Mémoire de la République de Guinée - Indemnisation due à la Guinée

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SOMMAIRE

Introduction ………………………………………………………………………………….. 2

Section 1 - Les fondements juridiques de la position guinéenne …………………………… 4

A - L’objet de l’indemnisation ……………………………………………………... 4

B - Les violations du droit international retenues par la Cour…………..……………6

Section 2 - Les éléments économiques d’appréciation des préjudices subis par

Monsieur Ahmadou Sadio Diallo ………………………………………………. 7

A – L’indemnisation pour le préjudice psychologique et le dommage moral
subis par Monsieur Ahmadou Sadio Diallo ……………………………………. 8

B - La perte de revenus …………………………………………………………….12

C - Les autres dommages ………………………………………………………… 17

D - La perte du potentiel de gain ………………………………..………………… 20

Conclusions ………………………………………………………………………..……….. 21

Annexes :

Annexe 1 : La lettre n° 131 du 30 mars 2011 adressée par la République de Guinée à la RDC

Annexe 2 : La lettre n° 265 du 27 mai 2011 adressée pa r la République de Guinée au Greffe

de la Cour

1 INTRODUCTION

1
1. Par son arrêt rendu le 30 novembre 2010 dans le cadre de l’affaire Ahmadou Sadio

Diallo (République de Guinée c. Répub lique démocratique du Congo), la Cour

internationale de Justice de la Haye a notamment jugé que :

- «eu égard aux conditions dans lesquelles M. Diallo a été expulsé du territoire

congolais le 31 janvier 1996, la République démocratique du Congo a violé l’article 13

du Pacte international relatif aux droits ci vils et politiques, ainsi que l’article 12,
paragraphe 4, de la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples » (dispositif,

point 2) ;

- « eu égard aux conditions dans lesquelles M. Diallo a été arrêté et détenu en 1995-

1996 en vue de son expulsion, la République démocratique du Congo a violé l’article

9, paragraphes 1 et 2, du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, ainsi
que l’article 6 de la Charte africaine des dro its de l’homme et des peuples » (dispositif,

point 3) ;

- « en n’informant pas sans retard M. Dia llo, lors de sa détention en 1995-1996, de ses

droits en vertu de l’alinéa b) du paragraphe 1 de l’article 36 de la convention de Vienne

sur les relations consulaires, la Répub lique démocratique du Congo a violé les

obligations lui incombant en vertu dudit alinéa » (dispositif, point 4) ;

- «la République démocratique du Congo a l’obligation de fournir une réparation

appropriée, sous la forme d’une indemni sation, à la République de Guinée pour les
conséquences préjudiciables résultant des violations d’obligations internationales

visées aux points 2 et 3 ci-dessus » (dispositif, point 7).

2. La République démocratique du Congo (RDC) a donc l’obligation juridique de fournir

une « réparation appropriée » sous forme d’ indemnisation à la République de Guinée,

à raison des violations des dr oits propres de M onsieur Diallo, à l’ exclusion toutefois

de la violation de la Conven tion de Vienne sur les relations consulaires, que la Cour

considère qu’elle a déjà fait l’objet d’une réparation adéquate du fait même de la

constatation de ladite violation.

1
Affaire Ahmadou Sadio Diallo (République de Guinée c. République démocratique du Congo) - Arrêt
du 30 novembre 2010.

23. Par ailleurs, la Cour a également fait droit à la demande de la République de Guinée

tendant à ce que soit accordé un délai aux deux parties afin de rechercher un règlement

concerté à la question de l’indemnisa tion devant réparer les conséquences
2
préjudiciables des faits internationalement illicites commis par la RDC . Elle a
3
souligné à cet égard que « les Parties doivent effectivement mener des négociations »

à cette fin.

4. De façon plus explicite, elle dit ceci: «La requête introductive d’instance ayant été
déposée, en la présente affaire, au mois de décembre 1998, la Cour estime qu’une

bonne administration de la justice commande de clore la procédure dans les meilleurs

délais ; elle considère donc que la péri ode consacrée à la négociation d’un accord sur

le montant de l’indemnité doit être limitée. Par conséquent, dans l’hypothèse où les

Parties ne parviendraient pas, dans un délai de six mois suivant le prononcé du présent

arrêt, à s’entendre sur le montant de l’indemnité due par la RDC, la question devra être
réglée par la Cour dans une phase ultéri eure de la procédur e. Etant suffisamment

informée des faits de la présente espèce, la Cour juge que, dans ce cas, un seul

échange de pièces de procédure écrite lui serait suffisant pour fixer ce montant » 4.

5. Dans le cadre du rapprochement ainsi préconi sé par la Cour, et la RDC n’ayant pris

aucune initiative, la République de Guinée a alors, par l’intermédiaire de sa mission

diplomatique en Afrique centrale et de la mission congolaise à Conakry, adressé à la

RDC la lettre n° 131 du 30 mars 2011 conten ant, comme base des négociations, une

évaluation des différents chefs de préjudice subis par son ressorti ssant. Cette lettre a
été transmise suivant la Note verbale n° 0344 du 6 avril 2011.

6. N’ayant obtenu aucune réaction des autorités congolaises à la lettre du 30 mars 2011 et
ayant ainsi constaté que la RDC ne manife ste aucun signe qui témoigne de son souci

de respecter la volonté de la Cour - celle-ci voudra bien en tirer les conséquences de

droit -, la République de Guinée en a informé le Greffe de la Cour, suivant la lettre n°

265 du 27 mai 2011.

2
Ibid., pp. 50-51, §§ 162-164.
3 Ibid., p. 51, § 164.
4 Ibid., p. 51, § 164.

37. Le 20 septembre 2011, le Président de la Cour a rendu une ordonnance qui fixe au 6

décembre 2011 et au 21 février 2012, respectivement, les dates d’expiration des délais

pour le dépôt du mémoire de la République de Guinée et du contre-mémoire de la
République démocratique du Congo sur la se ule question de l’indemnisation due par

celle-ci à celle-là en vertu des paragraphe s 63 et 165, point 7, de son arrêt du 30

novembre 2010. Ces délais ont été fixés compte tenu des vues exprimées par les

Parties lors d’une réunion que le Président de la Cour a te nue avec leurs représentants

le 14 septembre 2011 à la Haye.

8. Le présent mémoire a justement pour objet de déterminer les positions, à la fois
juridiques et financières, de la Républi que de Guinée par rapport à cette question

d’indemnisation. Aussi, sera-t-il articulé autour des deux points ci-après :

- Les fondements juridiques de la position guinéenne ;

- Les éléments économiques d’appréciation des préjudices subis par M. Diallo.

S ECTION 1

FONDEMENTS JURIDIQUES DE LA POSITION GUINEENNE

9. Si la Cour a rappelé le principe de droit international selon lequel l’indemnisation doit

avoir pour objet la réparation intégrale du préj udice, celui-ci doit êt re pris en compte

dans les limites des violations du droit international qu’elle a retenues à l’encontre de
la RDC en l’espèce. C’est le double fondement de la position guinéenne par rapport à

la question d’indemnisation pour les préjudices subis par M. Diallo du fait de la RDC.

A. L’objet de l’indemnisation

10. La remise en l’état antérieur étant matériellement impossible, compte tenu de
l’ancienneté des faits et de la spécificité de certains chefs de préjudice, la réparation

non seulement peut , mais encore doit prendre la forme du versement d’une indemnité.

11. C’est le sens de l’arrêt de la Cour qui précise au paragraphe 161 :

5 CPJI, Usine de Chorzów, Série A, n° 17, p. 27.

4 « Au vu des circonstances propres à l’espèce, en particulier du caractère fondamental des

obligations relatives aux droits de l’homme qui ont été violées et de la demande de

réparation sous forme d’indemnisation présenté e par la Guinée, la Cour est d’avis que,
outre la constatation judiciaire desdites viola tions, la réparation due à la Guinée à raison

des dommages subis par M. Diallo droit prendre la forme d’une indemnisation ».

12. La détermination du quantum de cette indemnisation doi t obéir aux règles du droit

international et non du droit in terne. Dans le cadre de l’exercice de la protection

diplomatique par un État s ouverain, l’indemnité qui est év entuellement due à celui-ci
6
doit, en outre, être évaluée au regard du préjudice subi par le ressortissant protégé ,
ainsi que la Cour l’a rappelé dans le paragr aphe163 de son arrêt. Ce paragraphe est,

en effet, libellé en ces termes :

« La Cour estime que les Parties doivent effectivement mener des négociations afin de

s’entendre sur le montant de l’indemnité devant être payée par la RDC à la Guinée à

raison du dommage résultant des détentions et de l’expulsion illicites de M. Diallo en
1995-1996, y compris la perte de ses effets personnels qui en a découlé ».

13. Quant au point de départ du calcul des dommages-intérêts , l’évaluation de ces

derniers doit se faire conformément au principe général de droit selon lequel

l’indemnité nécessaire pour compenser le préjudice doit être calculée sur la valeur du

dommage au jour du jugement ou de l’arrêt.

14. Le propre de la réparation ét ant de rétablir aussi exacte ment que possible l’équilibre

rompu par le dommage et de replacer la victime, aux dépens du responsable, dans une

situation identique à celle où elle se serait trouvée si l’ acte dommageable n’avait pas
eu lieu, il s’ensuit que le montant des dommages-intérêts doit tenir compte des effets

d’une éventuelle dépréciation monétaire survenue depuis la commission du préjudice.

15. Aussi, les indemnités doivent-elles emporter des intérêts au taux légal.

16. En conséquence, la Guinée estime être en droit de réclamer une indemnisation pour

chacun des chefs de préjudice subis par Monsie ur Diallo et qui sont la conséquence

directe d’un fait internationalement illicite re tenu par la Cour internationale de Justice

à l’encontre de la RDC.

6 CPJI, Usine de Chorzów, Série A, n° 13.

5 B. Les violations du droit international retenues par la Cour

17. La Cour a caractérisé plusieurs manque ments de la RDC à ses obligations
internationales dans le cadre du traitement réservé à Monsieur Diallo, à l’occasion des

arrestations, détentions, pui s expulsion dont celui-ci a fait l’objet dans les années

1995 - 1996, seule période retenue dans le cadre de la présente procédure 7.

18. Elle constate tout d’abord que la partie défenderesse a violé les dispositions de l’article

13 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, ainsi que celles de

l’article 12, paragraphe 4, de la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples,

qui prévoient une protection de l’étranger légalement admis sur le territoire d’un État

partie contre toute expulsion irrégulière. En effet, l’expulsion dont a fait l’objet

Monsieur Diallo le 31 janvier 1996 n’a pas été précédée d’une consultation de la
Commission nationale d’immigration ; elle n’était pas non plus motivée et

contrevenait donc aux propres dispositions de la loi nationale congolaise 8.

19. De plus, les conditions dans lesquelles a été mise en Œuvre l’ expulsion ont privé

Monsieur Diallo de son droit, protégé à l’article 13 du Pacte, de pouvoir contester

cette mesure devant une « autorité compétente ».

20. La Cour décide également que la responsabilité internationale de la RDC est engagée

pour les privations arbitraires de liberté subies par Monsie ur Diallo en violation des

articles 9, paragraphes 1 et 2 du Pacte, et 6 de la Charte africaine. Comme le constate

la Cour, les arrestations et détentions auxquelles a été soumis Monsieur Diallo entre le

5 novembre 1995 et le 31 janvier 1996, non seulement n’étaient pas conformes à la loi
9
congolaise , mais se révèlent également arbitraires, puisqu’à aucun moment, les
autorités congolaises n’ont cherché à mo tiver les raisons de cette détention

« particulièrement longue » ou à établir si elle était nécessaire 10. Par ailleurs, le fait

qu’à aucun moment Monsieur Diallo n’a été informé des motifs de sa détention

constitue un manquement supplémentaire de la part de la partie défenderesse aux

obligations précitées.

7 Cf. CIJ, arrêt du 30 novembre 2010, p. 20, § 47« Pour l’ensemble des motifs qui précèdent, la Cour conclut
que la demande relative aux mesures d’arrestation et de détention dont M. Diallo a fait l’objet en 1988 -1989 est
irrecevable ».
8 Ibid, p. 26, § 72.
9
Ibid., pp. 28-29, § 79
10 Ibid., p. 29, § 82

621. Enfin, il convient de souligner que, pour la Cour, les obligations relatives aux droits de
11
l’homme qui ont été violées revêtent « un caractère fondamental » , dont il doit être
12
tenu compte pour déterminer la « réparation adéquate » que doit obtenir la Guinée.

SECTION 2

L ES ELEMENTS ECONOMIQUES D ’APPRECIATION

DES PREJUDICES SUBIS PAR M ONSIEUR DIALLO

22. Dans sa résolution 60/147 du 16 décembre 2005, l’Assemblée générale des Nations

Unies a rappelé, de la manière suivante ,les règles encadrant l’indemnisation

financière des préjudices résultant d’une violation des droits internationalement

protégés des individus :

«Une indemnisation devrait être accordée pour tout dommage résultant de violations

flagrantes du droit international des droitsl’homme et de violations graves du droit
international humanitaire, qui se prête à une évaluation économique, selon qu’il convient

et de manière proportionnée à la gravité de lviolation et aux circonstances de chaque

cas, tel que :

a) Le préjudice physique ou psychologique ;

b)Les occasions perdues, y compris en ce qui concerne l’emploi, l’éducation et les
prestations sociales ;

c) Les dommages matériels et la perte de revenus, y compris la perte du potentiel de

gains ;

d) Le dommage moral ;

e) Les frais encourus pour l’assistance en ju stice ou les expertises, pour les médicaments
13
et les services médicaux et pour les services psychologiques et sociaux »

23. La République de Guinée estime que l’évalua tion des préjudices subis par Monsieur

Diallo, à la suite des manquements caract érisés à ses droits fondamentaux, peut

s’appuyer sur ces règles afin de déterminer la réparation la plus adéquate.

11
Ibid., p. 48, § 161.
12 Assemblée générale des Nations unies, résolution n° 60/147, 16 décembre 2005, Annexe, VII b).
13
Ibid.

7 A. Indemnisation pour le préjudice psychologique et

le dommage moral subis par Monsieur Diallo

24. Il n’est pas contestable que Monsieur Diallo a su bi un préjudice moral et

psychologique, y compris douleurs, souffran ces et chocs émotionnels, ainsi que la
perte de position sociale et une atteinte à sa réputation du fait des arrestations et

détentions et de l’expulsion dont il a été l’objet de la part de la RDC :

i) il convient d’abord de souligner qu’il a ét é victime de violations graves de ses

droits commises par les autorités publiques d’un pays dans lequel il avait

consacré la quasi-totalité de sa vie à développer des activités économiques
14
indubitablement utiles audit pays . Monsieur Diallo ré sidait de manière
continue et stable sur le territoire congolais depuis pr ès de 32 ans; il y avait

établi l’ensemble de ses relations pe rsonnelles et professionnelles, et il ne

disposait pas, dans son pays d’origine, d’actifs ou de biens de nature à lui

permettre de retrouver une situation ni équivalente, ni même normale ;

ii) il faut en outre souligner que , comme l’a dit la Cour « il est difficile de ne pas

percevoir un lien entre l’expulsion de M. Diallo et le fait qu’il ait tenté
d’obtenir le recouvrement des créances qu’ il estimait être dues à ses sociétés

par, notamment, l’Etat zaï rois ou des entrep rises dans lesquelles ce dernier

détient une part importante du capital, en saisissant à cette fin les juridictions
15
civiles » ; la grave injustice ressentie par Monsieur Diallo du fait de ses

arrestations, détentions et expuls ion lui a causé un profond traumatisme
psychologique et un dommage moral conséquent ;

iii) ce traumatisme a été d’autant plus important que M. Diallo qui appartenait à la

couche sociale la plus aisée du pays a été expulsé de la RDC dans des

conditions le privant de la possibilité d’ emporter la moindre affaire; il a été

ainsi subitement livré au plus extr ême des dénuements, passant du coup du

sommet au plus bas de l’échelle soci ale et cela, depuis plus de 15 ans
maintenant et sans qu’il ne puisse espérer revenir un jour en République

14 V. MRG du 23 mars 2001, pp. 12 et s.
15 CIJ, arrêt du 30 novembre 2010, p. 29, § 82.

8 démocratique du Congo où il a pourtant toutes ses attaches personnelles et

professionnelles ;

iv) l’appartenance de M. Diallo 1, avant ses arrestations et expulsion, à la classe

sociale la plus aisée du pays se vérifi e notamment à travers le fait qu’il était

l’associé unique et le gérant de deux sociétésdont les principaux partenaires

sont l’Etat congolais et d’importantes sociétés publiques, parapubliques et

privées du pays.

La première société, la société Africontai ners, avait signé avec la Gécamines,

la société publique la plus importante du pays, un contrat d’exclusivité pour le
transport par conteneurs des produits miniers du pays 17. Pour la mise en Œuvre

de ce contrat, elle a pu s’acquitter de ses obligations contra ctuelles relatives

notamment à l’acquisition de 600 conteneu rs. Elle était également liée à des

sociétés pétrolières par des contrats pour le tran sport par conteneurs de

produits pétroliers. En contrepartie de ses engagements, elle percevait la

somme totale de 2 500 dollars américains par conteneur de produits transportés
pour un aller et retour Lubumbashi-Kinsh asa. Elle s’apprêtait même à acheter

une barge automotrice porte-conteneurs capable de charger 56 conteneurs.

La seconde société, la société Africo m-Zaïre, est notamment propriétaire de

parcelles de terrain d’une superficie tota le de plus d’un hectare, sises en plein

centre de Kinshasa, qui abritent des entrepôts, bureaux et logements et dont les

clôtures ayant 4 m de haut et 2 m de fondations sont entièrement en béton

armé.

Les deux sociétés sont créancières de fo rtes sommes d’argent envers l’Etat
18
congolais et divers autres partenaires , et elles employaient plus de 120
salariés au nombre desquels figuraient notamment :

16 Pour plus de détails sur les faits, y compris l’histoire de M. Diallo, v. MRG du 23 mars 2001,
rubrique«Faits pertinents», pp. 10 à 15, et MRG du 7 juillet 2003 sur les exceptions préliminaires
soulevées par la RDC, Chap. « Les faits pertinents », pp. 4 et s.
17
V. contrat de location du 22 juin 1982, Annexe 12, MRG du 23 mars 2001.

18 Pour plus de détail, v. MRG du 23 mars 2001, pp. 10 et s. et pp. 55 et s.

9 . M. Paul Bandoma qui fut, pendant six ans, ministre de la Défense nationale ;

. M. Ngutu, professeur d’université, chargé de l’étude du marché ;

. M. Poto, ancien Conseiller économique à la Présidence de la République ;
. M. Tamboué, ancien DGA de la Citibank-Zaïre, Directeur financier ;

. M. Teza, expert comptable qui avait démissionné de Coopers ;

. Baldé Abdoulaye, un Canadien d’or igine guinéenne, Do cteur en Business

administration ;
. M. Saba, capitaine de l’armée zaïrois e, qui venait d’être acquitté à l’issue

d’un procès pour complot contre la sûreté intérieure de l’Etat ;

. M. Meyers, un Belge ;

. M. Philippe, un Français.

25. M. Diallo était une personnalité hors du commun. En effet :

- il habitait depuis dix-neuf ans dans un hôtel de cinq étoiles: d’abord dans
l’appartement n° 202 de l’hôtel Memli ng, puis au quartier résidentiel dans un

appartement situé au 9è étage de l’im meuble Losonia appartenant à la société

PLZ ;

- il roulait dans une voiture blindée de marque Citroën, CX Prestige ;

- ni lui-même ni aucune de ses sociétés ne reste devoir du moindre centime envers

qui que ce soit ;

- il a été publiquement présenté par le Président Mobutu comme étant un
investisseur étranger exemplaire et un modèle de réussite des investisseurs

africains installés au Zaïre. A ce titre, il a même reçu, dans ses bureaux situés au

16è étage du Centre commercial interna tional du Zaïre (CCIZ), la visite du
19
Président français Valéry Giscard d’Estaing en compagnie du Président Mobutu ;

- il percevait, en sa qualité de gérant des sociétés Africo m-Zaïre et Africontainers,
l’équivalent de 25 000 dollars américains comme salaire mensuel ;

19 Les photos immortalisant cette visite sont restées en RDC.

10 - ainsi que l’a relevé l’hebdomadaire français Jeune Afrique dans son édition du 16
20
février 1984, il recevait ses invités dans les meilleurs restaurants de Kinshasa .
D’ailleurs, au nombre de ses invités figurent notamment :

. M. U. Thant, alors Secrétaire général de l’ONU, en compagnie de M. Diallo

Telly, Secrétaire général de l’OUA, en marge d’un sommet de l’OUA tenu à

Kinshasa ;

. Nicéphore Soglo, ancien Président du Bénin ;
. Babacar Ndiaye, Président de la Banque africaine de développement ;

. Le roi Pelé, célèbre footballeur brésilien ;

. Kamanda Wa Kamanda, Conseiller du Pr ésident Mobutu, puis ministre de la

Justice ;
. Cheick Anta Diop, scientifique sénégalais ;

. Joseph Ki Zerbo, historien burkinabé ;

. M. Bissengué Mana, Directeur de cabinet du Président Mobutu pendant 15 ans ;

. M. Siradio Diallo, vice-président de Jeune Afrique, son épouse et bien d’autres
journalistes ;

. Djouga Kébé et Djilli Mbaye, tous deux, riches hommes d’affaires sénégalais ;

. L’officier d’ordonnance du Président Mitterrand ;
. Sennen Adriamirado, Rédacteur en chef de Jeune Afrique ;

. Bah Mouctar, expert de la BAD, et bien d’autres collaborateurs ;

. M. Boussokota, Secrétaire d’Etat zaïrois au Plan, etc.

26. Par ailleurs, on observera que Monsieur Di allo, depuis ses démêlées avec la RDC, a

été présenté de manière constante par celle-ci comme un dangereux criminel, non
seulement au moment de ses arrestations et de son expulsion arbitraires, mais aussi

devant la Cour et de manière publique à compter du début des audiences et ce, de

manière absolument gratuite, comme l’a cons taté la Cour au pa ragraphe 82 de son

arrêt; ceci constitue une gr ave atteinte à sa réputation et à son image et, du même
coup, un tout aussi grave préjudice moral.

27. Le préjudice psychologique et moral subi par Monsieur Diallo à la suite des

accusations répétées de corruption et d’ escroquerie formulées par la RDC à son

20
V. MRG du 23 mars 2001, pp. 11 et 12 et son Annexe 18.

11 encontre est d’autant plus substantiel que ces accusations avaient pour objet exclusif

de ternir son honneur et sa réputation; ce qui n’a pas été sans conséquences néfastes

pour lui : durant plus de 15 ans, il en est résulté qu’il n’a pu s’engager dans la moindre

activité économique car les ti ers qui pouvaient éventuelleme nt travailler avec lui

l’évitent désormais, craignant d’avoir effectivement affaire à un escroc.

28. La République de Guinée évalue le préj udice psychologique et le dommage moral

subis en l’espèce par M. Diallo à la somme de 250 000 dollars américains.

B. La perte de revenus

29. Ainsi que l’a constaté la Cour , Monsieur Diallo a été arbitr airement arrêté et est resté

tout aussi arbitrairement détenu, une première fois du 5novembre 1995 au 10 janvier

1996, puis une seconde fois, entre le 25 et le 31 janvier 1996, avant d’être

définitivement expulsé à cette dernière date.

30. La personne arrêtée et détenue puis expuls ée illégalement subit un préjudice matériel

dont le Comité interaméricain des droits de l’hommea rappelé la consistance en ces

termes :

«On entend par perte subie la conséquence patrimoniale directe et immédiate

des faits. Dans ce concept, on prend en considération les préjudices causés

immédiatement et directement par les fa its au patrimoine sous la forme de
dépenses encourues par la partie lésée pour essayer d’obtenir que justice lui soit

rendue, et concerne en l’espèce les démarches entreprises pour obtenir la remise

en liberté de [la personne détenue]. Pa r ailleurs, on entend par manque à gagner
la perte de revenus économiques ou les pr estations que [la personne détenue] a

cessé de percevoir lorsqu’il a dû arrêter de travailler et qu’il est possible de
21
calculer à partir de certains indicateurs mesurables et objectifs »

31. On rappellera en l’espèce que Monsieur Diallo était, à la date de son arrestation, le

dirigeant et unique associé des deux sociét és, Africom-Zaïre et Africontainers-Zaïre.

D’ailleurs, au sens du paragraphe 82 de l’arrêt de la Cour, c’est parce qu’il était gérant

de ces sociétés et qu’il avait engagé certain es actions en justice au nom de celles-ci

qu’il a eu à subir les effets dommageables reconnus comme illicites par la Cour.

21 Commission interaméricaine des droits de l’Homme, Lysias Fleury et sa famille c. République d’Haïti
(Affaire 12.549), 5 août 2009, § 111.

1232. Les salaires qu’il percevait à ce titre, étaient les principaux revenus dont il bénéficiait.

33. Or, pendant toute la période de sa détention, Monsieur Diallo s’est trouvé dans

l’impossibilité de poursuivre normaleme nt cette gérance, d’assurer le bon
fonctionnement de ses entreprises – qui reposait exclusivement sur lui – et de recevoir

mensuellement les fruits de son activité et, par suite, de celle de ses sociétés.

34. Il est à noter que le revenu mensuel de Mons ieur Diallo, en sa qualité de gérant des

sociétés Africom-Zaïre et Africontainers, équivalait à 25.000 dollars américains de
l’époque, avant ses arrestations, à raison de 10.000 dollars pour la première société et

15.000 dollars pour la seconde.

35. En tenant compte de l’inflation, la République de Guinée évalue à la somme de 80 000

dollars actuels le préjudice immédiat subi par Monsieur Diallo du fait de la non

perception de son revenu professionnel pendant les 72 jours au cours desquels il a été
détenu.

36. La République de Guinée estime qu’elle pe ut également réclamer la compensation

intégrale des revenus de son ressortissant après l’expulsion de celui-ci, même comme

le note la Cour « [s]’il est vrai qu’il a pu être plus difficile pour M. Diallo d’exercer les
fonctions de gérant du fait qu’il se trouvait hors du territoire de la RDC, la Guinée n’a

pas démontré que cela lui avait été impossible » 2.

37. Bien qu’étant hors du territoire de la RDC, M. Diallo pouvait, certes, exercer par

personne interposée la fonction de gérant. S’il avait délégué ses fonctions à un tiers ou

s’il lui avait simplement donné mandat pour ag ir en RDC sur ses instructions, cela
sous certaines réserves, aurait permis à se s sociétés de poursuivre leurs activités et

même de leur donner la vitalit é économique ainsi que la qual ité de gestion qui était à

la base de leur dynamisme à un moment donné.

38. Mais le fait que M. Diallo n’ait pas confié la gérance de ses so ciétés à un tiers ne

saurait exonérer la RDC de sa responsabilité pour aucun des chefs de préjudice, y
compris la perte de revenus. Cela est d’auta nt plus vrai que cette délégation de la

gérance correspond à l’exercice par M. Dia llo d’une prérogative et non pas d’une

22
CIJ, arrêt du 30 novembre 2010, p. 43, § 135.s

13 obligation, encore qu’elle ne suffit pas à lui garantir la perception de ses revenus

habituels bien qu’étant hors du territoire de la RDC. En effet, comme l’a rappelé la
Cour au paragraphe 131 de son arrêt, l’article 17 des stat uts de la société

Africontainers-Zaïre est libellé en ces termes :

« La gérance peut déléguer à l’un des associés ou à des tiers[,] ou attribuer à l’un de

ses membres, tous pouvoirs nécessaires à la gestion journalière. Elle déterminera
les attributions et[,] le cas échéant, la rétribution de ces mandataires ; les pouvoirs

délégués sont révocables en tout temps. »

39. Au surplus, il convient de rappeler qu’en dé pit de l’expulsion, M. Diallo demeure le
gérant de droit; cependant, il a cessé d’êt re le gérant de fait, fonction qu’il se voit

obligé de confier désormais à un tiers pour assurer la continuité de l’activité des

sociétés. S’il est vrai, ainsi que l’a relevé la Cour, qu’il ne lui était pas impossible

d’exercer les fonctions de gérant du fait qu’il se trouvait hors du territoire de la RDC,
il n’en demeure pas moins vrai que les condi tions dans lesquelles a été mise en Œuvre

l’expulsion l’ont empêché de confier, avec toutes les précautions requises, la gérance

à un tiers; ce qui n’est pas sans conséquence sur ses ch ances de pouvoir continuer à

percevoir les mêmes revenus professionnels que par le passé.

40. A sa libération le 10 janvier 1996 sur ordre du Président Mobutu lui-même après plus

de deux mois de détention, M. Diallo ne savait pas encore, en effet, qu’il faisait l’objet

d’une mesure d’expulsion et que, malgré t out, il allait être aussitôt réincarcéré, puis

conduit directement à l’aéroport quelques jours plus tard et expulsé, sans avoir pu
confier à qui que ce soit la gérance des sociétés. Au moment de son expulsion, M.

Diallo était donc dans l’impossibilité absolue de confier cette gérance à un tiers.

41. M. Diallo en plus a été expulsé sans a voir pu emporter le moi ndre effet personnel ou

les documents pouvant donner la situation exacte des sociétés, sans pouvoir les confier

à un tiers avant son départ et sans espoir de retourner un jour en RDC. Il ne peut donc
donner la situation exacte de ces sociétés à un éventuel no uveau gérant. En d’autres

termes, il n’a pu confier, dans les règles de l’art, la géra nce des mêmes sociétés à un

tiers à partir de la Guinée.

42. De surcroît, il est réduit à l’indigence compte tenu des conditions de mise en Œuvre de

l’expulsion. C’est dire que sa possibilité de choisir un mandataire est limitée aux

14 seules personnes restées en RDC, même si le meilleur choix doit porter sur une

personne domiciliée ailleurs, étant donné qu’ il ne peut faire face notamment aux frais

de transport et d’installation de l’intéressé.

43. Le comportement de la RDC à son égard es t d’ailleurs discriminatoire. En effet,
contrairement à la pratique habituelle en la matière et, en particulie r, aux cas des 86

ressortissants étrangers (principalement des Libanais), objet du décret d’expulsion n° 4

du 22 février1995 et des 84 autres ressortissa nts étrangers (des Libanais également
23
pour la plupart), objet du décr et d’expulsion du 27 février 1995 , auxquels la RDC a
24
voulu assimiler le cas d’espèce , M. Diallo ne s’est pa s vu notifier le décret
d’expulsion et n’a pas quitt é de lui-même le territoir e congolais; par conséquent,

contrairement aux 170 ressortissants étrangers concernés par les décrets précités, il n’a

pu réorganiser la gérance de ses affaires av ant son départ; ce qu i lui aurait permis

d’éviter le dénuement actuel, d’être à mê me de choisir un nouveau gérant même en

dehors de la RDC si tel devait être le meille ur choix et, surtout, de se donner quelque
chance de continuer à percevoir des revenus mensuels. Par ailleurs, contrairement à M.

Diallo, les Libanais, après le ur arrestation, n’avaient pas été détenus au-delà du délai

légal et, ainsi qu’il résulte du préambule de s décrets d’expulsion, ils ont été expulsés

après consultation de la Commission nationale d’immigration.

44. En plus, en raison de l’expul sion, Monsieur Diallo se tr ouve empêché de faire lui-

même son travail habituel, c'est-à-dire d’ex ercer en personne les fonctions de gérant;
ce qui lui garantissait les importants revenus mensuels qu’il percevait avant ses

arrestations et son expulsion, contrairement à la gérance par mandataire si elle avait eu

lieu, compte tenu des conditions de mise en Œuvre de l’expulsion.

45. Rien a priori n’établit qu’en dépit des conditions dans lesquelles l’expulsion a eu lieu,

M. Diallo allait continuer à percevoir les mêmes revenus mensuels que par le passé,

pourvu qu’il confie la gérance de ses sociét és à un tiers, même si celui-ci, qui doit
pour les raisons évoquées plus haut être choisi parmi les personnes restées en RDC, ne

correspond pas au meilleur choix.

23 V. Annexe 76 EPRDC
24 V. Contre-mémoire de la RDC du 27 mars 2008, pp.10 et 11, par. 1.08

1546. En d’autres termes, s’il est vrai que les conditions de mise en Œuvre de l’expulsion,

telles qu’évoquées plus haut, n’empêchent pa s M. Diallo de confier la gérance des
sociétés à un tiers, il n’en demeure pas moin s vrai qu’elles sont de nature à affecter

gravement le bon fonctionnement de ces soci étés et donc à compromettre ses chances

de pouvoir continuer à percevoir ses revenus professionnels habituels qui, faut-il le

rappeler, lui avaient permis de figurer, avan t ses arrestations et expulsion, au nombre
des personnes les plus fortunées de la RDC.

47. En somme, l’expulsion de M. Diallo a en traîné les conséquences préjudiciables ci-

après :

(i) l’exercice de ses fonctions de PDG et de gérant a été rendu impossible ou, du

moins, s’en est trouvé considérablement compliqué, étant donné que M. Diallo
ne peut plus se rendre sur place ;

(ii) en expulsant le gérant sans qu’il ne puisse confier, dans les règles de l’art, ses

fonctions à un tiers, on le prive de ses revenus professionnels habituels, même

s’il conserve sa faculté de désigner un tiers pour le suppléer dans l’exercice de

ses fonctions ;

(iii) en expulsant l’associé unique et gérant, tout en le ré duisant à l’indigence, on

accule ainsi ses sociétés à la faillite.

48. Compte tenu de la période écoulée depuis l’expulsion, la République de Guinée évalue

le préjudice subi par M. Diallo en raison de la perte de ses revenus professionnels

pendant cette période, à la somme de 4755500 dollars américains, somme qu’il
convient de réévaluer en fonction de l’infl ation et qui ne pourra it sans doute être

inférieure à 6 430 148 dollars américains actuels.

49. Enfin, comme l’a déjà relevé la République de Guinée dans ses précédentes
écritures25, M. Diallo a été expulsé de la RDC avec une grande brutalité, sans pouvoir

emporter avec lui ses affaires personnelles, et encore moins ses archives dont certaines

ont pu être récupérées ensuite par quelque s amis, mais de façon aléatoire et non

systématique. Il en est résulté de très grandes difficultés en matière de rassemblement

25
MRG du 23 mars 2001, p. 5, § 1.9.

16 des preuves. La Guinée s’est efforcée de présenter, de manière plus ou moins

ordonnée, toutes celles qui se trouvent en sa possession; mais elle prie
respectueusement la Cour de faire usage des pouvoirs d’instruction qui sont les siens

en vertu des articles 44, paragraphe 2, de son Statut, et 66 de son Règlement, pour

rassembler, le cas échéant, les éléments de preuve supplémentaires qui lui paraîtraient
utiles en cet état de la procédure.

C. Les autres dommages matériels

50. Le caractère particulièrement brutal de l’expulsion et le fa it que Monsieur Diallo ait
été maintenu en détention pendant la plus grande partie des trois mois ayant précédé la

mise en Œuvre de cette mesure, n’ont pas pe rmis à celui-ci d’organiser le transfert ou

la cession de ses actifs dans des conditions acceptables.

51. L’expropriation de fait de ses effets personnels qui en a résulté et qui est confirmée par
le fait qu’aucun de ses biens personnels situés sur le territoire congolais ne lui a été

restitué, constitue un premier chef de préjudice au titre des autres dommages

matériels.

52. M. Diallo qui avait résidé, de manière contin ue, en territoire congolais depuis près de

32 ans et qui appartenait à la classe sociale la plus aisée du pays, disposait au moment

de son expulsion d’un important patrimoine matériel et immatériel qui est aujourd’hui
irrémédiablement perdu.

53. Par ailleurs, les inventaires dr essés dans la présente affa ire à propos des biens de M.
Diallo et de ses sociétés, lo in d’être exhaustifs, reflèten t plutôt ce qui a été trouvé en

place à la date de ces invent aires et non pas ce qui existait réellement à la date

d’expulsion de M. Diallo, c'est- à-dire bien des jours aupara vant. Il est à noter que M.

Diallo avait été expulsé sans qu’il ne puisse c onfier, avant son départ, ses biens ou
ceux de ses sociétés à qui ce soit, et il n’est ni prouvé ni simplement allégué que l’Etat

congolais avait pris les mesures appropriées pour assurer la sécurité de ces biens.

54. En tout cas, on ne s’étonnera pas que des objets aient été soustraits frauduleusement

entre la date d’expulsion et les dates des inventaires. Au contraire, les inventaires sont

loin de refléter la réalité. C’est ainsi que l’inventaire des biens meubles de la société

17 Africontainers qui a été dre ssé le 9 février 1996, soit 9 j ours après l’expulsion de M.

Diallo, laisse par exemple apparaître, en ce qui concerne le sa lon du grand bâtiment,

« une tablette porte-radio ou télévision avec deux baffles 26» ; ce qui sous-entend qu’il

n’y avait aucun appareil posé là, alors qu’il s’agissait d’un gros poste-radio satellitaire

de marque Grundig.

27
55. De même, l’inventaire des biens me ubles de l’habitation de M. Diallo qui a été
dressé le 12 février 1996, so it 12 jours après l’expulsion de celui-ci, énumère, par

exemple au niveau de la chambre à coucher, des objets de très faible importance et en

nombre dérisoire, notamment un tricot, une chemise, un complet neuf et une veste,

occultant manifestement ainsi bien d’autres objets similaires, ainsi que les rideaux,

souliers et costumes de valeur, pour ne citer que ces exemples. Pourtant,

l’hebdomadaire français Jeune Afrique, dans son édition du 16 février 1984 évoquée

plus haut, parlait de la personnalité hors du commun de M. Diallo en ces termes : « …
Son appartement, situé dans une élégante tour du boulevard du 30 juin, ressemble à

ses costumes. Propre, strict. Meublé avec goût…» 28. En effet, M. Diallo avait lui-

même équipé cet appartement, tout comme ses bureaux d’ailleurs, en meubles Roche

Bobois à partir d’une commande passée auprès de la société Techno France 2, et ses

costumes émanent des grands couturiers français, Ted de Lapidus et Yves Saint-

Laurent.

56. L’inventaire du 12 février 1996 laisse égal ement apparaître, touj ours concernant la

chambre à coucher de M. Diallo, une ma lle fermée et un mini coffre-fort, sans

indiquer leur contenu. Il a d’ailleurs occu lté, par exemple: des bijoux; une montre

Cartier comportant 16 petits diamants, achetée en 1979 Place Vendôme à Paris; un

appareil photo de marque Leic a grand modèle, acheté au Ca nada à l’hôtel Hayat; un

porte-monnaie de marque Louis Vuitton; tr ois tapis chinois achet és au cours d’une

foire organisée à Kinshasa; une bibliothè que; les Mémoires complets du général De

Gaule; une statue Yolo en bronze; 50 st ylos à bille en or pour cadeaux-visiteurs,

26
V. Contre-mémoire RDC du 27 mars 2008, p. 5, rubrique « Local n° 2 (grand bâtiment) » et son
Annexe 12.
27 Annexe 200, MRG du 23 mars 2001.
28
V. MRG du 23 mars 2001, pp. 11 et 12, par. 2.6, et son Annexe 18.
29 Les factures concernant ces meubles sont restées en RDC.

18 ainsi que deux tableaux d’art de Salvador Dali où étaient peints sa femme, pour le

premier tableau, et Voltaire, pour le second.

57. Tout ce patrimoine matériel et immatériel de M. Diallo est aujourd’hui

irrémédiablement perdu. La valeur des actif s ainsi perdus peut être chiffrée à la
somme globale et forfaitaire de 550000 dollars américains (y compris ses avoirs en

banque).

58. Par ailleurs, si le Certificat d’indigence n° 01 du 12 juillet 199530 a été établi en faveur

de M. Diallo, c’était en réalité pour lui pe rmettre de différer le paiement de plus

1500000 dollars américains au titre des frais d’enregistrement du Jugement RC

63.824 du 3 juillet 1995 et, non pas, pour l’en dispenser au détriment du Trésor public.
Ledit certificat contient, en effet, la mention « indigent temporaire », M. Diallo s’étant

en outre engagé auprès du service des impôts à acquitter l’intégralité de ces frais dès

l’exécution du jugement.

59. Il reste entendu, d’une part, qu’ à travers ce jugement, le Tr ibunal de grande instance

de Kinshasa avait condamné la société Shell à payer la so mme de 13.156.704 dollars

américains, en principal, et celle de 50.000 dollars américains à titre de dommages-

intérêts au profit de la société Afric ontainers et, d’autre part, que les frais
d’enregistrement de ce jugement s’élèveraient à plus de 1.500.000 dollars américains.

60. Il est d’ailleurs évident qu’un in digent n’habite pas dans un hôtel de cinq étoiles sans,
de surcroît, rester devoir du moindre centim e envers qui que ce soit comme ce fut le

cas de M. Diallo. Il n’emploie pas, non plus, plus de 120 salariés pendant près de deux

décennies sans, de surcroît, être un jour traî né devant la police ou la justice à l’instar

de M. Diallo.

61. Sur la même question, il y a enfin lieu de souligner que la dé livrance du certificat

d’indigence temporaire a permis d’éviter que M. Diallo ait à payer des frais
d’enregistrement aussi élevés pour un jugeme nt qui ne sera pas exécuté par la suite à

cause justement de son expulsion brutale et arbitraire.

30
O.G., Annexe n° 22.

19 D. La perte du potentiel de gain

62. Pour l’évaluation du préjudice matériel résultant d’un fait internationalement illicite,

on doit également tenir compte de « la perte potentielle de gains » lorsque celle-ci en

est la conséquence directe. La non-perc eption du salaire relè ve de ce chef de
31
préjudice dont la particularité réside dans le fait qu’il s’apprécie en fonction du

temps écoulé depuis la commission du préjudice.

63. En l’espèce, empêché d’administrer ses sociét és en raison de son arrestation illégale,

qui avait d’ailleurs précisément cet objet, Monsieur Diallo a également été entravé

dans la poursuite de ses activités à la tête de s deux sociétés et, surtout, dans la cession

de ses parts sociales à des tiers, avant d’être expulsé. Or du fait de son expulsion et des

conditions de sa mise en Œuvre, la si tuation des deux sociétés et notamment
32
d’Africontainers a immédiatement périclité, et leurs actifs ont été dispersés .

64. Les conséquences financières de la « perte potentielle de gain » qui en résulte peuvent

être évaluées comme une fraction de la va leur d’échange des titres composant la

totalité du capital social des de ux sociétés. En cas de cession, la valeur de ces deux

sociétés, qui ne faisaient face à aucun passif exigible, aurait tenu compte :

- de la valeur des biens meubl es et immeubles dont elles étaient propriétaires, et

dont un inventaire non exhaustif a été dr essé en ce qui concerne la société
33
Africontainers ;

- et des créances qu’elles détenaient à l’en contre de leurs différents clients dont

l’Etat congolais lui-même au titre de l’affaire dite du « papier-listing » . 34

65. Eu égard au rôle central et essentiel que re présentait la personne de Monsieur Diallo

dans l’activité de ses deux sociétés, le gain potentiel dont celui-là a été privé peut être

évalué à hauteur de 50 % de la valeur d’échange des titres détenus par lui à la date de
sa première arrestation, soit à hauteur d’une valeur totale de 4360000 dollars

américains.

31 V. ci-dessus, §§ 26 à 39.
32 O.G., Annexes n° 31, 32 et 33.
33
M.G., Annexe n° 199.
34 M.G., Annexes n° 46 à 50

2066. Cette évaluation tient compte, en ce qui conc erne la société Africom-Zaïre, de la

créance d’un montant de 1000000 de dollars américains détenue par cette société à

l’encontre de l’Etat congolai s au titre de l’affaire du pa pier-listing, ainsi que de la
valeur des deux parcelles de terrain évoqué es plus haut, sises en plein centre de

Kinshasa et dont elle est légitime propriétaire. L’une de ces parcelles a une contenance
2
de 8000 m et abrite les entrepôts des deux soci étés de M. Diallo; l’autre, a une
2
contenance de 2 400 m et abrite les bureaux et logements de la société Africontainers.

67. Pour l’acquisition et la mise en valeur de ces parcelles, la société Africom-Zaïre avait

investi 5000000 de dollars américains pour la première et 2 000 000 de dollars

américains pour la seconde. Ces parcelles de terrain avaient fait l’objet de vente
notariée ; mais compte tenu des circonstances de l’expulsion, les actes y afférents sont

restés en RDC tout comme les factures concernant les réalisations qui y ont été faites ;

68. L’évaluation tient également compte, en ce qui concerne la société Africontainers, du
prix des 600 conteneurs évalués, à prix cassé, à hauteur de 1 200 dollars américains

l’unité, soit au total 720 000 dollars américains.

C ONCLUSIONS

69. Pour la réparation des préjudices subis par M. Ahmadou Sadio Diallo à la suite de ses
détentions et de son expulsion arbitraires, la République de Gu inée sollicite qu’il

plaise à la Cour condamner la République démocratique du Congo à lui payer (pour le

compte de son ressortissant) les sommes ci-après :

- 250 000 dollars américains au titre du dommage psychologique et moral, y

compris l’atteinte à la réputation ;

- 6 430 148 dollars américains au titre de la perte de revenus pendant les
détentions et après l’expulsion ;

- 550 000 dollars américains au titre des autres dommages matériels et

- 4 360 000 dollars américains au titre de la perte potentielle de gain ;

Soit au total la somme de onze million cinq cent quatre vingt dix mille cent quarante-

huit (11 590 148) dollars américains, outre les intérêts légaux moratoires.

21Par ailleurs, le fait d’avoir contraint l’Etat guinéen à engager la présente procédure l’a exposé

à des frais irrépétibles qu’il serait inéquitable de laisser à sa charge et qui sont évalués à la
somme de 500000 dollars américains. La Répub lique de Guinée sollicite également qu’il

plaise à la Cour condamner la RDC à lui payer cette somme.

Il convient, en outre, de condamner la République démocratique du Congo aux entiers dépens.

Et ce sera justice !

Le 6 décembre 2011

Hassane II Diallo,

Co-agent de la République de Guinée.

22

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Mémoire de la République de Guinée - Indemnisation due à la Guinée

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