Observations additionnelles de l'Allemagne

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16664
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Incidental Proceedings
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COUR INTERNATIONALE DE JUSTICE

AFFAIRE RELATIVE AUX IMMUNITÉS JURIDICTIONNELLES DE L’ÉTAT

(ALLEMAGNE c. ITALIE)

REQUÊTE À FIN D’INTERVENTION DÉPOSÉE PAR LA GRÈCE

OBSERVATIONS ADDITIONNELLES DE L’ALLEMAGNE

26 mai 2011

[Traduction du Greffe] 1. L’Allemagne prend note des lettres grecques datées des 4 et 5mai2011, qui visent à

éclaircir la portée et le sens de la requête à fi n d’intervention présentée par la Grèce en l’affaire
relative aux Immunités juridictionnelles de l’Etat (Allemagne c.Italie). L’Allemagne a eu
l’occasion d’exprimer ses vues dans sa réponse du 23mars2011. Tous les arguments qu’elle a

déjà avancés demeurent valid es après réception des communications des 4 et5mai2011.
L’Allemagne se limitera donc ici à quelques observations pouvant aider à mieux cerner la situation
juridique, sans rouvrir entièrement le débat.

2. L’Allemagne note que la Grèce a précisé l’«intérêt d’ordre juridique» (article62 du
Statut) qu’elle estime être pour elle en cause. Renonçant au raisonnement qu’elle avait adopté dans
sa requête, fondé sur une pluralité d’arguments, la Grèce ne prétend plus avoir un intérêt général à

l’égard des questions juridiques dont la Cour est sa isie, et ne souhaite pas porter devant celle-ci les
événements de la seconde guerre mondiale, à savoi r les atrocités co mmises par les forces armées
allemandes, avant leur retraite, contre la population civile. Elle déclare, sans ambigüité, que «son

intention d’intervention ne vise, d’aucune manière, à l’élargissement du domaine en litige entre les
Parties dans la présente affaire» (par.4). Dès lors, point n’est besoin de revenir sur les deux
premiers aspects de son raisonnement, tels qu’identifiés par l’Allemagne dans sa réponse du

23 mars 2011.

3. L’Allemagne demeure néanmoins aussi sc eptique qu’avant sur la recevabilité de la
requête hellénique au regard du troisième aspect . La Grèce soutient que son intérêt d’ordre

juridique découle du fait que «[l’]une de[s] composant es, qui articulent la cause, consiste à la mise
en jeu de l’exécution d’une décision d’un organe juridictionnel grec (Protodikeio/Tribunal de
première instance de Livadeia)» (par. 6). La question est de savoir si cet argument sert réellement

la cause de la Grèce.

4. Tout d’abord, il convient de se demander si l’on peut considérer qu’un Etat puisse avoir
un intérêt juridique dans l’applicabilité, par de s Etats étrangers, de décisions rendues par ses

propres juridictions. Les décisions rendues au civil créent une relation juridique entre les parties au
différend qui a été réglé. Les pouvoirs publi cs n’engagent pas eux-mêmes de procédures
d’exécution. Dans l’Etat du for, ils sont tenus de prêter assistance à la partie qui a obtenu gain de

cause. Le droit d’accès à un juge garanti par l’article 6 de la convention européenne des droits de
l’homme vaut également pour l’exécution d’une d écision rendue dans le cadre d’un différend
relatif à des droits civils. En revanche, lorsqu ’une décision doit être exécutée hors du territoire

national, ce sont les autorités de l’Etat sur le territoire duquel doivent être prises les mesures de
contrainte qui sont pleinement responsables de s on exécution. Partant, les intérêts juridiques de
l’Etat du for dont les juridictions ont rendu ladite décision ne sauraient s’en trouver affectés.

5. Dans la présente instance, les faits de la cause permettent encore moins à la Grèce de
faire valoir un intérêt d’ordre juridique. En 2002, la Cour suprême spéciale grecque établie à
l’article100 de la Constitution, qui remplit les fonctions d’une cour constitutionnelle, a confirmé
1
dans son arrêt en l’affaire Margellos l’immunité juridictionnelle de l’A2lemagne en infirmant les
conclusions rendues par l’ Areios Pagos dans l’affaire Distomo , rendant ainsi la décision du
tribunal de première instance de Livadia inapplicable sur le territoire grec lui-même. En outre, la

législation grecque (code de procédure civile, article 923) prévoit qu’aucune décision rendue contre
un Etat étranger ne saurait être mise en Œuvre sur le sol grec sans autorisation expresse du ministre
de la justice grec. Or, ce dernier a refusé d’acco rder son autorisation dans le cas du jugement du

tribunal de Livadia, dont l’exécution a ensuite été demandée en Italie. Les plaignants ont saisi la
Cour européenne des droits de l’homme pour protester contre ce refus. Dans l’affaire

1Décision du 17 septembre 2002, International Law Reports (ILR), vol. 129, p. 526.
2
Décision du 4 mai 2000, ILR, vol. 129, p. 513.
3Décision du 25 septembre/30 octobre 1997, mémoire de l’Allemagne, vol. 2, annexe 17. - 2 -

4
Kalogeropoulou, les juges de Strasbourg ont rejeté la requête . Ainsi, la position officielle de la
Grèce est que le jugement de Livadia ne peut, et ne doit pas, être exécuté en Grèce. En
conséquence, il serait totalement contradictoire que l’exécution de ce même jugement sur le sol

italien puisse affecter un intérêt officiel de la Grèce.

6. L’Allemagne doute également que l’arrêt qui sera rendu sur le fond du présent différend

qui l’oppose à l’Italie puisse porter atteinte à un quelconque intérêt de la Grèce. Récemment
encore, la Cour a rappelé que, lorsqu’un intérêt d’ ordre juridique était allégué, il ne pouvait s’agir
de n’importe quel intérêt : «encore faut-il qu’il soit susceptible d’être affecté, dans son contenu et
5
sa portée, par la décision future de la Cour dans la procédure principale» . La Grèce ayant décidé
de rendre le jugement de Livadia inapplicable, elle se trouve empêchée de soutenir que l’arrêt que
la Cour rendra en l’affaire relative aux Immunités juridictionnelles de l’Etat pourrait porter atteinte

à l’un quelconque de ses intérêts.

7. L’Allemagne rappelle qu’elle n’élève pas d’objection formelle à la requête à fin
d’intervention de la Grèce. Les présentes observa tions n’ont d’autre but que d’éclairer la Cour, en

appelant son attention sur certains aspects de la requête qui méritent d’être examinés de près.

Berlin, le 26 mai 2011.

L’agent du Gouvernement de la République Le directeur général des affaires juridiques et
fédérale d’Allemagne, agent du Gouvernement de la République

fédérale d’Allemagne,

(Signé) Christian T OMUSCHAT . (Signé) Susanne W ASUM -R AINER .

___________

4Affaire n 59021/00, décision du 12 décembre 2002.

5Différend territorial et maritime (Nicaragua c.Colombie) , requête du Costa Rica à fin d’intervention, arrêt du
4 mai 2011, par. 26.

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