Lettre en date du 15 juillet 2009 adressée au greffier par l’ambassadeur
de la République argentine aux Pays-Bas
[Traduction]
J’ai l’honneur de me référer à votre communication n 133310 du 20 octobre 2008 relative à
la demande d’avis consultatif présentée à la C our internationale de Justice par l’Assemblée
générale des NationsUnies sur la question de la Conformité au droit international de la
déclaration unilatérale d’indépendance des ins titutions provisoires d’administration autonome du
Kosovo.
A cet égard, et au nom du Gouvernement de la République argentine, j’ai l’honneur de vous
faire tenir ci-joint les observations écrites de l’Argentine sur les exposés écrits relatifs à la question
o
susmentionnée joints à vos communications n 134141 et134178. Conformément à votre
recommandation, je vous prie de trouver ci-joint trente (30) exemplaires reliés de ces observations
et un (1) CD-Rom contenant leur version électronique.
Veuillez agréer, etc.
___________ O BSERVATIONS ÉCRITES DE LA R ÉPUBLIQUE ARGENTINE
[Traduction]
TABLE DES MATIÈRES
Pages
INTRODUCTION ................................................................................................................................... 1
SECTION I :LES ARGUMENTS AVANCÉS AUX FINS DE CONTESTER LA COMPÉTENCE DE LA
C OUR ET L ’OPPORTUNITÉ JUDICIAIRE D ’UN AVIS CONSULTATIF SONT INFONDÉS ........................ 3
A. La création d’un Etat est une question de fait et de droit......................................................... 3
B. L’Assemblée générale a un intérêt concret à soumettre la question à la Cour......................... 4
C. L’avis consultatif aura d’importants effets pratiques............................................................... 5
SECTION II : ES ARGUMENTS CONÇUS POUR ÉVITER QUE LA DÉCLARATION NE FASSE
L’OBJET D ’UNE ANALYSE JURIDIQUE DOIVENT ÊTRE ÉCARTÉS ..................................................... 7
A. Les auteurs de la déclaration sont incontestablement les institutions provisoires.................... 8
B. La déclaration est un acte visant à produire certains effets juridiques et peut faire
l’objet d’une analyse juridique.................................................................................................9
C. Le caractère sui generis du Kosovo découle des résolutions pertinentes des
Nations Unies, et non de certains pouvoirs particuliers......................................................... 10
SECTION III :LA DÉCLARATION CONSTITUE UNE VIOLATION DE CERTAINES RÈGLES
PERTINENTES DU DROIT INTERNATIONAL ET ,PARTANT ,EST NULLE ET NE PRODUIT PAS
LES EFFETS QUI LUI SONT PRÊTÉS ................................................................................................ 11
A. Tous les Etats, ainsi que les institutions provisoires, doivent respecter l’intégrité
territoriale de la Serbie, la déclaration constituant une violation de cette obligation ............ 11
B. La déclaration des institutions proviso ires du Kosovo constitue une violation flagrante
de la résolution 1244.............................................................................................................. 14
C. La déclaration contrevient gravement aux obligations existantes liées au processus de
négociation............................................................................................................................. 14
D. Le principe de l’autodétermination n’étaye pas la déclaration............................................... 15
E. Les événements qui se sont produits après la date critique n’ont pas remédié ⎯ et ne
sauraient remédier ⎯ à l’illicéité de la déclaration ............................................................... 16
C ONCLUSION .................................................................................................................................... 17 Introduction
1. Les présentes observations écrites sont soumises en vertu de l’ordonnance que la Cour a
rendue le 17octobre2008 relativem ent à la demande d’avis consu ltatif formulée par l’Assemblée
générale des NationsUnies dans sa résolution 63/3 du8octobre2008 sur la question de la
Conformité au droit international de la déclar ation unilatérale d’indépendance des institutions
provisoires d’administration autonome du Kosovo.
2. En vertu de cette même ordonnance, la République argentine (ci-après «l’Argentine») a
déposé son exposé écrit le 17avril2009. Trente-cinq autres Etats ont également présenté des
exposés écrits. Par ailleurs, les auteurs de la d éclaration unilatérale d’indépendance (ci-après la
«déclaration») des institutions provisoires d’admi nistration autonome (ci-ap rès les «institutions
provisoires») du Kosovo en date du 17février2008 ont, ainsi que l’ordonnance de la Cour les y
autorisait, soumis leur contribution écrite. L es auteurs de cette déclaration se sont cependant
présentés comme la «République du Kosovo», ce qui n’ est conforme ni au droit international ni à
l’ordonnance elle-même. L’Arge ntine relève que la Cour n’a invité aucune entité appelée
«République du Kosovo» à participer à la présente in stance, et considère qu’il n’existe aucun Etat
ainsi dénommé. Elle estime donc que la participa tion des auteurs de la déclaration à la présente
instance doit être strictement lim itée aux termes employés dans l’ordonnance de la Cour, ce qui
signifie que cette participation n’est en aucune manière équivalente à celle des Etats.
3. Comme on pouvait s’y attendre, certains Etats ont jugé que la déclaration n’était pas
conforme au droit international, alors que d’autres ⎯ ainsi que les auteurs de la déclaration ⎯, ont
soutenu qu’elle l’était. Il est néanmoins possi ble de recenser quelques points d’accord entre les
participants au premier tour de la procédure écrite. Premièrement, il a été généralement reconnu
que le principe du respect de l’intégrité territori ale des Etats a une importance cruciale dans les
relations internationales et ce, bien que certains Etats considèrent qu’il ne doit pas s’appliquer à des
acteurs non étatiques et que d’autres, pour justifier de s’en écarter, font valoir que le cas du Kosovo
revêt un caractère sui generis et ne saurait être considéré comme un précédent. Deuxièmement, à la
seule exception des auteurs de la déclaration, les pa rticipants au premier tour de la procédure écrite
estiment que la résolution1244(1999) du Conseil de sécurité (ci-après «la résolution1244») est
toujours en vigueur et qu’elle constitue un élém ent fondamental de l’analyse juridique de la
situation à l’examen. Troisièmement, il est généralement admis que seul un «peuple», dans
l’acception restrictive du terme en droit international, peut disposer du droit à l’autodétermination.
A cet égard, il convient de relever que certains Etats, ainsi que ⎯ fait notable ⎯ les auteurs de la
déclaration eux-mêmes, ont demandé à la Cour de ne pas se pencher sur la question de savoir si les
habitants du Kosovo forment un peuple fondé à exercer son droit à l’autodétermination.
Quatrièmement, à l’exception de l’Albanie et de la France, aucun Etat n’a contesté que la Cour ait
clairement compétence pour rendre un avis consulta tif en la présente espèce. Si certains Etats,
parmi lesquels l’Argentine, se sont expresséme nt intéressés et référés à la question de la
compétence de la Cour ainsi qu’à l’absence de raisons impérieuses susceptibles de la conduire à ne
pas répondre à la demande de l’Assemblée générale , d’autres ont directement examiné la question
au fond, sans s’interroger sur la compétence de la Cour.
4. Cela étant, les points de désaccord suivan ts se dégagent clairement des textes présentés
lors du premier tour de la procédure écrite :
1) la question de savoir qui sont les auteurs de la déclaration ;
2) la portée et l’effet de la déclaration ; - 2 -
3) la question de savoir si le droit international s’applique à la déclaration, y compris la question
de la pertinence de l’intégrité territoriale dans les cas de tentatives de sécession ;
4) l’argument selon lequel le droit international ser ait «neutre» vis-à-vis de la création d’Etats en
général et de la sécession en particulier ;
5)la question de savoir si la population du Kosovo est fondée à exercer un droit à
l’autodétermination, notamment par l’application de la doctrine dite de la «sécession en tant que
réparation» ;
6) la question de savoir si la déclaration est ou no n conforme à la résolution 1244, tant du point de
vue du régime établi par ce texte que de celui de la procédure qu’il prévoit aux fins de
déterminer le statut futur du territoire ;
7) la question de savoir si l’appréciation juridi que demandée à la Cour en réponse à la question
posée par l’Assemblée générale aura un quelconque effet concret.
5. Il convient par ailleurs de relever que, dans certains exposés écrits ainsi que dans la
contribution écrite des auteurs de la déclaration, des efforts considérables ont été déployés pour
éviter toute analyse juridique ou, pire encore, re mplacer une telle analyse par des considérations
d’ordre politique, le plus souvent présentées comme s’il s’agissait de «vérités» irréfutables qui ne
sauraient faire l’objet d’un quelconque examen. L’ Argentine, qui croit en la primauté du droit,
rejette fermement cette conception et cette approche, lesquelles reposent sur le postulat que la force
l’emporte sur le droit. Ce que l’Assemblée générale a demandé à la Cour, c’est une analyse
juridique, et non politique. L’Argentine a toute confia nce dans le rôle de la Cour internationale de
Justice en tant qu’organe judiciaire principal de l’Organisation des Nations Unies.
6. Dans les présentes observations écrites, l’ Argentine se limitera à une brève analyse de
certaines questions particulières. Ayant d’ ores et déjà, dans son propre exposé écrit du
17avril2009, répondu à quelques-uns des argume nts développés dans certains exposés écrits et
dans la contribution écrite des auteurs de la déclarat ion, elle renvoie respectueusement la Cour à ce
document. L’Argentine réserve par ailleurs sa position concernant les aspects ⎯ factuels ou
juridiques ⎯ de la question soumise à la Cour qui ont été traités dans d’autres documents présentés
lors du premier tour de la procédure écrite.
7. Les présentes observations écrites sont divisées en trois parties.
8. Dans la première partie seront brièvement examinés les arguments qui ont été avancés
pour contester la compétence de la Cour et le fait qu’il soit opportun qu’elle donne un avis
consultatif en l’espèce et ce, même si certains de ces arguments ne revêtent pas un caractère
préliminaire. La preuve en est que les deux Etat s qui soutiennent que la Cour n’a pas compétence
se fondent sur les mêmes arguments que ceux qui ont été formulés par d’autres Etats pour affirmer
que la déclaration n’est pas contraire au droit inte rnational, à savoir que la création d’un Etat est
1
une pure question de fait et que la déclaration n’est pas régie par le droit international .
9. La deuxième partie porte sur des questions préliminaires soulevées dans certains exposés
écrits et dans la contribution écrite des auteurs de la déclaration, dans l’intention manifeste d’éviter
1
Voir, d’une part, les exposés écrits de l’Albanie (43-44) et de la France (par.2.4) et, d’autre part, les
exposés écrits du Royaume-Uni (par. 6.65) et des Etats-Unis d’Amérique (p. 52). - 3 -
que soient appliquées à cette dernière ⎯ et, partant, à la situation qu’elle a engendrée ⎯ les règles
pertinentes du droit international. Il s’agit de la question de savoir si les institutions provisoires du
Kosovo étaient ou non les auteurs de la déclaration, de celle de savoir si cette déclaration devrait
faire l’objet d’une analyse juridique fondée sur sa nature juridique et de celle de savoir si le Kosovo
est ou non un «cas particulier».
10. Dans la troisième partie seront plus pa rticulièrement examinées les questions juridiques
pertinentes qui ont été soulevées dans la demande d’ avis consultatif de l’Assemblée générale. Il
s’agit de la question de savoir si la déclarati on est ou non conforme au principe du respect de
l’intégrité territoriale de la Serbie, à la résoluti on 1244 et aux règles du droit international relatives
au règlement pacifique des différends; de la questi on de savoir si la déclaration peut ou non être
justifiée en droit international sur la base de l’ exercice d’un droit à l’autodétermination et, par voie
de conséquence, si les habitants du Kosovo forment un «peuple», selon l’acception restrictive de ce
terme en droit international ; et, enfin, de la ques tion de savoir si les faits qui se sont produits après
le17février2008 ont modifié la situation juridique existant à l’époque de la proclamation de la
déclaration.
S ECTION I :LES ARGUMENTS AVANCÉS AUX FINS DE CONTESTER LA COMPÉTENCE DE LA C OUR
ET L ’OPPORTUNITÉ JUDICIAIRE D ’UN AVIS CONSULTATIF SONT INFONDÉS
11. L’Argentine considère que le fait que l’Assemblée générale ait compétence pour
demander le présent avis consultatif ainsi que le car actère juridique de la question posée sont bien
établis. Aucune raison impérieuse n’empêche la Cour d’exercer sa compétence en matière
2
consultative . Dans la présente section seront formulées des observations sur les arguments
ci-après soulevés par une minorité d’Etats, afin de démontrer qu’ils sont erronés :
A. «La création d’Etats est une pure question de fait qui n’est pas régie par le droit international» ;
B. «L’Assemblée générale n’a aucun intérêt pour agir et ne peut le faire sur cette question» ;
C. «L’avis consultatif n’aura aucun effet pratique».
A. La création d’un Etat est une question de fait et de droit
12. Une pratique régionale et universelle abondante atteste que la création de nouveaux Etats
est régie par le droit international. A cet égard, il suffit de mentionner, entre autres, les exemples
du Katanga, de la Rhodésie, du Biafra, des Bantous tans, de la «République turque de Chypre du
Nord», d’Anjouan, de «Somaliland», des entités serbes de Croatie et de Bosnie-Herzégovine, et des
3
Républiques autonomes de Géorgie ; soit leurs déclarations unila térales d’indépendance ont été
jugées illicites, soit les groupes ayant manifesté la volonté de faire sécession ont été avertis que la
constitution de toute entité ainsi proclamée violerait l’ intégrité territoriale de l’Etat concerné et ne
4
serait pas acceptée . En revanche, le droit international a, ainsi que cela ressort clairement du titre
de la résolution1514(XV) de l’A ssemblée générale des NationsUnies 5, reconnu le droit à la
création de nouveaux Etats lorsque le principe de l’autodétermination est applicable. En
conséquence, les NationsUnies ont activement Œuvré en faveur de la création de l’Etat
2Exposé écrit de l’Argentine, par. 14-38.
3
Voir les résolutions 169 (1961), 216 (1965), 541 (1983), 787 (1992) et 1781 (2007) du Conseil de sécurité des
Nations Unies, et les résolutions 31/6A, 32/105N et 34/93G de l’Assemblée générale des Nations Unies.
4
Voir les résolutions 787 (1992), 1769 (2007) et 1701 (2006) du Conseil de sécurité des Nations Unies.
5Déclaration sur l’octroi de l’indépendance aux pays et aux peuples coloniaux. - 4 -
indépendant de Namibie et reconnu la validité6d’une déclaration unilatérale d’indépendance dans le
cas de la République de Guinée-Bissau . Cela suffit à écarter l’argument selon lequel la création
d’un Etat est exclusivement une question de fait ou que le droit international ne se prononce pas sur
ce sujet. De toute évidence, un tel argument est notamment incompatible avec l’existence de la
résolution 1244, qui régit le Kosovo.
13. De plus, on relèvera en passant que nombre d’Etats qui sont favorables à ce que le
Kosovo fasse sécession de la Serbie et avancent l’argument «des faits» ou celui de la «neutralité du
droit international» ont eux-mêm es évoqué dans leurs exposés écrits certains cas dans lesquels le
droit international a néanmoins joué un rôle et empêché la création d’un nouvel Etat, alors même
que les éléments factuels constitutifs de cette créati on étaient réunis. Selon ces Etats, il en va ainsi
lorsque des règles relatives à l’interdiction de l’empl oi de la force, à la discrimination raciale, à
l’autodétermination, à l’intervention étrangère, au respect des accords internationaux et, plus
généralement, à la violation de normes impératives sont en jeu . Une autre règle pertinente qui n’a
pas été expressément mentionnée par lesdits Etats est le respect de l’intégrité territoriale des Etats.
De même, si certains d’entre eux ont mentionné le cas des accords internationaux contraignants, ils
n’ont pas évoqué celui des résolutions pertinent es des Nations Unies, telles que la résolution 1244,
laquelle s’applique au cas du Kosovo.
B. L’Assemblée générale a un intérêt concret à soumettre la question à la Cour
14. L’article10 de la Charte des Nations Unies offre à l’Assemblée générale un grand
nombre de fondements sur la base desquels elle pe ut avoir un intérêt à soumettre à la Cour la
question de la déclaration d’indépendance du Kos ovo. L’Argentine a souligné la responsabilité
particulière des NationsUnies à l’égard d’un territoire qui a été placé sous administration
internationale. Le fait que l’action du Secrétaire général et de son représentant spécial aux termes
de la résolution 1244 ne puisse pas être pleinement mise en Œuvre parce que la situation n’a pas été
clarifiée sur le plan juridique constitue, pour l’Assemblée générale, un sujet de préoccupation
directe. On peut en dire autant de l’inaction du Conseil de sécurité sur cette question, inaction due
aux positions divergentes parmi se s membres permanents. A cet égard, on rappellera que la
résolution 1244 n’a fixé aucune limite dans le te mps à l’application du régime en question, lequel
⎯ par opposition aux autres opérations des Nations Un ies qui exigent l’adoption par le Conseil de
sécurité de résolutions prolongeant expressément la présence d’une opération internationale ⎯ se 8
9
poursuivra tant que le Conseil de sécurité n’en aura pas décidé autrement . En vertu de l’article 10
de la Charte, l’Assemblée générale «peut discuter toutes questions ou affaires rentrant dans le cadre
de la présente Charte ou se ra pportant aux pouvoirs et fonctions de l’un quelconque des organes
prévus dans la présente Charte». L’Assemb lée générale peut donc recommander aux autres
organes de prendre certaines mesures. Contrairement à ce qui a été allégué, cela n’est en rien
10
contraire au paragraphe1 de l’article12 de la Charte . La Cour elle-même a d’ailleurs eu
6
Résolutions 435 (1978) et 356 (1974) du Conseil de sécuri té des Nations Unies, et résolution 3061 (XXVIII) de
l’Assemblée générale des Nations Unies du 2 novembre 1973.
7
Voir les exposés écrits de l’Estonie (p.4), de la Finl(p.2-3), de la France (par.1.5 et 1.15), de l’Irlande
(par. 22-23) et de l’Allemagne (p. 29-30).
8 Ainsi, les résolutions1079(1996) et 1120 (1997) du Conseil de sécurité ont prolongé le mandat de
l’administration transitoire des NationsUnies pour la Slavoni e orientale, la Baranja et le Srem occidental; la
résolution126(1999) du Conseil de sécurité a prolongé le mand at de l’administration transitoire des NationsUnies au
Timor oriental.
9 Par. 19 du dispositif de la résolution 1244.
10Exposé écrit de l’Albanie, par. 52 ; Exposé écrit de la France, par. 1.28-1.42. - 5 -
11
l’occasion de réfuter un raisonnement similaire . Pour les raisons indiquées dans l’exposé écrit de
l’Argentine, l’Assemblée générale est parfaitement en droit de demander un avis consultatif sur
cette question de nature clairement juridique.
C. L’avis consultatif aura d’importants effets pratiques
15. Au-delà du fait que, ainsi que la Cour l’a déjà précisé, c’est à l’Assemblée générale qu’il
appartient de «décider elle-même de l’utilité d’un avis au regard de ses besoins propres» 12,
l’argument selon lequel l’avis consultatif ne saura it, en la présente instance, avoir un quelconque
effet pratique est un argument pro domo et, plus grave encore, donne à penser que certains Etats
ont l’intention de ne tenir tout simplement aucun compte de cet avis, au cas où il ne confirmerait
pas leurs vues.
16. D’aucuns ont fait valoir que l’avis c onsultatif n’aurait aucun effet au motif que,
indépendamment de la question de 13 la licéité de la déclaration, un «Etat indépendant» appelé
Kosovo continuerait d’exister . Cet argument va même au-delà de la théorie de la «neutralité du
droit international»; il revient purement et simple ment à nier ce droit. Si tel était le cas, cela
signifierait en effet que la réaction internationale à d’autres tentatives séce ssionnistes ayant, par le
passé, défié le droit international aurait, au mie ux, été superflue, et, au pire, illicite, puisque, dès
lors qu’un Etat existe, il a des droits et des obligati ons qui auraient été niés par de telles réactions.
Naturellement, c’est tout le contraire. Si un act e unilatéral ayant pour objet de créer un Etat est
illicite, la seule conséquence juridique possible est qu’il ne produise pas l’effet escompté par ses
auteurs. Il s’agit là d’un fondement essentiel du fonctionnement du droit international comme,
d’ailleurs, de tout système juridique. L’annexion unilatérale illicite d’un territoire n’entraîne aucun
transfert de souveraineté, que l’Etat annexant exerce ou non un contrôle sur le territoire en
question. De même, la dénonciati on unilatérale d’un traité qui n’ est pas conforme au droit des
traités n’emporte pas la terminaison du traité en question. On pourrait multiplier les exemples.
17. Il est frappant de constater que cette pos ition, qui a été a14ptée par des Etats tels que
l’Albanie, la France, le Royaume-Uni et les Etats-Unis d’Amérique , repose sur le postulat qu’un
Etat indépendant existe bel et bien, alors même que cette revendication est au cŒur de la question
15
soulevée par l’Assemblée générale . Ainsi qu’il a été indiqué da ns l’exposé écrit de l’Argentine ,
ni les conditions factuelles ni les conditions juridiques de l’existence d’un Etat ne sont réunies dans
le cas du Kosovo.
18. Contrairement à ce que certains Etats affi rment, exprimant ainsi leur dessein politique
consistant à imposer une solution donnée à une situ ation régie par les Nations Unies, la prétendue
existence d’une «République du Kosovo» n’est pas un «fait irréversible». Si la déclaration n’est
pas conforme au droit international ⎯ce qui, bien entendu, est le cas ⎯, l’avis consultatif aura
concrètement pour effet que les institutions provis oires du Kosovo continueront d’être traitées par
les NationsUnies de la manière prévue dans le cadre constitutionnel adopt é par le représentant
spécial du Secrétaire général, que celui-ci devra exercer pleinement les fonctions qui lui ont été
11Voir Conséquences juridiques de l’édification d’un mur dans le territoire pales tinien occupé, avis consultatif,
C.I.J. Recueil 2004, p. 150, par. 28.
12Licéité de la menace ou de l’emploi d’armes nucléaires, avis consultatif, C.I.J. Recueil 1996, p. 237, par. 16.
13
Exposé écrit de la France, par. 2.4.
14Exposé écrit de l’Albanie, par.43- 44; exposé écrit de la France, par.2.4; exposé écrits du Royaume-Uni,
par. 6.65 ; exposé écrits des Etats-Unis d’Amérique, p. 52.
15Exposé écrit de l’Argentine, par. 115-131. Voir également l’exposé écrit de la Serbie, par. 943-985. - 6 -
déléguées par le Secrétaire général conformément à la résolution1244, que le processus politique
visant à déterminer le statut futur du Kosovo re prendra et, autrement dit, que la résolution1244
⎯une résolution contraignante qui, ainsi que l’ admettent même les Etats qui ont reconnu la
prétendue «République du Kosovo», est toujours en vigueur ⎯ sera effectivement appliquée en
tous points.
19. Le fait que d’autres déclarations unilaté rales d’indépendance qui n’ont pas été faites
conformément au droit international aient, par la suite, été infirmées de facto, atteste qu’une
tentative de créer un nouvel Etat dans des circonstances contraires au droit international n’engendre
pas un «fait irréversible», et que les arguments sel on lesquels le prétendu nouvel Etat est un fait
accompli sont, par nature, erronés. Les cas d’Anjouan et d’Aceh en témoignent.
20. Le gouvernement local d’Anjouan, une des îles composant l’Union des Comores
(anciennement la République fé dérale islamique des Comores), déclara unilatéralement son
indépendance le 3août1997. Cette déclaration fut suivie d’un référendum, les participants se
prononçant à99,88% en faveur de l’indépendance. Le gouvernem ent local exerça un contrôle
effectif sur l’île et parvint même à faire échec à une opération militaire lancée par le gouvernement
central pour mettre fin au mouvement séparatiste. Cette situation dura quatreans, jusqu’à la
conclusion, sous les auspices de l’Organisation de l’unité africaine, d’un accord interne entre les
autorités centrales et locales conférant à Anjouan une autonomie accrue . 16
21. La déclaration unilatérale d’indé pendance de BandA a ceh fut proclamée
le 4 décembre 1974 . La longue guerre civile qui s’ensuivit ne prit fin que le 15 août 2005, avec la
18
signature d’un mémorandum d’accord conclu sous les auspices du médiateur Martii Ahtisaari, qui
proposa une large autonomie pour la région tout en maintenant la souveraineté de l’Indonésie et ce,
bien que les forces armées indonésiennes se fusse nt retirées du territoire. Une mission de
surveillance constituée par les pays contributeurs de l’Union européenne et de l’ASEAN fut
également mise en place.
22. Qualifier la situation du Kosovo de «fait irréversible» est d’autant plus surprenant qu’elle
se caractérise concrètement par une forte présence in ternationale ayant une autorité prépondérante,
présence qui trouve son origine juridique dans la résolution1244, et non dans une prétendue
autorisation donnée par un soi-disant «Etat indépendant». Il convient d’ajouter que la majorité des
Etats ne reconnaissent pas l’existence d’un nouvel Etat souverain, que le régime international établi
par la résolution 1244 ne peut prendre fin que par l’adoption d’une nouvelle résolution du Conseil
de sécurité et que l’Etat souverain, la Serbie , a toujours défendu la position selon laquelle il
n’accepterait pas une déclaration unilatérale d’indépe ndance. Il convient enfin de mentionner les
quelque 200 000 personnes qui ont été déplacées du Kosovo vers d’autres parties de la Serbie, ainsi
que vers d’autres pays, et dont le droit au retour a été reconnu par les Nations Unies, même si son
exercice n’a pas encore été rendu possible. De plus, dans certaines pa rties de la province du
Kosovo, les institutions provisoires n’exercent plus leur autorité depuis qu’elles ont commencé à
prétendre agir en tant qu’organes d’un Etat i ndépendant. On est donc bien loin d’un «fait
irréversible». Non seulement la déclaration n’a pas mis fin au régime international établi par la
16
Voir A.Oraison, «L’obligation de non-reconnaissance de l’Etat d’Anjouan (Les problèmes posés par la
nouvelle balkanisation de la République fédérole islamique des Comores)», Revue de droit inter national, de sciences
diplomatiques et politiques, 1998, vo. 6 n 2, p. 159-183 ; F. Ouguergouz et D.LT. ehindrazanarivelo, «La
problématique de la sécession en Afri que», in M. G. Kohen (dir. publ.), Secession. International Law Perspectives
(Cambridge : CUP, 2006), p. 270-271.
17
Texte anglais disponible sur le site Internet http ://acehnet.tripod.com/declare.htm.
18Texte anglais disponible sur le site Internet http ://www.cmi.fi/files/Aceh_MoU.pdf. - 7 -
résolution1244, mais elle a sérieusement comp romis les chances de parvenir à un règlement
durable et juste du conflit.
23. De toute évidence, le fait que la Cour form ule un avis juridique sur la situation née de la
déclaration aidera les organes des NationsUnies à exercer leurs fonctions et permettra aux Etats
Membres d’adapter leur action po litique à l’égard du Kosovo en tenant dûment compte du droit
international. A cet égard, la thèse selon laquelle l’avis consultatif de la Cour «pourrait avoir des
conséquences politiques regrettables, notamment celle d’envenimer la situation en cristallisant les
positions des uns et des autres» 19est particulièrement malencontreuse. Bien au contraire, ce qui
fait défaut dans la situation actue lle, c’est un avis juridique ainsi que la volonté de certains acteurs
d’agir en conformité avec le dr oit international. Du point de vue des NationsUnies, l’avis
consultatif aidera ses organes politiques à dissiper l’incertitude juridique dans laquelle leur action
se déroule actuellement. La prétendue politique de neutralité des NationsUnies à l’égard de la
déclaration, si elle perdure, contribuera à entretenir un conflit sans aucune perspective de parvenir à
une solution et ce, alors même que les Nations Unies assument une responsabilité directe sur la
base d’une résolution adoptée en vertu du chapitre VII de la Charte.
20
24. L’idée qu’un avis consultatif «mena cer[a] l’équilibre trouvé sur le terrain» est erronée
pour deux raisons simples: premièrement, on voit mal comment un tel avis dans lequel la Cour
donne une réponse juridique pourrait constituer une quelconque menace (sauf pour la thèse de ceux
qui ont choisi l’illicéité) et, deuxièmement, le fait de qualifier d’«équilib re» la situation actuelle au
Kosovo semble pour le moins étrange, sachant que de très graves problèmes (impossibilité de facto
du retour des personnes déplacées, séparation ethniqu e, absence d’un pouvoir judiciaire efficace et
équitable, impossibilité de connaître le sort d es personnes portées disparues et autres difficultés
mentionnées dans les récents rapports du Secrétaire général) 21 n’ont toujours pas été réglés et ont
été aggravés par la déclaration.
S ECTION II : LES ARGUMENTS CONÇUS POUR ÉVITER QUE LA DÉCLARATION NE FASSE L ’OBJET
D ’UNE ANALYSE JURIDIQUE DOIVENT ÊTRE ÉCARTÉS
25. Dans cette section sont examinés certains arguments formulés dans l’intention d’éviter
toute analyse juridique de la déclaration, argum ents qui reconnaissent toutefois implicitement que
cette dernière n’est pas conforme au droit international. Il s’agit de :
A. l’argument selon lequel les institutions provisoir es du Kosovo ne sont pas les auteurs de la
déclaration ;
B. l’argument selon lequel la déclaration n’est qu ’une simple déclaration d’intention sans aucune
conséquence juridique ;
C. l’argument selon lequel le Kosovo est un cas sui generis.
19Exposé écrit de la France, par. 1.18.
20Exposé écrit de la France, par. 1.19.
21
Rapport du Secrétaire général sur la Mission d’administration intérimaire des NationsUnies au Kosovo,
Nations Unies, doc. S/2009/300 (10 juin 2009) ; Rapport du Secrétaire général sur la Mission d’administration
intérimaire des Nations Unies au Kosovo, Nations Unies, doc. S/2009/149 (17 mars 2009) ; Rapport du Secrétaire général
sur la Mission d’administra tion intérimaire des NationsUnies au Kosovo, NationsUnies, do. /2008/6922
(4novembre2008); Rapport du Secrétaire général sur la Mission d’administration intéri maire des NationsUnies au
Kosovo, Nations Unies, doc. S/2008/458 (15 juillet 2008) ; Rapport du Secrétaire général sur la Mission d’administration
intérimaire des Nations Unies au Kosovo, Nations Unies, doc. S/2008/211 (28 mars 2008). - 8 -
A. Les auteurs de la déclaration sont incontestablement les institutions provisoires
26. Contrairement aux nombreux éléments de preuve et au constat factuel fait par
l’Assemblée générale dans le lib ellé de la question même qu’elle a soumise à la Cour, certains
Etats, ainsi que les auteurs de la déclarati on, ont avancé l’idée que celle-ci n’avait pas été
proclamée par les institutions provisoires, ma is par «les représentants» d’un prétendu «peuple
kosovar» 22. De toute évidence, il s’agit là d’une tent ative visant à éviter qu’une réponse simple ne
soit donnée à la question soulevée par l’Assemblé e générale, puisqu’il est manifeste que les
institutions provisoires, qui ont ét é créées par l’Organisation des Na tionsUnies dans le cadre de
l’administration internationale d’un territoire, ne sauraient unilatéralement mettre fin au régime
établi par la résolution 1244 et porter atteinte à l’intégrité territoriale d’un Etat Membre de
l’Organisation.
23
27. Des éléments de preuve irréfutables émanant des Nations Unies , des auteurs de la
déclaration eux-mêmes 24 ainsi que des Etats ayant reconnu la prétendue «République du Kosovo» 25
attestent que la déclaration a été adoptée par l’Assemblée du Kosovo et entérinée par le président et
le premier ministre, ces organes faisant tous trois partie des institutions provisoires. Aussitôt après
l’adoption de la déclaration, lesdits organes ont entendu cesser d’agir en tant qu’institutions
provisoires, considérant qu’ils agissaient désorm ais en qualité d’assemblée, de président et de
premier ministre d’un prétendu «nouvel Etat indépe ndant». A cet égard, il convient de relever
qu’aucune élection n’a été organisée pour désigner les personnes assurant les fonctions de membres
de l’assemblée, le président ou le premier ministre de ce prétendu «nouvel Etat» et ce, pour la
simple raison qu’ils avaient déjà été élus en tant qu’organes des institutions provisoires et
22
Contribution écrite des auteurs de la déclaration, par. 6.01.
23
Rapport du Secrétaire général sur la Mission d’admi nistration intérimaire des NationsUnies au Kosovo,
Nations Unies, doc. S/2008/211 (28 mars 2008), par. 3.
24Contribution écrite des auteurs de la déclaration, annexe 2, p. 227.
25Reconnaissance par l’Albanie, déclaration du premier ministre : «[a] u vu de la déclaration du 21 octobre 1991
de l’assemblée de l’Albanie, conf ormément à la décision du 17 février 2008 de l’assemblée du Kosovo portant
déclaration d’indépendance…», texte disponible sur le site Internet http: //www.keshilliministrave.al/
index.php?fq=brendaandm=newsandlid=7323andgj=gj2, également disponible sur le site http://www.
kosovothanksyou.cod; reconnaissance par le Danemark, communiqué de presse: «[l]e 17 février 2008, l’assemblée du
Kosovo a déclaré l’indépendance du Kosovo», texte disponible sur le site Internet
http://www.um.dk/en/servicemenu/News/NewsArchives2008/DenmarkRecognizes… ;
reconnaissance par l’Estonie, communiqué de presse : «[l]’assemblée du Kosovo a, le 17 février, déclaré l’indépendance
de la province par rapport à la Serbie», texte disponible sr le site Internet http:// www.vm.ee/eng/kat_138/9350.html ;
Pressemitteilung der Bundesregierung Nr. 51, Zustimmung des Kabinetts zur volkerrechtlichen Anerkennung des Kosovo
vom 20.02.2008: «Am 17. Februar 2008 hat die Pa rlamentarische Versammlung in Pristina eine
Unabhängigkeitserklärung verabschiedet.» , texte disponible sur le site Internet
http://www.bundesregierung.de/nn_1264/Content/DE/Pressemitteilungen/BPA…
sovo.htm1; reconnaissance par l’Irla nde, communiqué de presse: «[l]a r econnaissance du Kosovo par décision
gouvernementale fait suite à une déclarat ion d’indépendance adoptée le 17 févr ier par l’assemblée du Kosovo», texte
disponible sur le site Internet http:/ /foreignaffairs.gov.ie/home/index.asvx?id=42938 ; reconnaissance par la Lettonie,
communiqué de presse : «[r]espectant la déclaration adoptée le 17 février par l’assemblée de la République du Kosovo, la
République de Lettonie reconnaît l’indépendance de la République du Kosovo», texte disponible sur le site
Internet http://www.mfa.gov.1v/en/news/press-releases/2008/february/20-4/ ; reconnaissance par la Lituanie, résolution:
«la déclaration d’indépendance du Kosovo adoptée par l’ assemblée du Kosovo le 17 févr ier 2008 et proclamant le
Kosovo Etat indépendant et souverain…», texte disponible sur le site Internet http ://www3.lrs.lt/docs2/JISENYRJ.DOC ;
reconnaissance par la Norvège, [original anglais]: «[p]ar votre lettre en date du 17 février 2008, vous avez informé le
Gouvernement de Norvège de la décision prise par l’Asse mblée du Kosovo de proclamer l’indépendance du Kosovo»;
exposé écrit de la Norvège, annexe 3; reconnaissance par la Pologne, communiqué de pr esse: «[l]e 17 février 2008,
l’assemblé nationale du Kosovo a adopté une déclaration d’indépendance», text e disponible sur le site Internet
http://www.premier.gov.pl/English/s.php?id=l793; reconnaissance par la Suisse, communiqué de presse, «le conseil
fédéral a pris note de la déclaration d’indépendance adoptée par l’assemblée du Kosovo le 17 février 2008…», disponible
sur le site Internet http://www.eda.admin.ch/eda/en/home/ recent/media/single.html?id=l7497; reconnaissance par la
Suède, communiqué de presse : «le 17 février, l’assemblée du Kosovo a adopté une résolution déclarant l’indépendance
du Kosovo», disponible sur le site Internet http://www.sweden.gov.se/sb/d/l0358/a/99714 . - 9 -
agissaient en cette qualité. De toute évidence, l’adoption de la déclaration entraînait, selon ses
auteurs, un changement de leur statut juridique, et ils se considéraient désormais comme étant les
représentants d’un nouvel Etat s ouverain, mettant de ce fait fin à la souveraineté serbe et à
l’administration du territoire par les Nations Unies.
B. La déclaration est un acte visant à produire certains effets juridiques et
peut faire l’objet d’une analyse juridique
28. Il a été soutenu que la déclaration en elle-même ne produisait aucun effet juridique
puisqu’elle n’était qu’une partie d’un processus complexe conduisant à la création d’un nouvel Etat
26
indépendant . Là encore, il s’agit d’une tentative visa nt à éviter que soit analysée, au regard du
droit international, la prétendue création d’un so i-disant nouvel Etat. D’après son libellé même, la
déclaration marque le point de départ de l’existence d’un prétendu «nouvel Etat». Ainsi qu’il a été
indiqué ci-dessus, les institutions provisoires ont , après son adoption, commencé à agir comme si
elles étaient les organes d’un nouvel Etat. S’il existait un processus visant à entraîner la création
d’un prétendu «nouvel Etat», alors la déclaration est censée en constituer le terme ; par conséquent,
son analyse juridique sert à déterminer si l’«Etat indépendant» qui a été proclamé existe ou non.
29. Les Etats qui soutiennent aujourd’hui que la déclaration est dépourvue d’effet juridique
ont néanmoins estimé qu’elle marquait le début de l’existence d’un nouvel Etat, étant donné que la
prétendue «République du Kosovo» est tenue par les engagements qu’e lle a contractés dans ladite
déclaration.
30. La Norvège, dans son exposé écrit, était consciente de la contradiction consistant à tenter
de priver la déclaration du 17 février 2008 de tout effet juridique, tout en considérant qu’elle avait
créé des engagements obligatoires pour le prét endu «nouvelEtat». Afin d’échapper à cette
contradiction, elle a présenté un argument alambiqué, estimant que la déclaration
«en tant que telle n’était pas consid érée comme une déclaration unilatérale
juridiquement contraignante en vertu du dro it international. Néanmoins, dans la
mesure où il y était fait référence ultérieu rement par des représentants autorisés d’un
Etat [à savoir le prétendu «nouvel Etat» du Kosovo], elle fut considérée comme faisant
partie d’une déclaration unilatérale contra ignante en droit international dans les
27
circonstances extraordinaires qui régnaient alors.»
Pour le dire simplement, selon la Norvège, la déclaration des institutions provisoires du Kosovo
n’était pas un acte contraignant en droit internati onal, mais elle a créé un nouvel Etat ; les autorités
de ce dernier s’y sont aussitôt référées ⎯ ainsi qu’aux engagements qu’elle contenait ⎯, et elle est
alors devenue un acte unilatéral cont raignant en droit international 2. Il s’agit là d’une analyse
purement pro domo, dont l’unique objet est d’éviter toute analyse juridique de la question qui est
au cŒur même de la déclaration ⎯la création de l’Etat ⎯, tout en considérant que le reste du
contenu de ce document a un caractère contraignant.
26Exposé écrit de la République thèque, p. 6 ; contribution écrite des auteurs de la déclaration, par. 8.11.
27Exposé écrit de la Norvège, annexe 1.
28
Le décret royal norvégien adopté par le roi en conseil des ministres le 28ma rs2008 et reconnaissant la
«République du Kosovo» lui-même est en contradiction avec l’analyse juridique présentée dans l’e xposé écrit de la
Norvège. Dans le décret royal, il est indiqué: «[l] a déclaration d’indépendance fut adressée, entre autres, au
Gouvernement norvégien par le chef d’Etat et le premier ministre [correction du traducteur] de l’Etat proclamé. En droit
international, il y a lieu de considérer une telle communication, accompagnée du document joint, comme une déclaration
unilatérale contraignante dans le cadre de la reconnaissance.» Exposé écrit de la Norvège, annexe 1 (les italiques sont de
nous). - 10 -
31. Dans le même ordre d’idées, l’Albanie a présenté l’argument extravagant selon lequel
«[u]ne déclaration d’indépendance, si elle pr oduit des effets au niveau international et
a des conséquences internationales, n’en est pas pour autant régie par le droit
international. Il n’est donc pas possible de répondre normalement à la question et de
dire si une déclaration d’indépendance est c onforme au droit international. A ce titre,
la question de savoir si une déclaration d’indépendance marque la naissance d’un
Etat souverain est une affaire qui relève essentiellement de la compétence nationale
d’un Etat, au sens de l’article 2, paragraphe 7, de la Charte des Nations Unies.» 29
Si l’on suit l’argument formulé par l’Albanie, le Conseil de sécurité a eu tort de condamner les
déclarations d’indépendance du Kata nga, de la Rhodésie et de la République turque de Chypre du
Nord, et ces condamnations ont constitué des viola tions de leurs «compéte nces nationales». On
pourrait en dire autant, par exemple, de la position adoptée par l’OUA vis-à-vis du Biafra,
d’Anjouan ou de Somaliland.
32. La déclaration étant un acte qui, selon ses auteurs et ceux qui ont reconnu un prétendu
nouvel «Etat» indépendant, a produit des effets juri diques, elle peut et doit être examinée sous
l’angle de sa conformité au droit international.
C. Le caractère sui generis du Kosovo découle des résolutions pertinentes des Nations Unies,
et non de certains pouvoirs particuliers
33. Certains Etats soutiennent, da30 leurs exposés écrits, que le Kosovo est un cas sui generis
et ne saurait constituer un précédent . Dans la déclaration elle-même, il est précisé que le Kosovo
est un «cas sui generis» et qu’il «ne constitue aucunement un précédent pour une quelconque autre
situation». Il ressort clairement de ces docum ents que la prétendue indépendance du Kosovo est
dépourvue de tout fondement juridique et que, souhaitant imposer une situation illicite, leurs
auteurs tentent d’éviter que ce qui constituera it un précédent fâcheux ait de nouveaux effets
indirects.
34. S’il se peut que le Kosovo soit un cas «exceptionnel», «particulier» ou «sui generis», ce
n’est cependant pas parce qu’un groupe d’Etats ou les auteurs de la déclaration l’ont ainsi
qualifié , mais parce que les Nations Unies, en établi ssant le régime adopté par la résolution 1244,
ont jugé qu’il s’agissait d’un cas «exceptionnel», «particulier» et «sui generis». Ledit régime est
caractérisé par, premièrement, l’établissement d’une administration internationale sur une partie du
territoire d’un Etat Membre, tout en préservant l’intégrité territoriale de cet Etat ; deuxièmement, un
processus politique ayant pour but de déterminer le statut futur du territoire ; troisièmement, le fait
que ce régime et ce processus ne puissent pre ndre fin que par une nouvelle décision du Conseil de
sécurité prise en vertu du chapitre VII de la Charte . 32
29
Exposé écrit de l’Albanie, par. 47.
30 Ibid., par. 95; exposé écrit du Danemark, par. 2.4; exposéécrit de l’Estonie, p.11-12; exposé écrit de la
France, par.2.17; exposé écrit de l’Allemagne, p.26-27; e xposé écrit de l’Irlande, par.33; exposé écrit du Japon, p.5
et 8 ; exposé écrit de la Lettonie, p. 2 ; exposé écrit du Luxe mbourg, par. 6 ; exposé écrit des Maldives, p. 1 ; exposé écrit
de la Pologne, par. 5.2 ; exposé écrit de la Slovénie, p. 2 ; exposé écrit du Royaume-Uni, par. 0.22.
31Au sujet de l’argument selon lequel le Kosovo ne constitue pas un précédent, voir l’exposé écrit de l’Argentine,
par. 60.
32Exposé écrit de l’Argentine, par. 69. - 11 -
35. L’argument du cas « sui generis» n’est donc d’aucun secours pour les sécessionnistes du
Kosovo et leurs partisans. Bien au contraire, il impose le strict respect du régime et des moyens de
règlement du conflit «exceptionnels», «particuliers» et «uniques» établis par les Nations Unies, ce
que la déclaration conteste et ce dont elle s’affranchit.
S ECTION III :LA DÉCLARATION CONSTITUE UNE VIOLATION DE CERTAINES RÈGLES
PERTINENTES DU DROIT INTERNATIONAL ET , PARTANT , EST NULLE ET
NE PRODUIT PAS LES EFFETS QUI LUI SONT PRÊTÉS
36. Dans la présente section seront examin és des arguments avancés dans certains exposés
écrits ainsi que dans la contribution écrite des aute urs de la déclaration re lativement au fond de la
question soulevée par l’Assemblée générale. Il y sera souligné que la déclaration n’est pas
conforme au principe du respect de l’ intégrité territoriale de la Serbie (A), à la résolution 1244 (B)
et aux règles relatives au règlement pacifique des différends (C). Il y sera en outre démontré que la
déclaration ne saurait être justifiée pa r le principe de l’autodétermination (D) et que la situation
juridique existant à l’époque de sa proclamati on n’a pas été modifiée par des faits qui se sont
produits après le 17 février 2008, ce qui n’aurait d’ailleurs pas pu être le cas.
A. Tous les Etats, ainsi que les institutions provisoires, doivent respecter l’intégrité
territoriale de la Serbie, la déclaration constituant une violation
de cette obligation
37. Il ne fait aucun doute que l’indépendance d’une partie du territoire souverain d’un Etat
existant implique la perte de la souveraineté de ce dernier sur ce territoire. Si cela se produit sans
le consentement de l’Etat concerné, cela revient à porter atteinte à son intégrité territoriale. En fait,
il ne saurait y avoir violation plus importante de l’ obligation de respecter l’intégrité territoriale des
Etats que de tenter de priver un Etat de son te rritoire sans son consentement. Bien évidemment,
cela ne s’applique pas à la création d’Etats par le processus de décolonisation, dès lors que «[l]e
territoire d’une colonie ou d’un autre territoire non autonome possède, en vertu de la Charte, un
statut séparé et distinct de celui du territoire de l’Etat qui l’administre» .
38. Les Etats qui soutiennent la sécession du Koso vo, ainsi que les auteurs de la déclaration,
rejettent le principe du respect de l’intégrité terr itoriale de la Serbie, affirmant en général que ce
principe ne s’applique pas aux acteurs non étatiqu es. Ils soutiennent également que le respect de
l’intégrité territoriale de la RFY (aujourd’hui la Serbie) n’est mentionné que dans le préambule de
la résolution 1244 et en ce qui concerne la période transitoire, et non en ce qui concerne le résultat
du processus conduisant à la détermination du statut futur du Kosovo. Ils avancent en outre que la
référence explicite à l’intégrité territoriale de la RFY contenue dans le préambule de la
résolution 1244 n’a qu’un effet limité, puisque le préambule est une «clause non contraignante» . 34
39. L’Argentine rappellera ce qu’elle a dém ontré dans son exposé écrit, à savoir que les
NationsUnies ont pour pratique d’invoquer le prin cipe du respect de l’intégrité territoriale des
35
Etats vis-à-vis des parties non étatiques à des conflits internes . Si le Conseil de sécurité a agi de
la sorte, c’est parce qu’il considère que ce principe est applicable en pareilles circonstances.
33
Déclaration relative aux principes du droit international touchant les relations amicales, résolution 2625 (XXV)
de l’Assemblée générale des Nations Unies.
34
Contribution écrite des auteurs de la déclaration, par. 9.05.
35Exposé écrit de l’Argentine, par. 75-82. - 12 -
40. La pratique de l’Assemblée générale conf irme elle aussi qu’il est porté atteinte au
principe de l’intégrité territoriale lorsqu’on ente nd créer un nouvel Etat à partir du territoire d’un
Etat existant. A cet égard, le cas des Bantousta ns mentionnés ci-après est éloquent. Alors qu’ils
sont généralement présentés comme des exemples de création illicite d’Etat s au seul motif qu’ils
contrevenaient aux règles interdisant l’apartheid et imposant le respect des droits de l’homme, tel
ne fut pas, en réalité, l’unique fondement invoqué par l’Assemblée générale pour juger invalide les
déclarations d’indépendance du Transkei, du Bop huthatswana et du Venda. Ainsi l’Assemblée
générale a-t-elle également déno ncé le fait que la création des Bantoustans avait pour objet «de
détruire l’intégrité territoriale du pays», tout en réaffirmant «les droits inaliénables de la population
africaine d’Afrique du Sud dans le pays tout entier» . 36
41. En ce qui concerne la résolution 1244, l’argument exposé par certains Etats et les auteurs
de la déclaration est plutôt curieux. Il laisse entendre que le Conseil de sécurité aurait pu modifier
la portée de ce principe fondamental. Il laisse également entendre que, s’il est fait référence au
respect de l’intégrité territoriale de la RFY (aujour d’hui la Serbie) dans la résolution, ce n’est pas
pour le garantir, mais, au contraire, pour en limite r la portée : ce principe ne serait applicable que
pendant la période transitoire. Cette interpréta tion surprenante est en contradiction flagrante avec
l’objet dudit principe, et elle conduit à un résu ltat absurde qui ne correspond certainement pas à
l’intention de ses auteurs. De plus, si ces dernie rs avaient à l’esprit la possibilité que le processus
de détermination du statut futur puisse, en fin de compte, aboutir à l’indépendance, cela ne
nécessitait nullement de porter atteinte au principe de l’intégrité territoriale. Un tel résultat exige le
consentement de la Serbie. Si un Etat cède une portion de son territoir e ou accepte, de quelque
autre manière, la création d’un nouvel Etat sur son territoire, il n’est nullement porté atteinte à son
intégrité territoriale. Mais tel n’est pas le cas en l’espèce.
42. En réalité, le Conseil de sécurité a confirmé que le principe du respect de l’intégrité
territoriale des Etats s’appliquait à la situation particulière du Kosovo. Cette confirmation était
d’autant plus nécessaire qu’une administration in ternationale et un mécanisme de règlement d’un
conflit relatifs au territoire d’un Etat Membre étaient en jeu.
43. Dans le préambule de la résolution 1244 sont énoncés les fondements du régime que
celle-ci a établi. Dès lors, la valeur probante dud it préambule aux fins de l’interprétation de l’objet
et du but de la résolution est incontestable. La même observation que celle qui a été formulée au
sujet du préambule de la Charte des Nations Unies à la conférence de San Francisco s’applique en
effet au préambule des résolutions des NationsUn ies: «[l]es dispositions de la Charte, étant
indivisibles dans ce cas comme dans celui de tout autre document juridique, ont la même valeur et
sont également opérantes. Les droits, devoirs, priv ilèges et obligations de l’Organisation et de ses
membres s’accordent et se complètent réciproque ment pour former un tout. Chacun doit être
37
interprété de manière à être compris et appliqué en fonction des autres» .
44. La Cour a déjà eu l’occasion de recourir à des passages de préambules de résolutions du
Conseil de sécurité et de l’Assemblée générale pour déterminer la portée de certaines obligations
36
Résolution 34/93G de l’Assemblée gé nérale des NationsUnies. Voir également les résolutions31/6A
et 32/105N de l’Assemblée générale des Nations Unies.
37Rapport du rapporteur du comité1 à la commissionI, (1945)VI, Conférence des NationsUnies sur
l’organisation internationale, 13 juin 1945, doc. 944, p. 465. - 13 -
38
internationales . Elle a également, dans une série d’affaires, souligné l’importance des préambules
des traités.
45. En l’affaire relative aux Droits des ressortissants des Etats-Unis d’Amérique au Maroc ,
la Cour a indiqué :
«[a]insi, ce principe, pour son application au Maroc, était déjà bien établi quand la
conférence l’a réaffirmé et l’a inséré dans le préambule de l’acte de1906. Vu à la
lumière des circonstances précitées, le principe apparaît clairement comme ayant été 39
destiné à avoir le caractère d’une obligation, et non à rester seulement formule vide.»
46. En l’affaire relative à la Souveraineté sur certain es parcelles frontalières , la Cour a
estimé qu’une commission mixte de délimitation avait le pouvoir de délimiter les zones en litige
sur la base du traité de Londres du 19 avril 1839, précisant que :
«[c]ela est confirmé par le préambul e de la Convention de délimitation du
8août1843, qui s’exprime en ces termes: «le Roi des Pays-bas…et…le Roi des
Belges, prenant en considération le traité du 19 avril 1839, et voulant régler et arrêter
tout ce qui a rapport à la délimitation...». Ceci représente l’intention commune des
deux Etats. Toute interprétation qui fera it tenir la convention de délimitation comme
laissant en suspens et abandonnant à une appréciation ultérieure du statu quo la
détermination de l’appartenance à l’un ou l’autre Etat des parcelles litigieuses, serait
40
incompatible avec cette intention commune.»
47. En l’affaire du Différend territorial (Jamahiriya arabe libyenne/Tchad), la Cour a utilisé
le préambule d’un traité de1955 a ux fins de déterminer l’objet et le but de cet instrument et de
confirmer l’interprétation qu’elle en avait faite . 41
48. Ces considérations sont tout à fait app licables à la thèse du respect de l’intégrité
territoriale de la République fédérale de Yougoslavie (aujourd’hui la Serbie).
49. En conséquence, le principe du respect de l’intégrité territoriale des Etats s’applique au
cas du Kosovo, ce que la résolution1244 confirme et garantit. Or, la déclaration constitue une
violation flagrante de ce principe.
38 Application de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Bosnie-Herzégovine
c. Serbie-et-Monténégro), arrêt, C.I.J.Recueil2007, par.190, 275, 301, 302, 303; Conséquences juridiques de
l’édification d’un mur dans le territoire palestinien occupé, avis consultatifdu 9juillet2004, C.I.J.Recueil2004 ,
par. 118 ; Délimitation maritime en mer Noire (Roumanie c. Ukraine), arrêt du 3 février 2009, par. 63.
39 Droits des ressortissants des Etats-Unis d’Amérique au Maroc (France c.Etats-Unis d’Amérique), arrêt,
C.I.J. Recueil 1952, p.183-184. Voir également la référence au co mpromis conclu par les Parties en l’affaire du
Différend frontalier (Burkina Faso/République du Mali), arrêt, C.I.J. Recueil 1986, p. 564, par. 19.
40 Souveraineté sur certaines parcelles frontalières (Belgique/Pays-Bas), arrêt, C.I.J. Recueil 1959, p.221-222.
Voir également Différend territorial (Jamahiriya arabe libyenne/Tchad), arrêt, C.I.J. Recueil 1994, p. 24, par. 47.
41 Différend territorial (Jamahiriya arabe libyenne/Tchad), arrêt, C.I.J. Recueil 1994, p. 25-26, par. 52. - 14 -
B. La déclaration des institutions provisoires du Kosovo constitue une violation flagrante
de la résolution 1244
50. Dans son exposé écrit, l’Argentine a d’ores et déjà énoncé les raisons pour lesquelles la
déclaration constitue une grave violation de la 42ésolution1244, en ce qu’elle méconnaît les
fonctions et responsabilités du Conseil de sécurité . L’affirmation selon laquelle les auteurs de la
déclaration n’étaient pas les ins titutions provisoires, qui a pour but d’éviter de parvenir à cette
conclusion simple, est erronée et vaine. Le régime des Nations Unies établi par la résolution 1244
s’applique en effet à tout un chacun au Kosovo, et les institutions provisoires ⎯ ainsi, d’ailleurs,
que toute communauté, tout par ti politique, groupe ou individu ⎯ n’avaient pas le pouvoir de
proclamer une déclaration d’indépendance et étaient soumises au régime de ladite résolution.
51. De toute évidence, une décision unilatérale prise par une des parties au conflit ne saurait
modifier le régime établi par le Conseil de sécurité (administration et forces de sécurité de
laMINUK/KFOR) ni préjuger l’issue des né gociations. La Serbie ne pouvait mettre
unilatéralement fin à la présence internationale au Kosovo établie en vertu d’une résolution du
Conseil de sécurité. De même, les institutions provisoires et toute autre entité au Kosovo ne
sauraient mettre fin à cette administration ni à la souveraineté serbe sur le territoire.
C. La déclaration contrevient gravement aux obligations existantes liées au
processus de négociation
52. Il a été soutenu que les négociations mené es dans le cadre établi par la résolution1244
étaient dans l’impasse et qu’il serait vain de l es poursuivre. Quand bien même cette affirmation
serait juste (ce qui n’est pas le cas, voir l’exposé écrit de l’Argentine, par. 124), cela ne permettrait
pas d’étayer la thèse selon laquelle la déclaration est conforme au droit international. C’est en effet
au Conseil de sécurité qu’il appar tiendrait de déterminer les nouvell es mesures à prendre. Le fait
que des négociations soient dans l’impasse n’au torise nullement une partie à imposer sa position à
l’autre ni à se soustraire à l’obligation de régler le différend par des moyens pacifiques.
53. Il a été affirmé que, «[l]orsque les possi bilités d’un règlement bilatéral négocié ont été
épuisées, et qu’aucune nouvelle négociation n’a été ordonnée, par le Conseil de sécurité par
exemple, il n’existe aucune règle générale du droit international exigeant la poursuite des
43
négociations» . Cette affirmation est erronée, tant d’un point de vue général que, plus
particulièrement, dans le cas du Kosovo.
54. L’Argentine a déjà cité le principe généra l énoncé dans la déclaration de Manille sur le
règlement pacifique des différends internationaux selon lequel,
«[a]u cas où les parties à un différend ne parviendraient pas rapidement à une solution
par l’un des moyens susmentionnés, elles doivent continuer de rechercher une solution
pacifique et se consulter sans délai pour trouver des moyens mutuellement acceptables
44
de régler leur différend» .
42
Exposé écrit de l’Argentine, par. 117-120.
43
Exposé écrit du Royaume-Uni, par. 6.37.
44Résolution 37/10 de l’Assemblée générale du 15novemb re1982. Voir également la déclaration sur les
principes du droit international annexée à la résolution 2625 (XXV). - 15 -
55. De toute évidence, si les parties ne parv iennent pas à une solution dans le cadre d’un
processus de négociations, cela ne les dispense pas de l’obligation de continuer à rechercher un
règlement par ce même biais ou par d’autres moyens pacifiques. Cela autorise encore moins l’une
d’elles à décider unilatéralement de la nature du règlement et à l’imposer à l’autre. Une telle
approche serait tout à fait contraire à l’obliga tion de régler les différends par des moyens
pacifiques.
56. Le fait d’exiger que l’injonction de né gocier formulée par le Conseil de sécurité soit
«renouvelée» est tout aussi erroné. C’est au Con seil de sécurité qu’il appartenait de lancer le
processus de règlement du statut futur du Kosovo 45. C’est encore au Conseil de sécurité qu’il
appartient de déterminer le moment où ce processus est arrivé à son terme 46. Enfin, c’est toujours
au Conseil de sécurité, et non à l’une des parties à la négociation ⎯ ni même au Secrétaire général
ou à son envoyé spécial ⎯, qu’il appartient de décider si ce processus a abouti à une impasse et
quelles sont les autres voies qu’il convient d’explorer . Le Conseil de sécurité n’a ni établi que les
négociations étaient dans l’impasse ni déclaré que le processus visant à déterminer le statut futur du
Kosovo était arrivé à son terme. L’obligation de parvenir à un règlement consensuel de cette
question ne s’éteint que lorsque l’on est effec tivement parvenu à un tel règlement ou lorsque le
Conseil de sécurité décide de recourir à d’autr es mécanismes. Aucune de ces hypothèses ne s’est
présentée dans le cas du Kosovo . 47
57. De surcroît, dans le cas particulier du Ko sovo, le groupe de contact a, dans ses principes
directeurs régissant les négociations, expresséme nt exclu toute solution imposée de manière
unilatérale. Il a indiqué que «[t]oute solution unilatérale résultant de l’emploi de la force sera[it]
inacceptable» .48
58. Il résulte de ce qui précède que, en procla mant la déclaration, les institutions provisoires
ont voulu mettre unilatéralement fin au processus vi sant au règlement du statut futur du Kosovo et
ce, en tentant d’imposer une solution donnée à la Se rbie et aux Nations Unies, méconnaissant ainsi
gravement l’obligation de déterminer ledit statut pa r le processus décidé par le Conseil de sécurité
ainsi que les règles applicables à ce processus de règlement pacifique du différend.
D. Le principe de l’autodétermination n’étaye pas la déclaration
59. Les auteurs de la déclaration, ainsi que certains Etats qui soutiennent la sécession du
Kosovo, ont demandé à la Cour de ne pas 49 examiner l’applicabilité du principe de
l’autodétermination au cas du Kosovo . D’autres Etats, qui soutiennent également les forces
sécessionnistes au Kosovo, se sont contentés de se référer à un «peuple» dont ils affirment qu’il a le
45
Exposé écrit de l’Autriche, par. 117-118.
46Ibid.
47Les exemples donnés par le Royaume-Uni et censés étayer son affirmation portent sur des dispositions
conventionnelles qui prévoient non seulem ent des négociations mais aussi d’autres moyens de règlement des différends
(article XXI, par. 2, du traité d’amitié, de commerce et de dro its consulaires entre les Etats-Unis d’Amérique et l’Iran, et
articles74 et 83 de la convention des Na tionsUnies sur le droit de la mer). (E xposé écrit du Royaume-Uni, par.6.37.)
L’échec des négociations ouvre la voie à d’autres moyens de règlement pacifique du différend. Ces exemples n’étayent
donc nullement l’affirmation britannique.
48Annexe à la lettre en date du 10 novembre2005 adressée au Secrétaire géné ral par le président du Conseil de
sécurité, Nations Unies, doc. S/2005/709, p. 3, par. 6 (les italiques sont de nous).
49Contribution écrite des auteurs de la déclaration, par. 8.38. - 16 -
50
droit à l’autodétermination, sans présenter le moindre élément à l’appui de cette affirmation 51.
D’autres encore ont invoqué la prétendue doctr ine de la «sécession en tant que réparation» .
L’Argentine renvoie respectueusement la Cour à s on exposé écrit, dans lequel elle a établi que le
52
principe du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes n’étaye pas la déclaration . Elle a en
particulier indiqué que seuls les «peuples», dans l’acception restrictive du terme en droit
international, jouissent du droit à l’autodéterm ination; que les NationsUnies jouent un rôle
essentiel aux fins de déterminer quelles sont les entités pouvant exercer ce droit ; et que de graves
violations des droits de l’homme ne transfor ment pas un groupe de personnes en un «peuple»
jouissant du droit à l’autodétermination, même si les minorités et certains autres groupes se voient
accorder d’autres droits.
60. L’Argentine a également précisé que, dans les accords de Rambouillet, le principe de
l’autodétermination n’était pas appliqué à la population du Kosovo et que la référence à la «volonté
du peuple» n’était qu’un élément à prendre en consid ération parmi d’autres, et n’équivalait pas à la
reconnaissance d’un «peuple».
61. Il a été soutenu que, du fait de la r ésolution1244, «l’avenir du territoire du Kosovo
cessait d’être une question relevant de la seule prérogative de la Serbie [et que s]on règlement
devait désormais tenir compte des souhaits et des intérêts des habitants du Kosovo.» 53 Cette
affirmation est délibérément trompeuse et n’i ndique pas clairement à qui il reviendrait de
déterminer le statut futur du territoire. Elle ne tient aucun compte de ce que le processus de
négociation se déroule entre deux parties. De plus, il est incontestable que le territoire en question
54
fait partie intégrante de la Serbie . Les habitants du Kosovo n’ont pas le pouvoir de décider du
sort de ce territoire. Les NationsUnies n’ont pas reconnu l’existence d’un «peuplekosovar»
jouissant du droit à l’autodétermination. En conséquence, la déclaration ne saurait être justifiée sur
la base de l’exercice par un peuple de son droit à l’autodétermination.
E. Les événements qui se sont produits après la date critique n’ont pas remédié ⎯ et ne
sauraient remédier ⎯ à l’illicéité de la déclaration
62. Il a été avancé que, même si la déclara tion était illicite, les développements intervenus
après le 17février2008 avaient remédié à cette illicé ité, excluant toute possibilité de revenir à la
55
situation antérieure . Cette affirmation est erronée, tant d’un point de vue factuel que juridique.
63. Du point de vue factuel, la situation sur le terrain n’a connu aucune évolution majeure,
exception faite de ce que de nombreuses fonctions exercées par la MINUK ont été transférées à la
mission EULEX et ce, en vertu de la résolution 1244 et non sur la base d’une quelconque invitation
de la part de la prétendue «Ré publique du Kosovo». La forte prés ence internationale est restée au
Kosovo. Le Conseil de sécurité n’a pris aucune décision pour y mettre fin, et tous les Etats
50 Exposé écrit de l’Albanie, par.75, 79 et 84; exposéécrit des Pays-Bas, par.3.3; exposé écrit de la France,
par. 2.18 ; exposé écrit de la Suisse, par. 75 et 77 ; contribution écrite des auteurs de la déclaration, par. 4.03 et 8.40.
51
Exposé écrit de l’Albanie, par. 81 ; e xposé écrit de l’Estonie, p. 4 et suiv. ; exposé écrit de la Finlande, par. 7 ;
exposé écrit de l’Allemagne, p.35; expos é écrit de l’Irlande, par.30; exposécrit des Pays-Bas, par.3.6-3.7; exposé
écrit de la Pologne, par. 6.5 ; exposé de la Slovénie, p. 2 ; exposé écrit de la Suisse, par. 62-63 ; contribution des auteurs
de la déclaration, par. 8.40.
52 Exposé écrit de l’Argentine, par. 87-100.
53
Exposé écrit du Royaume-Uni, par. 0.25 (1).
54 Selon les Etats ayant reconnu la prétendue «République du Kosovo», au moins jusqu’au 17 février 2008.
55 Exposé écrit de la France. - 17 -
Membres ainsi que les organes des NationsUnies qui se sont penchés sur la question (à savoir le
56
Conseil de sécurité et le Secrétaire général) considèrent que la résolution1244 reste en vigueur .
Les portions du territoire de la province qui ont déci dé de ne pas obéir aux institutions provisoires
depuis que celles-ci se considèrent comme agissa nt en qualité d’Etat indépendant continuent
d’échapper à l’exercice de leurs pouvoirs. La reconna issance ne saurait remédier à l’illicéité de la
déclaration. Dire que «les événements à ce stade [la proclamation de la déclaration] ont confirmé
l’indépendance du Kosovo, dissipant ainsi les doutes quant à la position à adopter et remédiant aux
57
insuffisances qui auraient pu exister» revient, tout au plus, à énoncer un vŒu pieux. Dans les
faits, on est bien loin d’une quelconque confirmation de l’existence d’un Etat souverain.
64. Ce qui est cependant plus important enco re, c’est que cette affirmation est erronée du
point de vue juridique. Elle implique en effet qu’il pourrait, en définitive, être remédié à un acte
illicite mettant en cause les fonde ments mêmes du droit international et ceux des NationsUnies
sans le consentement de l’Etat à qui cet acte a cau sé le préjudice le plus important ou sans autre
décision de l’Organisation. Rien dans le dro it international contemporain ne permet d’étayer
pareille thèse, et l’Etat qui la formule ne fournit aucune explication à son appui.
65. Il convient de souligner que, dans le cas particulier du Kosovo, l’opération armée menée
par l’OTAN en 1999 a été qualifiée58ar ceux qui en ont pris l’initiative de «nécessaire pour éviter
une catastrophe humanitaire» . Ces mêmes Etats invoquent aujourd’hui l’existence d’un «fait
irréversible», qui aboutirait à la pe rte d’une partie du territoire de l’Etat souverain contre lequel ils
ont recouru à une intervention armée. Cela ne pe ut que susciter de vives préoccupations du point
de vue du respect des principes fondamentaux du droit international. Le résultat de cette
intervention ne saurait en aucune manière servir à modifier une situation juridique existante, en
particulier lorsque l’intégrité territoriale et l’unité nationale des Etats est en jeu.
66. Ainsi qu’il a été précisé dans l’exposé écrit de l’Argentine, les événements qui se sont
59
produits après la date critique n’ont p as modifié l’illicéité de la déclaration . De plus, la situation
sur le terrain n’a connu aucune évolution majeure. La Serbie n’a pas consenti à la création d’un
nouvel Etat par la séparation d’une partie de son te rritoire. La thèse selon laquelle il aurait été,
d’une quelconque manière, remédié à l’illicéité initiale ne saurait en aucun cas être retenue.
Conclusion
67. Par ces observations, l’Argentine souha ite apporter sa contribution à la présente
procédure d’avis consultatif, contribution fondée su r son attachement à l’Etat de droit au niveau
international. Le respect du dro it international en général, et de s résolutions des Nations Unies en
particulier, sont des éléments essentiels d’une communauté inte rnationale fondée sur l’égalité
souveraine des ses membres.
68. Au vu des arguments développés dans son exposé écrit et dans les présentes observations
écrites, l’Argentine conclut respectueusement que :
56Exposé écrit de l’Argentine, par. 67.
57
Exposé écrit du Royaume-Uni, par. 0.26.
58
Communiqué de presse de l’OT AN (040), 23mars1999. Texte di sponible sur le site Internet
http://www.nato.int./docu/pr/1999/p99-040e.htm.
59Exposé écrit de l’Argentine, par. 47-53. - 18 -
a) la Cour a compétence pour répondre à la question soulevée par l’Assemblée générale ;
b) aucune raison impérieuse n’empêche la Cour d’exercer sa compétence en matière consultative ;
c) la déclaration unilatérale d’indépendance des institutions provisoires d’administration autonome
du Kosovo n’est pas conforme au droit international, puisque :
i) il s’agit d’un acte qui ne relève pas de la compétence de ses auteurs, telle que définie par la
résolution 1244 et le cadre constitutionnel adopté par le règlement 2001/9 de la MINUK ;
ii) elle porte atteinte aux compétences et a ux responsabilités que le Conseil de sécurité tient
du chapitre VII de la Charte des Nations Unies ;
iii) elle contrevient à la résolution 1244 de la manière indiquée au paragraphe 118 de l’exposé
écrit de l’Argentine ;
iv) elle constitue une violation de l’intégrité territoriale de la Serbie ;
v)elle constitue un manquement à l’obligation de régler les différends par des moyens
pacifiques et, en particulier, de l’obligation de parvenir à un règlement du statut futur du
Kosovo par voie de négociation.
___________
Observations écrites de l'Argentine (traduction du Greffe)