Résumé de l'arrêt du 17 mars 2016

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18950
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Number (Press Release, Order, etc)
2016/1
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COUR INTERNATIONALE DE JUSTICE
Palais de la Paix, Carnegieplein 2, 2517 KJ La Haye, Pays-Bas
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Résumé
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Résumé 2016/1
Le 17 mars 2016

Violations alléguées de droits souverains et d’espaces maritimes dans la mer des Caraïbes
(Nicaragua c. Colombie)

Résumé de l’arrêt du 17 mars 2016

I.NTRODUCTION

La Cour rappelle que, en l’espèce, le Nicaragua entend fonder la compétence de la Cour sur
l’article XXXI du pacte de Bogotá. Aux termes de cette disposition, les parties au pacte

reconnaissent comme obligatoire la juridiction de la Cour «sur tous les différends d’ordre
juridique». A titre subsidiaire, le Nicaragua soutient que la Cour possède un pouvoir inhérent pour
connaître de différends concernant un défaut d’exécution de ses arrêts ; et qu’en l’espèce, pareil
pouvoir inhérent existe, puisque le différend en cause découle de la non-exécution par la Colombie
de l’arrêt rendu par la Cour le 19 novembre 2012 en l’affaire du Différend territorial et maritime
(Nicaragua c. Colombie) (C.I.J. Recueil 2012 (II), p. 624) (dénommé ci-après l’«arrêt de 2012»).

La Cour relève que la Colombie a soulevé cinq exceptions préliminaires à la compétence de
la Cour. Dans son exposé écrit et dans ses conclusions finales formulées à l’audience, le Nicaragua
a prié la Cour de rejeter ces exceptions dans leur intégralité.

II.PREMIÈRE EXCEPTION PRÉLIMINAIRE

Dans sa première exception préliminaire, la Colombie soutient que la Cour n’a pas
compétence ratione temporis au titre du pacte de Bogotá, le Nicaragua ayant introduit l’instance le
26 novembre 2013, après qu’elle eut dénoncé le pacte le 27 novembre 2012.

La Cour rappelle que la Colombie a indiqué dans son avis de dénonciation au pacte de
Bogotá que cette dénonciation «pre[nait] effet à compter d[u] jour [même] à l’égard des procédures
introduites postérieurement [à l’]avis, conformément au second alinéa de l’article LVI». Aux

termes de cette disposition, la dénonciation n’aurait aucun effet sur les procédures entamées avant
la transmission de l’avis de dénonciation. La Cour relève que la requête du Nicaragua lui a été
soumise après la transmission de l’avis de dénonciation de la Colombie, mais avant l’expiration du
préavis d’un an prévu au premier alinéa de l’article LVI, selon lequel, une fois ce délai passé, le
pacte cesserait de produire ses effets par rapport à la partie qui l’a dénoncé, et demeurerait en
vigueur en ce qui concerne les autres signataires.

La Colombie affirme qu’il découle naturellement du libellé exprès du second alinéa de
l’article LVI du pacte qu’une dénonciation a un effet à l’égard des procédures entamées après la
transmission de l’avis de dénonciation. Elle rejette l’idée que son interprétation du second alinéa - 2 -

de l’article LVI aurait pour conséquence d’ôter tout effet utile au premier alinéa de cette même
disposition. Tout en reconnaissant qu’il s’ensuit de cette interprétation que, pendant l’année au

cours de laquelle le traité demeurerait en vigueur en application du premier alinéa de l’article LVI,
aucune des différentes procédures visées aux chapitres deux à cinq du pacte ne pourrait être
engagée par ou contre un Etat ayant notifié une dénonciation, elle soutient que d’importantes
obligations de fond énoncées dans d’autres chapitres du pacte continueraient néanmoins d’être
applicables pendant cette période d’un an, de sorte que le premier alinéa de l’article LVI aurait
manifestement un effet. La Colombie allègue que son interprétation de l’article LVI est confirmée
par le fait qu’il aurait été aisé pour les parties au pacte, si elles avaient voulu que la dénonciation

n’ait d’incidence sur aucune procédure introduite pendant le préavis d’un an, de le dire
expressément en adoptant un libellé similaire à celui des dispositions d’autres traités. Enfin, elle
affirme que son interprétation «est également en accord avec la pratique des Etats parties au pacte»
et les travaux préparatoires.

Selon le Nicaragua, la compétence de la Cour est régie par l’article XXXI du pacte de
Bogotá, aux termes duquel la Colombie et lui-même ont tous deux reconnu la juridiction de la Cour

«tant que le … Traité [en question] restera[it] en vigueur». La durée d’applicabilité dudit traité est
déterminée par le premier alinéa de l’article LVI qui dispose que, pour un Etat l’ayant dénoncé, le
pacte demeure en vigueur un an à compter de la date de transmission de l’avis de dénonciation. La
date à laquelle la compétence de la Cour doit être établie étant celle du dépôt de la requête, et le
Nicaragua ayant procédé à ce dépôt moins d’un an après la notification par la Colombie de sa
dénonciation du pacte, il s’ensuit  selon lui  que la Cour a compétence en l’espèce. Le
Nicaragua ajoute que l’interprétation de la Colombie soustrairait aux effets du premier alinéa de

l’article LVI toutes les procédures de bons offices et de médiation (chapitre deux du pacte),
d’enquête et de conciliation (chapitre trois), de règlement judiciaire (chapitre quatre) et d’arbitrage
(chapitre cinq), qui, ensemble, représentent quarante et un des soixante articles du pacte. Parmi les
dispositions restantes, plusieurs ont entièrement rempli leur fonction et n’auraient donc plus de rôle
à jouer pendant le préavis d’un an, tandis que d’autres sont indissociablement liées aux procédures
visées aux chapitres deux à cinq et n’imposent aucune obligation indépendante de celles-ci. Enfin,
le Nicaragua conteste que l’interprétation de la Colombie soit étayée par la pratique des parties au

pacte de Bogotá ou par les travaux préparatoires.

La Cour rappelle que la date à laquelle s’apprécie sa compétence est celle du dépôt de la
requête. Aux termes de l’article XXXI du pacte de Bogotá, les parties reconnaissent comme
obligatoire la juridiction de la Cour «tant que le[dit] Traité restera en vigueur». Le premier alinéa
de l’article LVI dispose que le pacte, lorsqu’il est dénoncé par un Etat partie, demeure en vigueur
entre ce dernier et les autres parties pour une durée d’un an à compter de la notification de la

dénonciation. De l’avis de la Cour, il n’est pas contesté que, en elles-mêmes, ces dispositions
suffiraient à lui conférer compétence pour connaître de la présente affaire. Le pacte était toujours
en vigueur entre la Colombie et le Nicaragua à la date du dépôt de la requête et le fait qu’il a par la
suite cessé de produire ses effets entre ces deux Etats n’aurait pas d’incidence sur cette
compétence. La seule question soulevée par la première exception de la Colombie est, dès lors,
celle de savoir si le second alinéa de l’article LVI qui stipule que «[l]a dénonciation n’aura aucun
effet sur les procédures en cours entamées avant la transmission de l’avis en question», peut faire
l’objet d’une interprétation a contrario contrant ce qui aurait autrement été l’effet du premier alinéa

au point d’imposer à la Cour de se déclarer incompétente pour connaître de l’instance, même si
celle-ci a été introduite alors que le pacte était toujours en vigueur entre les Parties. Pour répondre
à cette question, il convient d’appliquer aux dispositions pertinentes du pacte de Bogotá les règles
d’interprétation des traités énoncées aux articles 31 à 33 de la convention de Vienne qui reflètent le
droit international coutumier.

La Cour note que ce n’est pas la dénonciation en soi qui peut avoir un effet sur la juridiction

que la Cour tient de l’article XXXI, mais l’extinction du traité (entre l’Etat qui l’a dénoncé et les
autres parties) qui en résulte. Cette conclusion découle à la fois des termes de l’article XXXI et du
sens ordinaire des termes employés à l’article LVI. Le premier alinéa de l’article LVI prévoit qu’il - 3 -

peut être mis fin au traité par voie de dénonciation, mais que l’extinction n’interviendra qu’au
terme d’un délai d’un an courant à compter de la notification de la dénonciation. C’est par

conséquent ce premier alinéa qui détermine les effets de la dénonciation. Le second confirme que
les procédures entamées avant la transmission de l’avis de dénonciation peuvent se poursuivre
indépendamment de cette dernière et donc indépendamment des prévisions du premier alinéa quant
aux effets de la dénonciation dans leur ensemble.

La Cour estime que l’interprétation par la Colombie du second alinéa de l’article LVI va à
l’encontre des termes de l’article XXXI. Selon la Cour, une autre interprétation, qui, elle, est

compatible avec cette disposition, consiste à dire que, tandis que les procédures introduites avant la
transmission de l’avis de dénonciation peuvent en tout état de cause se poursuivre et ne tombent
donc pas sous le coup du premier alinéa de l’article LVI, l’effet de la dénonciation sur les
procédures introduites après cette date est, lui, régi par le premier alinéa. Puisque celui-ci prévoit
que la dénonciation n’entraîne, pour l’Etat qui en est l’auteur, l’extinction du traité qu’au terme
d’un délai d’un an, les procédures introduites pendant cette année de préavis le sont alors que le
pacte est toujours en vigueur. Elles relèvent donc du champ de compétence défini à l’article XXXI.

La Cour ajoute que l’interprétation du second alinéa de l’article LVI proposée par la Colombie
aurait en outre pour conséquence que, pendant l’année suivant la notification de la dénonciation,
l’essentiel des articles du pacte, contenant ses dispositions les plus importantes, ne s’appliqueraient
pas entre l’Etat auteur de la dénonciation et les autres parties. Or, pareil résultat est difficile à
concilier avec le libellé exprès du premier alinéa de l’article LVI, qui prévoit le maintien en
vigueur du «présent Traité» pendant le préavis d’un an, sans faire de distinction entre les
différentes parties du pacte comme le voudrait la Colombie. La Cour note par ailleurs que

l’interprétation de la Colombie n’est pas compatible avec l’objet et le but du pacte de Bogotá, qui
sont de promouvoir le règlement pacifique des différends au moyen des procédures prévues par
celui-ci. Bien que la Colombie soutienne que les «procédures … régionales» visées au premier
alinéa de l’article II ne sont pas limitées aux procédures énoncées dans le pacte, l’article II doit être
interprété comme un tout. Or, il ressort clairement de l’emploi de la locution «en conséquence» au
début du second alinéa de l’article II que c’est au moyen des procédures visées aux chapitres deux
à cinq du pacte qu’il doit être donné effet à l’obligation de recourir aux procédures régionales que
les parties ont «accept[ée]» à l’alinéa précédent.

La Cour ne juge enfin pas convaincant l’argument de la Colombie selon lequel si elles
avaient entendu assurer l’absence d’incidence sur les procédures introduites à tout moment avant
l’expiration du préavis d’un an visé au premier alinéa de l’article LVI, les parties au pacte de
Bogotá auraient aisément pu inclure une disposition expresse en ce sens. L’argument de la
Colombie relatif à la pratique des Etats, en l’occurrence les avis de dénonciation du pacte transmis
par El Salvador en 1973 et par elle-même en 2012, ainsi que ce qu’elle décrit comme l’absence de

toute réaction à la notification de ces dénonciations, n’apporte, pour sa part, pas le moindre
éclairage sur la question dont la Cour est saisie. Quant aux travaux préparatoires, ils ne permettent
pas de savoir dans quel but précis a été ajouté ce qui allait devenir le second alinéa de l’article LVI.

Pour toutes ces raisons, la Cour estime que l’interprétation de l’article LVI proposée par la
Colombie ne saurait être accueillie. Au vu de l’article LVI pris dans son ensemble, et à la lumière
de son contexte ainsi que de l’objet et du but du pacte, la Cour conclut que l’article XXXI qui lui

confère compétence demeurait en vigueur entre les Parties à la date du dépôt de la requête en la
présente affaire. L’extinction ultérieure du pacte entre le Nicaragua et la Colombie n’a pas
d’incidence sur la compétence qui existait à la date à laquelle l’instance a été introduite. Par
conséquent, la première exception préliminaire de la Colombie doit être rejetée. - 4 -

III. DEUXIÈME EXCEPTION PRÉLIMINAIRE

Aux termes de sa deuxième exception, la Colombie soutient que la Cour, quand bien même
elle ne retiendrait pas sa première exception, n’aurait pas compétence au titre du pacte de Bogotá
parce qu’il n’existait pas de différend entre les Parties au 26 novembre 2013, date à laquelle la
requête a été déposée.

La Cour observe que l’existence d’un différend entre les parties est une condition à la
compétence de la Cour. Un tel différend, selon la jurisprudence constante de la Cour, est «un
désaccord sur un point de droit ou de fait, une contradiction, une opposition de thèses juridiques ou

d’intérêts entre deux personnes». Il importe peu de savoir laquelle d’entre elles est à l’origine de la
réclamation, et laquelle s’y oppose. Ce qui importe, c’est que «les points de vue des deux parties,
quant à l’exécution ou à la non-exécution» de certaines obligations internationales, «so[ient]
nettement opposés». La Cour rappelle en outre que «[l]’existence d’un différend international
demande à être établie objectivement» par elle. La Cour, «pour se prononcer, doit s’attacher aux
faits. Il s’agit d’une question de fond, et non de forme.» En principe, la date critique aux fins
d’apprécier l’existence d’un différend est celle à laquelle la requête est soumise à la Cour.

La Cour rappelle que le Nicaragua formule deux demandes distinctes, faisant grief à la
Colombie, d’une part, d’avoir violé les droits souverains du Nicaragua dans ses espaces maritimes
et, d’autre part, d’avoir manqué à l’obligation lui incombant de s’abstenir de recourir à la menace
ou à l’emploi de la force. La Cour analyse ces deux allégations séparément afin de déterminer s’il
existait, au sujet de chacune d’elles, un différend à la date du dépôt de la requête.

S’agissant de la première demande du Nicaragua, la Cour examine en particulier les points

de vue exprimés par les Parties dans des déclarations faites par leurs plus hauts représentants sur la
question de leurs droits respectifs dans les espaces maritimes visés par l’arrêt de 2012, les incidents
mettant en cause des navires ou aéronefs colombiens qui se seraient produits en mer dans lesdits
espaces, et les positions des Parties par rapport aux implications, sur l’étendue de leurs espaces
maritimes respectifs, du décret colombien portant création d’une «zone contiguë unique».

En ce qui concerne tout d’abord des déclarations des hauts responsables des deux pays, la

Cour relève que, à la suite du prononcé de l’arrêt de 2012, le président colombien a proposé au
Nicaragua de négocier un traité concernant les effets dudit arrêt, et que le président nicaraguayen
s’est, quant à lui, maintes fois montré disposé à engager des négociations en vue de conclure un
traité qui permettrait de donner effet à l’arrêt, en tenant compte des préoccupations de la Colombie
en matière de pêche, de protection de l’environnement et de trafic de drogue. La Cour estime que
le fait que les Parties restaient disposées à dialoguer ne prouve pas en soi que, à la date du dépôt de
la requête, il n’existait pas entre elles de différend en rapport avec l’objet de la première allégation

du Nicaragua. La Cour note que la Colombie a affirmé avoir été «atteinte» dans ses droits en
conséquence de la délimitation maritime établie par l’arrêt de 2012. Le Nicaragua a quant à lui
insisté sur l’obligation de respecter les espaces maritimes que la Cour lui avait reconnus dans
l’arrêt de 2012. La Cour est d’avis qu’il ressort de ces déclarations que les Parties avaient des
points de vue opposés sur la question de leurs droits respectifs dans les espaces maritimes visés par
l’arrêt de 2012.

En ce qui concerne la proclamation, par la Colombie, d’une «zone contiguë unique», la Cour

note que les Parties ont adopté des positions différentes quant aux implications de cet acte en droit
international. Si la Colombie soutenait qu’elle avait droit à cette zone contiguë, telle que définie
dans le décret 1946, en vertu du droit international coutumier, le Nicaragua affirmait quant à lui
que ledit décret emportait violation de ses «droits souverains et des espaces maritimes» qui lui
avaient été reconnus par la Cour dans son arrêt de 2012. - 5 -

En ce qui concerne les incidents mettant en cause des navires ou aéronefs colombiens qui se
seraient produits en mer avant la date critique, la Cour note que la Colombie, si elle rejette la

qualification d’«incidents» employée par le Nicaragua pour décrire ce qui s’y est passé, ne se
défend pas d’avoir continué à exercer sa juridiction dans les espaces maritimes que le Nicaragua
considère comme siens sur le fondement de l’arrêt de 2012.

La Cour relève enfin que, même si ce n’est que le 13 septembre 2014  soit près de
dix mois après le dépôt de la requête  que le Nicaragua a envoyé à la Colombie une note

diplomatique officielle pour protester contre les violations de ses droit maritimes auxquelles
celle-ci se serait livrée en mer, les éléments de preuve indiquent clairement, dans les circonstances
propres à l’affaire, que, à la date de ce dépôt, la Colombie savait que la promulgation du
décret 1946 et son comportement dans les espaces maritimes que la Cour avait reconnus au
Nicaragua dans son arrêt de 2012 se heurtaient à l’opposition manifeste du Nicaragua.
Compte tenu des déclarations publiques faites par les plus hauts représentants des Parties, la
Colombie n’aurait pu se méprendre sur la position du Nicaragua quant à leurs divergences.

A partir des éléments de preuve examinés plus haut, la Cour constate que, à la date du dépôt
de la requête, il existait un différend relatif à de prétendues violations par la Colombie des droits
du Nicaragua dans les zones maritimes dont celui-ci affirme qu’elles lui ont été reconnues par
l’arrêt de 2012.

La Cour examine ensuite la question de l’existence d’un différend au sujet de la seconde
allégation du Nicaragua, à savoir que la Colombie, par son comportement, a manqué à l’obligation

de ne pas recourir à la force ou à la menace de l’emploi de la force lui incombant en vertu du
paragraphe 4 de l’article 2 de la Charte des Nations Unies et du droit international coutumier.

Si le Nicaragua mentionne un certain nombre d’incidents qui seraient survenus en mer, la
Cour relève qu’en ce qui concerne ceux qui se seraient produits avant la date critique, rien dans les
éléments de preuve produits ne laisse entendre que le Nicaragua avait indiqué que la Colombie
avait manqué à ses obligations au titre du paragraphe 4 de l’article 2 de la Charte des Nations Unies
ou du droit international coutumier en matière de recours à la menace ou à l’emploi de la force. Au

contraire, de hauts responsables politiques et militaires nicaraguayens avaient confirmé que la
situation en mer était calme et stable. Par ailleurs, la Cour fait observer que les prétendus incidents
antérieurs au dépôt de la requête du Nicaragua relèvent de la première demande du Nicaragua, et
non d’une demande relative à la menace de l’emploi de la force proscrite par le paragraphe 4 de
l’article 2 de la Charte des Nations Unies et le droit international coutumier. Au vu de ces faits, la
Cour considère que, à la date du dépôt de la requête, le différend qui opposait le Nicaragua à la
Colombie ne portait pas sur d’éventuelles violations, par celle-ci, du paragraphe 4 de l’article 2 de

la Charte des Nations Unies ou des règles de droit international coutumier interdisant le recours à la
menace ou à l’emploi de la force.

A la lumière des considérations qui précèdent, la Cour conclut que, à la date du dépôt de la
requête du Nicaragua, il existait un différend relatif à de prétendues violations par la Colombie des
droits du Nicaragua dans les zones maritimes dont celui-ci affirme qu’elles lui ont été reconnues
par l’arrêt de 2012. Par conséquent, la deuxième exception préliminaire de la Colombie doit être

rejetée en ce qu’elle a trait à la première allégation du Nicaragua, et accueillie en ce qu’elle a trait à
la seconde. - 6 -

IV. T ROISIÈME EXCEPTION PRÉLIMINAIRE

Par sa troisième exception, la Colombie affirme que la Cour n’a pas davantage de
compétence au titre du pacte de Bogotá parce qu’au moment du dépôt de la requête, les Parties
n’étaient pas d’avis que le prétendu différend «ne pou[v]ait être résolu au moyen de négociations
directes suivant les voies diplomatiques ordinaires». Or, il s’agit là, selon la Colombie, d’une
condition exigée par l’article II du pacte pour recourir aux procédures de règlement des différends
établies dans celui-ci.

Faisant référence à l’arrêt rendu en 1988 en l’affaire relative à des Actions armées

frontalières et transfrontalières (Nicaragua c. Honduras), la Colombie soutient que le recours aux
procédures pacifiques du pacte ne serait conforme à l’article II du pacte de Bogotá que si un
règlement négocié avait été recherché de bonne foi et qu’il était devenu clair, au terme d’efforts
raisonnables, que les parties étaient dans l’impasse et que le différend ne pouvait être résolu par
cette voie. Elle affirme que, contrairement à ce que prétend le Nicaragua, l’expression «de l’avis
d[es] parties» à l’article II doit se comprendre comme désignant l’avis non pas de l’une mais des
deux parties, ce qui correspond aux termes des versions anglaise, portugaise et espagnole du pacte.

Elle argue que son propre comportement et celui du Nicaragua ne permettaient pas de conclure que,
de l’avis des Parties, le prétendu différend ne pouvait être résolu au moyen de négociations directes
suivant les voies diplomatiques ordinaires au moment du dépôt de la requête du Nicaragua.

Le Nicaragua, pour sa part, rejette l’interprétation de l’article II que défend la Colombie
affirmant que celle-ci donne une lecture erronée de l’arrêt de 1988. S’appuyant sur la version
française du pacte, il soutient que, selon l’article II, la Cour doit déterminer si, objectivement, l’une

des parties était d’avis que le différend ne pouvait pas être réglé au moyen de négociations directes.

La Cour rappelle que, dans l’arrêt de 1988, elle a jugé que, pour se prononcer sur
l’application de l’article II du pacte, elle n’était «pas tenue par la simple affirmation de l’une ou
l’autre Partie qu’elle est de tel ou tel avis». Elle a souligné qu’elle devait, «dans l’exercice de sa
fonction judiciaire, … être libre de porter sa propre appréciation sur cette question, sur la base des
preuves dont elle dispose». La Cour a clairement dit que les parties étaient censées donner la
preuve concrète qu’elles considéraient de bonne foi que leur différend pouvait, ou non, être résolu

au moyen de négociations directes suivant les voies diplomatiques ordinaires. La date critique à
laquelle il faut s’assurer de «l’avis des parties» aux fins de l’application de l’article II du pacte est
la date d’introduction de l’instance. En outre, la Cour a relevé la différence qui existe entre le texte
français et les autres versions officielles (anglaise, espagnole et portugaise) de l’article II ; le
premier fait référence à «l’avis de l’une des parties», tandis qu’il est question, dans les trois autres,
de l’avis des deux parties. La Cour n’a toutefois pas estimé nécessaire de résoudre le problème
posé par cette divergence des textes avant de se pencher sur la question de l’application de

l’article II du pacte dans cette affaire. Elle a pris le parti de rechercher si les deux Etats étaient
d’«avis» que le différend ne pouvait être résolu par la voie de négociations, en se fondant sur les
éléments de preuve qu’ils avaient fournis. Dès lors, en la présente espèce, la Cour commencera par
déterminer si les éléments de preuve qui lui ont été soumis démontrent que, à la date du dépôt de la
requête du Nicaragua, aucune des deux Parties ne pouvait soutenir de manière plausible que le
différend qui les opposait pouvait être résolu au moyen de négociations directes suivant les voies
diplomatiques ordinaires.

La Cour constate que, par divers échanges qu’ont eus leurs chefs d’Etat depuis le prononcé
de l’arrêt de 2012, l’une et l’autre des Parties avaient indiqué être prêtes à engager un dialogue pour
examiner certaines questions soulevées par la Colombie conséquemment à l’arrêt. La Cour note
toutefois que l’objet des négociations diffère de l’objet du différend qui oppose les Parties. Selon
le Nicaragua, ces négociations devaient être menées étant entendu que le traité qu’il s’agissait de
conclure n’aurait pas d’incidence sur les espaces maritimes au sujet desquels la Cour s’était

prononcée dans son arrêt de 2012. En d’autres termes, elles devaient, dans son esprit, se limiter
aux modalités ou mécanismes d’exécution de cet arrêt. La Colombie ne circonscrivait pas ainsi - 7 -

l’objet des négociations. Son intention, selon les mots de sa ministre des affaires étrangères, était

de «signer un traité qui établ[ît] les frontières et un régime juridique contribuant à la sécurité et à la
stabilité de la région».

La Cour note que les Parties ne contestent pas que la situation en mer était «calme» et
«stable» tout au long de la période concernée. Ce fait, toutefois, n’indique pas nécessairement que,
de l’avis des Parties, le différend ici en cause pouvait être résolu par la voie de négociations. Dès
les premiers événements qui ont suivi le prononcé de l’arrêt de 2012, le Nicaragua s’est résolument

opposé au comportement de la Colombie dans les secteurs que la Cour avait attribués au Nicaragua.
La Colombie, tout au long des échanges entre les deux pays, a été tout aussi ferme en ce qui
concerne la négociation d’un traité. Aucun élément soumis à la Cour n’indique que, à la date du
dépôt de la requête du Nicaragua, les Parties avaient envisagé, ou étaient en mesure, de tenir des
négociations en vue de régler le différend relatif à de prétendues violations par la Colombie des
droits du Nicaragua dans les zones maritimes dont celui-ci affirme qu’elles lui ont été reconnues

par l’arrêt de 2012.

Compte tenu de ce qui précède, la Cour conclut que, à la date à laquelle le Nicaragua a
déposé sa requête, la condition énoncée à l’article II était remplie. La troisième exception
préliminaire de la Colombie doit donc être rejetée.

V. Q UATRIÈME EXCEPTION PRÉLIMINAIRE

La Cour rappelle que le Nicaragua invoque deux bases de compétence. Il affirme que, quand
bien même la Cour estimerait ne pas avoir compétence au titre de l’article XXXI du pacte de
Bogotá, sa compétence pourrait être fondée sur «le pouvoir qui est le sien de se prononcer sur les
mesures requises par ses arrêts». Dans sa quatrième exception préliminaire, la Colombie soutient
que la Cour ne possède pas de «pouvoir inhérent» dont le Nicaragua pourrait se prévaloir, thèse qui
ne trouve appui ni dans son Statut ni dans sa jurisprudence.

La Cour relève que c’est à titre subsidiaire que le Nicaragua invoque un tel «pouvoir
inhérent» pour établir sa compétence en l’espèce. L’argument du Nicaragua ne pourrait, en tout
état de cause, s’appliquer qu’au différend qui existait au moment du dépôt de la requête. Or, dès
lors qu’elle a fondé sa compétence à l’égard de ce différend sur l’article XXXI du pacte de Bogotá,
la Cour considère qu’il n’est pas nécessaire d’examiner l’argument du «pouvoir inhérent» avancé
par le Nicaragua. Elle ne prendra donc pas position à son égard. Par conséquent, il n’y a pas lieu

pour la Cour de se prononcer sur la quatrième exception préliminaire de la Colombie.

VI. C INQUIÈME EXCEPTION PRÉLIMINAIRE

Selon la cinquième exception préliminaire, la Cour n’a pas compétence en ce qui concerne
l’exécution d’un arrêt antérieur.

La Cour relève que la cinquième exception préliminaire de la Colombie porte d’abord sur
l’argument que le Nicaragua invoque à titre subsidiaire, à savoir que la Cour a un pouvoir inhérent
en la présente instance. La Colombie soutient que, même à supposer que la Cour considère — au
rebours de la quatrième exception préliminaire — qu’elle a un «pouvoir inhérent», celui-ci
n’engloberait pas une compétence lui permettant d’assurer l’exécution de ses arrêts une fois ceux-ci
rendus. La Cour a déjà dit qu’elle n’avait pas besoin de se prononcer sur la question de son
pouvoir inhérent, puisqu’elle a conclu que sa compétence est fondée sur l’article XXXI du pacte de

Bogotá. Par conséquent, il n’y a pas lieu pour elle de statuer sur la partie de la cinquième
exception préliminaire de la Colombie qui concerne ce pouvoir inhérent. Cependant, la Colombie a
indiqué, dans ses exposés, que sa cinquième exception préliminaire constituait également une - 8 -

exception à la compétence que la Cour tient de l’article XXXI du pacte de Bogotá. Elle soutient

que

«[m]ême à supposer … que la Cour ait conservé, en la présente affaire, une
compétence au titre de l’article XXXI du pacte de Bogotá, cette compétence ne saurait
s’étendre aux demandes du Nicaragua tendant à ce que la Cour remédie à une
prétendue inexécution de la part de la Colombie de l’arrêt de 2012».

La Cour étant parvenue à la conclusion qu’elle avait compétence au titre de l’article XXXI, il y a
lieu d’examiner la cinquième exception préliminaire dans la mesure où elle concerne la
compétence au titre du pacte de Bogotá.

La cinquième exception préliminaire de la Colombie repose sur le postulat qu’il est demandé
à la Cour d’assurer l’exécution de son arrêt de 2012. Comme l’a rappelé la Colombie, c’est à la
Cour, et non au Nicaragua, qu’il appartient de déterminer le caractère véritable du différend dont

elle est saisie. Cependant, ainsi que la Cour l’a conclu, le différend en la présente instance
concerne de prétendues violations par la Colombie des droits du Nicaragua dans les zones
maritimes dont celui-ci affirme qu’elles lui ont été reconnues par l’arrêt de 2012. Dans les
relations entre le Nicaragua et la Colombie, ces droits existent en vertu du droit international
coutumier. L’arrêt rendu en 2012 est incontestablement pertinent en la présente affaire, en ce qu’il
détermine la frontière maritime entre les Parties et établit donc laquelle d’entre elles a des droits

souverains en vertu du droit international coutumier dans les espaces maritimes qui font l’objet de
la présente affaire. Dans le cas d’espèce, toutefois, le Nicaragua prie la Cour de dire et juger que la
Colombie «a manqué à l’obligation lui incombant de ne pas violer les espaces maritimes du
Nicaragua tels que délimités au paragraphe 251 de l’arrêt rendu par la Cour le 19 novembre 2012,
ainsi que les droits souverains et la juridiction du Nicaragua sur lesdits espaces» et «se trouve,
partant, tenue d’effacer les conséquences juridiques et matérielles de ses faits internationalement
illicites, et de réparer intégralement le préjudice causé par ceux-ci». Le Nicaragua ne cherche pas à

faire exécuter l’arrêt de 2012 en tant que tel. La Cour n’est donc pas appelée à examiner les rôles
conférés respectivement à la réunion de consultation des ministres des relations extérieures (par
l’article L du pacte de Bogotá), au Conseil de sécurité (par le paragraphe 2 de l’article 94 de la
Charte des Nations Unies) et à la Cour.

Par conséquent, la cinquième exception préliminaire de la Colombie doit être rejetée.

VII. D ISPOSITIF

L AC OUR ,

1) a) A l’unanimité,

Rejette la première exception préliminaire soulevée par la République de Colombie ;

b) Par quinze voix contre une,

Rejette la deuxième exception préliminaire soulevée par la République de Colombie en ce
qu’elle a trait à l’existence d’un différend relatif à de prétendues violations par la Colombie des
droits du Nicaragua dans les zones maritimes dont celui-ci affirme qu’elles lui ont été reconnues
par l’arrêt de 2012 ;

POUR : M. Abraham, président ; M. Yusuf, vice-président ; MM. Owada, Tomka,
Bennouna, Cançado Trindade, Greenwood, Mmes Xue, Donoghue, M. Gaja,
Mme Sebutinde, MM. Bhandari, Robinson, Gevorgian, juges ; M. Daudet, juge ad hoc ;

CONTRE : M. Caron,juge ad hoc ; - 9 -

c) A l’unanimité,

Retient la deuxième exception préliminaire soulevée par la République de Colombie en
ce qu’elle a trait à l’existence d’un différend relatif aux prétendues violations par la Colombie de
l’obligation lui incombant de s’abstenir de recourir à la menace ou à l’emploi de la force ;

d) Par quinze voix contre une,

Rejette la troisième exception préliminaire soulevée par la République de Colombie ;

POUR : M. Abraham, président ; M. Yusuf, vice-président ; MM. Owada, Tomka,
Bennouna, Cançado Trindade, Greenwood, Mmes Xue, Donoghue, M. Gaja,

Mme Sebutinde, MM. Bhandari, Robinson, Gevorgian, juges ; M. Daudet, juge ad hoc ;

CONTRE : M. Caron, juge ad hoc ;

e) A l’unanimité,

Dit qu’il n’y a pas lieu de se prononcer sur la quatrième exception préliminaire soulevée
par la République de Colombie ;

f) Par quinze voix contre une,

Rejette la cinquième exception préliminaire soulevée par la République de Colombie ;

POUR : M. Abraham, président ; M. Yusuf, vice-président ; MM. Owada, Tomka,
Bennouna, Cançado Trindade, Greenwood, Mmes Xue, Donoghue, M. Gaja,
Mme Sebutinde, MM. Robinson, Gevorgian, juges ; MM. Daudet, Caron, juges ad hoc ;

CONTRE : M. Bhandari, juge ;

2) Par quatorze voix contre deux,

Dit qu’elle a compétence, sur la base de l’article XXXI du pacte de Bogotá, pour statuer sur
le différend entre la République du Nicaragua et la République de Colombie auquel renvoie le
point 1) b) ci-dessus.

POUR : M. Abraham, président ; M. Yusuf, vice-président ; MM. Owada, Tomka, Bennouna,
Cançado Trindade, Greenwood, Mmes Xue, Donoghue, M. Gaja, Mme Sebutinde,
MM. Robinson, Gevorgian, juges ; M. Daudet, juges ad hoc ;

CONTRE : M. Bhandari, juge ; M. Caron, juge ad hoc.

M. le juge C ANÇADO TRINDADE joint à l’arrêt l’exposé de son opinion individuelle ;
M. le juge BHANDARI joint une déclaration à l’arrêt ; M. le juge ad hoARON joint à l’arrêt
l’exposé de son opinion dissidente.

_________ Annexe au résumé 2016/1

Opinion individuelle de M. le juge Cançado Trindade

1. Dans l’exposé de son opinion individuelle, qui compte onze parties, le juge
Cançado Trindade présente les fondements de sa position personnelle sur une question invoquée
par les deux Parties, le Nicaragua et la Colombie, lors de la procédure (écrite et orale) en l’affaire
relative à des Violations alléguées de droits souverains et d’espaces maritimes dans la mer des
Caraïbes. Cette question, qui concerne la quatrième exception préliminaire soulevée par la
Colombie, est celle des facultés ou pouvoirs inhérents des juridictions internationales
contemporaines, dont la jurisprudence a été citée par l’une et l’autre des Parties.

2. Le juge Cançado Trindade commence par observer (partie I) que, ayant conclu dans l’arrêt
qu’elle avait compétence au titre du pacte de Bogotá et rejeté, ce faisant, la première exception
préliminaire de la Colombie, la Cour aurait pu (et dû) fournir quelques éclaircissements sur le point
de désaccord entre les Parties, soit l’argument du «pouvoir inhérent» avancé par le Nicaragua et
contesté par la Colombie au titre de sa quatrième exception préliminaire  fût-ce pour rejeter

celle-ci également , au lieu de déclarer de façon minimaliste et elliptique qu’«il n’y a[vait] pas
lieu» pour elle de se prononcer à cet égard (paragraphe 104 de l’arrêt).

3. Etant donné l’importance particulière qu’il accorde à cette question, récurrente dans la
pratique des juridictions internationales, et le fait qu’elle a été portée à l’attention de la Cour dans
la présente espèce, le juge Cançado Trindade a cru devoir rappeler, tout d’abord, les positions et
angles d’analyse respectivement adoptés à cet égard par la Colombie et le Nicaragua
(parties II et III), avant d’exposer les fondements de sa position personnelle (parties IV à X) sur les

différents aspects de la question, à savoir : a) les pouvoirs inhérents au-delà du consentement des
Etats ; b) l’interprétation téléologique (ut res magis valeat quam pereat) au-delà du consentement
des Etats ; c) la compétence de la compétence (Kompetenz Kompetenz) au-delà du consentement
des Etats ; d) la primauté de la recta ratio sur la voluntas ou de la conscience humaine sur la
«volonté» ; e) les pouvoirs inhérents comme moyen de combler les lacunes, et la pertinence des
principes généraux ; f) les pouvoirs inhérents et la juris dictio (pouvoir de dire le droit) au-delà de
la justice transactionnelle ; et g) les pouvoirs inhérents et le contrôle de l’exécution des jugements

et arrêts.

4. Le juge Cançado Trindade soutient qu’on ne saurait simplement éluder cette question, qui
«touche au fonctionnement des juridictions internationales contemporaines dans le cadre de leur
mission commune de réalisation de la justice» (par. 4). Après avoir rappelé les conclusions écrites
des deux Parties et leurs réponses aux trois questions qu’il leur a posées à l’audience du
2 octobre 2015 (par. 5-12), il souligne la large portée qu’attribue le Nicaragua aux pouvoirs

inhérents (par. 13). La Cour aurait dû, selon lui, se prononcer sur la question (et sur les différentes
façons de l’envisager) au lieu de «s’en abstenir» selon une «conception assez minimaliste»  qu’il
ne partage pas  de l’exercice de la fonction judiciaire internationale (par. 15).

5. Il rappelle que la question des facultés ou pouvoirs inhérents a été soulevée à maintes
reprises devant les juridictions internationales (par. 16) et, se référant aux exposés de ses opinions
individuelles et dissidentes (par. 16-18, 20-22 et 24-26) sur différents aspects de la question dans

plusieurs affaires portées devant la Cour et, précédemment, devant la Cour interaméricaine des
droits de l’homme, il observe que les pouvoirs inhérents échappent au consentement des Etats :
«Même en l’absence de disposition expresse à cet égard, les juridictions internationales sont
habilitées à exercer leurs pouvoirs inhérents aux fins de garantir la bonne administration de la
justice.» (Par. 19.)

6. Cela l’amène à la question de l’interprétation téléologique, qui obéit au principe de l’effet

utile ou ut res magis valeat quam pereat. Selon la conception qu’il en a, cette doctrine, qu’il
défend, «touche non seulement au droit matériel ou substantiel (c’est-à-dire les droits revendiqués
et à protéger), mais recouvre aussi les questions de compétence et le droit processuel» (par. 22), - 2 -

comme le montrent la jurisprudence pertinente de la Cour européenne des droits de l’homme

(CEDH) ainsi que celle de la Cour interaméricaine des droits de l’homme (CIDH) (par. 23-26).

7. Après avoir exposé les dangers du volontarisme étatique dans le règlement judiciaire des
différends internationaux, il souligne que, selon lui,

«contrairement à ce que postule habituellement la Cour, le consentement des Etats
n’est pas un «principe fondamental», ni même un «principe» tout court ; il s’agit, au

mieux, d’une règle (traduisant une prérogative dont jouissent les Etats ou une
concession qui leur a été faite) qui doit être respectée en tant qu’acte initial de la
souscription d’une obligation internationale. Il n’entre certainement pas dans les
éléments à prendre en compte pour l’interprétation des traités. Une fois l’acte initial
exécuté, le consentement des Etats n’est plus une condition de l’exercice par une
juridiction de sa compétence obligatoire, qui lui était antérieure et qui continue de
s’exercer indépendamment de lui.» (Par. 27.)

8. Concernant un autre aspect de la question, d’ordre épistémologique celui-là, le
juge Cançado Trindade déclare ensuite que l’idée qui est la sienne de la primauté de la recta ratio
sur la voluntas  ou de la conscience humaine sur la «volonté»  s’inscrit dans le droit fil de la
pensée jusnaturaliste, et il rappelle que les principes établis par les «pères fondateurs» du droit des
nations (à commencer par Francisco de Vitoria au XVI siècle) étaient fondés sur une

lex praeceptiva appréhendée par la raison humaine, et en aucun cas issus de la «volonté» des sujets
de droit eux-mêmes (et notamment des Etats). Il ajoute :

«Cela a ouvert la voie à l’édification d’un véritable jus necessarium qui
transcende les limites du jus voluntarium. Les enseignements des «pères fondateurs»
de notre discipline sont pérennes et restent d’une actualité frappante …

La conception volontariste, en revanche, systématiquement axée sur le
consentement ou la «volonté» des Etats, s’est révélée déficiente non seulement en
droit mais également dans d’autres domaines du savoir. L’obsession du pouvoir sans
respect des valeurs ne mène à rien. S’agissant du droit international, si, comme
l’affirment les partisans du positivisme volontariste, c’est par la «volonté» des Etats
que les obligations sont créées, c’est aussi par cette même «volonté» qu’elles sont

violées, et l’on aboutit ainsi à des raisonnements qui se mordent la queue sans pouvoir
expliquer la nature des obligations internationales.» (Par. 28-29.)

9. Le juge Cançado Trindade passe ensuite en revue la doctrine internationale s’inscrivant
dans ce courant de pensée (par. 30-37)  auquel il appartient  ainsi que ses propres opinions
individuelles et dissidentes sur le sujet dans des affaires portées devant la Cour (par. 38-40), avant
d’ajouter :

«Il est fort regrettable que la notion de consentement des Etats demeure
aujourd’hui encore, apparemment par inertie mentale, très profondément ancrée dans
la pratique juridique et le règlement judiciaire des différends internationaux. La
conclusion qui s’impose, selon moi, est que, si l’on s’obstine à privilégier une logique
volontariste, le règlement judiciaire des différends entre Etats ne dépassera jamais

l’ère préhistorique dans laquelle il se trouve encore aujourd’hui. Je le répète, la
recta ratio prime la voluntas, la conscience humaine prime la «volonté».» (Par. 41.)

10. Passant ensuite à la question de la compétence de la compétence (Kompetenz
Kompetenz), qui échappe elle aussi au consentement des Etats, le juge Cançado Trindade souligne
que les juridictions internationales, notamment celles qui ont compétence en matière de droits de
l’homme (telles que la CIDH et la CEDH), dont la jurisprudence a été invoquée par les deux Parties

au fil de la procédure en la présente affaire, ont réussi - 3 -

«à s’affranchir du consentement des Etats et à préserver ainsi l’intégrité de leur
compétence. Elles ne se sont jamais écartées de l’interprétation téléologique, et ont,

ce faisant, affirmé leur compétence de la compétence et exercé leur pouvoir inhérent.

Ces deux juridictions internationales ont bien compris que leur compétence de
la compétence et leurs pouvoirs inhérents n’étaient pas contraints par le consentement
des Etats car, si tel était le cas, elles ne pourraient tout simplement pas rendre la
justice.

La CIDH et la CEDH se sont opposées au volontarisme et ont tenu à affirmer

leur compétence de la compétence, se posant en gardiennes et maîtresses de leur
propre juridiction. Elles ont contribué à établir la primauté des considérations d’ordre
public sur le volontarisme subjectif des Etats. … En résumé, pour adopter cette
position de principe, elles ont considéré, à juste titre, que la conscience l’emporte sur
la volonté.» (Par. 43-45.)

11. S’agissant des juridictions pénales, poursuit le juge Cançado Trindade, le Tribunal pénal

international pour l’ex-Yougoslavie (TPIY) revendique lui aussi sa compétence de la compétence
(par. 46-47). Il ajoute que les tribunaux internationaux ont exercé leurs facultés ou pouvoirs
inhérents dans différentes situations (par. 48-55) et notamment pour combler les lacunes de leurs
instruments constitutifs (par. 56). De fait, il semble aujourd’hui généralement admis qu’il existe un
grand nombre de situations dans lesquelles les juridictions internationales peuvent user de leurs
pouvoirs inhérents, compte tenu en particulier des différentes fonctions qui leur sont assignées. En
résumé,

«les juridictions internationales contemporaines ont eu recours aux pouvoirs inhérents
qui leur semblaient nécessaires pour exercer comme il se devait leurs fonctions
judiciaires respectives. Elles ont montré qu’elles étaient prêtes à en user (en se
prononçant sur les questions de compétence ou le traitement des moyens de preuve,
des éléments de fond et des réparations) et en ont effectivement usé, en de fréquentes
occasions et dans des situations diverses, afin de garantir une bonne administration de
la justice.» (Par. 58.)

12. Selon le juge Cançado Trindade, les juridictions internationales sont soucieuses de «doter
leurs fonctions judiciaires respectives des pouvoirs inhérents nécessaires pour garantir une bonne
administration de la justice» (par. 59-60). Elles ont conscience que, «au-delà du règlement
pacifique des différends, leur mission consiste plus largement à dire le droit (juris dictio)»
(par. 61-62), et ont dépassé le cadre traditionnel de la justice transactionnelle. Cette conception
d’une fonction judiciaire étendue à la juris dictio, qui contribue également à faire progressivement

évoluer le droit international, est étayée, notamment, par la jurisprudence pertinente des juridictions
internationales compétentes en matière de droits de l’homme et en matière pénale (par. 63). Elle
sous-tend par ailleurs, de façon implicite, la notion d’«arrêts pilotes» que l’on trouve en particulier
dans les travaux de la CEDH (par. 66).

13. S’agissant du dernier aspect de la question, à savoir les pouvoirs inhérents et le contrôle
de l’exécution des jugements et arrêts (que les Parties ont toutes deux soulevé, à des titres
différents, devant la Cour), le juge Cançado Trindade opine que le fait qu’une juridiction

internationale puisse compter sur l’aide d’un organe de surveillance distinct pour assurer
l’exécution de ses jugements ou arrêts ne signifie nullement qu’elle doive se désintéresser de leur
exécution une fois qu’elle a rendu lesdits jugements ou arrêts (par. 67).

14. Ainsi, selon lui, le fait que le paragraphe 2 de l’article 94 de la Charte des Nations Unies
confie au Conseil de sécurité le soin de faire exécuter les arrêts et ordonnances de la Cour «ne
signifie pas que celle-ci doive cesser de s’en préoccuper. Loin s’en faut. Le Conseil de sécurité

n’est d’ailleurs, en pratique, intervenu à cet effet qu’en de très rares occasions.» Il importe d’éviter - 4 -

la nouvelle violation que constituerait l’inexécution d’une décision ; cela «demeure un sujet de
préoccupation pour la Cour ainsi que pour toutes les autres juridictions internationales» (par. 68).

15. S’agissant de la Cour en particulier, il a été supposé à tort qu’il ne lui incombait pas de
veiller à l’exécution de ses ordonnances et arrêts. L’autorité conférée à cet égard au Conseil de
sécurité par le paragraphe 2 de l’article 94 de la Charte des Nations Unies n’est nullement exclusive
et une lecture attentive de certaines dispositions du Statut montre que «la Cour est habilitée à
s’occuper de l’exécution de ses décisions» (par. 69). Le juge Cançado Trindade considère que ce

qui doit, en conséquence, être dénoncé, «ce n’est pas le caractère normatif de l’exercice
juridictionnel (qui a souvent été critiqué de manière irréfléchie), mais l’inaction et la passivité des
instances judiciaires, notamment lorsqu’il s’agit d’assurer l’exécution de leurs décisions, jugements
et arrêts» (par. 70).

16. Il observe ensuite que la CEDH et la CIDH s’appuient, pour la première, sur le concours
du comité des ministres du Conseil de l’Europe, et, pour la seconde, sur la tenue, après le prononcé
de ses décisions, d’audiences visant à en contrôler l’exécution (par. 71). Là encore, les pouvoirs de
contrôle conférés au comité des ministres ne sont pas exclusifs et la CEDH peut s’occuper

elle-même du suivi de ses décisions, ainsi qu’elle l’a expressément déclaré. En résumé, estime-t-il,
«les juridictions internationales ne sauraient demeurer indifférentes à l’inexécution des décisions,
jugements et arrêts rendus par elles. Elles ont, dans ce domaine aussi, des pouvoirs inhérents qui
leur permettent de s’assurer de leur exécution.» (Par. 72.) Il ajoute :

«Elles préservent, ce faisant, l’intégrité de leur compétence. L’on ne peut que
s’étonner que la doctrine juridique internationale ne se soit pas encore suffisamment
intéressée à cette question. Cela est regrettable car l’exécution des décisions des
juridictions internationales est indispensable pour promouvoir l’état de droit dans la

communauté internationale. De plus, depuis 2006, la question de «l’état de droit aux
niveaux national et international», systématiquement inscrite à l’ordre du jour de
l’Assemblée générale des Nations Unies , suscite chaque année un intérêt croissant
parmi les Etats Membres.

Le chemin de la justice est long, et peu de progrès ont été faits à ce jour dans la
conceptualisation du contrôle de l’exécution des décisions, jugements et arrêts des
juridictions internationales. C’est plutôt l’inertie mentale qui a marqué ces dernières

décennies. Il est grand temps de remédier à cette inaction et à cette passivité. Le
contrôle de l’exécution des décisions est, après tout, une question de nature
juridictionnelle. Une juridiction internationale ne saurait en aucun cas être
indifférente à l’exécution de ses arrêts ou jugements.» (Par. 73 et 75.)

17. Dernier point et non le moindre, le juge Cançado Trindade relève, dans un bref épilogue,
que le traitement qu’a réservé la Cour, en la présente affaire, à «la question soulevée par la
Colombie dans sa quatrième exception préliminaire ne reflète pas la richesse des pièces de
procédure en l’espèce et des arguments présentés (dans les phases écrite et orale) par le Nicaragua

et la Colombie» (par. 76).

18. Il estime que leurs conclusions respectives auraient dû «être intégralement et
expressément reprises dans l’arrêt, fût-ce pour conclure au rejet, là encore, de la quatrième
exception préliminaire. Les conclusions des Parties à la présente affaire soulèvent en effet un point

1Les articles 41, 57, 60 et le paragraphe 3 de l’article 61.
2
Voir les résolutions de l’Assemblée générale publiées sous les cotes A/RES/61/39 (18 décembre 2006),
A/RES/62/70 (6 décembre 2007), A/RES/63/128 (11 décembre 2008), A/RES/64/116 (16 décembre 2009), A/RES/65/32
(6 décembre 2010), A/RES/66/102 (9 décembre 2011), A/RES/67/97 (14 décembre 2012), A/RES/68/116
(16 décembre 2013), A/RES/69/123 (10 décembre 2014) et A/RES/70/118 (14 décembre 2015). - 5 -

important, invoqué de manière récurrente devant la Cour et sur lequel il y a lieu de poursuivre la
réflexion en vue de favoriser la réalisation de la justice au niveau international.» (Par. 77.)

19. Selon le juge Cançado Trindade, le fait que, dans le présent arrêt, la Cour ait conclu
qu’elle avait compétence au titre du pacte de Bogotá (et rejeté, ce faisant, la première exception
préliminaire de la Colombie) «ne la dispensait pas d’examiner les arguments des deux Parties sur la

question particulièrement importante des facultés ou pouvoirs inhérents qui son3 les siens (de se
prononcer sur la non-exécution alléguée de son arrêt de 2012)» (par. 78). Le juge
Cançado Trindade a cru devoir quant à lui examiner ces arguments  même s’il considère que la
quatrième exception préliminaire est indéfendable et devait donc, elle aussi, être rejetée , au lieu

que la Cour s’est contentée de co4clure «de manière évasive» qu’«il n’y a[vait] pas lieu» pour elle
de se prononcer sur la question .

20. Ayant examiné la manière dont les juridictions internationales contemporaines exercent
leurs facultés ou pouvoirs inhérents, qui ne relèvent pas du consentement des Etats, le juge
Cançado Trindade a cru devoir souligner, dans le présent exposé de son opinion individuelle, que,

selon lui,

«la recta ratio prime la voluntas. Il faut en finir avec la conception volontariste du
droit international. Il faut reconnaître davantage la primauté de la conscience sur la
«volonté» et tenir constamment compte des valeurs humaines fondamentales pour
assurer le développement progressif du droit international et, en définitive, la

réalisation de la justice au niveau international.» (Par. 82.)

Déclaration de M. le juge Bhandari

Dans sa déclaration, le juge Bhandari rappelle que, s’il adhère à la position de la majorité
quant aux quatre premières exceptions préliminaires soulevées par la Colombie, il s’en écarte
toutefois s’agissant de la cinquième, qu’il aurait retenue afin de ne pas laisser la présente affaire
atteindre le stade du fond. Il rappelle que, par sa cinquième exception préliminaire, la Colombie

soutenait que la demande du Nicaragua visait à obtenir que la Cour assure l’exécution de l’un de
ses arrêts antérieurs alors qu’elle n’a pas compétence pour ce faire, le paragraphe 2 de l’article 94
de la Charte des Nations Unies et l’article L du pacte de Bogotá désignant expressément le Conseil
de sécurité des Nations Unies comme l’organe à saisir pour faire exécuter un arrêt de la Cour. Le
juge Bhandari relève que, bien qu’il soit évident que le Nicaragua et la Colombie voient tous deux

dans cette affaire un moyen d’obtenir l’exécution de l’arrêt de 2012, la Cour a déclaré ce jour que
le différend portait en réalité sur de prétendues violations du droit international coutumier par la
Colombie. Tout en reconnaissant que, d’un point de vue juridique, il appartient à la Cour  et non
aux parties  de déterminer en dernier ressort la véritable nature du différend, le juge Bhandari ne
souscrit pas à la conclusion factuelle à laquelle la majorité est parvenue, à savoir que la demande

du Nicaragua ne vise pas à obtenir l’exécution de l’arrêt de 2012. La majorité s’est appuyée sur le
paragraphe 79 du présent arrêt pour conclure que le différend ne découlait pas directement de
l’arrêt de 2012. Or, selon le juge Bhandari, le paragraphe 79 et l’analyse qui le précède ont trait à
une tout autre question qui sous-tend une exception préliminaire totalement distincte  la question

de savoir s’il existait un différend entre les Parties lorsque le Nicaragua a déposé sa requête  qui
n’a rien à voir avec ce dont il s’agit ici. Le juge Bhandari estime en outre que de nombreux
éléments de preuve versés au dossier, dont la majorité n’a pas suffisamment tenu compte,
démontraient clairement que, à travers sa demande en l’espèce, le Nicaragua cherchait à obtenir
l’exécution de l’arrêt de 2012.

3
Voir par. 17 et 102 de l’arrêt.
4Voir par. 104 et point 1) e) du dispositif de l’arrêt. - 6 -

Opinion dissidente de M. le juge ad hoc Caron

Le juge Caron est en désaccord avec les conclusions auxquelles la Cour est parvenue au sujet
des deuxième et troisième exceptions préliminaires, dans la mesure où elle a suivi un raisonnement
qui s’écarte de sa propre jurisprudence, et qui n’est pas étayé par les éléments de preuve dont elle
disposait. Au-delà des particularités de l’espèce, il estime très préoccupant que ce raisonnement,
par lequel la Cour a conclu à sa compétence, sape les concepts plus généraux qui sous-tendent le
règlement pacifique des différends.

Le juge Caron rappelle que l’intitulé complet du pacte de Bogotá est «Traité américain de

règlement pacifique» et fait observer que les procédures de règlement pacifique que celui-ci
prévoit, même si elles ne sont pas hiérarchisées, suivent néanmoins une progression prudente,
allant du dialogue où les Etats s’informent mutuellement de leurs préoccupations jusqu’à la saisine
de la Cour ou d’un tribunal pour obtenir le règlement de «différends d’ordre juridique», en passant
par diverses voies de négociations. Un désaccord ne saurait se résumer à une ligne de conduite
susceptible de traduire une divergence de vues. Ainsi qu’il est reconnu dans le pacte, la
communication est essentielle, parce qu’un désaccord ne peut être réglé sans qu’un dialogue n’ait

été préalablement engagé pour définir ce qui est en litige. En effet, à moins qu’il n’«existe» un
différend à proprement parler, il est difficile d’appréhender ce qui doit être négocié.

Le juge Caron est en désaccord avec l’arrêt de la Cour parce que celui-ci affaiblit
considérablement cette conception du règlement des différends, transformant le dispositif complexe
prévu à cet effet dans le pacte de Bogotá en une simple acceptation de la compétence de la Cour.
Modifiant fondamentalement la condition de l’existence d’un différend, la Cour a considéré dans

son arrêt qu’un demandeur ne devait pas nécessairement avoir engagé un dialogue avec l’autre
Etat, ni avoir fait part à celui-ci de ses préoccupations. Or, faute d’un tel dialogue, les parties
n’auront pas eu la possibilité de définir le différend, de le circonscrire ou  dans le meilleur des
cas  de le ramener à des proportions moindres, voire de le régler. Tout aussi important est le fait
que s’il n’était pas nécessaire que le demandeur ait engagé un dialogue avec l’autre partie, toute
obligation de négocier s’en trouverait, en pratique, considérablement amoindrie. Les différends

internationaux sont complexes, et les différends frontaliers comptent parmi les plus difficiles à
résoudre. Le droit offre des réponses, mais celles-ci ne sont pas toujours les plus nuancées dans
des situations d’une telle complexité. Il est crucial que la Cour, ou tout autre tribunal, ait le
pouvoir d’apporter la réponse voulue à un différend en cas de besoin ou lorsque les deux parties en
font la demande. Cependant, au regard du pacte de Bogotá, cela n’est nécessaire que si le différend
entre deux Etats «ne p[eut] être résolu au moyen de négociations directes»  c’est la condition
énoncée à l’article II du pacte, dont la Cour considère, dans sa jurisprudence, qu’elle est un

préalable à l’établissement de sa compétence au titre du pacte. De l’avis du juge Caron, il est
regrettable qu’en l’espèce, la Cour, dans ses conclusions sur les deuxième et troisième exceptions
préliminaires, réaffirme formellement, et pourtant méconnaisse sur le fond, la condition de
l’existence d’un différend et l’obligation de négocier.

S’agissant plus particulièrement de la deuxième exception préliminaire, le juge Caron, se
référant à la jurisprudence de la Cour relative au sens du mot «différend» et à l’existence d’un

différend, ne voit pas comment l’on pourrait affirmer qu’à la date requise il existait un tel
«différend» concernant l’objet de la requête du Nicaragua. En l’espèce, dans sa deuxième
exception préliminaire, la Colombie ne soulève pas la question de savoir s’il y a eu opposition
manifeste à une quelconque réclamation du Nicaragua. Elle avance un argument bien plus
fondamental, à savoir que le Nicaragua n’a jamais formulé de réclamation susceptible de se heurter
à une opposition de sa part. Cette différence notable n’est pas traitée dans l’arrêt. La Cour peut
être fondée à déduire qu’il y a eu opposition manifeste à une réclamation. Mais il n’est pas justifié,

de l’avis du juge Caron, de déduire qu’une réclamation a été formulée. - 7 -

Après avoir examiné avec attention les éléments factuels de l’affaire, le juge Caron conclut
que le Nicaragua, avant de déposer sa requête, n’avait jamais reproché à la Colombie d’avoir violé

ses droits souverains ou espaces maritimes ou d’avoir enfreint l’interdiction de recourir à la menace
de la force. Dans son analyse, la Cour va au rebours de sa jurisprudence concernant la condition
selon laquelle il doit exister un différend au moment du dépôt de la requête. En l’espèce, elle ne
cherche pas à savoir si le demandeur  le Nicaragua  s’est plaint de quelque manière que ce soit
d’une violation du droit avant le dépôt de la requête ; mais elle déduit que le défendeur devait
«savoir» que les mesures qu’il avait prises se heurtaient à l’opposition manifeste du demandeur.

Selon le juge Caron, ce raisonnement méconnaît la jurisprudence de la Cour relative à la condition
de l’existence d’un différend. Une telle conclusion met de fait un terme à l’application de la
condition justifiée de l’existence d’un différend.

S’agissant plus particulièrement de la troisième exception préliminaire, le juge Caron
souligne que la Cour s’appuie, dans le présent arrêt, sur sa conclusion de 1988 selon laquelle la
référence aux négociations directes qui est faite à l’article II du pacte «constitue dans tous les cas
une condition préalable du recours aux procédures pacifiques du pacte» (Actions armées

frontalières et transfrontalières (Nicaragua c. Honduras), compétence et recevabilité, arrêt,
C.I.J. Recueil 1988, p. 94, par. 62). Ce faisant, la Cour conclut que le critère permettant de
déterminer si un règlement est impossible est celui de savoir «si les éléments de preuve qui lui ont
été soumis démontrent que, à la date du dépôt de la requête du Nicaragua, aucune des deux Parties
ne pouvait soutenir de manière plausible que le différend qui les opposait pouvait être résolu au
moyen de négociations directes suivant les voies diplomatiques ordinaires».

Le juge Caron ne suit pas la Cour lorsque celle-ci conclut qu’«[a]ucun élément [lui ayant été]
soumis … n’indique que, à la date du dépôt de la requête du Nicaragua, les Parties avaient
envisagé, ou étaient en mesure, de tenir des négociations en vue de régler le différend relatif à de
prétendues violations par la Colombie des droits du Nicaragua dans les zones maritimes» et qu’elle
rejette pour cette raison la troisième exception préliminaire de la Colombie. De l’avis du
juge Caron, les éléments de preuve, auxquels la Cour se réfère expressément, non seulement
n’étayent pas la conclusion à laquelle celle-ci parvient, mais au contraire l’infirment.

En conclusion, le juge Caron souligne que la Cour peut être appelée, lorsqu’elle détermine
objectivement l’objet des différends qui lui sont soumis, à faire de subtiles distinctions. En
l’espèce, elle a opéré une distinction très subtile entre une demande pour inexécution d’un de ses
arrêts et une demande pour violation des droits accordés par ledit arrêt. Toutefois, pour le
juge Caron, il ressort clairement de la décision rendue aujourd’hui que la Cour n’a pas mis autant
de soin à distinguer si un élément de preuve donné confirmait l’inexécution de l’arrêt de 2012 ou la
violation des droits souverains et espaces maritimes définis dans cet arrêt. La facilité avec laquelle

ces deux demandes se recoupent et la difficulté qu’a la Cour à évaluer les éléments de preuve
risquent de rendre l’examen au fond de l’affaire ardu.

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Résumé de l'arrêt du 17 mars 2016

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