Réponse écrite de l'Argentine à la question posée par M. le juge Cançado Trindade au terme de l'audience tenue le 5 septembre 2018

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169-20180910-OTH-06-00-EN
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Note: Cette traduction a été établie par le Greffe à des fins internes et n’a aucun caractère officiel
Effets juridiques de la séparation de l’archipel des Chagos de Maurice en 1965 (requête pour avis consultatif)
Réponse de la République argentine à la question posée par M. le juge Cançado Tindade
Question de M. le juge Cançado Trindade :
«Comme il est rappelé dans le paragraphe a) de la requête de l’Assemblée générale des Nations Unies pour un avis consultatif de la Cour internationale de Justice (A/RES/71/292 du 22 juin 2017), l’Assemblée générale fait référence aux obligations inscrites dans ses résolutions successives pertinentes, à savoir : les résolutions de l’Assemblée générale 1514 (XV) du 14 décembre 1960, 2066 (XX) du 16 décembre 1965, 2232 (XXI) du 20 décembre 1966, et 2357 (XXII) du 19 décembre 1967.
Au cours de la présente procédure consultative orale, plusieurs délégations de participants ont souvent fait référence à ces résolutions.
A votre avis, quelles sont les conséquences juridiques découlant de la formation du droit international coutumier, notamment la présence significative de l’opinio juris communis, pour assurer le respect des obligations énoncées dans ces résolutions de l’Assemblée générale ?»
Réponse de l’Argentine
1. La question a trait aux obligations énoncées dans les résolutions 1514 (XV), 2066 (XX), 2232 (XXI), et 2357 (XXII) de l’Assemblée générale. Ces résolutions sont l’expression de l’opinio juris communis et reflètent également l’interprétation d’obligations découlant à la fois du droit conventionnel (et, en particulier de la Charte des Nations Unies) et du droit coutumier. La résolution 1514 (XV) revêt un caractère général, et porte interprétation et application de principes fondamentaux du droit international relatif au colonialisme. Les trois autres résolutions de l’Assemblée générale concernent la situation particulière de Maurice (2066 (XX), 2232 (XXI), et 2357 (XXII)).
2. Dans sa réponse, l’Argentine commencera par déterminer quelles sont les obligations visées dans chacune des résolutions susmentionnées (A). Elle exposera ensuite, dans leurs grandes lignes, les conséquences juridiques qui en découlent en droit international, et notamment le comportement que l’ordre juridique international impose d’observer aux fins d’en assurer le respect (B).
A. Obligations consacrées par les résolutions 1514 (XV), 2006 (XX), 2232 (XXI) et 2357 (XXII)
3. Nous commencerons par la résolution 1514 (XV). En son paragraphe 1, le colonialisme est qualifié de contraire à la Charte des Nations Unies. Il s’en ensuit une obligation d’y mettre fin. Le paragraphe 2 énonce que les peuples ont le droit de libre détermination; en conséquence, les communautés humaines assimilées à des «peuples» et, partant, détentrices de ce droit, déterminent leur statut politique et poursuivent librement leur développement économique, social et culturel. Les Etats sont donc tenus de respecter ce droit. Le paragraphe 4 énonce l’obligation de mettre fin à toute action armée et à toutes mesures de répression dirigées contre les peuples dépendants, pour permettre à ces peuples d’exercer pacifiquement et librement leur droit à l’indépendance complète,
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ainsi que l’obligation de respecter l’intégrité de leur territoire national. Le paragraphe 5 impose de prendre des mesures immédiates pour transférer, sans aucune condition ni réserve, tous pouvoirs aux peuples des territoires n’ayant pas encore accédé à l’indépendance. Le paragraphe 6, en rappelant que toute tentative visant à détruire partiellement ou totalement l’unité nationale et l’intégrité territoriale d’un pays est incompatible avec la Charte des Nations Unis, affirme l’obligation de respecter l’intégrité territoriale de tout pays, ce qui couvre à la fois les Etats et les peuples dépendants victimes du colonialisme. Au paragraphe 7, est en outre réaffirmée l’obligation d’observer fidèlement et strictement les dispositions de la Charte des Nations Unies, de la déclaration universelle des droits de l’homme et de la déclaration contenue dans la résolution 1514 (XV). Il convient de relever que la déclaration universelle des droits de l’homme avait été adoptée par une autre résolution de l’Assemblée générale à valeur déclaratoire, et que, à cette occasion aussi, certains Etats s’étaient abstenus ; pour autant, la Cour n’a pas hésité à s’y référer1.
4. Dans sa résolution 2066 (XX), l’Assemblée générale réaffirmait le droit de l’île Maurice à la liberté et à l’indépendance, et «[i]nvit[ait]» le Royaume-Uni à prendre des mesures efficaces en vue de la mise en oeuvre immédiate et complète de la résolution 1514 (XV), à ne prendre aucune mesure qui démembrerait le territoire de l’île Maurice et violerait son intégrité territoriale, et à faire rapport sur l’application de la résolution au Comité spécial chargé de la décolonisation. A l’évidence, ce faisant, elle l’«invitait» à respecter des obligations de fond et de nature procédurale existantes, et ne s’en remettait pas à la discrétion de la puissance administrante. Dans sa résolution, l’Assemblée générale priait également le Comité spécial de maintenir la question à l’étude et de lui faire rapport à ce sujet.
5. Dans ses résolutions 2232 (XXI) et 2357 (XXII), l’Assemblée générale réaffirmait le droit des peuples à l’autodétermination et à l’indépendance, réitérait que toute tentative visant à détruire partiellement ou totalement l’unité nationale et l’intégrité territoriale des territoires coloniaux et à établir des bases militaires était incompatible avec la Charte et la résolution 1514 (XV), et invitait les puissances administrantes à appliquer sans retard ses résolutions pertinentes.
B. Conséquences juridiques s’agissant d’assurer le respect des obligations susmentionnées
6. Les conséquences juridiques découlant des obligations reflétées dans ces résolutions sont a) celles établies par le droit international coutumier dans le domaine de la responsabilité des Etats, b) celles résultant de l’obligation de régler les différends internationaux par des moyens pacifiques, c) celles découlant de la pratique de l’Organisation des Nations Unies dans le domaine de la décolonisation et d) celles qui sont du ressort de l’Organisation elle-même.
7. a) En vertu du droit de la responsabilité des Etats, les puissances administrantes ayant manqué aux obligations visées dans les résolutions mentionnées dans la question du juge Cançado Trindade doivent mettre fin à leur comportement illicite, rétablir l’intégrité des territoires concernés, permettre aux peuples pouvant se prévaloir du droit à l’autodétermination d’exercer ce droit, et fournir la réparation qu’appelle leur comportement illicite. Compte tenu de la nature de ces obligations, il incombe à l’ensemble des Etats de ne pas reconnaître la situation illicite résultant de ces manquements, et de s’abstenir de prêter une quelconque aide ou assistance qui contribuerait au maintien de la situation coloniale.
1 «Le fait de priver abusivement de leur liberté des êtres humains et de les soumettre dans des conditions pénibles à une contrainte physique est manifestement incompatible avec les principes de la Charte des Nations Unies et avec les droits fondamentaux énoncés dans la déclaration universelle des droits de l’homme», Personnel diplomatique et consulaire des Etats-Unis à Téhéran (Etats-Unis d’Amérique c. Iran), arrêt, C.I.J. Recueil 1980, p. 42, par. 91.
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8. b) En vertu de l’obligation coutumière (et conventionnelle) imposant de régler les différends internationaux par des moyens pacifiques, la puissance administrante est tenue de mener des négociations avec la population concernée (en l’occurrence la République de Maurice) en vue de permettre la réalisation complète et sans condition, notamment en termes de délais, de sa décolonisation. Cette obligation est renforcée par le devoir «de mettre rapidement … fin au colonialisme», tel que consacré par les déclarations de l’Assemblée générale adoptées dans le cadre des résolutions 1514 (XV) et 2625 (XXV), et tel que souligné par la Cour dans son avis consultatif de 19752.
9. c) En vertu des pouvoirs exercés par l’Organisation des Nations Unies en matière de décolonisation, des obligations de fond et des obligations de nature procédurale s’imposent aux Etats. Ceux-ci sont tenus de s’abstenir de prendre des mesures unilatérales susceptibles de compromettre le processus de décolonisation, par exemple en démembrant un territoire, en en exploitant les ressources naturelles ou en l’utilisant à des fins militaires. Les Etats doivent également respecter les attributions qu’exercent dans le domaine de la décolonisation, et au nom de l’Organisation, l’Assemblée générale et le comité qu’elle a chargé de cette question. Force leur est, en particulier, de se comporter conformément aux résolutions adoptées par lesdits organes s’agissant de la manière de mettre fin rapidement à la situation coloniale, sans condition ni délai.
10. d) Compte tenu des pouvoirs et fonctions propres à l’Organisation des Nations Unies, et en particulier à l’Assemblée générale, celle-ci, mais également le Conseil de sécurité, devrait s’interroger sur les mesures nécessaires pour mettre un terme aux situations illicites découlant de violations des diverses obligations que recouvre l’obligation générale de mettre fin, sans condition ni délai, au colonialisme, sous toutes ses formes et dans toutes ses manifestations, et dans tous les cas où il reste d’actualité.
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2 Sahara occidental, avis consultatif, C.I.J. Recueil 1975, p. 31, par. 55.

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