COUR INTERNATIONALE DE JUSTICE
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Résumé
Document non officiel
Résumé 2017/1
Le 2 février 2017
Délimitation maritime dans l’océan Indien (Somalie c. Kenya)
Résumé de l’arrêt du 2 février 2017
I. NTRODUCTION (PAR . 15-30)
La Cour commence par relever que la Somalie et le Kenya sont deux Etats d’Afrique de l’Est
dont les côtes sont adjacentes. Située dans la corne de l’Afrique, la Somalie partage une frontière
avec le Kenya au sud-ouest, l’Éthiopie à l’ouest et Djibouti au nord-ouest. Sa côte septentrionale
donne sur le golfe d’Aden et sa côte orientale, sur l’océan Indien. Le Kenya, quant à lui, partage
une frontière terrestre avec la Somalie au nord-est, l’Ethiopie au nord, le Soudan du Sud au
nord-ouest, l’Ouganda à l’ouest et la Tanzanie au sud. Son littoral donne sur l’océan Indien. Le
Kenya et la Somalie ont tous deux signé la convention des Nations Unies sur le droit de la mer
(CNUDM) le 10 décembre 1982. Ils l’ont ratifiée le 2 mars et le 24 juillet 1989, respectivement, et
la convention est entrée en vigueur à leur égard le 16 novembre 1994. Selon le paragraphe 8 de
l’article 76 de la CNUDM, l’Etat partie qui entend fixer la limite extérieure de son plateau
continental au-delà de 200 milles marins doit présenter des informations sur celle-ci à la
Commission des limites du plateau continental. La Commission a pour fonction d’adresser aux
Etats côtiers des recommandations sur des questions concernant la fixation de la limite extérieure
de leur plateau continental au-delà de 200 milles marins. Dans le cas d’espaces maritimes faisant
l’objet d’un différend, l’annexe I du règlement intérieur de la Commission des limites, intitulée
«Demandes relatives à des différends entre Etats dont les côtes sont adjacentes ou se font face, ou
relatives à d’autres différends maritimes ou terrestres non résolus», précise que la Commission ne
peut examiner des demandes touchant de tels espaces sans l’accord préalable de tous les Etats
concernés.
La Cour rappelle que, le 7 avril 2009, le ministre kényan des affaires étrangères et le ministre
somalien de la planification nationale et de la coopération internationale ont signé un
«Mémorandum d’accord entre le Gouvernement de la République du Kenya et le Gouvernement
fédéral de transition de la République somalienne, par lequel chacun s’engage[ait] à ne pas objecter
aux communications de l’autre à la Commission des limites du plateau continental sur les limites
extérieures du plateau continental au-delà de 200 milles marins». Le 14 avril 2009, la Somalie a
communiqué au Secrétaire général de l’Organisation des Nations Unies des informations
préliminaires indicatives sur la limite extérieure du plateau continental au-delà de 200 milles
marins. Le 6 mai 2009, le Kenya a déposé auprès de la Commission sa demande concernant la
limite du plateau continental au-delà de 200 milles marins. En juin 2009, le Kenya a soumis le
mémorandum d’accord au Secrétariat de l’Organisation des Nations Unies pour enregistrement et
publication en application de l’article 102 de la Charte des Nations Unies. Le Secrétariat a
enregistré ce mémorandum le 11 juin 2009 et l’a publié dans le Recueil des traités des
Nations Unies. Dans les années qui ont suivi, chacune des Parties a formulé puis levé une - 2 -
objection à l’examen de la demande de l’autre par la Commission. Celle-ci est à présent saisie de
l’examen desdites demandes.
Le 28 août 2014, la Somalie a introduit une instance contre le Kenya devant la Cour, priant
celle-ci de déterminer, conformément au droit international, le tracé de la frontière maritime unique
départageant l’ensemble des espaces maritimes relevant du Kenya et d’elle-même dans l’océan
Indien, y compris le plateau continental au-delà de 200 milles marins. La Somalie a invoqué,
comme base de compétence en la présente espèce, les déclarations d’acceptation de la juridiction
de la Cour faites par le Kenya et elle-même. Le Kenya a toutefois soulevé deux exceptions
préliminaires, dont l’une a trait à la compétence de la Cour et l’autre à la recevabilité de la requête.
II.PREMIÈRE EXCEPTION PRÉLIMINAIRE :
LA COMPÉTENCE DE LA COUR (PAR . 31-133)
Dans sa première exception préliminaire, le Kenya soutient que la Cour n’a pas compétence
pour connaître de la présente affaire du fait de l’une des réserves à sa déclaration d’acceptation qui
exclut du champ de la compétence de la Cour les différends au sujet desquels les Parties sont
convenues «d’avoir recours à un autre mode ou à d’autres modes de règlement». Il fait valoir que
le mémorandum constitue un accord à l’effet d’avoir recours à un tel autre mode de règlement. Il
ajoute que les dispositions pertinentes de la CNUDM sur le règlement des différends constituent
également un accord quant au mode de règlement.
La Cour examine tout d’abord le mémorandum d’accord et la question de savoir si cet
instrument entre dans le champ de la réserve du Kenya. Elle commence par analyser le statut
juridique du mémorandum en droit international. Elle explique que si elle conclut à la validité de
cet instrument, elle en entreprendra l’interprétation puis en précisera les effets éventuels sur sa
compétence en l’espèce. Si elle estime que le mémorandum ne rend pas applicable, dans la
présente affaire, la réserve à la déclaration formulée par le Kenya en vertu de la clause facultative
contenue au paragraphe 2 de l’article 36 de son Statut, la Cour traitera l’argument de cet Etat
tendant à écarter en l’espèce sa compétence en raison des dispositions de la partie XV de la
CNUDM.
A. Le mémorandum d’accord (par. 36-106)
1. Le statut juridique du mémorandum d’accord en droit international (par. 36-50)
La Cour considère que, pour apprécier si le mémorandum d’accord a un quelconque effet sur
sa compétence, il y a tout d’abord lieu pour elle d’examiner la question de savoir si cet instrument
constitue un traité en vigueur entre les Parties.
Selon le droit international coutumier des traités, qui est applicable en l’espèce étant donné
que ni la Somalie ni le Kenya n’est partie à la convention de Vienne de 1969 sur le droit des traités,
un accord international conclu par écrit entre Etats et régi par le droit international constitue un
traité. Le mémorandum est un document écrit, dans lequel les Parties ont consigné certains points
d’accord régis par le droit international. Le fait qu’il renferme une disposition gouvernant son
entrée en vigueur est une indication de son caractère contraignant. Le Kenya l’a regardé comme un
traité puisqu’il en a demandé l’enregistrement conformément à l’article 102 de la Charte des
Nations Unies, enregistrement contre lequel la Somalie n’a protesté que près de cinq ans plus tard.
En outre, il ressort des termes mêmes du mémorandum prévoyant expressément l’entrée en vigueur
de celui-ci à sa signature, ainsi que du libellé de l’autorisation donnée au ministre somalien, que
cette signature exprimait le consentement de la Somalie à être liée par cet instrument en droit
international. La Cour en conclut que le mémorandum d’accord est un traité valide qui est entré en
vigueur à sa signature et lie les Parties en droit international. - 3 -
2. L’interprétation du mémorandum d’accord (par. 51-105)
La Cour en vient à l’interprétation du mémorandum d’accord. Cet instrument se compose de
sept paragraphes non numérotés. Afin de faciliter leur identification, la Cour a estimé opportun de
désigner chacun d’entre eux par un numéro dans le cadre de son analyse.
Pour interpréter le mémorandum d’accord, la Cour applique les règles énoncées en la matière
aux articles 31 et 32 de la convention de Vienne, dont elle a invariablement considéré qu’elles
expriment le droit international coutumier. Aux termes du paragraphe 1 de l’article 31 de la
convention de Vienne, «[u]n traité doit être interprété de bonne foi suivant le sens ordinaire à
attribuer [à ses] termes … dans leur contexte et à la lumière de son objet et de son but». Ces
éléments d’interprétation — à savoir le sens ordinaire, le contexte, l’objet et le but — doivent être
considérés comme un tout. Le paragraphe 2 de l’article 31 expose ce qui constitue le contexte. Le
paragraphe 3 dudit article prévoit qu’il sera tenu compte, en même temps que du contexte, de tout
accord ultérieur intervenu entre les parties au sujet de l’interprétation ou de l’application du traité,
de toute pratique ultérieurement suivie par laquelle un tel accord est établi, et de toute règle
pertinente de droit international applicable dans les relations entre les parties.
Le sixième paragraphe du mémorandum d’accord est au cœur de la première exception
préliminaire à l’examen. Il est toutefois difficile de comprendre ce paragraphe sans une analyse
préalable du texte du mémorandum pris dans son ensemble, qui constitue le contexte dans lequel
les différents paragraphes de cet instrument doivent être interprétés et renseigne sur l’objet et le but
de celui-ci. Aussi la Cour commence-t-elle par cette analyse, avant d’examiner le sixième
paragraphe.
La Cour observe que l’intitulé du mémorandum et ses cinq premiers paragraphes indiquent
l’objectif de faire en sorte que la Commission des limites soit en mesure d’examiner les demandes
soumises par la Somalie et le Kenya concernant la limite extérieure du plateau continental au-delà
de 200 milles marins, et de formuler des recommandations à ce sujet, nonobstant l’existence d’un
différend maritime entre les deux Etats, préservant ainsi la distinction entre la délimitation finale de
la frontière maritime et le processus engagé devant la Commission en vue de la délinéation. Quant
au sixième paragraphe, sur lequel les Parties ont plus particulièrement axé leur argumentation le
Kenya soutenant qu’il énonce le mode de règlement convenu en ce qui concerne le différend relatif
à la frontière maritime , il prévoit que la délimitation dans les zones en litige «fera l’objet d’un
accord entre les deux Etats côtiers sur la base du droit international après que la Commission aura
achevé l’examen des communications séparées effectuées par chacun des deux Etats côtiers et
formulé ses recommandations». La question qui se pose à la Cour est celle de savoir si, dans ce
sixième paragraphe, les Parties sont convenues de régler leur différend relatif à la délimitation
autrement qu’en estant devant elle, et d’attendre les recommandations de la Commission des
limites avant de pouvoir procéder à un tel règlement.
Le sixième paragraphe du mémorandum a pour objet «la délimitation des frontières
maritimes dans les zones en litige, y compris la délimitation du plateau continental au-delà de
200 milles marins». L’emploi de la locution «y compris» implique que les Parties n’entendaient
pas restreindre la délimitation des «zones en litige» à celle du plateau continental au-delà de
200 milles marins. Les Parties ont expressément précisé que l’expression «zone en litige»
désignait la zone où leurs prétentions à un plateau continental entraient en concurrence, sans faire
de distinction entre la portion du plateau située en deçà de 200 milles marins et la portion située
au-delà. En outre, il ressort de l’ensemble du texte que le mémorandum ne visait, pour autant qu’il
fût question de délimitation, que la zone du plateau continental, tant en deçà qu’au-delà des
200 milles marins mesurés à partir des côtes respectives des deux Etats. Partant, le sixième
paragraphe n’a trait qu’à la délimitation du plateau continental, «y compris … au-delà de
200 milles marins», et ne concerne ni la délimitation de la mer territoriale, ni celle de la zone
économique exclusive. Il s’ensuit que, même si, comme le prétend le Kenya, ce paragraphe
prescrit un mode de règlement du différend des Parties concernant leur frontière maritime, ce mode - 4 -
ne s’appliquerait qu’à leur frontière délimitant le plateau continental, et non à leurs frontières dans
les autres espaces maritimes.
La Cour en vient à la question de savoir si le sixième paragraphe, en prévoyant que la
délimitation du plateau continental entre les Parties «fera l’objet d’un accord … sur la base du droit
international après que la Commission aura achevé l’examen des communications séparées
effectuées par chacun[e d’elles] et formulé ses recommandations», établit un mode de règlement du
différend relatif à la frontière maritime qui oppose les Parties s’agissant de cette zone particulière.
La Cour rappelle que, selon la règle de droit international coutumier applicable, le sixième
paragraphe doit être interprété de bonne foi, suivant le sens ordinaire à attribuer à ses termes dans
leur contexte et à la lumière de l’objet et du but du mémorandum. En application de l’alinéa c) du
paragraphe 3 de l’article 31 de la convention de Vienne, «toute règle pertinente de droit
international applicable dans les relations entre les parties» doit être prise en considération,
conjointement avec le contexte. Or, en l’espèce, la Somalie et le Kenya sont tous deux parties à la
CNUDM, qui est expressément visée par le mémorandum d’accord et contient donc des règles
pertinentes. De plus, étant donné que le sixième paragraphe du mémorandum porte sur la
délimitation du plateau continental, l’article 83 de la CNUDM, intitulé «Délimitation du plateau
continental entre Etats dont les côtes sont adjacentes ou se font face», revêt une pertinence toute
particulière.
La Cour estime que le sixième paragraphe du mémorandum d’accord peut raisonnablement
être lu à la lumière du paragraphe 1 de l’article 83 de la CNUDM. Dans ce contexte, la référence,
commune aux deux dispositions, à la nécessité d’effectuer la délimitation par voie d’accord
conformément au droit international, ne prescrit pas de mode particulier de règlement et n’exclut
pas le recours à différentes procédures de cette nature s’il se révélait impossible de parvenir à un
accord. Cela dit, le sixième paragraphe du mémorandum va au-delà du libellé du paragraphe 1 de
l’article 83 puisque, dans une seconde partie, il est précisé que «la délimitation … fera l’objet d’un
accord … après que la Commission aura achevé [son] examen … et formulé ses
recommandations». Il ressort du dossier de l’affaire que le Kenya ne s’estimait pas tenu par le
libellé du sixième paragraphe d’attendre les recommandations de la Commission pour pouvoir
entamer des négociations au sujet de la délimitation maritime, ou même conclure des accords à cet
égard, et que le processus de délimitation pouvait à tout le moins être engagé avant que celui de
délinéation fût achevé. Le Kenya a cependant plaidé qu’il n’était pas possible de mener à terme ces
négociations relatives à la délimitation maritime, et donc de conclure un accord définitif, tant que la
Commission n’avait pas formulé ses recommandations. Il se peut en effet que les Parties, comme
elles en conviennent d’ailleurs elles-mêmes, ne soient pas en mesure de fixer de manière définitive
le point terminal de leur frontière maritime dans la zone située au-delà de 200 milles marins avant
que les recommandations de la Commission leur aient été communiquées et que la limite extérieure
du plateau continental au-delà de 200 milles marins ait été établie sur cette base. Cela est conforme
au paragraphe 8 de l’article 76 de la CNUDM. Une incertitude concernant la limite extérieure du
plateau continental et, partant, l’endroit précis où se situe le point terminal d’une frontière donnée
dans la zone située au-delà de 200 milles marins n’empêche toutefois pas nécessairement les Etats
concernés ou la Cour, si les circonstances s’y prêtent, d’entreprendre la délimitation de la frontière
avant que la Commission ait formulé ses recommandations.
La Cour est d’avis que le sixième paragraphe du mémorandum ne peut être interprété
comme interdisant aux Parties de parvenir à un accord sur leur frontière maritime avant d’avoir
reçu les recommandations de la Commission des limites, ou comme interdisant à l’une ou l’autre
d’avoir recours, avant d’avoir reçu ces recommandations, à des procédures de règlement s’agissant
de leur différend en matière de délimitation maritime. Les Parties, par consentement mutuel,
auraient pu à tout moment conclure un accord sur leur frontière maritime. En outre, lu à la lumière
du paragraphe 1 de l’article 83 de la CNUDM, l’emploi des termes «fera l’objet d’un accord» dans
le sixième paragraphe ne signifie pas que les Parties aient une obligation de conclure un accord sur
une frontière délimitant le plateau continental ; il signifie plutôt qu’elles ont l’obligation d’engager - 5 -
des négociations de bonne foi en vue de parvenir à un accord. Les Parties s’accordent à reconnaître
que ledit paragraphe ne leur interdisait pas d’entreprendre de telles négociations avant d’avoir reçu
les recommandations de la Commission. Il n’y a pas dans le sixième paragraphe de restriction
temporelle quant à l’exécution de cette obligation de négocier. Etant donné que ce paragraphe ne
prescrit pas un mode de règlement, le fait que les Parties se soient fixé un objectif quant au moment
de la conclusion d’un accord n’interdit pas à l’une d’elles de recourir à des procédures de règlement
des différends avant la réception des recommandations de la Commission. En outre, la Somalie et
le Kenya sont tous deux parties à la CNUDM, dont la partie XV comporte des dispositions
exhaustives pour le règlement des différends, et ils ont tous deux fait une déclaration en vertu de la
clause facultative qui demeure en vigueur. La Cour ne considère pas que, en l’absence d’une
disposition expresse à cet effet, les Parties puissent être regardées comme ayant entendu exclure le
recours à de telles procédures de règlement jusqu’à la réception des recommandations de la
Commission. Enfin, il est précisé à plusieurs reprises dans le mémorandum que les travaux de la
Commission des limites conduisant à la délinéation seront sans préjudice de la délimitation, les
deux opérations étant traitées comme distinctes dans cet instrument.
Pour résumer, la Cour constate ce qui suit s’agissant de l’interprétation du mémorandum
d’accord. Premièrement, celui-ci avait pour objet et pour but de constituer un accord de
non-objection permettant à la Commission de formuler des recommandations nonobstant
l’existence d’un différend entre les Parties au sujet de la délimitation du plateau continental.
Deuxièmement, le sixième paragraphe porte exclusivement sur le plateau continental, et non sur
l’intégralité de la frontière maritime entre les Parties, ce qui donne à penser qu’il ne créait pas un
mode de règlement en vue de la détermination de ladite frontière. Troisièmement, le mémorandum
indique expressément à plusieurs reprises que le processus devant conduire à la fixation de la limite
extérieure du plateau continental au-delà de 200 milles marins sera sans préjudice de la délimitation
de la frontière maritime entre les Parties, impliquant — dans le droit fil de la jurisprudence de la
Cour — que cette délimitation peut être entreprise indépendamment de toute recommandation de la
Commission. Quatrièmement, le libellé du sixième paragraphe du mémorandum reflète celui du
paragraphe 1 de l’article 83 de la CNUDM, ce qui tend à indiquer que les Parties entendaient faire
référence à la manière dont se déroule généralement la délimitation en vertu de cet article, qui
prévoit l’ouverture de négociations visant à aboutir à un accord, et non prescrire un mode de
règlement de leur différend. Cinquièmement, les Parties admettent que le sixième paragraphe ne
leur interdisait pas d’entreprendre de telles négociations, ni de s’entendre sur certains points, avant
d’avoir obtenu les recommandations de la Commission.
Au vu de ce qui précède, la Cour considère que le sixième paragraphe du mémorandum
reflète le fait que les Parties prévoyaient, compte tenu du paragraphe 1 de l’article 83 de la
CNUDM, de négocier leur frontière maritime dans la zone du plateau continental après la réception
des recommandations de la Commission, les deux processus celui de la délimitation et celui de
la délinéation étant maintenus séparés. De telles négociations, en effet, constituent la première
étape de la délimitation du plateau continental entre Etats parties à la CNUDM. La Cour ne
considère cependant pas que le libellé du sixième paragraphe, lu à la lumière du texte du
mémorandum d’accord dans son ensemble, de l’objet et du but de celui-ci, ainsi que dans son
contexte, ait pu avoir vocation à établir un mode de règlement en vue de la délimitation de la
frontière maritime entre les Parties. Il n’impose pas à celles-ci d’attendre le résultat des travaux de
la Commission avant de tenter de parvenir à un accord sur leur frontière maritime, pas davantage
qu’il ne leur impose de recourir à un mode particulier de règlement de leur différend à cet égard.
Conformément à l’article 32 de la convention de Vienne, la Cour en vient aux travaux
préparatoires du mémorandum d’accord, pour limités qu’ils soient, et aux circonstances dans
lesquelles celui-ci a été conclu, lesquels confirment que cet instrument n’entendait pas prescrire
une procédure donnée aux fins du règlement du différend opposant les Parties au sujet de leur
frontière maritime. - 6 -
3. Conclusion sur la question de savoir si la réserve contenue dans la déclaration que le
Kenya a formulée en vertu du paragraphe 2 de l’article 36 est applicable du fait du
mémorandum d’accord (par. 106)
La Cour conclut que le mémorandum ne constitue pas un accord par lequel les Parties
seraient convenues «d’avoir recours à un autre mode ou à d’autres modes de règlement», au sens de
la réserve à la déclaration d’acceptation du Kenya, et, en conséquence, la présente affaire ne se
trouve pas exclue, du fait de cet instrument, du champ de l’acceptation par cet Etat de la juridiction
de la Cour.
B. La partie XV de la convention des Nations Unies
sur le droit de la mer (par. 107-133)
La Cour se penche ensuite sur la question de savoir si la partie XV de la CNUDM (intitulée
«Règlement des différends») constitue un accord régissant le règlement du différend relatif à la
frontière maritime au sens de la réserve du Kenya.
Elle commence par rappeler que la partie XV, intitulée «Règlement des
différends», comprend trois sections. La section 1 expose les dispositions générales en matière de
règlement pacifique des différends. Elle impose aux Etats parties de régler par des moyens
pacifiques les différends relatifs à l’interprétation ou à l’application de la convention (art. 279),
mais précise expressément qu’ils sont libres de recourir à «tout moyen pacifique de leur choix»
(art. 280). Les Etats parties peuvent convenir entre eux d’un mode de règlement n’aboutissant pas
à une décision obligatoire d’une tierce partie (comme la conciliation). Cependant, si un tel moyen
ne permet pas de régler un différend, il est loisible à l’un ou à l’autre des Etats parties concernés
d’en saisir la juridiction compétente en vertu de la section 2 de la partie XV, à moins que leur
accord de recourir au moyen en question n’ait exclu les procédures aboutissant à une décision
obligatoire prévues dans cette section (art. 281, par. 1). Enfin, l’article 282, s’il ne fait pas
expressément référence à un accord tendant à reconnaître la juridiction de la Cour par la voie de
déclarations formulées en vertu de la clause facultative, dispose toutefois que les Etats parties
peuvent convenir, non seulement dans le cadre d’un «accord général, régional ou bilatéral» mais
aussi «de toute autre manière», de soumettre un différend à une procédure donnée qui s’appliquera
au lieu de celles prévues dans la section 2 de la partie XV.
L’expression «ou de toute autre manière» figurant dans l’article 282 couvre par conséquent
l’accord sur la compétence de la Cour qui découle de déclarations faites en vertu de la clause
facultative. Le Kenya et la Somalie souscrivent l’un et l’autre à cette interprétation de l’article 282
et conviennent que, si deux Etats ont accepté, en vertu de la clause facultative, la juridiction de la
Cour à l’égard d’un différend relatif à l’interprétation ou à l’application de la CNUDM, cet accord
s’applique aux fins du règlement de ce différend au lieu des procédures visées dans la section 2 de
la partie XV. Il est tout aussi clair que, si une réserve à une déclaration faite en vertu de la clause
facultative excluait les différends ayant un objet particulier, il n’y aurait pas accord au sens de
l’article 282 sur la juridiction de la Cour, de sorte que tout différend en la matière relèverait des
procédures prévues dans la section 2 de la partie XV, sous réserve des limitations et exceptions
résultant de l’application de la section 3.
Dans la présente affaire, la Cour doit toutefois décider s’il convient d’interpréter l’article 282
comme faisant entrer dans ses prévisions une déclaration en vertu de la clause facultative
comportant une réserve telle que celle formulée par le Kenya. Il ressort clairement des travaux
préparatoires de la CNUDM que les négociateurs ont accordé une attention particulière aux
déclarations en vertu de la clause facultative lors de la rédaction de l’article 282, en veillant, par
l’emploi du membre de phrase «ou de toute autre manière», à ce que les accords tendant à
reconnaître la juridiction de la Cour par la voie de telles déclarations entrent dans les prévisions de
cet article. - 7 -
L’article 282 doit donc être interprété de sorte qu’un accord tendant à reconnaître la
juridiction de la Cour par la voie de déclarations en vertu de la clause facultative entre dans les
prévisions de cet article et s’applique «au lieu» des procédures prévues dans la section 2 de la
partie XV, même lorsque ces déclarations comportent une réserve allant dans le même sens que
celle du Kenya. L’interprétation contraire signifierait que, en ratifiant un traité donnant priorité aux
procédures convenues résultant de déclarations faites en vertu de la clause facultative (par l’effet de
l’article 282 de la CNUDM), les Etats auraient obtenu précisément le résultat inverse, puisque
priorité serait alors donnée aux procédures prévues dans la section 2 de la partie XV. Par
conséquent, en application de l’article 282, les déclarations faites par les Parties en vertu de la
clause facultative constituent un accord conclu «de toute autre manière» en vue de régler les
différends relatifs à l’interprétation ou à l’application de la CNUDM dans le cadre d’une procédure
devant la Cour, laquelle procédure s’applique dès lors «au lieu» de celles prévues dans la section 2
de la partie XV.
Ainsi qu’il a déjà été relevé, l’acceptation de la juridiction de la Cour par le Kenya s’étend à
«tous les différends», à l’exception de ceux à l’égard desquels les Parties sont convenues d’avoir
recours à un mode de règlement autre que la saisine de la Cour. Dans la présente affaire, la
partie XV de la CNUDM n’établit pas un tel autre mode de règlement. En conséquence, le présent
différend ne se trouve pas exclu, du fait de la partie XV de la CNUDM, du champ de la déclaration
formulée par le Kenya en vertu de la clause facultative.
En concluant à sa compétence, la Cour donne effet à l’intention reflétée dans la déclaration
du Kenya, puisqu’elle fait en sorte que le présent différend soit soumis à un mode de règlement. A
l’inverse, étant donné qu’une procédure convenue au sens de l’article 282 l’emporte sur les
procédures énoncées dans la section 2 de la partie XV, il n’est pas certain qu’il serait satisfait à
cette intention si elle se déclarait incompétente.
C. Conclusion (par. 134)
Etant d’avis que ni le mémorandum d’accord ni la partie XV de la CNUDM n’entrent dans le
champ de la réserve à la déclaration formulée par le Kenya en vertu de la clause facultative, la Cour
conclut que l’exception préliminaire à sa compétence soulevée par cet Etat doit être rejetée.
III. ECONDE EXCEPTION PRÉLIMINAIRE :LA RECEVABILITÉ
DE LA REQUÊTE DE LA SOMALIE (PAR . 135-144)
La Cour se penche ensuite sur l’exception préliminaire d’irrecevabilité soulevée par le
Kenya. A l’appui de son argument relatif à l’irrecevabilité de la requête, le Kenya avance deux
arguments.
Tout d’abord, le Kenya soutient que la requête est irrecevable au motif que les Parties sont
convenues dans le mémorandum de délimiter la frontière contestée par voie de négociation, et de
ne le faire qu’une fois achevé l’examen par la Commission des limites de leurs demandes
respectives. La Cour ayant déjà conclu que le mémorandum n’établissait pas un tel accord, elle
doit également rejeter cet aspect de la seconde exception préliminaire du Kenya.
Ensuite, le Kenya expose que la requête est irrecevable au motif que la Somalie a violé le
mémorandum d’accord en objectant à l’examen de la demande kényane par la Commission des
limites, pour ne redonner son consentement qu’immédiatement avant le dépôt de son mémoire.
Selon lui, le retrait de ce consentement, qui constituait de la part de la Somalie un manquement aux
obligations lui incombant au titre du mémorandum d’accord, a occasionné des frais et des retards
importants. Le Kenya soutient également que la partie «qui demande justice à la Cour doit avoir
les «mains propres»» et que tel n’est pas le cas de la Somalie. La Cour observe que le fait qu’un - 8 -
demandeur puisse avoir violé un traité en cause dans une affaire n’affecte pas en soi la recevabilité
de sa requête. Elle relève au surplus que la Somalie n’invoque le mémorandum d’accord ni en tant
qu’instrument lui conférant compétence, ni en tant que source de droit matériel régissant au fond la
présente espèce. Partant, l’objection de la Somalie à l’examen de la demande du Kenya par la
Commission des limites ne rend pas la requête irrecevable.
Compte tenu de ce qui précède, la Cour conclut que l’exception préliminaire à la recevabilité
de la requête de la Somalie doit être rejetée.
IV. DISPOSITIF (PAR. 145)
Par ces motifs,
LA C OUR ,
1) a) Par treize voix contre trois,
Rejette la première exception préliminaire soulevée par la République du Kenya en tant
qu’elle est fondée sur le mémorandum d’accord du 7 avril 2009 ;
POUR : M. Abraham, président ; M. Yusuf, vice-président ; MM. Owada, Tomka,
Cançado Trindade, Greenwood, Mmes Xue, Donoghue, M. Gaja, Mme Sebutinde,
MM. Bhandari, Crawford, Gevorgian, juges ;
CONTRE : MM. Bennouna, Robinson, juges ; M. Guillaume, juge ad hoc ;
b) Par quinze voix contre une,
Rejette la première exception préliminaire soulevée par la République du Kenya en tant
qu’elle est fondée sur la partie XV de la convention des Nations Unies sur le droit de la mer ;
POUR : M. Abraham, président ; M. Yusuf, vice-président ; MM. Owada, Tomka,
Bennouna, Cançado Trindade, Greenwood, Mmes Xue, Donoghue, M. Gaja,
Mme Sebutinde, MM. Bhandari, Crawford, Gevorgian, juges ; M. Guillaume,
juge ad hoc ;
CONTRE : M. Robinson, juge ;
2) Par quinze voix contre une,
Rejette la seconde exception préliminaire soulevée par la République du Kenya ;
POUR : M. Abraham, président ; M. Yusuf, vice-président ; MM. Owada, Tomka,
Bennouna, Cançado Trindade, Greenwood, Mmes Xue, Donoghue, M. Gaja,
Mme Sebutinde, MM. Bhandari, Crawford, Gevorgian, juges ; M. Guillaume,
juge ad hoc ;
CONTRE : M. Robinson, juge ;
3) Par treize voix contre trois,
Dit qu’elle a compétence pour connaître de la requête déposée par la République fédérale de
Somalie le 28 août 2014 et que ladite requête est recevable. - 9 -
POUR : M. Abraham, président ; M. Yusuf, vice-président ; MM. Owada, Tomka,
Cançado Trindade, Greenwood, Mmes Xue, Donoghue, M. Gaja, Mme Sebutinde,
MM. Bhandari, Crawford, Gevorgian, juges ;
CONTRE : MM. Bennouna, Robinson, juges ; M. Guillaume, juge ad hoc.
M. le juge USUF , vice-président, joint une déclaration à l’arrêt ; M.ENNOUNAe Bjoint
à l’arrêt l’exposé de son opinion dissidente ; MM. les jugesAJA et CRAWFORD joignent une
déclaration commune à l’arrêt ; M. le juge ROBINSON joint à l’arrêt l’exposé de son opinion
dissidente ; M. le juge ad hoUILLAUME joint à l’arrêt l’exposé de son opinion dissidente.
___________ Annexe au résumé 2017/1
Déclaration de M. le juge Yusuf, vice-président
1. M. le juge Yusuf, vice-président, souscrit à la décision de la Cour sur les exceptions
préliminaires soulevées par le Kenya, ainsi qu’au raisonnement qui la sous-tend. Toutefois, il
estime nécessaire de formuler quelques observations sur les circonstances dans lesquelles le présent
différend relatif à la compétence de la Cour a vu le jour.
2. Le mémorandum d’accord dont il est question en l’espèce a, de fait, été rédigé par un
ambassadeur norvégien, M. Hans Wilhelm Longva, alors que la Norvège venait en aide à certains
Etats africains pour leur permettre de soumettre leur dossier ou des informations préliminaires à la
Commission des limites du plateau continental (ci-après, la «Commission des limites») dans le
délai fixé par les Etats parties à la convention des Nations Unies sur le droit de la mer.
3. Nombre d’Etats africains n’avaient en effet pas les compétences techniques requises dans
les domaines de la géologie, de la géophysique et de l’hydrologie pour constituer le dossier destiné
à la Commission ; de ce point de vue, le concours de la Norvège était extrêmement précieux.
Cependant, cette assistance technique est à distinguer de la rédaction et de la conclusion du
mémorandum, lesquelles constituaient une question de droit et de politique qui aurait aisément pu
faire l’objet de négociations directes entre les deux Etats voisins.
4. Il est étonnant que, plus de cinquante ans après leur accession à l’indépendance, la
Somalie et le Kenya aient maille à partir au sujet d’un accord qu’ils n’ont ni négocié, ni rédigé. En
ce XXI siècle, le droit international est plus important que jamais ; ses effets imprègnent la vie
quotidienne des peuples du monde entier. Alors que le droit international gagnait en influence,
davantage d’importance a également été attachée à ce que chaque Etat soit en mesure de participer
activement à l’élaboration des instruments et règles juridiques internationaux ayant une incidence
sur son peuple ou ses ressources, et de contracter des obligations en pleine connaissance de cause.
5. Nul gouvernement ne peut aujourd’hui se permettre d’apposer sa signature sur un
instrument juridique bilatéral qu’il n’a pas négocié avec soin, ni guère contribué à rédiger. Cela
vaut d’autant plus pour les Gouvernements africains qui, du fait de leur douloureuse expérience
passée des accords juridiques internationaux conclus avec des puissances étrangères, doivent prêter
une attention particulière au contenu de tels instruments.
Opinion dissidente de M. le juge Bennouna
Dans l’affaire engagée par la Somalie relative à la délimitation maritime dans l’océan Indien,
la Cour a rejeté la première exception préliminaire soulevée par le Kenya relative à l’existence d’un
autre mode de règlement du différend au titre du paragraphe 6 du mémorandum. Le différend
portant sur l’interprétation dudit paragraphe, la Cour s’est référée à la règle générale
d’interprétation consacrée à l’article 31 de la convention de Vienne sur le droit des traités. Celle-ci
prévoit comme point de départ le sens ordinaire des termes du traité. Mais la Cour procéda
autrement et partit du postulat que le paragraphe 6 était difficile à comprendre sans une analyse
globale du contexte dans lequel il s’inscrivait, ainsi que de son objet et de son but. Ce faisant, la
Cour inversa l’ordre de la règle générale d’interprétation et arriva à la conclusion que le sixième
paragraphe ne constituait pas un autre mode de règlement du différend maritime et par conséquent,
ne déclenchait pas la réserve du Kenya. Le raisonnement par analogie entre ce paragraphe 6 et
l’article 83 de la CNUDM a conduit la Cour à des conclusions erronées puisqu’il s’agissait de deux
dispositions non comparables en elles-mêmes. En particulier, la première disposition, le
paragraphe 6, contient une contrainte temporelle précise, contrairement à la seconde. En fin de
compte, la Cour en est venue à donner une autre signification aux termes du sixième paragraphe, - 2 -
sans rapport avec leur sens ordinaire, considérant qu’ils n’établissent pas une procédure de
règlement du différend susceptible d’entrer dans les prévisions de la réserve du Kenya.
Déclaration commune de MM. les juges Gaja et Crawford
Les juges Gaja et Crawford sont en désaccord avec le raisonnement suivi par la majorité
quant à certains aspects de la compétence et de la recevabilité relatifs au mémorandum d’accord.
Sur la question de la compétence, ils considèrent que le sixième paragraphe du
mémorandum, en tant qu’il impose une obligation de négocier, ne pourrait avoir d’incidence sur la
compétence de la Cour que s’il entrait dans le champ de la réserve à la déclaration d’acceptation
formulée par le Kenya en vertu de la clause facultative. Or, l’«autre mode … de règlement» auquel
fait référence cette réserve s’entend d’un moyen permettant de régler le différend. Des
négociations, fussent-elles menées de bonne foi, peuvent ne pas aboutir à un règlement. La
négociation ne pourrait dès lors entrer dans le champ de la réserve du Kenya que si les Parties
étaient convenues (dans le cadre d’un pactum de contrahendo) de parvenir à un accord par cette
voie ou si elle était le seul et unique mode de règlement prescrit. Les Parties conviennent que le
sixième paragraphe du mémorandum n’impose pas d’obligation de parvenir à un accord, et il n’y
pas lieu de penser qu’elles entendaient exclure le recours à d’autres modes de règlement en cas
d’échec des négociations. Le sixième paragraphe n’entre donc pas dans le champ de la réserve à la
déclaration d’acceptation du Kenya.
En ce qui concerne la recevabilité, les juges Gaja et Crawford estiment que, en vertu du
sixième paragraphe du mémorandum, chaque Partie était tenue de s’abstenir de toute action
unilatérale visant à amorcer le règlement du différend avant que la Commission des limites du
plateau continental ait formulé sa recommandation. Les Parties étaient toutefois libres de se
soustraire à cette contrainte temporelle, ce qu’elles ont fait en 2014 lorsqu’elles ont entamé des
négociations, sans réserver leur position au titre du sixième paragraphe. Ce faisant, elles sont
passées outre à la condition temporelle visée dans ce paragraphe, avec pour effet de rendre la
requête de la Somalie recevable.
Opinion dissidente de M. le juge Robinson
Le juge Robinson ne souscrit pas à la décision de la majorité de rejeter la première exception
préliminaire du Kenya. Dans son opinion, toutefois, il s’intéresse surtout au rejet du second moyen
avancé par cet Etat à l’appui de sa première exception préliminaire, car il le juge plus
problématique en raison de ses conséquences très fâcheuses pour l’interprétation et l’application
des dispositions de la partie XV de la CNUDM, pourtant élaborées avec soin.
Conformément au paragraphe 2 de l’article 36 du Statut de la Cour, le Kenya et la Somalie
ont tous deux reconnu la juridiction de celle-ci, à certaines réserves près. Le Kenya l’a ainsi
reconnue à l’égard de tous les différends autres que –– et il s’agit là de la réserve qu’il invoque en
l’espèce –– «[l]es différends au sujet desquels les parties en cause auraient convenu ou
conviendraient d’avoir recours à un autre mode ou à d’autres modes de règlement». Etant donné ce
libellé clair et dénué d’ambiguïté, le juge Robinson estime totalement déraisonnable, de la part de
la majorité, de conclure que les déclarations faites en vertu de la clause facultative par le Kenya et
la Somalie constituent un accord entrant dans les prévisions de l’article 282, alors que d’autres
modes de règlement sont établis à l’article 287 de la partie XV de la CNUDM.
Le juge Robinson conteste l’utilisation du critère quantitatif — la majorité ayant justifié sa
décision par le fait que «plus de la moitié des déclarations [en vertu de la clause facultative]…en
vigueur [à l’époque des travaux préparatoires]» comportaient une réserve similaire à celle formulée
par le Kenya — pour déterminer si lesdits travaux pouvaient être interprétés comme dénotant une - 3 -
intention de ne pas tenir compte de telles réserves. Il considère que la Cour aurait dû évaluer sous
l’angle qualitatif l’incidence de la réserve kényane sur les déclarations des deux Etats, et que
l’erreur manifeste de la majorité réside dans son refus de procéder de la sorte. Selon le juge
Robinson, une telle évaluation aurait clairement montré que le lien consensuel requis pour que la
compétence de la Cour puisse être fondée sur les déclarations faites en vertu de la clause facultative
ne pouvait s’établir dans le contexte créé par la réserve du Kenya et que, par voie de conséquence,
il n’existait pas de procédure convenue, au sens de l’article 282 de la CNUDM, devant s’appliquer
au lieu des procédures prévues dans la partie XV.
Le juge Robinson conclut que l’arrêt rendu par la majorité a fondamentalement pour effet
d’interpréter à rebours le paragraphe 3 de l’article 287 de la CNUDM en traitant la Cour comme le
mécanisme par défaut, alors que la disposition en question assigne ce rôle au tribunal arbitral
constitué conformément à l’annexe VII qui est visé à la lettre c) du paragraphe 1 dudit article.
Opinion dissidente de M. le juge ad hoc Guillaume
Le juge ad hoc Guillaume est en désaccord avec la décision de la Cour de rejeter la première
exception préliminaire soulevée par le Kenya en tant qu’elle est fondée sur le mémorandum
d’accord du 7 avril 2009. Il estime que le paragraphe 6 de ce mémorandum, interprété de bonne foi
suivant le sens ordinaire à attribuer à ses termes dans leur contexte et à la lumière de l’objet et du
but du mémorandum, prévoit un mode de règlement pour le différend de délimitation maritime qui
oppose la Somalie et le Kenya. En y souscrivant, les Parties se sont engagées à négocier en vue
d’aboutir à un accord après que la Commission des limites aura conclu son examen de leurs
demandes respectives concernant les limites extérieures du plateau continental au-delà de
200 milles marins.
Le juge ad hoc Guillaume considère en outre que les discussions menées par les Parties
en 2014 ne sauraient être regardées comme révélatrices d’un accord ultérieur sur l’interprétation du
paragraphe 6 du mémorandum, ni comme l’expression de la renonciation par le Kenya aux droits
qu’il tenait de ce paragraphe. Enfin, il estime qu’il ne peut être soutenu que l’obligation de
négocier contenue dans le paragraphe 6 a été épuisée.
Le juge ad hoc Guillaume conclut dès lors que, compte tenu de la réserve du Kenya à sa
déclaration formulée en vertu du paragraphe 2 de l’article 36 du Statut, qui exclut les différends au
sujet desquels les Parties en cause sont convenues d’avoir recours à un autre mode de règlement, la
Cour aurait dû se déclarer incompétente.
___________
Résumé de l'arrêt du 2 février 2017