Note: Cette traduction a été établie par le Greffe à des fins internes et n’a aucun caractère officiel
Question posée par M. le juge Cançado Trindade
«Ma question est adressée à toutes les délégations des participants dans cette procédure consultative orale.
Comme il est rappelé dans le paragraphe a) de la requête de l’Assemblée générale des Nations Unies pour un avis consultatif de la Cour internationale de Justice (A/RES/71/292 du 22 juin 2017), l’Assemblée générale fait référence aux obligations inscrites dans ses résolutions successives pertinentes, à savoir : les résolutions de l’Assemblée générale 1514 (XV) du 14 décembre 1960, 2066 (XX) du 16 décembre 1965, 2232 (XXI) du 20 décembre 1966, et 2357 (XXII) du 19 décembre 1967.
Au cours de la présente procédure consultative orale, plusieurs délégations de participants ont souvent fait référence à ces résolutions.
A votre avis, quelles sont les conséquences juridiques découlant de la formation du droit international coutumier, notamment la présence significative de l’opinio juris communis, pour assurer le respect des obligations énoncées dans ces résolutions de l’Assemblée générale ?
Je vous remercie, Monsieur le président.»
Réponse écrite des Etats-Unis d’Amérique
Dans la question a) de sa demande d’avis consultatif, l’Assemblée générale des Nations Unies s’est référée aux «obligations évoquées dans» un certain nombre de ses résolutions1. Telle qu’elle est formulée, cette question cherche toutefois indûment à préjuger de la réponse juridique2 en laissant entendre que les résolutions de l’Assemblée générale qui y sont citées reflétaient des obligations juridiques internationales contraignantes pour le Royaume-Uni qui auraient empêché celui-ci de créer le Territoire britannique de l’océan Indien. Ainsi que la Cour l’a précisé dans son avis consultatif relatif au Kosovo, lorsqu’un point pourrait avoir une incidence sur la réponse à la question posée, «[i]l serait incompatible avec le bon exercice de sa fonction judiciaire que la Cour considère ce point comme ayant été tranché par l’Assemblée générale»3. La Cour doit donc trancher elle-même la question de savoir si les résolutions citées dans la demande d’avis consultatif reflétaient des obligations juridiques internationales.
Aux termes de la Charte des Nations Unies, les résolutions de l’Assemblée générale — à quelques exceptions près qui ne peuvent s’appliquer en l’espèce — ne sont pas juridiquement contraignantes en tant que telles4. Le fait que l’Assemblée générale ait cité certaines résolutions dans la question soumise à la Cour ne change rien à leur caractère non contraignant. Les résolutions de l’Assemblée générale ne créent pas non plus en elles-mêmes le droit international coutumier. Elles peuvent apporter la preuve d’une règle relevant de ce dernier si elles constituent l’expression d’une opinio juris entre les Etats qui existait à l’époque pertinente5, pour autant que cette
1 Résolution 71/292 de l’Assemblée générale des Nations Unies, demande d’avis consultatif de la Cour internationale de Justice sur les effets juridiques de la séparation de l’archipel des Chagos de Maurice en 1965 (22 juin 2017).
2 Voir l’exposé écrit des Etats-Unis d’Amérique, par. 4.14.
3 Conformité au droit international de la déclaration unilatérale d’indépendance relative au Kosovo, avis consultatif, C.I.J. Recueil 2010 (II), p. 403, par. 52.
4 Exposé écrit des Etats-Unis d’Amérique, par. 4.14, note de bas de page no 98.
5 Licéité de la menace ou de l’emploi d’armes nucléaires, avis consultatif, C.I.J. Recueil 1996 (I), p. 226, par. 70. Voir l’exposé écrit des Etats-Unis d’Amérique, par. 4.28 ; observations écrites des Etats-Unis d’Amérique, par. 3.14.
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opinio juris se soit accompagnée d’une pratique étatique «fréquente et pratiquement uniforme»6. Ce n’est que si ces deux conditions sont remplies que la Cour peut déterminer l’existence d’une règle de droit international coutumier7.
Comme les Etats-Unis d’Amérique l’ont expliqué dans leurs écritures et plaidoiries, il n’y avait pas, à l’époque où a été adoptée la résolution 1514 et jusqu’à la fin des années 1960, d’opinio juris permettant de conclure que le droit international coutumier interdisait au Royaume-Uni de créer le Territoire britannique de l’océan Indien8. Cette absence d’opinio juris appelle à elle seule la conclusion que les résolutions citées ne reflétaient pas d’obligations juridiques internationales. De plus, l’autre condition préalable à l’établissement de l’existence d’une règle de droit international coutumier n’était pas non plus remplie en l’espèce : il n’existait pas de pratique étatique généralisée et quasi uniforme pendant la période en cause9.
En conséquence, les résolutions citées dans les questions n’étaient pas contraignantes en elles-mêmes, pas plus qu’elles ne constituaient le reflet du droit international coutumier pertinent tel qu’il existait à l’époque de la création du Territoire britannique de l’océan Indien ou de l’accession à l’indépendance de Maurice, et ne pouvaient donner lieu à des conséquences juridiques.
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6 Plateau continental de la mer du Nord, arrêt, C.I.J. Recueil 1969, p. 3, par. 77.
7 Immunités juridictionnelles de l’Etat (Allemagne c. Italie ; Grèce (intervenant)), C.I.J. Recueil 2012 (I), p. 99, par. 55.
8 Voir l’exposé écrit des Etats-Unis d’Amérique, par. 4.32-4.64.
9 Ibid., par. 4.65-4.72.
Réponse écrite des Etats-Unis d’Amérique à la question posée par M. le juge Cançado Trindade au terme de l’audience tenue le 5 septembre 2018