13359
COUR INTERNATIONALE DE JUSTICE
AFFAIRE RELATIVE À DES QUESTIONS CONCERNANT LA SAISIE
ET LA DÉTENTION DE CERTAINS DOCUMENTS ET DONNÉES
(TIMOR-LESTE c. AUSTRALIE)
MÉMOIRE DÉPOSÉ PAR LA RÉPUBLIQUE DÉMOCRATIQUE
DU TIMOR-LESTE
VOLUME I
28 AVRIL 2014
[Traduction du Greffe] Table des matières
Page
Chapitre I. Introduction................................................................................................................. 1
A. Contexte procédural................................................................................................................. 1
B. Compétence de la Cour ............................................................................................................ 2
C. Importance de l’affaire pour le Timor-Leste............................................................................ 2
D. Plan du présent mémoire.......................................................................................................... 3
Chapitre II. Contexte historique et autres éléments factuels...................................................... 4
A. Géographie du Timor-Leste (et de l’Australie)........................................................................ 4
B. Histoire du Timor-Leste........................................................................................................... 4
C. Relations entre le Timor-Leste et l’Australie en ce qui concerne la mer de Timor : les
différents traités ....................................................................................................................... 7
Chapitre III. L’arbitrage en vertu du traité sur la mer de Timor............................................ 14
A. Introduction............................................................................................................................ 14
B. L’arbitrage en vertu du traité sur la mer de Timor................................................................. 14
C. La pertinence de l’arbitrage en vertu du traité sur la mer de Timor aux fins du
différend dont la Cour est saisie............................................................................................. 16
D. La situation procédurale......................................................................................................... 16
Chapitre IV. L’examen et la saisie, le 3 décembre 2013, de documents et de données
ainsi que leur rétention................................................................................................. 18
A. Introduction............................................................................................................................ 18
B. Les conseils juridiques fournis au Timor-Leste par Collaery Lawyers.................................. 18
C. L’exécution du mandat de perquisition le 3 décembre 2013.................................................. 22
D. Les documents et données saisis............................................................................................ 23
E. Les droits de propriété du Timor-Leste sur les documents et données saisis......................... 23
F. La déclaration faite par l’Attorney-General, en sa qualité de ministre,
le 4 décembre 2013 et les échanges de correspondance ultérieurs ........................................ 29
Chapitre V. Le droit du Timor-Leste à l’inviolabilité et à l’immunité des documents et
données qui ont été examinés et saisis ......................................................................... 30
A. Le développement de l’inviolabilité des biens de l’Etat et de l’immunité de celui-ci en
droit international coutumier.................................................................................................. 30 - ii -
B. Les principes du droit international coutumier en matière d’immunité des Etats et
l’application de ces principes en la présente affaire............................................................... 32
C. L’immunité de l’Etat et les autres immunités reconnues en droit international..................... 40
Chapitre VI. Le droit du Timor-Leste de conduire sans ingérence la procédure
d’arbitrage et les négociations...................................................................................... 45
A. Le principe de non-ingérence dans les communications avec des conseillers juridiques
(le secret professionnel des avocats et conseils) en droit international.................................. 45
B. Le principe de bonne foi dans la conduite des négociations et des procédures
internationales........................................................................................................................ 50
C. L’application des principes du secret professionnel des avocats et conseils et de la
bonne foi, en droit international, à la saisie et à la détention, par l’Australie, des
documents et données............................................................................................................ 52
D. Conclusions............................................................................................................................ 53
Conclusions finales......................................................................................................................... 54
Figure 1 : Géographie régionale de la mer de Timor....................................................................... 55
Figure 2 : Traité de 1989 relatif au Timor Gap zone de coopération.......................................... 56
Figure 3 : Traité de 2002 relatif à la mer de Timor — zone d’exploitation pétrolière
commune (ZEPC)............................................................................................................ 57
Figure 4 : Gisements pétrolifères dans la ZEPC et autour de celle-ci.............................................. 58
Figure 5 : Accord international d’unitisation pour le gisement de Greater Sunrise (AIU) .............. 59
Liste des annexes.............................................................................................................................. 60
___________ C HAPITRE I
INTRODUCTION
A. C ONTEXTE PROCÉDURAL
1.1. La présente pièce est le mémoire déposé par la République démocratique du
Timor-Leste (ci-après «le Timor-Leste»), conformément à l’ordonnance que la Cour a rendue le
28 janvier 2014.
1.2. Le 17 décembre 2013, le Timor-Leste a introduit une instance contre le Commonwealth
d’Australie (ci-après «l’Australie») au sujet d’un différend concernant l’examen et la saisie,
le 3 décembre 2013, ainsi que la rétention, «par des agents australiens, de documents, données et
autres biens ap1artenant au Timor-Leste ou que celui-ci a le droit de protéger en vertu du droit
international» .
1.3. Le jour du dépôt de sa requête, le Timor-Leste a également présenté une demande en
indication de mesures conservatoires, conformément à l’article 41 du Statut de la Cour et aux
articles 73 à 75 de son Règlement . Le 3 mars 2014, la Cour a rendu une ordonnance indiquant les
mesures conservatoires suivantes :
«1)L’Australie fera en sorte que le contenu des éléments saisis ne soit d’aucune
manière et à aucun moment utilisé par une quelconque personne au détriment du3
Timor-Leste, et ce, jusqu’à ce que la présente affaire vienne à son terme» ;
«2)L’Australie conservera sous scellés les documents et données électroniques saisis,
ainsi q4e toute copie qui en aurait été faite, jusqu’à toute nouvelle décision de la
Cour» ;
«3)L’Australie ne s’ingérera d’aucune manière dans les communications entre le
Timor-Leste et ses conseillers juridiques ayant trait à l’Arbitrage en vertu du traité
du 20 mai 2002 sur la mer de Timor actuellement en cours entre le Timor-Leste et
l’Australie, à toute négociation bilatérale future sur la délimitation maritime, ou à
toute autre procédure entre les deux Etats qui s’y rapporte, dont la présente
instance devant la Cour.» 5
1.4. Au terme de la procédure orale consacrée à la demande en indication de mesures
conservatoires, l’Australie a notamment prié la Cour de suspendre l’instance en la présente affaire
jusqu’à ce que le Tribunal arbitral, constitué en application de l’article 23 du traité du 20 mai 2002
sur la mer de Timor pour connaître d’un différend opposant le Timor-Leste et l’Australie, ait rendu
sa décision. Dans l’ordonnance de fixation des délais pour le dépôt des pièces de procédure qu’elle
1 Requête introductive d’instance de la République démocratique du Timor-Leste contre le Commonwealth
d’Australie, 17 décembre 2013 (ci-après «la requête»).
2 Demande en indication de mesures conservatoires présentée par le Gouvernement du Timor-Leste,
17 décembre 2013.
3 Affaire relative à des Questions concernant la saisie et la détention de certains documents et données
(Timor-Leste c. Australie), demande en indication de mesures conservatoires, ordonnance du 3 mars 2014.
4
Ibid.
5Ibid. - 2 -
a rendue le 28 janvier 2014, la Cour a décidé de ne pas faire droit à cette demande de l’Australie
tendant à la suspension de l’instance .
B. C OMPÉTENCE DE LA COUR
1.5. Ainsi que cela a été indiqué dans la requête introductive d’instance , la compétence de la
Cour est fondée sur les déclarations faites par le Timor-Leste et l’Australie en vertu du
paragraphe 2 de l’article 36 du Statut. Selon le Timor-Leste, il apparaît clairement qu’aucune des
réserves formulées par l’Australie dans sa déclaration ne s’applique en l’espèce. La Cour a donc
compétence pour connaître du présent différend, et il n’existe aucune raison devant la conduire à
refuser d’exercer cette compétence.
1.6. Au cours de la procédure orale consacrée à la demande en indication de mesures
conservatoires, le conseil de l’Australie a déclaré que celle-ci avait «la faculté de contester la
compétence et la recevabilité de la requête introductive d’instance déposée par le Timor-Leste lors
8
de la phase du fond» . Si l’Australie venait à avancer pareils arguments, le Timor-Leste lui
répondrait, mais il n’estime ni nécessaire ni opportun de le faire dans le présent mémoire.
C. IMPORTANCE DE L ’AFFAIRE POUR LE T IMOR -L ESTE
1.7. Les ressources de la mer de Timor revêtent la plus grande importance économique pour
le Timor-Leste, l’un des pays les plus récents et les plus pauvres du monde. Or l’exercice, par le
Timor-Leste, de ses droits souverains sur les ressources du plateau continental adjacent à ses côtes
est entravé par le refus de l’Australie de négocier un accord de délimitation maritime, auquel
s’ajoutent les dispositions de la série de traités que celle-ci a conclus au sujet de la mer de Timor
(d’abord prétendument avec l’Indonésie, puis avec l’Administration transitoire des Nations Unies
au Timor oriental (ci-après «l’ATNUTO») et, enfin le jour même de son indépendance , avec
le Timor-Leste lui-même) ainsi que son refus de régler le différend par d’autres moyens pacifiques,
tels que l’arbitrage ou le règlement judiciaire.
1.8. Ainsi que cela sera exposé plus en détail ci-après, le Timor-Leste a entamé une
procédure pour contester la validité du traité relatif à l’exploitation des ressources de la mer de
Timor qui lui est le plus préjudiciable, au motif que, au cours des négociations ayant abouti à la
conclusion de cet instrument, l’Australie avait espionné les locaux du Gouvernement timorais afin
de prendre connaissance des discussions internes menées par celui-ci. Ce comportement de
l’Australie fait l’objet d’un arbitrage engagé par le Timor-Leste (ci-après «l’arbitrage en vertu du
traité sur la mer de Timor»), qui est tout à fait distinct de la présente espèce.
1.9. Aux fins du règlement futur du différend qui l’oppose à l’Australie sur la délimitation
maritime dans la mer de Timor, le Timor-Leste a sollicité les conseils de son avocat à Canberra
(Australie). C’est l’examen, la saisie et la rétention des documents et autres éléments ayant trait à
ces conseils juridiques qui font l’objet de la présente instance devant la Cour. Ces actes constituent
une violation des droits qui sont ceux du Timor-Leste en vertu du droit international et placent
l’Australie dans une position qui pourrait lui permettre de porter préjudice aux intérêts timorais.
6
Affaire relative à des Questions concernant la saisie et la détention de certains documents et données
(Timor-Leste c. Australie), demande en indication de mesures conservatoires, ordonnance du 28 janvier 2014.
7 Requête, par. 7-9.
8 CR 2014/2, p. 21, par. 3 (Campbell). - 3 -
D. PLAN DU PRÉSENT MÉMOIRE
1.10. Dans le chapitre II est exposé le contexte factuel de l’affaire, y compris un bref aperçu
de l’histoire et de la géographie du Timor-Leste, ainsi que de la mer de Timor et de ses ressources.
Y sont également passés en revue, à titre d’information, les différents traités relatifs à la mer de
Timor que l’Australie a conclus avec l’Indonésie et le Timor-Leste.
1.11. Le chapitre III constitue une présentation succincte de l’arbitrage susmentionné en
vertu du traité sur la mer de Timor.
1.12. Le chapitre IV relate l’examen et la saisie de documents et données dans les locaux
professionnels de l’avocat du Timor-Leste à Canberra, le 3 décembre 2013, et leur rétention
ultérieure, ainsi que les échanges qui ont eu lieu entre les Parties à ce sujet.
1.13. Dans le chapitre V, il est expliqué que, de par l’examen, la saisie et la rétention des
documents et données du Timor-Leste, l’Australie a violé les droits que celui-ci possède en vertu
du droit international à l’égard de ses biens. Ces actes constituent en particulier une atteinte à
l’inviolabilité et à l’immunité auxquelles le Timor-Leste peut prétendre en ce qui concerne ces
documents et données.
1.14. Dans le chapitre VI, le Timor-Leste expose que, de par l’examen, la saisie et la
rétention des documents et données qui se trouvaient dans les locaux professionnels de son avocat,
l’Australie a violé le droit qui est le sien en vertu du droit international de conduire sans ingérence
des négociations et une procédure d’arbitrage.
1.15. Le présent mémoire s’achève par la présentation des conclusions finales du
Timor-Leste. - 4 -
CHAPITRE II
C ONTEXTE HISTORIQUE ET AUTRES ÉLÉMENTS FACTUELS
2.1. Dans le présent chapitre est exposée une partie du contexte factuel de l’affaire. Ce
chapitre contient une description succincte de la géographique du Timor-Leste (section A), suivie
d’un bref exposé de l’histoire de ce pays (section B) et des événements internationaux ayant trait à
la mer de Timor (section C).
A. G ÉOGRAPHIE DU T IMOR -L ESTE (ET DE L ’AUSTRALIE )
2.2. Le Timor-Leste se trouve en Asie du sud-est, au nord-ouest de l’Australie et à
l’extrémité orientale de l’archipel indonésien. Il est constitué de la moitié orientale de l’île de
Timor, ainsi que de la région d’Oecussi-Ambeno, située dans la partie nord-ouest de l’île, et des
îles d’Atauro et de Jaco. La situation géographique du Timor-Leste, notamment par rapport à
l’Australie, est représentée sur la figure 1.
2.3. Le Timor-Leste et la côte nord-ouest de l’Australie se font face de part et d’autre de la
mer de Timor à une distance comprise entre environ 250 milles marins en leur point le plus proche
et 400 milles marins en leur point le plus éloigné. Les deux côtes suivent une direction générale
globalement parallèle, orientée au nord-est.
2.4. Le lit de la mer de Timor est riche en ressources minérales, et notamment en pétrole. Ce
sont les seules ressources d’importance économique majeure que possède le Timor-Leste, dont le
développement repose entièrement sur les arrangements relatifs à leur utilisation. D’importants
champs pétrolifères exploitables ont été découverts, dont certains devraient assurer une activité
commerciale de quelque 40 années, avec une capacité de production continue jusqu’à
9
environ 2056 .
B.H ISTOIRE DU T IMOR -LESTE
2.5. La période coloniale de l’histoire du Timor-Leste remonte au début du seizième siècle,
lorsque des marchands et des missionnaires néerlandais et portugais rencontrèrent pour la première
fois l’île de Timor . Au milieu du XIX siècle, le Portugal, qui occupait la partie orientale de l’île,
entama des négociations avec les Pays-Bas, qui en occupaient la partie occidentale, afin de fixer la
frontière entre leurs territoires et de régler les difficultés posées par diverses enclaves. La frontière
fut démarquée par la Cour permanente d’arbitrage en 1914, ce qui officialisa de fait la souveraineté
portugaise sur ce qui constitue aujourd’hui le territoire du Timor-Leste .
2.6. Le Portugal, qui n’avait guère investi au Timor-Leste, entama en 1974 un processus de
décolonisation progressif. Le 28 novembre 1975, le Frente Revolucionária de Timor-Leste
Independente («Fretilin») déclara unilatéralement l’indépendance de l’Etat du Timor-Leste.
9Rapport d’expert établi par Gaffney, Cline & Associates, présenté dans le cadre de l’arbitrage en vertu du traité
sur la mer de Timor, section 1.1, par. 3 (annexe 1).
10 Great Britain Foreign Office, Historical Section, Peace Handbooks : Portuguese Timor, (1920) 13 (80),
London, HM Stationery Office, p. 6.
11
Affaire de l’île de Timor (Pays-Bas, Portugal), sentence de la Cour permanente d’arbitrage en date du
25 juin 1914, Recueil des sentences arbitrales, vol. XI, p. 481 (http ://legal.un.org/riaa/cases/vol_XI/481-517.pdf). - 5 -
2.7. Neuf jours plus tard, les forces militaires indonésiennes envahirent puis occupèrent le
territoire du Timor-Leste, dont elles conservèrent le contrôle jusqu’en 1999.
12
2.8. Dans une série de résolutions , le Conseil de sécurité et l’Assemblée générale des
Nations Unies déplorèrent l’invasion armée du Timor-Leste par l’Indonésie et rejetèrent les
revendications de souveraineté sur ce territoire formulées par celle-ci. Ce nonobstant, le ministre
australien des affaires étrangères annonça, le 15 décembre 1978, que l’Australie était sur le point
d’entamer des négociations avec l’Indonésie en vue de conclure un traité de délimitation du plateau
continental entre elle-même et le Timor oriental. Le ministre déclara que le début de ces
négociations «signifierait la reconnaissance de jure par l’Australie de l’incorporation du Timor
oriental à l’Indonésie » .13
2.9. En 1989, l’Australie et l’Indonésie conclurent le traité relatif au «Timor gap», aux
termes duquel les deux pays pouvaient conjointement exploiter les ressources pétrolières dans une
partie des fonds marins de la mer de Timor. Cet instrument établissait une zone dite de coopération
(ci-après «la Zone de coopération») au sein de laquelle les ressources pétrolières pouvaient être
exploitées. La figure 2 représente la Zone de coopération ainsi établie.
2.10. Le 22 février 1991, le Portugal introduisit une instance contre l’Australie devant la
Cour internationale de Justice, soutenant notamment que, en concluant le traité relatif au «Timor
gap», l’Australie avait porté atteinte au «droit du peuple du Timor oriental à disposer de lui-même,
à l’intégrité et à l’unité de son territoire et à sa souveraineté permanente sur ses richesses et
14
ressources naturelles» . La Cour estima que, l’Indonésie n’é15nt pas partie à l’instance, elle ne
pouvait exercer la compétence qui lui était conférée . Son arrêt contient également un résumé de
l’histoire tragique du Timor-Leste jusqu’à cette époque, et du rôle qu’y a joué l’Australie . 16
2.11. En 1999, l’Indonésie, réagissant à des mouvements internes pro-démocratiques
favorables à l’autodétermination du Timor-Leste, et s’inclinant devant l’intense pression
internationale exercée sur elle, accepta d’organiser une consultation populaire au Timor-Leste sur
l’autonomie de celui-ci. Le vote eut lieu le 30 août 1999 et, le 4 septembre, le Secrétaire général de
l’Organisation des Nations Unies, M. Kofi Annan, annonça que 78,5 % des votants étaient opposés
à la proposition d’une autonomie spéciale avec maintien de la souveraineté indonésienne, et
favorables à l’indépendance . Des milices pro-indonésiennes hostiles à l’indépendance entamèrent
12 Assemblée générale des Nations Unies, résolution 3485 (XXX) du 12 décembre 1975
(http ://daccess-dds-ny.un.org/doc/RESOLUTION/GEN/NR0/001/98/IMG/NR000198.pdf?OpenElement) et Conseil de
sécurité des Nations Unies, résolution 384 (1975) du 22 décembre 1975 (http ://unscr.com/en/resolutions/doc/384) ; les
organes politiques des Nations Unies ont expressément déploré l’intervention militaire des forces armées indonésiennes
au Timor-Leste et ont demandé à l’Indonésie de retirer sans délai ses forces de ce territoire.
13Australian National University, Recognition, (1980) Aust YBIL, vol. 8, p. 274.
14
Affaire relative au Timor oriental (Portugal c. Australie), arrêt, C.I.J. Recueil 1995, p. 94, par. 10, point 2 a)
(http ://www.icj-cij.org/docket/files/84/6949.pdf).
15
Ibid., p. 106, par. 38.
16Ibid., p. 95-98, par. 11-18.
17 Communiqué de presse du Conseil de sécurité de l’Organisation des Nations Unies SC/6721,
«Secretary-General Informs Security Council People of East Timor Rejected Special Autonomy Proposed by Indonesia»,
3 septembre 1999 (http ://un.org/News/Press/docs/1999/19990903.sc6721.html). - 6 -
alors une campagne de violence, qui se traduisit par 18 bain de sang généralisé et des dommages
aux biens et aux infrastructures au Timor-Leste .
2.12. Le 25 octobre 1999, l’Indonésie mit fin au contrôle qu’elle exerçait sur le Timor-Leste,
et l’ATNUTO fut établie pour administrer le pays en attendant qu’il acquière le statut d’Etat . 19
2.13. Alors que le Timor-Leste était en passe d’accéder à l’indépendance totale, il continuait
à subir les conséquences d’un quart de siècle de lutte contre l’occupation indonésienne. Ses
infrastructures étaient gravement endommagées et 42,4 % de la20opulation vivait sous le seuil de
pauvreté national (0,88 USD par personne et par jour) .
2.14. Dans son rapport stratégique, la Banque mondiale a décrit en ces termes le Timor-Leste
au moment de son accession à l’indépendance :
«Le Timor-Leste, l’Etat le plus récent du monde, a été bâti sur un champ de
ruines… On estime à 70 % la proportion d’habitations privées et de bâtiments publics
qui ont été réduits en cendres. Les ponts et lignes électriques ont été détruits et le
système de télécommunication, rendu inexploitable. Des documents précieux, tels que
des titres de propriété foncière, des registres d’état civil et des dossiers scolaires ont
été détruits. A la suite de l’élection, la plupart des citoyens indonésiens ont quitté le
territoire, ce qui a entraîné une grave pénurie de professionnels qualifiés et
expérimentés.» 21
2.15. Le Programme des Nations Unies pour le développement a également dressé le portrait
d’un pays dévasté au lendemain du référendum :
«En 1999, le produit intérieur brut (PIB) du pays a chuté de 40 %. Environ
25 % de la population a été contrainte de traverser la frontière pour passer du côté du
Timor indonésien. Les services de l’éducation et de la santé se sont effondrés, et le
pays n’avait pas ou peu de personnel qualifié. 80 % des écoles primaires du pays
étaient détruites. Un grand nombre de personnes ont été traumatisées par la
22
domination indonésienne et la violence dont elles ont été témoin en 1999.»
18Des informations détaillées sur les dommages et destructions causés par les milices pro-indonésiennes suite à
l’annonce des résultats du référendum ont été publiées par le Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de
l’homme dans Robinson, G., «East Timor 1999 Crimes Agains Humanity – A Report Commissionned By the United
Nations Office of The High Commissioner For Human Rights» (University of California Los Angeles, July 2003)
(http ://www.etan.org/etanpdf/
2006/CAVR/12-Annexe1-East-Timor-1999-GeoffreyRobinson.pdf).
19La résolution S/RES/1272 (1999), adoptée le 25 octobre 1999 par le Conseil de sécurité de l’Organisation des
Nations Unies a défini le mandat de l’ATNUTO (http ://documents-dds-ny.un.org/doc/UNDOC/GEN/
N99/312/78/pdf/N9931278.pdf?OpenElement).
20 Programme des Nations Unies pour le développement, The Millenium Development Goals, Timor-Leste,
mars 2009, p. 18 (http ://www.undg.org/docs/10339/Timor-Leste-MDG-Report-2009.pdf).
21 Rapport de la Banque mondiale n 32700-TP, Timor-Leste Country Management Unit East Asia and the
Pacific Region, «Country Assistance Strategy for the Democratic Republic of Timor-Leste for the Period FY06-FY08»,
22 juin 2005, p. I.
22 Programme des Nations Unies pour le développement, Timor-Leste Human Development Report 2011 :
Managing Natural Resources for Human Development – Developing the Non-Oil Economy to Achieve the MDGs (2011),
p. 11 (http ://www.laohamutuk.org/econ/HDI10/TLHDR2011En.pdf). - 7 -
2.16. Les niveaux d’investissement et de savoir-faire nécessaires au secteur pétrolier du
Timor-Leste dépassaient la capacité financière du pays.
2.17. C’est dans ce contexte que l’ATNUTO a engagé des négociations avec l’Australie au
sujet des ressources pétrolières.
C. R ELATIONS ENTRE LE TIMOR -L ESTE ET L ’A USTRALIE EN CE QUI CONCERNE
LA MER DE TIMOR :LES DIFFÉRENTS TRAITÉS
2.18. Le 19 octobre 1999, l’Assemblée délibérative du peuple d’Indonésie renonçait, par un
vote officiel, à la souveraineté sur le Timor-Leste. En février 2000, le Gouvernement indonésien
annonçait que, par suite de la séparation du Timor-Leste, la zone visée par le traité relatif au
«Timor Gap» échappait désormais à la juridiction de l’Indonésie, et que ledit traité avait cessé
d’être en vigueur entre l’Australie et l’Indonésie au moment où l’autorité de cette dernière sur le
23
Timor-Leste avait été transférée aux Nations Unies .
2.19. Soucieuse de garantir les investissements et d’encourager la poursuite des activités
d’exploration, l’ATNUTO et l’Australie convinrent de reconduire les mod24ités du traité relatif au
«Timor Gap» jusqu’à ce que le Timor-Leste accède à l’indépendance .
2.20. Le 5 juillet 2001, l’ATNUTO et le Gouvernement australien achevèrent de définir le
cadre dans lequel le Timor-Leste et l’Australie pouvaient continuer d’exploiter les ressources
pétrolières de la mer de Timor (ci-après «l’arrangement relatif à la mer de Timor»). Ce jour-là,
l’ATNUTO et le Gouvernement australien signèrent un mémorandum d’accord dans lequel ils
convenaient que l’arrangement relatif à la mer de Timor serait adopté en tant qu’accord au moment
de l’accession à l’indépendance du Timor-Leste . 25
2.21. Lorsque le Timor-Leste est devenu un Etat indépendant, le 20 mai 2002, son
Gouvernement et celui de l’Australie se sont officiellement mis d’accord sur les modalités de
l’arrangement relatif à la mer de Timor, qui a été rebaptisé Traité sur la mer de Timor entre le
Gouvernement du Timor oriental et le Gouvernement de l’Australie (ci-après «le traité de 2002»).
Ce traité est entré en vigueur le 2 avril 2003.
2.22. Tout comme le traité relatif au «Timor Gap» qui le précédait, le traité de 2002 est un
arrangement provisoire, dans l’attente de la délimitation de la frontière, conclu en vertu de
l’article 83 de la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer (la «CNUDM») . Il s’agit
23A. Downer et N. Minchin, communiqué de presse conjoint, Timor Gap Agreement Reached with UNTAET,
10 février 2010.
24
Echange de notes constitutif d’accord entre le Gouvernement de l’Australie et l’administration transitoire des
Nations Unies au Timor oriental (l’ATNUTO) concernant la poursuite de l’application du traité conclu le
11 décembre 1989 entre l’Australie et la République d’Indonésie relatif à la zone de coopération établie dans un secteur
situé entre la province indonésienne du Timor oriental et l’Australie septentrionale, 10 février 2000 [2000] ATS 9
(http://www.austlii.edu.au/au/other/dfat/treaties/2000/9.html).
25
Mémorandum d’accord concernant l’arrangement relatif à la mer de Timor conclu entre l’Australie et le
Timor oriental, 5 juillet 2001 (http://www.austlii.edu.au/au/other/dfat/special/MOUTSA.html).
26Traité sur la mer de Timor entre le Gouvernement du Timor oriental et le Gouvernement de l’Australie,
Timor oriental–Australie, signé le 20 mai 2002 et entré en vigueur le 2 avril 2003, RTNU, vol. 2258, p. 3, préambule et
article 2, faisant tous deux référence à l’article 83 de la CNUDM (https://treaties.un.org/doc/Publication/
UNTS/Volume%202258/v2258.pdf). - 8 -
d’un accord transitoire, sans préjudice des revendications en matière de frontière maritime de
chacun des deux pays, qui n’entrave ni ne limite leur position ou leurs droits en ce qui concerne la 27
délimitation des fonds marins ou les zones de fonds marins auxquelles ils peuvent prétendre .
Après la conclusion du traité de 2002, les gouvernements des deux pays ont engagé des
négociations pour tenter de régler la question des droits sur les revenus provenant des gisements
gaziers et pétrolifères situés totalement ou partiellement à l’extérieur de la ZEPC (notion explicitée
ci-après).
2.23. Le traité de 2002 a instauré une zone d’exploitation pétrolière commune (la «ZEPC»)
dans le «Timor Gap» laissé par l’Australie et l’Indonésie en vertu du traité du même nom , zone 28
qui est représentée sur la figure 3. Selon le traité de 2002, l’Australie et le Timor-Leste contrôlent,
gèrent et facilitent conjointement l’exploration, le développement et l’expl29tation des ressources
pétrolières de la ZEPC au profit de leurs populations respectives . Cet instrument prévoit par
ailleurs que 90 % de la totalité du pétrole découvert dans la ZEPC revient au Timor oriental, et
30
10 % à l’Australie .
2.24. Le traité de 2002 met en place une structure administrative de gestion des activités
pétrolières en cours en créant i) une autorité désignée ; ii) une commission mixte chargée d’établir
des politiques et des règlements pour superviser les activités de l’autorité désignée ; et iii) un
conseil des ministres chargé d’examiner toute question qui lui est soumise par l’un ou l’autre pays.
2.25. Le traité de 2002 a été conclu pour une durée de trente ans à compter de la date de son
entrée en vigueur, ou jusqu’à la délimitation des fonds marins entre l’Australie et le Timor oriental,
la date la plus rapprochée étant retenue :
«Article 22. Durée du Traité
Le présent Traité reste en vigueur jusqu’à la délimitation permanente des fonds
marins entre l’Australie et le Timor oriental ou pendant trente ans à compter de la date
de son entrée en vigueur, la date la plus rapprochée étant retenue. Le présent Traité
peut être reconduit à la suite d’un accord entre l’Australie et le Timor oriental. Les
activités pétrolifères de sociétés ou autres entités à responsabilité limitée conclues aux
termes du Traité se poursuivent, même après la cessation du Traité, à des conditions
équivalentes à celles qui étaient en place en vertu du Traité.» 31
2.26. Les discussions sur la question de la délimitation des fonds marins se sont trouvées
compliquées par la découverte d’un gisement riche en pétrole connu sous le nom de
«Greater Sunrise». Il s’agit du plus important gisement pétrolifère découvert dans la mer de Timor,
le problème étant qu’il ne se trouve que pour partie dans la ZEPC, le reste étant situé à l’est de cette
zone. Ce gisement est représenté sur la figure 4. Le Timor-Leste a fait valoir que la partie de
Greater Sunrise située à l’extérieur de la ZEPC relevait de la zone économique exclusive ou du
27
Traité sur la mer de Timor entre le Gouvernement du Timor oriental et le Gouvernement de l’Australie,
Timor oriental–Australie, signé le 20 mai 2002 et entré en vigueur le 2 avril 2003, RTNU, vol. 2258, art. 2.
28 C’est-à-dire l’espace compris entre les points A16 et A17 dans l’accord de délimitation des fonds marins
conclu entre l’Australie et l’Indonésie en 1972 (http://www.un.org/depts/los/LEGISLATIONANDTREATIES/
PDFFILES/TREATIES/AUS-IDN1972TA.pdf). Voir figure 2.
29Traité de 2002, art. 3 b).
30
Ibid., art. 4 a).
31
Ibid., art. 22. - 9 -
plateau continental auquel il pouvait prétendre en vertu du droit international, l’Australie soutenant
que cette zone était située dans sa zone économique exclusive ou sur son plateau continental.
2.27. Le 20 mai 2002, l’Australie et le Timor-Leste ont conclu un mémorandum d’accord
international au sujet de l’exploitation commune du gisement de Greater Sunrise (ci-après «le
mémorandum Sunrise») , dans lequel était prévu ce qui suit :
«Le Gouvernement de l’Australie et le Gouvernement de la République
démocratique du Timor-Leste, réaffirmant leur volonté de coopérer en vue de
l’exploitation des ressources pétrolières de la mer de Timor conformément au traité
sur la mer de Timor (ci-après «le traité»), œuvreront promptement et de bonne foi en
vue de conclure, le 31 décembre 2002 au plus tard, un accord international
d’exploitation commune (ci-après «l’accord») pour le gisement de pétrole de la mer de
Timor connu sous le nom de «Greater Sunrise».» 33
2.28. L’Australie et le Timor-Leste ont alors entamé des négociations concernant
l’exploitation commune du gisement de Greater Sunrise afin de déterminer la proportion de ce
gisement qui faisait partie de la ZEPC. Les négociations ont pris fin en mars 2003, le
Gouvernement australien ayant menacé de différer la ratification du traité de 2002, en dépit du fait
que le Timor-Leste, pays démuni, avait besoin des redevances qui devaient être versées . C’est 34
dans ce contexte que le Timor-Leste a accepté un accord aux termes duquel 20,1 % seulement des
ressources du gisement de Greater Sunrise étaient considérées comme relevant de la ZEPC. Par
conséquent, même si le Timor-Leste était en droit de percevoir 90 % des revenus provenant de la
ZEPC, il ne percevrait en réalité que 18,1 % de ceux générés par le gisement de Greater Sunrise.
Cet accord portait le nom d’accord international d’unitisation pour le gisement de
Greater Sunrise2003 (ci–après «l’AIU») . La zone unitaire de Greater Sunrise ainsi établie est
représentée sur la figure 5. L’AIU a finalement été ratifié en février 2007.
2.29. Au regard du droit international, le Timor-Leste pouvait et peut toujours prétendre que
c’est une partie beaucoup plus importante de Greater Sunrise qui relève de sa zone économique
exclusive ou de son plateau continental. Il pouvait et peut toujours prétendre à la fois que le
«Timor Gap» laissé par l’Australie et l’Indonésie en vertu du traité du même nom est bien trop
32Mémorandum d’accord conclu entre le Gouvernement de la République Démocratique du Timor oriental et le
Gouvernement de l’Australie au sujet d’un accord international d’exploitation commune du gisement de Greater Sunrise,
20 mai 2002 (http://www.un.org/depts/los/LEGISLATIONANDTREATIES/PDFFILES/TREATIES/AUS-
TLS2002SUN.PDF).
33Ibid.
34
Au cours des débats du sénat qui ont eu lieu le 6 mars 2003 au parlement du Commonwealth d’Australie, le
sénateur Bob Brown a déclaré ce qui suit :
«Selon les informations parues dans les journaux, hier soir, le premier ministre a téléphoné à son
homologue est-timorais pour se livrer à un chantage. Le premier ministre a ainsi exercé des pressions sur
un pays voisin pauvre et faible pour le contraindre à accepter un accord d’exploitation des combustibles
fossiles.» (Commonwealth d’Australie, débats parlementaires, Sénat, «Petroleum (Timor Sea Treaty)
Bill 2003, Petroleum (Timor Sea Treaty) (Consequential Amendments) Bill 2003, Passenger Movement
Charge (Timor Sea Treaty) Amendment Bill 2003, Second Reading», 6 mars 2003 (sénateur Bob Brown),
p. 9384.) (Annexe 2.)
Voir aussi : P. Cleary, Shakedown: Australia’s Grab for Timor Oil, (Australia, Allen & Unwin, 2007), p. 84-87
(annexe 3).
35 Accord entre le Gouvernement de l’Australie et le Gouvernement de la République démocratique de
Timor-Leste concernant l’Unitisation des champs de Sunrise et de Troubadour, 6 mars 2003, Nations Unies, Recueil des
traités, vol. 2483, n° 44576, (https://treaties.un.org/doc/Publication/UNTS/Volume%202483/v2483.pdf). - 10 -
réduit, et que (comme l’indique le tracé de la limite entre les ZEE de l’Indonésie et de l’Australie) 36
la frontière ouest-est se trouve par trop au nord. Si la délimitation avec l’Australie devait être
effectuée sur la base d’une ligne médiane, le Timor-Leste jouirait en effet d’une part bien plus
importante des précieuses ressources de la mer de Timor. C’est pourquoi le premier ministre du
Timor-Leste, Mari Alkatiri, a reporté la ratification de l’AIU par son pays et engagé des
pourparlers avec le Gouvernement australien visant notamment à renégocie37la répartition entre les
deux Etats des revenus provenant du gisement de Greater Sunrise . Ces négociations ont abouti à
la conclusion du traité relatif à certains arrangements maritimes dans la mer de Timor entre
l’Australie et la République démocratique du Timor–Leste (ci-après «le traité de 2006») . 38
2.30. Les dispositions matérielles du traité de 2006 ont été négociées au cours de pourparlers
officiels entre l’Australie et le Timor-Leste, entre les mois d’avril et d’octobre 2004, qui ont abouti
à un accord de principe au début de l’année 2005.
2.31. Avant et après la phase de négociations qui s’est déroulée du 24 au 27 octobre 2004 à
Dili, le premier ministre Alkatiri et le secrétaire d’Etat José Teixeira avaient exposé aux autres
membres du gouvernement les grandes lignes de la position du Timor-Leste aux fins de ces
négociations, soulignant l’importance des enjeux pour leur pays. Dans le cadre de l’arbitrage en
vertu du traité sur la mer de Timor, le Timor-Leste montrera que le Gouvernement australien avait
pris des dispositions pour que ces discussions gouvernementales soient écoutées, enregistrées et
retranscrites clandestinement par le service de renseignement intérieur australien, en étroite
collaboration avec des agents de l’ambassade australienne à Dili et l’équipe australienne participant
aux négociations (voir le chapitre III ci-après).
2.32. Lors de nouvelles discussions entre les représentants des deux gouvernements qui ont
eu lieu à Canberra du 8 au 10 mars 2005, et se sont poursuivies le 20 avril et le 13 mai 2005
à Sydney, une méthode de partage des revenus a été mise au point, et il a été décidé de reporter
l’examen des questions relatives à la frontière maritime.
2.33 Le traité de 2006 a été signé à Sydney par les deux gouvernements le 12 janvier. Les
deux Etats l’ont ratifié, ainsi que l’AIU, le 23 février 2007.
2.34. Le traité de 2006 a marqué l’aboutissement des négociations engagées avec l’Australie
au sujet du gisement de Greater Sunrise, situé de part et d’autre de la limite de la ZEPC. Il prévoit
une répartition égale des revenus provenant de deux réservoirs pétroliers précis de
39
Greater Sunrise .
36
Voir figure 4.
37 Australian Broadcasting Corporation Online, «Aust on Political Collision Course with East Timor»,
19 avril 2004 (annexe 4).
38
Traité entre l’Australie et la République démocratique de Timor-Leste relatif à certains arrangements
maritimes dans la mer de Timor, signé le 12 janvier 2006 et entré en vigueur le 27 juin 2006, RTNU, vol. 2483, p. 359
(le «traité de 2006») (https://treaties.un.org/doc/Publication/UNTS/Volume%202483/v2483.pdf).
39
Traité de 2006 (https://treaties.un.org/doc/Publication/UNTS/Volume%202483/v2483.pdf). - 11 -
2.35. Tout comme le traité de 2002, celui de 2006 est un arrangement provisoire conclu en
l’absence de délimitation frontalière, conformément à l’article 83 de la CNUDM . 40
2.36. Le traité de 2006 a cependant eu des répercussions bien plus importantes sur le
développement du Timor-Leste que le traité de 2002. Son article 3, qui vise à prolonger la durée
du traité de 2002, est ainsi libellé :
«Article 3. Durée du Traité
Le texte de l’article 22 du Traité relatif à la mer du Timor concernant la durée
de ce Traité est remplacé par le texte suivant :
«Le présent Traité restera en vigueur pendant la durée du Traité entre le
Gouvernement de l’Australie et le Gouvernement de la République démocratique du
Timor-Leste relatif à certains arrangements maritimes dans la mer du Timor. Le
présent Traité peut être reconduit à la suite d’un accord entre l’Australie et le
Timor oriental. Les activités pétrolières de sociétés ou autres entités à responsabilité
limitée conclues aux termes du Traité se poursuivent, même après la cessation du
Traité, à des conditions équivalentes à celles qui étaient en place en vertu du
Traité».» 41
2.37. L’article 3 du traité de 2006 a donc pour objet de remplacer l’article 22 du traité
de 2002, de sorte que ce dernier reste en vigueur aussi longtemps que celui de 2006. L’article 12
du traité de 2006, quant à lui, prévoit que cet instrument demeurera applicable pendant
cinquante ans à compter de la date de son entrée en vigueur, ou pendant cinq ans à compter de la
fin de l’exploitation de la zone unitaire, si celle-ci intervient plus tôt.
2.38. Cette prolongation de 24 ans de la durée du traité de 2002 (c’est-à-dire, compte tenu
des dates d’entrée en vigueur des traités de 2002 et 2006, qu’il resterait valable non plus
jusqu’au 2 avril 2033 mais jusqu’au 23 février 2057) est cruciale car cela étendrait très
probablement l’application du traité de 2002 à la totalité de la durée de vie commerciale de la zone
unitaire des gisements de Greater Sunrise et de Troubadour . Autrement dit, le traité de 2002
serait en réalité bien plus qu’un arrangement provisoire, adopté dans l’attente d’un accord sur la
délimitation dans la mer de Timor. Il deviendrait de fait le régime régissant de manière permanente
l’intégralité de la vie économique des ressources de la zone unitaire.
2.39. En outre, de par la portée très étendue des dispositions de son article 4, le traité de 2006
visait à empêcher toute modification du traité de 2002.
«Article 4. Moratoire
1. L’Australie et le Timor-Leste s’abstiendront d’affirmer, de poursuivre ou de
renforcer de quelque manière que ce soit, eu égard à l’autre Partie, ses prétentions
à des droits et juridictions de souveraineté et à des frontières maritimes pendant la
durée du présent Traité.
40
Le caractère provisoire du traité de 2006 est affirmé au préambule et à l’article 2 (https://treaties.un.org
/doc/Publication/UNTS/Volume%202483/v2483.pdf).
41Traité de 2006, article 3 (https://treaties.un.org/doc/Publication/UNTS/Volume%202483/v2483.pdf).
42Rapport d’expert établi par Gaffney, Cline & associés présenté dans le cadre de l’arbitrage en vertu du traité sur
la mer de Timor, section 1.1, par. 3 (annexe 1). - 12 -
2. Le paragraphe 1 du présent article n’empêche pas une Partie de poursuivre des
activités (y compris la réglementation et l’autorisation d’activités nouvelles et
existantes) dans des zones où sa législation nationale a autorisé le 19 mai 2002
l’octroi de permis pour la réalisation d’activités liées au pétrole ou à d’autres
ressources des fonds marins et du sous-sol.
3. Nonobstant le paragraphe 2 du présent article, la ZEPC continuera à être régie par
les dispositions du Traité relatif à la mer du Timor et les actes y afférents.
4. Nonobstant tout autre accord bilatéral ou multilatéral liant les Parties, ou toute
déclaration faite par l’une ou l’autre des Parties conformément à un tel accord,
aucune Partie ne pourra entamer ou poursuivre des procédures contre l’autre Partie
devant tout tribunal, cour ou autre mécanisme de règlement des différends qui
pourraient engendrer ou déboucher directement ou indirectement sur des questions
ou conclusions relatives aux frontières maritimes ou aux délimitations dans la mer
du Timor.
5. Aucun tribunal, cour ou autre instance de règlement des différends devant
connaître de procédures impliquant les Parties ne pourra envisager, commenter ou
formuler des conclusions qui pourraient engendrer ou déboucher directement ou
indirectement sur des questions ou des conclusions relatives aux frontières
maritimes ou aux délimitations dans la mer du Timor. Lesdits commentaires ou
conclusions n’auront aucun effet et ne pourront être cités ou invoqués par les
Parties.
6. Aucune Partie ne pourra soumettre ou poursuivre devant toute organisation
internationale des questions relatives, directement ou indirectement, aux frontières
maritimes ou aux délimitations dans la mer du Timor.
7. Les Parties n’auront aucune obligation de négocier des frontières maritimes
permanentes pour la durée du présent Traité.» 43
2.40. L’article 4 et le paragraphe 1 de l’article 12 du traité de 2006 tendent donc à empêcher
l’une ou l’autre Partie d’avancer ou de soutenir toute prétention à des droits souverains, à la
juridiction ou à des frontières maritimes jusqu’à ce que le potentiel de la zone unitaire de
Greater Sunrise soit complètement épuisé, ou jusqu’au 23 février 2057.
2.41. Bien que les Parties aient la possibilité de mettre fin au traité de 2006 si comme
c’est le cas aucun programme d’exploitation n’a été approuvé concernant la zone unitaire à la
date du 23 février 2013, cet instrument prévoit que, dans l’hypothèse où du pétrole serait produit
dans la zone unitaire après son extinction, l’ensemble de ses dispositions seraient de nouveau en
vigueur.
2.42. Les effets préjudiciables du traité de 2006 sur le Timor-Leste ne s’arrêtent pas là. A la
suite de la signature de cet instrument, le ministre australien des affaires étrangères,
Alexander Downer, a en effet adressé au vice-premier ministre et ministre des affaires étrangères et
de la coopération, José Ramos-Horta, une lettre d’avenant, en date du 12 janvier 2006, qui se lit
comme suit :
4Traité de 2006, art. 4 (https://treaties.un.org/doc/Publication/UNTS/Volume%202483/v2483.pdf). - 13 -
«Depuis le 19 mai 2002, la législation australienne s’appliquant à la [ZEPC]
autorise l’octroi de permis pour mener des activités liées au pétrole ou à d’autres
ressources des fonds marins et du sous-sol. Cette législation comprend le Petroleum
(Submerged Lands) Act de 1967 et le Offshore Mineral Act de 1994. En conséquence,
l’Australie poursuivra des activités (y compris la réglementation et l’autorisation
d’activités nouvelles et existantes) dans cette région.
Je vous saurais gré de confirmer qu’en date du 19 mai 2002, le Timor-Leste
n’avait aucune législation s’appliquant à cette région et régissant l’application du
paragraphe 2 de l’article 4.» 44
2.43. Dans une lettre d’avenant datée du 12 janvier 2006, le ministre Ramos-Horta
confirmait «qu’en date du 19 mai 2002, la République démocratique du Timor-Leste n’avait
aucune légis45tion s’appliquant à cette zone et engendrant l’application du paragraphe 2 de
l’article 4» .
2.44. Le paragraphe 2 de l’article 4 du traité de 2006, lu conjointement avec les lettres
d’avenant, a donc pour effet d’autoriser l’Australie à poursuivre l’exploration et l’exploitation de
toute zone située à l’extérieur de la ZEPC dans laquelle, à la date du 19 mai 2002, la législation
australienne autorisait ce type d’activités, alors même que le Timor-Leste pourrait prétendre à des
droits souverains sur ces zones en vertu de la CNUDM et du droit international. Le Timor-Leste,
en revanche, ne peut exercer pareil droit puisqu’il n’a acquis son indépendance que le lendemain de
la date butoir du 19 mai 2002.
2.45. Ainsi, en vertu du paragraphe 2 de l’article 4 du traité de 2006 et des lettres d’avenant,
l’Australie est autorisée à explorer et exploiter les abondantes ressources commerciales de zones
situées à l’ouest et à l’est de la ZEPC , zones auxquelles le Timor-Leste estime pouvoir prétendre
en vertu du droit international.
2.46. Il apparaît clairement que, si les frontières maritimes du Timor-Leste avec l’Australie
et l’Indonésie étaient définies conformément au droit international, une importante partie de la zone
située à l’extérieur de la ZEPC relèverait des droits souverains du Timor-Leste. C’est cette zone
qui est intégralement laissée à l’Australie aux termes des lettres d’avenant au traité de 2006. Elle
comprend la quasi-totalité des gisements de Greater Sunrise et de Troubadour.
2.47. Le traité de 2006 a donc pour effet d’autoriser l’Australie à poursuivre l’exploration et
l’exploitation d’une zone en litige entre le Timor-Leste et l’Australie, et d’empêcher celui-ci (en
raison de la durée de cinquante ans du traité de 2006 et du moratoire) de prendre toute mesure
visant à éviter que cela se produise, et même de faire valoir ses droits sur cette zone, pendant une
période qui excèdera probablement la durée de vie des gisements pétroliers commercialement
exploitables qui s’y trouvent.
44Lettre d’avenant en date du 12 janvier 2006 adressée à J. Ramos-Horta par A. Downer (https://treaties.un.org/
doc/Publication/UNTS/Volume%202483/v2483.pdf).
45 Lettre d’avenant en date du 12 janvier 2006 adressée à A. Downer par J. Ramos-Horta
(https://treaties.un.org/doc/Publication/UNTS/Volume%202483/v2483.pdf).
46
Voir figure 4. - 14 -
C HAPITRE III
L’ARBITRAGE EN VERTU DU TRAITÉ SUR LA MER DE TIMOR
A. INTRODUCTION
3.1. Le présent chapitre décrit la situation actuelle dans le cadre de l’arbitrage en vertu du
traité sur la mer de Timor, qui est administré par la Cour permanente d’arbitrage à La Haye. Cet
exposé s’impose car la requête introduite devant la Cour s’inscrit dans le contexte de cet arbitrage.
Le présent chapitre en respecte la confidentialité et n’en aborde que les aspects pertinents pour
comprendre les questions soulevées en l’espèce.
3.2. Il convient de rappeler que l’Australie a exposé ses vues sur la procédure d’arbitrage en
vertu du traité sur la mer de Timor dans s48 observations écrites sur la demande en indication de
mesures conservatoires du Timor-Leste , auxquelles elle a joint un certain nombre de documents
se rapportant audit arbitrage . 49 Elle a également développé sa position lors des audiences
50
consacrées aux mesures conservatoires .
B. L’ ARBITRAGE EN VERTU DU TRAITÉ SUR LA MER DE T IMOR
3.3. Le 23 avril 2013, le Timor-Leste a communiqué à l’Australie une notification
d’arbitrage . La procédure d’arbitrage en vertu du traité sur la mer de Timor a été engagée
conformément à l’article 23 du traité de 2002, qui dispose que tout différend (à l’exception de ceux
relevant du code fiscal) concernant l’application ou l’interprétation de cet instrument est, dans la
mesure du possible, réglé par voie de consultation ou de négociation, le paragraphe b) dudit article
prévoyant que tout différend qui n’est pas réglé ainsi peut être soumis à l’arbitrage par l’un ou
l’autre des Etats.
3.4. Les questions en jeu dans l’arbitrage en vertu du traité sur la mer de Timor ont été
résumées comme suit dans le mémoire en demande, daté du 18 février 2014 et joint en l’annexe 5
du présent mémoire :
«1.3. La présente affaire est introduite par le Timor-Leste contre l’Australie et vise à
obtenir une déclaration selon laquelle le traité de 2002 sur la mer de Timor (ci-après
«le traité de 2002») reste en vigueur sous la forme et dans les termes convenus lors de
sa signature par les Parties, le 20 mai 2002. Le Timor-Leste demande en particulier au
tribunal de déclarer que l’article 22 du traité de 2002 reste valide et applicable dans
ses termes initiaux, nonobstant les dispositions de l’article 3 du traité entre l’Australie
et la République démocratique de Timor-Leste relatif à certains arrangements
47Le 7 janvier 2014, dans son ordonnance de procédure n 2 (levée de l’obligation de confidentialité), le tribunal
constitué aux fins de l’arbitrage en vertu du traité sur la mer de Timor a décidé ce qui suit : «L’obligation de
confidentialité imposée aux Parties par le paragraphe 5 de l’article 26 du règlement de procédure ne s’applique plus
lorsque l’une ou l’autre d’entre elles est appelée, dans le cadre de l’instance introduite par le Timor-Leste devant la Cour
internationale de Justice, à fournir copie de pièces de correspondance, pièces de procédure ou comptes rendus relatifs à la
présente procédure d’arbitrage.»Observations écrites de l’Australie sur la demande en indication de mesures
conservatoires du Timor-Leste, 13 janvier 2014 (ci-après «OE de l’Australie»), annexe 7.
48OE de l’Australie, par. 7, 9-11, 14-21, 24, 26.
49OE de l’Australie, annexes 1, 3,4, 5, 6, 9, 13, 47, 48, 49, 50, 51, 52 et 53.
50
CR 2014/2, p. 37-47 et CR 2014/4, p. 8-10.
51OE de l’Australie, annexe 1. - 15 -
maritimes dans la mer de Timor de 2006 (ci-après «le traité de 2006»). Il fait valoir
que les modifications que le traité de 2006 avait pour but d’apporter à celui de 2002
sont nulles et inapplicables, car le traité de 2006 est dépourvu d’effet.
1.4. Les circonstances … sont les suivantes : pendant les négociations du traité de
2006 qui se sont déroulées en 2004 entre le Timor-Leste et l’Australie, celle-ci a
espionné l’équipe timoraise chargée des négociations au moyen de dispositifs d’écoute
que des agents australiens avaient installés de manière clandestine et illégale dans des
locaux du Gouvernement du Timor-Leste. L’équipe australienne chargée des
négociations a ainsi pu prendre connaissance des discussions internes de l’équipe
timoraise, ainsi que de la position de celle-ci sur diverses questions découlant du traité
de 2002 et sur la tentative de le modifier en élaborant celui de 2006. Il n’est pas
possible d’établir dans quelle mesure l’équipe australienne a utilisé les informations
illicitement obtenues, mais, en tout état de cause, telle n’est pas la question en
l’espèce. Le fait que l’Australie se soit mise en situation d’anticiper la position du
Timor-Leste dans les négociations ainsi que les moyens qui la sous-tendent et de tirer
parti de ces informations est suffisant.
1.5. De par ce comportement, l’Australie a violé le droit international coutumier en
agissant manifestement de mauvaise foi, contrairement à l’exigence de bonne foi,
principe juridique fondamental régissant les relations entre Etats. Un tel
comportement est similaire au dol ou à la corruption, motifs expressément reconnus
par la convention de Vienne de 1969 sur le droit des traités comme viciant le
consentement apparent d’un Etat à être lié par un traité. Ces règles et principes de
droit international s’appliquent aux dispositions du traité de 2006 qui ont pour objet de
modifier celui de 2002 ; en conséquence, lesdites dispositions sont nulles et
dépourvues d’effets juridiques et, partant, ne sauraient modifier le traité de 2002.
1.6. Ce comportement de l’Australie constitue également une violation du droit
international en ce que des responsables ou des fonctionnaires australiens sont entrés
sur le territoire du Timor-Leste en dissimulant l’objectif véritable et illicite de leur
visite et dans l’intention de violer le droit timorais. Cette violation de la souveraineté
du Timor-Leste ne diffère pas en soi, mais seulement par son ampleur, d’une invasion
du territoire timorais. Par ailleurs, la complicité de l’ambassade d’Australie à Dili
dans la commission de ces actes est incompatible avec la convention de Vienne de
1961 sur les relations diplomatiques et aggrave l’illicéité dudit comportement. De
surcroît, le traité de 2006 contrevient à une norme impérative du droit international,
puisqu’il prive le Timor-Leste de l’accès à ses ressources naturelles.
1.7. Il découle plus particulièrement de la nullité et de l’absence d’effets juridiques des
dispositions du traité de 2006 qui avaient pour but de modifier celui de 2002, que la
disposition (article 3) qui devait remplacer l’article 22 du traité de 2002 par une autre
disposition relative à la durée de cet instrument est dépourvue de valeur juridique. La
durée du traité de 2002, convenue lors de sa signature en 2002, demeure donc
inchangée.
1.8. De même, l’article 4 du traité de 2006, qui, de fait, vise à priver le Timor-Leste de
la possibilité de demander des ajustements des termes du traité de 2002 et d’affirmer,
de poursuivre ou de renforcer de quelque manière que ce soit, vis-à-vis de l’Australie,
toute prétention à des droits souverains et à des frontières maritimes pendant une
durée de cinquante ans, est lui aussi entaché de nullité. En conséquence, le
Timor-Leste soutient qu’il conserve la liberté de formuler des propositions sur des
questions telles que les limites des prétentions maritimes respectives du Timor-Leste
et de l’Australie et sur les arrangements relatifs à l’exploitation des ressources - 16 -
naturelles marines et sous-marines des eaux qui les séparent, ainsi que de porter ces
questions, si nécessaire, devant les instances judiciaires internationales.»
3.5. La validité du traité de 2006 est un point important car, sans les modifications que cet
instrument a apportées à celui de 2002, ce dernier expirerait au terme d’une période de trente ans,
soit en 2033, ou dès l’établissement d’une ligne délimitant les fonds marins, le délai le plus court
étant retenu. Le traité de 2006 proroge cette période jusqu’en 2057, date à laquelle l’ensemble des
ressources pétrolières exploitables auront vraisemblablement été épuisées, de sorte que
l’établissement d’une frontière maritime conformément aux droits qui, selon le Timor-Leste, sont
les siens en vertu du droit international ne servirait qu’à lui attribuer des zones de fonds marins
supplémentaires dont l’Australie aurait déjà extrait toutes les ressources.
3.6. Ainsi que cela a été exposé au chapitre II , du fait de la portée étendue des dispositions
de son article 4, le traité de 2006 a renforcé la position de l’Australie. Cet article laisse en effet
l’Australie libre d’exploiter les ressources que recèlent les zones situées de son côté de la limite
temporaire zones dont le Timor-Leste soutenait qu’elles devaient lui revenir en vertu du droit
international , alors qu’il va même jusqu’à interdire au Timor-Leste «d’affirmer, de poursuivre
ou de renforcer de quelque manière que ce soit» ses prétentions sur ces zones.
3.7. Telles étaient les conséquences du traité de 2006, et c’est au cours des négociations de
cet instrument que l’Australie a espionné le Gouvernement timorais.
C. L A PERTINENCE DE L ’ARBITRAGE EN VERTU DU TRAITÉ SUR LA MER DE TIMOR
AUX FINS DU DIFFÉREND DONT LA C OUR EST SAISIE
3.8. Le tribunal constitué aux fins de l’arbitrage en vertu du traité sur la mer de Timor doit
apprécier les conséquences, sur le traité de 2002, des arguments selon lesquels le traité de 2006
n’est pas valide. Ce point est important car certains des documents et données qui ont été examinés
et saisis par l’Australie comprennent des éléments établis par le conseiller juridique du Timor-Leste
en vue de cet arbitrage. Certains d’entre eux contiennent ainsi des conseils juridiques concernant
l’application et l’interprétation des traités de 2002 et de 2006 et les règles pertinentes du droit des
traités, ainsi que l’ouverture d’une procédure d’arbitrage pour régler ce différend, d’éventuels lieux
où organiser cette procédure, des arbitres potentiels et les moyens que le Timor-Leste pourrait faire
valoir à l’appui de son argumentation, y compris une analyse de sa position juridique.
D. LA SITUATION PROCÉDURALE
3.9. Le 31 janvier 2014, l’Australie a présenté au tribunal arbitral une demande tendant à ce
que certaines déclarations de témoins soient jugées irrecevables et, en particulier, celles du
témoin K . La décision sollicitée était la suivante :
«1) que le tribunal interdise que soit faite toute déclaration, écrite ou orale, dont la
divulgation constituerait une infraction pénale au regard des articles 39 et 41 de
l’Intelligence Services Act 2001 (Cth), de l’article 70 du Crimes Act 1914 (Cth) et
de l’article 91.1 de l’annexe 1 du Criminal Code Act 1995 (Cth), ou de toute autre
52
Annexe 5.
53Paragraphe 2.39 du présent mémoire.
54
Annexe 6. Des informations supplémentaires concernant le témoin K sont données au paragraphe 4.12
ci-après. - 17 -
disposition de la législation australienne relative au renseignement ou à la sécurité
nationale ;
2) en particulier,
a) que le tribunal interdise que soit produite la déclaration sous serment du
témoin K, déposée par le Timor-Leste au secrétariat de la Cour permanente
d’arbitrage, et toute autre déclaration écrite du témoin K ;
b) que le tribunal interdise toute déposition orale du témoin K, qu’elle soit faite
en personne, à La Haye, ou par des moyens électroniques ou autres ;
c) que le tribunal interdise la présentation de tout élément de preuve obtenu par
suite de révélations déjà faites au Timor-Leste ou à d’autres par le témoin K,
dont la divulgation pourrait constituer une infraction pénale au regard de la
législation australienne.»
3.10. Une audience sur cette demande s’est tenue le 29 mars 2014. Le 18 avril 2014, le
tribunal a rendu l’ordonnance de procédure n 3, par laquelle il a, à titre provisoire, jugé recevable
la déclaration du témoin K et décidé de surseoir à statuer sur la demande de l’Australie jusqu’au
prononcé de sa sentence définitive. - 18 -
CHAPITRE IV
L’ EXAMEN ET LA SAISIE ,LE 3DÉCEMBRE 2013,DE DOCUMENTS ET
DE DONNÉES AINSI QUE LEUR RÉTENTION
A. NTRODUCTION
4.1. Le présent chapitre commence par exposer le rôle du cabinet d’avocats australien
Collaery Lawyers en tant que conseil du Timor-Leste sur un certain nombre de questions, y
compris les négociations avec l’Australie concernant les ressources du plateau continental de la
mer de Timor et la procédure d’arbitrage en vertu du traité de 2002 qui se déroule actuellement
(section B). Sont ensuite décrits la manière dont a été exécuté le mandat de perquisition le
3 décembre 2013 (section C) et, pour autant que cela soit possible sans que l’on sache précisément
ce qui a été pris, les documents et données examinés et saisis, ainsi que les droits de propriété que
le Timor-Leste détient à leur égard (section D). La section E porte sur la déclaration du
4 décembre 2013 faite par l’Attorney-General australien et sur la correspondance échangée par la
suite entre les avocats du Timor-Leste (le cabinet DLA Piper) et les autorités australiennes.
B. LES CONSEILS JURIDIQUES FOURNIS AU TIMOR -LESTE
PAR C OLLAERY L AWYERS
4.2. Les documents et données en cause dans la présente affaire ont été examinés et saisis
dans les bureaux de Collaery Lawyers, Branchfie55 Chambers, situés au 5 Brockman Street, à
Narrabundah, Territoire de la capitale australienne . M. Collaery est un avocat australien inscrit
depuis 1970 sur la liste des avocats de la Cour suprême de Nouvelle-Galles du Sud, et habilité à
exercer dans l’ensemble des Etats et Territoires australiens. Il est également avocat près la Cour
suprême d’Irlande du Nord, et plaide en qualité de conseil devant de nombreuses juridictions
supérieures.
4.3. M. Collaery a été Attorney-General du Territoire de la capitale australienne de 1989
à 1991.
4.4. M. Collaery agit pour le compte du Gouvernement du Timor-Leste depuis plusieurs
années. Aux termes de sa lettre de mission actuelle, il s’est notamment engagé, au nom de son
cabinet, à fournir une assistance aux fins de la mise en place de services juridiques internationaux
sollicités par le Gouvernement de la République démocratique du Timor-Leste (désignée «la
RDTL» dans la lettre de mission), à assurer la coordination de l’équipe de conseillers et à
superviser la prestation de conseils juridiques au cabinet du premier ministre ou de tout ministre ou
secrétaire d’Etat concerné du Gouvernement du Timor-Leste. Une version expurgée de la lettre de
mission est jointe au présent mémoire en tant qu’annexe 7.
4.5. Dans la lettre de mission est abordée la question des informations confidentielles, que la
clause 1 définit comme suit :
«Sont considérées comme des Informations confidentielles toutes informations
(écrites ou non) qui n’avaient pas été rendues publiques à la Date d’entrée en vigueur
[de la lettre de mission] ou se sont fait jour postérieurement à cette date, et qui portent
55Depuis 2013, Collaery Lawyers dispose également de bureaux situés au 8B Beauchamp Road, à Londres
(Royaume-Uni), à partir desquels sont conduites les procédures contentieuses internationales. - 19 -
sur les méthodes, affaires et intérêts commerciaux de la RDTL ou de toute personne
physique ou morale qui lui serait liée ou associée à quelque titre que ce soit ; relèvent
notamment de cette définition :
a) les termes de la présente lettre de mission ;
b) les informations, documents et éléments de toute nature que la RDTL fournit, sous
quelque forme que ce soit, au Consultant ;
c) les informations, documents et éléments de toute nature que la RDTL désigne
comme étant confidentiels ou communique au Consultant à titre confidentiel ;
d) toutes informations à caractère confidentiel communiquées par un tiers à la
RDTL.»
4.6 Les clauses 8 et 9 se lisent comme suit :
«8. Confidentialité
8.1. Obligations de confidentialité
Le Consultant s’engage à :
a) préserver la confidentialité de toutes les Informations confidentielles,
b) ne divulguer à personne les Informations confidentielles, hormis dans les cas
suivants :
i) si et dans la mesure où la loi l’exige,
ii) avec l’accord écrit préalable de la RDTL,
iii) à ses collaborateurs, aux fins de la présente lettre de mission.
8.2. Informations confidentielles tombées dans le domaine public
Si des informations confidentielles tombent licitement dans le domaine public,
les obligations de confidentialité mises à la charge du Consultant aux termes de la
clause 8.1 prennent fin en ce qui concerne ces informations.
8.3. Utilisation des informations confidentielles
Le Consultant s’interdit d’utiliser, de permettre que soit utilisée, et de modifier
toute Information confidentielle, sauf aux fins de la présente lettre de mission et
conformément à celle-ci.
8.4. Sécurité
Le Consultant s’engage à :
a) conserver dans des conditions appropriées et sécurisées toutes Informations
confidentielles, - 20 -
b) empêcher la divulgation des informations confidentielles à des tiers.
8.5. Remise des informations
Le Consultant remettra immédiatement à la RDTL l’ensemble des Informations
confidentielles, ainsi que toute copie qui en aurait été faite :
a) à l’expiration ou en cas de résiliation anticipée de la présente lettre de
mission,
b) à tout moment, si la RDTL en fait la demande.
8.6. Collaborateurs
Nonobstant toute autre clause de la présente lettre de mission,
a) le Consultant s’engage à veiller à ce que tous ses collaborateurs et toutes autres
personnes auxquelles a été déléguée la prestation de services de conseil en vertu de
la clause 3.5 et qui utilisent les informations confidentielles ou y ont accès, soient
informés du caractère confidentiel desdites informations et en assurent le strict
respect conformément aux clauses 8 et 9 ;
b) le Consultant s’engage à indemniser la RDTL des pertes ou dommages de toute
nature qu’elle pourrait supporter par suite d’un manquement du Consultant à
l’obligation visée à l’alinéa a) ci-dessus.
8.7. Manquement à l’obligation de confidentialité
En cas de manquement à l’obligation de confidentialité par une personne à
laquelle il a divulgué tout ou partie des informations confidentielles, le Consultant doit
en informer la RDTL dès qu’il en a connaissance, et lui fournir toute assistance
raisonnable aux fins d’une éventuelle action en justice, demande, réclamation ou
procédure que la RDTL pourrait engager à l’encontre de cette personne à raison du
manquement en cause.
8.8.Obligation de communication
Si le Consultant est à l’origine d’une information confidentielle ou du
développement de pareille information, il est tenu de communiquer immédiatement
cette information à la RDTL.
8.9. Réparation équitable
En cas de manquement de sa part aux obligations qui sont mises à sa charge aux
termes de la clause 8, le Consultant reconnaît que la RDTL est en droit d’obtenir de lui
une réparation équitable (outre tous autres recours prévus par la présente lettre de
mission ou par la loi). - 21 -
8.10. Continuité des obligations
Les obligations du Consultant énoncées dans la présente clause 8 continueront
de s’appliquer après l’expiration ou la résiliation de la présente lettre de mission, et lui
resteront opposables à tout moment, en vertu du droit ou de l’équité. Elles
continueront de bénéficier à la RDTL, qui pourra s’en prévaloir.
9. Propriété intellectuelle
9.1. Titularité des droits de propriété intellectuelle
a) Le Consultant cède à la RDTL l’ensemble des droits de propriété intellectuelle et
autres titres, droits et intérêts (ci-après les «Droits») sur tous travaux, documents,
programmes informatiques et autres éléments produits ou créés par lui-même ou
ses principaux collaborateurs, ou créés en son nom dans le cadre de la prestation
des Services de conseil (les «Travaux»). Le Consultant reconnaît par ailleurs que,
sauf autorisation écrite de la RDTL, il ne pourra fournir ces Travaux à toute autre
personne ou les utiliser que dans le cadre de la prestation de Services de conseil à
la RDTL.
b) Les Droits comprennent les droits de brevet, droits d’auteur, droits de marque et, le
cas échéant, droits des dessins et modèles, ainsi que toutes demandes
d’enregistrement à cet effet et tous droits de déposer pareilles demandes.
c) Le Consultant signera tous documents et prendra toutes mesures que la RDTL
pourra raisonnablement solliciter pour rendre effective la cession des Droits .
d) Le Consultant garantit que les Travaux :
i) ne constituent pas, en tout ou grande partie, des copies d’autres travaux,
documents, programmes informatiques ou autres éléments, où que ce soit
dans le monde ;
ii) ne portent pas atteinte aux droits de tiers sur tous autres travaux, documents,
programmes informatiques ou autres éléments, où que ce soit dans le monde ;
iii) ne font l’objet d’aucune concession, d’aucun transfert ou d’aucune cession de
droits consenti par lui à un tiers.
e) S’il n’est pas en mesure, pour quelque raison que ce soit, de céder les Droits à la
RDTL, le Consultant devra, éventuellement par l’intermédiaire de ses principaux
collaborateurs, en informer la RDTL par écrit, avant de produire ou de créer
quelques Travaux que ce soit. Le Consultant devra décrire chacun de ces Travaux
et préciser les raisons pour lesquelles il ne peut procéder à la cession des Droits y
afférents au profit de la RDTL.
f) La RDTL décidera alors si elle souhaite toujours obtenir la cession des Droits
afférents auxdits Travaux ou peut se satisfaire d’une licence d’utilisation, et
informera le Consultant de sa décision par écrit. Le Consultant s’engage, si la
RDTL se déclare satisfaite par l’obtention d’une licence, à lui fournir son
assistance dans la négociation des termes de celle-ci avec le titulaire des Droits en
cause. - 22 -
9.2. Licence d’utilisation des droits de propriété intellectuelle préexistants du
Consultant
a) Le Consultant consent à la RDTL une licence d’utilisation perpétuelle, non
exclusive, exempte de redevances et librement transférable de tous ses droits
préexistant à la prestation de services de conseil et entrant dans le cadre des
Travaux, notamment les droits afférents à tous modèles de documents et bases de
données.
b) Cette disposition demeurera applicable, à l’instar des autres clauses de la présente
lettre de mission ayant pareille vocation, après l’expiration ou la résiliation de
ladite lettre.»
4.7. Conformément à ses différentes lettres de mission, M. Collaery a fourni au Timor-Leste
des conseils sur une série de questions, parmi lesquelles les accords conclus entre celui-ci et
l’Australie concernant la mer de Timor, et notamment les traités de 2002 et 2006. A cette fin, il a
notamment consulté MM. Elihu Lauterpacht CBE QC LLD et Vaugan Lowe QC, tous deux avocats
exerçant à Londres.
C. L’EXÉCUTION DU MANDAT DE PERQUISITION LE 3 DÉCEMBRE 2013
4.8. Le 1 décembre 2013, M. Collaery a quitté Melbourne (Australie) pour participer à la
première réunion de procédure convoquée dans le cadre de l’arbitrage en vertu du traité sur la mer
de Timor, à la Cour permanente d’arbitrage de La Haye.
4.9. Le 2 décembre, l’Attorney-General du Commonwealth d’Australie a délivré un mandat
56
de perqu57ition en vertu de l’article 25 de l’Australian Security Intelligence Organisation Act
de 1979 .
4.10. Peu après son arrivée à La Haye, le 3 décembre 2013, M. Collaery a été informé par
Mme Chloe Preston, avocat exerçant dans son cabinet, qu’un groupe de dix à quinze personnes, qui
s’étaient présentées comme des agents de l’ASIO, avaient, ce même jour (à l’heure australienne),
perquisitionné ses locaux professionnels et d’habitation, examinant des documents et appareils
électroniques et procédant à leur saisie. Ces agents avaient montré à Mme Preston, sans l’autoriser
à le conserver, un mandat de perquisition expurgé, dont un exemplaire a, entre-temps, été produit
par l’Australie dans le cadre de la présente instance, en tant qu’annexe 21 des observations écrites.
4.11. Mme Preston a rapporté que les agents de l’ASIO avaient, pendant plus de six heures,
passé en revue de nombreux dossiers concernant les prestations de conseil fournies au
Gouvernement du Timor-Leste par M. Collaery, ainsi qu’une correspondance plus récente
échangée, notamment, avec MM. Lauterpacht et Lowe, l’agent du Timor-Leste dans la procédure
d’arbitrage, et un certain nombre de spécialistes de la délimitation maritime que Collaery Lawyers
avait, conformément à la lettre de mission, engagés pour conseiller le Timor-Leste.
5OE de l’Australie, annexe 21.
5Ibid., annexe 16. - 23 -
4.12. Parmi les documents saisis figurent d’anciennes versions d’une déclaration sous
serment faite par le «témoin K», ancien agent de l’Australian Secret Intelligence Service [le 58rvice
de renseignement intérieur de l’Australie ou ASIS] et client de Collaery Lawyers . Cette
déclaration, dans laquelle sont décrites les écoutes secrètes réalisées en 2004 dans les bureaux du
Gouvernement du Timor-Leste sur les instructions des autorités australiennes, est un élément de
preuve essentiel dans la procédure d’arbitrage en vertu du traité sur la mer de Timor.
4.13. Ont également été saisis un ordinateur portable contenant, selon M. Collaery, des
éléments concernant le Timor-Leste, et une clé USB susceptible, elle aussi, de contenir, des
informations de ce type.
D. LES DOCUMENTS ET DONNÉES SAISIS
4.14. Les documents et données qui ont été examinés ou saisis par l’Australie ne se
rapportent pas tous à la procédure d’arbitrage. Figurent également parmi eux des avis et projets de
textes juridiques concernant les droits du Timor-Leste sur certaines zones de la mer de Timor et les
voies de recours que celui-ci pourrait exercer pour faire valoir ces droits (y compris, mais pas
seulement, l’arbitrage), les arguments juridiques qu’il pourrait avancer et leurs avantages respectifs.
4.15. Le Timor-Leste affirme que, dans leur grande majorité, les éléments saisis
sont de facto et de jure , sa propriété, et qu’aucun tiers, dont le Gouvernement australien, ne
saurait détenir à leur égard un quelconque droit. Le Timor-Leste a le droit que soit garantie la
confidentialité de ces éléments, qu’ils aient ou non trait à l’arbitrage. Il est par ailleurs en droit de
prétendre au respect du secret professionnel invoqué par ses conseillers juridiques à l’égard de tous
ces éléments. Dans la section suivante, le Timor-Leste précisera que la plupart des éléments en
cause sont, juridiquement, sa propriété, pour autant qu’ils puissent être identifiés sans que ses
conseillers n’aient pu les examiner. Cette proposition découle de l’application d’une règle
communément admise dans les systèmes juridiques internes, notamment celui de l’Australie,
suivant laquelle les documents établis par un avocat sur les instructions ou pour le compte d’un
client sont la propriété de ce dernier.
E. L ES DROITS DE PROPRIÉTÉ DU T IMOR -L ESTE SUR LES DOCUMENTS ET DONNÉES SAISIS
4.16. En droit international , comme dans divers droits internes , le droit applicable pour
déterminer la propriété des biens meubles est la lex situs. En l’espèce, si l’on applique la
58
Le témoin K avait saisi l’inspection générale des services de renseignements et de sécurité (l’«IGIS») d’une
réclamation portant sur son ancien emploi au sein de l’ASIS, conformément aux procédures en vigueur dans les agences
gouvernementales australiennes. L’IGIS savait que, dans cette affaire, le témoin K était représenté par M. Collaery. Des
copies des communications échangées entre M. Collaery et l’IGIS, qui n’ont été expurgées que des informations
susceptibles d’identifier le témoin, figurent aux annexes 8 et 9.
59
A. Flessner, «Choice of Law in International Property Law New Encouragement from Europe» in
R. Westrik and J. Van der Weider (dir. publ. 2011), Party Autonomy in International Property Law, (Sellier European
Law Publishers, 2011), p. 11 : «En droit international de la propriété, c’est le droit du lieu où se trouve le bien, la lex rei
sitae ou lex situs, qui s’applique à la création, à la teneur, à l’exercice et au transfert des droits de propriété sur ce bien».
60Voir, par exemple : Morris & Collins (dir. publ.), The Conflict of Laws (15th ed., 2012), règles 128-129 ; loi
australienne relative au droit international privé, article 31, citée en note de bas de page n 1 de l’ouvrage d’A. Flessner,
«Choice of Law in International Property Law New Encouragement from Europe» in R. Westrik and
J. Van der Weider (éd. 2011) ; et loi allemande introduisant le code civil, article 43 (annexe 10). - 24 -
61
lex situs , le droit régissant la propriété des documents et données saisis est celui de l’Australie,
puisque ceux-ci se trouvaient sur le territoire australien au moment où ils ont été saisis.
4.17. En droit australien, la décision faisant autorité en ce qui concerne la propriété
d’éléments qui sont en la pos62ssion d’un avocat est l’arrêt Wentworth v. De Montfort (1988),
NSWLR, vol. 15, p. 348 . Dans cette affaire, le client d’un avocat avait demandé qu’il soit enjoint
à ce dernier de lui restituer des documents qui se trouvaient en sa possession, arguant que l’avocat
détenait ces documents en tant qu’agent à son service. La Cour d’appel de Nouvelle-Galles du Sud
a établi les principes énoncés ci-après, qui figurent en page 353 du recueil de ses décisions :
a) Premièrement, si un avocat agit uniquement en tant qu’agent pour le compte d’un client, ce sont
les règles ordinaires en matière de représentation qui s’appliquent, et les documents établis par
l’avocat ou reçus par celui-ci alors qu’il agissait en tant qu’agent appartiennent au client.
b) Deuxièmement, si un avocat n’agit pas uniquement en tant qu’agent pour le compte d’un client,
il convient alors d’examiner dans quel but le document en cause a été créé, en tenant compte
des principes qui régissent la relation entre un professionnel et son client ; autrement dit, il
convient de rechercher si le document a été créé au profit du client et pour le protéger, et si la
64
production de ce document lui a été facturée .
4.18. Cette affaire apporte donc un éclairage en ce qui concerne la propriété, au regard du
droit australien, des documents et éléments saisis :
a) Les relevés du compte en fiducie d’un avocat, les photocopies de ces relevés et les carnets de
chèque établis sur ce compte, ainsi que les états financiers y afférents, seront normalement
65
considérés comme étant la propriété de l’avocat et non du client ;
b) La déclaration d’un tiers consignée par l’avocat sera la propriété du client ; 66
c) Les notes établies par l’avocat au sujet d’entretiens avec d’autres personnes peuvent être la
propriété soit de l’avocat soit du client, en fonction de la nature et de la teneur dudit entretien, et
du point de savoir si ces notes ont été établies principalement au profit de l’avocat ou du
client ;7
d) Les dossiers et mémorandums internes établis par un avocat relativement au travail effectué ou
à effectuer sont des documents créés par l’avocat à son profit et non à celui de son client et,
68
partant, seront probablement considérés comme étant la propriété de l’avocat ;
61D’après Dicey, Morris & Collins, les éminents directeurs de la publication de The Conflict of Laws (15 ed.,
2012), règle 129, par. 22R-023 : «l’assiette matérielle d’un bien meuble est le pays où il se trouve au moment pertinent».
62
Annexe 14. Repris dans Areva NC (Australia) Pty Ltd v. Summit Resources (Australia) Pty Ltd (No 2) [2008]
WASC 10 (annexe 11) et Breen v. Williams (1994) NSWLR, vol. 35, p. 522 (annexe 12).
63
Conformément aux principes établis dans l’arrêt Chantrey Martin (A Firm) v. Martin [1953] QB, vol. 2,
p. 292-293 (annexe 13). Dans cette affaire se posait la question de savoir s’il pouvait être ordonné à un expert-comptable
de restituer des documents produits en vue de la vérification finale des comptes.
64
Annexe 14.
65
Wentworth v. De Montfort (1988), NSWLR, vol. 15, p. 357-359 (annexe 14).
66Ibid., p. 358 (annexe 14).
67Ibid., p. 359-360 (annexe 14).
68Ibid., p. 359 (annexe 14). - 25 -
e) D’une manière générale, les documents ayant trait aux activités de conseil, y compris les
mandats, sont des documents créés ou reçus au profit du client (hormis les é69anges relatifs aux
honoraires du conseil), même s’ils le sont aussi au profit de l’avocat ; et
f) Toute correspondance entre un avocat et des auxiliaires de justice, ainsi que les notes
éventuellement établies au sujet des conversations entre une personne agissant au nom de
l’avocat et un auxiliaire de justice, appartient au client . 70
4.19. Les principes formulés dans l’arrêt Wentworth v. De Montfort sont étayés par le Legal
Profession (Solicitors) Rules 2007 (ACT) [règlement relatif aux professions juridiques (avocats)
(Territoire de la capitale australienne)], établi en 2007. Ce document énonce donc les règles
professionnelles applicables au cabinet de M. Collaery, qui est situé dans le Territoire de la capitale
australienne.
4.20. La règle 6 contenue dans ce document traite de la conduite à adopter à l’égard des
documents lorsque la lettre de mission de l’avocat arrive à expiration ou est résiliée . La règle 6.2
prévoit que, en pareil cas, l’avocat doit, si le client lui en fait la demande, restituer à celui-ci tous
les documents auxquels il «a droit» (sous réserve du droit de l’avocat de se prévaloir d’un gage sur
lesdits documents au titre des honoraires que le client reste devoir) . 73
4.21. Elément important, la règle 6.4 fournit des précisions concernant les documents
auxquels le client «a droit». Cette disposition est ainsi libellée :
«Les documents auxquels le client d’un avocat devrait en général avoir droit
sont :
a) les documents établis par l’avocat, en tout ou pour l’essentiel, pour le compte du
client et pour lesquels ont été ou vont être facturés des frais au client ; et
b) les documents communiqués par des tiers à un avocat dans le cadre de sa mission
pour le compte du client, au nom de celui-ci ou aux fins de ses activités
commerciales, et destinés à être utilisés par le client, y compris à titre
74
d’information.»
4.22. Si l’on applique les principes du droit australien exposés ci-dessus aux fins de
déterminer à qui appartiennent les documents saisis par l’Australie dans les locaux professionnels
de M. Collaery, il convient donc de rechercher :
a) si les documents ou données ont été établis par M. Collaery en sa qualité d’agent du
Timor-Leste ; et,
b) dans la négative, s’ils ont été établis au profit du Timor-Leste, pour le protéger et à ses frais.
69Wentworth v. De Montfort (1988), NSWLR, vol. 15, p. 357-359, p. 360 (annexe 14).
70
Ibid., p. 361 (annexe 14).
71Annexe 15.
72Ibid.
73
Ibid.
74Ibid. - 26 -
4.23. Suivant cette approche, et sans préjudice de ses prétentions fondées sur le droit
international, le Timor-Leste formulera les observations suivantes au sujet de la propriété des biens
saisis et retenus par l’Australie :
a) Pièce 002 : ordinateur portable ACER Aspire de couleur noire, portant le numéro de
série 116Ø03ØØ725, et son cordon d’alimentation. Cette pièce appartient au cabinet de
M. Collaery. Certains des documents enregistrés sur cet ordinateur appartiennent probablement
au Timor-Leste et à d’autres clients, mais M. Collaery n’est pas en mesure de l’établir avec
certitude. Le disque dur de l’ordinateur contient une importante correspondance avec le
Timor-Leste, notamment la pièce «q» mentionnée dans la présente liste.
b) Pièce 003 : clé USB Verbatim 4 GB de couleur noire, NGØ4G2513ØØ8819 DML. Cette pièce
appartient au cabinet de M. Collaery. Certains des documents qui y sont enregistrés
appartiennent probablement au Timor-Leste et à d’autres clients, mais, là encore, M. Collaery
n’est pas à mesure de l’établir avec certitude.
c) Pièce LPP001 : document intitulé «Memorandum re: the 2006 CMATS» (Mémorandum sur le
traité de 2006 entre l’Australie et la République démocratique du Timor-Leste relatif à certains
arrangements maritimes dans la mer de Timor), en date du 17 février 2012 (scellé sous pli de
couleur jaune). Etant donné que, d’après la description qui en est fournie, cette pièce semble
contenir des conseils juridiques préparés pour le compte du Timor-Leste, et aux frais de
celui-ci, ladite pièce doit appartenir au Timor-Leste.
d) Pièce LPP002 : document intitulé «Memorandum to Counsel» (Mémorandum à l’intention du
conseil) (scellé sous pli de couleur jaune). La description du document précise qu’il s’agit
d’une note adressée au conseil, probablement celui qui agit au nom du Timor-Leste. D’une
manière générale, en droit australien, les documents ayant trait aux activités d’un conseil
appartiennent au client de celui-ci.
e) Pièce LPP003 : document intitulé «Timor Sea Treaty, Dili 20 May 2002» (Traité sur la mer de
Timor, Dili, 20 mai 2002) (scellé sous pli de couleur jaune). La description de ce document
n’en précise pas clairement le contenu. Il peut s’agir d’un document qui appartient soit au
Timor-Leste, soit à M. Collaery en tant qu’avocat de celui-ci. D’après son titre, il est toutefois
probable qu’il appartienne au Timor-Leste.
f) Pièce LPP004 : document intitulé «Challenging the Validity of the certain Maritime
arrangements in the Timor Sea Treaty (23 pages)» (Contester la validité du traité relatif à
certains arrangements maritimes dans la mer de Timor (23 pages)) (scellé sous pli de couleur
jaune). Il s’agit manifestement d’un document contenant d’importants conseils juridiques
adressés au Timor-Leste. Etant donné qu’elle a été établie pour celui-ci et à ses frais, cette
pièce lui appartient.
g) Pièce LPP005 : document intitulé «Correspondence to Lowe QC re: Timor Sea Maritime
boundary issues» (Communication adressée à M. Lowe au sujet de la frontière maritime dans la
mer de Timor) (scellé sous pli de couleur jaune). D’après la description du document, il s’agit
d’une correspondance avec le conseil. Les documents ayant trait aux activités d’un conseil
appartenant en général au client de celui-ci, cette pièce doit par conséquent appartenir au
Timor-Leste.
h) Pièce LPP006 : dossier portant l’étiquette «ICT product» (produit TIC) contenant un document
intitulé «Protocol for the operation of base stations» (Protocole d’exploitation des stations de
base). D’après sa description, ce document ne semble pas concerner le Timor-Leste.
i) Pièce LPP007 : document intitulé «Correspondence to Professor Lowe
re. Australia East Timor treaty 2 pages» (Communication adressée à M. Lowe au sujet du - 27 -
traité entre l’Australie et le Timor, 2 pages) (scellé sous pli de couleur jaune). La description du
document précise qu’il s’agit d’une correspondance avec le conseil du Timor-Leste ayant pour
objet des questions de droit international. D’une manière générale, en droit australien, les
documents ayant trait aux activités d’un conseil appartiennent au client de celui-ci. Ce
document doit par conséquent appartenir au Timor-Leste.
j) Pièce LPP008 : document intitulé «Correspondence with Professor Lowe re.
Australia East Timor treaty» (Communication adressée à M. Lowe au sujet du traité entre
l’Australie et le Timor oriental). Marqué comme envoyé. (Scellé sous pli de couleur jaune).
Le raisonnement suivi pour la pièce précédente s’applique également à ce document.
k) Pièce LPP009 : document intitulé «Negotiations in London dated 28 November 2012 and
addressed to the Office of the Prime Minister, Government of Timor-Leste» (Négociations
menées à Londres le 28 novembre 2012, document adressé au Cabinet du premier ministre,
Gouvernement du Timor-Leste). Etant donné la nature probable de cette pièce, il semblerait
qu’elle appartienne au Timor-Leste.
l) Pièce LPP010 : document intitulé «Letter to Prime Minister re. Dispute with Australia» (Lettre
adressée au premier ministre au sujet du différend avec l’Australie). Ce document contenant
sans doute des conseils juridiques, il est probable qu’il appartienne au Timor-Leste.
m) Pièce LPP011 : document intitulé «Letter to Prime Minister re. Dispute with Australia» (lettre
adressée au premier ministre au sujet du différend avec l’Australie). Le raisonnement suivi
pour la pièce précédente s’applique également à celle-ci.
n) Pièce LPP012 : document sans titre assorti du commentaire manuscrit suivant : «Ceci est la
déclaration de []». La description de ce document précise qu’il s’agit du projet de déclaration
d’un tiers consignée aux fins d’une procédure judiciaire à laquelle participe le Timor-Leste.
Cette pièce appartient par conséquent à celui-ci.
o) Pièce LPP013 : Instructions à l’intention du conseil (3 pages) au sujet de l’affaire Timor-Leste
c. Australie, en date du 19 novembre 2013. Selon le Timor-Leste, ce document ne lui
appartient pas. La description indique qu’il s’agit d’instructions adressées à un conseil, mais il
semblerait que ce soient des instructions adressées à M. Bernard Gross QC au sujet du témoin K
dans le cadre de l’arbitrage en vertu du traité sur la mer de Timor.
p) Pièce LPP014 : plusieurs documents : déclaration écrite sous serment de [], déplacements y
afférents, courrier diplomatique et photographie d’un panneau portant la mention «Welcome to
Central Maritime Hotel Dili» (Bienvenue au Central Maritime Hotel à Dili). La description de
ce document semble indiquer qu’il s’agit du projet de déclaration d’un tiers consignée dans le
cadre d’une procédure judiciaire à laquelle participe le Timor-Leste. Il appartient par
conséquent à celui-ci.
q) Pièce LPP015 : sept lettres, à différents stades d’achèvement, adressées à l’ambassadeur
Joaquim AML de Fonseca par B. Collaery, toutes datées du 20 novembre 2013. Etant adressées
à l’ambassadeur de Fonseca, qui est l’agent du Timor-Leste dans la procédure d’arbitrage et en
la présente instance, ces lettres doivent appartenir au Timor-Leste.
4.24. En leur appliquant l’analyse du droit australien exposée ci-dessus, il apparaît donc que
la plupart des documents saisis par l’Australie appartiennent au Timor-Leste.
4.25. Le fait que le Timor-Leste en est le propriétaire est encore attesté par les dispositions
contractuelles de la lettre de mission de M. Collaery, aux termes desquelles les droits d’auteur - 28 -
afférents à l’ensemble des documents établis par lui pour le compte du Gouvernement du
Timor-Leste appartiennent à ce dernier . L’expression «droits d’auteur» recouvre également la
propriété matérielle des documents contenant les éléments protégés par le droit d’auteur.
4.26. De plus, il est probable que les juridictions d’autres pays reconnaîtraient la propriété
revendiquée par le Timor-Leste sur les documents et données qui ont été examinés et saisis. La
règle générale régissant la propriété de biens détenus par un agent ressort en effet clairement de
certains passages des décisions que la Chambre des lords a rendues dans
l’affaire Rahimtoola v. Nizam of Hyderabad [1958] A.C. 379. Dans cette affaire, le
vicomte Simonds a ainsi déclaré ce qui suit :
«Il ne fait aucun doute que, s’il peut être établi que le défendeur, quel que soit le
nom qui lui est donné, est l’Etat souverain, sa tâche est aisée : c’est tout ce que celui-ci
a à prouver pour mettre un terme à la procédure engagée contre lui. Mais l’on aboutit
à la même conclusion, dès lors qu’il est établi que, pour ce qui concerne l’objet de la
procédure, le défendeur est l’agent de l’Etat souverain, autrement dit, que les intérêts
76
ou les biens de l’Etat seront l’objet de la décision» .
Et lord Simmonds de poursuive en ces termes :
««Deux principes de droit international», a dit lord Atkin dans l’affaire
Compania Naviera Vascongado v. S.S. «Cristina», «[ont été] intégrés à notre droit
interne, qui me semblent bien établis et incontestables. Selon le premier, les tribunaux
d’un pays n’engageront pas de poursuites à l’encontre d’un souverain étranger. Cela
signifie qu’ils ne feront pas de lui, contre sa volonté, une partie à une procédure
judiciaire, que celle-ci soit intentée à son encontre ou qu’il s’agisse de récupérer des
biens particuliers ou d’obtenir des dommages et intérêts. Le second principe, c’est
que ces tribunaux ne saisiront ni ne détiendront des biens appartenant au souverain, ou
se trouvant en sa possession ou sous son contrôle, que le souverain soit ou non partie à
77
la procédure.»»
Un peu plus loin, lord Simmonds précise ceci : «S’il est établi que des biens se trouvant dans
ce pays appartiennent à un souverain étranger indépendant ou à son agent, ou sont en leur
possession, les tribunaux ne sauraient connaître d’une demande visant à interférer avec le titre de
78
propriété de l’intéressé sur lesdits biens, ou à l’en priver.»
4.27. En réalité, le fait que la plupart des documents saisis appartiennent au Timor-Leste ne
fait aucun doute. Bien qu’ils aient été en la possession de M. Collaery, lesdits documents ont été
établis en application d’instructions générales ou particulières données à celui-ci par le
Gouvernement du Timor-Leste.
75Paragraphe 4.6 du présent mémoire.
76
Affaire Rahimtoola c. Nizam de l’Hyderabad [1958] A.C., p. 393-394.
77Ibid., p. 394.
78Ibid., p. 395. - 29 -
F. L A DÉCLARATION FAITE PAR L ’A TTORNEY -G ENERAL ,EN SA QUALITÉ DE MINISTRE ,
LE 4 DÉCEMBRE 2013 ET LES ÉCHANGES DE CORRESPONDANCE ULTÉRIEURS
4.28. Le 4 décembre 2013, l’Attorney-General de l’Australie, M. George Brandis, a, en sa
qualité de ministre, fait une déclaration sur l’exécution, la veille, des mandats de perquisition de
l’ASIO dans les locaux professionnels de M. Collaery (et au domicile du témoin K) et sur le rôle
qu’il avait joué dans la délivrance de ces mandats . Il ressort clairement tant des termes de la
législation que de ladite déclaration que, en délivrant ces mandats, l’Attorney-General exerçait des
fonctions d’ordre quasi-judiciaire.
4.29. L’Attorney-General a déclaré que, «dans le cadre de l’exécution de ces mandats, des
documents et des données électroniques [avaient] été saisis» et que les mandats avaient été
délivrés, à la demande de l’ASIO, «au motif que les documents et données électroniques
contenaient des renseignements touchant à des questions de sécurité». Il a précisé ce qui suit :
«Lorsque le directeur général présente [une demande de mandat],
l’Attorney-General ne peut délivrer un mandat de perquisition que si les conditions
énoncées au paragraphe 2 de l’article 25 sont remplies. Aux termes de cette
disposition, l’Attorney-General doit être convaincu qu’il existe des motifs
raisonnables de croire que, en accédant aux dossiers et autres éléments se trouvant
dans les locaux en question, l’ASIO apportera une contribution substantielle à la
collecte de renseignements relatifs à une question importante touchant à la sécurité,
conformément à la loi...
D’après les renseignements que m’avait présentés l’ASIO, j’étais convaincu que
les documents et supports électroniques désignés entraient dans les prévisions de la
loi, et j’ai donc délivré les mandats de perquisition».
4.30. L’Attorney-General a poursuivi en ces termes :
«Je ne sais pas précisément quels renseignements ont été tirés des documents et
supports électroniques saisis dans le cadre de l’exécution des mandats de perquisition.
Il reviendra à l’ASIO, dans les prochains jours, de procéder à une évaluation à cet
égard. [J]’ai donné à l’ASIO l’instruction … de ne communiquer en aucun cas ces
renseignements aux personnes qui prennent part à la conduite de la procédure
[arbitrale menée en application du traité relatif à la mer de Timor] pour le compte de
l’Australie.»
4.31. L’inspection et la saisie, le 3 décembre 2013, des documents et données ont donné lieu
à de longs échanges de correspondance entre les avocats du Timor-Leste (DLA Piper) et des
représentants australiens, dans le cadre desquels le différend dont la Cour est à présent saisie s’est
peu à peu cristallisé et diverses garanties (inadéquates) ont été données au nom de l’Australie.
Celle-ci a en outre déclaré à plusieurs reprises que le Timor-Leste devrait introduire un recours
auprès des juridictions australiennes. Cette correspondance a été largement rendue caduque par la
présente procédure du fait, en particulier, de l’engagement donné par l’Attorney-General au
Timor-Leste et à la Cour, ainsi que des mesures conservatoires que celle-ci a indiquées dans son
ordonnance du 3 mars 2014.
79 Déclaration faite par G. Brandis, en sa qualité de ministre, le 4 décembre 2013
(http://www.attorneygeneral.gov.au/Mediareleases/Pages/2013/Fourth%20qua… December 2013---Ministerial-Statem
ent---Execution-of-ASIO-Search-Warrants.aspx). - 30 -
C HAPITRE V
LE DROIT DU T IMOR -L ESTE À L ’INVIOLABILITÉ ET À L ’IMMUNITÉ DES DOCUMENTS ET
DONNÉES QUI ONT ÉTÉ EXAMINÉS ET SAISIS
5.1. Dans le présent chapitre, il est exposé que l’examen, la saisie et la rétention des
documents et données du Timor-Leste constituent une violation des règles de droit international
coutumier relatives à l’inviolabilité des biens de l’Etat et à l’immunité de celui-ci.
5.2. La section A retrace brièvement le développement du droit international coutumier en la
matière, qui a abouti à l’élaboration de la convention des Nations Unies sur les immunités
juridictionnelles des Etats et de leurs biens (ci-après «la convention des Nations Unies»). Dans la
section B sont examinées les règles de droit international coutumier régissant l’immunité de l’Etat,
notamment l’inviolabilité des biens de celui-ci, en ce qu’elles se rapportent à la présente espèce.
Enfin, l’inviolabilité dont jouit le Timor-Leste à l’égard de ses biens est replacée dans le contexte
plus large des immunités que le droit international confère à l’Etat et à ses agents (section C).
A. LE DÉVELOPPEMENT DE L ’INVIOLABILITÉ DES BIENS DE L ’E TAT ET DE L ’IMMUNITÉ
DE CELUI -CI EN DROIT INTERNATIONAL COUTUMIER
5.3. L’immunité de l’Etat est reconnue de longue date comme une règle fondamentale de
droit international coutumier . La Cour l’a confirmé dans son arrêt Allemagne c. Italie :
«56. Il ressort de [la] pratique que les Etats, que ce soit lorsqu’ils invoquent
l’immunité pour leur propre compte ou qu’ils l’accordent à d’autres, partent
généralement du principe qu’il existe en droit international un droit à l’immunité de
l’Etat étranger, dont découle pour les autres Etats l’obligation de le respecter et de lui
donner effet.
57. La Cour considère que la règle de l’immunité de l’Etat joue un rôle important en
droit international et dans les relations internationales. Elle procède du principe de
l’égalité souveraine des Etats qui, ainsi que cela ressort clairement du paragraphe 1 de
l’article 2 de la Charte des Nations Unies, est l’un des principes fondamentaux de
l’ordre juridique international. Ce principe doit être considéré conjointement avec
celui en vertu duquel chaque Etat détient la souveraineté sur son propre territoire,
souveraineté dont découle pour lui un pouvoir de juridiction à l’égard des faits qui se
produisent sur son sol et des personnes qui y sont présentes. Les exceptions à
l’immunité de l’Etat constituent une dérogation au principe de l’égalité souveraine.
L’immunité peut constituer une dérogation au 81incipe de la souveraineté territoriale
et au pouvoir de juridiction qui en découle.»
5.4. Le développement du droit coutumier régissant l’immunité de l’Etat a été favoris82par
l’adoption, en 2004, de la convention des Nations Unies par l’Assemblée générale . Cet
80R. Jennings et A. Watts, Oppenheim’s International Law, vol. I (9 éd., 1992), p. 343 ; Restatement (Third) of
the Foreign Relations Law of the United States (American Law Institute, 1987), vol. 1, ch. 5, p. 390 ; C.H. Schreuer,
State Immunity: Some Recent Developments (Cambridge University Press, 1988), p. 168 ; C.J. Lewis, State and
Diplomatic Immunity (3 éd. rev., Informa Publishing, 1990), p. 11 ; H. Fox et P. Webb, The Law of State Immunity (3 éd.,
Oxford University Press, 2013), p. 1-2.
81
Immunités juridictionnelles de l’Etat (Allemagne c. Italie ; Grèce (intervenant)), arrêt, C.I.J. Recueil 2012,
p. 123-124, par. 56-57.
82
R. O’Keefe, C. Tams (dir. publ.), «The United Nations Convention on Jurisdictional Immunities of States and
Their Property: A Commentary (Oxford University Press, 2013)», p. xlii. - 31 -
instrument, ainsi que les différentes études qui ont été faites et examinées dans le cadre des travaux
de la Commission du droit international sur ce sujet, ont permis d’en clarifier d’importants aspects.
5.5. La convention des Nations Unies a été signée par 28 Etats, et 15 l’ont ratifiée ou y ont
adhéré. Le Timor-Leste l’a signée le 16 septembre 2005 ; l’Australie, quant à elle, ne l’a pas
signée et n’y a pas non plus adhéré. Cet instrument n’est pas encore entré en vigueur , mais bon3
nombre de ses dispositions sont considérées comme étant l’expression des règles de droit
international coutumier régissant l’immunité de l’Etat qui s’appliquent entre les Parties à la
présente espèce.
5.6. Le préambule de la convention des Nations Unies indique que «les immunités
juridictionnelles des Etats et de leurs biens procèdent d’un principe généralement accepté du droit 84
international coutumier», ce que la Cour a récemment confirmé dans l’affaire Allemagne c. Italie .
Il précise en outre que «les règles du droit international coutumier continuent de régir les questions
qui n’ont pas été réglées dans les dispositions de la présente convention» . 85
5.7. L’article 3 prévoit que la convention n’affecte ni les privilèges et immunités dont jouit
un Etat en vertu du droit international en ce qui concerne l’exercice des fonctions de ses missions
diplomatiques, de ses postes consulaires, de ses missions spéciales, de ses missions auprès des
organisations internationales, ou de ses délégations dans les organes des organisations
internationales ou aux conférences internationales et des personnes qui y sont attachées ; ni les
privilèges et immunités reconnus ratione personae aux chefs d’Etat ; ni les immunités reconnues à
un Etat concernant des aéronefs ou des objets spatiaux lui appartenant ou exploités par lui. Les
rédacteurs de la convention ont clairement admis qu’il existait une corrélation entre la raison d’être
et la portée des diverses immunités dont jouissent un Etat et ses représentants.
5.8. L’article premier, qui a trait à la portée de la convention des Nations Unies, dispose que
celle-ci «s’applique à l’immunité de juridiction d’un Etat et de ses biens devant les tribunaux d’un
autre Etat». Le terme «tribunal», défini de manière large à l’alinéa a) du paragraphe 1 de
l’article 2, s’entend de «tout organe d’un Etat, quelle que soit sa dénomination, habilité à exercer
des fonctions judiciaires».
5.9. L’article 5 énonce le principe fondamental suivant : «Un Etat jouit, pour lui-même et
pour ses biens, de l’immunité …, sous réserve des dispositions de la présente convention.»
5.10. Le paragraphe 1 de l’article 6 dispose qu’un Etat a l’obligation positive de donner effet
à l’immunité d’un autre Etat en s’abstenant d’exercer sa juridiction dans une procédure devant ses
tribunaux et, «à cette fin, veille à ce que ses tribunaux établissent d’office que l’immunité de cet
autre Etat prévue par l’article 5 est respectée». Cette obligation s’applique a) si l’autre Etat est cité
83
La convention entrera en vigueur lorsqu’elle aura été ratifiée par 30 Etats.
84Immunités juridictionnelles de l’Etat (Allemagne c. Italie ; Grèce (intervenant)), arrêt, C.I.J. Recueil 2012,
p. 123, par. 56.
85Ibid. - 32 -
86
comme partie à la procédure ou b) si la procédure vise à porter atteinte aux biens, droits, intérêts
ou activités de cet autre Etat .7
5.11. La convention des Nations Unies, qui reflète le droit international coutumier, opère une
distinction fondamentale entre l’immunité de juridiction et l’immunité à l’égard des mesures de
88
contrainte . Cette dernière fait l’objet d’une partie distincte (la quatrième partie), qui est
subdivisée en mesures antérieures et postérieures au jugement.
5.12. D’une manière générale, les mesures de contrainte postérieures au jugement ne peuvent
être prises contre des biens d’un Etat que s’«[i]l a été établi que les biens sont spécifiquement
utilisés ou destinés à être utilisés par l’Etat autrement qu’à des fins de service public non
commerciales …» . 89
5.13. S’agissant des mesures de contrainte antérieures, la disposition est encore plus stricte :
il ne peut être procédé antérieurement au jugement à aucune mesure de contrainte, telle que saisie
ou saisie-arrêt, contre les biens d’un Etat «excepté si et dans la mesure où … a) [l]’Etat a
expressément consenti … ou b) [l]’Etat a réservé ou affecté des biens à la satisfaction de la
90
demande…» .
5.14. Ces dispositions, qui ont trait aux mesures de contrainte afférentes à une procédure
judiciaire, traduisent le caractère particulièrement sensible de la saisie des biens de l’Etat.
B. L ES PRINCIPES DU DROIT INTERNATIONAL COUTUMIER EN MATIÈRE D ’IMMUNITÉ
DES E TATS ET L ’APPLICATION DE CES PRINCIPES EN
LA PRÉSENTE AFFAIRE
5.15. La convention des Nations Unies peut être considérée comme «un catalyseur du
91
développement du droit international coutumier moderne en matière d’immunité des Etats» . Un
récent ouvrage souligne ainsi que «des juridictions tant nationales qu’internationales ont eu
l’occasion de confirmer que [cet instrument] énon[çait] de manière convaincante les règles du droit
92
coutumier tel qu’elles existent aujourd’hui» . La Cour s’est d’ailleurs fondée sur certaines
dispositions de la convention dans l’arrêt qu’elle a rendu en l’affaire Allemagne c. Italie. La Cour
86
Convention des Nations Unies sur les immunités juridictionnelles des Etats et de leurs biens, annexe,
Nations Unies, doc. A/RES/59/38 (2 décembre 2004), alinéa a) du paragraphe 2 de l’article 6,
(https://treaties.un.org/doc/source/RecentTexts/French_3_13.pdf).
87
Ibid., alinéa b) du paragraphe 2 de l’article 6.
88
R. O’Keefe, C. Tams (dir. publ.), The United Nations Convention on Jurisdictional Immunities of States and
Their Property: A Commentary (Oxford University Press, 2013), p. 13-18 (M. Wood), 287-347 (C. Brown, R. O’Keefe).
89
Convention des Nations Unies sur les immunités juridictionnelles des Etats et de leurs biens, article 19
(https://treaties.un.org/doc/source/RecentTexts/French_3_13.pdf).
90Ibid., article.18
91R. O’Keefe, C. Tams (dir. publ.), The United Nations Convention on Jurisdictional Immunities of States and
Their Property : A Commentary, Oxford University Press, 2013, p. xlii.
92Ibid., p. xli. - 33 -
européenne des droits de l’homme en a elle aussi93ait application dans différentes affaires en tant
que règles de droit international coutumier .
5.16. La convention et les projets qui l’ont précédée ont également été considérés comme
une expression autorisée du droit coutumier dans certains droits internes , y compris ceux d’Etats
95
n’ayant pas ratifié cet instrument ou n’y ayant pas adhéré . Dans la présente section, les principes
de droit coutumier en question seront appliqués à l’examen, à la saisie et à la rétention des
documents et données — qui sont la propriété du Timor–Leste — par les agents australiens.
5.17. L’article 5 de la convention des Nations Unies énonce la règle coutumière générale
selon laquelle, sous réserve des exceptions prévues, un Etat 96 ses biens jouissent de l’immunité.
Tel est donc le principe qui s’applique par défaut . La doctrine de l’immunité absolue, qui
prévalait auparavant, n’admettait que quelques très rares exceptions. La doctrine restrictive
actuelle prévoit quant à elle un certain nombre d’exceptions, qui s’appliquent toutefois
exclusivement aux procédures civiles et commerciales, dans lesquelles l’Etat agit comme un acteur
privé ; ces exceptions ne sont pas pertinentes dans le contexte de la présente affaire.
5.18. Les règles du droit international coutumier en matière de mesures de contrainte sont au
moins aussi restrictives que les dispositions de la convention des Nations Unies à cet égard. Ainsi
que cela a été indiqué ci–dessus, les biens d’un Etat ne peuvent faire l’objet de pareilles mesures
que dans des circonstances extrêmement limitées, en particulier lorsqu’elles sont antérieures au
jugement. Si la convention des Nations Unies ne s’applique pas en tant que telle aux procédures
pénales, les principes qui la sous-tendent sont sans nul doute applicables aux mesures de contrainte
administratives telles que celles qui ont été mises en œuvre au titre du mandat de perquisition en la
présente affaire. Toute autre interprétation aboutirait en effet à la situation absurde où les biens
d’un Etat jouiraient de l’inviolabilité et de l’immunité judiciaire, tout en restant à la merci de
mesures administratives ou d’exécution.
5.19. Aucune des exceptions coutumières énumérées dans la troisième partie de la
convention n’est applicable en la présente espèce. Aucune exception à l’immunité ne vise les biens
d’un Etat qui se trouvent en la possession de ses conseils. Il en va ainsi, quelle que soit la nature
civile, pénale, administrative ou autre de la procédure engagée par la délivrance du mandat
de perquisition par l’Attorney-General australien. Ainsi que cela a été exposé au chapitre IV
ci-dessus, les documents et données saisis sont, dans leur grande majorité, la propriété du
93 o
Oleykinov v. Russia, requête n 36703/04, 14 mars 2013, par. 66o(http ://hudoc.echr.coe.int/sites/eng/pages/
search.aspx?i=001-117124) ; Cudak c. Lituanie [GC], requête n 15869/02, CEDH 2010, par. 67-74
(http ://hudoc.echr.coe.int/sites/eng/pages/search.aspx?i=001-97879#{"languageisocode" :["FRA"],"appno" :["15869/02"
],"documentcollectionid2" :["GRANDCHAMBER"],"itemid" :["001-97878"]}) ; Sabeh El Leil c. France [GC],
requête n 34869/05, 29 juin 2011, par. 58-67 (http ://hudoc.echr.coe.int/sites/fra/pages/search.aspx?i=001-105376#
{"languageisocode" :["FRA"],"appno" :["34869/05"],"documentcollectionid2" :["GRANDCHAMBER"],"itemid" :["001-
105376"]}) ; Wallishauser c. Autriche, requête n 156/04, 17 juillet 2012, par. 69-72 (http ://hudoc.echr.coe.int/
sites/eng/pages/search.aspx?i=001-112194#{"itemid" :["001-112194"]}) ; Jones et autres c. Royaume-Uni,
requêtes n 34356/06 et 40528/06, 14 janvier 2014, par. 192 (http ://hudoc.echr.coe.int/sites/eng/pages/
search.aspx?i=001-140005#{"itemid" :["001-140005"]}).
94 Voir, par exemple : Royaume-Uni, State Immunity Act 1978 (loi de 1978 sur l’immunité des Etats)
(annexe 19) ; Australie, Foreign States Immunities Act 1985 (loi de 1985 sur l’immunité des Etats étrangers)
(annexe 16) ; Etats-Unis d’Amérique, Foreign Sovereign Immunities Act 1976 (loi de 1976 sur l’immunité des Etats
étrangers) (annexe 17).
95 Voir, notamment : Israël, Foreign State Immunity Law 2008 (loi de 2008 sur l’immunité des Etats étrangers)
(annexe 18).
96X. Yang, State Immunity in International Law, Cambridge University Press, 2012, p. 34. - 34 -
Timor-Leste et constituent donc des «biens d’Etat» au sens de la convention, en l’occurrence des
documents et des archives du Timor-Leste.
5.20. Ces aspects fondamentaux de l’immunité en droit international coutumier trouvent tout
naturellement leur expression dans les législations internes en la matière. La règle principale est
que les Etats jouissent de l’immunité sauf si l’une des exceptions prévues s’applique . Ainsi, 98
l’article 9 — intitulé «Principe général de l’immunité de juridiction» —, de la loi australienne
de 1985 sur l’immunité des Etats étrangers confère expressément l’immunité de juridic99on à un
Etat et à ses biens «[s]ous réserve des exceptions prévues par la[dite] loi» . Ce texte ne contient
aucune disposition prévoyant que les biens d’un Etat qui sont en la possession de ses conseils
dérogeraient à cette règle.
5.21. Le droit coutumier relatif à l’immunité de l’Etat et de ses biens a évolué et reconnaît
aujourd’hui certaines exceptions, mais uniquement en matière civile.
5.22. Au cours des audiences consacrées à la demande en indication de mesures
conservatoires, l’Australie a clairement présenté le contexte et le cadre juridiques aux fins
d’éventuelles procédures judiciaires , dans lesquels le mandat de saisie de biens avait été délivré
en raison d’une prétendue divulgation d’informations touchant à la sécurité nationale :
«[P]areilles divulgations seraient constitutives de graves infractions pénales au
regard du droit australien, et je vous renvoie aux articles 39 et 41 de la loi sur les
services de renseignement, l’Intelligence Services Act 2001 (Cth), à l’article 70 du
Crimes Act 1914 (Cth), et à l’article 91.1 de l’annexe 1 du Criminal Code Act 1995
(Cth).» 100
5.23. Au second tour de plaidoiries, l’Australie est revenue plus en détail sur la question de
l’application de son droit pénal :
«Permettez-moi à présent d’indiquer de manière un peu plus précise
quelles sont les infractions qui pourraient avoir été commises. La première relève de
l’article 39 de l’Intelligence Service Act de 2001 du Commonwealth d’Australie, qui
interdit à un agent ou ancien agent de l’ASIS de divulguer des informations
concernant l’exercice de ses fonctions en cette qualité, s’il n’y a pas été autorisé par le
directeur général. Et c’est, j’insiste sur ce point, la seule dérogation que prévoit la loi.
La seconde disposition importante est l’article 41, qui érige en infraction le fait de
rendre publique là encore, sans y avoir été autorisé par le directeur général
l’identité 101gents de l’ASIS ou des informations permettant de déduire cette
identité.»
97Voir le chapitre IV du présent mémoire.
98
Royaume-Uni, State Immunity Act 1978 (loi de 1978 sur l’immunité des Etats), art. 1, par. 1 (annexe 19) ;
Etats-Unis d’Amérique, Foreign Sovereign Immunities Act 1976 (loi de 1976 sur l’immunité des Etats étrangers),
art. 1604 (annexe 17) ; Israël, Foreign State Immunity Law 2008 (loi de 2008 sur l’immunité des Etats étrang,rloi
n 5769/2008, art. 2 (annexe 18) ; Inde, The Code of Civil Procedure, 1908 (code de procédure civile de 1908), art. 86
(annexe 20).
99Annexe 16.
100
CR 2014/2, p. 17, par. 32 (Gleeson).
101CR 2014/4, p. 11, par. 13 (Gleeson). - 35 -
5.24. Le conseil de l’Australie a ensuite décrit la procédure à laquelle pourrait donner lieu
l’enquête en cours : «Tout d’abord, un tribunal australien pourrait examiner ces documents pour
déterminer si l’exception en cas de fraude ou d’infraction pénale s’applique.» 102
5.25. Se fondant sur ce postulat procédural, l’Australie est allée jusqu’à affirmer ce qui suit :
«il est très clair que la convention de 2004 ne s’applique pas aux procédures pénales.
Comme il est précisé dans le commentaire de la CDI, et je cite : «Bien qu’il ne soit pas
expressément défini dans les présents articles, le terme «procédure» doit être entendu
comme excluant la procédure pénale»» . 103
5.26. Deux points se dégagent donc clairement de la position de l’Australie : premièrement,
les actes auxquels s’est livrée l’ASIO au nom de la sécurité nationale peuvent être les signes
avant-coureurs d’une procédure pénale et, deuxièmement, l’Australie convient que la convention
des Nations Unies ne s’applique pas aux procédures pénales.
5.27. Pour ce qui est de ce second point, c’est clairement le droit international coutumier
relatif à l’inviolabilité et à l’immunité des Etats qui s’applique entre les Parties. En effet, et
quoique nombre de dispositions de la convention soient hautement pertinentes en la présente
espèce, il est précisé dans le préambule que les questions «qui n’ont pas été réglées dans les
dispositions de la présente convention» continuent d’être régies par les règles du droit international
coutumier. Les questions de droit pénal en font partie. Les observations formulées au sujet de
l’interprétation de la convention par le délégué de la Chine à la sixième commission de
l’Assemblée générale sont, à cet égard, fort éclairantes :
«En ce qui concerne les immunités en matière de procédure pénale, les
membres du Comité spécial ont convenu dans l’ensemble qu’elles devraient faire
l’objet d’une autre résolution de l’Assemblée générale, solution à laquelle la Chine
n’oppose aucune objection. Que le projet de convention ne traite pas de cette matière
ne signifie pas qu’il méconnaît les immunités que le droit international coutumier
104
reconnaît aux Etats en matière pénale.»
5.28. Ainsi que cela a été exposé ci-dessus, le droit international coutumier relatif à
l’immunité des Etats a admis certaines exceptions à ce qui était auparavant une règle absolue. Ces
exceptions ont ensuite évolué et se sont étendues, mais uniquement dans le contexte des procédures
civiles. En matière pénale (comme dans toute autre procédure non civile), le droit international
coutumier reconnaît aux Etats et à leurs biens l’inviolabilité et l’immunité absolues vis-à-vis de
toute juridiction interne quelle qu’elle soit, lorsqu’aucune des exceptions coutumières ne
s’applique.
5.29. Pour conclure sur ce point, le fait est et cela mérite d’être souligné que le
Timor-Leste n’a ni sollicité, ni incité, ni permis la commission d’un crime. Les allusions de
l’Australie à une possible responsabilité du Timor-Leste pour avoir encouragé des tiers à
commettre un crime au regard du droit australien mettent en évidence les dangers inhérents à la
102
CR 2014/2, p. 17, par. 33 (Gleeson).
103CR 2014/4, p. 25, par. 17 (Campbell).
104 e
Assemblée générale, sixième commission, compte rendu analytique de la 13 séance, Nations Unies, doc.,
A/C.6/59/SR.13, 25 octobre 2004, par. 50 (http ://documents-dds-ny.un.org/doc/UNDOC/GEN/N04/569/31/
pdf/N0456931.pdf?OpenElement). - 36 -
mise en cause d’un Etat et de ses biens dans une procédure pénale . Ainsi que l’ont5
observé Hazel Fox et Philippa Webb,
«[l]’interprétation générale qui veut que la convention des Nations Unies sur les
immunités juridictionnelles des Etats et de leurs biens ne s’applique pas aux
procédures pénales est conforme à la position la plus répandue parmi les juristes et les
tribunaux selon laquelle un Etat peut voir sa responsabilité engagée pour ses actes
mais ne peut pas, en tant qu’Etat indépendant, être tenu pénalement responsable en
vertu du droit interne d’un autre Etat, et bénéficie donc d’une immunité absolue en
106
matière pénale.»
5.30. Pour ce qui est de l’allégation de l’Australie selon laquelle les actes en question
pourraient ultérieurement donner lieu à une procédure judiciaire, ce point, comme le reconnaît
l’Australie elle-même, touche à un principe fondamental du droit de l’immunité de l’Etat et de
l’inviolabilité de ses biens. La question n’est pas, en dernière analyse, de savoir si le
comportement actuel de l’Australie est susceptible de déboucher sur une procédure, l’immunité de
l’Etat et de ses biens étant effective dès les premiers stades de toute enquête ou de toute procédure.
La Commission du droit international a d’ailleurs appelé l’attention sur cet aspect de l’immunité de
l’Etat dans ses commentaires sur le projet d’articles qui est devenu la convention de 2004.
5.31. L’inviolabilité conférée aux biens d’un Etat a pour objet de les protéger à tous les
stades de la procédure, dès l’engagement de poursuites, c’est-à-dire, de fait, depuis l’enquête
jusqu’à l’exécution de la décision :
«Le concept recouvre donc la totalité de la procédure judiciaire, depuis
l’engagement des poursuites ou la notification d’une assignation, l’enquête,
l’instruction, le procès, les ordonnances qui peuvent être des mesures provisoires ou
intérimaires avant dire droit, jusqu’au prononcé et à l’exécution des jugements ou à
l’octroi de sursis à cette exécution ou de dispense d’exécution.» 107
5.32. Ainsi, l’immunité juridictionnelle dont bénéficient le Timor-Leste et ses biens devant
les tribunaux australiens était déjà effective au moment où été délivré le mandat en vertu duquel
lesdits biens ont été examinés, perquisitionnés et saisis, et ce, indépendamment du point de savoir
si une procédure serait ou non ultérieurement engagée.
5.33. Il importe également de garder à l’esprit que le droit de l’immunité de l’Etat s’applique
non seulement lorsque celui-ci est partie à une procédure, mais également lorsque les droits de
propriété qu’il détient à l’égard de ses biens risquent d’être affectés. Ainsi que cela ressort de
l’article 6 de la convention des Nations Unies, le droit international impose à l’Australie de veiller
active108t, dans chacun de ces cas, à empêcher toute violation de l’immunité de l’Etat et de ses
biens .
105
H. Fox et P. Webb, The Law of State Immunity (3e éd., Cambridge University Press, 2013).
106Ibid., p. 311.
107
Projet d’articles sur les immunités juridictionnelles des Etats et de leurs biens et commentaires y relatifs,
commentaire 2 de l’article 1, Annuaire de la Commission du droit international, 1991, vol. II, 2 partie, p. 13
(http ://legal.un.org/ilc/texts/instruments/francais/commentaires/4_1_1991_francais.pdf).
108
X. Yang, State Immunity in International Law, Cambridge University Press, 2012, par. 34. - 37 -
5.34. L’Australie soutient que, lorsqu’il a délivré le mandat de perquisition,
l’Attorney-General n’agissait pas en qualité de «tribunal» et que, partant, la question de l’immunité
de l’Etat ne se pose pas en la présente affaire. Ainsi que l’a affirmé son conseil pendant la
procédure orale relative à la demande en indication de mesures conservatoires, «l’Attorney-General
n’est pas un tribunal ; en tout cas, il n’en a certainement pas l’air» . 109
5.35. Les apparences sont parfois trompeuses. En effet, à l’alinéa a) du paragraphe 1) de son
article 2), la convention définit un tribunal comme «tout organe d’un Etat, quelle que soit sa
dénomination, habilité à exercer des fonctions judiciaires», la CDI précisant, dans son commentaire
sur ce point, que
«cette définition [celle du terme «tribunal» énoncée à l’alinéa a) du paragraphe 1) de
l’article 2)] peut, selon les systèmes constitutionnels et juridiques, inclure l’exercice
du pouvoir d’ordonner ou d’adopter des mesures d’exécution (on parle parfois de
«fonctions quasi judiciaires») par tel ou tel organe administratif de l’Etat» . 110
5.36. Ainsi que Roger O’Keefe et Christian J. Tams l’ont fait observer, «en réalité, il est
inexact de dire que le terme [juridiction], au sens de la convention [des Nations Unies], se limite à
111
l’exercice de pouvoirs par les tribunaux d’un Etat» . Ces auteurs ont au contraire souligné la
portée étendue que revêt ce terme dans la convention . 112
5.37. Dans le même ordre d’idées, le terme «fonctions judiciaires» n’est pas défini dans la
convention des Nations Unies, omission délibérée, puisque, comme l’a exposé la CDI dans son
113
commentaire, «ces fonctions varient selon les systèmes constitutionnels et juridiques» .
5.38. La CDI a également observé ce qui suit :
«[Ces fonctions judiciaires] peuvent inclure la décision au contentieux ou le
règlement du différend, la détermination des questions de droit ou de fait, les décisions
relatives aux mesures provisoires et aux mesures d’exécution à tous les stades de la
procédure, et les autres pouvoirs administratifs et d’exécution exercés normalement
par les autorités judiciaires de l’Etat, ou sous leur autorité, à l’occasion, au cours ou en
application de cette procédure.» 114
109CR 2014/4, p. 26, par. 17 (Campbell).
110Projet d’articles sur les immunités juridictionnelles des Etats et de leurs biens et commentaires y relatifs,
commentaire 4 de l’article 2, Annuaire de la Commission du droit international, 1991, vol. II, 2 partie, p. 14
(http ://legal.un.org/ilc/texts/instruments/francais/commentaires/4_1_1991_francais.pdf).
111R. O’Keefe, C. Tams (dir. publ.), The United Nations Convention on Jurisdictional Immunities of States and
Their Property : A Commentary, Oxford University Press, 2013, p. 37.
112Ibid., p. 37-38.
113
Projet d’articles sur les immunités juridictionnelles des Etats et de leurs biens et commentaires y relatifs,
commentaire 3 de l’article 2, Annuaire de la Commission du droit international, 1991, vol. II, 2 partie, p. 14
(http ://legal.un.org/ilc/texts/instruments/francais/commentaires/4_1_1991_francais.pdf).
114
Projet d’articles sur les immunités juridictionnelles des Etats et de leurs biens et commentaires y relatifs,
commentaire 3 de l’article 2, par. 1, alinéa a), Annuaire de la Commission du droit international, 1991, vol. II, 2 partie
(http ://legal.un.org/ilc/texts/instruments/francais/commentaires/4_1_1991_francais.pdf). - 38 -
5.39. De la même manière, Hazel Fox et Philippa Webb ont précisé que «[l]a compétence
juridictionnelle, vis-à-vis de laquelle l’immunité de l’Etat est le plus souvent in115uée, peut aussi
bien désigner la juridiction «législative» que la juridiction d’«exécution».»
5.40. Telle est précisément la raison pour laquelle, dans la convention des Nations Unies,
l’expression «fonctions judiciaires» a été préférée à celle de «fonctions juridictionnelles», qui se
serait prêtée à une interprétation par trop restrictive .116
5.41. La question n’est donc pas de savoir si l’Attorney-General peut être assimilé à un
tribunal, quelle est sa fonction, etc. Ce qui importe, au regard du droit international coutumier, ce
sont l’objet et la nature des actes et procédures en cause, et le fait que, en la présente espèce, un
mandat de perquisition des biens du Timor-Leste a été délivré et exécuté. La délivrance de ce
mandat est, par essence, une fonction judiciaire puisqu’elle fait intervenir un organe de l’Etat
investi du pouvoir de décider si une mesure coercitive peut licitement être mise en œuvre à l’égard
des biens en cause. Si pareil acte relève normalement du domaine réservé de l’institution
judiciaire, rien n’empêche de le considérer comme une mesure judiciaire ou quasi-judiciaire
lorsqu’il émane, comme c’est le cas en la présente affaire, d’un autre organe de l’Etat. Le fait que,
en l’espèce, le pouvoir spécifique de délivrer un mandat soit du ressort de l’Attorney-General
importe peu. Autrement, les Etats pourraient méconnaître l’obligation que leur impose le droit
coutumier d’accorder l’immunité aux autres Etats simplement en redéfinissant les fonctions de
leurs différentes autorités et en autorisant le pouvoir exécutif à délivrer des mandats de saisie de
biens en lieu et place du pouvoir judiciaire. Cela ne saurait être possible. C’est pourquoi le sens du
terme «tribunal», tel qu’il figure à l’alinéa a) du paragraphe 1) de l’article 2 de la convention des
Nations Unies, doit être interprété de manière autonome.
5.42. La Cour a confirmé que la délivrance d’un mandat avait une incidence directe sur les
immunités, et ce, qu’il s’agisse d’un mandat d’arrêt, ou d’un mandat de perquisition et de saisie.
Dans l’affaire relative au Mandat d’arrêt, elle a ainsi estimé que «la seule émission» du mandat
«a[vait] constitué une violation [et] a[vait] méconnu l’immunité d[u] ministre [concerné] et, plus
particulièrement, violé l’immun117 de juridiction pénale et l’inviolabilité dont il jouissait alors en
vertu du droit international» .
5.43. Le mandat en cause dans cette affaire ne pouvait être exécuté à l’occasion des visites 118
officielles du ministre ; son exécution dépendait de l’existence d’autres démarches préliminaires .
La Cour a néanmoins conclu que la diffusion dudit mandat portait atteinte à l’immunité du
119
ministre .
5.44. De surcroît, s’il est clair que la délivrance du mandat par l’Attorney-General constituait
à tout le moins un acte quasi-judiciaire, il s’agissait assurément aussi, en tout état de cause, d’un
exercice de la juridiction australienne, qu’elle soit de nature judiciaire, quasi-judiciaire ou
exécutive ; or, c’est à tous ces types d’exercice juridictionnel que s’appliquent le droit coutumier
relatif à l’immunité des Etats et la convention des Nations Unies. Ainsi que la CDI l’a précisé dans
son commentaire,
115
H. Fox et P. Webb, The Law of State Immunity, 3e éd., Oxford University Press, 2013, p. 73.
116CDI, Compte rendu analytique de la 1750 séance, (n 8), p.321-322, par. 34.
117Mandat d’arrêt du 11 avril 2000 (République démocratique du Congo c. Belgique), arrêt, C.I.J. Recueil 2002,
p. 3, p. 29, par. 70.
118
Ibid., par. 71.
119
Ibid. - 39 -
«[l]’expression «immunités juridictionnelles» vise non seulement le droit des Etats
souverains d’être soustraits à l’exercice du pouvoir de décision normalement exercé
par l’autorité judiciaire ou les magistrats dans le cadre du système juridique de l’Etat
territorial, mais aussi le non-exercice, à l’occasion d’une procédure judiciaire, de tous
autres pouvoirs administratifs et exécutifs par toute autorité de cet Etat, quelles que
soient les mesures ou procédures considérées» . 120
5.45. Nous illustrerons ce point par un exemple. Dans un certain nombre d’ordre juridiques
internes, les mandats de perquisition et de saisie sont délivrés par les tribunaux. De nombreuses
législations internes autorisent toutefois, en cas d’extrême urgence, un agent de la force publique
— c’est-à-dire, un membre de l’exécutif à exécuter des perquisitions et des saisies sans mandat.
Le fait que, dans le premier cas, celles-ci soient exécutées sur la base d’un mandat délivré par un
tribunal et que, dans le second, pareil mandat n’existe pas, est sans importance du point de vue de
l’immunité. C’est en effet la nature de l’acte qui est à l’origine de l’immunité, et non l’autorité en
cause.
5.46. Ce point précis a été souligné devant l’Assemblée générale en 2013, à l’occasion de
l’examen du rapport de la Commission du droit international sur les travaux de ses
121
soixante-troisième et soixante-cinquième sessions . Pendant les débats concernant l’immunité
des chefs d’Etat vis-à-vis des juridictions étrangères, le délégué américain a ainsi formulé
l’observation suivante au sujet de la pertinence ou non de la nature de l’autorité exerçant la
juridiction :
«On voit mal pourquoi l’exercice de la juridiction pénale doit se limiter aux
actes qui sont liés à l’activité judiciaire. Aux Etats-Unis, il existe des cas dans
lesquels l’exécutif peut exercer des pouvoirs de police sans l’intervention préalable de
l’appareil judiciaire; les autorités de police peuvent par exemple légalement arrêter des
personnes et les placer en détention s’agissant d’infractions commises en leur présence
ou lorsque la sécurité publique l’exige. Le commentaire du projet d’article 1 devrait
indiquer que l’exercice de tels pouvoirs de police constitue un exercice de la
juridiction pénale. L’immunité de la juridiction pénale ne doit pas dépendre de
l’organe de l’Etat qui prend des mesures de coercition ou du stade de la procédure
auquel ces mesures sont prises. Comme l’a déclaré la Cour internationale de Justice
dans l’affaire relative à Certaines questions concernant l’entraide judiciaire en
matière pénale, «pour apprécier s’il y a eu atteinte ou non à l’immunité du chef de
l’Etat, il faut vérifier si celui-ci a été soumis à un acte d’autorité contraignant ; c’est là
l’élément déterminant». Il en découle que les types d’exercice de la juridiction pénale
auxquels l’immunité soustrait un chef d’Etat ou un autre membre de la troïka sont
ceux qui ont 122caractère coercitif, quel que soit l’organe de l’Etat qui exerce cette
contrainte.»
120
Projet d’articles sur les immunités juridictionnelles des Etats et de leurs biens et commenteires y relatifs,
commentaire de l’article 1, Annuaire de la Commission du droit international, 1991, vol. II, 2 partie
(http ://legal.un.org/ilc/texts/instruments/francais/commentaires/4_1_1991_francais.pdf).
121Nations Unies, doc. A/C.6/68/SR.17, 8 novembre 2013.
122
Ibid., par. 48. - 40 -
5.47. Ce même principe vaut pour l’immunité de l’Etat et de ses biens. L’égalité des Etats et
le principe de non-intervention sont respectés tant qu’est assurée l’immunité d’un Etat (sous
réserve des exceptions prévues) vis-à-vis de la juridiction d’un autre. A cet égard, il importe peu
123
de savoir lequel des pouvoirs de l’Etat étranger judiciaire ou exécutif est en cause .
5.48. A cet égard, le droit australien est d’ailleurs conforme au droit international. Selon la
loi australienne sur l’immunité des Etats étrangers [Foreign States Immunities Act] de 1985, le
terme «tribunal» désigne «un tribunal ou tout autre organe (quelle que soit sa dénomination) qui
124
possède ou exerce des fonctions ou des pouvoirs judiciaires ou de nature similaire» .
5.49. En résumé, en délivrant et en exécutant le mandat sous l’autorité de son
Attorney-General, puis en procédant à l’examen, à la saisie et à la rétention des biens du
Timor-Leste qui se trouvaient en la possession du conseil juridique de celui-ci, l’Australie a
méconnu l’inviolabilité et l’immunité dues au Timor-Leste et à ses biens au regard du droit
international coutumier.
C. L’ IMMUNITÉ DE L ’E TAT ET LES AUTRES IMMUNITÉS RECONNUES EN DROIT INTERNATIONAL
5.50. Comme indiqué précédemment, l’immunité de l’Etat trouve sa raison d’être dans
l’égalité des Etats, le principe de non-intervention dans les affaires intérieures de l’Etat et, plus
concrètement, dans la conduite de la diplomatie de l’Etat.
5.51. L’immunité de l’Etat tire son origine du monarque, autrefois l’incarnation de l’Etat
souverain , dont la personne et les biens étaient reconnus comme inviolables et jouissaient de
126
l’immunité devant les juridictions locales . Au fil du temps, une distinction s’est opérée entre
l’Etat et son chef, le peuple étant le souverain et les dirigeants, ses représentants . Parallèlement,
l’immunité diplomatique s’est développée en raison de la nécessité de protéger les représentants de
l’Etat souverain dans la conduite de ses relations avec d’autres Etats. A maints égards, le
diplomate était considéré comme le prolongement du monarque ou du prince, son immunité et son
inviolabilité étant essentielles à la conduite des relations étrangères . 128
5.52. Avec le temps, le droit international a fini par reconnaître d’autres immunités, telles
que celle des missions spéciales, les immunités consulaires, les immunités dues aux organisations
internationales et leur inviolabilité, etc., leur point commun étant, sur le plan juridique, le fait
qu’elles procèdent toutes de la même raison d’être. Les nombreuses évolutions du droit
international relatif aux immunités et à l’inviolabilité des personnes, des locaux et des biens sont
donc corrélées et répondent au même objectif fondamental.
123Voir également H. Fox et P. Webb, The Law of State Immunity, 3 éd., Oxford University Press, 2013,
p. 207-208, concernant la pratique des Etats consistant à en exonérer les autres Etats des taxes sur les transactions non
commerciales, ce qui constitue clairement une forme exécutive d’exercice de la juridiction.
124Loi australienne de 1985 sur l’immunité des Etats étrangers, art. 3, par. 1 (annexe 16).
125H. Fox et P. Webb, The Law of State Immunity (3 éd., Oxford University Press), p. 133.
126
Ibid., p. 131-132.
127
Ibid., p. 133.
128Ibid., p. 132. - 41 -
5.53. S’agissant du droit matériel, ces corpus juridiques distincts confèrent une immunité et
une inviolabilité similaires à différents individus, biens et entités agissant pour l’Etat, aux fins de la
conduite effective de ses relations internationales et au nom de l’égalité et de la non-ingérence.
Dans l’affaire relative au Mandat d’arrêt (par. 53), la Cour a ainsi précisé ce qui suit :
«En droit international coutumier, les immunités reconnues au ministre des
affaires étrangères ne lui sont pas accordées pour son avantage personnel, mais pour
lui permettre de s’acquitter librement de ses fonctions pour le compte de 1’Etat qu’il
représente … Il doit également demeurer en liaison constante avec son gouvernement
ainsi qu’avec les missions diplomatiques que celui-ci entretient dans le monde entier,
et pouvoir à tout moment communiquer avec les représentants d’autres Etats.»
5.54. Le lien ainsi établi entre l’exercice effectif des fonctions et la liaison avec le
gouvernement vaut tout autant pour les conseillers juridiques de ce dernier. Pareille liaison requiert
la même immunité de juridiction que celle d’un fonctionnaire de l’Etat.
5.55. L’inviolabilité et l’immunité des biens et documents de l’Etat sont expressément
prévues dans les conventions internationales qui régissent certains domaines du droit, tels que le
droit diplomatique et consulaire, le droit relatif aux missions spéciales et le droit des organisations
internationales. L’article 24 de la convention de Vienne sur les relations diplomatiques de 1961
dispose ainsi que «[l]es archives et documents de la mission sont inviolables à tout moment et en
quelque lieu qu’ils se trouvent», l’article 27, en son paragraphe 2, précisant que «[l]a
correspondance officielle de la mission est inviolable [et que l’]expression «correspondance
officielle» s’entend de toute la correspondance relative à la missi129et à ses fonctions». La
convention de Vienne sur les relations consulaires de 1963 et la convention de New York sur les
missions spéciales de 1969 130 contiennent des dispositions analogues. La première énonce, à
l’alinéa k) de son article premier, une définition large de la notion d’archives consula131s, qui
pourrait, d’une manière générale, correspondre à celle des archives officielles .
5.56. Des dispositions similaires figurent dans les traités relatifs aux organisations
internationales et dans les accords de siège de celles-ci. L’article II de la convention sur les
privilèges et immunités des Nations Unies de 1946 confère ainsi une immunité étendue aux biens et
avoirs de l’Organisation, et prévoit l’inviolabilité de ses locaux et archives, à l’instar132s droits
énoncés dans la convention de Vienne sur les relations diplomatiques de 1961 . Des immunités
personnelles et fonctionnelles sont reconnues aux représentants des Etats membres, ainsi que «tels
autres privilèges, immunités et facilités non incompatibles avec ce qui précè133dont jouissent les
agents diplomatiques», leurs papiers et documents étant inviolables . Les hauts fonctionnaires de
129 Convention de Vienne sur les relations consulaires de 1963, RTNU, vol. 596, p. 261, entrée en vigueur le
19 mars 1967, article 33 (https://treaties.un.org/doc/Publication/UNTS/Volume%20596/volume-596-I-…).
130Convention sur les missions spéciales de 1969, RTNU, vol. 1400, p. 231, entrée en vigueur le 21 juin 1985,
article 26 (http://legal.un.org/ilc/texts/instruments/francais/traites/9_3_1969_fra…).
131 e
E. Denzae Diplomatic Law (3 éd., Oxford University Press, 2008), p. 162 ; L. Lee et J. Quigley, Consular
Law and Practice (3 éd., Oxford University Press, 2008), p. 392.
132
RTNU, vol. 500, p. 95, adoptée par l’Assemblée générale le 14 avril 1961, entrée en vigueur le 24 avril 1964.
Voir également la Charte des Nations Unies, article 105 (http://www.un.org/fr/documents/charter/pdf/charter.pdf).
133 Convention sur les privilèges et immunités des Nations Unies de 1946, RTNU, vol. 1, p. 15, entrée en
vigueur le 17 septembre 1946, article IV (https://treaties.un.org/doc/Treaties/1946/12/19461214%2010-
17%20PM/Ch_III_1p.pdf). - 42 -
l’ONU et leur famille jouissent des mêmes privilèges et immunités que les diplomates, les autres
fonctionnaires de l’ONU bénéficiant, quant à eux, d’une immunité fonctionnelle . 134
5.57. La convention sur les privilèges et immunités des institutions spécialisées de 1947 135
confère à celles-ci l’immunité à l’égard de leurs biens et avoirs, et prévoit l’inviolabilité de leurs
locaux et archives. Les fonctionnaires de ces institutions bénéficient de l’immunité fonctionnelle,
le directeur général de chaque institution spécialisée et sa famille jouissant en outre des privilèges
136
et immunités reconnus aux diplomates . L’approche essentiellement fonctionnelle de l’immunité
de l’Etat, destinée à assurer la bonne conduite de la diplomatie internationale, apparaît donc tout à
fait clairement.
5.58. Au cours de la procédure orale consacrée à la demande en indication de mesures
conservatoires, l’Australie a soutenu que le moyen avancé par le Timor-Leste «rendrait superflu
l’ensemble des instruments en vigueur aujourd’hui» et «constituerait un pas de géant dans le
développement du droit international public» . Or, il n’est évidemment pas rare qu’un traité (en
vigueur ou non), certaines de ses dispositions ou encore des projets d’articles reflètent le droit
coutumier dans un domaine donné . De même, un principe plus large de droit international
coutumier peut trouver son expression dans une série de traités similaires sur le fond. En l’espèce,
une multitude de conventions font écho à une règle de droit international coutumier, laquelle
accorde l’immunité et l’inviolabilité aux documents et archives de l’Etat.
5.59. Cette règle de droit international coutumier accordant l’immunité et l’inviolabilité aux
documents et archives de l’Etat trouve son expression dans la pratique des Etats. Dans le
commentaire qu’elle a consacré au paragraphe 2 de l’article 27 de la convention de Vienne sur les
relations diplomatiques de 1961, Eileen Denza indique que la «correspondance adressée par l’Etat
d’envoi à sa mission pourrait, au moins en t139rie, être protégée en tant que relevant des archives
du gouvernement d’un Etat étranger» , ajoutant que «la question peut se poser de savoir si cette
correspondance émane de l’Etat d’envoi et si elle peut, par conséquent, bénéficier de l’inviolabilité
140
en tant qu’archive d’un gouvernement étranger souverain» . Dans son commentaire de
l’article 30, Mme Denza souligne la protection accordée aux papiers diplomatiques :
134 Convention sur les privilèges et immunités des Nations Unies de 1946, RTNU, vol. 1, p. 15, entrée en vigueur
le 17 septembre 1946, article V (https://treaties.un.org/doc/Treaties/1946/12/19461214%2010-17%20PM/Ch_I…).
135 Convention sur les privilèges et immunités des institutions spécialisées de 1947, RTNU, vol. 33, p. 261,
adoptée le 21 novembre 1947, entrée en vigueur le 2 décembre 1948 (https://treaties.un.org/doc/Treaties/
1949/08/19490816%2010-43%20AM/Ch_III_2p.pdf).
136Ibid., article V.
137
CR 2014/2, p. 12, par. 6 (Gleeson).
138
Convention de Vienne sur le droit des traités de 1969, RTNU, vol. 1155, p. 331, entrée en vigueur le
27 janvier 1980 (https://treaties.un.org/doc/Publication/UNTS/Volume%201155/volume-1155-…).
Voir également les affaires du Plateau continental de la mer du Nord, p. 39, par. 62 : Selon la Cour, une disposition d’un
traité peut consacrer un droit coutumier établi ou cristalliser une règle coutumière en voie de formation. En outre, une
disposition d’un traité peut servir de base au développement ultérieur d’une règle coutumière. Comme la Cour l’a déclaré
dans ces affaires, un article de traité «conventionnel[] ou contractuel[] à l’origine» peut devenir ultérieurement une règle
coutumière «de telle sorte que désormais [il] s’imposerait même aux pays qui ne sont pas et n’ont jamais été parties à la
Convention. Certes cette situation est du domaine des possibilités et elle se présente de temps à autre : c’est même l’une
des méthodes reconnues par lesquelles des règles nouvelles de droit international coutumier peuvent se former» (p. 42,
par. 71).
139E. Denza, Diplomatic Law (3 éd., Oxford University Press 2008), p. 226.
140Ibid. - 43 -
«L’inviolabilité des papiers et de la correspondance se justifie en ce qu’elle
écarte la tentation, pour l’Etat de résidence, de fouiller des papiers qui peuvent être en
partie officiels et en partie privés, sous prétexte que l’objectif est de retrouver des
papiers personnels ou privés ou la correspondance d’un agent diplomatique.
[L’article 30] a pour effet que, même si un diplomate ne bénéficie pas de l’immunité
de juridiction devant les tribunaux par exemple, en ce qui concerne une activité
commerciale qu’il exerce dans l’Etat de résidence en dehors de ses fonctions
officielles , il ne sera pas possible de le contraindre à produire les papiers pertinents
qui sont en sa possession et seraient essentiels au succès de l’affaire.» 141
5.60. Mme Denza se réfère également à une affaire dans laquelle étaient en cause des papiers
gouvernementaux qui se trouvaient en la possession de sociétés sous-traitantes . En 2002, une42
commission de la chambre des représentants des Etats-Unis d’Amérique s’est posé la question du
statut de pareils éléments détenus par des consultants professionnels, en l’occurrence des lobbyistes
ou des conseillers en relations publiques. Le conseiller juridique du département d’Etat a présenté
143
un mémorandum , dans lequel il renvoyait à certaines informations fournies par le gouvernement
à une société sous-traitante en vue de la construction d’une ambassade, et envisageait l’hypothèse
où l’Etat hôte insisterait auprès de cette société pour qu’elle lui communique ces informations :
«Nous songerions [alors] sérieusement à nous prévaloir des privilèges, ou de
l’inviolabilité, au titre de la convention de Vienne. Nous envisagerions également
d’invoquer d’autres privilèges et protections, t144 que le secret d’Etat, susceptibles de
s’appliquer à ces situations ou à d’autres.»
Et le conseiller juridique de poursuivre :
«La question soulevée par la commission … est de savoir si ces éléments
conservent l’immunité prévue par la convention lorsqu’ils sont confiés à, ou utilisés
145
par, des tierces parties … Il s’agit là d’une question nouvelle et complexe.»
5.61. Même si l’enquête portait essentiellement sur des documents relatifs à une ambassade,
la question sous-jacente soulevée par le département d’Etat et la position que celui-ci a adoptée
semblent valoir de manière générale pour les documents gouvernementaux qui se trouveraient en la
possession de sociétés sous-traitantes.
5.62. Les éminents auteurs qui ont contribué à la neuvième édition de l’ouvrage
Oppenheim’s International Law ont fait observer, à propos des agents n’ayant pas un statut
diplomatique ou consulaire, que, si aucune règle spécifique ne régit à ce jour leurs privilèges et
immunités, dans la pratique, «ces personnes et leurs documents officiels sont a priori
146
inviolables» .
141 e
E. Denza, Diplomatic Law (3 éd., Oxford University Press 2008), p. 226.
142Ibid., p. 197-199.
143«Vienna Convention on Diplomatic Relations: Saudi Arabian Embassy Documents [Convention de Vienne sur
les relations diplomatiques : documents de l’ambassade d’Arabie saoudite]» dans S.J. Cummins et D.P. Stewart (dir.
publ.), Digest of United States Practice in International Law 2002 (International Law Institute), p. 567-570.
144Ibid., p. 569.
145
Ibid., p. 570.
146R. Jennings et A. Watts, Oppenheim’s International Law, vol. I, (9 éd., 1992), p. 1175. - 44 -
5.63. Une illustration récente de cette approche est la position qu’a adoptée le Royaume-Uni
lorsque, en novembre 2013, des agents de l’Etat espagnol ont ouvert des valises contenant des
documents du Gouvernement britannique (ne relevant pas, semble-t-il, de la correspondance
diplomatique) qui transitaient entre Gibraltar et Londres via l’Espagne. Dans une déclaration écrite
adressée au Parlement le 27 novembre 2013, le ministre britannique des affaires étrangères a
affirmé ce qui suit :
«Le vendredi 22 novembre, deux valises du Gouvernement du Royaume-Uni
contenant des communications et correspondances officielles, et clairement étiquetées
en tant que telles, ont été ouvertes par des agents de l’Etat espagnol, alors qu’elles
étaient en transit. Il s’agit là d’une grave ingérence dans la correspondance et les
biens officiels du Gouvernement de Sa Majesté et, partant, d’une atteinte tant aux
principes qui sous-tendent la convention de Vienne sur les relations diplomatiques
qu’au principe de l’immunité de l’Etat. Nous prenons très au sérieux toute atteinte à
ces principes.»147 (Les italiques sont de nous.)
5.64. Il convient de relever que le ministre n’a pas évoqué une violation des dispositions de
la convention de Vienne sur les relations diplomatiques, mais bien des principes qui y sont
consacrés et du principe de l’immunité de l’Etat. Cette déclaration étaye donc la position selon
laquelle les documents et autres biens de l’Etat bénéficient de l’immunité et de l’inviolabilité en
vertu du droit international général, que ce soit au titre d’une règle coutumière ou d’un principe
général de droit.
5.65. Ces exemples reflètent le principe fondamental selon lequel l’inviolabilité s’applique
de manière générale aux documents de l’Etat, en quelque lieu qu’ils se trouvent et même s’il ne
s’agit pas d’archives de l’Etat au sens strict du terme, ou d’archives d’une mission diplomatique ou
d’un poste consulaire.
5.66. En conclusion, l’Australie, de par l’examen, la saisie et la rétention des biens timorais,
a enfreint l’inviolabilité de ceux-ci ainsi que l’immunité due au Timor-Leste et à ses biens en vertu
du droit international.
14Ministère des affaires étrangères et du Commonwealth, déclaration écrite, 27 novembre 2013 (annexe 21). - 45 -
CHAPITRE VI
L E DROIT DU TIMOR -L ESTE DE CONDUIRE SANS INGÉRENCE
LA PROCÉDURE D ’ARBITRAGE ET LES NÉGOCIATIONS
6.1. Le présent chapitre est consacré à la violation du droit du Timor–Leste de conduire les
négociations et la procédure d’arbitrage sans ingérence de la part de l’Australie, notamment le droit
de celui-ci à la confidentialité de ses communications avec ses conseillers juridiques et à la
non-ingérence dans ces communications. La section A traite du principe de non-ingérence dans les
communications avec des conseillers juridiques (le secret professionnel des avocats et conseils) en
droit international. La section B porte sur le principe de bonne foi dans la conduite des
négociations et procédures internationales. Dans la section C, les principes du secret professionnel
des avocats et conseils et de la bonne foi sont appliqués à la saisie et à la détention, par l’Australie,
des documents et données en cause dans la présente instance.
A. L E PRINCIPE DE NON INGÉRENCE DANS LES COMMUNICATIONS AVEC DES CONSEILLERS
JURIDIQUES (LE SECRET PROFESSIONNEL DES AVOCATS ET CONSEILS ) EN DROIT
INTERNATIONAL
6.2. Le droit d’un Etat de mener des procédures arbitrales ou judiciaires ou des négociations
sans ingérence de la part de quiconque, notamment le droit de cet Etat à la confidentialité de ses
communications avec ses conseillers juridiques et à la non-ingérence dans ces communications, fait
partie du droit international. Ce que l’on désigne souvent, en droit interne, par l’expression «secret
professionnel des avocats et conseils» peut être considéré comme un principe coutumier ou un
principe général de droit au sens de l’alinéa c) du paragraphe 1 de l’article 38 du Statut de la Cour.
Point n’est besoin de préciser que la plupart des Etats reconnaissent d’une manière ou d’une autre
le secret professionnel des avocats et conseils afin de protéger le secret des communications
confidentielles entre les conseillers juridiques et leurs clients .
6.3. Par souci de commodité, l’expression «secret professionnel des avocats et conseils» ou
simplement «secret professionnel» sera utilisée dans le présent chapitre, mais ce principe pourrait
également être décrit comme le droit à la confidentialité des communications entre l’Etat et ses
conseillers juridiques et à la non-ingérence dans celles-ci.
6.4. Le principe du secret professionnel des avocats et conseils est essentiel à la primauté du
droit sur le plan international, car il permet à l’Etat d’obtenir librement conseils et assistance
juridiques, sans craindre d’ingérence extérieure, notamment pour pouvoir prendre part à des
processus de règlement pacifique des différends, en particulier ceux qui sont énoncés à l’article 33
de la Charte des Nations Unies (parmi lesquels figurent les modes de règlement pacifique des
différends qui sont plus spécifiquement en cause en la présente espèce : la négociation, l’arbitrage
et le règlement judiciaire). Ce principe sous-tend par conséquent celui du règlement pacifique des
différends internationaux, consacré au paragraphe 3 de l’article 2 de la Charte des Nations Unies et
148
Il ressort de trois études non exhaustives réalisées par des cabinets juridiques internationaux que le secret
professionnel des avocats et conseils est reconnu, sous une forme ou une autre, dans tous les systèmes juridiques étudiés :
voir DLA Piper, Legal Privilege Handbook 2013 (annexe 22), Linklaters, Privileged, 2009 (annexe 23) et Norton Rose,
Disclosure and Privilege in Asia Pacific, 2010 (annexe 24). Les quarante-cinq systèmes juridiques suivants ont été
examinés dans le cadre de ces études : Afrique du sud, Allemagne, Arabie saoudite, Australie, Autriche, Belgique, Brésil,
Bulgarie, Chypre, Corée du sud, Danemark, Espagne, Estonie, Etats-Unis d’Amérique, Finlande, France, Grèce,
Hong Kong, Hongrie, Indonésie, Irlande, Italie, Japon, Lituanie, Luxembourg, Malte, Mexique, Norvège,
Nouvelle-Zélande, Pays-Bas, Pologne, Portugal, République populaire de Chine, République slovaque, République
tchèque, Roumanie, Royaume-Uni, Russie, Singapour, Slovénie, Suède, Suisse, Thaïlande, Turquie, Union
européenne/Cour de justice de l’Union européenne. - 46 -
dont celles-ci ont affirmé, dans leur déclaration relative aux principes du d149t international
touchant les relations amicales et la coopération entre les Etats , qu’il s’agissait de l’un des
principes du droit international.
6.5. Dans le cas particulier de l’arbitrage ou du règlement judiciaire, le principe du secret
professionnel des avocats et conseils est essentiel à la bonne administration de la justice ; dans le
150
présent contexte, il traduit en outre le principe de l’égalité souveraine des Etats . Ledit principe
garantit l’intégrité des procédures judiciaires internationales et permet aux parties à l’instance de se
préparer sans entrave ni crainte de voir révélées leurs délibérations internes. Le Timor-Leste et
151
l’Australie semblent partager les mêmes vues sur ce point .
6.6. Le fait que le secret professionnel des avocats et conseils constitue un principe général
de droit a été reconnu par les juridictions internationales. Dans l’affaire de la Banque des
règlements internationaux, le tribunal arbitral a ainsi indiqué ce qui suit :
«Un aspect fondamental de la règle de la confidentialité des communications
entre l’avocat et son client, tant en droit national qu’en droit international, est que les
personnes amenées à prendre des décisions en leur nom propre ou au nom d’autres
personnes sont autorisées à demander et à recevoir des avis juridiques et que
l’obtention d’une palette complète d’options juridiques, de même que l’analyse et
l’évaluation de leurs implications, se verraient compromises si les conseils et leurs
clients n’avaient pas à l’avance l’assurance que l’avis donné, ainsi que les
communications qui l’accompagnent, demeureraient confidentielles et ne pourraient
152
donner lieu à une divulgation forcée.»
6.7. Dans l’affaire Libananco c. Turquie, qui concernait un différend relatif à un traité
d’investissement, le tribunal arbitral était saisi d’allégations d’interception, par le gouvernement
149
Déclaration relative aux principes du droit international touchant les relations amicales et la coopération entre
les Etats conformément à la Charte des Nations Unies, 24 octobre 1970 (http://www.un.org/french/documents/
view_doc.asp?symbol=A/RES/2625(XXV)&Lang=F).
150
Au paragraphe 27 de l’ordonnance qu’elle a rendue le 3 mars 2014 au sujet de la demande en indication de
mesures conservatoires déposée par le Timor-Leste, la Cour a précisé ce qui suit : «Le principal grief du Timor-Leste est
qu’il y a eu violation de son droit de communiquer de manière confidentielle avec ses conseils et avocats au sujet de
questions faisant l’objet d’une procédure arbitrale en cours et de futures négociations entre les Parties. La Cour note que
ce droit allégué pourrait être inféré du principe de l’égalité souveraine des Etats, l’un des principes fondamentaux de
l’ordre juridique international qui trouve son expression au paragraphe 1 de l’article 2 de la Charte des Nations Unies.
Plus spécifiquement, il convient de préserver l’égalité des parties lorsque celles-ci se sont engagées, conformément au
paragraphe 3 de l’article 2 de la Charte, dans le règlement, par des moyens pacifiques, d’un différend international.»
(Les italiques sont de nous.)
En 1922, dans la sentence arbitrale prononcée en l’Affaire des réclamations norvégiennes (Norvège c. Etats-Unis
d’Amérique), un tribunal de la Cour permanente d’arbitrage avait indiqué ce qui suit : «[l]e droit international et la justice
internationale sont basés sur le principe d’égalité entre Etats», Recueil des sentences arbitrales, vol. I, p. 338
(http://legal.un.org/riaa/cases/vol_I/307-346.pdf). Voir également A. McNair, Equality in International Law, (1927-8),
Mich. L. Rev, vol. 26, en particulier p. 136.
151CR 2014/4, p. 23, par. 4 (Gleeson).
152 M. Horst Reineccius et consorts c. Banque des règlements internationaux (CPA), ordonnance de procédure
n° 6, 11 juin 2002, p. 4 (http://www.pca-cpa.org/showpage.asp?pag_id=1222) ; repris dans Vito G. Gallo
c. Gouvernement du Canada (CPA-ALENA), ordonnance de procédure n° 3, 8 avril 2009, par. 49
(http://www.naftalaw.org/Disputes/Canada/Gallo/Gallo-Canada-Order3.pdf). - 47 -
défendeur, de communications entre le demandeur et ses conseillers juridiques, allégations que,
selon ses propres termes, «il lui fallait examiner avec le plus grand sérieux» . 153
6.8. Il appert de la décision rendue sur les questions préliminaires dans cette affaire que le
conseil du gouvernement s’était comporté de manière tout à fait correcte, refusant de consulter tout 154
document intercepté (documents parmi lesquels figurait un projet du mémoire du demandeur) . Il
est vrai que l’on ne s’attendrait pas à moins, étant donné que le secret professionnel des avocats et
conseils est si universellement reconnu. De fait, la reconnaissance et la protection de ce principe
peuvent être requises par les organes professionnels qui, sur le plan national, supervisent les
155
conseillers juridiques des parties à une procédure contentieuse internationale .
6.9. Dans l’affaire Libananco, le tribunal a rappelé on ne peut plus fermement quels étaient
les principes fondamentaux en jeu :
«[l]’équité procédurale la plus élémentaire, le respect de la confidentialité et, en
particulier, de la confidentialité des communications entre un avocat et son client... ; le
droit des parties de demander conseil et de développer leur argumentation librement et
156
sans ingérence» .
6.10. Et le tribunal d’ajouter que, selon lui,
«le principe peut s’exprimer ainsi : les parties ont l’obligation de se soumettre
équitablement et de bonne foi à l’arbitrage et le tribunal doit veiller à ce que cette
obligation soit respectée ; ce principe s’applique dans tout arbitrage, y compris en
matière de différends relatifs à des investissements, et à toutes les parties,157compris
les Etats (fût-ce dans l’exercice de leurs attributions souveraines)» .
6.11. Le fait que le secret professionnel des avocats et conseils est un principe général de
droit est encore étayé par la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne, dans des
affaires ayant trait aux limites imposées au pouvoir de la Commission européenne de mener
certaines enquêtes en raison de la confidentialité des communications écrites entre les avocats et
158
leurs clients . La Cour européenne a ainsi reconnu que le secret professionnel s’ap159quait
auxdites communications, lorsque certaines conditions étaient réunies . Ce faisant, elle a déclaré
que le droit applicable
153Libananco Holdings Co. Limited c. République de Turquie, CIRDI, affaire n ARB/06/8, Décisions sur les
questions préliminaires, 23 juin 2008, par. 74 (http://italaw.com/documents/Libanco-Decision.pdf).
154Ibid., par. 75.
155Voir, d’un point de vue général, A. Savarian, Professional Ethics at the International Bar (2013).
156
Libananco Holdings Co. Limited v. Republic of Turkey, par. 78 (http://italaw.com/documents/Libanco-
Decision.pdf).
157
Ibid.
158
Affaire 155/79, AM & S Europe Limited c. Commission des Communautés européennes, arrêt de la Cour du
18 mai 1982 (http://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/PDF/?uri=CELEX:61979CJ015…) ; également
cité dans l’affaire C-550/07 P, Akzo Nobel Chemicals Ltd et Akcros Chemicals Ltd c. Commission européenne, arrêt de la
Cour (grande chambre) du 14 septembre 2010, par. 41-42 (http://curia.europa.eu/juris/celex.jsf?celex=
62007CJ0550&lang1=en&type=TXT&ancre=).
159
Affaire 155/79, AM & S Europe Limited c. Commission des Communautés européennes, arrêt de la Cour du
18 mai 1982, par. 18 (http://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/PDF/?uri=CELEX:61979CJ015…). - 48 -
«d[evait] tenir compte des principes et conceptions communs aux droits d[es] Etats
[membres] en ce qui concerne le respect de la confidentialité à l’égard, notamment, de
certaines communications entre les avocats et leurs clients. Cette confidentialité
répond en effet à l’exigence, dont l’importance est reconnue dans l’ensemble des Etats
membres, que tout justiciable doit avoir la possibilité de s’adresser en toute liberté à
son avocat, dont la profession même comporte la tâche de donner, d160açon
indépendante, des avis juridiques à tous ceux qui en ont besoin» .
6.12. La Cour européenne a ensuite relevé que, si l’étendue de cette confidentialité pouvait
varier d’un Etat membre à l’autre, «les droits internes des Etats membres rév[élai]ent cependant
l’existence de critères communs en ce qu’ils protègent, dans des conditions similaires, la
confidentialité de la correspondance entre avocats et clients…» 161
6.13. Le caractère fondamental que revêt le principe du secret professionnel des avocats et
conseils aux fins de la primauté du droit ressort clairement de nombreux prononcés de la Cour
européenne des droits de l’homme. On citera notamment :
a) L’affaire Niemitz c. Allemagne, requête n° 13710/88 (1993), EHRR, vol. 16, p. 97, par. 37, qui
concernait la saisie de documents au bureau d’un avocat, situé au domicile de celui-ci :
«[pareil empiètement sur le secret professionnel] peut se répercuter sur la bonne
administration de la justice et, partant, sur les droits garantis par l’article 6 (art. 6) [de
la convention européenne des droits de l’homme]».
b) L’affaire Campbell c. Royaume-Uni, requête n° 13590/88 (EHRR, vol. 15, p. 137), par. 46 :
«Il y va clairement de l’intérêt public qu’une personne désireuse de consulter un
homme de loi puisse le faire dans des conditions propices à une pleine et libre
discussion. D’où le régime privilégié dont bénéficie, en principe, la relation
avocat-client.»
c) L’affaire Elci et autres c. Turquie, requête n° 23145/93 (arrêt, 13 novembre 2003), par. 669 :
«La Cour soulignera le rôle central que joue la profession d’avocat dans
l’administration de la justice et le maintien de la primauté du droit. La liberté des
avocats d’exercer leur profession sans entrave indue est une composante essentielle
des sociétés démocratiques et une condition préalable nécessaire à la mise en œuvre
effective des dispositions de la convention [européenne des droits de l’homme],
notamment de la garantie d’un procès équitable et du droit à la sûreté des personnes.
En persécutant ou en harcelant des avocats, on touche ainsi au cœur même du régime
établi par la convention. C’est pourquoi toute allégation de persécutions de ce type,
sous quelque forme que ce soit — et, en particulier, d’arrestations et de détentions
d’avocats à grande échelle ainsi que de perquisitions menées dans leurs bureaux —,
fera l’objet d’un examen particulièrement attentif de la Cour.»
d) L’affaire Istratii et autres c. Moldova, requête n° 8721/05 (arrêt, 27 mars 2007), par. 89 :
«Le principe selon lequel la confidentialité des informations échangées entre un
avocat et son client doit être protégée constitue l’un des facteurs essentiels qui
160
Affaire 155/79, AM & S Europe Limited c. Commission des Communautés européennes, arrêt de la Cour du
18 mai 1982, par. 18 (http://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/PDF/?uri=CELEX:61979CJ015…).
16Ibid., par. 21. - 49 -
permettent à l’avocat de représenter efficacement les intérêts de son client. Cette
confidentialité favorise l’instauration d’une communication franche et honnête entre
clients et avocats.»
e) Dans l’affaire Iliya Stefanov c. Bulgarie, requête n° 65755/01 (arrêt, 22 mai 2008), alors qu’elle
examinait la perquisition et la saisie qui avaient été effectuées au bureau d’un avocat, la Cour
européenne a, au paragraphe 42 de son arrêt, fait observer, à propos de la saisie de matériel
informatique contenant des documents relevant du secret professionnel, qu’il y avait une forte
probabilité que ce principe ait été violé :
«La Cour observe de surcroît que la portée excessive du mandat de perquisition
a eu des répercussions sur la manière dont celui-ci a été exécuté. Si rien dans les faits
de l’espèce ne donne à penser que des documents relevant du secret professionnel des
avocats et conseils ont été consultés durant la perquisition, il convient de noter que les
policiers ont procédé à la saisie de l’ordinateur du demandeur dans son intégralité, y
compris les périphériques, ainsi que de toutes les disquettes qu’ils ont trouvées sur les
lieux… Etant donné que le demandeur utilisait bien évidemment l’ordinateur pour son
travail, il est naturel de supposer que le disque dur de celui-ci, de même que les
disquettes, contenaient des informations protégées par le secret professionnel. Certes,
l’expert a par la suite utilisé des mots-clés pour examiner les données que contenaient
ces supports, ce qui a quelque peu limité l’intrusion, mais il a procédé à cet examen
plusieurs jours après la perquisition, après que l’ordinateur et les disquettes eurent été
saisis sans discernement dans le bureau du demandeur…, alors que rien ne garantissait
que, dans l’intervalle, le contenu tout entier du disque dur et des disquettes n’avait pas
été examiné ou copié. Cela amène la Cour à conclure que la perquisition a empiété
sur le secret professionnel dont pouvait se prévaloir le demandeur, d’une manière qui,
dans les circonstances de l’espèce, était disproportionnée.»
f) Se référant aux décisions qu’elle avait prises dans les affaires Niemietz et Elci, la Cour
européenne des droits de l’homme, aux paragraphes 62-63 de l’arrêt qu’elle a rendu le
5 juillet 2012 en l’affaire Golovan c. Ukraine (requête n° 41716/0-6), a en outre précisé ce qui
suit :
«[62]. …Les perquisitions effectuées dans les locaux d’un avocat devraient dès lors
faire l’objet d’un examen particulièrement minutieux. Des garanties appropriées,
telles que la présence et la participation effective d’un observateur indépendant,
doivent toujours être fournies au cours de la perquisition des locaux d’un avocat de
manière à s’assurer que des documents relevant du secret professionnel ne soient pas
saisis (voir André et autre, … par. 43 et 44, 24 juillet 2008, et Aleksanyan c. Russie,
requête n° 46468/06, par. 214, 22 décembre 2008).
[63]. La Cour a estimé que ledit observateur devait posséder la formation juridique
nécessaire à sa participation effective à la procédure (voir, par exemple,
Iliya Stefanov c. Bulgarie, …, par. 43, et Kolesnikchenko c. Russie, requête
n° 19856/04, par. 34, 9 avril 2009). De plus, il doit lui aussi être tenu de respecter la
confidentialité des échanges entre l’avocat et son client afin de garantir la protection
des documents relevant du secret professionnel et les droits des tiers. Enfin,
l’observateur doit disposer des pouvoirs nécessaires pour pouvoir empêcher, au cours
de la fouille, tout éventuel empiètement sur le secret professionnel des avocats (voir,
par exemple, Wieser et Bicos Beteiligungen GmbH, …, par. 62).»
g) Un autre exemple de garanties figure dans l’arrêt rendu par la Cour européenne le
6 décembre 2012 en l’affaire Michaud c. France (requête n° 12323/11), qui concernait
l’obligation, incombant aux avocats français en cas de soupçon de blanchiment de capitaux et
de financement du terrorisme, de faire une déclaration par le «filtre» indépendant du président - 50 -
de l’ordre des avocats au Conseil d’Etat et à la Cour de cassation, ou au bâtonnier de l’ordre
162
auprès duquel ils sont inscrits .
6.14. Ces affaires démontrent que, en matière de perquisitions et de saisies effectuées dans
les locaux professionnels de représentants juridiques, le droit des droits de l’homme impose des
garanties procédurales précises afin d’assurer le respect du principe du secret professionnel des
avocats et conseils. Le Timor-Leste soutient que, d’une manière plus générale, des garanties
procédurales doivent également être adoptées en droit international afin de préserver ce droit. Pour
ce faire, il convient à tout le moins de veiller à ce qu’un observateur indépendant et disposant d’une
formation juridique soit présent, de sorte à s’assurer que les éléments relevant du secret
professionnel sont correctement protégés. Aucun Etat ne devrait être autorisé à s’ingérer
unilatéralement dans les communications d’un autre Etat avec ses conseillers juridiques.
B. L E PRINCIPE DE BONNE FOI DANS LA CONDUITE DES NÉGOCIATIONS ET
DES PROCÉDURES INTERNATIONALES
6.15. La protection qui est reconnue aux communications entre un client et ses conseils
juridiques exige aussi que la confidentialité de pareils documents soit préservée conformément au
principe de bonne foi et à l’interdiction connexe de tout abus de procédure, qui s’applique à toute
procédure judiciaire ou arbitrale internationale, qu’elle soit en cours ou à venir . 163
6.16. Le principe de bonne foi, fondamental dans les procédures judiciaires internationales,
est bien établi dans la jurisprudence. La Cour l’a énoncé en des termes particulièrement clairs dans
les affaires des Essais nucléaires de 1974 :
«L’un des principes de base qui président à la création et à l’exécution
d’obligations juridiques, quelle qu’en soit la source, est celui de la bonne foi. La
confiance réciproque est une condition inhérente de la coopération internationale,
surtout à une époque où, dans bien des domaines, cette coopération est de plus en plus
indispensable.» 164
6.17. Dans l’arbitrage Methanex Corporation c. Etats-Unis d’Amérique, le tribunal s’est
référé à ce même principe dans le cadre des procédures internationales, soulignant ce qui suit :
«Le tribunal estime que, dans la présente procédure, chacune des Parties était
liée, vis-à-vis de l’autre et du tribunal, par une obligation générale d’agir de bonne foi
et de respecter entre elles l’égalité des armes, l’«égalité de traitement» et le
contradictoire étant également requis aux te165s du paragraphe 1) de l’article 15) du
Règlement d’arbitrage de la CNUDCI.»
162 Affaire Michaud c. France, requête n° 12323/11, arrêt, 6 décembre 2012 (http://hudoc.echr.coe.int/sites/
fra/pages/search.aspx?i=001-115055).
163 R. Kolb, «General Principles of Procedural Law» in Zimmerman et al (dir. publ.), The Statute of the
International Court of Justice. A Commentary, 2 éd., Oxford University Press, 2012, p. 903-906.
164
Essais nucléaires (Australie c. France), arrêt, C.I.J. Recueil 1974, p. 268, par. 46.
165Methanex Corporation c. Etats-Unis d’Amérique, sentence finale sur la compétence et le fond, 3 août 2005,
2 partie, chap. I, par. 54 (version originale anglaise accessible sur le site Internet http://italaw.com/sites/default/files/
case-documents/ita0529.pdf). - 51 -
6.18. Le tribunal constitué pour connaître de l’affaire EDF (Services) Ltd. c. Roumanie a lui
aussi, dans une ordonnance de procédure, confirmé l’applicabilité des «principes de bonne foi et de
166
loyauté requis dans les arbitrages internationaux» .
167
6.19. Le principe de bonne foi a été maintes fois réaffirmé et analysé dans la doctrine .
Ainsi, dans l’ouvrage Oppenheim’s International Law, tel que revisé par Sir Robert Jennings et
Sir Arthur Watts, il est notamment précisé ce qui suit :
«L’un des principes qui a … été invoqué par la Cour, et qui est tout à fait
capital, est celui de la bonne foi. Il est énoncé au paragraphe 2 de l’article 2 de la
Charte des Nations Unies … L’importance de ce principe se fait sentir dans tous les
domaines du droit international.» . 168
6.20. Pour Georg Schwarzenberger, la169nne foi fait partie des «sept principes
fondamentaux» du droit international .
6.21. L’Encyclopedia of Public International Law définit comme suit les exigences
particulières qui découlent dudit principe :
«Le principe de bonne foi impose aux parties à un accord de faire preuve
d’honnêteté et de loyauté l’une envers l’autre, de présenter sincèrement leurs moyens
et leurs buts et de ne pas se procurer un avantage indu en interprétant l’accord passé
entre elles de manière littérale et non conforme à l’intention première.» 170
6.22. Dans une analyse particulièrement pertinente de la notion de bonne foi,
Michael Virally a indiqué ce qui suit :
«A de nombreux égards, [la bonne foi] constitue le postulat sur lequel repose
cet ordre juridique dans son intégralité. Les effets qui s’attachent à l’expression de la
volonté — et plus largement, au comportement — des acteurs internationaux ne sont
concevables que parce qu’il est présumé que ces derniers agissent de bonne foi et que
leur volonté apparente est conforme à leur volonté réelle. Si ce postulat ne peut être
considéré comme admis, c’est la structure même du droit international qui
171
s’effondre.»
166EDF (SERvices) Ltd c. Roumanie (CIRDI n°ARB/05/13), ordonnance de procédure n 3 du 29 août 2008,
par. 38 (http://italaw.com/sites/default/files/case-documents/it0264.pdf).
167Voir notamment : J.F. O’Connor, Good Faith in International Law, Dartmouth, Aldershot, 1991 ; E. Zoller,
La bonne foi en droit international public, Revue générale de droit international public, Publications Nouvelle Série,
1977 ; H. Lauterpacht, The Development of International Law by the International Court of Justice, Londres, Stevens,
1958, p. 163 ; R. Kolb, «Principles as Sources of International Law (with Special Reference to Good Faith)», 2006,
NILR, vol. 53, p 1 ; M. N. Shaw, International Law, Cambridge, Cambridge University, 6 éd., 2008, p. 103 ;
M. Fitzmaurice in M.D. Evans, International Law, Oxford, Oxford University Press, 8 éd., 2012, p. 37 ; B. Cheng,
General Principles of Law as Applied by International Courts and Tribunals, Cambridge, 1953, 2006, 2 partie.
168R. Jennings et A. Watts, Oppenheim’s International Law, vol. I (9 éd., 1992), p. 38.
169 e
G. Schwarzenberger et E.D. Brown, A Manual of International Law, Milton, Professional Books, 6 éd., 1979,
p. 35-36.
170
A. D’Amato, «Good Faith» in Encyclopedia of Public International Law, North Holland, Elsevier, vol. 2,
1995, p. 599.
171
M. Virally, «Review Essay: Good Faith in Public International Law», 1983, American Journal of
International Law, vol. 77 (1 partie), p. 132. - 52 -
6.23. Dans ce même article, Michael Virally précise que la bonne foi a notamment la
fonction suivante :
«Force est de reconnaître, me semble-t-il, que la bonne foi est réellement un
principe de droit international, l’ensemble des acteurs de l’ordre juridique
international y étant soumis et devant en supporter les conséquences, puisque c’est à
l’aune de ce principe que seront établis les effets juridiques de leurs déclarations et de
172
leur comportement, ainsi que l’étendue de leurs obligations.»
Et Michael Virally de poursuivre :
«Par ailleurs, comme beaucoup d’autres principes généraux de droit, la bonne
foi est souvent occultée par les règles plus précises qu’elle a engendrées (notamment
le principe pacta sunt servanda), de sorte qu’il devient superflu de s’y référer
expressément à toutes fins pratiques et ordinaires. Or, même en pareil cas, les
principes généraux conservent pleinement leur valeur de ratio legis, et il demeure utile
de s’y référer en cas de difficulté. Nul ne saurait ignorer ces principes, au risque de ne
pas en saisir le sens véritable. Nul ne saurait ignorer que la bonne foi est l’un des
fondements de l’édifice international, au risque de réduire le droit international à de
173
vaines formules juridiques.»
C. L’ APPLICATION DES PRINCIPES DU SECRET PROFESSIONNEL DES AVOCATS ET CONSEILS ET
DE LA BONNE FOI ,EN DROIT INTERNATIONAL ,À LA SAISIE ET À LA DÉTENTION ,
PAR L ’A USTRALIE ,DES DOCUMENTS ET DONNÉES
6.24. Les éléments saisis par l’Australie le 3 décembre 2013 ont été assortis, sur la liste des
biens saisis, de deux types de «références» : 001 à 003 pour les équipements informatiques, et
LPP001 à LPP015 pour les documents («LPP» étant peut-être l’abréviation de «Legal Professional
Privilege» [secret professionnel des avocats et conseils]).
6.25. Les descriptions fournies pour ces documents confirment que ceux-ci sont bel et bien
couverts par le secret professionnel des avocats et conseils. La référence LPP005 est ainsi suivie
de la description suivante : «Document intitulé «communication adressée à M. Lowe au sujet de la
frontière maritime dans la mer de Timor» (scellé sous pli de couleur jaune)» ; s’agissant de la
référence LPP007, il est indiqué : «Document intitulé «communication adressée à M. Lowe au sujet
du traité entre l’Australie et le Timor-Leste», 2 pages (scellé sous pli de couleur jaune)». Chacun
des éléments saisis est examiné au chapitre IV ci-dessus . 174
6.26. Selon toute vraisemblance, le matériel informatique qui a été saisi dans les locaux
professionnels de M. Bernard Collaery contenait des documents électroniques de nombreux clients,
parmi lesquels le Timor-Leste, protégés par le secret professionnel. Dans l’affaire Iliya Stefanov
c. Bulgarie, la Cour européenne des droits de l’homme a formulé, au paragraphe 42 de son arrêt,
des considérations tout à fait pertinentes aux fins de la présente espèce :
172
M. Virally, «Rreiew Essay: Good Faith in Public International Law», 1983, American Journal of
International Law, vol. 77 (1 partie), p. 133.
173Ibid., p. 134.
174
Par. 4.23 du présent mémoire. - 53 -
«Etant donné que le demandeur utilisait bien évidemment l’ordinateur pour son
travail, il est naturel de supposer que le disque dur de celui-ci, de même que les
disquettes, contenaient des éléments protégés par le secret professionnel.» .175
6.27. Le Timor-Leste se refuse à toute conjecture quant aux points de savoir quels sont
précisément les documents qui ont été consultés, étudiés ou examinés au cours de cette opération,
qui a duré plusieurs heures. Il n’est par ailleurs pas en mesure de dire quels critères de recherche
ont été appliqués aux différents types d’éléments, sur support électronique ou papier, qui ont fait
l’objet de la perquisition, ni si des notes ont été prises à cette occasion. Il se peut que plusieurs
documents non saisis aient été copiés ou aient fait l’objet de notes, et que la protection dont le
Timor-Leste jouit à leur égard au titre du secret professionnel des avocats et conseils ait été violée.
176
6.28. Il convient de relever que le mandat du 2 décembre 2013 , signé par
l’Attorney-General George Brandis SC, ne prévoyait aucune garantie ou procédure particulière
pour préserver le droit du Timor-Leste à la confidentialité de ses communications avec son avocat.
Aucun élément ultérieur n’indique que pareilles procédures aient été mises en œuvre par l’ASIO,
dans le cadre de la perquisition et des saisies, en vue de protéger les droits du Timor-Leste sur les
documents et données en question.
D. C ONCLUSIONS
6.29. En la présente instance, l’un des principaux griefs du Timor-Leste est que l’Australie a
violé le droit à la confidentialité de ses communications avec ses conseillers juridiques que lui
confère le droit international ou le principe de la bonne foi dans la conduite de négociations et de
procédures internationales. En menant une perquisition dans les bureaux de M. Collaery, et en
examinant, saisissant et retenant des documents hautement confidentiels qui se rapportent aux
négociations relatives à la délimitation maritime entre le Timor-Leste et l’Australie, des échanges
de correspondance entre celui-ci et son conseil, ainsi que des documents juridiques ayant
notamment trait à l’arbitrage en vertu du traité sur la mer de Timor, l’Australie a clairement
méconnu ces droits.
17Iliya Stefanov c. Bulgarie, requête n°65755/01, arrêt du 22 mai 2008 (http://hudoc.echr.coe.int/sites/eng/pages/
search.aspx#{"dmdocnumber":["835585"],"itemid":["001-86449"]}).
17OE de l’Australie, annexe 31. - 54 -
C ONCLUSIONS FINALES
Pour les motifs exposés dans le présent mémoire, le Timor-Leste prie la Cour de dire et
juger :
1. Que l’examen et la saisie, le 3 décembre 2013, ainsi que la détention ultérieure, par l’Australie,
de documents et données constituent une violation du droit à l’inviolabilité et à l’immunité que
le droit international confère au Timor-Leste à l’égard de ces documents et données ;
2. Que l’examen, la saisie et la détention de ces documents et données constituent également une
violation du droit qui est celui du Timor-Leste en vertu du droit international de conduire une
procédure d’arbitrage ou des négociations sans ingérence de la part de l’Australie, y compris le
droit à la confidentialité de ses communications avec ses conseillers juridiques et à la
non-ingérence dans lesdites communications ;
3. Que l’Australie restituera immédiatement les documents et données au Timor-Leste, détruira
définitivement toute copie de ces documents et données qui se trouve en sa possession ou sous
son contrôle, et prendra les mesures nécessaires pour assurer la destruction de toute copie
qu’elle a directement ou indirectement communiquée à une tierce personne ou à un Etat tiers ;
4. Que l’Australie accordera réparation au Timor-Leste pour les violations susmentionnées des
droits de celui-ci, sous la forme d’excuses ; et
5. Que l’Australie remboursera au Timor-Leste tous les frais normaux que celui-ci a engagés dans
le cadre de la conduite de la présente procédure.
Le 28 avril 2014
L’agent de la République démocratique du Timor-Leste,
Joaquim A.M.L. D A FONSECA .Figure 1 : Géographie régionale de la mer de Timor - 60 -
Liste des annexes
Annexe Intitulé du document Date
1 Rapport d’expert établi par Gaffney, Cline & 18 février 2014
Associates, présenté dans le cadre de l’arbitrage en
vertu du traité sur la mer de Timor
2 Commonwealth d’Australie, débats parlementaires, 6 mars 2003
sénat, «Petroleum (Timor Sea Treaty) Bill 2003,
Petroleum (Timor Sea Treaty) (Consequential
Amendments) Bill 2003, Passenger Movement
Charge (Timor Sea Treaty) Amendment Bill 2003,
Second Reading», 6 mars 2003 (sénateur
Bob Brown), p. 9384.
3 P. Cleary, Shakedown: Australia’s Grab for Timor 2007
Oil, (Australie, Allen & Unwin, 2007)
4 ABC Online, «Aust on Political Collision Course 19 avril 2004
with East Timor», 19 avril 2004
5 Mémoire en demande déposé dans le cadre de 18 février 2014
l’arbitrage en vertu du traité sur la mer de Timor
6 Demande tendant à ce que certaines déclarations de 31 janvier 2014
témoins soient jugées irrecevables, déposée par
l’Australie dans le cadre de l’arbitrage en vertu du
traité sur la mer de Timor
7 Version expurgée du contrat de conseil entre le 17 septembre 2012
Gouvernement du Timor-Leste et Bernard Collaery
& Associates, agissant sous le nom de Collaery
Lawyers
8 Lettre adressée à M. Carnell par M. Collaery 2 avril 2008
9 Lettre adressée à M. Carnell par M. Collaery 1 mai 2008
10 Loi allemande introduisant le code civil, article 43Non datée
11 Areva NC (Australia) Pty Ltd v. Summit Resources 1 février 2008
(Australia) Pty Ltd (No 2) [2008] WASC 10
12 Breen v. Williams (1994) NSWLR, vol. 35, p. 522 7 novembre et
23 décembre 1994
13 Chantrey Martin (A Firm) v. Martin [1953] QB, 3 juillet 1953
vol. 2, p. 292-293
14 Wentworth v. De Montfort (1988), NSWLR, vol. 15, 17 novembre et
p. 348, 353, 357-359 16 décembre 1988
15 Legal Profession (Solicitors) Rules 2007 (ACT), 2007
règle 6 - 61 -
16 Australie, Foreign States Immunities Act 1985 (loi de 1985
1985 sur l’immunité des Etats étrangers)
17 Etats-Unis d’Amérique, Foreign Sovereign 1976
Immunities Act 1976 (loi de 1976 sur l’immunité des
Etats étrangers)
18 Israël, Foreign State Immunity Law 5769-2008 (loi Janvier 2009
de 2008 sur l’immunité des Etats étrangers)
19 Royaume-Uni, State Immunity Act 1978 (loi de 1978 1978
sur l’immunité des Etats)
20 Inde, The Code of Civil Procedure, 1908 (code de 1908
procédure civile de 1908)
21 Ministère des affaires étrangères et du 27 novembre 2013
Commonwealth, déclaration écrite de M. Lidington
22 DLA Piper, Legal Privilege Handbook 2013 2013
23 Linklaters, Privileged, Privilege review 2009 2009
24 Norton Rose, Disclosure and Privilege in Asia 2010
Pacific, 2010
___________
Mémoire du Timor-Leste