COUR INTERNATIONALE DE JUSTICE
DEMANDE EN INTERPRÉTATION DE L'ARRÊT DU 15 JUIN 1962
EN L'AFFAIRE DU TEMPLE DE PRÉAH VIHÉAR
(CAMBODGE c. THAÏLANDE)
,
REPON E DU ROYAUME
DUC MBODGE
VOLUMEl
8 MARS 2012 COUR INTERNATIONALE DE JUSTICE
r A
DEMANDE EN INTERPRETATION DE L'ARRET DU 15 JUIN 1962
EN L'(CAMBODGE c. THAÏLANDE)ÉAH VIHÉAR
,
REPO E DU ROYAUME
DU CAMBODGE
VOLUMEl
8MARS2012 Ifi\rrROiOUCTION ................'"..........................1............
A. La demande du Cambodge....... .,...................................3..................
B. les confusions de la Thaïlande., ........ .,..........,.................. 3
L Interpréter n'est pas e)(écuter................, ....... .,......... 3
2. l'interprétation n'est pas un appel ou une révision""........... 6
3. Les événements subséquents à l'arrêt ne peuvent
altérer le sens et ia portée de l"arrê.t............ .,......7..................
4. la reconnaissance d'une fro-ntière préexistante n'est pas
une délimitation ou une démarcation............. .,............ .,.......... 8
5. l'argument qui i:ait défaut...................... .,.........9....................
6. Résumé ..,.................................................ll.....................
..
C. Présentation de !a Réponse........................................11..................
!LIES FAITS DÉMO!\I"if'RI!êr"'tUit: LE CPdf•iBODGE N'A
JAMAIS ACCEPYÉ L'INT~RPRÉ1l "!flti•NTiIlOANT~Mlfe
IDElA TlruAÏ~u ..........."..............................13..........
A. Introduction .........................."'.........................13...........
B. l'Importance juridique des faits intervenus après l'arrêt.........l.S........
C. l'interprétatiounilatérale de l'arrêt par la Thaïlande et !a
réactiondu Cambodge ........ ,....................................20...................
:L les événements de 1962 à 1970 .............................20...........
2. les événementsde 1970 à 2007 .............................32...........
3. la résurgence du différend en 2007 .........................36...........
D. Conclusions ......................................................40................
.........
COMPÉTENtE lET Rll:CEV#ll TO.tn1:Sn: LEST~~
CONDITIONS POUR QUI!: lA COUR PUISSE
INTERPRÉTER !lJN ARRIÊT SONT RÉlH'IIIES .................42.......
A. H existe une contestatfon sur le sens et la portéed'tm arrêtde
1. L'existence d'une contestation ...,......................,.. 42..........
(!) 2. La contestation porte sur le sens et la portée de l'arrêt
de 1962 ................................................................44......
....
B. La demande est recevable .......................................................49...
1. La demande n'est pas forclose ..........................................49.
La Requête du Cambodge ne cherche pas à réintroduire
2.
une demande qui aurait étédéclarée irrecevable .................50.
LA NÉCESSAIRE INTERPRÉTATION DE LA
CHAPITRE 4.
DEMANDE SOUMISE PAR LE CAMBODGE .......................... 53
A. La lecture du dispositif à la lumière des motifs essentiels de
l'arrêt du 15 juin 1962 ........................................................53.......
1. La fonction de la motivation d'un arrêt ..............................53..
2. Un motif essentiel ayant une valeur normative
obligatoire ............................................................56..........
(a) Un motif essentiel ...............................................56.....
(b) Un motif ayant une valeur normative obligatoire ............59
B. La lecture du dispositif à la lumière des motifs essentiels: une
jurisprudence constante et répandue au sein des juridictions
internationales ...............................................................62.......
....
1. La nécessaire lecture du dispositif à la lumière du motif
essentiel dans l'arrêt de 1962 .........................................63...
2. Une jurisprudence initiée par la Cour permanente de
Justice internationale et poursuivie par l'actuelle Cour ...........64
3. Une jurisprudence qui s'est répandue aux tribunaux
arbitraux et aux autres juridictions internationales ...............67.
C. Sens et portée de l'arrêt du 15 juin 1962 ......................................71
1. L'interprétation demandée par le Cambodge .......................... 71
2. La mauvaise interprétation de l'arrêt par la Thaïlande .............73
(a) Interpréter n'est pas réviser ..................................74.....
(b) L'absence de précision sur la zone en litige selon
la Thaïlande ....................................................75.........
(c) La distinction entre différend territorial et différend
frontalier selon la Thaïlande ...................................77....
(ii) (d) L'établissement d'une frontière unilatérale par la
Thaïlande suite à l'arrêtde 1962 ........ ,....................79....
(ej La confusion de la Thaïlande entre la délimitation
et la démarcationde la frontière .......................,......... 81
(f) L'obligation thaïlandaise de se retirer est une
obligation continue ............................................84........
CHAPITRE 5. CONCLUSIONS ..........................................................87.....
U:STE DES ANNEXES
(ill) CHAPITRE 1
INTRODUCTION
1.1 Les présentes Observations sont soumises conformément à la décision de la Cour
mentionnée dans la lettre du Greffe en date du 24 novembre 2011. Elles représentent la
Réponsedu Cambodge aux volumineuses Observations thaïlandaises du 21 novembre
2011 (ci-après, "les Observations" ou !es "Observations thaïlandaises") soumises par la
Thaïlande en réponseà la Demande en interprétation du Cambodge déposée à la Cour le
28 avril 2011 (ci-après, "la Demande" ou "la Requête").Par respect envers la Cour, la
présente Réponsesera plus concise et se limitera aux points essentiels de divergences
entre les Parties, en soulignant particulièrement la question de l'Interprétation que le
Cambodge a soumise à la Cour. Autrement dit, le Cambodge n'entend pas répondre à
toutes les allégations de la Thaïlande, la plupart d'entre elfes étant reprises dans des
formes confuses tout au long des Observations. Le fait de ne pas répondre directement à
tout argument ou allégation de la Thaïlande ne saurait cependant êtreinterprétécomme
unereconnaissance du bien-fondé de cette argumentation ou de ces allégations.
1.2 Pour des raisons qui lui sont propres, la Thaïlande a également joint à ses
Observations de nombreuses annexes qui, au demeurant, trouveraient plus leur place
dans une nouvelle procédure au fond que dans une procédure en interprétation. En
outre, ces volumineuses annexes sont sans pertinence pour la question de l'interprétation
devant la Cour. Le Cambodge n'entend pas faire de mêmeet s'appuiera largement sur
les faits contenus dans les documents annexés aux Observations thaïlandaises. Ces
documents seront complétésen cas de besoin afin de donner une vision suffisamment
précise des faits. C'est l'utilité des documents figurant dans le volume 2 de la présente
Réponse.
1.3 A titre préliminaire, le Cambodge estime qu'il est nécessaire d'attirer l'attention
sur certains aspectsinhabituels et troublants de cette affaire, tels qu'ils ont émergéaussi
bien des plaidoiries sur la demande en indication des mesures conservatoires, que
désormaisdes Observations thaïlandaises.
(i) La présente procédure est une demande en interprétation formulée par la
partie qui a gagné l'affaire initiale (le Cambodge) contre la partie qui a
perdu (la Thaïlande), celle-ci montrant une extrême réticence à accepter
l'arrêtde la Cour à l'époque - et encore aujourd'hui- tel qu'il ressort de la
conduite et des déclarationsfaites par la Thaïlande durant cette période.
1 (ii) La partie perdante revendique le droit d'interpréter les effets de l'arrêt de
la Cour à son encontre, et d'imposer cette interprétation par la force sur le
terrain, puis de prétendre sur cette base qu'il n'existe pas de différend.
(iii) Cette interprétation unilatérale est brandie devant la Cour comme
provenant d'une décision formelle prise, semble-t-il, par le Conseil des
Ministres thaïlandais à l'issue de l'arrêt de la Cour de 1962. Or, cette
décision n'a pas étéannexée aux documents thaïlandais dans la présente
procédure, et n'a également pas été communiquée au Cambodge, ou
même rendue publique. Alors que la Thaïlande a en effet produit une carte
unilatérale en 1962, déposée avant les plaidoiries lors de la phase de la
demande de mesures conservatoires du Cambodge, destinée à refléter la
décision prise par le Conseil des Ministres, la Thaïlande ne s'est cependant
pas appuyée sur cette carte dans ses Observations. De plus, en 2007, la
Thaïlande a publié une nouvelle carte, estampillée "SECRET", qui était
matériellement différente de celle qu'elle avait utilisée dans la procédure
initiale en 1959-1962, et qui couvrait plus de territoire sur la base d'une
nouvelle ligne de "partage des eaux".
(iv) Les Observations thaïlandaises ne sont qu'une tentative à peine voilée pour
convaincre la Cour qu'elle a commis une erreur en 1962 et que cela doit
être corrigée en 2012, notamment en révisant ou en reconsidérant l'arrêt
sous l'apparence de son interprétation.
1.4 Les conclusions thaïlandaises figurent aux pages 281-286 des Observations. Les
trois principales conclusions de la Thaïlande sont: (a) il n'existe pas de différend entre
elle et le Cambodge s'agissant du premier ou du second paragraphe du dispositif de
l'arrêt de la Cour du 15 juin 1962 (ci-après, "l'arrêt de 1962"); (b) l'arrêt de 1962 n'avait
en aucune manière déterminé que la ligne sur la carte de l'annexe I représentait la
frontière entre le Cambodge et la Thaïlande, que ce soit dans les environs du Temple du
Préah Vihéar ou de façon plus générale; (c) la Cour devra aussi prendre en considération
le fait que la ligne sur la carte de l'annexe I est affectée par des défauts techniques qui
rendraient sa transposition sur le terrain problématique.
21.5 Chacune de ces principales conclusions est, à des degrés différents, soit erronée
soit déformée soit non pertinente dans la présente procédure devant la Cour. Avant de
répondre de manière détaillée, un certain nombre d'observations d'ordre général
s'imposent.
A. la demande du Cambodge
1.6 Le Cambodge demande à la Cour de considérer le contenu de sa Requêtetel qu'il
a été présenté à la Cour et non pas tel que réinterprété par la Thaïlande pour
correspondre à ses propres desseins. Par conséquent, lorsque le Cambodge affirme ne
pas chercher à obtenir la révision ou l'exécution de l'arrêt de 1962, mais au contraire à
obtenir l'interprétationauthentique de l'arrêt, cela doit être considéré comme étant
l'objet unique de la présente procédure.
1.7 Le Cambodge réaffirme le contenu de sa Demande telle que soumise à la Cour le
28 avril 2011, tout en précisant que les Observations thaïlandaises révèlent l'existence
d'un différend encore plus patent sur le sens et la portée de l'arrêt de 1962. 1En outre, la
Requête contient une argumentation détaillée et motivée de la justification de la
demande en interprétation de l'arrêt par le Cambodge. L'objectif principal de la présente
Réponse sera donc de réfuter les objections soulevées par la Thaïlande, et non de
reprendre les mêmesarguments déjà développés dans la Requête.
B. les confusions de BaThaïlande
1.8 Certaines confusions d'une importance fondamentale sont réitérées dans les
Observations thaïlandaises et révèlent (entre autres) une simple incapacité à comprendre
les liens entre l'interprétation d'un arrêt et d'autres questions qui peuvent survenir en
rapport avec l'arrêt. De plus, la Thaïlande confond l'identificationd'une frontière
existante avec sa délimitation ou sa démarcation sur le terrain. Quelques unes de ces
incompréhensions sont largement de nature procédurale tandis que d'autres concernent
plutôt le fond.
Voir paras. 3.3-3.15 infra.
3 1. Interpréter n'est pas exécuter
1.9 L'existence d'un différend entre les Parties sur l'interprétation d'un arrêt de la
Cour dans une affaire contentieuse peut se manifester simplement au travers de
communications verbales ou écrites. le différend peut alors apparaître directement à la
suite d'un échange d'opinions ou de déclarations .servant à manifester leur
compréhension différente quant au sens et à la portée de l'arrêt ou les exigences qu'il
1
impose à l'encontre des Parties. Mais l'existence d'un différend de cette nature peut
également se manifester indirectement par une action déclenchéepar une ou les deux
parties (ou qui s'estime en droit de la prendre) par l'entremise d'une prétendue exécution
des conditions imposées par la Cour. Des illustrations des deuS<cas de figure se
retrouvent dans la présente affaire et seront traitées pius loin au Chapitre 2. Une telle
situation peut dès lors poser au mêmemoment aussi bien·une question d'interprétation
et une question d'exécution. Mais le fait que ces deux questions se posent
simultanément, en rapport avec le mêmesujet, ne change pas leur nature intrinsèque:
une question d'interprétation reste une question d'interprétation, une question
d'exécution reste une question d'exécution. Il n'est pas nécessaire de déployer des
trés'orsde logique pour comprendre que l'exécution conforme et nécessaired'un arrêt
présuppose une compréhension exacte et appropriée de ce que l'arrêt signifie et
requiert. 2 Par conséquent, il convient de rappeler ce que le Cambodge a déjà indiqué
dans sa Requête: 3
"le Cambodge souhaite indiquer très clairement que, par le biais de cette requête,
il ne cherche nullement un quelconque moyen pour l'exécutionforcéede l'arrêtde
1962. Comme ceci sera expliqué Infra, le Cambodge recherche seulement
l'explication par la Cour elle-mêmede la signification réeiie du sens et de la
portée de son arrêt dan1 la limite prescrite par l'article 60 du Statut 1 qui
s'imposerait au Cambodge et à la Thaïlande, et qui pourrait alors êtrela base pour
enfin mettre fin à ce différend par la négociation ou par tout autre moyen
pacifique."4
1.10 Autrement dit, !a Thaïlande ne peut pas se soustraire au mécanismede l'article 60
du Statut de la Cour, et encore moins aux droits que cet article octroie à une Partie lors
d'une affaire devant la Cour, en opérant une requallfication unilatérale et infondéede la
Dans les faits, la Thaïlande l'admet puisqu'elle càeinsinuer que l'arrêété exécutéavec le
consentement des deux Partiesetque, dès lors,lesParties ne peuventpas êtreen litige sur son
interprétation. Cela sera discutéInfra dans le Chapitre 2.
Requête,para.31.
4 Voir aussi paragrap17 de laRequête:"Ilest devenu évident pour le Cambodge, qu'aussi longtemps
que cette divergence d'interprétation persisterait et demeurerait irrésolue, il n'y aurait aucune
perspective de parvenirà une solution mutuellement acceptée dans le cadre de négociations
bilatérales."argument de la Thaïlande, auxparas. 4.71-4.72 desObservations,selon lequel la
réitération de cet objectif explicite de la Requêtecambodgienne indique tout le contraire, est
simplement curieux.
4Requête cambodgienne. Le Cambodge saisit cette opportunité pour réaffirmer
solennellement le contenu du paragraphe 31 de sa Requête,tel que décrit ci-dessus.
C'est bien l'interprétation de la Cour qui sera le point de départ de l'exécution, mais ce
'
n'est pas l'interprétation qui remplacera l'exécution. Si la Cour accepte d'interpréter dans
le sens que le Cambodge souhaite, l'exécution de l'arrêt se fera selon des moyens
pacifiques, sur la base d'un accord commun qui existe déjà: le Memorandum of
Understanding du 14 juin 2000 (ci-après MoU) sur la démarcation de la frontière entre
les deux Etats. Par conséquent, le Cambodge demande à la Cour une Interprétation
authentique de son arrêt dans l'espoir - et en espérant la bonne foi de son voisin -
qu'une compréhension mutuelle et appropriée de l'arrêtpermettra d'ouvrir la voie à une
résolution finale des problèmes d'exécution qui ont étéau demeurant récurrents depuis
l'arrêtrendu par la Cour.
1.11 Quoi qu'il en soit, la compréhensionde la Requêtecambodgienne par la Thaïlande
est confuse et contradictoire. Par moments, elle accuse le Cambodge de chercher une
exécution de l'arrêtde 1962, pas son interprétation. A d'autres moments, elle accuse le
Cambodge d'une tentative sournoise visant à pousser la Cour à octroyer une décision
favorable au Cambodge que celle-ci n'aurait pas réussi à obtenir à l'époque. Non
seulement ces deux arguments sont différents l'un de l'autre, mais ils se contredisent
aussi: il ne serait aucunement rationnel pour le Cambodge de chercher l'exécution de
l'arrêtsi le sens, la portée et leurs implications étaient en litige; inversement, dès lors
que le sens, la portée et les implications de l'arrêt sont en litige, demander une
clarification des questions litigieuses ne peut, par définition, êtreune requêteaux fins
d'obtention de nouvelles décisions sur des matières non préalablement tranchées.
Comme ceci fut déjà souligné, la position de la Thaïlande sur la question de l'exécution
par rapport à l'interprétation est extrêmementinquiétante au regard de ses implications
profondes. Il apparaît en effet que la Thaïlande se fonde sur le raisonnement suivant: (a)
l'arrêtplace la Thaïlande dans l'obligation d'Interpréter ses effets; (b) la Thaïlande a de
fait décidéde l'interprétation qu'elle donnerait aux effets de l'arrêtet elle a imposécette
5
interprétation sur le terrain;(c) dès lors, tout ce qui suit est matière à exécution ou
application, sans qu'il ne puisse s'agir d'interprétation. la confusion est remarquable. On
peut noter que cette ligne de raisonnement serait sans doute appropriée pour donner de
la substance à une affaire dans laquelle une partie de mauvaise foi interprète un arrêt
ou, dans le cas le plus extrême, une affaire dans laquelle une partie décide en toute
connaissance de cause de défier l'arrêt sous couvert d'une interprétation. Lorsqu'une
telle proposition est avancéepar la partie perdante dans la procéduredevant la Cour, les
implications sont particulièrement choquantes.
Vo!r Chapitre 2 infra.
5 2. l'interprétation n'est pas un appel ou une révision
1.11 la position thaïlandaise souffre d'une contradiction interne et majeure: même
lorsqu'elle cherche à enjoindre la Cour de procéder à une évaluation juridique de la
conduite des parties subséquente à !'arrêt,la Thaïlande cherche en mêmetemps à limiter
la portée de l'arrêten se référantaux conclusions faites par les Parties avant le prononcé
de l'arrêtlors des phases écrites et orales. Plus d'un tiers des Obsecvations thaïlandaises
est consacré à une analyse détaillée - minute par minute - des conclusions successives
des Parties, qui culmineront avec l'arrêt de 1962. Le but de cette exégèse demeure
incertain. Dans le cadre d'une procédure en appel ou en révision, une contestation de la
décision oé la juridiction comme étant ultra petita serait envisageable, mais il
n'appartient pas à une Partie de contester un arrêtde la Cour internationale de Justice
sur un fondement ultra petita, que ce soit 50 ans après l'événement ou plus tard, et
certainement pas dans une réponse à une demande en interprétation. L'arrêtest ce qu'il
est. Sa portée et sa sagesse ne sont pas assujetties à un examen ex post facto par les
Parties. L'objectif d'une interprétation est de s'enquérir de ce que la Cour a voulu dire,
pas de ce que les Parties veulent lui faire dire.
1.12 Un arrêtde la Cour est de plus définitif et sans recours. Il appartient à la Cour de
décider, et seulement à la Cour, lorsqu'elle rédige son arrêt, de déterminer les questions
qui doivent être prises en compte, les questions qui doivent être tranchées avant
d'arriver à sa décision définitive, et la façon de les envisager dans le dispositif de son
arrêt. Il appartient à la Cour, et seulement à la Cour, de déterminer les fondements de
son arrêt et les termes utilisés pour justifier ces fondements dans l'arrêt. Ce faisant, il
appartient à la Cour également de déterminer jusqu'à quel point, si nécessaire, elle doit
se lier aux arguments des Parties contenus dans leurs conclusions. 6 Le Cambodge
s'appuie sur le considérant limpide de la Cour dans l'affaire du Sud-ouest Africain, dans
lequel on peut lire: "que la Cour a le droit, implicitement reconnu par l'article 53,
paragraphe 2, de son Statut, de choisir elle-même les motifs de ses décisions..." .7 En
résumé, l'arrêt de la Cour se suffit à lui-même. Il est autonome et doit êtreinterprété
selon ses propres termes et non pas par référenceà des sources externes. Le principe
s'applique dans son intégralité à la portée de l'arrêttout comme à l'interprétation de ses
fondements spécifiques ou d'autres élémentscontenus en son sein. Si la réellevolonté de
La Cour peut choisir de se fonder sur des arguments que les Parties n'ont pas soulevés. Voir par
exemple,Plates-formes pétrolières (République islamique d'Iran c. Etats-Unis d'Amérique), arrêt,C.I.J.
Recueil 2003, p. 180, para. 37(citant l'Application de la convention de 1902 pour régler la tutelle des
mineurs, arrêt, C.I.J. Recueil 1958, p. 62): la Cour "reste libre dans le choix des motifs sur lesquels
elle fondera son arrêt." Voir aussi Souveraineté sur Pu/au Ligitan et Pu/au Sipadan
(Indonésie/Malaisie), arrêt, C.I.J. Recueil 2002, Opinion séparée du Juge ad hoc Franck, p. 654,
para. 7.
Sud-Ouest africain, deuxième phase, arrêt,C.I.J. Recueil 1966, p. 19, para. 8. Voir infra, Chapitre 4.
6 l'argumentation thaïlandaise consiste à dire que la Cour, en 1962, avait tort ou était allée
trop loin, cela est tout simplement inadmissible.
3. les événements subséquents à l'arrêt ne peuvent altérer le sens et
la portée de l'arrêt
1.13 Subsidiairement, au vu des Observations thaïlandaises, il est clairement
nécessairepour le Cambodge de revenir dans la présente procédure sur la question de la
pertinence des faits postérieurs au prononcé de l'arrêt de 1962. Pendant les plaidoiries
durant la phase de la demande cambodgienne en indication de mesures conservatoires, il
avait étéadmis par les Parties que les faits postérieurs à l'arrêt ne pouvaient êtreun
aspect substantiel et pertinent pour l'interprétation (à l'inverse de l'existence d'un
différend). La Cour peut respectueusement se référer aux plaidoiries orales des deux
Parties sur le sujet pendant la procédure concernant les mesures conservatoires 8• Or, la
Thaïlande a apparemment modifié sa position dans ses Observations, ce qui impose un
,traitement de cette question dans le Chapitre 2.
1.14 Dans ses Observations, la Thaïlande semble adopter la position que les faits
postérieurs de l'une ou l'autre des Parties servent à priver le Cambodge de son droit de
demander à la Cour une interprétation obligatoire de son arrêt.
1.15 Cela n'est évidemment pas vrai. En tant qu'acte juridique, une décision de la Cour
est prise et est incorporée à l'arrêt prononcée solennellement par la Cour. Ni son sens ni
sa portée ne peuvent être modifiés par la conduite postérieure de quiconque. Comme
ceci fut rappelé par le Cambodge dans sa Requêteen Interprétation 10, l'objectif de la
procédure en interprétation est de préserver la situation juridique résultant de l'arrêtlui
même. Cela provient aussi bien des termes de l'article 60 que de son placement dans le
Statut. Comme S. Rosenne le souligne parfaitement : "a judgment in interpretation
cannot consider new facts ansmg or becoming known after the principal
judgment" . Ainsi que la Thaïlande l'a affirmé lors de la procédure orale, cela a étéétabli
par la Cour permanente, qui avait alors considéréque :"en donnant une interprétation
(...) La Cour écarte dans ses interprétations toute appréciation de faits autres que ceux
CR 2011/15, p. 25, para. 15 (Berman). Voir aussi la Requête,para. 28. Pour la position thaïlandaise,
voir CR 2011/14, p. 39, paras. 16-17 (Crawford).
9 Voir Demande en interprétation de l'arrêt du 11 juin 1998 en l'affaire de la Frontière terrestre et
maritime entre le Cameroun et le Nigéria (Cameroun c. Nigéria), exceptions préliminaires (Cameroun
c. Nigéria), arrêt,C.I.J. Recuei/1999, p. 31.
10 Requête, para. 28.
11 S. Rosenne, The Law and Practice of the InternatioCourt, Volume I, "The Court and the United
Nations",1920-2005, Chapter 28, p. 1613. Les décisions précédentes de la présente Cour et de la
Cour permanente de justice internationale sur ce sujet sont abordées dans le Chapitre 4 infra.
7qu'elle a examinés dans !'arrêt qu'elle interprète, et, en conséquence, tous faits
12
postérieurs à cet arrêt.''
1.17 Il s'ensuit - entendu comme un principe fondamental - que tout acte pris
individuellement par une Partie, ou conjointement par les deux Parties, ne peut en droit
apporter une quelconque altération quant au "sens ou la portée d'un arrêt" rendu dans
une procédure contentieuse entre lesdites Parties, cela étant la base de l'article 60 du
Statut à partir duquel la présente Demande cambodgienne est formulée. Il n'existe aucun
espace dans le cadre du Statut de la Cour pour qu'une interprétation adéquate de l'arrêt
soit affectée, ou soit mêmeconditionnée, en aucune manière, par la conduite postérieure
des Partie!'/à travers une procédure analogue au sous-paragraphe 3(b) de l'article 31 de
la Convention de Vienne sur le Droit des Traités. Cela n'est nullement surprenant puisque
la Convention de Vienne concerne des instruments crééspar les parties pour leurs
propres besoins et que leur force juridique provient d'accords entre les parties, alors
qu'un arrêt de la Cour est un instrument juridique d'une nature fondamentalement
différente. Lorsqu'un arrêt est rendu par la Cour, les droits des Parties figurant dans
l'arrêtdemeurent intangibles. Il n'y a pas d'appel et pas de procédure pour en demander
un réexamen sauf dans les cas exhaustifs énumérés à l'article 61 du Statut de la Cour.
L'application de l'arrêt peut correctement ou non se dérouler, cela n'affectera
aucunement les droits et obligations qui découlent de l'arrêt lui-même. Ainsi, mêmeun
accord formel entre les Parties pour régir leurs relations futures sur des matières qui ont
étéle sujet de l'arrêt par la Cour ne peut altérer rétroactivement les effets juridiques de
l'arrêt lui-même, et ce en dépit du fait que cet accord peut donner lieu à un nouveau
régime de droits et d'obligations entre les Parties.
4. La reconnaissance d'une frontière préexistante n'est pas une
délimitation ou une démarcation
1.18 A de multiples occasions, les Observations relèvent, dans des termes accusatoires,
que les arguments du Cambodge se basent sur le fondement (erroné) que la Cour dans
son arrêtde 1962 n'a ni "établi" ni "délimité" une frontière commune entre les deux Etats
sur la base de la carte de l'annexe I pour la zone qui fait l'objet de ce contentieux. Un tel
argument ne figure bien évidemment pas dans les conclusions du Cambodge dans la
présente procédure. 13 Le Cambodge préfère se référerau contenu du paragraphe 39 de
la Requête, dans lequel il énumère verbatim les multiples passages conduisant aux
12
cité par la Thaïlande au CR2011/14, p. 39, para. 16 (Crawford).C.P.I.J.sérieA n° 1p. 21,
13 La Thaïlande s'est égaréeen lisant les traductions en anglais du Greffe des paragraphes 4 et 10 de la
Requête.La phrase en fait utilisée au para. 4 de la Requêteest "à la recherche de la ligne qui devait
constituera frontière", et une phrase exactement similaire est transcrite au para. 10 de la Requête.
8conclusions de l'arrêtde 1962. Il s'agit là des élémentsessentiels du raisonnement visant
à reconnaître la souveraineté du Cambodge sur le Tempie, et démontrant que la carte de
l'annexe I 14 avait acquis force obligatoire entre la Thaïlande et le Cambodge. En d'autres
termes, la Cour a reconnu (avec force obligatoire) une frontière qui n'a pas acquis un
statut juridique à partir de l'arrêt, mais qui existait déjà en droit. En raison de
l'importance de cette reconnaissance dans le raisonnement de la Cour, le Cambodge
considère que les considérants pertinents de la Cour sont res judicata,
1.18 Le Cambodge n'a jamais soutenu la position (qui serait illogique et impraticable)
selon laquelle l'existence préalable d'une frontière établie juridiquement rendait inutile
i
une démarcation appropriée de celle-ci. Il n'y aurait alors aucune utilité à conduire le
processus bilatéral mis sur pied par le Communiqué conjoint de 1997 et le"MoU" décrits
aux paragraphes 18-20 de la Requête.Mais la démarcation présuppose une identification
préalable de la ligne frontalière et, dans la région concernée, il est logiquement
nécessaire de se baser sur la situation juridique exposée dans l'arrêtde la Cour. Aucune
preuve contraire n'existe dans les instruments sur lesquels se base la procédure de
démarcation, et l'argument thaïlandais cherchant à insinuer que le Cambodge a sacrifié le
bénéfice juridique de l'arrêt de la Cour en concluant le MoU, est dépourvu de toute
crédibilité15.
S. l'argument gui fait défaut
1.19 La Thaïlande utilise une large part de ses Observations à établir que le dispositif
de l'arrêt ne contenait pas un considérant explicite sur la force obligatoire de la ligne
frontalière figurant sur la carte de l'annexe I. Le Cambodge ne peut qu'êtred'accord tant
cette démonstration est superflue. Mais comme la Cour l'a déjà décidédans cette affaire,
au stade des mesures provisoires, suivant en cela ses décisions précédentes dans les
affaires Cameroun c. Nigéria et Avena, une demande en interprétation "... ne peut
concerner les motifs que dans la mesure où ceux-ci sont inséparables du dispositif. ":. 6
14
L'argument thaïlandais selon lequel la carte de l'annexe. I utilisée durant la procédure ne serait pas la
15 mêmeque celle reçue par la Thaïlande en 1908 est sans importance.
16 Voir infra paras. 2.70-2.81. Voir aussi, paras. 4.78-4.83.
Demande en Indication de Mesures Conservatoires, Ordonnance du 18 juillet, p. 2, para. l.Demande
en interprétation de'arrêt du 11 juin 1998 en l'affaire de la Frontière terrestre et maritime entre le
Cameroun et le Nigéria (Cameroun c. Nigéria), exceptions préliminaires (Nigéria c. Cameroun), arrêt,
C.I.J. Recuei/1999, p. 35, para. 10.
9 1.21 Or la Thaïlande ne répond aucunement à cet argument. Elle n'offre aucun
fondement à son facile argument selon lequel la carte n'a pas de statut dans cette
procédure, position particulièrement Inconfortable pour la Thaïlande lorsqu'on se réfère à
ses déclarations dans l'affaire initiale indiquant que: "[t]he issue in this case is a map,
17 18
Annex Jl' et que "[t]he central issue ln this case has become a map, Annex 1.''
1.22 Contra.irement aux affirmations explicites de la Cour (soulignés par le Cambodge
dans sa Requête),la Thaïlande ne cherche pas non plus à expliquer pourquoi la carte de
l'annexe I n'est pas essentielle, ou pourquoi elle est séparéedes élémentsdu dispositif.
Elle ne peut trouver aucun argument pour soutenir cette position. La Thaïlande préfère
plutôt avoir recours à l'argument simpliste selon lequel le Cambodj;je "mlsconstrues the
reasons" 20et qu'il y a "other reasons" qui "equally supported the Judgment," 21 tout en ne
réussissantpas à les identifier.
1.23 Dans cette affaire, la Cour fut explicite dans ses conclusions et sur la motivation
essentielle pour y parvenir. Elle affirme expressément : "la Cour ne peut rendre une
décisionsur la souveraineté dans la zone du Temple qu'après avoir examinéquelle est la
lign'e· frontière. '2EIIe affirme expressément que la question "essentielle" dans cette
affaire·est "de savoir si les Parties ont adopté la carte de l'annexe I et la ligne qu'elle
indique, comme représentant le résultat des Travaux de délimitation de la frontière dans
23
la région de PréahVihéar, conférant ainsi un caractère obligatoire à cette carte." Elle
affirme expressément que: "La Cour considère que l'acceptation par les Parties de la
carte de l'annexe I a incorporécette carte dans le règlement conventionnel, dont elle est
devenue partie intégrante". Néanmoins,la Thaïlande continue d'affirmer que la Cour en
1962 n'a "grant any status to the Annex I line." 25 Cette position - qu! a conditionné aussi
bien la position diplomatique thaïlandaise que ses actions sur le terrain - est la raison
pour laquelle Il existe un différend sur l'interprétation devant ia Cour aujourd'hui.
17
18 CR1962, p. 272 (Hyde).
19 CR1962, p. 273 (Hyde).
De manière remarquable, au para. 4.92 des Observations, la Tha11andeindique simplement que "the
reasons in themselves cannot be the object of an Interpretation under Article 60."Cet argument est
suivi d'une note de bas de page qui dirige le lecteur au para. 4.82. Le para. 4.82 ensuite offre
simplement une citation de l'affaire Cameroun c. Nigéria indiquant qu'une demande en Interprétation
"ne peut concerner les motifs que dans la mesure où ceux-ci sont Inséparablesdu disposltlf."C.l.J.
Recuei/1999, p. 35.
20 Observationsthaïlandaises,para. 5.26.
21 Ibid.para. 5.40.
22 Temple de Préah Vlhéar, fond, arrêt, C.l.J. Recueil 1962, pp. 16-17. Voir aussi Observations
thai1andaises,p. 46, para. 2.47.
23 Templede PréahVlhéar,fond, arrêt,C.l.J. Recuei/1962, p.22.
24 Ibid.p. 33.
25 Observationsthaïlandaises, p. 16, para. 1.34.
10 1.24 Les Observations thaï!aru::laises sont parcourues par de multiples confusions et
omissions: confusion entre l'interprétation et l'exécution, entre la reconnaissance d'une
frontière existante et sa démarc<ationet délimitentre,la procédure d'interprétation
et !'appel et lrévisfon;omission car elles n'e}{[Oiiquent,pas pourquoi - en dépit de la
référenceexplicite deCour à lacarte l'annexerl[ t~nt que fondement de son arrêt
- le positionnement de ia!ignedans la zone pe1tinentene serait pas"essentiel"i"1ais
piusgrave, la Thaïlande dans ses Obser.rations cherche auàssuggérer que !a Cour,
saisie par une demande en interprét aeviatnconditionnerson opinion sur son
propre arn~ àtce que les Parties pensaient fais;~ aussi ben avant que l'arrêt ne
soit rendu qu'après sonprononcé, ièune véritable tel'ltative de détoumernent de
l'intégrité et de !'indépendance~af.nction jur!dictionné!ie de la Cour en faveur da la
positiond'Etatss'présentant devant e!!eCee! est inacceptable. H s'cependant îa
positionthanandaiseprincipale dans cette affaire depuis le prononcé de !'arrêten 1962.
:L25 l'argumentairsur ie fond sera présentéde la façon suivante.
1.26 le~ sera consacré aux f©liî:s et démontreenvutilisant largemenles
documents produits par ia Thaïlandee!ie-mêrne, que les Observations thaï!anda1ses
donnent une vision particulièrement tronquée des événements postérieàr!'arrêde lc.l
Cour e~ifaisant des protestationsrépétée!; u Cambodge à l'encontre des prétentions
thanandalses,
L:27 le ChAQitre::démontrera qu'en se fondant sur 1ecritère défini dans ies arrêtsde
!a Cour et de son prédécesseur(tout~e sondittons sont réunies pour que ia Cour utilise
son pouvoir d'interprétation d'un arnêdémontrera, après une ana~y dé taméede ;,;:;
position juridique thaïlandaise révéléepopn~miè friedims les Observations, que le
différend z:;;ntreles dew< !Etats sur l'interprétation de l'arrêt de 1962 est bien plus
significatque cela i!Jvaitté envisagé élu stade de !a denrtande cambodgienne de
mesures consentatoires.
1.28 !~e ~oitre 4· contient!es principaux arguments concernant la nécessaire
interprétation de'arrêt de 1962n analysera le lien entre !e dispositif et la motivation
d'un arrêtuen prenant en cons~démt lk umisprudence de ia Cour etle:pratique destribunaux Internationaux; puis en démontrant que l'élémentessentiel - voir unique -
dans le raisonnement servant de.base aux considérantsde la Cour dans le dispositif de
l'arrêtde 1962 ne pe.t êtreIgnoré. Ii se conclura par la démonstration de la bonne
interprétationà donner sur le sens et la portéedu premier et deuxième paragraphes du
dispositif. Pour conclure, il traitera des interprétations erronéesque la Thaïlande cherche
à donner à l'arrêt.
1.29 Le Chapitre 5 contient les conclusions finales du Cambodge et montrera, sur la
base des Observations thaïlandaises prises dans leur intégralité- et particulièrement sur
la tentative volontaire de la Thaïlande de contester rétrospectivement la carte de
l'annexe I = que le principal objectif de la Thaïlande est d'introduire une sorte d'appel
contre l'arrêtde la Cour de 1962, d'une manière incompatible avec lé"Statut de la Cour.
12 CHAPITRE 2
lES FAITS DÉMONTRENT QUE lE CAMBODGE N'A JAMAIS ACCEPTÉ
l'INTERPRÉTATION UNilATÉRAlE DE lA THAÏlANDE
A. Introduction
2.1 Dans ce Chapitre, le Cambodge s'intéressera aux différents faits qui permettent de
déterminer le comportement des Parties vis-à-vis de la zone du Temple de Préah Vihéar
après le prononcé de l'arrêt de 1962. Il est en effet doublement primordial de revenir sur
cette période. D'une part, la Thaïlande a fait une présentation largement tronquée et
préjudiciable des faits en tentant de démontrer qu'il n'y a aucun différend entre les
parties sur l'interprétation de l'arrêt de la Cour. Le Cambodge doit donc tout d'abord
rétablir la réalité. D'autre part, une présentation précise des faits postérieurs à 1962
montre clairement la façon dont chaque Partie considère que l'arrêt doit êtreinterprété.
2.2 La réalité est que le Cambodge et la Thaïlande ont actuellement un différend sur
le sens et la portée de l'arrêt de' 1962 2• Une très large partie des Observations et
annexes thaïlandaises vise pourtant à démontrer que, dans les années qui suivent l'arrêt
de 1962, aucun véritable différend n'existait entre les Parties, ce qui rendrait la présente
requête en interprétation de la Cour irrecevable.
2.3 La portée juridique de cet argumentaire sera examinée dans les Chapitres 3 et 4.
L'objet du présent Chapitre est de démontrer que, faute de tout fondement juridique, cet
argumentaire est contredit par les propres faits relatés par la Thaïlande. L'analyse qui va
suivre sera très largement fondée sur les documents produits par la Thaïlande
(complétés si nécessaire par le Cambodge afin de faire preuve de précision et de
concision). Il sera démontré que les faits postérieurs au prononcé de l'arrêt établissent
clairement qu'il existe un différend entre les Parties sur le sens et la portée de l'arrêt.
2.4 Ignorant ce que la Cour a dit dans son Ordonnance en indication de mesures
conservatoires, la Thaïlande soutient qu'il n'y a pas de différend 27 et que c'est le
Cambodge qui "is now cailing into question a status quo which endured for a very long
26 Ainsi que la Cour le démontre, prima facie, dans son ordonnandu 18 juille2011: Demande en
interprétatiode l'arrêt du 15 juin1962 en l'affairedu Temple de Préah Vihéar (Cambodge c.
Thai'lande), Demande en Indicatide Mesures Conservatoires,Ordonnance du 18 juillet 2011, p. 8,
para. 31.
27 Observations thaïlandaisep. 123, Section A, et p. 283, para. 7.5.
13 time and which rests on a common understanding of Thailand and Cambodia of the
obligations arising from the 1962.Judgment." 28
2.5 A la suite d'une modification à peine voilé de ses arguments juridiques, la
Thaïlande ne pose pas la question pertinente - qui est de savoir s'il existe un différend
entre les Parties concernant le sens et la portée de ce que la Cour a décidé- mais
s'efforceplutôt de démontrer que la Thaïlande "complied" ë;!Veccet arrêtet "implemented
it", et que le Cambodge a reconnu cette application par la Thaïlande 29 .Ainsi, pour la
Thaïlande: "there is no present day dispute between Cambodia and Thailand over
30
compliance with the 1962 Judgment."
2.6 le Cambodge ne pense pas que la Thaïlande a agi en conformité avec l'arrêtde la
Cour ou qu'elle l'a correctement appliqué. Mais la présente instance ne concerne pas
l'application ou l'exécution de l'arrêt, elle concerne son interprétation. A cet égard, les
questions centrales visent aussi le sens et la portée géographiques de la décision de la
Cour dans les deux premiers points du dispositif, et ce à la lumière de ce que la Cour a
décidérelativement à la portéede la carte de l'Annexe 1, ainsi que sur l'obligation pour
la Thai1andede retirer ses troupes comme étant une obligation permanente. la question
de'i'àppl!cation de l'arrêtest une question différente puisqu'elle consiste à déterminer où
s'applique une telle obligation. Il ne s'agit pas d'une question que le Cambodge demande
àla Cour de trancher dans cette affaire.
2.7 Il ressort des Observations Thaïlandaises, qu'environ un mois après l'arrêtrendu
par la Cour, le Conseil des Ministres thaïlandais a pris une décision concernant la zone
dans laquelle s'appliquait l'obligation de retrait de ses troupes conformément au second
point du dispositif de l'arrêt.le Cambodge a attiré l'attention de la Cour dans le Chapitre
1 de sa réponsesur la façon surprenante et révélatricedont la Thaïlande s'est abstenue
de divulguer le contenu de la Résolution du Conseil des Ministres, ni (en dépit de
l'importance qu'elle y attache dans cette procédure), de la faire figurer parmi les 758
pages de documents soumis à la Cour en annexes de ses Observations. La Thaïlande
prétend désormaisque la pose de fils de fer barbelésérigésle long d'un périmètre très
étroit autour du Temple avait été faite en application de ta Résolution du Conseil des
ministres; en d'autres termes, qu'il s'agissait de la manifestation matérielle de
l'interprétation unilatérale du sens et de la portéede l'arrêtde la Cour. Le Cambodge n'a
jamais acceptéce que la Thaïlande a unilatéralement réalisé;au contraire, en de très
nombreuses occasions, le Cambodge a vigoureusement protesté contre cet état de fait
as Ibid.,p.135,para.4.31.
29 Ibid., para. 4.32.
30 Ibid., p9,para.1.18.
14qui ne reflétait pas ce que la Cour avait décidé.Cette situation s'est prolongéejusqu'au
début des années70, période à partir de laquelle un conflit armé interne a éclatéau
Cambodge.
2.8 Suite à la reprise d'une vie politique normale au Cambodge au début des années
1990, cette question ne se posait plus. le Cambodge exerçait sa souveraineté sur le
Temple et les régionssituées à proximitédu côtécambodgiende la ligne indiquéedans la
carte de l'annexe 1, y compris la colline de Phnom Trap. Des citoyens cambodgiens,
résidantdans la zone, avalent établi des marchéset construit une pagode en 1998. Ce
n'est que plusieurs années plus tard que la Thaïlande s'est déclaréeInquiète quant à
l'impact environnemental de ces activités, mêmesi elle n'indiquait jamais qu'elles étaient
incompatibles avec sa délimitation unilatéraledes "environs" du Temt)le, tels que définis
depuis l'arrêtde 1962.
2.9 C'est seulement en 2007-2008, à l'occasion des objections de la Thaïlande à la
demande du Cambodge d'inscrire le Temple sur la liste du Patrimoine mondial de
l'UNESCO,que le différenda ressurgi, et que la Thaïlandea commencé à protester contre
la présence du Cambodge sur le territoire qu'elle considère Thaïlandais autour du
Temple. Pour soutenir ces allégations, la Thaïlande a produit unilatéralement une
nouvelle carte qui prétendait montrer une frontière autour du temple, illustrant de cette
manière l'interprétation que la Thaïlande faisait de l'arrêt.Le Cambodge a protesté en
affirmant que la carte en question était sans aucune valeur juridique et qu'elle n'avait
pas étéapprouvée par le groupe de travail bilatéral dans le cadre du Memorandum of
Understanding du 14 juin 2000. Des troupes thaïlandaises occupèrent néanmoinsdes
zones à proximité du Temple où les cambodgiens exerçaient des activités pacifiques, et
des incidents armés eurent lieu. Comme la Cour ne l'ignore pas, des incidents ont de
nouveau eu lieu en 2011, et ceci a pousséle Cambodge à introduire sa demande en
Interprétation ainsi que sa demande de mesures conservatoires afin de résoudre le
différend.
2.10 Cesdifférentsévénementsseront décritsdans les paragraphes qui vont suivre.
B. L"jmportance iuridigye des faits jnteryenus après l'arrêt
2.11 Avant de procéder à l'examen des faits pertinents postérieurs à l'arrêtdans le
cadre de la demande en Interprétation du Cambodge, il est important de décrire le
contexte juridique dans lequel ces faits doivent êtreanalysés.Comme ila étérappelé
dans le Chapitre 1, toute interprétation de l'arrêtde la Cour de 1962 doit nécessairement
15se fonder sur les éléments factuels du dossier que la Cour avait à sa disposition à
l'époque où elle a rendu son arrêt.
2.12 Or, dans ses Observations écrites, la Thaïlande a introduit des nouveaux éléments
et rapports d'experts afin de revenir une nouvelle fois sur les questions relatives à la
carte de l'annexe I qui constitue un aspect essentiel de l'arrêt de la Cour. La Thaïlande
soutient que la carte de l'annexe I contenait des défauts tels que des erreurs
d'enregistrement et de positionnement, des erreurs topographiques et des problèmes
31
d'échelle • La Thaïlande introduit également ce qu'elle qualifie de version révisée de la
carte qu'elle prétend avoir découverte récemment, 50 ans après le prononcé de l'arrêt de
32
la Cour •
2.13 Aucun de ces éléments nouveaux, pas plus que les arguments soulevés par la
Thaïlande pour tenter de remettre en cause la carte de l'annexe I, n'a de pertinence dans
la présente affaire. Au cours de l'affaire principale, la Thaïlande a eu maintes
opportunités d'évoquer la question de la carte de l'Annexe I et elle l'a d'ailleurs fait; à tel
point que ceci est devenu /e problème central, ainsi que les Conseils de la Thaïlande l'ont
reconnu lors de la procédure orale. La Cour a constaté que la Thaïlande avait accepté la
carte telle qu'elle était à l'époque, et non pas dans une autre version 33.
2.14 Dans son arrêt concernant l'Interprétation des arrêts n°, 7 et 8 (Usine de
Chorzôw), la Cour Permanente avait très clairement exprimé sa position sur ce point. En
particulier, elle avait observé que:
"D'autre part, la Cour écarte dans ses interprétations toute appréciation de faits
autres que ceux qu'elle a examinés dans l'arrêt qu'elle interprète, et, en
conséquence, tous faits postérieurs à cet arrêt. De même, la Cour s'abstient de
toute appréciation au sujet de la portée qu'aurait l'arrêt à interpréter sur les
conclusions énoncées par les Parties dans une autre procédure ou autrement à
elle signalées. Elle se borne à expliquer par l'interprétation ce qu'elle a déjà dit et
jugé."34
2.15 D'ailleurs, lors des audiences sur les mesures conservatoires, la Thaïlande n'a pas
35
hésité à citer ce paragraphe afin d'exclure les faits postérieurs à l'arrêt •Or, désormais,.
elle se contredit ouvertement en faisant référence à une "version" de la carte de l'annexe
I qu'elle vient de découvrir.
31 Cf. en général, le Chapitre VI des ObservÇttthaïlandaises.
32 Ibid.,paras. 6.18et ss.
33 Temple de Préah Vihéar, arrêt, C.I.J. Recuei/196p. 32. Comme l'expliquerale Cambodge, les motifs
développés par la Cour dans son arrêà propos du statut de la carte de l'annexe I ne peuvent pas être
séparés du dispositde l'arrêt en questio(voir chapitre infra).
34 Interprétatiodes arrêtsn° 7 et 8 (usine de Chorz6w), arrn° 11, 1927, C.P.J.I. série A n° 13,21.
35 CR 2011/14, p. 39, para. 16 (Crawford).
16 2.16 La nouvelle ligne de défensede la Thaïlande s'apparente donc manifestement à
une tentative pour convaincre la Cour de réviserson arrêtou, d'une certaine manière, de
pouvoir faire appel de ce celui-ci 3• Ceci est clairement inadmissible et contrevient
manifestement à l'objet de la présenteprocédure.Cette affaire ne porte pas non plus sur
une question relative à la démarcation de la frontière à proximité du Temple, ou
comment Il serait souhaitable de transposer la carte de l'~mne Ixser le terrain. Aucune
de ces questions n'avait étéexaminéepar la Cour en 1962.
2.17 A cet égard, il faut faire une distinction entre les faits que la Cour avait à sa
disposition quand elle a rendu son arrêten 1962 et les faits qui sont intervenus après
l'arrêt.Comme le Cambodge l'a expliquéau cours des audiences lors de la demande en
indication de mesures conservatoires 37, les premiers peuvent être pertinents pour
déterminer le sens et la portée de l'arrêtde la Cour. A' l'inverse, les seconds ne sont
pertinents que pour déterminer s'il existe un différend entre les Parties concernant le
sens et la portée de l'arrêtde la Cour et la nature de ce différend. Il va sans dire qu'un
différend relatifà l'interprétation d'un arrêtde la Cour ne peut apparaître qu'après le
prononcéde ce dernier. Comme la Cour l'a parfaitement exprimé dans son Ordonnance
en indication de mesures conservatoires dans cette affaire:
"une telle contestation peut parfaitement, en sol, trouver sa force dans des faits
postérieursau prononcédudit arrêt" .38
2.18 Il convient également de rappeler, à titre de comparaison, qu'une des raisons
pour lesquelles la demande en interprétation de la Colombie dans l'affaire du Droit d'asile
n'a pas étéacceptéeétait que la Colombie avait introduit sa demande en interprétation le
jour mêmeoù l'arrêtavait étérendu. Comme la Cour l'a remarqué dans son arrêten
interprétation dans cette affaire:
"il ressort de la date même à laquelle la demande en interprétation du
Gouvernement de la Colombie a étéintroduite qu'une telle contestation n'a même
pas pu se manifester d'une manière quelconque." 39
2.19 Il est vrai que, concernant l'existence d'un différend .à propos de l'interprétation
d'un arrêtau sens de l'article 60 du Statut, la Cour a indiqué:
36 Voir paras. 5.1-5.6 infra.
31 CR2011/15, pp. 24-25,para.15 (Berman).
38 Demande en Indication de MesuresConservatoires,Ordonnance du 18 juillet 2011, p. 10, para. 37.
39 Demande d'interprétation de l'arrêtdu 20 novembre 1950 en l'affaire du droit d'asile, arrêt,C.l.J.
Recueil1950,p. 403.
17 "Il va de soi qu'on ne peut considérer comme une contestation aux termes de cet
article le seul fait que l'une des Parties déclare l'arrêt obscur, tandis que l'autre le
déclare parfaitement clair. La contestation exige une divergence de vues entre
parties sur des points définis; l'article 79, paragraphe 2, [maintenant 1 article 98,
paragraphe 2] du Règlement de la Cour confirme cette exigence en spécifiant que
la requête aux fins d'interprétation doit comprendre 'l'indicationprécise du ou des
points contestés' ."0
Cependant, ainsi que l'a déjà signalé le Cambodge dans sa requête (paragraphe 23), ce
n'est pas le cas dans la présente affaire.
2.20 Les documents que la Thaïlande a elle-même soumis dans cette affaire montrent
qu'un mois après le prononcé de l'arrêt, le Conseil des Ministres thaïlandais a adopté une
Résolution (en date du 10 juillet 1962) dans laquelle il a tracé une ligne autour du
Temple au-delà de laquelle il considérait que la Thaïlande avait l'obligation de retirer ses
forces militaires. Avant la tenue des audiences sur la demande en indication de mesures
conservatoires, la Thaïlande a soumis une carte à la Cour qui montre la ligne tracée dans
la résolution du Conseil des ministres. La Thaïlande ne s'est toutefois pas référée à cette
carte au cours des audiences, pas plus que dans ses Observations écrites. La Thaïlande
n'a pas non plus produit la résolution adoptée par le Conseil des Ministres; document qui,
de l'avis du Cambodge, aurait dû être produit par la Thaïlande dans un souci de
cohérence. Pour faciliter la consultation, une copie de la carte en question apparaît après
la page 23, où cette carte est examinée de manière plus détaillée.
2.21 Les réticences de la Thaïlande à se référer à sa propre carte sont compréhensibles
et pourraient expliquer la raison pour laquelle la Résolution du Conseil des ministres n'a
pas non plus été produite. Elle contient en effet l'interprétation unilatérale du
gouvernement thaïlandais sur l'étendue géographique de l'arrêt de 1962 juste après que
celui-cifut rendu. Par la suite, la Thaïlande a mis en application sa décision sur le terrain
en érigeant des barbelés tout le long du périmètre (indiqué en rose sur la carte), et en
menaçant de représailles tout cambodgien qui dépasserait cette ligne.
2.22 Comme on le constatera dans la section suivante, le Cambodge a protesté contre
cette ligne, ainsi que les barbelés qui la concrétisent, dès qu'il en a eu connaissance. De
l'avis du Cambodge, en réduisant les "environs" du Temple à une zone si étroite, qui
n'avait aucun rapport avec la ligne frontalière indiquée sur la carte de l'annexe I sur
laquelle la décision de la Cour se fondait, la Thaïlande a fondamentalement mal
interprété (et mal appliqué) les premier et second paragraphes du dispositif de l'arrêt de
ia Cour.
10 Ibid.
18 2.23 Le différend a perdurétout.au long des années1960. De 1970 à 1998, ainsi que
le reconnaît expressémentla Thaïlande dans ses Observations, aucun fait pertinent n'est
à signaler concernant la question de la zone du Temple e1 raison notamment du conflit
armé interne au Cambodge. Au début des années1990 et jusqu'en 2007, le différend
avait disparu car la Thaïlande n'invoquait plus la ligne définiedans la carte du Conseil des
Ministres matérialisée par les barbelés. Le Cambodge ad.ministrait pacifiquement les
environs du Temple 1 compris la zone du PhnomTrap, en construisant notamment une
pagode et en établissant des marchés, sans que la Thaïlande ne réagisse sauf pour
dénoncer l'impact environnemental que les activités cambodgiennes auraient suscité.
Toutefois, le différend a ressurgi en 2007-2008 lorsque le Cambodge a demandé
l'inscription du Temple sur la liste du Patrimoine mondial de l'UNESCOet lorsque la
Thaïlande a produit une nouvelle carte (estampillée "SECRET")qui indiquait une ligne
nouvelle plus resserrée autour du Temple - et totalement différente de la "ligne de
partage des eaux" qui avait étésoumise dans l'affaire principale - octroyant encore plus
de territoireà la Thaïlande.
2.24 Ainsi, comme précisépar ie Cambodge dans sa requête, la présente affaire
portant sur l'interprétation de l'arrêtde 1962 n'est donc pas simplement l'affaire d'une
Partie qui considère l'arrêtobscur alors que l'autre le trouve clair. Le différend entre les
Parties se fonde sur des élémentsconcrets: il se rapporte à une position étayéeque la
Thaïlande a adoptéeconcernant l'étendueterritoriale de l'arrêt, à la fois sur les cartes et
sur le terrain, et le fait que le Cambodge n'a jamais acceptécette position1aussi bien au
moment où elle a étéadoptée qu1après sa récenterésurgence.
2.25 Aux termes de l'article 60 du Statut, il n'est pas nécessaireque le différend soit
apparu d'une manière particulière. la question est simplement de savoir si les Parties ont
manifestédes opinions différentes quant au sens ou à la portéed'un ou plusieurs points
de l'arrêt qui ont été décidésavec force obligatoire. Comme l'a affirmé la Cour
Permanente:
"Pour ce qui est du terme 'contestation' la Cour constate que l'article 60 du Statut,
d'après sa teneur, n'exige pas que l'existence de la contestation se soit
manifestée d'une certaine manière, par exemple par des négociations
diplomatiques. Il paraît bien désirablequ'un Etat ne procède pas à une démarche
aussi sérieuse que l'assignation d'un autre Etat devant la Cour, sans avoir
auparavant, dans une mesure raisonnable, tâché d'établir clairement qu'il s'agit
d'une différence de vues qui ne peut êtredissipéeautrement. Mais, vu la teneur
du texte, la Cour estime ne pas pouvoir exiger que la contestation se soit
formellement manifestée; à son avis, il doit suffire que les deux Gouvernements
19 aient en fait manifesté des opinions opposéesquant au sens et à la portée d'un
arrêtde la Cour." 41
Et la Cour Perman~n t'expliquer plus loin:
"Pour qu'une divergence de vues puisse faire l'objet d'une demande en
interprétation en vertu de l'article 60 du Statut, il faut donc qu'il y ait divergence
entre les Parties sur ce qui, dans l'arrêten question, a ététranché avec force
obligatoire. Cela ne veut pas dire qu'il doive êtreincontesté que le point dont le
sens .prête à discussion regarde une partie de l'arrêtayant force obligatoire. Une
divergence de vues, si tel ou tel point a été décidéavec force obligatoire,
constitue, elle aussi, un cas qui rentre dans le cadre de la disposition en question,
et la Cour ne pourrait se soustraire à l'obligation d'interpréter l'arrêt dans la
mesure nécessairepour pouvoir se prononcer sur pareille divergence." 42
Ainsi qu'il sera vu, les documents montrent à l'évidence qu'il existe toujours un tel
différend.
c. L'interprétation unilatérale de l'arrêt par la ThaïBande et la réaction du
Cambodge
1. Les événements de 1962 à 1970
2.26 Dans ses Observations écrites, la Thaïlande affirme que: "in the aftermath of the
1962 Judgment 1 and clearly for a long period afterwards, Cambodia has made no
complalnt as to the way paragraph 2 of the dispositif was implemented by
43
Thailand." D'après la Thaïlande:
"Successful implementation of the judgment speaks for the agreement of the
Parties on its meaning and scope, and therefore for the absence of any dispute
that may requlre interpretation."44
Dans le mêmesens, la Thaïlande prétendque:
"The subsequent consolidation of the factual situation resulting from Thailand's
implementation confirms that the Parties shared a common understanding of the
obligations resulting from the Judgment. "45
41 Interprétation des arrêno•7 et8 (usinede Chorz6w),arrên t°11, 1927, C.P.J.l. sérin" 13,
pp. :1.0-11.
42 Ibid., pp. 11·12.
43 Observations thaïlandaises, p. 132, para. 4.25.
44 Ibid., p. 125, para. 4.11. Comme alléguépar la Thal1ande: "it is hard to conceive that a judgment that
has been implemented, especlallyt has been implemented a very long time ago, should reveal at! of
a sudden uncertaintles or contradictions" (Ibid., p. 133, para. 4.27).
45 Ibid., p. 13para.4.30.
20 2.27 les allégationsthai'landaisesquant au fait que le Cambodge ne se serait pas plaint
de l'application par la Thaïlande de l'arrêt,et que les Parties ont compris de la même
façon les obligations de la Thaïlande qui découlent de cet arrêt, sont manifestement
erronéeset sont contredites par de nombreux documents soumis par la Thaïlande elle
mêmeen annexe de ses Observations écrites, ainsi que par des documents que le
Cambodgesoumet en annexe de cette Réponse.
2.28 L'arrêta étérendu le 15 juin 1962. Peu de temps après, le Vice-Premier Ministre
et Ministre de la Défensede la Thaïlande (le GénéralKittikachorn) a fait une déclaration
ayant une teneur ouvertement belliqueuse qui soulevait déjà de sérieuses questions
quant à la volonté de la Thaïlande de respecter l'arrêt, et notamment concernant le
retrait de ses troupes de la zone autour du Temple:
"Le gouvernement a donné des ordres aux unités de police frontalière pour
qu'elles tirent immédiatement sur quelconque tenterait de pénétrer dans cette
46
zone, qui appartient à la Thaïlande et lui a toujours appartenu."
2.29 Une déclaration semblable a été également faite par le Premier Ministre
thaïlandais, le MaréchalSarit Thanarat, le 18 Juin 1962. Son discours a étérapportéde la
manière suivante:
"J'avais déjà donné l'ordre de renforcer la police gardant Préah Vihéar. La
Thaïlande a toujours la souverainetésur le Temple de PréahVihéar, a confirméle
1er ministre. En outre, j'avais ordonné à une compagnie militaire de se tenir prête
à faire face à toute violation éventuellede la souveraineté de la Thaïlande." 47
2.30 Le Cambodge a alors Immédiatement réagi. Dans une déclaration prononcéele
jour suivant, le Cambodge a exprimé son profond regret en raison du refus de la
Thaïlande de respecter son obligation de "retirer tous les élémentsde force arméeou de
police ou autres gardes ou gardiens installés dans le Temple ou dans ses environs ou
48
territoire cambodgien" en conformité avec l'arrêtde la Cour.
2.31 Quelques jours plus tard, le Premier Ministre thaïlandais a fait une déclarationplus
apaisante, en affirmant que la Thaïlande était prête à respecter l'arrêt, tout en
dénaturant cependant les termes que la Cour avait en fait utilisés:
45 Ibid.,Annexe 9, p. 53.
47 Conférencede Presse duPremier Ministre thaïlandais,18Kjuin1962,Annexe 1.
48 Annexe 2.Voir également Annexe 3,les remarques du Prince Sihanouk faites le 22 1962 dans
lesquellesil observait que le Cambodge aurait fait preuve de patience car l'arrêtétait sans appel et
qu'un jour ou l'autre la Thai1andedevrait respecter ses obligations.
21 "If [there is a] dispute over judgment; only plaintiff has right [to] ask World Court
ruling. Suppose we agree [to] give up Khao Phra Viharn Temple. What ls extent of
Temple viclnlty? Court ca·llsonly for turning over Temple." 49
Cette interrogation qui subsiste encore aujourd'hui demeure l'essence du différend qui
oppose les Parties et la question essentielle au cŒur de la demande en interprétation de
la requêtedu Cambodge.
2.32 Le 6 juillet 1962, la Thaïlande a envoyé une lettre au Secrétaire généraldes
Nations Unies par Intérim dans laquelle elle affirmait que, en dépitde son désaccordavec
la décisionde la Cour, la Thaïlande comptait respecter ses obligations conformément à
l'article 94 de la Charte des Nations Unies. Mais, parallèlement, la Tharlande protestait
contre la décision et se réservait le droit de récupérerle Tempre à l'avenir en ayant
recours à toutes procédures juridiques existantes ou qui pourraient exister
50
ultérieurement • Par la suite, la Thaïlande a continué à affirmer qu'elle rejetait l'arrêtde
la Cour et qu'elle avait transféréla souverainetésur le Temple uniquement en raison de
son obligation découlantde l'article 94 de la Charte et non pas au titre de ce que la Cour
avait décidé 5• Mals ceci laissait toujours sans réponsela question de la zone dans les
environs du Temple en territoire cambodgien sur laquelle la Thailande avait l'obligation
de se retirer.
2.33 A ce stade, il est significatif d'observer qu'il ressort des différentes pièces
produites par la Thaïlande dans cette procédureque celle-ci a cherché,dès le début, à
créer sa propre vérité, à la fols dans ses relations avec l'extérieur - y compris le
Représentantspécial du Secrétaire généraldes Nations Unies - et en maintenant une
distinction entre le respect de ses obligations découlantde l'article 94 de la Charte des
Nations Unies (ce qu'elle s'est finalement sentie contrainte de faire) et l'application de
l'arrêtde la Cour (ce qu'elle a refuséde faire). Celajette en soi pour le moins un doute
sur l'argument central de la Thaïlande dans la présente affaire selon lequel elle a
respecté l'arrêt. Mais, par pur sophisme, elle devrait expliquer à son tour pourquoi,
aujourd'hui encore, elle appréhendel'arrêtcomme une succession de prescriptions dont
l'interprétation devrait êtreconfinée à un champ d'application très restreint, plutôt que
de tenter d'interpréter de bonne foi cet arrêt en tant que tel afin de parvenir à
comprendre la portéeet le sens ce que la Cour a explicitement et implicitement décidés.
49 Observations thaïlandaises, Ann10, p. 58 (souligné par le Cambodge).
50 Ibid.,Annexe 14,p. 79: "His Majesty's Government desires to make an express reservation regarding
whatever rlghts Thailand has, or may have in future, to recover the Temple of Phra Viharn by havlng
recourseto any existing or subsequently applicable legal process, and to register a protest aga1nstthe
decision of the International Court of Justice awardlng the Temple of Phra Viharn to Cambodia."
51 Ibid., Annexe 71, p. 425.
22 2.34 le fait que la Thaïlande voulait unilatéralement déterminer les "environs" du
Temple qui devaient être transférés au Cambodge est confirmé par le Vice~Premier
Ministre thaïlandais le 12 juillet 1962 lorsqu'il a indiqué que "the marking of the vicinity
of the Temple of Phra Viharn would be done by the Royal Thaï Government
unilaterally."Le Vice-Premier Ministre a d'ailleurs ensuite ajouté que "the Government
had already decided the limit, whlch was 20 metres from the Temple's naga staircase
towards the main road, two roads paralleling the Temple's stairs at 100 metres [and] at
the back, 30 metres from the broken sta!rcase at the steep ciiff." 52 D'après les
Observations écrites de la Thaïlande, ces actions auraient constitué des "measures
necessary to comply with the Judgment." 53 Il est évident que cette délimitation
unilatérale ne peut s'appuyer sur l'arrêtde la Cour mais qu'elle est fondéesur la décision
prise par le Conseil des ministres quelquesjours plus tard.
2.35 l'interprétation de la Thaïlande de ce que le terme "environs" comprend est
reflétéedans la carte qui figure après cH:~pr Telsque rapporté par l'Ambassade des
Etats-Unis à Bangkok dans une dépêche en date du 16 juillet 1962:
''Thais reportedly used barbed wire [to] mark off approximately 166 rais (one rai
. equals 1,600 square metres} land surrm.mding Cambodia in compliance with ICJ
decision."54
2.36 La ligne figurant sur ia carte issue de la Résolution du Conseil des ministres du
10 juillet 1962 n'est pas conciliable avec l'arrêtde la Cour et ne représente guère un
"legal process" approprié pour récupérer des régions qui se trouvent en territoire
.cambodgien selon l'arrêtde la Cour. la deuxième carte qui suit cette page est tirée du
contré-mémoire thal1andais dans l'affaire principale. Cette carte avait été préparéepar
l'expert thaïlandais pour illustrer le tracé dela ligne figurant sur la carte de !'annexe I
dans la zone du Temple à l'échellede 1/50.000 55,Comme on le verra en comparant cette
carte avec la carte du Conseil des Ministres thaïlandais, la ligne figurant sur la carte de
l'annexe I, acceptéepar la Thaïlande selon la Cour, a un tracé en forme de "U" au nord,
estet ouest du Temple, laissant les zones au sud de cette ligne en territoire cambodgien.
2.37 En revanche, la carte de la Résolutiondu Conseil des ministres ne montre pas la
ligne figurant sur la carte de l'annexe 1. Les lignes roses qui apparaissent à l'est età
l'ouest du Temple se trouvent en plein territoire cambodgien comparées avec la ligne
figurant sur la carte de l'annexe I. En fait, les lignes roses définies par la Thaïlande se
52 Ibid., Annexe 17, p. 91.
53 Ibid., 135,para.4.31.
54 Ibid., Annexe 19, p. 99.
55 Il convient de rappeler que la carte de étaità l'échellede 1/200.000.
231. 1
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1
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f •
l
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\\
\
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\.
'.........
'0..1 .· terminent au sud et à l'est par des points qui, d'après les argumentations de la Thaïlande
dans l'affaire principale, se trouvaient le long de la ligne de partage des eaux.
Cependant, cette prétendue ligne de partage des eaux n'a pas étéjugée pertinente en
raison de l'acceptation par la Thaïlande de la ligne de la carte de l'annexe I, comme ceci
est clairement affirmé dans l'arrêtde la Cour-56•
2.38 Comme le Cambodge l'a indiqué, la police thaïlandaise était autorisée à agir
immédiatement contre quiconque ne respectait pas la ligne qu'elle avait unilatéralement
définie. Une dépêcheenvoyée à Washington par l'Ambassade des Etats-Unis à Phnom
Penh le 16 juillet 1962 résumait le contenu d'un article paru dans la publication
cambodgienne Réalités. Il y était préciséque !"'acceptation" thaïlandaise de l'arrêtavait
étéfaite à contrecŒur et qu'on pouvait s'attendre à ce que la THaïlande agisse contre
toute violation de la ligne qu'elle avait conçue. En revanche, il était indiqué que le
Cambodge n'aurait pas concentré de troupes dans les environs du Temple, mais qu'il
aurait envoyéseulement quelques gardes 57•
2.39 Le 14 août 1962, le Prince Norodom Sihanouk fit une déclaration à la presse dans
laquelle il faisait référence à des incidents armés provoqués par la Thaïlande près du
Térriple, et se plaignait de la décision unilatérale de la Thaïlande de construire une
barrière de fils de fer barbelésen territoire cambodgien:
"Ces raisons étant données,je précise à nouveau que les agresseurs thaïs sont
encore actuellement sur notre territoire. Il y a mieux encore, car bien que les
militaires stationnés à PréahVihéar en aient étéretirés, le pied de colline est
environné de fils de fer barbeléet JeMinistre de l'Intérieur thaï a donnél'ordre à
ses forces de police de tirer sur quiconque s'approcherait de ces barbelés.Il est
clair donc qu'ils n'ont pas renoncéà leurs viséssur PréahVihéar." 58
2.40 Il s'agit de la première d'une sériede nombreuses protestations cambodgiennes à
propos de l'interprétation unilatérale thaïlandaise quant à la portée de l'arrêt.
Contrairement à ce qui est affirmé par la Thaïlande, dans ses Observations écrites,cette
déclarationne saurait êtreassimilée à la reconnaissancepar le Cambodge de l'application
de l'arrêtpar la Thaïlande.
2.41 Une manière significative d'illustrer la façon dont la Thaïlande appréhendeles faits
est l'affirmation selon laquelle le ministre des Affaires étrangères du Cambodge aurait
56 Temple de PréahVihéar,fond, arrêt,C.I.J. Recuei/1962, p. 33. Dans ses Observations {pp. 200-201),
la Thaïlande reproduit encore une fols une citation tronquée de ce qui est énoncédaàcel'arrêt
propos. Le Cambodge l'a soulignédans sa requêteen interprétation, mais la Thaïlande a néanmoins
réitérécette omission. ·
57 Observations tha'îlandalses,Annexe 20,03.
sa Ibid., Annexe 26, p. 130.
24accepté dans un discours prononcé à l'Assembléegénéraledes Nations Unies le 27
septembre 1962 que la Thaïlande "complied with the Court's decision." 59En effet, sorti de
son contexte, ce bref extrait de la déclaration du ministre des Affaires étrangères se
comprend assez différemment de la façon dont la Thaïlande souhaite l'entendre. C'est
une déclarationfaite lors d'un "débatgénéral" à l'Assembléegénéralequi, comme le sait
tout observateur averti, est consacré à un rapide tour d'horizon des événements
mondiaux. le texte montre que le ministre des Affaires étrangères faisait allusion
principalement au rejet par la Thaïlande de l'arrêtde la Cour suivi par sa réticencepuis
son acceptation mitigée, mais non pas à la question de l'application de l'arrêt sur le
terrain. A l'époque,la Thaïlande s'étaiten effet retiréedu Temple lui-mêmeet avait donc
obtempéré à une partie de ses obligations découlantde l'arrêt.Cependant, la Thaïlande
ne s'étaitpas retirée des "environs" du Temple comme elle en avait l'dbligation d'après le
paragraphe 2 du dispositif, et la Thaïlande ne respectait donc pas la ligne figurant sur la
carte de l'annexe I dans la zone du Temple. Ainsi qu'il ressort du paragraphe qui suit
celui cité par la Thaïlande, le Prince Sihanouk n'avait toujours pas prévu de visiter le
Temple et le Cambodge se demandait encore si la Thaïlande lui permettrait de le faire
sans êtreinquiété.
2.42 Ces Incertitudes permanentes sont mises en évidencedans le rapport de M. Nils
Gussln qugi~avait éténommé représentant personnel du Secrétairegénéraldes Nations
60
Unies pour s'informer des problèmes entre le Cambodge et la Thaïlande • Monsieur
61
Gusslng a produit son premier rapport sur ces questions le 25 novembre 1962 • La
Thaïlande soutient que Monsieur Gussing avait observéque les questions de délimitation
et de démarcation dans la région des Dangrek ne pouvaient que se poser "since the
Judgmènt had not provided for them." 62 Cependant, les Observations de la Thaïlande ne
mentionnent pas que Monsieur Gussingavait aussi fait référenceau fait que le Cambodge
était en désaccordavec l'interprétation unilatérale par la Thaïlande de l'arrêtde la Cour
ou avec la pose des barbelésérigéssur le terrain:
"In Cambodia, the Preah Vihear Temple plays an extremely important role in the
attitude shawn towards the other Government concerned: although the case has
been 'won', the Thais are critised as being 'bad losers' and as not having accepted
their defeat graciously, and the allegation is made that a part of the territory
which, under the ruling of the International Court of Justice, should, in the
Cambodian view, be under Cambodlan soverelgnty, ls now fenced off by barbed
wire, with land mines placed here and there, fears being expressed that a major
incident may break out when Prince Sihanouk undertakes a visit to the Temple
towards mid-December of this year." 63
59
60 Observations thaïlandaises, p. 141, 4.37.etp, 246,para.5.67;voir aussi Annex28,p. 145.
61 Ibid.,pp.142-143, para. 4.39; voaussiAnnexe 30.
62 Ibid., Annexe32,pp. 173-188.
63 Ibid.,p.144, para4.40.
Ibid., Annexe32,p. 180 (soulignépar le cambodge).
252.43 Il est donc évident, qu'à partir du mois de novembre 1962, les Etats membres des
Nations Unies avaient été informés des désaccords fondamentaux du Cambodge
concernant la position adoptée par la Thaïlande dans la zone où devait s'appliquer l'arrêt.
Les Observations écrites de la Thaïlande n'expliquent pas comment ceci peut se concilier
avec l'affirmation de la Thaïlande selon laquelle il n'y a pas de différend entre les Parties
quant au sens et à la portée de l'arrêt.
2.44 Le Gouvernement français, en autres, était manifestement au courant du rejet par
Je Cambodge de la position thaïlandaise. Ceci ressort nettement d'un rapport fait le 26
novembre 1962 par l'Ambassade de France à Bangkok:
"Mais M. GUSSING n'est pas sans inquiétudes à ce sujet car le Prince SIHANOUK
lui a dit que si les Thaïs avaient bien évacué le Temple, ils occupaient encore un
espace que la carte annexe No. III [sic] plaçait en territoire cambodgien. If
redoutait donc qu'une nouvelle contestation ne s'élève à ce propos contre les deux
pays et que la visite du Prince au Temple n'en fournisse prochainement l'occasion.
Cette appréhension me semble justifiée, car, comme je l'ai souligné dans l'analyse
du jugement de la Cour de La Haye que j'ai faite dans ma dépêcheNo 495/ AS du
4 octobre 1962 au Département, la sentence comporte un certain nombre
d'imprécisions qui risquent de faire rebondir le débat." 64
2.45 Le rejet par le Cambodge de l'action unilatérale de la Thaïlande fut aussi rappelé
dans un aide-mémoire publié par le Ministère des Affaires étrangères cambodgien sur les
relations entre le Cambodge et la Thaïlande de novembre 1962. Le passage pertinent se
lit comme suit:
"Le 15 juillet 1962 le Général PRAPHAT CHARUSATHIEN, Ministre de l'Intérieur de
Thaïlande, s'était rendu en personne à Préah Vihéar afin de procéder à la
délimitation de la zone du Temple par un réseau de fils de fer barbelés. Or il est
apparu que cette délimitation était en complet désaccord avec la décision de la
Cour de La Haye qui confirme la frontière portée sur la carte de 1907." 65
"L'attitudedes dirigeants de la Thaïlande et leurs agissements depuis l'arrêt du 15
juin 1962 de la Cour Internationale de Justice, tels que refus de se conformer à la
décision de cette juridiction, empiètements sur le territoirecambodgien, pose de
fil de fer barbelé selon un tracé non-conforme aux documents de base, pose de
grenades piégées en territoire cambodgien aux abords du Temple, menaces non
voilées, ne font que confirmer l'état d'esprit des Thaïlandais à l'égard du
Cambodge, à savoir 'considérer que le droit doit suivre l'évolution des faits ... des
faits crééspar la force'."66
64 Ibid., Annexe 33, p. 193.
65 Ibid., Annexe 34, pp. 205 et 214.
66 Ibid., pp. 207 et 214; voir aussi Annexe 4 pour la version originale française.
26 2.46 Un mois plus tard, le Ministère cambodgien de l'Information indiquait que le Prince
Sihanouk partageait ce mêmepoint de vue puisqu'il avait également exprimé l'espoir du
Cambodge de voir les Parties finalement engager un processus de normalisation des
relations qui avaient été rompues en 1961:
"Après avoir noté que les autorités thaïlandaises n'ont pas entièrement respecté
l'arrêtde la Cour Internationale de Justice en posant des barbelés qui empiètent
sur le territoire Khmer, le Prince a souli~ à nnouveau 'notre ardent désir de
normaliser nos relations avec nos voisins'." 1
2.47 C'est dans ce contexte que le Prince Sihanouk a visité le Temple le 5 janvier 1963.
Avant cette visite, il existait des inquiétudes dans les milieux internationaux que ce
déplacement ne provoque un incident au regard des menaces profér.éespar la Thaïlande
pour toute violation de la frontière unilatérale qu'elle avait établie autour du Temple. La
Mission des Nations Unies dirigée par M. Gussing a également invité les parties à faire
preuve de retenue à l'occasion de la visite du Prince Sihanouk. Au mêmemoment, le
Cambodge a clairement précisé que cela ne devait pas être perçu comme une
acceptation de la barrière de fils barbelés :
"Le Gouvernement Cambodgien s'élève contre 'les mesures menaçantes qui
préparent la justification d'une violation délibérémentprovoquée par les autorités
thaïlandaises elles-mêmes', et en appelle en particulier au Secrétaire General des
Nations Unies pour lui 'réaffirmer que la voie d'accès qui sera empruntée le 5
janvier prochain se trouve entièrement en territoire khmer et que le respect de la
frontière s'entendra jusqu'au réseau de barbelés entourant le Temple, placé
unilatéralement par l'armée et !a police thaïlandaise! au mépris du tracé frontalier
imposé par La Cour Internationale de Justice'. Ce communiqué ajoute que le
·Cambodgese réserve de soumettre cette question de laviolation de la décisionde
La Cour du 15 juin 1962, à l'organisation des Nations Unies." 68
2.48 Les Observations écrites de la Thaïlande attachent de l'importance au fait que le
Prince Sihanouk ne s'est pas aventuré au-delà des barbelés pendant sa visite et qu'il
aurait dit, à cette occasion, qu'il ne polémiquerait pas sur cette question "as these few
meters are unlmportant". 69 la Thaïlande affirme également, qu'après cette visite, le
Cambodge n'a plus protesté contre l'application par la Thaïlande de !'arrêten raison des
barbelés 70•
67 Observations thaïlandaises, Annexep.8240.
68 Ibid.Annexe 41, p. 261. Une copie de la Déclaration, telle qu'elle est parue dans une dépêchede
!'AKP en date du 2 janvie1963,est reproduiteà l'Annexe5. L'Ambassade des Etats-Unis attiré
l'attention sur la mêmeréserve du Cambodge concernant la "violation" faite par la Thaïlande de l'arrêt
en Installant les barbelés "in defiance of the border line laid down by ICJ."Observations thaïlandaises,
Annexe 43,p.269.
69 Ibid.p.148, para. 4.4etAnnexe 51, p.315.
70 Ibid., 149, para. 4.47.
27 2.49 Ces allégations ne résistent pas à un examen minutieux des faits. La raison pour
laquelle le Prince ne s'est pas aventuré au-delà des barbelés était logiquement de
prévenir tout incident le jour d'une grande célébration au Cambodge. De plus, le
Cambodge faisait tout son possible pour que la mission de l'ONU dirigée par Monsieur
Gussing se déroule au mieux car celle-ci avait pour objectif de réduire les tensions. la
communauté internationale a exprimé son soulagement en constatant que la visite s'était
dérouléesans incident eu égard aux questions de sécuritédans la région. Mais cela ne
saurait être assimilé à un quelconque renoncement du Cambodge à sa position
fermement affirmée que le tracé unilatéral de la Thaïlande aux abords immédiats du
Temple n'était pas conforme avec l'arrêtde la Cour. Cette position est très claire si l'on
se réfère aux mots utilisés par le Prince Sihanouk lorsqu'il visita le Temple - une
allocution que les Observations de la Thaïlande ont choisi de ne pas flîclure:
"les Thal1andaisont fini, après maintes tergiversatibns et manŒuvres dilatoires,
par évacuer PREAHVIHEAR. Cela ne les a malheureusement pas empêchésde
'compenser cette perte' par un autre expansionnisme: ils ont tracé à notre
détriment une nouvelle ligne frontalière dans les environs de PREAHVIHEAR
même.Ils ont, en particulier, posédes 'barbelés'et installé des postes militaires
ou de police qui en plusieurs endroits emoiètent assez largement sur notre
71
territoire, faisant ainsi fi du jugement de la C.I.J."
2.50 tes documents postérieurs à la visite produits par la Thai1andedémontrent que le
Cambodge a incontestablement continuéde protester contre les actions thaïlandaises, et
que l'affirmation contenue dans les Observations thaïlandaises selon laquelle le
Cambodge n'a plus protesté est dénuéede tout fondement. Cela atteste aussi que le
Cambodgeconsidérait que l'arrêtde la Cour étaitclair 72•
2.51 A titre d'exemple, le 5 janvier 1965," le Chef d'Etat cambodgien, tout en regrettant
que la mission de Monsieur Gussing fut arrivée à son terme, fit remarquer qu'une fois
encore la Thaïlande persistait dans son refus de reconnaître la frontière existante depuis
que la Cour avait rendu son arrêt 73•
2.52 Toujours à propos des objections répétéesdu Cambodge à l'encontre de
l'interprétation unilatérale de l'arrêtpar la Thaïlande, le Ministre cambodgien des Affaires
étrangères a adressé une lettre au Présidentdu Conseil de Sécurité,le 23 avril 1966,
dans laquelle il protestait à la fois contre l'agression thaïlandaise en territoire Khmer et
71 Les Points Essentiels du Discours du Prince SiàaChoam Ksan, A.K.P. 6 janvier 1963, Annexe 6
(soulignédans l'original). Voir aussi le rapport de I'A.K.P. du i janvier 1963, Annexe 7.
12 Intervention de la DélégationKhmèràla Sixième Commissions des Nations Unies, A.K.P., 6 janvier
1964. Annexe 8. Voir aussi Annexe 9, un aérogramme de l'Ambassade américainà Phnom Penh
Indiquant que le Cambodge continuàs'appuyer sur la mêmecarte de l'annexe I.
73 le Prince Sihanouk sur les "Rapports du Cambodgeavec la Thanande", 5 janvier 1965, Annexe 10.
28 contre les barbelés.Pour bien insister sur ce point, cette lettre reprend ce que le Prince
Sihanouk avait déjàaffirmé en janvier 1963 74•
2.53 Les Observations thaïlandaises prétendent que la référenceexplicite en 1966 à la
déclaration du Prince Sihanouk de 1963 serait "anachronique" et que "no real concern
existed with respect to the implementation of the judgment." 75 Mais le Cambodge
n'aurait pas rappelé ses objections à la pose des fils barbelés s'il pensait que cette
question était sans importance. Au contraire, Il est clair que le Cambodge continuait de
partager l'opinion exprimée par le Prince Sihanouk en 1963. De plus, le fait que le
Cambodge envisageait de saisir le Conseil de Sécuritéen vertu de l'article 94 de la
Charte montre que la manière dont la Thaïlande comprenait l'arrêtsuscitait une réelle
Inquiétude quant à sa portéeet à son application unilatérale.
2.54 Dans une communication ultérieure adresséeau Secrétaire généraldes Nations
Unies, le 27 mai 1966, le Cambodgea réitéréson opposition à la pose de barbelésautour
du Temple par la Thaïlande 76•
2.55 En août 1966, le Secrétaire généraledes Nations Unies a nommé un autre
représèntant personnel (Mr. Herbert de Ribbing) en tant que médiateur entre les deux
Etats 77•·Au cours de cette médiation, le haut représentant thaïlandais a refusé, à
différentes reprises, de revenir sur les objections émisespar la Thaïlande à l'arrêtde la
Cour, a Insisté sur le fait que l'évacuation du Temple correspondait à l'application de
l'article 94 de la Charte (mals non à l'application de l'arrêt),et a rejeté les protestations
du Cambodge sur la pose de fils barbelésles considérantcomme une nouvelle prétention
territoriale cambodgienne. sur la Thaïlande. La Thaïlande a également soulevé la
possibilitéd'introduire une requêteaux fins·de réviser l'arrêten vertu de l'article 61 du
Statut7 8•
2.56 Au regard de l'arrêtde la Cour, aucune de ces propositions n'étaitacceptable pour
le Cambodge. Aucun fait nouveau ne justifiait une telle révision et, en définitive, après
que le représentant des Nations Unies fit part de ses doutes sur l'intérêtd'une telle
procédure,la Thaïlande n'a pas donnésuite à cette action.
74 Annexe 11; voir égalementles Observations thaïlandaises, Annexe 65, p. 399. Une lettre identique en
date du 23 avril 1966 avait aussi étéenvoyée au Secrétaire Généralde l'ONU, Annexe 12. Voir
égalementAnnexe 13, la version française de l'Annexe 62 de la Thaïlande.
75 Observations tha'l1andaises,p. 153, para. 4.54, et p. 155, para. 4.55.
76 Voir Annexe 14; lettre No. 2345 du représentant permanent du Cambodge au SecrétaireGénéralde
l'ONUen date du 27 mai 1966.
77 Observations thaïlandaises, Annexe 70.
7B Annexe 15; Pro Memoria en date du 10 octobre 1966.
29 2.57 Le 26 octobre 1966, le Ministère des affaires étrangères du Cambodge a envoyé
une lettre à Monsieur de Ribbing in.sistant une nouvelle fois sur le fait que: "le Temple de
Préah Vihéar et ses environs sont situés en territoire relevant de la souveraineté du
Cambodge, conformément à l'arrêt du 15 juin 1962 de la Cour Internationale de
Justice."9 Cette déclaration était suivie, le 9 novembre 1966, par un autre message
sans équivoque du Prince Sihanouk se plaignant que la Thaïlande refusait encore
d'abandonner ses revendications sur le Temple et sa région avoisinante:
"Quant à laThaïlande, elle refuse pour sa part de renoncer à revendiquer notre
80
Temple de PréahVihéaret la régionavoisinante."
2.58 l'Importance de cette question était telle que Monsieur de Ribbing en a référéau
Secrétaire généraldans une note envoyée le 13 décembre 1966 dans laquelle Il rendait
compte de son entretien du 30 août 1966 avec le Premier Ministre cambodgien, entretien
au cours duquel la question des barbelésfut une nouvelle fois soulevée.
"The Prince mentioned inthis connection that the barbed wire fence that the Thals
had put up on its side of the Temple was not even halfway between the Temple
and the border line fixed by the International Court of Justice in its decision
regarding Phra Viharn. Cambodia could, if it wanted, take this question to the
Security Council and request the Thais to withdraw to the borderline. The
Cambodian Govemment had preferred, however, to abide 81til further, inorder
·not to have on hand still more trouble with Thailand. "
2.59 A l'inverse, les positions thaïlandaises transmises à Monsieur de Ribbing
consistaient à dire que la Cour n'avait pas tranché la frontière dans les environs du
Temple; et que la Thaïlande s'était mise en conformité avec l'arrêt, arrêt que la
Thaïlande, par la voix de son ministre des Affaires étrangères, s'obstinait à ne pas
accepter. En faisant état de la protestation cambodgienne à propos des barbelés,
Monsieur de Ribbing suscita la colère du Ministre thaïlandais des Affaires étrangères qui
répondit vigoureusement que le Cambodge voulait: "another piece of our land." 82 A
aucun moment, cependant, la Thaïlande n'a expliqué sur quelle fondement elle avait
unilatéralement décidéde poser ces barbelés ni comm1nt cette position pouvait se
concilier avec le dispositif du jugement et ies motifs essentiels sur lesquels le dispositif
repose.
79 Annexe 16.
60 Annexe 17, p.796 (souligné par le Cambodge). Message du Prince Sihanouk en date elu9 novembre
1966.
81 Observations thaïlandaises, Annexe 72, p. 436.
82 Ibid.p.442.
30 2.60 Il est par conséquent manifeste que, jusqu'en 1966, le Cambodge n'a eu de cesse
de protester contre l.interprétation thaïlandaise sur le sens et la portée de ses obligations
découlant de l'arrêtde la Cour, et qu'il y avait un désaccord entre les Parties sur cette
question.
2.61 les Observations tharlandaises semblent adopter la position que les revendications
cambodgiennes exprimées en 1966 étaient isolées et sans réelle signification. Selon la
Thaïlande: "Mr. de Rlbblng's reports show that the barbed-wire fence was not a real issue
ln the relations between the Parties, and it was never mentioned again." 63
2.62 Cette allégation est fausse à deux égards. En premier lieu, ainsi qu'il ressort
clairement des documents cités précédemment, le Cambodge accordait une importance
très grande à la démarcation unilatérale thaïlandaise de la·région autour du Temple. En
second lieu, le Cambodge a continué de protester contre la barrière de fils barbelés,
mêmeaprès la fin de la mission de Ribbing, et d'insister pour que soient respectés les
tracés contenus dans les conventions franco-thaïlandaises de 1904, 1907 et 1946, ainsi
que dans l'arrêtde la Cour 84•
2.63 le 22 octobre 1967, lors d'une conférencede presse, le Chef d'état cambodgien a
fait une référenceexplicite aux barbelésainsi qu'à l'incapacité de la Thaïlande à respecter
l'arrêtde la Cour en ce qui concerne la région autour du Temple se trouvant en territoire
cambodgien:
"Outre que la Cour internationale de justice de la Haye s'est déjà prononcée et
qu'il n'y a pas à revenir sur l'autorité de la chose jugée, il convient aussi de ne pas
remettre en cause l'intégritéterritoriale du pays. Tout autour de PréahVihéar, les
Thaïlandais ont conservé, en la bordant de fils de fer barbelés, la bande de terrain
qui s'étend entre les assises du Temple et la frontière qui passe à quelques
mètres de là comme l'ont voulu les traités confirmés par la décision de la Cour
internationale de justice. Il n'est pas question pour leur être agréable et pour
faciliter la reprise des relations avec eux de leur accorder de nouveaux avantages.
Au contraire, les Thaïlandais doivent nous rendre le terrain qui se trouve entre les
65
ruines de PréahVihéaret la ligne frontière. "
83 Observations tha'ilandaises,p. 156, para. 4.56.
84 Annexe 18. Memorandum on the actual situation with regard to the negotiations of the U.N. Mission to
Cambodiaand Thal!and,2 March 1967.
85 Conférencede Pressedu 22 octobre 1967; "Les Parolesde Samdech Preah Norodom Sihanouk", édité
par le Ministre de l'Information, 1967, Annexe 19. Voir également les Annexes 20, 21 et 22 où sont
exprimées les inquiétudes cambodgiennes concernant l'attitude thaïlandaise. Voir aussi l'adresse du
Prince Sihanouà Russey près du PréahVihéarle 21 février 1958; "Les Paroles des Samdech Preah
Norodom Sihanouk", éditépar le Ministre de l'Information, 1968, Annexe 23: "Depuis, les Thaïlandais
tentent par toutes sortes de moyens de reprendre ce sanctuaire. Dès 1962 d'ailleurs ils ont révéléleur
a prescrit, en effet, que soit restitués au Cambodge le Temple et avec lui la bande de terrain quie-ci
31 2.64 Il ressort manifestement _del'ensemble de ces documents que l'argument de la
Thaïlande, selon lequel il n'y a pas de différend entre les Parties sur le sens et la portée
de l'arrêt, n'est pas soutenable. En de multiples occasions, le Cambodge a clairement
exprimé son désaccordavec l'interprétation thaïlandaise sur le sens à donner à l'arrêt
ainsi que sur la pose des barbelésqui soustrait une partie de territoire au Cambodge, ces
zonesse trouvant dans les environs du Temple tels que définissur la carte de l'annexe I.
l. Les événements de 1970 à 2007
2.65 Les Observations thaïlandaises indiquent qu'en 1970, "the situation in Cambodia
had become increasingly difficult because of fighting between intelnal factions and Viet
Cong into Cambodlan territory, in particular in the Dangrek Mountains and the Phra
Vlharn area." La situation Interne au Cambodge, mais également les tensions très vives
qui ont agité la régionde manière généraleen raison de la guerre froide, ont conduit à
reléguerles questions relatives au Temple au second plan.
2.66 'Après la signature des Accords de paix, le 23 octobre 1991, la zone considéréeest
demeuréesous le contrôle de la faction cambodgienne des khmers rouges qui a refusé
87
d'appliquer ces accords jusqu'à la pacification intervenue en 1998 • Il n'y a aucune
preuve, au moins jusqu'en 2007, que !a Thaïlande a ultérieurement tenté d'imposer sa
démarcation unilatérale des environs du Temple telle que prévue par la Résolutiondu
Conseildes Ministres en date du 10 juillet 1962.
2.67" En 1998, le Cambodge a construit un marchédevant l'escalier historique et une
pagode (la Pagode Keo Slkha KiriSvara) à l'ouest des environs du Temple tout en étant
présent dans la zone autour de la colline de Phnom Trap 88• La position de cette pagode
peut êtreidentifiée sur la carte reproduite ci-contre. Nonobstant le fait que ce site est
localisé à l'ouest de la ligne unilatéralethaïlandaise, décidéeen juillet 1962 par le Conseil
des Ministres, la Thai1anden'a pas protesté. Il faut rappeler que le marché, la pagode,
ainsi que la colline de PhnomTrap, se trouvent bien à l'intérieur du territoire cambodgien
selon la carte de l'annexe I.
l'entoure. Or les Thaïlandais se sont bien gardésde rendre ce terrain en entourant ·JeTemple d'une
85 Observations thaïlandaises, 157, para. 4.58, voir également Annexe 82, p. 489 et Annexe 84,
p.499.
87 Ibid.Annexe87, p. 511.
88 Annexe 24.
32 2.68 Comme la Thaïlande ne faisait plus état de ses revendications sur la frontière
qu'elle avait unilatéralement délimitéeautour du Temple en 1962, les Parties se sont
entendues pour établir une Commission Mixte afin de démarquer leurs frontières
terrestres. lors de la première réunion de la Commission Mixte, qui s'est dérouléedu
30 juin au 2 juillet 1999, furent discutésdiverses recommandations ainsi qu'un projet de
Memorandum of Understanding between the Govemment of the Kingdom of Thailand and
the Government of the Kingdom of Cambodia on the Survey and Demarcation of Land
Boundary.
2.69 le procès-verbal de cette réunion montre que les Parties étaient d'accord sur le
fait que la frontière avait déjà étédélimitée. La Thaïlande a confirmé "that it had no
intention whatsoever of changing the existing boundary betwêen Thailand and
Cambodia." Pour sa part, le Cambodge a déclaréque la frontière a étédélimitéepar la
Convention entre la France et le Siam signéeen 1904 et !e·rraité franco-thaïlandais de
1907, qui incluent les cartes à l'échellede 1/:200.000. les deux Parties se sont également
engagées à ne pas violer la frontière existante par une quelconque mesure.
2.70 Lè 14 juin 2000, les Parties ont conclu un "Memorandum of Understanding on the
Survey and Demarcation of Land Boundary". °Comme son titre et son contenu l'indiquent
clairement, le MoU ne se rapportait pas à des questions de délimitation: il s'agissait de
procéder à des levés du terrain et à la démarcation de la frontière terrestre entre les
deux Etats, sachant que cet exercice technique devait être réaliséde manière plus
·approfondie par une sous-Commission Mixte technique qui devait notamment localiser les
73 bornes plantéespar la Commission Mixte Franco-Siamoise en 1908-1909 et en 1919-
1920.
2.71 les Observations de la Thaïlande allèguent que le "talisman" de la Requêteen
Interprétation du Cambodge est que: "a precise tracing of the boundary belongs to the
resjudicata of the 196:2Judgment." 91 Il est égalementsignificatif, selon la Thaïlande, que
le MoU ne contient aucune référenceà l'arrêtde 1962, ce qui aurait dû êtrele cas si la
92
frontière dans la zone du Temple avait étédélimitée • A la lumière de ces allégations, la
Thaïlande va même jusqu'à affirmer que le Cambodge cherche en réalité une
interprétation du MoU, et non pas une interprétation de l'arrêtde 1962 93•
89 Annexe 25. Compte-rendu mutuellement acceptéde la Commission Mixte Thaïlande-Cambodge pour la
démarcation de ia frontière terrestre, Bangkok, 30 juin-2 juillet 1999.
90 Observations thaïlandaises, Anne91,p. 545.
91 Ibid.,p.226,para. 5.41.
92 Ibid., p. 228, para. 5.43 et 5.44.
93 Ibid.,p.229,para. 5.45.
33 2.72 Ces allégations n'atteignent pas leur cible. le MoU concerne des questions qui
n'étalent pas destinées à êtrerégléespar la Cour lorsqu'elle a rendu son et le MoU
n'est pas pertinent pour la Demande en Interprétation du Cambodge. Il est Indiscutable
que la Cour n'avait pas à étudier et à démarquer le "tracé précis" de la frontière dans
l'affaire l'origine. Il n'y a aucune raison qu'il en soit autrement dans l'instance en cours.
La question du sens et de ia portée des références au paragraphe 1 du dispositif, au
1
Temple comme faisant partie du territoire cambodgien et l'obligation de la Thaïlande,
selon le paragraphe 2 d1 quitter les environs du Temple, doivent s'analyser à la lumière
de ce que la Cour a dit dans son arrêt à propos de la ligne de la carte de l'annexe !, et
non pas par rapport à une de démarcation.
conjointement conduite selon certains instruments. Cela concerne !es mêmesinstruments
et cartes (y compris la carte de l'annexe I) que la Cour avait utiiisés dans son arrêtde
1962. Ces mêmesinstruments ont été,une nouvelle fois, référencésdans ies Terrns of
Reference conclus entre les Parties en 2003 afin de mettre en Œuvre le MoU 94,Dès lors, il
était inutile de faire référencà l'arrêtde la Cour dans le MoU.
2.74 Le Cambodge ne cherche nullement une quelconque révision du f\1oU.La réalité
estque le MoU n'existait pas en 1962. Ii concerne une matière différente de celle décidée
par la Cour en 1962, et Il n'a aucune pertinence pour les questions d'interprétation que la
Cour est maintenant appelée à trancher .
.2.75 Ce qui mérite surtout d'être signalé au cours de cette période est que le
Camb'bdge a non seulement construit un marché et une pagode dans environs du
Temple qui n'a fait l'objet d'aucune protestation de la part de !a pendant ies dix
ans qui ont suivi leur construction, mals aussi que des cambodgiens vivaient dans cette
zone et se rendaient à la pagode sans que la Thaïlande n'y trouve à redire,
2.76 Ce n'est que vers la fin 2004 la Thaïlande a commencé à montrer quelques
signes d'Inquiétude sur ces Le novembre 2004, la Thaïlande a envoyé une
note au Cambodge dans laquelle elle précisait qu'à la suite d'une visite dans !es environs
du Temple, elle avait constaté que la communauté cambodgienne s'étendait à un rythme
alarmant 95• En l'espèce, la note indiquait que la communauté cambodgienne
élargie d'environ 90 ·familles (365 habitants) en mars 2004 à 1.65 fa mmes
(733 habitants) en novembre, et que plusieurs maisonsr huttes, abris et avaient
94 Annexe :26. Terms of Reference and !"!aster Plan for Joint Survey and Demarcation of !.and BouMary
between the Klngdom of Camoodla and the Kingdom of Tha!!and.
95 Observations thaïlandaises, Annexp.579.
34 étéconstruits "ali over the area from the footstep of the Temple to lts top and in its
vicinity.6Il convient desouli gue ces activitésétaient parfaitement conformes avec
l'arrêtdela Cour de 1962, puisqu'elles avaient lieu dans le Temple et dans ses environs
sur le territoire souverain du Cambodgeau sud de la ligne sur la carte de l'annexe I.
2.77 Au vu de la correspondance thaïlandaise, il est manifeste que non seulement la
Thaïlande avait connaissance dès le début du mois de mars 2004 de l'existence de cette
communaut mai~ qu'elle n'avait en outre pas protesté contre un empiètement de son
territoireDe même, en novembre, les inquiétudes manifestées par la Thaïlande
concernaient l'expansion et les conséquences environnementales que cette nouvelle
communauté pouvait engendrer, et certainement pas une inquiétude concernant la
transgression de la limite unilatérale autour du Temple que· la Thaïlande avait
promulguée en juillet 1962 - un sujet qui n'est pas mentionné dans la note. Comme la
note l'indique:
"Such expansion, with permanent structures, not oniy affects the natural
environment of the frontier zone but also creates plenty of problems ranglng from
unpleasant landscapes and scenery to inappropriate management of waste
disposai and wastewater. Moreover, the Thai communities living on lower grounds
are suffering from polluted wastewater draining from the said area."
2.78 la note précise également que ces activités étaient considéréespar la Thaïlande
comme contraires à l'article V du MoU de 2004 [sic] - un article qui prévoit que les
Parties ne mettront en Œuvre aucune mesure pouvant donner lieu à des changements
98
environnementaux dans la zone frontalière•
2.79 Ce qui mérite d'êtrerelevé est que la Thaïlande considérait toutes ces activités
comme ayant lieu dans les environs du Temple. Or, c'est le mêmemot que la Cour a
utilisédans le paragraphe 2 du dispositif de l'arrêtde 1962. Alors que les Observations
thaïlandaises cherchent à réduire la portée géographique du mot "environs" en faisant
référence à de multiples définitions - qu'elle relativise- contenues dans les
dictionnaires9, la Thaïlande a en fait bien considéréles environs du Temple comme
incluant toute la zone autour du Temple où les Cambodgiens vivaient et travaillaient. la
Requêteen Interprétation du Cambodgeconcerne cette zone.
96 Ibid. (souligné par le Cambodge).
97 Ibid.
98 Observations thaïlandaises, Annexe 93, p. 579.
99 Voir, par exemple, Observations thaïlandaises, pp. 98-99, paras. 3.39-3.43, et Annexes 103 and 104.
352.80 Une lettre identique fut transmise par la Thaïlande au Cambodge le 8 mars
2005 100, Une nouvelle fois, cette lettre protesta uniquement contre les effets sur
'
l'environnement dans la zone du Temple de PréahVihéar, et non pas sur une quelconque
violation de la Résolutionthaïlandaise de 1962.
2.81 Par conséquent, jusqu'en 2.006, la Thaïlande n'a plus protesté à propos
d'éventuelles violations de la zone autour du Temple qu'elle avait délimitée en 1962.,
alors que des cambodgiens s'étaient établis, sans incident, dans les environs du Temple
sur le côté cambodgien de la ligne sur Je carte de l'annexe I. Alors que les Parties
devaient encore collaborer pour la démarcation de la frontière terrestre, les environs du
Temple n'ont donné lieu à aucun Incident sérieux. Malheureusement, cette situation n'a
pas duré.
3. ~~ résyrqence dy différend en 2001
2..82 en :2007 que le différend a resurgi lorsque la Thaïlande s'est opposée à
l'initiative cambodgienne auprès du Comitédu patrimoine mondial de l'UNESCOd'inscrire
le Temple de PréahVihéarsur la liste du Patrimoine mondial sur la base d'un décret royal
cambodgien en date du 19 avril 2006.
2.83 L'attitude de la Thaïlande concernant la demande cambodgienne auprès de
l'UNESCOdoit êtreanalysée en fonction de la situation politique Interne thaïlandaise de
l'époque. la Thaïlande avait, en effet, initialement soutenu la demande cambodgienne.
Thaksin Shinawatra, Premier Ministre thaïlandais entre 2001 et 2006, était en faveur
d'une politique de détente envers le Cambodge. Le soutien à l'inscription du Temple au
Patrimoine mondial était par conséquent en phase avec la politique étrangère du
gouvernement thaïlandais.
2.84 Cependant! le 19 septembre 2006, un mois avant les élections générales en
Thaïlande, un coup d'Etat contre Thaksin Shinawatra a eu lieu. A la suite de ce coup
d'Etat, les élections généralesfurent annulées et l'armée thaïlandaise a pris le pouvoir
dans le pays. Les militaires sont restésau pouvoir jusqu'à la fin de l'année2007.
100
Ibid.Annexe 94, p. 589.
36 2.85 Pendant cette périodedu régime militaire la Thaïlande a transmis le 17 mai 2007
un Alde-Mémoireau Cambodge à propos de sa demande à l'UNESCOconsistant à inscrire
le Temple du PréahVihéarau Patrimoine mondlal 10•
2.86 Dans son Aide-Mémoire, la Thaïlande a contesté le plan de la zone que le
Cambodge avait préparé pour la protection du Temple en rapport avec sa demande
auprès du Comitédu Patrimoine mondial. Pour la première fois, la Thaïlande a également
produit une nouvelle carte (SériesL7017) à l'échellede 1/50.000 qui prétendait montrer
une ligne frontalière autour du Temple et de ses environs. Une copie de la carte en
question est reproduite à la page suivante. S'agissant de la ligne frontalière apparaissant
sur la carte, la Thaïlande a déclaré:
"In this regard, the Royal Thai Government firmly states that the above
mentioned Cambodlan documents cannet in any. way prejudice the existlng
international boundary between Thailand and Cambodia as appeared in the map
of scale 1:50,000 series l7017."
2.87 la nouvelle carte thai1andaise contredisait entièrement les précédentsaccords
intervenus entre les experts techniques cambodgiens et thaïlandais, qui avaient travaillé
sur. les questions de démarcation conformément au MoU de 2000. A de multiples
reprises, les représentants des Parties s'étaient entendus - comme le prouvent des
procès-verbaux mutuellement acceptés- sur les cartes qui devalent êtreutilisées aux
fins de la démarcation. Ainsi le Procès-Verbal des 29-30 septembre 2003 faisait
spécifiquement référence aux cartes préparéespar les agences des Etats-Unis sous les
102
Séries L708, L7011 et l7016 • Il n'y avait aucune mention de la Série L7017 sur
laqu~ lal eouvelle carte thaïlandaise était fondée. Des accords identiques ont été
conclus au niveau technique lors des réunions organisées en février 2004 103, juillet
2004 104,et dans les instructions techniques pour localiser divers bornes sur la frontière.
2.88 De plus, il s'avère que la Thaïlande n'a pas seulement utilisé une carte non agréée
(Série L7017), mais elle a aussi tracé unilatéralement une ligne frontalière entourant le
Temple qui n'apparaissait pas sur la carte originelle américaine. la ligne frontalière
figurant sur la carte n'était pas baséesur la carte de l'annexe I, telle que décrite dans
l'arrêtde 1962, et ne décrivait nullement les environs du Temple tels qu'ils en découlent.
Elle faisait également apparaître une position nouvelle et plus extrêmede la ligne de
pa~ag des eaux (ce qui démontre par ailleurs la fluctuation des positions thaïlandaises)
101
La Thaïlande n'a pas soumis une copie de cet Aide-Mémoire avec ses Observations écrites, mais ce
102 document est reproduàl'Annexe27de cette Réponse.
Annexe 28.Compte-rendu mutuellementacceptéde la première discussion des officiers techniques
103 cambodgiens et thaïlandais, Phnom Penh, 29-30 septembre 2003.
104 Annexe 29.
Annexe 30.
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• .r " • of • • que la Cour n'avait pas considérépertinente dans son arrêt,et elle tentait de relier cette
nouvelle ligne de partage des eaux avec la ligne établie en 1962 par la Résolution du
Conseil des ministres. Une fois encore, cela montre l'interprétation unilatérale par la
'
Thaïlande de la façon dont l'arrêtde la Cour doit êtreinterprétéen ce qui concerne la
zone autour du Temple, et alors mêmeque la Thaïlande n'avait plus soulevéla question
pendant plusieurs décennies.
2.89 Malgré cet événement regrettable, la position de la Thaïlande sur la demande
cambodgienne à l'UNESCOdevait une nouvelle fois changer en 2008, après l'élection du
Premier Ministre Sundaravej, celui-ci étant un allié politique de Thaksin Shinawatra et
souhaitait suivre la mêmepolitique que son prédécesseur à propos du Cambodge. En
conséquence,le 18 juin 2008, le Ministre thaïlandais des Affaires ét'rangèresa signé un
communiqué conjoint avec le Cambodge à Paris, exprimant le soutien renouvelé de la
Thaïlande à la demande cambodgienne d'inscrire le Temple au Patrimoine mondial de
l'UNESCO,tout en réservant les droits des Parties quant à l'exercice de démarcationde la
frontière terrestre effectuépar la Commission Mixte 10•
2.90 Le 7 juillet 2008, le Comité du Patrimoine mondial a pris la décision formelle
d'inscrire le Temple de PréahVihéarsur la liste du Patrimoine mondial de l'UNESCO. 106
2.91 L'inscription du Temple au Patrimoine mondial de l'UNESCO a provoqué une
résurgence du mouvement nationaliste en Thaïlande. Peu avant la décisiondu Comitédu
Patrimoine mondial d'inscrire le Temple, une Cour administrative thaïlandaise a délivré
, une injonction suspendant les effets du Communiqué conjoint précédemmentcité. Cela
est d"ailleurs mentionné au paragraphe 5 de la Décision du Comité du Patrimoine
mondial.
2.92 Le jour de l'adoption de la Décision par l'UNESCO, la Cour constitutionnelle
thaïlandaise a déclaré que le Ministre des Affaires étrangères avait violé la Constitution
en signant le Communiqué qui soutenait la demande du Cambodge auprès de
107
I'UNESC0 ,Il fut alors évident que la Thaïlande prendrait une position plus ferme sur la
question du Temple et de ses environs.
tos Annexe 31. Communiquéconjoint du 18 juin 2008.
106 Annexe 32.
1o Annexe 33. Une traduction anglaise de la Décisionde la Cour constitutionnelle thaïlandaise peut être
obtenue sur leite intemet:
http:l/eajla.org/sites/default/flles/EAJLG%20Second%20Issue%20Coostituti
onai%20Court%20Ruliog
.Q..Q.rH
38 2.93 Dans ces circonstances, le Cambodge a contraint de manifester sa ferme
opposition à la nouvelle carte thaï!.andaise dans une lettre qui fut transmise au Président
108
de l'Assemblée générale le 19 juillet 2008 • Dans cette lettre,liétait aussi reprochéà la
Thaïlande l'incursion de soldats, le15 juillet 2008, en territoircambodgien, notamment
sur le site de la pagode Keo Sikha •<ir!Svara situéeà quelques 300 mètres du Temple. la
lettre du Cambodge critiquait aussi ia nouvelle carte thaïlandaise en ce qu'elie était
manifestement incompatible avec la carte de l'annexe I utilisée par la Cour dans son
arrêt de 1962i et elle objectait à ia revendication thaïlandaise selon laquelle la pagode
cambodgienne étaitconstruite en territoire thaïlandais.
2.94 Dans ses Observations, !a Thaïlande affirme que le Cambodge a fait semblant de
découvrir seulement en 2007, avec !a publication de la nouvelle'' carte thaïlandaise,
l'interprétatioque la Thaïlande donnait à l'arrêt.Selon la Thaïlande: "As far as the
Temple is concerned, the map oniy lllustrates the placemént of the 1952 barbed-wire
fence. From the beginning, Cambodia knew precisely where the barbed-wire fence was
located ...tos La Thaïlande ajoute également que : "for more than forty year Cam~bodia
did not dispute Thailand's implementation of the 1962 Judgment." 110
2.95' Comme expliqué précédemment dans ce Chapitre 1 le Cambodge connaissait en
effet l'existence des barbelés dans !es années 1960. Contrairement à l'allégation
thailandaise, le Cambodge a protesté à plusieurs reprises contre ces barbelés et contre
l'interprétation que la Thaïlande donnaità l'arrêtde la Cour. Cette position est clairement
établie dans les pièces figurant au dossier. La Thaïlande relègue également au second
plan le fait que, pendant plusieurs années, elle n'a pas mentionné les barbelés ou la
RésoiÛtion du Conseil des Ministres thaïlandais du 10 juillet 1962. Ce n'est seulement
qu'en 2004 et 2005 que la Thaïlande a commencé à se plaindre de la présence croissante
du Cambodge dans la zone du Temple. Les reproches de la Thaïlande à cette époque
concernaient cependant uniquement les conséquences environnementales de ces
activités, et la Thaïlande n'a pas protesté contre l'incompatibilité de ces activités avec la
Résolution du Conseil des Ministres ou la présence de barbelés.
2.96 En produisant une nouvelle carte en 2007, montrant une frontière autour du
Temple qui se basait sur la ligne définie par le Conseil des Ministres en 1962, et en
abrogeant le Communiqué conjoint signé le 28 juin 2008, la Thal1ande a l'ait renaître un
!OS Annexe 34. Une lettre d~ess êmestermes avaiété <~dre susPresidentdu Conseil de Sécurité
le 18 juillet 2008. Annexe 35.
!09 Obserltat!ons thaïlandap.162,pat·a4.67.
uo Ibid., p. 163, para. 4.69.
39 différend oublié depuis plusieurs années. Mais il est évident que la réapparition de ce
différendest étroitement liéeauxchangements politiques internes affectant la Thailande.
2.97 la résurgencedu différend entre les Parties sur le sens et la portée de l'arrêtde
1962 est devenue totalement évidente avec la lettre que la Thaïlande a envoyée au
Présidentdu Conseil de Sécuritéle 21 juillet 2008 concernant "the area adjacent to the
Temple of PréahVihéar." 111 Après avoir soutenu que la pagode en question se trouvait en
territoire thal1andais, la lettre mentionnait ce qui suit:
"Cambodia's territorial claim in this area is based on Cambodia's unilateral
understanding of the said ICJ Judgment that a boundary line was determined by
the Court in this Judgment. Thailand contests this unilateral understandlng since
the ICJ ruled ln this case that it did not have jurisdiction ovèt the question of the
land boundary and did not in any case determine the location of the boundary
between Thailand and Cambodia."
2.98 Comme on peut le constater, la Thal1ande protestait alors contre ce qu'elle
considéraitêtre!"'interprétation unilatérale" cambodgienne de l'arrêtde la Cour de 1962.
le Cambodge, de son côté,avait déjàprotestépar écrit contre l'interprétation unilatérale
de la ihaïlande telle que contenue dans la Résolutiondu Conseil des Ministres de 1962,
et ùltérieurement à la suite de la nouvelle carte thaïlandaise produite en 2007. Dans ces
circonstances, l'existence d'un différend entre les Parties sur le sens et la portée de
l'arrêt,en vertu de l'article 60 du Statut, est manifestement établie.
2.99 Lors des plaidoiries pendant la phase des mesures conservatoires, la Cour a pris
connaissance des incidents intervenus après 2008 au Temple et dans ses environs. De
nouvêauxincidents ont eu lieu ensuite et au début de l'année 2011. Compte tenu de fa
situation, et puisqu'il était évident que les Parties avaient des opinions divergentes sur le
sens et la portée de l'arrêt,le Cambodge a introduit une Demande en Interprétation de
l'arrêtainsi qu'une Demande en indication de mesures conservatoires.
D. Conclusions
2.100 les conclusions thaïlandaises contenues dans ses Observations reprennent
l'argument selon lequel la Thaïlande s'est conformée à l'arrêtde 1962, et qu'il n'existe
pas.de différend entre les Parties sur cette application de l'arrêt 112•La Thaïlande soutient
égalementque, depuis 1962, elle s'est retiréedes environs conformément à l'arrêtet que
113
la Demande cambodgienne contredit sa propre position antérieure •
Ul Annexe 36.
!12 Observations thaïlandaisp. 281, para. 7.1.
113 Ibid., p. 28para. 7.8.
40 2.101 Ce Chapitre a démontréque ces allégationsétaientcontredites par les faits.
2.102 En juillet 1962, la Thaïlande a unilatéralement déterminéla zone des environs du
Temple, à partir de laquelle elle étaitobligéede se retirer sur la base d'une Résolutiondu
Conseil des Ministres thaTiandais(qui n'a pas étéproduite, alors mêmeque la carte fait
partie des pièces de l'instance en cours). Des fils de fer barbelésont étéposésafin de
marquer au sol l'interprétation que la Thaïlande entendait donner à l'arrêt.Le Cambodge
a protesté à de nombreuses reprises au cours des années1960 contre des actions qu'il
estimait contrairesà son interprétation de l'arrêt.
2.103 Par la suite, la question ne s'est plus poséependant de nomffreuses années,dans
un premier temps en raison des difficultés internes au cambodge et, dans un second
temps, parce que la Thaïlande ne menaçait plus d'appliqtfer sa démarcation unilatérale
définie en 1962. Les cambodgiens établis dans les environs du Temple, du côté
cambodgien de la ligne sur la carte de l'annexI,ont construit une pagode ainsi que des
marchés. la Thaïlande elle-mêmefit mention que ces activités avaient lieu dans les
environs du Temple.
2.104 'le différend a resurgi seulement en 2007-2008 lorsque, en réaction à la
proposition du Cambodge d'inscrire le Temple au Patrimoine mondial de l'UNESCO,la
Thaïlande a produit une nouvelle carte qui montrait la zone autour du Temple selon son
Interprétation de l'arrêt de 1962. En outre, le différend s'est aggravé en raison des
changements politiques survenus en Thaïlande. le Cambodge a protesté une nouvelle
fois ên2008, et la Thaïlande a reconnu que les Parties avaient une compréhension
différentede ce que la Cour avait décidéen 1962.
2.105 Il s'ensuit que les allégations de la Thaïlande en vertu desquelles (i) les Parties
n'ont aucun différend à propos de l'interprétation de l'arrêtet (ii) que le Cambodge a
constamment admis que la Thaïlande avait correctement appliqué l'arrêt, sont
manifestement erronées. le dossier établi par le Cambodge dans cette procédure ne
laisse aucun doute sur le fait qu'il existe clairement un différend entre les Parties sur le
sens et la portéede l'arrêtde la Cour. C'est ce différendque le Cambodge demande à la
Cour de trancher dans la présenteaffaire.
41 CHAPITRE 3
COMPÉTENCE ET RECEVABILITÉ; TOUTES LES CONDITIONS POUR QUE LA COUR
PUISSE INTERPRÉTER UN ARRÊT SONT RÉUNIES
3.1 Il est nécessairede savoir si la demande du Cambodge est recevable pour que la
Cour interprète son arrêt,et si cette demande entre dans la compétence de la Cour. Il
s'agit égaiement de savoir quelle interprétation de l'arrêt de 1962 est correcte. Le
premier point (compétence et recevabilité) sera traité dans le présent chapitre, et le
deuxième (l'interprétation du sens et de la portéede l'arrêtde 196~ d)ans le Chapitre 4.
3.2 Il est universellement admis qu'il existe deux conditions fondamentales pour que
la Cour puisse interpréter un de ses arrêts:
(i) il faut qu'ily ait une contestation sur le sens et la portée d'un arrêtde la
Cour;
(ii) il faut que la demande vise une interprétation de !'arrêt 114•
A. Il existe une contestation sur le sens et la portée d'un arrêt de la Cour
1. L'existence d'une contestation
3.3 Le Cambodge a indiquéau paragraphe 5 de la Requêtetrois points sur lesquels les
deux Etats sont en désaccord quant au sens et/ou la portée de l'arrêt de 1962.
L'existence de ces différends est ensuite démontréeaux paragraphes 12-17 et 24-25 de
la Requête.Il est indiscutable, à la lumière des Observations thaïlandaises, que cet Etat
est en désaccordavec le Cambodge sur les trois points énoncésau paragraphe 5 de la
Requête.
3.4 Dans son ordonnance en indication de mesures conservatoires, la Cour a précisé
ce que lui semblait êtreles questions contestées par les Parties sur l'interprétation de
l'arrêtde 1962 de la façon suivante:
11 Interprétatdesarrên ts"7 e8 (usinedeChorzow )rrêtn° 11, 1927, C.PsérieA n"13,p. 10; Demande
d7nterprétatde l'a!Têtu 20 novembre1950 en l'affairedu droit d'asile,arrêt,C.lJ. Recp.402;50,
Demi!ndeen révisioet en interprétationde l'arrêtdu Plateau continental(Tc.iJamahiriyaarabe
libyen){Tunisiec.Jamahirarabelibyenne},arr; .ll. Recue/11p.217,para44.
42 "Considérant que/ à la lumière des positions adoptées par les Parties, une
divergence d'opinions ou de vues paraît exister entre elles sur le sens et la portée
de l'arrêt de 1962; considérant que cette divergence paraît porter, tout d'abord,
sur le sens et la portée dè l'expression 'environs situés en territoire cambodgien'
utilisée au deuxième paragraphe du dispositifde l'arrêt; considérant que cette
divergence d'opinions ou de vues paraît porter, ensuite, sur la nature de
l'obligation imposée à la Thaïlande, dans le deuxième paragraphe du dispositif de
l'arrêt, de 'retirertous les éléments de forces armées ou de police ou autres
gardes ou gardiens', et notamment sur le point de savoir si cette obligation est de
caractère continu ou instantané; et considérant que cette divergence d'opinions
ou de vues paraît porter, finalement, sur la question de savoir si l'arrêt a ou non
reconnu avec force obligatoire la ligne tracée sur la carte de l'annexe I comme
115
représentant fa frontière entre les deux Parties."
3.5 La Thaïlande affirme désormais que cette appréciation n'est que provisoire, et
uniquement valable dans le cadre spécifique d'une demande en indication de mesures
conservatoires. Le Cambodge ne le conteste pas. Comme le reconnaît la Cour, cette
appréciation découle de la position développée par les Parties devant elle. Au moment où
elle a rendu son ordonnance en indication de mesures conservatoires, la Cour n'avait pas
encore pris connaissance des Observations écrites de la Thaïlande, exposant pleinement
sa position sur l'interprétation quant au sens et à la portée de l'arrêt. D'ailleurs le
Cambodge a également découvert cette position au même moment. Dans une situation
caractérisée jusqu'alors par une politique thaïlandaise du fait accompli plutôt que par des
échanges diplomatiques constructifs,ce n'est que très récemment que le Cambodge s'est
vu présenter un exposé complet de ce que la Thaïlande prétend être l'interprétation
correcte à donner à l'arrêt, et en particulier les motifs sur lesquels cette position
thaïlandaise est fondée. Sur la base de son étude des Observations de la Thaïlande, le
Cambodge en conclut désormais qu'elles témoignent de l'existence d'un différend encore
plus fondamental entre les Parties que celui qui est décrit dans la Requêtedu Cambodge.
Plus précisément, ainsi que cela a étédémontré dans le chapitre 2, elles révèlent que les
Parties ont clairement un différend quant au sens des termes des premier et deuxième
paragraphes au dispositif, et particulièrement sur la façon dont les termes choisis par la
Cour doivent êtrecompris concernant la carte de l'annexe I dans les environs du Temple
de Préah Vihéar.
3.6 Ces questions seront développées d'une manière plus détaillée, en faisant
référence aux passages de la Requêteet des Observations thaïlandaises, dans le chapitre
4 infra.
115 DemandeenIndicationdeMesuresCon5ervatoi,rdonnance du 18 juillet 2011, p. 8, para. 31.
43 2. la contestation porte sur le sens ct la portée de l'arrêtde 1962
3.7 En dépit de la démonstration dans le chapitre qui précède, la Thallande affirme
que, soit il n'y a en réalitéaucun différend, soit que le différend ne porte pas sur le
dispositif de l'arrêt.Elle avance trois arguments à l'appui de ces affirmations:
(i) Le Cambodge a accepté l'application de l'arrêtpar la Thaïlande, de sorte
qu'il n'y a en réalité aucune différence entre les deux Etats sur son
interprétation;
(li) il n'y a de toute façon aucun différend sur le sens et .J.aportée de ce qui a
été décidédans l'arrêt;
(iii) il ne peut y avoir un différend sur le sens ou la portée de ce que la Cour
n'a pas décidé- c'est-à-dire la délimitation de la frontière entre les deux
pays.
3.8· Chacun de ces trois arguments est erronéen fait comme en droit, ainsi qu'il sera
démontréci-dessous.
3.9 Dans ses Observations, la Thaïlande -tout en niant la compétencede la Cour pour
connaître de la Requête- affirme qu'il n'y a pas de différend entre les Parties sur le sens
116 117
et !a portée de l'arrêtde 1962 car le dispositif est "limpide" ("crystalclear") • Ceci ne
veut.manifestement pas dire que la Thaïlande accepte l'interprétation de l'arrêttelle que
développéepar le Cambodge dans les paragraphes 36-43 de la Requête.Compte tenu de
la très longue présentation de cette question dans le chapitre IV des Observations, on
doit comprendre que, si la Thaïlande admet qu'il y a un différend entre les deux pays, le
différend ne serait pas un différend sur le sens ou la portée du premier ou deuxième
paragraphe du dispositif de l'arrêt. la Cour remarquera immédiatement la manière
négative dont cette affirmation est formulée par la Thaïlande, dans la mesure où elle
ignore complètement la démonstration du Cambodge, tant dans la Requête elle
même118que dans ses plaidoiries orales lors de la demande en indication de mesures
conservatolres 119, alors que certains élémentsdans le raisonnement de la Cour sont
116 Observationsthâilandaises,p. 283,para.7.5.
118 Ibid.,par4.75.
119 Requêtpe,aras.39·41.
CR2011/15,pp.20-23,para.9{Berman).
44précisément"inséparables du" 120 dispositif de l'arrêtet peuvent par conséquent êtreeux
mêmes l'objet d'une demande. en interprétation. la Thaïlande ignore également
l'affirmation constante de la Cour en vertu de laquelle un différend portant sur la
question de savoir si un point particulier a ou n'a pas étédécidéavec force obligatoire
constitue également un cas qui entre dans les prévisions de l'article 60 du Statut 121•
3.10 La Thaïlande concentre finalement tous ses efforts pour tenter de défendre la
thèse en vertu de laquelle le but de l'arrêtde 1962 était de ne pas faire plus qu'octroyer
au Cambodge la souveraineté - définie dans le sens le plus étroit - sur le Temple de
Préah Vihéar, et seulement sur le Temple. Mais cette thèse n'est absolument pas
soutenable. Elle ne résiste pas à la lecture littérale du premier paragraphe du dispositif,
qui dispose sans équivoque que le Temple "est situé en territOire relevant de la
souveraineté du Cambodge" (souligné par le Cambodge). Cette affirmation ne peut pas
êtrepurement et simplement écartéecomme s'il s'agissait d'un moment d'égarement de
la Cour, un moment d'inattention, car elle découle de l'économie toute entière de
l'arrêt122,comme il sera démontréci-dessous. La tentative obsessionnelle de la Thal'lande
visant à transformer ce paragraphe du dispositif en une affirmation circonscrite aux
limites physiques du Temple lui-mêmeindique, à tout le moins, qu'il y a une contestation
direéte entre les Parties sur cet élémentcardinal du dispositif de l'arrêt, à savoir le sens
ainsi que la portée de l'utilisation par la Cour de l'expression "en territoire".
3.11 Le Cambodge pense que, dans son économie générale,la logique de l'arrêt est
une construction qui montre une progression énoncéeci-dessous en référence à des
parties spécifiquesdu texte de l'arrêt:
(i) Le différend soumis à la Courest un différend qui concerne la souveraineté
(arrêt,p. 12);
(ii) Afin de régler ce différend sur la souveraineté, la Cour est obligée de tenir
compte de la frontière entre les deux parties en litige dans le secteur en
question (arrêt,pp. 14-15);
120 Voir aussila référenàela motivationcommeétant"essentielle"pour meneraux conclusidu dispositif.Voir
DifférendTerritorialet Maritime{Nicarc.Colombie), equêtdeu Hondurasà fin d'intervention,arrêt,4 mai
121 2011,p.20,para.54,et p24, para.70.
VoirDemandeenIndicationdeMesuresConservatoireOs,rdonnancdu 18ju!ffe2011,p. 8, para.31,quiseréfère
avecjustessà ladécisiodelaCourpermanente de JusticeinternationaleI,nterprdesarrêtsn" 7 et8 {usine
deC»oaôw},arrên t° 11,1927,CP.LJ.sérieAn° 13,pp.11-12.
12 Voiraussil'OpiniondissidconjointedesJugesTanakaandMorelli:"l.a demande,tellequ'elleestfordansla
requêteducambodge,concerne,nonpasla restitutionduTempleentant quetel, maisplutôtlasouveraisurla
parcellede territoire où le TemplesituéElleconcerne,en outre, l'une des conséquencedsécoult e la
souverainetcambodgiennseurladiteparce..."CJJ. Recuei/19,38.
45 (iii) Après un examen exhaustif des documents et de l'histoire diplomatique qui
traite de cette question de la frontière, la Cour conclut que les deux Parties
ont accepté la ligne de la carte de l'annexe I comme la ligne frontière de
manière à la rendre obligatoire pour les Parties dans le cadre de leur
règlement conventionnel (arrêt,pp. 30-31);
(lv) Comme leTemple se trouve du côtéCambodgien de cette ligne frontalière,
· il est donc situé dans un territoire sous souveraineté cambodgienne (arrêt,
pp. 17 et 34);
(v) Un certain nombre de conséquencesparticulières en découlent à savoir,
d'une part, le retrait des troupes et responsables étrangers des environs
du Temple, et, d'autre part, le retour des objets qui avaient étéretirés
(arrêt,p. 35}.
3.12 La Thaïlande ne peut évidemment pas se permettre de reconnaître cette logique
imparable, et encore moins de l'accepter. La raison en très est simple. En premier lieu,
cela anéantit d'un seul coup la thèse selon laquelle la Cour s'est bornée à attribuer la
souveraineté sur le Temple, ou (tout au plus) sur une mince portion de territoire sur
laquelle il se trouve: "L'objet du différend soumis à la Cour est donc limité à une
contestation relative à la souveraineté dans la région du Temple de PréahVihéar. Pour
trancher cette question de souveraineté territoriale, la Cour devra faire état de la
123
frontière entre les deux Etats dans ce secteur." En deuxième lieu, parce que la Cour
aff.irme dans des termes dépourvus de toute ambigüité que la conclusion à laquelle elle
est parvenue sur le statut du Temple (et les conséquencesde cette conclusion) découle
du fait d'avoir situé, en droit, le tracé de'cette frontière acceptée par les deux Etats et
124
obligatoire pour eux: "C'est pourquoi 1a Cour ne peut rendre une décision sur le
souveraineté dans la zone du Temple qu'après avoir examiné quelle est la ligne
frontière."125 Enfin (et surtout), compte tenu de la position défendue par la Thaïlande
devant la Cour, la Cour s'est explicitement, et en des termes très clairs, prononcéesur la
carte de !'annexe I: "Toutefois la Cour considère qu'en 1908-1909 la Thaïlande a bienc
acceptéla carte de l'annexe I comme représentant le résultat des travaux de délimitation
et a ainsi reconnu la ligne tracéesur cette carte comme étant la frontière dont l'effet est
de .situer PréahVihéar dans le territoire du Cambodge ... Les deux Parties ont par leur
conduite reconnu la ligne et, par là même,elles sont effectivement convenues de la
considérercomme étant la frontière ... La Cour considère que l'acceptation par les Parties
123
124 C.I.J. Recue/11962 arrp.,14, (souligné par le Cambodge).
125 I.e., leTraiténementionnepasleTempledePVihéaerntant quetel.
Ibid.pp. 16-17 (souligné par le Cambodge).
46 de la carte de l'annexe I a Incorporé cette carte dans le règlement conventionnel, dont
elle est devenue partie intégrante. nl:26
3.13 Ces conclusions de la Cour ne peuvent pas être mises de côté comme un
obiterdictum ou comme un motif purement accessoire au dispositif de l'arrêt, dans la
mesure où elles participent pleinement à ce que la Cour décide dans le premier
paragraphe du dispositif. Il est impossible de prétendre que la Cour s'est prononcée sur
le statut du Temple sans lien aucun avec son affirmation explicite sur le placement de la
ligne frontalière dans le secteur dans lequel se trouve le Temple. Ainsi, cette décision
127
représente, comme le Cambodge l'a fait remarquer dans sa Requête , le cas de figure
par excellence d'un motif qui est "inséparabledu dispositif," ainsi que la Cour l'a envisagé
dans l'affaire Nigéria c. Cameroun 128• Il n'y a cependant pas la mdindre indication que
cette décision de la Cour n'ait étélimitée à une minuscule portion juste autour du
Temple. Une interprétation de l'arrêtde 1962 visant à affirmer que les conclusions de la
Cour sur le statut de la carte de l'annexe I - telles qu'elles sont reflétées dans les
conclusions de la Cour sur le territoire cambodgien dans le premier paragraphe du
dispositif - n'avaient pas d'incidence, sauf pour le Temple lui-même, et en conséquence
aucune incidence sur l'obligation corrélative de retirer les troupes énoncéeau deuxième
paragraphe du dispositif, serait totalement en contradiction avec la façon dont l'arrêt
envisage d'une manière cohérente la carte de l'annexe I.
3.14 Comme indiqué dans fa Requête, la manière dont le premier paragraphe du
dispositif est rédigémontre clairement que "la Cour n'attribue pas la souveraineté sur le
Temple au Cambodge, mais elle reconnaît que cette souveraineté est une conséquence
automatique du fait que le Temple est situé sur le territoire sous !a souveraineté du
Cambodge tel qu'il fut défini dans les motifs de la décision sur la base de la carte de
l'annexe I. En d'autres termes, la Cour reconnaît qu'il n'existe pas un titre séparésur le
Temple autre que celui qui existe déjàsur le territoire souverain du Cambodge." 129
3.15 C'est sans nul doute parce que la Thaïlande n'est pas en mesure d'échapper à la
logique imparable de ce qui précèdequ'elle invoque de manière improbable 130les défauts
techniques que contient la carte de l'annexe I, sachant que la quasi-totalité de ces
!26
Ibid.,pp 32-33, (soulignéparle Cambodge). LaCours'étantfondéeauparavantsurl'acceptationdela cartede
l'annexeI commeétantune questionessentielledans l'affaire: "Le vrai problème,et le problèmeessentielen
l'espèce,est doncde savoirsi les Partiesont adoptéla carte de l'aI,et la ligne qu'elleindique,comme
représentanlt résultatdestravauxdedélimitationde lafrontièredansla régiondePréahVihéar,cont insiun
127 caractèreobligatoàrcettecarte."(TempledePréahVihéaront4arrêtC, lJ Recuei/1962,.22.)
128 Requête p,ara.40.
Demandeen interprétationde l'arrêtdu 11juin 1998en l'affairede la Frontièreterrestreet maritimeentre le
camerounet le Nigétia{camerounc Nigétia),exceptiopréliminair{Nigéric. cameroun},arrêt,ClJ Recueil
1999,p.35,para.10.
129 Requête, para.38.
130 Observationthailandaise, hapitreVI.
47 défauts est physiquement éloignéedu Temple. Cette tentative d'obtenir subrepticement
de la Cour la révision de l'arrêd~ 1962 sera discutéeinfra.
3.16 Le Cambodge soutient donc que les pièces de procédure en la présente affaire
démontrent sans aucune ambiguïté que le Cambodge et la Thaïlande ont un différend sur
(1) le sens et la portée de la façon dont la Cour a utilisé les expressions "en territoire
relevant de la souveraineté du Cambodge" dans le premier paragraphe, et "ses environs
situés en territoire cambodgien" dans le deuxième paragraphe du dispositif de l'arrêtde
1962; (2) qu'lis ont en outre un différend quant à l'importance que revêtcette question
sur le sens et la portée de l'obligation corrélative de retrait des troupes énoncéedans le
deuxième paragraphe du dispositif de l'arrêtde 1962, en particulier pour savoir si cette
obligation a un caractère permanent ou instantané; (3) qu'ils ont dé'plus un différend sur
la question de savoir si l'arrêt a ou n'a pas reconnu avec force obligatoire la ligne
indiquée sur la carte de l'annexe I comme représentant la frontière entre les deux parties
dans la région du Temple. Ces différends concernent tous des questions d'interprétation
et fondent la compétence de la Cour en vertu de l'article 60 du Statut pour interpréter
l'arrêtcomme ceci est demandé par le Cambodge.
3.Î7 Concernant le premier différend sur la signification des termes "territoire" et
"environs", il est indéniable que la Cour, après avoir choisi d'utiliser les termes "en
territoire relevant de la souveraineté du Cambodge" dans le premier paragraphe du
dispositif, et les termes "dans le Temple ou dans ses environs situés en territoire
cambodgien" dans le deuxième paragraphe du dispositif, n'en a pas donné une définition
précise. La Thaïlande prétend corriger l'arrêten y a apportant elle-mêmedes définitions
très restrictives,qu'elle a élaboréesaux termes d'une argumentation fort complexe et
jamais communiquée auparavant au Cambodge 131•Le Cambodge (en se fondant sur les
termes de l'arrêt) comprend les deux expressions dans un sens plus large. Cela établit en
soi un différend clair entre les deux États sur le premier et deuxième paragraphe du
dispositif.La Thaïlande cherche, en outre, à préciser le sens et la portée du premier
paragraphe du dispositif en soumettant ce dernier à sa propre lecture du deuxième
paragraphe du dispositif, une lecture qui non seulement n'est pas possible au regard des
termes de l'arrêt, mais est en outre directement contredite par l'indication explicite de la
Cour selon laquelle le deuxième paragraphe découle du premier, et non l'inverse. Cela
implique qu'il y a aussi clairement un différend entre les deux Etats sur le deuxième
paragraphe du dispositif. Il en découle également qu'il existe un différend entre eux sur
l'interprétation correcte du lien entre ces deux paragraphes. Tous ces différends -
désormais incontestablement établis par les Observations formelles soumises à la Cour
131
Ibid.pp.95-111.
48par les Parties dans la présente procédure - se rapportent à l'interprétation des termes
mêmes de la chose jugée (res judicata). Enfin, la Thaïlande ne conteste pas non plus
l'existence d'un différend entre les Parties quant à savoir si l'arrêta ou n'a pas reconnu
132
avec force obligatoire la ligne indiquéesur la carte de l'annexe 1. Selon le Cambodge,
ceci est aussi un différend qui, conformément aux décisionsde la Cour et de la Cour
permanente, s'inscrit dans le cadre de la procédured'interprétation en vertu de l'article
60 du Statut.
B. La demande est recevable
1. La demande n'est pas forclose et le Cambodge n'a iamais renoncé à
la possibilité de demander une interprétation
3.18 Dans.la grande majorité des cas qui se sont présentésdevant la Cour, la demande
en interprétation a étédéposéedans un délaiassez rapprochéde l'arrêtlui-même.S'il en
va autrement, il se peut que cela entraîne une pratique entre les parties en litige dans
l'intervalle entre l'arrêtet la demande en interprétation (comme dans le cas présent).
Mais ce!a n'altère en rien la nature essentielle et juridique de la procédure
d'interprétation. Pour des raisons similaires 1l n'est pas possible, en vertu du Statut ou
d'un principe général,de construire à partir des actions - ou surtout des omissions - de la
partie requérante une supposée "renonciation" au droit de demander l'interprétation
garanti par l'article 60 du Statut. Dégagerdu Statut de la Cour un concept qui tendrait à
la possibilité pour un Etat de renoncer, c'est réintroduire subrepticement un délai à
133
l'a.rticle60, contrairement à ce que la Cour a décidé •
3.19 La Thaïlande va mêmejusqu'à affirmer que "dans ce cas particulier, l'introduction
tardive pose des défis majeurs pour l'intégritéde !a procédure de l'article 60" 13\ ce qui
rendrait toute la procédure "irrecevable". Le fondement exact de cette affirmation n'est
jamais expliquée, mais le Cambodge en déduit qu'il est constitué des deux propositions
suivantes: les événements ultérieurs montrent qu'il n'y a en fait pas de différend
pertinent entre les Parties mais, qu'en tout étatde cause, mêmes'il existait un différend,
les événementsultérieurs ont pour conséquenceque le Cambodge a en quelque sorte
renoncé à ses droits ou en a étéprivé en application de l'article 60 du Statut. Le lien
entre ces deux propositions reste confus, mais le Cambodge soutient qu'il s'agit
d'arguments qui manquent profondément de substance. La deuxième proposition (la
supposéerenonciation) est non seulement juridiquement erronée, mais aussi fondéesur
132 Ibid.,p. 207.
133 Demande enIndicationdeMesuresConservatos,rdonnanelu18juillet 2p.10,para.37.
134 Observations thaïlandaises, para. 4.29.
49une fausse appréciation des faits comme cela a été démontré dans le Chapitre 2.
L'argumentaire de la Thaïlande est par conséquent dénué de fondements juridiques.
3.20 Une fois qu'il est admis - comme la Cour l'a déjà jugé dans son ordonnance en
indication de mesures conservatoires - que le droit de demander l'interprétationd'un
arrêt n'est soumis à aucune limite temporelle, il s'ensuitque la Cour est appelée à
déterminer la situation juridique qui existait au moment de l'arrêt lui-même. La Cour
n'est pas appelée, dans le cadre d'une demande en interprétation, à se prononcer sur les
actes postérieurs des Parties à l'arrêt, sauf dans le but de déterminer s'il existe un
différend. Toute prise en compte de l'effet juridique de la conduite ultérieure des parties
(comme celle que la Thaïlande invite la Cour à prendre en compte) soulève des questions
distinctes et nécessiterait un consentement spécifique pour que la Cour ait compétence -
ce que la Thaïlande s'empresserait d'ailleurs sans aucune doute de relever. Mais cette
conduite ne peut pas changer le sens de l'arrêt qui a été rendu, ou le droit d'une partie
de demander son interprétation.
3.21 L'argumentation sur la renonciation ne trouve donc aucun fondement, ni même
matière à réflexion, dans les termes de l'article 60 du Statut qui (comme le Cambodge l'a
fait remarquer dans sa Requête 135)est rédigé en termes impératifs. Cet argument est par
ailleurs basé sur deux arguments factuels : le Cambodge aurait accepté les actions de la
Thaïlande comme une application correcte de l'arrêt ou, pour le moins, le MoU sur la
démarcation de la frontière supposerait une interprétation de l'arrêt en conflit avec celle
qui est actuellement avancée dans cette affaire par le Cambodge. Mais il a déjà été
démontré dans le Chapitre 2 de la présente réponse que chacune de ces affirmations
factuelles est absolument sans fondement, même si l'on se base sur les pièces produites
par la Thaïlande. Le Cambodge ajoute que, même si (quod non) les droits contenus à
l'article60 du Statut pouvaient disparaître de cette façon, ceci ne trouverait pas à
s'appliquer à la présente affaire.
2. La Requête du Cambodge ne cherche pas à réintroduire une
demande gui aurait été déclarée irrecevable
3.22 La Réponse de la Thaïlande à la demande du Cambodge repose dans son
intégralité - ou presque - sur le bref passage de l'arrêt de 1962 dans lequel la Cour
refuse de répondre aux première et deuxième conclusions du Cambodge telles que
présentées à la fin de la procédure orale. Ceci donne lieu à son tour à une discussion sur
le passage où la Cour (tout aussi brièvement) se penche sur la pertinence de cartes à un
135 Paras. 26et suiv.
50 stade antérieur de l'arrêt. les passages en question méritent d'êtrerappelés dans leur
intégralité:
"L'objet du différend soumis à la Cour est donc limité à une contestation relative à
la souveraineté dans la région du Temple de PréahVihéar. Pour trancher cette
question de souveraineté territoriale, la Cour devra faire état de la frontière entre
les deux Etats dans ce secteur. Des cartes lui ont étésoumises et diverses
considérations ont étéinvoquées à ce sujet. la Cour ne fera état des unes et des
autres que dans la mesure où elle y trouvera les motifs de la décisionqu'elle doit
rendre pour trancher le seul différendqui lui est soumis et dont l'objet vient d'être
136
ci-dessus énoncé".
"Se référantfinalement aux conclusions présentées à la fin de !a procédureorale,
la Cour, pour les raisons indiquéesau début du présent arrêt,constate que les
première et deuxième conclusions du Cambodge priant la Cour de se prononcer
sur le statut juridique de la carte de l'annexe I et sur la ligne frontière dans la
régioncontestée ne peuvent êtreretenues que dans la mesure où elles énoncent
des motifs et non des demandes à retenir dans le dispositif de l'arrêt. Elle
constate d'autre part qu'après avoir énoncésa propre demande concernant la
souveraineté sur PréahVihéar la Thaïlande, dans ses conclusions formulées à la
fin de la procédure oraie s'e9t bornée à énoncer les arguments et dénégations
opposés à la Partie adverse, laissant à la Cour le soin de rédiger à sa convenance
les motifs de son arrêt." 137
3.23 A la lumière de ce qui précède,il faut en déduire que le refus de la Cour de se
prononcer formellement sur les deux conclusions cambodgiennes en question est la
conséquenced'un problème purement procéduralqui décou!edu fait que ces arguments
n'avaient pas étéprésentésavant l'audience, et ont étéconfrontés à une objection de la
part de la Thaïlande sur le fondement qu'ils avaient étésoumis trop tard 138.Ceci ne
signifie pas qu'il n'y ait eu une objection à la compétencede la Cour pour répondre au
fond, étant donné que la compétence de la Cour pour cette affaire a étédéduite des
139
déclarationsissues de la clause facultative pour les deux Parties •Il semble clair que ce
que la Cour avait à l'esprit dans les deux passages était une seule et mêmequestion, à
savoir la place des cartes ("et diverses considérations") qui avaient étésoumises en
rapport avec la !igne frontalière dont "... la Cour devra faire état" comme elle l'a
effectivement jugé. la Thaïlande a elle-mêmeprésenté à la Cour un certain nombre de
cartes au cours de la procédure, tentant de montrer que le Temple avait étéplacé du
côtéthaïlandais de la frontière. La question du statut de la carte de l'annexe I a donc été
pleinement débattue devant la Cour, et les deux Parties ont bien développésdes
arguments en ce sens.
136 TempledePréah Vihéarf,ond,arr, lJ. Recuei/19p.14.
137 Ibid.,p.36.
138 Ibid.p.11. Iapparaîtégalemenitmplicitequel'objectionprocésurcettesoumissiontardivesoit baséesur
l'argumentselonlequleconséquence decesconclusionoutrepassèrelecadredu lititelqu'initiédépart
parlecambodge.
139 VoirlaRequêtp,aras.3·4.
513.24 Enfin, il est clair que dans ces passages la Cour ne manifeste pas un refus de se
prononcer sur les "cartes et d'autres considérations", n! d'ailleurs ne refuse de prendre
en compte les conclusions du Cambodge (ainsi que celles de la Thaïlande) à cet égard,
mais ces passages indiquent simplement la forme sous laquelle la Cour avait décidéde le
faire, c'est-à-dire non par des conclusions officiellement exprimées, mais comme des
"motifs" ou "raisons". Il est en effet implicite dans la dernière phrase du passage citéci
dessus que les conclusions de la Cour sur ces cartes et considérations constituent les
motifs sur lesquels se fonde son arrêt.Ceci est en symbiose avec l'indication explicite de
la Cour selon laquelle l'acceptation par les Parties de la carte de l'annexe I était la
question essentielle dans cette affaire.
3.25 Le Cambodge soutient ainsi, sur la base d'une simple analyite de la terminologie
utilisée par la Cour, que les affirmations faites par la Cour à propos de la carte de
l'annexe I sont en effet "inséparables" de sa décisionsur le·différend qui lui était soumis,
tel que ceci est transcrit dans le dispositif. Sans ces affirmations,lepremier paragraphe
du dispositif n'aurait tout simplement pas étépossible, et certainement pas sous la forme
dans laquelle la Cour, après avoir dûment délibéré, a choisi de le rédiger. Il n'y a qu'un
petit pas à franchir (que la Thaïlande semble Incapable de franchir) pour reconnaître que
la demande actuelle en interprétation du Cambodge ne cherche pas à réintroduire une
deman'de qui aurait déjà étédéclaréeirrecevable dans l'arrêt de 1962. En effet, le
Cambodge se contente de demander à la Cour d'expliquer les conclusions qu'elle a
dégagéesdans son arrêtde 1962. Et il demande à la Cour de le faire en particulier en ce
qui concerne larelation entre ces conclusions et le sens et la portée du dispositif de
l'ar.rêt;
52 CHAPITRE~
LA NÉCESS~II NTRERPRÉTATION PELA DEMANDE SOUMISE PAR LE
CAMBODGE
4.1 Les Observations thaïlandaises présentent prima farcie de multiples arguments
pour rejeter la demande en interprétation du Cambodge. Néanmoins, il faut constater,
d'une part, que cette multiplicité masque de nombreux recoupements et répétitionset,
d'autre part, que l'enchaînement des arguments ignore une logique juridique propre à en
démontrer la pertinence. Pour cette raison, le Cambodge souhaite, dans ce chapitre,
répondre à ces Observations en retenant un système simple et lisible d'arguments selon
un plan logique. Seront successivement évoquésla nécessairelectûre du dispositif à la
lumière des motifs essentiels de l'arrêtdu 15 juin 1962, et le sens et la portée de cet
arrêtdans le cadre de l'interprétation demandéepar le Cambodge.
A. La lecture dy djspositif à la lumière des motifs essentiels de l'arrêt du
15 juin 1962
1. La fonction de la motivation d'un arrêt
4.2 Il est généralementadmis que certains motifs bénéficientde l'autorité de chose
jugée s'ils représentent une condition essentielle de la décision contenue dans le
140
dispositif, et cela bien au-delà de la présenteaffaire •
4.3 L'un des arguments récurrents des Observations de la Thaïlande concerne la
question du res judicata. l'argument est sitnple: puisque la question du statut de la carte
de l'annexe I - et par conséquentcelle de la délimitation de la frontière - est évoquéeen
dehors du dispositif de l'arrêt du 15 juin 1962, et donc en dehors des prescriptions
obligatoires de l'arrêt,cette partie de l'arrêt(ses motifs) n'aurait pas force obligatoire et
ne pourrait servir à l'interprétation de l'arrêt. En s'appuyant sur une jurisprudence
connue, par ailleurs citée par le Cambodge dans sa requêtel 41, la Thaïlande essaie de
140 C'est notamment une opinion quasi-unanimement partagée par la doctrine en symbiose avec la
jurisprudence. Voir notamment, G. Abi-Saab, Les exceptions préliminaires dans la procédure de fa
Cour internationale, Paris, Pedon1967, p. 247; S. Rosennne, The Law and Practice of the
International Court,yden, A.W. Sitjhof1965, V.II, 627; Ch. de VisscherAspects récentsdu
droit procéduralde la C.l.J, Paris, Pedone, 1966, p. 180; M. Bos, "The Interpretation ofinternational
Judicial Decisions", Revlstaespanofade DerechoIntemaclonal, p. 11·50 (1981-1), p. 13.
141 Observations thaïlandaises, pp. 168-169, para. 4.75 and 4.77: Demandeen Interprétation de l'arrêtdu
20 novembre 1950 en l'affaire Droitd'asile (Colombie/Péroarrêtdu 27 novembre 1950,C.I.J.
Recuei/1950,p. 395.Affaire cidans larequêteduCambodge, paras22-23.
53démontrer que le Cambodge cherche à obtenir une interprétation sur un aspect non relié
au dispositif14•
4.4 De multiples confusions et assimilations simplificatrices découlent de cet
argument. Les confusions concernent non seulement la question du caractère obligatoire
ou non des motifs de l'arrêt, mais aussi - et c'est une autre question - celle de la
nécessitéd'interpréter le dispositif à la lumière des motifs essentiels de l'arrêt,que ces
derniers aient ou non une force obligatoire en eux-mêmes.Dans son ordonnance du 18
juillet 2011, la Cour indique, entre autres, que la question de savoir si l'arrêta ou non
reconnu avec force obligatoire la ligne tracée sur la carte de l'annexe I comme
représentant la frontière entre les deux parties, ainsi que celle de savoir si tel ou tel point
a étédécidéavec force obligatoire, constituent des questions qui ëntrent dans le cadre
143
de l'article 60 du Statut de la Cour •Ces aspects sont, du point de vue du Cambodge,
fondamentaux car ils déterminent la lecture pertinente de-l'arrêtde 1962 et permettent
de répondre aux questions précédentesque la Cour pose à propos de ce différend, à
savoir ce qu'il faut entendre par les "environs" du Temple situésen territoire relevant de
la souveraineté du Cambodge, et comment il faut comprendre l'obligation pour la
Thaïlande d'évacuerses troupes du Temple et de ses "environs", selon les paragraphes 1
et 2 du dispositif de l'arrêt de 1962. C'est à ces aspects que le Cambodge souhaite
désormaisrépondre.
4.5 Auparavant, il est nécessairede rappeler la fonction généralede la motivation
d'un arrêtpour en comprendre le contexte. Traditionnellement, la motivation de l'acte
juridictionnel est constituée de l'ensemble des raisons de fait ou de droit qui vont
commander l'énoncé du dispositif. Par ailleurs, l'obligation de motiver les actes
juridictionnels, désormais répandue à l'ensemble des juridictions internationales, est !a
seule qui existe sous cette forme en droit international. L'article 56§1 du Statut de la
Cour ne peut êtreplus clair et plus direct: "L'arrêtest motivé". Quant à l'article 95,
paragraphe 1, du Règlement, il détaille la structuration de la motivation d'un arrêtet
préciseque celle-ci doit comprendre notamment "les circonstances de fait" et les "motifs
de droit". Cette distinction entre les simples circonstances de fait et les motifs qualifiés
"de droit" n'est pas anodine et doit êtrecomprise dans le contexte de l'arrêtde 1962.
4.6. Il en découleque la motivation n'est pas une simple possibilité, une option ou un
espace de liberté que le juge utiliserait à sa guise, mais qu'il s'agit bien d'un point de
passage obligatoire qui, s'il existe, comporte une fonction qui ne peut êtreécartée
142 Observations thaïlandaises, pp. 166·169, para. 4.73·4.78.
143 Demande en Indication de Mesures Conservatoires, ordonnancejuillet 2011, ppara.31.
54 comme n'ayant aucune importance, voire aucune existence, comme la Thaïlande cherche
àen convaincre la Cour.
4.7 les fonctions de la motivation pour le juge international sont bien connues et ne
diffèrent guère de celles du juge interne lorsqucelle e~iti : il s'agit d'assurer aux
Parties que le juge n'a pas dépassésa compétence,faire comprendre à l'Etat qui a perdu
les raisons de cet échec, et éventuellement exposer des règles de droit qui pourront
servir de gu~de sux Etats et aux juges pour l'avenir. l'acte de motivation est donc
important pour la compréhension, la diffusion, l'acceptation ou l'application des décisions
juridictionnelles.a motivation sert en pratiqueà comprendre l'acte juridictionnel parce
qu'elle l'explique,t peut servià l'interpréter parce qu'elle le justifie.
4.8 Si, dans l'absolu, il peut y avoir une décisionsans motivation, il ne peut pas y
avoir de motivation sans décisioncar la motivation n'existe que par rapporà la décision
qu'elle motive. Autrement dit, la motivation d'un acte juridictionnel n'existe pas en elle
même,ce n'est que le préfixe à un dispositif, jamais une fin en soi. Ceci impose pour le
moins un lien de rationalité entre les motifs et le dispositif. Pour cette raison, comme
indiqué supra, la Cour précise et distingue, dans l'article 95, paragraphe 1, de son
Règlement, les circonstances de fait et les motifs de droit. Si les circonstances de fait
viennent simplement à l'appui d'une démonstration, les motifs de droit vont en revanche
servir de base au raisonnement qui mène au dispositif. La motivation n'est pas une
norme (en sol), elle contient des faits et des normes qui sont la justification ou
l'explication de la production de la norme individuelle qu'est la décision. la décision
apparaît donc à la fois comme un processus et un résultat, mais ce résultat ne peut se
comprendre et êtreinterprétésans prendre en compte le processus.
4.9 La motivation étant essentielle, elle ne peut êtrepasséesous silence comme le
voudrait la Thaïlande. le Cambodge souhaite donc indiquer le caractère essentiel de la
motivation de l'arrêt du 15 juin 1962, non seulement parce /es motifs de droit sont
indispensables à la lecture du dispositif de l'arrêt,à sa compréhension et à son
interprétation en ce qu'ils éclairent ce qu'Il faut comprendre comme étant les "environs"
du Temple, mais aussi parce que ces motifs se réduisent finalement à un motif centra!,
pour ne pas dire unique de droit qui, par son unicité, ne peut être que le pilier du
raisonnement de la Cour. Au surplus, ce motif a bien une valeur normative intrinsèque
que la Cour explicite clairement en donnantà la carte de !'annexe I une véritable valeur
conventionnelle qui confirme l'élément intangible de la frontière ainsi reconnue. Ce
caractère normatif du motif unique de l'arrêtde 1962 ne permet pas la compréhensionet
l'Interprétation deon dispositif si on l'Ignore. Mais, et quelle que soit la valeur que l'on
55donne au motif central de l'arrêt de 1962 il es1 de toute façon indispensable - car
essentiel -à la lecture du dispositif.
2. Un motif essentiel ayant une valeur normative obligatoire
(a) Un mgtif essentiel
4.10 Comme le Cambodge le démontrera infra, la prise en compte des motifs
"essentiels" d'un acte juridictionnel pour l'interprétation du dispositif est désormais
largement admise par l'ensemble des juridictions internationales. En l'espèce, Il y a tout
lieu de considérerque le motif concernant le caractère obligatoire de la carte de l'annexe
I pour les Parties est "essentiel", tout simplement parce qu'il est cel1tral et unique. Si la
Cour, en 1962, n'a souhaité élucider dans ses motifs qu'un seul et unique aspect pour
parvenir à sa solution, c'est qu'elle le considéraitbien comme "essentiel". Sinon, sur quoi
aurait-elle fondéson opinion?
4.11 L'arrêtdu 15 juin 1962 est construit d'une manière assez simple. Après le rappel
des faits à l'origine du différend et de la procédure(pp. 6-14), la Cour annonce que:
"Pour trancher cette question de souverainetéterritoriale, la Cour devra faire état
de la frontière entre les deux Etats dans ce secteur." (p. 14)
4.12 Et c'est bien ce que va faire la Cour tout au long des motifs suivants dont on peut
144
dire qu'il s'agit "d'un" motif tant son unicité frappe. Des pages 15 à 32 de l'arrêt , la
Cour explicite l'ensemble du processus historique de la délimitation de la frontière à
l'origine de son acceptation par la Thaïlande, ainsi que les effectivités se rapportant à
cette acceptation. Les pages suivantes (pp. 32-35) servent à la Cour à conclure le
raisonnement sur la base du motif détailléauparavant.
4.13 Il est donc aiséde constater que, dans l'arrêtde 1962, il n'existe pas de motifs
surabondants ou secondaires que la Cour aurait pu étudier et rejeter. Elle va directement
au but à l'aide d'un seul motif. De la mêmemanière, il n'est pas concevable d'assimiler la
longue argumentation développée à une séried'obiter dicta. Il ne s'agit pas non plus du
rappel d'un principe ou d'une règle généralenécessaireau ratio decidendl. Mais il s'agit
bien, en réalité,du cŒur utile et unique de la démonstration. La Cour elle-mêmeen fait
l'aveu dans l'arrêtde 1962 :
144 Pour un arrêtqui en compte 37.
56 "le vrai problème, et le problèmessentie ln l'espèce,est donc de savoir si les Partiesont
adopté lacarte de l'annexeI, et la ligqu'elleindique, commereprésentantle résultatdes
travaux de délimitationde !a frontière danslarégionde Préah Vihéar,conférantainsi un
caractèreobligatoirà cettecarte."(p. 22souligné parle cambodge, opdt, note 126)
l'acceptation non démentie par laThaYiande de la frontière de lacarte de l'annexe Iest
le motif principal sur lequel se fonde la décision et rend inutile, comme la Cour Jeprécise,
de savoir si la frontière correspond à la ligne de partage des eaux. Elle peut donc
conclure que:
"Etant donné les motifs sur lesquels la Cour fonde sa décision, il devient inutile
d'examiner si, à Préah Vihéar, la frontière de la carte correspond bien à la
véritable ligne de partage des eaux dans ces parages, si elle y correspondait en
1904~19 ou,8dans le cas contraire, quel est le tracé exact.,Oe la ligne de partage
des eaux."(p.35)
Phrase que la Thaïlande persiste, d'une manière Inadmissible, à citer en la sortant de son
contexte1 45•
4.14 Ce choix dans les motifs effectué par la Cour résulte d'une liberté qui luiest
propre. Comme ilest rappelé dans l'arrêt du 18 juillet 1966 dans les affaires du Sud
ouest africain:
"La Cour a le droit, implicitement reconnu par l'article 53, paragraphe 2, de son
Statut, de choisir elle-même les motifs de ses décisions...".14
Ce choix ne résulte nullement du hasard mais d'une construction logique qui mène au
dispositif, et de la claire conscience de la finalité souhaitée que la Cour rappelle dans son
arrêtde 1962:
"D'une manière générale, lorsque deux pays définissent entre eux une frontière,
un de leurs principaux objectifs est d'arrêter une solution stable et définitive. Cela
est impossible si le tracé ainsi établi peut êtreremis en question à tout moment,
sur la base d'une procédure constamment ouverte, et si la rectification peut en
êtredemandée chaque fois que l'on découvre une inexactitude par rapport à une
dispositiondu traité de base." (p. 34)
La portée induite de l'arrêt est ainsi parfaitement circonscrite: il s'agit d'apporter une
stabilité définitiveà la frontière entre les deux Etats dans le secteur du Temple situé sur
un territoire relevant de la souveraineté du Cambodge. Or, par ses remises en cause
successives, laThaïlande adopte l'attitude exactement contraire à ce qui est souhaité par
la Cour en 1962.
145 Observations thaïlandaises, pp. 200-201, para. 5.12. Requêtedu Cambodge, para. 16.
146 Sud-Ouest africain, deuxième phase, arrêt,C.I.J. Recueil 1966, p. 19, para. 8.
57 4.15 le d·wix du motif centrai e'i:essentiel !'arrêt 1962 estdonc un choix réfléchi
dont le sens et la portée étaient de mettre fin définitivement au différend par la
reconnaissance de la souveraineté sur le territoire où se situe le Temple au Cambodge
sur la base d'une frontière reconnue comme définitivement établie. Se rejoignent et se
confondent alors la motivation formeUe et !a motivation réelle de ~·arr N ots. sommes
au cŒur du ratio decidendi entendu comme la raison de déc~d (ourraison décisive) 0e
motif essentiel ou encore ia donnéedéterminante de !a dédsion 147•
4.16 l'acte de motivation de !a Cour ,amène toujours une prise en considération cies
arguments de la partie perdante. Des motifs de nature objective prennent alors en
compte l'écart:entre la violation de la règle et !e comportement étatii::fuefautif. C'est a!ns.!
que !e Cambodge comprend un aspect dont !a Thaïlande fait grand cas 1.4 :!'e><ciusionde
conclusions du Cambodge lors de la phase orale qui auraient pu être reprises dans le
149
dispositifstricto sensu de l'arrêt de 1962 • Outre que !a Cour opère paiiois un choix
150
entre les conclusions pour répondre précisément aux questions posées , ii faut
remarquer que les quatre (puis les cinq) conclusions elu Cambodge sc.::retrouvent
intégralement dans ~·ar ruê15 juin 1962. Sl ~e dispositif ne reprend que !es trois points
concernant la souveraineté sur le territoire où se trouve le Temple, l'évacuation des
troupes et !a remise d'objets, l'arrêt reprend tout simplement la question de !a force
ob!igatoire de la carte de !'annexe I dans l'intégralité de sa motivation. i\utrement dit, !a
Cour n'exclut pas cette conclusion, elle en fait la base unique de son n:llsonnement dans
147 G. Cornu, Vocabulairejuridique, Paris,mP•dition, 2002, pp. 725-72.6.
148 Observations thaïlandaises, p. 63, para. 2.68, pp. 68-69; para. 2.72.
149 Lors de l'audience du 5 mars 1962, ie Cambodge, dans sa première conclusion, a demandé à la Cour
de "Dire et juger que !a ligne frontentr e Cambodge et la Thal'lande, dans le secteur des
Oangrek, est celle qui est tracée sur 1&carte de la Commission de délimitation entre l'Indochine et le
Siam (annexe n° I au mémoire du Cambodge)." (Temple de PréahVihéar,fond, arrêt,C.I.J. Recueil
1.962,p. 10.) Dans sa première et deuxième conclusions fiàal'audience du 20 mars 1962.,le
cambodge a demandé à la Cour de"!. Direjug,q~erla carte du secteur des Dangrek (annexe I au
mémoire du Cambodge) aétédresséeet publiéeau nom et pour le compte de l<.iCommission mixte de
délimitation, crééepar le traité du 13 février 1904, qu'elle énonce les décisions prises par ladite
Commission etqu'elie présente tant de ce fait que des accords el:comportements ultérieurs des Parties
un caractère conventionn2.Dire et juger que !a ligne frontière entre le Cambodge et la Tha'!'lande,
dans la région contestée voisine du Temple de PréahVihéar, est celie qui est marquée sur ia carte de
la Commission de délimitation entre l'Indochine et le Siam (annexe 1 au mémoire du Cambodge)."
(Ibid., p. 11.)
150
A cet égard, la déclaration commune des juges Tanaka et Moreàll'arrêt du 15 juin ll962 est
instructive.s derniers estiment que iÛlL!rauraient dû rejeter la conclusion du Cambodge
concernant ia restitutdes objets car eUe estln~erve tadevement, au même titre que ia
conclusion sur la question de !a carte de l'annexe 1. Pour justifier leur position, les juges indiquent
que: "La demande, telle qu'elle est formulée dans ia requête du Cambodge, concerne, non pas ta
restitution du temple en tant que tel, mais plutôt la souveraineté sur la parcelle de territoire où fe
temple estsitué."(38,souligné par le Cambodge.) Et ils ajoutent: "C'est uniquement au cas ol.1!a
demande du Cambodge aurait eu directement pour objet la restitution du Temple qu'iétéurait
possible, mais seulement au moyen d'une Interprétation ·extensive d'une telle demande, de considérer
que ~amêmedemande concemalt aussi les objets qui, ayant fait partie du Temple avant !a requête,
avaientété,toujours avant la requête, enlevés du Temple," (p. 38.) C'est donc bien parce que ces
juges estimaient que la demande du Cambod·~oncem nonipas strictemen~eTemple lui-même
ma!s bien le territoire sur leque! ii se trouété en désaccon:lavec la question de !'ajout de
la conclusion concema~aremise des objets. De son côté, la Cour n'a pasàintégrer dans le
dispositif cette concpourtë ê~nparue<z!leaussi tardivement.ses motifs estimant à juste titre que rien ne peut êtredécidésans cette base 151•Nous
verrons que la Cour fait mêmedroit au souhait du Cambodgede voir cette carte acquérir
une valeur conventionnelle alors que cette conclusion demandéelors de l'audience finale
aurait théoriquement pu être rejetée. De la même manière, la Cour reprendra
strictement, dans son dispositif, la formule de la conclusion cambodgienne selon laquelle
elle prie la Cour de dire et juger que "... le Temple de PréahVihéarest situéen territoire
relevant de la souverainetédu Royaumedu Cambodge." 152
4.17 Le Cambodge ne conteste pas que la question de la frontière n'était pas l'objet
central du litige à l'origine de ses conclusions mais c'est la Cour qui a décidéque, pour le
résoudre, il fallait savoir où passe la frontière dans la région du Temple, ce que la
Thaïlande ne peut ignorer..La frontière est le support du territoire·'d'un Etat, mais c'est
aussi le support de l'arrêt, ce sur quoi il se base pour décider. On peut également le
constater à travers une hypothèse: si le Cambodge n'avait pas soumis de conclusions
supplémentaires demandant à la Cour de se prononcer sur la carte de l'annexe I, cela
aurait-ii changéle sens de l'arrêt?Certainement pas, car pour définir le territoire sous la
souverainetéduquel se trouve le Temple il aurait de toutes façons fallu déterminer où se
trouve la frontière. Sans cette réponse,la Cour ne pouvait répondre à la requête.Or, elle
a bien souhaitéy répondre.
4.18 Dans l'arrêt de 1962, il est donc impossible de séparer le motif essentiel du
dispositif pour parvenir à son interprétation. D'ailleurs, si le Cambodge a toujours
interprétél'arrêtsur cette base, la Thaïlande le fait également car elle se détermine a
contrario par rapport à ce motif qu'elle rejette ou qu'elle contourne. Au surplus, la
Thaïrandesouhaite lire le dispositif de l'arrêtde 1962 dans un contexte englobant tout le
processus, sauf les motifs précis de l'arrêt. Une bien étrange exclusion qui l'amène à
restreindre considérablementla portéede l'arrêtet son effet utile.
{b) Un motif ayant une yaleur.normative obligatoire
4.19 Les motifs d'une décisionjuridictionnelle n'ont pas tous la mêmevaleur. Comme
ceci fut rappelé, en distinguant "les circonstances de fait" des "motifs de droit" le
Règlement de la Cour (art. 95, para. 1) implique que les "faits" ne peuvent constituer en
eux-mêmesdes "motifs" mais qu'ils viennent à l'appui de ces motifs. Ces "motifs de
j.
m l.aCour n'entend d'ailleurs pas exclure ces conclusions dans sode 1962 mais, comme elle le
précise: "(leseux premières conclusions] ne peuvent êtreretenues que dans la mesure où elles
énoncent des motifs et non des demandesà retenir dans le dispositif de l'arrêt." (p. 36.) Ceci ne
signifie nullement que le dispositif ne puisse àtla lumière de ce motif essentiel lorsqu'il est
nécessaired'en Interpréter le sens et la portée.
152 Temple de PréahVihéar,fond, arrêt,C.I.J. Recueil p. 11.
59 droit" méritent également d'être hiérarchisés en fonction de leur signification et
importance au regard du dispositif. S'il arrive que certains motifs soient le simple rappel
d'une règle de droit nécessaire au raisonnement, il arrive également que des motifs de
droit soient énoncésdans l'objectif d'être lesupport direct du dispositif. C'est bien ainsi
qu'ilfaut comprendre le motif essentiel mentionnépar la Cour dans son arrêtdu 15 juin
1962.
4.20 Dans son arrêt du 15 juin 1962, la Cour précise, au moment où elle tire les
conclusions de sa démonstration précédente:
"la Cour considère que l'acceptation par les Parties de la carte de l'annexe I a
incorporé cette carte dans le règlement conventionnel, dont elle est devenue
partie intégrante." (p. 33).
Elleconstate au surplus qu'en cas de divergence:
"... lfrontière tracée sur la carte l'emporterait sur les dispositions pertinentes de
la convention." (p. 34}.
4.21 Elle trouve dans cette carte une valeur conventionnelle qui, par définition, doit
être considéréecomme obligatoire. La synthèse du motif essentiel énoncépar la Cour
amène donc à considérer que ce motif a une claire valeur normative, et même
obligatoire. Que cet aspect ne soit pas dans le dispositif ne peut lui retirer sa valeur
normative et obligatoire puisque la Cour effectue un constat - la reconnaissance de la
valeur obligatoire d'un lien entre les deux Etats - dont lavalidité préexiste à l'arrêt,en
constitue le fondement, et ne peut bien sûr que lui survivre.
Cette position de la Cour en 1962 correspond à son souhait de stabiliser la frontière. La
jurisprudence de la Cour présente, dans cette optique, une grande continuité dont on
retrouve des confirmations ultérieurement. Dans l'affaire du Différend territorial entre le
Tchad et la Libye, la Cour a tenu a rappelé- en se référantd'ailleurs à l'arrêtdu 15 juin
1962- que:
"Une fois convenue, la frontière demeure, car toute autre approche priverait
d'effet le principe fondamental de la stabilité des frontières, dont la Cour a
soulignéà maintes reprises l'importance (Temple de Préah Vlhéar,C.I.J. Recueil
1962, p. 34; Plateau continental de la mer Egée,C.I.J. Recueil1978,p. 36,)". 153
La Cour le confirme dans l'affaire du Différend territorial et maritime, (Nicaragua c.
Colombie):
1s3 Différendterritorial (Jamah!rlya arabe libyennearrêtdu 3 févrie1994, C.I.J. Recuei/1994, p.
37,par.72.
60 "89. la Cour rappelle que c'est un principe de droit international qu'un régime
territorial établi par traité« acquiert une permanence que le traité lui-mêmene
connaît pas ,nécessairement» et que la persistance de ce régime ne dépendpas
de la survie du traité par lequel ledit régime a étéconvenu (Différend territorial
(Jamahiriya arabe libyenne/Tchad), arrét, C.l.J. Recueil 1994, p. 37, par. Tl-
73).11154
On peut aisément comprendre que cette pérennitéattachée à la frontière sera d'autant
plus impérative que, en l'espèce, la délimitation ne découle pas d'un traité qui aurait
cesséd'êtreen vigueur.
4.22 Contrairement à une confusion entretenue par la Thaïlande la Cour, en 1962, ne
délimite pas la frontière mais elle reconnaît une frontière déjà existan.. comme liant les
Parties 15• La force obligatoire de la carte de l'annexe I sur laquelle la Cour s'interroge
dans le paragraphe 31 de son ordonnance du 18 juillet 2011 existe bien parce que cette
force obligatoire existe en dehors de l'arrêtlui-même,et la Cour le reconnaît comme une
délimitation qui existait déjà. C'est l'objet unique et essentiel de la motivation lui
permettant de savoir sur quel territoire se situe le Temple, et jusqu'où s'étend ce
territoire.
4.23 La Cour a bien pris une décision avant le dispositif de l'arrêt,celle concernant la
valeur conventionnelle de la carte de l'annexe I. Et c'est à partir de cette décisionqu'elle
construira son dispositif. Ce n'était pas une simple opinion, mais ce qu'il est convenu de
qualifier de motif décisoire, et nous sommes dès lors dans une forme de dispositif
implicite parce que le motif unique et normatif implique la décision et parce que la
décisionne peut se concevoir sans ce motif. Pour le moins, cette reconnaissance de la
valeur obligatoire de la carte de l'annexe,I entre les Parties possède l'autorité de chose
décidée.A défaut, Je dispositif serait purement arbitraire car on ne saurait pas pour
quelle raison le Temple est du côté cambodgien de la frontière et jusqu'où la Thaïlande
doit retirer ses troupes des environs du Temple.
4.24 Cette analyse doit être confrontée aux affirmations de la Thaïlande dans ses
Observations selon lesquelles le Cambodge chercherait à ce que la Cour déclareque la
15Différend territorial et maritime, (Nicaragua c. Colombie), exceptions préliminaires, arrêtdu 13 décembre
2007,C.I.J. Recuei/2007p. 861par. 89.
15 Cequi permet de distinguer clairement cette affaire de celles où il eàla Cour de délimiter
(ou de .préciser) elle-mêmela frontière. Dans l'affaire de Cameroun c. Nigéria, la Républiquedu
Cameroun demandait notamment à la Cour de "bien vouloir préciserdéfinitivement la frontière entre
elle et la Républiquefédéraledu Nigérladu lac Tàla mer." (Frontière terrestre et maritime entre
le Cameroun et le Nigérla (Cameroun c. Nigérla; Guinée équatoriale (Intervenant)), arrêt, C.I.J.
Recueil2002, p. 318, para. 25(f).) Dans l'affaire du Différendfrontalier (Bénin/Niger), le Béninet le
Niger avaient saisi la Cour par compromis afin notamment qu'elle détermine "le tracéde la frontière
entre la Républiquedu Béninet la Républiquedu Niger dans le secteur du flNige D.iérend
frontalier (Bénin/Niger), arrêt,C.l.J. Recuep. 95, para. 2.)
61 llgne de la carte de l'annexe I "constitutes a boundary binding on the two parties ...", ou
encore que: "... ln fact the Court diol not recognize any boundary" en 1962 car c'est
quelque chose que la Cour aurait "... deliberateiy refused toLa Cour ne rend pas
cette ligne frontière de !a Carte de i'annexe I obligatoire, eUe constcetteligne
était déjà obligatoire avant !'affaire et qu'elle col'êtreCette ligne est donc une
sorte de "pré requis" qui permet de savoh·oùS(t~ouve ie Temple et jusqu'où s'étend
le territoire du Carnbodge, fl,Jeaison de le préciser dans le dispositif car, s! ia !igne
frontièrede .!a carte de !'annexe I départëtQ<léjà !es deux Etats d"une manière
obligatoire, ie Templetrouve forcément du côtéduCambodlge.
4.25 Dès iors, difficile également cie penser que ia Cour aurait simplement utilisé fa
carte de~·anne Ixpour savoir où se trouvait le Tempi1 comriitsh11p m~oeen de
1
preuve, sans attacher pius dportance à cette
Dans cettehypothè is1t~at étébien inuti!e pour la Cour d'affirmer avec autant de
force le caractère conventionnelobligatoircie cette carte qui !'emporte mêmesur les
dispositionsertinentes de lconventionen cas de clivergence,
4,26 le Cambodge n'a donc pasà rédamer ce qui apparaît déjà et sans ambiguïté dans
l'arrêlui-même, à savoir qu'il existe 1.meligne fronob~igat eoter es cieux Etats
dans .la région du Temple et qceiie r-sc~e de !a ligne tracée sur ia carte de l'annexe
L le Cambodge demande simplement à la Courd'interpréter !'arrêt en tenant compte de
ce faitqui,de toute façon, continueti'extster edehors de l'interprétation aujourd'hui
demandée.
4"27 Au surplus, Indépendamment de ia valeur que l'on peut donnerà la motivation
centrale de l'arrêt de 1912i apparaît qu'ii s'avère impossible d'interpréter le dispositif
sans ce motlf essentieL LaThaïlë ~'nfre aucune réfutation a ce fait, établi par !es
déclarations explicitede la Cowsss, Cette liaison est désonna!s au cŒur d'une
abondante jurispmdence internatrona~e,
B. .L.LJL~.. dctu ~J'iltif i _Ba hh'lf'Qiè"eJes mqrti~ eslsent~iw s~~
h~~lbî~.•• ~'""""OO[Ili.t i.Wtr~.i'~.Yfi'~~Jl! "'""-'~'".,.,••••,>!" ~
lotw:Wl!~
156 Observationsthaïlandaises,p. 5, paras.1.10-1~adémonstretionsur les "cinq erreurs"'du
Cambodge,pp. 19et sP<~r a6.es.
157 Ibidpp.1:U-118, paras. 3.67-3.81.
153 Voir paras. 1.20-1.23supra. 1. La nécessaire leetyre du dispositif à la lumière du motif essentiel
dans l'arrêt de 1962
4.28 C'est par une sorte de formule invariable que la Cour opère la liaison entre les
motifs et le dispositif d'un arrêt: "Par ces motifs, la Cour [décide]...". Cette simple phrase
implique qu'une coupure radicale entre les motifs et le dispositif n'existe pas. Il n'est
mêmepas rare de constater le rappel généraldes motifs dans le dispositif !ui-mêmé ? 59
voire le renvoi-direct, dans le dispositif, à des paragraphes des motifs à propos de points
de droit dont on peut considérer qu'ils deviennent alors partie intégrante de la
décision 16• De nombreuses possibilités apparaissent. Il en résulte qu'une porosité existe
entre les deux composantes d'un arrêt,ce qui découle logiquement de la liaison entre les
deux. Certains motifs, par leur rappel, leur citation directe ou tout simplement leur
caractère indispensable à la lecture pertinente du dispositif, acquièrent ainsi une autorité
de chose jugée, ou se révèlent entrer directement dans le champ de l'autorité de la chose
jugée.
4.29 Il s'ensuit que le dispositif ne peut êtrelu isolément et n'autorise pas la Thaïlande
à exécuter l'arrêtd'une manière non envisagéedans l'arrêtdans son ensemble, et même
à l'inverse des motifs énoncés.Sinon, cela signifie l'inutilité totale des motifs et la Cour
pourrait rendre un arrêt en énonçant uniquement le dispositif. Or, l'obligation de
motivation des arrêts indiquée dans le Statut de la Cour signifie qu'une telle
interprétation n'est pas possible. Dans sa requête,le Cambodge précise bien que la ligne
de la carte de l'annexe I est ce sur quoi l'arrêt "se base" 16• Il ne s'agit pas de
l'aff.irmation d'une obligation existant dans le dispositif mais d'une obligation qui
préexfste à la décision finale de la Cour. La Cour a alors pris une décision avant le
dispositif, celle de faire de cette ligne une "base", sans le soutien de laquelle toute
Ainsi, dans le dispositif de son arrêtdu 5 février 1970 en l'affaire de la Barcelona Traction, la Cour vise
directement les motifs: "En conséquence,La Cour rejette la demande du Gouvernement belge par
quinze voix contre une, douze des voix de la majorité se fondant sur les motifs énoncésdans le
présentarrêt."(Barcelona Traction, Light and Power Company, Limlted, deuxième phase, arrêt,C.I.J.
Recueil 1970, p. 51, para. 103.) Dans son arrêtdu 17 décembre 2002, en l'affaire relativeà la
Souveraineté sur Pulau Ligitan et Pu/au Sipadan (Indonésie/Malaisie), la Cour conclut au titre de la
Malaisie en affirmant que: "Compte tenu de l'ensemble des circonstances de l'affaire, et au vu en
particulier des élémentsde preuve fournis par les Parties, la Cour conclut que la Malaisie détient un
titre sur Ugitan et Sipadan sur la base des effectivités mentionnées ci-dessus." (Souveraineté sur
Pu/au Llgltanet Pu/au Slpadan (Indonésie/Malaisie), arrêt, C.I.J. Recueil 2002, pp. 685-686, para.
149.} Elle en vient ensuite au disposeniaffirmant: "Par ces motifs, La Cour, Par seize voix contre
une, Dit que la souverainetésur Pulau Ugitan et PulauSlpadan appartàela Malaisie." (Ibid., p. 686,
para.150.)
160 Dans l'arrêtdu 11 septembre 1992, en l'affaire du El Salvador c. Honduras, la Chambre de la Cour,
dans chacun des différents points du dispositif, renvoie systématiquemeàtdes motifs précis de
l'arrêt.Par exemple, "Pour les motifs exposésdans le présentarrêt,et en particulier aux paragraphes
68 à 103 dudlt arrêt,La Chambre,à l'unanimité,décide que..." (Différend frontalier terrestre, insulaire
et maritime (El Salvador/Honduras; Nicaragua (Intervenant)), arrêt,C.I.J. Recuei/1992, p. 610, para.
425. Voir égalementIbid., p. 611, para. 426; p. 612, para. 427; p. 613, para. 428; p. 614, para. 429;
p. 615, para. 430-431; et p. 616, para. 432.)
16! Requêtedu Cambodge, para. 45.
63 lecture du dispositif devient erronée. Il est donc permis, selon le Cambodge, de
considérer, qu'au regard de l'acte interprétatif, ce motif essentiel est également revêtu
d'une autorité de chose jugée - et, pour le moins, décidée- au sens où la Cour a
confirmé une obligation pour les Parties qui supporte l'ensemble des obligations énoncées
dans le dispositif.
4.30 Tout motif qui ne dépassepas la "portée" du dispositif peut donc servir à l'acte
d'interprétation. Or, le motif essentiel de l'arrêtde 1962, non seulement ne dépassepas
la "portée" du dispositif, mais il est le seul à mêmede comprendre cette "portée" et le
"sens" de cet arrêt.
2. Une iurisprudençe Initiée. par la Coyr perl'tianente de Justice
jnternath:male §t poursyivi§ par l'actu§Ue Cour
4.31 Comme il a déjà étémentionné, une demande en interprétation de la Cour vise
uniquement à préciserla volonté expriméepar la décisionrendue en l'expliquant ou en la
clarifiant. Dans l'affaire de l'Interprétation des arrêtsn° 7 et 8 (Usine de Chorz6w) la 1
Cour permanente avait en effet rappeléque:
"L'interprétation n'ajoute rien à la chose jugée et ne peut avoir effet obligatoire
que dans les limites de la décisionde l'arrêtinterprété (...) [La Cour] se borne à
162
expliquer par l'interprétation ce qu'elle a déjàdit et jugé."
Il en résulteque saisie d'une demande en interprétation d'un arrêt,la Cour doit se borner
uniquement à éclaircir le sens et la portée de ce qui a étédécidéavec force obligatoire
dans un arrêt. Ce principe élémentaire posé par !a Cour permanente 163 est
systématiquement rappelépar la présenteCour 16•
4.32 l'interprétation ne peut par conséquentconcerner que les passages de la décision
qui sont revêtusde l'autorité relative de la chose jugée, au premier chef duquel figure
évidemment le dispositif. Si l'interprétation doit porter sur le dispositif1elle ne saurait s'y
limiter uniquement. Certains motifs sont en effet susceptibles d'être pris en compte.
Dans son avis sur le Service postal polonais à Dantzig, la Cour permanente s'est attachée
162 Interprétation des arrêtsn" 7 et 8 (Usine de Chorz6w), arrê1927,,C.P.J.l. série1'13, p.21.
163 Ibid., 11.
164 Demande d'Interprétation de l'arrêt du 20 novembre 1950 en l'affaire du droit d'asile, arrêt, C.I.J.
Recueil 1950, p.402; Demande en révision et en interprétation de l'arrêt du 24 février 1982 en
l'affaireu Plateau continental (Tunisle/Jamahfr!ya arabe libyenne)(Tunlsc. Jamahiriya arabe
libyenne), arrêt,C.I.J.uei/1985, p.:us, para. 46et p. 223, para. 56Demande en interprétation
de l'arrêtdu 31 mars 2004 en l'affaire Avena et autres ressortissants mexicains (Mexique c. Etats-Unis
d'Amérique)(Mexique c. Etats-Unis d'Amérique), mesures conservatoires, ordonnance du 16 juillet
2008, C.l.J. Recuell2008, p. 328, para. 63; Demande en Indication de Mesures Conservatoires,
ordonnance du 18 juillet 2011, para. 44.
64à mettre en exergue les liens qui unissent les motifs au dispositif. Elle a de la sorte
préciséque les motifs contenus dans une décision qui "dépassent la portée du dispositif,
n'ont pas force obligatoire entre les Parties intéressées." 16A contrario, le constat est que
les motifs qui ne dépassent pas la portée du dispositif peuvent revêtir ce caractère
obligatoire. En revanche, les obiter dicta ou motifs surabondants ne sauraient êtrepris en
considération dans le cadre d'une demande en interprétation. Mais elle a également
rappelé que:
"Toutes les parties d'un jugement visant les points en litige s'expliquent et se
complètent l'une et l'autre et doivent être prises en considération, afin d'établir la
166
portée et le sens précis du dispositif. "
4.33 Les motifs qui sont le soutien nécessaire du dispositif doivent donc être pris en
compte dans le cadre d'un recours en interprétation. C'est ce qu'avait énoncé la Cour
permanente dans l'affaire de l'Interprétation des arrêtsn° 7 et 8 (Usine de Chorzôw).
Après avoir rappelé que la demande en interprétation doit porter sur ce qui a ététranché
avec force obligatoire, la Cour précisait immédiatement que:
"Cela ne veut pas dire qu'il doive être incontesté que le point dont le sens prête à
discussion regarde une partie de l'arrêt ayant force obligatoire. Une divergence de
vues, si tel ou tel point a étédécidé avec force obligatoire, constitue, elle aussi,
un cas qui rentre dans le cadre de la disposition en question, et la Cour ne
pourrait se soustraire à l'obligation d'interpréter l'arrêt dans la mesure nécessaire
pour pouvoir se prononcer sur pareille divergence. " 167
En d'autres termes, la contestation n'a pas nécessairement à porter uniquement sur la
partie de l'arrêt considérée comme ayant seule force obligatoire, à savoir le dispositif.
Elle peut également porter sur les motifs qui éclairent et complètent le dispositif. En
l'espèce, la Cour permanente a considéré que:
"L'existence, dans les motifs de l'arrêt, d'un passage que l'une des parties
interprète comme exprimant une réserve - réserve qui aurait pour effet de limiter
la force obligatoire de l'Arrêt n° 7 - ou comme la contestation d'un droit qui serait
incompatible avec la situation juridique que l'autre partie considère comme établie
165 Service postal polonais à Dantzig, avis consul1925, C.P.J.I. série Bn° 11, pp. 29-30.
166 Ibid., p. 30. C'eàl'occasion de cette affaire devant la Cour permanente que le Professeur Verzijl a pu
affirmer:"Les interprétationde la situation juridiqque ces décisions contiennentont toutes une
valeur égale, peu importe que, au point de vue formel, elles fassent partie des 'motifs' ou du 'dispositif'
du jugement, pourvu seulement qu'elles ne soient pas - pour emprunterun terme à la jurisprudence
anglo-saxonne - de simples obiter dicta. La véritable force interprétobligatoire que comportent
les sentences de cette catégorie appartient égalemeàttoutes leurs parties essentielles, ou l'arbitre
ou le juge ont voulu formulerleur opinion sur la situation de droi(Ibid.Mémoires et plaidoiries,
C.P.J.I. série C N° 8, p. 446.) Les sentences ici visées sont celles qui ont un caractère déclaratoire
167 parmi lesquelles les arrêtsinterprétatifs.
Interprétatiodes arrêts no7 et 8 (Usine de Chorzôw), arrêt n°11, 1927, C.P.J.I. série A n° 13, p. 11-
12 ; op cit, para 2.25 supra.
65 avec force obligatoire, permet de saisir valablement la Cour du point relatif à
l'interprétation des vrais senset portéedudit arrêt." 168
4.34 De manière encore plus limpide, la présente Cour, lors de la Demande en
interprétation de l'arrêtdu 11 juin 1998 en l'affaire de la Frontière terrestre et maritime
entre le Cameroun et le Nigeria, affirme:
"Toute demande en interprétation doit porter sur le dispositif de l'arrêtet ne peut
concerner les motifs que dans la mesure où ceux-ci sont inséparables du
dispositif.169
Cette affirmation sera réitéréepar la Cour à deux reprises. D'une part, dans l'affaire de la
Demande en interprétation de l'arrêt du 31 mars 2004 en l'affaire Avena et autres .
ressortissants mexicains, la Cour rappelle:
"Une demande en interprétation doit se rapporter à une contestation entre les
parties sur le sens et la portée du dispositif de l'arrêtet ne peut concerner les
11170
motifs que dans la mesure où ceux-ci sont inséparablesdu dispositif.
D'autre part, dans l'ordonnance en indication de mesures conservatoires rendue dans la
présenteaffaire, la Cour, une fois encore, précise:
"[qu'] Il est constant qu'une contestation au sens de l'article 60 du Statut doit
porter sur le dispositif de l'arrêten cause et ne peut concerner les motifs que dans
la mesure où ceux-ci sont inséparablesdu dispositif." 171
On retrouve, mutatis mutandis l'aff1rmation du lien entre les motifs et le dispositif dans
d'autres affaires qui ne portent pas spécifiquementsur une question d'interprétation mais
qui abordent cet aspect. Ainsi, dans l'affaire du Différend territorial et maritime
(Nicaragua c. Colombie), la Cour indique:?
"70. La Cour fait observer que les motifs qui figurent aux paragraphes 306 à 319
de l'arrêtde 2007 et constituent le support nécessairedu dispositif de cet arrêt
sont, sur ce point ég1lement dépourvus d'ambiguïté (...) Sans cet exposédes
motifs, il pourrait êtredifficile de comprendre pourquoi la Cour n'a pas fixé, dans
son arrêt,de point terminal. Compte tenu de ces motifs, la décision à laquelle la
Cour est parvenue dans son arrêt de 2007 ne se prête à aucune autre
interprétation'" 172
16a Ibid., p. 14.
169 Demande en Interprétation de l'arrêtdu 11 juin 1998 en l'affaire de la Frontière terrestre et maritime
entre le Cameroun et le Nigeria (cameroun c. Nigeria), exceptions préliminaires (Nigeria c.
Cameroun), arrêt,C.I.J. Recuei/1999p. 35, para. 10.
170 Demande en Interprétation de l'arrêtdu 31 mars 2004 en l'affaire Avena et autres ressortissants
mexicains (Mexique c. Etats-Unis d'Amérique)(Mexique c. Etats-Unis d'Amérique), mesures
conservatoires, ordonnance du 16 juillet 2008, C.l.J. Recuelp. 323, para. 47.
171 Demandeen Indication desMesuresConservatoires,ordonnance du 18 juillet 2011, para. 23.
172 Différendterritorial et maritime (Nicaragua c, Colombie), Requêtedu Honduràsfin d'intervention,
arrêtdu 4 mai 2011, para. 70op cltnote 120, p.45.
664.35 Comme il ressort incontestablement de la jurisprudence de la Cour,
l'interprétation du sens et de la portée du dispositif peut imposer à celle-ci de se référer
' 173
aux motifs dès lors que ceux-cl en constituent le fondement nécessaire • C'est un
principe auquel il est aussi fait référence de manière constante dans différentes
sentences arbitrales et dans la jurisprudence de plusieurs juridictions internationales.
3. Une iurisprydence qyi s'est répandue aux tribynayx arbitraux et
aux aytres iurjdictions internationales
4.36 Qu'il s'agisse de tribunaux arbitraux ou de juridictions internationales, les
principes posésen matière d'interprétation des décisionsjuridictioNnelles demeurent les
mêmes.Dans plusieurs sentences et arrêts,les arbitres et juges ont rappelé que, dans le
cadre d'un recours en interprétation, il leur revient d'identifier ce qui dans la décision
revêtun caractère obligatoire et par conséquent, si besoin, d'interpréter les motifs.
4.37 De nombreuses sentences arbitrales abondent en effet dans ce sens. A titre
liminaire, il convient de rappeler que dans l'affaire des Fonds pieux des ca!lfornies, la
Cour permanente d'arbitrage a déjà insisté sur les liens qui unissent les motifs au
dispositif. Selon elle:
"Toutes les parties d'un jugement ou d'un arrêtconcernant les points débattus au
litige s'éclairent et se complètent mutuellement et( ...) servent toutes à préciserle
sens et la portée du dispositif, à déterminer les points sur lesquels il y a chose
jugée."174
4.38 Plus récemment, prenant appui, sur l'arrêt en interprétation de la Cour
permanente dans l'affaire de l'Usine de Chorzow, le Tribunal arbitral saisi d'une demande
en interprétation de sa sentence rendue dans l'affaire de la Délimitation du Plateau
continental entre le Royaume-Uni et la France, précise:
"[qu'il] considère comme bien établi que, dans la procédure internationale,
l'autorité de la chose jugée, c'est-à-dire la force obligatoire de la décision, ne
s'attache en principe qu'au contenu du dispositif et non pas aux motifs de la
décision. De l'avis du Tribunal, il est également clair que, étant donné les liens
étroitsexistant entre les motifs d'une décision et le contenu du dispositif, on peut
en principe recourir aux motifs pour élucider le sens et la portée du dispositif. Il
t73 C'est un point de vue qui est très largement partagée par les juges et par la doctrine: Voir, par
exemple: s.Torres Bermkdez, "A propos de l'interprétation et de la révision des arrêtsde la Cour
internationale de Justice", in Le droit Inteànl'heure de sa codification: études en l'honneur de
Roberto Ago, Mllano, Giuffrè, 1987, vol. III, p. 469; L Cavaré,"Les recours en interprétation et en
appréciationde la légalitédevant les tribunaux InternatZaoRV,"pp. 482-520 (1954), p. 488.
17 Fonds pieux des Califomies (Etats-Unis d'Amérique c. Etats-Unis Mexicains), sentence arbitrale du 24
octobre 1902RSA, vol. IX, p. 12.
67 en résulte que, sous certaines conditions et dans certaines limites, on peut fort
bien invoquer les motifs d'une décision à l'appui d'une demande d'interprétation
du contenu du dispositif." 175
De la même façon, dans l'affaire Laguna del desierto, le Tribunal arbitral a affirmé que:
"La valeur de res judicata d'une sentence internationale se rapporte, en premier
lieu, à sa partie dispositive, c'est-à-dire la partie par laquelle le Tribunal décide le
litige et établit les droits et obligations des Parties. La jurisprudence a entendu
aussi que les propositions contenues dans les considérants, qui sont les
antécédents logiquement nécessaires du dispositif, sont revêtus du même
176
caractère obligatoire que celui-ci."
A l'appui de son affirmation, le Tribunal arbitral s'est directement référé à l'arrêt en
interprétation de la Cour permanente dans l'affaire de l'Usine de Chorzow et à la décision
en interprétation du Tribunal arbitral dans l'affaire de la Délimitation du Plateau
177
continental entre le Royaume-Uni et la France •
4.39 Comme en atteste manifestement la jurisprudence des tribunaux arbitraux,
confortée par la jurisprudence de la Cour, les motifs peuvent être pris en considération
pour éclairer le sens et ia portée de ce qui a été décidé dans le dispositif. Dans sa
décision en interprétation de la sentence rendue en l'affaire de la Délimitation du Plateau
continental Royaume-Uni c. France/ le Tribunal arbitral précise d'ailleurs que:
"Si certaines constatations figurant dans les motifs constituent une condition
essentielle de la décision contenue dans le dispositif, ces constatations doivent
être considérées comme faisant partie des points tranchés avec force obligatoire
dans la décision. " 178
4.40 Dans ces différents exemples, les tribunaux arbitraux n'hésitent donc pas, non
seulement à lier la lecture du dispositif aux motifs essentiels de l'arrêt, mais également à
conférer à ces mêmes motifs une force obligatoire les assimilant à l'autorité de chose
jugée. Cette conclusion est également partagée par d'autres juridictions internationales.
4.41 Il en va ainsi de la Cour de Justice de l'Union européenne. Très tôt, la Cour de
Justice de la CECA a en effet affirmé que les parties du texte qui peuvent faire l'objet
d'une interprétation ne peuvent, de toute évidence:
" être que celles qui expriment le jugement de la Cour sur le litige qui lui est
soumis: le dispositif et, parmi les motifs, ceux qui conditionnent celui-ci et qui à
175 Délimitation du Plateau continententre Royaume-Uni de Grande Bretagne et d'Irlandedu Nord et
République française, décision du 14 mars 1978, RSA, vol. XVIII, p. 365, para. 28.
176 Différend sur le tracé de la ligne fronentre la Borne 62 et le Mont Fits Roy (Argentic. Chili),
sentence arbitrale du 21 octobre 1994, RGDIP, 1996, p. 551, para. 70.
177 Ibid.
178 Délimitation du Plateau continententre Royaume-Uni de Grande Bretagne et d'Irlandedu Nord et
République française, décision du 14 mars 1978, RSA, vol. XVIII, p. 366, para. 28.
68 ce titre, sont essentiels; ce sont ainsi les parties du texte de l'arrêt qui en
constituent le contenu jugé. Par contre, la Cour n'a pas à interpréter les textes
qui, accessoirement, complètent ou expliquent ces motifs essentiels." 179
4.42 Du reste, lors de l'examen de cette première demande en interprétation d'un arrêt
de la Cour de Justice de la CECA,l'avocat générallagrange, dans ses conclusions, s'est
très largement fondésur l'arrêten interprétation de la Cour permanente dans l'affaire de
l'Usine de Chorzow. Il a notamment insistésur le fait que, dans cette décision, la Cour
avait admis ''qu'il lui appartenait, le cas échéant,de se prononcer sur la question de
savoir si telle ou telle partie de l'arrêta ou non force obligatoire." 180
Dans l'affaire Wilfame c. Commission, la Cour a égalementpréciséque:
"Pour décider si le dispositif d'un arrêtest, ou n'est pas ambigu ou obscur, il
convient de le placer dans le contexte tant des conclusions du requérant que de
l'eXpOSé des motifS dudit arrêt. nlBl
4.43 En d'autres termes, si le recours en interprétation doit porter sur un point revêtu
de l'autorité relative de la chose jugée, la détermination du caractère ambigu ou obscur
du dispositif impose au juge de tenir compte de l'ensemble des élémentsdu litige qui ont
conduit à l'arrêtà interpréter.
Il s'agit d'un véritable leitmotiv qui revient depuis lors constamment dans la
jurisprudence de la Cour. A titre d'illustration, dans l'affaire Malndiaux et autres c. Comité
économiqueet social et Dlezler et autres, la Cour de Justice affirme que:
"La demande en interprétation doit viser essentiellement à l'interprétation du
dispositif, en combinaison avec les motifs essentiels. 11182
Sans qu'il soit nécessairede multiplier les références à l'excès 18, il est aiséde constater
que la Cour de Justice de l'Union européennes'inscrit dans le droit fil de la jurisprudence
de la Cour internationale Justice et des tribunaux arbitraux. Tout comme la Cour
permanente et l'actuelle Cour, la Cour de Justice de l'Union européenne peut donc
179 Assider c. Haute-Autorité CECA5/55, Rec. C.J.C.E. 1954-1955, p278.
180 Ibid.,p.290.
181 Wlllame c. Commission, 110/63 bis, Rec. C.J.C.E. 196p.419.
182 Ma/nd/aux et autres c. Comité économique et social et Diezler et autres, et431/85, Rec. C.J.C.E.
1988, p. 2003, para.6.
183 De leur côté, les avocats générauxrappellent fréquemment cette exigence dans leurs conclusions.
Dans l'affaireHaute autorité c. Collottl, par exemple, l'avocat général Roemer affirmait que"La
jurisprudence a déjà décidéque non seulement le dlsposltlf, mais aussi les motifs déterminants de
l'arrêpeuvent faire l'objet d'une demande d'Interprétation." (Conclusions sur l'affaire, Haute autorité
c. Collotti, 70/63 bis, Rec. C.J.C.E. 1965, p. 361.) De même,dans l'affaire JoséAlvarez c. Parlement
européen, l'avocat généralvan Themaat indiquait qu'il est possible de tenir compte: "Des motifs qui
clarifientt déterminent donc aussi le dispositif.n (Conclusions sur, JoséAlvarez c. Parlement européen
Interprétation, 206/81 bfs, Rec. C.J.C.E. 1983, p. 2876.)
69déciderquelles sont les parties de l'arrêtqui doivent êtrelues - et qui disposent parfois
d'un caractère obligatoire- pour la compréhensionde l'arrêt,au-delà du simple dispositif.
Elle peut donc parfaitement prendre en compte les motifs essentiels dans une demande
'
en Interprétation.
4.44 De son côté, la Cour européenne des droits de l'homme ne déroge pas à la
jurisprudence des autres juridictions en ce domaine. Dans son arrêten interprétation de
l'arrêt Ringeisen, la Cour déclareque, lorsqu'elle est saisie d'un recours en interprétation:
"Elle se trouve amenée,sans plus, à clarifier le sens et la portéequ'elle a entendu
attribuer à une décision antérieure issue de ses propres délibérations, en
précisantau besoin ce qu'elle y a tranchéavec force obligatoire." 184
4.45 Se référant expressément à cet arrêt, la Cour interaméricaine des droits de
l'homme, dans la première décision qu'elle a rendu dâns le cadre d'un recours en
interprétation, a, à son tour, affirmé que:
"The interpretation of a judgment lnvolves not only precisely deflning the text of
the operative parts of the judgment, but also specifying its scope, meaning and
purpose, based on the considerations of the judgments. " 185
Depuis lors, la Cour, qui est fréquemment saisie de requêtesen interprétation de ses
arrêts,a eu l'occasion d'affiner sa jurisprudence. Ainsi, dans l'affaire Loyaza Tamayo, elle
rappelle:
"The request or petition for interpretation of a judgment may not be used as a
means of challenging it, but must be made for the sole purpose of working out the
meaning of the decision when one of the parties malntains that the text of its
operative paragraphs or its consideranda is unclear or imprecise, provided those
consideranda affect that operative paragraph." 186
Il s'agit dorénavant d'un considérant que l'on retrouve dans tous les arrêts en
interprétation de la Cour 187•
184 Reigeisenc. Autriche (Interprétation de l'arrêtdu 22 juin 1972), 26 juin :1.973,C.E.D.H,sérieA n° 16,
p. 13.
185 Case of Velasquez-Rodriguez v. Honduras. Interpretation of the Judgment of Reparations and Costs,
Judgmenl:of :1.7August 1990, !/A Ct. H.R, Series CN°9, para. 26.
186 Caseof l..oayzaTamaya v. Peru, Interpretation of Judgment of 17 September 1997, Order of 8 March
1998, I/A. Ct. HR,Series C N" 47, para. 16.
187 Voir récemment, Caseof Acevedo Buendfa et al. ("Discharged and Retlred Employees of the Office of
the Comptroller'? v. Pero, Interpretation of the Judgment on prelimlnary objections, merits,
reparations and costs, Judgment o24 November 2009, l/A.Ct. HR, Series C N° 198, para. 11; Caseof
RosendoCantu et al. v. Mexico, Interpretation of the Judgment on the preliminary objections, merlts,
reparations and costs, Judgment of 15 May 2011, I/A. Ct. HR, Series C 1'112°25, para. 10; Case of
Salvador Chlribogav.Ecuador, Interpretation of the Judgment on the reparations and costs, Judgment
of 29 August 2011, I/A. Ct. HR, Series C N° 230, para. 11; Case of Abri/! Alosl/la et al. v. Pero,
Interpretation of the Judgment on the prelimlnary objections, merfts, reparations and costs, Judgment
of 21 November 2011, I/A. Ct. HR, Series C N° 235, para. 10.
70 4.46 Les motifs de l'arrêtdu 15 juin 1962 étantessentiellement consacrés à la question
centrale de la détermination de la limite frontalière entre les Parties dans le secteur du
Temple, il ne paraît guère envisageable de lire l'arrêten niant cette réalité.La Cour ne
peut avoir déterminé l'appartenance du Temple au Cambodge en 1962 sans avoir au
préalable défini l'étendue du territoire sur lequel se trouve ce Temple, comme la
Thallande l'affirme tout au long de ses Observations du 21 novembre 2011. Reconnaître
l'un (le Temple) et nier l'autre (la limite reconnue entre les deux Etats) revient à
disjoindre deux élémentslogiques qui ne peuvent exister l'un sans l'autre. C'est pourtant
ce que cherche à démontrer la Thaïlande en opérant une disjonction fictive entre le
dispositif et les motifs essentiels de l'arrêt.En cela, elle remet en cause non seulement le
travail de la Cour, le contredit, mais méconnait aussi la logique globale et inhérente qui
existe dans cet arrêt.
C. Sens et portée de l'arrêt dy 15 juin 1962
1. L'interprétation demandée par le Cambodge
4.47 L'interprétation d'une décision de justice implique une logique qui est transcrite1
pour la Cour internationale de Justice, dans l'expression utilisée à l'article 60 de son
Statut: il s'agit d'élucider le "sens et la portée" de l'arrêtqu'on lui demande d'interpréter
pour que les parties en comprennent la logique impliquée et parfois implicite. Interpréter
n'est donc pas lire le dispositif d'une manière statique mais bien en décrypter le sens
profond, le projeter au-delà du texte pour en mesurer les conséquences.Or, le sens de
l'arrêt du 15 juin 1962 est de savoir sur quel territoire se situe le Temple de Préah
Vihéar,ce qui implique aussi de savoir jusqu'où les troupes thaïlandaises doivent évacuer
ce territoire. Saportée est de mettre fin à un différend entre deux Etats en établissant
une limite entre les deux territoires découlant du placement du Temple sur le territoire
sous la souveraineté de l'une des Parties. Ce n'est qu'à cette condition qu'il est possible
de savoir jusqu'où s'étend l'obligation continue de retrait des troupes thaïlandaises.
Comme le Cambodge l'a indiquéet le démontrera infra, que ce différend soit qualifié de
"territorial" ne change rienà l'affaire. Tout territoire a une limite et toute décisionsur un
territoire implique le placement d'une limite.
4.48 Selon le Cambodge, l'arrêt du 15 juin 1962 a donc pour but de mettre
définitivement fin au différend entre les Parties. L'interprétation, en lui donnant un effet
utile, c'est-à-dire un sens et une portée au dispositif qui n'en rendent pas les points
décidésinapplicables, permettra aux Parties de clore définitivement ce litige et de
71 procéder, ultérieurement, à une exécution de l'arrêtconformément à l'interprétation de
la Cour. De l'avis du Cambodge, ceci est non seulement possible mais indispensable.
4.49 Contrairement à ce que prétend la Thaïlande, le Cambodge ne demande pas, via
l'interprétation de l'arrêt de 1962par la Cour, que celle-ci procède à une délimitation
frontalière.ette délimitation existe et la Cour l'a reconnue comme telle en 1962 d'une
manière qui engage les Parties dans le respect de cette obligation. L'arrêtde 1962
implique seulement une négociation pour préciser la frontière et non pour la délimiter.
C'est le rôle du MoUdu 14 juin 2000 pour la démarcation et l'abornement de la frontière.
4.50 De la mêmemanière, le Cambodge ne demande aucunement que la Cour prenne
une décisionconcernant l'intégralitéde la frontière décrite par la carte de l'annexe I dans
la régiondes Dangrek. Le Cambodge circonscrit sa demande en interprétation à la zone
en litige. La Thaïlande essaie en effet de nier l'existence d'un différend sur le point 1 du
dispositifde l'arrêtde 1962 en expliquant que, sinon, la Cour aurait tranché en 1962 la
question de l'intégralitéde la frontière dans la régiondes Dangrek. le Cambodge estime
qu'il existe bien un différend lié à la lecture du point 1 du dispositif et que celui-cl
concerne uniquement la zone en litige. la Cour" ... dit que le Temple de PréahVihéarest
situé en territoire relevant de la souveraineté du Cambodge;". Pour le Cambodge,
l'interprétationqui doit être faite de ce point 1 du dispositif ne peut pas concerner
l'unique périmètre du Temple lui-mêmeréduit à sa stricte enceinte. La Cour ne dit pas
seulement que le Temple appartient au Cambodge, elle précise qu'il se trouve sur un
"territoire" qui relève de la "souveraineté du Cambodge". L'effet utile que l'on peut
donner à une telle précision est qu'un territoire s'étend au-delà du Temple lui-même,
territoire qui ne peut correspondre qu'aux limites fixées par la Cour dans ses motifs sur
la base de la carte de l'annexe I.
11
4.51 Dès lors, la Cour en déduit logiquement - en conséquence" ~ que la Thaïlande est
dans l'obligation de "... retirer tous les élémentsde forces arméesou de police ou autres
gardes ou gardiens qu'elle a installés dans le Temple ou dans ses environs situés en
territoire cambodgien;" (point 2 du dispositif de l'arrêt de 1962}. Là encore, la Cour
donne des précisionsimportantes puisqu'elle indique que ces forces thaïlandaise doivent
se retirer du Temple "ou dans ses environs", précisionqui, selon le Cambodge, aurait été
inutilesi la Cour avait souhaité cantonner ce retrait à l'enceinte mêmedu Temple. De
mêmeprécise-t-elle que ces environs se situent "en territoire cambodgien", ce qui relie
clairement le point 2 du dispositif au point 1. Là encore, aucune précision n'aurait été
nécessaire s'il ne s'était agi du territoire relevant de la souveraineté du Cambodge
correspondant à celui défini dans les motifs de l'arrêt.
72 4.52 l'obligation de retrait des forces thaïlandaises devant s'effectuer dans une zone
relevant de la souveraineté du Cambodge, celle-ci ne peut correspondre qu'à une
obligation continue. Réduire cette obligation à une obligation immédiate rendrait
totalement illogique la lecture de l'arrêt de la Cour. Comment imaginer qu'une telle
obligation ne produise ses effets qu'au moment du prononcé de l'arrêt de 1962 ? Le
principe du respect de l'intégrité territoriale implique que des forces étrangères se
retirent d'une manière continue d'un territoire dont la juridiction la plus importante en
matière de droit international a décidéqu'il relevait d'un autre Etat - en l'espèce, le
Cambodge - jusqu'à une limite par elle reconnue. Très simplement; l'obligation de retrait
ne peut être- par définition - que continue puisqu'elle s'applique à un territoire sous la
188
souveraineté du Cambodge. En niant cette réalité, la Thaïlande crée une confusion
entre ce qu'elle estime êtrel'application généraledu principe de l'intégrité territoriale et
le cas particulier où cette obligation est dictéepar une décisionprécisede la Cour.
4.53 le Cambodge.tient à souligner qu'il apparaît clairement que la Thaïlande n'a
jamais accepté la perte du Temple à la suite de l'arrêtde 1962. Sa lecture de l'arrêten
découle. Etant dans l'obligation de ne pas contester l'appartenance du Temple au
Cambodge, elle en a déduit une lecture de l'arrêtqui nie totalement les conséquences
induites par celui-ci. Cette lecture, que l'on peut qualifier de m!nimaliste, non seulement
ne correspond nullement à ce que la Cour a décidédans son dispositif en 1962, mais
rend l'arrêt concrètement inapplicable. C'est la raison pour laquelle le Cambodge,
confronté à une interprétation radicalement différente de celle qu'il fait de l'arrêt de
19t?2,demande à la Cour d'en donner la bonne interprétation.
2. la mayyaise interpljtatjon de l'arrêt par la Thaïlande
4.54 Comme ceci fut démontrépar le Cambodge, il existe, en l'espèce, pour la Cour
une nécessitéd'interpréter l'arrêt du 15 juin 1962. Cette Interprétation nécessaireet
souhaitéene peut s'effectuer qu'en utilisant une lecture globale du dispositif incluant les
motifs essentiels. Pour parvenir à l'interprétation que le Cambodge pense pertinente, il
est nécessaired'écarter les dénégationsque la Thaïlande présentepour rejeter, au fond,
cette interprétation. C'est sur ces points que le Cambodge souhaite désormaisporter son
attention.
188 Observations thal1andaipp.,233-238, para. 5.50-5.56.
73 (a) Interpréter n'est pas réviser
4.55 la Cour est compétente, la requêteest recevable, l'interprétation est possible et
nécessaire car la demande apparait au Cambodge comme une véritable demande en
Interprétation. Mais il ne s'agit que d'une interprétation et non d'une révisionde l'arrêtde
1962. En effet, l'objectif n'est pas de "ré-interpréter" à partir de l'affaire initiale mais
d'interpréter .le dispositià partir d'une affaire jugée. En l'espèce, la Thaïlande, par son
refus d'accéder à l'interprétation inhérente à l'arrêt,tente de faire "réviser" le jugement
de 1962. Ses Observations démontrent qu'elle reprend l'ensemble du processus depuis
(et mêmeavant) la requêtedu Cambodge en 1959, signifiant par là-mêmeque la Cour
s'est sans doute trompée dans son jugement du 15 juin 1962, et·que la seule manière
pour cet Etat d'en tirer parti est d'isoler strictement le dispositif des motifs essentiels
pour reconstruire ses propres motifs et convaincre la G:our qu'il s'agit d'une lecture
possible de l'arrêt.La tentation de convaincre la Cour que des faits non pris en compte
existaient, au moment où la Cour s'est penchéesur l'affaire entre 1959 et 1962, n'est
guèrè éloignée.A défaut d'accepter une interprétation par la Cour dans le cadre de
l'article 60, la Thaïlande aimerait sans doute faire réviser l'arrêttel que cela est possible
en'vertu de l'article 61 du Statut de la Cour. Ceci est bien sûr totalement impossible et
irréaliste.
4.56 Néanmoins, la Thaïlande reprend l'affaire depuis le début et impose, a contrario,
une interprétation conforme - sauf pour le strict périmètre du Temple - à ce qu'elle
so.uhaitait en 1959-1962 et que la Cour a rejetée. Cela revient à considérerpour cet Etat
que, soit la Cour ne doit pas interpréter pour que la Thaïlande puisse imposer son
interprétation unilatérale de l'arrêt, soit- la Cour doit le faire en reprenant tous les
élémentsde la procédure durant la périodede 1959 à 1962. Clairement, l'interprétation
ne peut concerner que la périodes'ouvrant à partir du 15 juin 1962 pour analyser l'arrêt
tel qu'ilfut prononcé à cette date et envisager les faits ultérieurs uniquement dans la
mesure où ces derniers démontrent l'existence d'un différend, et non comme pratique
subséquentequi servirait de base à l'interprétation par la Cour189•Il est impossible de
refaire J'arrêt u 15 juin 1962.
4.~7 Le symptôme de cette ré-interprétation des faits par la Thaïlande est sans doute
la manière dont elle cherche à reprendre le sens de termes qui ont étéutilisés au cours
189 "la Cour écartedans ses interprétations toute appréciationde faits autres que ceux qu'elle a examinés
dans l'arrêtqu'elle interprète, et, en conséquence,tous faits postérieurs à cet arrêt."(Interprétation
des arrets n" 7 et 8 (Usine de Chorz6w), arrêtn°11, 1927, C.P.J.I. sérieAn" 13, p. 21.), op cit para.
2.14.
74de la procédureentre 1959 et 1962 alors que, de son aveu même,seuls devraient être
pris en compte les termes utilisés dans le dispositif de l'arrêt, c'est-à-dire "territoire"
(terrltory), "environs" (vicinity) et "zone" (area). De même,la Thaïlande insiste pour dire
que la question concernait les "ruines du Temple" 19, ce qui sous-entendrait le seul
périmètre de ces "ruines" pour ce qu'elle considère à maintes reprises comme "the sole
dispute''. Pourtant, ceci n'est pas signifiant et se réfèreseulement à l'état de délabrement
du sanctuaire et non à son périmètre stricto sensu. Parler des "ruines de Pompéi"ne se
réfèrepas à un périmètre mais à la situation de conservation du lieu. Il faut donc sortir
de cette querelle sémantique de décorticagede chaque mot où chacun peut retrouver ce
qui lui convient à l'aide d'extraits de dictionnaires appropriés.Il est par exemple clair que
le terme "environs" possède plusieurs sens. Seul compte celui que la Cour a souhaitélui
donner.
4.58 Quoi qu'il en soit, la seule réponsede la Thaïlande est, depuis le processus de
classement du Temple sur la liste du Patrimoine mondial de l'UNESCO,d'affirmer avoir
toujours défini la limite de son territoire aux stricts abords du Temple et ceci d'une
manière unilatérale avouée. D'une part, ceci est contraire aux faits 19, d'autre part, ceci
est juridiquement inadmissible, d'autant que cette délimitation est à l'exact opposédes
motifs de l'arrêtdu 15 juin 1962. Il y a donc une forme de double négation de l'arrêtde
1962 par la Thaïlande : en refusant de lire le dispositif à la lumière des motifs essentiels,
et en lisant le dispositifà l'encontre de ces mêmesmotifs essentiels.
(b) l'absence de précision syr la zone en litige selon la Thaïlande
4.59" la Thaïlande minimise l'expression utilisée dans le paragraphe 1 du dispositif en
1962, à savoir que le Temple se trouve sur le territoire "relevant de la souverainetédu
Cambodge". C'est nier totalement la lecture globale de l'arrêt,son effet utile et sa portée
impliquée.A l'inverse, la Thaïlande argue qu'il s'agit d'un nouveau différend depuis 2007,
date à laquelle serait apparue la détermination d'une zone de 4,6 km 2 en litige. Selon
elle:"Cambodia has failed to identify the further area from whlch it now contends the
1962 Judgment obliged Thailand to withdraw." 192II s'agit là d'entretenir une confusion
dans l'esprit des juges.
4.60 En 1962, sachant que le jugement porte sur un différend territorial sur la
souverainetésur le Temple, ceci implique de fixer une frontière pour savoir où se situe le
190 Observations thai1andalseVoirl'ensemble du Chapitr2,pp. 19-76, paras.2.1·2.80,dans lequelil
est maintes fois fait référenceaux "ruines du Temple".
191 V.Supra Para.2.86-2.97.
192 Observations thaïlandaises, p. 244, para. 5.64.
75Temple, à qui il appartient et quel est le périmètre souverain au-delà duquel les troupes
de l'Etatqui n'est pas souverain doivent se retirer. Dès lors, la Cour est confrontée à un
Temple qu'il faut placer sur le territoire d'un Etat et elle répond en reconnaissant qu'il
existe une frontière et, qu'en fonction de cette frontière, le Temple appartient au
Cambodge. Son souci est alors de savoir où se situe la frontière et non de définir une
zone qui appartiendrait au Cambodge ou à la Thaïlande, même s'il est clair que ie
différend ne porte que sur un périmètre restreint. Cette zone en litige que la Thaïlande
considère aujourd'hui comme un nouveau différend n'est autre que le périmètre
circonscrit entre les revendications thaïlandaises et la limite de la carte de l'annexe I
reconnue par la Cour comme pertinente en 1962. Juste après l'arrêt, puis de nouveau à
partir de 2007, apparaît un désaccordsur le périmètre du territoire en question en raison
d'incursions des troupes thaïlandaises suite au classement du Temple au Patrimoine
mondial de l'UNESCO. Affirmer qu'ii s'agit d'un nouveau différend est méconnaître
l'histoire du différend et la géographie de la régionen question.
4.61 En réalité, deux interprétations s'affrontent dans la mêmezone en litige. Cette
zone peut êtredéfinie au nord par la limite de la Carte de l'annexe I et, à l'est et à
l'ouest, par les points qui se rejoignent entre la carte de l'annexe I et les revendications
de la·Thaïlande.
4.62 Dans sa Requête en Interprétation (para. 44), le Cambodge a souligné que
l'obligation pour la Thaïlande de retirer ses troupes et autres forces armées des environs
du Temple, en application du deuxième paragraphe du dispositif, s'appliquait à
l'ensemble du territoire cambodgien dans la zone du Temple, y compris la zone
revendiquée par la Thaïlande au sein d'un périmètre représentant environ 4,6 km 2, qui
fut unilatéralement et arbitrairement déterminéepar elle. C'est en effet cette zone qui fut
au centre des débats dans l'affaireinitiale.Comme le Cambodge l'a indiqué,
l'interprétation de l'arrêt de la Cour doit êtrebaséesur des faits pertinents au moment
où la Cour s'est prononcée.
4.63 Il est utile de rappelerà la Cour que la position cambodgienne était fondée sur la
ligne frontalière se trouvant sur la carte de l'annexe I, qui plaçait le Temple du Préah
Vlhéar et ses environs dans le territoire cambodgien. A l'inverse, la position thaïlandaise
était que la frontière devait suivre la ligne de partage des eaUX ce 1ui avait pour
conséquence, selon la Thaïlande, de placer la zone du Temple en territoire thaïlandais.
4.64 Au soutien de cette position, la Thaïlande avait présentéles conclusions de son
expert, le Dr. Schermerhom, qui se bornaient à identifier la ligne de partage des eaux
76 dans cette zone. Dans son rapport d'expertise, joint à l'Annexe 49 du Contre-mémoire
thaïlandais, le Dr. Schermerhorn avait produit aussi bien la carte de l'annexe I dans la
zone du Temple que sa carte montrant la prétendue ligne de partage des eaux sur une
mêmeéchellede 1/50,000. Comme Il l'avait indiqué, on pouvait superposer les cartes
pour les comparer.
4.65 La carte qui suit cette page est une comparaison effectuée par le
Dr. Schermerhorn après superposition des deux cartes. La ligne surlignée en vert est la
ligne sur la carte de l'annexe I ; la ligne surlignéeen rouge montre le positionnement de
la ligne de partage des eaux selon la Thaïlande. A l'est et à l'ouest du Temple, les deux
lignesse rejoignent. Cependant, dans la partie centrale, il y a une zone délimitéeoù les
deux lignes divergent. Cela correspond aux 4,6 km qui étaient au•centre du litige dans
l'affaire initialet qui demeurent litigieux aujourd'hui.
4.66 Dans son arrêt,la Cour a clairement tranché en faveur de la ligne sur la carte de
l'annexe l. la ligne de partage des eaux soutenue par la Thaïlande fut jugée non
pertinente. le présent différend concerne l'interprétation de l'arrêtde la Cour en raison
du refus de la Thaïlande de reconnaître la force obligatoire attachée à la ligne sur la carte
de' l'annexe I dans les environs du Temple, et en raison de l'action unilatérale
thallandalse établissant une frontière autour du Temple qui ne prend aucunement en
considérationcette ligne.
(c) La distinction entre différend territorial et différend frontalier selon
la Thaïlande
4.67 la Thaïlande insiste, dans ses Observations, sur la nécessairedistinction entre un
différend territorial - tel que ceci apparaît dans le processus de l'arrêtde 1962 - et un
différend qui porterait directement sur la question de la frontière 193•Cette distinction, si
elle a probablement son importance dans la manière dont le juge peut aborder un
différend, et donc dans sa méthode pour la recherche de la vérité,ne saurait masquer un
aboutissement qu'il faut considérercomme comparable, voire similaire.
4.68 Effectivement, la Cour n'était pas appelée à trancher directement la question de la
frontière en 1962, comme le rappelle la Thai1ande 194• Le Cambodge ne le conteste
nu'llement. Néanmoins,l'interprétation des deux Parties diverge sur les conséquencesde
la reconnaissance de la ligne de la carte de l'annexe I dans l'arrêt de 1962. Pour la
Thaïlande, la référence à !a carte de l'annexe I est une simple preuve que le Temple se
193 Observations thaïlandaises. Voir notamment pp. 214-218, para 5.27-5.32.
194 Ibid., p.77, para. 2.80.
77 trouve au Cambodge. Pour le Cambodge, !a Cour n'a pas tranché la question de la
frontière mais a souligné son existence préexistante à l'affaire pour trancher le différend
soumis, ce qui n'est pas la mêmechose. Dès lors, la Thaïlande s'arcboute sur une
position qui défie le réalisme: le conflit étant "uniquement" territorial en 1962 selon cet
Etat, la Cour ne pourrait avoir reconnu les limites des deux territoires. C'est méconnaître
une réalité assez simple: lorsque la Cour tranche un conflit territorial, elle aboutit
forcément à une délimitation des prétentions entre deux Etats, ce qu'elle fait simplement
plus directement - et sans doute d'une manière quelque peu différente - si la question
précise de la frontière lui est posée. Que la question et la méthode soient différentes
n'empêchepas que le résultat d'être identique : une limite doit exister, à défaut de
laquelle les Etats ne pourraient connaître l'étendue de leur territoire et, en l'espèce,
l'étendue de l'obligation d'évacuer les troupes pour la Thaïlande.
4.69 La Cour elle-même a eu, à plusieurs reprises, ·l'occasion de souligner cette
coïncidence des résultats entre les deux types supposés de différends. Ainsi, dans
l'affaire du Différendfrontalier, laCour rappelle que:
"les Parties ont longuement discuté de la qualification du présent différend au
regard d'une distinction parfois faite en doctrine entre 'conflits frontaliers' ou
'conflits de délimitation' et 'conflits d'attribution territoriale'.Selon cette
distinction, les premiers viseraient les opérations de délimitation portant sur ce
qu'on a pu appeler 'une parcelle géographiquement non autonome', alors que les
seconds auraient pour objet l'attribution de la souveraineté sur l'ensemble d'une
entité géographique. [ ...]En fait, dans la très grande majorité des cas, comme en
l'espèce, la distinction ainsi schématisée ne se résout pas ultimement en un
contraste de genres mais exprime bien plutôt une différence de degré dans la
mise en Œuvre de l'opération considérée. En effet chaque délimitation, aussi
étroite que soit la zone èontroversée que traverse le tracé, a pour conséquence de
répartir les parcelles limitrophes de part et d'autre de ce tracé. [...] Par ailleurs
l'effet d'une décisionjudiciaire, qt:J'ellesoit rendue dans un conflit d'attribution
territorialeou dans un conflit de délimitation, est nécessairement d'établir une
frontière. Il n'est pas sans intérêtde relever que certaines conventions récentes
de codification emploient des expressions telles que 'traité établissant une
frontière' ou 'frontière établie par un traité' pour englober les traités de
délimitation aussi bien que les traités d'attribution ou de cession (voir convention
de Vienne sur le droit des traités, art. 62; convention de Vienne sur la succession
d'Etatsen matière de traités, art. 11)." 195
4.70 De même,dans l'affaire du Différendterritorial, la Cour évoque indifféremment un
différend territorial et un différend frontalier.
"75. Il ressort clairement des considérations ci-dessus que le différend soumis à la
Cour, qu'on le qualifie de différend territorial ou de différend frontalier, est réglé
de manière concluante par un traité auquel la Libye est une partie originelle et le
Tchad une partie ayant succédé à la France. La Cour, étant parvenue à la
195 Différendfrontalier, arrêt,C.I.J. Recuei/1563,para.17 (souligné par le Cambodge).
78 conclusion que ce traité contient une frontière convenue, n'a pas à examiner
l'histoire des 'confins' revendiqués par la libye sur la base d'un titre héritédes
peuples autochtones, de l'Ordre senoussi, de l'Empire ottoman et de I'Italie. 11196
4.71 Il est donc intéressant de constater que la qualification des deux affaires précitées
diverge (Différend frontalier pour la première, Différend territorial pour la seconde), mais
que la Cour annihile cette distinction pour aboutir à une solution qu'elle juge similaire,
quelle que soit la qualification du différend.
4.72 Dans l'extrait précité de l'arrêt dans l'affaire du Différend frontalier, la Cour
précise également que: "... chaque délimitation, aussi étroite que soit la zone
controversée que traverse le tracé, a pour conséquence de répartir !es parcelles
197
limitrophes de part et d'autre de ce tracé," Ceci permet de soulignér, qu'en l'espèce, la
zone en litige concerne également un territoire restreint d'environ 4 6 km1 2 •la Thai!ande
prend appui sur cette réalitépour considérer que les "environs [du Temple] situés en
territoire cambodgien" (paragraphe 2 du dispositif de l'arrêtde 1962) ne peuvent être
circonscrits qu'au strict périmètre de l'enceinte du Temple. Cependant, dans une zone
aussi restreinte, les "environs" peuvent tout à fait coïncider avec les confins de cette
zone, Ils ne sont jamais très loin. La Thaïlande note, dans le mêmesens, que le
Cambodge a souvent utilisé l'expression "parcelle de territoire" lors de l'affaire en 1959-
1962198.Outre qu'il serait vain une nouvelle fois de rechercher tous les sens que l'on peut
donner à cette expression, la logique impose que la zone en litige est bien "une parcelle
2
de territoire" au regard d'un Etat de plus de 180.000 km •
4.73 Que ce soit par l'absence de pertinence de la configuration restreinte de la zone
en litige, ou par l'absence de pertinence de la distinction entre différend territorial et
différend frontalier, il appert que rien ne s'oppose à ce que la Cour puisse interpréter
selon sa jurisprudence établiele différendqui lui est soumis.
(d} L'établissement d'une frontière unilatérale par la Thaïlande sylte à
l'arrêt de 1962
4.74 Une contradiction remarquable apparaît également dans l'argumentaire
thaïlandais. En effet, selon la Thaïlande, d'une part, aucune frontière n'aurait émergéde
l'arrêt de 1962, d'autre part, cette absence de frontière reconnue lui permettrait d'en
établir une unilatéralement. Mais cette argumentation connaît des fluctuations et
196 Différend territorial (Jamahiriya arabe libyenne/Tchad), arrêt, C.I.J. Recuep. 38, para. 75
(souligné par le Cambodge).
197 Différendfrontalier, arr§t, C.l.J. Recueil1563,para. 17.
198 Observations thaïlandaises, p. 91, para. 3.24-3.25.
79s'apparente parfois à la possibilité d'une sorte de "frontière nomade", conception rejetée
par le droit international, et par la Cour qui a toujours privilégié la stabilité et la précision
199
des frontières • A propos de la pose de barbelés suite à l'arrêt de 1962, la Thaïlande
affirme: "... the barbed-wire fence was intended to show the extent of the area on which
the Court declared Cambodia had sovereignty and not a boundary on which the Court
had decided." 200Par cette affirmation, la Thaïlande cherche donc à accréditer l'idée qu'il
n'existerait pas de frontière entre les deux Etats, posture qui n'est pas sans rappeler un
autre différend soumis antérieurement à la Cour 201• C'est faire fi de la différence entre
une absence de frontière et une frontière nommément reconnue comme base du
dispositif dans l'arrêt de 1962, sans la reconnaissance de laquelle aucune solution
n'aurait été possible. D'ailleurs, la Thaïlande elle-même a maintes fois reconnu
l'existence d'une frontière dans la région de· Préah Vihéar lors du processus devant la
Cour en 1959-1962 202•
4.75 Mais la Thaïlande ne semble pas certaine de cet argument puisqu'elle reconnaît
bien qu'elle a établi une frontière, et ceci d'une manière unilatérale 20• Ce qu'elle
présente comme étant le périmètre de retrait de ses troupes après 1962 "conformément"
à l'arrêt de la Cour se mue rapidement en frontière puisqu'elle considère que le territoire
au-delà des barbelés est le sien. Dès lors, la Thaïlande, en prétendant se soumettre au
paragraphe 2 du dispositif de l'arrêt, établit en réalité une frontière définie
unilatéralement puisque ses allégations récentes suite aux incidents depuis 2007
démontrent qu'elfe estime qu'il y a violation de son intégrité territoriale au-delà. Ainsi à1
propos du classement du Temple au Patrimoine mondial de l'UNESCO, elle indique que
204
ceci incluait "a significant portion of Thai territory [ou] areas of Thai territory." Or, il
s'agit bien de la zone en question. Elle comprend donc bien l'arrêt de 1962 comme
établissant une "frontière" mêmesi, en l'espèce, elle ne fixe pas la frontière au même
endroit que le Cambodge. Et la Thaïlande a fort bien compris le paragraphe 2 comme
n'étant pas secondaire - contrairement à ce qu'elle affirme - puisque les panneaux
installés ensuite, et qu'elle rappelle, le démontrent 205•Pour le moins, la Thaïlande a bien
interprété le dispositif de l'arrêtde 1962 dans un sens précis.
4.76 Non seulement, la Thaïlande a bien compris l'arrêt de 1962 comme établissant
une frontière dans la région du Temple, mais, mécontente de celle que l'arrêt implique,
199 Voir infra, para. 4.21.
200 Observations thaïlandaises, p. 185, para. 4.105.
201 Ce fut un des principaux arguments de la Libye dans l'affaire l'opposant au Tchad. (Différend territorial
(Jamahiriya arabe libyenne/Tchad), arrêt, C.I.J. Recueil 1994, p. 13, para. 17(point 1 des conclusions
202 de la Libye).
La Thaïlande le rappelle elle-mêmedans ses Observations en citant un extrait de la plaidoirie d'un de
ses conseils (Henri Rolin) en 1962 dans laquelle ce dernier affirme, qu'en dehors de "Phra Viharn", la
frontière "n'a jamais donné lieu, depuis cinquante ans, à aucune difficulté..."Observations
thaïlandaises,. 76, para. 2.78.
203 Ibid.,notamment pp. 7-8, para. 1.14.
204 Ibid., p. 11, para. 1.21.
205 Ibid., pp.-8, para. 1.14.
80 elle va !a fixer unilatéralement, à l'encontre des motifs de l'arrêt.Suite à son acceptation
teintée d'un incontestable scepticisme de l'arrêt de 1962 par une lettre adressée au
Secrétaire généraldes Nations Unies en date du 6 juillet 1962, la Thaïlande va donc
immédiatement circonscrire le périmètre concernéselon une vision des plus restrictives
en posant des barbeJés 206•Outre les protestations continues du Cambodge qui n'a jamais
accepté une telle interprétation 20, il est étonnant qu'à une époque récente où les
relations internationales étaient déjà parvenues à des règles concertées et pacifiques
entre les Etats, la Thaïlande ne s'étonne pas de définir unilatéralement une frontière,
sans aucune concertation, ou proposition de concertation, avec son voisin directement
impliqué dans le différend. A moins que la justification des plus incongrues sur la volonté
d'appliquer immédiatement l'arrêtde 1962 n'en soit à .l'origine? En effet, la Thaïlande
n'hésite pas à affirmer à ce propos: "And aithough Cambodla expressed reservations,
unilateral implementation appeared not only as more realistic but also better than
delayed implementation. " 208
4.77 Si l'on souhaite résumer la compréhensionpar la Thaïlande de l'arrêtde 1962, on
peut le faire de la manière suivante : selon la Thaïlande, elle a pu établir une frontière
unilàtéralement car la Cour n'aurait pas reconnu de frontière "internationale" (et ceci,
toùt en affirmant dans un premier temps que la pose de barbelésne constituait pas une
frontière). Ce qui revient à admettre qu'il n'existait aucune frontière avant ou après
l'arrêtde 1962. La thèse de l'absence de frontière est donc une lecture de l'arrêtqui nie
totalement le raisonnement de la Cour et va même à l'encontre de celui-ci. Au surplus,
même en cas d'inexistence d'une frontière, rien n'autorisait raThaïlande à en établir une
unilatéralement. Enfin, la frontière unilatérale définiepar la Thaïlande après 1962 fluctue
9
au gré de revendications et n'a pas étéfixée, au cours du temps, au mêmeendroit2° •
(e) La confusion de la Thaïlande entre la délimitation et la démarcation
de la frontière
4.78 Comment la Thanande peut-elle prétendre imposer son interprétation unilatérale
de l'arrêtde 1962 à l'aide d'une carte - inconnue du Cambodge avant une date récente-
montrant un territoire cambodgien strictement limité au périmètre du Temple 210,tout en
ayant acceptéun accord le 14 juin 2000 (MoU) qui prend comme base les instruments
juridiques qui mènent à la carte de l'annexe I, et qui se présente comme un simple
206 Le périmètre laisse une distance qui varie entre 20 et :1.00mètres à l'extérieur du Temple comme la
Tha'rlandele reconnait. Observations thaïlandaises, pp. 138-139, para. 4.35, note 259. V. supra, para.
2.34 et 2.35.
207 Para. 2.26-2.65.
208 Observations thaïlandaises, pp. 144-:1.45,para. 4.41.
20!1 Voirsupra paras. 2.34-2.37 et para. 2.87-2.89.
210 Voir Carte L7017, para. 2.87-2.89supra.
81 accord de "5urvey and Demarcation" de la frontière? l'absence de cohérence dans
l'attitude de la Thaïlande est ici patente.
4.79 A cet égard l1 Thaïlande ne cesse d'entretenir une confusion entre la délimitation
et la démarcation de la frontière. A plusieurs reprises, elle assimile les deux expressions
(ou les utilise simultanément) pour accréditer l'idée que le litige porterait à la fols sur la
délimitation et la démarcation de la frontière entre les deux Etats. Il n'en est rien. Ainsi,
la Thaïlande affirme, par exemple, que: "Rather than treating the area as one in which
the boundary has to be determlned, as it did in the MoU, Cambodia now wants to treat
the area as if it had already been delimited by the Court in 1962." 211Une double erreur se
glisse dans cette affirmation: d'une part, le Cambodge n'affirme pas que le Cour a
délimitéla frontière en 1962 mais qu'elle a reconnu une ligne frontalière qui existait déjà
entre les Parties, d'autre part, le MoU n'a pas pour objectif de "déterminer'' la frontière,
mais simplement de la préciser en la démarquant et ·l'abornant. les exemples de
confusion abondent dans le mêmesens, notamment lorsque la Thaïlande affirme que
l'arrêtde 1962 "... created a situation to be taken into account in the delimitation and
demarcation process." 212, que la délimitation et la démarcation de la frontière" ...can only
13
have a salutary effect upon the relations of the Parties in border area..."/ ou que "...
Cambodia recognized that the promontory of Phra Viharn was part of the area to be
dellmi'ted."214 La délimitation est effective et a été reconnue comme s'imposant aux
Parties par l'arrêtde 1962. Quant à la démarcation, Il s'agit d'un processus initié par le
MoUdont il faut espérerque l'interprétation de la Cour en permettra la poursuite.
4.80 · Un autre argument de la Thallande est l'absence de référenceà !'arrêtde 1962 -
215
et donc à la carte de l'annexe I - dans le MoU: • Outre que cet argument comporte
quand mêmela reconnaissance d'un processus de délimitation déjà effectué, il néglige
plusieurs aspects importants. Tout d'abord, le MoU cite, dans son article I, !es
instruments sur lesquels l'accord doit se baser pour effectuer la démarcation. Il est alors
aisé de remarquer que ces instruments sont exactement identiques à ceux que la Cour a
pris en compte pour aboutir à la reconnaissance de la l!gne de la carte de l'annexe I
comme frontière entre les deux Etats. Il parait donc difficile d'en tirer des conclusions
juridiques différentes.
4.81 la pratique subséquente à la signature du MoU en 2000 renforce le sentiment que
la Thaïlande n'a aucunement donné l'impression d'être face à un processus de
211 Obsei"Vationsthaïlandaises, 11,para.1.22.
212 Ibid., p188,para. 4.110 (soulignpar leCambodge).
213 Ibid.
214 Ibid.p. 190,para. 4.114(souligné parle Cambodge). Voirégalement pp.229·230, para. 5.45.
215 Ibid.notamment, pp. 10-11, para.1.20 et p. 190, par4.112.
82délimitation de la frontière. Ainsiu les protestations de la Thaïlande avant 2007
concernant les travaux ou implantations dans la zone en litige se référaient uniquement,
sur la base de l'article V du MoU, à la protection de l'environnement, et non à une
216
quelconque violation de son territoire souverain , comme la Thaïlande le reconnait eile
même217.
4.82 Il en résulte que le MoU du 14 juin 2000 ne peut en aucun cas être considéré
comme un accord concernant la délimitation de la frontière entre les deux Etats puisque
cette frontière a déjà étédélimitéeet que la Cour a reconnu la validité de cette dernière.
Sa simple dénomination en fait d'ailleurs un accord dont on comprend parfaitement qu'il
vient à l'appui d'autres instruments dont il n'est qu'un vecteur d'application pour la
démarcation d'une frontière déjà délimitée. Dès lors, il ne peut y avoir aucune confusion
entre la présente requêteen interprétation et le MoU contrairement à ce que la Tha'J1ande
prétend. Elle semble en effet suggérer que la requêtene servirait qu'à préciser ce que le
MoU est censé faire, ce qui rendrait cette requête inutilé 18• A cet effet, la Thaïlande
insère dans ses Observations un chapitre finai 219qui, selon le Cambodge, est absolument
inutile. Il s'agit pour la Thal'lande de démontrer la soi-disant Impossibilité de transposer la
ligne de la carte de l'annexe I sur le terrain. Cette question est ultra petita car la requête
'en interprétation que le Cambodge a Introduite porte sur la bonne lecture du dispositif à
la lumière des motifs essentiels de l'arrêtde 1962, autrement dit à la lumière de la carte
de l'annexe I en tant que limite entre les deux Parties, de manière à connaître l'étendue
de son territoire. Il ne s'agit nullement d'une question de transposition de ligne ou de
démarcation. Cet aspect pourrait êtreabordé ultérieurement entre les Parties lorsque la
Cour aura interprété l'arrêt de 1962 mais n'entre pas dans le cadre de la présente
requête. Il est également clair pour le Cambodge que la frontière visée par le MoU
s'étend bien au-delà de la zone en ~iti g ei, qu'il est demandé à la Cour de se
prononcer uniquement sur le territoire dans la zone en litige.
216
217 Voirpara. 2.78-2.81supra.
216 Observations thaïlandaisp.245, para. 5.65.
219 Ibid., Chapitre VI, pp. 257-279.
83 4.83 la question n'est donc pas celle de la transposition de la ligne de la carte de
l'annexe I sur le terrain, mais la reconnaissance de cette ligne comme frontière délimitée
entre les deux Etats. L'expertise commanditée par la Thaïlande ne change rien à l'affaire
car, de toute façon, et d'une manière évidente, aucune expertise ne peut combler de
cette manière le territoire entre la carte unilatéralede la Thaïlande et la ligne de la carte
de l'annexe I reconnue par la Cour en 1962.
(f) L'obligation thaYiandaise de se retirer est une obligation cqntinue
4.84 La Thaïlande critique sur le fond la question formulée par le Cambodge, en
particulier elle se fonde sur l'absence de vues divergenteS' entre les Parties sur
l'obligation de retrait, pris en application du paragraphe 2 du dispositif. Selon elle: "it can
220
hardly be argued that there is any dispute between them on this point. " le Cambodge
se réfère à la jurisprudence constante de la Cour, telle que rappelée par ailleurs dans
cette Réponse,sur les différentes façons, autres que par des échanges diplomatiques
directs, dont un différend peut se manifester pour des questions d'interprétation. Il est
encore plus remarquable de constater que la Thaïlande n'arrive pas el!e~mêm àe
déterminer si l'obligation est ou n'est pas continue. Au paragraphe 4.88, elle utilise une
sünple présomption pour les besoins de son argumentation. Au paragraphe 5.50
cependant, elle critique cette présomption comme étant une mauvaise interprétation de
l'arrêt, alors qu'au paragraphe 5.51, elie déclare qu'elle a dûment retiré ses troupes
"there by satisfying its obligation under the second paragraph of the dispositif' (souligné
par le Cambodge). Cela apparaît comme une façon laborieuse et détournéede dire que la
Thaïlande ne considérait pas son obligation comme une obligation continue. Il aurait été
plus simple, pour la Thaïlande, d'en faire l'aveu explicite.
4.85 la Thaïlande s'attache ensuite à développer une argumentation quelque peu
similaire, dans le contexte de la théorie de la responsabilité des Etats, aux paragraphes
5.54-5.56 de ses Observations. Le Cambodge ne considère pas nécessairede répondre à
ces arguments de manière exhaustive. la majorité de ces arguments consiste à réitérer
l'allégation thaïlandaise selon laquelle l'obligation de se retirer (deuxième paragraphe du
dispositif) est une obligation instantanée et non pas continue. Le Cambodge est en
désaccordsur ce point, ce qui explique l'existence d'un différend sur cette question. Pour
le reste, ces arguments ne sont qu'une manifestation de la réticence thaïlandaise à
appliquer la distinction primaire entre interprétation et mise en conformité (ou entre
Interprétation et exécution). Ces distinctions ont déjà été longuement discutées dans
220 Observations tha"!landaises, p. 175, para. 4.88.
84 cette Réponse.Bien évidemment, la violation d'une obligation internationale donne lieu à
des conséquences en matière de responsabilité des Etats. Ceci est élémentaire. De
même,un Etat peut violer une obligation internationale de façon non intentionnelle ou
par inadvertance, comme c'est le cas lorsqu'un Etat se méprend, c'est-à-dire adopte une
mauvaise Interprétation de la nature, des conséquences ou de la portée de ses
obligations Internationales. C'est la raison d'êtredu système international de règlement
des différends et notamment de la Cour internationale de Justice. Peu importe donc les
circonstances.dans lesquelles cette violation s'inscrit, elle n'en demeure pas moins une
violation - c'est la raison pour laquelle la Commission de droit international a
délibérémentdécidéd'enlever les concepts de cu/pa et dolus de son projet d'articles sur
la responsabilité des Etats. Mais cette analyse élémentaire n'affecte pas le fait que,
même si l'Etat a pu êtreamené à une violation d'une obligation internationale en raison
de sa mauvaise interprétation, la mauvaise interprétation et la violation (la mauvaise
application) sont des choses différentes. De plus, l'affirmation de la bonne interprétation
d'une obligation litigieuse d'une manière obligatoire ne peut êtreque le moyen le plus
efficace de prévenir d'autres violations futures. C'est bien une telle situation qui est en
cause dans la présente affaire. Le Cambodge ne pouvait êtreplus limpide dans ce qu'il
recherche dans cette procédure, c'est-à-dire obtenir une interprétation autorisée de la
Cour·sur le sens et la portée des obligations émanant de l'arrêtde 1962. les questions
relatives à la violation de ces obligations dans le temps (passé, présent, futur) et les
conséquencesen matière de responsabilitédes Etats, qu'une quelconque violation ait pu
avoir, sont des questions différentes qui doivent êtretraitées ailleurs et par d'autres
moyens.
4.86 Unjugement similaire peut êtreporté à propos de l'allégation thaïlandaise quelque
peu méprisante selon laquelle l'obligation de retrait exposéeau deuxième paragraphe du
dispositif n'étaitas dotée d'une "perpetuai !ife, with a perpetuai guarantee in the form
of Article 60 of the Statute" (paragraphe 5.51).
4.87 Le Cambodge maintient égalementque l'argumentation thai'landaise, consistant à
dire que l'obligation énoncéeau deuxième paragraphe du dispositif est instantanée, est
dénuée de tout fondement car elle mènerait à des conséquences absurdes. Selon la
Thaïlande, la conséquencejuridique de cet élémentdans le dispositif de l'arrêtde 1962
se !?eraitépuiséeà partir du moment où les forces stationnant dans la zone en question
se sont retirées après ie prononcé de l'arrêt. Pour le Cambodge, il ne fait pas l'ombre
d'un doute, qu'à l'époque,le stationnement des troupes militaires et autres forces dans le
Temple ou dans ses environs était au cŒur des préoccupationsde la Cour. L'absurditéde
l'argumentation thaïlandaise est telle que cela consisteraiàretirer ses troupes un jour et
85 à les réintroduire au mêmeendroit le jour suivant sur le fondement que l'obligation du
deuxième paragraphe a bien étéexécutéele jour précédentet, qu'avec cette exécution,
l'obligationavait épuisétoute sa force juridique.
4.88 Au contraire, le Cambodge soutient que le sens des premier et deuxième
paragraphes du dispositif est étroitement liépuisque, textuellement, ily a l'utilisation du
mot "territoire" dans chaque paragraphe, et aussi par l'indication expresse que le
deuxième paragraphe est une conséquencedécoulant du premier. Comme le premier
paragraphe a Indéniablement une force juridique continue et mêmeperpétuelle, il ne
peut qu'en aller de mêmepour le deuxième.
4.89 Par conséquent, c'est une question qui porte essentiellemel'lt sur le "sens et la
portée" du dispositif de la Cour. Dans la mesure où il est nécessairede se référerau
deuxième paragraphe et d'en rechercher une implication qui n'est pas directement
formulée, le Cambodge maintient que cette Implication est nécessaireafin de donner, en
toute bonne foi, l'effet recherchéau paragraphe et au dispositif dans son ensemble.
4.90 Si l'on analyse les dénégationsde la Thal1andedans leur globalité, comme le
Cambodge l'a souligné dans sa requête 22\ la Cour aurait en quelque sorte reconnu en
1962 un titre de propriétéau Cambodgesur un Temple situéen territoire thaïlandais. Car
Isoler le Temple du territoire environnant, c'est signifier à la Cour que le Temple ne se
trouve pas sur un territoire sous la souveraineté du Cambodge, mais que le Temple
cambodgien se trouve sur un territoire sous la souveraineté de la Thaïlande. Or, la Cour
.·indJque clairement en 1962 "... que le Temple de Préah Vihéar est situé en territoire
relevant de la souveraineté du Cambodge" (Point 1 du dispositif souligné par le
Cambodge) et "dit en conséquence,(,..) que la Thaïlande est tenue de retirer tous les
élémentsde forces arméesou de police ou autres gardes ou gardiens qu'elle a installés
dans le Temple ou dans ses environs situés en territoire cambodgien;" (Point 2 du
dispositif soulignépar le Cambodge). Ces formulations nous éloignent incontestablement
de l'Interprétation que la Thaïlande fait de l'arrêtde 1962.
221 Requêtedu Cambodge, para. 25. Voir aussi CR201l/140,.para. 7 (Sorel).
86 CHAPITRE 5
CONClUSIONS
5.1 Le Cambodge estime qu'il convient de conclure la présente réponse en attirant
l'attention de la Cour, une fois de plus, sur le fait que la Thaïlande, tout en accusant le
Cambodge de chercher à ce que la Cour prenne une décision sur une question qui n'a
jamais étédécidéeauparavant, tente continuell.ement de pousser la Cour vers la révision
de l'arrêtde 1962. De multiples affirmations confirment cette tentative. Et mêmesi la
Cour ne peut se laisser égarer dans cette voie, il est nécessaire de revenir sur cette
tentative.
5.2 Tout d'abord, les Observations de la Thaïlande, y compris les documents annexés
(107), ont une longueur qui correspond à une plaidoirie écrite dans la phase au fond
d'une affaire contentieuse devant la Cour. la plus grande partie de ces documents
manque de pertinence dans le cadre d'une procédure en interprétation en vertu de
l'artide 60 du Statut. Cela pourrait avoir un sens si la Cour devait se pencher sur l'affaire
initiale comme en 1959-1962, mais ce n'est manifestement pas le cas.
5.3 Ensuite, la façon dont les Observations introduisent la question dl'ultrapetitade
manière à suggérer sanséquivoquequ'il s'agit d'un problème auquel (du point de vue de
la Thaïlande) l'arrêtde 1962 est soumis, est remarquable. Lorsque le paragraphe 2.52
des ·Observationsindique: "it is indeed one thing to claim that Thailand recognised that
thê"Templewas situated south of a boundary line and quite another thing to allege that it
had accepted a line traced on the basis.-ofcontour lines and river serroneously depicted
on a map," cela ne peut êtrecompris·que comme une affirmation selon laquelle il serait
Inappropriéde trancher l'affaire sur cette base, et donc que la Cour a eu tort de le faire.
Les Implications de cette affirmation sont indéniables. Cette ligne d'argumentation
surprenante est alors renforcée par toute la section qui commence au paragraphe 3.22,
et qui traite en détail (et de manière laborieuse) des Observations du Cambodge au cours
de l'argumentation sur le fond dans l'affaire principale, sans égard pour le fait que
l'argument d'une ou de l'autre partie avant un jugement devient subsumé par l'arrêtde
la Cour. Cet enchaînement culmine avec le passage du paragraphe 3.32, qui mérite
d'êtrecitéen entier: "The reference to the 'Temple area' could only be a reference to an
area in dose proximity to the Temple - the Temple precincts - otherwise the Court could
again be subject to the accusation of deciding ultra petitaIt clearly did not do that." Le
terme "agaln" est particulièrement révélateur. Ce n'est ni plus ni moins une menace
87envers la Cour selon laquelle celle-ci est autoriséeà interpréter l'arrêtd'une unique façon
(la façon dont l'interprète la Thai'lande), sinon elle va (de nouveau) dépasser ses
pouvoirs en vertu du Statut (sous-entendu, comme elle l'a déjà fait en 1962). Il n'y a
tout simplement aucun moyen de comprendre cette ligne d'argumentation - en laissant
de côté son mépris évident envers la Cour - comme étant justifiée par les termes de
l'article 60,qui stipule clairement que, en cas de contestation sur le sens ou la portée
d'un arrêt, la Cour décide: il appartient donc à la Cour d'interpréter. Il s'agit par
conséquent, dans l'esprit de la Thaïlande, d'une invitation faite à la Cour de saisir cette
occasion pour corriger la situation en revenant sur ce qu'elie a décidéen 1962.
5.4 En fin de compte, il faut surtout remarquer la façon longuement détailléedont les
Observations traitent de la carte de l'annexe I et de ses prétendues lacunes techniques. ·
Comme le Cambodge a déjà eu l'occasion de le souligner, une section entière des
Observations (qui comporte 24 pages), soutenue par une étude technique de 48 pages
spécialement diiigentée par la Thaïlande pour la circonstance; est consacrée à la
proposition selon laquelle: "To establish the Annex I map as the authoritative basis for
tracing the boundary line would therefore give rise to further disputes between the
222
Parties, rather than solve the present one." Mêmesi cet argument politique était
cdrrect (ce qu'il n'est pas) et pertinent (ce qu'il n'est pas), il est de toute façon consacré
par une étudetechnique réaliséeen 2011, et non basésur celles de 1962 lorsque la Cour
a rendu son arrêt,et encore moins sur celles des Parties et de leurs experts lorsque la ·
ligne a étéétablie initialement puis acceptéepar les deux Etats. Cet argument concerne
en outre presque tout le secteur des Dangrek couvert par la carte de l'annexe I, c'est-à
dire ·le territoirà proximité du Temple, ainsi que des zones qui sont physiquement
éloltlnées du Temple. Quel est l'objectif de cette démonstration de la Thaïlande?
Evidemment de porter atteinte à la validil:éet au statut de la carte de l'annexe I dans son
ensemble. Cette tentative a posteriori ne peut être comprise que comme une vaine
tentative pour faire dire à la Cour désormaisqu'elle n'aurait jamais dû prendre la carte
comme base pour sa décisionen 1962, mêmesi, comme elle l'a décidé,les deux Etats
s'étaient mis d'accord sur cette frontière auparavant. En d'autres termes, l'objectif est
d'obtenir comme résultat que la Cour revienne sur ce qu'elle a décidéen 1962, mêmesi
elle ne peut pas formellement réviserson jugement.
5.5 Il s'agit donc d'une tentative pour obtenir la révision d'un jugement à la lumière
de faits postérieurs pas moins de 40 ans après l'expiration du délai pour une telle
procédureen vertu de l'article 61 du Statut. Ainsi, les Observations de la Thaïlande sont
remplies de référencesaux prétendues imperfections techniques de la carte de l'annexe I
222 Observations thaïlandaises, p. 286, para. 7.9.
88 remplies de référencesaux prétendues imperfections techniques de la carte de l'annexe I
déjà développées par la Thaïlande ·au moment de ia procédure devant la Cour qui a
conduit à l'arrêt de 1962. Déjà la Thaïlande avait tenté de prouver que la carte de
l'annexe I était défectueuse et pourrait créer des problèmes de transposition sur le
terrain. Cet argument a étéprésenté à l'époque dans les écritures de la Thaïlande 223,
ainsi que lors de ses plaidoiries ora!es 224•La question avait donc bien étéposéedevant la
Cour en 1962.
5.6 Mais la Cour n'a tout simplement pas trouvé cette démonstration pertinente pour
prendre sa décision. Elle ne traite pas, ni mêmeaborde, cet aspect dans son arrêt. En
revanche, fa1Cour a bien attribué une valeur contraignante à cette carte. Et c'est bien
cette carte que la Cour va utiliser pour reconnaître la validité de la frontière entre les
deux États dans le secteur en cause 225•
5.7 La Thaïlande affirme désormais (paragraphe 6.24) que les erreurs de la carte à
l'époque étaient telles qu'il serait illogique de penser que la Thaïlande aurait pu accepter
cette carte comme établissant la frontière. En d'autres termes, la Cour a eu tort de
décider que la Thaïlande avait accepté cette carte. Et sans doute la Thaïlande attend-t
elle que l'erreur soit désormais corrigée?
5.8 Les conclusions du Cambodge ci-après dans la présente procédure, à l'inverse de
celles de la Thaïlande, sont volontairement et rigoureusement circonscrites aux questions
qui sont pertinentes en rapport avec l'interprétation demandée à la Cour telle qu'elle fut
définiedans la Requête.
5.9 Sur la base des faits et arguments avancés dans sa Requêteen interprétation et
dans la présente Réponse,le Cambodge prie respectueusement la Cour de dire et juger:
CJ.J.Mémoires,Templede PréahVlhéar Rejoinder of the Royal Govemment of Thailand", Voi.I, p. 597, para. 112,
note 1; pp. 597-598 ("l'inexactitude des caractéristiquesphysiques, telles que des lignes de contour, les ruisseauxou
les rivières, marquéessur l'annexe I rend la transposition de la frontière sur une carte moderne très difficile"); et
para.112.Voir aussiObservationstha'llandaises,para. 210-211.
224 CR 1962, p. 213 (l'annexe I rendrait le titre du cambodge complet "si ... le tracé de la frontière sur elle n'avait pas
étéfondéesur des donnéesphysiques indiquéesd'une façon erronéepar les officiers topographiques Oum officiers et
Kerler"); p. 273 ("l'erreur matérielle, l'inexactitude de l'annexe I"); pp 274-275 ("Comme les conseillers ... ont pu
observer par eux-mêmesle terrain puis se tourner vers l'annexe I, la frontière indiquéesur l'annexeI soulèvetout de
suite une [issue] réel..."); pp 284-285 ("le professeur Schermerhorn a déclaréque son rapport montre que la carte de
l'annexe I est dans l'erreur en ce qui concerne la cartographie de la rivi0rTasem, où l'erreur affecte
l'emplacement dea ligne du partage des eaux d'une manière décisiila ajouté [qu'] "en parldetl'annexe I
cartographiéecomme étantdans l'erreur, il est évidentque nous voulons dire une erreur majeure ... lors du testing la
ligne de l'annexe I par raàpla véritableligne topographiqia conclu qu'elle reflète une erreur majeure jugée
par les moyens techniques de cartographie de 1900 à 1910, ainsi que par les méthodes actuelles de la
photogrammétrie.")
225 TempledePréahVihéarf,ond, arrêt,CI.J. Recueil1962,p. 14.
89(i) que les conclusions soumises à la Cour par chacune des deux Parties
démontrent, aussi bien à la lumière des faits qu'en elles-mêmes, que les
Parties sont en désaccord sur le sens et la portée de l'arrêtde 1962;
(ii) que les différends entre les Parties portent tant sur le premier que sur le
deuxième paragraphe du dispositif de l'arrêt de 1962, ainsi que sur le lien
entre ces deux paragraphes;
(iii) que le différend portant sur le paragraphe premier concerne le sens et la
portée de l'emploi par la Cour du terme "territoire"("(...) est situé en
territoire relevant de la souveraineté du Cambodge"), particulièrement
dans sa liaison avec les décisions de la Cour sur le statut juridique de la
carte de l'annexe I comme représentant la frontière entre les deux États;
(iv) que le différend portant sur le deuxième paragraphe concerne le sens et la
portée de l'emploi par la Cour des termes "environs" et "territoire" ("( ...)
dans le Temple ou dans ses environs situés en territoire cambodgien");
(v) que le différend portant sur le lien entre les deux paragraphes porte sur la
question de savoir si le deuxième paragraphe doit être lu à la lumière du
paragraphe premier; ou si les termes particuliers employés par la Cour
dans le deuxième paragraphe doivent être lus comme ayant le but de
restreindre la portée généraledu paragraphe premier;
(vi) que chacun desdits différends se rapporte à ce que la Cour a décidéavec
force obligatoire dans l'arrêt;
(vii) qu'en raison des termes utilisés et en fonction du contexte (et
spécifiquement ce que la Cour a décidéconcernant le statut juridique de la
carte de l'annexe I comme représentant la frontière entre les deux États),
le paragraphe premier du dispositif doit êtrecompris comme déterminant,
avec force obligatoire, que toutes les zones en litige se trouvant au côté
cambodgien de la ligne de la carte annexe I - y inclus donc le Temple de
Préah Vihéar lui-même - sont à regarder comme relevant de la
souveraineté cambodgienne;
(viii) qu'en raison des termes utilisés et en fonction du contexte (et notamment
l'expression "en conséquence" qui le lie au premier), le deuxième
90 paragraphe du dispositif dolt être compris comme représentant une
conséquence particulière qui découle de !a décision prîse dans !e
paragraphe premier; avec comme implication que la portée du deuxième
paragraphe, aussi bien dans !'espace que dans le temps, doit êtrecomprise
à !a lumière du premier paragraphe;
{ix) qu'en raison des termes utilisés et en t:nnction du contexte (et notamment du
lien'.avec le paragraphe premier, dont ilest une "conséquence") le deuxième
paragraphe du dispositif doit êtrecompris comme imposant à la Thaïlande à la
fois une obligation explicite de retirer immédiatement sur son propre terdtoire
tous les élémentsde forces armées ou de police qui, à ce moment-là, étaient
stationnés dans le Temple ou dans des lieux à proximité ; et également une
obligation implicite de ne pas réintroduire ces éléments- ou des éléments
similaires - ni dansle Temple ni dans des lieux à proximité dans la zone du
Temple qui doivent, en raison des tenues utilisésdans le paragraphe premier du
dispositif, êtreconsidéréscomme territoire souverain du Cambodge.
Sur cette base le Cambodge prie respectueusement la Cour, en application de !'article 60
1
de son Statut, de répondre à la question portant sur l'interprétation de son·arrêtdu 15
juin 1962 formulée dans le paragraphe 45 de la Requêteen interprétation déposéele 28
avril 2011, à savoir:
Etant donné "( ...) que le Temple de Préah-vihéar est situé en territoire relevant
de la souveraineté du Cambodge" (point 1 du dispositif), ce qui est la
conséquence juridique du fait que le Temple est situé du côté cambodgien de la
frontière telle qu'elle fut reconnue par la Cour dans son arrêt, et sur la base des
faits et arguments juridiques développés ci-dessus, la Cambodge prie
respectueusement la Cour de dire et juger que:
L'obligation pour la Thaïlande de "retirer tous les élémentsde forces armées ou de
police ou autres gardes ou gardiens qu'elle a installés dans le Temple ou dans ses
environs situés en territoire cambodgien" (point 2 du dispositif) est une
conséquence particulière de l'obligation .générale et continue de respecter
l'intégrité du territoire duCambodge, territoire délimitédans la région du Temple
et ses environs par la ligne de ta carte de l'annexe 1 sur laquelle l'arrêtde la Cour
est basé.
M. HOR Namhong
Agent du Royaume du Cambodge
91LISTE DES ANNEXES LISTE DES ANNEXES
{Volume 2)
1. Communiqué de presse A.K.P. du 18 juin 1962, « Conférençede presse du 1
premier ministre Thaï»
2. Communiqué de presse A.K.P. du 19 juin 1962, «Déclaration du 2
gouvernement royal »
3. Communiqué de presse A.K.P. du 22 juin 1962, <<Lapresse u~s .t l'affaire 4
PréahVihéar »
4. Aide Mémoire suries relations Khméro-Thaïlandaises du 28 novembre 1962 7
publié par le Ministère des Affaires Etrangères du Cambodge
5. Communiqué de presse A.K.P. du 2 janvier 19631 « Déclaration du 25
gouvernement royal·»
6. Communiqué de presse A.K.P. du 6 janvier 1963, « Lespoints essentiels du 26
discours du Prince Sihanouk 1 Chef de l'Etat du Cambodge prononcé à
Choam Ksan (PréahVihéar, 4 janvier 1963} »
7. Communiqué de presse A.K.P. du 7 janvier 1963, « Le Pèlerinage Nationalà 28
PréahVihéar » ·
8. Intervention de la Délégation Khmère à la sixième commission de I'O.N.U. 32
publié par l'A.K.P. le 6 janvier 1964
9. Dépêche du 10 mars 1964 de l'Ambassade des Etats-'Unisà Phnom Penh au 34
Département d'Etat, « Tran~mit tfal aps Showing Cambodian-claimed
Boundaries »
10. Compte-rendu du commentaire du Prince Sihanouk sur les « Rapports du 36
Cambodge avec la Thaïlande » du 5 janvier 1965
'·
11. Compte-rendu de I'O.N.U. du 3 mai 1966 sur «Lettre en date du 23 avril 38
1966 adressée au Président du Conseil de Sécl!4'itépar le Ministre des
Affaires Etrangères du Cambodge» ·
12. Lettre du 23 avril 1966 du Ministre des Affaires Etrangères du Cambodge au 41
Secrétaire Généralde I'O.N.U.
13. Lettre du 11 avril 1966 de la Mission Permanente du Cambodge auprès de 44
I'O.N.U. au Secrétaire Généralde I'O.N.U
14. Lettre du 27 mai 1966 de la Mission Permanente du Cambodge auprès de 46
l'O.N.U. au Secrétaire Généralde I'O.N.U
15. Document des Nations Unies du 10 octobre 1966, « Pro Memoria >>sur « La 49
situation en général
16. Note du 26 octobre 1966 du Ministère des Affaires Etrangères du Cambodge 54
au ReprésentantSpécial du Secrétaire Généralde I'O.N.U
17. Compte-rendu sur le « Message à la Nation» du Prince Sihanouk du 9 55
novembre 196618. Document des Nations Unies du 2 mars 1967, << Memorandum on the 57
actual situationwith regard to the negotiations of the U.N. Mission to
Cambodia and ,Thai!and »
19. Compte=rendu de la conférence du presse du Prince Sihanouk du 22 octobre 62
1967
20. Compte-rendu de la conférence du presse du Prince Sihanouk du 31 juillet 65
1967, « PréahVihéar toujours revendiqué par la Thaïlande»
21. Mise au point du Prince Sihanouk du 30 septembre 1967 «touchant deux 72
articles, l'un de la presse américaine, l'autre de la presse pro-pékin de
Singapour, qui se rejoignent pour calomnier la neutralité du Cambodge et
de Sihanouk »
22. Communiqué de presse A.K.P. du 10 novembre 1967 1 « Les frontières 80
actuellesdu Cambodge >>
23. Extrait des Paroles du Prince Sihanouk du 21 février 1968, «A Russey, Près 81
du Mont PréahVihéar »
24. Décision du Ministère des Cultes et des Religions du Cambodge du 12 83
novembre 1998 portant ouverture d'une nouvelle pagode
25. 'Agreed Minutes of the First Meeting of the Thai-Cambodian Joint 86
Cqmmission on Demarcation for Land Boundary, 30 June- 2 July 1999
26. Terms of Reference and Master Plan for the Joint Survey and Demarcation 90
of Land Boundary between the Kingdom of Cambodia and the Kingdom of
Thailand
27. Aide Mémoire du 17 mai 2007 envoyé du Ministère des Affaires Etrangères 112
de !a Thaïlande au Ministre des Affaires Etrangères du Cambodge et au
Comité du Patrimoine Mondial
28. Agreed Minutes of the First Discussion of the Cambodian- Thai Technical 124
Officers, 29-30 September 2003
29. Agreed Minutes of the Second Discussion of the Cambodian-Thai Technical 133
Officers,-5 February 2004
30. Agreed Minutes of the Third Discussion of the Cambodian-Thai Technical 153
Officers, 30 June - 2 July 2004
31. « Joint Communiqué » du 18 juin 2008 signé par les Gouvernements du 165
Cambodge et de la Thaïlande et l'UNESCO
32. Décision de fa 32ème Session du Comité du Patrimoine Mondial en 2008 168
33. Communiqué de presse MCOT du 8 juillet 2008, « Thai Court rules Thai- 172
Cambodian communique in breach of charter »
34. Lettre du 19 juillet 2008 de la Mission Permanente du Cambodge auprès de 173
I'O.N.U. au Président du Assemblée Généralde I'O.N.U35. Lettre du 18 juillet 2008 de la Mission Permanente du Cambodge auprès de 178
I'O.N.U. au Présidentdu Conseil de Sécuritéde I'O.N.U
36. Lettre du 21 juillet 2008 de la Mission Permanente de la Thaïlande auprès 182
de I'O.N.U. au Présidentdu Conseil de Sécuritéde I'O.N.U
37. Attestation de l'Agent du Royaume du Cambodge 193
Réponse du Cambodge aux observations écrites de la Thaïlande