Observations écrites de l'Allemagne sur la requête à fin d'intervention déposée par la Grèce

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16662
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Incidental Proceedings
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COUR INTERNATIONALE DE JUSTICE

AFFAIRE RELATIVE AUX IMMUNITÉS JURIDICTIONNELLES DE L’ÉTAT

(ALLEMAGNE c. ITALIE)

REQUÊTE À FIN D’INTERVENTION DÉPOSÉE PAR LA GRÈCE

OBSERVATIONS ÉCRITES DE L’ALLEMAGNE

23 mars 2011

[Traduction du Greffe] P LAN DE L ’ARGUMENTATION

Paragraphes

I. Observations préliminaires ............................................................. - 1.......
..........................4

II. Examen de la requête de la Grèce à la lumière de l’article 62 du Statut ..................5–18.......

1) Premier aspect du raisonnement de la Grèce.............................................7-10................

2) Deuxième aspect du raisonnement de la Grèce ..........................................11-15..............

3) Troisième aspect du raisonnement de la Grèce .........................................16-20...............

III. Observations finales....................................................................21-25...................................

IV. Conclusions........................................................................
........26...................................... I. Observations préliminaires

1. L’Allemagne a dûment pris note de la requête à fin d’intervention déposée par le
Gouvernement grec en l’affaire relative aux Immunités juridictionnelles de l’Etat (Allemagne

c. Italie), actuellement pendante devant la Cour. La re quête a été présentée à un stade plutôt tardif
de la procédure, le 13 janvier 2011, soit un jour ex actement avant la fin de la phase écrite : la Cour
avait effectivement fixé au 14janvier2011 la da te d’expiration du délai pour le dépôt d’une

duplique par le défendeur. Aux te rmes du paragraphe1 de l’artic le81 du Règlement de la Cour,
une telle requête «est déposée le plus tôt possible». Il convient de ra ppeler que l’Allemagne a
déposé sa requête contre l’Italie le 23déce mbre2008. Puisque toute instance nouvellement

introduite est immédiatement portée à la connaissance de tous les Etats Membres de l’Organisation
des Nations Unies (Règlement de la Cour, art. 42) , la Grèce devait être au fait du différend depuis
plus de deux ans lorsqu’elle a saisi la Cour de sa demande d’intervention.

2. L’Allemagne ne prétend toutefois pas que la requête de la Grèce doive être rejetée pour
avoir été déposée hors délai. Selon le libellé du paragraphe1 de l’article81 du Règlement de la

Cour, l’exigence de prompte soumission d’une requête à fin d’intervention demeure satisfaite si la
Cour reçoit la requête «avant la clôture de la procédure écrite». Dans le cadre d’un différend
antérieur, l’affaire du Plateau continental (Jamah iriya arabe libyenne/Malte) 1, l’Italie avait

présenté sa requête à fin d’intervention le 24 octobre 1983, soit deux jours avant la date limite fixée
pour le dépôt d’un contre-mémoire par les deux parties à l’instance principale (le 26 octobre 1983).
A cette occasion, la Cour ne s’était pas opposée à la soumission tardive de la requête, laquelle fut
rejetée pour des motifs différents 2. La Cour a également fait preuve dans d’autres affaires de
3
beaucoup de souplesse en matière de délais, s’ab stenant d’appliquer des critères formalistes .
L’Allemagne reconnaît donc qu’en l’espèce, bien qu’elle ait été déposée de manière soudaine et
imprévue, créant ainsi la surprise, la requête de la Grèce satisfait ratione temporis aux exigences du

paragraphe 1 de l’article 81 du Règlement de la Cour.

3. L’Allemagne tient toutefois à appeler l’attention de la Cour sur plusieurs facteurs pouvant

donner à penser que la requête de la Grèce ne re mplit pas les critères fixés au paragraphe1 de
l’article 62 du Statut. Aux termes de cette disposition, un Etat peut adresser à la Cour une requête à
fin d’intervention lorsqu’il estime que, «dans un diffé rend, un intérêt d’ordre juridique est pour lui

en cause». De l’avis de l’Allemagne, il n’est pas certain que la Grèce soit parvenue à démontrer un
tel intérêt. En tout état de cause, il conviendr a de soumettre la requête de la Grèce à un examen
attentif afin de rechercher si elle satisfa it aux conditions légitiman t une intervention telles

qu’énoncées au paragraphe 1 de l’article 62 du Statut, en particulier l’existence d’un intérêt d’ordre
juridique.

4. Comme l’indiquent les termes prudents employés dans le paragraphe précédent,
l’Allemagne s’abstient délibérément de soulev er une objection en vertu du paragraphe2 de
l’article 84 du Règlement de la Cour. Elle est en effet consciente des conséquences qu’engendre le

dépôt d’une objection formelle. Il suffit à son sen s de porter à la connaissance de la Cour les
considérations qui militent contre l’admission de la requête de la Grèce. Les observations
suivantes n’ont pas d’autre objectif que d’exposer si mplement à la Cour la situation juridique telle

que la perçoit l’Allemagne. Convaincue que la Cour prendra la bonne décision, l’Allemagne

1Arrêt, C.I.J. Recueil 1985, p. 13.
2
Plateau continental (Jamahiriya arabe libyenne/Malte), requête à fin d’intervention, arrêt, C.I.J. Recueil 1984,
p. 8, par. 10.
3 Souveraineté sur Pulau Ligitan et Pulau Sipadan (Indonése/Malaisie), requête à fin d’intervention, arrêt,
C.I.J. Recueil 2001, p. 583-586, par. 19-26. - 2 -

s’abstient de toute conclusion quant à la suite que la Cour devrait donner à la requête déposée par la
Grèce. Il n’y a pas lieu pour la Cour de tenir des audiences afin de réunir les éléments lui

permettant de se prononcer sur la suite à donner à cette requête. La Grèce a clairement et
succinctement exposé les raisons qui, selon elle, justif ient sa tentative d’intervenir dans l’instance
pendante entre l’Allemagne et l’Italie. En r ésumé, pour faciliter la bonne administration de la

justice, l’Allemagne laisse à la Cour le soin d’apprécier s’il convient ou non d’admettre la requête
de la Grèce.

II. Examen de la requête de la Grèce à la lumière de l’article 62 du Statut

5. Le paragraphe1 de l’article62 du Stat ut énonce deux conditions cumulatives auxquelles
une requête à fin d’intervention doi t satisfaire. Premièrement, l’Et at demandant à intervenir doit

avoir un intérêt d’ordre juridique. Lors du dépôt de la requête, il lui suffit de soutenir qu’un tel
intérêt existe («Lorsqu’un Etat estime»). Par la suite, l’Etat demandant à intervenir doit cependant
identifier cet intérêt avec «une clarté toute particu lière», la charge de la preuve correspondante lui
incombant . Deuxièmement, il doit être démontré que cet intérêt est susceptible d’être affecté par

la décision à intervenir en l’instance principale. La requête de la Grèce semble ne remplir aucune
de ces deux conditions. L’Allemagne reconnaît toutefois qu’il pourrait en aller différemment en ce
qui concerne l’un des trois principaux aspects du raisonnement de la Grèce.

6. Il ressort en effet à la lecture de la re quête que le raisonnement de la Grèce peut être
examiné sous trois angles.

1. Premier aspect du raisonnement de la Grèce

7. Le premier aspect du raisonnement de la Grèce apparaît en plusieurs endroits de la

requête. La Grèce soutient que les questions ju ridiques que la Cour sera appelée à examiner pour
se prononcer sur les demandes de l’Allemagne revêtent pour elle un intérêt d’ordre général. Ainsi
affirme-t-elle, à la page 5 :

«La Grèce entend mettre en avant et défendre le principe de sécurité juridique et
s’efforcera de dissiper l’incertitude existante. Elle est hautement préoccupée par
certaines ambiguïtés inhérentes aux questions relatives aux «immunités

juridictionnelles de l’Etat».»

Elle reprend à plusieurs reprises, pour y insister , cet aspect de son raisonnement. Page8, au
point f), la Grèce indique que «la nature et l’essence mêmes des principes juridiques à l’aune

desquels il sera statué sur les demandes formulées pa r l’Allemagne» revêtent pour elle un intérêt.
Des observations similaires se retr ouvent à la page9, aux points g), j) et k). A la page 10 figure
une manière de conclusion à cet égard, laquelle se lit comme suit :

«les intérêts d’ordre juridique de la Grèce ⎯ même indirects ⎯ qui pourraient être
affectés par une décision de la Cour sont les droits souverains et la juridiction dont elle
jouit en vertu du droit international général».

8. Aucune de ces allégations ne permet d’établir un quelconque lien avec l’instance
principale. La Grèce se contente d’indiquer que la portée et le sens de l’immunité de l’Etat en droit

international coutumier ou général revêtent pour elle un intérêt d’ordr e général. Peut-être a-t-elle

4
Souveraineté sur Pulau Ligitan et Pulau Sipadan (Indonée/Malaisie), requête à fin d’intervention, arrêt,
C.I.J. Recueil 2001, p. 598, par. 58 et 59. - 3 -

de bonnes raisons de souhaiter être autorisée à particip er au débat qui aura lieu devant la Cour sur

la fonction légitime de l’immunité de l’Etat dans l’ordre juridique international du siècle dernier et
du monde contemporain. Un intérêt aussi abstra it ne satisfait cependant pas aux conditions du
paragraphe1 de l’article62 du Statut. Seuls les Etats pour lesquels l’issue de l’instance revêt un

intérêt spécifique peuvent demander à intervenir. Le paragraphe1 de l’article62 ne saurait être
interprété comme une clause inconditionnelle qui pe rmettrait à n’importe que l Etat de s’immiscer
dans n’importe quelle procédure soulevant des que stions d’ordre juridique qu’il considérerait

intéressantes du point de vue d’autres litiges auxqu els il serait ou pourrait être ultérieurement
partie. A suivre cet aspect du raisonnement de la Grèce, tous les Etats membres de l’Organisation
des NationsUnies pourraient indifféremment invoquer le paragraphe1 de l’article62. En ce qui
concerne la présente affaire, il est bien éviden t que chaque Etat a un intérêt naturel à savoir

précisément quelle serait, d’un point de vue juridique , sa situation s’il devait être attrait devant les
juridictions civiles d’un autre Etat.

9. En vertu du Statut, un intérêt aussi général, non spécifique, entre uniquement et
exclusivement dans les prévisions de l’article 63. Si l’issue d’une instance dépend de
l’interprétation d’une disposition d’ un traité multilatéral, tout autre Etat partie à celui-ci peut

intervenir afin de communiquer à la Cour ses vues sur la manière dont il estime que cette
disposition doit être interprétée. L’Etat intervenant n’a pas à faire valoir un intérêt spécifique, qui
lui soit propre. En vertu de l’article63, tout Et at est réputé avoir un intérêt légitime à l’égard de

l’interprétation des dispositions d’un traité par leque l il est lié. A l’inverse, le Statut ne reconnaît
pas, en ce qui concerne le droit international cout umier ou, plus largement, le droit international
général, un intérêt aussi étendu que cet intérêt ratione conventionis . La retenue exprimée par le

Statut à cet égard est tout à fait justifiée et mérite d’être respectée sans réserve. Une telle
disposition permettrait à n’importe quel Etat d’in tervenir dans n’importe quelle instance, toute
affaire introduite devant la CIJ soulevant inév itablement des questions de droit international

général. Ouvrir aussi largement les possibilités d’intervention pour les Etats tiers poserait de
sérieux problèmes du point de vue de la bonne ad ministration de la justice, les interventions
retardant notamment le règlement des affaires.

10. L’Allemagne se fonde à cet égard sur la ju risprudence de la Cour qui, dans un certain
nombre d’affaires, a jugé par des décisions faisan t autorité qu’un intérêt abstrait à l’égard de
6
principes juridiques susceptibl es d’être appliqués en l’affa ire concernée ne suffisait pas . Un
intérêt abstrait ne confère pas qualité pour agir en vertu du paragraphe1 de l’article62 du Statut.
Rien dans la présente affaire ne justifierait de s’ écarter de cette jurisprudence. Ce premier aspect
de son raisonnement ne saurait donc permettre à la Grèce d’invoquer le paragraphe 1 de l’article 62

du Statut.

2. Deuxième aspect du raisonnement de la Grèce

11. Le deuxième aspect du raisonnement de la Grèce repose sur le fait historique que ce pays
a été occupé par les forces armé es allemandes durant la seconde guerre mondiale. A la page 7 de

sa requête, la Grèce évoque ainsi la responsabilité de l’Allemagne à s on égard «à raison de tous les
actes et omissions commis par le III Reich entre le 6 avril 1941, date de l’invasion de la Grèce par
l’Allemagne, et le 8 mai 1945, date de la reddition sans conditions de l’Allemagne».

5Voir C.Chinkin, commentaires relatifs à l’article6in A. Zimmermann/C. Tomuschat/K. Oellers-Frahm (dir.

Publ.), The Statute of the International Court of Justice (Oxford : Oxford University Press, 2006), p. 1379.
6 Plateau continental (Tunisie/Jam ahiriya arabe libyenne), requête à fin d’intervention, arrêt,
C.I.J. Recueil 1981, p. 17, par. 30 ; Différend frontalier terrestre, insulaire et maritime (ElSalvador/Honduras), requête
à fin d’intervention, arrêt, C.I.J.Recueil19, p. 124, par. 76 ; Souveraineté sur Pulau Ligitan et Pulau Sipadan
(Indonésie/Malaisie), requête à fin d’intervention, arrêt, C.I.J. Recueil 2001, p. 597, par. 52. - 4 -

Selon elle, la responsabilité de l’Allemagne trouve son origine «dans les atrocités et autres

actes inhumains perpétrés à l’encontre de ressor tissants grecs par les forces armées allemandes et
d’autres composantes de l’Etat nazi, ou en leur nom».

D’autres affirmations dans ce sens sont form ulées à la page 8 de la requête (po7nts c, d et e).
Au point d, la Grèce se réfère ainsi explicitement au massacre de Distomo . Elle semble donc
considérer que la Cour devrait se pencher, «en marge» de la présente espèce, sur les actes

injustifiables commis par les forces armées allemandes, actes qui constituaient de graves violations
du droit international humanitaire.

12. De toute évidence, la Grèce entend, par ces observations, introduire un nouveau différend
dans l’instance en cours, à savoir un différend l’opposant à l’Allemagne au sujet de la réparation
des dommages ayant résulté de la seconde guerre mondiale. Le fait qu’elle indique expressément

(à la page5 de sa requête) qu’elle «ne demande nullement à la Cour de régler un différend
l’opposant aux Parties à l’instance sans le consentement de celles-ci» n’y change rien.

Cette dénégation est d’ailleurs réitérée à la page 12 de la requête :

«De choix délibéré, [la Grèce] n’a pas encore présenté de réclamations
internationales à l’encontre de l’Allemagne et n’a pas l’intention de le faire dans le
cadre de la présente procédure et de l’instance principale.»

8
Or, ces affirmations tranchent nettement avec le libellé de la demande proprement dite .
C’est qu’en effet la Grèce y met l’accent sur les dommages et pertes qu’elle a elle-même subis
durant la seconde guerre mondiale et souhaite que la Cour les examine. Or, les griefs qu’elle

formule à cet égard sont dépourvus de toute conne xité avec le présent différend entre l’Allemagne
et l’Italie, qui a exclusivement trait à la question de l’immunité de l’Etat.

13. La Cour a, au paragraphe30 de son ordonnance du 6juille t2010, jugé que les
événements survenus pendant la seconde guerre mondiale et sur lesquels l’Italie fondait les

réclamations formulées dans sa demande reconven tionnelle n’entraient pas dans le champ de sa
compétence ratione temporis. Cela vaut donc a fortiori pour les réclamations que la Grèce cherche
à faire valoir par cet aspect de son raisonnement.

14. Il convient d’ajouter que, si la conventi on européenne pour le règlement pacifique des
différends du 29 avril 1957 constitue un lien juridictionnel entre l’A llemagne et l’Italie, pareil lien
9
n’existe pas entre la Grèce et l’Allemagne . La Grèce n’est pas partie à la convention européenne
précitée, et la déclaration que l’Allemagne a récemment faite en vert u du paragraphe2 de
l’article36 du Statut (le 30avril2008) n’a pas d’ effet rétroactif. En conséquence, la question

complexe de la réparation des dommages subis par la Grèce durant la seconde guerre mondiale
n’entre pas dans le champ de la compétence de la Cour et ne saurait être soumise à celle-ci de

7
Au sujet de l’affaire Distomo, voir le par. 65 du mémoire de l’Allemagne.
8 Un cas de figure comparable s’est présenté en l’affaire du Plateau continental (Jamahiriya arabe
libyenne/Malte), requête à fin d’intervention, arrêt, C.I.J. Recueil 1984, p. 20, par. 31, et la Cour a considéré qu’une telle
dénégation «import[ait] peu».

9 L’Allemagne n’ignore pas que, dans le cas d’une au thentique intervention au sens du paragraphe1 de
l’article62 du Statut, aucun liejuridictionnel n’est requis; voDifférend frontalier terrestre, insulaire et maritime
(El Salvador/Honduras), requête à fin d’intervention, arrêt, C.I.J. Recueil 1990, p. 135, par. 100. - 5 -

manière incidente, au moyen de la procédure d’intervention énoncée au paragraphe 1 de l’article 62
10
du Statut .

3. Troisième aspect du raisonnement de la Grèce

16. Le troisième aspect du raisonnement exposé par la Grèce dans sa requête semble avoir un

lien plus étroit avec la présente espèce. A la page 5 de sa requête, la Grèce précise en effet qu’elle
«ne souhaite intervenir à l’instance qu’en ce qui concerne les décisions rendues par ses propres
cours et tribunaux (internes) sur des faits qui se sont produits durant la seconde guerre mondiale et
exécutées (par voie d’ exequatur) par des juridictions italiennes». Elle se réfère à cet égard aux

demandes de l’Allemagne. L’une de ces demandes (la troisième) consiste à prier la Cour de dire et
juger que l’Italie a violé l’immunité de juridiction de l’Allemagne «en déclarant exécutoires sur le
sol italien des décisions judiciaires grecques f ondées sur des faits comparables à ceux qui sont

mentionnés au point 1 ci-dessus».

17. On ne saurait aisément conclure que cette dernière tentative de justification de la requête
à fin d’intervention satisfait, elle au moins, aux critères énoncés au paragraphe 1 de l’article 62 du
Statut. Les particuliers qui ont ob tenu gain de cause dans l’affaire Distomo ont certainement un

intérêt juridique à voir les décisions rendues en premier ressort par les a11orités compétentes
(tribunal de première instance de Livadia), confirmées par l’ Areios Pagos , exécutées, que ce soit
en Grèce, en Italie ou dans tout autre pays où ils peuvent espérer mettre la main sur des avoirs

allemands. Toutefois, il ne s’agit pas d’un intérêt juri dique de l’Etat grec. En général, les intérêts
juridiques d’un Etat se limitent à ce qui relève de sa juridiction, en particulier son territoire. Or, ce
qu’il faudra examiner en la présente affaire opposan t l’Allemagne à l’Italie, c’est l’affirmation de

l’Allemagne selon laquelle l’Italie a outrepassé le s limites de son pouvoir souverain légitime en
contribuant à faire exécuter des décisions rendues par la justice grecque qui, depuis le prononcé de
l’arrêt de la cour suprême spéciale en l’affaire Margellos , ne peuvent plus être exécutées en
Grèce. Le seul, unique et véritable objet de la décision de la Cour sera le comportement de l’Italie.

18. La Cour ne se prononcera pas sur autre cho se que sur les décisions et mesures prises par

la justice italienne pour permettre l’exécution des d écisions rendues par les juridictions grecques.
A cet égard, l’autorité de la chose jugée ne s’exercera que vis-à-vis des deux parties en litige,
l’Allemagne et l’Italie (article59 du Statut), et la Grèce ne sera pas davantage affectée par la

clarification de cette question que n’importe quel autre pays.

III. Observations finales

21. Comme nous l’avons déjà indiqué à plusieurs reprises, l’Allemagne n’élève pas
d’objection formelle à l’admission de la requête à fin d’intervention de la Grèce. Dans les

paragraphes qui précèdent, elle s’est employée à recenser les questions juridiques soulevées par une
telle requête. Au terme de son analyse, elle est portée à conclure qu’aucun des trois aspects du
raisonnement de la Grèce ne satisfait aux critères én oncés au paragraphe 1 de l’article 62 du Statut.

10
Voir Plateau continental (Jamahiriya arabe libyenne/M alte), requête à fin d’intervention, arrêt,
C.I.J. Recueil 1984, p. 22-25, par. 35-41 ; Différend frontalier terrestre, insulair e et maritime (ElSalvador/Honduras),
requête à fin d’intervention,arrêt, C.I.J.Recueil1990 , p.133-134, par.97; Souveraineté sur PulauLigitan et
Pulau Sipadan (Indonésie/Malaisie), requête à fin d’intervention, arrêt, C.I.J. Recueil 2001, p. 598, par. 60.
11
Arrêt du 4 mai 2000, ILR, vol. 129, p. 726.
12Arrêt du 17 septembre 2002, ILR, vol. 129, p. 526. - 6 -

Il ne fait aucun doute que le premier et le deuxième ne relèvent pas des dispositions du
paragraphe1 de l’article62. En revanche, l’appréciation juri dique du troisième pose plus de

difficultés. Sans être davantage convaincue de la pertinence de ce troisième aspect, l’Allemagne
s’en remet néanmoins entièrement au jugement de la Cour à cet égard.

22. Quant au fond de la question, à savoir le sens et la portée de l’immunité juridictionnelle
de l’Allemagne en la présente instance, l’Allemagne ne voit pas en quoi la présentation d’une pièce
écrite par la Grèce en vue de préciser sa positi on juridique pourrait porter atteinte à sa propre

position. Elle demeure convaincue que les arguments qu’elle a exposés dans ses pièces de
procédure écrite démontrent de manière précise que le régime juridique actuel de l’immunité de
l’Etat interdit d’engager devant les juridictions civiles d’un Etat des poursuites à l’encontre d’un
autre Etat au titre d’actes jure imperii. Cette règle reste toujours valide et aucune nouvelle règle du

droit international coutumier n’est venue l’écarter dans des affaires mettant en cause la violation
d’une norme de jus cogens.

23. L’Allemagne compte sur la Grèce pour l’aider à défendre cette position juridique.
D’ailleurs, c’est en Grèce qu’une juridiction intern e a eu le dernier mot sur cette question, lorsque
la Cour suprême spéciale a rendu son arrêt en l’affaire Margellos , dans laquelle étaient également
à déplorer des actes criminels commis en violation du droit international humanitaire par les forces
e
armées du III Reich lors de leur retraite de Grèce. La Cour suprême spéciale s’est alors écartée de
la ligne suivie par l’Areios Pagos en l’affaire Distomo. Le passage pertinent de l’arrêt Margellos a
déjà été reproduit dans le mémoir e de l’Allemagne (par. 65), mais il semble néanmoins utile de le

citer de nouveau dans le présent contexte :

«Puisqu’il n’existe aucun texte ni aucu ne loi spécifiques énonçant une règle sur
laquelle fonder une exception à l’immunité da ns le cas d’une demande visant à établir

la responsabilité de l’Etat pour un fait préj udiciable commis dans le cadre d’un conflit
armé, la présente cour ne peut elle-même formuler une telle règle ni en confirmer
l’existence en l’absence d’élément manifeste de la pratique interna tionale qui irait en
ce sens. La Cour ne saurait davantage extra poler une telle règle à partir du principe

selon lequel les Etats sont tenus de verser des réparations pour des violations du droit
de la guerre sur terre.» [Traduction du Greffe.]

Cette déclaration, parfaitement limpide, se pas se de commentaire. L’Allemagne tient pour acquis

que la Grèce fera siennes les vues de sa plus haut e juridiction interne dans les conclusions qu’elle
sera amenée à présenter si, comme elle le souhaite, elle est autorisée à inte rvenir en la présente
instance en application du paragraphe 1 de l’article 62 du Statut.

24. En outre, la Grèce souhaitera peut-ê tre voir confirmée la position adoptée par son
ministre de la justice en l’affaire Distomo. Nul n’ignore que ce dernier a refusé de délivrer

l’autorisation qui aurait permis de rendre exécutoires les décisions controversées rendues dans cette
affaire à l’encontre de l’Allema gne. Ce refus a d’abord été c ontesté devant les juridictions
grecques compétentes puis devant la Cour europée nne des droits de l’homme. Les requérants ont

13
Arrêt du 17 septembre 2002, ILR, vol. 129, p. 526. - 7 -

fait valoir que ce déni d’exécutio n constituait une violation du droit à un tribunal prévu par
l’article 6 de la Convention européenne des dro its de l’homme. Cependant, ni les tribunaux grecs
saisis de la question ni la Cour européenne des droits de l’homme n’ont fait droit à leur demande,

considér14t que les règles générales de l’immunité de l’Etat imposaient une limitation au droit à un
tribunal .

25. En tout état de cause, dans l’hypoth èse où la Grèce serait autorisée à s’exprimer une
nouvelle fois par écrit, elle devrait alors se borner aux limites ratione materiae prévues par le
paragraphe1 de l’article62 du Statut. La Gr èce pourrait à cette occasion commenter tout intérêt

d’ordre juridique pour elle en cause en la présen te affaire, mais ne pourrait aborder aucune des
questions dont elle a tenté de saisir la Cour par le biais du deuxième aspect de son raisonnement.

IV. Conclusions

26. Comme nous l’avons déjà indiqué plus haut, l’Allemagne a choisi de ne présenter aucune
demande particulière à la Cour. Elle la prie si mplement d’examiner la requête à fin d’intervention

de la Grèce à la lumière des considérations exposées ci-dessus.

Berlin, le 23 mars 2011.

L’agent du Gouvernement de la République Le directeur général des affaires juridiques et

fédérale d’Allemagne, agent du Gouvernement de la République
fédérale d’Allemagne,

Christian T OMUSCHAT . Susanne W ASUM -R AINER .

___________

14Voir Cour européenne des droits de l’hommKalogeropoulou et autres c.la Grèce et l’Allemagne , requête
n° 59021/00, 12 décembre 2002.

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