Observations écrites additionnelles de la République démocratique du Congo sur les demandes reconventionnelles présentées par l'Ouganda

Document Number
11075
Document Type
Incidental Proceedings
Date of the Document

COUR INTERNATIONALE DE JUSTICE

AFFAIRE RELATIVE AUX ACTIVITÉS ARMÉES SUR LE

TERRITOIRE DU CONGO

(RÉPUBLIQUE DÉMOCRATIQUE DU CONGO c. OUGANDA)

OBSERVATIONS ÉCRITES ADDITIONNELLES SUR LES

DEMANDES RECONVENTIONNELLES PRÉSENTÉES PAR

L’OUGANDA

Février 2003SOMMAIRE

Introduction

Chapitre I. La demande ougandaise selon laquelle la RDC aurait été impliquée
dans des attaques armées contre l’Ouganda doit être écartée

A. Dans la mesure où elle vise la période antérieure à l’arrivée au pouvoir de Laurent
Désiré Kabila, la demande ougandaise est irrecevable et, subsidiairement, non fondée

1. Cet aspect de la demande est irrecevable

a) La RDC est en droit, à ce stade de la procédure, de contester la
recevabilité d’un volet de la première demande reconventionnelle
ougandaise
b) L’Ouganda ne peut établir qu’il n’a pas renoncé à mettre en
œuvre la responsabilité de la RDC pour les faits visés dans ce volet de sa

première demande reconventionnelle

2. Subsidiairement, à supposer que cet aspect de la demande puisse être considéré
comme recevable, quod non, il manque totalement de fondement

a) L’Ouganda ne peut toujours pas démontrer que la République du

Zaïre a été impliquée dans une seule attaque particulière menée à
l’encontre du territoire ougandais
b) L’Ouganda ne peut toujours pas démontrer que la République du
Zaïre a été impliquée dans le soutien à des forces irrégulières
ougandaises
c) L’Ouganda ne peut pas démontrer que la RDC a reconnu une

implication du Zaïre dans les activités de forces irrégulières ougandaises

B. Dans la mesure où elle s’étend à la période allant de l’arrivée au pouvoir de Laurent
Désiré Kabila au déclenchement de l’agression ougandaise, la demande ougandaise
n’est pas fondée en fait

1. L’Ouganda ne peut toujours pas démontrer que la RDC a été impliquée dans une
seule attaque particulière menée à l’encontre du territoire ougandais

2. Les arguments de l’Ouganda ne sont pas de nature à remettre en cause les
principaux éléments de preuve contenus dans la réplique de la RDC

3. L’Ouganda ne peut démontrer une reconnaissance des faits par la RDC

4. La thèse d’un soutien congolais aux forces irrégulières ougandaises n’est assortie
d’aucun (nouvel) élément de preuveC. Dans la mesure où elle vise la période postérieure au déclenchement de l’agression
ougandaise, la demande ougandaise n’est fondée ni en fait ni en droit

1. Dans la mesure où elle s’étend à la période postérieure au déclenchement de

l’agression ougandaise, la demande ougandaise n’est pas fondée en fait

a) L’Ouganda ne peut toujours pas démontrer que la RDC a été
impliquée dans une seule attaque particulière menée à l’encontre du
territoire ougandais
b) L’Ouganda ne peut toujours pas démontrer l’existence d’un
soutien général de la RDC aux rebelles ougandais

2. Dans la mesure où elle s’étend à la période postérieure au déclenchement de
l’agression ougandaise, la demande ougandaise n’est pas fondée en droit

a) L’Ouganda a déclenché son intervention militaire en RDC dès le
2 août 1998

b) La RDC n’a jamais reconnu avoir soutenu les rebelles ougandaisChapitre II. La demande ougandaise selon laquelle la RDC aurait été impliquée
dans une attaque de l’ambassade d’Ouganda et de ressortissants ougandais à
Kinshasa doit être écartée

A. Dans la mesure où elle porte désormais sur l’interprétation et l’application de la

Convention de Vienne de 1961 sur les relations diplomatiques, la demande présentée
par l’Ouganda modifie radicalement l’objet du différend, contrairement au Statut et au
Règlement de la Cour

1. L’Ouganda cherche artificiellement à modifier l’objet du différend porté devant la
Cour

2. Cette modification abusive de l’objet du différend est incompatible avec le Statut et
le Règlement de la Cour

B. Le volet de la demande relatif à des prétendus mauvais traitements dont auraient été
victimes certains ressortissants ougandais reste irrecevable et, subsidiairement, non
fondé

1. Le volet de la demande de l’Ouganda relatif aux mauvais traitements qu’auraient
subis ses ressortissants est irrecevable

a) L’Ouganda n’a toujours pas démontré que les personnes en faveur
desquelles il prétend formuler une réclamation possèdent sa nationalité
b) L’Ouganda n’est pas en mesure d’écarter l’application en l’espèce de la

règle de l’épuisement des voies de recours internes

2. Subsidiairement, le volet de la demande de l’Ouganda relatif aux mauvais
traitements qu’auraient subis certains de ses ressortissants est dépourvu de fondement

C. Le volet de la demande relatif à la prétendue expropriation de biens publics
ougandais est non fondé

1. La RDC ne s’est pas appropriée indûment des immeubles publics ougandais

2. La RDC ne s’est pas appropriée indûment des voitures de la mission diplomatique
ougandaise à Kinshasa

3. La RDC ne s’est pas appropriée indûment les archives de la mission diplomatique
d’Ouganda à Kinshasa

4. La RDC ne s’est pas appropriée indûment certains biens mobiliers de la mission
diplomatique ougandaise à Kinshasa

5. En tout état de cause, l’évaluation du dommage réalisée unilatéralement par

l’Ouganda ne peut en aucun cas être retenue, même comme base de discussionIntroduction

1
0.01. Les présentes observations sont présentées par la République démocratique du
2
Congo conformément à l’ordonnance de la Cour datée du!29 janvier 2003. Elles

portent exclusivement sur la réponse aux demandes reconventionnelles présentées par
3
l’Ouganda dans son contre-mémoire , telles qu’elles ont été développées dans la

duplique du 6 décembre 2002 . 4

0.02. Conformément au Règlement de la Cour, la RDC se limitera aux points qui

divisent encore les parties, et renverra pour le surplus à ses écritures, et en particulier à

ses «!Observations sur les demandes présentées comme reconventionnelles par la

République de l’Ouganda dans son contre-mémoire du 21 avril 2001!», datées du 25
5
juin 2001, et à sa réplique, datée du 29 mai 2002 .

0.03. Il sera ainsi démontré dans les présentes écritures que

- la demande ougandaise selon laquelle la RDC aurait été impliquée dans des attaques

armées contre l’Ouganda doit être écartée (chapitre I)!;

- la demande ougandaise selon laquelle la RDC aurait été impliquée dans une attaque

de l’ambassade de l’Ouganda et de ressortissants ougandais à Kinshasa doit être

écartée (chapitre II).

1Ci-après OARDC.
2Ci-après RDC.
3 Ci-après UCM.
4 Ci-après UR.
5
Ci-après RRDC.

1Chapitre I. La demande ougandaise selon laquelle la RDC aurait été impliquée

dans des attaques armées contre l’Ouganda doit être écartée

1.01. Dans son contre-mémoire, l’Ouganda a accusé la RDC d’avoir dirigé et conduit

des attaques armées contre le territoire ougandais, en violation de sa souveraineté et de

son intégrité territoriales. La RDC a, dans sa réplique, réfuté systématiquement et

méthodiquement chacune des allégations qui composent la demande ougandaise. Dans

sa duplique, l’Ouganda maintient pourtant cette demande, le plus souvent sans prendre
la peine de répondre aux écritures congolaises. La RDC confirmera dans le cadre du

présent chapitre que la demande ougandaise doit être écartée.

1.02. Avant de développer son argumentation, la RDC tient à rencontrer une objection

préalable, d’ordre méthodologique, qui lui a été adressée par l’Ouganda. Selon ce

dernier, les exigences formulées par le Congo en ce qui concerne le degré de preuve
requis seraient trop élevées!: «!Apparently, only authenticated documents penned by

President Kabila himself would satisfy the DRC!» . La RDC avoue ne pas comprendre

cette tentative d’ironie. Elle a elle-même précisé très clairement dans sa réplique quels

sont les standards de preuve qui lui paraissaient applicables en l’espèce, non seulement

de manière générale mais aussi dans le domaine plus spécifique de l’établissement des
liens entre un gouvernement et des forces irrégulières . En s’appuyant essentiellement

sur la jurisprudence de la Cour, la RDC a insisté sur la possibilité de s’appuyer sur des

documents d’organisations internationales, sur des déclarations officielles des Etats

concernés, ainsi que sur des sources neutres et des témoignages directs. Ces critères

juridiques n’ont évidemment rien d’excessif et, dans ces conditions, la critique de
l’Ouganda constitue avant tout un aveu des difficultés que cet Etat rencontre pour

prouver ce qu’il avance. Pas plus dans sa duplique que dans son contre-mémoire,

l’Ouganda n’a ainsi pu présenter un quelconque document neutre, qu’il émane d’une

organisation internationale ou d’une source indépendante, qui serait susceptible d’étayer

sa demande reconventionnelle. L’Etat demandeur sur reconvention continue en
revanche à ne se fonder que sur des documents qu’il a lui-même confectionnés. C’est

précisément cette technique qui fait l’objet des critiques du Congo, critiques qui seront

précisées dans les lignes qui suivent.

6
UR, p. 306, par. 663.

21.03. Comme elle l’a fait dans sa réplique, la RDC distinguera trois périodes pour

réfuter la demande ougandaise!:

- pour ce qui concerne la première période, qui couvre la présidence du

maréchal Mobutu, la demande est irrecevable et, subsidiairement, non

fondée!;

- pour ce qui concerne la deuxième période, qui commence avec l’arrivée au

pouvoir du président Laurent Désiré Kabila et se termine le 2 août 1998,

soit à la date du déclenchement de l’attaque militaire de l’Ouganda, la

demande ougandaise est non fondée en fait!;

- pour ce qui concerne la troisième période, qui suit le 2 août 1998, la
demande ougandaise n’est fondée ni en fait ni en droit.

7
RRDC, pp. 39-59 et 198-204.

3A. Dans la mesure où elle vise la période antérieure à l’arrivée au pouvoir de Laurent
Désiré Kabila, la demande ougandaise est irrecevable et, subsidiairement, non fondée

1.04. La RDC a exposé, dans sa réplique, les raisons pour lesquelles la première

demande reconventionnelle formulée par l’Ouganda, dans son volet relatif aux faits qui

se sont déroulés avant l’arrivée au pouvoir du président Laurent Désiré Kabila, devait

être écartée. Cette conclusion s’impose, à titre principal, en raison du fait que cet aspect

de la demande doit être considéré comme irrecevable, l’Ouganda ayant clairement

montré par son comportement qu’il avait renoncé à mettre en cause une éventuelle
8
responsabilité internationale de la RDC pour ces faits . A titre subsidiaire, il s’avère en

tout état de cause que cette branche de la demande est dépourvue de fondement, dès lors

que l’Ouganda n’est pas en mesure de démontrer que les autorités zaïroises ont

effectivement apporté un soutien aux rebelles ougandais durant cette période, ni que les

forces armées zaïroises ont participé à des attaques menées par ces groupes rebelles
9
contre des objectifs situés en territoire ougandais . L’Ouganda conteste cette
argumentation dans sa duplique, en affirmant, d’une part, que la RDC n’est plus en

droit, à ce stade de la procédure, de soulever une exception d’irrecevabilité à l’encontre

de cette demande et que, en tout état de cause, les autorités ougandaises n’ont jamais

renoncé à cette prétention et, d’autre part, que divers éléments de preuve attestent du

fait que le Zaïre était effectivement impliqué dans diverses attaques menées contre

l’Ouganda . Les arguments soulevés par l’Ouganda sur ces différents points sont

cependant loin d’emporter la conviction. La RDC le montrera en exposant, dans un

premier temps, qu’elle est parfaitement en droit de soulever une exception

d’irrecevabilité à l’encontre de cette demande et que l’argumentation développée par

l’Ouganda dans sa duplique n’est pas de nature à démontrer que cet Etat n’a pas renoncé

à sa demande (1). Dans un deuxième temps et à titre subsidiaire, la RDC démontrera

que les éléments supplémentaires avancés par l’Ouganda dans ses dernières écritures ne

remettent pas en cause les conclusions atteintes par le Congo dans sa réplique, selon
lesquelles le Zaïre n’a été impliqué ni dans un soutien général aux rebelles ougandais, ni

dans des attaques particulières menées contre le territoire ougandais (2).

8RRDC, pp. 348 et s., par. 6.04 et ss.
9RRDC, pp. 358 et s., par. 6.25 et ss.
10
UR, pp. 284 et s., par. 616 et ss.

41. Cet aspect de la demande est irrecevable

1.05. Selon l’Ouganda, la RDC n’est plus autorisée, à ce stade de la procédure, à

contester la recevabilité d’une des demandes reconventionnelles présentées par l’Etat

défendeur (a) et, en tout état de cause, l’exception d’irrecevabilité soulevée par le Congo

à l’encontre de cette partie de la demande serait dépourvue de fondement (b). Ces deux

prétentions seront réfutées successivement.

b) La RDC est en droit, à ce stade de la procédure, de contester la recevabilité

d’un volet de la première demande reconventionnelle ougandaise

1.06. Selon l’Ouganda, la décision prise par la Cour d’admettre certaines réclamations

ougandaises à titre de demandes reconventionnelles vide d’office tout débat relatif à la

recevabilité des demandes elles-mêmes, qui ne pourrait plus être mise en cause à un
12
stade ultérieur de la procédure . L’exception soulevée par la RDC à l’encontre d’une

facette de la première demande reconventionnelle ougandaise constituerait de ce fait une

«!unacceptable and bizarre opinion[…]!» sur l’application des dispositions du Statut de
13
la Cour . Le jugement est pour le moins péremptoire, et il ne rencontre nullement

l’argumentation détaillée et solidement étayée développée sur ce point par la RDC dans
14
sa réplique, en plus de trois pages entières . La RDC renverra donc, pour l’essentiel, à

cette partie de ces écritures, qui démontre qu’elle est parfaitement en droit de soulever, à

ce stade de la procédure, une telle exception d’irrecevabilité. La Cour ne s’est en effet

prononcée que sur la recevabilité de cette demande en tant que demande

reconventionnelle , sans préjuger de toute autre question qui pourrait se poser à son

égard. L’Ouganda lui-même admet d’ailleurs dans ses dernières écritures que, par son

ordonnance de 2001, «![t]he Court has made a definitive determination on counter-
15
claims for the purposes of Article 80![…]» . L’on pourrait difficilement trouver une

expression plus claire du fait que la décision de la Cour est limitée au cadre de l’article

80 de son Statut, et n’emporte aucunement un jugement sur la recevabilité des

demandes reconventionnelles en tant que nouvelles demandes jointes à l’instance. La

11UR, pp. 302 et s., par. 655 et ss.
12
13UR, p. 284, par. 616.
14Ibid.
RRDC, pp. 21-24, par. 1.32-1.39.
15UR, p. 285, par. 616!; souligné par la RDC.

5RDC se limitera aussi à relever que son argumentation «!inacceptable et bizarre!» sur ce

point ne fait que reproduire la conception exprimée, il y a plus de 70 ans, par Dino

Anzilotti, alors président de la Cour permanente de Justice internationale . 16

1.07. L’Ouganda avance par ailleurs que, en tout état de cause, «![t]he DRC has

presented no preliminary objection relating to this issue!» . La RDC éprouve quelques

difficultés à comprendre cet argument. Dès les observations qu’elle a formulées sur les

demandes reconventionnelles ougandaises, en date du mois de juin 2001, la RDC s’est

très explicitement réservé le droit de soulever, dans sa réplique, des exceptions

préliminaires à l’encontre des demandes reconventionnelles . Les exceptions formulées

par la RDC à l’encontre de parties des deux demandes reconventionnelles présentées par

l’Ouganda que la Cour a accepté de joindre à la présente instance ont de plus été
19
détaillées avec beaucoup de précision dans la réplique de la RDC . La thèse

ougandaise est donc tout simplement démentie par les faits.

1.08. Enfin, l’Ouganda affirme que l’exception d’irrecevabilité présentée par la RDC

en ce qui a trait à la partie de la demande reconventionnelle ougandaise relative aux

agissements prétendument imputables au Zaïre au cours de la présidence du Maréchal

Mobutu ne saurait de toute manière être retenue, dès lors que les déclarations

d’acceptation de la compétence de la Cour formulées par la RDC et l’Ouganda ne

contiennent aucune limitation ratione temporis . Afin de dissiper tout malentendu sur

ce point, la RDC souhaite préciser ici qu’elle n’a à aucun moment entendu remettre en

cause la compétence de la Cour pour connaître d’un quelconque aspect de la présente

affaire, que ce soit en ce qui concerne les demandes principales ou les demandes

reconventionnelles. En l’occurrence, c’est bien la recevabilité de cette partie de la

première demande reconventionnelle ougandaise que la RDC conteste, en raison du

comportement adopté par l’Ouganda à la suite de l’arrivée au pouvoir du président

Laurent Désiré Kabila au Congo. Or, il est bien établi que les limitations ratione

16
D. ANZILOTTI, «!La demande reconventionnelle en procédure internationale!», J.D.I., 1930, pp. 875-876!;
l’extrait pertinent est reproduit in RRDC, p. 23, par. 1.38.
17UR, p. 285, par. 618.
18Observations écrites de la République démocratique du Congo sur les demandes présentées comme demandes
reconventionnelles par la République de l’Ouganda dans son contre-mémoire du 21 avril 2001, pp. 67-68.
19Voy. les pp. 21-24, par. 1.32-1.39 pour les questions de principe!; et les pp. 348-354, par. 6.04-6.15 et 378-

20 381, par. 6.69-6.77 pour les exceptions présentées in casu.
UR, p. 285, par. 618.

6temporis dont peuvent être assorties les déclarations d’acceptation de la juridiction de la

Cour ont pour effet d’exclure la compétence de la Cour à l’égard de certains différends,

ou de certains aspects d’un litige, et que leurs effets ne s’apprécient pas au regard de la

recevabilité d’une demande. Comme l’écrit Shabtai Rosenne sur ce point,

«!The effect of these limitations is to delimit the scope of the jurisdiction
conferred on the Court by reference to a date, the exclusion date, with which

the dispute ha21to have a direct relation, as defined in the limitation or
reservation!» .

L’argument ougandais fondé sur l’absence, dans les déclarations d’acceptation de la

compétence de la Cour formulées par les deux parties au présent litige, de toute

limitation ratione temporis, est donc dépourvu de toute pertinence.

1.09. En tout état de cause, et avant de passer à la suite de cette démonstration, la RDC

observera que l’Ouganda lui-même ne paraît pas particulièrement convaincu par le bien-

fondé de son opposition à la possibilité de principe, pour la RDC de présenter des

exceptions préliminaires à l’encontre des deux demandes reconventionnelles que la

Cour a décidé de joindre à la présente instance. D’une part, en effet, l’Ouganda ne

précise à aucun moment que les arguments qu’il développe dans la duplique en vue de

démontrer que les autorités ougandaises n’ont jamais renoncé à mettre en cause la

responsabilité de la RDC pour des faits survenus sous la présidence du maréchal

Mobutu sont avancés à titre subsidiaire . En traitant directement et sans précaution du

fond de cette question, l’Ouganda laisse ainsi indubitablement transparaître le sentiment

que ses objections de procédure sont dépourvues de fondement. D’autre part, et dans le

même ordre d’idées, il convient d’observer que les développements consacrés par

l’Ouganda à la seconde demande reconventionnelle, et aux exceptions préliminaires que

la RDC a pareillement soulevées à l’encontre d’un volet de cette demande, ne font plus

aucune référence à un quelconque obstacle procédural qui s’opposerait à ce que la RDC

présente ce type d’exception à ce stade de la procédure . L’Ouganda ne formule en

effet ces objections qu’au regard de la première demande reconventionnelle , et n’en 24

fait aucune mention ni aucun rappel lorsqu’il traite de la seconde de ces demandes.

21
The Law and Practice of the International Court, The Hague/Boston/London, Nijhoff, 1997, vol. II, p. 786!;
22 souligné par la RDC.
UR, pp. 285 et ss.
23UR, pp. 312 et ss.
24UR, pp. 284-285.

7C’est dire qu’aux yeux de l’Etat demandeur sur reconvention lui-même, les objections

qu’il soulève à l’encontre de la possibilité de principe pour la RDC de soulever de telles

exceptions ne pèsent pas d’un grand poids. On ne voit pas, s’il était véritablement

convaincu que toute exception préliminaire était devenue irrecevable à ce stade de la

procédure, pourquoi il ne l’aurait pas rappelé pour réfuter l’exception soulevée par la

RDC au sujet de la deuxième demande reconventionnelle.

1.10. Ces précisions apportées, la RDC montrera maintenant que rien, dans les

éléments que détaille l’Ouganda dans sa duplique, ne remet en cause le constat selon

lequel l’Etat défendeur a bel et bien renoncé à mettre en cause la responsabilité du

Congo pour des faits qui seraient prétendument survenus au cours de la présidence du

maréchal Mobutu.

b) L’Ouganda ne peut établir qu’il n’a pas renoncé à mettre en œuvre la

responsabilité de la RDC pour les faits visés dans ce volet de sa première

demande reconventionnelle

1.11. La RDC a exposé dans sa réplique les raisons pour lesquelles il était permis de

conclure que l’Ouganda devait être considéré comme ayant renoncé à mettre en œuvre
la responsabilité de la RDC pour des faits illicites qui auraient été commis au préjudice

de l’Ouganda avant 1997!: d’une part, l’Ouganda n’a jamais mis en cause la

responsabilité internationale du Zaïre durant la période au cours de laquelle les faits en

cause sont censés s’être produits ; d’autre part, le comportement adopté par l’Ouganda

à l’égard de la RDC à la suite de l’accession au pouvoir de Laurent Désiré Kabila
26
confirme sa renonciation à mettre en cause la responsabilité de la RDC pour ces faits .

L’Ouganda conteste ces arguments. Il ne met certes aucunement en cause, sur un plan
théorique, le fait qu’un Etat puisse être considéré, si certaines conditions sont réunies,

comme ayant renoncé à présenter une réclamation internationale à l’encontre d’un autre

Etat. Mais pour l’Ouganda, il existe différentes raisons pour lesquelles on ne pourrait

considérer qu’il a, en l’espèce, renoncé à pareille réclamation, ni durant la période

antérieure à 1997, ni après cette date. Ces éléments ne sont cependant pas de nature à

25RRDC, pp. 350-352, par. 6.06-6.09.
26RRDC, pp. 352-354, par. 6.10-6.15.

8remettre en cause la conclusion atteinte par la RDC sur cette question. La RDC le

démontrera en abordant successivement les deux périodes en cause.

i) Durant la période antérieure à 1997, l’Ouganda n’a jamais mis
formellement en cause la responsabilité du Zaïre pour de prétendus faits

illicites dirigés contre le territoire ougandais

1.12. Dans sa duplique, l’Ouganda estime que les conditions requises par le droit

international pour qu’une situation de renonciation à une réclamation internationale soit

avérée ne sont pas réunies en l’espèce. Le premier argument avancé par l’Etat

défendeur à cet effet est celui selon lequel «!at critical junctures the Government of
Uganda made its attitude clear in response to the harbouring of armed bands and support

for their activities in Zaire!» . 27 L’Ouganda renvoie en l’occurrence à plusieurs

protestations qu’il aurait formulées à l’encontre du Zaïre. Pourtant, même s’ils

évoquent indubitablement différents problèmes de sécurité, et des incidents qui seraient

survenus dans la zone frontalière, les documents en cause ne peuvent que très

difficilement s’analyser en des protestations, et moins encore en une mise en cause

formelle de la responsabilité du Zaïre pour ces faits. Ce constat vaut pour chacun des

documents sur lesquels l’Ouganda tente d’appuyer son argumentation.

1.13. Le premier d’entre eux est une note adressée par les autorités ougandaises aux
services de sécurité zaïrois, accompagnée par une énumération d’incidents divers qui

auraient impliqué des protagonistes zaïrois, ou de certaines activités de groupes rebelles

ougandais qui se seraient déroulées en territoire zaïrois . Mais, comme l’indique la

lettre de couverture elle-même, il ne s’agit là que d’une série de situations —dont la

réalité resterait d’ailleurs à établir— sur lesquelles les autorités ougandaises attirent

l’attention de leurs homologues zaïrois, et pour le règlement desquelles elles demandent

une coopération de la part du Zaïre. L’on est très loin ici, dans l’esprit comme dans la

forme, d’une protestation ou d’une mise en cause de la responsabilité du Zaïre pour ces

faits. L’objet principal de la missive est ainsi exprimé sans ambiguïté dans l’une des

deux phrases qui la composent!: «!In order to consolidate the good neighbourliness
between our two countries could you address the issues raised in this report!» . 29

27UR, p. 285, par. 620.
28UCM, annexe 1, mentionnée in UR, pp. 291-292, par. 631-632.
29UCM, annexe 1, p. 1.

91.14. Il n’en va pas autrement des différentes lettres que l’Ouganda a adressées au

Conseil de sécurité des Nations Unies en 1996 et en 1997 au sujet de divers incidents de

frontière, et sur lesquelles l’Etat défendeur tente également de fonder son

argumentation . Il convient tout d’abord de relever que ces documents constituent soit

des réponses apportées par l’Ouganda à des accusations formulées par le Zaïre à son

encontre, soit des déclarations de portée tout à fait générale relatives à la situation dans

la région. Aucun d’entre eux ne reflète une démarche que l’Ouganda aurait entreprise

proprio motu en vue de mettre en cause la responsabilité du Zaïre sur la scène

internationale. Ainsi, dans les deux premières lettres sur lesquelles l’Ouganda entend

fonder son argumentation, cet Etat tente en fait de réfuter des allégations formulées plus

tôt par le Zaïre à son encontre, et aux termes desquelles des soldats ougandais auraient
31
effectué des incursions ou mené des actions militaires en territoire zaïrois . Selon une

stratégie qui n’est pas sans rappeler celle qu’il a développée dans le cadre de la présente

instance, l’Ouganda tente, par ces deux lettres, d’écarter les accusations de recours à la
force formulées par le Zaïre à son encontre, en accusant à son tour l’Etat zaïrois d’avoir

mené ou soutenu des actions armées visant le territoire ougandais. Pour ce faire, il

prétend, dans la première de ces lettres, qu’un groupe de rebelles ougandais basés au

Zaïre aurait mené, en avril 1996, une attaque contre des objectifs situés en territoire

ougandais . Pourtant, le ton adopté dans la lettre est celui d’un simple constat. Aucun

élément n’est avancé en vue de mettre en cause spécifiquement la responsabilité

internationale du Zaïre, qui n’est d’ailleurs évoquée explicitement à aucun moment dans

cette missive. Il paraît donc difficile d’y voir une véritable mise en cause de la

responsabilité internationale du Zaïre pour ces faits, à supposer même ceux-ci avérés.

Tout au contraire, ainsi que cela ressort de la fin de ce document, l’objectif principal de

l’Ouganda paraît bien être d’attirer, de façon générale, l’attention du Conseil sur les

problèmes de sécurité qui se posent dans la région!: «!Uganda will continue to work

tirelessly with all her neighbours and the international community at large to find a
peaceful and lasting solution to the problem in the region!» . Ici également, le ton

adopté n’est donc pas celui d’une mise en cause de la responsabilité de l’un ou l’autre

de ces Etats voisins. La lettre fait certes mention d’une protestation formelle adressée

30UR, pp. 292 et s., par. 634 et s.!; UR, annexes 7, 10, 13, 14, 15.
31Lettres des 12 juin et 12 décembre 1996, UR, annexes 7 et 10.
32
UR, p. 292, par. 634.

10plus tôt aux autorités zaïroises. Il s’avère toutefois extrêmement difficile de se

prononcer sur la portée qu’il conviendrait de reconnaître à ce document dans le cadre du

présent débat, dès lors qu’il n’a jamais été produit, à un stade quelconque de la présente

instance, par l’Ouganda.

1.15. Le «!communiqué!» du 9 décembre 1996, transmis au Conseil de sécurité par
34
l’Ouganda en annexe à une lettre datée du 12 décembre de la même année , ne présente

guère de différences par rapport au document qui vient d’être examiné. Il s’agit, là

encore, pour l’Ouganda, de répondre à des allégations formulées à son encontre par le

Zaïre, en prétendant que le territoire ougandais a été bombardé, et a fait l’objet de

tentatives d’incursion par des éléments armés depuis le Zaïre. Le ton est, à nouveau,

celui d’un simple constat, et la seule invitation adressée au Zaïre est celle qui consiste à

l’encourager à «!muster the courage and acknowledge the fact!that the problem within

eastern Zaire is a result of its own oppressive policies against a section of its
35
citizenry» . Il est donc bien difficile, ici également, de voir dans de tels termes une

mise en cause formelle de la responsabilité internationale du Zaïre pour de prétendues

violations du droit international.

1.16. C’est, une fois encore, en réponse à des allégations formulées à son encontre par

le Zaïre et par plusieurs médias internationaux que l’Ouganda a présenté au Conseil de
36
sécurité un troisième «!communiqué!», daté du 30 janvier 1997 . L’Ouganda y nie être

impliqué militairement dans l’est du Zaïre, où commençait alors un mouvement de

rébellion contre le gouvernement du maréchal Mobutu, et indique que ses forces armées

se seraient contentées de répliquer à des attaques menées contre le territoire ougandais
37
par des groupes rebelles installés au Zaïre . Cette dernière allégation ne donne

cependant lieu, pas plus que dans les documents examinés ci-dessus, à une quelconque

mise en cause formelle de la responsabilité internationale du Zaïre pour ces faits, qui ne

sont d’ailleurs guère étayés dans le communiqué.

33UR, annexe 7, in fine.
34
35UR, annexe 10.
36Ibid.
UR, annexe 13.
37Ibid., point 3.

111.17. Le même constat peut être tiré en ce qui concerne les autres documents évoqués
par l’Ouganda pour étayer son argumentation sur ce point. Ainsi, la teneur du document

annexé à la lettre adressée par l’Ouganda le 21 février 1997 au Conseil de sécurité est, 38

pour l’essentiel, identique au communiqué du 30 janvier 1997. Le dernier texte produit

par l’Ouganda à l’appui de ses allégations 39 traite, quant à lui, de façon quasiment

exclusive des relations conflictuelles entre l’Ouganda et le Soudan. Une brève mention

est faite d’un passage par les rebelles du West Nile Bank Front par le territoire zaïrois en

vue d’attaquer des objectifs situés en Ouganda . Mais ici encore, il apparaît bien

difficile de voir dans cette seule mention l’expression d’une!protestation à l’encontre

des agissements —ou de la passivité— des autorités zaïroises, ou une mise en cause de

leur responsabilité pour ces faits.

1.18. Au total, aucun des documents sur lesquels l’Ouganda s’appuie pour appuyer

son argumentation n’apparaît probant. Il paraît particulièrement symptomatique à cet

égard que ces documents aient tous été produits par les autorités ougandaises en vue de
se défendre contre des accusations émanant tantôt du Zaïre, tantôt d’organes de presse

internationaux, aux termes desquelles les forces armées ougandaises ont été impliquées

dans des attaques menées contre le territoire zaïrois. S’il y évoque indéniablement des

problèmes de sécurité, l’Ouganda ne met formellement en cause dans aucun de ces

textes la responsabilité internationale du Zaïre pour ces faits, ni n’exprime son intention

de le faire dans un forum quelconque. Le fait que l’Ouganda n’ait jamais entendu

mettre effectivement en cause la responsabilité de la RDC pour les faits prétendument

commis au cours de la présidence du maréchal Mobutu est d’ailleurs confirmé de façon

très claire par l’attitude que l’Ouganda a adoptée à l’égard des nouvelles autorités

congolaises après l’arrivée au pouvoir de Laurent Désiré Kabila, comme on le

constatera dans les lignes qui suivent.

38UR, annexe 14.
39Déclaration annexée à la lettre adressée par l’Ouganda le 8 avril 1997 au Conseil de sécurité!; UR, annexe 15.
40Ibid., p. 3, point ii).

12 ii) Le comportement adopté par l’Ouganda à l’égard de la RDC après

1997 atteste de sa renonciation à engager la responsabilité internationale
du Zaïre

1.19. Selon la duplique, le comportement adopté par l’Ouganda à l’égard des

nouvelles autorités congolaises en 1997 et 1998 témoignerait de son intention de «retain

her rights arising from attacks by anti-Ugandan forces during the Mobutu era!» , plutôt

que d’une renonciation à mettre en cause la responsabilité du Zaïre pour les faits

prétendument survenus durant cette période. L’Ouganda fait à ce titre valoir qu’il a, de

façon constante dans ses relations avec les nouvelles autorités de RDC, mis l’accent sur

les problèmes de sécurité relatifs à la zone frontalière. Ces questions ont ainsi été
évoquées à diverses reprises par les autorités ougandaises dans leurs contacts avec le

nouveau gouvernement de la RDC, et forment l’objet même du Protocole conclu entre

les deux Etats en avril 1998 . Selon la duplique, ce dernier instrument, et le net

rapprochement qu’il illustre dans les relations ougando-congolaises, ne sauraient

cependant être considérés comme la manifestation d’une renonciation à la mise en cause

de la responsabilité de la RDC pour les faits illicites dont les autorités zaïroises se

seraient précédemment rendues responsables!: «!Read objectively, the Protocol simply

shows what Uganda has repeatedly observed — that border security was a key issue to
43
her!» .

1.20. La RDC ne conteste aucunement le fait que l’attitude adoptée par l’Ouganda à

l’égard de la RDC au cours des années 1997-1998 témoigne d’une préoccupation

manifeste du premier de ces Etats pour des questions de sécurité. La RDC ne voit

cependant pas en quoi ce constat exclurait d’une quelconque façon que ces

développements puissent être considérés comme la manifestation d’une renonciation à

mettre en cause, à l’avenir, la responsabilité internationale de la RDC pour les faits qui

se seraient produits avant mai 1997. Une chose est d’exprimer une préoccupation pour

des questions de sécurité, et même d’adopter des mesures concrètes en vue de mettre fin

à ces problèmes!; une autre est de maintenir ouverte la possibilité de mettre en cause à

l’avenir la responsabilité internationale d’un Etat. Or, si la position adoptée par
l’Ouganda en 1997-1998 entre indubitablement dans la première de ces hypothèses, elle

41UR, p. 296, par. 640.
42UR, p. 297, par. 642 et 643.
43UR, p. 297, par. 643.

13ne correspond par contre en rien à la seconde. A aucun moment, durant cette période,

l’Ouganda n’a réservé ses droits de mettre en cause la responsabilité de la RDC pour les

événements prétendument survenus avant mai 1997. Tout au contraire, les autorités
ougandaises se sont engagées dans une coopération étroite et particulièrement active

avec le nouveau gouvernement de la RDC, dans le domaine même de la sécurité

commune. Et les autorités congolaises ont apporté leur pleine et entière coopération à

cette entreprise commune, en autorisant, entre autres, la présence de contingents

militaires ougandais en territoire congolais. Comment, en pareilles circonstances,
pourrait-on considérer que la RDC ait un seul instant pu concevoir que cette politique de

coopération active, qui se manifestait tant sur le plan des principes, par l’adoption

d’accords internationaux, que sur le terrain, par une coopération militaire effective,

laissait intacte l'intention —soigneusement dissimulée— de l’Ouganda de mettre en

cause à tout moment la responsabilité internationale de son nouveau partenaire pour des

faits prétendument commis des années auparavant!?

1.21. Un tel raisonnement irait de toute évidence à l’encontre de la raison d’être même

de la règle qui prévoit qu’un Etat peut, dans certaines circonstances, être considéré

comme ayant renoncé à présenter une réclamation internationale à l’encontre d’un autre

Etat. C’est en effet avant tout en vue d’assurer la stabilité et la prévisibilité des relations
internationales que cette règle a reçu droit de cité dans l’ordre juridique international.

Que resterait-il de cet objectif si, des années après la survenance d’un fait illicite, un

Etat conservait la possibilité de mettre en cause la responsabilité internationale de l’Etat

auquel ce fait serait prétendument attribuable, alors même que l’un et l’autre sont

engagés dans une politique de coopération active touchant précisément le domaine
d’activités dans le cadre duquel l’illicite aurait été commis!?

1.22. L’Ouganda objecte néanmoins que sa renonciation à mettre en œuvre la

responsabilité internationale de la RDC pour les faits en cause ne saurait être
44
présumée . Il invoque à cet effet l’affaire de Certaines terres à phosphate à Nauru, et
plus particulièrement le fait que la Cour y avait conclu que Nauru ne pouvait être

considéré comme ayant renoncé à mettre en cause la responsabilité internationale de

l’Australie, malgré les longs intervalles qui s’étaient écoulés entre les différents

44
UR, p. 286, par. 622.

14moments où Nauru avait soulevé cette question . La RDC a, dans sa réplique, déjà

montré en quoi ce précédent se distinguait de la situation à laquelle la Cour est

confrontée dans la présente espèce . Il n’entre nullement dans l’intention du Congo de

remettre en cause le principe selon lequel pareil acquiescement ne pourrait être présumé

dans le chef d’un Etat. Pour autant, les conclusions atteintes par la Cour sur la question

de l’écoulement du temps, combiné à l’intensité des relations entre les parties, ne vont

aucunement à l’encontre de l’approche défendue par la RDC dans sa réplique. Ainsi
que l’Ouganda le relève lui-même, la situation, dans l’affaire Nauru, se caractérisait par

le fait que les contacts entre les parties étaient pour le moins épisodiques!; partant, le

silence de Nauru, même s’il a été maintenu durant plusieurs années, ne pouvait

s’analyser en une renonciation à mettre en cause la responsabilité internationale de

l’Australie pour les dommages causés au cours de l’exploitation des phosphates . Les 47

relations qu’entretenait l’Ouganda avec la RDC durant la période considérée ici

s’inscrivent aux antipodes d’une telle situation. Bien loin d’être épisodiques ou

clairsemés, les contacts entre les deux Etats étaient fréquents et intenses, leur

collaboration concrète effective. Le laps de temps dont il est question en la présente
instance est nettement moins long que celui auquel la Cour était confrontée dans

l’affaire Nauru. Mais les occasions ont été infiniment plus fréquentes pour l’Ouganda

de rappeler qu’il se réservait le droit de mettre en cause à tout moment la responsabilité

internationale de la RDC pour les faits dont les autorités zaïroises se seraient rendues

responsables. Il n’en a pourtant jamais rien été. La question centrale, en l’espèce, n’est

pas de savoir si l’écoulement du temps, considéré de façon isolée, est susceptible

d’affecter la possibilité, pour un Etat, de mettre en œuvre la responsabilité internationale

d’un autre Etat. Il s’agit plutôt de déterminer si, dans les circonstances de l’espèce, les
faits permettent de conclure qu’un Etat doit être considéré comme ayant renoncé à

présenter pareille réclamation internationale en raison de son comportement.

1.23. En réalité, comme la RDC l’a rappelé dans sa réplique, le critère essentiel retenu

par le Rapporteur spécial James Crawford, dans ses travaux sur la responsabilité des

Etats, pour que l’on puisse conclure à la réalité de la renonciation à la présentation

d’une réclamation internationale réside dans le fait que «!l’intimé pouvait

45Rec. C.I.J. 1992, p. 254, par. 36.
46RRDC, pp. 353-354, par. 6.12-6.13.
47UR, p. 286, par. 622.

15raisonnablement s’attendre à ce que la réclamation ne soit plus poursuivie!» . 48

L’Ouganda, dans ses dernières écritures, n’a aucunement montré comment il était

possible de considérer que la RDC, au vu des relations qui s’étaient établies entre les

deux Etats en 1997-1998, pouvait raisonnablement s’attendre à ce que sa responsabilité
internationale soit mise en cause en raison de faits prétendument imputables aux

autorités zaïroises. Au contraire, une nouvelle page était alors tournée dans les relations

entre les deux Etats, et l’Ouganda n’a jamais manifesté, durant cette période, une

quelconque intention de «!réactiver!» les litiges qui avaient pu l’opposer au Zaïre dans le

passé. Les conclusions présentées par la RDC sur ce point conservent donc toute leur

pertinence!: cette partie de la première demande reconventionnelle ougandaise doit être
déclarée irrecevable en raison du fait que l’Ouganda a, par le comportement qu’il a

adopté à l’égard de la RDC en 1997-1998, renoncé de façon implicite mais certaine à

mettre en cause la responsabilité internationale du Congo pour des faits prétendument

survenus sous la présidence du maréchal Mobutu. Ce n’est donc qu’à titre subsidiaire

que la RDC exposera maintenant que cette partie de la demande ougandaise manque en

tout état de cause de fondement.

48
Troisième rapport sur la responsabilité des Etats, Doc. A/CN.4/507/Add. 2, p. 16, par. 259, in RRDC, p. 354,

162. Subsidiairement, à supposer que cet aspect de la demande puisse être considéré

comme recevable, quod non, il manque totalement de fondement

1.24. Quand bien même cet aspect de la demande ougandaise pourrait être considéré

comme recevable, quod non, force est de constater que l’Ouganda ne peut toujours pas

démontrer que la République du Zaïre a été impliquée dans une seule attaque

particulière menée à l’encontre du territoire ougandais (a), ni qu’elle a été impliquée

dans le soutien à des forces irrégulières ougandaises (b). Enfin, et contrairement à ce

qu’il allègue, l’Ouganda ne peut pas démontrer que la RDC a reconnu une implication

du Zaïre dans les activités de forces irrégulières ougandaises (c). Cet aspect de la

demande manque donc totalement de fondement.

a) L’Ouganda ne peut toujours pas démontrer que la République du Zaïre a été

impliquée dans une seule attaque particulière menée à l’encontre du territoire

ougandais

1.25. Dans la partie de son contre-mémoire consacrée à l’exposé de ses demandes

reconventionnelles, l’Ouganda a cité, parmi les attaques qui auraient été «!carried out

under the command and control of the Congolese government!» , une attaque menée le

13 novembre 1996, au cours de laquelle des rebelles ougandais auraient été transportés

«!by FAZ [Zairian army] troops in FAZ vehicles from various camps in eastern

Congo!», et des armes leur auraient été livrées par le gouvernement zaïrois . Il a, par0

ailleurs, mentionné trois attaques, en date, respectivement, du 22 avril, du 29 mai et du 4

51
juillet 1996 . Dans sa réplique, la RDC a montré dans le détail que cette version des

faits est tout simplement dépourvue de fondement, dans la mesure où elle ne peut

certainement pas s’appuyer sur les documents erronément présentés comme probatoires
52
dans le contre-mémoire . Dans sa duplique, l’Ouganda!réaffirme que «!the evidence
53
shows that Zaire was involved in armed attacks against Uganda!» . En dépit de l’usage

du pluriel, la partie ougandaise ne se prononce plus ensuite que sur la seule attaque du

par. 6.14.
49UCM, p. 221, par. 387, et ibid., par. 388.
50Ibidem.
51
52UCM, p. 221, par. 387, et p. 16, par. 22.
53RRDC, pp. 359-361, par. 6.26-6.31, et pp. 361-363, par. 6.32-6.34.
UR, p. 302, titre (e).

1713 novembre 1996, et semble avoir renoncé à contester l’argumentation congolaise

relative aux trois autres attaques susmentionnées. La RDC en prend acte.

1.26. Concernant ce qui constituerait désormais la seule et unique action dans laquelle

les forces zaïroises auraient été impliquées, l’Ouganda prend acte de la réplique

congolaise, mais estime que «!her argument is off the mark. Uganda offers several

separate, credible sources of evidence to support her claim!» . En guise de! «!several

separate, credible sources of evidence!», il mentionne deux documents qui avaient déjà

été produits dans son contre-mémoire, et réfutés par la RDC dans sa réplique. Aucun

nouvel élément n’a donc pu être présenté par l’Ouganda pour fonder ses accusations.

55
1.27. Le premier document invoqué est l’annexe 60 du contre-mémoire . La RDC a

déjà critiqué le document, d’une part parce qu’il a été élaboré par les seuls services

ougandais et, d’autre part, parce qu’il ne mentionne aucune participation des autorités
56
zaïroises à l’attaque du 13 novembre 1996 . L’Ouganda se contente de répondre que le

document «!was not prepared by lawyers or in anticipation of litigation!», mais qu’il a
57
été établi par l’armée ougandaise . L’argument est évidemment pour le moins insolite,

en particulier dans la mesure où il est présenté par des juristes dans le cadre d’une

procédure devant la Cour. En tout état de cause, il évite de répondre au principal

problème!: l’Ouganda invoque, pour prouver la participation du Zaïre à une attaque, un

document qui n’évoque même pas l’attaque en question!!

1.28. L’Ouganda se réfère en outre à un autre document, qui a été élaboré par son

propre ministère des Affaires étrangères en novembre 1998 . La RDC s’est déjà

opposée à ce qu’un tel document, par définition élaboré aux fins d’accréditer la thèse de

la partie concernée, puisse revêtir une force probatoire quelconque, surtout lorsqu’il se

révèle incohérent à certains égards (en particulier quant au nombre de victimes des

attaques en question) et contredit par un témoignage direct, celui du colonel Ebamba . 59

La RDC a encore relevé qu’un autre document, pourtant lui aussi préparé par les

autorités ougandaises, contredisait directement l’hypothèse d’une participation des FAZ

54
55UR, p. 305, par. 660.
UR, p. 305, par. 661.
56RRDC, pp. 359-360, par. 6.28.
57UR, p. 305, par. 661.
58UCM, annexe 31.

18à l’attaque du 13 novembre 1996, puisqu’il citait les «!ADF rebels!» comme seuls

auteurs de cette action armée, sans faire aucune mention d’une implication quelconque
60
des FAZ . L’Ouganda rétorque que le Congo se concentre sur une «minor discrepancy

in the number of people Uganda claims were killed!» , et que le témoignage du colonel

Ebamba «!is as predictable as it is unreliable!» !; il n’estime en revanche pas nécessaire

d’expliquer la raison pour laquelle l’un de ses propres documents discrédite directement

sa thèse. C’est évidemment à la Cour qu’il appartient de décider si un document

préparé unilatéralement par les services de l’une des parties au litige peut revêtir une

force probatoire, mais la RDC relève l’absence d’une quelconque réponse de l’Ouganda

sur ce point précis. C’est également à la Cour, si toutefois elle estime nécessaire d’aller

plus loin, qu’il appartiendra de décider si une différence entre 50 et 20 morts est une

«!minor discrepancy!», ou encore s’il suffit, sans davantage de motivation, d’affirmer

qu’un témoignage crucial est «!unreliable!» pour qu’il en soit réellement ainsi.

1.29. La RDC estime en tout cas que l’Ouganda n’a guère fait progresser le débat

judiciaire et qu’il n’a toujours pas apporté un seul élément qui atteste de la participation

du Zaïre à une seule attaque à son encontre, qu’il s’agisse de celle du 13 novembre 1996

ou d’une autre. Dans son contre-mémoire, l’Ouganda évoquait des «!cross-border

attacks on Uganda carried out under the command and control of the Congolese

government!» . 63 Il échoue pourtant toujours à établir l’implication des autorités

zaïroises dans ne fût-ce qu’une seule attaque particulière. C’est pourquoi la partie

ougandaise se voit réduite à mettre en cause de façon plus générale et vague la

responsabilité de la RDC, pour un prétendu soutien apporté par le Zaïre à des forces

irrégulières ougandaises.

59RRDC, p. 359, par. 6.27.
60RRDC, pp. 360-361, par. 6.30.
61
62UR, pp. 305-306, par. 662.
63Ibid., p. 306.
UCM, p. 221, par. 387.

19 b) L’Ouganda ne peut toujours pas démontrer que la République du Zaïre a été

impliquée dans le soutien à des forces irrégulières ougandaises

1.30. Dans la présentation de sa demande reconventionnelle, l’Ouganda affirme de

manière générale que «!President Mobutu provided anti-Uganda insurgents with arms,

ammunition, training and logistical support, coordinated their military activities and
64
launched joint operations against Uganda!» . La RDC a montré dans sa réplique que

cette affirmation ne se fondait que sur quelques documents préparés unilatéralement par

l’administration ougandaise elle-même, ainsi que sur quatre témoignages qui ne
65
contiennent que des allégations générales et vagues . La duplique ougandaise ne

contient aucune réfutation de ces arguments. Elle consiste essentiellement, d’une part,
en une nouvelle référence à des documents annexés au contre-mémoire qui avaient pour

la plupart déjà été critiqués par le Congo et, d’autre part, en la présentation de quelques

nouveaux documents qui, à l’analyse, ne prouvent nullement les accusations graves qui

sont formulées à l’encontre du Zaïre.

1.31. Quant aux premiers de ces documents, l’Ouganda renvoie aux annexes 60, 62,

63, et 65 de son contre-mémoire . Les annexes 60, 62 et 63 ont déjà été réfutées par la

RDC dans sa réplique , et l’Ouganda s’abstient de répondre aux arguments développés

par le Congo sur ce point. La RDC en prend acte. L’annexe 65 est, quant à elle,

mentionnée par l’Ouganda de manière générale. A la lecture de ce document, qui

consigne le témoignage de M. Amama Mbabazi devant la Commission Porter, dont les

travaux portent sur l’exploitation illicite des ressources naturelles du Congo, la RDC ne

comprend tout simplement pas comment l’on pourrait en déduire quoi que ce soit au

sujet d’une implication éventuelle du Zaïre dans les affaires intérieures de l’Ouganda.

64UCM, p. 220, par. 383.
65RRDC, pp. 193-197, par. 3.95-3.103.
66UR, p. 302, par. 656.

201.32. Les nouveaux documents présentés en guise de preuves sont les suivants!:

- Le premier est une lettre manuscrite qui aurait été rédigée par un dirigeant

de l’ADF à l’intention du colonel Ebamba, le 15 février 1998 . La RDC 68

commentera plus avant cette missive lorsqu’elle examinera la période

69
concernée à titre principal par ce document . Elle se contente de relever à

ce stade que l’auteur de la lettre y prétend seulement avoir entendu dire

(«!we heard that you…!») que le colonel congolais aurait été sensible aux

objectifs politiques des rebelles ougandais. L’auteur de la lettre ne prétend

en revanche nullement avoir été personnellement le témoin d’une

quelconque implication de cet ancien officier zaïrois. Le témoignage du

colonel Ebamba a d’ailleurs déjà été produit par la RDC, et il contredit

totalement ces rumeurs infondées . 70 La duplique ougandaise se garde

cependant de répondre à ce témoignage direct.

- Le deuxième document invoqué consigne un témoignage qui aurait été

recueilli le 17 septembre 2002 auprès d’un ancien membre de l’ADF, qui se

serait rendu aux forces armées ougandaises (UPDF) en avril 2001 . Ce 71

manuscrit n’a visiblement été ni signé, ni rédigé par le témoin , puisqu’il

est écrit de la même main qu’un autre témoignage reproduit à l’annexe
73
suivante . Il contient des accusations dirigées notamment contre le colonel

Ebamba. La RDC estime cependant que, étant donné les circonstances de

sa production, et le fait qu’il est contredit par le témoignage direct du

colonel Ebamba lui-même, ce témoignage ne saurait être pris en

considération. Il existe de très fortes raisons de croire qu’il s’agit d’un

document de circonstance, élaboré aux seules fins de discréditer le

gouvernement congolais et de disculper son auteur qui espère ainsi

bénéficier de la clémence de ceux qui l’on arrêté.

67
RRDC, p. 195, par. 3.100.
68UR, pp. 302-303, par. 657.
69Infra, par.!1.55.
70RRDC, pp. 190-191, par. 3.93.
71UR, pp. 303-305, par. 658.
72
73UR, annexe 85.
UR, annexe 86.

21 74
- L’Ouganda invoque ensuite un rapport apparemment établi par ses

services de sécurité, au sujet d’un certain Karim Musa, qui aurait été arrêté

à Beni (en RDC, ce qui suppose, on le notera en passant, la collaboration
75
des autorités congolaises) le 3 février 1998 . En réalité, il ne s’agit pas

d’un témoignage, mais d’un acte d’accusation dressé contre la personne

précitée. Il y est fait état de simples rumeurs destinées à incriminer

Monsieur Musa. Le rapport se termine par la recommandation suivante!:

«!Whatever the case, I suggest that Karim, and similar other characters
76
should be kept out of Congo till the war os [sic] over!» . Il va de soi que

ce type de document, qui a apparemment été élaboré unilatéralement par la

partie ougandaise et qui ne contient que des allégations fondées sur des
rumeurs, ne saurait en rien constituer un élément probatoire aux fins de la

présente procédure.

- L’Ouganda fait enfin grand cas d’un compte-rendu d’une réunion entre les

autorités ougandaises et congolaises qui s’est tenue au mois de mai 1998 . 78

Dans le contexte de coopération étroite qui existait à l’époque entre les

deux pays, un fonctionnaire congolais a déclaré entre autres choses que la

NALU était soutenue par le régime du président Mobutu. Il est difficile de

concevoir comment une déclaration aussi générale et vague, qui ne s’appuie

sur aucun élément précis, pourrait suffire à constituer un moyen de preuve

judiciaire.

1.33. Prenant prétexte de la valeur probante particulière des sources de première main,

la stratégie de la partie ougandaise consiste visiblement à multiplier la confection et la

production de documents qui, soit ont été élaborés par ses propres services aux seules

fins de la présente espèce, soit (encore que, le plus souvent, les deux branches de cette

alternative sont réunies de manière cumulative) ne contiennent que des rumeurs ou des

allégations générales et vagues. La RDC remarque en revanche que l’Ouganda n’est

toujours pas en mesure de produire la moindre source neutre et indépendante qui

74
75UR, p. 305, par. 658.
76UR, annexe 20.
UR, annexe 20, p. 2.
77UR, p. 305, par. 659.
78UR, annexe 25.

22attesterait d’un soutien du régime du président Mobutu à des forces armées irrégulières

ougandaises. Elle prétend tout simplement que ces sources ne «!contredisent pas!» sa
79
thèse mais, bien évidemment, cet élément manque entièrement de pertinence lorsqu’il

s’agit d’administrer une preuve négative!: les sources neutres disponibles ne

mentionnent pas d’aide du Zaïre aux rebelles ougandais, et il s’agit indéniablement d’un

constat pertinent. Au contraire, ces sources font toutes état d’un soutien actif des

autorités ougandaises aux rebelles congolais qui, sous la conduite de Laurent Désiré
80
Kabila, ont renversé par la force l’ancien régime du Zaïre . La partie ougandaise

cherche, une fois encore, à se présenter en victime pour mieux éluder sa propre

responsabilité, et elle est obligée à cette fin de développer une argumentation pour le

moins aventureuse dans le domaine de l’établissement des faits.

1.34. Il est intéressant, à cet égard, de se pencher sur un dernier argument ougandais,

qui consiste à invoquer le témoignage de l’ancien ambassadeur d’Ouganda à Kinshasa

comme un élément décisif dans cette affaire. La duplique mentionne ainsi que

«!At the time Uganda’s Ambassador and other Ugandan diplomats were forced

to flee Kinshasa, they by necessity left behind almost all of the documents in
their archives and working files (UR Annex 87, para. 9). Included among these
were a number of top-security intelligence documents relating to covert

contacts between the DRC Government and Cong81based anti-Uganda
insurgent groups. (Ibid., paras. 13-20.)!» .

On y lit encore que

«!In fact, the Embassy of Uganda in Kinshasa even discovered hand-written
documents by President Mobutu himself approving a plan to assassinate
82
President Museveni (UR Annex 87, para. 14)!» .

79
80UR, p. 298, par. 645.
81RRDC, p. 65, par. 2.08.
UR, p. 322, par. 695.
82UR, p. 301, par. 652.

23Selon le témoignage de l’ambassadeur lui-même,

«!because the FAC specifically refused to allow us to take documents with us,
we were forced to leave behind many documents and other items in the Uganda
Embassy in Kinshasa![…] among the documents left behind in locked file

cabinets in our embassy in Kinshasa were certain classified intelligence
documents about which I alone among our embassy personnel was aware […]
among these documents are documents that clearly demonstrate that during the
reign of President Mobutu of then-Zaire, the Zaire government —in

conjunction with Sudan— was actively supporting and collaborating with anti-
Uganda insurgents operating from Eastern Zaire […]. For example, I
specifically recall a document, signed by President Mobutu, calling for the
83
assassination of President Museveni of Uganda!» .

Les accusations proférées par l’Ouganda sont extrêmement graves, et elles seront

traitées dans le cadre de la réplique à sa deuxième demande reconventionnelle relative

aux prétendues attaques de l’ambassade . Mais elles entraînent aussi des conséquences

sur le plan de la première demande reconventionnelle, dans la mesure où les seules

preuves claires et décisives démontrant les liens entre le Zaïre et les forces irrégulières

ougandaises auraient été celles conservées dans les locaux diplomatiques ougandais à

Kinshasa.

1.35. La RDC craint pourtant ne pouvoir accorder aucune crédibilité au témoignage

présenté par la partie ougandaise. Son auteur admet en effet expressément avoir
participé à la rédaction du contre-mémoire ougandais, remis à la Cour en avril 2001 . 85

Outre que cela finit de lui ôter toute vraisemblance d’impartialité, on peut légitimement

se demander pourquoi le contre-mémoire ne fait à aucun endroit mention de ces

archives dérobées et de ces documents qui permettraient de fonder la thèse ougandaise.

Comment expliquer que ce n’est qu’au stade de la duplique que l’Ouganda mentionne

des faits aussi lourds de conséquences!? Mais il y a plus. Dans son contre-mémoire,

l’Ouganda s’est fondé, pour décrire les événements qui sont à la base de sa demande,

sur un rapport établi par les soins de ses propres services le 30 mars 2001, et qui ne

contient aucune allusion à des documents ou archives qui auraient été dérobés ou
86
soustraits . L’ambassadeur ougandais lui-même s’est d’ailleurs bien gardé de signaler

la nécessité de récupérer ces précieux documents avant le 20 septembre 2002, date de

83UR, annexe 87, par. 9, 11, 13 et 14.
84Infra, par.!par.!2.49 et ss.
85UR, annexe 87, par. 26.
86UCM, annexe 89.

24son affidavit. On se perd aussi en conjectures lorsqu’il s’agit d’expliquer pourquoi des

preuves aussi accablantes ont été gardées pendant si longtemps à l’ambassade de

Kinshasa, sans jamais avoir été transmises à Kampala. La RDC avoue éprouver quelque

peine à croire que des preuves récoltées en 1996 (ou peut-être antérieurement encore)

aient été laissées à Kinshasa sans jamais être envoyées ni copiées en Ouganda. En tout

état de cause, dans la mesure où l’évacuation de l’ambassade a, selon les propres

assertions de l’Ouganda, duré plusieurs semaines, et où elle s’est déroulée à la demande

même de l’Etat accréditant et de façon organisée, il est évident que l’ambassadeur avait

amplement le temps et les moyens d’emmener avec lui les documents les plus

importants. La RDC constate d’ailleurs que l’Ouganda produit dans ses annexes
certains documents qui, visiblement, proviennent des archives de son ambassade à

Kinshasa , documents sur lesquels la RDC reviendra dans le cadre de sa réponse à la

deuxième demande reconventionnelle ougandaise . 88 On y retrouve notamment un

rapport établi en avril 1998 par l’ambassadeur d’Ouganda dont le contenu sera analysé

ultérieurement et qui, outre qu’il ne mentionne aucune preuve de l’implication du Zaïre

ou de la RDC elle-même dans la rébellion ougandaise, a visiblement pu être rapatrié de

Kinshasa. A moins qu’il ait été transmis par courrier, télégramme ou télécopie à

Kampala, auquel cas on en revient à la question de savoir pourquoi les prétendues

véritables preuves de l’implication du Zaïre, puis de la RDC, dans les faits en cause ne

l’ont jamais été…

1.36. Décidément, le scénario élaboré par la partie ougandaise aux fins de

l’élaboration de sa duplique n’est guère crédible. Conscient sans doute que sa thèse ne

peut s’appuyer sur aucun élément probant, l’Ouganda en est réduit à évoquer

soudainement des preuves dont, par les grâces miraculeuses de la fin de l’amnésie de

son ambassadeur, il aurait enfin retrouvé la trace. Le procédé est pour le moins

critiquable. En tout état de cause, il va de soi que la Cour ne saurait se fonder sur de

telles allégations pour accorder un quelconque fondement à la première demande

reconventionnelle ougandaise.

87UCM!, annexe 23, UR, annexe 28 et 29.
88Infra, par.!2.53.
89UR, annexe 22.

25 c) L’Ouganda ne peut pas démontrer que la RDC a reconnu une implication du
Zaïre dans les activités de forces irrégulières ougandaises

1.37. L’Ouganda en vient enfin à prétendre que «!the DRC’s own admissions provide

prima facie proof of Uganda’s counter-claims!» . En effet, et toujours selon la partie

ougandaise, la RDC reconnaît que des activités subversives dirigées contre l’Ouganda

ont été menées à partir du territoire zaïrois et s’avère, par ailleurs, incapable de préciser

quelles auraient été les mesures prises par les autorités zaïroises de l’époque pour mettre

fin à ces activités. La responsabilité de la RDC serait donc engagée, non pour sa

participation à une attaque particulière, ou encore pour l’établissement de liens avec ses

auteurs, mais pour sa seule négligence à prendre des mesures de prévention. En

d’autres termes, l’Ouganda ne pouvant démontrer la participation du Zaïre à une

quelconque action, qu’il s’agisse d’une attaque spécifique ou d’une aide ou d’un soutien

à des forces irrégulières, en est réduit à invoquer une responsabilité par omission.

1.38. La RDC a, en réalité, déjà répondu à cette argumentation. Les Monts Rwenzori

ont toujours constitué une zone difficilement contrôlable, au sein de laquelle des forces

irrégulières hostiles tant à l’Ouganda qu’au Zaïre se sont réfugiées depuis des

décennies . Aucun des deux gouvernements n’a d’ailleurs jamais réussi à résoudre

durablement ce problème d’insécurité. Or, juridiquement, l’obligation de vigilance, ou

de due diligence, n’est nullement une obligation de résultat, qui permettrait d’engager la

responsabilité d’un Etat pour la seule raison qu’il n’est pas parvenu à assurer la sécurité
92
sur son territoire . Il s’agit au contraire d’une obligation relative, qui dépend avant tout

des circonstances de l’espèce et de ce qu’on peut raisonnablement attendre d’un Etat

dans ces circonstances. En l’occurrence, le Zaïre a toujours eu pour politique de tenter

de sécuriser ses frontières avec l’Ouganda. Il n’y a certes pas toujours réussi mais, si

l’on pousse l’analyse, on se rend compte que c’est lui, et non l’Ouganda, qui en a été la

victime. Il faut en effet rappeler que c’est notamment à partir de cette zone frontalière
que les rebelles congolais de l’AFDL ont, avec le soutien des autorités ougandaises

(soutien qu’elles admettent d’ailleurs encore aujourd’hui, au moins sur un plan

90UR, p. 298, par. 646.
91RRDC, not. pp. 150 et ss.
92Jean Salmon (dir.), Dictionnaire de droit international public, Bruxelles, Bruylant, AUPELF, 2001, pp. 341 et
771.

26«!politique!» ), renversé le régime du président Mobutu. Dans ces conditions,

l’Ouganda paraît à tout le moins malvenu de se présenter en victime d’une violation du

droit international de la part du Zaïre.

1.39. L’Ouganda a ensuite l’audace d’affirmer que «!the Reply does not bother to

contest the considerable evidence Uganda offered on this score in the Counter-

Memorial. (DRCR, para. 6.17). As a result, the DRC has effectively conceded the force
94
of that evidence!» . L’affirmation est décisive!: l’Etat demandeur aurait accepté la

valeur probatoire de tous les éléments de preuve contenus dans les écritures de l’Etat

défendeur, ce qui dispenserait ce dernier de poursuivre le débat judiciaire.

1.40. La RDC avoue tout simplement ne pas comprendre l’argument ougandais. Le

seul élément précis invoqué est en effet un passage de la réplique qui constitue

exactement le contraire d’une admission de la valeur probante des documents

ougandais. Puisqu’il semble subsister un doute à ce sujet, la RDC se permet de citer ce

passage in extenso!:

«!6.17. La RDC se permet à ce stade de renvoyer à un passage du
chapitre III de la présente réplique, où elle a démontré de manière détaillée que

l’on ne pouvait attribuer au gouvernement zaïrois un quelconque soutien à des
forces militaires irrégulières opérant à l’encontre du gouvernement ougandais
(supra , chapitre III, par. 3.95-3.103). Une critique de la documentation
présentée dans le contre-mémoire ougandais a été développée dans ce contexte,

notamment à l’égard du premier chapitre intitulé «!Congolese Armed Attacks
Against Uganda During the Presidency of Mobutu Sese Seko (1994-1997)!»
(Supra , par. 3.100). La Cour voudra bien s’y rapporter pour constater le

manque total de fondement en fait de la demande reconventionnelle
ougandaise!: celle-ci est contredite par les sources neutres et indépendantes
qui se sont penchées sur le sujet, et ne peut s’appuyer sur les quelques
documents à très faible valeur probatoire qui sont présentés à son appui .!»95

La manière dont l’Ouganda a pu déduire de ces termes l’affirmation selon laquelle «!the

Reply does not bother to contest the considerable evidence Uganda offered!» reste, aux

yeux de la RDC, un mystère insondable qu’elle s’avoue impuissante à dissiper.

93UCM, annexe 42, p. 14 et RRDC, p. 176, par. 3.64.
94UR, p. 302, par. 656.
95V. la conclusion tirée sur ce point au par. 3.103 de la réplique.

27B. Dans la mesure où elle s’étend à la période allant de l’arrivée au pouvoir de Laurent

Désiré Kabila au déclenchement de l’agression ougandaise, la demande ougandaise

n’est pas fondée en fait

1.41. La position de l’Ouganda au sujet de la date des débuts du prétendu soutien de la

RDC à des forces irrégulières ougandaise est pour le moins incertaine. Après avoir

affirmée que ce soutien aurait commencé en 1997 , aurait connu une recrudescence en

juin puis en août 1998, la partie ougandaise évoque à présent plus généralement la

«!mid-1998!» . 99 Cette incertitude est significative!; elle montre tout simplement

qu’aucune preuve d’une implication du gouvernement de la RDC dans des actions

armées menées à l’encontre de l’Ouganda ne peut être apportée pour la période

antérieure à l’intervention militaire de ce dernier Etat. L’Etat demandeur sur

reconvention ne peut en tout cas démontrer que la RDC a été impliquée dans une

quelconque attaque particulière au cours de cette période (1). Plus généralement, il

s’abstient de répondre aux principaux arguments avancés par la RDC dans sa réplique

(2) pour prétendre, à tort, que la RDC aurait reconnu les faits qui lui sont reprochés (3),

et que cela serait confirmé par certains éléments de preuve concernant les liens supposés

des autorités congolaises tant avec les forces irrégulières ougandaises (4) qu’avec les

autorités soudanaises (5).

96 «![C]ommencing in 1997 the Governement of the DRC coordinated the military operations of the ADF!»
(UCM, p. 213, par. 366).
97UCM, p. 211, par. 363.
98
99RRDC, p. 147-148, par. 3.06.
UR, p. 306, par. 664.

281. L’Ouganda ne peut toujours pas démontrer que la RDC a été impliquée dans une

seule attaque particulière menée à l’encontre du territoire ougandais

1.42. Dans son contre-mémoire, la partie ougandaise accusait les autorités congolaises

d’avoir «!commandé et contrôlé!» les attaques du collège technique de Kichwamba du 8

juin 1998, et de Kasese du 1 août 1998 . Dans sa réplique, le Congo a démontré qu’il

ne s’agissait que d’affirmations gratuites, qui étaient contredites par les annexes

ougandaises elles-mêmes . L’Ouganda préfère ne pas revenir sur ces incidents dans sa

duplique, sinon pour réaffirmer sa position sans répondre à l’argumentation

congolaise .102

1.43. La RDC en prend acte, et se voit contrainte de renvoyer pour le surplus à sa

réplique. Comme la duplique ougandaise n’ajoute aucune accusation relative à une

attaque particulière, on se trouve dans une situation sans doute sans précédent où un Etat

en accuse un autre d’agression sans pouvoir citer une seule attaque dans laquelle celui-ci

aurait été impliqué.

2. Les arguments de l’Ouganda ne sont pas de nature à remettre en cause les

principaux éléments de preuve contenus dans la réplique de la RDC

1.44. Dans sa réplique, la RDC, quoique tenue de participer à l’administration d’une

preuve négative , a recouru à des moyens divers pour démontrer que la thèse selon

laquelle le Congo aurait agressé l’Ouganda en 1998 manquait totalement de crédibilité.

Comme il a déjà été rappelé plus haut, les relations entre Kinshasa et Kampala ont, dès

l’arrivée au pouvoir de Laurent Désiré Kabila, été marquées du sceau de la coopération.

La RDC et l’Ouganda ont cherché à résoudre de concert le problème de la sécurité qui

subsistait à leur frontière commune, et absolument rien n’indique que l’un ou l’autre ait,

à l’époque, violé le droit international à cet égard. La RDC a, dans sa réplique, énuméré

les diverses actions qu’elle avait entreprises en vue de lutter contre les rebelles de

l’ADF ou d’autres forces irrégulières ougandaises . Ces efforts n’ont pas directement

100UCM, pp. 221-22, par. 389-390.
101RRDC, pp. 365-368, par. 6.37-6.47.
102UR, p. 307, par. 665.
103
104RRDC, pp. 198-199, par. 3.106.
RRDC, pp. 158 et ss.

29été remis en cause par la partie ougandaise, qui a même produit de nouveaux documents

attestant du souci des autorités congolaises de répondre aux préoccupations légitimes de
sécurité de tous les Etats de la région. Dans ces conditions, la thèse selon laquelle la

RDC apportait une soutien aux forces irrégulières ougandaises dans le courant de 1998

apparaît pour le moins anachronique!; en réalité, elle ne vise qu’à accréditer une version
des faits élaborée aux fins de la présente instance. A cet égard, l’Ouganda n’a toujours

pas expliqué quel aurait été l’objectif du gouvernement de Kinshasa qui, lui-même

soumis à de sérieux problèmes de sécurité sur plusieurs parties de son territoire, aurait

choisi de s’aliéner ses puissants voisins en s’engageant dans une politique de soutien
aux activités subversives menées à leur encontre par des groupes irréguliers.

1.45. La version des faits présentée par la RDC peut en revanche s’appuyer sur des

éléments de preuve variés, dont la pertinence a été reconnue par la jurisprudence
internationale : des déclarations officielles des autorités de l’Etat défendeur lui-même,

des actes des organisations internationales, des sources neutres et indépendantes et,

incidemment, certains témoignages. Plusieurs éléments méritent d’être rappelés à ce
stade.

1°. Les déclarations officielles des plus hautes autorités ougandaises elles-

mêmes contredisent la version des faits développée par l’Ouganda dans son
contre-mémoire. Ces autorités se sont en effet soigneusement abstenues

d’accuser la RDC d’avoir violé le droit international à leur encontre pendant la

période où l’Ouganda affirme aujourd’hui que ces violations ont eu lieu.

Aucune protestation ni critique précise à l’encontre de la RDC n’a été émise
avant le mois d’octobre 1998, date à laquelle l’Ouganda admet lui-même qu’il

était engagé dans une intervention militaire au Congo. Pendant la période

critique, ni le Président Museveni, ni une quelconque autre haute autorité
ougandaise n’a émis de protestation diplomatique, ou saisi le Conseil de

sécurité pour se plaindre d’un soutien du gouvernement congolais aux forces

irrégulières opérant sur son territoire. Le constat est resté valable alors même

que, dès le début du mois d’août 1998, les autorités congolaises accusaient

30 quant à elles formellement l’Ouganda de participer à l’agression armée qui était
menée à l’encontre de la RDC . 105

2°. Aucune des organisations internationales compétentes qui se sont

prononcées sur cette question (ONU, OUA, SADC, …) n’a jamais accrédité, en

fait ou en droit, la thèse défendue par l’Ouganda selon laquelle le Congo aurait

fourni un appui à des actions militaires menées à l’encontre de l’Ouganda, et ce

alors même que ces organisations se sont livrées à une étude détaillée de la
106
situation . Au contraire, ces organisations ont condamné l’intervention

militaire de l’Ouganda, sans admettre l’argument de la légitime défense!; le

Conseil de sécurité de l’ONU a, en particulier, explicitement constaté que

l’Ouganda avait «!violé la souveraineté et l’intégrité territoriale de la RDC!»

(résolution 1304 du 16 juin 2000). La version des faits présentée par

l’Ouganda devant la Cour n’a donc jamais été prise en compte par les

organisations internationales chargées du maintien de la paix qui ont été saisies
de ce conflit, organisations qui sont pourtant particulièrement prudentes et

soucieuses de vérifier les allégations factuelles présentées par les parties à un

conflit.

3°. Aucune des sources neutres et indépendantes qui se sont penchées sur cette

période historique ne mentionne un soutien, ni même des liens entre les

autorités congolaises et les forces irrégulières ougandaises opérant à la
107
frontière entre les deux Etats . La RDC a cité en ce sens de nombreux

rapports des Réseaux d’Information Régionaux Intégrés (IRIN), rattachés au

Bureau de l’ONU pour la coordination des affaires humanitaires (OCHA), ainsi

que de nombreuses autres sources journalistiques et académiques. Aucune

d’entre elles ne reprend ni n’accrédite la thèse ougandaise.

10RRDC, pp. 172-175, par. 3.56-3.61.
10RRDC, pp. 199-200, par. 3.107.
10RRDC, pp. 150 et ss.

31 4°. Même les documents présentés par la partie ougandaise elle-même ne

plaident pas en ce sens, pour autant que l’on ne retienne que ceux qui ont été

élaborés in tempore non suspecto. Ce n’est qu’à partir de septembre 1998, soit,

une fois encore, à un moment où l’Ouganda admet avoir entamé son

intervention militaire au Congo, que certains de ces documents commencent à

forger rétroactivement le scénario d’un soutien de Kinshasa aux forces
108
irrégulières ougandaises . Ainsi, l’Ouganda ne peut produire ni déclaration

officielle ni document de son administration qui accrédite ce scénario. Quant

aux trois seuls textes qui sont supposés contenir des témoignages à charge du

Congo, ils se révèlent à la fois particulièrement flous et visiblement marqués du

sceau de l’incohérence, et sont au demeurant contredits par le témoignage
109
direct et dépourvu de toute ambiguïté du colonel Ebamba ainsi que, de

manière incidente, par certains autres témoignages produits par la partie
110
ougandaise elle-même .

1. 46. Quelle a été la réponse de l’Ouganda sur ces quatre points cruciaux!?

1°. Quant au premier de ces points, l’Ouganda confirme que, jusqu’au mois
111
d’octobre 1998, «!no formal protest emanated from Uganda!» . Il semble

toutefois estimer que cet élément n’est pas pertinent aux fins de l’établissement

des faits, puisque «!the legal question, appropriately formulated, is whether there

is adequate evidence of a pattern of acquiescence by Uganda in face of the
112
policies of the DRC![…]» . La RDC s’étonne de cette défense, dans la mesure

où elle y a répondu en signalant dans sa réplique que, d’une part, cette absence

de protestation démontrait effectivement une renonciation à mettre en cause la

responsabilité du Zaïre et que, d’autre part et parallèlement, il s’agissait d’un

élément pertinent qui montrait que l’Ouganda lui-même ne s’estimait

visiblement pas la victime, in tempore non suspecto, d’un comportement agressif

de la part du Congo. Cet élément, qui n’est bien évidemment qu’une

circonstance parmi d’autres, comme paraît du reste le reconnaître incidemment

10RRDC, pp. 188-189, par. 3.88.
109
110RDC, pp. 189-191, par. 3.89-3.93.
111RDC, p. 187, par. 3.83.
UR, p. 112, par. 258!; v. aussi ibid., par. 256.
11UR, p. 111, par. 253.

32 l’Ouganda , a été reconnu comme probant par la jurisprudence internationale,

en particulier dans les affaires où la légitime défense était invoquée pour réagir à

un prétendu soutien à des forces irrégulières . L’Ouganda admet d’ailleurs,

dans une autre partie de sa duplique consacrée à la prise en compte des

déclarations officielles comme moyen de preuve, n’avoir aucune «!difficulty
115
with the general principle involved […]!» . L’Ouganda n’a toujours pas

expliqué à la Cour pourquoi il n’a jamais émis de protestation, formelle ou

informelle, au moment où il aurait été victime d’une agression armée de la part

du Congo. La RDC maintient qu’il s’agit là d’un élément particulièrement

significatif dans la présente espèce.

2°. Quant aux résolutions des organisations internationales compétentes,

l’Ouganda commence par admettre leur recevabilité comme moyen de preuve,

116
tout en rappelant qu’elles doivent être analysées avec prudence . Il s’abstient

cependant ensuite soigneusement d’expliquer comment ces organisations

auraient toutes adopté une version erronée des faits pour condamner l’Ouganda

pour sa violation de la souveraineté et de l’intégrité territoriale de la RDC. Le

Congo en prend acte, et se permet de rappeler l’existence de plusieurs

résolutions émanant d’organisations internationales, y compris du Conseil de

sécurité de l’ONU, qui sont radicalement incompatibles avec la thèse

ougandaise . 117

3°. L’Ouganda est évidemment tout aussi embarrassé devant l’abondant

matériau documentaire avancé par la RDC, et qui montre que les sources

118
neutres, y compris celles que l’on retrouve dans les écritures ougandaises , vont

toutes à l’encontre de son scénario. La partie défenderesse est évidemment
119
obligée d’admettre la recevabilité de ces éléments , pour aussitôt avancer sans

aucune forme de motivation qu’il ne s’agit que de sources «!invariably written

113
114UR, p. 115, par. 265.
RRDC, pp. 47-48, par. 1.85-1.88, pp. 200, par. 3.108 et 202, par. 112.
115UR, p. 19, par. 52.
116UR, p. 19, par. 51.
117RRDC, p. 199, par. 3.107.
118RRDC, p. 186, par. 3.82.
119
UR, p. 19, par. 53.

33 120
by people with no direct knowledge of the matters at issue!» , qui doivent être

écartées au profit des témoignages «!de première main!» apportés par l’Ouganda.

Une fois encore, ce ne sont pas de telles affirmations péremptoires qui feront

avancer le débat judiciaire. La RDC a déjà montré en quoi les différentes

sources qu’elle a utilisées peuvent se prévaloir de qualités de sérieux et
121
d’objectivité qui ne sont, par définition, pas la marque des témoignages de

personnes directement liées à l’une des parties au procès.

4°. A cet égard, et pour en venir au dernier élément énoncé ci-dessus, la

RDC avoue rester pour le moins étonnée devant la prétention ougandaise selon

laquelle la partie congolaise se serait rendue coupable d’une «!failure to contest
critical evidence presented by Uganda!» . Dans sa réplique, la RDC a en effet

repris presque un à un les documents présentés dans le contre-mémoire

ougandais pour démontrer qu’il ne s’agissait nullement d’éléments probatoires

pertinents . L’Ouganda n’estime pas nécessaire, dans sa duplique, de répondre

à ces critiques, ce qui est son droit. On peut en revanche s’étonner que la partie

ougandaise se permette de nier que la RDC ait, tout au long de sa réplique,

procédé à une réfutation méthodique et circonstanciée des documents produits

par la partie adverse.

3. L’Ouganda ne peut démontrer une reconnaissance des faits par la RDC

1.47. L’Ouganda utilise ainsi une technique qui, aux fins de contourner le débat

judiciaire, consiste à interpréter les écritures congolaise de manière manifestement

abusive. Si on en croit la partie ougandaise, en effet, la RDC se serait rien moins que

rangée à ses thèses. De nombreuses pages de la duplique sont ainsi consacrées à des

affirmations aussi péremptoires qu’outrancières qui tendent, par le seul fait de la

répétition, à donner l’impression qu’elles reposent sur un certain fondement.

120
121UR, p. 20, par. 55.
122RRDC, not. p. 50, par. 1.92.
UR, p. 21, par. 58.
123Voy. en particulier RRDC, pp. 179-192, par. 3.68-3.94, pp. 355-368, par. 6.16-6.47, pp. 370-375, par. 6.54-
6.64.

34On notamment y lire que

«!the DRC has now admitted, either directly or by failure to contest […]
(ii) That successive Congolese Governments headed by Presidents Mobutu and
Laurent Kabila either chose not to take action to prevent these attacks against

Uganda or were unable to do so […];
(vi) That … President Kabila broke off his alliances with Rwanda and Uganda
between May and July of 1998, and established new alliances with Sudan,
Chad, the ex-FAR […] the ADF and other anti-Uganda insurgent groups

supported by Sudan […]!;
(viii) That during August 1998 […] President Kabila asked or allowed Sudan
to send Sudanese Troops into Congo and occupy major airfields within striking

distance of Uganda!; drop bombs on the Ugandan troops that the DRC
Government had allowed into the border regions of eastern Congo, and deliver
arms and material to […] the anti-Uganda insurgents!» . 124

L’Ouganda poursuit en affirmant que «![…] all of the above is expressly admietted by

the Reply, or fully demonstrated by the Counter-Memorial and uncontested by the
125
Reply. It must now be taken as fact» . Ainsi, et toujours selon la duplique, «!the

Reply concedes that military support was provided to the ADF and other anti-Uganda
insurgent groups via the triangular relationship between those groups, the Government

of the DRC and the Government of Sudan!» . 126

1.48. Ces affirmations sont tout simplement extraordinaires. Une partie substantielle

(plus de 130 pages) de la réplique de la RDC est en effet consacrée à prouver

exactement le contraire de ce qui est affirmé par l’Ouganda, à savoir l’absence de tout

soutien congolais aux rebelles ougandais, que ce soit de manière directe ou indirecte . 127

La RDC réaffirme de la manière la plus solennelle qui soit qu’elle n’a jamais entendu

attaquer l’Ouganda, que ce soit de manière directe, en soutenant des forces irrégulières,

ou en s’alliant avec un autre Etat, quel qu’il soit. Elle pensait en toute bonne foi

qu’aucun doute ne subsistait sur ce point à la lecture de ses écritures.

12UR, pp. 21-23, par. 59.
12UR, p. 25, par. 60.
126
UR, p. 34, par. 75.

351.49. En guise de preuve, l’Ouganda cite d’abord à l’appui de son extravagante

prétention deux passages de la réplique qui, après avoir cité des sources neutres,

relèvent que!:

- «!C’est donc le Soudan qui est cité comme soutien actif de ces mouvements

rebelles, et non la RDC!» !;28

- «!c’est ici encore la République du Soudan qui est citée, et non la RDC!» . 129

La RDC ne prétend évidemment pas que le Soudan est impliqué dans une aide aux

rebelles ougandais. Son seul but est de démontrer qu’elle ne l’est pas elle-même, en

montrant que les études qui ont traité de cette période ne font jamais mention d’un

quelconque soutien de la RDC à ces groupes rebelles ougandais. Pour le reste, la RDC

ne souhaite pas, et n’a jamais souhaité, se prononcer sur les responsabilités encourues

par l’un ou l’autre des protagonistes dans le conflit entre l’Ouganda et le Soudan. La

RDC admet encore moins avoir quoi que ce soit à voir avec un éventuel soutien du

Soudan à certaines forces rebelles ougandaises. Elle démontre même le contraire,

pièces, documents et sources neutres à l’appui, tout au long de sa réplique qui, sur ce

point comme sur d’autres, s’attache à réfuter point par point les arguments de la partie

adverse.

1.50. La duplique se poursuit pourtant par le passage suivant!:

«!Moreover, as the Reply acknowledges, and as detailed below, the military
support given by Sudan to the ADF and other anti-Uganda groups in the DRC
was provided with the full knowledge and consent — indeed, with the express

approval— of the DRC Governement, in furtherance of a military alliance that
President Kabila established with Sudan between May and July 1998!» . 130

L’Ouganda est évidemment libre d’avancer les allégations de son choix, même les plus

fantaisistes. Il n’est en revanche pas correct de prétendre que «!the Reply

acknowledges!» l’un quelconque des éléments qui sont mentionnés dans l’extrait qui

vient d’être cité. L’Ouganda se garde au demeurant bien de citer un quelconque passage

127
RRDC, pp. 147-246, et pp. 347-375.
12RRDC, p. 155, par.3.22!; souligné par la RDC.
12RRDC, p. 155, par. 3.323!; souligné par la RDC.
13UR, pp. 34-35, par. 76.

36de la réplique qui pourrait ne fût-ce que constituer un indice susceptible d’être interprété

en ce sens. La RDC a en effet toujours nié, et continue à nier, avoir approuvé un

quelconque soutien à des activités subversives dirigées contre les autorités ougandaises.

Au contraire, toute son argumentation consiste à prouver que c’est l’Ouganda qui a, le

premier, attaqué militairement la RDC.

1.51. L’Ouganda prétend encore que la réplique ne contient aucune dénégation

relative aux «!Uganda’s assertions about the military alliance between President Kabila

and Sudan, or about any of the actions taken by Sudan or the DRC in furtherance of that
131
alliance!» . L’Ouganda insiste, en citant son contre-mémoire sur près de trois pages,
132
pour répéter que «!It bears repeating that none of these facts is denied in the Reply!» .

Par le biais d’une technique qui est à la limite de la falsification, l’Etat défendeur cite

encore des sources qu’il reprend de la réplique congolaise, pour feindre de croire

qu’elles expriment la position officielle de la RDC . 133

1.52. La RDC avoue ne pas comprendre la stratégie judiciaire de l’Ouganda qui

consiste soit à dénaturer, soit à ignorer les écritures de la partie adverse. Dans la partie

consacrée aux «!éléments à vocation probatoire avancés par le contre-mémoire

ougandais!» , la RDC commence par s’attaquer à ce qu’elle désigne comme les

«!accusations les plus graves!» portées à son encontre . Et elle cite précisément à ce

titre la thèse ougandaise de la «!military alliance with Sudan!» . Cette thèse est ensuite

137
réfutée méthodiquement . La RDC a par ailleurs présenté aussi complètement que

possible sa version des faits, et de l’évolution de la situation, en particulier pendant
138
l’année 1998 . Jamais il n’y a été question d’une quelconque alliance avec le Soudan.

Tout lecteur de bonne foi s’en rendra compte à la lecture des chapitres II et III de la

Réplique, ainsi que du Mémoire de la RDC. En tout cas, l’Ouganda est particulièrement

malvenu de prétendre pouvoir déduire de la réplique une quelconque acceptation d’un

élément qui y est clairement et méthodiquement réfuté.

131UR, p. 36, par. 81.
132UR, p. 38, par. 81.
133UR, pp. 38-39, par. 82, et p. 39, par. 84.
134
135RRDC, p. 179.
Ibid.
136RRDC, p. 179, par. 3.70.
137RRDC, pp. 179-182, par. 3.70-3.74.
138RRDC, pp. 147 et ss.

374. La thèse d’un soutien congolais aux forces irrégulières ougandaises n’est assortie

d’aucun (nouvel) élément de preuve

1.53. Au-delà de l’argument fantaisiste de la reconnaissance des faits par le Congo,

l’Ouganda aborde enfin le fond du débat. D’abord, il affirme que les preuves présentées

dans son contre-mémoire sont maintenues!:

«!Uganda presented extensive proof of the DRC’s support for the ADF and
other anti-Uganda groups in the Counter-Memorial. (UCM, paras. 33-41.) The
Reply challenges this proof. (DRCR, paras. 3.68-3.79.). Uganda acknowledges
the difficulty of establishing, by first-hand account, the direct military

relationship between the DRC and the ADF, especially in the face of the
DRC’s deliberate efforts to carry on this relationship in secrecy. Nevertheless,
Uganda feels she has carried her burden in this regard!» .39

L’Ouganda semble ainsi renoncer à contester ou à discuter les réfutations précises
contenues dans la réplique, au profit d’une profession de foi assortie d’une accusation

gratuite. La RDC se contentera d’en prendre acte, et peut dès lors renvoyer sur ce point

aux passages pertinents de sa réplique.

1.54. Ne pouvant plus s’appuyer sur les éléments de son contre-mémoire qui ont été
démontés par la RDC, l’Ouganda tente alors d’en apporter d’autres. Seuls cinq

documents, dont on constatera dans les lignes qui suivent qu’ils ne constituent en réalité

nullement des éléments probatoires concluants, sont en ce sens présentés dans la

duplique.

1.55. La duplique renvoie d’abord à une lettre, manuscrite et datée du 15 février 1998,

qui aurait été rédigée par le chef de la branche politique de l’ADF pour être adressée au

Colonel Ebamba qui, toujours selon les écritures ougandaises, avait été désigné par le
140
président Kabila en vue de comploter contre l’Ouganda . Les extraits les plus

pertinents sont les suivants!: «!By all of these we can decide to send to you our personal
messenger to meet you but after we have received your reply of assuring us that you

will be welcoming him with peace and love. We need your reply very soon […]

therefore we’re requesting you to tell us exactly what is your position in this our

139
UR, p. 29, par. 68.

38 141
struggle of liberating our mother country[…]!» . Que démontre cette lettre, si tant est

qu’elle soit authentique, ce qui est évidemment impossible à établir!? D’abord, que son

auteur semble avant tout soucieux de se gagner les faveurs de son destinataire, ce qui se

traduit par des formes de politesse particulièrement lourdes. On se remarque

immédiatement que le rédacteur de la missive n’est nullement certain de s’adresser à un

collaborateur ou à un allié établi, et que, loin de se présenter comme un bénéficiaire

d’une aide quelconque, il ne se pose qu’en demandeur qui n’est nullement assuré

d’obtenir gain de cause. Cette supplication est du reste formulée à la suite de ce qui

n’apparaît comme des rumeurs, dont le caractère incertain explique le ton quémandeur

adopté; aucun fait précis n’est en tout cas avancé. Enfin, et peut-être surtout,

absolument rien n’indique que cette lettre ait eu une quelconque suite!: son auteur

explique qu’il ne souhaite rencontrer son interlocuteur que si celui-ci lui répond, mais

aucune réponse n’a apparemment été apportée, et la rencontre n’a donc sans doute

jamais eu lieu. En d’autres termes, la seule «!preuve!» avancée par l’Ouganda est une

demande de rencontre qui n’a pas été honorée. La duplique croit résoudre le problème

en avançant que «!While Uganda was not privy to Col. Ebamba’s response to the ADF’s
142
overture, developments in the region made plain that the response was positive!» .

C’est véritablement ce qu’on appelle une pétition de principe!: l’Ouganda procède

encore une fois en postulant ce qu’il doit démontrer. La RDC a, quant à elle, déjà

répondu aux allégations ougandaises en faisant remarquer que le colonel Ebamba

n’avait pas été nommé par le président Kabila, mais par le chef de l’armée congolaise de

l’époque, le général Kabarebe, un officier supérieur rwandais dont on se demande
143
toujours quels auraient été ses intérêts à ourdir un complot contre l’Ouganda . La

partie ougandaise n’a apporté aucune réponse à cet argument objectif, ni d’ailleurs aux

termes du témoignage direct du colonel Ebamba, qui contredit radicalement cette
144
version des faits .

1.56. L’Ouganda produit ensuite un document intitulé «!NALU/ADF rebel activities in
145
Zaire/DRC, supported by the late Mobutu and Kabila in collaboration with Sudan!» .

Le document n’est ni daté, ni signé, ni identifié autrement que comme un «!internal

140UR, p. 29, par. 70.
141UR, annexe 21.
142UR, p. 31, par. 70.
143RRDC, p. 191, par. 3.93.
144RRDC, annexe 54.

39 146
report from the Ugandan External Security Organization!», sans plus de précision . Il

s’agit donc d’un texte de l’administration ougandaise, dont rien n’indique qu’il ait été

établi in tempore non suspecto. C’est dire qu’on ne saurait l’accepter comme élement

de preuve. Son contenu laisse par ailleurs apparaître une incohérence de plus dans le

scénario de l’Ouganda. On y lit en effet que c’est après un incident survenu au mois de

janvier 1998 qu’un officier congolais en poste dans la zone frontalière «!was transferred
147
and replaced by Col. Ebamba Matthias!» . Dans son contre-mémoire, l’Ouganda

affirmait en revanche que l’affectation du colonel Ebamba dans l’est du Congo était

intervenue en septembre 1997, soit au moins quatre mois plus tôt ! En réalité, et comme
148
la RDC l’a déjà signalé, le colonel Ebamba a été nommé au mois de décembre 1997

par le chef de l’armée congolaise, qui était particulièrement soucieux d’assurer la

sécurité dans l’est congolais, conformément à la volonté du gouvernement ougandais.

1.57. L’Ouganda présente encore une déclaration datée du 17 septembre 2002, dont un
149
certain Mohammed Kiggundu serait l’auteur . Il s’agit d’un document manuscrit, non

signé, et qui n’a visiblement pas été rédigé par la personne dont le témoignage est

consigné, l’écriture étant identique à celle de l’auteur du document produit dans

l’annexe 85, qui est supposée consigner un autre témoignage. On ne sait pas dans

quelles conditions, par qui et comment cette déclaration a été obtenue, si ce n’est qu’elle

l’a été en septembre 2002, soit visiblement en vue d’étayer le dossier ougandais dans le

cadre de la procédure pendante devant la Cour. Toutes les prétentions qui y sont

contenues partent de l’affirmation du témoin selon laquelle «!having made an alliance

with the ADF in 1998, I came to understand the following terms under which we were
150
in alliance with the Congo!» . Pour que le témoignage soit, même seulement a priori,

pertinent, la mention générale de l’année 1998 est insuffisante. Rien ne démontre en

effet que ces allégations couvrent la période critique, c’est-à-dire celle qui précède le

déclenchement de l’agression ougandaise, qu’il s’agisse du 2 août 1998 (thèse

congolaise) ou du 11 septembre 1998 (thèse ougandaise). Dans cette perspective,

l’analyse de l’annexe 85 est intéressante!; l’implication de la RDC n’y est en effet

mentionnée qu’à partir d’octobre et de septembre 1999, ou éventuellement de 1998 (la

145UR, annexe 108.
146UR, p. 31, par. 71.
147UR, annexe 108, p. 10.
148RRDC, annexe 54.
149UR, annexe 86.

40lecture du dernier chiffre est difficile en raison d’un problème, sans doute accidentel, de

cadrage de la photocopie), mais pas de 1997 (la partie du dernier chiffre qui est visible

ne correspondant en tout état de cause pas à un 7). Quoi qu’il en soit, on ne saurait

retenir comme probatoires de telles allégations unilatérales et vagues. Il en est d’autant

plus ainsi que ces déclarations sont de surcroît de seconde main, l’auteur de la

déclaration ne prétendant pas avoir été lui-même le témoin des faits allégués, et ne

couvrent pas la période critique.

1.58. L’Ouganda présente aussi un texte intitulé FAC TRAINS ADF/NALU Recruits at
151
Kinyogoti camp in DRC . Il ne s’agit cependant que d’un rapport purement interne,
152
qui aurait été transmis par un responsable militaire ougandais au président Museveni .

Ce type de document ne saurait évidemment constituer une preuve dans le cadre de la

présente instance. Au demeurant, les faits qui y sont rapportés sont relativement limités.

Il semble, selon l’auteur de ce document, que des camps d’entraînement situés en

territoire congolais aient, au début du mois d’août 1998, été utilisés par des rebelles

ougandais. Mais, à ce moment, la région se trouvait sous l’autorité du général
153
Kabarebe, qui y avait placé des unités en vue de l’action qui a débuté le 2 août . Dans

ces circonstances, on ne voit pas comment les autorités congolaises auraient pu soutenir

les rebelles ougandais. Le rapport signale d’ailleurs explicitement que «!It is not yet

established whether the inclusion of Ugandan trainees was a local decision or whether
154
it had the blessing of Kinshasa!» . Ces autorités locales ne sont pas désignées mais, en

tout état de cause, la RDC relève que les autorités congolaises alors en poste dans la

région étaient plutôt favorables aux positions ougandaises. Le colonel Ebamba qui,

selon la partie ougandaise, constituait le cerveau du complot, avait en effet quitté l’est

du Congo depuis juin 1998. On ne peut donc, même si on accepte la recevabilité de ce

document comme élément de preuve, rien en déduire de particulièrement probant.

1.59. L’Ouganda produit enfin le témoignage de celui qui était alors ambassadeur
155
d’Ouganda à Kinshasa, daté du 20 septembre 2002, dûment signé et authentifié . Au

contraire de tous les autres, ce texte, qui a déjà été analysé plus haut, est

150UR, annexe 86, souligné par la RDC.
151UR, annexe 28.
152UR, p. 33, par. 74, n.20.
153RRDC, pp. 73-75, par. 2.21-2.25.
154Voy. la p. 2 du rapport précité.

41particulièrement précis. L’ambassadeur y prétend que les autorités congolaises ont

activement soutenu les rebelles ougandais «!prior to August 1998!». Il évoque des

documents qui auraient pu étayer ces affirmations, mais qui n’auraient pu être emmenés

lors de l’évacuation de l’ambassade, en août 1998. La RDC a déjà expliqué pourquoi on

ne pouvait accorder aucun crédit à cette argumentation tardive et incohérente . Ce qui156

valait pour les «!preuves!» de l’implication du Zaïre vaut aussi pour celles qui

accableraient la RDC. Comment à cet égard ne pas relever que, en avril 1998 encore,

l’ambassadeur rédigeait un rapport où, à la suite d’une visite effectuée dans la région

frontalière, il se félicitait de la collaboration des autorités congolaises et recommandait

un accroissement de la coopération avec Kinshasa !? 157

1.60. Finalement, la RDC constate que l’Ouganda ne répond pas aux principaux

arguments développés dans la réplique congolaise, et se contente de produite trois

documents internes contenant des affirmations souvent fantaisistes et parfois

incohérentes, et deux témoignages qui, à l’analyse, ne démontrent rien.

5. La thèse d’un soutien congolais au Soudan n’est assortie d’aucun (nouvel) élément

de preuve

1.61. Dans sa réplique, la RDC a démontré que la thèse ougandaise du complot ourdi

avec le Soudan, qui se serait en premier lieu traduit par un voyage secret effectué par le

président Kabila à Karthoum au mois de mai 1998, était totalement dénuée de

fondement . Aucune des sources, aucun des documents présentés dans le contre-

mémoire n’atteste de cette alliance. Dans sa duplique, l’Ouganda écarte d’un revers de
159
main les réfutations méthodiques de la RDC . Tout au plus l’Ouganda explique-t-il

qu’il y aurait eu plusieurs voyages de ce type, le premier en mai, le deuxième en août, et

le troisième en septembre 1998.

155UR, annexe 87.
156Supra, par.!1.35-1.36 et infra, par. 2.49 et ss.
157
158UR, annexe 22.
159RRDC, pp. 179-182, par. 3.70-3.74.
UR, p. 35, par. 78.

421.62. Mais ces affirmations sont une fois de plus avancées sans preuve. Ainsi, le

prétendu voyage du mois d’août 1998 n’est «!attesté!» que par deux documents qui ne

font qu’exprimer la position ougandaise elle-même . Quant à la rencontre qui aurait

eu lieu à Gbadolite au mois de septembre 1998, il s’agit d’une pure supputation que l’on

retrouve dans le contre-mémoire ougandais sans aucune forme de commencement de

preuve (UCM, pp. 39-40, par. 50, qui ne renvoie à aucune annexe). La duplique

n’ajoute aucun élément susceptible de constituer ne fût-ce qu’un indice en faveur de

cette thèse.

1.63. En tout état de cause, l’Ouganda ne parvient pas à apporter un seul élément

susceptible d’attester de l’existence d’un voyage à Karthoum que le président Kabila

aurait effectué en mai 1998, et qui aurait marqué les débuts du complot, puisque les

seuls documents évoqués dans le contre-mémoire (qui ne reprennent en réalité que des

discours de hauts dignitaires ougandais ) ne contiennent à l’analyse aucune référence à

ce voyage . Dans son contre-mémoire, l’Ouganda allait jusqu’à prétendre qu’il avait

protesté à la suite de ce voyage . La RDC a déjà signalé qu’elle n’avait jamais eu

connaissance de cette protestation . La duplique ne contient aucun élément nouveau à

cet égard. La RDC attend dès lors toujours qu’une preuve de cette protestation lui soit

apportée. En attendant, elle maintient qu’il ne s’agit que d’une pure supputation dont il

ne saurait bien évidemment être tenu compte.

1.64. Ne pouvant plus s’appuyer sur ceux qu’il a présentés dans son contre-mémoire,

l’Ouganda ajoute cependant un élément en avançant que

«!In fact, the source of the assertion that President Kabila made a clandestine

visit in Karthoum in May 1998 to establish a secret military alliance with
President Omar Bashir of Sudan is none other than the DRC’s then Foreign
Minister, Dr Bizima Karaha, as acknowledged in one of the DRC’s own

sources. (International Crisis Group, Congo Report N°3, How Kabila Lost His
Way, p. 22 (1999)!» . 165

160
UCM, p. 39, par. 49, qui renvoie aux seules annexes 90 et 31, qui reprennent elles-mêmes des documents
internes à l’administration ougandaise.
161UCM, p. 30, par. 38, annexes 42 et 66.
162RRDC, pp. 179-180, par. 3.70.
163UCM, p. 30, par. 39.
164
165RRDC, p. 181, par. 3.71.
UR, pp. 35-36, par. 79.

43Cette affirmation est pour le moins surprenante. Ainsi donc, la seule source sur laquelle

se serait appuyé l’Ouganda pour rédiger son contre-mémoire n’a pas été reproduite dans

celui-ci. L’Ouganda ne la cite que dans sa duplique, en admettant explicitement que
cette source est extraite de la réplique congolaise. Aux yeux de la RDC, il ne fait guère

de doute que l’Ouganda a brossé le scénario du voyage de mai 1998 sans pouvoir

s’appuyer sur aucun élément probatoire d’aucune sorte, et qu’il tente à présent

d’interpréter abusivement des documents que le Congo lui a lui-même soumis. Il suffit
pour s’en convaincre de reprendre le passage pertinent du rapport susmentionné de

l’International Crisis Group que, de façon significative, l’Ouganda se garde bien de

citer!:

«!According to Bizima Karaha, his former foreign minister now member of the
RCD, Kabila made a secret trip to Sudan in june 1998 to ask for assistance in
preparing for an attack from Uganda and Rwanda!» . 166

Voilà donc, de l’aveu même de l’Ouganda, le seul élément sur lequel se fonderait la
thèse de l’alliance nouée par la RDC avec le Soudan en vue de l’attaquer militairement.

Cet élément ne constitue évidemment pas une preuve en ce sens, et ce pour plusieurs

raisons.

- En premier lieu, on remarque immédiatement que le voyage mentionné ne
l’est qu’à titre d’hypothèse, «!According to Biziha Karaha!». Le rapport ne

reprend donc pas à son compte l’affirmation!; il signale seulement une

assertion qui, on l’aura relevé, est le fait d’une personne qui a choisi de déserter

son poste en RDC pour se rallier aux forces irrégulières soutenues par des
armées étrangères. On peut en effet se demander quel crédit il convient

d’accorder aux déclarations d’un dirigeant rebelle qui, à l’évidence, est loin de

présenter les qualités d’impartialité et d’objectivité requises.

- En second lieu, à supposer même que l’on admette, à titre d’hypothèse et sans
que cela n’entraîne aucune reconnaissance de la part du Congo, qu’un voyage

ait été effectué par le président Kabila au Soudan à ce moment, ce voyage

aurait seulement eu pour but «!to ask for assistance in preparing for an attack

from Uganda and Rwanda!». La précision est fondamentale. Le président

166
International Crisis Group, Congo Report N°3, How Kabila Lost His Way, 1999, p. 22.

44 Kabila n’aurait pas cherché à former une alliance pour attaquer l’Ouganda,

mais seulement pour se défendre en cas d’attaque en provenance de ce pays.
En d’autres termes, la thèse d’une alliance conclue en vue d’attaquer

l’Ouganda est totalement contredite par ce document. La RDC éprouve dès

lors quelque difficulté à comprendre comment l’Ouganda le prend comme
unique base pour fonder, a posteriori, le scénario qu’il a brossé dans son

contre-mémoire.

- Enfin, et en troisième lieu, on aura remarqué qu’il n’est nullement question
d’un voyage de mai 1998, mais que c’est le mois de juin qui est mentionné.

Peut-être ne s’agit-il que d’un détail, mais d’un détail hautement significatif,

dans la mesure où il confirme —si besoin en était encore— que le scénario

ougandais est franchement fantaisiste. A ce stade de la procédure, l’Ouganda
n’a pas pu produire un seul document qui indiquerait que le président Kabila a

effectué un voyage à Karthoum en mai 1998. Peut-être l’Etat défendeur

prétendra-t-il à présent qu’il y a eu un voyage en mai, et un autre en juin!? Il
ne s’agirait là, finalement, que du franchissement d’une étape supplémentaire

dans un processus de réécriture de l’histoire auquel semble acculée la partie

ougandaise devant l’absence d’élément probatoire.

1.65. Pour sa part, la RDC réaffirme de la manière la plus solennelle qu’aucune

alliance n’a jamais été conclue avec le Soudan en vue d’agresser l’Ouganda, ni au mois

de mai 1998, ni ensuite. Pour le reste, la RDC rappelle que, en dépit de ce que semble

souhaiter la partie ougandaise, elle n’entend pas se prononcer sur le conflit qui oppose le
Soudan à l’Ouganda depuis plusieurs années, que ce soit en accréditant ou en niant les

éventuels liens entretenus entre le régime de Karthoum et certains mouvements rebelles

ougandais.

45C. Dans la mesure où elle vise la période postérieure au déclenchement de l’agression

ougandaise, la demande ougandaise n’est fondée ni en fait ni en droit

1.66. Dès sa formulation dans le contre-mémoire, la demande reconventionnelle
présentée par l’Ouganda a porté non seulement sur les deux périodes qui viennent d’être

examinées, mais aussi la période postérieure au 2 août 1998 . La RDC a, dans sa

réplique, relevé que, dans cette mesure également, cette demande manquait totalement

de fondement, à la fois en fait, aucun acte illicite congolais ne pouvant être démontré, et

en droit, la RDC étant en tout état de cause en situation de légitime défense après le

déclenchement de l’agression armée ougandaise . La même subdivision sera reprise

ci-après pour rencontrer les arguments avancés par l’Ouganda dans sa duplique.

1. Dans la mesure où elle s’étend à la période postérieure au déclenchement de

l’agression ougandaise, la demande ougandaise n’est pas fondée en fait

1.67. Pas plus que dans son contre-mémoire, l’Ouganda n’a été en mesure, dans sa

duplique, de démontrer l’implication de la RDC ni dans une attaque particulière (a), ni

dans les activités des rebelles ougandais (b).

a) L’Ouganda ne peut toujours pas démontrer que la RDC a été impliquée dans

une seule attaque particulière menée à l’encontre du territoire ougandais

1.68. Dans sa réplique, la RDC a réfuté une à une chacune des accusations

ougandaises relatives à des attaques spécifiques, qu’il s’agisse de celle du Parc national
de Bwindi du 1 mars 1999, de celle menée le 9 décembre 1999 contre Fort Portal, ou

d’autres encore . 169 Elle y a montré que l’argum entation ougandaise repose

essentiellement sur des documents qui ne mentionnent même pas la RDC et qui, au

demeurant, avaient pour la plupart été élaborés par les autorités ougandaises elles-

mêmes. La duplique de l’Ouganda n’apporte absolument aucun élément nouveau sur ce

point. Le seul débat dans lequel l’Ouganda ose encore s’engager —sans néanmoins

pouvoir davantage convaincre, comme on le constatera ci-après— concerne non pas une

16UCM, p. 220, par. 384.
16RRDC, pp. 369-375, par. 6.48-6.64.
16RRDC, pp. 370-372, par. 6.52-6.58.

46attaque spécifique, mais des témoignages relatifs aux liens que les autorités congolaises
170
auraient entretenus avec les rebelles ougandais, et ce de manière générale .

1.69. L’Ouganda semble donc avoir renoncé à réfuter les arguments précis développés
dans la réplique, et qui montrent l’absence d’implication congolaise dans des attaques

militaires menées par les rebelles ougandais. La RDC en prend acte.

b) L’Ouganda ne peut toujours pas démontrer l’existence d’un soutien général

de la RDC aux rebelles ougandais

1.70. Dans sa réplique, la RDC a réfuté les quelques rares témoignages qui, selon

l’Ouganda, attesteraient d’un soutien des autorités congolaises aux rebelles ougandais.

Elle s’est, en particulier, concentrée sur les annexes 62 et 63 du contre-mémoire pour

démontrer leur caractère non probant . L’Ouganda rétorque que «!this effort, directed

at bringing out certain minor date discrepancies, cannot obscure the facts so clearly set

out in the Counter-Memorial and the Annexes thereto (See UCM, paras. 54, 95-97 &
172
Annexes 51, 54, 67)» .

1.71. Ainsi, la partie ougandaise ne se fonde désormais plus que sur trois documents

pour tenter de prouver l’implication des autorités congolaises dans les activités des

forces rebelles ougandaises. Un simple examen de ces documents montre que la thèse

ougandaise ne repose sur aucun élément probant!:

- L’annexe 67 reproduit un rapport du US Committee for Refugees, qui
mentionne des attaques de l’ADF en 1999 . La RDC n’est cependant ni citée,

ni évoquée dans ce document.

- L’annexe 54 reprend un texte apparemment rédigé par les autorités

ougandaises elles-mêmes. Outre que ce seul fait suffit à l’écarter comme

élément de preuve judiciaire, il convient de relever que, parmi la quarantaine

d’attaques de rebelles qui y sont répertoriées, aucune ne fait mention d’une

17UR, pp. 310 et 310-311, par. 671 et 673.
17RRDC, pp. 373-375, par. 6.59-6.63.
17UR, p. 310.

47 implication des autorités de la RDC, ni même d’une aide ou d’un soutien

quelconque de ces autorités. Le texte évoque bien la fourniture d’armes par les

milices Interahamwe , mais aucune en provenance des autorités congolaises.

A contrario, le document confirme donc clairement l’absence d’implication de

la RDC dans ces attaques.

- L’annexe 51 reproduit le témoignage d’un certain Robert Chandia, dont on ne

sait pas dans quelles conditions il a été recueilli. Le témoin relate qu’un certain

nombre de rebelles ougandais auraient été aidés par les autorités soudanaises,

puis envoyés en RDC pour être intégrés aux Forces Armées Congolaises
(FAC), et participer à des combats à Kisangani, où ils auraient subi une attaque

de l’armée ougandaise en 1998 . 175 La RDC ne peut que s’étonner que

l’Ouganda croie devoir insister sur ce témoignage qui, si on le tient pour vrai,

ne fait que confirmer que l’armée ougandaise a occupé Kisangani et s’y est

livrée à des attaques contre l’armée congolaise. A moins de considérer que

cette ville, qui se situe à des centaines de kilomètres de la frontière ougandaise,

fasse partie intégrante du territoire ougandais, il est difficile de comprendre

comment de telles révélations sont supposées illustrer une implication de la

RDC dans des activités militaires dirigées contre la souveraineté de l’Ouganda.

1.72. Ainsi donc, la thèse ougandaise n’est fondée que sur trois documents qui, à

l’analyse, ne font que confirmer l’absence d’implication de la RDC dans un soutien aux

activités militaires menées par des forces armées irrégulières contre le territoire

ougandais.

1.73. Pour le reste, l’Ouganda en est réduit à invoquer «!certain minor date

discrepancies!» pour tenter de réfuter les critiques du Congo. Il est vrai que, dans sa

réplique, la RDC a mis le doigt sur une technique de preuve pour le moins

embarrassante, puisque la partie ougandaise s’est notamment appuyée sur les

17UCM, annexe p. 125, cité dans UCM, p. 71, par. 95.
17UCM, annexe 54, point 41.
17UCM, annexe 51, p. 2.

48déclarations d’un «!témoin!» qui, arrêté en mai 2000, prétendait établir des faits qui se

seraient déroulés en … novembre de la même année!! 17.

1.74. Dans ces conditions, il y a lieu, aux yeux de la RDC, de ne prendre en compte

les témoignages élaborés par l’Ouganda aux fins de la présente instance qu’avec la plus

extrême réticence .177

1.75. En définitive, la thèse ougandaise d’une participation des autorités congolaises

aux activités rebelles est artificielle, y compris pour ce qui concerne la période qui suit

le 2 août 1998. A partir de cette date, il faut en effet rappeler que la RDC n’a plus été
en mesure de contrôler le nord-est de son territoire, essentiellement parce que cette zone

était occupée par l’armée ougandaise. Dans ces conditions, la thèse du soutien à des

factions rebelles qui opèrent à partir de ces régions est tout simplement incompatible

avec les réalités du terrain. En application de l’obligation de vigilance déjà rappelée

plus haut, le droit international oblige chaque Etat à prendre toutes les mesures en son

pouvoir pour empêcher que son territoire soit utilisé à des fins contraires aux droits

d’autres Etats. Cela suppose bien évidemment que l’Etat soit en mesure de contrôler

son territoire. En l’occurrence, il est particulièrement malvenu pour une puissance

occupante d’accuser l’Etat occupé de laisser son territoire à la disposition de groupes

rebelles. Tant que la RDC ne recouvre pas l’exercice effectif de sa souveraineté sur
l’entièreté de son territoire, cette accusation n’a tout simplement aucun sens.

2. Dans la mesure où elle s’étend à la période postérieure au déclenchement de

l’agression ougandaise, la demande ougandaise n’est pas fondée en droit

1.76. En tout état de cause, il va de soi que, dès le moment où l’Ouganda a déclenché

son agression armée à l’encontre de la RDC, celle-ci se trouvait juridiquement en
178
situation de légitime défense . Dès lors, à supposer même que l’Ouganda parvienne à

démontrer que les autorités congolaises ont été impliquées dans des attaques dirigées à

son encontre après cette date —ce qu’il n’est pas en mesure de faire—, la RDC ne
saurait être considérée comme l’auteur d’un fait internationalement illicite.

176
177RDC, pp. 373-374, par. 6.60-6.62.
V. ainsi le témoignage reproduit aux pp. 310-311, par. 673, de la duplique, qui renvoie à l’annexe 85 déjà
critiquée.

491.77. La réponse de l’Ouganda sur ce point s’appuie sur deux prémisses. D’une part,

l’armée ougandaise n’aurait commencé à envahir le Congo qu’à la mi-septembre 1998,

et non le 2 août de la même année . Or, et d’autre part, la RDC aurait reconnu avoir

soutenu les rebelles ougandais dès le lendemain du 2 août 1998 . L’Ouganda n’a alors

plus qu’à conclure que!«!consequently, in her own discussion of Uganda’s proof, the

DRC has effectively admitted the facts supporting this element of Uganda’s claim!» . 181

1.78. Ces deux prémisses sont tout simplement erronées. L’Ouganda a déclenché son

intervention militaire en RDC dès le 2 août 1998 (a), et la RDC n’a bien évidemment

jamais reconnu avoir soutenu les rebelles ougandais, si tant est qu’il est besoin de le

confirmer (b).

a) L’Ouganda a déclenché son intervention militaire en RDC dès le 2 août 1998

1.79. Aux termes de l’argumentation développée par l’Ouganda dans ses dernières

écritures, les troupes de l’UPDF ne sont intervenues au Congo qu’à dater de la mi-

septembre 1998 . Cette argumentation repose pour l’essentiel sur une tentative de

réfuter les éléments de preuve sur lesquels la RDC s’est appuyée pour démontrer

l’implication de contingents militaires ougandais dans des opérations armées menées en

territoire congolais dès le début du mois d’août de la même année . L’Ouganda se

livre dans ce but à une critique des documents et des témoignages présentés par la RDC,

desquels il ressort clairement que l’armée ougandaise a pris part à l’opération aéroportée

effectuée dans l’ouest du Congo, à partir de la base de Kitona, et qu’elle a envahi l’est

de la RDC à partir des premiers jours du mois d’août 1998. Il n’est évidemment pas

possible, dans le cadre limité des présentes observations, de reprendre systématiquement

l’ensemble des éléments sur lesquels l’Ouganda fonde sa remise en cause de la version

des faits présentée par la RDC dans sa réplique. Comme la Cour l’y a expressément

invitée dans son ordonnance du 29 janvier 2003, la RDC entend limiter strictement la

présente argumentation au cadre des seules demandes reconventionnelles formulées à

178
RRDC, pp. 369-370, par. 6.49-6.50.
179UR, p. 310, par. 672 et pp. 49-70.
180UR, p. 310, par. 672.
181Ibid.
182UR, p. 310, par. 672, qui renvoie au chapitre II de la duplique où cette allégation est détaillée.

50son encontre par l’Ouganda. Plutôt que de répondre ici à l’ensemble des objections

formulées sur ces points par l’Ouganda dans la duplique, la RDC se contentera donc,

dans les pages qui suivent, de démontrer que les critiques adressées par l’Ouganda aux

éléments de preuve produits par le Congo pour démontrer l’implication de l’UPDF dans

l’attaque de Kitona sont manifestement dépourvues de fondement. Cette démonstration

suffira à établir que la RDC se trouvait bien, dès le 2 août 1998, dans une situation de

légitime défense à l’égard de l’Ouganda et que, partant, l’assistance qu’elle aurait

apportée à des groupes rebelles ougandais après cette date —à la supposer établie, quod

non— serait en tout état de cause légitimée du fait qu’elle s’inscrirait dans ce contexte

de légitime défense.

i) Les sources journalistiques et scientifiques

1.80. L’Ouganda conteste, dans un premier temps, la crédibilité de certaines sources

journalistiques et scientifiques qui font état de la présence de troupes ougandaises à

Kitona au début du mois d’août 1998. Selon la duplique, les écrits cités par la RDC sont

«!plagued by egregious errors!» , car ils ne constitueraient que des récits de

«!troisième!» ou de «!quatrième!» main, fournis par des personnes qui n’ont eu aucune

connaissance directe des faits . 185 Plusieurs points spécifiques, qui mettraient

radicalement en cause la crédibilité des différents récits journalistiques et scientifiques,

sont ainsi relevés par l’Ouganda dans certains des extraits d’articles ou d’études

produits par la RDC. L’Ouganda prétend en particulier à ce titre qu’aucun bataillon de
186
l’armée ougandaise ne porte le nom de «!Nguruma!» (alors que ce nom est utilisé par
187
la journaliste belge Colette Braeckman ), qu’il est erroné d’écrire que les forces

ougandaises qui auraient participé à l’attaque de Kitona étaient «!without doubt!»

commandées par le général Ivan Koreta, dès lors que celui-ci n’aurait à aucun moment

été présent en RDC 188(se référant au texte de Gérard Prunier ) et enfin que le nombre

183
UR, pp. 49 et s., par. 106 et ss.
184UR, p. 55, par. 123.
185UR, p. 56, par. 126.
186UR, p. 55, par. 123.
187RRDC, p. 83.
188
189UR, p. 55, par. 124.
RRDC, p. 83.

51de soldats ougandais impliqués dans cette opération varie selon les récits et s’avère très

difficile à déterminer sur cette base .90

1.81. Il convient d’observer d’emblée que plusieurs de ces critiques sont mal fondées.

Ainsi, c’est par une approximation de langage que l’Ouganda fait dire à Gérard Prunier

que le général Koreta commandait «!without doubt!» (sans aucun doute) les forces de

l’UPDF qui ont participé à l’opération sur Kitona. L’affirmation originale de Gérard

Prunier est à l’évidence plus prudente, puisque cet auteur écrit que les soldats ougandais

impliqués dans cette action militaire étaient «!sans doute!commandés par le général Ivan
191
Koreta!» (ce qui, en anglais, se traduit par «!probably!», et non par «!without doubt!») .
La même prudence se retrouve dans le récit offert par le périodique La lettre de l’Océan

indien, où c’est le conditionnel qui est utilisé lorsque le commandement du général

Koreta est évoqué à propos de cette opération . Ceci ne remet pour autant aucunement

en cause le fait principal mis en évidence par ces récits, en l’occurrence l’implication de

l’armée ougandaise dans cette opération militaire visant l’extrême ouest du Congo. On

comprendra aisément, par ailleurs, que l’estimation du nombre de soldats ougandais

impliqués dans l’opération varie selon les récits, dès lors que l’Ouganda lui-même s’est

efforcé de dissimuler son implication dans cette action militaire. Ces différences

d’estimations ne paraissent d’ailleurs guère probantes en elles-mêmes, car elles sont loin

de suffire pour occulter l’essentiel!: le fait que la participation de forces de l’UPDF à
l’attaque menée à partir de Kitona au début du mois d’août 1998 est attestée par des

sources journalistiques et scientifiques nombreuses, provenant de pays différents. Ces

récits convergent sans ambiguïté lorsqu’il s’agit d’évoquer le principe même d’une telle

participation militaire, ainsi que la façon dont cette opération a tourné court, avec la

défaite des forces d’invasion.

1.82. Il convient d’ailleurs de relever à ce sujet que les critiques formulées par

l’Ouganda ne portent que sur trois des sources journalistiques et scientifiques produites

par le Congo, alors que cette partie de la réplique s’appuie sur pas moins de neuf

documents différents. L’Ouganda reste étrangement silencieux à propos de ces autres
récits, dont certains proviennent pourtant de sources ougandaises, tel l’extrait d’un

19UR, pp. 55-56, par. 125.
19RRDC, p. 83.
19N° 824, du 12 septembre 1998!; RRDC, annexe 21, deuxième document.

52article du quotidien New Vision, généralement considéré comme très proche des
positions gouvernementales 193. De plus, les six documents que l’Ouganda passe sous

silence dans sa duplique s’avèrent parfaitement cohérents, et c’est précisément parce

que l’Ouganda n’a pas été en mesure d’y trouver des contradictions qu’il a du renoncer

à mettre leur crédibilité en cause. Pour autant, contrairement à ce que l’Ouganda

semble prétendre dans ses dernières écritures, absolument rien n’indique, dans la

manière dont ces différents récits rendent compte des événements en cause, qu’ils

proviendraient tous d’une source unique – dont on peut d’ailleurs se demander laquelle
194
elle serait .

ii) Les témoignages

1.83. Comme la RDC l’a indiqué dans sa réplique, la participation de troupes

ougandaises à l’opération aéroportée menée sur Kitona est en tout état de cause étayée
195
par d’autres types de preuve . C’est entre autres le cas de plusieurs témoignages de
personnes qui se sont trouvées, à des titres divers, directement impliquées dans ces

événements. L’Ouganda met en cause ces éléments de preuve à plusieurs titres, sans

jamais parvenir néanmoins à emporter la conviction.

1.84. En premier lieu, la duplique insiste sur le fait que les témoignages en question

ont été recueillis par un service de renseignements militaire, la Détection militaire des

activités anti-patrie (DEMIAP). Certaines pratiques de cette agence ayant été mises en

cause dans des rapports relatifs au respect des droits de l’homme en RDC, l’Ouganda

s’interroge dès lors sur le fait de savoir «!whether any statements extracted by an agency
196
like the DEMIAP can be treated as reliable evidence by the Court!» . Il s’agit là d’une

tentative d’amalgame inacceptable. A supposer que de tels reproches aient pu être

adressés à la DEMIAP dans le passé, absolument rien, dans les différents témoignages

produits par la RDC, ne laisse entendre que les déclarations qu’ils consignent auraient
été obtenues par un quelconque usage de la contrainte ou de la force sur les personnes

qui ont livré ces témoignages. Tout au contraire, la forme même de ces déclarations, et

en particulier la spontanéité des récits, indiquent que ces témoignages ont été livrés de

19RRDC, annexe 12.
19UR, p. 56, par. 126.
195
RRDC, pp. 78 et ss., par. 2.33 et ss.

53façon tout à fait libre par leurs auteurs. Cette spontanéité s’exprime, entre autres, par

certaines déclarations faites par différents témoins qui, tantôt dénoncent la guerre

d’agression dont le Congo était victime (c’est le cas du témoignage de M. José
197
Dubier ), tantôt formulent même des demandes d’indemnisation pour les dommages

qu’ils ont subis à l’occasion de l’intervention militaire ougandaise (c’est le cas du
198
témoignage de M. Viala Mbeang Ilwa ). On est bien loin, dans ces différents cas, des

formules stéréotypées qui sont très généralement le propre des déclarations que l’on

force leur auteur à signer sous la contrainte. C’est d’ailleurs précisément parce que

certains de ces témoignages font état de telles opinions personnelles sur le conflit que,

dans la suite de son argumentation, l’Ouganda tente de les écarter des débats, au motif
199
qu’ils n’émaneraient pas de témoins neutres et impartiaux . Il reviendra bien sûr à la
Cour d’apprécier si l’expression de semblables opinions personnelles par les témoins

suffit à ne pas tenir compte de leurs déclarations dans l’établissement des faits dont il est

question ici. Mais en tout état de cause, cette caractéristique de plusieurs témoignages,

à laquelle s’ajoute le caractère pour le moins familier de certaines expressions

employées par les témoins, confirme indubitablement que leurs déclarations ont été

faites en toute liberté, et que nul n’a contraint leurs auteurs à signer un texte qui aurait

été préalablement établi par les services de renseignements militaires congolais en vue

de conforter leur version des faits. Cette première objection ne saurait donc être

retenue.

1.85. Au-delà de cette critique générale, l’Ouganda remet en cause la crédibilité de

plusieurs témoignages, qui seraient dépourvus de force probante en raison

d’incohérences internes ou d’approximations. C’est tout d’abord le cas des déclarations

de M. Issa Kisaka Kakule, qui a affirmé avoir vu, sur l’aéroport de Goma, un bataillon

ougandais embarquer à destination de Kitona . M. Kisaka Kakule témoigne également

de la présence d’un char ougandais à Kitona et à Kasangulu. Il mentionne enfin les

noms de plusieurs officiers ougandais qui ont participé à cette opération, et dont il avait

fait la connaissance quelque temps auparavant, lorsque ces officiers participaient à la

«guerre de libération!» menée par les rebelles congolais de l’AFDL contre le régime du

196
197UR, pp. 56-57, par. 128.
198RRDC, annexe 59.
RRDC, annexe 62.
199UR, pp. 58-59, par. 132 et 134.
200RRDC, annexe 57.

54maréchal Mobutu. Ce témoignage doit, pour l’Ouganda, être considéré comme

dépourvu de toute crédibilité, dès lors que l’Ouganda n’aurait, en tout état de cause pas
201
été impliqué militairement dans la «!guerre de libération!» de 1996-1997 . Cet

argument repose manifestement sur une pétition de principe!: les officiers ougandais en
cause n’auraient pas pu être identifiés par le témoin, car leur pays n’a pas participé à la

guerre qui a permis de déloger le maréchal Mobutu. Comme sur bien d’autres points,

l’argumentation ougandaise va ici à l’encontre de faits bien établis. La participation

militaire de l’Ouganda à la «!guerre de libération!» de 1996-1997 est en effet attestée

par de nombreuses sources, d’origines très diverses . On voit mal, dès lors, comment

cette dénégation de l’Ouganda suffirait à affaiblir la crédibilité du témoignage de M.

Kisaka Kakule. Il est vrai que cet argument s’accompagne d’un autre, plus radical.

Selon l’Ouganda, en effet, les officiers mentionnés dans le témoignage dont il est

question ici n’auraient tout simplement jamais existé. L’Ouganda fonde cette autre

dénégation sur un affidavit produit par le brigadier général Nakibus Lakara,
203
commandant en chef de l’UPDF, en date du 13 novembre 2002 . Cette dénégation se

fonde donc sur une déclaration purement unilatérale dont il n’existe aucun moyen

d’apprécier l’exactitude. Le fait que cette déclaration ait été faite sous serment n’offre

malheureusement aucune garantie à cet égard. En effet, comme la RDC le montrera ci-
204
dessous , certains éléments de cette déclaration sont démentis de façon très claire par

plusieurs pièces du dossier. Il paraît donc difficile de considérer que les affirmations

faites par le général Lakara dans cet affidavit peuvent être prises pour argent comptant

et permettent d’ignorer purement et simplement le témoignage de M. Kisaka Kakule.

En tout état de cause, rien ne dit à ce sujet que les noms mentionnés par le témoin

n’aient pas été des noms de guerre, ce qui serait hautement vraisemblable dans le
contexte de la «!guerre de libération!» de 1996-1997. Les incertitudes qui affectent cette

partie du témoignage ne paraissent dès lors pas suffisantes pour lui ôter toute crédibilité

sur les points essentiels qu’il mentionne!: la participation d’un contingent militaire

ougandais à l’opération menée sur Kitona, et la présence d’un char ougandais dans

l’extrême-ouest de la RDC, en vue d’appuyer cette opération.

201
UR, p. 57, par. 129.
20V. les références citées in RRDC, p. 65, n. 14.
20UR, annexe 107.
20Infra, par.!1.90 et s.

551.86. Le deuxième témoignage remis en cause par l’Ouganda dans ses dernières

écritures est celui du commandant Mpele-Mpele, qui affirme avoir vu un groupe de
205
soldats étrangers débarquer à Kitona, au début du mois d’août 1998 . Selon

l’Ouganda, ce témoignage devrait, lui aussi, être écarté en raison de son caractère
206
approximatif . Le commandant Mpele-Mpele indique en effet que certains militaires

«!différents des autres, habillé [sic] en bottine de pluie étaient un peu éloigné du groupe

parlaient anglais!». En conclusion, ajoute le témoin, «!c’étaient des Ougandais car ils

seront arrêtés plus loin dans leur mouvement!». Pour l’Ouganda, le critère linguistique

auquel se réfère le témoin ne suffirait en aucun cas à identifier les militaires en question

comme des membres de l’UPDF. Il en est d’autant plus ainsi qu’une partie significative
207
de l’armée rwandaise est composée de soldats anglophones . Mais, à y regarder de plus

près, ce n’est pas sur la seule base de la langue utilisée par les militaires en cause que le

témoin les identifie comme étant Ougandais. Le témoignage fait en effet mention de

pièces d’équipement différentes de celles que portent les membres des autres

contingents, clairement identifiés, présents sur l’aéroport de Kitona (un groupe

«!différent[…] des autres, habillé en bottine de pluie[…]!»). Ce n’est donc pas le seul

critère linguistique qui a permis à ce témoin d’identifier certains des soldats présents à

Kitona comme étant ougandais. Aucune raison ne permet donc de considérer que le

témoignage du commandant Mpele-Mpele est approximatif ou dépourvu de pertinence,

et ne saurait contribuer à établir la réalité de la présence d’un contingent militaire

ougandais dans l’extrême-ouest du Congo en août 1998.

1.87. L’Ouganda conteste également l’acuité du troisième témoignage produit par la
208
RDC, celui du pilote José Dubier . Selon la duplique, M. Dubier affirme seulement

avoir vu des soldats ougandais à Goma le 2 août 1998, mais ne peut certifier qu’il a

transporté ces soldats à Kitona. De plus, M. Dubier n’aurait pas été en mesure de

distinguer les soldats ougandais des militaires rwandais également présents à Goma au
209
début août 1998 . Cette dernière affirmation ne repose pourtant sur aucun élément

précis du témoignage. Au contraire, le témoin fait état du fait que, parmi les officiers

qui l’ont contraint, à Goma, à transporter les contingents militaires étrangers vers

205RRDC, annexe 61.
206
207UR, p. 57, par. 130.
208UR, p. 58, par. 131.
RRDC, annexe 59.
209UR, p. 58, par. 132.

56Kitona, «!il y avait un Commandant ougandais très gardé et très respecté même des

militaires rwandais!» . 210 De toute évidence, cette affirmation montre qu’une

différenciation pouvait clairement être effectuée entre les membres des forces armées

rwandaises et ougandaises, respectivement. En tant que pilote, même civil, M. Dubier

était particulièrement à même de remarquer les différences entre les uniformes des uns

et des autres, différences qui permettaient sans aucun doute de distinguer les soldats

rwandais des soldats ougandais, de même que les officiers de l’une et l’autre armée. Ce

volet de la critique adressée par l’Ouganda au témoignage de M. Dubier n’est donc

guère crédible. Il est vrai, par contre, que ce témoin indique expressément qu’il n’a pas

été en mesure de voir qui avait pris place dans son avion lorsqu’il a été forcé de
s’envoler à destination de Kitona. Ceci n’empêche toutefois pas que son témoignage

soit pris en compte à titre confirmatif des autres éléments de preuve avancés par la

RDC, en particulier en ce qu’il confirme la présence de troupes de l’UPDF à Goma le 2

août 1998 et l’implication d’officiers ougandais dans la planification et dans la

réalisation de l’opération menée sur Kitona aux tout premiers jours de la guerre.

1.88. L’Ouganda met encore en cause la crédibilité et la pertinence du quatrième

témoignage produit par la RDC, celui d’un autre pilote contraint de transporter les
211
troupes rwandaises et ougandaises à Kitona, M. Viala Mbeang Ilwa . Ici encore, c’est

l’incapacité du témoin à identifier précisément la nationalité des soldats impliqués dans
cette opération qui minerait la crédibilité de sa déposition . En particulier, alors qu’il

mentionne au début de son témoignage «!les agresseurs Rwando-Ugando-Burundais!»,

il ne fait plus référence, par la suite, qu’aux Rwandais et aux Ougandais. Dès lors

qu’aucun autre témoin, ou récit, ne fait état de l’implication de soldats burundais dans

cette opération, les mentions successives de militaires ougandais dans la suite du

témoignage devraient elles aussi être écartées, car elles seraient tout aussi infondées.

Cette conclusion paraît pour le moins abusive. A l’évidence, la première phrase de cette

déposition s’inscrit dans le cadre plus général du déclenchement du conflit, marqué par

l’intervention de troupes provenant de trois des Etats voisins du Congo (l’Ouganda, le

Rwanda et le Burundi). C’est visiblement l’indignation qu’éprouve le témoin à l’égard
de cette situation qui l’amène à se référer initialement de façon générale aux forces

21RRDC, annexe 59, p. 2.
21RRDC, annexe 62.
21UR, p. 59, par. 134.

57armées de ces trois Etats, même si ce propos est manifestement inexact en ce qui

concerne les événements survenus à Goma et à Kitona le 2 août 1998. Le contraste est

d’autant plus frappant avec la suite de son témoignage, tout à fait précis quant à la
nationalité des militaires impliqués dans l’opération. Ce ne serait que si le témoin avait

continué, dans la suite de sa déposition, à faire mention de la présence d’un contingent

burundais à Goma et à Kitona, que la crédibilité de son témoignage aurait pu s’en

trouver affectée, car cette version des faits n’aurait été corroborée par aucune autre
source. Or, tel n’est pas le cas. Il est donc manifestement abusif de tenter de discréditer

cette déposition sur la base d’une affirmation initiale, certes maladroite, mais que rien

ne vient confirmer dans la suite de ce document. Mais, au-delà de cette question, il ne

serait pas possible, selon l’Ouganda, de tenir le moindre compte du témoignage de M.

Mbeang Ilwa, en raison de l’absurdité de certains faits rapportés par le témoin. En
particulier, l’Ouganda tient pour totalement invraisemblable le fait que M. Mbeang Ilwa

aurait appris, de la bouche même d’officiers ougandais, que le but d’ensemble de

l’opération était de s’emparer de la capitale congolaise et de renverser le président

Kabila. Pour l’Ouganda, aucune armée, et certainement pas l’armée ougandaise, ne
prendrait le risque de «!blithely share[…] its most sensitive military battle plans and

political objectives over beer with a complete stranger, let alone a captured pilot from an

‘enemy’ State hijacked at gun-point!» . Sans doute faudrait-il souscrire à cette opinion

lorsque c’est véritablement de secrets militaires ou stratégiques, ou d’objectifs à long

terme, qu’il s’agit. L’objection s’avère pourtant considérablement moins pertinente
lorsque l’opération en question est en cours de réalisation, et que les objectifs poursuivis

ne font guère de doute, comme c’était le cas en l’espèce. Le témoignage montre bien,

en effet, que les contacts qu’a eus le témoin avec des officiers ougandais ont eu lieu

alors que l’opération était déjà en cours. Nul n’ignorait plus, à Kinshasa ou ailleurs, aux
premiers jours du mois d’août 1998, que l’opération aéroportée déclenchée sur Kitona

visait bien à s’emparer de la capitale congolaise et à renverser le président Kabila. S’il

y avait un secret dans tout cela, il était déjà considérablement éventé à l’époque où les

officiers ougandais s’en sont ouverts à M. Mbeang Ilwa. De plus, quels risques

courraient-ils que ce dernier en avertisse qui que ce soit —à supposer que cela aurait
encore pu avoir quelque effet— alors qu’il était privé de toute liberté de mouvement,

comme de communication!? C’est dire que, sur ce point également, l’objection

213
UR, p. 59, par. 135.

58formulée par l’Ouganda manque singulièrement de pouvoir de conviction, et qu’aucune

contradiction ou incohérence fondamentale ne justifie que le témoignage de M. Mbeang

Ilwa soit écarté.

1.89. Enfin, contrairement à ce qu’affirme l’Ouganda dans ses dernières écritures, le

dernier témoignage sur lequel la RDC s’est appuyée pour étayer l’allégation selon

laquelle les forces armées ougandaises étaient bel et bien impliquées dans l’opération

menée sur Kitona au début du mois d’août 1998 n’est pas celui de M. Aggrey Awori, un

politicien ougandais de l’opposition, mais bien celui de M. Salim Byaruhanga, un soldat

de l’UPDF . C’est pourtant M. Aggrey Awori qui fait l’objet d’attaques virulentes

215
dans la duplique et la RDC comprend d’autant moins le fait que ce parlementaire soit
216
qualifié par l’Ouganda de «!star witness!» de la réplique que cette dernière ne contient

aucun témoignage de M. Awori. Ce n’est qu’en relation avec le témoignage de M.

Salim Byaruhanga que le nom de M. Awori est évoqué dans la réplique, et non à titre de

témoin en lui-même. A l’évidence, c’est donc un mauvais procès que l’Ouganda fait à

la RDC sur ce point, et la RDC ne voit dès lors aucune raison de s’attarder à répondre

ici aux différents griefs que l’Ouganda articule à l’encontre de M. Awori.

1.90. Pour autant, le témoignage de M. Byaruhanga n’est pas exempt de critiques dans

les dernières écritures ougandaises. En réalité, plutôt que la pertinence ou la crédibilité

de sa déposition, c’est l’existence même de ce témoin que l’Ouganda remet en cause

dans la duplique!:

«!The UPDF did not then and does not have now a soldier in its ranks by the
217
name of Salim Byaruhanga . Thus, the POW Mr Awori allegedly visited is a
figment of somebody’s imagination!» . 218

L’Ouganda produit, pour étayer ses dires, l’affidavit du brigadier général Nakibus

Lakara, commandant en chef de l’UPDF, déjà mentionné plus haut , de même qu’une9

déclaration de l’ancien ambassadeur d’Ouganda en RDC, aux termes de laquelle aucun

214RRDC, pp. 80-81, par. 2.39.
215UR, pp. 60 et s., par. 136 et ss.
216UR, par. 139.
217UR, annexe 107, para. 12.
218
219UR, p. 61, par. 139.
Supra, par.!1.85.

59soldat ougandais n’a été fait prisonnier dans l’ouest du Congo, ou dans d’autres parties
220
du pays en août 1998 .

1.91. Ces affirmations vont pourtant directement à l’encontre de plusieurs documents

qui attestent, au-delà de tout doute, que M. Salim Byaruhanga existe bel et bien, et qu’il

a été capturé dans l’ouest de la RDC en même temps que trois autres soldats ougandais

au moins. Ainsi!:

- Une fiche a été établie par les services de renseignement de l’armée

congolaise au nom de M. Byaruhanga au moment de son arrestation, le 23

octobre 1998 . Cette fiche comprend une série d’informations détaillées

relatives au prisonnier.

- Dans le cadre de ses activités de protection, le Comité international de la

Croix-Rouge (CICR) a effectué plusieurs visites auprès de prisonniers

étrangers détenus par les forces armées congolaises, ou par des contingents

alliés au gouvernement congolais. Les documents établis par le CICR dans

le cadre de l’une de ces visites mentionnent nommément M. Salim

Byaruhanga parmi les prisonniers ougandais visités par le CICR . 222

- Le CICR a, par la suite, offert ses services au gouvernement congolais pour

faciliter le rapatriement de quatre prisonniers ougandais . Ces prisonniers

ont été libérés, et ont quitté la RDC en septembre 2001. Cet événement est

relaté dans un article de l’agence de presse africaine PANA, daté du 17

septembre 2001, qui identifie explicitement M. Salim Byaruhanga parmi les
224
prisonniers ougandais rapatriés ce jour-là .

220UR, p. 61, par. 141 et annexe 87.
221RRDC, annexe 63, p. 3.
222
223Document du 9 juin 2000, RRDC, annexe 67, p. 3.
224Lettre du 10 août 2001!; RRDC, annexe 67, p. 1.
OARDC, annexe 1.

60 - Il convient enfin de relever que cet article identifie également les

compagnons d’armes de M. Byaruhanga libérés le même jour. Or, ces

noms correspondent très précisément à ceux que l’on retrouve, à côté de

celui de M. Byaruhanga, sur la liste susmentionnée du CICR.

Ces différents documents attestent donc, au-delà de tout doute raisonnable, du fait que

M. Salim Byaruhanga existe bel et bien et qu’il a, en tant que membre des forces armées

ougandaises, été capturé par des soldats congolais et maintenu en détention en RDC

d’octobre 1998 à septembre 2001. Plus généralement, ces pièces démentent également

de façon flagrante l’assertion ougandaise selon laquelle «![t]here were no Ugandan

prisoners of war held by the DRC then, or at any other time!» . 225

1.92. A supposer que le moindre doute puisse encore subsister à cet égard, l’existence

de M. Byaruhanga est également avérée par l’enregistrement de la rencontre du député

Awori avec plusieurs prisonniers de guerre ougandais à Kinshasa, au début du mois de

juillet 2000. L’Ouganda met en doute la réalité de cette rencontre, en observant que M.

Awori n’a jamais produit cet enregistrement, en dépit des demandes répétées qui lui ont

été adressées en ce sens tant par le gouvernement ougandais que par l’opposition à ce
226
dernier . Afin de lever toute ambiguïté sur cette question, la RDC a le plaisir de
227
produire cet enregistrement en annexe aux présentes observations . Cet enregistrement

confirme encore que M. Salim Byaruhanga a bel et bien été détenu par les autorités

congolaises, et qu’il a bel et bien confirmé la présence de troupes ougandaises dans

l’opération militaire aéroportée de Kitona, au mois d’août 1998. La RDC remarque

enfin que cet entretien est encore attesté par une source annexée aux écritures
ougandaises elles-mêmes!: on constatera en effet qu’une photo, qui correspond

visiblement à la scène qui a été enregistrée sur la cassette vidéo transmise à la Cour, est

reproduite dans le quotidien The Monitor daté du 17 novembre 2000,que l’Ouganda a

lui-même produit . 228

22UR, p. 60, par. 138.
22UR, p. 61, par. 140.
22OARDC, annexe 4.

611.93. En conclusion, il apparaît donc clairement que si M. Salim Byaruhanga n’est,

comme l’affirme l’Ouganda, rien de plus que le produit d’une imagination fertile, les

éléments ne manquent décidément pas pour montrer que cette illusion d’optique a

frappé bien d’autres victimes que le seul député Awori. A l’évidence, cette maladroite

tentative d’écarter un témoignage dont on comprend qu’il gêne l’Ouganda à plus d’un

titre se solde donc par un échec patent. Tout montre que M. Byaruhanga est un être de

chair et de sang, qui a réellement témoigné de son parcours militaire dans sa déposition,

et qui a confirmé par celle-ci la présence de troupes ougandaises dans l’extrême ouest

de la RDC au début du mois d’août 1998.

iii) Le char ougandais capturé à Kasangulu

1.94. Le dernier élément de preuve de cette implication militaire de l’UPDF dans

l’attaque menée sur Kitona que l’Ouganda tente d’écarter est une pièce à conviction

—particulièrement encombrante— produite par la RDC. Il s’agit, en l’occurrence, d’un

char d’assaut ougandais qui a été récupéré par les forces armées congolaises à la suite de

la bataille qui a eu lieu à Kasangulu à la fin du mois d’août 1998, et qui a vu la défaite
229
des troupes d’invasion .

1.95. Selon l’Ouganda, toutefois, ce char ne pourrait être considéré comme

contribuant d’une quelconque façon à prouver la participation de soldats ougandais à

l’ensemble de cette opération. Il en irait ainsi pour deux raisons. La première est que

«![t]he tank allegedly seised by the DRC near Kitona is not, and cannot be Ugandan,

because Uganda did not participate in the Kitona attack!» . C’est donc, une fois

encore, une pétition de principe que propose l’Ouganda en guise d’argumentation.

Pareil raisonnement s’avère parfaitement circulaire et ne fait en rien progresser le débat

judiciaire. Il ne démontre aucunement que le char dont il est question ici n’appartenait

pas aux forces armées ougandaises. Le second argument avancé par l’Ouganda sur cette

question est que rien ne permet d’affirmer que ce char d’assaut était ougandais, dès lors

228UR, annexe 45.
22RRDC, pp. 81-82, ainsi que les photos insérées entre ces pages.
23UR, p. 62, par. 143.

62 231
que plusieurs pays de la région utilisent des matériels similaires . Ce serait, entre
autres, le cas du Rwanda, de la RDC elle-même, de l’Angola et du Zimbabwe. La RDC

est parfaitement consciente du fait que plusieurs armées de la région sont équipées de

chars d’assaut d’origine russe, et qu’il est difficilement possible pour la Cour de

trancher la question de l’appartenance du char capturé à Kasangulu sur la seule base des

écritures des deux parties à la présente instance. C’est pourquoi la RDC ne peut que

renouveler l’offre qu’elle a formulée dans la réplique, et qui consistait à faire procéder à

un examen de cet engin par des experts militaires afin de confirmer son appartenance à
232
l’armée ougandaise .

1.96. En conclusion, il apparaît donc clairement que l’Ouganda n’a pas été en mesure,

dans sa duplique, de remettre en cause de façon convaincante et sérieuse les différents

moyens de preuve produits par la RDC en vue d’attester de la réalité de l’implication de

troupes de l’UPDF dans l’opération aéroportée menée sur Kitona au début du mois

d’août 1998. Les critiques qu’il a adressées à plusieurs de ces preuves se sont révélées
mal fondées et ne résistent pas à un examen attentif des pièces en cause, prises dans leur

contexte d’ensemble. L’Ouganda n’a d’ailleurs eu d’autre choix que de renoncer à

contester plusieurs des preuves présentées par la RDC, dont il n’a pas été en mesure de

remettre en cause la pertinence et la crédibilité. C’est entre autres le cas de plusieurs

récits journalistiques et scientifiques de ces événements, qui ne donnaient aucune prise à

ce type de critique . C’est également le cas des déclarations faites en septembre 1998

par le président du Democratic Party ougandais, qui mettaient clairement en évidence la
234
participation de soldats ougandais à cette opération . Ce constat confirme que, dans

des situations telles que celle détaillée ici, il est décidément bien difficile de nier

l’évidence.

1.97. L’implication de l’Ouganda dans des actions armées dirigées contre la RDC dès

le début du mois d’août 1998 est donc clairement confirmée. Partant, à supposer même
—quod non— que la RDC ait apporté son soutien à des groupes rebelles ougandais à

partir du mois d’août 1998, c’est en vain que l’Ouganda prétend, dans l’une des

branches de sa première demande reconventionnelle, que, ce faisant, la RDC aurait violé

231Ibid.
232RRDC, p. 82, par. 2.40 in fine.
233
V. supra, par.!1.82.

63le droit international à son égard, la RDC se trouvant en effet dès ce moment en

situation de légitime défense. Encore convient-il de rappeler que l’Ouganda n’a jamais

été en mesure de prouver la réalité d’un tel soutien au cours de cette dernière période.

Et, comme la RDC l’exposera maintenant de façon plus détaillée, il ne fait aucun doute
que le Congo n’a jamais reconnu, dans l’une quelconque de ses écritures, avoir apporté

un tel soutien à des groupes rebelles ougandais, contrairement à ce qu’affirme

l’Ouganda à cet égard dans sa duplique.

b) La RDC n’a jamais reconnu avoir soutenu les rebelles ougandais

1.98. Si on en croit la duplique, la RDC aurait admis s’être alliée avec le Soudan et les

rebelles ougandais au lendemain du 2 août 1998, en vue de repousser les forces rebelles

congolaises qui, selon Kinshasa, auraient été soutenues par l’Ouganda!: «!Thus, the

Reply contends, the DRC’s alliance with Sudan and the anti-Uganda insurgents, and all

of the actions taken in furtherance thereof (which the DRC now admits), were nothing

more than an exercice of the DRC’s inherent right of self-defence against an armed
235
attack by Uganda!» . La duplique poursuit en avançant que

«!In this fashion, the DRC virtually concedes that, if Uganda did not attack her
on or about 2 August, but instead waited until after 11 september 1998 before

sending her troops across the border into eastern Congo (as set forth in the
Counter-Memorial , paras. 53-54), the aggressor State could only be the DRC
herself!» .6

1.99. Ce passage de la duplique illustre une fois encore un procédé pour le moins

douteux, qui consiste à répéter («!the Reply contends!», «!the DRC virtually concedes!»)

pour éviter de démontrer. Car il est évident, pour tout lecteur de bonne foi, qu’on ne

peut rien déduire de tel des écritures congolaises. L’Ouganda y fait en tout et pour tout

deux références. La première renvoie à un passage de la réplique dans lequel la RDC

commente un rapport, et précise qu’il ne peut en aucun cas être interprété comme
237
attestant d’une alliance antérieure à l’agression ougandaise . La RDC n’y admet en

revanche aucune alliance qui se serait nouée au mois d’août 1998, comme la Cour s’en

234
RRDC, pp. 84-85, par. 2.44.
23UR, pp. 39-40, par. 85.
236Ibidem.
23RRDC, pp. 155-156, par. 3.24.

64rendra compte en relisant le passage en question. Tout au plus y est-il question de ce

qui est explicitement désigné comme l’«!hypothèse!» d’une alliance postérieure à

l’agression, hypothèse qui, au demeurant, n’est pas datée avec précision, et qui pourrait

parfaitement concerner les mois de septembre ou d’octobre 1998. La lecture du

deuxième passage cité dans la duplique ougandaise est encore plus étonnante, puisqu’il

commence par la phrase suivante, supposée illustrer une reconnaissance par le Congo!:

«!Supposons un instant, à titre purement hypothétique et sans que cela
n’entraîne aucune reconnaissance dans le chef du Congo, que les autorités

congolaises aient, après le 2 août 1998, accordé un certain sout238 à des forces
irrégulières opérant à l’encontre des autorités ougandaises!» .

On ne saurait être plus clair mais, apparemment, l’Ouganda n’entend visiblement pas ce
qu’il ne veut pas entendre. La RDC n’a pas reconnu, et ne reconnaît pas, que ce soit de

manière actuelle ou virtuelle, directe ou indirecte, qu’une action militaire a été menée à

l’encontre de l’Ouganda, que ce soit avant le 2 août ou, selon la thèse retenue par

l’Ouganda, après cette date mais avant le 11 septembre 1998. En d’autres termes, même

si l’on admettait — ce que la RDC ne fait pas et ce qu’elle nie de la manière la plus

formelle, en espérant que cette dénégation sera cette fois prise en compte par la partie

ougandaise— que l’Ouganda n’a commencé à envahir le territoire congolais qu’aux

environs du 11 septembre 1998, les conclusions resteraient les mêmes!: la RDC n’a

jamais soutenu, avant le déclenchement de l’agression, des forces irrégulières

ougandaises.

1.100. L’Ouganda se garde bien de prouver en quoi que ce soit qu’un appui militaire

aurait été apporté aux forces irrégulières ougandaises entre le 2 août et le 11 septembre

1998, et elle peut encore moins prouver que la RDC aurait reconnu avoir apporté pareil

appui. Il suffira à ce stade de renvoyer à la réplique congolaise. La RDC y écarte

comme non pertinents des documents selon lesquels un appui aurait été apporté aux

forces irrégulières «!après le déclenchement de l’intervention ougandaise!» . Or, ces9

documents visent respectivement des faits datés d’octobre 1998 , de décembre 1999 , 241

238
RRDC, p. 369, par. 6.49!; souligné par la RDC!; la RDC répète plus bas qu’elle raisonne «!par hypothèse!»,
239 ibidem.
RRDC, p. 182, par. 3.76.
24UCM, annexe 51.
24UCM, annexe 53.

65de février à novembre 1999 , d’août à octobre 1999 , d’octobre 1999 , «!sometime 244

245 246
early 2000!» et d’«!août/novembre 1999!» . Aucun ne date donc de la période

s’étendant du 2 août au 11 septembre 1998, pendant laquelle la RDC aurait

prétendument attaqué l’Ouganda. La RDC ajoute ensuite expressément que

«!Ces éléments pourraient, le cas échéant, accréditer l’hypothèse (au

demeurant non fondée) d’un soutien aux rebelles postérieur à l’agression
menée par l’Ouganda, mais ils ne peuvent en aucun cas établir une agression
247
armée congolaise antérieure à celle-ci!» .

La RDC maintient intégralement cette affirmation, qui contredit directement la thèse

ougandaise d’une reconnaissance congolaise d’un soutien aux forces irrégulières aux

mois d’août et de septembre 1998.

1.101. Finalement, que l’on date les débuts de l’intervention militaire ougandaise en

RDC du 2 août ou de la mi-septembre 1998, la conclusion est la même. L’Ouganda ne

pouvant démontrer une agression armée —ni d’ailleurs un quelconque acte illicite—

préalable de la part de la RDC, celle-ci s’est trouvée en situation de légitime défense au

plus tard au mois de septembre. La demande ougandaise n’est donc pas seulement

infondée en fait!; elle l’est aussi en droit.

242UCM, annexe 54.
243
244UCM, annexe 60.
UCM, annexe 62.
245UCM, annexe 63.
246UCM, annexe 65.
247RRDC, p. 183, par. 3.76!; souligné par la RDC.

66Chapitre II. La demande ougandaise selon laquelle la RDC aurait été impliquée dans
une attaque de l’ambassade d’Ouganda et de ressortissants ougandais à Kinshasa doit

être écartée

2.01. La deuxième demande reconventionnelle formulée par l’Ouganda a pour objet la

mise en cause de la responsabilité de la RDC pour des violences dont auraient été

victimes certains ressortissants ougandais à Kinshasa en août 1998, ainsi que pour de

prétendues atteintes aux biens publics ougandais sis en territoire congolais . Dans son

contre-mémoire, l’Ouganda avait centré cette demande sur la violation des standards

internationaux applicables au traitement des étrangers, d’une part, et sur l’expropriation

illicite de ses biens, d’autre part . C’est sur cette base que la RDC a, dans sa réplique,

démontré que cette demande devait, pour ce qui concerne son volet relatif à la

protection diplomatique, être déclarée irrecevable et, pour ce qui concerne son volet

relatif à la réparation des atteintes aux biens publics ougandais, être déclarée non

fondée.

2.02. Dans sa duplique, l’Ouganda fonde désormais sa demande sur six bases

distinctes, que l’on peut présenter comme suit!:

- les quatre premières visent respectivement la prétendue violation des

articles 22, 29, 30 et 24 de la Convention de Vienne de 1961 sur les

relations diplomatiques! ; 250

- la cinquième reste centrée sur des «!breaches of the international minimum

standard relating to the treatment of foreign nationals lawfully on State
251
territory!»! ;

- la sixième est relative à une «!unlawful expropriation of the public property
252
of Uganda by the DRC Government!» .

248UCM, pp. 224-228, par. 397-408.
249UCM, p. 228, par. 405-408.
250
251UR, pp. 312-322.
252UR, pp. 322-331.
UR, pp. 331-332.

672.03. Sur les six bases de la réclamation («!basis of claim!») citées dans la duplique,

quatre sont radicalement nouvelles. La Convention de Vienne sur les relations
diplomatiques comprend en effet des règles totalement différentes de celles qui

concernent le traitement qu’un Etat est tenu d’accorder, en vertu du droit international, à

des étrangers présents sur son territoire ainsi qu’à leurs biens. En modifiant
radicalement la portée de sa réclamation, l’Ouganda tente ainsi d’élargir abusivement

l’objet du différend, contrairement au Statut et au Règlement de la Cour. Cette nouvelle

demande ne saurait, de ce fait, être accueillie (A). Seules les cinquième et sixième

bases citées par l’Ouganda dans sa duplique peuvent dès lors être prises en compte à ce
stade de la procédure. Or, les réclamations ougandaises centrées sur le traitement des

étrangers restent irrecevables et, subsidiairement, non fondées (B). Quant à la partie de

la demande relative à l’expropriation de biens, elle manque toujours de base factuelle, et

doit dès lors être considérée comme non fondée (C).

68A. Dans la mesure où elle porte désormais sur l’interprétation et l’application de la

Convention de Vienne de 1961 sur les relations diplomatiques, la demande présentée

par l’Ouganda modifie radicalement l’objet du différend, contrairement au Statut et au

Règlement de la Cour

2.04. La dernière demande reconventionnelle ougandaise était initialement fondée sur
la prétendue violation, par la RDC, de règles relatives au standard minimum

international de traitement à réserver aux étrangers, ainsi que de la règle qui interdit

d’exproprier de façon arbitraire les biens des étrangers . Or, c’est sur une tout autre

base que l’Ouganda entend, dans sa duplique, mettre en cause la responsabilité

internationale de la RDC (1). Cette tentative de modification de l’objet du différend ne

peut cependant être accueillie, dans la mesure où elle se révèle contraire au Statut et au

Règlement de la Cour (2).

1. L’Ouganda cherche artificiellement à modifier l’objet du différend porté devant la

Cour

2.05. La RDC a déjà signalé que, dans sa duplique, l’Etat demandeur sur reconvention

centre désormais l’essentiel de ses réclamations sur des violations du droit
diplomatique, tel qu’il est codifié dans la Convention de Vienne de 1961 sur les

relations diplomatiques. Cette convention, qui en constituerait le fondement principal,

n’a pourtant jamais été citée par l’Ouganda lorsqu’il a formulé ses demandes

reconventionnelles dans son contre-mémoire, en avril 2001, ni d’ailleurs lorsqu’il a

présenté des observations sur ses demandes reconventionnelles, en date du 15 août
254
2001 . L’Etat défendeur n’a, a fortiori , jamais cherché à démontrer que les

dispositions de cette convention avaient été violées par l’Etat demandeur. Ce n’est que
le 6 décembre 2002, soit plus de 18 mois après la formulation de sa demande

reconventionnelle, que l’Ouganda a, pour la première fois, prétendu dans ses écritures

que cet instrument juridique avait été violé par le Congo. Dans ces conditions, il est

pour le moins surprenant de découvrir, dans la duplique de l’Ouganda, que la violation

25Supra, par. 2.01 et les références.
25Observations du 15 août 2001, p. 31, par. 62.

69de cette convention aurait toujours constitué la «!dominant feature!» 255 de sa

réclamation.

2.06. En invoquant la Convention de Vienne de 1961, l’Ouganda ne se contente pas de

compléter ou de préciser sa réclamation, en faisant appel à un nouvel instrument

juridique. C’est une modification radicale de l’objet du différend porté devant la Cour

qu’il cherche à obtenir. La Convention de Vienne de 1961 sur les relations
diplomatiques ne peut en effet nullement être considérée comme un traité qui viendrait

appuyer une réclamation centrée sur la protection des ressortissants d’un Etat à

l’étranger. On n’est plus ici dans le domaine du droit international général, mais dans le

cadre d’un corps de règles spécifique et particulier . Ce régime juridique particulier

comprend des règles dont la violation cause un préjudice direct à la personne de l’Etat,

ce qui justifie que les conditions généralement mises à l’exercice, par un Etat, de sa

protection diplomatique, ne trouvent pas à s’appliquer. C’est d’ailleurs visiblement

pour échapper à l’applicabilité de ces exigences que l’Ouganda cherche, de manière

manifestement abusive, à modifier radicalement la portée de sa demande.

2.07. Il faut insister à cet égard sur le caractère totalement artificiel de la nouvelle

argumentation ougandaise. En effet, en vue de qualifier de violations de la Convention

de Vienne de 1961 les mauvais traitements dont auraient été victimes un certain nombre

de ses ressortissants en août 1998, l’Etat demandeur sur reconvention va jusqu’à écrire

que

«![t]he individual victims were on the scene in their role as members of 257
Ugandan Mission, or as family members, or as staff, of the Mission!» .

Ainsi, l’applicabilité de la Convention de Vienne sur les relations diplomatiques se

justifierait par le fait que ce sont des membres de la mission diplomatique ougandaise, et

non des personnes privées sans statut diplomatique spécial, qui auraient été la victime

des actes illicites prétendument commis par le Congo. Cette affirmation est totalement

nouvelle, puisque l’Ouganda avait toujours affirmé agir jusque là en vue de la protection

de ses nationaux, sans jamais affirmer ni sous-entendre que ceux-ci bénéficiaient d’un

255
256R, p. 325, par. 703.
C.I.J., Affaire du Personnel diplomatique et consulaire des Etats-Unis à Téhéran, Recueil 1980, p. 40 et J.
Salmon (dir.), Dictionnaire de droit international public, op.cit., p. 958.

70statut diplomatique. Surtout, elle n’est étayée par aucune motivation, aucune référence,

ni par aucun élément de preuve. Absolument rien n’indique, et la partie ougandaise n’a

même pas estimé utile de chercher à le démontrer, que les personnes qui auraient été

victimes de mauvais traitements imputables aux autorités congolaises appartenaient, ou

étaient liées de près, à la mission diplomatique ougandaise à Kinshasa. On ne voit dès

lors pas sur quelle base l’Ouganda pourrait désormais affirmer que la Convention de

Vienne de 1961 aurait été applicable à de tels événements, et a fortiori constituerait la
258
«!dominant feature!» de sa réclamation.

2.08. La nouvelle thèse ougandaise est d’ailleurs directement contredite par plusieurs

documents, dont certains se retrouvent dans les annexes de la duplique elle-même.
Ainsi,

- Le 19 août 1998, le Ministre d’Etat Chargé des Affaires intérieures de la

RDC a autorisé la traversée du fleuve Congo par «!32 ressortissants

Ougandais dont 4 diplomates repris sur la liste en annexe!» . Cette 259

annexe, qui a été dressée par les autorités diplomatiques ougandaises elles-

mêmes, comprend, d’une part, 28 noms de personnes cataloguées comme

«!ougandaises!» et, d’autre part, quatre noms de personnes énumérés sous

la rubrique «!The Uganda Embassy Home-Based Staff!» . Ce document260

contredit donc radicalement la thèse ougandaise selon laquelle toutes les

personnes concernées auraient fait partie de la mission diplomatique.

- Le 22 août 1998, l’ambassadeur d’Ouganda à Kinshasa demande que deux

noms soient ajoutés à cette liste, les deux personnes concernées étant

simplement désignées comme des «!Ugandans omitted in the previous list

submitted to you!» . Rien n’indique ici non plus que ces deux personnes

aient eu un quelconque lien avec la mission.

257
258UR, p. 325, par. 703.
259UR, p. 325, par. 703.
UR, annexe 28 A, p. 1.
260Ibid., pp. 2 et 3.
261Ibid., p. 4.

71 - Le 24 août 1998, le même ambassadeur demande l’assistance des autorités
congolaises pour «!l’évacuation en toute sécurité des Ougandais se trouvant

actuellement à Kinshasa!» !. Il ne prétend nullement que ces personnes

bénéficient d’un statut diplomatique quelconque.

- La liste des membres de la mission diplomatique ougandaise établie par le

ministère des Affaires étrangères de la RDC, qui consigne les noms des

membres du personnel diplomatique ougandais en poste en RDC en 1998,

confirme que l’immense majorité (30 sur 34) des personnes pour lesquelles

l’évacuation a été demandée n’avaient absolument aucun lien avec une
263
mission diplomatique quelconque . On n’y retrouve en effet que 12 noms,

dont les 4 noms repris sous la rubrique «!The Uganda Embassy Home-

Based Staff!» de la liste du 19 août, mais dont aucun des 28 noms des

ressortissants ougandais repris dans l’autre rubrique de cette liste.

L’Ouganda ne peut donc affirmer que ces 28 personnes bénéficiaient d’un
statut diplomatique à Kinshasa.

Au vu de ces éléments, il apparaît manifestement abusif de prétendre aujourd’hui que

toutes les personnes prétendument victimes de mauvais traitements devraient être

considérées «!as members of the Ugandan Mission, or as family members, or as staff, of

the Mission!», pour reprendre les termes de la duplique. En réalité, les problèmes

rencontrés lors de l’évacuation ont, selon le rapport dressé par la partie ougandaise elle-

même, concerné des personnes qui n’avaient visiblement aucun lien particulier avec la
264
mission diplomatique d’Ouganda à Kinshasa .

2.09. L’Ouganda ne peut dès lors sérieusement prétendre que la violation de la

Convention de Vienne de 1961 constitue «!manifestly the dominant feature!» de ce volet
265
de l’affaire . Si tel avait été réellement le cas, la partie ougandaise n’aurait pas
manqué d’invoquer cet instrument en temps utile. Il est vrai que, dans cette hypothèse,

l’Ouganda aurait dû montrer que les victimes des mauvais traitements dont il prétend

accuser le Congo bénéficiaient d’un statut diplomatique rendant applicable cette

26UR, annexe 29.
26OARDC, annexe 3.
26UCM, annexe 23.

72Convention, ce qui n’est nullement le cas, comme on vient de le constater. Par ailleurs,
en centrant d’emblée sa demande sur la Convention de Vienne de 1961, dont la

violation n’a par ailleurs jamais été alléguée par la RDC dans sa demande principale,

l’Ouganda courait le risque que la Cour refuse d’admettre cette demande comme

demande reconventionnelle. La partie ougandaise ne saurait cependant éviter

aujourd’hui le problème qu’elle ne pouvait résoudre hier!: la modification radicale de

l’objet du différend qu’elle tente de réaliser est en effet totalement incompatible avec le

Statut et le Règlement de la Cour.

2. Cette modification abusive de l’objet du différend est incompatible avec le Statut et

le Règlement de la Cour

2.10. Au vu de ce qui précède, il est manifeste que l’Ouganda modifie radicalement

l’objet de ce volet du différend tel qu’il a été clairement circonscrit dans la demande

initiale présentée dans le contre-mémoire ougandais, et confirmé dans les observations
présentées par cet Etat sur ses demandes reconventionnelles, en date du 15 août 2001 . 266

Or, il est constant qu’une telle modification doit avoir pour effet de rendre irrecevable la

partie de la demande qu’elle affecte. Comme l’a énoncé la C.P.J.I. dans l’affaire de la

Société commerciale de Belgique,

«!il est évident que la Cour ne saurait admettre, en principe, qu’un différend

porté devant elle par requête puisse être transformé, par voie de modifications
apportées aux conclusions, en un autre différend dont le caractère ne serait pas
le même» . 267

En l’occurrence, on ne peut donner effet à la tentative ougandaise de transformer un

différend centré sur la protection diplomatique de ses ressortissants en un autre, dont le

«!caractère ne serait pas le même!», puisqu’il serait basé sur la violation de la

Convention de Vienne de 1961 sur les relations diplomatiques, dont les spécificités ont
268
déjà été soulignées plus haut .

26UR, p. 325, par. 703.
26Observations du 15 août 2001, p. 31, par. 62.
267
C.P.J.I., arrêt du 15 juin 1939, Sér. A/B, n° 78, p. 173.

732.11. La conclusion s’impose d’autant plus que, comme le signalait la Cour en

évoquant une modification de l’objet de la demande,

«!Une semblable pratique serait de nature à porter préjudice aux Etats tiers qui,

conformément à l’article 40, alinéa 2 du Statut, doivent recevoir
communication de toute requête afin qu’ils puissent se prévaloir du droit
d’intervention prévu par les articles 62 et 63 du Statut!» .69

Dans la présente affaire, les demandes ougandaises que la Cour a accepté de joindre à
l’instance ont été portées à la connaissance des Etats tiers, conformément à

l’ordonnance sur les demandes reconventionnelles rendue par la Cour en date du 29

novembre 2001 , qui a donné instruction au Greffier de procéder à cette notification.

Mais, dans cette ordonnance, il n’est à aucun moment fait mention d’un différend

portant sur l’application ou l’interprétation de la Convention de Vienne sur les relations

diplomatiques de 1961. L’Ouganda ne se plaignait alors que de la violation des droits

de ses nationaux, en faisant usage de son droit à exercer sa protection diplomatique ce

qui, a priori, n’est pas susceptible d’affecter un intérêt d’ordre juridique d’un

quelconque Etat tiers, et donc de mettre en jeu les articles 62 ou 63 du Statut. Les
nouvelles prétentions ougandaises modifient radicalement la situation, qui tombe

dorénavant directement sous le coup de l’article 63 du Statut de la Cour, qui vise bien

l’hypothèse où «!il s’agit de l’interprétation d’une convention à laquelle ont participé

d’autres Etats que les parties en litige!». Ainsi, admettre les nouvelles prétentions

ougandaises reviendrait à léser les droits des autres Etats parties à la Convention de

Vienne de 1961, qui n’ont pas pu être avertis en temps utile en vue de faire valoir leur

droit d’intervenir, le cas échéant, dans la présente espèce.

2.12. Il convient à ce sujet de rappeler que la Cour n’a accepté de déclarer recevable

en tant que demande reconventionnelle cette dernière demande ougandaise qu’en raison

de la parenté des situations de fait et des règles de droit invoquées, respectivement, par

le demandeur initial et par le demandeur sur reconvention. La Cour, dans son

ordonnance susmentionnée, a ainsi expressément fondé sa décision d’accepter la

connexité directe de cette dernière demande sur le fait que

26Supra, par.!2.06.
26C.P.J.I., arrêt du 15 juin 1939, Sér. A/B, n° 78, p. 173.
27Ordonnance du 29 novembre 2001, par. 47.

74 «!chacune des Parties cherche à établir la responsabilité de l’autre en
invoquant, en relation avec l’emploi illicite de la force allégué, certaines règles
de droit international conventionnel ou coutumier relatives à la protection des

personnes et271s biens!; […] les Parties poursuivent ainsi les mêmes buts
juridiques!» .

Il n’est donc nullement question, dans cette décision, des règles de la Convention de

Vienne de 1961 sur les relations diplomatiques. L’invocation soudaine de ces règles par

la partie ougandaise, a dès lors inévitablement pour effet de rompre le lien de connexité
établi par la Cour en novembre 2001. On voit mal, en effet, comment une quelconque

connexité juridique aurait pu être établie entre les règles de ce dernier instrument et

celles sur lesquelles le Congo a fondé sa demande initiale. La modification de l’objet de

cette partie du différend qui résulte de la façon dont l’Ouganda a présenté ce volet de sa

demande dans ses dernières écritures est donc manifestement incompatible avec
l’ordonnance par laquelle la Cour s’est prononcée sur la jonction à la présente instance

de deux des demandes reconventionnelles présentées par l’Ouganda.

2.13. En réalité, tout indique que l’Ouganda, qui avait parfaitement conscience qu’une
réclamation fondée spécifiquement sur la Convention de Vienne de 1961 ne pourrait

être considérée comme présentant un lien de connexité directe avec la demande du

Congo, a préféré, dans un premier temps, formuler sa demande de façon générale. C’est

cette formulation, basée sur la protection générale des personnes et des biens, qui a

permis à la Cour de conclure que les deux parties poursuivaient les «!mêmes buts
juridiques!». Une fois la demande acceptée comme reconventionnelle sur cette base,

l’Ouganda cherche à présent à modifier radicalement la portée de sa réclamation, en

poursuivant désormais un but juridique qui n’entretient plus aucun rapport avec celui

qui est poursuivi par le Congo. La RDC ne peut que souligner tous les risques
qu’entraînerait l’admissibilité de cette stratégie judiciaire. Dorénavant, il suffirait à un

Etat de formuler sa demande reconventionnelle conformément à la jurisprudence de la

Cour pour qu’elle soit acceptée comme telle pour, dans un second temps, modifier

radicalement cette demande sans risquer de subir aucune sanction judiciaire. Il va de soi

que de telles pratiques s’avèrent radicalement incompatibles avec le Statut et le
Règlement de la Cour, et ne sauraient être récompensées et encore moins encouragées

pour l’avenir.

271
Ibid., par. 40!; souligné par la RDC.

752.14. En définitive, la RDC estime que, pour les raisons qui ont été exposées ci-
dessus, les aspects de la demande ougandaise qui concernent l’interprétation et

l’application de la Convention de Vienne de 1961 sur les relations diplomatiques

doivent être écartés comme irrecevables. Ce n’est dès lors que des deux dernières bases
de réclamation (numéros 5 et 6) reprises dans la duplique, qui constituent la

réaffirmation de cet aspect de la demande ougandaise tel qu’il avait initialement été

présenté, que la RDC traitera dans la suite des présentes observations. Les

développements de l’argumentation ougandaises contenus sous les points 1 à 4 de la
réclamation ne seront donc pris en compte que dans la mesure où ils permettent

d’appuyer la demande qui a été acceptée par la Cour comme reconventionnelle dans son

ordonnance du 29 novembre 2001. C’est sur cette base que la RDC traitera

successivement, d’abord du volet de la demande relatif à la protection diplomatique de
certains ressortissants ougandais (B), ensuite de celui qui est relatif à la prétendue

expropriation de biens publics ougandais (C).

76B. Le volet de la demande relatif à des prétendus mauvais traitements dont auraient été
victimes certains ressortissants ougandais reste irrecevable et, subsidiairement, non

fondé

2.15. Dans sa réplique, la RDC a démontré que l’Ouganda, en faisant valoir dans un

volet de sa dernière demande reconventionnelle les mauvais traitements dont auraient

été victimes certains ressortissants ougandais à Kinshasa, exerçait manifestement la

protection diplomatique de ces derniers . Partant, ce volet de la demande doit être

déclarée irrecevable, dès lors que les conditions d’exercice de la protection

diplomatique ne sont pas remplies en l’espèce (1). A supposer même que la Cour rejette

cette argumentation, et accepte d’examiner la demande au fond, celle-ci doit,

subsidiairement et en tout état de cause, être déclarée non fondée (2).

1. Le volet de la demande de l’Ouganda relatif aux mauvais traitements qu’auraient

subis ses ressortissants est irrecevable

2.16. La RDC a signalé dans sa réplique que l’Ouganda n’apportait aucune preuve du

fait que les personnes dont il prétendait exercer la protection possédaient effectivement

la nationalité ougandaise, ni du fait que les voies de recours internes avaient, en

l’espèce, été épuisées . La duplique présentée par l’Ouganda n’est nullement de nature

à modifier ces conclusions.

2.17. Avant de procéder à cette démonstration, toutefois, la RDC souhaiterait formuler

deux observations.

274
- D’une part, ainsi que la RDC l’a relevé plus haut , l’Ouganda ne remet

nullement en cause le droit de la RDC d’opposer une exception

d’irrecevabilité à cette seconde demande reconventionnelle. L’Ouganda
confirme par là le principe même selon lequel rien, dans les textes qui

régissent le fonctionnement de la Cour, ne s’oppose à ce qu’un Etat

27RRDC, pp. 378 et s., par. 6.69 et s.
27RRDC, pp. 379-391, par. 6.72-6.77.
27Supra, par.!1.09.

77 défendeur sur reconvention formule une exception préliminaire à l’encontre
d’une demande acceptée comme reconventionnelle par la Cour . 275

- D’autre part, l’Ouganda, en se référant explicitement aux conditions

d’exercice de la protection diplomatique (la nationalité, qu’il prétend

établie, et l’épuisement des voies de recours internes, dont il tente de

démontrer l’inapplicabilité en l’espèce) admet ici clairement que c’est bien

dans ce cadre que cette partie de sa demande s’inscrit.

La RDC demande à la Cour de prendre acte de l’un et l’autre de ces points. Elle

démontrera maintenant que l’Ouganda n’a pas été en mesure, dans sa duplique, d’établir

que cette partie de sa demande était recevable.

a) L’Ouganda n’a toujours pas démontré que les personnes en faveur

desquelles il prétend formuler une réclamation possèdent sa nationalité

2.18. La RDC a rappelé, dans la réplique, qu’il revient à un Etat qui prétend porter

devant une juridiction internationale un litige relatif à des violations d’obligations

internationales dont des personnes privées auraient été victimes d’établir que les

personnes en cause possèdent sa nationalité, tant au moment de la perpétration du fait

illicite qu’au moment de la présentation de la réclamation . Or, l’Ouganda ne précise

nullement l’identité exacte de la ou des personnes dont il prétend assurer la protection,

et n’apporte par conséquent aucune preuve de la nationalité ougandaise de ces

personnes.

2.19. L’Ouganda répond incidemment à cette objection, dans une note de bas de page

de ses dernières écritures, où il est affirmé que la RDC aurait reconnu que les personnes
277
en cause étaient de nationalité ougandaise . Il en serait ainsi en raison du fait que les
autorités congolaises ont donné, en date du 19 août 1998, une autorisation écrite en vue

de permettre l’évacuation de Kinshasa de «!32 ressortissants Ougandais dont 4

275Supra, par.!1.06 et ss.
27RRDC, p. 379, par. 6.73.
27UR, p. 317, note 140.

78diplomates!» . Cette autorisation renvoie à une liste de noms, qui avait préalablement

été fournie aux autorités congolaises par l’ambassade d’Ouganda à Kinshasa. C’est

donc sur la base de ce seul document que la nationalité des personnes en faveur
desquelles l’Ouganda exerce sa protection diplomatique serait établie.

2.20. La RDC ne peut, et c’est un euphémisme, que manifester son étonnement face à

cette ligne d’argumentation. En tentant de réfuter les prétentions du Congo sur ce point,

la partie ougandaise admet qu’elle est tenue d’établir la nationalité des personnes qu’elle
entend protéger. Mais, en dépit des critiques formulées dans la réplique de la RDC,

aucun élément de la duplique, ne permet, même à ce stade tardif de la procédure,

d’identifier exactement les personnes dont l’Ouganda entend assurer la protection dans

le cadre de la présente instance. De la même façon, il est impossible de savoir, sur la

base des écritures ougandaises, quels sont exactement les actes qui auraient été perpétrés

au préjudice de chacun de ces individus. La protection que l’Ouganda prétend exercer
s’étend-elle dès lors à chacun des membres du groupe qui a fait l’objet de l’évacuation,

ou à certains d’entre eux seulement — et si oui, lesquels!? En raison de quels faits!?

Rien, dans les écritures ougandaises, ne permet de donner ne fût-ce qu’un début de

réponse à ces questions pourtant cruciales. On se trouve ainsi devant un cas sans

précédent dans les annales de l’histoire des juridictions internationales, où il est
impossible d’identifier les bénéficiaires potentiels d’une protection diplomatique que

cherche à exercer un Etat demandeur. Dans ces conditions, il va de soi que, en tout état

de cause, la condition de nationalité ne saurait être considérée comme remplie. En toute

logique, le débat sur la nationalité ne peut s’engager qu’à partir d’une identification

précise de la ou des personne(s) concernée(s) par l’exercice de la protection
diplomatique. Tant que l’Ouganda n’a pas précisé ses prétentions sur ce point, il va de

soi que sa demande en protection diplomatique reste totalement irrecevable.

2.21. L’argument selon lequel la nationalité de personnes dont on ne connaît toujours

pas l’identité pourrait être établie sur la seule base d’une reconnaissance implicite de la
RDC perd donc toute consistance. En tout état de cause, il va de soi que la preuve de la

nationalité ne saurait se déduire d’une simple lettre qui, au demeurant, a été acceptée par

le ministère de l’Intérieur congolais en août 1998 sans qu’il soit procédé à une

278
UR, annexe 28A, p. 1.

79quelconque vérification de l’identité et de la nationalité des personnes dont l’évacuation
était demandée. Pareille vérification aurait au demeurant supposé un examen

approfondi et individuel de chacun des dossiers, ce qui paraissait difficilement réalisable

dans le contexte d’urgence où cette demande a été formulée. L’Ouganda reste donc

pleinement tenu de démontrer que les personnes qu’il souhaite protéger possédaient sa

nationalité non seulement au moment des faits, mais aussi à celui du dépôt de la

réclamation, ce que la lettre du mois d’août 1998 n’est évidemment pas susceptible de

faire. Tant qu’il n’a pas franchi cette étape, sa demande ne saurait être considérée

comme recevable, d’autant que les voies de recours internes disponibles au Congo n’ont

pas été épuisées.

b) L’Ouganda n’est pas en mesure d’écarter l’application en l’espèce de la

règle de l’épuisement des voies de recours internes

2.22. Dans sa réplique, la RDC a relevé que l’Ouganda, qui n’avait pas identifié les
personnes en faveur desquelles il prétendait exercer sa protection diplomatique, n’avait,

fort logiquement, pas non plus pu démontrer que ces personnes avaient épuisé les voies

de recours internes disponibles au Congo . Dans sa duplique, l’Ouganda ne nie pas

que les recours internes n’ont pas été épuisés, ni même mis en œuvre, par ses

ressortissants . Selon l’Etat défendeur,!cependant, les recours internes ne devaient en

tout état de cause pas être épuisés en RDC, et ce pour deux motifs!essentiels :

- cette règle ne serait pas applicable car cet aspect de la réclamation ougandaise ne

serait pas «!distinct et indépendant!» de la réclamation formulée par l’Etat ougandais
281
pour les violations du droit international dont il aurait été directement victime !;

- l’épuisement des voies de recours internes ne s’imposerait en tout état de cause pas

lorsque les recours disponibles ne sont pas efficaces, ce qui serait le cas en
l’espèce .82

Ni l’un, ni l’autre de ces arguments ne se révèle toutefois probant.

279RRDC, pp. 380-381, par. 6.75-6.77.
280UR, p. 331, par. 713.
281
UR, pp. 324-325, par. 702-704.

802.23. Pour étayer le premier d’entre eux, l’Ouganda se réfère au raisonnement suivi

par la Cour dans l’affaire ELSI, en réponse à l’argument des Etats-Unis, qui étaient

demandeurs dans cette dernière instance . Selon cet argument, la règle de l’épuisement

des voies de recours internes ne s’appliquait pas en l’espèce, en raison du fait que l’Etat

demandeur estimait avoir été directement victime de la violation d’un traité bilatéral, et

ce même si c’était une société privée américaine qui avait subi le préjudice matériel

découlant de cette violation . 284 La Cour a, en l’occurrence, refusé de suivre ce

raisonnement. Se référant à l’affaire de l’Interhandel, où l’Etat demandeur avait avancé

un argument identique, la Cour a estimé qu’on ne pouvait,

«!en l’espèce dissocier une partie de la réclamation du demandeur de façon que 285
la règle de l’épuisement des voies de recours internes ne s’y applique pas!» .

C’est, en substance, la formulation de la «!conclusion principale!» présentée par l’Etat

demandeur qui a conduit la Cour à conclure que l’objet principal de la demande

s’inscrivait bel et bien dans le cadre de la protection diplomatique, et non dans celui
286
d’un préjudice directement subi par l’Etat demandeur lui-même . Or, selon

l’Ouganda, c’est bien dans ce dernier cas de figure que l’on se trouverait en ce qui

concerne la demande reconventionnelle ougandaise relative aux dommages qui auraient

été causés, en violation de règles élémentaires du droit international, à certains
287
ressortissants ougandais à Kinshasa .

2.24. Le principe selon lequel la règle de l’épuisement des voies de recours internes ne

trouve pas à s’appliquer lorsque l’Etat demandeur a subi un préjudice direct qui a

également affecté certains de ses ressortissants est bien établi . La RDC n’entend

aucunement le remettre en cause. Ce principe ne peut toutefois recevoir application que

lorsque certaines conditions bien définies sont remplies. En particulier, comme

l’indique la jurisprudence précitée de la Cour, il est nécessaire que la formulation de la

«!conclusion principale!» présentée par l’Etat demandeur sur la question en litige fasse

clairement apparaître que c’est bien la violation du droit international que cet Etat aurait

282
283UR, pp. 325-331, par. 706-713.
284UR, p. 324, par. 702.
285Rec. 1989, p. 43, par. 51.
Ibid., p. 43, par. 52
286Ibid.
287UR, p. 325, par. 703.

81subie de façon directe qui se trouve mise en exergue dans sa demande. Tel n’est
cependant pas le cas pour l’aspect de la dernière demande reconventionnelle ougandaise

qui nous occupe ici. C’est en effet toujours en vue de protéger certains ressortissants

ougandais qui auraient été victimes de mauvais traitements que l’Ouganda a présenté

cette demande.

2.25. L’Ouganda ne présente pas, dans ses conclusions générales, de conclusions

spécifiques sur ses demandes reconventionnelles. Il se limite à renvoyer à cet effet aux

parties de ses écritures où ces demandes sont développées. C’est donc à ces pages qu’il

convient de se référer pour identifier les «!conclusions principales!» formulées par l’Etat

demandeur sur reconvention sur chacun de ces points. Le contre-mémoire, comme la

duplique, demandent en effet «![t]hat the Counter-claims presented in Chapter XVIII of

the Counter-M emorial and reaffirmed in Chapter VI of the […] Rejoinder be
289
upheld!» . Or, la manière dont la demande initiale de l’Ouganda est formulée en ce

qui concerne les mauvais traitements qu’auraient subis ses nationaux à Kinshasa en août
1998 est dépourvue de toute ambiguïté, et ne fait absolument aucune référence à un

quelconque préjudice direct subi par l’Etat ougandais en raison de ces faits. En

particulier, on y cherchera en vain une quelconque mention de la Convention de Vienne

de 1961 sur les relations diplomatiques, comme la RDC l’a déjà signalé . 290 Ces

conclusions sont, en effet, libellées de la manière suivante!:

«!405. The inhumane treatment and threats to the security and freedom of

nationals of Uganda detailed in paragraphs 397 to 399 above, constituted a
series of breaches of the international minimum standard relating to the
treatment of foreign nationals lawfully on State territory, which standard forms
a part of customary or general international law.

406. The confiscation of privately owned cars and other items of propriety
belonging to Ugandan nationals also constitutes breaches of the international

minimum standard.

407. The inhuman treatment described in paragraphs 397 to 399 above also,
and in the alternative, constitutes breaches of the standard of general

international law based upon universally recognised standards of human rights
concerning the security of the human person and the peaceful possession, use
and enjoyment of property!» . 291

28V. e.a. C.F. AMERASINGHE, Local Remedies in International Law, Cambridge, Grotius, 1990, pp. 108 et s.
28UCM, p. 231!et UR, p. 333.
29Supra, par.!2.05.
29UCM, p. 228!; souligné par la RDC.

82Il apparaît on ne peut plus clairement de ces différentes formulations que c’est de

violations du droit international dont certains de ses ressortissants auraient été victimes
que se plaint l’Ouganda, et en aucune façon d’un quelconque préjudice direct (direct

injury) que ces actes lui auraient causé. Aucune des dispositions de la Convention de

Vienne qui, selon l’Ouganda, seraient à la base de sa réclamation, n’est alors évoquée.

La considération qui, pour reprendre les termes de la Cour dans l’affaire ELSI, «!colore
292
et imprègne!» cet aspect des demandes reconventionnelles ougandaises est bien le

préjudice qu’auraient subi les ressortissants ougandais dans leur personne, et nullement

celui qui aurait affecté l’Etat en tant que tel en raison des mêmes actes. Force est donc
de constater que l’on ne se trouve aucunement, ici, dans les circonstances où la Cour a

indiqué que la règle de l’épuisement des voies de recours internes pouvait être écartée

en raison du fait que l’objet principal de la demande visait un préjudice direct qui aurait

été subi par l’Etat demandeur.

2.26. Comme la RDC l’a déjà exposé, l’Ouganda tente, certes, dans sa duplique, de

donner un profil radicalement à cette partie du litige, en la centrant sur de prétendues

violations du droit diplomatique, et en invoquant à cette fin plusieurs dispositions de la
293
Convention de Vienne de 1961 . Il ne fait effectivement aucun doute que, dans cette
perspective, c’est bel et bien un dommage direct (direct injury) que l’Etat ougandais

pourrait faire valoir. L’exigence de l’épuisement des voies de recours internes ne

trouverait alors pas à s’appliquer. La RDC a toutefois détaillé plus haut les raisons pour

lesquelles cette tentative de modifier l’objet du différend à ce stade de la procédure était
294
inacceptable . Cette partie de la dernière demande reconventionnelle ougandaise ne

peut dès lors être accueillie dans sa formulation actuelle. Seules les cinquième et

sixième bases de réclamation invoquées par l’Ouganda dans sa duplique peuvent donc

être prises en compte, puisqu’elles seules s’inscrivent dans le prolongement logique de
la demande reconventionnelle telle qu’elle a été présentée initialement par cet Etat et

acceptée par la Cour.

29Rec. 1989, p.!43, par. 52.
29V. supra, par. 2.02.

832.27. Rien n’indique dès lors, ni en droit ni en fait, que la demande ougandaise ne soit

pas restée centrée sur l’institution classique de la protection diplomatique. La thèse

selon laquelle la règle de l’épuisement des voies de recours internes ne s’appliquerait

pas à cette partie de la dernière demande reconventionnelle ougandaise en raison du fait

qu’elle vise à obtenir réparation d’un préjudice direct subi par l’Ouganda ne saurait

donc être retenue. La manière même dont l’Ouganda a formulé sa demande initiale sur

ce point montre très clairement que c’est bien le préjudice qu’auraient personnellement

subi ses ressortissants qui constitue le centre de gravité de cette réclamation. Il n’existe

donc aucune raison d’écarter l’application de la règle de l’épuisement des voies de

recours internes en l’espèce.

2.28. La duplique met cependant en évidence un autre motif pour lequel l’exigence de

l’épuisement des recours internes ne jouerait pas dans le cadre de la présente instance.

Selon un deuxième argument avancé par l’Ouganda sur ce point, les recours offerts par

l’ordre juridique interne de la RDC seraient en tout état de cause inefficaces, en raison

de la corruption qui minerait l’appareil judiciaire congolais, en particulier dans le
295
contexte de la guerre . Ces recours ne devaient dès lors pas être mis en œuvre par les

ressortissants ougandais prétendument victimes de mauvais traitements, puisque la règle

de l’épuisement ne vaut que lorsque les recours internes disponibles dans l’Etat
296
concerné sont efficaces . Ce propos est étayé, dans la duplique, par des extraits de

trois rapports du Département d’Etat américain qui font notamment état des problèmes
297
matériels qui affectent le bon fonctionnement de la justice en RDC . L’Ouganda tire

de ces quelques documents des conclusions pour le moins radicales, aux termes

desquelles «![p]lagued by corruption and a lack of funding, resources and personnel, the
298
Congolese courts are not, and have never been, impartial dispensers of justice!» .

2.29. Ces propos, où l’excès le dispute à l’injure, appellent une sérieuse mise au point.

Les difficultés qu’a connues le système judiciaire congolais depuis plusieurs années, et

qui ont d’ailleurs été amplifiées encore par la guerre, sont indéniables. Ces problèmes

ne permettent pas, pour autant, de conclure, de façon péremptoire, que l’ensemble des

294Supra, par. 2.04 et s.
295
296UR, p. 330, par. 711
297UR, p. 325, par. 705-706.
UR, pp. 328-330, par. 708-710.
298UR, p. 328, par. 708.

84recours judiciaires disponibles au sein de l’ordre juridique congolais doivent être
considérés comme inefficaces. Ce serait là aller bien vite en besogne. La RDC entend

tout d’abord faire remarquer que les critiques formulées dans les rapports cités dans la

duplique pourraient trouver à s’appliquer à bien d’autres pays en développement, y

compris l’Ouganda lui-même . La façon dont un système judiciaire est organisé et

fonctionne dans un pays pauvre, victime qui plus est d’une guerre d’agression menée de

façon impitoyable par plusieurs de ses voisins, ne saurait à l’évidence être appréciée sur

la base des critères dont il est fait application dans des pays infiniment plus riches et

développés. Des accusations de dysfonctionnement, formulées de façon tout à fait

générale, ne sauraient donc constituer une base suffisante pour discréditer le système

judiciaire d’un pays dans son ensemble. Plutôt que de lancer des accusations générales

et vagues sur le système judiciaire congolais dans son ensemble, la partie ougandaise

serait mieux avisée de démontrer que, en l’espèce, aucun recours efficace n’aurait pu

être mis en œuvre par ses ressortissants. L’Ouganda n’a cependant même pas tenté

d’entamer cette démonstration, tout simplement parce qu’il n’est pas en mesure de le
faire.

2.30. Il est en effet de notoriété publique que les cours et tribunaux de Kinshasa n’ont

jamais connu d’interruption de leurs activités depuis le début de la guerre jusqu’à ce

jour, en dépit des conditions parfois extrêmement difficiles dans lesquelles ces

juridictions ont été contraintes de fonctionner. Parmi ces juridictions figurent des

tribunaux militaires, dont la compétence s’étend aux membres des forces armées

congolaises accusés de violations du droit commun ou de règles du droit militaire. Or,

comme en attestent les rapports mêmes du Département d’Etat cités par l’Ouganda, ces

juridictions militaires ont été particulièrement actives au cours des dernières années, et

ont fréquemment prononcé des peines —parfois très lourdes— à l’encontre de membres
300
des forces armées accusés d’infractions graves (vols, meurtres, etc.) . Des

condamnations de ce type ont été prononcées tant dans des situations où la victime des
agissements illicites de membres des FAC étaient congolaises que dans des cas où ces

victimes étaient étrangères. Le procès qui a abouti, le 7 janvier 2003, à la condamnation

à de très lourdes peines de près d’une dizaine de soldats et d’officiers congolais accusés

299V. ainsi le rapport du Département d’Etat américain pour 2001, qui fait entre autres mention de l’influence
exercée par le Président Museveni sur le fonctionnem ent des tribunaux ougandais!;

http://www.state.gov/g/drl/rls/hrrpt/2001/af/8409.htm

85d’avoir exécuté arbitrairement onze ressortissants libanais dans les jours qui ont suivi

l’assassinat du président Laurent Désiré Kabila représente l’un des exemples qui

illustrent de façon particulièrement probante l’efficacité de la justice congolaise dans ce
type de situation. Par ailleurs, et comme la RDC l’a signalé dans sa réplique sans être

démentie par l’Ouganda, l’article 258 (Livre III) du Code civil congolais permet à toute

personne qui estimerait avoir subi un dommage en raison d’une faute d’obtenir

réparation de la part de l’auteur de cette faute, y compris si celui-ci est un organe de
301
l’Etat . Rien n’empêchait donc les ressortissants ougandais qui auraient été victimes
de mauvais traitements de saisir les tribunaux congolais en vue d’obtenir réparation

pour la lésion éventuelle de leurs droits.

2.31. Au vu de ces éléments, il est particulièrement mal venu, pour l’Ouganda de

conclure, sur la base de quelques rapports traitant de façon très générale de certains

aspects du fonctionnement du système judiciaire congolais, que les recours judiciaires
qu’auraient pu intenter les ressortissants ougandais prétendument victimes de mauvais

traitements en août 1998 étaient, tous et d’office, voués à l’échec. Une telle affirmation

péremptoire ne permet pas de conclure que, dans le cas d’espèce, les recours judiciaires

ouverts aux ressortissants ougandais concernés se seraient avérés inefficaces. Il en est

d’autant moins ainsi qu’en l’occurrence, une telle démarche n’a même pas été entamée
par les individus en cause. Comment, en pareilles circonstances, pourrait-on même

penser conclure à l’inefficacité des recours internes!? La Cour ne saurait, à l’évidence,

conclure sur la seule base des éléments avancés par l’Ouganda qu’en l’espèce, les

recours internes se seraient de toute manière révélés inefficaces et qu’il ne s’imposait

dès lors pas de les épuiser.

2.32. En conclusion, l’Ouganda n’a apporté, dans sa duplique, aucun élément qui soit

de nature à remédier aux lacunes mises en évidence par la RDC dans la réplique en ce

qui concerne les conditions d’exercice de la protection diplomatique de ressortissants

ougandais. D’une part, en effet, ni l’identité précise, ni par conséquent la nationalité des
personnes dont l’Ouganda entend exercer la protection n’ont été clairement établies, à

quelque stade que ce soit, par l’Etat demandeur sur reconvention. D’autre part, la règle

de l’épuisement des voies de recours internes a manifestement vocation à s’appliquer en

300
V. e.a. le Rapport de 1998, UR, annexe 33, p. 11!; le Rapport de 2001, UR, annexe 77, p. 12 in fine.

86l’espèce et aucun des arguments avancés par l’Ouganda ne permet de conclure que ces
recours se seraient avérés inefficaces in casu. Aucun des éléments développés par

l’Ouganda dans sa duplique ne permet donc de remettre en cause la conclusion selon

laquelle cette partie de la dernière demande reconventionnelle ougandaise était

irrecevable. Ce n’est dès lors que de façon subsidiaire que la RDC montrera maintenant

que les dernières écritures ougandaises n’ont pas plus permis de montrer que ce volet de

la demande était fondé en fait.

2. Subsidiairement, le volet de la demande de l’Ouganda relatif aux mauvais

traitements qu’auraient subis certains de ses ressortissants est dépourvu de fondement

2.33. L’Ouganda accuse la RDC d’être responsable de trois séries d’événements. Il

s’agit, premièrement, d’un incident qui serait survenu à l’ambassade d’Ouganda à

Kinshasa le 11 août 1998, deuxièmement, de mauvais traitements dont auraient été

victimes certains ressortissants ougandais à l’aéroport de Ndjili le 20 août de la même
année et, troisièmement, d’un comportement négligent des autorités congolaises lors des

opérations d’évacuation des mois d’août et septembre 1998. Aucun de ces chefs

d’accusation ne repose sur une base factuelle ou juridique sérieuse.

2.34. En guise de preuve d’une prétendue attaque de l’ambassade qui aurait eu lieu

aux environs du 11 août 1998, l’Ouganda invoque en tout et pour tout trois documents.

- Le premier est une lettre de protestation du 18 décembre 1998, adressée par le
302
ministère des Affaires étrangères d’Ouganda aux autorités congolaises . La RDC

a déjà relevé dans sa réplique que cette lettre n’évoque aucun incident à une date
303
proche du 11 août!1998 . Dans sa duplique, l’Ouganda se réfère pourtant une fois

encore à ce document, sans estimer utile de répondre à l’argumentation
304
congolaise .

301RRDC, p. 380, par. 6.75.
30UCM, annexe 33.
303
RRDC, p. 382, par. 6.80.

87- Le deuxième document est un rapport qui, comme la RDC le signalait déjà dans sa

réplique, a été dressée unilatéralement par les autorités ougandaises aux fins de la
305
présente instance . Une fois encore, l’Ouganda évite soigneusement de rencontrer

l’argument du Congo, et se contente de citer une nouvelle fois ce document sans
306
autre forme de justification .

- Le troisième document invoqué par l’Ouganda est le seul élément nouveau que cet
307
Etat a été en mesure de verser au dossier en guise de preuve de sa réclamation . Il

s’agit d’un affidavit consignant les prétentions de l’ancien ambassadeur d’Ouganda

à Kinshasa, qui ne cite même pas directement cette attaque, ni ne précise par

conséquent sur la base de quel élément elle pourrait être considérée comme établie.

Ce document est en tout état de cause purement unilatéral et, comme la RDC l’a
308
déjà relevé et y reviendra encore , il existe les plus sérieuses raisons de douter de

sa crédibilité.

Il va de soi que, même en se contentant d’un standard de preuve particulièrement

souple, on ne saurait considérer comme établie cette première accusation ougandaise à

partir de ces éléments.

2.35. Quant aux événements du 20 août, qui auraient eu lieu à l’aéroport de Ndjili, ils

sont relatés à partir de trois documents. Les deux premiers ont été établis par les seules

autorités ougandaises!; il s’agit de la lettre de protestation du 18 décembre 1998, ainsi

que de l’affidavit de l’ambassadeur précités, qui ne sauraient évidemment tenir lieu de

preuves judiciaires. Le troisième est un rapport du département d’Etat des Etats-Unis

d’Amérique, dans lequel il est fait mention du fait que des officiers congolais auraient
309
«!battu et injurié!» certains Ougandais «!en août!» 1998 . La RDC s’étonne que

l’Ouganda, si prompt par ailleurs à dénoncer les sources de seconde main, se contente

ici de s’appuyer sur une phrase aussi générale et vague d’un rapport dont absolument

rien n’indique sur quelle base, ni à partir de quelles sources, il a été établi.! Il est

probable, et en tout cas fort possible, que les auteurs de ce rapport se soient contentés de

304UR, p. 316, par. 685.
305UCM, annexe 89 et RRDC, p. 382, par. 6.80.
306UR, p. 316, par. 685.
307Ibid., et UR, annexe 87, par. 26.
308Supra, par. 1.35 et infra, par. 2.49 et ss.

88relayer ici les assertions des autorités ougandaises elles-mêmes. Ce document se limite

en effet à reprendre ces accusations, sans que l’on y trouve la moindre précision

supplémentaire sur les faits en cause. Pour pouvoir s’appuyer sur une telle pièce,

l’Ouganda devrait montrer qu’il s’appuie sur des sources diverses et concordantes, ce

qu’il n’est pas en mesure de faire, fût-ce en évoquant la presse ou les médias de

l’époque. Dans ces conditions, il va de soi que l’imputation à la RDC de mauvais

traitements qui auraient été infligés à certains ressortissants ougandais à l’aéroport de

Ndjili en date du 20 août 1998 ne peut être considérée comme établie sur le plan

judiciaire.

2.36. Ne pouvant prouver l’implication de la RDC dans des incidents particuliers,

l’Ouganda en vient enfin à accuser les autorités congolaises de ne pas avoir rempli leurs

obligations de prévention, en s’abstenant de répondre de manière efficace aux demandes
310
formulées à l’époque par l’ambassadeur d’Ouganda . La RDC a déjà répondu à cette

accusation dans sa réplique, en relevant que, comme cela est attesté par les documents

ougandais eux-mêmes, les autorités congolaises ont pris toutes les mesures qui

s’imposaient raisonnablement dans les circonstances particulières que connaissait
311
Kinshasa à l’époque . Une protection a bel et bien été accordée aux ressortissants

ougandais, dans la mesure des moyens disponibles, à un moment où la RDC devait

tenter de repousser une agression menée notamment par les forcées armées ougandaises.

Dans la duplique, le seule reproche précis qui est adressé aux autorités congolaises est

de n’avoir dépêché qu’un seul officiel congolais pour escorter 17 ressortissants
312
ougandais à l’aéroport . On ne voit pourtant pas en application de quelle règle de droit

international la RDC aurait été tenue de mobiliser davantage de personnel pour effectuer

cette tâche. Il est possible que l’évacuation ne se soit pas déroulée sans incident mais, à

l’analyse, il ne semble pas que de graves dommages aient été causés aux ressortissants
313
ougandais . Sur ce point également, la réclamation ougandaise apparaît pour le moins

excessive.

309UR, p. 317, par. 686 et UR, annexe 33, p. 6.
310
311UR, pp. 319-320, par. 688-690.
312RRDC, p. 385, par. 6.87.
UR, p. 319, par. 688.
313En réalité, l’Ouganda n’a d’ailleurs toujours pas précisé quels auraient été ces dommages.

892.37. En définitive, le volet de la dernière demande reconventionnelle consacré à la
protection des ressortissants ougandais est irrecevable mais, en tout état de cause, à

supposer que tel ne soit pas le cas —quod non— il manque manifestement de

fondement factuel et juridique. La responsabilité d’un Etat ne saurait être engagée sur le

seul fondement d’éléments aussi limités. Et ce qui vaut pour la protection des personnes
vaut aussi, comme la RDC le démontrera à présent, pour le volet de la demande

ougandaise consacré à la prétendue expropriation de ses biens.

90C. Le volet de la demande relatif à la prétendue expropriation de biens publics

ougandais est non fondé

2.38. A la lecture des écritures ougandaises, on constate que quatre accusations
distinctes ont été avancées à l’encontre de la RDC, qui se serait appropriée indûment,

premièrement, des immeubles de la mission diplomatique ougandaise à Kinshasa,

deuxièmement, quatre voitures officielles appartenant à cette mission, troisièmement,

certaines archives officielles ougandaises et, quatrièmement, certains biens mobiliers

ougandais. Si aucun problème de recevabilité n’empêche la Cour de connaître de ces

réclamations —en tout cas dans la mesure où elles font partie intégrante de l’objet du

différend tel qu’il a été défini à partir des demandes reconventionnelles formulées dans

le contre-mémoire ougandais —, ces dernières manquent à l’analyse totalement de

fondement, comme la RDC le montrera pour chacune d’entre elles. Enfin, à titre

subsidiaire, à supposer même que sa responsabilité soit engagée pour tout ou partie des

griefs qui lui sont reprochés, la RDC rappellera dans un cinquième et dernier temps que

le montant des réclamations ougandaises ne saurait être retenu, même comme base de

discussion.

1. La RDC ne s’est pas appropriée indûment des immeubles publics ougandais

2.39. Dans son contre-mémoire, l’Ouganda a accusé la RDC de «!seizure of the

Embassy of the Republic of Uganda [and of] the Official Residence of the
315
Ambassador!» . Ces saisies seraient, toujours selon l’Etat demandeur sur

reconvention, constitutives d’une «!unlawful expropriation of the public property of the
316
Republic of Uganda!» . Dans sa réplique, la RDC a répondu que, en fait, ces

immeubles avaient été abandonnés par les autorités diplomatiques ougandaises de leur

propre gré, aux mois d’août et de septembre 1998, et qu’ils étaient toujours restés depuis

lors à la disposition de ces autorités. En droit, il ne saurait donc être question

d’expropriation, notion qui suppose à tout le moins qu’une forme d’appropriation de
317
biens puisse être constatée .

314
V. ci-dessus, A.
31UCM, p. 228, par. 408.
31Ibid.
31RRDC, pp. 392-393, par. 6.100-6.103.

912.40. L’Ouganda semble s’être rendu à la raison dans sa duplique. Dans la partie de sa

demande consacrée à la «!unlawful expropriation of the public property of Uganda by

the DRC Government!», on ne retrouve en effet plus aucune trace d’allégations de saisie

ou d’expropriation des immeubles diplomatiques ougandais, seuls certains biens

meubles étant visés . La RDC prend acte, et se réjouit, de l’abandon par l’Ouganda de

cette partie de sa demande initiale.

2.41. Il est vrai que, dans une autre partie de sa duplique, l’Ouganda semble nier que

son ambassade ainsi que la résidence de son ambassadeur à Kinshasa soient à sa

disposition. L’Ouganda ne conteste pas que ce sont ses représentants eux-mêmes qui

avaient officiellement demandé aux autorités congolaises d’en assurer la sécurité et la

protection pendant l’absence temporaire des diplomates ougandais de Kinshasa, et que

les clefs de ces bâtiments avaient été remises aux autorités congolaises à cette fin . Il 319

ne conteste pas non plus que, depuis le départ des diplomates ougandais de son territoire

en août – septembre 1998 jusqu’en mai 2002, aucun membre du personnel diplomatique

ougandais n’est revenu à Kinshasa pour réoccuper ces bâtiments et pour constater, le cas

échéant, le refus des autorités congolaises de leur donner accès aux lieux en raison

d’une mesure d’expropriation. La partie ougandaise fait en revanche grand cas d’un

procès-verbal de constat des lieux établi le 28 septembre 2002, c’est-à-dire cinq mois

après l’introduction des demandes reconventionnelles. Ce document a été signé par des

représentants des deux Etats. Il y est précisé que!«![l]ors de l’inspection, la chancellerie

et la résidence étaient occupés!» 320 et que «!the joint delegation also found the buildings

in a state of total disrepair!» . L’Ouganda en conclut que «it will thus require a

substantial investment of time and money before Uganda can reassume full operational
322
control over her property» et surtout que l’on pourrait déduire de ce procès-verbal une
323
«admission that the Embassy is not at Uganda’s disposal» .

2.42. La RDC avoue ne pas comprendre comment l’Ouganda peut en arriver à de

telles conclusions. Le but même de la visite organisée en septembre 2002 a été, selon

l’aveu même de l’Ouganda, «!to assess the Embassy and begin preparations for its re-

318
UR, p. 33, par. 714.
319voir RRDC,volume 1, pp. 388 – 389, § 6.93
320UR, annexe 88, p. 3!; OARDC, annexe 2.
321Ibid.
322UR, p. 315, par. 679.

92opening» . La délégation ougandaise a effectivement visité les bâtiments et signé,

conjointement avec les autorités congolaises, un état des lieux . Jamais il n’a été

consigné dans le procès-verbal, ni même prétendu lors de la réunion, que les locaux

n’étaient plus à la disposition des autorités ougandaises. Les immeubles ont certes,

depuis les quelque cinq ans et demi qui ont suivi le départ volontaire de la mission

diplomatique, subi quelques dégradations limitées. Le rapport de la délégation mixte

précise néanmoins explicitement que «!the general condition of the building is good!»,

tout en recommandant que certaines réparations soient effectuées . C’est uniquement

en raison de la nécessité d’effectuer ces réparations que la mission diplomatique

s’abstient, à l’heure actuelle, de réinvestir les lieux, et non à cause d’une interdiction ou

d’un quelconque obstacle qui serait le fait des autorités congolaises. Tout au contraire,
327
celles-ci continuent d’œuvrer en vue d’une normalisation de la situation. Au sujet de

ces dégradations, rien ne permet d’affirmer, et le procès-verbal ne le fait pas, qu’elles

sont imputables à la présence des officiers congolais sur les lieux. A titre d’exemple,

aucune personne sensée ne pourrait soutenir que la RDC est responsable de la vétusté de

la peinture intérieure et extérieure des deux bâtiments, des réseaux d’évacuation des

eaux usées et des pluies, de l’étanchéité, de la peinture du mur de clôture, etc. C’est ce

type de question qui devra être réglée, non dans le cadre de la présente instance, mais

dans celui des contacts diplomatiques bilatéraux qui se poursuivent entre les deux Etats.

2.43. Par ailleurs, et toujours sans en déduire juridiquement une expropriation,

l’Ouganda reproche à la RDC d’avoir accepté que des officiers congolais résident

temporairement à l’intérieur de l’ambassade ougandaise à Kinshasa. La RDC a pourtant

déjà expliqué que c’est l’Ouganda lui-même qui a confié aux autorités congolaises la

charge d’assurer la protection et la surveillance des deux immeubles jusqu’au retour des

diplomates ougandais à Kinshasa . Ceci a été fait en plaçant quelques militaires dans

les lieux, qui étaient chargés, pour reprendre les termes du procès-verbal de septembre

2002, de maintenir l’immeuble dans un «!bon état général!» 329. Cette présence

temporaire prendra évidemment fin dès que les autorités ougandaises auront exercé leur

323UR, p. 314, par. 678.
324UR, volume 1, p. 316, § 682.
325ORDC, annexe 2.
326UR, annexe 88, p. 2 et OARDC, annexe 2.
327RRDC, pp. 389-390, par. 6.94.
328
329RRDC, pp. 388-389, par. 6.93.
OARDC, annexe 2.

93droit de réinvestir les immeubles. La RDC l’a déjà affirmé et s’engage à ce stade une

fois de plus en ce sens.

2.44. Finalement, la RDC remarque que l’Ouganda a abandonné sa thèse initiale de la

saisie ou de l’expropriation de ses immeubles par le Congo. Il n’existe donc plus de

différend entre les deux Etats sur ce point. Les quelques divergences qui subsistent au

sujet de certains aspects factuels de l’affaire ne doivent pas masquer l’essentiel!: les

deux Etats sont actuellement en négociation pour s’assurer que le retour des diplomates

ougandais à Kinshasa soit assuré dans les meilleures conditions.

2. La RDC ne s’est pas appropriée indûment des voitures de la mission diplomatique

ougandaise à Kinshasa

2.45. Dans son contre-mémoire, l’Ouganda prétendait que des soldats congolais

avaient pénétré dans l’ambassade et dans la résidence de l’ambassadeur d’Ouganda à

Kinshasa, en septembre 1998, et qu’ils s’étaient emparés de quatre véhicules officiels de

l’ambassade . Dans sa réplique, la RDC a insisté sur l’absence de preuves à l’appui de

ces allégations, de même que sur leur caractère particulièrement peu crédible . Un 331

certain nombre de questions précises étaient à cet égard posées à la partie ougandaise,

en particulier au sujet de la mystérieuse Mercedes Benz 240 E qui aurait été acquise une

semaine avant l’évacuation, pour une somme de 45.000 dollars US, pour aussitôt être

abandonnée sur place sans raison ni surtout sans qu’il en soit fait mention dans un état

des lieux ou dans un document officiel quelconque . 332

2.46. L’Ouganda semble maintenir cette accusation dans sa duplique, sans toutefois
333
estimer utile de répondre aux objections avancées par le Congo dans sa réplique . En

guise de preuve, l’Ouganda se réfère au procès-verbal de constat des lieux du 28

septembre 2002, dans lequel il est signalé que «!la délégation mixte n’a pas trouvé des
334
mobiliers appartenant à l’ambassade ou à ses officiels!» .

330UCM, p. 225, par. 400.
331voir RRDC, volume 1, pp. 391-392, §§ 6.96-6.99.
332
333RRDC, p. 392, par. 6.98.
334UR, 331, par. 714, qui renvoie à la p. 315, par. 680.
UR, p. 315, par. 680.

942.47. Il est évident que ce seul passage ne peut suffire à prouver le vol des quatre
voitures officielles, dont l’existence même n’a jamais été avérée. Comme la RDC

l’avait déjà relevé dans la réplique, l’Ouganda n’a pas pris la précaution élémentaire

d’établir contradictoirement avec les autorités congolaises un inventaire de ses biens

mobiliers avant de confier la surveillance et la protection de ses immeubles à la RDC . 335

Un tel document officiel aurait eu le mérite, lors de l’inspection du 28 septembre 2002,

de permettre d’indiquer avec précision que tel ou tel objet aurait été soustrait ou aurait

subi des dégradations par rapport au constat initial établi en septembre 1998. Dans la

mesure où on n’a pas établi, in tempore non suspecto, le nombre et la nature des objets

que l’Ouganda aurait laissés dans les bâtiments, aucune conclusion de ce type ne peut

être tirée aujourd’hui. En tout état de cause, le problème essentiel n’est pas tant de

savoir si certains biens meubles ougandais ont disparu que de démontrer l’imputabilité

de l’appropriation d’objets précis par la RDC.

2.48. Il se confirme donc que la demande ougandaise relative à la perte ou au vol de
quatre des véhicules de la mission diplomatique ne repose sur aucun élément probant.

Cette demande doit donc être déclarée non fondée.

3. La RDC ne s’est pas appropriée indûment les archives de la mission diplomatique

d’Ouganda à Kinshasa

2.49. Dans sa duplique, l’Ouganda accuse la RDC de s’être appropriée indûment

certaines archives, ainsi que des documents officiels appartenant à la mission

diplomatique d’Ouganda à Kinshasa. A ce propos, l’Ouganda déclare qu’au moment de

la dernière évacuation des diplomates ougandais de Kinshasa, «!Congolese soldiers
336
refused to allow the evacuees to take Embassy documents (…)!» . Il ajoute que ses

diplomates avaient, par nécessité, laissé derrière eux «!almost all of the documents in

their archives and working files. Included among these were a number of top-security
intelligence documents relating to covert contacts between the DRC Government and

Congo-based anti-Uganda insurgent groups» . Le vol de ces archives serait attesté,

d’une part, par l’affidavit consignant le témoignage de l’ancien ambassadeur d’Ouganda

33RRDC, p. 394, § 6.105.
33UR, p. 320, par. 690.
33UR, p. 322, par. 695.

95à Kinshasa et, d’autre part, par l’extrait précité du procès-verbal de septembre 2002, qui

précise qu’aucun bien mobilier appartenant aux diplomates ougandais n’a été retrouvé

sur place.

2.50. Quant à ce dernier élément, ce qui vient d’être indiqué au sujet des quatre

voitures officielles vaut également pour les archives ou les documents diplomatiques.

L’état des lieux de septembre 2002 ne saurait constituer un élément de preuve que si on

le comparait à un autre état des lieux, dressé in tempore non suspecto, au moment de

l’évacuation. Mais ce dernier inventaire n’a jamais été établi, probablement parce que

les membres de la mission diplomatique ougandaise ont emporté les biens et les
archives de valeur, et ne se sont pas préoccupés des autres pièces laissées sur place. Ils

n’ont en tout cas pas estimé devoir en faire mention dans un quelconque document

officiel.

2.51. L’Ouganda renvoie encore incidemment à une liste , intitulée «!Loss of Uganda

Governement Property at Uganda Embassy!», que ses services ont dressée

unilatéralement aux fins de la présente instance, et qui a été annexée à son contre-
339
mémoire . La RDC a déjà critiqué ce document de manière décisive dans sa
340
réplique . Mais, une fois encore, la partie ougandaise ne croit pas utile de réfuter les

objections congolaises sur ce point.

2.52. Dans ces circonstances, la RDC peut légitimement entretenir les doutes les plus

sérieux sur la crédibilité de ce volet particulier de la demande ougandaise. Comme il a

déjà été signalé, il est pour le moins surprenant qu’un fait aussi décisif, dans la mesure

où il aurait concerné des documents probatoires de la plus haute importance dans la

présente instance, n’ait été signalé pour la première fois à la Cour —et incidemment à la

RDC elle-même— que le 6 décembre 2002,!lors du dépôt de la duplique ougandaise. Il

n’a en effet jamais été fait mention de ce prétendu vol au préalable. On n’en trouvera

ainsi aucune trace ni dans les réclamations diplomatiques formulées par l’Ouganda en

août et décembre 1998, ni dans les argumentations avancées par l’Etat demandeur sur
reconvention dans le cadre de la présente instance, que ce soit au stade du contre-

33UR, p. 315, par. 680.
33UCM, annexe 92.
34RRDC, pp. 394-395, par. 6.104-6.105.

96mémoire, des observations relatives aux demandes reconventionnelles, ou des

plaidoiries présentées par l’Ouganda dans le cadre de la procédure en indication de

mesures conservatoires. A toutes ces étapes de la procédure, la partie ougandaise

développait pourtant une argumentation relative à la prétendue agression dont le Congo

se serait rendu coupable, argumentation qui est supposée être prouvée par ces

mystérieuses archives dont on apprend aujourd’hui qu’elles auraient été dérobées en

août 1998. Avec tout le respect qu’elle lui doit, la RDC éprouve quelque difficulté à

comprendre comment l’ancien ambassadeur d’Ouganda à Kinshasa, qui affirme
341
pourtant lui-même avoir activement participé à l’élaboration du contre-mémoire , peut

avoir été frappé pendant plus de quatre années d’une amnésie totale sur des événements

d’une telle importance.

2.53. Dans le même sens, si l’Ouganda prétend soudain que les soldats congolais

avaient interdit à ses diplomates d’emporter les archives et autres documents officiels de

la mission au moment de leur départ de Kinshasa, il n’explique pas où il a trouvé

certains documents officiels établis et datés à Kinshasa et qui sont censés provenir

desdites archives. Il en est en tout cas ainsi de!:

- un rapport établi en avril 1998 par l’ambassadeur d’Ouganda sur les mouvements
342
insurrectionnels dans la région des Monts Rwenzori !;

343
- la lettre de protestation ougandaise du 21 août 1998 !;

- l’autorisation de traversée délivrée le 19 août 1998 par le Gouvernement congolais
344
aux personnes dont l’ambassade d’Ouganda demandait l’évacuation !;

- la liste des 32 ressortissants ougandais établie par l’ambassade d’Ouganda à
345
Kinshasa !;

341Supra, par. 1.35.
342
343UR, annexe 22.
344UCM, annexe 23.
UR, annexe 28A.
345UR, annexe 28 A.

97- la lettre du 22 août 1998 par laquelle l’ambassadeur d’Ouganda à Kinshasa
346
demandait aux autorités congolaises d’ajouter deux noms à cette liste , et

- la lettre du 24 août 1998 adressée au gouvernement congolais par l’ambassadeur
347
d’Ouganda à Kinshasa .

Comme on peut le constater, tous les documents officiels énumérés ci-dessus ont été

établis à Kinshasa et détenus par l’ambassade d’Ouganda dans ses archives. Si les

diplomates ougandais n’avaient pu emporter de documents officiels lors de leur départ

de Kinshasa, en raison du fait que les soldats congolais les en auraient empêchés,

comment l’Ouganda a-t-il pu se procurer les documents qui viennent d’être
mentionnés!?

2.54. En l’absence de réponse à cette question, et au vu du caractère particulièrement

insolite de cet aspect de la prétention ougandaise, la RDC ne peut que demander à la

Cour de l’écarter comme manifestement non fondée.

4. La RDC ne s’est pas appropriée indûment certains biens mobiliers de la mission

diplomatique ougandaise à Kinshasa

2.55. Dans sa duplique, l’Ouganda prétend enfin que la RDC aurait saisi certains biens

mobiliers de sa mission diplomatique de Kinshasa. L’Etat demandeur sur reconvention

renvoie à cet effet à une liste dressée unilatéralement par les autorités ougandaises —qui

a déjà été évoquée — ainsi qu’au procès-verbal bilatéral de septembre 2002 qui

précise qu’aucun bien mobilier appartenant à la mission diplomatique n’a pu être

découvert sur place .349

2.56. La RDC a déjà indiqué qu’une liste dressée unilatéralement par l’Ouganda pour

fonder ses propres réclamations ne saurait équivaloir à un état des lieux dressé in

tempore non suspecto, qui aurait été accepté ou à tout le moins transmis aux autorités

346
347Ibidem.
UR, annexe 29.
348Supra, par.!2.51.
349UR, p. 315, par. 680.

98congolaises. La prétention ougandaise ne repose dès lors sur aucun élément probant sur
le plan judiciaire.

2.57. Comme il a déjà été indiqué, il est fort probable que les diplomates ougandais

aient emporté tous leurs biens de valeur, mais aient abandonné sur place quelques

meubles de convenance et quelques accessoires et fournitures de bureau. La RDC ne

conteste pas que, lors de leur retour à Kinshasa, les autorités ougandaises devront être

en mesure de disposer des deux immeubles dans un état équivalent à celui qui aurait été

le leur aujourd’hui si les membres de la mission étaient restés en poste depuis 1998.

2.58. Ces problèmes, qui ne peuvent être qualifiés que de bénins, ne justifient

certainement pas la mise en cause de la responsabilité du Congo pour «!expropriation
350
illicite de propriété publique!» devant la plus haute juridiction mondiale . Cette

allégation est totalement disproportionnée si on la replace dans son contexte factuel.

L’Ouganda ne l’avait d’ailleurs pas développée dans son contre-mémoire qui,
rappelons-le, ne qualifiait d’expropriation que la prétendue saisie des immeubles

diplomatiques et de quatre voitures officielles, sans mentionner ni armoires, ni chaises,

ni poignées de porte . La RDC ose espérer que la raison l’emportera et que l’Etat

défendeur renoncera à embarrasser la Cour avec ses problèmes d’intendance.

2.59. Mais l’Ouganda accuse par ailleurs la RDC d’avoir commis de graves violations

du droit international, en permettant, le 23 novembre 1998, à ses forces armées de

pénétrer dans la chancellerie et dans la résidence officielle de l’ambassadeur, «!yet again
352
taking money and property belonging to Uganda!» . L’Ouganda réitère ainsi des
353
allégations contenues dans son contre-mémoire , allégations auxquelles la RDC

n’avait pas cru devoir répondre dans sa réplique tant elles lui paraissaient fantaisistes.

2.60. La RDC éprouve en effet beaucoup de difficulté à comprendre les prétentions
ougandaises. Comment en effet concevoir que des soldats congolais aient pu dérober de

l’argent à des diplomates ougandais au mois de novembre 1998, alors que ces

diplomates avaient quitté le pays depuis plusieurs semaines!? L’Ouganda s’appuie, dans

35«![U]nlawful expropriation of the public property of Uganda!», UR, p. 331, sous-titre (6).
35UCM, p. 228, par. 408.
352
UR, p. 313, par. 676.

99ses écritures principalement sur trois documents. Mais leur lecture ne fait qu’ajouter à

la confusion!:

354
- Le premier est en effet la lettre de protestation adressée par les autorités

ougandaises à leurs homologues congolaises le … 21 août 1998!! Sans surprise, sa

lecture révèle que ces protestations ne visent que des faits qui se seraient déjà

produits à ce moment, et non ceux qui allaient se dérouler plus de trois mois plus

tard. La partie ougandaise semble décidément connaître quelques problèmes de

perception du temps!; tantôt, lorsqu’elle élabore le scénario du vol de ses archives,

elle semble frappée d’amnésie!; tantôt, lorsqu’elle présente ses accusations relatives

à un vol qui serait survenu en novembre 1998, elle paraît développer des dons de

voyance.

355
- L’Ouganda invoque encore une lettre de protestation du 21 mars 2001 . Cette

lettre ne fait pourtant aucunement mention d’un vol qui aurait eu lieu le 23

novembre 1998, ni à un autre moment d’ailleurs.

- Le troisième document évoqué par l’Ouganda est une liste intitulée «!Loss of

Uganda Government Property at Uganda Embassy, Kinshasa!», dressée
356
unilatéralement par les autorités ougandaises . Aucun vol n’y est évidemment

signalé ni daté et, comme on pouvait s’y attendre, la partie ougandaise n’a pas

l’audace d’y prétendre que ses diplomates aient eu la candeur ou l’imprudence de

quitter le pays en laissant derrière eux une somme d’argent dans les locaux de la

mission.

La duplique reprend pourtant une référence à ces trois documents, et en évoque d’autres
357
qui ont déjà été évoqués et critiqués dans le cadre des présentes écritures .

353UCM, p. 226, par. 401.
354UCM, annexe 23, à laquelle il est renvoyé dans UCM, p. 226, par. 401 et dans UR, p. 313, par. 676.
355UCM, annexe 87, à laquelle il est renvoyé dans UCM, p. 226, par. 401 et dans UR, p. 313, par. 676.
356UCM, annexe 92, à laquelle il est renvoyé dans UCM, p. 226, par. 401 et dans UR, p. 313, par. 676.
357
UR, p. 313, par. 676!; ils ‘agit des annexes 33 et 89 du contre-mémoire, et 87 et 88 de la duplique. Au total,
la seule allusion à un vol qui aurait eu lieu au mois de novembre 1998 se retrouve dans une simple lettre de
protestation, qui ne s’appuie elle-même sur aucun élément de preuve, envoyée par les autorités
ougandaises au mois de décembre 1998 (UCM, annexe 33).

1002.61. En conclusion, la RDC est obligée d’insister sur les techniques très particulières

de preuve qui sont utilisées par la partie ougandaise. Il est facile d’accuser un Etat

d’avoir commis un vol d’archives, d’argent ou d’autres biens encore. Encore faut-il

pouvoir fonder ses accusations sur d’autres éléments qu’un étrange montage de

documents que l’on a soi-même élaborés et dont on découvre à leur lecture qu’ils

manquent totalement de pertinence, dès lors qu’ils ne font tout simplement aucune

mention des événements en cause.

5. En tout état de cause, l’évaluation du dommage réalisée unilatéralement par
l’Ouganda ne peut en aucun cas être retenue, même comme base de discussion

2.62. Si, toutefois, le débat en venait à s’engager sur la question de l’évaluation du

dommage qu’aurait subi l’Ouganda en raison d’une appropriation de ses biens, il va de

soi que la somme de 6.319.060 dollars des Etats-Unis, que l’Ouganda continue à

réclamer à la RDC 35ne saurait être retenue, même comme base de discussion.

2.63. Dans sa réplique, la RDC a en effet montré pourquoi la méthode de calcul
359
adoptée par l’Etat demandeur sur reconvention était profondément erronée . Tout en

maintenant ses prétentions exorbitantes, l’Ouganda n’a une fois encore pas cru utile de
répondre à ces objections. La RDC n’a dès lors d’autre choix que de maintenir

l’argumentation de sa réplique, en priant la Cour de prendre acte qu’elle n’a pas été

rencontrée par la partie ougandaise. Il est pour le moins difficile de comprendre sur

quelle base la RDC devrait payer une somme couvrant la valeur totale de bâtiments dont

l’Ouganda a, par le biais du procès-verbal dressé en septembre 2002, admis que le

principal d’entre eux était généralement en «!bon état!». Pour ce qui est du bâtiment de

la chancellerie, le procès-verbal n’indique d’ailleurs pas qu’il était détruit ou dans un
360
mauvais état . Enfin, la RDC ne peut manquer de relever qu’aux termes de la

recommandation insérée dans ledit procès-verbal, l’Ouganda a demandé aux autorités

congolaises de lui faciliter la tâche, conformément aux règles et usages diplomatiques
en vigueur, en établissant un devis estimatif des travaux de réfection et de lui remettre

35UCM, p. 224, par. 397 et UR, p. 331, par. 714.
35RRDC, pp. 394-395, par. 6.105.
36OARDC, annexe 2.

101ce devis à la prochaine réunion des parties prévue à Kampala. Cette question est

maintenant traitée par des voies diplomatiques où, grâce à la bonne volonté des deux
parties, la RDC ne doute pas qu’elle puisse trouver une solution appropriée dans un

délai raisonnable.

102Conclusions

La RDC, tout en se réservant le droit de compléter ou de modifier les présentes conclusions,

et de fournir à la Cour de nouvelles preuves et de nouveaux arguments juridiques pertinents
dans le cadre du présent différend, conformément au Règlement de la Cour, prie la Cour de

dire et juger que!:

En ce qui concerne la première demande reconventionnelle présentée par l’Ouganda,

1). Dans la mesure où elle s’étend à la période antérieure à l’arrivée au pouvoir de

Laurent Désiré Kabila, la demande ougandaise est irrecevable, l’Ouganda ayant
préalablement renoncé à introduire cette réclamation!; subsidiairement, cette demande

est non fondée, l’Ouganda n’ayant pas démontré les faits qui sont à la base de sa

demande!;

2). Dans la mesure où elle s’étend à la période allant de l’arrivée au pouvoir de Laurent

Désiré Kabila au déclenchement de l’agression ougandaise, la demande ougandaise

n’est pas fondée en fait, l’Ouganda n’ayant pas démontré les faits qui sont à la base de
sa demande!;

3). Dans la mesure où elle s’étend à la période postérieure au déclenchement de

l’agression ougandaise, la demande ougandaise n’est fondée ni en fait ni en droit,
l’Ouganda n’ayant pas démontré les faits qui sont à la base de sa demande, et la RDC

s’étant en tout état de cause trouvée, à partir du 2 août 1998, en situation de légitime

défense.

103En ce qui concerne la deuxième demande reconventionnelle présentée par l’Ouganda,

1) Dans la mesure où elle porte désormais sur l’interprétation et l’application de la
Convention de Vienne de 1961 sur les relations diplomatiques, la demande présentée

par l’Ouganda modifie radicalement l’objet du différend, contrairement au Statut et au

Règlement de la Cour!; ce volet de la demande doit dès lors être écarté du cadre de la

présente instance!;

2) Le volet de la demande relatif à des mauvais traitements dont auraient été victimes

certains ressortissants ougandais reste irrecevable, l’Ouganda n’ayant toujours pas

montré que les conditions mises par le droit international à l’exercice de sa protection
diplomatique étaient réunies!; subsidiairement, ce volet de la demande est non fondé,

l’Ouganda n’étant toujours pas en mesure d’établir les fondements factuels et juridiques

de ses allégations.

3) Le volet de la demande relatif à la prétendue expropriation de biens publics

ougandais est non fondé, l’Ouganda n’étant toujours pas en mesure d’établir les

fondements factuels et juridiques de ses allégations.

Le 28 février 2003
Tshibangu Kalala, Co-agent de la République démocratique du Congo

104105Observations écrites additionnelles de la RDC

Annexe 1

Communiqué de presse de l’agence PANA

17 septembre 2001 Observations écrites additionnelles de la RDC

Annexe 2

Version française du procès-verbal de constat des lieux du 28 septembre 2002

relatif à l’ambassade et à la résidence officielle de l’ambassadeur d’Ouganda à
Kinshasa Observations écrites additionnelles de la RDC

Annexe 3.

Liste du personnel diplomatique ougandais accrédité en RDC Observations écrites additionnelles de la RDC

Annexe 4

Cassette vidéo attestant de la rencontre entre M. Awori et des prisonniers

ougandais à Kinshasa

(v. pièce jointe)

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Observations écrites additionnelles de la République démocratique du Congo sur les demandes reconventionnelles présentées par l'Ouganda

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