Observations écrites du Royaume-Uni sur la réponse de Maurice à la question posée par M. le juge Gaja au terme de l'audience tenue le 3 septembre 2018

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169-20180912-OTH-03-00-EN
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Note: Cette traduction a été établie par le Greffe à des fins internes et n’a aucun caractère officiel
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Observations du Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord sur la réponse écrite de Maurice
1. Les observations du Royaume-Uni sur la réponse écrite de Maurice en date du 7 septembre 2018 n’altèrent en rien sa position selon laquelle la Cour, dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire, devrait refuser de rendre un avis consultatif.
2. Le Royaume-Uni n’admet pas qu’il ait existé  ni qu’il doive maintenant exister  un «processus de décolonisation de l’archipel des Chagos»1. Le processus de décolonisation sur lequel porte la question a) de la demande est celui de Maurice. L’archipel des Chagos ne faisait pas partie intégrante de Maurice avant 1965 et ne relevait pas de ce territoire au moment de son indépendance en 19682. Le processus de décolonisation de Maurice a été validement mené à bien en 1968, date de l’accession de Maurice à l’indépendance.
3. Le Royaume-Uni tient à formuler quatre observations sur la réponse écrite de Maurice.
4. Premièrement, Maurice affirme qu’«il n’a nullement été tenu compte de la volonté du peuple de Maurice, y compris celle de «la population d’origine chagossienne», ni avant la séparation de l’archipel en 1965 ni avant l’accession de Maurice à l’indépendance»3. Ainsi que le Royaume-Uni l’a exposé dans ses écritures et à l’audience, le peuple de Maurice a librement consenti au détachement de l’archipel en échange d’un certain nombre d’engagements précis et d’avantages substantiels prévus dans l’accord de 1965, consentement qui a été réaffirmé à de nombreuses reprises lors de l’accession de Maurice à l’indépendance et par la suite4. Le peuple mauricien a eu à nouveau l’occasion d’exprimer librement sa volonté lors des élections législatives de 1967, lesquelles ont été remportées par le parti dont les membres avaient consenti au détachement de l’archipel5.
5. Deuxièmement, concernant la volonté de la population d’origine chagossienne, le Royaume-Uni fait observer que, lors de la signature de l’accord de 1965 et de l’accession à l’indépendance en 1968, les représentants de Maurice n’y voyaient pas une condition absolue. L’archipel des Chagos était  pour des raisons pratiques  sommairement administré comme une dépendance de Maurice. Les habitants de l’archipel n’avaient que de rares contacts avec Maurice étant donné la distance considérable séparant les deux territoires. Ainsi que cela ressort de l’exposé écrit de Maurice, les importations de coprah produit sur l’archipel constituaient le seul lien constant et quelque peu important avec Maurice6. Telle était la réalité dans les années 1960 et il est fallacieux d’affirmer en 2018, comme Maurice le fait, que la «volonté de la population d’origine chagossienne aurait dû être prise en compte»7, alors que ses propres dirigeants n’ont pas jugé
1 Les italiques sont de nous.
2 Exposé écrit du Royaume-Uni, par. 2.12-2.29 ; observations écrites du Royaume-Uni, par. 2.5-2.13 ; CR 2018/21, p. 10-11, par. 19-21 (Buckland).
3 Réponse écrite de Maurice, par. 5.
4 Exposé écrit du Royaume-Uni, par. 3.38-3.50 ; observations écrites du Royaume-Uni, par. 2.86-2.96 ; CR 2018/21, p. 9, par. 18 ; p. 15, par. 41 ; p. 21-41, par. 66-77 (Buckland) ; p. 29-30, par. 8 ; p. 34, par. 15 ; p. 37, par. 22 ; p. 39, par. 27 ; p. 40, par. 30 (Wordsworth) ; p. 44, par. 8 (Webb) ; p. 54, par. 6 ; p. 57-58, par. 14-18 (Wood).
5 Exposé écrit du Royaume-Uni, par. 3.36-3.37 ; observations écrites du Royaume-Uni, par. 2.17, 2.77-2.85, 4.10-4.11 ; CR 2018/21, p. 20, par. 64 (Buckland).
6 Exposé écrit de la République de Maurice, par. 2.24-2.31.
7 Réponse écrite de Maurice, par. 5.
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nécessaire de le faire ni en 1965 ni lorsque Maurice a, par la suite, réaffirmé à plusieurs reprises son consentement (ce dont Maurice s’obstine à faire abstraction).
6. Il convient par ailleurs de rappeler que la population chagossienne, étant donné sa petite taille et l’éloignement de l’archipel, était fort méconnue en 1965. Les îles comptaient quelque 1360 habitants en novembre 19658. Si l’on ajoute les personnes nées dans l’archipel, la population totale d’origine chagossienne se situait entre 1500 et 1750 personnes9.
7. Troisièmement, que ce soit dans la question b) qu’elle a adressée à l’Assemblée générale (et dont la Cour est aujourd’hui saisie), dans ses écritures et à l’audience, ou dans la réponse écrite qu’elle apporte à la question du juge Gaja, Maurice définit la «population d’origine chagossienne» comme les «Mauriciens résidant dans l’archipel des Chagos ou d’origine chagossienne»10. La République des Seychelles a souligné dans son exposé écrit qu’un grand nombre de personnes d’origine chagossienne vivaient sur son territoire et étaient devenues des ressortissants des Seychelles11. De nombreux Chagossiens résident également au Royaume-Uni et ont obtenu la citoyenneté britannique.
8. La question que Maurice cherche à faire trancher par la Cour concerne non pas les Chagossiens, quel que soit le lieu où ils vivent aujourd’hui, mais Maurice elle-même et sa revendication de souveraineté sur l’archipel des Chagos12. Les motivations de Maurice ressortent clairement de la question de la réinstallation, qu’elle soulève également dans sa réponse écrite (par. 6-7). Elle semble envisager de réinstaller, de manière générale, ses nationaux, mais uniquement ses nationaux. De son point de vue, la «réinstallation» ne s’appliquerait pas aux seuls Chagossiens, sans toutefois les englober tous (excluant ainsi ceux qui n’ont pas la nationalité mauricienne)13. Il est intéressant de relever que Maurice indique que l’exercice par elle de sa souveraineté sur l’archipel des Chagos permettrait le retour et la réinstallation de la population «conformément au droit mauricien»14.
9. La Cour n’est pas sans savoir que le Royaume-Uni a réaffirmé sa volonté de collaborer avec l’ensemble des Chagossiens vivant à Maurice, aux Seychelles et sur son propre territoire ; en 2016, un nouveau fonds d’environ 40 millions de livres sterling a été créé afin d’améliorer leur existence et d’offrir de nouvelles perspectives aux familles sur leur lieu de résidence actuel, y compris en dehors de Maurice15.
10. Quatrièmement, Maurice fait abstraction de la réinstallation à laquelle les Chagossiens de Maurice ont individuellement consenti à une très large majorité après la conclusion, le 7 juillet 1982, du traité entre les gouvernements britannique et mauricien (dénommé l’«accord de
8 La population de Maurice était, la même année, de 700 000 personnes.
9 Chagos Arbitration Award (sentence arbitrale concernant les Chagos), par. 88 (dossier ONU, n° 409).
10 Réponse écrite de Maurice, par. 2 (les italiques sont de nous).
11 Exposé écrit de la République des Seychelles, par. 4 et 6 (où il est demandé que «le point de vue singulier et les inquiétudes légitimes de cette communauté soient dûment pris en considération»).
12 Exposé écrit du Royaume-Uni, par. 1.5, 9.8-9.10 ; observations écrites du Royaume-Uni, par. 1.14 et 5.20 ; observations écrites des Etats-Unis, par. 4.4 ; CR 2018/21, p. 53, par. 2 et p. 61, par. 24-25 (Wood).
13 CR 2018/21, p. 61, par. 25 (Wood).
14 Réponse écrite de Maurice, par. 6.
15 CR 2018/21, p. 61, par. 25 (Wood).
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1982»)16. Si une attention particulière devait être accordée à la population de l’archipel des Chagos, la renonciation volontaire des Chagossiens, en contrepartie du versement d’indemnités par le Royaume-Uni, à toute réclamation découlant de leur expulsion de l’archipel, constituerait un facteur important et décisif, ainsi qu’il découle notamment de la décision rendue par la Cour européenne des droits de l’homme en l’affaire ayant opposé les Chagossiens au Royaume-Uni en 201217.
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16 Exposé écrit du Royaume-Uni, par. 4.9-4.19 ; CR 2018/21, p. 7, par. 6 (Buckland) ; p. 31, par. 9 (Wordsworth) ; p. 54, par. 6 (Wood).
17 Chagos Islanders v. Attorney General and the BIOT Commissioner [2004], EWCA Civ 997, voir par. 83 (Recueil des jugements, onglet no 4).

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