions juridiquement contradictoires42. Si tel était le cas, la décision définitive de la Cour ne mettrait pas fin au différend. En effet, pour reprendre les termes employés par le tribunal arbitral en l’Affaire de l’usine MOX (Irlande c. Royaume Uni), «une procédure qui pourrait aboutir à deux décisions contradictoires sur la même question ne faciliterait pas le règlement du différend opposant les parties»43. En réactivant sa communication pendante devant le Comité, le Qatar a donc aggravé et étendu encore le différend et en a rendu le règlement plus difficile.
51. Qui plus est, le Qatar entrave les tentatives que font les Emirats arabes unis pour aider les Qatariens. Par exemple, au début de cette année, il a bloqué sur son territoire l’accès au site Internet dont ils pouvaient se servir pour demander une autorisation de retour aux Emirats arabes unis44. Autrement dit, le Qatar fabrique de fausses preuves et invente des faits. Il se livre à un jeu pervers consistant à saboter les efforts que font les Emirats arabes unis pour venir en aide aux Qatariens, qu’il s’agisse d’étudiants, de membres de familles mixtes ou d’autres personnes vulnérables. Il entrave intentionnellement les mesures prises par les Emirats arabes unis pour fournir aux Qatariens un moyen de communiquer avec les autorités émiriennes, notamment pour exercer leurs droits devant la justice. On ne saurait trouver un exemple plus patent de ce qu’il fait pour aggraver le différend. Une fois encore, le Qatar est pris en flagrant délit de fabrication de preuves.
41 Voir Etat du Qatar c. Emirats arabes unis, affaire no ICERD-ISC-2018/2, note verbale en date du 31 octobre 2018 adressée à la mission permanente des Emirats arabes unis auprès de l’Office des Nations Unies à Genève par le Secrétariat de l’Organisation des Nations Unies (Haut-Commissariat aux droits de l’homme), lui transmettant la note verbale en date du 29 octobre 2018 adressée au Comité pour l’élimination de la discrimination raciale par la mission permanente de l’Etat du Qatar auprès de l’Office des Nations Unies à Genève (annexe 21).
42 Voir ci-dessus, par. 45-48.
43 The MOX Plant Case (Ireland v. United Kingdom), Order No 3, Suspension of Proceedings on Jurisdiction and Merits, and Request for Further Provisional Measures (suspension de la procédure sur la compétence et le fond et demande en prescription de nouvelles mesures conservatoires), 24 juin 2003, par. 28.
44 Voir les vidéos enregistrées à Doha montrant que le site Internet de l’Autorité fédérale des Emirats arabes unis pour les questions d’identité et de citoyenneté est bloqué (annexe 22, pièces A à C).
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52. De surcroît, alors que, en vertu de l’injonction de la Cour de ne pas aggraver le différend, il était bien évidemment tenu de cesser de répandre des discours haineux et des déclarations mensongères dirigés contre les Emirats arabes unis, en particulier au sujet des questions en litige dans la présente affaire, il a continué de se servir de ses institutions d’Etat et des médias qu’il détient, contrôle et finance, y compris Al Jazeera, pour faire croire que les mesures prises licitement par les Emirats arabes unis équivalaient à l’imposition d’un «siège»45. Le Qatar a également continué de diffuser des déclarations mensongères, notamment des assertions fausses selon lesquelles les Emirats arabes unis empêchent les Qatariens de saisir la justice émirienne «et violent les droits des étudiants qatariens en empêchant leur retour aux Emirats arabes unis»46. Il a de même continué d’utiliser ses organes d’Etat pour répandre, devant des organes des Nations Unies notamment, des informations fausses selon lesquelles les mesures prises par les Emirats arabes unis constituent « des violations flagrantes et systématiques [du droit] et soumettent les Qatariens et les expatriés à un traitement discriminatoire»47.
53. Les Emirats arabes unis ont montré à la Cour, tant dans leurs plaidoiries lors des audiences tenues du 27 au 29 juin 2018 que dans les éléments de preuve joints à la présente demande, que des milliers de Qatariens ont obtenu l’autorisation de se rendre aux Emirats arabes unis après l’avoir demandée en appelant le service d’assistance téléphonique ou en se servant du site Internet destiné à les aider à accomplir les formalités nécessaires48. Au mépris de ces faits avérés, le Qatar continue, encore maintenant, de répandre des accusations mensongères concernant l’application par les Emirats arabes unis de l’ordonnance du 23 juillet 2018. Par exemple, par l’entremise de son comité national des droits de l’homme, il a accusé les Emirats arabes unis d’avoir commis plus de 700 violations de l’ordonnance49. Ces accusations fausses et infondées ont été reprises par les médias contrôlés par le Qatar. Ces médias ont notamment relayé les allégations mensongères selon lesquelles «des violations des droits de l’homme continuent d’être commises du fait des mesures prises par les Emirats arabes unis», lesquels, d’après ces médias, persistent à violer «les droits des femmes, des enfants, des handicapés et des personnes âgées» et refusent aux Qatariens «l’accès à la justice en les empêchant d’exercer leur droit de saisir les tribunaux émiriens»50. Les éléments de preuve infirment clairement les allégations fausses du Qatar selon
45 «Al Marri demande une enquête approfondie sur les assiégeants», The Peninsula, 16 septembre 2018 (annexe 23) ; «Marri exhorte la communauté internationale à exercer des pressions sur les Etats qui imposent un siège pour qu’ils cessent de violer les droits de l’homme», Qatar Tribune, 30 septembre 2018 (annexe 24) ; «L’ONU enquête sur les violations des droits de l’homme des étudiants qatariens commises par l’assiégeant», The Peninsula, 20 janvier 2019 (annexe 25).
46 «Al Marri demande une enquête approfondie sur les assiégeants», The Peninsula, 16 septembre 2018 (annexe 23) ; «Al Marri annonce la publication le mois prochain d’un rapport sur les violations commises par les Emirats arabes unis», Gulf Times, 6 décembre 2018 (annexe 26) ; «L’ONU enquête sur les violations des droits des étudiants qatariens commises par l’assiégeant», The Peninsula, 20 janvier 2019 (annexe 25).
47 Voir notamment «Al Marri demande une enquête approfondie sur les Etats qui imposent un siège», The Peninsula, 16 septembre 2018 (annexe 23).
48 Voir plus haut, section II.
49 Voir «Les Emirats arabes unis ont commis 745 violations de la décision de la C.I.J.», Al-Watan, 24 janvier 2019 (annexe 27) ; «Le comité national des droits de l’homme dévoile un rapport donnant le détail des violations des droits de l’homme que les Emirats arabes unis continuent de commettre en dépit de la décision de la C.I.J.», The Peninsula, 24 janvier 2019 (annexe 28).
50 «Les Emirats arabes unis continuent de violer la décision de la C.I.J.», Qatar Tribune, 24 janvier 2019 (annexe 19). Voir également «Malgré l’ordonnance rendue par la C.I.J., les témoignages de Qatariens montrent que les Emirats continuent de commettre des violations», Al Jazeera, 24 janvier 2019 (annexe 29).
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lesquelles «un très petit nombre de cas seulement » auraient été réglés51 et les Emirats arabes unis n’auraient pris aucune mesure aux fins de l’application de l’ordonnance du 23 juillet 201852.
54. En adoptant un comportement agressif et en utilisant ses organes d’Etat et les médias qu’il contrôle pour répandre des allégations incendiaires contre les Emirats arabes unis, le Qatar a commis une violation flagrante du point du dispositif de l’ordonnance du 23 juillet 2018 enjoignant aux Parties de ne pas aggraver le différend.
V. LA PRÉSENTE DEMANDE EST DÉPOSÉE PAR LES EMIRATS ARABES UNIS DANS LE BUT DE SAUVEGARDER LEURS DROITS PROCÉDURAUX ET D’EMPÊCHER LE QATAR D’AGGRAVER OU D’ÉTENDRE ENCORE LE DIFFÉREND
55. Selon le paragraphe 1 de l’article 41 de son Statut, la Cour «a le pouvoir d’indiquer, si elle estime que les circonstances l’exigent, quelles mesures conservatoires du droit de chacun doivent être prises à titre provisoire».
56. La Cour a de plus précisé ce qui suit :
«[l]orsqu’elle indique des mesures conservatoires à l’effet de sauvegarder des droits particuliers, la Cour peut aussi indiquer de telles mesures en vue d’empêcher l’aggravation ou l’extension du différend si elle estime que les circonstances l’exigent…»53
57. La présente demande a donc pour but : i) de sauvegarder en l’espèce les droits procéduraux des Emirats arabes unis ; et ii) d’empêcher le Qatar d’aggraver et d’étendre encore le différend.
A. La Cour devrait faire droit d’urgence à la présente demande afin de sauvegarder en l’espèce les droits procéduraux des Emirats arabes unis
58. Comme tous les Etats qui sont parties à un différend porté devant la Cour, les Emirats arabes unis jouissent en l’espèce de droits procéduraux fondamentaux. Ils jouissent notamment du droit à l’équité procédurale, du droit de défendre leur cause dans des conditions d’égalité et du droit à la bonne administration de la justice. La Cour a d’ailleurs clairement établi sa jurisprudence en la matière :
«[L]e principe de l’égalité des parties au différend reste pour [la Cour] fondamental. ... Les dispositions du Statut et du Règlement ... visent à assurer une bonne
51 «Les Emirats arabes unis continuent de violer la décision de la C.I.J.», Qatar Tribune, 24 janvier 2019 (annexe 19, où figure une citation traduite en anglais à partir de l’original en langue arabe).
52 Voir «Les Emirats arabes unis ont commis 745 violations des décisions de la C.I.J.», Al-Watan, 24 janvier 2019 (annexe 27) ; «Les Emirats arabes unis continuent de violer la décision de la C.I.J.», Qatar Tribune, 24 janvier 2019 (annexe 19). Voir également les paragraphes 11 à 15 ci-dessus (où sont citées des statistiques qui prouvent que les Qatariens désireux d’obtenir une autorisation de retour aux Emirats arabes unis ont fréquemment utilisé pour la demander le service d’assistance téléphonique ou le site Internet mis à leur disposition, et montrent que les autorités émiriennes ont fait droit à une forte proportion des demandes).
53 Ordonnance du 23 juillet 2018, par. 76. Voir également Application de la convention internationale pour la répression du financement du terrorisme et de la convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale (Ukraine c. Fédération de Russie), mesures conservatoires, ordonnance du 19 avril 2017, C.I.J. Recueil 2017, p. 139, par. 103.
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administration de la justice et à permettre à chaque partie de s’exprimer sur les thèses de l’adversaire dans des conditions d’égalité et d’équité.»54
59. La Cour a aussi clairement dit qu’«il convient de préserver l’égalité des parties lorsque celles-ci se sont engagées, conformément au paragraphe 3 de l’article 2 de la Charte, dans le règlement, par des moyens pacifiques, d’un différend international»55. Elle a de plus confirmé que «[l]e principe de l’égalité entre les parties découle des exigences d’une bonne administration de la justice»56. En d’autres termes, la bonne administration de la justice internationale exige nécessairement que le Qatar et les Emirats arabes unis se voient accorder des possibilités égales d’être entendus et d’obtenir qu’il leur soit rendu justice57.
60. Comme il est expliqué plus haut à la section IV.A, le Qatar, par son comportement, a créé une situation de lis pendens, dans laquelle se déroulent simultanément deux procédures parallèles mettant en présence les mêmes parties et portant sur exactement le même différend. En agissant de la sorte, le Qatar a contrevenu à la règle fondamentale destinée à garantir l’équité procédurale qui veut qu’une partie à un différend s’abstienne d’introduire des instances redondantes susceptibles de déboucher sur des décisions contradictoires. Si rien n’est fait d’urgence pour sauvegarder les droits procéduraux des Emirats arabes unis, il sera impossible que la présente instance aboutisse au règlement juste et équitable du différend. Le principe de l’égalité procédurale des parties ne peut pas être respecté alors que le Qatar s’est offert deux occasions de poursuivre en justice les Emirats arabes unis en introduisant contre eux deux instances redondantes qui se déroulent simultanément.
61. Du fait qu’il invoque simultanément les mêmes griefs devant la Cour et devant un organe qu’il a saisi en vertu de l’article 11 de la CIEDR, le Qatar ne se conforme aucunement au système séquentiel et hiérarchisé de règlement des différends clairement défini à l’article 22 de la convention. En portant parallèlement contre les Emirats arabes unis exactement les mêmes allégations concernant l’application de la CIEDR devant deux organes qui ne peuvent pas agir simultanément, le Qatar commet un abus des dispositions de la CIEDR relatives au règlement des différends et des droits que lui confère cette convention. Si la Cour n’enjoint pas au Qatar de se désister de l’instance qu’il a introduite par sa communication pendante devant le Comité pour l’élimination de la discrimination raciale, c’en sera fait du système séquentiel et progressif de règlement des différends prévu par la CIEDR.
62. Comme il est expliqué plus haut58, le point crucial est que si rien n’est fait pour empêcher que les deux procédures ne continuent de se dérouler parallèlement, les Emirats arabes unis et le Qatar se trouveront exposés au risque que lesdites procédures ne débouchent sur des conclusions juridiques et des constatations factuelles divergentes ou contradictoires. Si ce risque se concrétisait,
54 Activités militaires et paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci (Nicaragua c. Etats-Unis d’Amérique), fond, arrêt, C.I.J. Recueil 1986, p. 26, par. 31.
55 Questions concernant la saisie et la détention de certains documents et données (Timor-Leste c. Australie), mesures conservatoires, ordonnance du 3 mars 2014, C.I.J. Recueil 2014, p. 153, par. 27.
56 Jugements du Tribunal administratif de l’OIT sur requêtes contre l’UNESCO, avis consultatif du 23 octobre 1956, C.I.J. Recueil 1956, p. 86.
57 Voir R. Kolb, The International Court of Justice (Hart Publishing, 2013), p. 1119. Voir également S. Rosenne, The Law and Practice of the International Court, 1920-2005, Volume III (Martinus Nijhoff, quatrième édition, 2006), p. 1048–1049 ; B. Cheng, General Principles of Law as Applied by International Courts and Tribunals (Cambridge University Press, 2006), p. 290-291 et 293.
58 Voir ci-dessus, section IV.A.
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il en résulterait des irrégularités procédurales et juridiques, qui soulèveraient de graves problèmes systémiques touchant les relations de travail entre les juridictions internationales concernées.
63. Même si l’article 22 de la CIEDR était libellé autrement, les principes généraux du droit international qui veulent que la procédure soit équitable et se déroule dans des conditions d’égalité entre les parties commanderaient d’exclure le déroulement parallèle de multiples procédures portant sur les mêmes faits et le même instrument et mettant en présence les mêmes parties. Les dangers que comportent les procédures parallèles ont d’ailleurs été abondamment signalés par les commentateurs. Comme l’un d’eux l’a fort justement dit :
«Ces pratiques redondantes mobilisent une lourde part des maigres ressources de l’appareil judiciaire, risquent d’entraîner le chaos juridique si elles produisent des décisions divergentes, et imposent à certaines des parties ou à toutes une charge excessive résultant de l’alourdissement des frais de justice et d’une moindre certitude juridique.
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
La coexistence de deux procédures ou plus engagées devant des juridictions différentes fait porter aux parties une charge inhabituellement lourde parce qu’il leur faut entretenir deux équipes de juristes ou faire la navette entre deux ou trois tribunaux. Cette pratique impose aussi des investissements inutilement redondants en temps et en moyens à des juridictions qui ont à accomplir des tâches similaires (voire identiques) sans pouvoir se partager le travail correspondant59.»
64. En la présente instance, les Emirats arabes unis, en tant que défendeur, portent une part disproportionnée de la charge supplémentaire résultant de la redondance des procédures. Les procédures parallèles que le Qatar poursuit activement se déroulent simultanément. Les Emirats arabes unis ont déjà été obligés de déposer de multiples pièces de procédure devant le Comité pour l’élimination de la discrimination raciale60. La procédure en cours devant le Comité continuera très probablement de se dérouler parallèlement à la présente instance.
65. De plus, comme les phases de la procédure engagée devant le Comité précèdent celles de la présente affaire, les Emirats arabes unis vont être obligés de choisir entre renoncer à leur droit de pourvoir pleinement à leur défense devant le Comité et sacrifier en la présente instance leur droit à l’égalité procédurale. Il est urgent de mettre fin à l’abus de procédure commis par le Qatar.
66. La Cour a le pouvoir inhérent et l’obligation de sauvegarder l’intégrité de la procédure d’examen des différends portés devant elle61. Les Emirats arabes unis la prient d’exercer ce pouvoir, compte tenu des faits exposés ci-dessus, pour enjoindre au Qatar de se désister de la procédure qu’il a engagée par sa communication pendante devant le Comité pour l’élimination de la discrimination raciale. La nécessité de cette injonction est la conséquence inéluctable de la
59 Y. Shany, The Competing Jurisdictions of International Courts and Tribunals (Oxford University Press 2003), p. 155-156.
60 Voir Etat du Qatar c. Emirats arabes unis, affaire no ICERD-ISC-2018/2, note verbale en date du 14 décembre 2018 adressée à la mission permanente des Emirats arabes unis auprès de l’Office des Nations Unies à Genève par le Secrétariat de l’Organisation des Nations Unies (Haut-Commissariat aux droits de l’homme) (annexe 30), p. 1 («Notant que les Emirats arabes unis ont répondu à [la communication pendante devant le Comité pour l’élimination de la discrimination raciale] par des notes verbales en date du 7 août et des 7 et 30 novembre 2018…») (le soulignement est dans l’original).
61 Essais nucléaires (Australie c. France), arrêt, CIJ Recueil 1974, p. 259-260, par. 23.
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décision qu’a prise le Qatar de saisir la Cour en vertu de l’article 22 de la CIEDR. Toute autre démarche aurait pour effet de vider de leur sens les principes de l’équité procédurale et de l’égalité procédurale des parties. Les Emirats arabes unis seraient alors obligés de se défendre des mêmes allégations dans deux instances simultanées et redondantes. Suivre une autre démarche entraînerait aussi un risque important que les deux procédures débouchent sur des conclusions factuelles et juridiques divergentes. Cela conduirait au chaos procédural et juridique et créerait un précédent qui nuirait à l’autorité de la Cour, au bon fonctionnement des systèmes de règlement des différends prévus par des traités tels que la CIEDR, voire à la cohérence du droit international.
B. La Cour devrait faire droit d’urgence à la présente demande afin d’empêcher le Qatar d’aggraver ou d’étendre encore le différend
67. Dans son ordonnance du 23 juillet 2018, la Cour a dit que «[l]es deux Parties d[evaient] s’abstenir de tout acte qui risquerait d’aggraver ou d’étendre le différend … ou d’en rendre le règlement plus difficile»62. Comme il est exposé plus haut à la section IV.B, le Qatar n’a tenu aucun compte de ce point du dispositif de l’ordonnance. Il a en fait aggravé et étendu le différend et en a rendu le règlement plus difficile, notamment :
i) en soumettant à nouveau au Comité pour l’élimination de la discrimination raciale, le 29 octobre 2018, la question qu’il avait précédemment abandonnée, ce qui a eu pour effet de réactiver sa communication pendante devant le Comité63 ;
ii) en entravant les efforts déployés par les Emirats arabes unis pour venir en aide aux Qatariens, ce qu’il a fait notamment en bloquant sur son territoire l’accès au site Internet du Gouvernement des Emirats arabes unis par lequel les Qatariens peuvent introduire une demande tendant à retourner dans ce pays64 ; et
iii) en utilisant ses institutions nationales et les médias qu’il détient, contrôle et finance, y compris Al Jazeera, pour propager des accusations mensongères contre les Emirats arabes unis65.
68. La Cour devrait donc faire droit à la présente demande afin d’empêcher le Qatar d’aggraver ou d’étendre encore le différend.
VI. S’IL N’EST PAS FAIT DROIT D’URGENCE À LA PRÉSENTE DEMANDE, LES EMIRATS ARABES UNIS SUBIRONT UN PRÉJUDICE IRRÉPARABLE
69. Il est nécessaire que la Cour indique d’urgence les mesures conservatoires demandées ci-après à la section VII pour empêcher le Qatar de causer un préjudice irréparable aux droits procéduraux des Emirats arabes unis et d’aggraver et d’étendre encore le différend.
70. Il existe en l’espèce un risque réel et imminent qu’un préjudice irréparable soit causé aux droits procéduraux des Emirats arabes unis avant que la Cour ne rende son arrêt définitif. La question dont le Comité pour l’élimination de la discrimination raciale est maintenant saisi est exactement celle qui fait l’objet du litige porté devant la Cour. En fait, le Comité a récemment
62 Ordonnance du 23 juillet 2018, par. 79, point 2.
63 Voir ci-dessus, section IV.A.
64 Voir ci-dessus, section IV.B.
65 Voir ci-dessus, section IV.B.
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demandé aux Emirats arabes unis de déposer le 14 janvier 2019 au plus tard66 les pièces de procédure supplémentaires qu’ils souhaiteraient éventuellement lui soumettre sur les questions de compétence et de recevabilité, y compris celle de l’épuisement des recours internes. Les Emirats arabes unis se sont dûment conformés à cette demande67. Le Comité a indiqué également qu’il examinerait toute question préliminaire lors de sa 98e session, qui aura lieu du 23 avril au 10 mai 201968. Il est exclu que la Cour rende son arrêt définitif d’ici là. Comme il a déjà été expliqué, il existe un risque manifeste que la Cour et le Comité ne rendent des décisions contradictoires sur l’établissement des faits et les questions de compétence et de fond69. Il a été expliqué plus haut pourquoi pareille situation causerait un préjudice irréparable aux droits des Emirats arabes unis et compromettrait irrémédiablement le règlement du différend porté devant la Cour par le Qatar70.
71. En l’affaire relative aux Questions concernant la saisie et la détention de certains documents et données (Timor Leste c. Australie), la Cour a dit qu’elle peut et doit indiquer des mesures conservatoires lorsqu’il existe un risque imminent que le comportement d’une partie cause un préjudice irréparable au droit de la partie adverse de conduire sans ingérence une procédure arbitrale et des négociations71. En la même affaire, la Cour a aussi dit clairement que des mesures conservatoires peuvent et doivent être indiquées lorsque la violation des droits procéduraux d’un Etat «risque de ne pas pouvoir être réparée, puisqu’il pourrait se révéler impossible de revenir au statu quo ante»72.
72. Le respect de ces deux principes s’impose avec la même force en l’espèce. La Cour devrait faire droit à la présente demande pour éviter que le comportement du Qatar n’entrave l’exercice par les Emirats arabes unis de leur droit de défendre directement leur cause en la présente instance. Elle le devrait aussi parce que les conséquences de l’abus, par le Qatar, du système de règlement des différends prévu par la CIEDR risquent de ne pas pouvoir être réparées puisqu’il pourrait se révéler impossible de revenir au statu quo ante. En effet, comme il est expliqué à la section V.A, si la Cour n’enjoint pas au Qatar de se désister de la procédure qu’il a engagée par sa communication pendante devant le Comité, les Emirats arabes unis seront obligés de choisir entre renoncer à leur droit de pourvoir pleinement à leur défense devant le Comité et sacrifier en la présente instance leur droit à l’égalité procédurale. Ils devront aussi se défendre des mêmes allégations dans deux procédures simultanées et redondantes. De plus, s’il ne se désiste pas, le Qatar aura réussi, en violation du système de règlement des différends prévu par la CIEDR, à se prévaloir unilatéralement de deux occasions parallèles et simultanées de poursuivre en justice les Emirats arabes unis. De surcroît, il y aura un risque important que les deux procédures débouchent sur des conclusions divergentes sur les faits et les points de droit. Il résultera de tout cela des
66 Voir Etat du Qatar c. Emirats arabes unis, affaire no ICERD-ISC-2018/2, note verbale en date du 14 décembre 2018 adressée à la mission permanente des Emirats arabes unis auprès de l’Office des Nations Unies à Genève par le Secrétariat de l’Organisation des Nations Unies (Haut-Commissariat aux droits de l’homme) (annexe 30).
67 Etat du Qatar c. Emirats arabes unis, affaire no ICERD-ISC-2018/2, note verbale en date du 14 janvier 2019 adressée au secrétariat du Haut-Commissariat aux droits de l’homme par la mission permanente des Emirats arabes unis auprès de l’Office des Nations Unies et des autres organisations internationales à Genève, lui transmettant la réponse complémentaire des Emirats arabes unis en date du 14 janvier 2019 sur les questions de compétence et de recevabilité (annexe 31).
68 Voir Etat du Qatar c. Emirats arabes unis, affaire no ICERD-ISC-2018/2, note verbale en date du 14 décembre 2018 adressée à la mission permanente des Emirats arabes unis auprès de l’Office des Nations Unies à Genève par le Secrétariat de l’Organisation des Nations Unies (Haut-Commissariat aux droits de l’homme) (annexe 30).
69 Voir ci-dessus, section IV.A.
70 Voir ci-dessus, section V.
71 Voir Questions concernant la saisie et la détention de certains documents et données (Timor-Leste c. Australie), mesures conservatoires, ordonnance du 3 mars 2014, C.I.J. Recueil 2014, p. 157-159, par. 42-48.
72 Ibid., p. 157-158, par. 42.
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préjudices intrinsèquement irréparables, que la Cour se doit de prévenir en indiquant des mesures conservatoires.
73. En outre, s’il n’est pas fait droit d’urgence à la présente demande, le Qatar continuera d’aggraver et d’étendre le différend, au point d’en rendre le règlement impossible. Il joue un jeu pervers qui porte préjudice à ses propres ressortissants et entrave les efforts déployés par les autorités émiriennes pour leur venir en aide, et qui consiste notamment à bloquer sur son territoire l’accès au site Internet que les Qatariens peuvent utiliser pour introduire une demande tendant à retourner aux Emirats arabes unis. Se servant de ses organes nationaux et des médias qu’il contrôle, le Qatar continuera de répandre des déclarations mensongères et incendiaires concernant les Emirats arabes unis et le présent différend, comportement par lequel il cherche à nuire à la réputation des Emirats arabes unis et qui compromet notablement les perspectives de règlement du différend. Si la Cour n’enjoint pas au Qatar de cesser d’aggraver et d’étendre le différend, il en résultera à brève échéance des conséquences qui pourraient être graves et irréparables pour les habitants vulnérables de la région.
VII. MESURES DEMANDÉES
74. Comme il est exposé ci-dessus, le comportement du Qatar, y compris après le 23 juillet 2018, a aggravé et continue d’aggraver et d’étendre le différend porté devant la Cour, ce qui en rend le règlement plus difficile. Ce comportement fait aussi peser un risque imminent qu’un nouveau préjudice irréparable soit causé aux droits des Emirats arabes unis. Pour ces raisons, les Emirats arabes unis prient respectueusement la Cour d’ordonner que :
i) le Qatar retire immédiatement la communication qu’il a soumise le 8 mars 2018 au Comité pour l’élimination de la discrimination raciale au titre de l’article 11 de la CIEDR, et prenne toutes les mesures nécessaires pour mettre fin à l’examen de ladite communication par le Comité ;
ii) le Qatar cesse immédiatement d’entraver les efforts déployés par les Emirats arabes unis pour venir en aide aux Qatariens, notamment en débloquant sur son territoire l’accès au site Internet leur permettant d’introduire une demande tendant à retourner aux Emirats arabes unis ;
iii) le Qatar empêche immédiatement ses organes nationaux et les médias qu’il détient, contrôle et finance d’aggraver et d’étendre le différend ainsi que d’en rendre le règlement plus difficile en propageant des accusations mensongères concernant les Emirats arabes unis et les questions en litige devant la Cour ; et que
iv) le Qatar s’abstienne de tout acte qui risquerait d’aggraver ou d’étendre le différend porté devant la Cour, ou d’en rendre le règlement plus difficile.
75. Les Emirats arabes unis se réservent le droit de modifier la présente demande.
76. Ils insistent respectueusement auprès de la Cour pour qu’elle traite l’examen de la présente demande comme une question d’extrême urgence.
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77. Les Emirats arabes unis demandent également qu’en attendant que la Cour se réunisse, son président, dans l’exercice du pouvoir que lui confère le paragraphe 4 de l’article 74 du Règlement, invite le Qatar à agir de manière que toute ordonnance de la Cour sur la présente demande puisse avoir les effets voulus.
Respectueusement,
La Haye, le 22 mars 2019.
L’ambassadeur des Emirats arabes unis
auprès du Royaume des Pays-Bas,
agent des Emirats arabes unis,
(Signé) S. Exc. Mme Hissa Abdullah Ahmed AL-OTAIBA.
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Document Long Title

Demande en indication de mesures conservatoires des Emirats arabes unis

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