Lettre en date du 5 juin 2013 adressée au greffier par M. W. M. Campbell QC,
agent de l’Australie
[Traduction]
Chasse à la baleine dans l’Antarctique (Australie c. Japon ; Nouvelle-Zélande (intervenant))
J’ai l’honneur de me référer à votre communication datée du 31 mai 2013, qui comprenait
une lettre émanant de l’agent du Japon, en date du 31 mai 2013, accompagnée d’une pièce jointe.
Cette pièce jointe contient une analyse détaillée des exposés des deux témoins-experts désignés par
l’Australie, réalisée par le professeur Judy E. Zeh, scientifique de l’Université de Washington et
présentée par le Japon comme une «ancienne présidente du comité scientifique de la CBI».
L’agent du Japon déclare en outre que
«les principales critiques d’ordre technique [des exposés d’experts de l’Australie],
outre celles déjà formulées dans le contre-mémoire du Japon, sont contenues dans les
notes établies par le professeur Judy Zeh en préparation des réponses que
présentera le Japon aux exposés d’experts de l’Australie».
Le Japon n’a pas proposé de présenter le professeur Zeh en tant qu’expert ou témoin.
L’Australie estime que le Japon ne devrait pas être autorisé à saper la procédure mise en
place par la Cour en l’affaire concernant la réception des éléments de preuve scientifiques, en
présentant ces éléments sous une forme nouvelle et non vérifiable, et ce, à un stade tardif de la
procédure, soit à peine trois semaines avant l’ouverture des audiences. En agissant ainsi, le Japon
ne fait aucun cas des délais fixés par la Cour pour la nomination des témoins-experts, qui ont pour
but de permettre à chacune des Parties de faire part de ses observations sur les éléments de preuve
scientifiques produits par les experts. Dans l’hypothèse où cette pièce serait retenue à titre de
preuve, l’Australie relève qu’elle est nouvelle et ne respecte pas les exigences de la Cour.
Depuis le début de l’affaire, l’Australie considère que la Cour devrait adopter l’approche
qu’elle a définie en l’affaire relative à des Usines de pâte à papier sur le fleuve Uruguay (Argentine
c. Uruguay), selon laquelle «les personnes déposant devant elle sur la base de leurs connaissances
scientifiques ou techniques devraient le faire en qualité d’experts afin de pouvoir répondre
aux questions de la partie adverse ainsi qu’à celles de la Cour elle-même» (arrêt,
C.I.J. Recueil 2010 (I), p. 72, par. 167 ; cité dans le mémoire de l’Australie, par. 1.21).
L’Australie avait cru comprendre que le Japon partageait la même approche. En effet, dans
le cadre des nombreux échanges avec la Cour, il a déclaré à plusieurs reprises que les experts
devaient être nommés suffisamment à l’avance et produire les textes complets de leurs exposés en
prévision de l’interrogatoire et du contre-interrogatoire devant avoir lieu pendant la procédure
orale. A titre d’exemple, le 4 septembre 2012, l’agent du Japon écrivait à la Cour :
«Je saisis donc cette occasion pour confirmer que la position de mon
gouvernement reste celle qui était exposée dans ma précédente lettre en date du
26 juillet 2012 en ce qui concerne, notamment, la communication, par écrit, des
éléments de preuve produits par les experts six semaines avant la procédure orale.»
Dans sa lettre datée du 26 juillet 2012, l’agent du Japon déclarait :
«Mon gouvernement tient cependant à rappeler que, selon lui, il serait dans
l’intérêt d’une bonne administration de la justice que chaque Partie communique à
l’avance à la Cour et à la Partie adverse, par écrit, les éléments de preuve qui seront
produits par ses experts.» - 2 -
Le Japon pourrait être tenté de répondre que, dans la mesure où il ne souhaite pas faire
entendre le professeur Zeh, il n’a aucune obligation de la nommer en tant qu’expert ou de
transmettre un exposé écrit émanant d’elle préalablement à la procédure orale. Toutefois, en
communiquant les observations détaillées du professeur Zeh, le Japon cherche à soumettre des
preuves par expertise par une voie détournée. Cette manière d’agir est totalement contraire à la
procédure convenue en la présente instance et incompatible avec les vues exprimées par la Cour en
l’affaire relative aux Usines de pâtes à papier. A cet égard, il convient de souligner que le Japon a
sollicité et reçu les premières observations du professeur Zeh il y a bientôt six mois, à la fin du
mois de décembre 2012, soit bien avant la date limite fixée pour la nomination des témoins
(le 28 janvier 2013). Le Japon n’indique pas pourquoi l’auteur de documents reçus il y a si
longtemps, qui pourrait être considéré comme un expert, n’a pas fait l’objet d’une notification
avant le 28 janvier 2013, ni pourquoi il n’a pas déposé ces documents en tant qu’exposé d’expert
avant le 15 avril 2013 ni formulé de demande à leur égard en vue de produire un nouvel élément de
preuve à un stade tardif de la procédure. Ces actions de la part du Japon, si une suite favorable
devait leur être réservée, constitueraient une injustice manifeste à l’égard de l’Australie en tant que
Partie à l’instance.
L’article 57 du Règlement, que vous évoquez dans votre lettre datée du 17 octobre 2012,
exige de chacune des Parties qu’elle «[fasse] connaître au greffier, en temps utile avant l’ouverture
de la procédure orale, les moyens de preuve qu’elle entend invoquer…». Le Japon n’a
communiqué aucune information relative au professeur Zeh. S’il ne s’agit pas d’une preuve par
expertise mais d’une communication écrite supplémentaire ou d’une pièce de procédure
complémentaire, elle ne peut tout simplement pas être admise dans le cadre des procédures
applicables à la présente affaire.
Pour ces raisons, l’Australie demande que la pièce présentée dans le document joint à la
lettre adressée par l’agent du Japon en date du 31 mai 2013 ne soit pas versée au dossier de l’affaire
et qu’il ne soit fait aucune mention de ce document ou de son contenu au cours de la procédure
orale.
Veuillez agréer, etc.
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Lettre en date du 5 juin 2013 adressée au greffier par l'agent de l'Australie