COUR INTERNATIONALE DE JUSTICE
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Communiqué de presse
Non officiel
No 2018/49
Le 1er octobre 2018
Obligation de négocier un accès à l’océan Pacifique (Bolivie c. Chili) La Cour dit que la République du Chili ne s’est pas juridiquement obligée à négocier un accès souverain à l’océan Pacifique pour l’Etat plurinational de Bolivie
LA HAYE, le 1er octobre 2018. La Cour internationale de Justice (CIJ), organe judiciaire principal des Nations Unies, a rendu ce jour son arrêt en l’affaire relative à l’Obligation de négocier un accès à l’océan Pacifique (Bolivie c. Chili). Dans son arrêt, qui est définitif, sans recours et obligatoire pour les Parties, la Cour
1) dit, par douze voix contre trois, que la République du Chili ne s’est pas juridiquement obligée à négocier un accès souverain à l’océan Pacifique pour l’Etat plurinational de Bolivie ;
2) rejette, par douze voix contre trois, les autres conclusions finales présentées par l’Etat plurinational de Bolivie.
Raisonnement de la Cour
I. CONSIDÉRATIONS PRÉLIMINAIRES
Avant d’examiner les fondements juridiques que la Bolivie invoque à l’appui de l’obligation de négocier son accès souverain à l’océan Pacifique qui, selon elle, incombe au Chili, la Cour rappelle que, dans ses conclusions, elle l’a priée de dire et juger que «le Chili a[vait] l’obligation de négocier avec [elle] en vue de parvenir à un accord [lui] octroyant ... un accès pleinement souverain à l’océan Pacifique». A cet égard, ainsi que l’a fait observer la Cour dans l’arrêt qu’elle a rendu le 24 septembre 2015 sur l’exception préliminaire du Chili, la Bolivie «ne lui demande pas de dire qu’elle a droit à un accès souverain à la mer». Ce qu’elle affirme dans ses conclusions, c’est que le Chili est tenu de négocier «en vue de parvenir à un accord [lui] octroyant ... un accès pleinement souverain». De façon plus générale, la Cour précise que, si les Etats sont libres de recourir à des négociations ou d’y mettre fin, ils peuvent accepter d’être liés par une obligation de négocier. Ils sont alors tenus, au regard du droit international, d’engager des négociations et de les mener de bonne foi.
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II. LES FONDEMENTS JURIDIQUES ALLÉGUÉS D’UNE OBLIGATION DE NÉGOCIER L’ACCÈS SOUVERAIN DE LA BOLIVIE À L’OCÉAN PACIFIQUE
La Cour en vient aux divers fondements juridiques invoqués par la Bolivie à l’appui de l’obligation de négocier son accès souverain à l’océan Pacifique qui, selon elle, incombe au Chili.
1. Les accords bilatéraux
La Cour rappelle que la demande de la Bolivie repose principalement sur l’existence alléguée d’un ou de plusieurs accords bilatéraux qui imposeraient au Chili une obligation de négocier son accès souverain à la mer. Le demandeur invoque un certain nombre d’instruments sur lesquels pareille obligation reposerait, et en particulier : a) l’«Acta Protocolizada», à savoir le procès-verbal d’une réunion qu’ont tenue le ministre bolivien des affaires étrangères et le ministre plénipotentiaire du Chili en janvier 1920, ainsi que des échanges ayant fait suite à cette réunion ; b) un échange de notes diplomatiques entre les Parties datant de 1950 ainsi qu’un mémorandum établi en 1961 par l’ambassadeur du Chili en Bolivie, M. Manuel Trucco ; c) une déclaration commune signée à Charaña par les présidents bolivien et chilien le 8 février 1975 ; d) des communiqués publiés par les ministres bolivien et chilien des affaires étrangères en novembre 1986 ; e) une déclaration commune publiée par les ministres bolivien et chilien des affaires étrangères le 22 février 2000, dénommée la «déclaration d’Algarve» ; et f) un document appelé «l’ordre du jour en 13 points» établi lors d’une réunion d’un groupe de travail bilatéral en 2006.
La Cour conclut qu’aucun des instruments invoqués par la Bolivie mentionnés ci-dessus n’établit une obligation pour le Chili de négocier l’accès souverain de celle-ci à l’océan Pacifique. Ni l’«Acta Protocolizada» ni les échanges ayant fait suite à la réunion n’indiquent l’existence d’un accord dans le cadre duquel le Chili aurait contracté un engagement de négocier l’accès souverain du demandeur à la mer. L’échange de notes de 1950 ne saurait être considéré comme un accord international, et le mémorandum Trucco ne crée ni ne réaffirme quelque obligation de négocier l’accès souverain de la Bolivie à la mer. Le libellé de la déclaration de Charaña ne traduit pas l’existence d’une obligation de négocier l’accès souverain de la Bolivie à la mer ni ne confirme pareille obligation. Les deux communiqués de 1986 ne sont pas libellés dans les mêmes termes et aucun d’eux ne fait référence à l’accès souverain de la Bolivie à la mer. Rien dans la «déclaration d’Algarve» n’impose au Chili une obligation de négocier l’accès souverain de la Bolivie à la mer. Enfin, si le point intitulé «question maritime» inscrit à l’ordre du jour en 13 points est suffisamment large pour englober la question de l’accès souverain de la Bolivie à la mer, la simple mention de cette question ne peut engendrer une obligation de négocier à cet égard.
2. Les déclarations et autres actes unilatéraux du Chili
S’agissant de l’argument du demandeur selon lequel des déclarations et autres actes unilatéraux du Chili créent une obligation de négocier l’accès souverain de la Bolivie à la mer, la Cour note que ceux-ci indiquent non pas qu’une obligation juridique ait été souscrite par le défendeur mais que ce dernier était disposé à engager des négociations. A titre d’exemple, le Chili a déclaré qu’il entendait «faire en sorte que la Bolivie obtienne un débouché sur la mer qui lui soit propre» et «prêter l’oreille à toute proposition de la Bolivie visant à mettre fin à l’enclavement de celle-ci». En une autre occasion, il a indiqué avoir «toujours dit qu[’il] entend[ait] examiner, dans le cadre de négociations franches et amicales avec [son] pays frère, les obstacles qui limit[ai]ent le développement de la Bolivie du fait de son enclavement». La formulation de ces textes ne donne pas à penser que le Chili a contracté une obligation juridique. La Cour en conclut qu’aucune déclaration et aucun acte unilatéral du Chili ne saurait fonder une obligation de négocier l’accès souverain de la Bolivie à la mer.
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3. L’acquiescement
La Cour examine ensuite l’argument de la Bolivie selon lequel le Chili aurait acquiescé à la négociation de son accès souverain à l’océan Pacifique. Elle relève que le demandeur n’a mentionné aucune déclaration qui aurait appelé une réponse ou une réaction du Chili pour empêcher qu’une obligation ne voie le jour. L’acquiescement ne saurait donc être considéré comme pouvant fonder une obligation de négocier l’accès souverain de la Bolivie à la mer.
4. L’estoppel
En ce qui concerne l’argument de la Bolivie fondé sur l’estoppel, la Cour rappelle que des «éléments essentiels [sont] requis pour qu’il y ait estoppel», à savoir «une déclaration qu’une partie a faite à une autre partie ou une position qu’elle a prise envers elle et le fait que cette autre partie s’appuie sur cette déclaration ou position à son détriment ou à l’avantage de la partie qui l’a faite ou prise». Elle constate que ces conditions essentielles ne sont pas remplies. Bien que le Chili ait exprimé à plusieurs reprises la position selon laquelle il était disposé à négocier l’accès souverain de la Bolivie à la mer, ces prises de position n’indiquent pas l’existence d’une obligation de négocier. La Bolivie n’a pas prouvé qu’elle ait modifié sa propre position à son détriment ou à l’avantage du Chili en se fondant sur les prises de position de celui-ci. En conséquence, l’estoppel ne constitue pas une base juridique permettant de fonder quelque obligation du Chili de négocier l’accès souverain de la Bolivie à la mer.
5. Les attentes légitimes
S’agissant de l’argument de la Bolivie selon lequel le fait que le défendeur ait nié son obligation de négocier et refusé de mener de nouvelles négociations avec elle «déçoit [s]es attentes légitimes», la Cour note qu’il est fait référence aux attentes légitimes dans certaines sentences arbitrales concernant des différends entre un investisseur étranger et l’Etat hôte dans lesquelles ont été appliquées des dispositions conventionnelles prévoyant un traitement juste et équitable. Elle estime qu’il n’en découle cependant pas qu’il existerait en droit international général un principe qui donnerait naissance à une obligation sur la base de ce qui pourrait être considéré comme une attente légitime. Il ne saurait donc être fait droit à l’argument de la Bolivie fondé sur les attentes légitimes.
6. Le paragraphe 3 de l’article 2 de la Charte des Nations Unies et l’article 3 de la Charte de l’Organisation des Etats américains
La Cour s’intéresse ensuite au point de savoir si une obligation de négocier pourrait être fondée sur le paragraphe 3 de l’article 2 de la Charte des Nations Unies ou sur l’article 3 de la Charte de l’OEA. Elle rappelle que, aux termes de la première disposition, «[l]es Membres de l’Organisation règlent leurs différends internationaux par des moyens pacifiques, de telle manière que la paix et la sécurité internationales ainsi que la justice ne soient pas mises en danger». Elle estime que cette disposition énonce une obligation générale de régler les différends d’une manière qui préserve la paix et la sécurité internationales ainsi que la justice, mais n’indique nullement que les parties à un différend seraient tenues de recourir à une méthode de règlement spécifique, telle que la négociation. Elle en conclut que la Charte des Nations Unies ne met pas à la charge du Chili une obligation de négocier l’accès souverain de la Bolivie à la mer. En ce qui concerne la Charte de l’OEA, la Cour rappelle que l’alinéa i) de l’article 3 de cet instrument dispose que «[l]es différends de caractère international qui surgissent entre deux ou plusieurs Etats américains doivent être réglés par des moyens pacifiques». Elle considère, là aussi, que cette disposition ne saurait constituer la base juridique d’une obligation de négocier l’accès souverain de la Bolivie à la mer.
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7. Les résolutions de l’Assemblée générale de l’Organisation des Etats américains
La Cour en vient à l’argument de la Bolivie selon lequel 11 résolutions de l’Assemblée générale de l’OEA dans lesquelles était traitée la question de son accès souverain à l’océan Pacifique confirment l’engagement du Chili de négocier à ce sujet. Elle note qu’aucune de ces résolutions n’indique qu’une obligation de négocier l’accès souverain de la Bolivie à l’océan Pacifique incomberait au Chili. Ces textes se contentent de recommander aux deux Etats d’engager des négociations sur la question. De plus, ainsi que les deux Parties le reconnaissent, les résolutions de l’Assemblée générale de l’OEA ne sont pas contraignantes en tant que telles et ne peuvent être la source d’une obligation internationale. La participation du Chili au consensus sur l’adoption de certaines résolutions n’implique donc pas qu’il aurait accepté d’être lié par le contenu de ces textes au regard du droit international. Aussi la Cour ne peut-elle déduire du contenu de ces résolutions ou de la position du Chili quant à leur adoption que ce dernier aurait accepté une obligation de négocier l’accès souverain de la Bolivie à l’océan Pacifique.
8. La portée juridique des instruments, actes et éléments de comportement considérés cumulativement
Enfin, la Cour se penche sur l’argument de la Bolivie selon lequel, même s’il n’existe pas d’instrument, d’acte ou de comportement unique donnant naissance à une obligation de négocier son accès souverain à la mer, l’accumulation de tous ces éléments peut avoir un «effet décisif» sur l’existence d’une telle obligation. Elle estime que, étant donné qu’il ressort de son analyse qu’aucun des fondements juridiques invoqués par le demandeur, pris isolément, n’a donné naissance, pour le Chili, à quelque obligation de négocier l’accès souverain de la Bolivie à l’océan Pacifique, le fait de les considérer cumulativement ne saurait modifier ce résultat.
III. CONCLUSION GÉNÉRALE QUANT À L’EXISTENCE D’UNE OBLIGATION DE NÉGOCIER UN ACCÈS SOUVERAIN À L’OCÉAN PACIFIQUE
La Cour observe que les relations entre les deux Etats se caractérisent depuis fort longtemps par un dialogue, des échanges et des négociations visant à trouver une solution adéquate à l’enclavement de la Bolivie né de la guerre du Pacifique et du traité de paix de 1904. Elle n’est toutefois pas en mesure de conclure, au vu des éléments qui lui ont été présentés, que le Chili a «l’obligation de négocier avec la Bolivie en vue de parvenir à un accord octroyant à celle-ci un accès pleinement souverain à l’océan Pacifique». En conséquence, la Cour ne peut pas faire droit aux autres conclusions finales de la Bolivie, qui reposent sur l’existence de pareille obligation, à savoir qu’elle dise et juge que le Chili a manqué à cette obligation et qu’il doit s’en acquitter de bonne foi, de manière prompte et formelle, dans un délai raisonnable et de manière effective. Elle ajoute que cette conclusion ne doit cependant pas être comprise comme empêchant les Parties de poursuivre leur dialogue et leurs échanges dans un esprit de bon voisinage, afin de traiter les questions relatives à l’enclavement de la Bolivie, dont la solution est considérée par l’une et l’autre comme relevant de leur intérêt mutuel.
Composition de la Cour
La Cour était composée comme suit : M. Yusuf, président ; Mme Xue, vice-présidente ; MM. Tomka, Abraham, Bennouna, Cançado Trindade, Mme Donoghue, M. Gaja, Mme Sebutinde, MM. Bhandari, Robinson, Gevorgian, Salam, juges ; MM. Daudet, McRae, juges ad hoc ; M. Couvreur, greffier.
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M. le président YUSUF joint une déclaration à l’arrêt ; MM. les juges ROBINSON et SALAM joignent à l’arrêt l’exposé de leurs opinions dissidentes ; M. le juge ad hoc DAUDET joint à l’arrêt l’exposé de son opinion dissidente.
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Un résumé de l’arrêt figure dans le document intitulé «Résumé 2018/5», auquel sont annexés des résumés de la déclaration et des opinions. Le présent communiqué de presse, le résumé de l’ordonnance, ainsi que le texte intégral de celle-ci sont disponibles sur le site Internet de la Cour (www.icj-cij.org) sous la rubrique «Affaires».
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Remarque : Les communiqués de presse de la Cour ne constituent pas des documents officiels.
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La Cour internationale de Justice (CIJ) est l’organe judiciaire principal de l’Organisation des Nations Unies (ONU). Elle a été instituée en juin 1945 par la Charte des Nations Unies et a entamé ses activités en avril 1946. La Cour a son siège au Palais de la Paix, à La Haye (Pays-Bas). C’est le seul des six organes principaux de l’ONU dont le siège ne soit pas à New York. La Cour a une double mission, consistant, d’une part, à régler conformément au droit international les différends d’ordre juridique qui lui sont soumis par les Etats (par des arrêts qui ont force obligatoire et sont sans appel pour les parties concernées) et, d’autre part, à donner des avis consultatifs sur les questions juridiques qui peuvent lui être soumises par les organes de l’ONU et les institutions du système dûment autorisées à le faire. La Cour est composée de quinze juges, élus pour un mandat de neuf ans par l’Assemblée générale et le Conseil de sécurité des Nations Unies. Indépendante du Secrétariat des Nations Unies, elle est assistée par un Greffe, son propre secrétariat international, dont l’activité revêt un aspect judiciaire et diplomatique et un aspect administratif. Les langues officielles de la Cour sont le français et l’anglais. Egalement appelée «Cour mondiale», elle est la seule juridiction universelle à compétence générale.
Il convient de ne pas confondre la CIJ, juridiction uniquement ouverte aux Etats (pour la procédure contentieuse) et à certains organes et institutions du système des Nations Unies (pour la procédure consultative), avec les autres institutions judiciaires, pénales pour la plupart, établies à La Haye et dans sa proche banlieue, comme la Cour pénale internationale (CPI, seule juridiction pénale internationale permanente existante, créée par traité et qui n’appartient pas au système des Nations Unies), le Tribunal spécial pour le Liban (TSL, organe judiciaire international doté d’une personnalité juridique indépendante, établi par le Conseil de sécurité de l’Organisation des Nations Unies à la demande du Gouvernement libanais et composé de juges libanais et internationaux), le Mécanisme international appelé à exercer les fonctions résiduelles des Tribunaux pénaux internationaux (MIFRTP, chargé d’exercer les fonctions résiduelles du Tribunal
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pénal international pour l’ex-Yougoslavie et du Tribunal pénal international pour le Rwanda), les Chambres spécialisées et Bureau du Procureur spécialisé pour le Kosovo (institution judiciaire ad hoc qui a son siège à La Haye), ou encore la Cour permanente d’arbitrage (CPA, institution indépendante permettant de constituer des tribunaux arbitraux et facilitant leur fonctionnement, conformément à la Convention de La Haye de 1899).
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Département de l’information :
M. Andreï Poskakoukhine, premier secrétaire de la Cour, chef du département (+31 (0)70 302 2336)
Mme Joanne Moore, attachée d’information (+31 (0)70 302 2337)
M. Avo Sevag Garabet, attaché d’information adjoint (+31 (0)70 302 2394)
Mme Genoveva Madurga, assistante administrative (+31 (0)70 302 2396)
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