Réponse écrite du Royaume-Uni aux questions posées par MM. les juges Koroma
et Cançado Trindade
[Traduction]
1. Au terme de la procédure orale, M. le juge Koroma a posé aux participants la
question suivante :
«Il a été affirmé que le droit internatio nal n’interdit pas qu’un territoire fasse
sécession d’un Etat souverain. Les participan ts à la présente procédure pourraient-ils
indiquer à la Cour quels sont, selon eux, les éventuels principes et règles de droit
international qui autoriseraient, en dehors d’un contexte colonial, un territoire à faire
sécession d’un Etat souverain sans le consentement de ce dernier?».
2. Ainsi qu’indiqué à l’audience par le Royaume-Uni, le droit international n’interdit
1
nullement les déclarations d’in dépendance en tant que telles . La création d’un nouvel Etat par
voie de séparation ou de sécession découle non pas de la déclaration d’indépendance en elle-même
mais de la suite des événements, notamment de la reconnaissance par d’autres Etats 2. D’une
manière générale, un acte qui n’est pas interdit par le droit international ne nécessite pas
d’autorisation. Ce principe vaut pour les Etats. Il vaut également pour les actes de personnes ou de
groupes, le droit international n’interdisant un comportement aux entités non étatiques que dans
certains cas exceptionnels et prévus expressément.
3. Dans certaines circonstances, le droit à l’ autodétermination peut comprendre un droit de
créer un Etat indépendant . Les avis consultatifs relatifs à la Namibie , au Sahara occidental et au
Mur n’épuisent pas la liste des situations dans lesquelles la Cour peut examiner
l’autodétermination. Le Royaume-Uni n’a pas envi sagé cette question dans les circonstances de la
présente affaire, bien qu’un certain nombre de pa rticipants à l’instance l’aient explorée de façon
4
détaillée, y compris celle de l’autodétermination hors contexte colonial .
4. Gardienne de l’ordre constitutionnel canadien, la Cour suprême du Canada a relevé que, si
le droit international affirmait l’existence d’un droit de sécession, celui-ci ne vaudrait que dans une
«situation exceptionnelle» . Cela étant, la question posée par l’Assemblée générale en l’espèce
n’est pas formulée en termes d’autorisation ou de permission.
5. Avant la première guerre mondiale, la sécession constituait un moyen très courant de créer
de nouveaux Etats. Dans la pratique de l’entr e-deux-guerres, on ne rencontre aucune interdiction
visant les déclarations d’indépendance conduisant à la séparation ou à la sécession. La Charte n’a
pas non plus institué une telle interdiction en 1945. Dans les faits, depuis 1945, et en particulier
depuis 1991, de nombreux Etats ont vu le jour, notamment au moyen de déclarations
d’indépendance. Aucune nouvelle interdiction n’est toutefois apparue dans la pratique, pas
1
CR 2009/32, p. 48-52, par. 9-22.
2 Voir également James Crawford, The Creation of States in International Law (2 éd., Oxford University Press,
2006), p. 539-546.
3 Ibid., p. 107-131.
4 Voir, par exemple, CR2009/32, p.9, par.7-8 (Lijnza ad, Pays-Bas); CR2009/26, p. 18-23, par. 2-17 (Gill,
Albanie).
5 CR2009/32, p.51, par.19 (les italiques sont de nous), citant la décision concernant le Renvoi relatif à la
sécession du Québec, 1998, Recueil de la Cour suprême, vol. 2, p. 217, par. 112. - 2 -
davantage, du reste, qu’en l’affaire du Renvoi relatif à la sécession du Québec , seule procédure
dans laquelle une juridiction na tionale a examiné le droit de sécession de façon expresse et
approfondie. Les experts qui ont présenté leur opinion à la Cour suprêm e du Canada dans cette
affaire, tant à titre d’ amicus curiae représentant les intérêts du Québec que pour le Gouvernement 6
du Canada, sont unanimes sur l’absence d’inte rdiction de la sécession en droit international . La
Cour suprême n’en a pas disconvenu . 7
6. D’aucuns ont fait valoir en l’instance que certains instruments internationaux contiennent
des passages consacrés au droit des peuples ou des communautés au sein des Etats (en dehors du
contexte de la décolonisation): voir, par exem ple, la déclaration sur les droits des peuples
autochtones, résolution61/295 de l’Assemb lée générale en date du 13septembre2007 8. Au
paragraphe 1 de l’article 46 de la déclaration, il est précisé que celle-ci a) n’implique pas «pour un
Etat, un peuple, un groupement ou un individu un droit quelconque de se livrer à une activité ou
d’accomplir un acte contraire à la Charte des Nations Unies», pas plus qu’elle b) n’autorise ou
encourage des actes «ayant pour effet de détrui re ou d’amoindrir, totale ment ou partiellement,
l’intégrité territoriale ou l’unité politique d’un Etat souverain et indépendant». Il s’agissait là d’une
précaution nécessaire compte tenu, non seulement de l’objet de ces déclarations, mais également de
la portée, ratione materiae et ratione personae, des obligations établies dans le cadre de la Charte.
Elle ne fait pas des déclarations d’indépendance de s violations de la Charte, pas plus qu’elle ne
traduit l’existence d’une interdiction catégorique de telles déclarations en droit international,
quelles que soient les 9irconstances, ni n’ajoute aux obligations juridiques internationales des
acteurs non étatiques .
7. Au terme de la procédure orale, M.le juge Cançado Trindade a posé aux
participants la question suivante :
«La résolution 1244 (1999) du Conseil de sécurité fait référence, à l’alinéa a) de
son paragraphe 11, à «l’i nstauration au Kosovo d’une autonomie et d’une
auto-administration substa ntielles», compte pleinement tenu des accords de
Rambouillet. De votre point de vue, que faut-il entendre par ce renvoi aux accords de
Rambouillet? Celui-ci a-t-il une incidence sur les questions d’autodétermination, de
sécession ou les deux? Dans l’affirmative, à quelles conditions un peuple devrait-il
satisfaire pour pouvoir prétendre au statut d’Etat, dans le cadre du régime juridique
établi par la résolution 1244 (1999) du Conseil de sécurité ? Et quelles sont, en droit
international général, les conditions factuell es devant au préalable être remplies, pour
constituer un «peuple», et pouvoir prétendre à la qualité d’Etat ?».
L’a8l.inéa a) du paragraphe 11 de la résolution 1244 ( 1999) du Conseil de sécurité visait la
période de transition caractérisée par une autono mie et une auto-administration substantielles du
Kosovo. Les accords de Rambouillet portaient principalement, sinon exclusivement sur cette
6CR 2009/32, p. 50, par. 17-18.
7 Ibid., p.51, par.19. L’absence d’unerègle de droit international interdis ant un acte particulier ne signifie
nullement que les Etats doivent reconnaître cet acte ou conséquences juridiques. La reconnaissance constitue le
principal instrument au moyen duquel les Etats peuvent juger des c onséquences des déclarations d’indépendance, ou de
toute autre tentative de création d’un nouve l Etat. Les Etats accueillent générale ment avec beaucoup de circonspection
les actes sécessionnistes intervenus sur le territoire es Etats. Lorsqu’aucun Etat, ou seulement quelques-uns,
reconnaissent un prétendu Etat en tant que tel, cela aura de s conséquences déterminantes. La circonspection des Etats à
l’égard de tels actes traduit leur volonté de préserver la stabilité internationale. Toutefois, la question dont la Cour est
saisie a été délibérément formulée de façon à éviter l’examen de questions telles que la reconnaissance ou d’autres
conséquences juridiques, ainsi qu’exposé par le Royaume-Uni (CR 2009/32, p. 46-48, par. 1-8).
8
CR 2009/24, p. 67, par. 11 (Shaw, Serbie).
9A cet égard, la déclaration de 2007 imite celle de 1970 sur les relations amicales. - 3 -
période transitoire. Tel est le contexte dans lequel il devait être tenu pleinement compte des
accords . Cet alinéa exigeait aussi qu’il fût pleinement tenu compte de l’annexe 2 de la résolution,
c’est-à-dire du plan de paix présenté par M. MarttiAhtisaari, le représentant de l’Union
européenne, et par M. Viktor Tchernomyrdine, le représentant spécial du président de la Fédération
11 12
de Russie . Ce plan de paix visait lui aussi exclusivement la période transitoire . Le
paragraphe8 de l’annexe2 prescrivait notamment, aux fins de cette phase intérimaire, de tenir
pleinement compte «du principe de la souveraineté et de l’intégrité territoriale de la République
fédérale de Yougoslavie».
9. Contrairement à son alinéa a), l’alinéa e) du paragraphe11 de la résolution 1244 (1999)
utilisait expressément un langage différent s’agissant de la période ultérieure (post-transition), qui
était décrite comme un «processus politique visant à déterminer le statut futur du Kosovo».
Relevons, car c’est là un élément important, que l’alinéa e) ne fait aucune référence à l’annexe 2 (et
notamment à l’intégrité territoriale de la Ré publique fédérale de Yougoslavie qui y était
13
mentionnée) . Il renvoyait uniquement aux accords de Rambouillet eux-mêmes et, par implication
logique, étant donné le contexte, au paragraphe 3 de l’article prem ier du chapitre 8 de ces accords,
où était invoquée «la volonté du peuple». Et c’est bien ainsi que le représentant spécial du
Secrétaire général semble avoir interprété la référence aux accords de Rambouillet contenue à
l’alinéa e) du paragraphe 11 . 14
10
Aux termes de l’alinéa a) du paragraphe11, la première des «[f]aciliter, en attendant un règlement définitif,
l’instauration au Kosovo d’une autonomie et d’une auto-adm inistration substant ielles, compte pleinement tenu de
l’annexe 2 et des Accords de Rambouillet (S/1999/648)».
11
Nations Unies, doc. S/1999/649, 7 juin 1999.
12
Voir, en particulier, le paragraphe 5 de l’ annexe 2 («Mise en place … d’une administration intérimaire pour le
Kosovo»), et son paragraphe 8 («établissement d’un accord-cadre politique intérimaire») (les italiques sont de nous).
13
CR 2009/32, p. 44, par. 25 (Bethlehem). Voir également le par. 27 :
«Mes observations ont un triple objecti:f premièrement, souligner que, dans la
résolution 1244 (1999), le Conseil de sécurité envisageait deux processus, un processus intérimaire et un
processus politique visant à déterminer le futur du Kosovo, et qu’il en a parlé en termes différents;
deuxièmement, faire valoir le fait que, dans la mesure où il était entendu qu’aucun sujet n’était exclu des
discussions, l’intégrité territoriale de la République fédérale de Yougoslavie, et c’était explicite, ne
constituait pas la pierre angulaire du processus politique; etroisièmement, souligner que la résolution
n’excluait pas l’indépendance du Kosovo ni ne prév oyait l’obligation d’obtenir le consentement de la
Serbie dans cette éventualité, alor s que les membres du Consei l auraient pu en établir le libellé dans ce
sens si telle avait été leur volonté».
14Dans le préambule du cadre constitutionnel de l’autonom ie provisoire adopté en 2001, le représentant spécial
du Secrétaire général indiquait ce qui suit :
«dans le cadre des limites fixées par la résolution 1244 (1999) du Conseil de sécurité, des responsabilités
seront transférées aux institutions provisoires d’admi nistration autonome qui contribueront à garantir les
conditions d’une vie paisible et norma le à tous les ha bitants du Kosovo, en vue de faciliter le choix du
statut futur du Kosovo selon un processus qui, en temps opportun, conformé ment à la résolution 1244
(1999) du Conseil de sécurité, tiendra pleinement comp te de tous les facteurs en jeu, notamment la
volonté du peuple» (les italiques sont de nous). - 4 -
10. Le 24 octobre2005, le Conseil de sécu rité a approuvé le lancement du processus
politique prévu à l’alinéa e) du paragraphe 11 en vue de déterminer le statut futur du Kosovo . 15
11. Dans ce contexte, le renvoi aux accords de Rambouillet contenu à l’alinéa a) du
paragraphe 11 de la résolution 1 244 (1999) visait à constituer un cadre approprié d’«autonomie et
[d’]auto-administration substantielles». Cette appréciation est conf ortée par le renvoi à l’annexe 2
figurant dans ce paragraphe. En revanche, le renvoi aux accords de Rambouillet formulé à
l’alinéa e) du paragraphe 11 de la résolution est une référence au paragraphe 3 de l’article premier
du chapitre8 des accords, qui prévoit la mise en place d’un mécanisme «pour un règlement
définitif pour le Kosovo, sur la base de la volonté du peuple, de l’avis des autorités compétentes,
des efforts accomplis par chacune des Parties dans la mise en Œuvre du présent accord, et de l’acte
final de Helsinki». Cette appréciation-là cadre avec l’absence de toute référence à l’annexe2 à
l’alinéa e) du paragraphe 11.
12. Pour le Royaume-Uni, la résolution 1244 (1999) n’envisageait pas les questions
générales de l’autodétermination et ou de la sécession. Il s’agissait d’une résolution extrêmement
spécifique qui visait sur le cas unique du Kosovo. Dès lors, elle ne traitait pas de questions
générales concernant les critères à remplir pour pouvoir prétendre à la qualité d’Etat ou les attributs
factuels d’un «peuple». Aussi le Royaume-Un i ne s’est-il pas attardé dans ses exposés sur la
question du droit de prétendre au statut d’Etat, que ce soit dans le cadre du régime juridique établi
par la résolution1244 (1999) du Conseil de sécurité ou du point de vue du droit international
général. Il n’en relève pas moins que l’exis tence d’un «peuple» kosovar a été reconnue dans le
préambule du cadre constitutionnel de 2001, qui a été rédigé par le représentant spécial du
Secrétaire général, ainsi que dans la déclara tion faite le 27septembre2007 par les ministres du
groupe de contact . 16
___________
15
Séance tenue le 24 octobre 2005 par le Conseil de sécurité, Nations Unies, doc. S/PV.5290 :
«Le Conseil de sécurité approuve la conclusion générale de M. Ei de selon laquelle en dépit des
tâches qui restent à accomplir au Kosovo et dans toute la région, le moment est venu de passer à la phase
suivante du processus politique. Le Conseil apporte donc son appui au Secrétaire général, qui se propose
d’entamer le processus politique devant aboutir au statut futur du Kosovo, comme prévu dans la
résolution 1244 (1999). Le Conseil réaffirme le cadrede la résolution, note avec satisfaction que le
Secrétaire général s’apprête à désigner un envoyé spécial chargé de diriger le processus devant aboutir au
futur statut».
16
Lettre en date du 10décembre2007 adressée au président du Conseil de sécurité par le Secrétaire général,
Nations Unies, doc.S/2007/723, annexe III: déclaration des ministres du groupe de contact sur le Kosovo, faite à
NewYork le 27septembre2007. Ceux-ci avaient souligné qu e «tout règlement d[evait]t êt re acceptable pour le peuple
du Kosovo et d[evait]t garantir l’application des normes ece qui concerne le caractère multiethnique du Kosovo et
promouvoir la stabilité future de la région» [document n° 209 du dossier].
Réponse du Royaume-Uni aux questions posées par MM. les juges Koroma et Cançado Trindade au terme de la procédure orale (traduction)