Observations écrites et documentation additionnelles de la Malaisie

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167-20171211-WRI-01-00-EN
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Note: Cette traduction a été préparée par le Greffe à des fins internes et n’a aucun caractère officiel
14988
COUR INTERNATIONALE DE JUSTICE
DEMANDE EN REVISION DE L’ARRÊT DU 23 MAI 2008 EN L’AFFAIRE RELATIVE À LA
SOUVERAINETÉ SUR PEDRA BRANCA/PULAU BATU PUTEH, MIDDLE ROCKS ET
SOUTH LEDGE (MALAISIE/SINGAPOUR)
(MALAISIE C. SINGAPOUR)
OBSERVATIONS ÉCRITES ET DOCUMENTATION ADDITIONNELLES
DE LA MALAISIE
11 décembre 2017
[Traduction du Greffe]
TABLE DES MATIÈRES
Page
I. INTRODUCTION ............................................................................................................................. 1
A. Observations liminaires ........................................................................................................... 1
B. Economie des présentes observations et brèves remarques d’ordre général ........................... 3
II. LES CRITÈRES DE RECEVABILITÉ CONCERNANT LA NOUVEAUTÉ DU FAIT ET SON
INFLUENCE DÉCISIVE .................................................................................................................... 6
A. Le fait nouvellement découvert au sens de l’article 61 ............................................................ 6
B. La nature décisive du fait nouvellement découvert.................................................................. 8
B.1. Analyse de l’arrêt rendu par la Cour en 2008 ................................................................ 10
B.2. Le caractère décisif des documents nouvellement découverts, lus dans le contexte
de la documentation additionnelle .................................................................................. 17
III. LES CRITÈRES DE RECEVABILITÉ RELATIFS AU DEVOIR DE DILIGENCE (DUE DILIGENCE)
ET AUX DÉLAIS ............................................................................................................................ 25
A. Les faits nouveaux qui étaient inconnus avant le prononcé de l’arrêt ................................... 25
B. Ignorance non due à une faute ............................................................................................... 26
B.1. La Malaisie ignorait l’existence des documents nouveaux et n’avait aucune raison
de la soupçonner avant le prononcé de l’arrêt de 2008 .................................................. 27
B.2. Comparaison entre la lettre de juillet 1953 produite par la Malaisie en l’affaire
initiale et le télégramme du 7 février 1958 figurant à l’annexe 1 de sa demande en
revision ........................................................................................................................... 27
B.3. Comparaison entre le croquis figurant à l’annexe 3 et la «série d’instructions»
prétendument mise à la disposition de la Malaisie avant le prononcé de l’arrêt de
2008 ............................................................................................................................... 29
B.4. La législation britannique sur les archives ..................................................................... 31
C. Respect des limites temporelles ............................................................................................. 32
C.1. La demande a été formée dans un délai de six mois après la découverte ...................... 33
C.2. La demande en revision a été formée dans un délai de dix ans à dater de l’arrêt .......... 37
IV. RÉSUMÉ DE L’ARGUMENTATION DE LA MALAISIE ..................................................................... 38
V. CONCLUSIONS ............................................................................................................................. 39
VI. LISTE DES ANNEXES .................................................................................................................... 40
___________
I. INTRODUCTION
A. Observations liminaires
1. Les présentes observations écrites et documentation additionnelles (ci-après les
«observations») sont soumises conformément à la lettre en date du 9 octobre 2017 par laquelle le
greffier a fait savoir aux Parties que la Cour avait décidé d’en autoriser le dépôt. Elles répondent
aux observations écrites de la République de Singapour en date du 24 mai 2017 (ci-après les
«observations de Singapour»).
2. Les Parties conviennent que la présente procédure porte sur la recevabilité de la demande
présentée le 2 février 2017 par la Malaisie en vue d’obtenir la revision de l’arrêt rendu par la Cour
le 23 mai 2008 en l’affaire relative à la Souveraineté sur Pedra Branca/Pulau Batu Puteh,
Middle Rocks et South Ledge (Malaisie/Singapour) (ci-après la «demande en revision»), et non sur
les questions substantielles qui devront être abordées lors d’un réexamen au fond si la Cour
conclut, comme l’y invite la Malaisie, à la recevabilité de cette demande.
3. Le fait que la présente procédure soit limitée à la recevabilité mérite d’être souligné pour
trois raisons. Premièrement, s’il est certes nécessaire de placer une demande en revision dans le
contexte de l’arrêt de la Cour dont la revision est sollicitée, il existe toutefois un véritable gouffre
entre le fait de placer une telle demande dans son contexte et celui de présenter sotto voce des
observations sur le fond qui devraient être examinées lors de la procédure consécutive à une
conclusion de recevabilité. Deuxièmement, bien qu’elle constitue un seuil dont il incombe au
demandeur de démontrer qu’il est atteint, la recevabilité doit être vue pour ce qu’elle est, à savoir
une condition d’accès qui permet d’éliminer les demandes visant à rouvrir une instance pour des
motifs autres que ceux qui touchent au coeur même de l’arrêt initial et qui justifient, pour une bonne
administration de la justice internationale, que la Cour réexamine sa décision antérieure au fond.
Troisièmement, la différence existant entre la procédure relative à la recevabilité et le réexamen au
fond de questions substantielles montre clairement que, pour déterminer s’il est satisfait aux
critères de recevabilité, il convient de vérifier non pas si la demande aboutirait au fond mais si elle
pourrait aboutir au fond. Ainsi, pour déterminer s’il est satisfait au critère de l’«influence décisive»
énoncé à l’article 61 du Statut, lorsqu’il est dûment interprété, il convient de rechercher non pas si
le fait nouveau mis en avant aurait conduit la Cour à une conclusion différente mais s’il pourrait la
conduire aujourd’hui à une conclusion différente concernant l’aspect déterminant de l’arrêt initial.
Rechercher si la demande «aboutirait» ou si le fait nouveau «aurait conduit» à une conclusion
différente nécessiterait un réexamen au fond, et il n’en est donc pas question au stade de la
procédure consacrée à la recevabilité. Le seuil de la recevabilité ne saurait être interprété d’une
manière qui viendrait opposer un obstacle procédural insurmontable à des demandes justifiant
pourtant un réexamen au fond.
4. Singapour conteste la recevabilité de la demande en revision en invoquant tous les motifs
possibles et imaginables : elle affirme que, avant le prononcé de l’arrêt de 2008, la Malaisie avait
connaissance des faits qu’elle présente aujourd’hui comme nouveaux, ou que, si tel n’était pas le
cas, elle aurait dû en avoir connaissance et a commis une faute, ou encore que, si elle n’a pas
commis de faute, elle avait connaissance de ces faits près de deux ans avant le dépôt de sa demande
en revision ; Singapour plaide également que les faits allégués ne constituent pas des faits au sens
de l’article 61 du Statut de la Cour ou que, si ce sont des faits, ce ne sont pas des faits nouveaux, ou
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encore que, si ce sont des faits nouveaux, ils ne sont pas de nature à exercer une influence décisive
touchant l’arrêt de 2008. Singapour tente de réduire la demande malaisienne à un recours
désinvolte à la Cour, dicté par «des facteurs internes à la Malaisie qui sont sans rapport aucun avec
le fond de l’affaire»1.
5. L’arrêt de 2008, dont la revision est demandée, doit être réexaminé à la lumière du fait
nouveau qui est désormais établi par les documents nouveaux de la Malaisie, et qui touche au coeur
même du raisonnement exposé dans cet arrêt. Dans le domaine des affaires relatives à la
souveraineté territoriale, l’arrêt de 2008 se distingue des autres décisions. De fait, il concerne un
cas de prescription acquisitive ou de consolidation historique par déduction d’une communauté de
vues ou d’un accord tacite, dont la composante malaisienne a été inférée par la Cour et la
composante singapourienne, entrevue dans une pratique limitée et fluctuante. Il convient en outre
de noter que, comme il ressort clairement des opinions dissidentes jointes à cet arrêt, les
appréciations sur lesquelles la Cour s’est fondée en 2008 n’avaient jamais été envisagées par les
Parties dans leurs arguments2. La Cour s’est livrée dans son arrêt à une analyse proprio motu sans
bénéficier des vues des Parties.
6. Ainsi qu’il est exposé dans la demande en revision, et qu’il sera encore exposé ci-après en
réponse aux observations de Singapour, l’arrêt de 2008 était fondé sur deux appréciations
inextricablement imbriquées. La première est celle que la Cour a portée sur la correspondance
échangée en 1953 entre le secrétaire colonial de Singapour et le secrétaire d’Etat par intérim d[u
Johor] (ci-après la «correspondance de 1953»), qu’elle a estimée «essentiell[e] pour déterminer
comment [avaient] évolué les vues des deux Parties à propos de la souveraineté sur
Pedra Branca/Pulau Batu Puteh»3. La seconde est le constat d’une communauté de vues qui se
serait fait jour entre les Parties dans la période postérieure à 1953, dont la Cour a nécessairement dû
inférer l’existence sur la base limitée de la pratique connue.
7. Le raisonnement suivi dans l’arrêt de 2008, sur la foi des éléments de preuve alors
disponibles, était fondé sur un équilibre subtil. Ce n’est pas faire affront à la Cour que de dire que
la balance aurait pu pencher d’un côté comme de l’autre. L’arrêt repose sur une pratique limitée et
sur des appréciations nuancées.
8. Les documents nouveaux sur lesquels s’appuie la Malaisie dans sa demande en revision
touchent directement ces appréciations imbriquées qui étaient au coeur de l’arrêt de 2008.
Ils touchent l’interprétation, le poids et l’autorité qui ont été attribués à la correspondance de 1953.
Ils touchent la communauté de vues implicite, ou l’accord tacite, sous-tendant la suite de l’arrêt. La
raison en est simple : ces nouveaux documents montrent que, en fait, Singapour n’a jamais eu les
vues que la Cour lui a prêtées dans son arrêt de 2008. Une communauté de vues nécessite deux
composantes. La composante malaisienne, inférée par la Cour, a toujours été douteuse, étant donné
que la Malaisie affirmait sa souveraineté sur Pedra Branca/Pulau Batu Puteh et contestait la
revendication de Singapour. Or les documents nouveaux touchent à présent la composante
singapourienne de cette communauté de vues implicite et jettent des doutes suffisants sur le
bien-fondé de l’appréciation qui se trouve au coeur de l’arrêt de 2008 pour justifier un réexamen au
fond.
1 Observations de Singapour, par. 1.18.
2 Opinion dissidente commune de MM. les juges Simma et Abraham, C.I.J. Recueil 2008, p. 120-121, par. 12 et
14 ; opinion dissidente de M. le juge ad hoc Dugard, C.I.J. Recueil 2008, p. 152, par. 45.
3 Arrêt, p. 75, par. 203.
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9. Pour contester la recevabilité, Singapour soutient également que les faits nouveaux
actuellement mis en avant, à supposer qu’ils soient effectivement nouveaux, qu’ils constituent des
faits et même qu’ils répondent aux exigences établies à l’article 61 du Statut concernant le devoir
de diligence («due diligence») et les délais, ne sont pas de nature à exercer une influence décisive
qui pourrait aujourd’hui conduire la Cour à une conclusion différente. Singapour plaide, en se
référant à la jurisprudence de la Cour, que ces faits nouveaux auraient tout au plus pu donner lieu à
quelques développements supplémentaires dans l’arrêt de 2008, mais sans conduire à une
conclusion différente.
10. Comme il a été indiqué plus haut, toutefois, le critère de l’influence décisive est un
critère de recevabilité. Il ne requiert pas, au stade de la recevabilité, un examen au fond. Il s’agit
simplement de rechercher si les faits nouveaux touchent l’appréciation déterminante sur laquelle
reposait l’arrêt et s’ils pourraient, à l’issue d’un réexamen au fond, conduire la Cour à une
conclusion différente. Il ne s’agit pas de rechercher si l’issue aurait assurément été différente. Une
telle recherche reviendrait à transformer la présente procédure relative à la recevabilité en une
procédure sur le fond, mais sans bénéficier d’exposés exhaustifs sur la substance de l’affaire.
11. Dans une affaire où l’appréciation de la Cour était inévitablement fondée sur un équilibre
subtil, entre des éléments de preuve variables et des ententes implicites, ce qui constitue ou pourrait
constituer un élément décisif n’a pas à peser plus lourd qu’une plume pour faire pencher la balance
dans l’autre sens. La Malaisie ne se présente pas devant la Cour en l’espèce en brandissant des
arguments massue. Elle souhaite simplement soumettre à la Cour de nouveaux éléments de preuve
dont elle estime qu’ils auraient modifié l’appréciation de celle-ci concernant la convergence des
points de vue des Parties au cours de la décennie ayant suivi la correspondance de 1953. Dans son
arrêt de 2008, la Cour a considéré que cette correspondance constituait un élément essentiel à
l’appui de la communauté de vues dont elle a ensuite inféré l’existence. Avant 1953, la
souveraineté sur Pedra Branca/Pulau Batu Puteh appartenait au Johor. Or la Cour a perçu, sur la
base des éléments du dossier, l’existence après 1953 d’une communauté de vues en faveur d’une
prescription acquisitive ou d’une consolidation historique au bénéfice de Singapour. Les documents
que la Malaisie présente en l’espèce à la Cour, qui constituent de nouveaux éléments de preuve,
soulèvent des questions fondamentales touchant au coeur même de cette appréciation. Ils pèsent
plus lourd qu’une simple plume faisant basculer la balance.
B. Economie des présentes observations et brèves remarques
d’ordre général
12. Les présentes observations se divisent en cinq parties. Après cette introduction (partie I),
la partie II analysera les critères de la nouveauté et de l’influence décisive auxquels l’article 61 du
Statut de la Cour subordonne la recevabilité d’une demande en revision, à savoir qu’une telle
demande ne peut être formée «qu’en raison de la découverte d’un fait de nature à exercer une
influence décisive». Ensuite, la partie III portera sur les critères relatifs au devoir de diligence et
aux délais qui sont établis à l’article 61, à savoir que tout fait nouveau doit avoir été inconnu de la
Cour et de la partie qui demande la revision, sans qu’il y ait, de la part de celle-ci, faute à l’ignorer,
et que la demande doit être formée dans un délai de six mois après la découverte du fait nouveau et
avant l’expiration d’un délai de dix ans à dater de l’arrêt dont la revision est demandée. Un résumé
de l’argumentation exposée dans les présentes observations sera fourni dans la partie IV. La
Malaisie exposera enfin ses conclusions formelles dans la partie V.
13. Plusieurs brèves remarques doivent être formulées ici afin de poser le cadre des
arguments qui vont être exposés dans la suite des présentes observations et qui, au besoin, y seront
développés plus avant.
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14. S’agissant des critères de recevabilité concernant la nouveauté du fait et son influence
décisive qui sont examinés dans la partie II ci-dessous, trois points doivent être relevés dans la
présente introduction. Premièrement, la Malaisie ne prétend pas que des documents nouveaux
constituent par eux-mêmes des faits nouveaux. Il va de soi qu’un tel document peut se limiter à
répéter ce qui est dit ailleurs, de sorte qu’il ne serait pas satisfait à la condition de recevabilité
énoncée à l’article 61 du Statut de la Cour. Il faut davantage. Il faut en effet que le document jette
une lumière nouvelle sur le point sur lequel l’arrêt concerné était fondé. Cette lumière nouvelle
peut venir de la provenance du document, de son destinataire ou de son contenu. L’important est
que le document mis en avant apporte une preuve nouvelle, c’est-à-dire non présentée à la Cour
lors de l’affaire initiale.
15. Ainsi qu’il sera exposé plus avant dans la suite des présentes observations, les documents
nouveaux produits par la Malaisie à l’appui de sa demande en revision satisfont tous au critère de la
nouveauté. Pour ce qui concerne la forme, aucun des trois documents n’a été soumis à la Cour lors
de la procédure initiale. Mais surtout, chacun touche une question que les Parties n’avait pas
abordée dans leur argumentation mais sur laquelle la Cour a finalement fondé son arrêt de 2008, à
savoir l’existence entre les Parties d’une communauté de vues implicite, ou d’un accord tacite,
concernant la passation de la souveraineté sur Pedra Branca/Pulau Batu Puteh entre la période
antérieure à 1953 et la période postérieure. Les documents nouveaux ont également ceci
d’important qu’ils jettent une lumière nouvelle et révélatrice sur la composante singapourienne
présumée de la communauté de vues dont l’existence a été inférée dans l’arrêt de 2008 et, par là
même, jettent le doute sur l’appréciation selon laquelle Singapour aurait estimé que
Pedra Branca/Pulau Batu Puteh était passée sous sa souveraineté, par le jeu de la prescription
acquisitive ou de la consolidation historique, en 1953 et dans les années suivantes.
16. Il importe par ailleurs de relever que les documents nouveaux, quoiqu’inconnus de la
Malaisie et de la Cour avant le prononcé de l’arrêt de 2008, devaient manifestement être connus de
Singapour. Cette dernière s’adresse donc ici à la Cour pour l’exhorter à rejeter une demande en
revision qui est fondée sur des documents dont elle devait avoir connaissance, mais dont la
Malaisie et la Cour ignoraient l’existence.
17. Deuxièmement, Singapour estime difficile de savoir si la Malaisie affirme que les faits
nouveaux, aux fins de l’article 61, sont les nouveaux documents ou la lumière qu’ils jettent sur la
communauté de vues sous-tendant l’arrêt de 2008. La réponse est simple. Ce sont à la fois les
documents eux-mêmes et les éléments de preuve qu’ils renferment, de par leur contenu, qui sont
nouveaux. Il convient là encore de noter que la question sur laquelle portent les éléments de preuve
contenus dans les documents, à savoir l’existence (ou l’inexistence) d’une communauté de vues
entre les Parties, n’avait pas été envisagée par celles-ci dans les arguments qu’elles avaient
présentés à la Cour en l’affaire initiale. Ce fait à son importance étant donné que, si elle juge la
demande en revision recevable, la Cour se verra pour la première fois soumettre, sur la base de ces
faits nouveaux, des arguments concernant la communauté de vues implicite, ou l’accord tacite, sur
lequel son arrêt de 2008 était fondé.
18. Troisièmement, la manière dont il convient d’interpréter le critère de «l’influence
décisive» a déjà été évoquée plus haut et sera exposée plus avant par la suite. Cela étant, les
arguments formulés aux paragraphes 40 et 41 de la demande en revision méritent d’être encore mis
en avant. Les nouveaux éléments de preuve démontrent que Singapour savait que la
correspondance de 1953 n’avait pas eu pour effet de lui transférer la souveraineté de la Malaisie sur
Pedra Branca/Pulau Batu Puteh. Les documents nouveaux démontrent que, après 1953, il n’existait
aucune communauté de vues à l’effet de considérer que la souveraineté appartenait à Singapour. Il
ressort au contraire de ces documents que, s’il existait la moindre communauté de vues entre les
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Parties pendant la période postérieure à 1953, c’était à l’effet de considérer que la souveraineté
appartenait à la Malaisie. De quelque point de vue que l’on se place, le fait nouveau établi par les
nouveaux éléments de preuve satisfait au critère de recevabilité concernant l’influence décisive.
19. Pour ce qui est des critères relatifs au devoir de diligence et aux délais prévus à
l’article 61 et examinés ci-après dans la partie III, trois points doivent être relevés dans la présente
introduction. Premièrement, s’agissant du devoir de diligence, Singapour fait feu de tout bois. Elle
prétend que la Malaisie avait connaissance avant le prononcé de l’arrêt de 2008 des faits qu’elle
présente aujourd’hui comme nouveaux ou que, si tel n’était pas le cas, elle aurait dû en avoir
connaissance et a commis une faute, ou encore que, si elle n’a pas commis de faute, elle avait
connaissance de ces faits près de deux ans avant le dépôt de sa demande en revision. Les
affirmations de Singapour sont totalement intenables. Ainsi qu’exposé plus avant dans la suite des
présentes observations, et comme le montre clairement la quantité d’éléments de preuve
documentaires joints aux écritures produites dans l’affaire initiale, la Malaisie a fait toutes les
démarches et tous les efforts imaginables pour tenter de retrouver des documents pertinents et
éléments probants aux fins de la procédure initiale. Le fait est simplement que les documents
aujourd’hui mis en avant devant la Cour n’étaient pas accessibles à la Malaisie avant le prononcé
de l’arrêt de 2008 ou que, s’ils l’étaient, ils ne lui étaient pas aisés à découvrir.
20. Deuxièmement, et ce point concerne à la fois le critère relatif au devoir de diligence et
celui relatif aux délais qui sont établis à l’article 61, Singapour affirme que la Malaisie doit être
réputée avoir eu connaissance des documents nouveaux bien avant le délai de six mois dans lequel
une demande en revision pouvait être formée, au motif que les faits révélés par ces documents
nouveaux l’avaient déjà été dans des articles publiés sur le blog de M. Shaharil, un universitaire à
la retraite ayant exercé la fonction de consultant auprès de l’équipe juridique qui avait initialement
représenté la Malaisie devant la Cour aux fins de l’affaire de 2008.
21. Cette affirmation est dépourvue de tout fondement. La position de M. Shaharil et le
contenu des articles publiés sur son blog seront examinés en détail plus loin. Ce que la Malaisie
peut toutefois répondre brièvement ici aux allégations de Singapour, c’est que M. Shaharil n’a ni
publié, ni même semblé identifier, les documents produits et invoqués par la Malaisie en l’espèce.
Le fait qu’une personne qui fut un temps associée au Gouvernement malaisien ait déclaré, de
manière infondée, que de nouveaux éléments venaient jeter le doute sur l’arrêt de 2008 ne saurait
raisonnablement porter préjudice à la Malaisie et la pénaliser dans le cadre de sa demande en
revision. La Malaisie n’a pas présenté sa demande en revision de manière désinvolte, sans tenir
dûment compte du Statut de la Cour et des critères applicables en la matière. Sa demande trouve
ses fondements et sa raison d’être dans les documents nouvellement découverts, qui apportent de
nouveaux éléments de preuve touchant l’appréciation déterminante sur laquelle l’arrêt de 2008
reposait.
22. Troisièmement, si certains documents du dossier de l’affaire initiale pourraient, en
surface, sembler avoir le même objet que les trois documents aujourd’hui mis en avant devant la
Cour, les documents nouveaux diffèrent toutefois sensiblement, de par certains aspects pertinents et
importants, de tout ce qui a pu être produit devant la Cour en l’instance initiale. Ces différences
appréciables sont examinées en détail dans la partie II ci-après.
23. Compte tenu de ces observations liminaires, la Malaisie va à présent examiner plus avant
les questions soulevées par les observations de Singapour.
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II. LES CRITÈRES DE RECEVABILITÉ CONCERNANT LA NOUVEAUTÉ DU FAIT
ET SON INFLUENCE DÉCISIVE
24. Ainsi que la Cour l’a exposé dans sa décision sur la demande en revision de l’arrêt en
l’affaire du Génocide, et qu’elle l’a répété dans sa décision sur la demande en revision de l’arrêt
El Salvador/Honduras, une demande en revision doit satisfaire à deux conditions fondamentales
pour être recevable. La première est celle de la «découverte» d’un «fait», et la seconde est que ce
fait doit être «de nature à exercer une influence décisive»4.
25. Dans la présente section, la Malaisie démontrera que sa demande satisfait à ces deux
conditions fondamentales.
A. Le fait nouvellement découvert au sens de l’article 61
26. Selon l’article 61, une demande en revision doit être fondée sur la découverte d’un fait.
Comme la Cour l’a expliqué, ce fait devait déjà exister avant le prononcé de l’arrêt, même si le
demandeur ne l’a découvert que par la suite5.
27. Singapour affirme qu’«il n’existe aucun «fait nouveau» de la nature alléguée par la
Malaisie aux fins de l’article 61»6 et «qu’aucun [des documents de la Malaisie] ne met en lumière
un quelconque «fait nouveau»»7. Ailleurs dans ses observations, elle ajoute ajoute :
«[Q]u’ils soient pris ensemble ou séparément, les «documents nouvellement
découverts» n’étayent pas l’affirmation de la Malaisie selon laquelle ils peuvent être
«considérés comme des éléments attestant un fait sous-jacent implicite, à savoir que
Singapour n’estimait pas que la correspondance de 1953 lui avait transféré la
souveraineté sur Pedra Branca/Pulau Batu Puteh», pas davantage qu’ils ne
«démontrent que Singapour savait, aux plus hauts niveaux, que la correspondance de
1953 n’avait emporté aucun transfert de souveraineté et que, dans les années ayant
suivi cet échange, Pedra Branca/Pulau Batu Puteh ne faisait pas partie de son territoire
souverain».»8
28. La Malaisie relève que la découverte d’un fait nouveau, au sens de l’article 61, peut
comprendre la découverte de l’inexistence d’un fait. Comme le juge ad hoc Dimitrijević l’a fait
observer dans l’opinion dissidente qu’il a jointe à l’arrêt rendu sur la demande en revision de l’arrêt
en l’affaire du Génocide, «[l]’inexistence d’un fait est tout autant une question de fait que son
4 Demande en revision de l’arrêt du 11 juillet 1996 en l’affaire relative à l’Application de la convention pour la
prévention et la répression du crime de génocide (Bosnie-Herzégovine c. Yougoslavie), exceptions préliminaires
(Yougoslavie c. Bosnie-Herzégovine), arrêt, C.I.J. Recueil 2003, p. 11-12, par. 16 ; Demande en revision de l’arrêt du
11 septembre 1992 en l’affaire du Différend frontalier terrestre, insulaire et maritime (El Salvador/Honduras ; Nicaragua
(intervenant)) (El Salvador c. Honduras), arrêt, C.I.J. Recueil 2003, p. 398-399, par. 19.
5 Demande en revision de l’arrêt du 11 juillet 1996 en l’affaire relative à l’Application de la convention pour la
prévention et la répression du crime de génocide (Bosnie-Herzégovine c. Yougoslavie), exceptions préliminaires
(Yougoslavie c. Bosnie-Herzégovine), arrêt, C.I.J. Recueil 2003, p. 30, par. 67.
6 Observations de Singapour, par. 4.8.
7 Ibid., par. 3.1.
8Ibid., par. 4.8.
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existence»9. Plusieurs commentateurs ont également noté que la condition relative à la découverte
d’un fait pouvait être remplie lorsqu’un fait sur lequel la Cour s’était fondée dans son arrêt se
révélait ne pas avoir existé10.
29. En conséquence, chacun des documents nouvellement découverts par la Malaisie
confirme la continuité, à un moment donné, d’une situation empirique, à savoir l’inexistence d’un
quelconque accord tacite entre les Parties concernant le transfert à Singapour de la souveraineté du
Johor sur Pedra Branca/Pulau Batu Puteh. Ainsi qu’il sera démontré plus longuement dans la
partie B ci-après, la question de savoir si un accord s’est formé entre deux parties est une question
de fait, et la conclusion factuelle de la Cour selon laquelle un accord tacite s’était formé entre les
Parties par l’effet d’une évolution convergente informelle constituait l’élément-clé de l’arrêt de
2008. Or les documents nouvellement découverts établissent qu’un tel accord n’a jamais vu le jour,
en tant qu’ils font état d’incidents et d’actes montrant clairement qu’aucune communauté de vues
n’existait entre les Parties.
30. La Malaisie relève également que, contrairement à ce qu’affirme Singapour, il est
généralement admis et établi depuis longtemps dans la pratique que, dans le contexte d’une
revision, le terme «fait» doit s’entendre au sens large d’une grande variété de documents. Ainsi,
dans le Statut de la Cour permanente de Justice internationale, dont le Statut de la Cour actuelle est
inspiré, le «fait» visé à l’article 61 s’entendait généralement de pièces justificatives, documents,
cartes ou de tout autre élément éventuellement probant11. Dans l’arbitrage Heim et Chamant, le
Tribunal a convenu que la notion de «fait» «désignait tout moyen de preuve ayant trait à des
questions de droit»12, et d’autres juridictions internationales ont adopté un point de vue similaire13.
Surtout, la pratique de la présente Cour va dans le même sens. Dans sa décision sur la demande en
revision de l’arrêt El Salvador/Honduras, la Chambre de la Cour a recherché si les éléments de
preuve d’ordre scientifique, historique et technique, ainsi qu’une carte et un compte rendu
d’expédition, qu’El Salvador avait présentés à l’appui de sa demande en revision satisfaisaient à la
condition de l’influence décisive. Ce faisant, la Chambre semble avoir admis la possibilité que ces
éléments de preuve puissent être considérés comme des faits au sens de l’article 6114. Dans cette
affaire, le juge ad hoc Paolillo a fait observer que la conclusion de la Chambre quant à l’influence
décisive des faits invoqués «rev[enait] à reconnaître implicitement leur qualité de «faits
9 Demande en revision de l’arrêt du 11 juillet 1996 en l’affaire relative à l’Application de la convention pour la
prévention et la répression du crime de génocide (Bosnie-Herzégovine c. Yougoslavie), exceptions préliminaires
(Yougoslavie c. Bosnie-Herzégovine), arrêt, C.I.J. Recueil 2003, p. 55, par. 11.
10 K. Oellers-Frahm, Revision of Judgments of International Courts and Tribunals, Max Planck Encyclopedia of
Public International Law, 2013, par. 12 ; A. Zimmerman et R. Geiß, Procedure, Article 61, dans Zimmerman et al., The
Statute of the International Court of Justice: A Commentary (2e éd., 2012, Oxford University Press), p. 1516, par. 48.
11 A. Zimmerman et R. Geiß, Procedure, Article 61, dans Zimmerman et al. (dir. publ.), The Statute of the
International Court of Justice: A Commentary (2e éd., 2012, Oxford University Press), p. 1512, par. 39 [traduction du
Greffe].
12 Heim et Chamant c. l’Etat allemand, 7 août et 22 septembre 1922, ILR, vol. 1, p. 380 [traduction du Greffe].
13 Voir, par exemple, Tribunal pénal international pour le Rwanda, Barayagwiza c. Le Procureur, chambre
d’appel, arrêt (demande du Procureur en révision ou réexamen), affaire no ICTR-97-19-AR72, 31 mars 2000 ; Tribunal
pénal international pour l’ex-Yougoslavie, Le Procureur c. Tadic, chambre d’appel, arrêt confirmatif relatif aux
allégations d’outrage formulées à l’encontre du précédent conseil, Milan Vujin, affaire no IT-94-1-A-AR77, 27 février
2001 ; Cour européenne des droits de l’homme, McGinley et Egan c. le Royaume-Uni (requêtes nos 21825/93, 23414/94)
(demande en révision), 28 janvier 2000, ECHR 2000-1.
14 Demande en revision de l’arrêt du 11 septembre 1992 en l’affaire du Différend frontalier terrestre, insulaire et
maritime (El Salvador/Honduras; Nicaragua (intervenant)) (El Salvador c. Honduras), arrêt, C.I.J. Recueil 2003,
p. 406-407, par. 40 et p. 409-410, par. 49-55.
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- 8 -
nouveaux»». Et d’ajouter : «De cette manière, la Chambre confirme que la présentation de ces
documents peut justifier une demande en revision à la condition que ces derniers répondent aux
critères posés par l’article 61 du Statut.»15 Dans son opinion dissidente, le juge ad hoc Paolillo a
longuement étudié la question particulière de savoir si des éléments de preuve documentaires
pouvaient être considérés comme des faits nouveaux, et sa conclusion a été sans équivoque : «sans
aucun doute possible, le sens ordinaire du terme «fait» recouvre les documents»16.
31. Singapour a néanmoins tenté d’aller à rebours de cette pratique généralisée en invoquant
un extrait de l’avis consultatif rendu par la Cour permanente au sujet du Monastère de
Saint-Naoum17. Outre que cet avis consultatif ne relevait pas des dispositions de l’article 61 de son
Statut régissant sa compétence en matière de revision, la Cour permanente a établi une distinction
entre les faits «nouveaux» et les «faits antérieurs» dont l’organe concerné ignorait l’existence
lorsqu’il a pris sa décision ; or, l’extrait cité par Singapour porte uniquement sur la
première catégorie de faits. S’agissant des faits antérieurs dont l’existence était inconnue au
moment de la décision — soit la catégorie de faits visée à l’article 61, tel qu’interprété par la Cour
dans sa décision sur la demande en revision de l’arrêt en l’affaire du Génocide, ainsi qu’exposé
plus haut —, la Cour permanente a semblé reconnaître que des documents nouveaux pouvaient
constituer des faits préalablement inconnus lorsque les informations qu’ils renfermaient étaient
susceptibles de prouver l’existence de tels faits18.
32. En tout état de cause, les documents nouvellement découverts par la Malaisie ne font pas
que répéter des informations trouvées ailleurs. Ils jettent une lumière nouvelle sur le tableau factuel
sous-tendant l’arrêt de 2008 en fournissant de nouvelles informations sur la composante
singapourienne de la communauté de vues inférée dans cet arrêt. Ces nouvelles informations
montrent que, en fait, aucune communauté de vues ni aucun accord tacite n’a vu le jour entre les
Parties.
B. La nature décisive du fait nouvellement découvert
33. Selon le paragraphe 1 de l’article 61, une demande en revision n’est recevable qu’à
condition d’être fondée sur «la découverte d’un fait de nature à exercer une influence décisive».
Dans l’affaire de la demande en revision et en interprétation de l’arrêt Tunisie c. Libye, la Cour a
conclu que l’obtention des coordonnées exactes de la concession pétrolière accordée par les
autorités libyennes ne constituait pas «un fait de nature à exercer une influence décisive», dans la
mesure où de telles précisions «n’auraient pas changé la décision de la Cour» quant au secteur
concerné de la délimitation19.
15 Demande en revision de l’arrêt du 11 septembre 1992 en l’affaire du Différend frontalier terrestre, insulaire et
maritime (El Salvador/Honduras; Nicaragua (intervenant)) (El Salvador c. Honduras), arrêt, C.I.J. Recueil 2003, opinion
dissidente de M. le juge ad hoc Paolillo, p. 421, par. 29.
16 Ibid., opinion dissidente de M. le juge ad hoc Paolillo, p. 422, par. 32. Kaikobad arrive à la même conclusion
lorsqu’il fait remarquer que «cette règle [selon laquelle de tels éléments de preuve peuvent être admis en tant que faits
nouveaux en application de l’article 61] est établie de longue date sur le plan juridique», Interpretation and Revision of
International Boundary Decisions (Cambridge University Press, 2007), p. 277.
17 Monastère de Saint-Naoum, avis consultatif, 1924, C.P.J.I. série B, no 9, p. 22.
18 Ibid., voir A. Zimmerman et R. Geiß, Procedure, Article 61, dans Zimmerman et al. (dir. publ.), The Statute of
the International Court of Justice : A Commentary (2e éd., 2012, Oxford University Press), p. 1516, par. 48 et 62.
19 Demande en revision et en interprétation de l’arrêt du 24 février 1982 en l’affaire du Plateau continental
(Tunisie/Jamahiriya arabe libyenne) (Tunisie c. Jamahiriya arabe libyenne), arrêt, C.I.J. Recueil 1985, p. 213-214,
par. 39.
16
15
- 9 -
34. Ce critère impose à la Cour d’évaluer le fait nouvellement découvert à la lumière des
éléments factuels présentés lors de la procédure initiale et de déterminer si «elle aurait pu
parvenir … à des conclusions différentes si elle avait en outre été en possession des [éléments
nouvellement découverts]»20. Partant, il incombe au demandeur de veiller à circonscrire
précisément les motifs par lesquels la Cour est parvenue à ses conclusions dans l’arrêt afin de
démontrer en quoi ces motifs se trouveraient infirmés par les faits nouvellement découverts. Dans
l’affaire de la demande en revision et en interprétation de l’arrêt Tunisie c. Libye, la Cour a
considéré que la Tunisie avait «simplifi[é] à l’excès le raisonnement qu’elle a[vait] suivi»21 en
l’affaire initiale, lequel ne se trouvait donc «entam[é] en rien» par les arguments tunisiens fondés
sur le fait nouvellement découvert22. De même, dans sa décision sur la demande en revision de
l’arrêt El Salvador/Honduras, la Chambre a considéré qu’El Salvador avait mal résumé les
fondements de son arrêt et que, en conséquence, les arguments avancés par celui-ci concernant
l’avulsion étaient dépourvus de pertinence puisque c’était sur la base du comportement
d’El Salvador au cours de la période considérée que le tracé de la frontière avait été déterminé. La
question de l’avulsion n’avait tout simplement joué aucun rôle dans l’arrêt, de sorte que des
conclusions telles que celles qu’El Salvador l’exhortait à tirer des faits nouveaux allégués «ne
permett[aient] pas de remettre en cause la décision prise par la Chambre en 1992 sur une tout autre
base». En ce sens, les faits nouveaux mis en avant par El Salvador ne pouvaient pas exercer une
influence décisive sur l’arrêt23. S’agissant du second fait nouveau allégué par El Salvador dans sa
demande en revision, à savoir la découverte d’une nouvelle version d’une carte historique et d’un
compte rendu d’expédition, la Chambre a conclu que ces documents ne différaient que sur des
points de détail de la carte qui avait été examinée à l’époque de l’arrêt initial. Partant, elle a jugé
que ces faits nouveaux allégués étaient sans influence décisive24.
35. Il convient toutefois de rappeler que le paragraphe 2 de l’article 61 prévoit deux étapes
procédurales distinctes avant que la Cour puisse finalement décider si et, dans l’affirmative, en quoi
son arrêt doit être revisé. Selon ce paragraphe : «La procédure de revision s’ouvre par un arrêt de la
Cour constatant expressément l’existence du fait nouveau, lui reconnaissant les caractères qui
donnent ouverture à la revision, et déclarant de ce chef la demande recevable.»
36. Dans sa décision sur la demande en revision de l’arrêt en l’affaire du Génocide, la Cour a
ainsi mis en exergue ces deux étapes de la procédure en revision :
«Aux termes de l’article 61 du Statut, la procédure en revision s’ouvre par un
arrêt de la Cour déclarant la requête recevable pour les motifs envisagés par le Statut,
[et] l’article 99 du Règlement de la Cour prévoit expressément une procédure sur le
fond au cas où, dans son premier arrêt, la Cour aurait déclaré la requête recevable.
20 Demande en revision de l’arrêt du 11 septembre 1992 en l’affaire du Différend frontalier terrestre, insulaire et
maritime (El Salvador/Honduras; Nicaragua (intervenant)) (El Salvador c. Honduras), arrêt, C.I.J. Recueil 2003, p. 410,
par. 51.
21 Demande en revision et en interprétation de l’arrêt du 24 février 1982 en l’affaire du Plateau continental
(Tunisie/Jamahiriya arabe libyenne) (Tunisie c. Jamahiriya arabe libyenne), arrêt, C.I.J. Recueil 1985, p. 210, par. 35.
22 Ibid., p. 213, par. 38.
23 Ibid., p. 406-407, par. 40.
24 Ibid., p. 409-410, par. 51-55.
17
18
- 10 -
Le Statut et le Règlement de la Cour organisent ainsi une «procédure en deux
temps» … Dans un premier temps, la procédure relative à la demande en revision d’un
arrêt de la Cour doit être «limité[e] à la question de sa recevabilité».»25
37. Par conséquent, la première étape ne consiste pas à trancher la question ultime de savoir
si l’arrêt doit être revisé. La tâche de la Cour est plus limitée. A l’étape de la recevabilité, la Cour
doit simplement déterminer si un fait existe et si, de par sa nature, il pourrait exercer une influence
ou la conduire aujourd’hui à une conclusion différente. Si elle donne raison au demandeur dans le
cadre de cette première étape, la Cour ne fait rien d’autre que constater l’existence d’un fait
nouveau présentant le caractère requis et déclare l’«ouverture [de] la revision». Ce n’est qu’à
l’issue de la seconde étape –– la procédure sur le fond –– que la Cour tranchera en dernière analyse
la question de savoir si les faits allégués possèdent véritablement un caractère décisif et si l’arrêt
initial doit être revisé.
38. A la lumière de ces considérations, le critère applicable à l’étape de la recevabilité pour
savoir si un fait nouvellement découvert est de nature décisive consiste, selon les termes de
M. Geiß, à rechercher «si, de par sa nature, ce fait pourrait conduire la Cour à une conclusion
différente de celle énoncée dans son arrêt antérieur –– et non s’il la conduirait effectivement à une
conclusion différente»26. La pratique de la Cour milite en ce sens. En recherchant si le fait
nouvellement découvert «aurait pu [la faire] parvenir … à des conclusions différentes» ou s’il
«n’aura[it] pas changé [s]a décision», la Cour a cherché à déterminer si le fait en question était
susceptible de la conduire à une conclusion différente.
B.1. Analyse de l’arrêt rendu par la Cour en 2008
39. Pour déterminer si un fait est de nature «décisive» au sens de l’article 61 du Statut, il est,
comme l’a noté Singapour dans ses observations écrites, «nécessaire de réexaminer les éléments
sur lesquels la Cour s’était fondée dans son arrêt pour conclure que la souveraineté» sur
Pedra Branca/Pulau Batu Puteh «appartient à Singapour»27.
40. Mais il convient tout d’abord de commenter brièvement ce que Singapour déclare à ce
sujet dans ses observations écrites. Selon celle-ci, la Cour a fondé sa décision sur «quatre éléments
cruciaux, dont chacun avait son importance en lui-même, et sur aucun desquels les documents
nouveaux de la Malaisie n’ont la moindre incidence»28. Cela suppose clairement que la Cour avait
quatre raisons indépendantes d’attribuer à Singapour le titre sur Pedra Branca/Pulau Batu Puteh.
Or, ainsi qu’il sera amplement démontré dans la section suivante, tel n’est tout simplement pas le
cas. Au contraire, le raisonnement de la Cour tout entier tournait autour de l’idée que, face au titre
originaire de la Malaisie sur l’île, une constellation d’activités souveraines était venue, par
coalescence, témoigner d’une «évolution convergente» des vues des Parties concernant le transfert
du titre. C’est dans cette évolution progressive que la Cour a vu l’élément-clé de sa décision, et que
la Malaisie voit l’élément-clé de sa demande en revision.
25 Demande en revision de l’arrêt du 11 juillet 1996 en l’affaire relative à l’Application de la convention pour la
prévention et la répression du crime de génocide (Bosnie-Herzégovine c. Yougoslavie), exceptions préliminaires
(Yougoslavie c. Bosnie-Herzégovine), arrêt, C.I.J. Recueil 2003, p. 11, par. 15.
26 R. Geiß, Revision Proceedings before the International Court of Justice (2003), dans Zeitschrift für
ausländisches öffentliches Recht und Volkerrecht, vol. 63, p. 184 [traduction du Greffe].
27 Observations de Singapour, par. 2.1.
28 Ibid., par. 2.3.
19
20
- 11 -
41. Les déclarations de Singapour trahissent non seulement une interprétation erronée de la
décision de la Cour, mais aussi une confusion quant aux arguments avancés par la Malaisie en
l’espèce, comme il sera démontré dans la prochaine section.
42. Pour parvenir à sa décision, la Cour a commencé par analyser la situation juridique telle
qu’elle existait avant la construction du phare Horsburgh, dans les années 1840.
43. La Cour a relevé que, selon la Malaisie, Pedra Branca/Pulau Batu Puteh n’avait cessé de
faire partie du Sultanat de Johor depuis que le Royaume avait vu le jour. Elle a en effet souligné
que le Sultanat de Johor s’était constitué en 1512 en un Etat souverain doté d’un domaine territorial
spécifique29, avant de conclure ce qui suit :
«à partir du XVIIe siècle au moins et jusqu’au début du XIXe siècle, il était reconnu
que le domaine terrestre et maritime du royaume de Johor englobait une portion
considérable de la péninsule malaise, s’étendait de part et d’autre du détroit de
Singapour et comprenait des îles et îlots situés dans la zone du détroit. Ce domaine
couvrait en particulier la zone dans laquelle se trouve Pedra Branca/Pulau Batu
Puteh.»30
44. La Cour a analysé les conditions juridiques nécessaires à l’établissement d’un titre en
pareille situation, compte tenu des principes relatifs aux conséquences d’une absence de prétentions
juridiques concurrentes et des circonstances géographiques propres à l’île (citant les affaires du
Groënland oriental31 et de l’Ile de Palmas32). Elle a clairement conclu que «le Sultanat de Johor
détenait un titre originaire sur Pedra Branca/Pulau Batu Puteh»33. Telle était la situation en 1824.
45. Ce faisant, la Cour a fermement rejeté le principal argument avancé par Singapour, à
savoir que Pedra Branca/Pulau Batu Puteh était, avant 1847, une terra nullius dont il était donc
loisible au Royaume-Uni de prendre possession de manière licite entre 1847 et 185134. De l’avis de
Singapour, aucun élément ne prouvait que l’île eût appartenu au Sultanat de Johor «à une époque
quelconque, et certainement pas au début du XIXe siècle»35. La Cour a conclu de manière
catégorique que la Malaisie (qui avait succédé au Sultanat de Johor) détenait le titre originaire sur
l’île, ce dont attestait le type et le degré d’autorité exercé par le sultan de Johor sur les Orang Laut,
peuple qui vivait sur les îles du détroit de Singapour36.
46. La Cour a réaffirmé l’existence de ce titre originaire lorsqu’elle a examiné la situation
qui avait prévalu entre 1824 et 1840. Point n’est besoin, aux fins qui nous occupent ici, de revenir
sur les instruments pertinents (à savoir le traité anglo-néerlandais de 1824 ; le traité Crawfurd
29 Arrêt, p. 31-33, par. 46-48 et 52.
30 Ibid., p. 35, par. 59.
31 Ibid., p. 35-36, par. 63-64 (Statut juridique du Groënland oriental, arrêt, 1933, C.P.J.I. série A/B n° 53, p. 39
et 46).
32 Ile de Palmas (Pays-Bas/Etats-Unis d’Amérique), sentence du 4 avril 1928, Nations Unies, Recueil des
sentences arbitrales, vol. II (1949), p. 839, 840 et 855 [traduction française : Ch. Rousseau, Revue générale de droit
international public, t. XLII, 1935, p. 163-165 et 182-183].
33 Arrêt, p. 37, par. 69.
34 Ibid., p. 32, par. 49.
35 Ibid., par. 50.
36 Ibid., p. 39, par. 75 et p. 40, par. 79.
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22
- 12 -
conclu en 1824 entre la Compagnie des Indes orientales, d’une part, et le sultan et le temenggong
de Johor, d’autre part ; et la «lettre de donation» de 1825). Il suffit de souligner la conclusion de la
Cour selon laquelle, à l’époque où les Britanniques avaient commencé leurs préparatifs pour la
construction du phare sur Pedra Branca/Pulau Batu Puteh, en 1844, «cette île était sous la
souveraineté du sultan de Johor»37.
47. A partir de cette analyse clairement axée sur la reconnaissance du «titre originaire»
détenu en 1844 par le Johor/la Malaisie sur Pedra Branca/Pulau Batu Puteh, la Cour a cherché à
déterminer si le comportement ultérieur des Parties avait pu changer la donne. Si l’on laisse de côté
pour l’instant la question de la méthode juridique utilisée par la Cour pour s’en tenir à ses
conclusions, il convient de noter que celle-ci n’a pu tirer de la construction et de la mise en service
du phare aucune conclusion quant à la souveraineté38. En outre, la Cour a estimé que divers textes
législatifs (de 1852, 1854 et 1912) ne démontraient pas la souveraineté britannique39 et que les
différents changements constitutionnels intervenus dans la région (en 1927, 1946, 1957, 1959, 1963
et 1965) «ne lui permet[taient] pas de régler la question de la souveraineté»40. Un examen de la
réglementation conjointe de la pêche dans les années 1860 ne lui a pas davantage permis de
trancher la question de la souveraineté41. Il semble permis de conclure à ce stade que la Cour n’a
apparemment constaté l’existence, jusqu’en 1953, d’aucun acte juridique pertinent qui serait venu
ou aurait pu venir supplanter de manière claire et effective le titre originaire de la Malaisie.
48. Venons-en à présent à la méthode juridique employée par la Cour.
49. Différentes conséquences juridiques peuvent être tirées de l’analyse faite par la Cour de
la période allant jusqu’à la correspondance de 1953. La Cour a conclu que le Johor (et donc la
Malaisie, qui lui a succédé) détenait le titre originaire sur Pedra Branca/Pulau Batu Puteh dans les
années 1840, et qu’il ne s’était produit dans le siècle qui avait suivi aucun événement propre à
déplacer ce titre, et encore moins à le transférer à un autre souverain. Le droit international a, à
travers l’histoire, mis en place un certain nombre de présomptions et principes qui s’appliquent
lorsqu’un territoire fait l’objet d’un titre juridique établi. Tout d’abord, comme le juge Ranjeva l’a
souligné dans la déclaration qu’il a jointe à l’arrêt de 2008, «[l]e transfert de souveraineté
territoriale ne p[eut] se présumer en droit international». Il doit y avoir eu consentement42.
50. Ensuite, ainsi qu’observé par O’Connell, il existe une présomption contre la perte de
souveraineté ou, en d’autres termes, une présomption contre l’abandon43. En outre, «il ne saurait y
avoir perte de territoire sans une intention d’abandonner celui-ci, couplée à un retrait de fait. Une
solution de continuité dans l’administration et le peuplement ne suffit pas … à entamer la
persistance de la souveraineté».44 Selon Oppenheim, il y a déréliction (ou abandon)
37 Ibid., p. 49, par. 117.
38 Arrêt, p. 65, par. 162.
39 Ibid., p. 67, par. 172.
40 Ibid., p. 71, par. 186.
41 Ibid., par. 191. Les juges Simma et Abraham ont mis en avant cette question générale dans l’exposé de leur
opinion dissidente commune, relevant que la Cour n’avait pu dégager de la pratique des années 1852 à 1952 «une claire
manifestation d’une revendication britannique de souveraineté» (C.I.J. Recueil 2008, p. 123, par. 22).
42 Ibid., p. 104, par. 3.
43 D. P. O’Connell, International Law (Stevens, 1965), vol. I, p. 512.
44 Ibid., p. 511 [traduction du Greffe].
23
24
- 13 -
«lorsque l’Etat titulaire abandonne totalement le territoire dans l’intention de s’en
retirer définitivement, renonçant ainsi à sa souveraineté sur celui-ci … Un simple
abandon de fait n’est pas synonyme de déréliction dans la mesure où il doit être
présumé que le titulaire a la volonté et la capacité de reprendre possession du
territoire.»45
51. Voici comment les juges Simma et Abraham ont exposé la situation dans leur opinion
dissidente commune :
«[Il] faut … que soit bien affirmée la présomption en faveur du maintien de la
souveraineté dans les mains du titulaire initial, et que cette présomption ne soit pas
considérée à la légère comme ayant été renversée.»46
52. La présomption peut naturellement, en tant que telle, être infirmée au moyen de preuves
contraires, mais la charge de la preuve incombe à la partie qui affirme qu’il a été renoncé à la
souveraineté. Les parties ne se trouvent pas face à une page vierge. Le titulaire du titre et le
prétendant au titre ne sont pas égaux sur le plan juridique. C’est à ce dernier qu’il revient de
démontrer clairement que le titre a changé de titulaire.
53. Troisièmement, il est un principe selon lequel une frontière fixée en droit l’emporte sur
une pratique en sens contraire, ce qui signifie que le titre juridique prime les effectivités. Ce
principe est désormais bien établi. Le droit international consacre la doctrine voulant que, lorsque
«le territoire objet du différend est administré effectivement par un Etat autre que celui qui possède
le titre juridique, il y a lieu de préférer le titulaire du titre»47. Les effectivités de l’Etat invoquant le
transfert du titre ne sont pas pertinentes en tant que telles, et le comportement du titulaire du titre ne
l’est qu’en cas d’acquiescement allégué à un changement de souveraineté48. Selon le Tribunal
constitué aux fins de l’arbitrage Croatie/Slovénie, la «frontière juridique ne coïncide pas
nécessairement avec ce qui peut être appelé la «frontière pratique»», utilisée par exemple
lorsqu’une zone donnée est traitée comme faisant partie d’un autre Etat à certaines fins (attribution
de codes postaux ou raccordement à des infrastructures publiques de distribution de gaz, d’eau ou
d’évacuation des eaux usées, notamment). Dans cet arbitrage, c’est la frontière juridique qui devait
être déterminée49. C’est elle qui avait priorité.
54. La raison d’être de ces principes et présomptions est claire. Comme la Cour l’a souligné
avec force dans une déclaration de principe essentielle :
«Un point déterminant pour l’appréciation que fera la Cour du comportement
des Parties tient à l’importance de premier plan que revêtent, en droit international et
dans les relations internationales, la souveraineté étatique sur un territoire ainsi que le
caractère stable et certain de cette souveraineté. De ce fait, tout changement du
titulaire de la souveraineté territoriale fondé sur le comportement des Parties, tel
qu’exposé ci-dessus, doit se manifester clairement et de manière dépourvue
45 Jennings et Watts (dir. publ.), Oppenheim’s International Law (9e éd., Longmans, 1992), p. 717 [traduction du
Greffe].
46 C.I.J. Recueil 2008, p. 119, par. 8.
47 Différend frontalier (Burkina Faso/République du Mali), arrêt, C.I.J. Recueil 1986, p. 587, par. 63.
48 Frontière terrestre et maritime entre le Cameroun et le Nigéria (Cameroun c. Nigéria ; Guinée équatoriale
(intervenant)), arrêt, C.I.J. Recueil 2002, p. 353, par. 68.
49 Sentence finale du 29 juin 2017, p. 109, par. 337-338 [traduction du Greffe].
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d’ambiguïté au travers de ce comportement et des faits pertinents. Cela vaut tout
particulièrement si ce qui risque d’en découler pour l’une des Parties est en fait
l’abandon de sa souveraineté sur une portion de son territoire.»50
55. Ayant ainsi posé le cadre juridique fondamental, tel qu’il ressort de l’arrêt de la Cour et
du droit international général reflété dans sa jurisprudence, la Malaisie va à présent examiner la
manière dont la Cour a envisagé la possibilité d’un transfert du titre juridique de la Malaisie sur
Pedra Branca/Pulau Batu Puteh après 1952.
56. Bien que les deux Parties eussent reconnu que la notion de prescription acquisitive
n’avait aucun rôle à jouer en l’affaire51 et que la Cour elle-même n’y ait pas fait expressément
référence52, pas plus qu’à la notion de consolidation historique, force est de constater que, de fait, la
Cour s’est inspirée de leurs principaux éléments dans son analyse53.
57. La Cour a noté que la souveraineté pouvait changer de titulaire par voie d’accord entre
les Parties, mais qu’un tel accord pouvait également être «tacite et découler du comportement des
Parties … [, l]e droit international … met[ant] l’accent sur les intentions des parties»54. L’intention
des Parties peut ressortir de leur comportement, «en particulier sur une longue période»55. Ainsi
que la Cour l’a relevé dans son arrêt de 2007 en l’affaire Nicaragua c. Honduras, «[l]es éléments
de preuve attestant l’existence d’un accord tacite doivent être convaincants»56. La chambre spéciale
du Tribunal international du droit de la mer a approuvé ce critère lorsqu’elle l’a cité dans l’affaire
Ghana/Côte d’Ivoire57.
58. En outre, dans certaines circonstances, un changement de souveraineté peut s’opérer du
fait d’une omission de l’Etat titulaire de réagir à un comportement mené à titre de souverain par un
autre Etat. L’absence de réaction, a observé la Cour, peut tout à fait valoir acquiescement58.
59. Dans ce contexte, l’arrêt rendu par la Cour en l’affaire Cameroun c. Nigéria est pertinent.
Dans cette affaire, la Cour devait statuer sur un cas d’établissement massif de population dans un
territoire proche du lac Tchad sur lequel le Cameroun avait souveraineté en vertu d’un traité mais
que le Nigéria revendiquait sur la base de ses activités, notamment. La Cour a relevé que certaines
de ces activités constituaient des actes à titre de souverain. Toutefois, étant donné que le Cameroun
détenait un titre préexistant sur le territoire en question, «le critère juridique applicable [était]
50 Arrêt, p. 51, par. 122.
51 CR 2007/26, par. 1 (Malaisie) et CR 2007/27, p. 29, par. 69.
52 Voir déclaration de M. le juge Ranjeva, p. 103, par. 2 ; opinion dissidente commune de MM. les juges Simma
et Abraham, p. 119, par. 11 et suiv. ; opinion dissidente de M. le juge Dugard, p. 145, par. 31 et opinion individuelle de
M. le juge ad hoc Sreenivaso Rao, p. 171, par. 38.
53 Voir opinion dissidente commune, p. 122, par. 17 et suiv.
54 Arrêt, p. 50, par. 120.
55 Ibid., p. 61, par. 149.
56 Différend territorial et maritime entre le Nicaragua et le Honduras dans la mer des Caraïbes (Nicaragua
c. Honduras), C.I.J. Recueil 2007, p. 735, par. 253.
57 Arrêt du 23 septembre 2017, par. 212.
58 Arrêt, p. 50, par. 121.
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l’existence ou non d’un acquiescement manifeste du Cameroun au transfert de son titre au
Nigeria»59. La Cour a conclu à l’absence d’acquiescement60.
60. La Cour a également appelé l’attention sur l’élément temporel et déclaré que «les faits et
circonstances avancés par le Nigeria à l’égard des villages du lac Tchad concern[aient] … une
période d’une vingtaine d’années en tout état de cause trop brève au regard même de la théorie [de
la consolidation historique] invoquée»61.
61. En l’affaire qui nous occupe, la Cour a vu dans une sorte de processus, dont semblait
avoir émergé une entente entre les Parties, la matrice d’un accord «tacite … découl[ant] du
comportement des Parties». Elle l’a formulé en ces termes :
«La Cour est d’avis que les faits pertinents, dont le comportement des
Parties, … témoignent d’une évolution convergente des positions de celles-ci
concernant le titre sur Pedra Branca/Pulau Batu Puteh. La Cour conclut, au vu,
notamment, du comportement à titre de souverain de Singapour et de ses
prédécesseurs, considéré conjointement avec celui de la Malaisie et de ses
prédécesseurs, et notamment avec le fait que celle-ci soit demeurée sans réaction face
au comportement de Singapour et de ses prédécesseurs, que, en 1980, la souveraineté
sur Pedra Branca/Pulau Batu Puteh était désormais détenue par Singapour.»62
62. Deux points particuliers doivent être relevés ici. Tout d’abord, s’agissant du facteur
temps, la période concernée va de 1953 à 1980 (28 ans). La situation est clairement analogue à
celle qui existait en l’affaire Cameroun c. Nigéria (dans laquelle une période de 20 ans a été jugée
bien trop brève). Ensuite, pour ce qui concerne l’intention pouvant être déduite du comportement
des Parties, la Cour a fait état d’une «évolution convergente». Elle s’est également référée à ce
propos à l’«évolution des vues» («evolving views»63 et «developing understanding»64 dans le texte
anglais) des Parties concernant la souveraineté sur l’île. Ainsi, la Cour a vu le comportement des
Parties pendant la période pertinente sous le jour d’une coalescence progressive de vues sur la
question de la souveraineté.
63. Les éléments de preuve revêtaient à cet égard une importance capitale. La Cour a estimé
que le libellé de la correspondance de 1953 était «essentie[l] pour déterminer comment [avaient]
évolué les vues des deux Parties à propos de la souveraineté sur Pedra Branca/Pulau Batu Puteh»65.
Point n’est besoin ici d’analyser cet échange de lettres. Il importe simplement de relever que, selon
la Cour, cette correspondance n’était pas déterminante en soi66 ni ne créait une situation
59 Frontière terrestre et maritime entre le Cameroun et le Nigéria (Cameroun c. Nigéria ; Guinée équatoriale
(intervenant)), C.I.J. Recueil 2002, p. 353, par. 67.
60 Ibid., p. 355, par. 70.
61 Frontière terrestre et maritime entre le Cameroun et le Nigéria (Cameroun c. Nigéria ; Guinée équatoriale
(intervenant)), C.I.J. Recueil 2002, p. 352, par. 65.
62 Arrêt, p. 96, par. 276.
63 Ibid., p. 65, par. 162.
64 Ibid., p. 75, par. 203.
65 Ibid.
66 La Cour n’a pas «consid[éré] … la réponse du Johor comme revêtant un caractère constitutif au sens où elle
aurait eu pour celui-ci un effet juridique décisif». Arrêt, p. 81, par. 227.
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d’estoppel67, pas plus qu’un engagement obligatoire unilatéral68. Elle constituait cependant un
élément (certes important) d’un enchaînement qui, de l’avis de la Cour, avait conduit au transfert
de la souveraineté.
64. La Cour a examiné treize sortes d’activités souveraines postérieures à 1953 qui, de son
point de vue, présentaient de l’intérêt dans ce contexte. Elle a conclu qu’elle ne pouvait accorder
aucun poids à neuf d’entre elles s’agissant de la question de la souveraineté. Ces activités
comprenaient des patrouilles et des exercices effectués par les marines des deux Parties autour de
l’île69, le déploiement des pavillons britannique et singapourien sur l’île70, l’installation par
Singapour de matériel de communication militaire sur l’île71, la conclusion par la Malaisie d’un
accord pétrolier en 196872, la délimitation de la mer territoriale malaisienne en 196973, la
conclusion entre l’Indonésie et la Malaisie de l’accord de 1969 relatif au plateau continental et de
l’accord de 1970 relatif à la mer territoriale74, la conclusion entre l’Indonésie et Singapour de
l’accord de 1973 relatif à la mer territoriale75, la coopération interétatique dans le détroit de
Singapour76, ainsi qu’une série de publications officielles77.
65. Les quatre catégories d’activités que la Cour a jugées pertinentes étaient les suivantes.
Premièrement, la Cour a estimé que les enquêtes menées par Singapour sur les naufrages survenus
dans les eaux entourant l’île venaient «étayer de manière appréciable» la thèse singapourienne78.
Deuxièmement, elle a estimé que le contrôle par Singapour des visites sur l’île venait également
«étaye[r] de façon appréciable» les prétentions singapouriennes79. Troisièmement, elle a considéré
que la publicité faite par Singapour à un projet de récupération de terres sur l’île «étay[ait]» la thèse
de celle-ci, même si le projet en question était resté sans suite80. Enfin, la Cour a jugé que six cartes
(sur près d’une centaine) qui avaient été publiées entre 1962 et 1975 «tend[aient] à confirmer que la
Malaisie considérait que Pedra Branca/Pulau Batu Puteh relevait de la souveraineté de
Singapour»81.
67 Arrêt, p. 81-82, par. 228.
68 Ibid., p. 82, par. 229.
69 «La Cour ne considère pas que cette activité pèse d’un côté ou de l’autre». Arrêt, p. 85, par. 241.
70 «La Cour souscrit à l’argument de la Malaisie selon lequel le déploiement d’un pavillon n’est habituellement
pas une manifestation de souveraineté». Arrêt, p. 87, par. 246. La Cour n’en a pas moins relevé que la Malaisie avait
exprimé en 1978 ses préoccupations à propos du drapeau déployé par Singapour. Arrêt, p. 87, par. 246.
71 La Cour a noté que, bien que cette activité eût été accomplie à titre de souverain, il était difficile de savoir si la
Malaisie en avait eu connaissance. Arrêt, p. 88, par. 248.
72 Arrêt, p. 89, par. 251-253.
73 Ibid., p. 89-90, par. 254-256.
74 Ibid., p. 90-91, par. 257-258.
75 Ibid., p. 91, par. 259.
76 La Cour a jugé qu’«il ne s’agi[ssait] pas là d’un comportement lié aux droits territoriaux». Arrêt, p. 91-92,
par. 260.
77 La Cour a noté que, «[é]tant donné le but des publications et le fait que, même si elles étaient des documents
officiels, elles n’étaient pas censées faire autorité et étaient essentiellement de nature descriptive, [elle] ne consid[érait]
pas qu’un poids de quelque importance p[ût] leur être attribué». Arrêt, p. 92-94, par. 261-266.
78 Arrêt, p. 82-83, par. 231-234.
79 Ibid., p. 83-85, par. 235-239.
80 Ibid., p. 88-89, par. 247-248.
81 Ibid., p. 94-95, par. 267-272.
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66. Il s’agissait là d’une «récolte … bien faible», pour reprendre les termes utilisés dans
l’opinion dissidente commune82.
67. Toujours est-il que l’important, en l’espèce, est que ces activités jugées pertinentes ont
clairement pesé dans la balance lorsque la Cour a conclu qu’une «évolution convergente» était
établie, de sorte que le titre originaire de la Malaisie, dont il était reconnu qu’il lui avait appartenu
au moins jusqu’en 1952 ou 1953, avait été transféré à Singapour à un moment donné avant 1980.
Etant donné la nature, le nombre et l’importance des activités que la Cour a analysées, la balance a
dû pencher de justesse en faveur de Singapour.
68. Dans ce contexte, les éléments additionnels soumis par la Malaisie peuvent être
considérés comme «décisifs» en tant qu’ils peuvent faire pencher la balance dans l’autre sens et,
ainsi, confirmer son titre originaire sur l’île.
B.2. Le caractère décisif des documents nouvellement découverts, lus dans le contexte de la
documentation additionnelle
69. Singapour affirme qu’«aucun des «faits nouveaux» allégués n’entame la conclusion de la
Cour selon laquelle la souveraineté sur Pedra Branca [lui] appartient …, pas plus que [le]
raisonnement sous-tendant cette conclusion»83 ; elle affirme également que les documents
nouvellement découverts par la Malaisie, du fait de leur similarité alléguée avec des documents que
la Cour a «écartés … pour défaut de pertinence» dans l’affaire initiale, «ne sont pas de nature à
exercer une influence décisive et ne sauraient être considérés comme tels»84.
70. Ainsi qu’exposé dans la section précédente, un élément central de l’arrêt de 2008 résidait
dans la conclusion factuelle à laquelle la Cour était parvenue, à savoir que, de par leur
comportement, les Parties en étaient arrivées à un accord tacite à l’effet de transférer à Singapour la
souveraineté du Johor sur Pedra Branca/Pulau Batu Puteh. Or, les documents découverts par la
Malaisie établissent l’existence d’une série d’incidents qui démontrent tous qu’un tel accord n’a
jamais vu le jour. Etant donné le rôle essentiel qu’a joué, dans l’arrêt de 2008, la conclusion de la
Cour selon laquelle la souveraineté sur Pedra Branca/Pulau Batu Puteh avait changé de titulaire du
fait de cet accord tacite, les documents nouvellement découverts qui attestent que cet accord n’a
jamais existé pourraient changer la donne. Dans ces conditions, les faits nouvellement découverts
sur lesquels la Malaisie appuie sa demande en revision sont de nature à exercer une influence
décisive.
71. En réponse à l’affirmation de Singapour selon laquelle les documents nouvellement
découverts seraient similaires à des documents présentés lors de la procédure initiale, la Malaisie
examinera ses nouveaux documents l’un après l’autre.
a) Annexe 1  La correspondance interne de 1958 relative à la délimitation des eaux
territoriales
72. L’annexe 1 de la demande en revision contient une correspondance interne échangée en
1958 entre le gouverneur de Singapour et le secrétaire d’Etat aux colonies au sujet des
82 Opinion dissidente commune de MM. les juges Simma et Abraham, p. 124, par. 26.
83 Observations de Singapour, par. 6.13.
84 Ibid., par. 6.14.
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conséquences, pour Singapour, d’une éventuelle extension des eaux territoriales auxquelles les
Etats pouvaient prétendre en vertu du droit international. Singapour tente de mettre en doute de
trois manières le caractère décisif de ces documents nouvellement découverts.
73. Premièrement, Singapour affirme que cette correspondance interne est «très similaire» à
une lettre singapourienne interne de juillet 1953 que la Cour a examinée dans l’affaire initiale. En
outre, Singapour prétend que cette lettre de 1953 portait sur les «mêmes questions» que la
correspondance de 1958 au motif que l’une et l’autre concernaient l’apparition de ««nouvelles
méthodes de définition des eaux territoriales», dans le sillage de l’arrêt rendu par la Cour en 1951
en l’affaire des Pêcheries»85. Singapour soutient que «la Malaisie tente aujourd’hui de faire à
nouveau valoir un argument qui a déjà été examiné et écarté dans l’affaire initiale»86.
74. En guise de réponse, il convient de noter d’emblée que tout ce que la Cour a déclaré dans
son arrêt au sujet de la lettre de 1953, c’est que «l’absence de réaction de la part des autorités à
Singapour  ou à Londres, car c’est là qu’étaient prises les décisions en dernier ressort  [était]
loin d’être surprenante»87. La lettre adressée par M. Colton, pour le secrétaire colonial à Londres,
est parvenue au commissaire adjoint aux affaires coloniales de Singapour en juillet 1953, soit
deux mois avant que Singapour reçoive, en réponse à sa demande de renseignements sur
«le rocher», la fameuse lettre en date du 21 septembre 1953, dans laquelle le secrétaire d’Etat par
intérim de l’Etat du Johor écrivait que son gouvernement ne revendiquait pas la propriété de
Pedra Branca. C’est bien sûr cette lettre de septembre 1953 que la Cour a considérée comme
«essentiell[e] pour déterminer comment [avaient] évolué les vues des deux Parties à propos de la
souveraineté sur Pedra Branca/Pulau Batu Puteh»88.
75. La Cour a relevé que les autorités singapouriennes n’avaient pris aucune autre mesure
après avoir reçu chacun de ces deux documents, indépendamment du fait que ceux-ci touchaient
une question d’une grande importance, à savoir l’étendue du territoire souverain de Singapour.
Alors que la Cour a considéré que cette absence de réaction de la part de Singapour était «loin
d’être surprenante»89, cette dernière présente cet aspect de l’arrêt sous un faux jour en affirmant
dans ses observations écrites que la Cour a «écarté [ce point] dans l’affaire initiale».
76. De plus, l’affirmation de Singapour selon laquelle la correspondance de 1958 récemment
mise au jour est «très similaire» à la lettre de M. Colton de 1953 ne résiste pas à l’examen. Ainsi
qu’il est indiqué plus haut, la lettre de M. Colton a été envoyée avant que les autorités
singapouriennes ne reçoivent celle de septembre 1953 du secrétaire d’Etat par intérim du
Johor concernant Pedra Branca/Pulau Batu Puteh, de sorte que M. Colton ne pouvait pas, dans son
analyse des conséquences pour les intérêts et les droits de Singapour, tenir compte de la possibilité
que celle-ci détienne la souveraineté sur Pedra Branca/Pulau Batu Puteh. En revanche, la
correspondance interne de 1958 doit être examinée à la lumière de celle de 1953 concernant la
souveraineté sur Pedra Branca/Pulau Batu Puteh, d’autant que la Cour a attaché à l’échange de
1953 une grande importance dans la résolution du différend relatif à Pedra Branca/Pulau Batu
Puteh, et une grande force probante lorsqu’elle est parvenue à la conclusion factuelle que, de par
leur comportement, les Parties en étaient arrivées à un accord tacite. Le fait que, cinq ans après la
correspondance de 1953 avec le Johor, les autorités de Singapour n’aient pas semblé tenir compte
85 Observations de Singapour, par. 6.16.
86 Ibid.
87 Arrêt, p. 81, par. 225.
88 Ibid., p. 75, par. 203.
89 Ibid., p. 81, par. 225.
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de Pedra Branca/Pulau Batu Puteh lorsqu’elles ont examiné une question revêtant manifestement
beaucoup d’importance pour une «colonie maritime densément peuplée, tributaire du commerce
maritime», selon les termes utilisés par M. Colton dans sa lettre, est pour le moins inhabituel.
Comme la Cour l’a rappelé dans son arrêt, l’inaction d’un Etat, dans des circonstances où l’on
s’attendrait raisonnablement à une réaction de sa part, est un élément qui permet d’apprécier ou
d’interpréter son intention90. Face aux difficultés évidentes que posait le comportement des Etats
voisins, dont les visées maritimes expansionnistes menaçaient de sectionner une artère vitale pour
la société et l’économie singapouriennes  c’est-à-dire de couper l’accès à un chenal de navigation
ouvert sur toute sa longueur , il est significatif que les autorités singapouriennes n’aient fait
absolument aucune mention de Pedra Branca/Pulau Batu Puteh et des droits maritimes générés par
la souveraineté sur cette île.
77. La correspondance de 1958 se distingue de la lettre de M. Colton de 1953 à deux autres
égards encore. Premièrement, elle est ultérieure à l’accession de la Fédération de Malaya à
l’indépendance, et porte sur les conséquences de l’évolution des règles internationales concernant
les eaux territoriales non pas pour les zones de pêche, lesquelles étaient disséminées à divers
endroits des eaux singapouriennes, mais pour le maintien d’un chenal de navigation ouvert d’un
bout à l’autre du détroit de Singapour. La situation de Pedra Branca/Pulau Batu Puteh, à l’extrémité
orientale de ce détroit, aurait dû revêtir beaucoup plus d’importance dans le contexte de la
correspondance de 1958 que dans celui de la lettre de 1953.
78. Deuxièmement, Singapour prétend que les documents contenus à l’annexe 1 n’ont pas un
caractère décisif au motif que la Cour a déjà déclaré que certains éléments concernant un dispositif
de navigation maritime étaient dépourvus de pertinence91. La Malaisie fait observer que la
construction et l’entretien de dispositifs de navigation sont généralement considérés comme
distincts de la question de la souveraineté92, et que les auteurs de la correspondance de 1958 se
préoccupaient non pas de l’établissement et de l’entretien d’aides à la navigation, mais de l’étendue
et de la configuration des espaces maritimes de Singapour.
79. Troisièmement, Singapour soutient que les documents figurant à l’annexe 1 n’apportent
rien de plus qu’une simple description géographique et sont donc dépourvus de pertinence93. S’il
est vrai que la Cour n’a estimé pouvoir accorder aucun poids à un court extrait d’une monographie
écrite par un ancien directeur du conseil des droits de phare de Singapour, «étant donné le but d[e
cette] publicatio[n] et le fait qu[’] … ell[e] n’étai[t] pas censé[e] faire autorité et étai[t]
essentiellement de nature descriptive»94, les documents versés à l’annexe 1 appartiennent
cependant à une toute autre catégorie puisqu’ils ont été transmis aux plus hautes autorités de
Singapour et ont trait à un aspect essentiel de la souveraineté singapourienne, à savoir l’étendue de
ses eaux territoriales.
80. Comme il ressort de l’analyse qui précède, les documents contenus à l’annexe 1 sont
extrêmement précieux en ce qu’ils «permett[ent] de se prononcer sur les vues des autorités de
Singapour, à l’époque, en ce qui concerne la souveraineté sur Pedra Branca/Pulau Batu Puteh»95.
90 Ibid., p. 51, par. 121.
91 Observations de Singapour, par. 6.17.
92 Minquiers et Ecréhous (France/Royaume-Uni), arrêt, C.I.J. Recueil 1953, p. 70-71.
93 Observations de Singapour, par. 6.18.
94 Arrêt, p. 92-93, par. 262-264.
95 Ibid., p. 72, par. 191.
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Ils pèsent donc lourdement contre l’idée qu’une convergence, ou même un début de convergence,
ait pu exister en 1958 dans les vues des Parties concernant l’île. Mis dans la balance des éléments
factuels sur la base desquels la Cour a conclu à l’existence d’un accord tacite entre les Parties, les
documents de l’annexe 1 inversent l’équilibre et constituent par conséquent un fait nouvellement
découvert de nature à exercer une influence décisive.
b) Annexe 2  les documents concernant l’incident du Labuan Haji survenu dans les eaux
territoriales du Johor
81. Singapour plaide que les documents figurant à l’annexe 2 ne peuvent être considérés
comme étant de nature décisive parce qu’ils fournissent des «indications vagues et imprécises»
quant au lieu de l’incident. Elle soutient que, «[d]ans l’affaire initiale, … la Cour n’a accordé
aucune importance à des documents tout aussi vagues et imprécis, et [qu’]aucune importance ne
devrait donc être accordée à ceux versés sous l’annexe 2»96.
82. Singapour fait grand cas de ce que, dans son message au gouverneur de Singapour
relatant l’incident du Labuan Haji, M. Wickens emploie le terme anglais «near» («près»), et
invoque à cet égard ce qu’elle estime être le rejet, par la Cour, de certains éléments de preuve
produits lors de la procédure initiale au motif qu’ils contenaient le même terme («near», alors
traduit par «à proximité»)97. En fait, la Cour ne s’est pas prononcée sur les éléments de preuve
invoqués par Singapour, puisqu’elle avait déjà décidé que, en 1844, le Johor avait souveraineté sur
Pedra Branca/Pulau Batu Puteh. Si, comme Singapour l’affirme, la Cour s’est exprimée sur le
caractère général de la correspondance de 1844, c’était simplement pour relever que celle-ci ne
contenait même pas de «référence particulière à Pedra Branca/Pulau Batu Puteh»98. Singapour
formule des allégations tout aussi contestables au sujet d’une autre lettre adressée au temenggong
de Johor par le gouverneur britannique99.
83. La situation est radicalement différente dans le cas des documents versés sous
l’annexe 2. Surtout, la Malaisie a découvert dans un même dossier des archives britanniques un
certain nombre de documents distincts qui font tous référence au même incident et se corroborent
mutuellement, de sorte qu’ils fournissent des indications fiables concernant le lieu de l’incident et
la réaction de la marine royale malaisienne. Le message de M. Wickens est un rapport interne
indiquant que le navire marchand néerlandais pris en chasse par une canonnière indonésienne «près
du phare Horsburgh» ne pouvait être secouru par la Royal Navy parce qu’«il se trouvait encore à
l’intérieur des eaux territoriales du Johore»100. A ce message était jointe une note
d’accompagnement précisant que la Royal Navy «ne pouvait pas intervenir dans les eaux
territoriales du Johore sans y avoir été expressément invitée par le Gouvernement de la
Fédération».
84. Selon l’article publié dans le Straits Times, la «canonnière indonésienne … harcelait [le
Labuan Haji] au large du phare Horsburgh, à 35 milles au nord-est de Singapour». (Il convient de
noter que, dans son arrêt, la Cour a dit que Horsburgh se situait à 33 milles de Singapour.)101 La
96 Observations de Singapour, par. 6.19.
97 Ibid., par. 6.20.
98 Arrêt, p. 55, par. 134.
99 Observations de Singapour, par. 6.21.
100 Demande en revision, annexe 2, par. 27.
101 Arrêt, p. 93, par. 264. (Au paragraphe 16 (p. 22) de son arrêt, toutefois, la Cour déclare que
Pedra Branca/Pulau Batu Puteh «se trouve à environ 24 milles marins à l’est de Singapour».)
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seconde coupure de presse, extraite du Singapore Standard, précise encore que la canonnière
indonésienne et le Labuan Haji avaient été vus dans la zone située au nord du phare de Horsburgh.
85. La Cour l’ayant autorisée à présenter une documentation additionnelle, la Malaisie joint
trois autres articles de presse confirmant le lieu de l’incident du Labuan Haji (annexe A). La
coupure du Straits Times du 27 février 1958 présente un intérêt particulier, non seulement parce
qu’elle indique elle aussi que l’incident a eu lieu «au large du phare Horsburgh, à 35 milles au
nord-est de Singapour», mais aussi parce qu’elle signale que dès le lendemain, M. Tengku Abdul
Rahman, premier ministre de la Malaya, «a[vait] réclamé un rapport circonstancié sur l’incident
survenu … dans les eaux territoriales du Johore», ce qui confirme que, dans l’esprit des autorités de
la Malaya, les eaux territoriales du Johor comprenaient celles situées au nord de
Pedra Branca/Pulau Batu Puteh.
86. Loin d’être «trop impréci[s]», les différents documents versés sous l’annexe 2, pris
conjointement, indiquent de manière claire et fiable que le Labuan Haji a été pris en chasse dans
les eaux situées directement au nord de Pedra Branca/Pulau Batu Puteh. La révélation la plus
importante de cette annexe est celle qui montre que, pour les autorités singapouriennes, la
Royal Navy ne pouvait pas pénétrer dans cette zone sans y avoir été autorisée par la Fédération de
Malaya, puisque la zone en question faisait partie des eaux territoriales du Johor.
c) Annexe 3 – Croquis des zones maritimes d’accès restreint
87. Singapour affirme ensuite que l’annexe 3 ne revêt pas le caractère décisif nécessaire pour
satisfaire aux conditions de recevabilité. Cette annexe contient un croquis en date du 25 mars 1962
représentant les «zones d’accès restreint ou interdit» établies par les autorités de Singapour dans les
eaux territoriales singapouriennes, zones qui, selon les annotations manuscrites figurant sur la copie
nouvellement découverte de ce document, furent mises en vigueur à intervalles réguliers au moins
jusqu’en février 1966.
88. Dans ses observations, Singapour soutient que «[le] but [du croquis] apparaît lorsqu’on
lit la partie, non produite par [la Malaisie], du dossier relatif aux années 1964-1966 dans lequel
figure [ce document]»102. La Malaisie fait observer que, pour avoir une vision plus claire et
complète du contexte dans lequel le croquis a été produit, ainsi que de l’importance du
comportement de Singapour, il est utile de présenter l’intégralité de la série d’instructions dont ce
document est extrait. Ainsi, ayant été autorisée par la Cour à soumettre une documentation
additionnelle concernant la recevabilité de sa demande en revision, la Malaisie joint aux présentes
observations la totalité du dossier d’archives dans lequel le croquis a été récemment découvert. Ce
dossier, qui porte la cote DEFE 69/539 et s’intitule «Opérations navales dans les détroits de
Malacca et Singapour  1964-1966», comprend l’ensemble des «instructions à l’intention des
navires effectuant des patrouilles de défense du littoral de la Malaisie occidentale»
(deuxième édition) (MALPOS II) (annexe B). Le croquis figure sous l’appendice 1 de l’annexe B
(«zones de patrouille et navigation») des instructions. Des précisions concernant la découverte du
dossier DEFE 69/539 sont fournies plus loin, dans la section C.1 de la partie III.
89. Tentant de mettre en doute le caractère décisif du croquis de l’annexe 3, Singapour
s’appuie sur un passage de l’arrêt concernant l’omission de Pedra Branca/Pulau Batu Puteh dans un
arrêté de couvre-feu pris à Singapour en 1948. Dans ce passage, la Cour a fait sienne la thèse de
Singapour selon laquelle «il n’était pas … justifié d’étendre l’interdiction à une île aussi
102 Observations de Singapour, par. 3.29.
40
41
39
- 22 -
éloignée»103. Singapour affirme que «[l]e même raisonnement s’applique précisément au croquis
figurant à l’annexe 3 de la demande en revision»104. Elle ajoute que
«ce croquis n’était destiné à représenter que les zones qui, au sud de l’île principale de
Singapour, faisaient l’objet de restrictions établies en réponse à des menaces contre la
sécurité venant du sud. Aussi n’était-il «pas davantage justifié» d’étendre la zone
couverte par le croquis à Pedra Branca.»105
90. En réponse à cette affirmation, la Malaisie se prévaut de la possibilité que lui a donnée la
Cour, par lettre en date du 9 octobre 2017, de présenter une documentation additionnelle à l’appui
de sa demande en revision.
91. Est ainsi annexée aux présentes observations additionnelles une copie du
dossier WO 268/802 (annexe C), qui renferme un document confidentiel du ministère britannique
de la guerre intitulé «Offensive indonésienne contre la Malaisie occidentale (à l’exclusion des actes
de piraterie et infiltrations non détectées)». Les archives nationales du Royaume-Uni ont rendu le
document accessible au public le 16 septembre 2008, après le prononcé de l’arrêt, et l’équipe de
recherche malaisienne l’a découvert le 30 mai 2017, alors que la Malaisie avait déjà déposé sa
demande en revision, le 2 février 2017.
92. Le document dresse, sous forme de tableau, un inventaire détaillé des incidents survenus
entre des membres des forces britanniques et des éléments indonésiens infiltrés dans la période
comprise entre le 17 août 1964 et le 31 décembre 1965, c’est-à-dire en pleine Konfrontasi, la
campagne indonésienne de confrontation destinée à intimider et à déstabiliser la toute nouvelle
Fédération de Malaya. Le document indique notamment le lieu de chaque incident, le nombre de
personnes impliquées, le nombre d’ennemis éventuellement tués ou capturés, et toute perte essuyée
par les forces alliées.
93. A la ligne 34 de ce document (p. 8), il est fait état d’un incident survenu le 25 mars 1965
lors duquel trois embarcations ont tenté de toucher terre. Deux d’entre elles ont été interceptées par
des navires de la Royal Navy dans le cadre de l’opération «Oak Tree III». Ce document indique
que l’un des intrus indonésiens a été «capturé au phare Horsboro alors qu’il tentait de s’échapper».
Il précise la zone ou le secteur où chaque incident a eu lieu, à savoir, dans le cas de cette
interception en mer, dans la zone «Johore oriental –– Tg Punggai»106.
94. Comme le montre le document en question, les autorités britanniques avaient subdivisé le
théâtre des opérations de la Malaisie occidentale en plusieurs secteurs, comme
«Singapour  Phare Raffles» ou «Selangor  Kuala Lumpur», pour ne citer que deux des plus
couramment désignés. Il est indiqué à la ligne 34 que, jusqu’à la fin de 1965 au moins, les autorités
britanniques ont considéré que le phare Horsburgh se trouvait dans le Johor oriental.
103 Arrêt, p. 72, par. 189.
104 Observations de Singapour, par. 6.25.
105 Observations de Singapour, par. 6.25, citant l’arrêt, p. 95, par. 272.
106 «Tg Punggai» désigne Tanjung Punggai, cap situé sur la côté sud-est du Johor, à environ 9 milles marins au
nord-ouest de Pedra Branca/Pulau Batu Puteh. Il constitue le point le plus oriental de la péninsule malaise.
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95. Outre qu’il soit précieux en lui-même en tant qu’illustration supplémentaire «[d]es vues
des autorités de Singapour, à l’époque», à savoir que la souveraineté du Johor sur
Pedra Branca/Pulau Batu Puteh n’avait pas été transférée à Singapour, ce document additionnel est
également pertinent en ce qu’il éclaire les raisons pour lesquelles l’omission de Pedra Branca/Pulau
Batu Puteh sur le croquis figurant à l’annexe 3 revêt de l’importance.
96. Tentant d’expliquer l’absence de toute mention de Pedra Branca/Pulau Batu Puteh sur ce
croquis décrivant les «zones d’accès restreint ou interdit [dans ses e]aux territoriales», Singapour
prétend qu’«il n’était pas … justifié» d’étendre les instructions et restrictions à Pedra Branca/Pulau
Batu Puteh, et donc qu’il n’était ««pas davantage justifié» d’étendre la zone couverte par le croquis
à Pedra Branca»107. Selon elle :
«si l’on replace le croquis dans son contexte, il apparaît que celui-ci a été établi
spécialement et exclusivement en réponse aux menaces que la confrontation
(Konfrontasi) avec l’Indonésie faisait peser sur la sécurité, et qui se manifestaient au
sud de l’île principale de Singapour. Il était donc inutile d’y inclure Pedra Branca.»108
97. A la lecture des informations figurant dans la documentation additionnelle –– à savoir la
liste d’incidents établie par le ministère britannique de la guerre et le dossier du ministère
britannique de la défense sur les opérations navales ––, il devient vite évident que l’affirmation de
Singapour selon laquelle celle-ci n’avait ni besoin ni lieu d’inclure Pedra Branca dans ce dispositif
de sécurité ou sur le croquis ne tient pas. En particulier, Singapour minimise l’étendue de la zone
sur laquelle la Konfrontasi faisait peser une menace lorsqu’elle prétend dans ses observations que
cette menace «se manifestai[t] au sud de l’île principale de Singapour»109.
98. Les documents versés à l’annexe 2 jettent eux-mêmes le doute sur cette affirmation, étant
donné que l’incident du Labuan Haji dont ils font état montre clairement que les forces
d’infiltration indonésiennes représentaient une menace jusqu’à Pedra Branca/Pulau Batu Puteh et
aux eaux environnantes. De plus, le document du ministère de la guerre enregistré sous la cote
WO 268/802 et produit dans la documentation additionnelle recense pas moins de 124 épisodes
d’hostilité avec des assaillants indonésiens, sur une période de seize mois, dans une zone
comprenant les détroits de Malacca et de Singapour ainsi que la côte sud-est du Johor. Enfin, le
document introductif du dossier d’archives DEFE 69/539 donne un aperçu utile de l’étendue de la
menace que faisaient peser les bateaux armés indonésiens à travers la région. Il y est indiqué que
«les principales zones menacées étaient … le sud du détroit de Malacca, Singapour et le sud-est du
Johore»110.
99. Ainsi qu’il ressort de ces documents, la menace que les agitateurs indonésiens faisaient
peser sur la sécurité lors de la Konfrontasi concernait toute la région, et assurément la zone de
Pedra Branca/Pulau Batu Puteh, comme l’incident du Labuan Haji l’atteste lui-même. Dans ces
conditions, Singapour avait manifestement besoin d’étendre son dispositif de sécurité et ses arrêtés
de couvre-feu à Pedra Branca/Pulau Batu Puteh, semble-t-il, de même qu’elle avait tout lieu de
représenter l’île sur le croquis figurant à l’annexe 3.
107 Observations de Singapour, par. 6.25.
108 Ibid., par. 3.34.
109 Ibid.
110 «Opérations navales dans les détroits de Malacca et Singapour, 1964-1966», premier document du dossier
DEFE 69/539, p. 7.
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100. Pour finir, Singapour affirme que l’argument selon lequel son omission de représenter
Pedra Branca/Pulau Batu Puteh comme sienne démontre qu’elle ne pensait pas que ses droits
territoriaux s’étendaient à l’île a été «rejeté» par la Cour111. Toutefois, lu attentivement, le passage
cité par Singapour montre que la Cour n’est pas allée jusque-là. La Cour n’a pas «rejeté»
l’argument selon lequel l’omission répétée, par Singapour, de Pedra Branca/Pulau Batu Puteh sur
les cartes de son territoire souverain révèle son idée de la souveraineté, mais a simplement attaché
aux cartes particulières publiées par Singapour moins de valeur probante qu’à celles publiées par la
Malaya et la Malaisie112.
101. Ce deuxième argument peut être aisément écarté, étant donné qu’il ne résiste pas à un
examen attentif du passage de l’arrêt invoqué par Singapour. Au lieu de «rejet[er]» l’argument
fondé sur l’omission répétée, par Singapour, de Pedra Branca/Pulau Batu Puteh sur les
représentations cartographiques de son territoire souverain, la Cour a simplement attaché aux cartes
particulières publiées par Singapour moins de valeur probante qu’à d’autres cartes publiées par la
Malaya et la Malaisie. Il n’est pas exclu pour autant que la découverte de la carte annotée puisse
faire basculer la balance des éléments factuels sur la base desquels la Cour a conclu à l’émergence
d’un accord tacite.
d) Annexe D –– la carte de 1937 validée par le sceau de la commission des dommages de guerre
102. Le fait que les autorités de la Malaya comme celles de Singapour estimaient que
Pedra Branca/Pulau Batu Puteh était située dans les eaux territoriales du Johor est encore confirmé
par une carte nouvellement découverte, que la Malaisie verse également à sa documentation
additionnelle sous l’annexe D.
103. Cette carte nouvellement découverte s’intitule «Johore, 1937» et est frappée du sceau
officiel de la commission des dommages de guerre. Le Gouvernement malaisien a initialement
appris l’existence de cette carte estampillée le 9 novembre 2017 puis se l’est vu communiquer par
une personne privée, M. Satkunarajah, le 5 décembre 2017, après le dépôt de sa demande en
revision. L’intéressé a informé le Gouvernement malaisien qu’il avait acheté la carte portant le
sceau de la commission le 3 septembre 2017 auprès d’un vendeur et collectionneur britannique,
M. Martin Fuller, qui la comptait parmi les articles de sa collection privée. Le Gouvernement
malaisien affirme qu’il ignorait et n’avait aucun moyen de connaître l’existence de cette carte
portant le sceau de la commission des dommages de guerre avant d’en être informé par
M. Satkunarajah.
104. Cette carte comprend une ligne frontière en pointillés entre Singapour et le Johor
(faisant ainsi nettement la distinction entre les deux entités), et inclut très clairement Pedra
Branca/Pulau Batu Puteh dans le territoire du Johor. Bien qu’elle ait été produite en 1937 (et
réimprimée en 1946), la carte en question revêt de l’importance aux fins de la demande en revision
du fait de son utilisation par la commission des dommages de guerre, attestée par le sceau officiel
apposé sur la carte et sa reliure. Etablie par les ordonnances sur les dommages de guerre, cette
commission vit le jour le 1er janvier 1950. Elle comptait douze membres qui étaient tous désignés
conjointement par le haut-commissaire de la Fédération de Malaya et le gouverneur de la colonie
de Singapour. Elle était en activité dans les années 1950. Au nombre de ses membres figuraient les
111 Observations de Singapour, par. 6.26.
112 Arrêt, p. 94-95, par. 267-272.
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secrétaires aux finances respectifs de la Malaya et de Singapour113. Ainsi, Singapour était
clairement informée de manière officielle que cette carte situait Pedra Branca/Pulau Batu Puteh
dans le territoire du Johor, et n’a émis aucune protestation.
105. En ce sens, le fait que la commission des dommages de guerre, telle qu’officiellement
constituée et en activité, ait utilisé cette carte montrant Pedra Branca/Pulau Batu Puteh comme
faisant incontestablement partie du Johor constitue une autre preuve encore de ce qu’aucune
communauté de vues ne se faisait jour entre les Parties. Les autorités de Singapour n’estimaient
nullement que Pedra Branca/Pulau Batu Puteh était singapourienne. Il existe certes d’autres
exemplaires de cette carte, mais celui-ci s’en distingue et revêt de l’importance aux fins de la
demande en revision car il est frappé du sceau de la commission des dommages de guerre, un
organe officiel de la Malaya et de Singapour qui avait été établi au plus haut niveau.
III. LES CRITÈRES DE RECEVABILITÉ RELATIFS AU DEVOIR
DE DILIGENCE (DUE DILIGENCE) ET AUX DÉLAIS
A. Les faits nouveaux qui étaient inconnus avant le prononcé de l’arrêt
106. Selon Singapour, la demande en revision est irrecevable au motif que la Malaisie savait,
lors de la procédure initiale, que Singapour n’estimait pas que la correspondance de 1953 avait eu
pour effet de transférer la souveraineté sur Pedra Branca/Pulau Batu Puteh114. Singapour affirme à
titre subsidiaire que, en l’instance initiale, la Malaisie considérait déjà que les autorités
singapouriennes savaient que Pedra Branca/Pulau Batu Puteh ne faisait pas partie du territoire
souverain de Singapour dans les années ayant suivi la correspondance de 1953 «puisqu[e la
Malaisie] défendait exactement le même argument ... A l’époque, en effet, elle affirmait qu’il
ressortait du comportement et des déclarations de Singapour que cette dernière n’avait pas
souveraineté sur Pedra Branca.»115
107. Ces observations sont mal inspirées étant donné qu’elles tendent à présenter sous un
faux jour les faits nouveaux que la Malaisie a découverts et qui ont motivé le dépôt de sa demande
en revision. Ainsi qu’exposé de manière détaillée dans la partie II, les documents nouveaux de la
Malaisie attestent l’existence d’une situation factuelle continue dont ni celle-ci, ni la Cour n’avaient
connaissance avant le prononcé de l’arrêt, à savoir, plus précisément, qu’aucun accord, exprès ou
tacite, n’avait vu le jour entre les Parties quant au transfert à Singapour de la souveraineté du Johor
sur Pedra Branca/Pulau Batu Puteh.
108. Ces documents particuliers attestant l’absence d’accord entre les Parties n’avaient pas
été portés à la connaissance de la Cour dans l’affaire initiale, pas plus qu’ils n’avaient été inclus ou
mentionnés dans les exposés alors présentés, que ce soit par la Malaisie ou par Singapour. Dans ses
observations écrites, Singapour n’a été en mesure de désigner aucune référence faite à ces
documents lors de la procédure initiale, se bornant à relever qu’un conseil de la Malaisie avait alors
reconnu à l’audience que Singapour ne revendiquait pas la correspondance de 1953 comme valant
un titre territorial116. Tout au plus a-t-elle fait valoir que, dans ses écritures, la Malaisie avait
113 Voir le rapport de la commission des dommages de guerre, 1952, p. 33, annexe D. Il convient de noter
qu’aucun des rapports de cette commission ne fait expressément référence à la carte, de sorte que la Malaisie n’en a
appris l’existence que lorsqu’elle a été informée, le 9 novembre 2017, de sa découverte dans une collection privée.
114 Observations de Singapour, par. 5.3.
115 Ibid., par. 5.5.
116 Ibid., par. 5.3.
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soutenu que Singapour n’avait pas souveraineté sur Pedra Branca/Pulau Batu Puteh117. Il s’agit là
d’une base bien insuffisante pour affirmer que la Malaisie savait, au cours de la procédure
antérieure, qu’il existait des éléments prouvant qu’aucun accord n’avait jamais vu le jour entre les
Parties à l’effet de transférer la souveraineté du Johor à Singapour.
109. L’absence d’un tel accord était évidemment inconnue de la Cour elle-même, puisqu’un
élément crucial de son arrêt était précisément sa conclusion de fait selon laquelle un accord s’était
formé par suite d’une convergence informelle des vues des Parties quant à la souveraineté sur
Pedra Branca/Pulau Batu Puteh. N’ayant connaissance ni de l’existence des documents nouveaux
découverts ni de leur contenu, la Cour ne pouvait conclure à l’absence d’évolution convergente des
vues des Parties. Cette conclusion de fait et son importance de premier plan pour l’arrêt sont
examinées plus avant dans la suite de la partie III.
110. Contrairement aux vagues allégations de Singapour, les documents attestant ce fait
crucial n’ont été mis au jour par la Malaisie qu’après le mois d’août 2016, à la suite de recherches
dans les archives du Royaume-Uni. Les circonstances entourant la découverte de ces documents
sont précisées ci-après dans la section B.
B. Ignorance non due à une faute
111. Singapour plaide que la demande en revision de la Malaisie est irrecevable au motif
qu’elle ne répond pas à une autre condition encore, à savoir que le caractère tardif de la découverte
du fait ne doit pas être dû à une faute du demandeur. Elle affirme ainsi que «[l]a Malaisie n’a
pas … agi avec une diligence raisonnable en ce qu’elle n’a pas fait de recherches en vue de
découvrir l’ensemble des «documents nouveaux» sur lesquels elle se fonde aujourd’hui», estimant
que les documents en question lui étaient, «de par leur nature et leur teneur», accessibles «sans
grand effort» lors de la procédure initiale118.
112. La Malaisie relève que, s’agissant de la découverte d’éléments de preuve, la notion de
faute constitue, comme l’a expliqué M. Kaikobad, un critère objectif fondé sur le comportement
qu’il est raisonnablement permis d’attendre d’un Etat dans les circonstances de l’affaire119.
113. Cette formulation reflète l’approche suivie par la Cour dans l’affaire de la demande en
revision et en interprétation de l’arrêt Tunisie c. Libye. Dans cette affaire, la Cour, lorsqu’elle a
examiné le point de savoir s’il y avait eu, de la part de la Tunisie, faute à ignorer les limites exactes
d’une concession pétrolière accordée par la Libye, a déclaré ce qui suit :
«La Cour doit cependant rechercher si, en l’occurrence, la Tunisie avait les
moyens d’obtenir d’autres sources les coordonnées exactes de la concession ; et si au
demeurant il était de son intérêt de le faire. Dans l’affirmative, la Cour ne pense pas
que la Tunisie puisse faire état de ces coordonnées comme d’un fait qui lui aurait été
«inconnu» au sens de l’article 61, paragraphe 1, du Statut.»120
117 Ibid., par. 5.5.
118 Observations de Singapour, par. 5.16 et 5.21.
119 K. H. Kaikobad, Interpretation and Revision of International Boundary Decisions (Cambridge University
Press, 2007), p. 296.
120 Demande en revision et en interprétation de l’arrêt du 24 février 1982 en l’affaire du Plateau continental
(Tunisie/Jamahiriya arabe libyenne) (Tunisie c. Jamahiriya arabe libyenne), arrêt, C.I.J. Recueil 1985, p. 205, par. 23.
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114. Dans les paragraphes suivants, la Malaisie démontrera qu’il n’y avait rien de
déraisonnable à ce que, dans les circonstances de l’affaire initiale, elle n’ait pas, en dépit de ses
efforts considérables et soutenus, trouvé ou obtenu les documents qui étayent les faits nouveaux sur
lesquels sa demande en revision est fondée.
B.1. La Malaisie ignorait l’existence des documents nouveaux et n’avait aucune raison
de la soupçonner avant le prononcé de l’arrêt de 2008
115. Singapour fait grief à la Malaisie de n’avoir «présenté aucun élément attestant qu’elle
ait tenté d’une façon ou d’une autre d’obtenir les documents avant le prononcé de l’arrêt»121. Elle
ajoute que «[d]es recherches auraient permis de découvrir les «documents nouveaux» avant le
prononcé de l’arrêt»122. De telles affirmations sont extrêmement fallacieuses et fâcheuses.
116. Les affirmations de Singapour supposent en effet que la Malaisie avait connaissance de
l’existence des documents et qu’elle aurait donc dû tenter de les demander au Gouvernement
britannique avant le prononcé de l’arrêt. La Malaisie serait curieuse de savoir comment elle était
censée demander à obtenir des documents dont elle ignorait l’existence. Elle soutient qu’elle
ignorait leur existence et n’avait aucune raison de la soupçonner avant le prononcé de l’arrêt, de
sorte qu’il n’y avait pas lieu pour elle, lors de l’affaire initiale, de faire la moindre démarche auprès
du Gouvernement britannique en vue de les obtenir. En revanche, les documents en question étaient
accessibles à Singapour avant que l’arrêt de 2008 ne soit rendu, et celle-ci aurait pu les produire de
bonne foi au cours de la procédure initiale.
117. Singapour a beau prétendre que les faits nouveaux étaient, «de par leur nature et leur
teneur», à la portée de la Malaisie dans l’affaire initiale, cette allégation est clairement dépourvue
de fondement123. La Malaisie démontrera ci-après que les documents nouvellement découverts qui
sont produits sous les annexes 1 et 3 de la demande en revision ne sont en aucun cas
fondamentalement similaires aux documents auxquels Singapour tente de les assimiler, et encore
moins similaires «de par leur nature et leur teneur».
B.2. Comparaison entre la lettre de juillet 1953 produite par la Malaisie en l’affaire initiale et
le télégramme du 7 février 1958 figurant à l’annexe 1 de sa demande en revision
118. Singapour soutient que le télégramme du 7 février 1958 figurant à l’annexe 1 de la
demande en revision de la Malaisie ne met en lumière aucun fait nouveau étant donné qu’il est
similaire à une lettre de 1953 que la Malaisie avait produite en l’affaire initiale124.
119. Singapour tente de faire passer ces deux documents pour similaires pour la simple
raison que «[l]es deux correspondances, celle de 1953 et celle de 1958, portaient sur des questions
liées à une possible extension de la largeur de la mer territoriale au-delà de 3 milles marins». Elle
ajoute que, à en juger par la lettre de 1953,
«la Malaisie savait manifestement que la question de la mer territoriale faisait l’objet
de discussions internes à Singapour [et que,] pourtant, elle n’a produit aucun élément
121 Observations de Singapour, par. 5.9.
122 Ibid., chap. V, partie B, intitulé de la section 2.
123 Ibid., par. 5.1.
124 Lettre de juillet 1953 adressée au commissaire général adjoint aux affaires coloniales de Singapour par
A. G. B. Colton, pour le secrétaire colonial de Singapour (annexe 68 du mémoire de la Malaisie).
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établissant qu’elle ait engagé la moindre démarche auprès du Royaume-Uni pour
obtenir le document joint sous l’annexe 1»125.
La Malaisie ne saurait en aucun cas être réputée avoir eu connaissance du télégramme de 1958
simplement parce qu’elle avait connaissance de la lettre de 1953.
120. Singapour ne reconnaît pas que ces deux documents sont fondamentalement différents
l’un de l’autre. A cet égard, la Malaisie tient à souligner qu’il existe au moins deux différences de
taille entre le télégramme de 1958 et la lettre de 1953 : premièrement, le phare Horsburgh est
précisément mentionné dans le document de 1958, mais pas dans celui de 1953 et, deuxièmement,
l’objet des deux documents est sensiblement différent.
a) Absence de mention précise du phare Horsburgh
121. Tout d’abord, la lettre de 1953 ne contient absolument aucune référence ou mention
précise visant le phare Horsburgh. Elle diffère en cela radicalement du télégramme de 1958, qui
fait expressément référence au phare Horsburgh dans les termes suivants :
«Ce couloir devrait suivre le chenal de navigation normal d’ouest en est qui se
présente approximativement comme suit. A partir d’un point situé à 3 milles au nord
du phare Brothers jusqu’à un point situé à 1 mille au nord du phare Horsburgh, en
passant successivement par un point situé à 3 milles au sud du phare Sultan Shoal, un
point situé à 2 milles au sud du phare Raffles, et un point situé à mi-chemin entre le
point le plus méridional de St John’s Island et le phare Batu Berhanti.»
122. C’est cette référence au phare Horsburgh qui a alerté la Malaisie sur l’importance de ce
document pour la question de la souveraineté à l’égard de Pedra Branca/Pulau Batu Puteh. De fait,
les arguments avancés par la Malaisie dans sa demande en revision au sujet du télégramme de 1958
sont fondamentalement et précisément axés sur la proposition formulée par le gouverneur dans
celui-ci, à savoir l’aménagement spécial d’un couloir international de haute mer passant à
seulement 1 mille du phare Horsburgh.
123. La lettre de 1953 ne mentionne ni cette proposition ni aucune information à cet égard,
de sorte que le simple fait de l’avoir vue ne permettait nullement à la Malaisie d’entrevoir
l’existence du télégramme de 1958.
b) Différence d’objet
124. Ensuite, le document de 1953 et le télégramme de 1958 n’ont pas du tout le même
objet. Si l’un et l’autre sont certes liés dans une certaine mesure à l’évolution du droit de la mer,
leur teneur précise est cependant radicalement différente.
125. A ce propos, il est clair que la lettre de 1953 concerne essentiellement les effets de
l’arrêt rendu en 1952 dans l’affaire anglo-norvégienne des Pêcheries, tandis que le télégramme de
1958 renferme un échange de vues entre les plus hautes autorités singapouriennes qui faisait suite
aux travaux de la Commission du droit international. Il s’agit là de deux sujets de discussion
125 Observations de Singapour, par. 5.15.
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totalement distincts. Cela explique également que les arguments avancés par la Malaisie au sujet de
la lettre de 1953 dans l’affaire initiale fussent complètement différents de ceux qu’elle a exposés
dans sa demande en revision au sujet du télégramme de 1958.
126. Dans l’affaire initiale, la Malaisie invoquait la lettre de 1953 pour démontrer que, dans
l’esprit du secrétaire colonial de Singapour, l’étendue de la souveraineté singapourienne sur les îles
environnantes était fixée par le traité anglo-néerlandais et le traité Crawfurd de 1824 ainsi que par
l’accord de 1927126. Cette lettre s’inscrivait dans le sillage de l’arrêt de 1952 en l’affaire
anglo-norvégienne des Pêcheries. Elle n’avait rien à voir avec l’aménagement spécial d’un couloir
international de haute mer qui était proposé par le gouverneur de Singapour dans le télégramme de
1958, envoyé seulement cinq ans plus tard.
127. Si les deux correspondances avaient été liées, comme Singapour tente de le faire croire,
les autorités singapouriennes auraient expressément mentionné la lettre de 1953 dans le télégramme
de 1958 ou fait référence à celle-ci. Or elles n’en ont rien fait, et pour cause : les deux
correspondances n’ont guère de lien entre elles et ne sont en aucun cas, contrairement à ce
qu’affirme Singapour, fondamentalement similaires «de par leur nature et leur teneur», ou pour
quelque autre raison que ce soit.
B.3. Comparaison entre le croquis figurant à l’annexe 3 et la «série d’instructions»
prétendument mise à la disposition de la Malaisie avant le prononcé de l’arrêt de 2008
128. Singapour prétend que «l’ignorance fautive de la Malaisie est également établie
s’agissant du croquis produit à l’annexe 3 de sa demande en revision»127. Elle ajoute que «cette
série d’instructions contenant le croquis … était … partiellement reproduite dans l’annexe d’une
pièce de procédure écrite en l’affaire initiale». Elle se réfère en l’occurrence à l’annexe 33 de sa
réplique en l’affaire initiale. Des copies desdites instructions «contenant le croquis» auraient en
outre été distribuées à divers responsables malaisiens et seraient donc en la possession de la
Malaisie depuis plus de cinquante ans128.
129. Toutefois, le croquis de la Malaisie n’est tiré ni de l’annexe 33 de Singapour ni de la
«série d’instructions» dont des extraits étaient reproduits dans cette annexe. En réalité, Singapour
n’a produit aucun élément démontrant que le croquis de la Malaisie soit issu de la «série
d’instructions» dont l’annexe 33 contient des extraits.
130. De fait, après avoir examiné avec soin l’annexe 33 de Singapour, la Malaisie relève que
celle-ci ne contient que quelques documents, à savoir :
i) une lettre de couverture intitulée «Instructions à l’intention des navires effectuant des
patrouilles de défense du littoral de la Malaisie occidentale (MALPOS II)» ainsi que la
liste de distribution (pages i) et ii)) ;
ii) une table des matières (pages iii) et iv)) ; et
iii) l’annexe K, qui concerne les caractéristiques des bateaux [locaux], équipages et documents
nécessaires (pages k.1 à k.7)
126 Mémoire de la Malaisie, par. 238.
127 Observations de Singapour, par. 5.18.
128 Ibid., par. 5.23.
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131. Selon Singapour, le croquis de la Malaisie provient de la «même série d’instructions»
que celle qui avait été mise à la disposition de celle-ci avant le prononcé de l’arrêt de 2008. A cet
égard, la Malaisie se fonde sur un croquis précis qui est tiré d’un dossier particulier, et non sur la
version contenue dans l’un quelconque des autres dossiers mentionnés par Singapour.
132. En particulier, le croquis sur lequel la Malaisie se fonde comporte des annotations
manuscrites spécifiques qui ne figurent dans aucun autre dossier. Il fait partie de l’appendice 1 de
l’annexe B (zones de patrouille et navigation) de la série d’instructions à l’intention des navires
effectuant des patrouilles de défense du littoral de la Malaisie occidentale (deuxième édition)
(MALPOS II) qui se trouve dans le dossier DEFE 69/539 obtenu auprès des archives nationales du
Royaume-Uni.
133. Singapour prétend que la même série d’instructions figure également dans le
dossier DEFE 24/98 des archives nationales britanniques qui, selon elle, est «accessible à des fins
de recherche depuis janvier 1998»129. Elle n’a manifestement pas examiné attentivement le
dossier DEFE 24/98. Le croquis produit par la Malaisie à l’annexe 3 de sa demande en revision
comporte des annotations manuscrites que l’on ne retrouve pas dans le dossier DEFE 24/98. Ce fait
distingue les deux croquis, qui diffèrent «de par leur nature et leur teneur». En l’occurrence,
Singapour ne tient aucun compte du fait que ces annotations écrites sont l’une des raisons pour
lesquelles la Malaisie fait valoir le croquis.
134. Lesdites annotations manuscrites figurant sur le croquis du dossier DEFE 69/539 se
lisent comme suit :
«Note : le dispositif de couvre-feu nocturne décrit ci-dessus est revu tous les
mois par les autorités singapouriennes et au besoin reconduit. Actuellement
(février 1966), il n’y a aucun changement par rapport à celui qui est présenté
ci-dessus, sinon que les zones de pêche sont inactives.»
135. Il ressort clairement de ces annotations qu’elles ont été ajoutées en février 1966.
136. A cet égard, si l’on en juge par une page contenant la liste des amendements apportés au
dossier DEFE 69/539, la série d’instructions a fait l’objet de dix-sept modifications en tout, la
dernière datant du 12 juillet 1966. Surtout, deux modifications ont été apportées les 9 et
23 février 1966. Cela concorde avec les annotations manuscrites figurant sur le croquis de la
Malaisie, qui datent de février 1966.
137. Contrairement à celle qui se trouve dans le dossier DEFE 69/539, la liste des
amendements du dossier DEFE 24/98 montre que la série d’instructions contenue dans ce dernier
n’a été modifiée que cinq fois en tout. Surtout, la dernière modification est datée du 21 janvier
1966, de sorte que la version du croquis versée à ce dossier ne peut intégrer aucune des
modifications apportées en février 1966.
138. Cette comparaison montre bien que le croquis figurant dans le dossier DEFE 24/98 est
totalement différent de celui que la Malaisie a produit dans le cadre de sa demande en revision.
129 Observations de Singapour, par. 5.21.
58
59
- 31 -
139. Singapour fait en outre valoir que «la série d’instructions dont le croquis est extrait est
mentionnée dans l’ouvrage sur la marine royale australienne en Asie du Sud-Est rédigé par
M. Ian Pfennigwerth», dont «les recherches étaient déjà terminées et le manuscrit, mis au point
avant publication» en novembre 2007, avant le prononcé de l’arrêt de 2008130.
140. A ce sujet, la Malaisie relève là encore que le croquis produit par M. Pfennigwerth est
tout à fait différent du sien, puisqu’il ne comporte aucune annotation.
141. En fait, Singapour reconnaît que «la principale source» citée par M. Pfennigwerth
s’agissant des informations relatives au croquis est le «dossier DEFE 24/98  Rapport sur les
opérations navales en Malaisie orientale et occidentale, 1964-1966», à savoir le dossier
DEFE 24/98 obtenu auprès des archives nationales du Royaume-Uni. Ainsi qu’il a été exposé plus
haut, le croquis figurant dans ce dossier est totalement différent de celui produit par la Malaisie, qui
vient du dossier DEFE 69/539.
142. En ce qui concerne l’allégation de Singapour selon laquelle ladite «série d’instructions
contenant le croquis» a été distribuée à diverses autorités malaisiennes et est donc en possession de
la Malaisie depuis plus de cinquante ans131, la Malaisie constate que Singapour n’a pas présenté
l’ombre d’une preuve à l’appui de ses dires. La Malaisie relève de surcroît que :
a) la lettre de couverture contenue dans l’annexe 33 est une lettre-type que l’on retrouve
également dans plusieurs autres dossiers ; et que
b) cette lettre portant la date du 25 mars 1965, elle ne peut avoir été jointe au croquis annoté en
février 1966 sur lequel la Malaisie fait fond dans sa demande en revision.
143. Qui plus est, le croquis annoté à la main en février 1966 ne figure que dans le
dossier DEFE 69/539, lequel est un dossier du directeur de la politique navale en matière de
stratégie et d’armement (DNTWP, pour Director of Naval Tactical and Weapon Policy), qui relève
du ministère de la défense du Royaume-Uni. Ce dossier était classé «secret» et la Malaisie en
ignorait l’existence jusqu’à ce qu’elle le découvre le 8 novembre 2016.
144. La Malaisie considère que les annotations manuscrites figurant sur son croquis non
seulement présentent un caractère distinctif qui différencie ce croquis des autres, mais revêtent de
surcroît une valeur probante considérable. Le fait que le croquis de la Malaisie ait été réexaminé
chaque mois par les autorités singapouriennes et ce, jusqu’en février 1966 montre que, jusqu’en
1966, celles-ci estimaient que les droits territoriaux de Singapour ne s’étaient jamais étendus à
Pedra Branca/Pulau Batu Puteh. Partant, la Malaisie soutient que ce croquis ne vient de toute
évidence étayer en rien l’existence supposée d’une évolution convergente concernant le titre sur
l’île.
B.4. La législation britannique sur les archives
145. S’agissant des archives publiques du Royaume-Uni, les choses ne sont pas aussi simples
que Singapour tente de le faire croire. La situation initialement prévue par la loi sur les archives
130 Observations de Singapour, par. 5.20.
131 Ibid., par. 5.23.
60
61
- 32 -
publiques de 1958 (Public Records Act) (annexe E) était, selon le paragraphe 1 de l’article 5 de
celle-ci, la suivante :
«Les archives publiques sous la garde du Public Record Office, autres que celles
auxquelles les membres du public avaient accès avant qu’elles soient confiées à
celui-ci, ne seront ouvertes au public qu’après cinquante ans d’existence ou au terme
d’une autre période, plus longue ou plus courte, que le Lord Chancelier pourra, avec
l’accord ou à la demande du ministre ou de toute autre personne pouvant lui paraître
concernée au premier chef, prescrire à un moment donné à l’égard de telle ou telle
catégorie d’archives publiques.» [Traduction du Greffe.]
146. En 1958, lorsque cette loi a été promulguée, il n’existait pas de droit d’accès absolu aux
documents. Par exemple, le dossier FCO 141/14808, dont les documents versés aux annexes 1 et 2
sont extraits, n’aurait pu être ouvert au public qu’en 2009. Ce délai de cinquante ans a certes été
ramené par la suite à trente puis à vingt ans, mais il ressort clairement du paragraphe 1 de l’article 5
de la loi précitée que ce délai aurait tout aussi bien pu être étendu à la demande du «ministre ou de
toute autre personne». Ainsi, sauf le respect qui lui est dû, Singapour énonce une demi-vérité
lorsqu’elle affirme que les documents «devaient être rendu[s] accessibles au public après 30 ans
d’existence», étant donné que ce délai aurait pu être prolongé et tout droit d’accès, refusé.
147. Il convient également de relever que les dossiers FCO 141/14808 et DEFE 69/539
étaient l’un et l’autre classés «secret» et que leur ouverture au public était donc manifestement sous
le contrôle des services dont ils émanaient.
148. Singapour s’est référée à la promulgation, en 2005, de loi sur la liberté de l’information
(Freedom of Information Act) mais a omis de préciser à la Cour que la partie II de cette loi prévoit
certaines exemptions d’application obligatoire qui ont notamment trait à la sécurité nationale, à la
défense et aux relations internationales. Il est évident que les dossiers classés «secret» auraient
relevé de cette catégorie et qu’il aurait appartenu aux autorités compétentes de les déclassifier, ce
qu’elles ont fait, le moment venu. Les dispositions relatives aux exemptions sont les articles 24, 26
et 27 de la loi sur la liberté de l’information, notamment (annexe F).
149. Il est donc clair que la Malaisie n’a commis aucune faute mais a agi avec diligence et
fait de son mieux, en pareilles circonstances, pour chercher et obtenir les documents nécessaires.
150. Il convient en outre de noter que les archives nationales du Royaume-Uni ouvrent des
dossiers au public de manière continue. Des documents sont dévoilés au fur et à mesure et
continuent de l’être encore à l’heure actuelle, en 2017, comme le montre le programme des
transferts (annexe G).
151. Il est totalement déraisonnable d’attendre de la Malaisie qu’elle surveille sur une base
quotidienne, hebdomadaire ou même mensuelle le flot des documents mis à la disposition du public
par les archives nationales britanniques.
C. Respect des limites temporelles
152. L’article 61 du Statut subordonne la recevabilité d’une demande en revision à deux
limites temporelles. La première est une limite relative, en ce sens qu’une partie doit soumettre sa
demande dans un délai de six mois après la découverte d’un fait pertinent, quelle que soit la date de
62
63
- 33 -
cette découverte. La seconde limite revêt un caractère absolu, c’est-à-dire qu’une demande ne peut
être soumise une fois écoulé un délai de dix ans à dater du prononcé de l’arrêt.
153. La demande de la Malaisie satisfait à ces deux conditions temporelles.
C.1. La demande a été formée dans un délai de six mois après la découverte
154. En 2016, à l’approche de l’expiration du délai de dix ans (2018), le Gouvernement
malaisien a décidé de procéder à des recherches approfondies concernant la souveraineté sur
Pedra Branca/Pulau Batu Puteh, Middle Rocks et South Ledge. Son objectif était de découvrir
d’éventuels faits nouveaux qui seraient susceptibles de satisfaire aux exigences de l’article 61 du
Statut de la Cour, et donc la fonderaient à présenter une demande en revision de l’arrêt rendu le
23 mai 2008.
155. Ces recherches ont débuté le 4 août 2016 et ont consisté à interroger les archives
nationales du Royaume-Uni à Londres. Les archives nationales détiennent une vaste collection de
documents historiques qui concernent aussi bien la Malaisie que Singapour, et elles ouvrent au
public leurs dossiers coloniaux et autres documents de manière continue et progressive.
156. Les recherches ont été effectuées comme suit :
a) premièrement, il a été procédé à une recherche par mot clé dans le catalogue en ligne des
archives nationales, qui est accessible aux lecteurs enregistrés auprès des archives et se trouve
également dans le domaine public. Les principaux mots clés utilisés étaient «Malaya»,
«Singapore», «Johor» et «Johore». Le catalogue en ligne affichait alors les résultats de la
recherche, à savoir la liste de tous les dossiers disponibles contenant le mot clé utilisé ainsi
qu’un descriptif de chacun et des précisions sur les modalités d’accès. Il convient de noter
qu’un grand nombre de dossiers était disponible ;
b) deuxièmement, les dossiers disponibles ont été triés par date. A cet égard, l’équipe de recherche
les a scindés en deux groupes, à savoir les dossiers antérieurs à 1950 et ceux postérieurs à
1950 ;
c) troisièmement, l’équipe de recherche a examiné l’ensemble des dossiers disponibles sur la base
de leur descriptif. Elle a ensuite déterminé et marqué ceux qui étaient les plus susceptibles de
révéler d’éventuels faits nouveaux ;
d) quatrièmement, après avoir ainsi identifié les dossiers pertinents, l’équipe de recherche en a
demandé la version papier aux archives nationales. Elle a ensuite analysé les dossiers obtenus à
la recherche de faits nouveaux susceptibles de justifier la revision de l’arrêt ; et
e) cinquièmement, lorsqu’elle a trouvé et identifié un fait nouveau, l’équipe de recherche a
procédé aux vérifications nécessaires afin de s’assurer que celui-ci n’avait été dévoilé qu’après
le prononcé de l’arrêt de la Cour, le 23 mai 2008.
157. S’agissant des trois documents nouveaux qu’elle a mis au jour, la Malaisie affirme de
manière catégorique que tous ont été déposés dans le délai de six mois qui est prescrit à l’article 61
du Statut de la Cour, comme l’atteste clairement leur date effective de découverte, qui est précisée
ci-dessous.
64
65
- 34 -
158. Le télégramme confidentiel no 52 en date du 7 février 1958 qui a été adressé au
secrétaire d’Etat aux colonies par le gouverneur de la colonie de Singapour au sujet des eaux
territoriales ainsi que le mémorandum relatant l’incident du Labuan Haji survenu le 25 février 1958
et sa note d’accompagnement figuraient dans un seul et même dossier (portant la cote
FCO 141/14808). Ce dossier a été découvert par l’équipe de recherche le 4 août 2016 (annexe H).
Il avait été ouvert au public le 27 septembre 2013 (annexe I).
159. Le dossier contenant la carte datée du 25 mars 1962 illustrant les zones d’accès restreint
ou interdit dans les eaux territoriales singapouriennes (à savoir le dossier DEFE 69/539) a été
découvert par l’équipe de recherche le 8 novembre 2016 (annexe J). Sa date d’ouverture au public
n’a cependant pu être déterminée (annexe K). L’équipe de recherche a alors tenté d’établir cette
date de la manière prescrite par les archives nationales britanniques, comme le confirment les
messages électroniques qu’elle a échangés avec les archives les 19 et 21 janvier 2017 (annexe L).
Singapour a reçu une réponse différente des archives britanniques, et il est stupéfiant que celles-ci
aient pu, d’une part, répondre à la Malaisie qu’elles ne pouvaient lui confirmer la date de mise à la
disposition du public des documents concernés mais, de l’autre, fournir une date précise à
Singapour lorsque celle-ci leur a posé la même question. A ce propos, la Malaisie exhorte la Cour à
accueillir la date fournie par Singapour avec une certaine prudence étant donné que celle-ci n’est
manifestement corroborée par aucun document contemporain qui attesterait que le dossier a
effectivement été mis à la disposition du public à la date antérieure fournie par Singapour.
160. Compte tenu de ce qui précède, la Malaisie a de toute évidence satisfait à l’obligation
énoncée à l’article 61 de former sa demande en revision dans un délai de six mois après la
découverte des documents nouveaux.
a) M. Shaharil
161. Singapour prétend également que les documents présentés par la Malaisie à l’appui de
sa demande en revision ne satisfont pas au délai de six mois prévu à l’article 61 au motif que les
éléments qu’ils renferment «coïncident dans une large mesure» avec le contenu d’un blog publié
sur Internet par un certain M. Shaharil132. Elle soutient que «[c]e dernier avait déjà connaissance
des documents annexés à la demande au début de l’année 2015, si ce n’est avant», et ajoute que
tout fait connu de M. Shaharil doit être réputé connu de la Malaisie puisque l’intéressé a participé
aux audiences en l’affaire initiale.
162. Selon R. Geiß133, en l’absence d’autorité particulière à l’appui d’une telle règle,
l’attribution d’une connaissance à l’Etat demandeur lors d’une procédure en revision s’opère par
analogie avec l’article 4 des articles de la Commission du droit international sur la responsabilité de
l’Etat pour fait internationalement illicite (2001)134. D’après cet article, seule la connaissance des
organes de l’Etat doit être considérée comme une connaissance de l’Etat lui-même. Le
paragraphe 1 de l’article 4 est ainsi libellé :
«Le comportement de tout organe de l’Etat est considéré comme un fait de
l’Etat d’après le droit international, que cet organe exerce des fonctions législative,
exécutive, judiciaire ou autres, quelle que soit la position qu’il occupe dans
132 Observations de Singapour, par. 5.30-5.31.
133 R. Geiß, «Revision Proceedings before the International Court of Justice» (2003), Zeitschrift für ausländisches
öffentliches Recht und Völkerrecht, vol. 63, p. 187.
134 Annexés à la résolution 56/83 de l’Assemblée générale en date du 12 décembre 2001.
66
67
- 35 -
l’organisation de l’Etat, et quelle que soit sa nature en tant qu’organe du
gouvernement central ou d’une collectivité territoriale de l’Etat.»
163. En réponse à cette tentative d’assimiler d’une certaine façon sa connaissance à celle de
M. Shaharil, la Malaisie apportera quelques éclaircissements sur les fonctions passées et actuelles
de l’intéressé. M. Dato’ Dr Shaharil Talib a été professeur et directeur du département d’études de
l’Asie du Sud-Est à l’Université de Malaya. Le cabinet de l’Attorney General l’a engagé sur une
base contractuelle au poste de directeur du service des études spéciales, que M. Shaharil a occupé
du 1er septembre 2005 au 31 août 2013. M. Shaharil a également été conseiller historique du
cabinet de l’Attorney General du 1er septembre 2009 au 31 août 2013. Il a exercé la fonction de
consultant auprès de la délégation malaisienne dans l’affaire relative à la Souveraineté sur
Pedra Branca/Pulau Batu Puteh, Middle Rocks et South Ledge (Malaisie/Singapour).
164. Les fonctions de M. Shaharil auprès du gouvernement ont pris fin le 31 août 2013. De
plus, le cabinet de l’Attorney General n’a pas réengagé l’intéressé lorsque son contrat est arrivé à
terme en 2013. Il lui a délivré dans ce contexte une attestation de bons et loyaux services le
19 juillet 2013 (annexe M).
165. M. Shaharil n’a été engagé ni par le cabinet de l’Attorney General ni par le
Gouvernement malaisien aux fins de l’actuelle demande en revision de la Malaisie, pas plus qu’il
n’a participé de quelque façon que ce soit à l’établissement de celle-ci.
166. A cet égard, il est intéressant de relever que certaines des informations figurant dans le
curriculum vitae fourni par M. Shaharil via son blog sont inexactes, notamment celles, sous la
rubrique «expérience professionnelle», selon lesquelles l’intéressé serait toujours directeur du
service des études spéciales du cabinet de l’Attorney General, un poste qu’il aurait occupé de
«2005 à ce jour». C’est tout simplement faux.
167. Le blog de M. Shaharil, qui s’intitule «[d]éfendre la recherche», ne renferme que ses
vues et opinions personnelles au sujet de l’affaire relative à la Souveraineté sur Pedra
Branca/Pulau Batu Puteh, Middle Rocks et South Ledge (Malaisie/Singapour), et ni le cabinet de
l’Attorney General ni le Gouvernement malaisien n’y sont associés d’une façon ou d’une autre. La
clause limitative de responsabilité figurant sur ce blog le confirme en ces termes :
«Les informations et analyses fournies sur le présent blog le sont à titre
personnel par l’auteur, en sa qualité d’universitaire, et ne reflètent en rien la position
d’un quelconque organe du gouvernement. Toutes les données présentées sur ce blog
relèvent du domaine public et sont sans préjudice de la politique officielle.»
168. M. Shaharil a publié en tout quinze articles sur son blog. Aucun des documents
contenus dans les annexes 1 à 3 de la demande ni aucune information permettant de les identifier
précisément n’ont été communiqués au Gouvernement malaisien ou à l’un quelconque de ses
organes à quelque moment que ce soit. Quatorze de ces quinze articles ne faisaient qu’exposer
l’analyse personnelle de M. Shaharil quant à l’arrêt rendu par la Cour en 2008, aux éléments de
preuve produits par les deux Parties et à la procédure de la Cour.
169. M. Shaharil a publié sur son blog un article en date du 24 mars 2015 intitulé «[f]aits
nouveaux en faveur d’une demande en revision» dans lequel il fait référence à la mise à la
disposition du public de trois documents datant respectivement de 1907, 1927 et 1958.
68
69
- 36 -
170. Il importe de noter qu’aucune des annexes de la demande en revision ne contient de
documents de ces années-là.
171. Les dates des documents produits dans les annexes sont les suivantes :
 Annexe 1 : 1er janvier 1957 –– 31 décembre 1959
 Annexe 2 : 1er janvier 1957 –– 31 décembre 1959
 Annexe 3 : 1er janvier 1966 –– 31 décembre 1967.
172. M. Shaharil prétend que les «faits nouveaux» ressortent des trois documents dont il fait
mention. Toutefois, dans l’exposé publié sur son blog, l’intéressé semble faire référence à quatre
documents, à savoir :
173. Document de l’année 1907 : M. Shaharil affirme que le «fait nouveau» réside dans une
lettre dans laquelle sir John Anderson, qui était alors gouverneur de la colonie des Etablissements
des détroits, confirmait que l’Etablissement de Singapour ne possédait, dans le détroit de
Singapour, aucun territoire situé à plus de 10 milles géographiques de son île principale. Aucune
information tirée de ce document de 1907 n’a été utilisée dans la demande en revision.
174. Document de l’année 1927 : M. Shaharil affirme que le «fait nouveau» réside dans le
texte original de l’«accord signé en 1927 entre la colonie des Etablissements des détroits et l’Etat et
le territoire du Johore», qui vient selon lui démontrer qu’«[i]l n’y avait pas de délimitation à
effectuer entre les eaux territoriales de Pedra Branca/Pulau Batu Puteh, dans le détroit de
Singapour, et celles du territoire continental du Johore, comme l’[a] reconnu le Parlement
britannique, qui a ratifié l’accord en 1928».
175. Troisième document : M. Shaharil affirme que ce document a été classé sous l’intitulé
««Tidelands Oil» and U.S. Territorial Waters» (««Tidelands Oil» et eaux territoriales des
Etats-Unis»). Il ne donne pas la date du document en question. Toujours est-il qu’aucune
information figurant dans un quelconque document classé sous cet intitulé n’a été utilisée dans la
demande en revision.
176. Quatrième document : M. Shaharil se borne à déclarer, sans préciser de quel document
il s’agit, que le dernier élément de preuve «est encore un autre document rendu public en 2013 par
les archives du Royaume-Uni». Il ajoute qu’«[i]l n’est fait aucune mention du phare Horsburgh et
de Pedra Branca/Pulau Batu Puteh dans la liste des intrusions dans les eaux territoriales
singapouriennes».
177. Le blog ne donne aucune information permettant de savoir précisément à quel
document M. Shaharil fait référence. Rien ne permet de laisser entendre que le Gouvernement
malaisien avait déjà connaissance d’un quelconque fait nouveau, de sorte que sa demande en
revision ne serait pas conforme aux dispositions du paragraphe 4 de l’article 61 du Statut de la
Cour.
178. Au surplus, Singapour soulève la question de l’interdiction supposée de l’accès au blog
de M. Shaharil. La question n’a aucune importance. Le blog en question est accessible à Singapour
70
71
- 37 -
et partout ailleurs. De fait, Singapour s’y est abondamment référée et n’a donc n’a manifestement
été lésée d’aucune façon, ni empêchée de le consulter.
C.2. La demande en revision a été formée dans un délai de dix ans à dater de l’arrêt
179. Singapour a reconnu dans ses observations que la Malaisie avait satisfait à l’obligation
de former sa demande en revision dans un délai de dix ans à dater de l’arrêt, étant donné qu’elle a
déposé sa demande le 2 février 2017, dans les dix ans suivant le prononcé de l’arrêt du
23 mai 2008.
180. Cela étant, la Malaisie ne peut laisser passer sans réagir les insinuations répétées de
Singapour, dans ses observations, selon lesquelles elle n’aurait pas fait preuve de bonne foi en
déposant sa demande vers la fin du délai de dix ans prévu par l’article 61.
181. La Malaisie relève que l’article 61 l’autorise à présenter une demande en revision à tout
moment au cours du délai de dix ans suivant le prononcé de l’arrêt (pourvu, bien entendu, que
celle-ci satisfasse également à toutes les autres conditions de recevabilité). Aucune disposition du
Statut ou du Règlement de la Cour ne laisse entendre qu’une demande ne puisse être formée que
peu après la date de l’arrêt, ou qu’elle doive l’être le plus tôt possible. La Cour n’a assurément émis
aucune objection concernant cette condition de recevabilité lorsqu’El Salvador a formé sa demande
en revision le tout dernier jour du délai de dix ans prescrit par l’article 61135.
182. Le délai de six mois prévu à l’article 61 vise à faire obstacle à d’éventuelles tentatives,
par les Etats, de retarder ou de reporter le dépôt d’une demande en revision à des fins stratégiques
ou autres.
183. La Malaisie rejette toute insinuation selon laquelle elle aurait tardé à déposer sa
demande, pour quelque raison que ce soit.
184. La Malaisie a toujours exprimé son adhésion à l’arrêt de la Cour, comme Singapour l’a
elle-même reconnu, et elle a contribué aux mesures prises pour en assurer la mise en oeuvre par les
Parties. Elle n’a présenté cette demande en revision que parce qu’elle a découvert certains
documents qui jettent le doute sur le tableau factuel lacunaire sur la base duquel la Cour a rendu
son arrêt en 2008.
185. La Malaisie ne s’est pas engagée dans cette procédure à la légère ni sans dûment
accorder au principe du caractère stable et définitif le respect exigé par la justice internationale.
Cela étant, il est dans l’intérêt de la justice de veiller à ce que l’arrêt de la Cour soit fondé sur un
constat exact des faits pertinents ; or ces faits ne sont pleinement connus qu’aujourd’hui, grâce aux
documents nouveaux découverts par la Malaisie et portés devant la Cour.
135 El Salvador a déposé le 10 septembre 2002 sa demande en revision de l’arrêt rendu le 11 septembre 1992 par
une Chambre de la Cour en l’affaire du Différend frontalier terrestre, insulaire et maritime (El Salvador/Honduras;
Nicaragua (intervenant)). La Chambre a déclaré la demande d’El Salvador irrecevable, jugeant que l’un des faits allégués
n’exerçait pas une influence décisive sur son arrêt et que l’autre fait allégué ne constituait pas un fait nouveau au sens de
l’article 61. C.I.J. Recueil 2003, p. 409-411, par. 49-59.
72
- 38 -
186. C’est pour cette raison, et dans cet esprit, que la Malaisie a respectueusement soumis à
la Cour sa demande en revision.
IV. RÉSUMÉ DE L’ARGUMENTATION DE LA MALAISIE
187. Conformément à l’instruction de procédure II, voici un bref résumé de l’argumentation
exposée dans les présentes observations :
a) les documents sur lesquels la demande en revision de la Malaisie reposent non seulement
constituent des documents nouveaux, en ce sens que la Cour n’en disposait pas en l’affaire
initiale, mais contiennent en outre de nouveaux éléments de preuve, en tant qu’ils portent sur
une question qui n’était pas envisagée dans les pièces du dossier soumis à la Cour en l’instance
initiale.
b) Les documents nouveaux constituent des faits nouveaux au sens prêté à ce terme à l’article 61
du Statut et dans la jurisprudence de la Cour y afférente, celle-ci ayant interprété cette
disposition comme visant de manière générale tout élément probant, quelle qu’en soit la forme.
c) Les éléments de preuve qui ressortent des documents nouveaux touchent au coeur même de
l’appréciation de la Cour, sur laquelle l’arrêt de 2008 était fondé, concernant l’effet, le poids et
les conséquences de la correspondance de 1953 et la communauté de vues implicite, ou l’accord
tacite, dont la Cour a entrevu l’existence entre les Parties à partir de 1953 et dans les années
suivantes, à l’effet de considérer que la souveraineté de la Malaisie sur Pedra Branca/Pulau
Batu Puteh avait été transférée à Singapour.
d) L’existence d’une communauté de vues, sur laquelle l’arrêt de 2008 était fondé, n’est pas une
question que les Parties avaient envisagée dans leurs arguments lors de la procédure ayant
débouché sur cet arrêt. Ce fait corrobore la conclusion selon laquelle les éléments de preuve
tirés des documents récemment découverts qui sont invoqués en l’espèce constituent
effectivement des éléments nouveaux.
e) Le raisonnement suivi dans l’arrêt de 2008 était fondé sur un équilibre subtil, entre une pratique
variable et des appréciations nuancées des vues des Parties. Dans ces conditions, pour savoir si
le fait nouveau satisfait au critère de l’influence décisive énoncé à l’article 61 du Statut, il
convient de déterminer non pas s’il aurait conduit la Cour à une conclusion différente, mais s’il
pourrait la conduire aujourd’hui à une conclusion différente sur le point sur lequel l’arrêt de
2008 était fondé.
f) La distinction entre ces deux critères –– qui consistent respectivement à rechercher si le fait
nouveau «aurait conduit la Cour à une conclusion différente» ou «s’il pourrait la conduire
aujourd’hui à une conclusion différente» –– est extrêmement importante car elle fait toute la
différence entre la procédure relative à la recevabilité et celle relative au fond. Le critère de
recevabilité établi à l’article 61 du Statut ne saurait être interprété d’une manière qui, de fait,
viendrait opposer un obstacle insurmontable à la réouverture d’affaires qui, dans l’intérêt d’une
bonne administration de la justice internationale, nécessitent un réexamen.
g) La demande en revision répond à tous les critères énoncés à l’article 61 du Statut concernant le
devoir de diligence et les délais. Les documents que la Malaisie invoque en l’espèce ne lui
étaient pas accessibles avant le prononcé de l’arrêt de 2008 ou, s’ils l’étaient, n’étaient pas aisés
à découvrir.
h) S’agissant de l’allégation de Singapour selon laquelle les faits nouveaux mis en avant par la
Malaisie ont été rendus publics par M. Shaharil plus de deux ans avant le dépôt de la demande
en revision, ce dernier n’a ni publié, ni même semblé identifier, les documents produits et
73
74
75
- 39 -
invoqués par la Malaisie en l’espèce. Le fait qu’une personne qui fut un temps associée au
Gouvernement malaisien ait déclaré, de manière infondée, que de nouveaux documents
venaient jeter le doute sur l’arrêt de 2008 ne saurait porter préjudice à la Malaisie et la pénaliser
dans le cadre de sa demande en revision.
i) Si certains documents du dossier de l’affaire initiale pourraient, en surface, sembler avoir le
même objet que ceux sur lesquels repose la demande en revision, les documents nouveaux
diffèrent toutefois sensiblement, de par certains aspects pertinents et importants, de tout ce qui a
pu être produit devant la Cour en l’instance initiale.
V. CONCLUSIONS
188. Pour les raisons exposées ci-dessus, la Malaisie prie la Cour de dire et juger :
a) qu’il existe un fait nouveau de nature à exercer une influence décisive au sens de l’article 61 de
son Statut ;
b) que la demande en revision présentée par la Malaisie est recevable ; et
c) qu’il lui incombe, conformément à l’article 99 de son Règlement, de fixer un calendrier en vue
de l’examen au fond de la demande en revision.
J’ai l’honneur de soumettre à la Cour les observations écrites et documentation
additionnelles de la Malaisie dans le cadre la Demande en revision de l’arrêt du 23 mai 2008 en
l’affaire relative à la Souveraineté sur Pedra Branca/Pulau Batu Puteh, Middle Rocks et South
Ledge (Malaisie/Singapour) (Malaisie c. Singapour), ainsi que les annexes correspondantes.
Lesdites observations écrites et documentation additionnelles sont présentées conformément
à la lettre en date du 9 octobre 2017 par laquelle le greffier a fait savoir aux Parties que la Cour
avait décidé d’en autoriser le dépôt. Conformément aux règles et à la pratique de la Cour
respectivement applicables à cet égard, je soumets par la présente un exemplaire dûment signé des
observations écrites.
J’ai le plaisir de certifier que les copies des documents annexés sont conformes aux
originaux.
Le 11 décembre 2017.
L’ambassadeur de la Malaisie auprès du Royaume des Pays-Bas,
coagent de la Malaisie,
M. Dato’ Ahmad NAZRI YUSOF.
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VI. LISTE DES ANNEXES
[Annexes non traduites]
Annexe A Coupures de presse additionnelles relatives à l’incident du Labuan Haji
Annexe B Dossier DEFE 69/539 : «Opérations navales dans les détroits de Malacca et
Singapour, 1964-1966»
Annexe C Dossier WO 268/802 : «Offensive indonésienne contre la Malaisie occidentale (à
l’exclusion des actes de piraterie et infiltrations non détectées)»
Annexe D Carte intitulée «Johore, 1937» et rapport de la commission des dommages de
guerre pour l’année 1952
Annexe E Loi britannique de 1958 sur les archives publiques (Public Records Act)
Annexe F Loi britannique de 2000 sur la liberté de l’information (Freedom of Information
Act)
Annexe G Programme de transfert aux archives nationales du Royaume-Uni des dossiers
conservés par le ministère britannique des affaires étrangères et du
Commonwealth, avec copie de la liste des dossiers transférés entre janvier et juin
2017
Annexe H Page de couverture du dossier FCO 141/14808 avec justificatif de retrait
Annexe I Descriptif des archives nationales du Royaume-Uni concernant le dossier
FCO 141/14808
Annexe J Page de couverture du dossier DEFE 69/539 avec justificatif de retrait
Annexe K Descriptif des archives nationales du Royaume-Uni concernant le dossier
DEFE 69/539
Annexe L Correspondance entre l’équipe de recherche malaisienne et les archives
nationales du Royaume-Uni en date des 19 et 21 janvier 2017
Annexe M Attestation de bons et loyaux services datée du 19 juillet 2013 et délivrée à
M. Shaharil par le cabinet de l’Attorney General de la Malaisie
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Observations écrites et documentation additionnelles de la Malaisie

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