Observations écrites du Nicaragua

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16153
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Incidental Proceedings
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A FFAIRE DU D IFFÉREND TERRITORIAL ET MARITIME

(NICARAGUA c. OLOMBIE )

O BSERVATIONS ÉCRITES DE LA R ÉPUBLIQUE DU N ICARAGUA SUR LA DEMANDE À FIN

D’INTERVENTION DÉPOSÉE PAR LA RÉPUBLIQUE DU C OSTA RICA

26 mai 2010

[Traduction du Greffe]

1. Conformément à l’article 83 du Règlement de la Cour et avant la date limite fixée par la

Cour à cette fin, soit le 26mai2010, que le greffier avait communiquée au soussigné par lettre
(ré. 35670) du 25févri2010, la République du Nicaragua (Nicaragua) présente ses
observations écrites au sujet de la requête à fin d’intervention en l’affaire du Différend territorial et

maritime (Nicaragua c.Colombie) déposée par la République du CostaRica (CostaRica) le
25 février 2010 en vertu de l’article 62 du Statut de la Cour.

I. Observations générales

2. La Cour est saisie de la présente instce depuis le 6décembre2001, date à laquelle le
Nicaragua a déposé sa requête introductive d’in stance contre la République de Colombie

(Colombie). Outre que des exemplaires de cette requête font partie du domaine public depuis plus
de huit ans, les écritures, y compris le mémoire du Nicaragua et les documents qui y sont annexés,
ont été rendues publiques le 4juin2007 à l’ouverture de la procédure orale consacrée aux
1
exceptions préliminaires soulevées par la Colombie . En septembre 2008, le Costa Rica a demandé
que des exemplaires de toutes les écritures lui so ient communiqués, demande à laquelle la Cour a
fait droit avec le consentement du Nicaragua.

3. Il semblerait donc que le Costa Rica ait attendu beaucoup trop longtemps avant de déposer
sa requête à fin d’intervention qui, comme le stpule l’article81 du Règlement de la Cour, doit

spécifier clairement :

a) l’intérêt d’ordre juridique qui, selon l’Etat demandant à intervenir, est pour lui en cause ;

b) l’objet précis de l’intervention.

4. Or, comme il sera démontré plus loin, bien que le Costa Rica ait pris son temps avant de
déposer sa requête, celle-ci ne spécifie pas clairement l’intérêt d’ordre juridique qui est pour lui en
cause en l’espèce non plus que l’objet précis de l’intervention.

5. Bien au contraire, la requête à fin d’intervention du CostaRica en la présente espèce
repose apparemment sur l’hypothèse que l’époque où la Cour ne faisait pas encore droit à des

demandes d’intervention fondées sur 2’article 62, comme le montrent les exemples bien connus des
requêtes déposées par Malte et l’Italie , est bel et bien révolue et qu ’aujourd’hui des tierces parties
peuvent se prévaloir de la procédure exceptionnelle d’intervention en vertu de l’article62 dans le

vague but d’«informer» la Cour de leurs droits et intérêts supposés et, partant, «de les protéger».

1
Voir exceptions préliminaires, arrêt du 13 décembre 2007, par. 9 et CR 2007/16, p. 11.
2Affaire du Plateau continental (Tunisie/Jamahiriyabyenne), requête à fin d’intervention, arrêt,
C.I.J. Recueil 1981, p.3, et affaiPlateau continental (Jamahiriya arabe libyenne/Malte), requête à fin
d’intervention, arrêt, C.I.J. Recueil 1984, p. 3. - 2 -

6. Le Costa Rica s’efforce de s’acquitter de l’obligation énoncée à l’article81 a) en faisant
observer que la présente affaire porte sur une question de délimitation maritime dans une zone dont

il est proche. Comme il sera démontré plus loin , le Costa Rica n’a aucune revendication sur les
zones dont le Nicaragua demande la délimitation av ec la Colombie. C’est d’ailleurs là une chose
qu’il reconnaît expressément. Le simple fait que la délimitation qui fait l’objet de l’affaire dont la
Cour est saisie concerne une zone proche du Costa Rica n’établit pas en soi l’existence d’un intérêt

d’ordre juridique du Costa Rica qui pourrait être affect é par la décision. S’il en était autrement, la
quasi-totalité des affaires de délimitation mariti me donnerait lieu à de multiples interventions par
les Etats voisins.

7. Nous le verrons, la Cour n’a autorisé l’in tervention d’un Etat tiers fondée sur l’article 62
que dans deux cas, dont aucun ne peut étayer la requête du Costa Rica.

8. La requête à fin d’intervention déposée par le Costa Rica soulève d’autres questions
d’ordre général dont l’une a trait à l’article 84 du Règlement de la Cour, aux termes duquel s’il est
fait objection à une requête à fin d’intervention, la Cour entend, avant de statuer, l’Etat désireux

d’intervenir ainsi que les Parties. Cette procé dure ne saurait être interprétée comme signifiant que
la requête peut être déposée sans être assortie d’ explications claires et de solides éléments de
preuve. Si la Cour ne peut statuer sans avoir à procéder à des audiences publiques à la fois longues
et coûteuses, il suffit qu’un Etat dépose une telle requête pour interrompre la procédure. Affirmer

qu’une délimitation entre Etats dont les côtes se font face ⎯ ce qui est le cas du Nicaragua et de la
Colombie ⎯ aura des effets sur un Etat dont la côte est adjacente doit être prouvé au moins de
prime abord à l’aide d’éléments de preuve et d’arguments précis avant d’ouvrir des audiences

publiques qui retarderont nécessairement la procédure principale.

9. Une autre question tient au caractère partic ulier de la requête du Costa Rica, étant donné
que c’est la première à émaner d’un Etat qui invoque une base de compétence indépendante par

rapport aux deux Parties en litige. Le CostaRica peut saisir la Cour pour ce qui concerne le
Nicaragua et la Colombie, au moins en invoquant le pacte de Bogotá auquel les trois Etats sont
parties. Cela signifie qu’il est protégé contre tout e décision de la Cour en la présente affaire, non

seulement par l’article59 du Statut, mais aussi par le fait qu’il lui est possible de faire valoir un
grief autonome contre l’une ou l’autre des Par ties ou les deux au cas où ses intérêts d’ordre
juridique l’exigeraient.

10. Les observations qui suivent ont trait à l’élément fondamental de la requête du Costa
Rica, autrement dit à la question de savoir si le prétendu intérêt d’ordre juridique dont cet Etat
considère qu’il pourrait être affecté par la décision en la présente instance est clairement expliqué
et répond aux critères énoncés à l’article 81 du Règlement de la Cour.

II. Le prétendu intérêt d’ordre juridique du Costa Rica qui pourrait être affecté
par une décision rendue en l’affaire Nicaragua c. Colombie

11. Le Costa Rica demande à intervenir en la présente affaire tout simplement parce que la
délimitation a lieu au voisinage de zones sur les quelles il pourrait avoir des revendications. Ainsi,
au paragraphe9 de sa requête, le Costa Rica pr étend que «le prolongement de leur frontière

maritime commune (frontière entre le Nicaragua et la Colombie) rencontre des zones maritimes sur
lesquelles des Etats tiers ont des droits et intérê ts. En tant que pays limitrophe du Nicaragua au - 3 -

sud, le Costa Rica est l’un de ces Etats tiers.» Comme cela a été dit ci-dessus, si cette thèse était

admise ⎯à savoir que la «proximité» d’une délimit ation constitue un motif d’intervention fondé
sur l’article 62 ⎯, rares seraient les délimitations qui pourraient être effectuées sans intervention de

tierces parties.

12. En l’affaire El Salvador/Honduras , il n’a pas été fait droit à la demande du Nicaragua

qui souhaitait intervenir dans la délimitation de la frontière da ns le golfe de Fonseca bien que,
comme les parties en cette instance, cet Etat soit riverain du golfe et ait des droits dans les zones
maritimes adjacentes. La Cour (chambre) a fait observer ce qui suit :

«Il arrive souvent en pratique qu’on doive tenir compte, pour procéder à une
délimitation entre deux Etats, de la côte d’un Etat tiers, mais [cela]…ne signifie

aucunement que l’intérêt juridique d’un troisième Etat riverain du golfe ⎯ le
Nicaragua ⎯ soit susceptible d’être affecté» 4.

13. L’intérêt d’ordre juridique qui, selon le Costa Rica, pourrait être affecté par la décision
de la Cour est énoncé aux paragraphes11 à 22 de la requête. Il ne justifie pas une intervention

fondée sur l’article 62 du Statut.

Avant tout, certains faits doivent être rappelés et précisés.

14. Premièrement, le Costa Rica a signé deux traités de délimitation de zones maritimes dans
la mer des Caraïbes, l’un avec la Colombie, le 17 mars1977, qui n’a pas encore été ratifié, et

l’autre avec le Panama, le 2 février 1982, qui est entré en vigueur.

15. Ce dernier traité, qui est en vigueur, stipul e en son article premier que le Costa Rica et le

Panama ont décidé d’établir comme frontière entre leurs zones maritimes :

«1)Dans la mer des Caraïbes: la ligne médiane dont les points sont tous

équidistants des points les plus proches d es lignes de base d’où est mesurée la largeur
de la mer territoriale de chaque Etat conf ormément au droit international public; à
partir de la fin de la frontière terrest re entre les deux Etats, à un point situé à

l’embouchure du fleuve Sixaola, par 09°34' 16"de latitude nord et 82°34'00"de
longitude ouest, le long d’une ligne droite ju squ’à un point par 10° 49' 00" de latitude
nord et 81° 26' 08,2" de longitude ouest, où les frontières du Costa Rica, de la
5
Colombie et du Panama se rencontrent .» (Les italiques sont de nous.) [Traduction
du Greffe.]

16. Dans ce traité, le Costa Rica reconnaît n’avoir aucun droit sur les zones se trouvant à
l’est de ce point terminal situé par 10° 49' 00" de latitude nord et 81° 26' 08,2" de longitude ouest.

3
Différend frontalier terrestre, insulaire et maritime (ElSalvador/Honduras), requête du Nicaragua à fin
d’intervention, arrêt, C.I.J. Recueil 1990, p. 131, par. 92.
4
Ibid., p. 124, par. 77.
5 Contre-mémoire de la Colombie (CMC), vol. II-A, annexe 6, p. 35. - 4 -

17. Il en va de même dans le traité signé en tre le Costa Rica et la Colombie le 17 mars 1977
qui, en son article premier, stipule que les parties sont convenues :

«de définir la limite de leurs zones marines et sous-marines respectives qui sont
établies ou pourraient être établies à l’avenir de la manière suivante :

a) A partir d’un point situé par 11°00' 00" de latitude nord et 81°15'00" de
longitude ouest, la limite suit une ligne droite de 225 odegrés d’azimut (45 o
sud-ouest) jusqu’à son intersection avec le parallèle 10°49'00" de latitude nord.

Elle longe ensuite ce parallèle plein ouest jusqu’à son intersection avec le méridien
82° 14' 00" de longitude ouest.

b) A partir de ce point d’intersection (10°49'00" de latitude nord ⎯ 82° 14' 00" de
longitude ouest), la frontière se dirige vers le nord en suivant ce méridien jusqu’au
point où la délimitation doit être faite avec un Etat tiers.» 7

18. Bien que ce traité avec la Colombie n’ait pas été ratifié, le Costa Rica n’a jamais laissé

entendre qu’il n’avait pas l’intenti on de le ratifier. Bien au cont raire, au paragraphe12 de sa
requête, le Costa Rica indique «qu’il s’est, de bonne foi, abstenu de tout acte qui serait contraire à
l’objet et au but de ce traité». En conséquence, la requête à fin d’intervention ne signifie en rien un

changement de la position du Costa Rica telle qu’e lle est énoncée dans le traité, à savoir que le
Costa Rica n’a aucune revendication concernant les zones maritimes à l’est de la ligne du méridien
situé par 82° 14' 00" de longitude ouest.

19. Deuxièmement, au paragraphe12 de sa re quête, le Costa Rica indique également: «le

Costa Rica n’est pas convenu d’une frontière mariti me avec le Nicaragua, bien que les deux pays
aient engagé des négociations dans ce sens». Le Nicaragua ne se souvient d’aucune négociation
engagée avec le Costa Rica sur la délimitation de zones maritimes dans la mer des Caraïbes ayant

trait à des droits spécifiques sur des zones mariti mes ou même à des méthodes de délimitation. Au
contraire, il était entendu que les négociations su r la mer des Caraïbes ne commenceraient qu’une
fois réglé le différend opposant le Nicaragua à la Colombie. Le Costa Rica n’a donc fait valoir

auprès du Nicaragua aucune revendication précise sur des zones se trouvant à l’est du méridien
situé par 82°14'00"de longitude ouest ou sur t oute zone proche de celle où le Nicaragua veut
obtenir une délimitation avec la Colombie.

20. Troisièmement, le Costa Rica n’a pas demandé de plateau continental étendu dans la mer
des Caraïbes, comme l’a fait le Nicaragua. En tant que partie à la convention sur le droit de la mer,

le CostaRica a présenté aux NationsUnies des informations préliminaires sur ses droits à un
plateau continental étendu conformément à l’article 76 de la convention de 1982. Il est révélateur
que cette demande ait porté non sur la mer des Caraïbes, mais sur le seul océan Pacifique . 8

6Le traité de 1977 a été conclu alors que la troisième C onférence des Nations Unies sur le droit de la mer, réunie

à la fin de 1973, était en cours. En 1977, année de la signature du traité entre la Colombie et le Costa Rica, la conférence
a adopté le texte de négociation composite officieux qui permettait, entre autr es éléments nouveaux, l’établissement
d’une mer territoriale de 12milles nautiques, d’une zone contiguë d24milles nautiques et des zones économiques
exclusives (ZEE).
7
Ibid., annexe 5, p. 31.
8Voir http://www.un.org/Depts/los/clcs_new/submissions_files/preliminary/cri2…. - 5 -

21. Au paragraphe 13 de sa requête, le Costa Rica soutient ce qui suit :

«L’accord de1977 entre le CostaRica et la Colombie délimitant leurs espaces

maritimes dans la mer des Caraïbes repose sur l’idée que les Etats négociateurs ont des
titres qui se chevauchent su r des espaces maritimes qu’ils doivent partager d’un
commun accord. Cette idée, de l’avis du CostaRica, découle de deux hypothèses:

premièrement, que la Colombie a une frontière maritime convenue avec le Nicaragua
le long du 82 méridien de longitude ouest, et qu’elle est donc libre de négocier ses
limites maritimes avec les autres pays voisins dans la zone située à l’est de ce

méridien ; deuxièmement, que le territoire insulaire de la Colombie au sud-ouest de la
mer des Caraïbes doit se voir reconnaître un plein effet dans une délimitation.»

22. L’hypothèse avancée par le Costa Rica dans sa requête, à savoir que «la Colombie a une
frontière maritime convenue av ec le Nicaragua le long du 82 e méridien de longitude ouest», est
inexacte. Le CostaRica savait que la Colombie avait soutenu pour la première fois que le
e
82 méridien était une ligne frontalière en 1969, ce que le Nicaragua conteste depuis. Il savait aussi
que le Nicaragua avait des revendi cations sur certaines cayes et sur le plateau continental dans la
zone. Dans une note à cet effet datée du 18 octobre 1972 (soit cinq ans avant que le Costa Rica ne

signe le traité avec la Colombie), le ministre des affaires étrangères du CostaRica soutient
clairement la revendication nicaraguayenne cont re la Colombie et indique que les cayes de
Quitasueño, Serrana et Roncador, qui sont situées très à l’est du 82 eméridien, se trouvent sur le
9
plateau continental du Nicaragua et que cet Et at exerce donc sa souveraineté sur toute cette zone .
Il est donc inexact d’affirmer dans la requête que le CostaRica a conclu le traité de1977 avec la
Colombie en partant de «deux hypothèses», à savoir que le 82 méridien était la ligne frontalière et

que les cayes étaient colombiennes et devaient se voir reconnaître plein effet dans une délimitation.

23. De plus, deux autres documents contredisen t ce qu’affirme le Costa Rica, à savoir qu’il
e
«partait de l’hypothèse» que les droits de la Colombie s’étendaient jusqu’au 82 méridien. L’un est
le traité conclu entre le CostaRica et la Colo mbie, qui fixe la ligne frontalière à l’ouest du
82 méridien par 82° 14' 00" de longitude ouest, et l’autre le traité entre le Costa Rica et le Panama,
e
dans lequel cette ligne est tracée à l’est du 82 méridien et se termine à un point situé par
10° 49' 00" de latitude nord et 81° 26' 08,2" de l ongitude ouest. Il est donc difficile de comprendre
pourquoi le Costa Rica juge pertinent de se référer au méridien dans sa requête.

24. Enfin, pourquoi le CostaRica affirme-t-il au paragraphe13 de sa requête que «la
décision que rendra la Cour sur la frontière maritime entre le Nicaragua et la Colombie pourrait

influer sur ces hypothèses et, dans la pratique, vide r de son sens l’accord conclu en1977 entre le
CostaRica et la Colombie»? Il semble poser qu’une décision de la Cour, dans une affaire
impliquant des tierces parties, est une raison d’invalider ou de modifi er les traités qu’il a conclus.

Pourquoi une décision de la Cour viderait-elle de son sens l’accord de1977? Le fait que le
Nicaragua peut revendiquer des zones maritimes dont le CostaRica a reconnu qu’elles étaient
situées au-delà de ses frontières maritimes avec le Panama et la Colombie ne signifie pas ipso facto

que le Costa Rica peut faire abstraction de ses engagements envers ces Etats. En tout état de cause,
cette décision du Costa Rica serait entièrement volontaire et ne saurait servir de fondement valide à
une intervention en vertu de l’article 62.

9Mémoire du Nicaragua (MN), annexe 36. - 6 -

Dans ces conditions, les critères énoncés à l’alinéa a) de l’article81.2 du Règlement de la

Cour doivent être pris en compte

25. A l’opposé de ce qu’a fait la Guinée équatoriale , le Costa Rica n’a joint ni document, ni
élément de preuve à l’appui de ses affirmations. Sans pareils documents ni même illustrations, il

est encore plus difficile de déterminer exactement ce que sont les intérêts d’ordre juridique qu’il
invoque. Cela dit, les affirmations du CostaRica selon lesquelles ses intérêts juridiques seraient
affectés par la décision de la Cour appellent les observations suivantes.

26. Au paragraphe14 de sa requête, le CostaRica revendique un territoire maritime
équivalant « ⎯ au minimum ⎯ à des lignes d’équidistance latérales tracées à partir des côtes

continentales du Costa Rica et des pays limitrophes» qui comprennent naturellement le Nicaragua.
Comme cela a été indiqué ci-dessus, le CostaRica n’a jamais officiellement demandé ce type de
délimitation dans la mer des Caraïbes, question ou revendication au sujet de laquelle le Nicaragua

réserve généralement ses droits, mais, et c’est là l’important, toute frontière bien tracée selon des
lignes d’équidistance entre le Nicaragua et le Cost a Rica n’affecterait ni ne concernerait les zones
réclamées par le Nicaragua en la présente instance. Il est révélateur que le CostaRica se soit
abstenu de fournir des documents identifiant la zone que cette revendication concernerait.

27. Le CostaRica n’a fourni ni illustrations ni coordonnées montrant ce que signifieraient
concrètement ces lignes «d’équidistance latérales» et n’a pas non plus indiqué où se trouverait

«l’espace ainsi délimité» (dans l’abstrait). En raison de cette omission, le Nicaragua tient à
signaler que la ligne de délimitati on qu’il veut avec la Colombie se trouve nettement à l’est de la
zone économique exclusive de 200 milles marins la plus avancée revendiquée par le Costa Rica. Il

est également vrai que la frontière définie dans le traité conclu entre la Colombie et le Panama
(auquel se réfère le traité entre le CostaRica et le Panama pour déterminer le tripoint avec la
Colombie) bloque toute tentative que le Costa Rica pourrait faire pour revendiquer tout espace situé
à proximité des zones dans lesquelles le Nicara gua s’efforce d’obtenir la délimitation d’une

frontière avec la Colombie.

11
28. En particulier, le traité conclu entre la Colombie et le Panama le 20novembre1976
stipule ce qui suit en son article premier :

«[l]a ligne médiane dans la mer des Caraïbes est constituée par des lignes droites

tracées entre les points suivants :

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

2. A partir du point situé par 12°30'00" de latitude nord et 78°00'00" de
longitude ouest, la délimitation des zones marines et sous-marines appartenant à
chacun des deux Etats est constituée par une série de lignes droites tracées entre les

points suivants :

10
Frontière terrestre et maritime entre le Cameroun et le Nigéria (Cameroun c.Nigéria; Guinée équatoriale
(intervenant)), arrêt, C.I.J. Recueil 2002, p. 303.
11
CMC, vol. II-A, annexe 4, p. 25. - 7 -

Latitude nord Longitude ouest

Point H 12° 30' 00" 78° 00' 00"

Point I : 12° 30' 00" 79° 00' 00"

Point J 11° 50' 00" 79° 00' 00"

Point K 11° 50' 00" 80° 00' 00"

Point L 11° 00' 00" 80° 00' 00"

Point M 11° 00' 00" 81° 15' 00".»

29. Il est facile de démontrer que le poi ntK, par 11°50'00de latitude nord et
80° 00' 00" de longitude ouest, est bien au-delà de 200 milles par rapport à tout point de la côte du

CostaRica, ce qui interdit toute revendication envisagée par cet Etat à l’est de ce point, d’autant
qu’il n’a pas réclamé de plateau continental étendu. De plus, ce point K (en retenant l’argument de
la «proximité» avancé par le CostaRica à des fins d’illustration uniquement ) est plus proche du
territoire continental nicaraguayen que tout point du territoire continental costa-ricien. Si nous

tenons compte des points de base le long du territoire continental du Nicaragua et des îles à prendre
en considération au large du Nicaragua, la simple consultation d’une carte, sans même l’aide d’une
règle ou d’un compas, permet de le confirmer.

30. Les paragraphes 16 à 18 de la requête, qui tr aitent également des prétendus effets sur les
intérêts juridiques du Costa Rica, ne sont que géné ralités. Ainsi, au paragraphe 16, «le Costa Rica
comprend bien que ces figures (dans les écritures du Nicaragua) ne sont pas censées montrer la

zone maritime revendiquée par le Nicaragua mais indiquer l’aire dans laquelle la délimitation doit
être effectuée selon celui-ci». Dans ce cas, quel effet cela a-t-il sur les intérêts juridiques du
Costa Rica ?

31. Au paragraphe17, le CostaRica aborde des questions qui, selon lui, sont «plus
inquiétantes», à savoir «la description par le Nicar agua…de la «zone économique exclusive sur
laquelle il revendique un titre potentiel»… Les figures 4-5, 6-5, 6-9, 6-10 et 6-11 de la réplique

[montrent] une limite méridionale encore plus agressive. Ici aussi, le Nicaragua paraît revendiquer
un espace maritime qui empiète largement sur le domaine maritime du CostaRica.» Comme la
Cour le notera, toutes ces figures dans la répli que renvoient à l’aire générale de la «ZEE sur
laquelle le Nicaragua a un titre potentiel», et ell es n’impliquent aucunement, quelle qu’en soit la

lecture qu’on puisse en faire, une revendication sur la totalité des zones ainsi ébauchées.

32. Voici ce qu’affirme le Costa Rica au paragraphe 18 :

«Dans sa réplique, le Nicaragua a modi fié sa revendication frontalière à l’égard
de la Colombie en plaçant la nouvelle ligne très à l’est de sa ligne médiane originale,
et au-delà de toute zone sur laquelle le CostaRica revendique un titre (voir réplique,

figure3-11). Cependant, la ligne fronta lière revendiquée par le Nicaragua suppose
qu’il a un titre sur l’espace délimité par cette ligne. Le Costa Rica s’inquiète de ce que
la zone revendiquée sur la base de la ligne du Nicaragua empiète de façon non
négligeable sur le domaine maritime du Costa Rica, en particulier parce que le point le

plus méridional de la nouvelle ligne re vendiquée reste plus proche du Costa Rica que
du Nicaragua.» - 8 -

33. Ce paragraphe contient une admission im portante, à savoir que la ligne frontalière
revendiquée par le Nicaragua est située «au-delà de toute zone sur laquelle le CostaRica

revendique un titre». Cette admission devrait être en soi suffisante pour rejeter la requête du
CostaRica sans engager de nouvelles procédures longues et coûteuses. L’observation selon
laquelle «la ligne frontalière revendiquée par le Nicaragua suppose qu’il a un titre sur l’espace
délimité par cette ligne» est hors de propos. Premièrement, ce serait pousser extrêmement loin les

droits conférés aux tierces parties en vertu de l’article62 que d’admettre que de simples
revendications frontalières «suppo sées» peuvent fonder une intervention. Plus concrètement,
cependant, le Nicaragua ne demande aucune délimitation latérale avec la Colombie susceptible
d’affecter les intérêts ou les revendications du Cost a Rica. Rien n’indique la moindre demande de

ligne frontalière avec la Colombie qui irait de la limite du plateau continental demandée par le
Nicaragua à son territoire continental, et encore mo ins au voisinage de sa frontière terrestre avec le
Costa Rica.

34. Une dernière observation s’impose au sujet de la partie de la requête du Costa Rica visant
à établir que la procédure entre le Nicaragua et la Colombie risque d’affecter ses intérêts. Elle
concerne le paragraphe 21 de la requête qu’il faut lire en entier pour bien en apprécier l’étrangeté :

«21. La Cour concevra aisément que le Nicaragua et la Colombie ne sont pas les
mieux placés pour protéger les droits et i ntérêts du CostaRica. Même si l’article59
du Statut dispose que «la décision de la Cour n’est obligatoire que pour les Parties en

litige et dans le cas qui a été décidé», la Cour comprendra qu’il serait difficile pour un
petit pays non militarisé comme le CostaRica de faire respecter ce principe dans la
réalité.»

35. Il est surprenant qu’un Etat qui s’enorgueillit de ne pas avoir d’armée et se donne du mal
pour promouvoir cette image en vienne à suggérer que le recours à la force militaire serait
nécessaire pour garantir ses droits juridiques confor mément à l’article59 du Statut de la Cour.

Comment imaginer qu’un Etat comme le Nicaragua qui s’est porté devant la Cour à diverses
reprises, notamment lors d’un précédent différend frontalier avec le CostaRica, envisage de
recourir à des moyens non pacifiques de règlement des différends ?

36. Quoi qu’il en soit, le Nicaragua c onsidère que la déclaration du CostaRica au
paragraphe 21 ne peut en aucune façon se référer à lui puisque le budget du Costa Rica en matière
de sécurité est deux fois plus élevé que celui que le Nicaragua consacre à la défense. Il note en

outre que, même si le CostaRica choisit de ne pas donner le nom d’«armée» à ses importantes
forces de sécurité, il n’en est pas moins doté d’une force de police parfaitement équipée dont le seul
budget excède le budget total du Nicaragua en matière de défense.

Décisions de la Cour se référant à l’article 62 du Statut

37. Le droit d’intervention fondé uniquement sur l’article 62 n’a jamais été accordé à un Etat
dans une affaire de délimitation maritime lorsque les Parties s’y opposaient. Les deux premières

tentatives dans ce sens ⎯celle de Malte dans l’affaire opposant la Tunisie à la Lybie et celle de
l’Italie dans l’affaire opposant Malte à la Lybie ⎯ ont été rejetées par la Cour. Le CostaRica

n’invoque pas ces affaires, mais deux autres ⎯ les seules dans lesquelles le droit d’intervenir a été
accordé. Ni l’une ni l’autre n’étaye sa requête. - 9 -

38. Le Costa Rica invoque abondamment le dr oit d’intervenir accordé au Nicaragua dans
l’affaire opposant ElSalvador au Honduras, non seulement pour la raison évidente qu’elle
impliquait le Nicaragua, mais aussi parce que c’éta it la première fois qu’il était fait droit à une

demande d’intervention fondée sur l’article 62. Mais elle n’est d’aucun secours pour le Costa Rica.
Dans cette affaire, le Nicaragua n’a pas eu le droit d’intervenir dans la délimitation à l’intérieur et à
l’extérieur du golfe de Fonseca et n’a pu le faire que pour ce qui concernait la question limitée du

statut du golfe: s’agissait-il d’un condominium ou de quelque autre statut juridique particulier
comme les Parties le soutenaient. La requête du Costa Rica ne peut bénéficier d’une décision dans
laquelle la Cour a rejeté la demande du Nicaragua et ne l’a pas autorisé à intervenir dans une affaire

de délimitation concernant une z one qui était non seulement «à proximité» de ses côtes mais aussi
directement adjacente à l’intérieur d’un petit golfe dont l’embouchure sépare les côtes du
Nicaragua et d’El Salvador de moins de 20 milles. Cette affaire ne peut que souligner le caractère

illusoire d’une requête dans laquelle le Costa Rica demande un droit 12intervention qui a été refusé
à un Etat, le Nicaragua, dont le dossier était plus convaincant .

39. Le seul autre cas dans lequel le droit d’intervenir fondé sur l’article 62 a été accordé est
celui de la requête de la Guinée équatoriale dans l’affaire opposant le Cameroun au Nigeria. Mais,
dans ce cas, aucune des Parties ne s’y était opposée 13. De plus, la Cour avait déjà prévu au cours

d’une phase précédente de l’affaire (huitième ex ception préliminaire) que l’une des demandes du
Cameroun, qui concernait le prol ongement de la ligne frontaliè re au-delà d’un certain point,
pouvait mettre en jeu les droits de tierces parties et qu’elle devrait peut-être en tenir compte en
14
limitant sa décision sur le fond . La requête du Costa Rica est différente car, en dehors de la
question de l’opposition d’une Partie, la délimitation demandée par le Nicaragua ne consiste pas en
une seule ligne qui ne peut être tracée car des tierces parties seraient concernées sur toute sa

longueur, ce qui était le cas de celle demandée par le Cameroun qui voulait le prolongement du
point «g» vers la mer. Dans cette affaire, c’était seulement ce prolongement qui, de l’avis de la
Cour, pouvait rendre difficile la détermination des tie rces parties. Et elle n’a pas indiqué que cette

circonstance pouvait bloquer sa décision sur le reste de la délimitation de la frontière maritime qui
était en cours d’instance. A cet égard, il c onvient de rappeler que l’Italie n’a pas obtenu
l’autorisation d’intervenir dans l’affaire opposant la Lybie à Malte alors que ses intérêts d’ordre

juridique à Malte et aux alentours recouvraient plus ou moins trois points du compas autour de l’île
et non pas seulement un tronçon limité et bien précis de la ligne frontalière.

40. Pour ne rien négliger, la dernière affair e dans laquelle une requête à fin d’intervention a
été déposée en vertu de l’article62 était celle oppo sant l’Indonésie à la Malaisie et ce sont les
Philippines qui demandaient à intervenir. Cette re quête se distinguait des précédentes en ce sens

que l’intérêt des Philippines était davantage lié à l’interprétation de certains traités et accords
coloniaux invoqués par les Parties qu’ à la zone de délimitation ou au titre sur les îles. Pour ce qui
nous intéresse ici, l’important est que la requête a suscité l’opposition et que la Cour n’y a pas fait

droit.

12Le Nicaragua n’a pas changé de position sur les questions qui ont trait au golfe de Fonseca et à la délimitation
maritime de la zone. Il ne considère pas que l’arrêt a l’autorité de la chose jugée.

13Voir l’opinion dissidente du juge Oda dans cette affaire da ns laquelle celui-ci déclare que «la Cour a reçu cette
intervention uniquement parce que les Parties à l’affaire ne s’y étaient pas opposées…», par. 12, p. 617.

14«A la lumière de cette quasi-invitation à intervenir, il n’est pas surprenant que la Guinée équatoriale ait choisi
de le faire et que tous les mmbres de la Cour aient accepté à l’unanimité sa demande.» [Traduction du Greffe.]
Commentaire de Chinking dans The Statute of the Interna tional Court of Justice, dir. publ., Zimmermann et al., Oxford
University Press, 2006, p.1350, par.46 à propos de l’arrêt de la Cour en l’affaire concernant la Demande en
interprétation de l’arrêt du 11 juin 1998 en l’affaire de la Frontière terrestre et maritime entre le Cameroun et le Nigéria
(Cameroun c. Nigéria), exceptions préliminaires (Nigéria c. Cameroun). - 10 -

III. Conclusion

41. Pour toutes ces raisons, le Nicaragua c onclut que la demande d’intervention déposée par
le Costa Rica n’est pas conforme au Statut et au Règlement de la Cour. Il laisse à l’appréciation de
la Cour de dire et juger si le Costa Rica a satisfait aux critères juridiques nécessaires pour fonder un

droit d’intervenir en l’espèce et, en conséquence, s’il doit être fait droit à sa demande.

La Haye, le 26 mai 2010.

L’agent de la République

du Nicaragua,

(Signé) CarloA RGÜELLO G ÓMEZ .

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Observations écrites du Nicaragua

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