SOMMAIRE
INTRODUCTION
La procédure suivie
La structure du contre- mémoire du Sénégal
Rappel de la position de la République du Sénégal devant la Cour
er
Chapitre 1 : Rappel des faits
Chapitre 2 : La position de principe de la République du Sénégal après le traitement de
l’affaire devant diverses instances internationales
I – Devant le Comité contre la torture
II – Devant l’Union africaine
III – Devant la Cour de Justice de la CEDEAO
Chapitre 3 : Les obstacles à l’examen du fond de la requête de la Belgique
Chapitre 4 : Le respect par le Sénégal de ses obligations de Partie à la Convention de
1984
I – La réfutation des imputations de la Belgique
A -Sur les mesures d’application interne prescrites par la Convention de 1984 contre la
torture
B – Sur l’obligation de « poursuivre ou extrader »
II – Le commencement d’exécution des obligations du Sénégal
A – Les initiatives prises par le Sénégal et entrant dans le cadre de l’exécution de ses
obligations d’Etat Partie à la Convention de 1984
B – L’inexistence d’un fait internationalement illicite imputable au Sénégal
CONCLUSIONS
1INTRODUCTION
Il convient d’évoquer, avant d’aborder le débat de fond, les points suivants :
- la procédure suivie
- la structure du présent contre mémoire
- le rappel de la position du Sénégal devant la Cour
La procédure suivie :
1. La présente affaire soumise à la Cour a été introduite par une requête en date du 16 février
2009, déposée au Greffe de la Cour par le Royaume de Belgique le 19 février 2009 (désigné
sous le nom de « Belgique » ci-après), contre l’Etat du Sénégal (désigné sous le nom de
« Sénégal » ci-après). La requête belge était relative à un « différend » touchant
l’interprétation et l’application de la Convention des Nations Unies de 1984 contre la
torture, convention à laquelle les deux Etats sont Parties. Elle s’appuie sur l’existence de
procédures ouvertes contre l’ancien chef d’Etat du Tchad, qui réside actuellement au
Sénégal, et dans lesquelles il est reproché à M. Hissène Habré des faits qualifiés de crimes
de torture ou d’autres crimes de droit international. Ces procédures, initiées en 2000, 2001 et
2005 devant des tribunaux sénégalais, n’auraient pas donné satisfaction aux demandeurs.
2. La Belgique, qui avait également exprimé, en 2005, une demande d’extradition de
l’ancien chef d’Etat, mais qui n’a pu obtenir satisfaction, considère que le Sénégal a manqué
à son obligation d’Etat Partie à la Convention contre la torture, qui prescrit notamment
d’ « extrader » ou de « juger » les personnes présumées avoir commis les faits incriminés,
qui se trouveraient sur le territoire de l’Etat Partie.
3. La compétence de la Cour pour connaître d’une telle affaire est fondée, selon la Belgique,
d’une part sur l’article 30 de la Convention contre la torture – qui prévoit une saisine de la
Cour en cas de difficulté dans l’interprétation ou l’application de la Convention - et, d’autre
part, sur les déclarations d’acceptation de juridiction obligatoire de la Cour, faites par les
deux Etats conformément à l’article 36 paragraphe 2 du Statut de la Cour.
23. En déposant sa requête, la Belgique a également sollicité auprès de la Cour l’indication de
mesures conservatoires, eu égard au risque de voir le Sénégal mettre fin, à tout moment, à la
surveillance dont l’ancien Président du Tchad fait actuellement l’objet sur son territoire. La
Belgique avait alors demandé à la Cour de bien vouloir indiquer, avant de rendre un arrêt sur
le fond, des mesures que le Sénégal devait prendre pour que M. Habré ne puisse échapper à
la surveillance des autorités sénégalaises.
Dans l’ordonnance qu’elle a rendue le 28 mai 2009, la Cour,
« prenant acte des assurances données par le Sénégal », a considéré « que le risque de
préjudice irréparable aux droits revendiqués par la Belgique n’est pas apparent à la date à
1
laquelle (la présente) (l’) ordonnance est rendue » .
4. Le 9 juillet 2009, la Cour, après consultation des Parties, a pris une ordonnance fixant la
présentation d’un mémoire par la Belgique au 9 juillet 2010, et d’un contre –mémoire du
Sénégal, au 11 juillet 2011. La Belgique a produit son mémoire à la date indiquée. Le
Sénégal a produit le présent contre mémoire en application de l’ordonnance du 9 juillet 2009
et celle du 11 juillet 2011 fixant, une nouvelle date limite de dépôt de ce contre mémoire
fixée au 29 août 2011.
5. Entre temps, plus précisément par lettre datée du 15 juin 2010, le Sénégal a adressé à la
Cour une « Note sur les dernières évolutions intervenues dans la préparation, par le
Sénégal, du procès de M. Hissène Habré, depuis le prononcé de l’ordonnance du 28 mai
2009 sur la requête belge en indication de mesures conservatoires ». A cette note se sont
ajoutées deux autres notes datées respectivement du 22 juin et du 26 août 2011.
Structure du présent contre mémoire
Le contre mémoire du Sénégal, se présente comme suit :
- Un chapitre 1 consacré au rappel des faits, tels qu’ils ont eu lieu aussi bien au plan
national, qu’au plan international;
- Un chapitre II relatif à la position de principe du Sénégal devant le traitement de
certains aspects de l’affaire par diverses instances internationales :
1
CIJ,
«
Questions
concernant
l’obligation
de
poursuivre
ou
d’extrader
(Belgique
c.
Sénégal),
mesures
conservatoires,
ordonnance
du
28
mai
2009,
§33.
3 • Le Comité des Nations Unies contre la torture (I),
• L’Union africaine (II)
• La Cour de justice de la Communauté Economique des Etats de l’Afrique de
l’Ouest (CEDEAO (III) ;
- Un chapitre III touchant la compétence de la Cour et la recevabilité de la requête
belge ;
- Un chapitre IV portant sur le respect, par le Sénégal, de ses obligations d’Etat Partie
à la Convention contre la torture. A cet égard, non seulement les imputations
articulées par la Belgique peuvent être contestées (I), mais la preuve peut être
apportée que l’Etat du Sénégal a déjà posé des actes qui se rattachent de façon
certaine à l’exécution de ses engagements conventionnels et au respect de ses
obligations coutumières (II). Sur le premier point, la Cour pourra constater que ni sur
l’adoption de mesures internes d’application de la Convention (A), ni sur
l’accomplissement de l’obligation d’ « extrader ou de poursuivre » (B), la position
du Sénégal ne peut être prise en défaut. Quant au second point – « commencement
d’exécution par le Sénégal de ses obligations » -, des initiatives peuvent être
évoquées (A), qui sont aux antipodes de toute imputation d’un fait
internationalement illicite (B) ;
Rappel de la position du Sénégal devant la Cour
6. A l’orée de l’examen du fond du présent litige par la Cour, la République du Sénégal tient
à rappeler solennellement qu’elle a toujours inscrit, et continue à inscrire son action
diplomatique et la conduite de ses relations internationales dans les exigences, énoncées par
la Charte des nations Unies, de promotion de la paix et de la sécurité internationales, de la
coexistence amicale entre Etats, et du règlement pacifique des différends susceptibles de
survenir entre ceux-ci.
7. Attaché au respect du droit international, la République du Sénégal a, depuis le 2 octobre
1985, souscrit une déclaration d’acceptation de la juridiction de la Cour. C’est donc dans un
état d’esprit serein que sa cause sera devant le principal organe judiciaire des Nations Unies.
48. Soucieux d’un règlement pacifique des différends inter- étatiques, le Sénégal est
également profondément préoccupé par le développement de la justice pénale internationale.
Il considère que la lutte contre l’impunité et la répression des violations éminentes des droits
des personnes constituent des exigences majeures des temps modernes, dont aucun Etat n’a
le droit de se soustraire, et que tout membre de la Communauté internationale qui ne se
conformerait pas à ce devoir impératif commet un acte particulièrement grave. C’est eu
égard à cette obligation dirimante qu’il a, notamment, tenu à marquer de façon claire et
éclatante son adhésion au Statut de Rome du 17 juillet 1998 instituant la Cour Pénale
Internationale, qu’il a été le premier Etat à ratifier ainsi qu’il a entendu s’acquitter de
l’ensemble de ses obligations d’Etat partie à la Convention de 1984 contre la torture et
autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, dont le respect est aujourd’hui
en cause devant la Cour.
9. Comme elle l’a fait dans la précédente phase du procès (Demande en indication de
mesures conservatoires), la République du Sénégal considère que la tournure judiciaire du
dissentiment qui l’oppose à la Belgique ne doit en rien altérer la qualité des relations qui
existent entre les deux pays. Elle espère qu’acte sera pris de sa réelle intention d’assumer ses
devoirs de Partie à la Convention de 1984, et qu’au terme de la procédure pendante devant la
Cour, les deux Parties auront réussi à administrer leur commune volonté de ne pas laisser
impunis les actes de torture et autres peines ou traitements, cruels, inhumains ou dégradants.
10. Devant la Cour, le Royaume de Belgique demande que le Sénégal soit reconnu coupable
d’avoir violé ses obligations internationales découlant de l’article 6 paragraphe 2, et de
l’article 7 paragraphe 1 de la Convention contre la torture, ainsi que du droit coutumier, « en
s’abstenant de poursuivre pénalement M. Hissène Habré pour des faits qualifiés notamment
de crimes de torture, de crime de génocide, de crimes de guerre et de crimes contre
l’humanité qui lui sont imputés en tant qu’auteur, coauteur ou complice, ou de l’extrader
vers la Belgique aux fins de poursuites pénales ».
11. Ainsi qu’il l’a longuement rappelé dans la phase antérieure du litige, le Sénégal n’a
jamais contesté ni sa qualité de Partie à la Convention de 1984, ni son devoir, dans les
circonstances de l’espèce, de mettre en œuvre les procédures qui s’imposent pour mettre en
lumière l’éventuelle responsabilité de M. Hissène Habré relativement aux faits qui lui sont
5reprochés. Ce qu’il a en revanche contesté est l’affirmation selon laquelle il « s’abstient »
d’exécuter ses obligations de Partie à la Convention contre la torture.
12. Une telle imputation est au rebours même des déclarations plusieurs fois faites par les
autorités du Sénégal, et elle ne correspond pas aux actes – au-delà des « déclarations » -
posés par le Sénégal. Ce dernier entend contester le cœur même de l’imputation de la
Belgique : qu’il se serait « abstenu » d’exécuter ses obligations de Partie à la Convention.
Mieux, la République du Sénégal estime qu’en agissant comme elle le fait, depuis qu’elle a
publiquement déclaré son intention d’assumer ses devoirs, elle se conforme exactement aux
exigences de la règle cardinale de la Convention : celle suivant laquelle les Etats ont
l’obligation d’ « extrader ou de poursuivre ».
13. Les propos qui ont été tenus lors des audiences relatives à la demande en indication de
mesures conservatoires, par l’Agent de l’Etat du Sénégal doivent être rappelés :
« Le Sénégal remplit ses obligations de poursuivre Hissène Habré telles que celles-ci
résultent de la convention contre la torture sur laquelle la décision de l’Union africaine est
fondée. Dès lors, une quelconque demande d’extradition n’a pas lieu d’être satisfaite en
l’espèce. Aut dedere aut judicare : c’est l’un ou l’autre. Et surtout, c’est extrader si on ne
peut juger. Quand la voie de l’extradition est bouchée, et que le pays s’engage à juger, on
ne voit pas – par rapport à la convention contre la torture – où pourrait bien se trouver un
différend sur l’application et l’interprétation de cette convention(…). Sous couvert d’une
invitation à faire respecter le droit international, l’instance introduite par la Belgique vise à
ce que la Cour ordonne au Sénégal d’extrader le plus tôt possible Hissène Habré pour qu’il
soit jugé en Belgique au mépris des droits et obligations du Sénégal sous la convention
contre la torture et que ce dernier s’attelle avec constance et détermination à exercer » . 2
Cette position est claire : tenant des droits de la Convention de 1984 contre la torture, la
République du Sénégal entend pleinement exercer ces droits. Elle a pris le parti, non
d’extrader M. Habré, mais bien d’organiser son procès, de le juger.
2
CR
2009
/9,
p.20,
par.56
(Thiam)
6 er
CHAPITRE 1 – RAPPEL DES FAITS
14. Monsieur Hissène Habré, ancien Président de la République du Tchad de 1982 à 1990 a
été renversé le 1er décembre 1990. Après un court séjour au Cameroun, il sollicita et obtint
du gouvernement du Sénégal l’asile politique. Il s’est installé depuis lors à Dakar où il
réside avec sa famille et certains de ses proches.
15. En janvier 2000, Souleymane Guengueng et autres se prétendant victimes des exactions
commises à leur encontre par le régime du Président Habré ont déposé une plainte avec
constitution de partie civile devant le Doyen des juges d’instruction du tribunal régional hors
classe de Dakar et articulé les chefs d’infractions suivantes :
- crimes contre l’humanité ;
- tortures ;
- actes de barbarie et de discrimination ;
- violation de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels,
inhumains ou dégradants ;
- torture ou meurtre (articles 288 et 295-1 du code pénal sénégalais) ;
- disparitions forcées (article 7-2, (1) du Statut de la Cour Pénale Internationale).
16. Le Doyen des juges d’alors procéda à l’inculpation de Hissène Habré, le 3 février 2000,
de ces chefs d’infraction avant de le mettre en liberté provisoire assortie de contrôle
judiciaire.
17. Le 18 février 2001, Hisséne Habré par l’organe de son conseil a déposé une requête en
annulation de la procédure devant la chambre d’accusation de la Cour d’Appel de Dakar en
évoquant les dispositions des articles 27 de la Convention contre la torture, 6 de la
Constitution du Sénégal, 669 du code de procédure pénale et 4 du code pénal pour défaut de
base légale et prescription des faits.
18. Le 4 juillet 2001, la Chambre d’Accusation de la Cour d’Appel de Dakar a annulé le
procès verbal d’inculpation et la procédure subséquente pour incompétence du juge saisi.
19. Le 20 novembre 2001, la Cour de Cassation, saisi par un pourvoi en date du 7 juillet
2001 formé par les parties civiles, a rejeté le pourvoi formé contre l’arrêt du 4 juillet 2001
7rendu par la chambre d’accusation confirmant ainsi l’incompétence du magistrat instructeur
saisi.
La Haute Cour a motivé sa décision de la manière suivante :
« Que l’article 5-2 de la Convention de New York du 10 décembre 1984 contre la
torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, fait peser sur
chaque Etat partie, l’obligation de prendre des mesures nécessaires pour établir sa
compétence aux fins de connaître des infractions visées à l’article 4, dans le cas ou l’auteur
présumé de celles-ci se trouve sur le territoire de sa juridiction et/ ou ledit Etat ne l’extrade
pas ;
Qu’il en résulte que l’article 79 de la Constitution du Sénégal ne saurait recevoir
application dès lors que l’exécution de la Convention nécessite que soient prises par le
Sénégal des mesures législatives préalables ;
Qu’aucun texte de procédure ne reconnaît une compétence universelle aux
juridictions sénégalaises en vue de poursuivre et de juger des étrangers s’ils sont trouvés
sur le territoire de la République des présumés auteurs ou complices de faits qui entrent
dans les prévisions de la loi du 28 août 1996 portant adaptation de la législation
sénégalaise aux dispositions de l’article 4 de la Convention, lorsque les faits ont été commis
hors du Sénégal. »
20. Les victimes sans doute insatisfaites de cette décision ont alors saisi la justice belge pour
les mêmes faits.
21. Le 19 septembre 2005, un juge belge, après des années d’instruction, a délivré un
mandat d’arrêt contre Hissène Habré permettant ainsi au Royaume de Belgique de demander
à l’Etat du Sénégal son extradition.
22. Le 25 novembre 2005, la Chambre d’accusation de la Cour d’Appel de Dakar, saisie
cette fois-ci sur la demande d’extradition de Hissène Habré formulée par la Belgique, a
rendu un arrêt d’incompétence ainsi motivé :
« La Constitution du Sénégal, en son article 101 et la loi organique du 14 février
2002 sur la Haute Cour de justice ont institué une procédure pénale exorbitante de droit
commun pour tout acte de procédure pénale à l’encontre du Président de la République ;
8 Que la Chambre d’Accusation, juridiction ordinaire de droit commun, ne saurait
étendre sa compétence aux actes d’instruction et de poursuite engagée contre un chef d’Etat
pour des faits commis dans l’exercice de ses fonctions ;
Que cette exception doit donc s’appliquer nécessairement à la demande
d’extradition puisque la mise en œuvre de la procédure est subordonnée à
l’accomplissement préalable d’actes d’instruction fondamentaux, notamment la
comparution et l’interrogatoire du mis en cause ;
Que du reste, l’extradition procédant elle-même d’actes de poursuite ou d’exécution
par délégation de l’Etat requérant au profit de l’Etat requis, doit se conformer, en tout cas
dans sa phase judiciaire, aux règles d’ordre public de compétence et d’organisation des
juridictions répressives, bastion de la souveraineté nationale ;
Que Hissène Habré doit de cette immunité de juridiction qui, loin d’être une cause
d’exonération de responsabilité pénale, revêt simplement un caractère procédural au sens
de l’arrêt Yoro Abdoulaye Ndombassi du 14 février 2002 rendu par la Cour Internationale
de Justice dans le litige opposant le Royaume belge à la République Démocratique du
Congo ;
Qu’il n’est pas inutile de rappeler que ce privilège à vocation à survivre à la
cessation des fonctions du Président de la République, quelle que soit sa nationalité et en
dehors de toute convention d’entraide.
Qu’infère à ces remarques, l’incompétence de la Chambre d’Accusation pour
connaître de la régularité d’actes de poursuites et de la validité de mandat d’arrêt
s’appliquant à un chef d’Etat».
23. C’est dans ce contexte que la République du Sénégal, désireux de trouver une solution à
ce qui était devenu « le cas Hissène Habré » a saisi l’Union Africaine qui, le 2 juillet 2006,
s’appuyant sur les recommandations d’éminents juristes africains désignés en janvier 2006
par elle-même, a demandé au Sénégal de juger Hissène Habré.
Ø La demande de l’Union africaine
24. Cette demande de l’Union Africaine qui s’est traduite par la décision (Doc
Assembly/AU/3/VID) contenait les recommandations ci-après :
9 - le fait de considérer le dossier « Hissène Habré » comme le dossier de l’Union
Africaine ;
- le mandat de la République de Sénégal de poursuivre et de faire juger Hissène
Habré par une juridiction sénégalaise compétente avec les garanties d’un procès
juste et équitable ;
le mandat donné au Président de l’Union, en concertation avec le Président de la
Commission, d’apporter au Sénégal l’assistance nécessaire pour le bon
fonctionnement et le bon aboutissement du procès ;
- la demande de comparution de tous les Etats membres avec le gouvernement
sénégalais sur la question ;
- l’appel lancé à la Communauté internationale pour qu’elle apporte son soutien au
Gouvernement sénégalais.
25. Le mandat ainsi libellé ne permettait aucune équivoque quant à la détermination de
l’Union Africaine dans son ensemble à accompagner le Sénégal dans ses efforts tendant à la
préparation et à la conduite du procès qui devait être intenté contre Monsieur Hissène Habré.
26. Il faut également relever que préalablement à cette position de l’organisation
continentale, les parties civiles qui avaient saisi le Doyen des juges du tribunal Régional
hors classe de Dakar avaient, par requête en date du 18 avril 2001, saisi le Comité contre la
torture des Nations Unies qui, en vertu du paragraphe 7 de l’article 22 de la Convention
contre la torture a formulé, le 17 mai 2006, des recommandations à l’endroit du
Gouvernement du Sénégal.
26. En effet, le Comité, se fondant sur l’ensemble des décisions judiciaires sus relatées, a
rappelé qu’en vertu de l’article 5, paragraphe 2 de la Convention, « tout Etat partie prend les
mesures nécessaires pour établir sa compétence aux fins de connaître desdites infractions
dans le cas ou l’auteur présumé de celles-ci se trouvent sous sa juridiction et/ou ledit Etat ne
l’extrade pas ».
27. Le Comité a noté que l’Etat du Sénégal, Partie à la Convention n’a pas contesté, dans
ses observations sur le fond, qu’il n’avait pas adopté ces mesures nécessaires visées à
l’article 5, paragraphe 2 de la Convention et constaté que la Cour de Cassation a considéré
elle-même que ces mesures n’avaient pas été prises par le Sénégal.
1028. De plus, le Comité a considéré que le délai raisonnable dans lequel l’Etat Partie aurait du
remplir cette obligation est largement dépassé.
29. Le Comité a rappelé qu’en vertu de l’article 7 de la Convention « l’Etat partie sur le
territoire ou sous la juridiction duquel l’auteur présumé d’une infraction visée à l’article 4
est découvert, s’il ne l’extrade pas, doit soumettre l’affaire dans les cas visés à l’article 5 à
ses autorités compétentes pour l’exercice de l’action pénale ».
30. Il a noté à cet égard que l’obligation de poursuivre l’auteur présumé d’actes de torture ne
dépend pas de l’existence préalable de demande d’entraide à son encontre. Cette alternative
qui est offerte à l’Etat partie en vertu de l’article 7 de la Convention n’existe que lorsqu’une
telle demande d’extradition a effectivement été formulée et place, dès lors l’Etat partie est
dans la position de choisir entre procéder à ladite extradition ou soumettre l’affaire à ses
propres autorités judiciaires par la mise en mouvement de l’action publique. La finalité de la
disposition étant d’éviter l’impunité pour tout acte de torture.
31. Le Comité a conclu que l’Etat partie ne peut invoquer la complexité de sa procédure
judiciaire ou d’autres raisons dérivées de son droit interne pour justifier le manque de
respect à ses obligations découlant de la Convention.
32. Ainsi, le Comité agissant en vertu du paragraphe 7 de l’article 22 de la Convention a
estimé que l’Etat du Sénégal « a violé les articles 5 paragraphe 2 et 7 de la Convention.
33. Et que conformément à l’article 5 paragraphe 2 de la Convention, l’Etat partie est tenu
d’adopter les mesures nécessaires relativement à l’incrimination et la sanction de toute
forme de torture.
34. L’Etat partie est en outre tenu, conformément à l’article 7 de la Convention de
soumettre la présente affaire à ses autorités compétentes pour l’exercice de l’action pénale
ou à défaut, dans la mesure où il existe une demande d’extradition émanant d’un autre Etat
en conformité avec les dispositions de la Convention d’y donner suite.
1135. Cette décision n’affecte en aucun cas la possibilité pour les requérants d’obtenir une
compensation devant les organes internes de l’Etat partie en raison de l’absence de mise en
œuvre de ses obligations conformément à la Convention.
36. Enfin le Comité contre la torture estime qu’étant donné qu’en faisant la déclaration
prévue à l’article 22 de la Convention, l’Etat partie a reconnu que le Comité avait
compétence pour déterminer s’il y a eu ou non violation de la Convention, le Comité a
souhaité recevoir de l’Etat partie dans un délai de 90 jours, des renseignements sur les
mesures prises pour donner effet à ses recommandations ».
37. Le Sénégal, soucieux de se conformer à ses obligations, devait d’une part exécuter les
recommandations du Comité contre la torture et d’autre part, exécuter le mandat qu’il tenait
de l’Union Africaine.
Ø La mise en œuvre des recommandations du Comité contre la torture :
38. L’Etat du Sénégal a donné suite aux recommandations du Comité contre la torture en
rendant sa législation conforme aux normes internationales en la matière en vue de tenir le
procès Monsieur Hissène Habré ; Monsieur le Président de la République, en a pris
l’engagement solennel devant ses pairs non sans rappeler qu’un tel procès nécessiterait la
mobilisation préalable de moyens financiers que le Sénégal ne pouvait pas tout seul réunir.
39. Cet engagement politique sans équivoque, vient conforter l’obligation juridique qui
découle de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains
ou dégradants, ratifiée par le Sénégal, le 21 août 1987, qui est le fondement légal de toutes
les procédures initiées contre Hissène Habré.
40. C’est ainsi que par arrêté du 23 novembre 2006 de Monsieur le Ministre d’Etat, Garde
des Sceaux, Ministre de la Justice, une commission a été instituée pour étudier la question et
proposer les réformes législatives et institutionnelles nécessaires.
41. Toutes les réformes législatives et constitutionnelles, tant sur le fond que sur la forme
ont été déjà réalisées pour donner plein effet aux dispositions de la Convention et réunir les
12conditions idéales pour faire juger Monsieur Hissène Habré par les juridictions et magistrats
sénégalais dans le cadre d’un procès juste et équitable.
Ø Les réformes législatives initiées
42. Plusieurs réformes modifiant, insérant ou abrogeant certaines dispositions du code pénal
et du code de procédure pénale ont été opérées.
Les articles 431-1, 431-2, 431-3, 431-4 et 431-5 définissant et réprimant formellement le
crime de génocide, le crime contre l’humanité, le crime de guerre et d’autres crimes
relevant du droit international humanitaire tels que visés par la Convention de La Haye
de 1954, celle de 1976 et 1980, qui n’étaient pas spécifiés dans l’arsenal répressif national
ont été intégrés dans notre code pénal par la loi n°2007-02 du 12 février2007.
L’article 431-6 du code pénal prévoit que les auteurs des infractions visées aux articles 431-
1 à 431-5, nonobstant les dispositions de l’article 4 du même code, peuvent être jugés et
condamnés en raison d’acte ou omission qui, au moment et au lieu ou ils étaient commis,
étaient tenus pour une infraction pénale d’après les principes généraux de droit reconnus par
l’ensemble des Nations, qu’ils aient ou non constitué une transgression du droit en vigueur à
ce moment et dans ce lieu.
L’article 669 du code de procédure pénale a été modifié ainsi qu’il suit : « tout étranger qui,
hors du territoire de la République se voit reprocher d’être l’auteur ou le complice d’un des
crimes visés aux articles 431-1 à 431-5, d’un crime ou d’un délit visé aux articles 279-1 à
279-3 et 295 du code pénal peut être poursuivi et jugé d’après les dispositions des lois
sénégalaises ou applicables au Sénégal, ou si le Gouvernement obtient son extradition »
43. Il a été inséré au titre douze du livre quatrième du code de procédure pénale un article
664 bis ainsi libellé : « les juridictions nationales sont compétentes pour tout crime ou délit,
puni par la loi sénégalaise, commis hors du territoire de la République par un national ou un
étranger, lorsque la victime est de nationalité sénégalaise au moment des faits ».
1344. S’agissant de la torture, la réforme législative ne s’imposait pas dans la mesure où
l’article 295-1 de la loi 96-15 du 28 août 1996 prévoyait et punissait déjà cette catégorie
d’infraction.
45. Enfin, une réforme d’ampleur sur la composition et le mode de saisine de la Cour
d’assises est venue couronner cet important travail de toilettage des textes législatifs. En
effet, le double degré de juridiction en vigueur dans la procédure pénale sénégalaise et qui
s’appliquait à l’instruction, obligatoire en matière criminelle, était perçu et dénoncé comme
un ralentisseur de la procédure. La saisine obligatoire de la chambre d’accusation,
juridiction de second degré par l’ordonnance de transmission de pièces du magistrat
instructeur a donc été supprimée.
46. Désormais, le juge d’instruction, après la clôture de son information criminelle, saisit
directement la Cour d’assises par une ordonnance aux fins de transmission de pièces.
47. Cette Cour d’assises a connu elle-même une réforme parce qu’elle a été purgée des jurés,
citoyens ordinaires issus du peuple qui rendaient la justice à ce niveau élevé, auprès des
magistrats professionnels qui composaient la cour véritablement.
48. Les observateurs ont toujours dénoncé leur présence dans la composition de la cour
d’assises, compte tenu de leur manque de formation qui pouvait grandement nuire à l’équité
recherchée dans le procès pénal.
49. Avec la suppression des jurés, la cour d’assises pourra rendre plus rapidement la justice
parce qu’animée uniquement de magistrats professionnels. Mais il fallait accompagner cette
distribution de garanties pour les accusés et les parties civiles. Il a donc été institué un
double degré de juridiction qui fait que les décisions rendues en première instance par cette
juridiction soient susceptibles d’être querellées devant une autre cour d’assises désignée
suivant ordonnance du Premier Président de la Cour Suprême.
50. Le Sénégal a voulu par là domestiquer les règles de la Charte africaine des droits de
l’homme et des peuples relatives au procès juste et équitable.
14 Ø La réforme constitutionnelle
51. L’article 9 de la Constitution du Sénégal posait le principe de la légalité des crimes et
délits. Avec la ratification du Statut de Rome et les réformes législatives sus relatées, le
législateur sénégalais soucieux de la constitutionnalité des lois a procédé, préalablement, à
l’institution d’une exception au principe de la légalité conformément au régime juridique des
crimes graves relevant du jus cogens et aux dispositions pertinentes du Pacte international
relatif aux droits civiques, civils et politiques.
52. Ainsi l’ancien article 9 de la Constitution est remplacé par les dispositions suivantes :
« Toute atteinte aux libertés et toute entrave volontaire à l’exercice d’une liberté
sont punies par la loi.
Nul ne peut être condamné si ce n’est en vertu d’une loi entrée en vigueur avant l’acte
commis.
Toutefois, les dispositions de l’alinéa précédent ne s’opposent pas à la poursuite, au
jugement et à la condamnation de tout individu en raison d’actes ou omissions qui, au
moment où ils étaient commis, étaient tenus pour criminels d’après les règles du droit
international relatives aux faits de génocide, crimes contre l’humanité, crimes de guerre ».
53. Si les réformes législatives que voilà constituent un fondement légal aux poursuites
envisagées en exécution du mandat que le Sénégal tient de l’Union Africaine, elles doivent,
pour être effectivement appliquées, s’appuyer sur des organes.
Ø Les organes mis en place dans le but d’une bonne exécution de la demande de
l’Union Africaine :
54. Les organes destinés à accompagner le procès envisagé sous l’égide de l’Union
Africaine et en coopération avec l’Union européenne et déjà mis en place sont : quatre juges
d’instruction, trois magistrats du parquet, un pool de greffiers, un coordonnateur et un
Comité de Suivi.
15 Ø Les magistrats et greffiers nommés
55. Les cabinets d’instruction du Tribunal Régional Hors Classe de Dakar qui s’occupent de
l’information des affaires criminelles sont passés de six à dix. Les mêmes dispositions ont
été également prises au Parquet qui a vu le nombre de substituts du Procureur de la
République sensiblement augmenter.
56. Cet apport quantitatif est justifié par l’ouverture du procès de Monsieur Hissène Habré
qui ne doit pas influer négativement sur le cours normal de la distribution de la Justice.
Ø Le coordonnateur
57. Par arrêté n° 04310 en date du 21 mai 2008, le Ministre d’Etat, Garde des Sceaux,
Ministre de la Justice a nommé un Coordonnateur du procès en la personne de Monsieur
Ibrahima GUEYE, magistrat émérite, Président de la chambre civile et commerciale de la
Cour Suprême. Ce haut magistrat est chargé de la préparation et de l’organisation du procès
impliquant Monsieur Hissène Habré.
58. A ce titre, il entrera en contact avec les services et structures ou entités tant au plan
national qu’international, concernés par le procès. Il s’occupe au plan logistique des aspects
administratifs et financiers du procès. Il ne lui est reconnu cependant aucune attribution
juridictionnelle.
Ø Le Comité de suivi et de communication
59. Il a également été institué un Comité de suivi et de communication par arrêté numéro
04310 en du 21 mai 2008. Ce comité est chargé de la communication et du bon déroulement
du procès Habré.
60. Tous ces organes fonctionnent depuis leur mise en place et ont déjà élaboré un plan de
formation à l’intention des juges et autres personnels concernés par le procès.
61. Un budget prévisionnel d’un montant de 18 milliards de francs CFA été confectionné sur
la base de cinq cents témoins à citer, pour une pour une durée de 38 mois correspondant à la
16durée du procès. L’estimation que voilà ne tient pas compte de la somme de 2 milliards
nécessaires pour couvrir les frais de fonctionnement des organes chargés de la coordination
et du suivi du procès.
62. Ladite prévision a été ramenée à un montant de 14 milliards par les partenaires du
Sénégal qui ont limité le nombre des témoins à faire comparaître à cent, pour une durée de
28 mois, prévue pour le déroulement du procès. Ce nouveau temps de 28 mois est réparti à
raison de 20 mois pour l’enquête et l’instruction, 5 mois pour le jugement en première
instance et 3 mois pour l’appel.
Ø La décision rendue par la Cour de justice de la CEDEAO
63. La Cour de Justice de la CEDEAO a rendu le jeudi 18 novembre 2010, un arrêt qui a
remis en cause le processus qui devait aboutir au jugement de monsieur Hissène Habré.
64. Pour rappel, le Sénégal a été assigné devant la Cour de justice de la Communauté
Economique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) et devant la Cour Africaine des
Droits de l’Homme et des Peuples, respectivement, par Monsieur Habré lui-même et, par
Monsieur Michelot YOGOGOMBAYE, dans le cadre de deux affaires ayant directement
trait au procès que l’Etat du Sénégal envisage d’ouvrir sur son propre territoire,
conformément à ses engagements internationaux et à sa législation nationale, à l’encontre de
Monsieur Hissène Habré.
65. S’agissant de l’affaire portée devant la Cour de Justice de la CEDEAO, Monsieur
HABRE a demandé à cette juridiction de constater la violation de ses droits de l’homme par
le Sénégal dans la préparation du procès à son encontre et de faire cesser toute poursuite
contre lui. Dans cette affaire, le Sénégal a pris part à toutes les audiences devant la Cour,
dont la première a été consacrée à l’examen de la demande d’intervention introduite par le «
Collectif des Victimes » aux fins d’être admis à se constituer Partie dans le procès. La
requête des victimes ayant été rejetée par la Cour par « arrêt avant dire droit » n° ADD
ECW/CCI/APP/11/09 du 27 novembre 2009, l’Affaire n’opposait plus, désormais, que les
Parties initiales.
66. Par sa décision n° E.C. W/CCJ/JUD/06/10 du 18 novembre 2010, la Cour à indiqué
que « le mandat reçu par le Sénégal de l’Union Africaine, lui confère plutôt une mission
17de conception et de suggestion de toutes modalités propres à poursuivre et à faire juger
(Hissène HABRE) dans le cadre stricte d’une procédure spéciale ad hoc à caractère
international telle que pratiquée en droit international par toutes les nations
civilisées ».
67. Etant membre à part entière de la CEDEAO, le Sénégal a signé et ratifié son acte
constitutif. Il a également ratifié le protocole « AP 91 », relatif à la Cour de Justice de la
CEDEAO qui a rendu cette décision sus mentionnée.
68. Le Sénégal, État de droit respectueux de la légalité internationale et soucieux de la
promotion et de la protection des droits de l’homme ne peut que se conformer à cette
décision au risque de violer ses engagements internationaux en la matière.
69. Par ailleurs, aux termes des dispositions de l’article 22 alinéa 3 du Protocole (A/P1/7/91)
relatif à la Cour de Justice de la CEDEAO, « les Etats membres et les institutions de la
communauté sont tenus de prendre, sans délai, toutes les mesures nécessaires de nature
à assurer l’exécution des décisions de la Cour ».
70. En dépit de l’intervention de cette décision de la Cour susvisée, le Sénégal n’a pas une
seule fois lésiné sur la poursuite du processus de préparation du procès de monsieur Hissène
Habré envisagé, conformément au principe de la compétence universelle consacré par les
articles 5 et 7 de la Convention des Nations Unies contre la torture et autres peines ou
traitements cruels, inhumains ou dégradant du 10 décembre 1984. Cette volonté ferme du
Sénégal à respecter ses engagements et à tenter de concilier deux obligations au moins
apparemment contradictoires, l’a amené à persister dans la voie de la tenue de la Table
Ronde des donateurs, postérieurement à la décision de la Cour de la CEDEAO.
Ø La Décision de l’Union africaine rendue lors de la 16 ème Session Ordinaire qui
s’est tenue à Addis Abeba les 30 et 31 janvier 2011.
71. Lors de sa 16 ème Sommet Ordinaire qui s’est tenue à Addis Abeba (Ethiopie) les 30 et
31 janvier 2011, qui avait enregistré la présence de la délégation sénégalaise, l’Assemblée
de l’Union Africaine a adopté une décision, qui relève entre autres points que la
Conférence :
-‐ Confirme le mandat donné par l’Union Africaine au Sénégal de juger Hissène
HABRE, compte tenu du fait que le Sénégal est toujours disposé à la faire ;
-‐ Réitère également son engagement à lutter contre l’impunité, conformément aux
dispositions de l’article 4 (h) de l’Acte constitutif de l’Union Africaine ;
18 -‐ Se félicite des conclusions de la table ronde des donateurs relatives au
financement du procès de Hissène HABRE, tenue à Dakar (Sénégal) le 24
novembre 2010 ;
-‐ Demande à la Commission d’entreprendre des consultations avec le
Gouvernement du Sénégal afin de finaliser les modalités pour l’organisation
rapide du procès de Hissène HABRE par un tribunal spécial à caractère
international, conformément à la décision de la Cour de justice de la
communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) sur la
question ;
-‐ Demande en outre à la Commission d’assurer le suivi de la mise en œuvre de la
(présente) Décision et d’en faire rapport en juin 2011.
72. Aussi, dans la perspective de donner corps à la Résolution de l’Union Africaine prise à
Banjul et à la décision de la Cour de Justice sus référencées, une juridiction ad hoc à
caractère international, devait-elle être créée par une résolution de l’Union Africaine qui en
sera l’acte fondateur.
73. Ce pouvoir de créer un tel organe sera fondé sur les articles 3 H, 4 H et 0, 5/6-2 et 91 de
l’Acte constitutif de l’Union Africaine.
74. Cette résolution a donné mandat à la Commission de l’UA de déterminer notamment le
siège, la composition, la compétence, les règles applicables et les organes de cette Cour.
75. A ce sujet, en application de la Décision Assembly/AU/Déc.340(XVI) sur l'affaire
Hissène Habré susvisée, adoptée le 31 janvier 2011 par la 16 eme session ordinaire de la
Conférence des chefs d'Etat et de gouvernement de l'Union africaine (UA), les représentants
de la Commission de l'Union africaine et la délégation du Gouvernement de la République
du Sénégal conduite par Monsieur Cheikh Tidiane SY, Ministre d’Etat Garde des Sceaux,
Ministre de la Justice, ont tenu des consultations les 23 et 24 mars 2011 à Addis-Abeba
(Ethiopie), au siège de l'UA.
76. Les consultations ont été coprésidées, au niveau politique par Monsieur Cheikh Tidiane
SY, Garde des Sceaux, Ministre d’Etat, Ministre de la Justice de la République du Sénégal
et l'Ambassadeur Ramtane Lamamra, Commissaire pour la paix et la sécurité de l'UA et, au
19niveau technique, par l'Ambassadeur Bassirou Sene, Représentant permanent de la
République du Sénégal auprès de l'UA, et Monsieur Ben Kioko, Conseiller juridique de la
Commission de l'UA.
77. Au terme des travaux, les Parties sont convenues de la nécessité de mettre en place une
Cour internationale ad hoc pour juger Monsieur Hissène Habré), conformément à la
Décision « Assembly/AU/Déc.340(XVI) » précitée, à l’Arrêt de la Cour de justice de la
CEDEAO du 18 novembre 2010 et à la Convention des Nations Unies contre la torture, les
traitements ou peines cruels, inhumains et dégradants, pour juger monsieur Hissène Habré
er
des chefs des crimes commis au Tchad entre le 7 juin 1982 et le 1 décembre 1990.
78. Le projet d’Accord pour la création de cette juridiction internationale sera élaboré par la
Commission de l’Union africaine et ensuite soumis au Gouvernement de la République du
Sénégal pour avis et observations avant sa signature.
79. Les procédures devant la Cour internationale ad hoc seraient conduites sur la base des
ressources mobilisées lors de la Table ronde des donateurs pour le financement du procès de
monsieur Hissène Habré, tenue le 24 novembre 2010 ainsi que du budget et des documents y
afférents. Des ressources supplémentaires peuvent être mobilisées en cas de besoin et en
temps opportun.
80. Il convient de rappeler que relativement au budget du procès, à dire d’experts, il était
évalué à huit millions cinq cent soixante dix milles dollars (8 570 000$) (Rapport d’experts
de l’Union Européenne élaboré en collaboration avec l’Union Africaine et le Sénégal).
81. A l’issue de la conférence de la Table Ronde des donateurs du procès de monsieur
Hissène Habré), qui s’est tenue de Dakar, le 24 novembre 2010, sous l’égide de la
Commission de l’Union Africaine, l’intégralité de ce budget a été couverte par les annonces
de contributions faites par les donateurs.
82. Ce budget n’est pas encore effectivement mobilisé et mis à la disposition des autorités
autres que sénégalaises chargées de sa gestion.
83. Toutefois, lors de la table ronde des donateurs, les participants avaient souligné la
nécessité de procéder au décaissement des fonds dans un délai raisonnable.
2084. A cet effet, ils avaient demandé au Bureau des Nations Unies pour les Services d’Appui
aux Projets (UNOPS) de prendre rapidement les mesures appropriées pour permettre le
décaissement des fonds promis, en collaboration avec les pays et institutions ayant fait des
annonces de contribution ou tout autre partenaire intéressé par le financement de
l’organisation du procès.
85. Il est évident, dès lors, que n’eût été la décision de la Cour de la CEDEAO du 18
novembre 2010, la procédure budgétaire placée sous le contrôle de l’UNOPS aurait pu
aboutir à la couverture des exigences financières et ainsi permis le démarrage effectif du
procès.
86. S’agissant de la mise en place de la future Cour Internationale ad hoc, un projet de Statut
élaboré par les experts de la Commission de l’UA a été adopté tel qu’amendé par la réunion.
Il a été ensuite convenu d’élaborer le projet de Règlement de procédure et de preuves de la
Cour internationale ad hoc. A cet effet, il a été retenu que la Commission de l’UA
préparerait le projet de Règlement qui serait soumis à la partie Sénégalaise pour avis et
observations.
87. En vue d'accélérer la mise en place de la Cour internationale ad hoc, la réunion a décidé
de tenir à Dakar, une seconde rencontre consultative au cours de la dernière semaine du
mois d'avril 2011, en vue d'examiner et de finaliser le Projet d'Accord entre l'Union
Africaine et le Gouvernement de la République du Sénégal relatif à la création de la Cour
internationale ad hoc, le projet de Règlement de procédure et de preuve ainsi que la feuille
de route pour la mise en place de ladite Cour.
88. En outre, les participants sont convenus de tenir à Dakar, la réunion inaugurale du
Comité de suivi de la mise en œuvre des conclusions de la Table ronde des donateurs du 24
novembre 2010, immédiatement après la finalisation des documents nécessaires à la création
de la Cour internationale ad hoc.
Ø La deuxième réunion consultative entre les experts de l’Union africaine et ceux
du Sénégal
89. Suite à la première réunion consultative entre les experts de l’Union africaine et ceux du
Sénégal, tenue à Addis Abéba les 23 et 24 mars 2011, une seconde réunion était prévue à
Dakar du 30 mai au 3 juin 2011 afin d’étudier le projet d’Accord entre le Sénégal et l’Union
21africaine sur la mise en place de la Cour internationale ad hoc ainsi que le projet de
Règlement de procédure et de preuve de la futur Cour.
90. Les documents qui devraient être étudiés lors de la réunion ont été communiqués à la
Partie sénégalaise à l’avant-veille de la réunion. Compte tenu du volume des documents et
plus particulièrement du Règlement de procédure et de preuves qui faisait quatre vingt
pages, il était quasi impossible de les discuter utilement faute d’avoir pu les étudier
préalablement.
91. Par ailleurs, le Règlement de procédure et de preuves comportait, notamment de
nombreuses dispositions relatives au statut et à la déontologie des magistrats, notamment,
alors qu’au même moment le Sénégal était entrain de réformer en profondeur son système
judiciaire dont le statut de la magistrature. Le Sénégal réaffirmait encore à ce stade sa ferme
volonté de poursuivre le processus entamé depuis 2006 qui du reste lui a valu d’être traduit
dans deux procédures devant des cours africaines dont la Cour de Justice de la CEDEAO
dont il est Etat membre.
92. La décision susmentionnée rendue par ladite Cour ainsi que les impératifs de temps
nécessaire à une étude sérieuse des documents de la futur Cour pénale internationale ad hoc
sont les seuls motifs qui ont conduit le Sénégal à solliciter un délai raisonnable pour finaliser
avec l’Union africaine la détermination et la création de l’organe judiciaire habilité à prendre
en charge la gestion du procès envisagé.
93. La lecture attentive des documents proposés par l’UA révèlera une difficulté de taille
pour le Sénégal de respecter son obligation de juger, par lui même et par ses propres
tribunaux, M. Hissene HABRE à travers le Tribunal pénal international ad hoc dont la mise
en place a été préconisée et qui reste somme toute caractérisée par sa spécificité, son
caractère distinct par rapport au système judiciaire sénégalais et son autonomie.
Ø La Décision de la Chambre d’Accusation de la Cour d’Appel sur la
Demande d’extradition belge.
94. Cette décision est intervenue tout récemment, le18 août 2011, suite à une réitération, par
la Belgique, de sa demande d’extradition. Elle a fait montre d’un accueil sans entraves
22réservé a ladite demande, confrontée aux exigences de la loi sénégalaise en matière
d’extradition avant d’être rejetée pour motif d’irrecevabilité découlant du non respect des
conditions posées parla loi.
CHAPITRE II – LA POSITION DE PRINCIPE DE L’ETAT DU SENEGAL
DEVANT L’EVOCATION DE L’AFFAIRE PAR DIVERSES INSTANCES
INTERNATIONALES
95. Une bonne part de l’argumentation que le Royaume de Belgique a bien voulu présenter
devant la Cour repose sur une interprétation, qu’il convient de corriger, du comportement du
Sénégal devant diverses instances internationales. Il s’agit du Comité des Nations Unies
contre la torture, de l’Union africaine et de la Communauté Economique des Etats de
l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO). Devant chacune de ces instances, le Sénégal a exprimé un
point de vue en parfaite cohérence avec la déclaration suivant laquelle il entend respecter ses
engagements d’Etat Partie à la Convention de 1984.
I – Devant le Comité des Nations Unies contre la torture
96. Saisi par un certain nombre de personnes de nationalité tchadienne, le Comité contre
la torture, organe mis en place par la Convention elle-même pour veiller à la bonne
application de celle-ci, a estimé, dans une décision du 17 mai 2006, que :
« (…) La Cour de cassation du Sénégal a estimé « qu’aucun texte de procédure ne reconnaît
une compétence universelle aux juridictions sénégalaises en vue de poursuivre et de juger,
s’ils sont trouvés sur le territoire de la République, les présumés auteurs ou complices de
faits (de torture) lorsque ces faits ont été commis hors du Sénégal par des étrangers ; que la
présence d’Hissène Habré ne saurait à elle seule justifier les poursuites intentées contre
lui… »
Plus loin, le Comité
« constate également qu’en date du 25 novembre 2005, la Chambre d’Accusation de la Cour
d’Appel de Dakar s’est déclarée incompétente pour statuer sur une demande d’extradition à
l’encontre de Hissène Habré émanant de la Belgique »
2397. Le Comité a alors rappelé aux Etats l’obligation de tout Etat Partie de prendre :
« les mesures nécessaires pour établir sa compétence aux fins de connaître desdites
infractions dans le cas où l’auteur présumé de celles-ci se trouve sur tout territoire sous sa
juridiction et où ledit Etat ne l’extrade pas ».
98. La République du Sénégal n’a jamais contesté les constatations du Comité sur la torture,
au moment où elles ont été faites. A l’époque, les autorités sénégalaises avaient elles-
mêmes admis que la non adoption de mesures d’application interne de la Convention contre
la torture constituait un manquement. La volonté de se dérober à une telle obligation n’a
jamais existé et le Comité contre la torture a lui-même noté que :
« l’Etat Partie n’a pas contesté, dans ses observations sur le fond, qu’il n’avait pas adopté
ces « mesures nécessaires » visées par l’article 5, paragraphe 2, de la Convention, et
constate que la Cour de cassation a considéré elle-même que ces mesures n’avaient pas été
prises par l’Etat Partie ».
99. La Cour aura cependant le loisir de constater que si le Sénégal n’a pas, devant le Comité
contre la torture, hésité à admettre qu’il ne s’était pas complètement conformé à son
obligation de tirer les conséquences de son engagement international. Il a cependant
entendu, aussitôt après avoir examiné les observations du Comité, s’acquitter
convenablement de ses obligations, et adopter, par conséquent les « mesures nécessaires » à
une pleine efficacité de la Convention c’est-à-dire à une compétence des tribunaux
sénégalais. Dès le début du mois d’août 2009 en effet, le Sénégal a invité le Comité à venir
constater, par lui-même, les efforts que l’Etat sénégalais avait menés pour établir la
compétence de ses juges nationaux. La mission d’information confidentielle du Comité avait
alors pris acte des déclarations des autorités nationales et pris le parti de « suivre »
l’exécution de l’engagement pris.
100. Aujourd’hui, cet engagement a largement été exécuté. Il est impossible, en l’état actuel
des choses, et alors même que le procès de l’ancien Président du Tchad n’est pas encore
ouvert, de soutenir, comme cela était possible naguère, que le Sénégal s’est abstenu
d’exécuter son devoir d’Etat Partie à la Convention. Les termes du débat ont certainement
évolué et l’on ne voit pas, aujourd’hui que la Cour est invitée à se prononcer « sur le
24fond » de l’affaire, l’intérêt, qui ne pourrait être que simplement « historique », de
l’évocation de circonstances parfaitement « dépassées ».
101. Il convient d’ajouter que l’évolution de l’attitude du Sénégal invalide tout
naturellement l’idée selon laquelle un refus qu’il opposerait actuellement à une demande
d’extradition serait constitutif d’un acte illicite. Si le doute sur la légalité d’un tel refus était
permis à une époque où les conditions d’un traitement judiciaire national de l’« affaire
Habré » n’étaient pas réunies, ce refus pourrait même répondre à une nécessité dans le
contexte actuel, qui est celui d’une revendication de juridiction par le Sénégal.
102. Il n’est donc pas raisonnable d’insinuer que le Sénégal aurait en quelque sorte persisté
dans un refus prémédité de s’acquitter de son obligation de poursuivre M. Habré. Le
comportement affiché par cet Etat épouse des circonstances précises, demeure solidaire d’un
contexte donné : contexte d’omission d’une obligation indiscutable hier – devoir de
conformation du droit national à la Convention de 1984 -, contexte de proclamation et
d’assomption d’une prétention à la juridiction aujourd’hui. Dans ces conditions, les éléments
du débat qui a eu lieu devant le Comité contre la torture doivent être promptement écartés de
la présente instance.
II – Devant l’Union Africaine
103. Dans son Mémoire produit devant la Cour, la Belgique revient également sur
l’évocation de l’ « affaire Hissène Habré » par l’Union africaine (UA), plus précisément par
l’organe suprême de l’organisation panafricaine, la Conférence des chefs d’Etat et de
gouvernement. La Belgique écrit dans son Mémoire :
« L’implication de l’Union africaine dans le procès de H. Habré remonte à décembre 2005,
et se poursuit aujourd’hui. Durant cet intervalle de quatre ans et demi, le ministère public
sénégalais n’a fait aucune démarche judiciaire afin d’intenter des poursuites contre M.
Habré. Par ailleurs, devant la Cour de justice de la Communauté Economique des Etats de
l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO, le Sénégal a lui-même affirmé que, à ce jour, il n’existe
3
« aucune procédure pendante contre M. Habré devant les juridictions sénégalaises » .
3
Mémoire
de
la
Belgique,
p.
36
25104. Puis le Mémoire de la Belgique rappelle les conditions dans lesquelles, après les
déclarations d’incompétence des juridictions sénégalaises, les autorités du Sénégal ont porté
l’affaire devant l’Organisation politique panafricaine.
105. Le Sénégal tient, sur ce point également, à rétablir la vérité de sa position, et à préciser
la portée exacte des péripéties du traitement du dossier par l’Union africaine.
106. La Cour relèvera, pour commencer, que la démarche de l’Etat du Sénégal consistant à
porter le dossier de l’ancien Président du Tchad devant l’UA traduit au moins une intention
qui est aux antipodes de toute complaisance à l’égard de l’impunité. Son seul mobile, en
posant le problème au niveau de l’Organisation continentale, était précisément de montrer
l’importance de l’enjeu de la question, d’offrir une occasion solennelle et inouïe pour qu’un
continent parfois témoin de violations massives du droit international affirme, à la face du
monde, son engagement ferme et collectif de réprimer de telles transgressions. Au
demeurant, ce but-là a été atteint puisque la Conférence des chefs d’Etat et de gouvernement
a :
« DECIDE de considérer le dossier Hissène Habré comme le dossier de l’Union africaine ;
MANDATE la République du Sénégal de poursuivre et de faire juger, au nom de l’Afrique,
Hissène Habré par une juridiction sénégalaise compétente avec les garanties d’un procès
4
juste »
107. L’évocation du dossier de l’ancien Président du Tchad par l’Union africaine doit donc
être comprise dans son contexte : moins comme une démarche se recommandant de
considérations exclusivement juridiques, qu’un acte symbolique, l’opportunité de parler
d’une seule voix sur un sujet grave et qu’en des temps pas si lointains l’on aurait peut être
considéré comme « tabou ». Depuis cette implication dans l’affaire, l’UA encourage à la
tenue d’un procès et multiplie les initiatives pour qu’une telle suite judiciaire ait lieu.
108. Tel est le sens – le seul sens – qu’il convient de conférer à la démarche sénégalaise. Il
n’a jamais été question, pour le Sénégal, de faire de l’organisation panafricaine le
4
Assembly/AU/Dec.127
(VII)
26débiteur des obligations énoncées dans la convention contre la torture. Le Sénégal, Etat
souverain et Partie à la Convention, considère qu’il est la seule entité redevable,
notamment, de l’obligation d’ « extrader » ou de « poursuivre » qui figure dans la
Convention. Cette précision, qui a été plusieurs fois faite dans le passé, l’a été de manière
on ne peut plus claire au cours des audiences relatives à la demande en indication de
mesures conservatoires. Il est opportun de le rappeler :
« A aucun moment, le Sénégal n’a établi un quelconque lien entre la décision de l’Union
africaine et les obligations que la Convention de 1984 a mises à sa charge » . 5
Il a été réaffirmé que :
« Le contexte du procès qui se prépare se déroule bien dans le cadre d’une coopération
panafricaine – et même au-delà de l’Afrique - . Le Sénégal tient à cet égard à préciser, de
manière définitive, et pour lever toute équivoque ou tout malentendu, pour de bon, qu’il est
bien lié, comme Etat, par la convention de 1984. Le fait que l’organisation du procès Habré
puisse impliquer une organisation comme l’Union africaine n’enlève absolument rien des
devoirs et droits qui résultent pour lui de la qualité de partie à cette convention. C’est bien
en tant que partie à la convention que la République du Sénégal exécute ses obligations, et
6
non en vertu d’un mandat de l’Union africaine » .
109. L’idée selon laquelle, en consentant que l’UA discute du « cas Habré » le Sénégal a
entendu se dérober à l’obligation de punir les actes visés dans la Convention contre la torture
est donc doublement contestable.
110. D’une part, l’instauration d’un débat sur le sujet, au plan continental, traduit même un
léger parti pris répressif, une prédisposition à poursuivre – et non à tolérer – les faits visés
par la Convention contre la torture.
111. D’autre part, d’un point de vue plus strictement juridique, le Sénégal n’a jamais renié
son devoir, il a, au contraire, revendiqué l’obligation qui pesait sur lui de connaître des
griefs articulés contre M. Habré.
5
CR
2009/11,
8
avril
2009,
p.13,
par.10
(Diouf)
6
CR
2009/11,
8
avril
2009,p.18,
par.11
(Sall)
27112. En d’autres termes, l’ « implication » ou l’ « intervention » de l’UA n’a aucune
incidence fondamentale sur les termes du débat engagé devant la Cour. Il est question,
devant celle-ci d’un litige qui oppose deux Etats, sur la manière d’entendre ou de
comprendre l’exécution d’une obligation découlant d’un instrument international auquel ils
sont tous deux Parties. Voilà la réalité du contentieux qui s’est noué devant la Cour. Le
Sénégal considère que doivent dès lors être écartés des débats, comme éléments non
pertinents, tout ce qui ne cadre pas avec cette présentation claire et simple des choses.
113. L’Etat du Sénégal a toujours proclamé son intention de se conformer à son engagement
d’Etat Partie. Il veut, précisément, organiser un procès relatif aux faits reprochés à l’ancien
chef d’Etat du Tchad qui se trouve aujourd’hui sur son territoire. Mais il n’entend pas agir
sous une pression qu’elle peut par ailleurs comprendre, notamment lorsqu’elle est le fait de
présumés victimes. Un procès de cette envergure, avec ses tenants et ses aboutissants, mérite
d’être mené dans la sérénité et dans le respect des standards internationaux d’un procès
équitable. Le Sénégal considère qu’il y va de la crédibilité même de ses institutions
judiciaires et, au-delà, de celle d’institutions judiciaires africaines confrontées, pour la
première fois, à un tel cas de figure.
114. Il convient à cet égard de rappeler les termes en lesquels le co-Agent du Sénégal s’est
exprimé devant la Cour, au cours de l’instance relative à la demande en indication de
mesures conservatoires :
« La lutte contre l’impunité ne doit pas occulter le devoir non moins important que nous
avons tous de reconnaître à l’accusé, quelle que soit la gravité des faits dont on l’accuse,
une présomption d’innocence jusqu’à ce qu’intervienne contre lui une déclaration de
culpabilité à l’issue d’un procès équitable et c’est ce procès équitable que le Sénégal
prépare.
C’est compte tenu de tous ces motifs que le Sénégal n’a pas encore démarré le procès
redoutant qu’il ne soit entrecoupé de longues pauses pour rechercher des fonds, des fonds
hypothétiques. Il faut donc un financement préalable et suffisant pour en assurer la
continuité jusqu’au bout conformément à notre droit interne » . 7
7
CR
2009/9,
6
avril
2009,
p.30,
par.53
(Kandji)
28III – Devant la Cour de Justice de la CEDEAO
115. La Belgique apporte un autre élément dans son Mémoire : une instance engagée devant
la Cour de justice de la Communauté Economique des Etats de l’Afrique de l’Ouest
(CEDEAO), et qui a effectivement donné lieu à un arrêt rendu le 18 novembre 2010.
116. La Belgique a déposé son Mémoire avant que la décision précitée n’ait été rendue. Elle
n’a donc articulé aucun développement s’y rapportant. Mais il convient, là également, de
rappeler les éléments du débat pour constater qu’ils ne changent rien aux termes de la saisine
de la Cour Internationale de Justice de La Haye, ni aux positions de la République du
Sénégal.
117. C’est M. Hissène Habré qui, lui-même, a pris l’initiative d’assigner l’Etat du Sénégal
devant la Cour de la CEDEAO à la suite de l’adoption de mesures législatives et
règlementaires générales, entrant dans le cadre de la conformation du droit national
sénégalais aux obligations découlant de la qualité d’Etat Partie à la Convention de 1984. Le
demandeur, M. Habré a alors saisi la Cour de la CEDEAO à l’effet de l’entendre :
« - Dire et juger que toutes les poursuites engagées sur les fondements évoqués dans la
requête seraient de nature à perpétuer des violations de droits de l’homme ;
- Dire et juger que la violation de ces principes et droits fait obstacle à la mise en
œuvre de toute procédure à l’encontre de Monsieur Hissène Habré ;
- Ordonner en conséquence à la République du Sénégal de se conformer aux droits et
principes ci-dessus rappelés et de cesser toutes poursuites et/ou actions à l’encontre
de Monsieur Hissène Habré » . 8
Dans son arrêt du 18 novembre 2010, rendu sur le fond, la Cour
- « Constate l’existence d’indices concordants de probabilité de nature à porter atteinte
aux droits…de Monsieur Hissène Habré, sur la base des réformes constitutionnelles
et législatives opérées par l’Etat du Sénégal
- Dit qu’à cet égard l’Etat du Sénégal doit se conformer au respect des décisions rendues
par ses juridictions nationales, notamment au respect de l’autorité de la chose jugée
8
Cour
de
Justice
de
la
CEDEAO,
Hissène
Habré
c.
République
du
Sénégal,
exceptions
préliminaires,
arrêt
avant
dire
droit,
14
mai
2010,
par.2
29 - En conséquence, la Cour ordonne au Sénégal le respect du principe absolu de non
rétroactivité
- Dit que le mandat reçu par lui de l’Union africaine lui confère plutôt une mission de
conception et de suggestion de toutes modalités propres à poursuivre et faire juger dans
le cadre strict d’une procédure spéciale à caractère international, telle que pratiquée
en droit international par toutes les nations civilisées ;
- Rejette toutes les autres demandes de Monsieur Hissène Habré comme étant
inopérantes »
118. Tel est le verdict qui a été rendu. Le Gouvernement de la République du Sénégal en a
pris acte. La ligne de défense qui a été celui de la République du Sénégal devant cette Cour
communautaire n’a, à aucun moment, été directement remise en question, ni par la Cour
elle-même, ni, au demeurant, par la Partie adverse. Elle consiste à rester fidèle aux principes
du droit international, selon lesquels un Etat qui contracte un engagement international doit
en tirer toutes les conséquences au plan national. Les mesures que le Sénégal a entrepris de
prendre – et qui ont été pour l’essentiel définitivement adoptées depuis quelque temps –
s’inscrivent d’abord dans la perspective de cette mise en conformité, dont le défaut lui a
valu, on l’a vu, une remontrance du Comité des Nations Unies contre la torture.
119. Le Sénégal considère que la décision rendue par la Cour de justice de la CEDEAO est
venue constituer un évènement important dont la survenue érige un conflit entre deux
obligations poursuivant des finalités différentes, voire opposées : celles de juger à défaut
d’avoir extradé, d’une part, et celle de ne pas juger (au moyen des tribunaux nationaux),
d’autre part. L’option de juger qui a toujours été la sienne, et qui est encore aujourd’hui
rappelée devant la Cour, se trouve subitement entravée par un évènement extérieur qui
installe l’Etat du Sénégal dans un dilemne étourdissant qu’il convient de rompre afin
d’écarter toute paralysie au regard de l’obligation de respecter des engagements au
demeurant valides dans leurs fondements. Il sied, dès lors, de faire en sorte que le parti de
juger ne soit annihilé par l’immobilisme que prône la Cour de Justice de la CEDEAO.
30 CHAPITRE 3 – LES OBSTACLES A L’EXAMEN DU FOND DE LA REQUETE
120. Le Sénégal estime que les moyens invoqués par le Royaume de Belgique au soutien de
sa demande tendant à faire dire et juger que le Sénégal a violé ses obligations internationales
et plus particulièrement les obligations nées de la Convention contre la torture en s’abstenant
de modifier sa législation interne et de poursuivre pénalement Hissène Habré ne sont pas
fondés et les conclusions qui seront subsidiairement présentées sur le fond en fourniraient
une parfaite démonstration.
121. Mais d’ores et déjà, le Sénégal prie solennellement la Cour de constater non seulement
l’absence de différend entre les Parties, ce qui devrait conduire la Cour à se déclarer
incompétente, mais aussi et surtout l’inexécution par l’Etat requérant de son obligation
d’engager la procédure de négociation et d’arbitrage avant toute saisine de la Cour, ce qui
devrait entraîner l’irrecevabilité de la requête belge.
I L’absence manifeste de différend sur l’interprétation et l’application de la
Convention des Nations Unies du 10 décembre 1984 contre la torture
122. La Cour a toujours eu la sagesse de vérifier sa compétence avant de se prononcer sur le
bien fondé de la demande qui lui est présentée. Or celle-ci est intimement liée à l’existence
d’un différend.
123. En effet la condition première de la juridiction contentieuse de la Cour Internationale
de Justice est l’existence même d’un contentieux. Cette exigence se trouve dans la notion de
« différend », qui figure d’abord à l’article 38 du Statut de la Cour :
« La Cour, dont la mission est de régler conformément au droit international les différends
qui lui sont soumis, applique… ».
124. L’exigence d’un différend figure ensuite sur tous les instruments susceptibles de fonder
l’aptitude de la Cour à connaître de la présente affaire.
125. Tel est le cas d’abord dans l’article 30 paragraphe 1 de la Convention dont l’application
est en cause, la Convention de 1984 contre la torture :
31« Tout différend entre deux ou plus des Etats concernant l’interprétation ou l’application de
la présente Convention qui ne peut être réglé par voie de négociation est soumis à
l’arbitrage à la demande de l’un d’entre eux. Si dans les six mois qui suivent la date de la
demande d’arbitrage, les parties ne parviennent pas à se mettre d’accord sur l’organisation
de l’arbitrage, l’une quelconque d’entre elles peut soumettre le différend à la Cour
Internationale de Justice en déposant une requête conformément au Statut de la Cour ».
126. Le concept de « différend » est également présent dans les déclarations d’acceptation
de la juridiction obligatoire de la Cour, souscrites par les deux Etats. La déclaration de la
Belgique, en date du 3 avril 1958, évoque l’acceptation de la juridiction de la Cour par cet
Etat, pour
« tous les différends d’ordre juridique nés après le 13 juillet 1948 au sujet de situations ou
de faits postérieurs à cette date ».
127. Pour sa part, la déclaration d’acceptation de la juridiction de la Cour faite par le
Sénégal et datée du 2 octobre 1985 énonce que celle-ci s’applique à
« tous les différends d’ordre juridique nés postérieurement à la présente déclaration ».
128. La Cour s’est toujours, au demeurant, attachée à vérifier si derrière sa saisine, se
cachait effectivement un différend. Dans l’affaire des « Concessions Mavrommatis en
Palestine », qui a donné lieu à l’arrêt du 30 août 1924, la juridiction internationale saisie
estime qu’
« avant de rechercher si l’affaire des concessions Mavrommatis concerne l’interprétation
ou l’application du Mandat et si, dès lors, elle rentre, par sa nature et par son objet, dans la
juridiction prévue (…). Est-on bien en présence d’un différend entre l’Etat mandataire et un
autre membre de la Société des Nations ? D’un différend qui ne soit pas susceptible d’être
réglé par des négociations ? »
129. Puis la Cour livre une définition, devenue aujourd’hui classique dans le droit
international, de la notion de « différend » :
« Un différend est un désaccord sur un point de droit ou de fait, une opposition de thèses
juridiques ou d’intérêts entre deux personnes ».
32130. D’autre part, dans la mesure où la Convention de 1984 subordonne la saisine de la CIJ
à l’échec de négociations engagées par les Parties – comme dans l’affaire « Mavrommatis »
-, il est intéressant de s’attarder sur ce que la Cour entend par échec des négociations. Pour
la Cour, une négociation peut être considéré comme infructueuse lorsque
« elle a rencontré un point mort, si elle s’est heurtée finalement à un non possumus ou à un
non volumus péremptoire de l’une des Parties et qu’ainsi il est apparu avec évidence que le
différend n’est pas susceptible d’être réglé par une négociation diplomatique » . 9
131. Dans son Avis du 30 mars 1950, sur l’ « Interprétation des traités de paix », la Cour a
réitéré sa définition de la notion de « différend ». Elle a bien indiqué que
« des différends internationaux se sont produits » lorsque
« les points de vue de deux parties quant à l’exécution ou la non-exécution de certaines
10
obligations découlant des traités étaient nettement opposés » .
132. Puis dans son arrêt sur le « droit de passage en territoire indien », la Cour se réfère aux
11
« dispositions de droit nettement définies et s’opposant les unes aux autres » .
133. Enfin dans l’affaire du « Cameron septentrional », la Cour a estimé qu’
« il suffit de constater que, eu égard aux faits déjà exposés dans le présent arrêt, les
positions opposées des Parties pour ce qui concerne l’interprétation et l’application des
articles pertinents de l’accord de tutelle révèlent l’existence entre la République du
Cameroun et le Royaume Uni, à la date de la requête, d’un différend au sens admis par la
jurisprudence de la Cour actuelle et de l’ancienne Cour » . 12
134. Dans la configuration soumise à la Cour dans la présente affaire, peut-on dire qu’entre
la Belgique et le Sénégal, il existe un « désaccord sur un point de droit ou de fait, une
opposition de thèses juridiques », ou encore des « points de vue nettement opposés » ?
135. La République du Sénégal en a toujours douté, et ce depuis le début de l’affaire. Il n’ya
jamais eu, à vrai dire, une opposition ou un refus manifesté par le Sénégal quant au principe
ou à l’étendue des obligations impliquées par la Convention contre la torture. A aucun
9
10
CPJI,
aff
des
«
Concessions
Mavrommatis
en
Palestine
»,
Rec
CPJI,
série
A
n°2
et
série
C
n°5,
p11.
11
CIJ,
Rec
1950
p.74.
CIJ
Rec
1960
p
34.
12
CIJ
Rec
1963
p.
38.
33moment, les Parties en cause ne se sont opposées sur le sens ou la portée à conférer à leur
obligation centrale, celle de « juger ou extrader ». Rien, dans les thèses de la Belgique, ne
vient contredire l’interprétation que le Sénégal fait de la Convention. Tout au plus – et on l’a
montré plus haut – la Belgique pourrait-elle avancer que les modalités – et encore ! – par
lesquelles le Sénégal entend s’acquitter de ses engagements ne correspondent pas à sa propre
compréhension des choses, ou encore au rythme auquel elle souhaiterait que ces choses
aillent, mais il n’y a certainement pas matière à un débat sur « les principes », exigence que
la Cour semble avec constance maintenir et consolider à travers sa jurisprudence qui vient
d’être citée.
136. Faisant écho à cette conception de la Cour, une partie de la doctrine du droit
international public a pu écrire que
« le désaccord, l’opposition…ne sont constitutifs d’un différend que s’ils se manifestent à
l’occasion d’une réclamation adressée par un Etat à un autre et à laquelle celui-ci refuse de
faire droit ; le contentieux international n’inclut ni les disputes abstraites…ni même des
différences d’appréciation sur la conduite à tenir dans une espèce déterminée : son concept
implique l’expression de prétentions, et pas seulement de thèses, contradictoires et le
différend n’apparaît que là où un Etat réclame d’un autre un certain comportement et se
heurte au refus de celui-ci » . 13
137. Ce n’est donc pas parce qu’un Etat affirme l’existence d’un différend avec un autre
que, nécessairement, ce désaccord existe. L’examen de la pratique de la Cour elle-même
révèle qu’il appartient au juge, et à lui seul, de décider s’il existe ou non un différend entre
les parties, le fondement juridique de la qualification d’un différend ne résidant pas dans la
volonté subjective des Etats. Dans l’Avis sur l’ « Interprétation des traités de paix », la
Cour affirme que
« l’existence d’un différend international doit être établie objectivement » . 14
Dans son arrêt du 21 décembre 1962 rendu dans l’affaire du « Sud Ouest africain », la Cour
affirme qu’
« il ne suffit pas que l’une des parties à une affaire contentieuse affirme l’existence d’un
différend avec l’autre partie. La simple affirmation ne suffit pas pour prouver l’existence
13
Jean
Combacau
et
Serge
Sur,
Droit
international
publ
ed,
2008,
p.556.
C’est
nous
qui
soulignons
le
terme
«
refus
».
14
CIJ,
Rec.
1950,
p.74.
34d’un différend, tout comme le simple fait que l’existence d’un différend est contestée ne
prouve pas que ce différend n’existe pas » . 15
Dans le même arrêt, la Cour précise encore qu’
« il faut démontrer que la réclamation de l’une des parties se heurte à l’opposition
16
manifeste de l’autre » .
138. De fait, devant la demande que la Belgique face à la Cour, il y a de sérieux risques de
voir celle-ci, si elle l’accueillait favorablement, de rendre un « jugement déclaratoire », ce
qu’elle s’est refusée à faire.
B – Le risque de rendre un jugement purement déclaratoire
139. La Cour est l’ « organe judiciaire principal des Nations Unies », conformément aux
termes de la Charte de l’ONU elle-même. Cette qualité, ainsi que la mission qu’elle
implique, ont toujours été pensées par la Cour, et ce depuis fort longtemps, comme excluant
un office qui se cantonnerait à la simple déclaration solennelle du droit applicable,
abstraction faite de l’incidence d’une telle juridiction sur la réalité. La Cour s’est montrée
soucieuse de résoudre concrètement les différends qui lui sont soumis.
140. Elle a ainsi toujours préféré les solutions pragmatiques, concrètement efficaces, sur les
jugements purement déclaratoires du droit. Il convient de rappeler ici ce que la Cour disait
elle-même dans l’affaire du « Cameroun septentrional », dans son arrêt du 2 décembre
1963 :
« La fonction de la Cour est de dire le droit, mais elle ne peut prendre des arrêts qu’à
l’occasion de cas concrets dans lesquels il existe, au moment du jugement, un litige réel
impliquant un conflit d’intérêts juridiques entre les Parties. L’arrêt de la Cour doit avoir
des conséquences pratiques en ce sens qu’il doit pouvoir affecter les droits et obligations
juridiques existants des parties, dissipant ainsi toute incertitude dans leurs relations
juridiques ».
141. Dans l’affaire relative à « Certaines dépenses des Nations Unies » (Avis rendu par la
Cour en 1962), le Juge KORETSKY s’exprimait ainsi dans son Opinion Dissidente :
1
CIJ
Rec
1962,
p.319.
1
Ibid.
p.328.
C’est
nous
qui
soulignons
l’expression
«
opposition
manifeste
».
35« la Cour ne saurait fermer les yeux à la réalité. L’image de Themis les yeux bandés n’est
17
qu’un symbole de conte de fées tiré de la mythologie » .
142. Sur la base d’une telle approche, la Cour a toujours refusé de trancher des litiges
dépourvus d’incidence concrète, des solutions sans lien avec la réalité dans laquelle se
trouvent les Parties. Dès lors qu’une difficulté qui s’élève entre Etats a été résolue ou
résorbée, la Cour s’abstient d’énoncer un verdict qui courrait ainsi le risque de ne point
influer sur la situation telle qu’elle se présente au moment où elle est saisie.
143. Telle est la source directe de la jurisprudence relative aux actes unilatéraux.
« Il est reconnu que des déclarations revêtant la forme d’actes unilatéraux et concernant
des situations de droit ou de fait peuvent avoir pour effet de créer des obligations juridiques.
Des déclarations de cette nature peuvent avoir et ont souvent un objet précis. Quand l’Etat
auteur de la déclaration entend être lié conformément à ses termes, cette intention confère
à sa prise de position le caractère d’un engagement juridique, l’Etat intéressé étant
désormais tenu en droit de suivre une ligne de conduite conforme à sa déclaration. Un
engagement de cette nature, exprimé publiquement et dans l’intention de se lier, même hors
du cadre de négociations internationales, a un effet obligatoire. Dans ces conditions,
aucune contrepartie n’est nécessaire pour que la déclaration prenne effet, non plus qu’une
acceptation ultérieure ni même une réplique ou une réaction d’autres Etats, car serait
incompatible avec la nature strictement unilatérale de l’acte juridique par lequel l’Etat s’est
prononcé ».
144. L’arrêt du 20 décembre 1974 ajoute :
« Dés lors la Cour a constaté qu’un Etat a pris un engagement quant à son comportement
futur, il n’entre pas dans sa fonction d’envisager que cet Etat ne le respecte pas ».
145. Puis la Cour conclut, compte tenu des déclarations unilatérales faites par les autorités
françaises, que
« la demande de l’Australie est désormais sans objet ».
17
CIJ
Rec
1962
p
268
36146. Il y a dans ces jurisprudences de la Cour un souci de réalisme judiciaire dont
l’application nous semble particulièrement opportune à cette affaire. La demande de la
Belgique est porteuse d’une dynamique qui entraînerait la Cour à rendre un véritable
jugement déclaratoire. Dès lors que le Sénégal a pris une position claire quant à l’application
de la Convention de 1984 contre la torture, dès lors qu’allant au-delà d’une simple
déclaration de volonté il a pris les actes préparatoires à l’exécution d’un engagement précis
– qui est celui de « juger » -, il n y a aucune raison qu’il soit demandé à la Cour de troubler
cette configuration claire, de rendre artificiellement conflictuelle une situation qui ne l’est
pas dans le fond.
147. La Cour s’est toujours montrée préoccupée, moins de dire simplement le droit, que de
vider définitivement les différends qui lui sont soumis. Au demeurant, cette préoccupation
n’était pas absente chez sa devancière, la Cour Permanente de Justice Internationale (CPJI).
Dans l’affaire « Usine de Chorzov », la Cour a rappelé la nécessité de prendre en
considération les conséquences pratiques de son verdict pour justifier son raisonnement
interprétatif. Elle indiquait clairement qu’
« une interprétation qui obligerait la Cour à s’arrêter à la simple constatation que la
convention a été inexactement appliquée, ou qu’elle est restée sans application, sans
pouvoir fixer les conditions dans lesquelles les droits lésés peuvent être rétablis, irait à
l’encontre du but plausible et naturel de la disposition, car une pareille juridiction, au lieu
de vider définitivement un différend, laisserait la porte ouverte à de nouveaux litiges » .8
148. En vérité, des considérations d’opportunité entrent, forcément, dans l’office du juge en
général, et du juge international en particulier. La Cour a toujours pensé son office en
corrélation avec l’apaisement des tensions, l’ajustement des situations conflictuelles. La
spécificité de la fonction judiciaire d’un organe des Nations Unies se trouve bien là. La Cour
est au service de la finalité même de l’ONU, elle ne peut pas être considérée comme un
corps à part, détaché de la logique et de la mission des Nations Unies. Il s’agit là d’une tâche
que la Charte lui a d’ailleurs assignée.
149. Une telle spécificité a toujours été considérée par l’organe judiciaire lui-même comme
impliquant une certaine prise de distance vis-à-vis de la manière dont les Etats plaideurs
1818
CPJI
Série
A
n°9,
p.25,
«
usine
de
Chorzov
»,
(Compétence).
37posent les problèmes devant lui. La Cour a une certaine liberté à cet égard. Non seulement
elle n’est pas liée par les qualifications que les Parties lui soumettent – ce qui est un principe
de procédure judiciaire assez largement partagé – mais elle reste maîtresse de l’opportunité
même de juger, ne décelant pas nécessairement matière à juger là où des Etats pourraient en
voir. Dans l’affaire des « Essais nucléaires » précédemment citée, elle considérait encore
qu’il lui appartient, après avoir écouté des Parties, de
« Circonscrire le véritable problème en cause » . 19
150. Les exigences de la mission judiciaire de la Cour l’emportent parfois sur une
interprétation excessive du « principe dispositif », celui-là qui veut que le procès soit la
chose des Parties.
151. Lors de l’examen de la demande d’avis sur « Certaines dépenses des Nations Unies »,
la Coura estimé, après avoir proclamé son pouvoir de statuer sur la question de la conformité
des dépenses avec la Charte, qu’elle devait voir si elle
« croit opportun de l’aborder ».
152. Plus loin, la Cour écrit, plus explicitement encore, qu’elle
« doit avoir la pleine liberté d’examiner tous les éléments pertinents dont elle dispose pour
se faire une opinion » .20
153. La liberté de la Cour dans l’appréciation des termes et de la portée des éléments de
litige qui lui sont soumis a également été soulignée par le juge LAUTERPACHT dans son
Opinion individuelle dans l’affaire relative à l’audition des pétitionnaires par le Comité du
Sud ouest africain. Il considérait dans cette Opinion que la Cour possède
« une latitude considérable pour interpréter la question qu’on lui pose, ou pour formuler sa
21
réponse de manière à rendre son rôle …utile et efficace » .
154. Dans l’affaire du « Sahara Occidental », la Cour a établi que sa fonction
« est de donner un avis dès lors qu’elle abouti à la conclusion que la question qui lui est
posée est pertinente, qu’elle a un effet pratique à l’heure actuelle et qu’elle n’est pas
dépourvue d’objet ou de but » . 22
19
Rec
CIJ
1974,
par.29.
20
CIJ,
Rec
1962
p157.
21
Opinion
individuelle
du
juge
LAUTERPACHT,
Rec
CIJ
1956,
p36.
38155. Il en est ainsi parce que la Cour a toujours cultivé une conception constructive de son
rôle, au point de considérer que son droit de redéfinir les termes du litige à elle soumis
relevait de « pouvoirs inhérents » à sa fonction. Elle l’a énoncé, dans la même affaire des
« Essais nucléaires », dont la similitude avec le présent cas est frappante à plus d’un titre :
« Il convient de souligner que la Cour possède un pouvoir inhérent qui l’autorise à prendre
toute mesure voulue, d’une part pour faire en sorte que, si sa compétence au fond est
établie, l’exercice de cette compétence ne se révèle pas vain, d’autre part pour assurer le
règlement régulier de tous les points en litige…Un pouvoir inhérent de ce genre, sur la base
duquel la Cour est pleinement habilitée à adopter toute conclusion éventuellement
nécessaire aux faits qui viennent d’être indiqués découle de l’existence même de la
Cour… » 23
156. Mais c’est dans la netteté de la motivation qui clôt son raisonnement que se trouve
l’importance de cette décision, relativement au litige qui oppose aujourd’hui le Sénégal à la
Belgique. La Cour a pris acte des déclarations des autorités françaises, indiqué la portée de
tels actes unilatéraux et conclu à la non pertinence d’une approche contentieuse de la
question qui lui était soumise. Lorsqu’un Etat, dans l’ordre international, proclame son
intention non seulement de poser un acte déterminé, mais accomplit celui-ci dans le cadre
d’obligations conventionnelles ne posant aucun problème d’interprétation, il n’y a pas de
raison de ne pas prendre en compte une telle proclamation, et de considérer que sur ce point
précis, il n’y a pas matière à contentieux. C’est là une conception simple et logique, qui
s’accorde parfaitement avec les exigences d’une vie sociale, comme l’est l’ordre
international. La Cour, dans l’affaire des « Essais nucléaires », a formulé une pétition de
principe parfaitement applicable au différend dont elle est saisie aujourd’hui :
« La Cour, indiquait-elle, ne voit pas de raison de laisser se poursuivre une procédure
qu’elle sait condamnée à rester stérile. Si le règlement judiciaire ne peut ouvrir la voie de
l’harmonie internationale lorsqu’il existe un conflit, il n’est pas moins vrai que la vaine
2
CIJ
Rec.
1975,p.37.
23
Rec
CIJ
1974
§23
39poursuite d’un procès compromet cette harmonie ( ...)Il n’entre pas dans la fonction
juridictionnelle de la Cour de traiter des questions dans l’abstrait » . 24
157. La réticence que la Cour manifeste à l’égard des jugements purement déclaratoires est
commandée par une appréciation réaliste. En l’espèce, non seulement le Sénégal a posé des
actes caractéristiques d’un commencement d’exécution de ses obligations, mais il est délicat
d’imaginer les implications d’une acceptation de la demande formulée par la Belgique.
Imagine-t-on en effet la Cour demander au Sénégal d’exécuter un engagement que cet Etat
lui-même a commencé à accomplir ? Sauf à entraîner la Cour dans une logique
excessivement directive de son rôle, consistant alors à donner de véritables injonctions aux
Etats, à leur dresser un calendrier précis et rigoureux de l’exécution de leurs obligations, on
ne voit pas comment la prétention du Royaume de Belgique pourrait être accueillie. Les
enseignements de la jurisprudence relative à l’affaire du « Cameroun septentrional » sont
également suggestifs. La Cour s’y montre très préoccupée de l’impact objectif de son arrêt,
en déclarant que si elle
« devait poursuivre l’affaire et déclarer toutes les allégations du demandeur justifiées au
fond, elle n’en serait pas moins dans l’impossibilité de rendre un arrêt effectivement
25
applicable » .
158. Un arrêt rendu dans les conditions que la demande belge a suscitées ne serait que
d’une utilité douteuse. Il n’aiderait ni la Belgique, ni le Sénégal à s’acquitter de leurs
obligations, elle pourrait au contraire constituer une sorte d’accident dans un processus
normal, celui dans lequel un Etat acquiesce à une demande faite par un autre Etat, dans le
cadre d’une Convention à laquelle ils sont tous deux Parties. En l’occurrence, la Belgique
prie la Cour de dire que le Sénégal doit juger ou extrader M. Hissène Habré. Or, le Sénégal,
en vertu de la Convention contre la torture de 1984, à laquelle il est Partie, et qui admet le
refus d’extrader à condition de juger, s’est longtemps attelé à mettre en œuvre toutes les
mesures nécessaires pour le jugement de M. Habré.
159. Le Sénégal est d’avis que la répression des faits visés par la Convention contre la
torture est un impératif catégorique pour tous les Etats. La lutte contre l’impunité, dont la
Belgique a bien voulu rappeler l’importance et le consensus auquel il avait donné lieu,
2
CIJ,
Rec.
p.58.
2
CIJ
Rec
1963,
p.33
40particulièrement au moment de l’adoption de la Convention de 1984, est une nécessité qui
s’impose à la communauté internationale dans son ensemble. Le Sénégal est un Etat attaché
à la répression des crimes énoncés dans cet instrument international. Il considère, pour cela,
qu’il ne doit ménager aucun effort dans cette lutte contre les violations du droit international.
Cette position n’a pour lui rien d’exceptionnel, son évidence est à la mesure de la gravité des
faits auxquels elle s’applique.
160. Le Sénégal aurait souhaité que le consensus sur la répression des faits de torture ne soit
assombri par aucun nuage de suspicion, par aucune initiative pouvant créer l’impression que
dans la lutte contre l’impunité, il y a des volontés étatiques qui flanchent ou faiblissent.
161. Aujourd’hui comme hier, il reste déterminé à rester dans le concert des nations qui
refusent que des pratiques qui heurtent la conscience universelle puissent rester sans être
jugées.
162. Ainsi, pour éviter de rendre des décisions purement déclaratoires, la Cour
n’examine pas au fond la demande qui lui est présentée, s’il lui apparait que l’affaire
qui lui est soumise échappe à sa compétence, ce qui est le cas en l’espèce, en raison de
l’absence de tout différend entre les parties.
163. Dans la présente affaire, la Belgique fonde la compétence de la Cour sur les
dispositions de l’article 30 de la Convention des Nations Unies du 10 décembre 1984 contre
la torture et autres traitements et peines cruels, inhumains ou dégradants. Selon elle quatre
conditions doivent être réunies pour qu’une partie puisse soumettre à la Cour une demande
sur le fondement de ce texte :
-« Il faut un différend entre deux ou plusieurs des Etats parties concernant l’interprétation ou
l’application de la […] Convention ;
-le différend ne peut être réglé par voie de négociation ;
-une des parties au différend doit avoir demandé qu’il soit soumis à l’arbitrage ; -et dans les
six mois qui suivent la demande d’arbitrage, les parties ne parviennent pas à se mettre
d’accord sur l’arbitrage. »
41164. Cette argumentation n’est pas nouvelle. La Belgique l’avait déjà développée dans son
l’acte introductif d’instance et dans sa demande en indication de mesures conservatoires en
ces termes : Les deux Etats sont parties à la Convention des Nations Unies du 10 décembre
1984 contre la torture depuis le 21 août 1986 (Sénégal) et le 25 juin 1999 (Belgique). La
convention est en vigueur depuis le 26 juin 1987. L’article 30 de la Convention dispose que
tout différend entre deux Etats parties concernant l’interprétation ou l’application de la
Convention qui n’a pas pu être réglé par voie de négociation ou d’arbitrage peut être soumis
à la CIJ par les Etats. In Casu, la Belgique négocie avec le Sénégal depuis 2005 pour que
celui-ci poursuive directement M. Hissène Habré à défaut de l’extrader vers la Belgique. Le
Sénégal n’ayant pas donné concrètement suite à cette alternative, la Belgique se trouve
confrontée à une situation de « non possumus non volumus qui épuise l’obligation de
résoudre le différend par la négociation » (V. paragraphe 14, alinéa 1 de l’acte introductif
d’instance du 16 février 2009)
165. Le Sénégal doute sincèrement de l’existence ou de la réalité d’une telle contrariété des
positions défendues par les deux Etats devant la Cour. L’exécution d’une obligation a été
exigée, le destinataire de cette sollicitation a solennellement affirmé sa volonté d’assumer
cette obligation, l’affaire aurait pu en rester là, le reste étant une affaire de confiance
réciproque et de bonne foi. La Belgique aurait été fondée à saisir la Cour si le Sénégal avait
exprimé un quelconque point de vue se traduisant par une mise en sommeil de ses
engagements, ou débouchant sur des appréciations divergentes de ceux-ci. Or, il n’est rien
de tout cela.
166. Pour le Sénégal, un examen, même superficiel de la requête présentée par le Royaume
de Belgique, révèle l’absence de tout différend juridique réel dans cette affaire. Il résulte en
effet clairement des termes de ladite requête que la Belgique demande à la Cour de dire et
juger que la République du Sénégal est obligée de poursuivre pénalement Mr Hissène
Habré . Or le Sénégal a déjà pris toutes les dispositions appropriées pour arriver à cette fin
et les actes posés jusqu’ici montrent sa volonté de tenir le procès.
167. A ce jour, le Sénégal a achevé toutes les réformes utiles sur le plan juridique pour se
donner les moyens de tenir un procès juste et équitable, dans un délai raisonnable. A cet
égard, des modifications ont été apportées non seulement aux règles pénales de fond et de
42forme, mais également à la constitution, de telle sorte que désormais il n’y a plus aucun
obstacle d’ordre juridique de nature à empêcher l’exercice des poursuites.
168. Comment peut-on parler d’un différend à propos de l’interprétation et de l’application
de la Convention de 1984 alors que le Sénégal a rempli toutes les conditions que ladite
convention met à sa charge?
169. On peut relever à cet égard, l’introduction dans le code pénal sénégalais de dispositions
(articles 431-1 à 431-5) qui prévoient et répriment le crime de génocide, les crimes contre
l’humanité, le crime de guerre et, de manière générale, les crimes relevant du droit
international humanitaire. Ces dispositions peuvent parfaitement, même si elles ont été
introduites dans le dispositif législatif sénégalais postérieurement aux faits reprochés à Mr
Hissène Habré, servir de base à des poursuites, puisqu’elles sont déclarées expressément
rétroactives, comme le permet la Constitution. Il convient de rappeler que notre Loi
Fondamentale prévoit, dans son état actuel, une dérogation au principe de la non-
rétroactivité pour les actes et omissions qui, au moment où ils sont intervenus, étaient tenus
pour criminels d’après les règles du droit international relatives aux faits de génocide,
crimes contre l’humanité et crimes de guerre.
170. Ces réformes du droit pénal de fond sont accompagnées de modifications profondes des
règles de compétence et de procédure : il y a une extension de la compétence internationale
des juridictions sénégalaises qui peuvent désormais juger certains crimes commis à
l’étranger par des étrangers ; par ailleurs il y a la garantie d’une célérité dans les procédures
judiciaires en vue de satisfaire aux exigences d’un procès équitable dans un délai
raisonnable.
171. Cette intense activité législative ne pourrait cependant produire les effets escomptés si
les organes et les moyens adéquats n’étaient pas en place ; c’est ce qui explique que depuis
longtemps les autorités compétentes aient procédé à la désignation de quatre juges
d’instruction, de trois magistrats du parquet, d’un pool de greffiers et de secrétaires, d’un
coordonnateur et d’un Comité de Suivi et de communication. Cela démontre la volonté des
autorités sénégalaises de créer les conditions d’un jugement dans de bonnes conditions de
M. Hissène Habré.
43172. Le Sénégal a posé tous ces actes puisqu’il estime que ses juridictions, compte tenu de
l’étendue de leur compétence, sont bien placées pour conduire le procès envisagé.
173. Outre la présence de Mr Hissène Habré sur le territoire sénégalais- ce qui constitue un
facteur non négligeable ne serait-ce que parce qu’elle évite toutes les complications liées à
une demande d’extradition- l’option pour la compétence universelle qui est celle du Sénégal
permet aux juridictions sénégalaises de connaître de tous les faits en cause, quelle que soit la
nationalité des victimes.
174. La Belgique en ce qui la concerne, faut-t-il le rappeler, a procédé à une modification
de sa législation en liant la compétence de ses juridictions, pour certains faits commis à
l’étranger, à certains critères de rattachement, de sorte que la compétence personnelle
passive, seul fondement possible de l’exercice des poursuites devant les juridictions belges,
restreint singulièrement la saisine de celles-ci, puisqu’elles ne pourront connaître que des
faits dont seraient victimes des personnes ayant la nationalité belge.
175. S’il n’y avait pas ouverture d’une information judiciaire, c’est parce que le Sénégal
voulait s’assurer que toutes les conditions nécessaires, notamment financières, sont réunies
pour que le procès se fasse dans un délai raisonnable. Le Sénégal est en effet convaincu que
toute personne a le droit, quelle que soit la gravité des faits qui lui sont imputés, d’être
jugée dans un délai raisonnable ; pour cette raison, il ne peut prendre le risque de
commencer un procès qui pourrait être interrompu en raison de l’insuffisance des ressources.
La procédure une fois déclenchée doit être menée jusqu’à son terme sans être entrecoupée
de pauses plus ou moins longues destinées à permettre de mobiliser des fonds en vue de son
financement comme on le voit devant certaines juridictions internationales.
176. Il est vrai que depuis la saisine de la Cour, l’affaire a connu une évolution avec l’arrêt
de la Cour de Justice de la CEDEAO. Le Sénégal a ainsi exploré, en relation avec l’Union
africaine, les moyens permettant de surmonter l’obstacle posé par cet arrêt.
177. Par ailleurs, la Belgique a manifestement « fabriqué » un différend pour saisir la Cour.
Comment peut-elle, avec toutes les modifications intervenues dans le code de procédure
pénale pour permettre aux juridictions sénégalaises de juger les infractions commises à
44l’étranger par des étrangers dès lors qu’elles sont qualifiées « tortures », demander à la Cour
de dire et juger que :
« 1) a) le Sénégal a violé ses obligations internationales en n’ayant pas introduit dans son
droit interne les dispositions nécessaires permettant aux autorités judiciaires sénégalaises
d’exercer la compétence universelle prévue par l’article 5, paragraphe 2 de la Convention
contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants » ?
178. Comment peut-il exister un différend sur l’interprétation et l’application de la
Convention dès lors que le Sénégal a rempli toutes ses obligations ?
179. Ces arguments devraient achever de convaincre sur l’absence de tout différend réel
entre les Parties surtout si l’on se réfère à la jurisprudence de la Cour (CIJ ; arrêt de 30 août
1924, Concessions Mavrommatis en Palestine).
180. Il n’est pas nécessaire, dans le cas d’espèce, de se livrer à une analyse approfondie des
prétentions du Requérant pour se rendre compte qu’il n’y a aucune opposition entre les
parties à l’occasion d’une réclamation adressée par l’une à l’autre et à laquelle celle-ci refuse
de faire droit.
181. Etant donné que les conditions prévues par l’article 30 de la Convention contre la
torture sont, comme l’admet le Royaume de Belgique lui-même, cumulatives, il suffit que
l’une d’elles, en l’espèce l’existence d’un différend, fasse défaut pour que la Cour soit
obligée de se déclarer incompétente.
182. Il est vrai que la Cour avait estimé, lors de l’examen de la demande en indication de
mesures conservatoires qu’elle avait, prima facie, compétence pour connaitre de l’affaire en
vertu de l’article 30 contre la torture de la Convention contre la torture, et donc indiquer, si
c’est nécessaire, les mesures conservatoires. Mais il ne faut pas perdre de vue qu’il s’agit
26
simplement, comme on l’a fait observer d’un « principe de précaution
juridictionnel » que la Cour est amenée parfois à prendre alors même que le
demandeur ne peut invoquer aucun titre de compétence sérieux. Pour cette raison la
2 v.
Pierre-‐M.
Martin,
Un
différend
entre
la
Belgique
et
le
Sénégal
:
l’affaire
Habré
:
D.2009,
p.
5
45décision par laquelle la Cour se déclare compétente prima facie dans le cadre d’une
demande en indication de mesures conservatoires n’a pas l’autorité de la chose jugée, ce qui
fait que lorsqu’ à l’occasion de l’examen du fond, la Cour constate, comme c’est le cas en
l’espèce, qu’il n’y a rien juger, faute de différend actuel, elle doit se déclarer incompétente,
malgré sa précédente décision.
183. Au regard de ce qui précède, le Sénégal demande à la Cour de constater qu’il n y pas
lieu, aujourd’hui, qu’elle exerce sa juridiction, qu’elle dise un droit sur lequel tous les deux
Etats s’accordent, en dépit de la persistance de la Partie belge à affirmer le contraire.
184. Même si la Cour estimait devoir passer outre et retenir sa compétence, l’irrecevabilité
manifeste de la requête résultant de la violation de l’article 30 de la Convention contre la
torture devrait conduire à un rejet, sans examen au fond, des mesures réclamées.
2 L’irrecevabilité de la demande
185. Pour justifier son action devant la Cour, et soutenir que celle-ci est compétente pour
juger le présent litige, le Royaume de Belgique s’appuie d’une part sur les deux déclarations
unilatérales faites par les deux Parties au procès, conformément à l’article 36 du Statut de la
Cour, et, d’autre part, sur les dispositions de l’article 30 de la Convention des Nations unies
du 10 décembre 1984 contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou
dégradants.
186. Aux termes de l’alinéa 1 de cette dernière disposition, «tout différend entre deux ou
plus des Etats parties concernant l’interprétation et l’application de la présente convention
qui ne peut pas être réglé par voie de négociations est soumis à l’arbitrage à la demande de
l’un d’entre eux. Si, dans les six mois qui suivent la date de la demande d’arbitrage, les
parties ne parviennent pas à se mettre d’accord sur l’organisation de l’arbitrage, l’une
quelconque d’entre elles peut soumettre le différend à la Cour Internationale de Justice en
déposant une requête conformément au statut de la Cour ». Deux questions se posent ici.
187. La première question à laquelle la Cour doit répondre est donc celle de savoir si le
Royaume de Belgique, qui a introduit l’instance, s’est conformé à cette disposition. En
46d’autres termes, les voies de la négociation diplomatique, puis de l’arbitrage, ont-elles été
explorées et épuisées ?
188. Dans son Mémoire présenté à la Cour, le Royaume de Belgique évoque, pour faire
référence à ces « négociations », les initiatives suivantes, qu’elle aurait prises :
- le 30 novembre 2005 : « demande » faite au Gouvernement du Sénégal, pour savoir
« quelles sont les implications » d’un arrêt rendu par la Chambre d’Accusation de la Cour
d’Appel de Dakar, et qui consiste en une déclaration d’incompétence. Il convient de préciser
que le Sénégal a répondu, par la voix de son Ambassadeur à Bruxelles, à cette demande. Il
ressort notamment de cette réponse qu’en dépit de la décision judiciaire rendue, la
République du Sénégal entendait évoquer la « question HABRE » au cours du sommet de
l’Union Africaine (UA), qui devait avoir lieu quelques mois plus tard, à Banjul ;
- le 11 janvier 2006 : la Belgique estime elle-même « prendre note » de la décision des
autorités du Sénégal d’évoquer l’affaire devant l’UA, et « se réfère », écrit-elle, à la
procédure de négociation visée à l’article 30 de la Convention de 1984 contre la torture ;
- le 9 mars 2006 : la Belgique « rappelle » la procédure de négociation et « demande »
au Sénégal si l’évocation de l’ « affaire HABRE » signifie que le Sénégal ne va ni extrader
M. HABRE vers la Belgique, ni le juger. Le Sénégal a également répondu à cette
interrogation. Il ressort de cette réponse qu’en évoquant l’affaire devant l’UA, la République
du Sénégal n’entendait nullement se dérober à l’obligation que lui impose la Convention de
1984 (juger ou extrader), mais, au contraire, entendait assumer son devoir de juger.
189. Telles sont, de l’aveu même de la Belgique, et à travers sa description du processus qui
a conduit au procès soumis à la Cour, les principales étapes qui auraient jalonné la
négociation dont l’article 30 de la Convention de 1984 fait un préalable à toute action devant
la Cour Internationale de Justice.
190. La Cour aura ainsi le loisir de constater la liberté que prend l’Etat demandeur dans son
interprétation de l’obligation de négocier. La négociation internationale suppose en effet un
minimum de contacts, un minimum de suivi et de définition des termes de la discussion,
minima dont le Royaume de Belgique a manifestement fait fi dans la présente affaire. Il n’y
47a jamais eu d’offre de négocier, jamais d’échanges caractéristiques d’une négociation
diplomatique. Les seules initiatives évoquées par la Belgique à cet égard sont des adresses
aux Autorités sénégalaises, des questions qui n’appelaient que des réponses, réponses que la
République du Sénégal a toujours apportées. Pourquoi d’ailleurs des négociations devraient-
elles avoir eu lieu dans la mesure où le Sénégal remplit ses obligations ? Une négociation ne
serait concevable et accueillie par le Sénégal que si ce dernier était défaillant, ce qui n’est le
cas comme le Sénégal l’a montré.
191. Tout se passe donc comme si l’Etat demandeur voulait opérer « par surprise » et
assigner la République du Sénégal devant la Cour en interprétant de manière rétrospective
certaines de ses démarches comme se rattachant au préalable exigé dans la Convention
contre la torture de 1984.
192. Tout se passe comme si la volonté de la Belgique d’intenter un procès était préméditée,
le reste, c’est-à-dire ses démarches antérieures, n’étant que formalités ou prétextes, à une
action judiciaire précisément planifiée.
193. L’obligation de négocier n’est pas une directive plus ou moins « vague », impliquant
des devoirs plus ou moins clairs pour les Etats. Elle a un contenu positif que la jurisprudence
internationale a souligné depuis longtemps. Dans la sentence arbitrale rendue le 9 décembre
1978 dans l’affaire concernant « l’Accord relatif aux services aériens du 27 mars 1946 entre
les Etats-Unis d’Amérique et la France », le Tribunal arbitral a rappelé que « L’obligation de
négocier connaît aujourd’hui des formes plus ou moins qualifiées qui lui donnent un contenu
plus ou moins significatif ». A côté de l’obligation très générale de recourir à la négociation
instituée par l’article 33 de la Charte des Nations Unies, et dont le contenu se ramène à des
exigences assez élémentaires, il y a bien d’autres obligations mieux spécifiées. Le Tribunal
rappellera qu’aux termes de l’article VIII de l’Accord de 1946, « dans un esprit d’étroite
collaboration, les autorités aéronautiques des deux Parties contractantes se consulteront
régulièrement en vue de s’assurer de l’application des principes définis au présent Accord ».
Cette disposition institue une obligation de consultation continue entre les Parties.
194. La négociation internationale, telle qu’elle est entendue, implique de la part des Etats
« transparence » et bonne foi. Elle exclut les « effets de surprise » ou des attitudes
48dissimulatrices, elle doit pour ainsi dire s’avouer comme telle. C’est à cette condition qu’elle
est susceptible d’être opposée à un Etat.
195. 35 Le Royaume de Belgique n’a jamais exprimé avec une réelle conviction à la
République du Sénégal son intention de se situer dans le champ de négociations. Comment
d’ailleurs aurait-elle pu le faire dans la mesure où le Sénégal exécutait son obligation ? Il n’a
fait que « rappeler », écrit-il lui-même le préalable posé par l’article 30 de la Convention
contre la torture. Un tel comportement ne correspond pas rigoureusement aux exigences de
la bonne foi dans les relations entre Etats. La Cour elle-même a eu à établir, à plusieurs
reprises, un lien entre l’obligation de négocier et la bonne foi.
196. Dans son Avis consultatif du 8 juillet 1996, relatif à la « licéité de la menace ou de
l’emploi d’armes nucléaires », elle a indiqué, à propos de l’obligation de négocier exprimée
à l’article VI du Traité sur la non-prolifération des armes nucléaires, que cette obligation
« inclut sa propre exécution conformément au principe de bonne foi. Ce principe de base est
énoncé à l’article 2 paragraphe 2 de la Charte. Il a été reflété dans la déclaration sur les
relations amicales entre Etats (résolution 2625 (XXV) du 24 octobre 1970) ainsi que dans
er
l’Acte final de la conférence d’Helsinki du 1 août 1975 ; il a aussi été incorporé à l’article
26 de la Convention de Vienne sur le droit des traités du 23 mai 1969, aux termes duquel
« tout traité en vigueur lie les parties et doit être exécuté par elles de bonne foi ».
197. Dans l’affaire des « Essais nucléaires », l’arrêt du 20 décembre 1974 rendu par la Cour
rappelle également que « l’un des principes de base qui préside à la création et à l’exécution
d’obligations juridiques, quelle qu’en soit la source, est celui de la bonne foi. La confiance
réciproque est une condition inhérente de la coopération internationale, surtout à une époque
où, dans bien des domaines, cette coopération est de plus en plus indispensable » (CIJ, Rec.
1974, p.268 § 46).
198. La relation que la Cour établit entre l’obligation de négocier, le principe de bonne foi et
la confiance réciproque prend un sens particulièrement adéquat dans la présente affaire.
199. La République du Sénégal considère en effet que non seulement le devoir de négocier
n’a pas été correctement observé par l’Etat demandeur, mais que l’action de celui-ci devant
la Cour, et l’espèce de précipitation qui l’accompagne, traduit une forme de défiance et
49d’abus de droit d’ester en justice manifeste que rien n’autorise et ne justifie, au regard des
mesures qu’elle a, à ce jour prises pour organiser le procès de l’ancien chef d’Etat
tchadien…..
200. Dans le contexte actuel, force est de reconnaître que la « négociation » exigée par
l’article 30 de la Convention de 1984 contre la torture n’avait pas de raison d’être et n’a pas
eu lieu. Lorsque l’on a l’intention de s’engager dans un processus de pourparlers, l’on doit
clairement le dire. Des questions plus ou moins « générales », tendant à obtenir des
informations factuelles, ne peuvent y suffire.
201. Le Royaume de Belgique aura donc du mal à démontrer qu’une initiative qui n’a
vraiment jamais eu lieu a échoué. Pour qu’une action judiciaire puisse être initiée contre un
Etat partie à la Convention, il faut en effet que les négociations engagées aient échoué ; il
faut que toutes les pistes explorées pour rapprocher les points de vue aient débouché sur une
impasse. Or, le Royaume de Belgique ne démontre nullement l’existence d’une telle
impasse ; il ne peut pas dire que des efforts qu’il aurait déployés se sont soldés par un échec.
Si l’on s’en tient à sa propre présentation des faits, force est de constater l’étrangeté des
conditions dans lesquelles il a estimé avoir épuisé son obligation de négocier. C’est en effet
à la suite d’une réponse, faite par le Gouvernement de la République du Sénégal, et qui
assurait que ce dernier entendait, conformément à la Convention, « extrader ou poursuivre »
M. HABRE (déclaration du 9 mai 2006), que la Belgique a « constaté l’échec des
négociations fondées sur l’article 30 de la Convention » (le 20 juin 2006). Aussi curieux que
cela puisse paraître, le Royaume de Belgique a donc estimé devoir « constater » un échec
après une réponse qui aurait pourtant dû le satisfaire. Ce comportement est de nature à
accréditer l’idée que l’action judiciaire aujourd’hui déclenchée était préméditée depuis fort
longtemps, et que l’échec prétendu des négociations n’est qu’un « alibi ».
202. La deuxième question qui se pose dans cette affaire est de savoir s’il y a eu échec des
négociations ? La Cour a une conception très exigeante de « l’échec des négociations ».
Dans l’affaire des « Concessions Mavrommatis en Palestine » (arrêt du 30 août 1924), la
Cour Permanente de Justice Internationale énonçait ce qu’il faut entendre par l’échec d’une
négociation justifiant le recours à une solution juridictionnelle. L’Etat qui prend l’initiative
d’un procès en arguant un tel échec ne peut justifier sa position que si la négociation « a
rencontré un point mort, si elle s’est heurté finalement à un non-possumus ou à un non-
50volumus péremptoire de l’une des Parties et qu’ainsi il est apparu avec évidence que le
différend n’est pas susceptible d’être réglé par une négociation diplomatique » (CPJI, Série
A, n°2, p.13).
203. Peut-on dire, dans le cas présent, que le Gouvernement de la République du Sénégal ait
eu une quelconque attitude, manifesté le moindre indice d’un tel refus ? Des négociations,
ont-elles jamais été entamées, et ont-elles, a fortiori, jamais connu une impasse comparable
à celle dont la Cour fait le critère de l’échec des pourparlers?
204. Le fait est que le Royaume de Belgique n’a jamais entamé de véritables négociations
avec le Gouvernement de la République du Sénégal. Il ne s’est adressé aux Autorités
sénégalaises qu’au travers de notes verbales qui consistaient en des questionnements sur
l’état de la procédure ou sur les projets du Gouvernement sénégalais relativement au dossier
HABBRE. A toutes ses interrogations, des réponses ont été apportées. La réalité est que la
Belgique n’a jamais voulu d’un jugement de M. Hissène Habré au Sénégal.
205. On pourrait ajouter que la Belgique ne s’est pas non plus rigoureusement conformée à
un autre préalable posé par l’article 30 de la Convention de 1984 contre la torture : le
recours à l’arbitrage.
206. Rappelons qu’aux termes de la disposition en cause, «tout différend entre deux ou plus
des Etats parties concernant l’interprétation et l’application de la présente convention qui ne
peut pas être réglé par voie de négociations est soumis à l’arbitrage à la demande de l’un
d’entre eux. Si, dans les six mois qui suivent la date de la demande d’arbitrage, les parties ne
parviennent pas à se mettre d’accord sur l’organisation de l’arbitrage, l’une quelconque
d’entre elles peut soumettre le différend à la Cour Internationale de Justice en déposant une
requête conformément au statut de la Cour ».
207. 47 Le Royaume de Belgique n’a non seulement pas entamé de négociations proprement
dites avec le Gouvernement de la République du Sénégal - il n’a pu par conséquent
valablement arguer d’un quelconque échec de négociations - mais il a, par son attitude,
escamoté l’autre préalable posé par l’article 30 de la Convention de 1984. La seule référence
à l’arbitrage se trouve dans une déclaration du Gouvernement belge datée du 20 juin 2006
que la Belgique prétend avoir envoyée à l’Etat du Sénégal, et elle est évasive. Selon sa
51 propre présentation des faits, la Belgique aurait « constaté l’échec des négociations fondées
sur l’article 30 de la Convention, rappelé l’existence du différend entre les deux Etats sur
l’interprétation de l’article 7 de cette Convention et demandé au Sénégal de recourir à la
procédure d’arbitrage prévue à l’article 30 de la Convention ».
208. Les trois affirmations que recèle cette phrase, d’apparence anodine, sont toutes sujettes
à caution :
- la Belgique parle de «l’échec de négociations » qui n’ont réellement jamais eu lieu ;
- elle évoque l’existence d’un « différend sur l’interprétation de l’article 7 » de la Convention
alors que jamais au cours de l’échange de notes avec la République du Sénégal, il n y a eu de
débats ou controverses sur cette disposition de la Convention ; au contraire, dans sa réponse
du 9 mai 2006, seul document dans lequel le Sénégal évoque cette disposition, il est bien
précisé que celui-ci « se conforme à l’esprit de la règle aut dedere aut punire prévue à l’article
7 » ;
- l’invitation que la Belgique dit avoir adressée au Sénégal aux fins de recourir à la procédure
d’arbitrage n’a été formulée qu’une seule fois, de manière fort subreptice, dans une
déclaration dont cette invite n’était pas l’objet principal (déclaration du 20 juin 2006).
209. Alors que l’Union Africaine venait de se saisir du dossier Hissène Habré en se référant
à la Convention contre la torture, la Belgique en fait fi et invite le Sénégal à des
négociations.
210. S’agissant d’un préalable essentiel à une action devant la Cour Internationale de
Justice, on était en droit d’attendre une proposition plus claire, moins évasive. Là également,
les circonstances traduisent une volonté de la Belgique d’« expédier » au plus vite les
formalités requises par l’article 30 de la Convention, pour, le plus rapidement possible,
réunir les conditions exigées pour saisir la Cour.
211. Mais surtout, la volonté du Royaume de Belgique de donner une tournure contentieuse
à l’affaire était condamnée à l’échec puisque la République du Sénégal avait entamé le
processus qui devrait, en principe, conduire à la tenue du procès de l’ancien chef d’Etat
52tchadien. L’Etat demandeur reconnaît lui-même, peu de temps après, que des réformes
constitutionnelles et législatives sont intervenues, pour lever les hypothèques qui pesaient
sur la compétence du juge sénégalais, hypothèques qui avaient justifié les décisions
d’incompétence précédemment rendues par les juridictions nationales.
212. Il résulte de l’ensemble de ces circonstances que la bonne foi de la République du
Sénégal ne saurait être mise en doute. Il a déjà été démontré, de manière circonstanciée,
quelles diligences et réformes celle-ci a menées depuis le mandat à lui confié par l’Union
Africaine, pour juger M. HABRE. Une fois le principe d’un jugement par l’Etat du Sénégal
posé, il a en effet fallu prendre les dispositions qu’un tel procès appelle. Ces dispositions
sont aussi bien d’ordre législatif (réformes nécessaires), matériel que budgétaire (le Sénégal
ayant à cet égard entamé des pourparlers avec l’Union Européenne, dont la Belgique est
membre), et avec l’Union Africaine (qui, comme on le verra plus loin, s’est engagée à
appuyer la République du Sénégal en termes de moyens).
213. La Cour constatera aisément le contraste, saisissant, qui existe entre l’attitude du
Royaume de Belgique, incontestablement pressé de porter l’affaire devant sa juridiction, et
escamotant pour cela les étapes exigées pour un tel procès, et le comportement de l’Etat du
Sénégal, légitimement précautionneux dans un premier temps, et diligent dans un second
temps, quand il est apparu que l’option de juger Monsieur HABRE était devenue claire.
214. En conclusion le Royaume de Belgique n’a pas satisfait à la condition posée par
l’article 30 de la Convention de 1984 contre la torture : l’épuisement de la procédure
de négociation et la proposition de recourir à l’arbitrage. Pour cette raison, il est
demandé à la Cour de déclarer son action irrecevable.
CHAPITRE 4 – LE RESPECT PAR LE SENEGAL DE SES OBLIGATIONS DE
PARTIE A LA CONVENTION DE 1984
215. Dans son Mémoire présenté devant la Cour, la Belgique persiste à arguer que le
Sénégal a commis des « violations du droit international ». Le Sénégal conteste
vigoureusement de telles allégations. Il entend démontrer, d’une part, que les imputations
exprimées dans le Mémoire belge ne sauraient être acceptées (I), d’autre part, qu’il a déjà
commencé à exécuter ses obligations d’Etat partie (II).
53I La réfutation des imputations de la Belgique
216. La Belgique procède à une série d’affirmations que le Sénégal ne saurait, bien entendu,
admettre. Ces affirmations portent aussi bien sur l’obligation de prendre les mesures
prescrites par diverses dispositions de la Convention de 1984 et tendant à assurer
l’application interne des normes conventionnelles (A), que sur l’obligation spécifique de
« poursuivre ou extrader » (B). A cela s’ajoutent une autre faiblesse de la démarche belge
qui résulte de l’utilisation de la donnée temps dans sa requête (C).
A -Sur les mesures d’application interne prescrites par la Convention de 1984 contre la
torture
217. En dépit de l’ensemble des actes posés par le Sénégal depuis que cet Etat a entrepris de
se conformer à l’obligation d’adapter son droit national à son engagement d’Etat partie à la
Convention contre la torture, la Belgique maintient, curieusement, une description des faits
en déphasage par rapport à la réalité. Le Mémoire belge mentionne :
« Par ses actions et omissions, le Sénégal a violé les obligations découlant de l’article 5,
paragraphe 2, de l’article 6, paragraphe 2, et de l’article 7, paragraphe 1 de la Convention
contre la torture.
Jusqu’à la fin janvier 2007, le Sénégal n’avait pas introduit dans son droit interne les
dispositions nécessaires permettant aux autorités judiciaires sénégalaises d’exercer la
compétence universelle prévue par la Convention. Cette omission violait l’article 5,
paragraphe 2, de la Convention (…Lors de l’examen du deuxième rapport périodique du
Sénégal par le Comité, six ans plus tard, en 1996, ce dernier avait demandé au Sénégal
« d’introduire explicitement dans la législation nationale les dispositions suivantes :
a) – Définition de la torture, conformément à l’article 1 er de la Convention, et
incrimination de la torture comme infraction générale, en application de l’article 4
de la Convention ; cette dernière disposition rendrait possible pour l’Etat partie
d’exercer la juridiction universelle prévue par les articles 5 et suivants de la
Convention ».
Malgré ce rappel de la part du Comité, le Sénégal ne s’est pas acquitté de son obligation
de prendre les mesures législatives adaptées afin de combler cette lacune du droit
54 sénégalais et d’instituer la compétence universelle prévue par la Convention. Cette
omission et la non-conformité de la législation sénégalaise avec la Convention de 1984
sont devenues particulièrement sensibles en 2001 lors de la procédure en appel et en
cassation concernant l’annulation de la procédure instituée contre M. Habré pour
« incompétence des juridictions sénégalaises » » .27
218. Le Sénégal ne peut manquer d’exprimer son étonnement devant une telle
argumentation. Les imputations que formule la Belgique dans sa requête datent, on l’aura
aisément constaté d’une période relativement ancienne – 1990,1996, 2000, 2001-, se
rapportant à un état de droit dépassé et dont la description n’est sans doute que d’une maigre
utilité pour la Cour. Celle-ci est en effet saisie d’une situation juridique et factuelle précise,
qui n’a rien à voir avec la description que le Mémoire de la Belgique donne. Or, le Sénégal a
été on ne peut plus clair sur ce point : si, a-t-il toujours dit, des mesures d’application interne
de la Convention n’avaient pas été, jusqu’en 2006-2007, prises par le Sénégal, plaçant
incontestablement cet Etat dans une situation de manquement à ses obligations
conventionnelles, il n’en est certainement plus de même depuis que ce manquement a été
réparé, c’est-à-dire depuis maintenant plus de quatre années.
219. Le Mémoire que la Belgique présente devant la Cour ne dit rien de cette évolution-là,
alors même qu’elle ne peut être évacuée des éléments d’appréciation soumis à la Cour. Tout
se passe comme si l’Etat belge fermait les yeux sur les actes accomplis par les autorités
sénégalaises, confortant une impression déjà ressentie au cours des audiences relatives à
l’indication de mesures conservatoires : le désir de donner une tournure contentieuse à une
situation sans doute moins tendue que celle portée par sa description, quelque peu « datée »,
en donne l’idée.
220. La Cour est invitée à se prononcer sur un état de droit actuel, et non passé. Elle est
appelée à dire si, au moment où elle est saisie, le Sénégal est, comme le prétend la Belgique,
dans une situation de manquement à ses obligations d’Etat partie à la Convention contre la
torture.
B – Sur l’obligation de « poursuivre ou extrader »
27
Mémoire
du
Royaume
de
Belgique,
pp.
81 -‐82
55221. Dans son Mémoire produit devant la Cour, la Belgique écrit que
« le Sénégal a manqué à son obligation de poursuivre ou d’extrader M. Habré vers la
Belgique », et que
« l’obligation de juger ou d’extrader prévue par la Convention découle de la seule présence
de la personne présumée avoir commis des actes de torture sur le territoire de l’Etat partie
28
concerné. De fait, il s’agit d’une responsabilité qui incombe au Sénégal, Etat du for » .
222. Le Sénégal entend, vigoureusement contester une telle affirmation ou, tout au moins,
les implications que la Belgique y attache. Il considère que la Partie belge fait ainsi
superbement fi de toutes les mesures qui ont été prises depuis quelques temps, et qui entrent
dans le cadre de la préparation du procès Habré, actes qui sont présentés ici comme
constituant un « commencement d’exécution » de l’obligation de « poursuite » déduite de
la convention contre la torture.
223. Il suffit simplement de rappeler les initiatives suivantes, qui ne sont pas au demeurant
les seules que le Sénégal a prises dans la perspective de la tenue du procès de M. Habré :
- le 9 novembre 2006, deux projets de loi modifiant le Code pénal et le Code de
procédure pénale sénégalais sont adoptés en Conseil des ministres puis déposés sur
le bureau du Parlement du Sénégal ;
- le 23 novembre 2006, une commission nationale chargée de définir les modalités du
procès de M. Habré est mise sur pied ;
- le 31 janvier 2007, l’Assemblée nationale du Sénégal adopte deux textes de lois
modifiant le Code pénal et le Code de procédure pénale. L’exposé des motifs de la
loi explique clairement que les autorités sénégalaises, entendent, en proposant ces
textes, se conformer à leurs engagements internationaux et participer, conformément
à une tradition de leur politique extérieure, à la lutte contre l’impunité, donnée
majeure des relations internationales actuelles. Les articles 431-1 à 431-6 nouveaux
du Code pénal introduisent dans l’arsenal répressif national les crimes de génocide,
les crimes contre l’humanité, y compris la torture et le crime de guerre. L’article 669
28
Mémoire
du
Royaume
de
Belgique,
pp.
85
et
88.
56 du Code de procédure pénale, pour sa part, est modifié pour affirmer la compétence
du juge sénégalais à l’égard des crimes précités, s’ils sont commis par un étranger à
l’étranger, si l’auteur du crime se trouve sur le territoire du Sénégal, si la victime est
sénégalaise ou encore si l’auteur présumé a été extradé vers le Sénégal. Le Sénégal a
également mis en place un groupe de travail chargé de faire des propositions pour
déterminer les modalités et procédures propres à faire poursuivre et juger M. Habré,
avec les garanties d’un procès juste et équitable ;
- le 29 mai 2010 – après donc que les deux Etats ont présenté leurs positions devant la
Cour Internationale de Justice de La Haye - , le ministre sénégalais de la Justice
déclare que quatre magistrats ont été nommés aux fins de conduire l’information
contre l’ancien chef d’Etat tchadien ;
- en octobre 2009, des termes de référence pour l’organisation du procès de M. Habré
sont préparés par le Comité de suivi et de communication établi par le Sénégal ;
- le 5 décembre 2009, le Président de la République du Sénégal reçoit le ministre belge
de la coopération au Développement à Dakar ; il réitère l’intention du Sénégal de
juger M. Habré dès lors que les conditions d’un tel procès seront réunies. Ces
déclarations sont réaffirmées par le ministre des affaires étrangères du Sénégal à son
homologue belge, en marge du sommet de l’Union africaine à Addis Abéba
(Ethiopie) en février 2010.
224. Si le Sénégal entendait, ainsi que le suggère le Mémoire présenté par l’Etat belge
présenté devant la Cour, se dérober à ses obligations, il n’aurait nullement pris la peine de
modifier sa Constitution, de faire adopter des lois, d’organiser des échanges diplomatiques
réguliers, suivis, avec un certain nombre d’Etats, abrité des rencontres internationales
consacrées aux conditions de la tenue du procès de l’ancien chef d’Etat tchadien, y compris
la Table Ronde des donateurs pour le financement du procès …
Au titre de la violation prétendue de la règle « aut dedere aut judicare », la Belgique
fait également valoir que l’insuffisance actuelle des moyens pour organiser le procès ne
constitue pas un « fait justificatif ». Dans son Mémoire, le royaume de Belgique note que
« La saisine de l’Union africaine ne constitue pas une alternative au respect des obligations
conventionnelles du Sénégal (…). « Le mandat » conféré par l’Union africaine au Sénégal
pour juger M. Habré ne dispense en rien le Sénégal de son obligation, en tant qu’Etat du
57for, de soumettre l’affaire à ses autorités compétentes ou de l’extrader vers un Etat qui en
fait la demande. Cette obligation subsiste malgré l’intervention de l’Union africaine.
L’obligation de juger ou d’extrader prévue par la Convention découle de la seule présence
de la personne présumée avoir commis des actes de torture sur le territoire de l’Etat partie
concerné. De fait, il s’agit d’une responsabilité qui incombe au Sénégal, Etat du for » .29
225. Le Sénégal est au regret de constater, sur ce point comme sur d’autres, le caractère
quelque peu artificiel du dissentiment que la Belgique tente de mettre en exergue. A vrai
dire, la question de l’interprétation du « mandat » de l’Union africaine a déjà fait l’objet de
débats au cours des audiences relatives à la demande en indication de mesures
conservatoires. Plus d’une fois devant cette Cour, le Sénégal a précisé le sens et la portée
qu’il attachait à cette intervention de l’Union africaine. Il a, plusieurs fois, déclaré qu’il ne
voyait pas dans cette intervention la source de son obligation de juger, mais qu’il n’était
juridiquement tenu, bien entendu, que par sa qualité de Partie à la Convention de 1984. Dans
ces conditions, le Sénégal a du mal à comprendre l’insistance de la Partie belge à faire valoir
une interprétation qui n’a jamais été celle de l’Etat redevable de l’obligation en question –
qui est celle de « juger » précisément -. Le Sénégal redit donc, en espérant que ce débat sera
définitivement clos, que c’est exclusivement dans la Convention de 1984 contre la torture
qu’il estime devoir trouver la base juridique de toutes les actions qu’elle a entreprises dans la
perspective de juger M. Habré. En d’autres termes, les interprétations que les deux Parties
font de ce « mandat » ne sont pas divergentes, mais se rejoignent rigoureusement. Par
ailleurs, la décision de l’Union Africaine par laquelle ce « mandat » est donné au Sénégal
mentionne la Convention contre la Torture et renvoie à son contenu considéré comme la
source des engagements qui pèsent sur le Sénégal. Au reste, les diverses mesures et
initiatives prises par le Sénégal achèvent de prouver qu’il se situe bien dans la perspective
d’une application de ses engagements d’Etat Partie à la Convention contre la torture, ainsi
qu’il apparaît dans les développements suivants.
226. Le Sénégal tient également à préciser sa position devant un autre élément de
l’argumentation belge, qui tient aux « difficultés d’ordre financier » évoqués par lui.
L’interprétation qui est faite de cet aspect de la thèse sénégalaise mérite certainement d’être
rectifiée. Du point de vue de la Belgique, il semble que cette donnée soit comprise comme
29
Mémoire
du
Royaume
de
Belgique,
p.88.
58une sorte de prétexte allégué par le Sénégal, pour se soustraire à son engagement. On lit bien
dans le mémoire de la Belgique que
« des difficultés d’ordre financier (…) ne peuvent pas délier le Sénégal de ses obligations ou
excuser leur violation (…). La Belgique est consciente des implications juridiques,
logistiques et financières de l’organisation d’un procès au Sénégal. Néanmoins, la non-
exécution de l’obligation de l’article 7, paragraphe 1 de la Convention contre la torture et
du droit coutumier concernant l’obligation aut dedere aut judicare ne peut être justifiée, en
droit international, par de telles considérations. Le respect de ces obligations
internationales ne peut être soumis à l’obtention d’un soutien financier et des difficultés
d’ordre financier ne constituent pas un état de nécessité susceptible d’exclure l’illicéité des
30
violations de ces obligations »
227. Un tel point de vue ne peut être accepté par le Sénégal. Ce dernier n’a en effet jamais
posé le problème de l’appui financier au procès de M. Habré en termes de fait justificatif
d’une inexécution d’une obligation. A aucun moment du débat judiciaire, il n’a été question
de tentative, pour le Sénégal, de s’exonérer de son engagement. La Cour ne saurait donc
souligner que l’insuffisance de moyens financiers, ou les contraintes de la constitution d’un
budget spécial constituent des facteurs exonératoires, pour la bonne et simple raison que
telle n’a jamais été la position du Sénégal.
228. Il s’est simplement agi, pour les autorités sénégalaises, d’assurer un minimum de
préparation pour un procès effectivement pas comme les autres. Devant la Cour, le Sénégal
a déjà évoqué les singularités d’un procès de l’ancien chef d’Etat qui aurait à se tenir à
Dakar. Il a toujours appelé l’attention de tous sur le nombre élevé de victimes présumées de
l’ancien chef d’Etat, et sur la nécessité de les entendre dans le cadre d’un procès judiciaire.
De même, les plaintes reçues attestent que les faits reprochés sont censés s’étaler sur plus
d’une dizaine d’années, correspondant au temps passé par le mis en cause à la tête de l’Etat
du Tchad. Des exposés faits par la Belgique elle-même, il ressort qu’au moins 3.780
personnes auraient été concernées par les agissements présumés de M. Habré. Mais ce
nombre lui-même ne représenterait que le dixième du nombre total des victimes qui se
situerait ainsi autour de 40.000 selon certaines sources. Ce dernier chiffre ne tient nullement
compte des 54.000 détenus politiques qui seraient enregistrés entre 1982 et 1990. Au total
donc, au moins 94.000 personnes pourraient être dénombrées, comme victimes présumées
30
Mémoire
de
la
Belgique,
pp.
113
et
115.
59de M. Habré. Il ne s’agit pas là d’une comptabilité élaborée par le Sénégal, mais d’un
comptage qui résulte des plaintes des victimes présumées. Dans de telles conditions, on
comprend qu’un procès de l’ancien chef d’Etat du Tchad ne soit pas une affaire comme une
autre. L’ampleur du défi n’a cependant pas empêché le Sénégal de commencer à agir dans le
sens requis par la Convention contre la torture.
C – Les faiblesses de la démarche belge liées à l’usage du facteur temps.
229. Ces faiblesses se situent à deux niveaux.
230. D’abord la Partie belge n’hésite pas à faire rétroagir la Convention contre la torture
pour prendre en compte des situations dont la survenance est bien antérieure à sa propre
ratification de cet instrument.
231. Ensuite, la nationalité des prétendues victimes belges est de fraiche date puisqu’elle
s’éloigne grandement de la période de la commission alléguée des faits répréhensibles. Ici
également, la Partie belge ne s’embarrasse pas d’appliquer rétroactivement la mise en œuvre
de sa compétence à leur sujet. Ces observations pourraient, le moment venu, faire l’objet de
plus amples développements.
II – Le commencement d’exécution des obligations du Sénégal
232. La volonté du Sénégal de se conformer à ses obligations résulte d’abord d’une série
d’initiatives que celui-ci a prises depuis quelques années, et dont la Cour pourra constater
qu’elles n’ont pas de sens si elles ne s’inscrivaient pas dans le cadre de l’organisation du
procès de M. Habré (A).
233. A ces éléments rattachables à l’application même de la Convention contre la torture de
1984, il faut ajouter que les imputations de la Belgique quant à la commission d’un fait
internationalement illicite dont le Sénégal serait l’auteur ne peuvent trouver leur fondement
dans les principes qui gouvernent la responsabilité internationale des Etats en général, et
dans les travaux de la Commission du Droit International (CDI) en particulier (B).
60A – Les initiatives prises par le Sénégal et entrant dans le cadre de l’exécution de ses
obligations d’Etat partie à la Convention de 1984
234. Le Sénégal ne peut souscrire à l’affirmation centrale de la thèse de la Belgique,
consistant à dire qu’il n’exécute pas ses obligations internationales. Sauf à vouloir lui dicter
une orientation précise dans la manière de s’acquitter de ces engagements, la Belgique ne
peut, en effet, soutenir la thèse d’une inapplication ou d’une application inadéquate, par le
Sénégal, de ses devoirs d’Etat partie à la Convention de 1984 contre la torture.
235. La manière de remplir une obligation internationale, notamment dans un cas comme
celui qui est soumis à la Cour, dans lequel l’Etat doit prendre des mesures d’application
interne, est en effet, dans une très large mesure, laissée à la discrétion de cet Etat. La
Belgique ne peut pas, dans ces conditions, insinuer qu’il ya une façon précise, pour le
Sénégal, de se conformer à la Convention de 1984 qui, au demeurant, ne contient aucune
disposition contredisant le principe de liberté que le droit international fait prévaloir.
236. Ce principe de liberté ressort d’une série de décisions que la Cour a elle-même rendues.
237. Dans l’affaire des « Activités militaires et para militaires au Nicaragua et contre celui-
ci », la Cour a affirmé qu’
« on ne peut prétendre qu’un acte est de nature à priver un traité de son but et de son objet
ou à en empêcher la bonne exécution si la possibilité d’un tel acte était prévue dans le traité
lui-même » .31
238. Or, la possibilité pour un Etat partie à la Convention de 1984 de « juger » plutôt que d’
er
« extrader » est clairement prévue par le traité. L’article 7 paragraphe 1 est à cet égard très
clair :
« 1. L’Etat partie sur le territoire sous la juridiction duquel l’auteur présumé d’une
infraction visée à l’article 4 est découvert, s’il n’extrade pas ce dernier, soumet l’affaire,
dans les cas visés à l’article 5, à ses autorités compétentes pour l’exercice de l’action
pénale ».
3
CIJ,
arrêt
du
27
juin
1986,
«
Activités
militaires
et
para
militaires
au
Nicaragua
et
contre
celui -‐ci
(Nicaragua
c.
Etats
Unis
d’Amérique»),
Rec
1986,
p.136
par.272.
61239. La jurisprudence arbitrale a également insisté sur la liberté de l’Etat de choisir les
moyens suivant lesquels il entend s’acquitter d’une obligation internationale. Dans le
contentieux qui a opposé la République islamique d’Iran aux Etats Unis d’Amérique,
l’arbitre a exprimé une appréciation en forme de principe, en énonçant qu’
« à moins qu’il n’en ait été convenu autrement par voie de traité, le droit international
général laisse à l’Etat le soin de choisir les moyens voulus pour s’acquitter d’une obligation
dans le cadre de son droit ».
240. Au plan régional, ce principe de liberté de l’Etat dans le choix des moyens d’exécuter
son engagement prévaut également. Dans l’affaire « Colozza », la Cour européenne des
droits de l’homme a déclaré que les Etats contractants jouissent d’une grande liberté dans le
choix des moyens propres à permettre à leur système judiciaire de répondre aux exigences
conventionnelles, notamment à celle prévue à l’article 6 paragraphe 1 de la Convention
européenne des droits de l’homme . La Cour note que :
« Les Etats contractants jouissent d’une grande liberté dans le choix des moyens propres à
permettre à leur système judiciaire de répondre aux exigences de l’article 6, paragraphe 1,
en la matière. La tâche de la Cour ne consiste pas à les leur indiquer, mais à rechercher si
le résultat voulu par la Convention se trouve atteint » . 33
241. D’emblée, dès que le Sénégal a apprécié ses engagements de Partie à la Convention, il
a fait son choix, pris le parti non d’extrader, mais de juger. L’impossibilité de juger, qui a été
exprimée par des juridictions sénégalaises, correspond à un état du droit qui ne permettait
effectivement pas la tenue d’un procès. Cet état de droit est maintenant derrière nous et dans
la situation actuelle – qui est la situation « normale » d’un Etat partie - , le Sénégal a, plus
d’une fois, expliqué son choix devant l’alternative que la Convention de 1984 offre. Il
convient, là encore, de rappeler la position exprimée par l’Agent du Sénégal dès l’ouverture
des audiences relatives à la demande en indication de mesures conservatoires :
« Le Sénégal remplit ses obligations de poursuivre Hissène Habré telles que celles-ci
résultent de la convention contre la torture sur laquelle la décision de l’Union africaine est
3Aff.
“Colozza
et
Rubinat
c.
Italie
»,
CEDH,
Série
A,
n°89
(1985)
3
Ibid.,
p.
15
et
16
§
30.
62fondée. Dès lors, une quelconque demande d’extradition n’a pas lieu d’être satisfaite en
l’espèce. Aut dedere aut judicare : c’est l’un ou l’autre. Et surtout, c’est extrader si on ne
peut juger. Quand la voie de l’extradition est bouchée, et que le pays s’engage à juger, on
ne voit pas – par rapport à la convention contre la torture – où pourrait bien se trouver un
différend sur l’application et l’interprétation de cette convention(…). Sous couvert d’une
invitation à faire respecter le droit international, l’instance introduite par la Belgique vise à
ce que la Cour ordonne au Sénégal d’extrader le plus tôt possible Hissène Habré pour qu’il
soit jugé en Belgique au mépris des droits et obligations du Sénégal sous la convention
contre la torture et que ce dernier s’attelle avec constance et détermination à exercer » . 34
La décision rendue le 18 novembre 2010 par la Cour de justice de la CEDEAO a introduit
une donnée nouvelle et extérieure à la procédure pendante devant la Cour qui à pour
finalité d’entraver la mise en œuvre adéquate de la volonté encore particulièrement ferme
du Sénégal de juger. Elle crée proprement un conflit entre deux obligations internationales
que la Cour pourrait constater et apprécier dans sa portée.
Cette situation n’est pas ignorée par la Partie belge qui, à plusieurs reprises a interrogé le
Sénégal sur le sort à réserver à son ancienne demande d’extradition de 2005 qu’elle a bien
voulu réitérer.
En réponse, la Chambre d’Accusation de la Cour d’Appel a accueilli la demande belge. Son
examen lui a permis de constater qu’elle n’a pas rempli les conditions de forme posées par
la loi sénégalaise n° 71-77 de 1971 sur l’extradition. Elle a conclu au rejet de la demande
pour irrecevabilité du fait qu’elle n’a pas tenu compte des exigences de la loi.
Cette décision est particulièrement importante dans le cas d’espèce. Dans ses implications
immédiates elle ouvre la voie à une nouvelle demande d’extradition belge si la Partie belge
en éprouve le souhait.
Cette demande devra dès lors se conformer à la loi pour prospérer et conduire, s’il ya lieu,
à une décision favorable à l’extradition. Les deux branches de l’alternative du principe aut
34
CR
2009
/9,
p.20,
par.56
(Thiam)
63dedere aut judicare retrouvent ainsi l’ouverture qui permet le choix, pour le Sénégal,
d’envisager sérieusement la voie de l’extradition à coté de celle du jugement.
242. L’obligation de poursuivre ou d’extrader, prévue aux articles 5 et 7 de la Convention,
est une modalité d’expression de l’obligation générale de combattre l’impunité. En vertu de
cette convention, et tel qu’il ressort des travaux préparatoires de celle-ci, un Etat partie peut
35
parfaitement refuser l’extradition . Dès lors qu’une disposition de la convention de 1984
prévoit que l’extradition peut être refusée, un refus ne saurait en aucun cas violer l’objet et le
but du traité.
243. Dans la Convention contre la torture, l’extradition n’a lieu que lorsque, pour une raison
ou pour une autre, l’Etat ne peut « poursuivre ». L’obligation de lutter contre l’impunité,
dont le principe de compétence universelle est un instrument, n’est pas en soi une obligation
juridique. Elle sert à interpréter les obligations juridiques de poursuivre ou d’extrader
l’auteur de faits visés par la Convention. C’est bien dans cette perspective d’ensemble que
doivent être lus les engagements des Etats.
244. Il s’agit là, d’abord, d’un principe général d’interprétation des conventions
internationales, ainsi qu’en dispose l’article 31 de la Convention de Vienne de 1969 sur le
droit des traités :
« 1. Un traité doit être interprété de bonne fois suivant le sens ordinaire à attribuer aux
termes du traité dans leur contexte et à la lumière de son objet et de son but ».
245. La Cour Internationale de Justice de La Haye a, elle aussi, plusieurs fois affirmé ce
principe. On citera simplement un arrêt qu’elle a rendu dans l’affaire des « Plateformes
pétrolières » entre la République islamique d’Iran et les Etats Unis d’Amérique :
« l’article premier doit être regardé comme fixant un objectif à la lumière duquel les autres
36
dispositions du traité doivent être interprétées et appliquées » .
35
Travaux
préparatoires
de
la
Cponvention
des
Nations
Unies
contre
la
torture,
Document
E/CN.4/1984,72
PN,
par.34.
36
CIJ,
Rec.
1996,
p.
814,
par.
28.
64246. L’obligation « aut dedere aut judicare » est une obligation alternative, prescrivant le
devoir de juger ou bien d’extrader. D’entre ces deux possibilités, le droit international ne
donne la primauté à aucune. Le commentaire du Projet de code des crimes considère,
effectivement, que les Etats ont entendu
37
« ne privilégier aucune de ces deux lignes de conduite » .
247. Le Rapport de la Commission du Droit International (CDI) insiste également sur
l’équivalence des deux branches de l’alternative offerte aux Etats, et sur le fait qu’
« il suffit que l’intéressé soit physiquement présent sur le territoire de l’Etat de détention
pour que celui-ci puisse exercer sa compétence » . 38
248. La Commission du Droit International en conclut naturellement que l’Etat dispose
d’une
39
« discrétion pour décider quelle partie de l’obligation il exécuterait » .
249. Les efforts ainsi entrepris par le Sénégal peuvent paraître lents à la Belgique, mais leur
réalité et la bonne foi qui en est le ressort ne peuvent être contestées. La preuve la plus
éclatante de la reconnaissance, par la communauté internationale, de tels efforts, se trouve
dans la série d’appréciations positives, voire laudatives, qui ont été le fait de la quasi-totalité
des institutions, Etats ou organismes qui ont eu à s’enquérir, au Sénégal même, de l’état
d’avancement des préparatifs du procès. Il suffit de rappeler que :
- le 15 mars 2008, l’Union européenne, dont la Belgique est elle-même membre, avait
reconnu et salué les pas accomplis par le Sénégal dans le sens du respect de ses
engagements internationaux ;
- Mme Louise Harbour, ancien Haut Commissaire aux droits de l’homme des Nations
Unies, a loué les efforts faits par l’Etat sénégalais depuis qu’il avait indiqué avoir
pris l’option de juger l’ancien chef d’Etat tchadien ;
- M. Manfred Nowack, rapporteur spécial sur la torture et autres peines ou traitements
cruels, inhumains ou dégradants a, dans son rapport au Conseil des droits de
l’homme de l’ONU, mis en évidence l’engagement du Sénégal à juger M. Habré,
37
Article
9,
p.33
§
6,
Projet
de
code
des
crimes
(…)
et
commentaires
y
relatifs.
38
Article
9,
p.33§7.
39
Rapport
CDI,
A/CN.4/603,
p.23,§104.
65 engagement qui, selon ses propres termes, « peut servir d’exemples positifs à
d’autres Etats qui jusqu’alors ont été réticents à l’idée d’exercer leur compétence
universelle à l’encontre d’auteurs présumés d’actes de torture présents sur leur
40
territoire » ;
- En février 2009, lors de sa conférence à Addis Abéba, l’Union africaine a salué les
progrès réalisés par le Sénégal dans la perspective du jugement de M. Hissène Habré.
250. Le Sénégal est d’avis que le débat que soulève la demande belge ne peut pas être
mené abstraction faite d’une notion fondamentale du droit des relations
internationales : la notion de bonne foi.
251. Dès lors, en effet, que le Sénégal a solennellement déclaré, notamment devant la Cour
au cours des audiences relatives à la demande en indication de mesures conservatoires, qu’il
s’engageait à tout mettre en œuvre pour la tenue d’un procès de M. Habré, il prenait un
engagement public qui, dans la tradition des relations internationales autant que dans celle
de la jurisprudence de la Cour elle-même, devrait suffire ou, à tout le moins, relativiser la
dimension contentieuse du débat. Il semble qu’un tel engagement n’ait pas suffi à la
Belgique, qui persiste dans sa demande.
252. Dans de telles conditions, le Sénégal en appelle à la bonne foi qui doit gouverner les
relations entre Etats. De son point de vue, la requête belge met quelque peu à mal cette règle
fondamentale du droit international, qui veut que les Etats soient liés sur la foi de leurs
déclarations, et qu’en conséquence, ils se fassent mutuellement confiance.
253. La Cour elle-même a rappelé le caractère fondamental de cette règle dans l’affaire des
« essais nucléaires » :
« tout comme la règle du droit des traités « pacta sunt servanda » elle-même, le caractère
obligatoire d’un engagement international assumé par déclaration unilatérale repose sur la
bonne foi. Les Etats intéressés peuvent donc tenir compte des déclarations unilatérales et
41
tabler sur elles, ils sont fondés à exiger que l’obligation ainsi créée soit respectée » .
4
Document
n°7
déposé
par
le
Sénégal
le
2
avril
2009,
doc
A/HRC/4/33.
4
CIJ
Rec
1974,
par.60.
66254. Il s’agit là d’une autre manifestation du principe procédural d’ « estopel », dont la Cour
a fait application, entre autres, dans l’affaire des « Activités miliatires et para militaires au
Nicaragua et contre celui-ci », ainsi que dans l’affaire de la « Frontière terrestre entre le
Cameroun et le Nigéria ».
255. La nécessité structurelle du principe de confiance réciproque, dans l’ordre international,
a été soulignée par un ancien juge à la Cour de La Haye, le Président Jules Basdevant :
« Le principe de bonne foi est vraiment un principe qui domine l’ensemble du droit
international et qui doit être retenu lorsqu’on s’occupe de dégager ou de mettre en œuvre
42
une règle quelconque du droit des gens »
256. Puis la Cour elle-même a eu à déclarer:
« (…) La confiance réciproque est une condition inhérente de la coopération internationale,
surtout à une époque où, dans bien des domaines, cette coopération est de plus en plus
indispensable » . 43
257. Peu importe que le caractère obligatoire de la déclaration unilatérale de volonté repose
sur la bonne foi du déclarant ou sur celle, au contraire du ou des destinataires de cette
manifestation de volonté. Qu’il exprime une volonté de s’obliger ou qu’il renvoie à un fait
social comportant des conséquences précises, l’acte unilatéral par lequel un Etat exprime ou
promet une conduite déterminée crée une attente qu’il s’agit toujours de respecter. C’est
dans cette perspective relativement simple qu’il a été analysé par une respectable doctrine du
droit international :
« L’idée qui est à (la base) est celle de la protection de la confiance. D’après ce principe,
chacun a le droit de ne pas être trompé dans les attentes légitimes qu’il avait au sujet du
développement d’un rapport juridique dont il est partenaire » 44
L’on a également pu écrire que
42
43
J.
BASDEVANT,
«
Règles
générales
du
droit
de
la
paix
»,
RCADI
1936
IV
(tome
58),
p.521 -‐522.
Ibidem,
p.
268.
44
E.
KAUFMANN,
«
Règles
générales
du
droit
de
la
paix
»,
Recueil
des
Cours
de
l’Académie
de
Droit
International
(RCADI)1935,
IV
(tome
54),
pp.510-‐511.
67« La justification du caractère obligatoire de la promesse doit (…) résider dans la
protection de cette confiance : il est donc évident que même dans l’ordre juridique
international, cette confiance est nécessaire pour la caractère obligatoire de la promesse
unilatérale » 45
258. C’est conscient de toutes les attentes qu’il peut faire naître que la République du
Sénégal a pris l’engagement de juger l’ancien chef d’Etat du Tchad. La solennité de cette
déclaration, ainsi que la lourdeur de ses conséquences, conduisent aujourd’hui le Sénégal à
demander que lui soient ménagée la sérénité que requiert la conduite d’un tel projet.
L’action en justice entreprise par la Belgique est de nature à perturber cette disposition
d’esprit nécessaire, alors même que l’Etat du Sénégal a, depuis longtemps, commencé à
s’acquitter de ses devoirs de ¨Partie à la Convention de 1984 contre la torture.
259. Mais au-delà des actes même posés par la République du Sénégal, et tendant à prouver
que celui-ci se conforme à ses engagements internationaux, il y a la difficulté, à laquelle est
confrontée la Belgique, de mettre en évidence la commission, par le Sénégal, d’un fait
internationalement illicite, susceptible d’engager sa responsabilité internationale.
B– L’inexistence d’un fait internationalement illicite imputable au Sénégal
260. La Belgique écrit dans son Mémoire présenté devant la Cour, qu’elle
« est en droit d’invoquer la responsabilité du Sénégal pour les faits internationalement
illicites imputables à ce dernier conformément à l’article 42 b) i) des Articles sur la
responsabilité de l’Etat pour fait internationalement illicite » . 46
261. Le Sénégal entend fermement réfuter une telle manière de voir. Aucun fait
internationalement illicite ne peut lui être imputé. Il suffit, pour démontrer cela, de rappeler
les énonciations des Articles élaborés par la Commission du Droit International (CDI) dans
ses travaux sur la responsabilité des Etats.
Aux termes de l’article 1 ,er
45
G.
VENTURINI,
«
La
portée
et
les
effets
juridiques
des
attitudes
et
des
actes
unilatéraux
des
Etats
»,
RCADI
1964
II
(tome
112),
p.404.
46
Idem.
p
117
68« Tout fait internationalement illicite de l’Etat engage sa responsabilité internationale »
Et l’article 2 dégage les éléments constitutifs du fait internationalement illicite en disposant
qu’
« il y a fait internationalement illicite de l’Etat lorsqu’un comportement consistant en une
action ou une omission :
a) Est attribuable à l’Etat en vertu du droit international ; et
b) Constitue une violation d’une obligation internationale de l’Etat »
er
262. La première question que pose l’article 1 – qui énonce le principe qui est le pilier de
toute la suite des Articles, suivant lequel la violation du droit international par un Etat
engage sa responsabilité internationale – est celle de la définition même du contenu de
l’obligation censée avoir été violée. Cette obligation est, dans le cas présent, celle que
stipule la Convention de 1984 contre la torture : obligation, pour tout Etat partie, de « juger
ou extrader » les personnes à qui les faits visés dans la Convention sont reprochés. Dans
l’affaire qui est soumise à la Cour, la question posée est donc la suivante : la République du
Sénégal, refuse-t-elle de s’acquitter de ses obligations ?
263. L’on ne trouvera nulle part, à aucun moment du déroulement de l’ « affaire Habré »,
aussi bien au plan national que dans le cadre international, une seule affirmation d’un refus,
par le Sénégal, d’exécuter ses obligations. Le fait internationalement illicite consiste en effet
bien en une attitude négatrice, à un déni, au moins implicite, d’un devoir. La Cour
Internationale de Justice elle-même a expressément indiqué qu’
« il est clair que le refus de s’acquitter d’une obligation conventionnelle est de nature à
47
engager la responsabilité internationale » .
264. Or, le Sénégal, non seulement n’a jamais opposé un quelconque déni à son devoir de
juger M. Habré, mais a même entrepris de soumettre celui-ci à ses juridictions. On admettra
bien que le comportement du Sénégal ne pose pas, à proprement parler, un problème de
responsabilité consécutive à la commission d’un fait internationalement illicite, consistant
lui-même en une dérobade à une obligation. En posant donc le problème en termes
d’opposition ou de refus à accomplir un engagement, la Belgique, telle est du moins la
4
CIJ,
aff
de
l’
«
interprétation
des
traités
de
paix
conclus
avec
la
Bulgarie,
la
Hongrie
et
la
Roumanie
»,
Rec
1950
p
221.
C’est
nous
qui
soulignons
le
mot
«
refus
».
69conviction de la République du Sénégal, s’éloigne quelque peu de l’orthodoxie des principes
qui gouvernent la responsabilité internationale de l’Etat.
265. Le comportement du Sénégal n’est pas non plus juridiquement répréhensible si l’on se
réfère aux conditions d’existence de la violation d’une obligation internationale, telles que
posées par l’article 12 des Articles relatifs à la responsabilité internationale de l’Etat. Selon
cet article,
« il ya violation d’une obligation internationale par un Etat lorsqu’un fait dudit Etat n’est
pas conforme à ce qui est requis de lui en vertu de cette obligation, quelle que soit l’origine
ou la nature de celle-ci ».
266. La violation d’une obligation internationale se trouve donc dans l’absence de
conformité entre le comportement attendu d’un Etat, « requis de lui » par cette obligation et
le comportement qu’il a effectivement adopté. La Cour Internationale de Justice elle-même a
eu à exprimer une telle idée dans plusieurs affaires qu’elle a jugées. Dans l’affaire du
« Personnel diplomatique et consulaire des Etats Unis à Téhéran », elle a évoqué des
comportements
48
« compatibles ou non avec les obligations d’un Etat » .
267. Dans l’affaire des « Activités militaires et paramilitares au Nicaragua et contre celui-
ci », la Cour a parlé d’actes
« contraires…, non conformes » 49
à une obligation donnée pesant sur l’Etat.
Dans l’affaire du « Projet Gabcikovo-Nagymaros », qui a opposé la Hongrie à la Slovaquie,
la Cour a utilisé l’expression de
50
« manquement à des obligations conventionnelles »
268. Enfin, dans l’affaire « Elettronica Sicula S.p.A. (ELSI), la Cour a posé la question de
savoir
48
CIJ
Rec
1980,
p.29,
par.
56.
49
CIJ
Rec
1986
(Fond)
p.
64,
par
115
et
p.98,
par.186
(respectivement)
50
CIJ,
Rec
1997,
p.46,
par.57
70« si la réquisition était conforme aux exigences du Traité d’amitié, de commerce et de
51
navigation entre les Etats Unis et l’Italie » .
269. La formule de l’article 12 indique que l’essence d’un fait internationalement illicite
réside dans la non-conformité du comportement effectif de l’Etat avec celui qu’il aurait dû
adopter pour exécuter un engagement international particulier. La violation découle donc de
la contradiction entre les exigences du droit et la pratique d’un Etat.
270. L’article 12 met ainsi en exergue « ce qui est requis » de l’Etat. Dans le cas présent, il
s’agit de poursuivre ou d’extrader. Or, l’acte de poursuite n’est pas une action monolithique
ou instantanée, il ne s’épuise pas dans une prestation unique de l’Etat, mais comporte une
série d’initiatives. Un procès – prestation dont il question – s’inscrit parfois dans un
processus, dans une procédure judiciaire qui se compose, par définition, d’étapes. Le socle
juridique sur lequel devait reposer une traduction en justice de l’ancien chef d’Etat du Tchad
a, à un moment, fait défaut au Sénégal. C’est cette irrégularité qui a été réparée par les
mesures prises par le Sénégal et qui ont déjà été indiquées.
271. Dans la mesure où le Sénégal a commencé à exécuter son obligation de poursuivre M.
Habré, en établissant d’abord, comme le veut la logique, les bases juridiques d’une telle
action en justice, il ne saurait lui être reproché de n’avoir pas assumé ses engagements, ou
d’avoir commis un fait internationalement illicite. La réticence ou le refus à se conformer à
une obligation, qui constitue le fait générateur de responsabilité internationale, ne peut
absolument pas être relevé à l’encontre du Sénégal.
272. Il est encore possible d’adopter un autre angle de vue, et d’analyser la demande belge
dans la perspective de l’extension dans le temps de la violation d’une obligation
internationale. Mais de ce point de vue non plus, aucun fait internationalement illicite ne
peut être relevé contre le Sénégal.
273. Les dispositions des travaux de la CDI qui se rapportent à l’extension dans le temps de
la violation d’une obligation internationale figurent à l’article 14. Celui-ci dispose :
51
CIJ,
Rec
1989,
p.50,
par.70.
71« 1. La violation d’une obligation internationale par le fait de l’Etat n’ayant pas un
caractère continu a lieu au moment où le fait se produit, même si ses effets perdurent.
2. La violation d’une obligation internationale par le fait de l’Etat ayant un caractère
continu s’étend sur toute la période durant laquelle le fait continue et reste non conforme à
l’obligation internationale.
3. La violation d’une obligation internationale requérant de l’Etat qu’il prévienne un
événement donné se produit au moment où l’événement survient et s’étend sur toute la
période durant laquelle l’événement continue et reste non conforme à cette obligation ».
274. Aux termes de cet article, un fait illicite continu a pour caractéristique de s’étendre sur
toute la période durant laquelle ce fait persiste et reste non conforme à l’obligation
internationale – consistant ici en l’alternative « juger ou extrader » -. D’ordinaire, les
illustrations du fait illicite continu que l’on aime à citer sont : la détention illégale d’une
personne, l’occupation illicite des locaux d’une représentation diplomatique, le maintien
d’une situation inique d’occupation coloniale, ou encore – exemple qui prend une
résonnance particulière dans la cas d’espèce -, le maintien de dispositions législatives
incompatibles avec les obligations conventionnelles de l’Etat qui les a adoptées etc. Il en
résulte qu’un fait illicite continu se caractérise par le fait, précisément, qu’il perdure, c’est
un fait qui a commencé et qui continue au moment considéré, un fait qui n’est pas encore
achevé ou épuisé.
275. La question alors posée est de savoir si, aujourd’hui, au moment où la Cour est appelée
à juger l’affaire sur le fond, le Sénégal a posé un acte, ou commis une omission contraire à
ses engagements et dont les effets perdurent. L’insistance de la Belgique à se référer à des
éléments qui ne sont plus de saison oblige, nécessairement, à se poser cette question. La
réponse est assurément négative. A la république du Sénégal, il ne pouvait être reproché
qu’une adoption quelque peu tardive de mesures d’application nationale de ses engagements
conventionnels. Ce manquement a été réparé. Non seulement son évocation dans le contexte
actuel n’est plus de mise, mais le seul effet concret qu’il était susceptible d’avoir –
l’ouverture d’une faille dans le mécanisme répressif mis en place par la Convention contre la
torture – a été conjuré par la claire assomption du devoir de juger.
276. Au demeurant, c’est depuis longtemps que le Sénégal s’est montré attentif à cette
exigence répressive. Alors même que le dispositif législatif permettant de juger l’ancien chef
72d’Etat du Tchad n’était pas encore prêt, mais que bruissait la rumeur des faits qui lui étaient
reprochés ainsi que les poursuites susceptibles d’en naître, les autorités sénégalaises avaient
mis en place un dispositif propre à empêcher qu’il échappe à la justice. Faut-il rappeler les
mesures que le Sénégal avait alors adoptées, et dont la Cour a amplement eu connaissance
au moment des audiences relatives à la procédure de la demande en indication de mesures
conservatoires ?
M. Habré, avait alors précisé le Sénégal, ne dispose aujourd’hui d’aucun titre de voyage lui
permettant de quitter le territoire du Sénégal. Les autorités sénégalaises, qui auraient dû lui
délivrer un passeport ou un sauf-conduit, ont refusé d’accéder à sa demande. Le domicile
même de l’ancien chef d’Etat fait l’objet d’une surveillance vingt quatre heures sur vingt
quatre, par des éléments de la gendarmerie du Sénégal. Il est difficile, dans ces conditions,
de penser qu’il pourrait échapper au contrôle de l’Etat du Sénégal.
277. Or, en accomplissant de telles actions, le Sénégal se conforme à une obligation dérivée
de la Convention, et énoncée à l’article 6 de celle-ci :
« S’il estime que les circonstances le justifient, après avoir examiné les renseignements dont
il dispose, tout Etat partie sur le territoire duquel se trouve une personne soupçonnée
d’avoir commis une infraction visée à l’article 4 assure la détention de cette personne ou
prend les mesures juridiques nécessaires pour assurer sa présence… ».
278. Le Sénégal se permet d’attirer, respectueusement, l’attention de la Cour sur le fait que
ces mesures restrictives de la liberté de la personne présumée avoir commis les actes visés
dans la Convention, s’inscrivent en droit ligne de l’obligation « aut dedere,aut judiciaire ».
En effet, la Convention de 1984 décompose en quelque sorte l’obligation d’ « extrader ou de
juger » en une série d’actions que l’Etat qui en situation de s’y conformer devrait prendre.
Les mesures prises jusque-là par le Sénégal ne se situent donc pas à la périphérie de la
Convention, elles ne sont pas des préalables à l’exécution d’obligations conventionnelles,
mais elles constituent elles-mêmes des composantes de l’engagement « aut dedere aut
judicare ». Il n’est donc pas tout à fait conforme à la vérité même de la Convention, de
suggérer que le Sénégal n’a pas encore accompli ses engagements. Une chose est le
jugement même de M. Habré, sa traduction devant des juridictions, une autre est de prendre
d’autres mesures prescrites par la Convention : l’acte de juger M. Habré n’est que la finalité
d’un processus, mais il demeure un engagement comme d’autres ; il n’est pas concevable
73d’indiquer que tant que cette action terminale n’est pas accomplie, l’Etat n’exécute pas ses
obligations.
279. Non seulement la République du Sénégal pose des actes qui trouvent leur source ou
leur justification directement dans la Convention contre la torture, mais les autorités
sénégalaises ont clairement indiqué, plus d’une fois également, que lesdits actes se
rattachent précisément à la finalité de « juger » M. Habré. Faut-il rappeler la solennité et la
fermeté de l’engagement que le Sénégal avait alors pris devant la Cour, pour ménager la
possibilité d’un jugement de M. Habré devant les tribunaux sénégalais ? La Cour pardonnera
que soient rappelés les propos qui avaient été alors tenus par le co Agent de l’Etat du
Sénégal, relativement à une interrogation précise qu’un éminent membre de cette Cour avait
formulée, au cours de la procédure relative à la demande en indication de mesures
conservatoires :
« Permettez-moi, avant de terminer cette présentation de la République du Sénégal, de
répondre à l’importante question posée par le très honorable juge Greenwood. A l’issue du
premier tour des plaidoiries, M. le Juge Greenwood a demandé :
« Au vu de ce qui a été dit cet après midi par le distingué Agent du Sénégal et par l’éminent
conseil du Sénégal, premièrement, le Sénégal donne-t-il à la Cour l’assurance solennelle
qu’il ne permettra pas à M. Hissène Habré de quitter le Sénégal tant que la présente affaire
est pendante devant la Cour ? Et, deuxièmement, si oui, la Belgique accepte –t- elle qu’une
telle assurance soit une garantie suffisante des droits qu’elle demande dans la présente
affaire ? » (traduction du Sénégal)
En réponse, le Sénégal est naturellement disposé à confirmer, sous une forme solennelle, ce
qu’il a déjà dit :
« D’ordre de mon gouvernement, en tant que co- agent du Sénégal, je vous confirme ce que
le Sénégal a déjà dit lundi dernier, à savoir – et je le dis en anglais à l’attention de M. le
Juge Greenwood qui a posé la question – « Senegal will not allow Mr. Habré to leave
Senegal whilethe present case is pending before the Court. Senegal has not the intention to
allow Mr. Habré to leave the territory while the present case is pending before the Court” 52
52
CR
2009/9,
8
avril
2009,
p.23,par.5
(Kandji)
74280. La Cour aura le loisir de constater qu’en agissant alors comme il le faisait, le Sénégal
demeurait fidèle à la Convention de 1984. Rien ne serait plus inexact que de laisser accroire
que la Convention est, pour le Sénégal, une sorte de « chiffon de papier », oublié une fois
conclue. L’ensemble des mesures qui ont prises à l’égard de M. Habré, depuis au moins
quinze ans s’inscrit dans le droit fil de la Convention de 1984. Dans ces conditions, la
déclaration d’incompétence des juridictions sénégalaises, prononcée dans un contexte précis,
ne doit pas faire illusion. Elle traduisait l’omission d’une diligence certes importante, mais
elle ne signifie nullement que la totalité des dispositions du traité a fait l’objet d’une
inobservance par le Sénégal. Les mesures de surveillance prises contre l’ancien Président du
Tchad trouvent en effet leur source dans une disposition précise de la Convention, l’article 6
paragraphe 1 . aux termes de celui-ci,
« 1. S’il estime que les circonstances le justifient, après avoir examiné les renseignements
dont il dispose, tout Etat partie sur le territoire duquel se trouve une personne soupçonnée
d’avoir commis une infraction visée à l’article 4 assure la détention de personne ou prend
toutes autres mesures juridiques nécessaires pour assurer sa présence. Cette détention et
ces mesures doivent être conformes à la législation dudit Etat ; elles ne peuvent être
maintenues que pendant le délai nécessaire à l’engagement de poursuites pénales ou d’une
procédure d’extradition ».
281. Le Sénégal ne peut, a fortiori aujourd’hui qu’il a établi les bases législatives d’un
procès de M. Habré, se voir suspecter de prendre des libertés vis-à-vis de la Convention ou
imputer un quelconque fait illicite. Pas plus qu’hier, il ne peut se voir reprocher,
aujourd’hui, de préparer ou de préméditer un acte illicite, de nourrir donc un projet en ce
sens.
282. La persistance des demandes belges devant la Cour amène également à éclaircir les
choses sur ce point. En droit international, un Etat ne peut être jugé qu’à l’aune de ses actes
effectifs. A supposer même que l’on puisse éprouver un doute sur la sincérité des
déclarations d’un Etat, il reste parfaitement impossible d’inférer de ce doute un quelconque
acte illicite. Même dans l’hypothèse où le fait internationalement illicite consiste en une
action précise – ce qui n’est pas le cas dans la présente affaire -, les simples actes
préparatoires de cette action ne constituent pas, eux-mêmes, un fait internationalement
illicite. La Cour l’a bien rappelé dans l’affaire relative au « Projet Gabcikovo-Nagymaros ».
La question posée à la Cour était de savoir quand le dispositif de détournement des eaux
75avait été mis en service. Elle a répondu que la violation du droit que ce fait constituait n’a eu
lieu qu’à partir du moment où les eaux du Danube avaient effectivement été détournés. Selon
la Cour,
« entre novembre 1991 et octobre 1992, la Tchécoslovaquie s’est bornée à exécuter sur son
propre territoire des travaux qui étaient certes nécessaires pour la mise en œuvre de la
variante C, mais qui auraient pu être abandonnés si un accord était intervenu entre les
parties et ne préjugeaient dès lors pas de la décision définitive à prendre. Tant que le
Danube n’avait pas été barré unilatéralement, la variante C n’avait en fait pas été
appliquée. Une telle situation n’est pas rare en droit international, comme d’ailleurs en
droit interne. Un fait illicite ou une infraction est fréquemment précédé d’actes
préparatoires qui ne sauraient être confondus avec le fait ou l’infraction eux-mêmes. Il
convient de distinguer entre la réalisation même d’un fait illicite (que celui-ci soit
instantané ou continu) et le comportement antérieur à ce fait qui présente un caractère
préparatoire et « qui ne saurait être traité comme un fait illicite » » .
283. Le « fait internationalement illicite éventuel » n’existe donc pas. La demande de la
Belgique est essentiellement fondée sur un état de fait et de droit qui n’est plus de mise, et
elle ne saurait puiser dans le futur des éléments d’une critique du comportement de la
République du Sénégal. Cette dernière a largement entamé le processus qui devra mener au
jugement de M. Habré, attitude qui participe déjà de l’exécution de ses obligations.
284. Au vu de l’ensemble des développements qui précèdent, suivant lesquels le Sénégal
assume ses engagements conventionnels et n’a pas commis, aujourd’hui, un quelconque fait
internationalement illicite, qu’il prie la Cour de bien vouloir lui adjuger le bénéfice des
conclusions qui suivent.
CONCLUSIONS
Pour l’ensemble des motifs exposés dans le présent contre-mémoire, l’Etat du Sénégal prie
la Cour Internationale de Justice de dire et juger que :
1) A titre principal, elle ne peut pas se prononcer sur le fond de la requête introduite par
le Royaume de Belgique en raison de son incompétence, en tant qu’elle résulte de
53
CIJ,
Rec.
1997,
p.
54,
par.79.
La
Cour
cite
le
commentaire
de
l’article
30
résultant
des
travaux
de
la
CDI.
76 l’absence de différend entre la Belgique et le Sénégal, et de l’irrecevabilité de ladite
requête ;
2) –Subsidiairement, le Sénégal n’a violé aucune disposition de la Convention de 1984
contre la torture, notamment celles qui lui prescrivent l’obligation d’ « extrader ou de
juger » (articles 6 paragraphe 2 et article 7 paragraphe 1 de la Convention) ni, plus
généralement, aucune règle droit international coutumier;
3) – le Sénégal, en prenant les différentes mesures qui ont été indiquées, applique ses
engagements d’Etat partie à la Convention de 1984 contre la torture ;
4) – le Sénégal en prenant les mesures et dispositions appropriées pour préparer le
procès de M. Habré, se conforme à la déclaration par laquelle il s’est engagé devant
la cour ;
285. Le Sénégal se réserve le droit de modifier ou d’amender, le cas échéant, les présentes
conclusions, conformément aux dispositions du Statut et du Règlement de la Cour.
Dakar, le 23 Août 2011
Prof. Cheikh Tidiane THIAM Demba Kandji
Ambassadeur,Agent du Gouvernement Co Agent de la République du de la
République du Sénégal Sénégal
77
Contre-mémoire du Sénégal