9162
COUR INTERNATIONALE DE JUSTICE
AFFAIRE RELATIVE À LA LICÉITÉ DE L’EMPLOI DE LA FORCE
(YOUGOSLAVIE c. ROYAUME-UNI)
EXCEPTIONS PRÉLIMINAIRES DU ROYAUME-UNI
Juin 2000
[Traduction du Greffe] T ABLE DES MATIERES
Pages
PREMIERE PARTIE INTRODUCTION .....................................................................................................1
D EUXIEME PARTIE L’ HISTORIQUE ......................................................................................................5
TROISIEME PARTIE L A COUR N ’A PAS COMPETENCE RATIONE PERSONAE .........................................17
1. La RFY est un nouvel Etat........................................................................................................17
2. La RFY n’est pas partie au Statut de la Cour............................................................................20
3. La RFY ne prétend pas être autorisée à engager cette procédure en vertu du
paragraphe 2 de l’article 35 du Statut et elle ne pouvait d’ailleurs pas le faire.........................25
Q UATRIEME PARTIE L E PARAGRAPHE 2 DE L’ARTICLE 36 DU STATUT NE CONFERE PAS
COMPETENCE RATIONE MATERIAE EN L ’ESPECE ............................................................................27
1. A la suite de l’ordonnance de la Cour du 2 juin 1999, la RFY ne peut se fonder sur le
paragraphe 2 de l’article 36 du Statut........................................................................................29
2. La RFY n’a pas fait de déclaration valable au titre du paragraphe 2 de l’article 36 du
Statut..........................................................................................................................................32
3. Les conditions mises par le Royaume-Uni à son acceptation de la juridiction de la
Cour au titre du paragraphe 2 de l’article 36 ne sont pas remplies............................................33
4. Les conditions mises par la RFY à son acceptation de la juridiction de la Cour au
titre du paragraphe 2 de l’article 36 ne sont pas remplies.........................................................34
C INQUIEME PARTIE L’ ARTICLE IX DE LA CONVENTION SUR LE GENOCIDE NE CONFERE PAS
COMPETENCE RATIONE MATERIAE EN L ’ESPECE ............................................................................41
SIXIEME PARTIE L ES DEMANDES SONT IRRECEVABLES ................................................................51
1. La demande formulée par la RFY dans son mémoire au sujet du délai écoulé depuis
l’adoption de la résolution 1244 (1999) du Conseil de sécurité le 10 juin 1999 est
irrecevable en ce qu’il s’agit d’une demande entièrement nouvelle qui, si elle était
retenue par la Cour, modifierait la nature du différend porté devant la Cour ..........................51
2. La demande relative à la période allant du 24 mars au 10 juin 1999 est irrecevable
parce que les intérêts juridiques d’Etats tiers qui ne sont pas devant la Cour (ni en
l’espèce ni dans le cadre d’autres procédures introduites par la RFY) constitueraient
le principal objet de la décision réclamée par la RFY...............................................................53
3. La demande formulée par la RFY dans son mémoire au sujet du délai écoulé depuis
l’adoption de la résolution 1244 (1999) du Conseil de sécurité le 10 juin 1999 est
irrecevable parce que les intérêts juridiques d’Etats tiers et de l’Organisation des
Nations Unies constitueraient l’objet même de la décision réclamée par la RFY.....................57
4. La RFY n’a pas agi de bonne foi...............................................................................................58
C ONCLUSIONS ........................................................................................................................................63
LISTE DES ANNEXES ...............................................................................................................................65
___________ PREMIERE PARTIE
INTRODUCTION
1.1. Le Royaume-Uni soulève les exceptions préliminaires ci-dessous contre la procédure
que la République fédérale de Yougoslavie (ci-après la «RFY») prétend engager à son encontre.
Pour les raisons qui vont être développées, le Royaume-Uni dit que la RFY n’a pas le droit
d’engager une procédure devant la Cour, que la Cour n’a pas compétence pour connaître des
demandes de la RFY et que ces demandes sont irrecevables.
Résumé de la procédure
1.2. Le 28 avril 1999, la RFY a saisi la Cour d’une requête introductive d’instance contre le
Royaume-Uni. L’affaire a été inscrite au rôle général s1us le nom d’«affaire relative à la Licéité de
l’emploi de la force (Yougoslavie c. Royaume Uni)» . Le même jour, la RFY a saisi la Cour de
requêtes introductives d’instances identiques contre neuf autres Etats (l’Allemagne, la Belgique, le
Canada, l’Espagne, les Etats-Unis d’Amérique, la France, l’Italie, les Pays-Bas et le Portugal).
1.3. Dans ladite requête, l’objet du différend est décrit comme suit :
«L’objet du différend porte sur les actes commis par le Royaume-Uni de
Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord en violation de son obligation internationale de
2 ne pas recourir à l’emploi de la force contre un autre Etat, de l’obligation de ne pas
s’immiscer dans les affaires intérieures d’un autre Etat, de l’obligation de ne pas porter
atteinte à la souveraineté d’un autre Etat, de l’obligation de protéger les populations
civiles et les biens de caractère civil en temps de guerre, de l’obligation de protéger
l’environnement, de l’obligation touchant à la liberté de navigation sur les cours d’eau
internationaux, de l’obligation concernant les droits et libertés fondamentaux de la
personne humaine, de l’obligation de ne pas utiliser des armes interdites, de
l’obligation de ne pas soumettre intentionnellement un groupe national à des
conditions d’existence devant entraîner sa destruction physique.»
Sont ensuite énumérés dans la requête un certain nombre d’incidents qui auraient eu lieu depuis le
24 mars 1999. La requête renvoie au paragraphe 2 de l’article 36 du Statut de la Cour et à
l’article IX de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide de 1948 («la
convention sur le génocide») 2 comme constituant le fondement de la compétence de la Cour. Le
même jour, la RFY a également saisi la Cour d’une demande en indication de mesures provisoires.
1
Le terme «Yougoslavie» dans l’intitulé de cette affaire sert évidemment de désignation abrégée à la République
fédérale de Yougoslavie (RFY) puisqu’il est manifeste dans toute la procédure que l’Etat auteur de la requête est la RFY.
C’est ainsi que le demandeur se désigne lui-même dans la requête et dans le mémoire et que ses conseils s’y réfèrent lors
des audiences sur la demande en indication de mesures provisoires (M. Etinski, CR 99/14, p. 19). Toutefois, puisque le
statut de la RFY est l’une des questions qui se pose en l’espèce, le Royaume-Uni désignera le demandeur par le sigle
RFY afin d’éviter toute confusion avec l’ancienne République socialiste fédérative de Yougoslavie qui est appelée
simplement «Yougoslavie» dans certains des documents qui vont être cités.
2
Nations Unies, Recueil des traités, vol. 78, p. 277 (annexe 1). - 2 -
1.4. Par une ordonnance datée du 2 juin 1999, la Cour a rejeté la demande en indication de
mesures conservatoires par douze voix contre trois. La Cour a jugé que le paragraphe 2 de
l’article 36 du Statut de la Cour ne pouvait manifestement pas constituer une base de compétence
3
de la Cour et que l’article IX de la convention sur le génocide ne pouvait pas «4onstituer … une
base sur laquelle la compétence de la Cour pourrait prima facie être fondée» .
1.5. La Cour a affirmé que ses conclusions «ne préjugent en rien la compétence de la Cour
pour connaître du fond de l’affaire sur la base de l’article IX de la convention sur le génocide, ni
aucune question relative à la recevabilité de la requête ou au fond lui-même». La Cour a encore
3 jugé que ses conclusions laissent intact le d5oit des Gouvernements de la RFY et du Royaume-Uni
de faire valoir leurs moyens en la matière .
1.6. Le même jour, la Cour a rejeté la demande en indication de mesures provisoires dans les
neuf autres affaires introduites par la RFY. La Cour a ordonné que les procédures engagées contre
l’Espagne et les Etats-Unis d’Amérique soient rayées du rôle général au motif d’une absence
6
manifeste de compétence .
Le mémoire de la RFY
1.7. En janvier 2000, la RFY a déposé son mémoire en l’espèce. Bien que les procédures
engagées contre l’Allemagne, la Belgique, le Canada, la France, l’Italie, les Pays-Bas, le Portugal
et le Royaume-Uni constituent des procédures distinctes, la RFY a déposé un mémoire unique pour
les huit affaires. Dans ce mémoire, la RFY ne tente pas le moins du monde d’opérer une
distinction quelconque entre les demandes contre les Etats défendeurs dans les huit affaires, sauf en
ce qui concerne la compétence.
1.8. Dans la première partie du mémoire, (sous l’intitulé «Les faits»), la RFY énumère
d’abord une longue liste d’événements qui auraient eu lieu, selon la RFY, entre le 24 mars 1999 et
la date à laquelle les opérations militaires ont pris fin, le 10 juin 1999. Le mémoire ne donne
aucune indication quant à l’Etat qui aurait lancé les attaques qui sont recensées. Il n’est formulé
aucune allégation précise à l’encontre du Royaume-Uni (ni du reste à l’encontre de l’Etat défendeur
dans aucune affaire).
1.9. Dans cette première partie du mémoire, il est ensuite formulé une série totalement
nouvelle d’allégations, très différentes de celles qui figurent dans la requête, lesquelles se
rapportent à la période postérieure au 10 juin 1999, lorsque les forces du Royaume-Uni,
accompagnées de celles de trente-huit autres Etats 7, se sont déployées dans le cadre du contingent
4
international de sécurité au Kosovo, connu sous le nom de la «KFOR» (Kosovo Force), dont le
Conseil de sécurité a autorisé la présence par sa résolution 1244 (1999) . Aux termes de cette
résolution, la KFOR est autorisée à coopérer avec le groupe international civil présent au Kosovo,
3 Licéité de l’emploi de la force (Yougoslavie c. Royaume-Uni), ordonnance du 2 juin 1999, par. 25.
4
Ibid., par. 36.
5 Ibid., par. 38.
6 Yougoslavie c. Espagne, ordonnance du 2 juin 1999, par. 35; Yougoslavie c. Etats-Unis d’Amérique,
ordonnance du 2 juin 1999, par. 29.
7
Le nombre des Etats participant à la constitution à la KFOR varie de temps à autre.
8 Annexe 2. - 3 -
c’est-à-dire la mission d’administration intérimaire des Nations Unies au Kosovo («MINUK»),
pour assurer la sécurité au Kosovo. D’après le mémoire, le Royaume-Uni serait responsable de ce
que le mémoire dit être l’incapacité de la KFOR à prévenir un génocide et de la violation alléguée
des dispositions de la résolution 1244 du Conseil de sécurité.
Les exceptions préliminaires du Royaume-Uni
1.10. Le Royaume-Uni dit que la Cour n’a pas compétence, ni ratione personae ni ratione
materiae, et conteste la recevabilité de la requête. Le Royaume-Uni rejette catégoriquement le
compte rendu inexact et déformé des faits présenté par la RFY dans sa requête et dans son mémoire
mais ne va traiter de questions factuelles que dans la mesure où cela est utile aux fins de l’exposé
des exceptions préliminaires dont il s’agit ici. Toutefois, le Royaume-Uni tient à indiquer
clairement qu’il n’accepte pas la version des événements qui est donnée dans la requête et le
mémoire de la RFY et considère que ladite version est pleine d’inexactitudes, d’omissions et autres
présentations erronées des faits. En participant aux opérations miliaires de l’OTAN, le
Royaume-Uni et ses forces armées étaient liés par les obligations leur incombant au titre du droit
international conventionnel (en particulier des conventions de Genève de 1949 et du premier
protocole additionnel de 1977) et du droit international coutumier. Lors des opérations aériennes
de l’OTAN, le Royaume-Uni s’est comporté en respectant pleinement ses obligations de droit
international. A ce sujet, le Royaume-Uni observe que, le 2 juin 2000, le procureur du Tribunal
5
pénal international pour l’ex-Yougoslavie (TPIY) affirmait devant le Conseil de sécurité :
«Je suis à présent en mesure de dire que je suis arrivée à la conclusion, après un
examen approfondi de l’évaluation par mon équipe de toutes les plaintes et
allégations, qu’il n’y a pas lieu d’ouvrir une enquête concernant une quelconque de
ces allégations ni concernant d’autres incidents relatifs aux bombardements effectués
par l’OTAN. Bien que certaines erreurs aient été commises par l’OTAN, je suis très
satisfaite que des civils ou des cibles militaires illég9les n’ont pas été délibérément
pris pour cible pendant la campagne de bombardement.»
1.11. Le Royaume-Uni dit pour commencer que la RFY n’est pas compétente pour engager
cette procédure parce qu’elle n’est pas partie au Statut de la Cour et qu’elle n’est compétente à
aucun autre titre pour engager la moindre procédure. Par conséquent, la Cour n’a pas compétence
ratione personae. Cette question sera traitée plus avant dans notre troisième partie.
1.12. Le Royaume-Uni soutient en outre que, de toute façon, la Cour n’a pas compétence
ratione materiae. La RFY a continué de plaider que le paragraphe 2 de l’article 36 du Statut
constituait pour elle une base de compétence. Mais, vu l’ordonnance rendue par la Cour le
2 juin 1999, la RFY ne peut tout bonnement pas plaider en ce sens. Dans cette ordonnance, la Cour
a jugé que les déclarations faites par la RFY et par le Royaume-Uni au titre du paragraphe 2 de
l’article 36 ne pouvaient manifestement pas constituer une base de compétence pour elle. Elle avait
en revanche décidé qu’il était possible qu’elle fût compétente au titre de la convention sur le
génocide. La Cour laissait donc expressément intact le droit des Parties de plaider sa compétence
au titre de la convention sur le génocide, mais elle ne faisait pas de même en ce qui concerne le
paragraphe 2 de l’article 36. Il n’a été possible de garder l’affaire inscrite au rôle général que sur le
fondement d’une éventuelle compétence au titre de la convention sur le génocide et non pas au titre
du paragraphe 2 de l’article 36 du Statut. La RFY ne peut pas maintenant, au stade actuel de la
procédure, chercher à faire de nouveau du paragraphe 2 de l’article 36 une base de compétence.
6 Cette question sera traitée plus avant aux paragraphes 4.8 à 4.18.
9Nations Unies, doc. S/PV/4150, p. 3 (citation complète à l’annexe 3). - 4 -
1.13. Le Royaume-Uni soutient de sucroît que, même si en dépit de l’énoncé très clair de
l’ordonnance du 2 juin 1999 il n’était pas interdit désormais à la RFY de tenter de s’appuyer sur
le paragraphe 2 de l’article 36 du Statut, cette disposition ne confère pas compétence en l’espèce.
Nous examinerons ce point ci-après aux paragraphes 4.19 à 4.47.
1.14. L’article IX de la convention sur le génocide ne peut pas davantage constituer de base
de compétence pour la Cour en l’espèce. La requête ne vise pas un différend «relatif … à
l’interprétation, l’application ou l’exécution» de cette convention. La plus grande partie de la
requête et du mémoire concernent manifestement des questions qui n’ont absolument rien à voir
avec la convention sur le génocide et, même lorsque la requête et le mémoire se réfèrent à cette
convention, l’affaire, même telle qu’elle est plaidée par la RFY, ne relève pas des clauses
juridictionnelles de la convention. Cette question sera examinée plus loin de façon plus
approfondie, dans la cinquième partie.
1.15. En ce qui concerne la question de la recevabilité, le Royaume-Uni soutient que vouloir
ajouter des allégations relatives à l’activité exercée par le Royaume-Uni en tant que membre de la
KFOR après l’adoption de la résolution 1244 du Conseil de sécurité est irrecevable en ce que la
RFY cherche par là à ajouter des questions qui transformeraient radicalement la nature du
différend. Cette question sera examinée ci-après aux paragraphes 6.2 à 6.8.
1.16. De plus, le Royaume-Uni soutient que la requête est irrecevable dans sa totalité parce
que, afin de se prononcer sur ladite requête, la Cour serait amenée à déterminer la licéité d’actions
d’Etats qui ne sont pas devant la Cour et, tout particulièrement en ce qui concerne les allégations
relatives aux événements postérieurs au 10 juin 1999, la licéité d’actions d’autres sujets de droit,
dont l’Organisation des Nations Unies. Cette question de la recevabilité sera examinée ci-après
aux paragraphes 6.9 à 6.27.
7 1.17. Enfin, le Royaume-Uni soutient que la requête devrait être déclarée irrecevable au
motif que la RFY a agi et continue d’agir de mauvaise foi. Cette question sera examinée ci-après
aux paragraphes 6.28 à 6.40. - 5 -
8 D EUXIEME PARTIE
L’HISTORIQUE
2.1. La communauté internationale a commencé à se préoccuper de la la situation au Kosovo
plusieurs années avant les événements de 1998-1999. En juillet 1992, le sommet réuni à Helsinki
de la conférence sur la sécurité et la coopération en Europe (CSCE) a adopté une déclaration
exhortant les autorités de Belgrade à s’abstenir de poursuivre la répression. En août 1992, la CSCE
a installé une mission au Kosovo pour surveiller la situation. Dans un rapport daté de
décembre 1992, cette mission s’est dite fortement préoccupée par l’intensification des violences
dans la province. En juin 1993, la RFY a refusé de renouveler le mandat de la mission de la CSCE.
Par sa résolution 855 (1993) du 9 août 1993, le Conseil de sécurité a appelé la RFY à reconsidérer
sa décision mais cet appel n’a reçu aucune suite.
2.2. Le 31 mars 1998, le Conseil de sécurité a adopté par 14 voix contre zéro avec une
abstention sa résolution 1160 (1998) 10. Dans cette résolution qui fut adoptée au titre du
chapitre VII de la Charte, le Conseil condamnait «l’usage excessif de la force par les forces de
police serbes contre des civils et des manifestants pacifiques au Kosovo, ainsi que tous les actes de
terrorisme commis par l’armée de libération du Kosovo ou par tout autre groupe». La résolution
formulait une interdiction impérative de fournir des armes à la RFY et d’apporter un appui aux
activités terroristes au Kosovo sous la forme d’armes et de formation.
2.3. L’action diplomatique visant à résoudre la crise du Kosovo s’est poursuivie pendant
l’été 1998. Dans une déclaration présidentielle du 24 août 1998, le Conseil de sécurité s’est dit
gravement préoccupé par les combats qui avaient récemment été intenses au Kosovo, et s’est
9 notamment inquiété du grand nombre de personnes déplacées. Le Conseil de sécurité a observé
qu’il «demeur[ait] essentiel que les autorités de la République fédérale de Yougoslavie et les
Albanais du 11sovo reconnaissent qu’il est de leur responsabilité de mettre un terme à la violence
au Kosovo» .
2.4. Dans un rapport du 4 septembre 1998, le Secrétaire général des Nations Unies constatait
qu’en raison des combats, le nombre de personnes déplacées avait été multiplié par dix depuis les
quatre premiers mois de l’année. En septembre, ce nombre total avait été estimé à plus de
230 000 personnes déplacées dont 170 000 avaient été déplacés à l’intérieur du Kosovo même. Le
même rapport signalait que «les villes et villages désertés, les maisons détruites, le bétail massacré
et les champs incendiés témoign[aient] de l’ampleur de l’exode et des ravages commis». Le HCR
était cité : celui-ci estimait que les personnes déplacées qui avaient «dû chercher refuge dans les
forêts et montagnes» atteignaient peut-être le chiffre de 50 000. Les auteurs du rapport
soulignaient : «si ces personnes doivent passer l’hiver là où elles se trouvent actuellement, elles
risquent de ne pas survivre». Ce rapport mettait en contradiction l’engagement pris par les
autorités de la RFY de faciliter le retour de ces personnes et les faits observés sur le terrain,
concluant que «l’insécurité et … la destruction des habitations, qui se poursuit» rendait ce retour
1Annexe 4.
1Annexe 5. - 6 -
«pratiquement impossible». Le Secrétaire général observait que si le gouvernement de la RFY s’en
tenait à la politique adoptée, «ce qui n’est encore qu’une crise humanitaire pourrait alors devenir
une véritable catastrophe» 12.
2.5. Dans un autre rapport du 21 septembre 1998 le Secrétaire général fit observer que le
mois écoulé depuis son précédent rapport avait vu «une brusque escalade des opérations militaires
par suite d’une offensive lancée par les forces serbes» .13
2.6. Le 23 septembre, le Conseil de sécurité a adopté par 14 voix contre zéro avec une
10 abstention sa résolution 1199 (1998) 14, à nouveau au titre du chapitre VII de la Charte. Le Conseil
affirme dans ce texte, après avoir examiné les rapports du Secrétaire général visés ci-dessus, que la
dégradation de la situation au Kosovo constituait une menace pour la paix et la sécurité dans la
région et il se dit
«Gravement préoccupé par les combats intenses qui se sont récemment déroulés
au Kosovo et en particulier par l’usage excessif et indiscriminé de la force par les
unités de sécurité serbes et l’armée yougoslave qui ont causé de nombreuses victimes
civiles et, selon l’estimation du Secrétaire général, le déplacement de plus de
230 000 personnes qui ont dû abandonner leurs foyers.»
et
«Profondément préoccupé par la détérioration rapide de la situation humanitaire
dans l’ensemble du Kosovo, alarmé par l’imminence d’une catastrophe humanitaire
telle que décrite dans le rapport du Secrétaire général, et soulignant la nécessité de
prévenir cette catastrophe.»
Dans cette résolution 1199, le Conseil de sécurité exige un cessez-le-feu et le début d’un véritable
dialogue. Au paragraphe 4, le Conseil impose notamment à la RFY de :
«a) mettre fin à toutes les actions des forces de sécurité touchant la population civile
et ordonner le retrait des unités de sécurité utilisées pour la répression des civils;
b) permettre à la mission de vérification de la Communauté européenne et aux
missions diplomatiques accréditées en République fédérale de Yougoslavie
d’exercer une surveillance internationale efficace et continue au Kosovo, y
compris en accordant à ces observateurs l’accès et la liberté totale de mouvement
afin qu’ils puissent entrer au Kosovo, s’y déplacer et en sortir sans rencontrer
d’obstacles de la part des autorités gouvernementales, et délivrer rapidement les
documents de voyage appropriés au personnel international contribuant à la
surveillance;
c) faciliter, en accord avec le HCR et le Comité international de la Croix-Rouge
(CICR), le retour en toute sécurité des réfugiés et personnes déplacées dans leurs
foyers et permettre aux organisations humanitaires d’accéder librement et sans
entrave au Kosovo et d’y acheminer leurs fournitures;
12
Nations Unies, doc. S/1998/834, par. 7, 8, 9 et 11.
13Nations Unies, doc. S/1998/834/Add. 1, par. 1.
14
Annexe 6. - 7 -
d) progresser rapidement vers un calendrier précis, dans le cadre du dialogue avec la
communauté albanaise du Kosovo visé au paragraphe 3 ci-dessus et réclamé dans
la résolution 1160 (1998), afin de s’entendre sur des mesures de confiance et de
trouver une solution politique aux problèmes du Kosovo.»
11 2.7. En octobre 1998, il fut négocié avec la RFY une série de mesures dont un accord entre la
RFY et l’OSCE signé le 16 octobre instituant une mission civile non armée de vérification terrestre
au Kosovo (la mission de vérification au Kosovo) 15 et un accord entre la RFY et l’OTAN sur la
16
vérification aérienne qui a conduit à la création de la mission multinationale de vérification
aérienne supervisée par le centre de vérification et de coordination de Skopje.
2.8. Le Conseil de sécurité s’est félicité de ces accords dans la résolution 1203 (1998) qu’il a 17
adoptée le 24 octobre 1998 au titre du chapitre VII par 13 voix contre zéro avec 2 abstentions .
Cette résolution soulignait à nouveau le besoin de prévenir une catastrophe humanitaire imminente.
Elle exigeait que la RFY respecte strictement et rapidement les accords signés avec l’OSCE et
l’OTAN et les prescriptions énoncées dans les résolutions 1160 (1998) et 1199 (1998). La
résolution exigeait au paragraphe 11 que la RFY et les dirigeants albanais du Kosovo s’emploient à
coopérer à l’action menée à l’échelon international «pour améliorer la situation humanitaire et pour
prévenir la catastrophe humanitaire imminente».
2.9. Dans ses résolutions 1160 et 1199, le Conseil de sécurité demandait également aux
dirigeants de la RFY et aux dirigeants des albanais du Kosovo de coopérer avec le Procureur du
TPIY. Le 17 novembre 1998, le Conseil de sécurité a adopté une résoluti18 supplémentaire, 1207
(1998), condamnant l’absence de coopération de la part de la RFY .
2.10. Le 15 janvier 1999, la mission de vérification au Kosovo a fait savoir que les forces de
sécurité de la RFY et la police spéciale serbe étaient responsables d’un massacre de civils albanais
du Kosovo perpétré dans le village de Racak. Dans une déclaration du président du Conseil de
12
sécurité datée du 19 janvier 1999, le Conseil a condamné énergiquement ce massacre et déploré la
décision de la RFY de refuser l’accès au Kosovo au procureur du TPIY qui aurait enquêté sur le
massacre et dit que, pour le Conseil, ces derniers événements constituaient des violations de ses
résolutions 1.
2.11. Réunis le 29 janvier 1999 à Londres, les ministres des affaires étrangères du groupe de
contact (Allemagne, Etats-Unis d’Amérique, Fédération de Russie, France, Italie, Royaume-Uni et
la présidence de l’Union européenne) ont appelé les parties serbe de la RFY et albanaise du Kosovo
à participer à des négociations qui commenceraient le 6 février 1999 afin de définir les termes d’un
15Nations Unies, doc. S/1998/978.
16
Nations Unies, doc. S/1998/991.
17Annexe 7.
18Annexe 8.
19
Nations Unies, doc. S/PRST/1999/2 (annexe 9). - 8 -
accord visant à assurer un cessez-le-feu, un règlemen20de paix et le déploiement d’une présence
internationale pour faire observer cet accord . Le Conseil de sécurité s’est félicité de cette
initiative21.
2.12. Deux semaines et demie de négociations se déroulèrent à Rambouillet en France et
aboutirent à ce qui allait prendre le nom d’accords de Rambouillet , dont le texte dans son
intégralité fut approuvé par le groupe de contact des ministres des affaires étrangères lors de leur
rencontre du 23 février 1999. La délégation serbe de la RFY écrit à cette date aux négociateurs 23
en soulignant que «des progrès fondamentaux ont été accomplis … dans la quête d’une solution
politique pour une autonomie gouvernementale substantielle» du Kosovo. La RFY «acceptait de
discuter de la portée et du caractère de la présence internationale à Kosmet afin de mettre en Œuvre
les accords qui devaient être acceptés à Rambouillet».
2.13. Comme convenu de part et d’autre à Rambouillet, une deuxième série de discussions
eut lieu à Paris du 15 au 19 mars. A la suite d’un proposi24on de la délégation serbe de RFY
tendant à modifier sensiblement le projet d’accord , les négociateurs russes et américains et ceux
13 de l’Union européenne ont souligné dans une lettre adressée le 16 mars à la délégation de Belgrade
que «de l’avis unanime du groupe de contact», seuls des25justements techniques de l’accord
approuvé à Rambouillet pouvaient être acceptés . Le 19 mars, les co-présidents des discussions
annoncèrent que, étant donné la position de la délégation serbe de la RFY, il n’était plus utile de
26
poursuivre ces discussions .
2.14. Le 19 mars également, le président en exercice de l’OSCE (le ministre des affaires
étrangères de la Norvège) décida de retirer le lendemain la mission de vérification au Kosovo car la
situation au Kosovo s’était tellement dégradée qu’il devenait de plus en plus difficile pour la
mission de mener sa tâche en toute sécurité.
2.15. Le rapport de la mission de vérification au Kosovo, qui a été publié par l’OSCE en
novembre 1999, présente une image détaillée de la situation au Kosovo en mars 1999. Les
constatations qui sont résumées dans ce rapport indiquent :
a) que l’intention des forces yougoslaves et serbes de recourir au massacre en vue de terroriser,
contraindre ou punir les Albanais du Kosovo était déjà perceptible en 1998 et fut démontrée de
façon particulièrement choquante par les incidents qui eurent lieu en janvier 1999 et ensuite (y
compris le massacre de Racak);
b) que l’assassinat arbitraire de civils constituait à la fois une tactique dans la campagne visant à
expulser les Albanais du Kosovo et un objectif en soi;
20
Nations Unies, doc. S/1999/96.
21
Nations Unies, doc. S/PRST/1999/5 (annexe 10).
22Nations Unies, doc. S/1999/648.
23M. Weller (éd.), The crisis in Kosovo 1998-1999 (ci-dessous «The crisis in Kosovo»), p. 470 (doc. 33).
24
The crisis in Kosovo, p. 480 à 490 (doc. 2).
25
The crisis in Kosovo, p. 490 (doc. 3).
26The crisis in Kosovo, p. 493 (doc. 10). - 9 -
c) que l’arrestation et la détention arbitraires ainsi que la violation du droit à un procès équitable
étaient devenus des moyens auxquels les organismes responsables de l’application des lois
avaient de plus en plus souvent recours aux fins de supprimer les droits civils et politiques des
Albanais du Kosovo; accompagnées de tortures et de mauvais traitements, ces arrestations et
détentions visaient à intimider l’ensemble de la population albanaise du Kosovo;
d) que le viol et les autres formes de violence sexuelle étaient parfois utilisés comme arme de
14 guerre;
e) que l’expulsion forcée pratiquée à grande échelle par les forces yougoslaves et serbes
s’inscrivait de toute évidence dans le cadre d’un plan stratégique et violait clairement les lois et
coutumes de la guerre. Elle s’accompagnait fréquemment de la destruction délibérée de biens
et de pillage. Les auteurs yougoslaves et serbes de violat27ns des droits de l’homme et du droit
humanitaire étaient souvent motivés par l’appât du gain .
2.16. L’étendue de la crise humanitaire qui se déroulait au Kosovo en mars 1999 a été
confirmée par le compte rendu que le Haut-Commissaire pour les réfugiés des Nations Unies en a
fait au Conseil de sécurité le 5 mai 1999. Lors de ce compte rendu, Mme Otaga a affirmé que,
avant le 24 mars 1999, près d’un demi-million de personnes (sur une population qui comptait
uniquement deux millions de personnes) avaient déjà été déplacées à l’intérieur du Kosovo ou
étaient réfugiées dans les Etats voisins28.
2.17. C’est sur cette toile de fond que le Conseil de l’Atlantique Nord a conclu que l’action
militaire était le seul moyen de prévenir la catastrophe humanitaire que le Conseil de sécurité
craignait et qui démarrait. Le secrétaire général de l’OTAN a annoncé le 23 mars que le début des
opérations aériennes de l’OTAN en RFY. Il a signalé que l’OTAN s’engageait dans cette action
parce que la RFY ne répondait pas aux demandes de la communauté internationale. Il a rappelé
que l’OTAN avait lancé le 30 janvier un avertissement : «s’abstenir de répondre à ces demandes
conduirait l’OTAN à adopter les mesures qui seraient nécessaires, quelles qu’elles soient, pour
15 empêcher une catastrophe humanitaire» et que l’action d29l’OTAN avait pour objet d’appuyer les
objectifs politiques de la communauté internationale .
2.18. Le Conseil de sécurité a examiné l’action menée par l’OTAN lors d’une réunion tenue
le 24 mars 1999. S’adressant au Conseil, le représentant du Royaume-Uni a dit ceci :
«L’action entreprise est légale. Elle se justifie en tant que mesure
exceptionnelle pour prévenir une catastrophe humanitaire de grande envergure. Dans
les circonstances prévalant actuellement au Kosovo, il existe des preuves
convaincantes que cette catastrophe est imminente. Si les autorités de la République
fédérale de Yougoslavie se livrent à de nouveaux actes de répression, il s’ensuivrait de
nouvelles pertes parmi la population civile et des déplacements de la population civile
à grande échelle et dans des conditions hostiles.
27
Annexe 11 (résumé analytique du rapport intitulé «Kosovo/Kosova: as seen, as told»). Le rapport complet
peut être consulté à l’adresse Internet suivante : http://www.osce.org/kosovo/reports/hr/index.htm.
28Annexe 12.
29
Annexe 13. Voir également Nations Unies, doc. S/1999/107. - 10 -
Tous les moyens pacifiques ont été tentés pour éviter cette situation. Dans de
telles circonstances, et en tant que mesure exceptionnelle se fondant sur une nécessité
humanitaire inéluctable, l’intervention militaire est justifiable sur le plan juridique. La
force qui est maintenant proposée vise exclusivement à éviter une catastrophe
30
humanitaire et est le minimum jugé nécessaire à cette fin.»
Ont également justifié l’action de l’OTAN devant le Conseil les représentants des Etats-Unis
d’Amérique , du Canada , de la Slovénie , de Bahreïn , de la Gambie , des Pays-Bas , de la 35 36
37 38 39 40 41 42
France , de la Malaisie et de l’Argentine . La Chine , la Fédération de Russie et la Namibie
16 ont critiqué l’opération.
2.19. Le 26 mars 1999, le Conseil de sécurité a examiné un projet de résolution présenté
43
conjointement par le Bélarus, l’Inde et la Fédération de Russie . Le projet qualifiait l’emploi de la
force par les Etats membres de l’OTAN de «violation flagrante de la Charte des Nations Unies, en
particulier du paragraphe 4 de l’article 2, et des articles 24 et 53» et exigeait qu’il y soit
immédiatement mis fin. Lors du débat sur ce projet, M. Jovanović (parlant au nom de la RFY) a
accusé les Etats membres de l’OTAN d’agression et de violation du droit international
humanitaire 4. Ces allégations ont été réfutées par le Royaume-Uni et la plupart des autres Etats
représentés au Conseil. Le projet de résolution russe a été rejeté par 12 voix (celles de l’Argentine,
de Bahreïn, du Brésil, des Etats-Unis d’Amérique, de la France, du Gabon, de la Gambie, de la
Malaisie, des Pays-Bas, du Royaume-Uni et de la Slovénie) contre 3 (la Chine, Fédération de
46
Russie et la Namibie) .
2.20. Le 9 avril 1999, le Secrétaire général a publié une déclaration dans laquelle il disait sa
profonde détresse face à la tragédie humanitaire se déroulant au Kosovo et dans la région et a lancé
un appel aux autorités de la RFY pour qu’elles mettent fin de toute urgence à la campagne
30
Nations Unies, doc. S/PV.3988, p. 12 (annexe 14).
31
Nations Unies, doc. S/PV.3988, p. 4-5.
32
Nations Unies, doc. S/PV.3988, p. 5-6.
33
Nations Unies, doc. S/PV.3988, p. 6-7.
34
Nations Unies, doc. S/PV.3988, p. 7.
35
Nations Unies, doc. S/PV.3988, p. 7-8.
36
Nations Unies, doc. S/PV.3988, p. 8.
37
Nations Unies, doc. S/PV.3988, p. 8-9.
38
Nations Unies, doc. S/PV.3988, p. 9-10.
39
Nations Unies, doc. S/PV.3988, p. 11.
40
Nations Unies, doc. S/PV.3988, p. 12-13.
41
Nations Unies, doc. S/PV.3988, p. 2-4 et 13.
42
Nations Unies, doc. S/PV.3988, p. 10.
43
Nations Unies, doc. S/1999/328 (annexe 15).
44
Nations Unies, doc. S/PV.3989, p. 11 (annexe 16).
45
Nations Unies, doc. S/PV.3989, p. 6-7.
46
Nations Unies, doc. S/PV.3989, p. 6. - 11 -
d’intimidation et d’expulsion de la population civile et acceptent le déploiement d’une force
militaire internationale afin d’offrir un environnement sûr en vue du retour des réfugiés et de la
distribution sans entraves d’une aide humanitaire 47.
2.21. Le 6 mai 1999, à Bonn, les ministres des affaires étrangères du groupe des huit pays,
(le «G8» c’est-à-dire l’Allemagne, le Canada, les Etats-Unis d’Amérique, la Fédération de
Russie, la France, l’Italie, le Japon, le Royaume-Uni) ont adopté d’un commun accord un ensemble
17
de principes pour résoudre la crise :
arrêt immédiat et vérifiable des violences et de la répression au Kosovo;
retrait du Kosovo des forces militaires, paramilitaires et des forces de police;
déploiement au Kosovo d’une double présence internationale efficace, une présence civile et
une force de sécurité, cautionnée et approuvée par l’Organisation des Nations Unies, à même
de garantir la réalisation des objectifs communs;
mise en place d’une administration provisoire pour le Kosovo, à définir par le Conseil de
sécurité de l’Organisation des Nations Unies, destinée à assurer les conditions d’une vie
pacifique et normale à tous les habitants du Kosovo;
retour en toute sécurité et liberté de tous les réfugiés et personnes déplacées et liberté d’accès
au Kosovo accordée aux organisations d’aide humanitaire;
mise en train d’un processus politique en vue de l’établissement, à titre provisoire, d’un
accord-cadre politique prévoyant une autonomie substantielle pour le Kosovo, qui tienne
pleinement compte des accords de Rambouillet et des principes de souveraineté et d’intégrité
territoriale de la République fédérale de Yougoslavie et des autres pays de la région, et
démilitarisation de l’UCK;
approche globale du développement économique et de la stabilisation de la région en crise 48.
2.22. Le 14 mai 1999, le Conse49 de sécurité a adopté sa résolution 1239 (1999) sur les
aspects humanitaires de la crise . Le Conseil s’y déclarait «gravement préoccupé par la
catastrophe humanitaire qui sévit au Kosovo … et aux alentours», soulignait que la situation
humanitaire continuerait de se dégrader en l’absence d’une solution politique de la crise qui fût
conforme aux principes adoptés par les ministres des affaires étrangères du G8 le 6 mai 1999 et
demandait instamment à tous les intéressés de s’atteler à la réalisation de cette solution.
2.23. Le 27 mai 1999, le TPIY a annoncé la mise en accusation du président de la RFY,
18
Milosevic, du président serbe Milutinovic, du vice-président de la RFY Sainovic, du chef
d’état-major de la RFY Ojdanic et du ministre de l’intérieur de la RFY Stojilkovic pour crimes
contre l’humanité et violations des lois et coutumes de la guerre au Kosovo.
47
Annexe 17.
48Nations Unies, doc. S/1999/516.
49
Annexe 18. - 12 -
2.24. Le 3 juin 1999, le président de la RFY a accepté les propositions présentées par
l’envoyé spécial de l’Union européenne Ahtisaari et l’envoyé russe Tchernomyrdine qui étaient
fondées sur les principes du G8 (voir ci-dessus le paragraphe 2.21). Après la signature, le 9 juin,
d’un accord technique militaire par le chef de l’état-major général de l’armée yougoslave, le
colonel général Marjanovic, le lieutenant général Stevanovic et le commandant de la KFOR, le
lieutenant général sir Michael Jackson, le retrait de la RFY et des forces de sécurité serbes
commença le 10 juin 1999. Les frappes aériennes furent suspendues par l’OTAN le 10 juin 1999.
2.25. A la même date, le Conseil de sécurité adopta par 14 voix contre zéro avec une
abstention sa résolution 1244 (1999) 5. Dans cette résolution, le Conseil accueillait avec
satisfaction les principes généraux de règlement de la crise adoptés par le G8 le 6 mai 1999 (voir
ci-dessus le paragraphe 2.21) qui étaient joints à l’annexe 1 de la résolution. Les points d’accord
entre la RFY d’une part et, de l’autre, les émissaires de l’Union européenne et les émissaires russes
(voir ci-dessus le paragraphe 2.24) furent joints à l’annexe 2 de la résolution.
2.26. Dans sa résolution 1244, le Conseil de sécurité autorisa les Etats Membres et les
organisations internationales compétentes à établir une présence internationale de sécurité (par. 7),
impliquant une participation substantielle de l’OTAN déployée sous commandement et contrôle
unifiés (annexe 2, point 4). Le mandat de cette présence internationale de sécurité était le suivant :
«a) prévenir la reprise des hostilités, maintenir le cessez-le-feu et l’imposer s’il y a
19 lieu, et assurer le retrait des forces militaires, policières et paramilitaires fédérales
et de la République se trouvant au Kosovo et les empêcher d’y revenir, si ce n’est
en conformité avec le point 6 de l’annexe 2;
b) démilitariser l’armée de libération du Kosovo (ALK) et les autres groupes armés
d’Albanais du Kosovo, comme le prévoit le paragraphe 15;
c) établir un environnement sûr pour que les réfugiés et les personnes déplacées
puissent rentrer chez eux, que la présence internationale civile puisse opérer,
qu’une administration intérimaire puisse être établie, et que l’aide humanitaire
puisse être acheminée;
d) assurer le maintien de l’ordre et la sécurité publics jusqu’à ce que la présence
internationale civile puisse s’en charger;
e) superviser le déminage jusqu’à ce que la présence internationale civile puisse, le
cas échéant, s’en charger;
f) appuyer le travail de la présence internationale civile selon qu’il conviendra et
assurer une coordination étroite avec ce travail;
g) exercer les fonctions requises en matière de surveillance des frontières;
h) assurer la protection et la liberté de circulation pour elle-même, pour la présence
internationale civile et pour les autres organisations internationales» (par. 9).
50Annexe 2. - 13 -
2.27. Le Conseil de sécurité a également autorisé le Secrétaire général à établir, avec le
concours des organisations internationales compétentes, une présence internationale civile au
Kosovo
«afin d’y assurer une administration intérimaire dans le cadre de laquelle la population
du Kosovo pourra jouir d’une autonomie substantielle au sein de la République
fédérale de Yougoslavie, et qui assurera une administration transitoire de même que la
mise en place et la supervision des institutions d’auto-administration démocratiques
provisoires nécessaires pour que tous les habitants du Kosovo puissent vivre en paix et
dans des conditions normales» (par. 10).
Le mandat de la présence internationale civile était le suivant :
«a) faciliter, en attendant un règlement définitif, l’instauration au Kosovo d’une
autonomie et d’une auto-administration substantielles, compte pleinement tenu de
l’annexe 2 et des accords de Rambouillet (S/1999/648);
20 b) exercer les fonctions d’administration civile de base là où cela sera nécessaire et
tant qu’il y aura lieu de le faire;
c) organiser et superviser la mise en place d’institutions provisoires pour une
auto-administration autonome et démocratique en attendant un règlement
politique, notamment la tenue d’élections;
d) transférer ses responsabilités administratives aux institutions susvisées à mesure
qu’elles auront été mises en place tout en supervisant et en facilitant le
renforcement des institutions locales provisoires du Kosovo, de même que les
autres activités de consolidation de la paix;
e) faciliter un processus politique visant à déterminer le statut futur du Kosovo, en
tenant compte des accords de Rambouillet;
f) à un stade final, superviser le transfert des pouvoirs des institutions provisoires du
Kosovo aux institutions qui auront été établies dans le cadre d’un règlement
politique;
g) faciliter la reconstruction des infrastructures essentielles et le relèvement de
l’économie;
h) en coordination avec les organisations internationales à vocation humanitaire,
faciliter l’acheminement de l’aide humanitaire et des secours aux sinistrés;
i) maintenir l’ordre public, notamment en mettant en place des forces de police
locales et, entre-temps, en déployant du personnel international de police servant
au Kosovo;
j) défendre et promouvoir les droits de l’homme;
k) veiller à ce que tous les réfugiés et personnes déplacées puissent rentrer chez eux
en toute sécurité et sans entrave au Kosovo» (par. 11). - 14 -
Le Conseil de sécurité a également prié le Secrétaire général de nommer, en consultation avec le
Conseil de sécurité, un représentant spécial chargé «de diriger la mise en place de la présence
internationale civile» et «d’agir en étroite coordination avec la présence internationale de sécurité
pour assurer que les deux présences poursuivent les mêmes buts et s’apportent un soutien mutuel»
(par. 6).
2.28. Dans son rapport du 12 juin 1999 51 le Secrétaire général a proposé des dispositifs pour
21
la présence civile internationale, qui porte le nom de mission d’administration intérimaire des
Nations Unies au Kosovo (MINUK). Les composantes de la MINUK seraient gérées par
l’Organisation des Nations Unies (administration civile intérimaire), le HCR (affaires
humanitaires), l’OSCE (droits de l’homme, démocratisation et création d’institutions) et l’Union
européenne (reconstruction).
2.29. La présence de sécurité internationale, c’est-à-dire la Force au Kosovo (la «KFOR») a
été déployée au Kosovo le 12 juin 1999. Le nombre d’Etats qui composent la KFOR varie de
temps à autre. Au 31 mai 2000, les trente-neuf Etats suivants participaient à la constitution de la
KFOR : l’Allemagne, l’Argentine, l’Autriche, l’Azerbaïdjan, la Belgique, la Bulgarie, le Canada, le
Danemark, les Emirats arabes unis, l’Espagne, l’Estonie, les Etats-Unis d’Amérique, la Fédération
de Russie, la Finlande, la France, la Géorgie, la Grèce, la Hongrie, l’Irlande, l’Islande, l’Italie, la
Jordanie, la Lettonie, la Lituanie, le Luxembourg, le Maroc, la Norvège, les Pays-Bas, la Pologne,
le Portugal, la République tchèque, la Roumanie, le Royaume-Uni, la Slovaquie, la Slovénie, la
Suède, la Suisse, la Turquie et l’Ukraine. Il avait été convenu par tous les participants, y compris la
Fédération de Russie, que la KFOR serait placée sous une chaîne de commandement unifiée sous
l’égide de l’OTAN et qu’il y aurait des consultations sur l’organisation de l’opération avec les pays
non-membres de l’OTAN qui souhaiteraient y participer. De telles consultations ont eu lieu
périodiquement.
2.30. Dans son rapport du 12 juillet 1999 le Secrétaire général a défini les mesures que la
MINUK mettait en Œuvre en coopération avec la KFOR pour «contrôler les Albanais du Kosovo
et … rassurer les Serbes du Kosovo». Le Secrétaire général était tout particulièrement préoccupé
par «l’absence de sécurité pour les groupes minoritaires au Kosovo et les harcèlements continus
auxquels ils [étaient] en butte» et disait que le déploiement intégral du personnel de la KFOR et de
la MINUK contribuerait incontestablement à régler ce problème 52.
22 2.31. Dans un rapport du 16 septembre 1999 le Secrétaire général notait q53 la violence
dirigée contre «les minorités vulnérables» demeurait «très préoccupant[e]» . Il faisait également
état de l’action menée par la MINUK pour créer des structures gouvernementales multiethniques
dans lesquelles il y aurait des Serbes du Kosovo. Ces efforts avaient pour but de prendre appui sur
le Conseil transitoire du Kosovo qui réunit tous les grands partis politiques et les principaux
groupes ethniques du Kosovo.
51
Nations Unies, doc. S/1999/672 (annexe 19).
52Nations Unies, doc. S/1999/779, par. 26 et 120.
53Nations Unies, doc. S/1999/987, par. 4. - 15 -
2.32. Dans son rapport du 23 décembre 1999 le Secrétaire général a indiqué quelles mesures
supplémentaires étaient prises pour protéger les minorités. Une équipe spéciale inter-organisations
chargée des minorités coordonne ces activités visant à protéger et aider les minorités, y compris par
des moyens destinés à améliorer la sécurité des logements et par la création d’54e permanence
téléphonique entre les organisations, la KFOR et la police de la MINUK
2.33. La déclaration commune du représentant spécial du Secrétaire général et du
commandant de la KFOR du 18 août 1999 a fait savoir quelles mesures spéciales adoptait par
exemple la KFOR : des patrouilles vingt-quatre heures sur vingt-quatre, la présence de soldats dans
les immeubles d’appartements afin d’offrir une protection à ceux qui sont exposés et des escortes
vers les lieux de travail ou vers les écoles pour les communautés minoritaires et les individus issus
des minorités. Il était également indiqué que la MINUK et la KFOR réexaminaient en permanence
la situation en ce qui concernait la sécurité et cherchaient tous les moyens d’améliorer leur
55
défense .
2.34. Comme il est prévu dans la résolution 1244 du Conseil de sécurité, le Secrétaire
général de l’OTAN a fait périodiquement rapport au Secrétaire général des Nations Unies sur
l’activité de la KFOR. Dans le rapport distribué le 8 juillet 1999 par le Secrétaire général des
Nations Unies qui porte sur la période allant du 17 au 30 juin 1999, il était indiqué que «(o)n
23 signal[ait] de nombreux actes de représailles … contre des Serbes et leurs biens. Face à ces
incidents, la KFOR réagit fermement, dans les limites de ses ressources.» 56 Dans le rapport
suivant, publié le 10 août 1999, qui porte sur la période allant du 1 er au 27 juillet 1999, il était
confirmé que, depuis son déploiement, «la KFOR s’est efforcée de créer un climat sûr, réussissant
ainsi à limiter l’exode des Serbes. Les principaux objectifs de la KFOR étaient de rétablir la loi et
l’ordre, de protéger les Serbes et autres minorités…» 57
2.35. Dans le rapport publié le 15 octobre 1999, qui porte sur la période allant du 30 août au
27 septembre 1999, le Secrétaire général des Nations Unies indiquait que la responsabilité des
activités de police avait été transférée de la KFOR à la MINUK fin août 1999. Il ajoutait que :
«la KFOR continue d’effectuer des patrouilles de sécurité dans toutes les grandes
agglomérations et dans les campagnes, afin de dissuader la criminalité et de donner
une impression de sécurité aux civils. Environ la moitié de l’effectif disponible de la
KFOR est directement affectée aux activités actuelles de protection.» 58
Dans le rapport suivant, publié le 18 novembre 1999 qui porte sur la période allant du 27 septembre
au 26 octobre 1999, le Secrétaire général confirmait ces chiffres, notant que les soldats de la KFOR
54
Nations Unies, doc. S/1999/1250.
55Le compte rendu non officiel de la conférence de presse de la MINUK du 18 août 1999 qui donne le texte de la
déclaration commune est disponible à l’adresse http://www.un.org/peace/kosovo/press/br180899.htm (annexe 20).
56Nations Unies, doc. S/1999/767, par. 3.
57
Nations Unies, doc. S/1999/868, par. 19.
58Nations Unies, doc. S/1999/1062, par. 9. - 16 -
«assurent une présence permanente dans les villes, villages et quartiers serbes, voire dans diverses
59
habitations» . Dans le rapport publié le 20 décembre 1999 qui porte sur la période allant du
27 octobre au 23 novembre 1999, l’activité signalée était du même ordre 60.
2.36. Dans le premier rapport de l’année 2000, daté du 23 janvier 2000 qui porte sur la
période allant du 24 novembre au 14 décembre 1999, il était indiqué ceci :
«La protection des minorités ethniques demeure … l’une des grandes priorités
de la KFOR, qui en a chargé environ 50 % de son personnel… (L)a KFOR applique
une stratégie globale visant à réduire le nombre des violences à motivation ethnique au
Kosovo. Il s’agit notamment de créer des groupes de travail conjoints sur la sécurité,
de fournir des escortes à certaines personnes et à certains groupes en cas de besoin,
24 d’escorter les convois d’aide humanitaire, d’effectuer des patrouilles très remarquées
et d’assurer une présence dans des postes de contrôle fixes dans les poches où vivent
des minorités ethniques et aux alentours … et de mener des opérations destinées à
découvrir et confisquer des armes et munitions illégales ou non autorisées dans toute
la province.»
Il était indiqué également que :
«Depuis juin 1999, le nombre d’assassinats et d’autres actes de violence a
progressivement et sensiblement diminué dans la province, en dépit de difficultés
occasionnelles. La présence de la KFOR a fait baisser le nombre des infractions
graves signalées, qui a été ramené de plus de 300 au cours de la dernière semaine de
juin à moins de 50 lors de la dernière semaine de novembre.» 61
2.37. Les rapports ultérieurs confirment que la KFOR et la MINUK continuent de n’épargner
aucun effort pour protéger les minorités au Kosovo 62. La situation au Kosovo est certes loin d’être
idéale, mais le contingent du Royaume-Uni fait tout en son pouvoir pour assurer la sécurité de tous
au Kosovo, notamment des personnes les plus exposées.
59Nations Unies, doc. S/1999/1185, par. 3.
60
Nations Unies, doc. S/1999/1266.
61
Nations Unies, doc. S/2000/50, par. 4 et 5.
62 Nations Unies, doc. S/2000/152; Nations Unies, doc. S/2000/235; Nations Unies, doc. S/2000/318;
Nations Unies, doc. S/2000/489. - 17 -
25 T ROISIEME PARTIE
L A C OUR N ’A PAS COMPETENCE RATIONE PERSONAE
3.1. Pour le Royaume-Uni, la Cour n’a pas compétence ratione personae parce que la RFY
n’est pas habilitée à engager cette procédure. La RFY est un nouvel Etat qui est né en 1992 (voir
ci-après, les paragraphes 3.2-3.12). La RFY n’est pas partie au Statut de la Cour puisqu’elle n’est
ni Membre des Nations Unies ni un Etat non membre devenu partie au Statut en application du
paragraphe 2 de l’article 93 de la Charte (voir ci-après, les paragraphes 3.13-3.26). La RFY n’a pas
prétendu être autorisée à engager cette procédure en vertu du paragraphe 2 de l’article 35 du Statut
et elle ne pouvait d’ailleurs pas le faire (par. 3.27-3.34).
1. La RFY est un nouvel Etat
3.2. La création de la RFY résulte des événements de 1991 et 1992. Préalablement, il
n’existait sur le territoire connu sous le nom de Yougoslavie qu’un seul Etat, la République
socialiste fédérative de Yougoslavie qui comptait six républiques (la Bosnie-Herzégovine, la
Croatie, la Macédoine, le Monténégro, la Serbie et la Slovénie). En 1991, la Croatie et la Slovénie
se sont déclarées indépendantes. Le 29 novembre 1991, la commission d’arbitrage de la
Conférence pour la paix en Yougoslavie 63 fut d’avis :
« que la République socialiste fédérative de Yougoslavie [était] engagée dans un
processus de dissolution;
26
qu’il appart[enait] aux républiques de régler les problèmes de succession d’Etats
pouvant résulter de ce processus conformément aux principes et aux règles du
droit international, en assurant en particulier le respect des droits de l’homme et
des minorités;
qu’il rev[enait] aux républiques qui en manifesteraient la volonté de constituer
ensemble une nouvelle association dotée des institutions démocratiques de leur
64
choix» .
3.3. Les Républiques de Croatie et de Slovénie furent admises à l’Organisation des
Nations Unies le 22 mai 1992 6. La République de Bosnie-Herzégovine fut admise à
66
l’Organisation des Nations Unies le 22 mai 1992 . La République de Macédoine fut admise à
l’Organisation des Nations Unies le 8 avril 1993 (sous la dénomination provisoire d’ex-République
yougoslave de Macédoine) 6.
63 La commission d’arbitrage fut établie par une déclaration commune sur la Yougoslavie adoptée lors d’une
réunion extraordinaire des ministres dans le cadre de la coopération politique européenne le 27 août 1991 et fut acceptée
par les six républiques yougoslaves lors de l’inauguration de la conférence pour la paix le 7 septembre 1991; voir
décision interlocutoire (avis n 8, 9 et 10), ILR, vol. 92, p. 194.
64Avis n 1, ILR, vol. 92, p. 162.
65
Résolution 753 (1992) du Conseil de sécurité et résolution 46/238 (Croatie) de l’Assemblée générale;
résolution 754 (1992) du Conseil de sécurité et résolution 46/236 (Slovénie) de l’Assemblée générale.
66
Résolution 755 (1992) du Conseil de sécurité et résolution 46/237 de l’Assemblée générale.
67Résolution 817 (1993) du Conseil de sécurité et résolution 47/225 de l’Assemblée générale. - 18 -
3.4. Le 27 avril 1992, la république de Serbie et la république du Monténégro formèrent la
République fédérale de Yougoslavie (RFY) dont elles étaient les seules républiques constituantes
relevant d’une constitution fédérale. Dans une déclaration datée du même jour, jointe à la lettre
adressée au Secrétaire général des Nations Unies, la RFY déclara :
«La République fédérale de Yougoslavie, assurant la continuité de l’Etat et de la
personnalité juridique et politique internationale de la République fédérative socialiste
de Yougoslavie, respectera strictement tous les engagements que la République
68
fédérative socialiste de Yougoslavie a pris à l’échelon international.»
3.5. Le 30 mai 1992, le Conseil de sécurité adopta sa résolution 757 (1992) dans laquelle il
constatait que :
27
«l’affirmation de la République fédérative de Yougoslavie (Serbie et Monténégro)
selon laquelle elle assure automatiquement la continuité de l’ex-République fédérative
socialiste de Yougoslavie comme Membre de l’Organisation des Nations Unies n’a
69
pas été généralement acceptée» .
3.6. Le 4 juillet 1992, la commission d’arbitrage de la Conférence pour la paix en
Yougoslavie a émis l’avis que le processus de dissolution de la RSFY était désormais achevé et que
la RSFY n’existait plus 70. La commission d’arbitrage a également affirmé que la RFY était un
71
nouvel Etat et non le continuateur de l’ancienne RSFY . Dans un autre avis daté du même jour, la
commission d’arbitrage concluait qu’aucun des Etats successeurs de la RSFY n’avait les qualités
requises pour réclamer pour lui seul les droits afférents à la qualité de Membre qu’avait auparavant
72
la RSFY dans les organisations internationales .
3.7. Le 19 septembre 1992, le Conseil de sécurité a adopté sa résolution 777 (1992) qui
s’énonçait comme suit :
«Le Conseil de sécurité,
Réaffirmant sa résolution 713 (1991) du 25 septembre 1991 et toutes les
résolutions consécutives pertinentes,
Considérant que l’Etat antérieurement connu comme la République fédérative
socialiste de Yougoslavie a cessé d’exister,
Rappelant en particulier sa résolution 757 qui note que «la République
28 fédérative de Yougoslavie (Serbie et Monténégro), selon laquelle elle assure
automatiquement la continuité de l’ancienne République fédérative socialiste de
Yougoslavie comme Membre de l’Organisation des Nations Unies n’a pas été
généralement acceptée»,
1. Considère que la République fédérative de Yougoslavie (Serbie et
Monténégro) ne peut pas assurer automatiquement la continuité de la qualité de
Membre de l’ancienne République fédérative socialiste de Yougoslavie aux
68
Nations Unies, doc. A/46/915 (annexe 21).
69Annexe 22.
70Avis n 8, ILR, vol. 92, p. 199.
71 o
Ibid. Voir également l’avis n 10, ILR, vol. 92, p. 206.
72Avis n 9, ILR, vol. 92, p. 203. - 19 -
Nations Unies et par conséquent recommande à l’Assemblée générale de décider que
la République fédérative de Yougoslavie (Serbie et Monténégro) devrait présenter une
demande d’adhésion aux Nations Unies et qu’elle ne participera pas aux travaux de
l’Assemblée générale;
2. Décide de reconsidérer la question avant la fin de la partie principale de la
73
quarante-septième session de l’Assemblée générale.»
3.8. Le 22 septembre 1992, l’Assemblée générale a adopté sa résolution 47/1 dans laquelle,
après avoir indiqué qu’elle avait reçu la recommandation formulée par le Conseil de sécurité dans
sa résolution 777 (1992), elle a considéré
«que la République fédérative de Yougoslavie (Serbie et Monténégro) ne peut pas
assumer automatiquement la qualité de Membre de l’Organisation des Nations Unies à
la place de l’ancienne République fédérative socialiste de Yougoslavie et, par
conséquent, décide que la République fédérative de Yougoslavie (Serbie et
Monténégro) devrait présenter une demande d’admission à l’Organisation et qu’elle ne
74
participera pas aux travaux de l’Assemblée générale» .
Immédiatement après l’adoption de cette résolution, le premier ministre de la RFY,
M. Milan Panic, a annoncé à l’Assemblée générale : «Je présente officiellement une demande
d’admission à l’Organisation des Nations Unies au nom de la nouvelle Yougoslavie dont je
représente le gouvernement.» 75 La RFY n’a cependant pas donné suite à cette demande.
3.9. Le 28 avril 1993, le Conseil de sécurité a adopté sa résolution 821 (1993) dans laquelle,
29
après avoir noté que la RSFY avait cessé d’exister, il réaffirmait que la RFY ne pouvait pas
assumer automatiquement la qualité de Membre de l’Organisation des Nations Unies à la place de
l’ancienne République socialiste fédérative de Yougoslavie et recommandait donc à l’Assemblée
76
générale de ne pas autoriser la RFY à participer aux travaux du Conseil économique et social . Le
29 avril 1993, l’Assemblée générale a adopté sa résolution 47/229 par laquelle, après avoir noté
qu’elle avait reçu la recommandation formulée par le Conseil de sécurité dans sa résolution 821
(1993), elle a décidé que «la République fédérative de Yougoslavie (Ser77e et Monténégro) ne
participer[ait] pas aux travaux du Conseil économique et social» .
3.10. Le 9 avril 1996, la présidence de l’Union européenne publia une déclaration faisant état
d’un accord conclu entre la RFY et la Macédoine et signé le 8 avril : «Ce fait … ouvre la voie à la
reconnaissance par les Etats membres, selon leurs procédures respectives, de la République
fédérale de Yougoslavie en tant que l’un des Etats successeurs de la République socialiste
fédérative de Yougoslavie.» 78
73Annexe 23.
74
Annexe 24. La résolution a été adoptée par 127 voix contre 6 avec 26 abstentions.
75
Nations Unies, doc. A/47/PV.7, p. 141-196, p. 149 (annexe 25).
76 Annexe 26. Le Conseil de sécurité a toujours refusé de traiter le représentant de la RFY de la façon dont il
traite le représentant d’un Etat Membre. Ainsi, par exemple, lors de la séance du Conseil, le président du Conseil
a fait nettement une distinction entre les Etats Membres invités «à participer au débat, sans droit de vote, conformément
aux dispositions pertinentes de la Charte et à l’article 37 du Règlement intérieur provisoire du Conseil» et M. Jovanović,
qui a simplement été invité «à prendre la parole devant le Conseil au cours du débat sur la question inscrite à son ordre du
jour», sans mention de l’Etat qu’il représentait. Nations Unies, doc. S/PV.3988, p. 2 et 13 (annexe 14).
77
Annexe 27. La décision a été adoptée par 107 voix contre zéro avec 11 abstentions.
78British Year Book of International Law 1996, p. 707; les italiques sont de nous. - 20 -
79
3.11. Le Royaume-Uni a reconnu la RFY comme un Etat indépendant en avril 1996 . Le
10 avril 1996, le Secrétaire d’Etat aux affaires étrangères et aux affaires du Commonwealth a
30 envoyé un message au président de la RFY qui commençait comme suit : «Je vous écris pour vous
faire savoir à toutes fins utiles que le Gouvernement britannique reconnaît offic80llement la
République fédérale de Yougoslavie en tant qu’Etat souverain indépendant.»
3.12. A la date des présentes exceptions préliminaires, la RFY n’a pas donné suite à
l’intention qu’avait annoncée son premier ministre (voir ci-dessus, le paragraphe 3.8) et n’a pas
soumis de demande d’admission comme Etat Membre de l’Organisation des Nations Unies en
bonne et due forme conformément à l’article 4 de la Charte et à l’article 134 du règlement intérieur
de l’Assemblée générale. Le Conseil de sécurité n’a pas non plus recommandé que la RFY soit
admise en tant qu’Etat Membre des Nations Unies.
2. La RFY n’est pas partie au Statut de la Cour
3.13. L’article 93 de la Charte dispose :
«1. Tous les Membres des Nations Unies sont ipso facto parties au Statut de la
Cour internationale de Justice.
2. Les conditions dans lesquelles les Etats qui ne sont pas Membres de
l’Organisation peuvent devenir parties au Statut de la Cour internationale de Justice
sont déterminées, dans chaque cas, par l’Assemblée générale sur recommandation du
Conseil de sécurité.»
L’article 93 est complété par les paragraphes 1 et 3 de l’article 35 du Statut :
«1. La Cour est ouverte aux Etats parties au présent Statut.
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
3. Lorsqu’un Etat, qui n’est pas Membre des Nations Unies, est partie en cause,
la Cour fixera la contribution aux frais de la Cour que cette partie devra supporter.
Toutefois, cette disposition ne s’appliquera pas si cet Etat participe aux dépenses de la
Cour.»
31 Il découle de ces dispositions qu’il n’y a que deux cas de figure dans lesquels un Etat peut être
partie au Statut de la Cour : l’Etat doit soit être Membre des Nations Unies soit être devenu partie
au Statut dans les conditions déterminées dans son cas par l’Assemblée générale sur
recommandation du Conseil de sécurité. La RFY ne satisfait à aucune de ces deux conditions. Sa
situation a été définie avec justesse par les quatre autres Etats successeurs (Bosnie-Herzégovine,
Croatie, Macédoine et Slovénie) dans la communication reçue le 28 mai 1999 par le Secrétaire
général dans laquelle lesdits Etats concluaient que la prétendue déclaration d’acceptation par la
RFY de la compétence de la Cour en application du paragraphe 2 de l’article 36 du Statut était
81
nulle et non avenue .
79
Déclaration sur la reconnaissance par le Royaume-Uni de la République fédérale de Yougoslavie du
9 avril 1996 (Statement on UK recognition of the Federal Republic of Yugoslavia of 9 April 1996) émanant du Foreign
and Commonwealth Office, British Year Book of International Law 1996, p. 706-707.
80British Year Book of International Law 1996, p. 708.
81
Traités multilatéraux déposés auprès du Secrétaire général : statut au 31 décembre 1999, vol. I, p. 30-31,
note 73 (annexe 28). - 21 -
a) La RFY n’est pas partie au Statut au titre du paragraphe 1 de l’article 93 car elle n’est pas
Membre des Nations Unies
3.14. Comme il est expliqué aux paragraphes 3.2 à 3.12 ci-dessus, la RFY est un nouvel Etat
qui a vu le jour à la dissolution de la RSFY. En tant que nouvel Etat, la RFY ne peut devenir
Membre des Nations Unies que conformément à l’article 4 de la Charte, c’est-à-dire par une
décision de l’Assemblée générale adoptée sur recommandation du Conseil de sécurité. Le Conseil
de sécurité, dans sa résolution 777 (1992), et l’Assemblée générale, dans sa résolution 47/1, ont
invité la RFY à se porter candidate à l’admission à l’Organisation des Nations Unies. Le premier
ministre de la RFY a annoncé devant l’Assemblée générale que son pays allait demander son
admission (voir ci-dessus le paragraphe 3.8). Aux termes de l’article 134 du règlement intérieur de
l’Assemblée générale, une demande d’admission doit être adressée au Secrétaire général et doit
contenir une déclaration, faite dans un instrument formel, par laquelle l’Etat dont il s’agit accepte
les obligations de la Charte. La RFY n’a pas encore présenté de demande d’admission.
3.15. La RFY prétend plutôt maintenant, dans son mémoire, être le continuateur de la RSFY.
32
Il semble que cette affirmation ait été formulée pour la première fois dans la déclaration du
27 avril 1992 au moment de l’adoption de la constitution de la RFY 82. Cette revendication n’a été
acceptée par aucun des quatre autres Etats successeurs de la RSFY (Bosnie-Herzégovine, Croatie,
83 84
Macédoine et Slovénie) ni, de faç85 générale, par les autres86tats ni par les organes politiques
de l’Organisation des Nations Unies ni par le Royaume-Uni .
3.16. Au contraire, la prétention de la RFY à être le continuateur de la RSFY a été largement
rejetée par la communauté internationale. Les organes politiques de l’Organisation des
Nations Unies en particulier ont rejeté cette prétention de la RFY à «continuer» d’avoir la qualité
de Membre des Nations Unies de la RSFY. Pour être exact, la FRY, malgré ses affirmations, n’est
pas le continuateur de la RSFY mais est l’un des cinq Etats qui lui succèdent sur un pied d’égalité.
Comme les quatre autres Etats, la RFY n’est pas l’Etat successeur de la RSFY (c’est-à-dire le
même sujet de droit international) mais est un nouvel Etat établi sur une partie du territoire de
l’ex-RSFY.
3.17. En tant que nouvel Etat, la RFY ne peut continuer automatiquement d’avoir la qualité
de Membre des Nations Unies de la RSFY mais doit si elle veut devenir Membre de
l’Organisation présenter une demande d’admission conformément à la Charte des
Nations Unies. C’est ce qu’ont fait la République tchèque et la Slovaquie au début de l’année 1993
à la suite de la dissolution de la République fédérale tchèque et slovaque le 31 décembre 1992 87.
82Voir ci-dessus, par. 3.4.
83Voir par exemple la communication citée ci-dessus à la note 81.
84
Voir par exemple la déclaration de l’Union européenne aux termes de laquelle la RFY est l’un des Etats
successeurs (ci-dessus, par. 3.10) et les avis n 8 et 10 de la commission d’arbitrage de la Conférence pour la paix
(ci-dessus, notes 70 et 71).
85
Voir ci-dessus, par. 3.5, 3.7, 3.8 et 3.9.
86Voir ci-dessus, par. 3.11.
87 Nations Unies, doc. S/25046 (République slovaque); S/25045 (République tchèque); voir également les
résolutions 800 (1993) et 801 (1993) du Conseil de sécurité du 8 janvier 1993 et les résolutions 47/220 et 47/222 de
l’Assemblée générale du 19 janvier 1993. - 22 -
33 C’est également ce que les organes politiques de l’Organisation des Nations Unies, qui sont
chargés par la Charte de résoudre les questions relatives à la qualité de Membre, ont appelé la RFY
88
à faire .
3.18. L’analyse figurant à la partie 3.1 du mémoire de la RFY découle d’une prémisse
erronée. Il n’est pas vrai qu’avant l’adoption de la résolution 777 (1992) du Conseil de sécurité et
de la résolution 47/1 de l’Assemblée générale, la RFY avait la qualité de Membre des
Nations Unies à laquelle il pouvait être mis fin par l’Assemblée générale en application de
l’article 6 de la Charte. Il n’est pas non plus vrai, comme on le donne à penser au paragraphe 3.1.2
du mémoire de la RFY, que certains Etats «proposèrent d’exclure, officiellement ou de facto, la
RFY de l’Organisation des Nations Unies». La RFY n’a jamais été Membre des Nations Unies.
L’Etat qui l’a précédée la RSFY était un Membre originaire des Nations Unies
conformément à l’article 3 de la Charte. Aucun des cinq Etats qui lui ont succédé ne pouvait
assumer automatiquement la qualité de Membre des Nations Unies. Le Conseil de sécurité et
l’Assemblée générale l’ont dit expressément en plus d’une occasion. Ceux qui détiennent le
pouvoir à Belgrade n’ont toutefois pas voulu accepter ce fait (et d’ailleurs s’y opposent toujours
fermement).
3.19. Le texte de la résolution 777 (1992) du Conseil de sécurité et de la résolution 47/1 de
l’Assemblée générale n’est compatible qu’avec un seul cas de figure, celui dans lequel la RFY
n’est pas membre des Nations Unies. Dire que la RFY «ne peut pas assurer automatiquement la
continuité de la qualité de Membre de l’ancienne République fédérative socialiste de Yougoslavie
aux Nations Unie89 et que «par conséquent [la RFY] devrait présenter une demande d’admission à
l’Organisation» est incompatible avec l’affirmation exprimée dans le mémoire de la RFY selon
laquelle la RFY était et demeure Membre des Nations Unies.
3.20. Quand on interroge la pratique du Secrétariat, on constate que la lettre par laquelle le
conseiller juridique des Nations Unies répond le 29 septembre 1992 90 à une lettre de la
34 Bosnie-Herzégovine et de la Croatie est tout aussi claire. Il est dit à juste titre dans cette lettre que
la seule conséquence pratique que l’Assemblée générale tire de la situation d91s sa résolution 47/1
est que la RFY ne pouvait pas participer aux travaux de l’Assemblée . De plus, le conseiller
juridique a eu raison de dire que la résolution 47/1 «ne met pas fin à l’appartenance de la
Yougoslavie à l’Organisation et ne la suspend pas». Il est toutefois significatif que le conseiller
juridique emploie ici le terme «Yougoslavie» alors que dans le reste de sa lettre il parle de la
«République fédérale de Yougoslavie». Le conseiller juridique conclut en disant très justement que
«l’admission à l’Organisation des Nations Unies d’une nouvelle Yougoslavie, en vertu de
l’article 4 de la Charte, mettra fin à la situation créée par la résolution 47/1».
3.21. Un avis émanant du directeur par intérim du service du conseiller juridique, dont il a
été adressé copie à la mission permanente de la Yougoslavie le 15 décembre 1997 9, donne à
nouveau l’interprétation des conséquences pratiques de la résolution 47/1 de l’Assemblée générale
88Voir ci-dessus, par. 3.7-3.8.
89
Résolution 777 (1992) du Conseil de sécurité (annexe 23) et résolution 47/1 de l’Assemblée générale
(annexe 24) et ci-dessus, par. 3.7-3.8.
90Nations Unies, doc. A/47/485 (annexe 29).
91 Et, par la suite, aux termes de la résolution 47/229, qu’elle ne devait pas participer aux travaux du Conseil
économique et social.
92 o
Annexe n 167 du mémoire de la RFY. - 23 -
qu’adopte le conseiller juridique. De plus, il est fait observer dans cet avis que la résolution
elle-même a été, par la suite, «rappelée par le Conseil de sécurité et réaffirmée par l’Assemblée
générale (dans ses résolutions 47/229 et 48/88) sans que cette interprétation fût critiquée».
3.22. La pratique du Secrétariat (qui ne saurait évidemment en aucun cas lier les organes
politiques ni les Etats Membres) et la pratique occasionnelle de l’Assemblée elle-même traduit
néanmoins une certaine ambiguïté qui découle non pas d’une éventuelle qualité d’Etat Membre des
Nations Unies de la RFY mais du fait qu’il n’a pas été déclaré sans équivoque qu’il était mis fin à
la qualité d’Etat membre de la RSFY. Ainsi, par exemple, le Secrétaire général, à titre de
dépositaire des traités multilatéraux, continue de faire figurer la «Yougoslavie» parmi les Etats
Membres des Nations Unies. Mais il ne saurait être déduit de cette pratique, ainsi que cela est
35 indiqué au paragraphe 3.1.8 du mémoire de la RFY, que «le Secrétaire général considère que la
République fédérale de Yougoslavie est un Etat Membre des Nations Unies». Au contraire, ainsi
que l’a affirmé à juste titre le conseiller juridique des Nations Unies dans une lettre adressée le
31 janvier 1994 au représentant permanent de la Slovénie, laquelle est évoquée dans l’avis
juridique du directeur par intérim (voir par. 3.21 ci-dessus), le Secrétaire général, en tant que
dépositaire, n’est pas en mesure de se prononcer sur une telle question. Après avoir énoncé son
avis, le directeur par intérim explique cette pratique dans les termes suivants : «Par conséquent, le
Secrétaire général maintient le statu quo en ce qui concerne les mesures prises relativement à des
traités et les références à la Yougoslavie dans les publications.»
3.23. Rien ne permet non plus de conclure que l’Assemblée générale, dans ses décisions sur
les quotes-parts à verser au budget de l’Organisation, a «traité la République fédérale de
Yougoslavie comme un Etat Membre des Nations Unies» ainsi que cela est dit au paragraphe 3.17
du mémoire de la RFY. La RFY affirme que le calcul par l’Assemblée générale de la contribution
à verser par la «Yougoslavie» et les sommes reçues, en certaines occasions, au titre de cette
contribution prouvent la qualité de Membre des Nations Unies de la RFY mais ces preuves ne sont
fondées ni en fait ni en droit. Calculer le montant de la contribution de la «Yougoslavie» peut être
considéré comme imputable au statut atypique de la Yougoslavie. Il est vrai que certaines
fonctions, qui ne procèdent pas de l’appartenance à l’Organisation des Nations Unies, sont
actuellement exercées par la mission de la RFY auprès des Nations Unies (s’agissant par exemple
de la participation personnelle de M. Jovanović aux travaux du Conseil de sécurité, de la réception
et de la diffusion de documents, etc.). L’Assemblée générale, dans un autre contexte, a évoqué «la
participation de fait de la Serbie et du Monténégro aux travaux de l’Organisation» . Fixer le
montant d’une contribution à demander à la «Yougoslavie» et les versements que la RFY a pu
opérer peuvent se comprendre dans cet esprit. En aucun cas, de telles décisions ne peuvent avoir
de rapport juridique avec la question de la qualité de Membre des Nations Unies de la RFY,
36 laquelle relève d’une décision officielle adoptée par le Conseil de sécurité et l’Assemblée générale
au titre de l’article 4 de la Charte.
3.24. La question de la non-appartenance de la RFY aux Nations Unies a expressément été
laissée ouverte au stade de l’espèce relatif aux mesures conservatoires. La Cour a jugé, après avoir
constaté que la déclaration d’acceptation de la juridiction obligatoire ne saurait manifestement
constituer une base de compétence, qu’elle «n’a pas à examiner cette question [de savoir si la RFY
a la qualité de Membre des Nations Unies] à l’effet de décider si elle peut ou non indiquer des
mesures conservatoires dans le cas d’espèce» .94
93
Résolution 48/88 de l’Assemblée générale, 20 décembre 1993, par. 19.
94Ordonnance du 2 juin 1999, par. 28. La Cour a également laissé la question ouverte dans l’ordonnance qu’elle
a rendue le 8 avril 1993 dans l’affaire concernant l’Application de la Convention sur la prévention et la répression du
crime de génocide (Bosnie-Herzégovine c. Yougoslavie (Serbie et Monténégro)), C.I.J. Recueil 1993, p. 11 et suiv.
(par. 14-18). - 24 -
3.25. La question a été traitée dans certaines des opinions individuelles au stade de l’instance
relatif aux mesures conservatoires. Le juge Oda estime, au paragraphe 4 de son opinion
individuelle, que :
«la République fédérale de Yougoslavie, n’étant pas Membre des Nations Unies et
n’étant par conséquent pas partie au Statut de la Cour, n’a pas qualité pour se présenter
devant la Cour à titre d’Etat demandeur. Les requêtes présentées par la République
fédérale de Yougoslavie devraient par conséquent, ne serait-ce que pour ce seul motif,
être déclarées irrecevables et être rayées du rôle de la Cour.»
Le juge Kooijmans a traité de la même question aux paragraphes 4 à 29 de son opinion
individuelle, concluant que :
«25. Il existe de solides raisons de douter que la République fédérale de
Yougoslavie soit Membre à part entière de l’Organisation des Nations Unies, jouissant
de toutes les qualités requises à cette fin, et, à ce titre, à même d’accepter la juridiction
obligatoire de la Cour en tant que partie au Statut.
37 Cela veut dire qu’il existe une possibilité, qui est loin d’être négligeable, que la
Cour doive constater après avoir procédé à une analyse approfondie des questions de
droit en jeu qu’elle n'est pas compétente parce que la déclaration d’acceptation de sa
juridiction que la Yougoslavie a faite n’est pas valable.
26. La contestation relative à la validité de ladite déclaration ébranle le
fondement même de la compétence de la Cour et, par suite, prend le pas sur d’autres
questions comme celle, par exemple, de la présence de limitations ratione temporis,
ratione materiae et ratione personae. Vu les doutes et les controverses qui entourent
cette question, la Cour aurait été inattaquable si elle avait conclu que l’incertitude
régnant au sujet de la validité de la déclaration de la Yougoslavie l’empêche de
présumer qu’elle est compétente, même prima facie.»
b) La RFY n’est pas partie au Statut en application du paragraphe 2 de l’article 93 de la Charte
3.26. En tant qu’Etat non membre de l’ONU, la seule possibilité pour la RFY de devenir
partie au Statut est celle à laquelle renvoie le paragraphe 2 de l’article 93 de la Charte. Cette
procédure implique une détermination spécifique par l’Assemblée générale (sur recommandation
du Conseil de sécurité) des conditions dans les95elles la RFY pourrai96devenir par97e au Statut ainsi98
que cela a été fait dans le cas de la Suisse , du Liechtenstein , du Japon , de San Marin et de
Nauru 99. Cette détermination fait défaut dans le cas de la RFY. D’ailleurs, la RFY ne prétend pas
être partie au Statut en vertu du paragraphe 2 de l’article 93 de la Charte et ne pourrait le prétendre
en persistant à revendiquer la qualité de Membre des Nations Unies : il serait incohérent de plaider
les deux prétentions à la fois.
95
Résolution 91 (I) de l’Assemblée générale, 11 décembre 1946.
96 er
Résolution 363 (IV) de l’Assemblée générale, 1 décembre 1949.
97Résolution 805 (VIII) de l’Assemblée générale, 9 décembre 1953.
98
Résolution 806 (VIII) de l’Assemblée générale, 9 décembre 1953.
99
Résolution 42/21 de l’Assemblée générale, 18 novembre 1987. - 25 -
38 3. La RFY ne prétend pas être autorisée à engager cette procédure en vertu du paragraphe 2
de l’article 35 du Statut et elle ne pouvait d’ailleurs pas le faire
3.27. Lorsqu’un Etat n’est pas partie au Statut de la Cour, le seul autre moyen par lequel il
peut avoir la capacité d’engager une procédure devant la Cour est que la Cour lui soit ouverte en
vertu du paragraphe 2 de l’article 35 du Statut de la Cour. Ce n’est pas le cas ici.
3.28. Le paragraphe 2 de l’article 35 du Statut dispose :
«Les conditions auxquelles [la Cour] est ouverte aux autres Etats sont, sous
réserve des dispositions particulières des traités en vigueur, réglées par le Conseil de
sécurité, et, dans tous les cas, sans qu’il puisse en résulter pour les parties aucune
inégalité devant la Cour.»
3.29. Le Conseil de sécurité a posé de telles conditions dans sa résolution 9 (1946) du
15 octobre 1946 qui dispose, dans les passages pertinents :
«1. La Cour internationale de Justice est ouverte à tout Etat qui n’est pas partie
au Statut de la Cour internationale de Justice, aux conditions suivantes : cet Etat devra
avoir déposé préalablement au Greffe de la Cour une déclaration par laquelle il
accepte la juridiction de la Cour conformément à la Charte des Nations Unies et aux
conditions du Statut et du Règlement de la Cour, déclaration par laquelle il s’engage à
exécuter de bonne foi la ou les sentences de la Cour et à accepter toutes les obligations
mises à la charge d’un Membre des Nations Unies par l’article 94 de la Charte;
2. Cette déclaration peut avoir soit un caractère particulier, soit un caractère
général. La déclaration d’un caractère particulier est celle par laquelle un Etat accepte
la juridiction de la Cour seulement pour un ou plusieurs différends déjà nés. La
déclaration d’un caractère général est celle par laquelle un Etat accepte la juridiction
de la Cour pour tous différends ou pour une ou plusieurs catégories de différends nés
ou à naître. En signant une déclaration d’un caractère général, tout Etat peut
39 reconnaître comme obligatoire, de plein droit et sans convention spéciale, la
juridiction de la Cour, conformément à l’article 36, paragraphe 2, du Statut, sans que
cette acceptation puisse, hors le cas de convention expresse, être opposée aux Etats
parties au Statut qui auront souscrit la déclaration prévue au paragraphe 2 de
l’article 36 du Statut de la Cour internationale de Justice.»
3.30. La RFY n’a pas déposé de déclaration au Greffe de la Cour en application de la
résolution 9 (1946) du Conseil de sécurité et ne prétend pas l’avoir fait. La déclaration datée du
25 avril 1999 par laquelle la RFY a prétendu accepter la juridiction de la Cour conformément au
paragraphe 2 de l’article 36 du Statut n’est pas une déclaration de ce type et ne saurait être traitée
comme telle. Même si la RFY avait déposé une telle déclaration, elle ne pourrait engager de
procédure contre le Royaume-Uni sans que ce dernier l’ait acceptée par voie de «convention
expresse».
3.31. En sus de l’énoncé d’une règle générale, qui est que les conditions auxquelles la Cour
sera ouverte aux Etats qui ne sont pas parties au Statut sont réglées par le Conseil de sécurité, le
paragraphe 2 de l’article 35 évoque un cas exceptionnel : la règle générale s’applique «sous réserve
des dispositions particulières des traités en vigueur». Cette exception a sa source dans la
disposition correspondante du Statut de la Cour permanente de Justice internationale, à laquelle elle
est exactement conforme. - 26 -
3.32. Rosenne expose clairement le contexte et l’histoire de la rédaction de cette disposition :
«L’expression figurant au paragraphe 2 du Statut de la Cour permanente sous
réserve des dispositions particulières des traités en vigueur était apparemment censée
viser les traités de paix après la première guerre mondiale. Ils contenaient quelques
dispositions offrant compétence à la Cour permanente pour des différends portant sur
eux et ils étaient en vigueur avant que le Statut ne fût adopté. Le paragraphe 2 de
l’article 35 permettait d’engager une procédure avec les anciennes puissances
ennemies bien qu’au moment où le protocole de signature fut adopté, elles ne
pouvaient pas devenir parties à cet instrument. Par conséquent, la formule «en
vigueur» signifiait que le traité considéré devait être en vigueur à la date de l’entrée en
40 vigueur du Statut de la Cour permanente (c’est-à-dire en principe le
1 septembre 1921).» 100 [Traduction du Greffe.]
Le fait que l’expression «traités en vigueur» était censée avoir un sens limité fut conf101é par les
juges Anzilotti et Huber au moment où le Règlement de la Cour a été révisé en 1926 . Une telle
interprétation s’accorde également mieux avec le système de juridiction mis en place par la Charte
des Nations Unies et par le Statut de la Cour, car autoriser n’importe quel traité en vigueur entre
deux ou plusieurs Etats à établir une compétence ratione personae en faveur des parties à ce traité
équivaudrait à placer ces derniers dans une situation privilégiée en leur donnant accès à la Cour
sans exiger d’eux qu’ils satisfassent aux conditions normalement imposées en préalable à l’accès à
la Cour.
3.33. La Cour actuelle n’a pas eu l’occasion de définir le sens de l’expression «traités en
vigueur» et le Règlement de la Cour ne traite pas non plus de la question. La Cour a brièvement
évoqué cette question dans son ordonnance du 8 avril 1993 en l’affaire relative à l’Application de
la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Bosnie-Herzégovine c.
Yougoslavie (Serbie et Monténégro)). Citant l’affaire Wimbledon, la Cour a dit : «une clause
compromissoire d’une convention multilatérale, telle que l’article IX de la convention sur le
génocide, invoquée par [le requérant]…, pourrait102re considérée prima facie comme une
disposition particulière d’un traité en vigueur» . Elle a par conséquent conclu qu’elle avait prima
facie suffisamment compétence ratione personae par rapport à une autre partie au même traité pour
lui permettre d’indiquer des mesures conservatoires. Toutefois, en l’espèce, le défendeur n’avait
pas contesté la compétence de la Cour sur ce motif. De plus, ainsi que l’observe Rosenne à juste
41 titre, «cette conclusion provisoire n’est pas décisive sur la question» .
3.34. Il est clair qu’il n’existe pas de traités en vigueur, au sens attribué à l’expression au
paragraphe 2 de l’article 35 du Statut, entre le Royaume-Uni et la RFY. Il s’ensuit que cette
disposition ne peut donner à la RFY accès la Cour.
*
* *
3.35. Par conséquent, puisque la RFY n’est pas partie au Statut de la Cour et n’est pas non
plus un Etat autorisé à avoir accès à la Cour sur une quelconque autre base, il n’a pas été établi de
compétence ratione personae en l’espèce.
100The Law and Practice of the International Court, 1920-1996, vol. II, p. 629.
101
C.P.J.I. série D n° 2 (add.), p. 104, 105 et 106.
102C.I.J. Recueil 1993, p. 3, par. 19.
103
The Law and Practice of the International Court, 1920-1996, vol. II, p. 630. - 27 -
Q UATRIEME PARTIE
42
L E PARAGRAPHE 2 DE L’ARTICLE 36 DU STATUT NE CONFERE PAS COMPETENCE
RATIONE MATERIAE EN L ESPECE
4.1. La RFY cherche, dans son mémoire, à fonder la compétence de la Cour principalement
sur les déclarations que la RFY et le Royaume-Uni ont faites au titre du paragraphe 2 de l’article 36
du Statut .4
er
4.2. La déclaration du Royaume-Uni, déposée le 1 janvier 1969, se lit comme suit :
«1. J’ai l’honneur, d’ordre du principal secrétaire d’Etat de Sa Majesté aux
affaires étrangères et aux affaires du Commonwealth, de déclarer que le
Gouvernement du Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord reconnaît
comme obligatoire de plein droit et sans convention spéciale, sous condition de
réciprocité, la juridiction de la Cour internationale de Justice, conformément au
paragraphe 2 de l’article 36 du Statut de la Cour et jusqu’à ce qu’il soit donné
notification de l’abrogation de cette acceptation, en ce qui concerne tous les différends
nés après le 24 octobre 1945 qui ont trait à des situations ou à des faits postérieurs à
ladite date, autres que :
i) les différends que le Royaume-Uni
a) et l’autre ou les autres parties seraient convenus de régler selon un autre
mode de règlement pacifique, ou
b) aurait déjà soumis à l’arbitrage par voie d’entente avec un Etat qui n’aurait
pas, à l’époque de cette soumission, accepté la juridiction obligatoire de la
43 Cour internationale de Justice;
ii) les différends avec le gouvernent d’un autre pays membre du Commonwealth,
qui ont trait à des situations ou à des faits antérieurs au 1er 1969;
iii) les différends à l’égard desquels toute autre partie en cause a accepté la
juridiction obligatoire de la Cour internationale de Justice uniquement en ce
qui concerne lesdits différends ou aux fins de ceux-ci, ou lorsque
l’acceptation de la juridiction obligatoire de la Cour au nom d’une autre partie
au différend a été déposée ou ratifiée moins de douze mois avant la date du
dépôt de la requête par laquelle la Cour est saisie du différend.
2. Le Gouvernement du Royaume-Uni se réserve également de compléter,
modifier ou retirer à tout moment, par voie de notification adressée au Secrétaire
général de l’Organisation des Nations Unies, les réserves formulées ci-dessus ou
toutes autres réserves qu’il pourrait formuler par la suite, lesdites réserves
complémentaires, lesdites modifications ou lesdits retraits prenant effet à compter de
la date de ladite notification.»
4.3. Le 26 avril 1999, la RFY prétend avoir déposé une déclaration (signée le 25 avril 1999)
acceptant la juridiction de la Cour conformément au paragraphe 2 de l’article 36 du Statut. Cette
déclaration était rédigée dans les termes suivants :
104Mémoire, partie 3.2. - 28 -
«Je déclare par la présente que, conformément au paragraphe 2 de l’article 36
du Statut de la Cour internationale de Justice, Ie Gouvernement de la République
fédérale de Yougoslavie reconnaît comme obligatoire de plein droit et sans convention
spéciale, à l’égard de tout autre Etat acceptant la même obligation, à savoir sous
condition de réciprocité, la juridiction de la Cour sur tous les différends qui pourraient
surgir après la signature de la présente déclaration concernant des situations ou des
faits ultérieurs à ladite signature, excepté dans les cas où les parties sont convenues ou
conviendront d’avoir recours à une autre procédure ou à une autre méthode de
règlement pacifique. La présente déclaration ne s’applique pas aux différends portant
sur des questions qui, au regard du droit international, relèvent exclusivement de la
compétence de la République fédérale de Yougoslavie, non plus que sur les différends
territoriaux.
44 L’obligation susmentionnée est acceptée tant qu’il n’aura pas été notifié qu’elle
ne l’est plus.»
4.4. Dans l’ordonnance qu’elle a rendue au stade relatif aux mesures conservatoires, la Cour
a jugé que «les déclarations faites par les Parties conformément au paragraphe 2 de l’article 36 du
Statut ne sauraient manifestement pas constituer une base de compétence dans la présente affaire,
105
même prima facie» . La Cour est parvenue à cette conclusion parce qu’elle a constaté que la
compétence était manifestement exclue par la seconde partie du point iii) du paragraphe 1 de la
déclaration du Royaume-Uni («la clause des douze mois»).
4.5. Il découle toutefois de façon évidente de la motivation de la Cour dans les ordonnances
relatives aux procédures engagées par la RFY contre la Belgique, le Canada, les Pays-Bas et le
Portugal qu’elle a également considéré que, prima facie, la compétence ne pouvait être fondée sur
le paragraphe 2 de l’article 36 du Statut parce que le différend que la RFY cherchait à porter devant
la Cour avait surgi antérieurement au 25 avril 1999 et était par consé106nt exclu aux termes de la
déclaration de la RFY et par application du principe de réciprocité .
4.6. Malgré la décision ainsi adoptée par la Cour au stade des mesures conservatoires, la
RFY a tenté à nouveau, dans son mémoire, de fonder la juridiction de la Cour sur les déclarations
faites conformément au paragraphe 2 de l’article 36 du Statut. La RFY soutient que la clause des
douze mois figurant dans la déclaration du Royaume-Uni ne fera pas obstacle à la juridiction de la
Cour dès lors que la procédure orale aura lieu après le 25 avril 2000 10. Elle fait également valoir
45 qu’après que la Cour a rendu son ordonnance au stade des mesures conservatoires en l’espèce, le
2 juin 1999, il s’est produit plusieurs développements qui comme le fait valoir la
RFY signifient qu’un différend a surgi entre la RFY et le Royaume-Uni postérieurement au
108
25 avril 1999 .
4.7. Le Royaume-Uni n’accepte pas ces arguments. Contrairement à ce que la RFY affirme,
il est évident que le paragraphe 2 de l’article 36 du Statut ne peut, en l’espèce, offrir une base de
compétence à la Cour pour un certain nombre de raisons :
105Ordonnance du 2 juin 1999, par. 25.
106
Yougoslavie c. Belgique, ordonnance du 2 juin 1999, par. 26-30; Yougoslavie c. Canada, ordonnance du
2 juin 1999, par. 25-29; Yougoslavie c. Pays-Bas, ordonnance du 2 juin 1999, par. 26-30; Yougoslavie c. Portugal,
ordonnance du 2 juin 1999, par. 25-29.
107Mémoire, par. 3.2.21-3.2.22.
108
Mémoire, par. 3.2.11-3.2.16. - 29 -
1) la Cour a déjà écarté le paragraphe 2 de l’article 36 comme base de compétence en l’espèce et,
par conséquent, la RFY ne peut s’appuyer sur cette disposition à ce stade de la procédure (voir
ci-après, les paragraphes 4.8 à 4.18);
2) la RFY n’a pas fait de déclaration valable conformément au paragraphe 2 de l’article 36 du
Statut (voir ci-après, les paragraphes 4.19 à 4.20);
3) les conditions mises par le Royaume-Uni à son acceptation de la juridiction de la Cour
conformément au paragraphe 2 de l’article 36 ne sont pas remplies (voir ci-après, les
paragraphes 4.21 à 4.27);
4) les conditions prétendument mises par la RFY à son acceptation de la juridiction de la Cour
conformément au paragraphe 2 de l’article 36 ne sont pas remplies (voir ci-après, les
paragraphes 4.28 à 4.47).
46 1. A la suite de l’ordonnance de la Cour du 2 juin 1999, la RFY ne peut se fonder
sur le paragraphe 2 de l’article 36 du Statut
4.8. Dans son ordonnance du 2 juin 1999, la Cour a jugé que les déclarations faites par la
RFY et le Royaume-Uni au titre du paragraphe 2 de l’article 36 du Statut ne sauraient
manifestement pas constituer pour elle une base de compétence. En revanche, lorsqu’elle a
examiné l’article IX de la convention sur le génocide, la Cour a estimé que cette disposition ne
constituait pas une base sur laquelle la compétence de la Cour pourrait être fondée prima facie en
l’espèce.
4.9. La Cour a dit ceci :
«les conclusions auxquelles la Cour est parvenue en la présente procédure ne
préjugent en rien la compétence de la Cour pour connaître du fond de l’affaire sur la
base de l’article IX de la convention sur le génocide, ni aucune question relative à la
recevabilité de la requête ou au fond lui-même, et … elles laissent intact le droit du
Gouvernement yougoslave et du Gouvernement du Royaume-Uni de faire valoir leurs
moyens en la matière» 10.
Il découle clairement du texte en italique que, dans ce passage, la Cour considérait qu’il ne lui
serait possible de connaître de cette affaire (fût-ce seulement jusqu’au stade de la procédure orale
relative aux exceptions préliminaires) que sur la base de l’article IX de la convention sur le
génocide et que, si les déclarations faites au titre du paragraphe 2 de l’article 36 du Statut avaient
été les seules bases de compétence défendues par la RFY, la Cour aurait ordonné que l’affaire soit
rayée du rôle.
4.10. C’est la démarche que la Cour a adoptée dans la procédure engagée par la RFY contre
l’Espagne. Dans cette affaire, il a été jugé que l’article IX ne constituait pas une éventuelle 110e de
47 compétence en raison de la réserve formulée par l’Espagne à la convention sur le génocide . La
déclaration faite par l’Espagne au titre du paragraphe 2 de l’article 36 du Statut est en substance
identique à celle du Royaume-Uni. La Cour a estimé, en des termes identiques à ceux qu’elle a
utilisés dans l’ordonnance qu’elle a rendue dans la procédure contre le Royaume-Uni, que les
déclarations de la RFY et de l’Espagne faites au titre du paragraphe 2 de l’a111cle 36 du Statut ne
pouvaient manifestement pas constituer pour elle une base de compétence . La Cour a conclu par
109
Ordonnance du 2 juin 1999, par. 38; les italiques sont de nous.
110Yougoslavie c. Espagne, ordonnance du 2 juin 1999, par. 33.
111Yougoslavie c. Espagne, ordonnance du 2 juin 1999, par. 25. - 30 -
conséquent que, dans la procédure contre l’Espagne, dans ces circonstances, «maintenir au rôle
général une affaire sur laquelle il apparaît certain que la Cour ne pourra se prononcer au fond ne
112
participerait assurément pas d’une bonne administration de la justice» .
4.11. Que la Cour ait traité la procédure engagée contre le Royaume-Uni au titre du
paragraphe 2 de l’article 36 de la même façon que la procédure engagée contre l’Espagne est
également manifeste si l’on compare le paragraphe 38 de l’ordonnance rendue dans la procédure
concernant le Royaume-Uni avec le passage correspondant des ordonnances rendues par la Cour
dans les procédures engagées contre la Belgique, le Canada, les Pays-Bas et le Portugal. Dans ces
procédures-là, la Cour a laissé ouverte pour la prochaine étape de la procédure la question de113voir
si le paragraphe 2 de l’article 36 pouvait constituer pour elle une base de compétence . Cela
s’oppose très nettement aux termes du paragraphe 38 de l’ordonnance rendue dans la procédure
engagée contre le Royaume-Uni 11, dans lequel la Cour n’a expressément laissé ouverte la question
de la compétence que sur la base de l’article IX de la convention sur le génocide.
4.12. Il s’ensuit que la Cour a clairement considéré qu’il était certain que les déclarations
faites par la RFY et par le Royaume-Uni au titre du paragraphe 2 de l’article 36 du Statut ne
48 l’autorisaient pas à se prononcer sur le fond. La seule raison pour laquelle la procédure engagée
contre le Royaume-Uni n’a pas été elle aussi rayée du rôle général est que la Cour n’avait pas
définitivement décidé que l’article IX de la convention sur le génocide ne pouvait constituer pour
elle une base de compétence. Par conséquent, elle a laissé aux parties la possibilité de plaider, à un
stade ultérieur de la procédure, sur la question de savoir si l’article IX constituait en fait pour elle
une base de compétence. La procédure engagée par la RFY contre le Royaume-Uni fut par
conséquent maintenue au rôle général de la Cour, avec effet à partir du 2 juin 1999, exclusivement
comme une affaire dans laquelle la compétence serait fondée sur la convention sur le génocide. La
situation juridique était alors exactement la même que si la requête présentée par la RFY contre le
Royaume-Uni ne s’était appuyée que sur la convention sur le génocide comme base de
compétence.
4.13. La RFY soutient toutefois qu’il ne s’agit que d’un vice de forme et non de fond. Elle
prétend que, après le 25 avril 2000, la RFY pourrait présenter une nouvelle requête contre le
Royaume-Uni sans se heurter à la clause des douze mois figurant dans la déclaration faite par le
Royaume-Uni au titre du paragraphe 2 de l’article 36. La RFY s’appuie sur un passage de la
décision de la Cour dans l’affaire relative à la convention sur le génocide entre la
Bosnie-Herzégovine et la RFY portant que la convention sur le génocide pourrait constituer une
base de compétence de la Cour même si elle était encore entrée en vigueur entre la
Bosnie-Herzégovine et la RFY à une date postérieure à celle où la requête bosniaque a été soumise
à la Cour 11. Pour les raisons développées plus loin aux paragraphes 4.22 à 4.26, cet argument ne
peut être accueilli. Le Royaume-Uni soutient toutefois que l’ordonnance de la Cour du 2 juin 1999
49
empêche la RFY de rouvrir la question de savoir si le paragraphe 2 de l’article 36 du Staut
s’applique.
112
Yougoslavie c. Espagne, ordonnance du 2 juin 1999, par. 35; les italiques sont de nous.
113 Yougoslavie c. Belgique, ordonnance du 2 juin 1999, par. 46; Yougoslavie c. Canada, ordonnance du
2 juin 1999, par. 42; Yougoslavie c. Pays-Bas, ordonnance du 2 juin 1999, par. 46; Yougoslavie c. Portugal, ordonnance
du 2 juin 1999, par. 45.
114Cité ci-dessus au paragraphe 4.9.
115
Application de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Bosnie-Herzégovine c.
Yougoslavie (Serbie et Monténégro)), exceptions préliminaires, C.I.J. Recueil 1996, p. 595, par. 24-26. - 31 -
4.14. Il est vrai que, dans certaines circonstances, la Cour a permis à un Etat de faire valoir
dans son mémoire un moyen de compétence qu’il n’avait pas fait valoir dans sa requête. Dans
l’affaire relative aux Activités miliaires et paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci, la Cour a
observé que l’article 38 du Règlement de la Cour exigeait qu’une requête spécifie autant que
possible les moyens juridiques sur lesquels il est allégué qu’est fondée la compétence de la Cour,
mais la Cour a ajouté :
«Un autre motif de compétence peut néanmoins être porté ultérieurement à
l’attention de la Cour, et celle-ci peut en tenir compte à condition que le demandeur ait
clairement manifesté l’intention de procéder sur cette base…, à condition aussi que le
différend porté devant la Cour par requête ne se trou116pas transformé en un autre
différend dont le caractère ne serait pas le même.»
4.15. Cette situation est bien entendu sensiblement différente de la présente instance dans
laquelle la base de compétence alléguée était définie dans la requête mais a été rejetée par la Cour à
un stade antérieur de la procédure. De plus, l’extrait cité ci-dessus indique clairement que la Cour
n’autorise pas le demandeur à exercer sans limites le pouvoir discrétionnaire d’amender sa requête 117
en y ajoutant des éléments qui pourraient être l’objet d’une requête nouvelle devant la Cour . La
Cour a mis en évidence le fait que le demandeur ne dispose pas d’un droit illimité de compléter sa
requête en y introduisant de nouveaux moyens relatifs à la compétence dans l’affaire de
l’Application de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide, en disant
que «le demandeur ne saurait, en se réservant «le droit de réviser, compléter ou modifier» sa
requête ... se donner par là-même un droit d’invoquer des bases supplémentaires de
118
50 compétence» . Il n’est possible d’énoncer de nouveaux motifs de compétence que si cela n’a pas
pour effet de transformer la nature du différend soumis à la Cour.
4.16. En l’espèce, ajouter de nouveaux motifs de compétence aurait effectivement pour effet
de transformer la nature du différend porté devant la Cour. Bien que le paragraphe 2 de l’article 36
du Statut eût été mentionné dans la requête de la RFY, le différend, tel qu’il se présentait après
l’ordonnance du 2 juin 1999, se limitait désormais à un litige éventuel susceptible de relever de
l’article IX de la convention sur le génocide, car c’était uniquement sur la base des allégations
relatives à un tel différend que la Cour autorisait le maintien de l’instance au rôle général. Or, la
portée d’une instance dans laquelle la Cour fonde sa compétence sur l’article IX de la convention
sur le génocide est strictement limitée aux «différends … relatifs à l’interprétation, l’application ou
l’exécution» de ladite convention. Si la RFY devait ajouter le paragraphe 2 de l’article 36 du Statut
qui serait désormais un nouveau motif de compétence, elle transformerait le différend en un litige
suscitant des allégations de violations du droit de l’emploi de la force, du droit des conflits armés, de
la législation régissant la navigation sur le Danube et d’un grand nombre d’autres accords
internationaux et de règles du droit international coutumier.
4.17. S’il est incontestable que la Cour «n’est pas tenue d’attacher à des considérations de
119
forme la même importance qu’elles pourraient avoir dans le droit interne» , autoriser pareille
transformation du différend ne saurait être une simple considération de forme, et ne
«participerait ... [pas non plus] à une bonne administration de la justice», pour reprendre les termes
116
Activités miliaires et paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci (Nicaragua c. Etats-Unis d’Amérique),
exceptions préliminaires, C.I.J. Recueil 1984, p. 392, par. 80.
117Rosenne, The Law and Practice of the International Court of Justice: 1920-1996, vol. III, p. 1237.
118Application de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Bosnie-Herzégovine c.
Yougoslavie), demandes en indication de mesures conservatoires, C.I.J. Recueil 1993, p. 325, par. 28.
119
Concessions Mavrommatis à Jérusalem, C.P.J.I. série A n° 2, p. 34. - 32 -
120
51 de l’ordonnance rendue dans l’instance intentée contre l’Espagne . La seule différence entre la
situation de l’Espagne et celle du Royaume-Uni dans les procédures engagées par la RFY réside
dans le fait que le Royaume-Uni, à l’inverse de l’Espagne, a accepté que la Cour fût compétente au
titre de l’article IX de la convention sur le génocide. Permettre à la RFY de réintroduire à ce stade
le paragraphe 2 de l’article 36 comme titre de compétence à l’encontre du Royaume-Uni, après
avoir déclaré irrecevable l’instance contre l’Espagne, serait inéquitable et contraire au principe
invoqué. En fait, cela signifierait que la possibilité, certes assez faible, pour la Cour d’avoir
compétence au titre de la convention sur le génocide pour connaître d’une affaire opposant la RFY
au Royaume-Uni sur un différend limité, suffirait à maintenir une procédure que la RFY pourrait
transformer par la suite en un différend d’une portée infiniment plus large.
4.18. La décision que la Cour a adoptée au stade des exceptions préliminaires en l’affaire de
l’Application de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide 121et que la
RFY tient pour un précédent particulièrement utile ne propose pas d’autre conclusion. Dans cette
122
instance, la Cour avait jugé, au stade des mesures conservatoires , que la convention sur le
génocide constituait prima facie une base de compétence et c’est sur cette base que la procédure a
continué. L’opposition est flagrante avec le rejet que la Cour opère nettement, au stade des
mesures conservatoires en la présente affaire, des déclarations faites au titre du paragraphe 2 de
l’article 36 qui constitueraient une base de compétence.
2. La RFY n’a pas fait de déclaration valable au titre
du paragraphe 2 de l’article 36 du Statut
4.19. Aux termes du paragraphe 2 de l’article 36 du Statut, seuls «les Etats parties au présent
52 Statut» peuvent faire des déclarations pour reconnaître la compétence de la Cour au titre de cette
disposition. Pour les raisons exposées ci-dessus dans notre troisième partie, la RFY n’est pas partie
123
au Statut . Pour les raisons exposées au paragraphe 3.30 ci-dessus, la RFY ne peut pas non plus
se prévaloir de la résolution 9 (1946) du Conseil de sécurité (citée plus haut, par. 3.29). La RFY ne
peut donc pas faire de déclaration valable au titre du paragraphe 2 de l’article 36. En outre, même
si, contrairement aux arguments que nous exposons dans notre troisième partie ci-dessus, la RFY
pouvait invoquer la résolution 9 (1946) du Conseil de sécurité pour être autorisée à avoir accès à la
Cour, cela ne suffirait pas à établir une compétence ratione materiae au titre du paragraphe 2 de
l’article 36 du Statut dans le différend entre le Royaume-Uni et la RFY. De son côté, la
résolution 9 (1946) du Conseil de sécurité dispose au paragraphe 2 qu’une déclaration
d’acceptation de la juridiction de la Cour déposée, conformément au paragraphe 2 de l’article 36,
par un Etat non partie au Statut de la Cour ne saurait : «hors le cas de convention expresse, être
opposée aux Etats parties au Statut qui auront souscrit la déclaration prévue au paragraphe 2 de
l’article 36 du Statut de la Cour internationale de Justice». Le Royaume-Uni ne s’est pas engagé,
ni explicitement ni implicitement, par une telle convention.
4.20. Il s’ensuit que l’instrument par lequel la RFY prétend avoir accepté la juridiction de la
Cour conformément au paragraphe 2 de l’article 36 du Statut n’est pas une déclaration valable et ne
saurait être utilisé contre le Royaume-Uni.
12Yougoslavie c. Espagne, ordonnance du 2 juin 1999, par. 35.
121
Application de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Bosnie-Herzégovine c.
Yougoslavie), exceptions préliminaires, C.I.J. Recueil 1996, p. 613.
12C.I.J. Recueil 1993, p. 16.
123
Sur cette base, la Bosnie-Herzégovine, la Croatie, la Macédoine et la Slovénie se sont officiellement opposées
à la déclaration que la RFY a prétendu faire; voir, plus haut, le paragraphe 3.13 et l’annexe 28. - 33 -
3. Les conditions mises par le Royaume-Uni à son acceptation de la juridiction de la Cour
au titre du paragraphe 2 de l’article 36 ne sont pas remplies
4.21. Même si, contrairement à ce que nous soutenons ci-dessus, la RFY est considérée
comme ayant fait une déclaration valable au titre du paragraphe 2 de l’article 36 sur laquelle elle
peut se fonder, cela ne saurait conférer compétence à la Cour en la présente espèce. Comme la
53
Cour l’a maintes fois répété, le paragraphe 2 de l’article 36 lui confère compétence pour les
procédures entre deux Etats uniquement dans les limites dans lesquelles les deux parties ont
accepté la juridiction obligatoire de la Cour 124. Par conséquent, la Cour n’aura compétence en
l’espèce, au titre du paragraphe 2 de l’article 36, que si les conditions des déclarations respectives
du Royaume-Uni d’une part et de la RFY d’autre part sont remplies. En fait, aucune de ces deux
séries de conditions n’est remplie.
4.22. Comme indiqué plus haut, le Royaume-Uni, dans sa déclaration d’acceptation de la
juridiction de la Cour, exclut expressément les différends «lorsque l’acceptation de la juridiction
obligatoire de la Cour au nom d’une autre partie au différend a été déposée ou ratifiée moins de
125
douze mois avant la date du dépôt de la requête par laquelle la Cour est saisie du différend» . Il
est manifeste, comme la Cour l’a constaté dans son ordonnance du 2 juin 1999, que la condition
imposée dans ce passage de la déclaration du Royaume-Uni n’est pas remplie en l’espèce. La
déclaration de la RFY, même s’il était possible de la considérer comme un instrument valable, n’a
été signée que quatre jours avant le dépôt de la requête introductive d’instance devant la Cour.
4.23. Dans son mémoire, la RFY tente cependant d’écarter cette condition, en faisant valoir
que ce vice de compétence (dont elle admet à présent l’existence) sera résolu «si la procédure orale
sur le fond commence après le 25 avril 2000, ce qui est très probable» 12. Cet argument est
54 irrémédiablement vicié à deux égards.
4.24. Premièrement, cette thèse de la RFY ne tient aucun compte de l’importance du principe
selon lequel la compétence de la Cour doit normalement être établie à la date du dépôt de la requête
127
introductive d’instance . Dans l’128aire de l’Application de la convention pour la prévention et la
répression du crime de génocide que la RFY invoque, la Cour ne limite la portée dudit principe
que dans des circonstances très différentes de celles de la présente instance. Le traité sur lequel le
demandeur se fondait dans cette affaire, la convention sur le génocide, est une convention de nature
particulière en ce sens que les obligations qu’elle crée sont des obligations erga omnes. La Cour
avait estimé que la convention était en vigueur à la fois pour la Bosnie-Herzégovine et pour la
RFY. Le passage de l’arrêt invoqué par la RFY évoque uniquement la possibilité (la Cour ne jugea
pas nécessaire de statuer sur cette question) que la convention aurait pu ne pas être en vigueur
entre la Bosnie-Herzégovine et la RFY jusqu’à une date ultérieure, parce que, au moment du dépôt
de la requête introductive d’instance, la RFY ne reconnaissait pas la Bosnie-Herzégovine en tant
qu’Etat, bien que la Bosnie-Herzégovine fût, à cette date, Membre des Nations Unies.
124
Voir par exemple l’affaire des Phosphates du Maroc, C.P.J.I. série A/B n° 74, p. 23 et l’affaire de la
Compétence en matière de pêcheries (Espagne c. Canada), arrêt du 4 décembre 1998, par. 44.
125
Déclaration du Royaume-Uni, par. 1 iii); voir, plus haut, le paragraphe 4.2.
126Mémoire, par. 3.2.22.
127
Questions d’interprétation et d’application de la convention de Montréal de 1971 résultant de l’incident
aérien de Lockerbie (Jamahiriya arabe libyenne c. Royaume-Uni), exceptions préliminaires, C.I.J. Recueil 1998, p. 9,
par. 38.
128
Application de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Bosnie-Herzégovine c.
Yougoslavie), exceptions préliminaires, C.I.J. Recueil 1996, p. 613. - 34 -
4.25. En revanche, dans la présente affaire, l’instrument sur lequel la RFY tente d’établir la
compétence de la Cour le paragraphe 2 de l’article 36 du Statut ne vise pas la création
d’obligations erga omnes mais permet à un Etat, au moyen d’une déclaration, de contracter des
obligations relatives à la compétence de la Cour à l’égard d’un autre Etat qui fait une déclaration
similaire. Il n’existait, comme la Cour l’a jugé, manifestement aucune base bilatérale de
55
compétence entre la RFY et le Royaume-Uni à la date du dépôt de la requête introductive
d’instance. En outre, à la différence de l’affaire de l’Application de la convention pour la
prévention et la répression du crime de génocide, dans laquelle la Cour avait jugé que la
convention conférait prima facie une base de compétence au stade des mesures conservatoires, la
Cour est parvenue à la conclusion inverse en la présente affaire.
4.26. Deuxièmement, la thèse de la RFY ne tient aucun compte de l’énoncé ni de l’effet de la
déclaration du Royaume-Uni qui sont très clairs. Au paragraphe 1, point iii) de ladite déclaration,
le Royaume-Uni affirme sans équivoque ne pas accepter que la Cour soit compétente, au titre du
paragraphe 2 de l’article 36 du Statut, à l’égard d’un autre Etat ayant «accepté la juridiction
obligatoire de la Cour ... lorsque l’acceptation de la juridiction obligatoire de la Cour au nom d’une
autre partie au différend a été déposée ou ratifiée moins de douze mois avant la date du dépôt de la
requête par laquelle la Cour est saisie du différend» [les italiques sont de nous]. Il s’ensuit, ainsi que
la Cour l’a reconnu dans son ordonnance du 2 juin 1999, que le paragraphe 2 de l’article 36 ne saurait
manifestement pas constituer une base d’exercice de sa compétence à l’encontre du Royaume-Uni à
moins que la déclaration faite par le demandeur au titre du paragraphe 2 de l’article 36 n’ait été en
vigueur douze mois au moins avant que cet Etat ne dépose sa requête. Cette condition est remplie au
moment du dépôt de la requête ou bien elle ne sera jamais satisfaite. La période écoulée après le
dépôt de la requête ne saurait avoir aucune conséquence.
4.27. De plus, la déclaration du Royaume-Uni exclut expressément du champ de
l’acceptation de juridiction «les différends à l’égard desquels toute autre partie en cause a accepté
la juridiction obligatoire de la Cour internationale de Justice uniquement en ce qui concerne lesdits
différends ou aux fins de ceux-ci». Or, bien que rédigée de toute évidence en termes
volontairement généraux, la déclaration de la RFY a en réalité été déposée aux fins du présent
différend. C’est ce qui ressort clairement de la façon dont elle tente d’accepter la compétence de la
56
Cour en ce qui concerne l’action militaire du Royaume-Uni et des autres défendeurs tout en
excluant de la compétence de la Cour les actions de la RFY qui avaient provoqué cette action
militaire comme cela ressort du délai de trois jours seulement qui s’est écoulé entre le dépôt de la
déclaration et celui de la requête en l’espèce. En outre, le conseil de la RFY a expressément
déclaré au stade des mesures conservatoires que l’objectif de la RFY était d’accepter la compétence
129
de la Cour dans le différend de l’espèce .
4. Les conditions mises par la RFY à son acceptation de la juridiction de la Cour au titre
du paragraphe 2 de l’article 36 ne sont pas remplies
4.28. Il est également bien établi dans la jurisprudence tant de la Cour actuelle que de celle
qui l’a précédée que les déclarations faites au titre du paragraphe 2 de l’article 36 du Statut sont
soumises au principe de réciprocité, ce qui signifie que la Cour n’aura pas compétence à moins que
ne soient satisfaites les conditions mises par le demandeur à son acceptation de la juridiction de la
Cour ainsi que les conditions énoncées dans la déclaration du défendeur . En l’espèce, la RFY
n’a accepté la compétence de la Cour que sous certaines conditions. Ces conditions n’ont pas été
remplies.
129
M. Corten, CR 99/25, p. 18.
130 Interhandel, C.I.J. Recueil 1959, p. 5, par. 23, Compagnie d’électricité de Sofia et de Bulgarie,
C.P.J.I. série A/B n° 77, p. 81. - 35 -
4.29. Aux termes de sa déclaration, la RFY n’a accepté la compétence de la Cour que «sur
tous les différends qui pourraient surgir après la sign131re de la présente déclaration concernant des
57 situations ou des faits ultérieurs à ladite signature» . L’acceptation de compétence par la RFY est
expressément limitée à un différend remplissant deux conditions :
a) le différend doit être né postérieurement au 25 avril 1999; et
b) le différend doit concerner des situations ou des faits postérieurs au 25 avril 1999.
Ces conditions sont cumulatives, il ne s’agit pas d’une alternative. Par conséquent, la formule a
pour effet qu’un différend sort du champ de l’acceptation de compétence de la Cour par la RFY s’il
est né avant le 25 avril 1999 ou même s’il est né après le 25 avril mais porte sur des situations ou
des faits antérieurs à cette date.
4.30. Il est bien établi que les Etats peuvent limiter de cette manière leur acceptation de la
compétence de la Cour au tit132du paragraphe 2 de l’article 36 et la formule a été examinée par la
Cour à plusieurs reprises . Les limitations imposées par cette formule sont par conséquent bien
connues. Pour fonder la compétence de la Cour dans le différend l’opposant au Royaume-Uni au
titre du paragraphe 2 de l’article 36, la RFY doit donc démontrer, d’abord que le différend qu’elle
cherche à porter devant la Cour n’est pas né avant le 25 avril 1999 et, ensuite, qu’il s’agit d’un
différend concernant des situations ou des faits postérieurs à cette date. La RFY n’est parvenue à
répondre à aucune de ces deux conditions.
58 4.31. Le premier élément de la formule de double exclusion n’est pas respecté car le
différend que la RFY cherche à porter devant la Cour est né bien avant le 25 avril 1999. D’après la
célèbre définition du différend figurant dans la décision rendue en l’affaire des Concessions
Mavrommatis à Jérusalem, «un différend est un désaccord sur un point de droit ou de fait, une
contradiction, une opposition de thèses juridiques ou d’intérêts entre deux personnes» 133. Cette
définition a été appliquée par la suite dans un très g134d nombre d’affaires, tant par cette Cour que
par la Cour permanente de Justice internationale . Dans l’affaire du Droit de passage, la Cour a
jugé qu’un différend était né «lorsque tous ses éléments constitutifs ont existé» . 135
4.32. Dans la présente affaire, dont l’intitulé est Licéité de l’emploi de la force, le
Royaume-Uni est accusé dans la requête introductive d’instance de violer le paragraphe 4 de
l’article 2 de la Charte des Nations Unies et d’autres normes relatives à l’emploi de la force, le
principe de non-intervention et diverses autres règles relatives à la conduite des hostilités et à la
protection de l’environnement, en s’engageant dans des opérations militaires contre la RFY. Ces
opérations militaires ont débuté le 24 mars 1999, plus d’un mois avant la date à laquelle la RFY
prétend avoir déposé sa déclaration. Le désaccord entre la RFY et le Royaume-Uni à propos de la
licéité de cette opération était manifeste à cette date.
131
On dit souvent de cette formule qu’elle est celle de «la double exclusion». Pour Rosenne, c’est «la formule de
la double exclusion de type ii)» (The Law and Practice of the International Court of Justice 1920-1996, vol. II, p. 786).
132Phosphates du Maroc, C.P.J.I. série A/B n° 74, p. 22; Compagnie d’électricité de Sofia et de Bulgarie, C.P.J.I.
série A/B n° 77, p. 81.
133C.P.J.I. série A n° 2, p. 11.
134
Parmi les cas les plus récents, voir par exemple : Timor oriental (Portugal c. Australie), C.I.J. Recueil 1995,
p. 89, par. 99 et Questions d’interprétation et d’application de la convention de Montréal de 1971 résultant de l’incident
aérien de Lockerbie (Jamahiriya arabe libyenne c. Royaume-Uni), C.I.J. Recueil 1998, p. 17.
135
Droit de passage sur territoire indien (Portugal c. Inde), C.I.J. Recueil 1960, p. 34. - 36 -
4.33. Le 24 mars 1999, puis à nouveau le 26 mars 1999, l’opération fut l’objet d’un débat au
Conseil de sécurité des Nations Unies. La RFY exposa alors ses arguments sur les faits et soutint
59 vigoureusement que l’opération était illicite. Le Royaume-Uni exprima nettement son désaccord
ainsi que d’autres membres du Conseil. Au cours de ce débat du 24 mars 1999, M. Jovanović,
représentant la RFY, a dit ceci :
«La décision d’attaquer un pays indépendant a été prise en dehors du Conseil de
sécurité, le seul organe chargé par la Charte de l’ONU de maintenir la paix et la
sécurité internationales. Cette agression patente est une violation flagrante des
principes de base de la Charte des Nations Unies...
En bombardant massivement et de façon aveugle des villes de la République
fédérale de Yougoslavie, l’OTAN est devenue la force aérienne et le mercenaire de la
terroriste armée de libération du Kosovo.» 136
Le représentant du Royaume-Uni a été tout aussi explicite quand il a réfuté l’accusation d’illicéité :
«L’action entreprise est licite. Elle se justifie en tant que mesure exceptionnelle
pour prévenir une catastrophe humanitaire de grande envergure. Dans les
circonstances prévalant actuellement au Kosovo, il existe des preuves convaincantes
que cette catastrophe est imminente. Si les autorités de la République fédérale de
Yougoslavie se livrent à de nouveaux actes de répression, il s’ensuivrait de nouvelles
pertes parmi la population civile et des déplacements de la population civile à grande
137
échelle et dans des conditions hostiles.»
4.34. Le débat qui eut lieu le 26 mars 1999 a également montré clairement quelle position
juridique adoptaient la RFY et les Etats de l’OTAN. Le Conseil138t saisi d’un projet de résolution
présenté par le Bélarus, l’Inde et la Fédération de Russie , aux termes duquel le Conseil était
invité à exprimer sa profonde préoccupation devant l’action de l’OTAN et à affirmer que «ce
recours unilatéral à la force constitu[ait] une violation flagrante de la Charte des Nations Unies, en
60 particulier des articles 2, paragraphes 4, 24 et 53» et à exiger l’arrêt immédiat de ces opérations.
Le projet de résolution a été rejeté par 12 voix (l’Argentine, Bahreïn, le Brésil, le Canada, les
Etats-Unis d’Amérique, la France, le Gabon, la Gambie, la Malaisie, les Pays-Bas, la Slovénie et le
Royaume-Uni) contre 3 (la Chine, la Fédération de Russie et la Namibie).
4.35. Au cours du débat, M. Jovanović se plaignit de ce que la RFY était «victime de
l’agression brutale et illicite de l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord (OTAN)» et a dit
ceci :
«Bafouant tous les principes des relations internationales, défiant l’autorité du
Conseil de sécurité de l’Organisation des Nations Unies et de ses résolutions, et
dépassant même les nazis dans l’animosité et la haine qu’elle montre à l’égard du
peuple serbe et monténégrin, l’OTAN, menée par les Etats-Unis d’Amérique, s’est
lancée dans une furieuse orgie de destruction et de ravages contre un seul petit pays
qui n’aspire qu’à la paix...
Cette agression et cette énorme et téméraire campagne de bombardement ne se
limitent pas aux seules cibles prétendument militaires : elles entraînent aussi la mort
de centaines de civils et la destruction de leurs biens.
136
S/PV. 3988, p. 14-15 (annexe 14).
137S/PV. 3988, p. 12 (annexe 14), voir par. 2.18 ci-dessus.
138Nations Unies, doc. S/1999/328 (annexe 15). - 37 -
Cette agression est une agression inique, illicite, obscène et malhonnête.
L’agresseur fait montre d’un mépris arrogant pour l’ONU et pour sa Charte et s’arroge
les prérogatives du Conseil de sécurité, seul organe chargé du maintien de la paix et de
la sécurité internationales.» 139
4.36. Au cours du même débat, le représentant du Royaume-Uni rejeta à nouveau
l’accusation d’illicéité et dit à nouveau que, pour le Royaume-Uni, «l’intervention militaire se
justifi[ait] en tant que mesure exceptionnelle visant à empêcher une catastrophe humanitaire» . 140
141
61 Les représentants d’autres Etats défendeurs ont dit la même chose . Les deux débats ont donc
donné la preuve manifeste qu’il y avait «désaccord sur un point de droit ou de fait» au sens de la
définition énoncée par la Cour permanente dans l’affaire des Concessions Mavrommatis . Il est 142
clair, par conséquent, que le différend avait déjà surgi à cette date. D’ailleurs, la RFY elle-même
déclare dans son mémoire ceci :
«Le différend a surgi lors des débats tenus au cours des séances du Conseil de
sécurité des 24 et 26 mars 1999, soit avant le 25 avril 1999, entre la Yougoslavie et les
défendeurs au sujet de la licéité de ces bombardements en tant que tels et considérés
dans leur ensemble.» 143
4.37. Par conséquent, au moment où la RFY signa la déclaration qu’elle fait au titre du
paragraphe 2 de l’article 36 le 25 avril 1999, les divergences d’opinion des parties au sujet des
opérations militaires étaient déjà largement manifestes, tant au sein du Conseil de sécurité qu’au
dehors. Tous les éléments constitutifs du différend existaient et la conclusion qui s’impose est que
le différend que la RFY tente alors de porter devant la Cour était né bien avant la date de cette
déclaration. Le cas de figure est tout à fait contraire à celui de l’affaire du Droit de passage dans
laquelle la Cour constata qu’avant la date décisive, «certains incidents s’étaient produits mais sans
amener les Parties à prendre des positions de droit nettement définies et s’opposant l’une à
l’autre» 14. La campagne militaire a évidemment continué après le 25 avril 1999 mais aucun
différend nouveau n’a surgi : il ne s’agissait que de la suite du différend déjà né.
4.38. De fait, la RFY elle-même confirme implicitement cette conclusion dans son mémoire
62
puisqu’elle n’essaie même pas de faire une distinction entre les opérations militaires antérieures au
25 avril 1999 et celles qui sont postérieures à cette date. Au contraire, la partie de ce mémoire
consacrée aux «faits» couvre simplement toute la période, alors qu’aux termes de sa déclaration, la
RFY précise clairement que sa prétendue acceptation de la compétence de la Cour exclut les
différends relatifs à des «situations ou [des] faits» antérieurs à cette date.
4.39. Le second élément de la «formule de double exclusion» que la RFY inscrit dans sa
déclaration 145 aboutit également à exclure le présent différend puisqu’il exclut expressément de
l’acceptation de la juridiction de la Cour par la RFY tout différend relatif à des situations ou des
faits antérieurs au 25 avril 1999. Mais il est clair, au vu de la jurisprudence uniforme de la Cour
actuelle et de la Cour permanente de Justice internationale, que ce second élément de la formule va
139S/PV. 3989, p. 11 (annexe 16).
140
S/PV. 3989, p. 7 (annexe 16).
141
Voir par exemple, Canada (p. 2-3), Pays-Bas (p. 4), Etats-Unis d’Amérique (p. 4-5) et France (p. 7).
142C.P.J.I. série A n° 2, p. 11.
143Mémoire, par. 3.2.16.
144
Droit de passage sur territoire indien (Portugal c. Inde), C.I.J. Recueil 1960, p. 34.
145Voir le paragraphe 4.29 ci-dessus. - 38 -
plus loin que cela. Le simple fait que des situations ou des faits se produisent aussi après la date
décisive ne suffit pas à remplir les conditions posées par la «formule de double exclusion». Selon
la Cour permanente, la condition correspondant au second élément de la formule ne sera remplie et
la compétence de la Cour ne sera établie 146que si ces situations ou ces faits constituent «la source
147
du différend», sa «cause réelle» et ne sont pas exclusivement «la confirmation ou le simple
développement de situations ou de faits antérieurs, alors que ceux-ci constituent les véritables
éléments générateurs du différend» . En l’espèce, les événements survenus après le 25 avril 1999
63 n’étaient de toute évidence ni la «source», ni la «cause réelle» du différend que la RFY veut porter
devant la Cour.
4.40. L’utilisation par la RFY de la formule de double exclusion signifie que l’affaire ne
ressemble pas aux affaires relatives aux droits de l’homme dans lesquelles la compétence n’est
acceptée qu’en ce qui concerne les faits survenus après une certaine date (voir, par exemple, les
décisions rendues par la Cour européenne des droits de l’homme dans les affaires Yagci et Sargin c.
Turquie 149 et Loizidou c. Turquie 150et par le Comité des droits de l’homme des Nations Unies dans
les affaires Gueye c. France 151 et Simunck c. République tchèque ). 152 Les instruments
d’acceptation dans ces affaires n’excluaient la juridiction que pour les faits antérieurs à une certaine
date, de sorte que la compétence est également reconnue quand la violation persiste après la date
d’acceptation. La formule de double exclusion inscrite dans les déclarations faites au titre du
paragraphe 2 de l’article 36 du Statut, comme on l’a vu, va plus loin et signifie que la compétence
est exclue, sauf si le différend lui-même a surgi après la date de la déclaration et trouve sa source
dans des faits ou des situations survenus après cette date.
4.41. Ce fut pour cette raison que la Cour a conclu, au stade des exceptions préliminaires,
que le différend tombait hors du champ d’application de la déclaration de la RFY et que celle-ci ne
pouvait constituer prima facie une base de compétence de la Cour dans les instances introduites
contre la Belgique, le Canada, les Pays-Bas et le Portugal. Ainsi que la Cour l’a expliqué dans son
ordonnance du 2 juin 1999 en l’affaire Yougoslavie c. Belgique :
«28. Considérant qu’il est constant que les bombardements en cause ont
64 commencé le 24 mars 1999 et se sont poursuivis, de façon continue, au-delà du
25 avril 1999; et qu’il ne fait pas de doute pour la Cour, au vu notamment des débats
du Conseil de sécurité des 24 et 26 mars 1999 (S/PV. 3988 et 3989), qu’un «différend
d’ordre juridique» (Timor oriental (Portugal c. Australie), C.I.J. Recueil 1995, p. 100,
par. 22) a «surgi» entre la Yougoslavie et l’Etat défendeur, comme avec les autres
Etats membres de l’OTAN, bien avant le 25 avril 1999, au sujet de la licéité de ces
bombardements comme tels, pris dans leur ensemble;
29. Considérant que la circonstance que ces bombardements se soient
poursuivis après le 25 avril 1999 et que le différend les concernant ait persisté depuis
lors n’est pas de nature à modifier la date à laquelle le différend avait surgi; que des
différends distincts n’ont pu naître par la suite à l’occasion de chaque attaque
146Compagnie d’électricité de Sofia et de Bulgarie, C.P.J.I. série A/B n° 77, p. 82.
147
Phosphates du Maroc, C.P.J.I. série A/B n° 74, p. 24.
148Voir aussi : Droit de passage sur le territoire indien (Portugal c. Inde), C.I.J. Recueil 1960, p. 35.
149Arrêt du 8 juin 1995, série A, n° 319, par. 40.
150
Arrêt du 23 mars 1995, série A, n° 310, par. 102-5 et arrêt du 18 décembre 1996, Recueil des arrêts et
décisions 1996-VI, p. 2216, par. 34-47.
151 o
Communication n 196/1985, ILR, vol. 114, p. 312.
152Communication n 516/1992, Nations Unies, doc. A/50/40, p. 89. - 39 -
aérienne; et qu’à ce stade de la procédure, la Yougoslavie n’établit pas que des
différends nouveaux, distincts du différend initial, aient surgi entre les Parties après le
25 avril 1999 au sujet de situations ou de faits postérieurs imputables à la Belgique;
30. ... et considérant qu’il découle de ce qui précède que les déclarations faites
par les Parties conformément au paragraphe 2 de l’article 36 du Statut ne constituent
pas une base sur laquelle la compétence de la Cour pourrait prima facie être fondée
dans le cas d’espèce.»
4.42. Dans son mémoire, la RFY n’a pas cherché à contester le raisonnement de la Cour et il
doit, par conséquent, être considéré qu’elle l’a admis. Elle a plutôt tenté de plaider comme suit :
«Depuis que la Cour a rendu ses ordonnances le 2 juin 1999, le différend s’est
aggravé et étendu. Il s’est enrichi de nouveaux éléments en raison de l’inobservation
par les défendeurs de leurs obligations au titre de la résolution 1244 du Conseil de
sécurité et de la convention de 1948 pour la prévention et la répression du crime de
génocide. Ces nouveaux éléments ont trait au meurtre, à l’agression physique et à
l’expulsion de Ser153 et d’autres groupes non albanais dans le Kosovo-Metohija après
le 10 juin 1999.»
65 La RFY ne fait donc pas reposer son argumentation sur les événements de la campagne militaire
qui s’est poursuivie jusqu’au 10 juin 1999. Ce n’est pas surprenant car il ne s’est rien passé dans
cette campagne entre la date des ordonnances de la Cour, le 2 juin 1999, et l’adoption de la
résolution 1244 (1999) du Conseil de sécurité, le 10 juin 1999, qui fût qualitativement différent de
ce qui avait eu lieu auparavant et qui aurait pu être considéré comme la source d’un nouveau
différend.
4.43. La RFY se fonde plutôt exclusivement sur ce qui se passe après le 10 juin 1999. Elle
accuse le Royaume-Uni, en tant que l’un des Etats participant à la KFOR, de ne pas empêcher les
attaques de l’ALK contre les Serbes et contre d’autres personnes au Kosovo et de violations
diverses du mandat qui lui a été conféré par le Conseil de sécurité dans sa résolution 1244. La RFY
conclut par conséquent que :
«Même si certains éléments constitutifs du différend apparurent après le
10 juin 1999, le différend qui commença à naître avant le 25 avril 1999 ne surgit
pleinement qu’après le 10 juin 1999. Il entre donc dans le cadre de la juridiction
obligatoire de la Cour reconnue dans la déclaration de la Yougoslavie en date du
25 avril 1999.» 154
4.44. Il est remarquable que la RFY tente non pas d’alléguer que les événements postérieurs
au 10 juin 1999 ont donné naissance à un nouveau différend mais qu’ils ont «aggravé et étendu» le
différend décrit dans sa requête du 28 avril 1999. En adoptant cette approche, la RFY essaie de
convaincre la Cour que les événements survenus depuis la suspension des opérations le
10 juin 1999 ont eu en quelque sorte pour effet de conférer compétence à la Cour pour connaître de
l’ensemble du différend relatif à l’emploi de la force antérieur à cette date. La RFY semble même
dire que ce différend ne serait en fait né qu’une fois survenus les événements postérieurs au
10 juin 1999.
153Mémoire, par. 3.2.11.
154Mémoire, par. 3.2.14. - 40 -
66 4.45. Voilà un argument extraordinaire. Pris tel quel, il signifie qu’aucun différend n’était né
en réalité au moment où la RFY déposa sa requête introductive d’instance ni même à la date à
laquelle la Cour rendit son ordonnance du 2 juin 1999. Voilà qui s’oppose nettement à ce que dit la
155
requête et aux arguments présentés par la RFY au stade des mesures conservatoires . Cela
signifie aussi qu’un différend, dont la RFY dit dans sa requête et dans son mémoire (et la Cour
dans l’intitulé de l’affaire) que c’est un différend relatif à la «licéité de l’emploi de la force», ne
serait né, dit aujourd’hui la RFY, qu’une fois que l’emploi de la force a cessé.
4.46. En outre, cet argument ne tient absolument aucun compte de l’effet de la
résolution 1244 (1999) du Conseil de sécurité. L’action menée par le Royaume-Uni avant
l’adoption de cette résolution fut considérée comme faisant partie d’une opération de l’OTAN. Les
opérations menées par la KFOR depuis le 10 juin 1999 sont conduites dans le cadre d’un mandat 156
précis du Conseil de sécurité. La KFOR compte actuellement trente-neuf Etats participants . La
KFOR est présente au Kosovo à la suite d’une décision obligatoire adoptée par le Conseil de
sécurité au titre du chapitre VII de la Charte. Sa présence a également été acceptée par le
Gouvernement de la RFY. Les griefs visant la KFOR qui sont exposés dans le mémoire de la RFY
figurent à part et sont distincts du différend relatif aux opérations qui ont eu lieu entre le 24 mars et
le 10 juin 1999. Par conséquent, si ces griefs devaient donner naissance à un différend entre la
RFY et le Royaume-Uni, il s’agirait d’un tout autre différend de celui qui est décrit dans la requête
et cela ne saurait avoir pour effet de modifier la date à laquelle le premier différend est né.
67 4.47. Pour les motifs qui sont exposés ci-après dans la sixième partie, la RFY ne peut pas
ajouter ce qui est, en substance, un différend totalement nouveau qui transformerait la nature des
questions soumises à la Cour. En outre, une requête introduite contre le Royaume-Uni au sujet des
activités de la KFOR et de la MINUK serait irrecevable car elle placerait au cŒur même du
différend les droits et les obligations d’Etats tiers qui ne sont pas parties à l’affaire et de
l’Organisation des Nations Unies.
*
* *
4.48. Pour tous les motifs ci-dessus, le Royaume-Uni dit que la déclaration faite par le
Royaume-Uni au titre du paragraphe 2 de l’article 36 du Statut et la déclaration que la RFY a
prétendu avoir faite au titre de la même disposition ne peuvent offrir en l’espèce une base de
compétence à la Cour.
155Le mémoire lui-même contient des déclarations contradictoires sur ce point. Au paragraphe 3.2.16, il est dit
que le «différend a surgi lors des débats tenus au cours des séances des 24 et 26 mars 1999 du Conseil de sécurité...
Cependant, après le 10 juin 1999, il s’est élevé de nouvelles controverses à la suite de l’emploi illicite de la force,
lesquelles sont devenues des éléments nouveaux du différend.» La conclusion du passage est que le différend est par
conséquent né après le 25 avril 1999. Cette conclusion est formulée non sequitur sans qu’on cherche du tout dans le
mémoire à l’expliquer.
156
Voir le paragraphe 2.29 ci-dessus. - 41 -
68 CINQUIEME PARTIE
L’ ARTICLE IX DE LA CONVENTION SUR LE GENOCIDE NE CONFERE PAS
COMPETENCE RATIONE MATERIAE EN L ’ESPECE
5.1. En dehors du paragraphe 2 de l’article 36 du Statut, la seule base de compétence
invoquée dans la requête et le mémoire de la RFY est l’article IX de la convention sur le génocide
qui s’énonce comme suit :
«Les différends entre les Parties contractantes relatifs à l’interprétation,
l’application ou l’exécution de la présente convention, y compris ceux relatifs à la
responsabilité d’un Etat en matière de génocide ou de l’un quelconque des autres actes
énumérés à l’article III, seront soumis à la Cour internationale de Justice, à la requête
d’une partie au différend.»
5.2. Même si, contrairement à l’argumentation exposée dans la troisième partie ci-dessus, la
Cour était compétente ratione personae, sa compétence ratione materiae au titre de l’article IX
serait limitée aux différends «relatifs à l’interprétation, l’application ou l’exécution» de la
convention sur le génocide qui pourraient surgir entre le Royaume-Uni et la RFY. Cette
compétence conférée par l’article IX ne s’étendrait pas aux différends concernant la violation
alléguée d’autres règles de droit international, telles que les dispositions de la Charte des
Nations Unies relatives à l’emploi de la force et celles des conventions de Genève relatives à la
157
conduite des conflits armés ainsi que de leurs protocoles additionnels de 1977 .
69 5.3. Cependant, il ressort clairement de la requête et du mémoire que la convention sur le
génocide n’est pas l’objet de l’espèce. Dans la lettre adressée par le ministre fédéral des affaires
étrangères de la RFY au président de la Cour qui est jointe à la requête, l’affaire est décrite comme
«concernant une violation de l’obligation de ne pas recourir à l’emploi de la force» 15. Dans la
suite de la requête il est demandé alors à la Cour de dire et juger que le Royaume-Uni a violé son
obligation de ne pas recourir à l’emploi de la force, son obligation de ne pas s’immiscer dans les
affaires d’un autre Etat, diverses obligations relevant du droit des conflits armés, les dispositions du
droit de l’environnement et celle des normes en matière de droits de l’homme, de droits
économiques et de droits sociaux, ainsi que son obligation de respecter la liberté de navigation sur
les cours d’eau internationaux. Il est ajouté une allégation selon laquelle le Royaume-Uni aurait
159
violé la convention sur le génocide presque comme pour rattraper un oubli . Le mémoire se
concentre de la même façon sur des allégations de violations d’autres règles que celles énoncées
dans la convention sur le génocide 160.
157Voir l’ordonnance rendue par la Cour le 13 septembre 1993 concernant la demande en indication de mesures
conservatoires dans l’affaire relative à l’Application de la convention pour la prévention et la répression du crime de
génocide (Bosnie-Herzégovine c. Yougoslavie), C.I.J. Recueil 1993, p. 325, par. 36 et suiv., et la décision rendue par la
Cour au stade des exceptions préliminaires de la présente affaire, C.I.J. Recueil 1996, p. 595, par. 37 et suiv. Voir
également l’opinion individuelle du juge ad hoc sir Elihu Lauterpacht :
«La Cour ne peut connaître d’une affaire que si les parties, tant le demandeur que le [défendeur],
lui ont conféré cette compétence en exprimant volontairement leur consentement d’une façon ou d’une
autre… Quelle que soit la forme sous laquelle le consentement s’exprime, la Cour n’est habilitée à
connaître que des matières couvertes par ce consentement.» (C.I.J. Recueil 1993, p. 412.)
158Lettre datée du 26 avril 1999; deuxième partie des documents comprenant la requête.
159
Requête, troisième partie, «Demandes»; voir également la section intitulée «Fondements juridiques des
demandes».
160Voir, par exemple, les conclusions, p. 351-352. - 42 -
5.4. Il s’ensuit que la plupart des griefs exposés par la RFY dans sa requête et dans son
mémoire ne sauraient, sur aucun fondement, être portés devant l’une quelconque des juridictions
qui seraient compétentes au titre de l’article IX de la convention sur le génocide. Seule une très
faible partie des demandes de la RFY est ne serait-ce que susceptible d’être portée devant une
quelconque juridiction fondant sa compétence sur l’article IX.
5.5. En réalité, aucune des demandes ne tombe toutefois dans le champ d’application de
l’article IX. Pour que la Cour ait compétence au titre de cet article en ce qui concerne une partie
quelconque de la présente affaire, il ne suffit pas que la RFY observe que la convention sur le
70 génocide est en vigueur entre elle-même et le Royaume-Uni et d’alléguer que le Royaume-Uni
aurait violé la convention.
5.6. Comme la Cour l’a dit dans l’affaire des Plates-formes pétrolières dans laquelle l’Etat
demandeur cherchait à établir la compétence de la Cour sur une disposition d’un traité qui ne
confère cette compétence que pour les seuls différends portant sur l’interprétation ou l’application
de ce traité, la Cour «ne peut se borner à constater que l’une des Parties soutient qu’il existe un tel
différend et que l’autre le nie». La Cour doit plutôt, même au stade des exceptions préliminaires,
«rechercher si les violations du traité … entrent ou non dans les prévisions de ce traité et si, par
suite, le différend est de ceux dont la Cour est compétente pour connaître ratione materiae par
application [de ce traité]» 161. La Cour a appliqué le même principe dans l’affaire de l’Application
162
de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide .
5.7. Dans son ordonnance du 2 juin 1999 en la présente affaire, la Cour a dit :
«à l’effet d’établir, même prima facie, si un différend au sens de l’article IX de la
convention sur le génocide existe, la Cour ne peut se borner à constater que l’une des
parties soutient que la convention s’applique alors que l’autre le nie; et que, au cas
particulier, elle doit rechercher si les violations de la convention alléguées par la
Yougoslavie sont susceptibles d’entrer dans les prévisions de cet instrument et si, par
suite, le différend est de ceux dont la Cour pourrait avoir compétence pour connaître
ratione materiae par application de l’article IX» 163.
5.8. La Cour conclut que, prima facie, la conduite évoquée par la RFY ne répondait pas à
cette condition p164e qu’elle était dépourvue de l’élément d’intentionnalité exigé par la convention
71 sur le génocide et que, par conséquent, l’article IX ne constituait pas prima facie une base de
compétence de la Cour.
5.9. Alors que le test à satisfaire, au stade des mesures conservatoires d’une affaire, consiste
à établir s’il existe une base de compétence prima facie, la jurisprudence de la Cour, en particulier
l’affaire des Plates-formes pétrolières, montre clairement que cette preuve ne suffit pas au stade
161
Plates-formes pétrolières (République islamique d’Iran c. Etats-Unis d’Amérique), exception préliminaire,
arrêt, C.I.J. Recueil 1996 (II), p. 810, par. 16.
162Application de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Bosnie-Herzégovine c.
Yougoslavie), exceptions préliminaires, C.I.J. Recueil 1996, p. 595, par. 30.
163Ordonnance du 2 juin 1999, par. 33.
164
Ibid., par. 35. - 43 -
des exceptions préliminaires. A ce stade le demandeur doit démontrer que la Cour est
compétente et non pas qu’elle l’est peut-être. Il faut analyser de façon détaillée les prétentions
165
du demandeur et le traité sur lequel ce dernier veut fonder la compétence .
5.10. Les dispositions dont il s’agit sont bien connues, mais il convient de rappeler
exactement les critères requis pour qu’une conduite relève du champ d’application de la convention
sur le génocide. L’article II de la convention dispose :
«Dans la présente convention, le génocide s’entend de l’un quelconque des actes
ci-après, commis dans l’intention de détruire, en tout ou en partie, un groupe
national, ethnique, racial ou religieux, comme tel :
a) meurtre de membres du groupe;
b) atteinte grave à l’intégrité physique ou mentale de membres du groupe;
c) soumission intentionnelle du groupe à des conditions d’existence devant entraîner
sa destruction physique totale ou partielle;
d) mesures visant à entraver les naissances au sein du groupe;
166
72 e) transfert forcé d’enfants du groupe à un autre groupe.»
5.11. Il est manifeste que la convention vise un comportement totalement différent de celui
qui est forcément adopté pour l’organisation d’opérations militaires et que, ainsi que la Cour l’a
jugé dans la présente affaire, «le recours ou la menace du recours à l’emploi de la force contre un
Etat ne sau167ent en soi constituer un acte de génocide au sens de l’article II de la convention sur le
génocide» . Cette limitation découle inévitablement des origines et de l’objectif de cette
convention. Ainsi que la Cour l’a affirmé dans son avis consultatif sur les Réserves à la convention
sur le génocide :
«Les origines de la convention révèlent l’intention des Nations Unies de
condamner et de réprimer le génocide comme «un crime de droit des gens» impliquant
le refus du droit à l’existence de groupes humains entiers, refus qui bouleverse la
conscience humaine, inflige de grandes pertes à l’humanité, et qui est contraire à la
fois à la morale et à l’esprit et aux fins des Nations Unies (résolution 96 (I) de
l’Assemblée générale, 11 décembre 1946).» 168
5.12. Par conséquent, ce qui distingue le génocide de tous les autres exemples d’emploi de la
force, emploi qui constitue une caractéristique incontournable de tout conflit armé, c’est la
présence obligatoire d’une intention spécifique ou spéciale de détruire en tout ou en partie un
groupe national, ethnique, racial ou religieux comme tel. C’est la présence de cette intention que,
165
Opinion individuelle de Mme le juge Higgins dans l’affaire des Plates-formes pétrolières, C.I.J. Recueil 1996,
p. 855, par. 29.
166Annexe 1; les italiques sont de nous.
167Ordonnance du 2 juin 1999, par. 35.
168
C.I.J. Recueil 1951, p. 15, par. 23. - 44 -
dans l’affaire de l’Application de la convention pour la prévention et la répression du crime de
génocide, la169ur a qualifiée de «caractéristique essentielle» du génocide aux termes de la
convention .
73 5.13. L’importance de cet élément d’intention spéciale a également été soulignée par la
jurisprudence des tribunaux pénaux internationaux pour le Rwanda et pour l’ex-Yougoslavie (dont
le statut respectif incorpore chaque fois les dispositions de l’article II de la convention sur le
170
génocide) . Ainsi, le Tribunal pénal international pour le Rwanda a, dans l’affaire Le Procureur
c. Akayesu, jugé que :
«Le génocide se distingue d’autres crimes en ce qu’il comporte un dol spécial,
ou dolus specialis. Le dol spécial d’un crime est l’intention précise, requise comme
élément constitutif du crime, qui exige que le criminel ait nettement cherché à
provoquer le résultat incriminé. Dès lors, le dol spécial du crime de génocide réside
dans «l’intention de détruire, en tout ou en partie, un groupe national, ethnique, racial
ou religieux, comme tel».» 171
Ainsi que le tribunal l’explique dans une autre partie du jugement :
«Concrètement, pour que l’un quelconque des actes incriminés au paragraphe 2
de l’article 2 du Statut soit constitutif de génocide, il doit avoir été commis à
l’encontre d’un ou de plusieurs individus, parce que ce ou ces individus étaient
membres d’un groupe spécifique et en raison même de leur appartenance à ce groupe.
Aussi, la victime de l’acte est choisie non pas en fonction de son identité individuelle,
mais bien en raison de son appartenance nationale, ethnique, raciale ou religieuse. La
victime de l’acte est donc un membre du groupe, choisi en tant que tel, ce qui signifie
finalement que la victime du crime de génocide est le groupe lui-même et non pas
seulement l’individu.
La perpétration de l’acte incriminé dépasse alors sa simple réalisation
matérielle, par exemple le meurtre d’un individu particulier, pour s’insérer dans la
réalisation d’un dessein ultérieur, qui est la destruction totale ou partielle du groupe
dont l’individu n’est qu’une composante.» 172
5.14. De même, dans l’affaire Le Procureur c. Kayishema, le Tribunal pénal international
74
pour le Rwanda estime que : «L’élément particulier qui caractérise le crime de génocide, c’est
l’intention spécifique ou dolus specialis, de détruire un groupe en tout ou en partie… C’est cette
intention spécifique qui distingue le crime de génocide d’un crime de droit commun comme le
meurtre.» 173
169Application de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Bosnie-Herzégovine c.
Yougoslavie), mesures conservatoires, C.I.J. Recueil 1993, p. 325, par. 42.
170Statut du Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie, art. 4 (Nations Unies, doc. S/25704 (1993));
statut du Tribunal pénal international pour le Rwanda, art. 2 (résolution 955 (1994) du Conseil de sécurité).
171Le Procureur c. Akayesu, affaire n° ICTR-96-4 (2 septembre 1998), par. 498. Voir également Le Procureur c.
Kambanda, affaire n° ICTR-97-23 (4 septembre 1998), par. 16.
172
Ibid., par. 521-522.
173Le Procureur c. Kayishema et Ruzindana, affaire ICTR-95-1 et 96-10 (21 mai 1999), par. 91. - 45 -
5.15. Le Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie adopte la même approche. En
acquittant Goran Jelisic du crime de génocide, la Chambre de première instance a dit ceci :
«C’est, en effet, l’élément moral qui confère au génocide sa spécificité et le
distingue du crime de droit commun et des autres crimes du droit international
humanitaire : le ou les crime(s) sous-jacent(s) doi(ven)t être qualifié(s) de génocide
s’ils ont été commis dans l’intention de détruire, en tout ou en partie, un groupe
national, ethnique, racial ou religieux comme tel. Autrement dit, «[l]’acte prohibé doit
être commis en raison de l’appartenance de la victime à un certain groupe et à titre de
mesure concourant à la réalisation de l’objectif global de destruction du groupe.»
Deux éléments peuvent donc être dégagés de cette intention spéciale :
celle-ci suppose, d’une part, que les victimes appartiennent à un groupe identifié;
d’autre part, l’auteur présumé doit inscrire son acte dans un projet plus vaste de
174
destruction du groupe comme tel.»
et la Chambre dit aussi :
«Outre son caractère discriminatoire, l’acte criminel sous-jacent se caractérise
par le fait qu’il s’inscrit dans un projet plus vaste visant à détruire, en tout ou en
partie, le groupe comme tel. Comme l’indiquait la CDI, «l’intention doit être de
détruire le groupe «comme tel», c’est-à-dire comme entité séparée distincte, et non
75 simplement quelques individus en raison de leur appartenance à ce groupe». En tuant
l’individu membre du groupe visé, l’auteur n’exprime donc pas seulement sa haine
pour le groupe auquel sa victime appartient, mais il inscrit cet acte, en conscience,
dans une volonté plus large visant à détruire175 groupe national ethnique racial ou
religieux dont cette victime est membre.»
5.16. C’est l’existence d’une telle intention que la RFY doit établir si elle veut faire tomber
une quelconque partie de la présente affaire dans le champ d’application de la convention et établir
ainsi la compétence de la Cour au titre de l’article IX. Dans son ordonnance du 2 juin 1999, la
Cour a conclu que la RFY n’était pas parvenue, même pas prima facie, à remplir cette condition.
Dans son mémoire, la RFY prétend qu’elle a désormais présenté suffisamment d’éléments de
preuve pour faire tomber 176ffaire dans le champ d’application de l’article IX et établir par suite la
compétence de la Cour . En fait, elle a remarquablement manqué son but.
5.17. En réalité, la RFY examine à peine la question dans son mémoire. Présentant une
argumentation de plus de trois cent cinquante pages, la RFY en consacre deux à ce qu’elle décrit
comme des «faits liés à l’existence d’une volonté de commettre un génocide» 177. Dans la partie
consacrée à l’exposé du droit, le mémoire contient moins d’une page relative à la convention et ne
178
fait rien de plus que de citer le texte des articles I, II et IX . Dans la partie consacrée aux
questions relatives à la compétence, la RFY offre deux pages et demie de citations de l’ordonnance
du 2 juin 1999 en l’affaire Yougoslavie c. Belgique puis soutient simplement qu’elle a ainsi fourni
les éléments de preuve nécessaires.
174Le Procureur c. Jesilic, IT-95-10 (14 décembre 1999), par. 66, citant le projet de code des crimes contre la
paix et la sécurité de l’humanité de la Commission du droit international, Nations Unies, doc. A/51/10 (1996), p. 88.
175
Ibid., par. 79.
176Mémoire, par. 3.4.3.
177Mémoire, p. 282-284.
178
Mémoire, p. 326. - 46 -
5.18. La RFY omet soigneusement de désigner le «groupe national, ethnique, racial ou
76 religieux» qu’elle accuse le Royaume-Uni d’avoir l’intention de détruire. Dans certains passages,
la RFY semble donner à entendre que le groupe en question serait constitué des habitants de la
RFY dans son ensemble 17. Dans certains autres, elle semble toutefois dire que le groupe en
180
question est le groupe ethnique ou racial serbe .
5.19. Qui plus est, dans son mémoire, la RFY ne va même pas jusqu’à tenter d’identifier
l’existence éventuelle des éléments constitutifs du crime de génocide. Ni dans sa requête, ni dans
son mémoire, ni dans ses plaidoiries devant la Cour lors des audiences sur sa demande en
indication de mesures conservatoires, la RFY n’est parvenue à apporter ne serait-ce qu’un début de
preuve de l’intention de commettre un génocide de la part du Royaume-Uni. Celui-ci n’a jamais eu
la moindre intention de détruire «un groupe national, ethnique, racial ou religieux comme tel», quel
qu’il soit, sur le territoire de la RFY. Au contraire, le Royaume-Uni a fait savoir à maintes reprises
qu’il n’avait pas l’intention d’attaquer, moins encore de détruire, la population civile d’une région
quelconque de la RFY mais qu’il avait l’intention d’employer la force dans les conditions
minimales requises pour éviter une immense catastrophe humanitaire.
5.20. La RFY n’invoque aucune déclaration de quelque sorte que ce soit qui donne ne fût-ce
qu’un indice permettant de dire que le Royaume-Uni a eu l’intention requise pour étayer une
accusation de génocide. La RFY s’appuie plutôt, dans son mémoire, sur des déductions qu’elle
invite la Cour à tirer de certaines actions qu’elle n’essaie pas même de rattacher au Royaume-Uni.
Le Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie statuant en l’affaire Le Procureur c. Jelisic
établit clairement que «l’intention nécessaire à la commission du crime de génocide ne peut se
présumer, même dans le cas où un groupe se trouve menacé, au moins en partie, dans son
existence» 181. Lorsque l’intention est déduite, c’est à partir d’éléments de preuve manifestes
«d’une ligne de conduite délibérée» , laquelle établit clairement l’existence d’une telle
77 183
intention .
5.21. Le seul élément à partir duquel la RFY dit qu’il est possible en l’espèce de déduire une
telle intention correspond à l’utilisation de munitions à base d’uranium appauvri et aux attaques
visant des usines d’industrie chimique, surtout à Pancevo 184. Hormis ces deux allégations, il n’est
proposé aucun élément autorisant la Cour à en déduire que le Royaume-Uni a eu l’intention de
commettre le crime que le droit international considère comme le plus abominable. Aucun élément
ne parvient, fût-ce de loin, à corroborer les déductions que la RFY invite la Cour à en tirer.
5.22. En ce qui concerne l’utilisation de munitions à base d’uranium appauvri au cours de la
campagne aérienne, la RFY ne formule dans son mémoire aucune allégation précise pour accuser
l’un quelconque des défendeurs de s’être servi de munitions de ce type, et, pour ce qui concerne le
Royaume-Uni, l’allégation ne serait pas crédible. Le Royaume-Uni n’a pas utilisé de munitions à
base d’uranium appauvri au cours du conflit.
179
Mémoire, p. 352. Voir également M. Brownlie, Q.C., CR 99/25, p. 14.
180
Mémoire, par. 1.6.1.3.
181Le Procureur c. Jesilic, affaire IT-95-10 (14 décembre 1999), par. 78.
182Le Procureur c. Kayishema et Ruzindana, affaire ICTR-95-1 et 96-10 (21 mai 1999), par. 93.
183
Le Procureur c. Akayesu, affaire ICTR-96-4 (2 septembre 1998). Les commentaires du Tribunal pénal
international pour l’ex-Yougoslavie dans l’affaire Le Procureur c. Nikolic (art. 61), ILR, vol. 108, p. 21, par. 34 et Le
Procureur c. Karadzic et Mladic (art. 61), ILR, vol. 108, p. 85, par. 94 adoptent une approche similaire.
184Mémoire, sect. 1.6. - 47 -
5.23. La RFY soutient que les caractéristiques de ces munitions sont telles que l’intention de
détruire un groupe comme tel peut être déduite du simple fait qu’elles soient utilisées . La RFY
se fonde notamment sur ce qu’elle prétend être les effets à long terme de ces munitions.
5.24. L’argument n’est pas valable. Une munition à base d’uranium appauvri n’est pas une
arme de destruction massive. Elle est utilisée parce qu’une rafale de balles à base d’uranium
78 appauvri peut perforer les blindages et d’autres boucliers de protection. L’uranium appauvri a un
niveau de toxicité chimique voisin de celui d’autres métaux lourds tels que le plomb et les risques
qu’il fait courir à la santé des personnes exposées sont considérés comme très faibles. Son emploi
n’est interdit par aucune convention internationale et le Comité international de protection
radiologique ne fait pas figurer les minutions à base d’uranium appauvri sur la liste des armes
dangereuses pour la santé. Il est absurde de donner à entendre qu’une intention de commettre un
génocide puisse être déduite du simple emploi de telles munitions.
5.25. La Cour a déjà rejeté dans son avis consultatif sur la Licéité de la menace ou de
l’emploi d’armes nucléaires un argument du même ordre selon lequel l’élément d’intentionnalité
indispensable à l’établissement du génocide peut être déduit du fait qu’un Etat utilise une certaine
arme. La Cour dit alors :
«Il a été soutenu devant la Cour que le nombre de morts que causerait l’emploi
d’armes nucléaires serait énorme; que l’on pourrait, dans certains cas, compter parmi
les victimes des membres d’un groupe national, ethnique, racial ou religieux; et que
l’intention de détruire de tels groupes pourrait être inférée du fait que l’utilisateur de
l’arme nucléaire aurait omis de tenir compte des effets bien connus de l’emploi de ces
armes.» 186
La Cour rejeta toutefois l’idée qu’il soit possible de conclure à l’intention de détruire un tel groupe
du simple fait qu’une arme nucléaire ait été utilisée et a dit ceci :
«l’interdiction du génocide serait une règle pertinente en l’occurrence s’il était établi
que le recours aux armes nucléaires comporte effectivement l’élément
d’intentionnalité, dirigé contre un groupe comme tel, que requiert la disposition
sus-citée. Or, de l’avis de la Cour, il ne serait possible de parvenir à une telle
conclusion qu’après avoir pris dûment en considération les circonstances propres à
chaque cas d’espèce.» 187
79 5.26. Puisque, ainsi que la Cour l’a dit, l’emploi d’armes nucléaires n’implique pas
nécessairement que celui qui y a recours a l’intention de détruire un groupe comme tel, il en va de
même a fortiori pour l’emploi de munitions à base d’uranium appauvri. Même si l’on s’en tient
aux éléments de fait très limités dont la RFY fait état, il est clair que les munitions à base
d’uranium appauvri sont beaucoup moins destructrices que les armes nucléaires.
185
Mémoire, par. 1.6.1.4.
186C.I.J. Recueil 1996, p. 226, par. 26.
187Ibid., par. 26; les italiques sont de nous. - 48 -
5.27. En ce qui concerne les attaques contre les usines chimiques, il est dit dans le mémoire
de la RFY que :
«1.6.1.2. La volonté de génocide des individus responsables des frappes
aériennes contre l’industrie chimique yougoslave ressort clairement de la destruction
des usines de Pancevo. Dans cette localité en effet, la forte concentration
géographique des installations crée déjà un grand danger pour le cas où elles seraient
endommagées ou détruites. En outre, les trois usines furent, dès les premières frappes,
totalement mises hors d’état de poursuivre leur activité de production. Les
responsables des raids savaient certainement ce qu’ils faisaient car dès l’attaque
initiale on a visé des parties vitales de l’installation qui étaient indispensables à la
production.
1.6.1.3. Par conséquent, si le but était d’interrompre la production dans ces
usines, cet objectif fut totalement atteint dès les premières attaques. Pourquoi, dans
ces conditions, lancer de nouveaux raids dévastateurs ? La seule réponse possible est
que les individus responsables étaient animés d’une intention de génocide et que, pour
perpétrer un génocide, ils ont continué à lancer des frappes aériennes contre les usines
chimiques, afin d’exposer un grand nombre d’habitants de la Yougoslavie à une
destruction de grande envergure. Comme nous l’avons déjà soigneusement démontré,
ce sont principalement les Serbes qu’ils entendaient quand ils parlaient de «la
188
population de la Yougoslavie».»
5.28. L’argument ainsi avancé dans le mémoire est pour le moins faible. Il n’est donné ici
80
aucune indication, ni ailleurs dans le mémoire, sur des pertes massives en vies humaines résultant
des attaques ultérieures contre les usines de Pancevo. L’utilité militaire des usines chimiques est
telle qu’elles peuvent constituer un objectif militaire légitime au regard du droit international
humanitaire et qu’elles sont de fait régulièrement attaquées dans les conflits modernes. Le
mémoire se borne à affirmer que «les responsables des défendeurs auraient dû savoir que les
189
frappes dirigées contre de telles installations feraient courir des risques accrus à la population» .
L’allégation selon laquelle quelqu’un aurait dû savoir qu’une certaine attaque était associée à un
risque de dommages collatéraux est bien loin de constituer la preuve que l’intéressé, ou tout autre
individu, avait l’intention de détruire un groupe national ou racial comme tel. Il n’y a rien qui
permette de déduire qu’une attaque dirigée contre une telle cible est nécessairement menée dans
l’intention de détruire un tel groupe.
5.29. Le mémoire énonce toutefois l’idée que les attaques dirigées ultérieurement contre ces
installations étaient motivées par une telle intention au motif que de telles attaques ne pouvaient
offrir aucun avantage militaire. Les comptes rendus des derniers raids aériens sur Pancevo qui
figurent dans le mémoire ne corroborent toutefois pas l’affirmation selon laquelle il n’y avait plus
aucune cible de valeur militaire à attaquer, et permettent encore moins de soutenir que ceux qui ont
ordonné les attaques savaient que tel était le cas et toujours encore moins de prétendre que lesdits
responsables avaient l’intention de détruire un groupe national ou racial comme tel. Il est tout
bonnement fantaisiste de dire que l’intention spéciale, qui est un élément essentiel du génocide,
peut se déduire de l’emploi de munitions à base d’uranium appauvri ou des attaques lancées contre
Pancevo.
188
En italique dans l’original.
189Mémoire, par. 1.6.1.1; les italiques sont de nous. - 49 -
5.30. De plus, pour apprécier la thèse de la RFY quand elle dit qu’il est possible de conclure
à l’intention de commettre un génocide à partir de l’emploi de munitions à base d’uranium
appauvri et des attaques lancées contre Pancevo même si cette affirmation était le moins du
monde crédible en soi il faut prendre en considération d’autres éléments de preuve relatifs aux
intentions de ceux qui ont ordonné ces attaques sur la RFY. Ainsi que nous l’avons dit ci-dessus,
loin de vouloir détruire la nation yougoslave ou les Serbes, le Royaume-Uni et les autres Etats
81 membres de l’OTAN avaient l’intention, à maintes reprises réaffirmée, de réaliser un nombre limité
d’objectifs afin de faire cesser les atrocités perpétrées par la RFY au Kosovo et d’assurer le retour
en toute sécurité des réfugiés, tout en causant le moins de dommages possibles à la population
civile de la RFY. Ces déclarations, les précautions prises pour éviter les pertes civiles, voire le
nombre (non vérifié) des morts et des blessés qui sont indiqués dans le mémoire, contredisent tous
l’allégation 190on laquelle le Royaume-Uni était animé de l’intention spéciale requise par le crime
de génocide .
5.31. Bien qu’il soit dit au paragraphe 3.4.3 du mémoire que la RFY a désormais apporté la
preuve de l’existence d’une intention de commettre un génocide au cours de la campagne aérienne,
ce qu’elle n’avait pu faire au stade des mesures conservatoires, la RFY avait, en réalité, lors de la
procédure orale de mai 1999, défendu exactement la même thèse à savoir qu’il était possible de
conclure à l’intention exigée par la convention sur le génocide à partir des attaques dirigées contre
191
les usines chimiques et de l’emploi de munitions à base d’uranium appauvri . La thèse est aussi
faible aujourd’hui que la Cour l’a estimé à ce moment-là.
5.32. Le seul élément nouveau figurant dans cette thèse de la RFY relative à la convention
sur le génocide est qu’elle dit dans le mémoire que le Royaume-Uni est responsable d’une violation
de la convention qui, d’après la RFY, aurait été commise après l’entrée des troupes de la KFOR au
Kosovo conformément aux dispositions de la résolution 1244 (1999) du Conseil de sécurité.
82 D’après le mémoire, le Royaume-Uni serait responsable, soit parce qu’il serait complice de l’ALK,
soit pour n’avoir pas pris les mesures voulues pour empêcher les attaques contre la population
non-albanaise du Kosovo depuis le 10 juin 1999.
5.33. Pour les raisons évoquées dans la sixième partie des présentes exceptions préliminaires,
le Royaume-Uni soutient que cet argument nouveau est irrecevable. Et même si tel n’était pas le
cas, le Royaume-Uni prétend que cet élément ne relève pas de la compétence que la Cour tient de
l’article IX de la convention sur le génocide.
5.34. Les allégations formulées dans le mémoire travestissent la vérité. La violence qui était
dirigée contre les Serbes et les autres non-Albanais du Kosovo est la conséquence directe des
atrocités perpétrées par la RFY contre la majorité albanaise du Kosovo avant l’adoption de la
résolution 1244 (1999) du Conseil de sécurité. La KFOR et la MINUK, dont les activités ne
192
sauraient être séparées en ce qui concerne cette question , ont constamment condamné toutes les
violences ethniques au Kosovo et ont fait tout en leur pouvoir pour empêcher ces violences depuis
qu’elles sont entrées au Kosovo en application de la résolution 1244 (1999) du Conseil de sécurité.
190
Il convient de signaler que le procureur du TPIY est parvenu à la conclusion que, en ce qui concerne les
crimes relevant de la compétence du tribunal, il n’était pas justifié d’ouvrir une enquête au sujet d’aucune des allégations
ou d’autres incidents liés aux bombardements de l’OTAN (voir par. 1.10 ci-dessus et annexe 3). Au nombre de ces
crimes figure le génocide (article 4 du statut du Tribunal, Nations Unies, doc. S/25704).
19CR 99/14, p. 30, par. 4.1 et suiv.
192
Voir par. 2.25-2.37 ci-dessus et par. 6.23-6.27 ci-dessous. - 50 -
5.35. Loin de «fermer les yeux» sur les attaques perpétrées par l’ALK contre les habitants
serbes du Kosovo, la KFOR et la MI193 ont à maintes reprises appelé tous les groupes à mettre
un terme aux actes de violence . Des mesures ont été prises pour désarmer l’ALK et tous les
autres groupes .94
5.36. De plus, le personnel militaire de la KFOR et la police civile de la MINUK ont pris des
mesures de grande portée pour protéger la minorité serbe et les autres minorités non-albanaises au
Kosovo, par exemple en postant des soldats dans des immeubles d’habitation afin d’assurer une
protection continue 19. Il ne s’agit pas là d’actes de personnes qui «ferment les yeux» sur les
83 violences ethniques et encore moins ceux de personnes qui y participent activement ou qui les
encouragent. Le contraste avec le comportement des forces militaires, paramilitaires et policières
de la RFY au Kosovo jusqu’au 10 juin 1999 (pour lequel le procureur du TPIY a mis en accusation
196
le président Milosevic et d’autres responsables de la RFY) ne pourrait être plus marqué.
5.37. Il est vrai que ces mesures n’ont pas empêché toutes les attaques lancées contre les
habitants serbes du Kosovo. Le Royaume-Uni regrette profondément que ses tentatives en vue de
protéger les non-Albanais dans les régions du Kosovo où ses troupes sont stationnées n’aient pas
toujours été couronnées de succès. De nombreux signes indiquent toutefois que le respect de la
sécurité et de l’ordre public est nettement meilleur dans la province et le Royaume-Uni fait tout ce
qui est en son pouvoir pour assurer la sécurité de tous les habitants du Kosovo.
5.38. De plus, même si, à seule fin d’en débattre, on devait considérer que les attaques
perpétrées contre les non-Albanais depuis le 10 juin 1999 constituent un génocide de la part de
leurs auteurs (ce que nous n’admettons pas), le fait que la KFOR et que la MINUK furent
incapables d’empêcher ces attaques malgré leurs efforts en ce sens ne constitue même pas un
commencement de preuve établissant que le Royaume-Uni ou tout autre Etat participant à la KFOR
a violé la convention sur le génocide.
5.39. Le génocide est le crime le plus abominable qui soit connu en droit international ou, du
reste, en n’importe quel autre type de droit. Il est clairement distinct des violations du droit relatif
au recours à la force ou de celles du droit des conflits armés. Que la RFY veuille fonder la
compétence de la Cour en l’espèce sur la convention sur le génocide est totalement injustifié et
constitue un abus cynique du droit de s’adresser à la Cour. En réalité, la RFY essaie d’utiliser la
convention sur le génocide comme un moyen commode de présenter à la Cour des allégations
84 n’ayant aucun lien authentique avec cette convention. Ce faisant, elle banalise un traité dont
l’importance a toujours été reconnue par la Cour et par la communauté internationale dans son
ensemble.
193
Voir l’annexe 20 et les documents des Nations Unies S/1999/767; S/1999/779 et S/1999/868.
19Voir par. 2.25-2.36 ci-dessus.
19Voir, par exemple, la déclaration commune du représentant spécial du Secrétaire général et du commandant de
la KFOR (annexe 20) ainsi que les autres rapports examinés ci-dessus, par. 2-31-2.37.
196
Voir par. 2.23 ci-dessus. - 51 -
85 SIXIEME PARTIE
L ES DEMANDES SONT IRRECEVABLES
6.1. En plus de ses objections à la compétence de la Cour, qui ont été exposées dans les
parties 3 à 5 ci-dessus, le Royaume-Uni soutient également que les demandes formulées par la RFY
dans son mémoire sont irrecevables. Cette irrecevabilité découle des considérations suivantes :
1) la demande formulée par la RFY dans son mémoire au sujet du délai écoulé depuis l’adoption
de la résolution 1244 (1999) du Conseil de sécurité le 10 juin 1999 est irrecevable en ce qu’il
s’agit d’une demande entièrement nouvelle qui, si elle était retenue par la Cour, modifierait la
nature du différend porté devant la Cour (par. 6.2-6.8);
2) la demande relative à la période allant du 24 mars au 10 juin 1999 est irrecevable parce que les
intérêts juridiques d’Etats tiers qui ne sont pas devant la Cour (ni en l’espèce ni dans le cadre
d’autres procédures introduites par la RFY) seraient le principal objet de la décision réclamée
par la RFY (par. 6.9-6.22);
3) la demande formulée par la RFY dans son mémoire au sujet du délai écoulé depuis l’adoption
de la résolution 1244 (1999) du Conseil de sécurité le 10 juin 1999 est irrecevable parce que les
intérêts juridiques d’Etats tiers et de l’Organisation des Nations Unies constitueraient l’objet
même de la décision réclamée par la RFY (par. 6.23-6.27); et
4) la RFY n’a pas agi de bonne foi (par. 6.28-6.40).
Chacun de ces points va être examiné successivement.
86 1. La demande formulée par la RFY dans son mémoire au sujet du délai écoulé depuis
l’adoption de la résolution 1244 (1999) du Conseil de sécurité le 10 juin 1999
est irrecevable en ce qu’il s’agit d’une demande entièrement nouvelle qui,
si elle était retenue par la Cour, modifierait la nature du différend
porté devant la Cour
6.2. Le paragraphe 1 de l’article 40 du Statut de la Cour dispose que «l’objet du différend»
doit être indiqué dans la requête introductive d’instance. Le paragraphe 2 de l’article 38 du
Règlement de la Cour exige que la requête indique «la nature précise de la demande». Ces
exigences ne sont pas de pure forme mais, comme la Cour l’a souligné, ce sont des dispositions
«essentielles au regard de la sécurité juridique et de la bonne administration de la justice»C’est
pour ces raisons qu’un Etat n’est pas autorisé à ajouter des demandes entièrement nouvelles qui
transformeraient l’objet du différend initialement porté devant la Cour.
6.3. La Cour permanente de Justice internationale et la Cour actuelle ont toutes deux insisté
de la même manière et à maintes reprises sur ce principe. Dans l’affaire de la Société commerciale
de Belgique, la Cour permanente a dit :
«Il y a lieu d’observer que la faculté laissée aux parties de modifier leurs
conclusions jusqu’à la fin de la procédure orale doit être comprise d’une manière
raisonnable et sans porter atteinte à l’article 40 du Statut et à l’article 32, alinéa 2 du
19Certaines terres à phosphates à Nauru (Nauru c. Australie), exceptions préliminaires, C.I.J. Recueil 1992,
p. 267, par. 69. - 52 -
Règlement, qui disposent que la requête doit indiquer l’objet du différend… [L]a
Cour ne saurait admettre, en principe, qu’un différend porté devant elle par requête
puisse être transformé, par voie de modifications apportées aux conclusions, en un
autre différend dont le caractère ne serait pas le même.» 198
De même, dans l’affaire de l’Administration du prince Von Pless, la Cour permanente a dit qu’un
demandeur peut, dans son mémoire ainsi que dans les plaidoiries subséquentes, «éclaircir les
87 termes de la requête» mais elle a souligné le fait qu’un demandeur n’est pas autorisé à «dépasser
199
les limites de la demande» telles qu’elle a été formulée dans la requête .
6.4. Le même principe a été appliqué par la Cour actuelle dans l’affaire Nauru lorsqu’elle
estima qu’il fallait que la «demande additionnelle soit implicitement conten200dans la requête … ou
découle «directement de la question qui fait l’objet de cette requête»» . Il ne suffisait pas que la
nouvelle demande présente des liens avec les demandes de la requête. La Cour a par conséquent
jugé que la demande additionnelle de Nauru portant sur les avoirs à l’étranger des anciens
commissaires britanniques du phosphate (British Phosphate Commissioners), qui fut introduite
pour la première fois dans le mémoire, était irrecevable car «l’objet du différend sur lequel elle
aurait en définitive à statuer serait nécessairement distinct de l’objet du différend qui lui a été
201
originellement soumis dans la requête» . Plus récemment encore, la Cour a dit, dans l’affaire
relative à la Compétence en matière de pêcheries (Espagne c. Canada), ceci :
«Le paragraphe 1 de l’article 40 du Statut de la Cour exige d’ailleurs que
l’«objet du différend» soit indiqué dans la requête; et le paragraphe 2 de l’article 38 de
son Règlement requiert pour sa part que la «nature précise de la demande» y figure.
La Cour a eu l’occasion, par le passé, de se référer à plusieurs reprises à ces
dispositions. Elle les a qualifiées d’«essentielles au regard de la sécurité juridique et
de la bonne administration de la justice» et, sur cette base, a conclu à l’irrecevabilité
de demandes nouvelles, formulées en cours d’instance, qui, si elles avaient été
accueillies, auraient transformé l’objet du différend originellement porté devant elle
aux termes de la requête (Certaines terres à phosphates à Nauru (Nauru c. Australie),
exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 1992, p. 266-267; voir aussi
Administration du prince von Pless, ordonnance du 4 février 1933, C.P.J.I. série A/B
o o
n 52, p. 202et Société commerciale de Belgique, arrêt, 1939, C.P.J.I. série A/B n 78,
p. 173).»
88 6.5. Dans la procédure engagée par la RFY contre la Belgique, la Cour elle-même identifia
l’objet du différend indiqué dans la requête dans les termes suivants :
«Considérant que la requête de la Yougoslavie est intitulée «Requête de la
République fédérale de Yougoslavie contre le Royaume de Belgique pour violation de
l’obligation de ne pas recourir à l’emploi de la force»; que, dans la requête, l’«objet du
différend» … est décrit en termes généraux … mais qu’il ressort tant de l’exposé des
«faits sur lesquels les demandes sont fondées» que de la formulation de ces
198
C.P.J.I. série A/B n° 78, p. 173.
199
Administration du prince von Pless, C.P.J.I. série A/B n° 52, p. 14.
200C.I.J. Recueil 1992, p. 266, par. 67.
201
C.I.J. Recueil 1992, p. 266, par. 68.
202
Arrêt du 4 décembre 1998, par. 29. - 53 -
«demandes» elles-mêmes … que la requête est dirigée, dans son essence, contre les
«bombardements du territoire de la République fédérale de Yougoslavie», auxquels il
est demandé à la Cour de mettre un terme…» 203
La requête introduite dans la présente affaire est identique de ce point de vue.
6.6. Les demandes formulées par la RFY au sujet des événements survenus au Kosovo
depuis le 10 juin 1999 sont radicalement différentes par nature de celles qui figurent dans la
requête. Comme cela a été démontré dans la deuxième partie ci-dessus, les nouvelles demandes
visent l’activité de l’Organisation des Nations Unies et d’un groupe beaucoup plus important
d’Etats (trente-neuf actuellement) que celui des Etats participant à l’action militaire. Les nouvelles
demandes se fondent sur une incapacité alléguée à préserver l’ordre public dans certaines parties du
Kosovo. Depuis le 10 juin 1999, faire respecter l’ordre public au Kosovo relève de la
responsabilité d’organismes créés par le Conseil de sécurité ou placés sous son autorité. Les
nouvelles demandes autorisent par conséquent à contester l’autorité du Conseil de sécurité et la
façon dont la KFOR et la MINUK s’acquittent du mandat qui leur a été confié par le Conseil (une
question examinée plus loin aux paragraphes 6.23 à 6.27 ci-dessous). Par opposition, la requête ne
traite exclusivement que de l’emploi de la force contre la RFY par le Royaume-Uni et d’autres
Etats membres de l’OTAN.
6.7. Bien qu’il existe des «liens de nature générale» entre les nouvelles demandes et les
demandes présentées dans la requête, ces nouvelles demandes ne sauraient être considérées comme
89
implicitement contenues dans celles qui figurent dans la 204uête pas plus qu’elles ne découleraient
directement des questions faisant l’objet de la requête . Un différend portant sur le maintien de la
paix à la suite d’un conflit est d’une nature totalement différente de celle d’un différend portant sur
le déclenchement ou le déroulement du conflit lui-même. Si les nouvelles demandes devaient être
accueillies, la Cour devrait examiner des questions qui diffèrent totalement ratione temporis et
ratione materiae de celles soulevées dans la requête. Il en résulterait une transformation de la
nature du différend porté devant la Cour.
6.8. Hormis tout autre motif susceptible de justifier une exception préliminaire, nous
soutenons par conséquent que les demandes portant sur la période postérieure à l’adoption de la
résolution 1244 (1999) du Conseil de sécurité sont irrecevables car elles violent le principe bien
établi qui a trait à l’administration de la justice.
2. La demande relative à la période allant du 24 mars au 10 juin 1999 est irrecevable
parce que les intérêts juridiques d’Etats tiers qui ne sont pas devant la Cour
(ni en l’espèce ni dans le cadre d’autres procédures introduites par la RFY)
constitueraient le principal objet de la décision réclamée par la RFY
6.9. Dans l’affaire de l’Or monétaire 20, la Cour posa pour la première fois un principe qui
serait bien établi par la suite, à savoir qu’elle ne saurait exercer sa compétence dans une affaire où
les intérêts juridiques d’un Etat qui n’est pas partie à la procédure constitueraient l’objet même de
203Yougoslavie c. Belgique, ordonnance du 2 juin 1999, par. 27. Des paragraphes substantiellement identiques
figurent dans les ordonnances rendues dans les procédures engagées contre le Canada, les Pays-Bas et le Portugal. La
raison pour laquelle il n’y a pas de passage similaire dans l’ordonnance rendue en l’affaire Yougoslavie c. Royaume-Uni
est que la Cour y a conclu à un manque manifeste de compétence au titre de l’article 36, paragraphe 2 du Statut; voir
par. 4.8 à 4.12 ci-dessus.
20Certaines terres à phosphates à Nauru, C.I.J. Recueil 1992, p. 266, par. 67.
205
C.I.J. Recueil 1954, p. 19. - 54 -
la décision. Cette affaire concernait une procédure engagée par l’Italie contre la France, le
Royaume-Uni et les Etats-Unis d’Amérique au sujet du titre de propriété d’une quantité d’or
détenue par les trois défendeurs et revendiquée à la fois par l’Italie et par l’Albanie. L’Albanie
n’était pas partie à la procédure.
6.10. La Cour estima ne pas pouvoir :
90
«trancher ce différend sans le consentement de l’Albanie. Mais il n’a été soutenu par
aucune des Parties que l’Albanie ait donné son consentement en l’espèce, ni
expressément, ni implicitement. Statuer sur la responsabilité internationale de
l’Albanie sans son consentement serait agir à l’encontre d’un principe de droit
international bien établi et incorporé dans le Statut à savoir que la Cour ne peut
exercer sa juridiction à l’égard d’un Etat si ce n’est avec le consentement de ce
dernier.»206
La Cour ajouta :
«En l’espèce, les intérêts juridiques de l’Albanie seraient non seulement touchés
par une décision, mais constitueraient l’objet même de ladite décision. En pareil cas,
le Statut ne peut être considéré comme 207orisant implicitement la continuation de la
procédure en l’absence de l’Albanie.»
La Cour conclut par conséquent qu’elle ne saurait exercer la juridiction que les parties cherchaient
à lui conférer.
6.11. Ce principe a récemment été appliqué dans un contexte différent dans l’affaire du
Timor oriental 208. Dans cette affaire, la Cour jugea que, malgré l’existence d’un lien juridictionnel
entre le requérant, le Portugal, et le défendeur, l’Australie, en vertu des déclarations faites par les
deux Etats conformément au paragraphe 2 de l’article 36 du Statut, elle ne saurait exercer sa
compétence parce que :
«l’objet même de la décision de la Cour serait nécessairement de déterminer si,
compte tenu des circonstances dans lesquelles l’Indonésie est entrée et s’est maintenue
au Timor oriental, elle pouvait ou non acquérir le pouvoir de conclure au nom de
celui-ci des traités portant sur les ressources de son plateau continental. La Cour ne
209
saurait rendre une telle décision en l’absence du consentement de l’Indonésie.»
91 6.12. Ce principe repose sur trois raisonnements différents. Premièrement, comme les
passages cités ci-dessus le montrent clairement, c’est un corollaire indispensable du principe qui
empêche la Cour de déterminer les droits et obligations d’un Etat, sauf si cet Etat a accepté la
compétence de la Cour. De ce point de vue, le principe protège les droits de l’Etat ou des Etats qui
ne sont pas devant la Cour.
20C.I.J. Recueil 1954, p. 32.
207
C.I.J. Recueil 1954, p. 32.
20C.I.J. Recueil 1995, p. 90.
209
C.I.J. Recueil 1995, p. 102, par. 28. - 55 -
6.13. Deuxièmement, le principe sert à protéger la fonction judiciaire de la Cour . 210
L’intégrité de ladite fonction serait atteinte si la Cour devait exercer sa compétence dans une affaire
opposant deux Etats quand cela lui impose nécessairement de déterminer les droits et obligations
d’un Etat qui n’est pas devant elle.
6.14. Enfin, le principe est indispensable dans certains cas pour protéger les droits des Etats
qui sont parties à la procédure. Ce raisonnement est particulièrement important lorsque l’Etat
défendeur ne peut assurer convenablement sa défense en l’espèce au motif que les éléments de
preuve nécessaires à cette défense sont détenus non par lui mais par l’Etat qui n’est pas devant la
Cour.
6.15. Bien sûr, dans plusieurs autres affaires, on invoquera ce principe qui fut ainsi posé dans
l’affaire de l’Or monétaire. Ainsi, dans l’affaire relative aux Activités militaires et paramilitaires
au Nicaragua et contre celui-ci, la Cour a rejeté un argument plaidé par les Etats-Unis d’Amérique
selon lequel le principe posé dans l’affaire de l’Or monétaire l’empêchait de se pron211er dans une
instance affectant les intérêts juridiques d’un Etat qui n’était pas devant la Cour .
6.16. De même, dans l’affaire relative à Certaines terres à phosphates à Nauru, la Cour a
jugé qu’elle pouvait exercer sa compétence dans la procédure opposant Nauru à l’Australie au sujet
de l’exploitation des mines de phosphate de Nauru pendant l’époque où l’île était un territoire sous
tutelle administré par l’Australie, la Nouvelle-Zélande et le Royaume-Uni, bien que la
92 Nouvelle-Zélande et le Royaume-Uni ne fussent pas devant la Cour. Celle-ci a estimé que :
«les intérêts de la Nouvelle-Zélande et du Royaume-Uni ne constituent pas l’objet
même de la décision à rendre sur le fond de la requête de Nauru … la détermination de
la responsabilité de la Nouvelle-Zélande ou du Royaume-Uni n’est pas une condition
préalable à la détermination de la responsabilité de l’Australie, seul objet de la
212
demande de Nauru» .
Ni dans l’affaire Nicaragua ni dans l’affaire Nauru, la Cour n’a toutefois remis en question le
principe posé dans l’affaire de l’Or monétaire. Au contraire, dans les deux affaires, la Cour a
confirmé l’importance permanente de ce principe.
6.17. Il semble par conséquent que le fait qu’un jugement porte nécessairement atteinte aux
intérêts juridiques d’Etats non parties à l’instance n’exclut pas à lui seul l’exercice de la
compétence de la Cour (bien qu’il puisse y avoir des circonstances dans lesquelles exercer cette
compétence dans une telle affaire induirait une injustice tellement manifeste que la Cour déciderait
discrétionnairement de ne pas exercer sa compétence). Néanmoins, si les intérêts juridiques d’un
Etat non partie à l’instance constituent l’objet même du jugement ou si, pour reprendre la formule
de l’affaire Nauru, lorsque la détermination de la responsabilité d’un tel Etat est une condition
préalable à la détermination de la responsabilité de l’une des parties à la procédure, la Cour ne peut
pas exercer sa juridiction.
210
Voir, par exemple, Thirlway, British Year Book of International Law 1996, p. 52.
211Activités militaires et paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci (Nicaragua c. Etats-Unis d’Amérique),
compétence et recevabilité, C.I.J. Recueil 1984, p. 431, par. 88.
212
C.I.J. Recueil 1992, p. 261, par. 55. - 56 -
6.18. Pour le Royaume-Uni, la présente affaire s’inscrit parfaitement dans le cadre du
principe posé dans l’affaire de l’Or monétaire. La RFY n’a pas tenté d’établir que le Royaume-Uni
avait lui-même mené les opérations militaires sur lesquelles elle fonde entièrement ses poursuites.
Elle dit plutôt qu’absolument chaque Etat membre de l’OTAN est responsable d’absolument tous
les aspects des opérations militaires qui ont été menées. La seule base de la responsabilité imposée
93
au Royaume-Uni est qu’il est solidairement responsable de ce qui s’est passé. Or, onze des
dix-neuf Etats membres de l’OTAN ne sont pas devant la Cour.
6.19. Le fait qu’un demandeur fonde entièrement ses conclusions sur une allégation de
responsabilité collective imputée à dix-neuf Etats tout en engageant une procédure contre huit
d’entre eux seulement est totalement incompatible avec le principe énoncé dans l’affaire de l’Or
monétaire. La RFY a choisi de délimiter ainsi ses poursuites. Elle ne saurait maintenant échapper
aux conséquences de cette décision.
6.20. De plus, il est de notoriété publique que ce sont les Etats-Unis d’Amérique qui étaient
l’Etat de loin le plus fortement impliqué dans ces opérations militaires. Les Etats-Unis d’Amérique
ont effectué environ soixante-cinq pour cent des sorties aériennes au cours de la période allant du
24 mars au 10 juin 1999. En outre, la RFY a elle-même accusé régulièrement les Etats-Unis
d’Amérique d’avoir pris la conduite des opérations. Par exemple, lors du débat au Conseil de
sécurité du 26 mars 1999, M. Jovanović, parlant au nom de la RFY, s’est plusieurs fois référé à
«l’OTAN, menée par les Etats-Unis d’Amérique» 21.
6.21. L’élément essentiel de la présente affaire correspond à la licéité des actions militaires
menées pendant la période allant du 24 mars au 10 juin 1999. La majorité de ces actions ont été
menées par les Etats-Unis d’Amérique au sujet desquels la Cour a déjà décidé qu’elle n’avait pas
compétence. La Cour ne saurait prendre de décision en la présente affaire sans déterminer la licéité
de ces actions de fait, c’est précisément ce que la RFY lui demande de faire. Il s’ensuit par
conséquent que la licéité des actions des Etats-Unis constitue «l’objet même» de la décision et que
la détermination de la licéité ou de l’illicéité de ces actions serait un préalable logique à toute
décision portant sur la responsabilité du Royaume-Uni ou de l’un quelconque des défendeurs dans
les autres procédures.
94 6.22. Cette affaire est donc très différente tant de l’affaire Nauru que de l’affaire Nicaragua.
En l’espèce, l’Etat qui a mené la majorité des opérations aériennes n’est pas devant la Cour. Dans
l’affaire Nicaragua, en revanche, c’est le défendeur, les Etats-Unis d’Amérique, qui avait joué le
rôle principal pendant les opérations qui constituaient l’objet du différend de l’espèce. Dans
l’affaire Nauru, bien que l’administration du territoire sous tutelle eut été confiée à l’Australie, à la
Nouvelle-Zélande et au Royaume-Uni, c’est l’Australie qui avait réellement administré ce territoire
au nom des trois gouvernements. L’importance de cet élément a été soulignée par la Cour dans le
passage suivant de son arrêt :
«En fait, l’administrateur fut constamment désigné par le Gouvernement
australien et fut soumis par voie de conséquence aux directives de ce gouvernement.
Ses «ordonnances, proclamations et règlements» furent sujets à confirmation ou rejet
par le gouverneur général de l’Australie. Les autres gouvernements, conformément à
l’accord, ne reçurent communication de ces décisions que pour information.» 214
213
S/PV. 3989, p. 12 (annexe 16).
214C.I.J. Recueil 1992, p. 257, par. 43. - 57 -
C’est la responsabilité de l’Australie qui était l’objet de la procédure et le préalable à
l’établissement de toute responsabilité éventuelle de la Nouvelle-Zélande et du Royaume-Uni.
L’action de Nauru reposait sur la conduite de l’Australie; la question de la responsabilité conjointe
n’a pas été soulevée par Nauru. En l’espèce, la demande de la RFY repose toutefois entièrement
sur une thèse fondée sur la responsabilité conjointe. Alors que le Royaume-Uni considère cette
thèse comme infondée, la façon dont la RFY a organisé ses poursuites a pour conséquence
inévitable de rendre sa requête irrecevable en application du principe formulé dans l’affaire de l’Or
monétaire et dans les décisions ultérieures de la Cour qui sont citées ci-dessus.
95 3. La demande formulée par la RFY dans son mémoire au sujet du délai écoulé depuis
l’adoption de la résolution 1244 (1999) du Conseil de sécurité le 10 juin 1999
est irrecevable parce que les intérêts juridiques d’Etats tiers et
de l’Organisation des Nations Unies constitueraient
l’objet même de la décision réclamée par la RFY
6.23. L’application du principe énoncée dans l’affaire de l’Or monétaire est, pour autant que
ce soit possible, encore plus aisée en ce qui concerne les nouvelles demandes de la RFY relatives à
la période postérieure à l’adoption de la résolution 1244 (1999) du Conseil de sécurité.
6.24. Comme nous l’avons exposé dans la deuxième partie ci-dessus, dans sa
résolution 1244 (1999) le Conseil de sécurité prévoyait l’établissement au Kosovo d’une présence
internationale civile et d’une présence internationale de sécurité. Les tâches confiées à la présence
internationale civile (la MINUK) et à la présence internationale militaire (la KFOR) sont
étroitement liées21. Bien que le Royaume-Uni en soit un participant majeur, il n’est que l’un des
trente-neuf Etats qui participent actuellement à la KFOR . Ni le Royaume-Uni, ni l’OTAN
n’exerce un contrôle quelconque sur la MINUK qui est l’un des organes subsidiaires des
Nations Unies chargés de rendre compte au Conseil de sécurité.
6.25. Il s’ensuit que l’objet de toute décision que la Cour pourrait rendre en ce qui concerne
les demandes de la RFY relatives à la période postérieure au 10 juin 1999 serait constitué par les
intérêts juridiques d’Etats tiers et de l’Organisation des Nations Unies elle-même.
6.26. Bien que la RFY ait tenté d’éluder ce fait évident dans les conclusions qu’elle soumet à
la Cour, elle n’a pas fait de même ailleurs. Que la RFY soit parfaitement consciente de la situation
réelle découle de façon évidente des innombrables plaintes qu’elle a adressées au Conseil de
sécurité au sujet de la situation régnant selon elle au Kosovo. Pour ne citer qu’un exemple, dans un
mémorandum daté du 15 mai 2000, la RFY se plaignait au Conseil de sécurité de ce que :
«La KFOR et la MINUK sont seules responsables des violations massives des
96
droits de l’homme au Kosovo-Metohija, de l’anarchie, du chaos et des manquements à
la résolution 1244 (1999) du Conseil de sécurité relative à la préservation du caractère
multiethnique, multiconfessionnel et multiculturel de la province, et deviennent ainsi
directement complices du nettoyage ethnique et du génocide.» 217
215
Voir par. 2.26-2.28 ci-dessus.
216Voir par. 2.29 ci-dessus.
217Nations Unies, doc. S/2000/428, p. 10. - 58 -
et de ce que :
«La terreur et la violence, le nettoyage ethnique et le génocide auxquels les
Albanais soumettent les non-Albanais, essentiellement les Serbes et les Monténégrins,
mais aussi les Rom, les Musulmans, les Turcs, les Goranci et autres non-Albanais, la
destruction de leur foyer, l’usurpation et la destruction de biens privés et publics, la
criminalité et le chaos sévissent toujours avec la même intensité malgré la présence de
plusieurs dizaines de milliers de membres armés de la KFOR et de plus de 2000
policiers de la MINUK. Force est donc de constater que la KFOR et la MINUK ne
remplissent pas les obligations majeures qui leur ont été confiées, en particulier
l’obligation d’assurer pleinement la sécurité physique et la sécurité des biens de tous
les habitants de la province, en particulier des Serbes et des Monténégrins qui sont
victimes d’un nettoyage ethnique, d’actes de terreur, de meurtres et d’enlèvements
systématiques.
Le Gouvernement de la République fédérale de Yougoslavie exige que la
KFOR et la MINUK s’acquittent sans délai de toutes leurs obligations et créent dès
que possible les conditions propices au retour en toute sécurité de toutes les personnes
qui ont été expulsées du Kosovo et de la Metohija.» 218
Ailleurs dans ce mémorandum, la RFY se plaint de violations par le Conseil de sécurité de ses
obligations .19
6.27. Au stade des exceptions préliminaires, il serait inopportun que le Royaume-Uni donne
son avis sur ces allégations quant au fond. Toutefois, que la RFY les ait formulées et l’ait fait dans
les termes cités ci-dessus démontre plus clairement que toute argumentation que les intérêts
juridiques et la question de la responsabilité de l’Organisation des Nations Unies, du Conseil de
sécurité et de l’ensemble de tous les Etats de la KFOR constituent nécessairement l’objet essentiel
97 de cette section des demandes de la RFY, laquelle est par conséquent irrecevable en vertu du
principe formulé dans l’affaire de l’Or monétaire.
4. La RFY n’a pas agi de bonne foi
6.28. C’est un principe général de droit bien établi que les Etats doivent agir de bonne foi.
La place centrale de la bonne foi en droit international est attestée par le paragraphe 2 de l’article 2
de la Charte des Nations Unies qui dispose : «Les Membres de l’Organisation, afin d’assurer à tous
la jouissance des droits et avantages résultant de leur qualité de Membre, doivent remplir de bonne
foi les obligations qu’ils ont assumées aux termes de la présente Charte.» Ainsi que la Cour l’a
affirmé dans les affaires des Essais nucléaires, «l’un des principes de base qui président à la création
220
et à l’exécution d’obligations juridiques, quelle qu’en soit la source, est celui de la bonne foi» .
Pour reprendre les termes de l’une des doctrines les plus autorisées, «L’importance de ce principe
marque tous les aspects du droit international.» 221 En particulier, il excerce une grande influence sur
le droit des traités, ainsi que le montre clairement l’article 26 de la convention de Vienne de 1969 sur
le droit des traités.
218Ibid., p. 6.
219Ibid., p. 2.
220
Essais nucléaires (Australie c. France), C.I.J. Recueil 1974, p. 268, par. 46. Essais nucléaires
(Nouvelle-Zélande c. France), C.I.J. Recueil 1974, p. 473, par. 49Voir également Actions armées frontalières et
transfrontalières (Nicaragua c. Honduras), compétence de la Cour et recevabilité de la requête, C.I.J. Recueil 1988,
p. 105, par. 94.
221 e
Jennings et Watts, Oppenheim’s International Law (9 ed., 1992), vol. I, p. 38. - 59 -
6.29. Le respect du principe de la bonne foi est une caractéristique essentielle de
l’interprétation et de l’application du Statut et de la Charte dont il fait partie. Ce respect est on ne
peut plus important pour l’interprétation et l’application du paragraphe 2 de l’article 36 du Statut.
La Cour a dit à maintes reprises que, en l’état actuel du droit international, sa compétence dépend
du consentement, librement exprimé, des parties à une instance. Un Etat qui fait une déclaration au
titre du paragraphe 2 de l’article 36 du Statut donne ce consentement préalablement à l’apparition
98 d’un différend, pour une gamme étendue de différends dont il ne peut prévoir la teneur et qui
l’oppose non seulement aux Etats ayant contracté un engagement similaire mais également aux
Etats susceptibles d’y souscrire par la suite. Comme la Cour l’a récemment expliqué dans l’affaire
de la Compétence en matière de pêcheries :
«Une déclaration d’acceptation de la juridiction obligatoire de la Cour, qu’elle
ait été ou non assortie de limites précises, constitue un acte unilatéral relevant de la
souveraineté de l’Etat. En même temps, elle établit un lien consensuel et ouvre la
possibilité d’un rapport juridictionnel avec les autres Etats qui ont fait une déclaration
en vertu du paragraphe 2 de l’article 36 du Statut, et constitue «une offre permanente
aux autres Etats parties au Statut n’ayant pas encore remis de déclaration
d’acceptation» (Frontière terrestre et maritime entre le Cameroun et le Nigéria
(Cameroun c. Nigéria), exceptions préliminaires, C.I.J. Recueil 1998, p. 291,
222
par. 25).»
6.30. Un Etat qui fait une telle déclaration est donc fondé à compter que tout autre Etat
prétendant accepter cette «offre permanente» agisse de bonne foi et que la Cour exige de cet Etat
qu’il agisse de bonne foi. La Cour a reconnu le rôle joué par la bonne foi dans le système de la
clause facultative lorsqu’elle affirma, au stade de la détermination de sa compétence en l’affaire
des Activités militaires et paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci que : «Dans
l’établissement de ce réseau d’engagements que constitue le système de la clause facultative, le
principe de la bonne foi joue un rôle essentiel.» 223 Comme l’écrit Rosenne :
«Il découle de l’énoncé même du paragraphe 2 de l’article 36 du Statut qu’en
acceptant la juridiction obligatoire de la Cour, un Etat contracte une obligation
internationale et, comme il en est de toutes les obligations internationales, son
interprétation et son application sont régies par le principe de la bonne foi.» 224
[Traduction du Greffe.]
99 6.31. Toutefois, en l’espèce, la RFY n’a pas agi de bonne foi en déposant ce qu’elle prétend
être une déclaration au titre du paragraphe 2 de l’article 36 du Statut et en déposant immédiatement
après sa requête introductive d’instance. La déclaration de la RFY a été signée le 25 avril 1999 et
déposée le lendemain. La RFY a déposé sa requête trois jours plus tard. La RFY n’a pas caché
qu’elle avait voulu accepter la juridiction obligatoire de la Cour aux fins d’engager contre le
Royaume-Uni et les autres défendeurs une procédure relative aux actions militaires visant le
Kosovo 22. Pourtant, la déclaration de la RFY est soigneusement et délibérément formulée de
manière à empêcher la Cour d’enquêter sur les atrocités perpétrées par la RFY au Kosovo avant le
25 avril 1999 en violation de nombreux accords internationaux, de règles du droit international
coutumier et de décisions contraignantes du Conseil de sécurité.
222Compétence en matière de pêcheries (Espagne c. Canada), arrêt du 4 décembre 1998, par. 46.
223
Activités militaires et paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci (Nicaragua c. Etats-Unis d’Amérique),
compétence et recevabilité, C.I.J. Recueil 1984, p. 418, par. 60.
224Law and practice of the International Court of Justice: 1920-1996, vol. II, p. 822-823.
225
Voir la déclaration du conseil de la RFY, M. Corten, CR 99/25, p. 17-18. - 60 -
6.32. La RFY a ainsi cherché à limiter son acceptation de la juridiction afin de se donner le
moyen de présenter une demande portant sur l’un des aspects de l’histoire relative au Kosovo en
évitant toute enquête judiciaire sur sa propre conduite, laquelle avait précisément suscité l’action
militaire entreprise par le Royaume-Uni et ses alliés. Pour les motifs exposés dans la quatrième
partie ci-dessus et quelle que soit la manière dont on interprète la déclaration du 25 avril 1999, le
Royaume-Uni soutient que la RFY n’est pas parvenue à établir la compétence de la Cour dans le
différend dont elle tient à faire l’objet de la présente procédure. Le Royaume-Uni affirme
néanmoins que la tentative constitue en soi une violation évidente du principe de la bonne foi et
doit être condamnée comme tel226 Comme le juge Oda l’a reconnu au stade des mesures
conservatoires en l’espèce , aucun Etat ne devrait être autorisé à abuser ainsi du mécanisme
institué par le paragraphe 2 de l’article 36 et, par là-même, à recourir abusivement à la Cour.
100 6.33. Par voie de conséquence, même si, contrairement à ce que nous avons dit ci-dessus, la
déclaration de la RFY pouvait être considérée comme formellement valable, le Royaume-Uni
soutient que la violation du principe fondamental de la bonne foi rend irrecevable, dans la présente
affaire, la tentative de recours à cette déclaration.
6.34. Ce défaut de bonne foi de la RFY va toutefois plus loin qu’une tentative de recours
abusif au système institué par le paragraphe 2 de l’article 36 du Statut de la Cour et rend
irrecevable la requête dans sa totalité.
6.35. En l’espèce, la requête concerne une opération militaire qui a été organisée comme une
réaction directe à la situation au Kosovo. La RFY a tenté d’invoquer la juridiction du principal
organe judiciaire des Nations Unies à la suite de cette réaction, mais elle a refusé absolument de se
conformer aux obligations qu’elle avait contractées à l’égard de l’Organisation des Nations Unies
en ce qui concerne la situation au Kosovo qui fut à l’origine du problème.
6.36. C’est préoccupé par cette situation que le Conseil de sécurité, dès mars 1998, a exhorté
le procureur du Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie à «commencer à rassembler des
informations concernant les actes de violence au Kosovo qui pourraient être de la compétence du
tribunal» et a fait observer que «les autorités de la République fédérale de Yougoslavie [avaient]
l’obligation de coopérer avec le Tribunal» 227. En septembre 1998, le Conseil de sécurité a lancé à
nouveau un appel aux autorités de la RFY pour qu’elles coopèrent avec le procureur . Cette 228
229
décision fut renouvelée en octobre 1998 .
6.37. Nonobstant ces décisions du Conseil, la RFY est allée jusqu’à refuser au procureur et à
ses collaborateurs l’entrée du Kosovo. Ce refus230t condamné par le Conseil de sécurité dans sa
résolution 1207 (1998) de novembre 1998 et dans une déclaration du président publiée le
101 19 janvier 1999 . La RFY ne changea pas d’attitude pour autant.
22Ordonnance du 2 juin 1999, opinion individuelle du juge Oda, par. 9.
227
Résolution 1160 (1998) du Conseil de sécurité, par. 17 (annexe 4).
228
Résolution 1199 (1998) du Conseil de sécurité, par. 13 (annexe 6).
22Résolution 1203 (1998) du Conseil de sécurité, par. 14 (annexe 7).
230
Annexe 8.
231
S/PRST/1999/2 (annexe 9). - 61 -
6.38. Le 22 mai 1999, le procureur du Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie
mit en accusation le président de la RFY, Slobodan Milosevic, et un certain nombre d’autres hauts
fonctionnaires de la RFY pour crimes de guerre et crimes contre l’humanité qu’ils auraient 232
commis, selon l’acte d’accusation, au Kosovo au cours de la première partie de l’année 1999 .
Cet acte d’accusation a été confirmé par un juge du tribunal le 24 mai 1999. A ce jour, la RFY a
refusé de prendre la moindre mesure pour mettre en Œuvre les mandats d’arrêt des accusés ou pour
coopérer d’une quelconque façon avec le tribunal au déroulement des233quêtes relatives aux crimes
de guerre et aux crimes contre l’humanité commis au Kosovo .
6.39. La RFY ne saurait être autorisée à défier l’autorité du Conseil de sécurité des
Nations Unies et du Tribunal pénal international institué par le Conseil pour ce qui a trait aux
allégations de violations graves du droit international censées avoir été commises au Kosovo, tout
en cherchant, en même temps, la protection de l’organe judiciaire principal des Nations Unies
contre la réaction de la communauté internationale à ces violations. La tentative exercée par la
RFY en ce sens témoigne d’une absence totale de bonne foi et d’un grave abus de la procédure de
la Cour.
6.40. Par conséquent, indépendamment des autres motifs autorisant à contester la
compétence de la Cour et la recevabilité de la requête, le Royaume-Uni affirme que la requête
devrait être déclarée irrecevable au motif que la RFY a agi et continue d’agir de mauvaise foi.
232Voir ci-dessus le paragraphe 2.23.
233
Voir la déclaration du procureur, S/PV. 4150, p. 3 (annexe 3).- 62 - - 63 -
102 CONCLUSIONS
Pour les motifs exposés ci-dessus, le Royaume-Uni prie la Cour de dire et juger que :
La Cour n’a pas compétence pour connaître des demandes formées contre le Royaume-Uni
par la République fédérale de Yougoslavie
ou bien que :
Les demandes formées contre le Royaume-Uni par la République fédérale de Yougoslavie
sont irrecevables.
Le 20 juin 2000.
L’agent du Royaume-Uni de Grande-Bretagne
et d’Irlande du Nord,
(Signé) Michael C. WOOD .
___________- 64 - - 65 -
103 LISTE DES ANNEXES
Les annexes aux exceptions préliminaires du Royaume-Uni sont rassemblées en un seul
volume dans l’ordre dans lequel elles sont citées pour la première fois dans les exceptions
préliminaires.
N° Titre et références
1 Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide,
9 décembre 1948, Nations Unies, Recueil des traités, vol. 78, p. 277.
2 Nations Unies, doc. S/RES/1244 (1999) : résolution 1244 (1999) du Conseil de
sécurité.
e
3 Nations Unies, doc. S/PV. 4150 : procès-verbal provisoire de la 4150séance du
Conseil de sécurité, p. 1-6.
4 Nations Unies, doc. S/RES/1160 (1998) : résolution 1160 (1998) du Conseil de
sécurité.
5 Nations Unies, doc. S/PRST/1998/25 : déclaration du président du Conseil de
sécurité.
6 Nations Unies, doc. S/RES/1199 (1998) : résolution 1199 (1998) du Conseil de
sécurité.
7 Nations Unies, doc. S/RES/1203 (1998) : résolution 1203 (1998) du Conseil de
sécurité.
8 Nations Unies, doc. S/RES/1207 (1998) : résolution 1207 (1998) du Conseil de
sécurité.
9 Nations Unies, doc. S/PRST/1999/2 : déclaration du président du Conseil de
104
sécurité.
10 Nations Unies, doc. S/PRST/1999/5 : déclaration du président du Conseil de
sécurité.
11 Executive summary of the report Kosovo / Kosova: As Seen, As Told, publié par
l’OSCE, novembre 1999; peut être consulté à l’adresse Internet :
http://www.osce.org/kosovo/reports/hr/index.htm.
12 Compte rendu du Haut Commissaire pour les réfugiés des Nations Unies au
Conseil de sécurité, Mme Sadako Ogata, le 5 mai 1999.
13 Communiqué de presse de l’OTAN (1999) 040, 23 mars 1999 : déclaration de
M. Javier Solana, secrétaire général de l’OTAN.
14 Nations Unies, doc. S/PV. 3988 : procès-verbal provisoire de la 3988séance du
Conseil de sécurité.
15 Nations Unies, doc. S/1999/328 : projet de résolution présenté au Conseil de
sécurité par le Bélarus, la Fédération de Russie et l’Inde. - 66 -
16 Nations Unies, doc. S/PV. 3989 : procès-verbal provisoire de la 3989e séance du
Conseil de sécurité.
17 Communiqué de presse SG/SM/6952 du 9 avril 1999 : communiqué de presse du
Secrétaire général.
18 Nations Unies, doc. S/RES/1239 (1999) : résolution 1239 (1999) du Conseil de
105 sécurité.
19 Nations Unies, doc. S/1999/672, 12 juin 1999 : rapport présenté par le Secrétaire
général en application du paragraphe 10 de la résolution 1244 (1999) du Conseil
de sécurité.
20 Compte rendu non officiel de la conférence de presse de la MINUK du
18 août 1999 dans lequel figure le texte de la déclaration commune du
représentant spécial du Secrétaire général et du commandant de la KFOR,
disponible à l’adresse Internet : http://www.un.org/peace/kosovo/press/
br180899.htm.
21 Nations Unies, doc. A/46/915 : lettre adressée le 6 mai 1992 par le chargé
d’affaires p.i. de la mission permanente de Yougoslavie au Secrétaire général.
22 Nations Unies, doc. S/RES/757 (1992) : résolution 757 (1992) du Conseil de
sécurité.
23 Nations Unies, doc. S/RES/777 (1992) : résolution 777 (1992) du Conseil de
sécurité.
24 Nations Unies, doc. A/RES/47/1 : résolution 47/1 (1992) de l’Assemblée
générale.
25 Nations Unies, doc. A/47/PV.7 : Assemblée générale, quarante-septième session,
procès-verbal provisoire de la 7séance plénière, p. 141-196.
26 Nations Unies, doc. S/RES/821 (1993) : résolution 821 (1993) du Conseil de
sécurité.
27 Nations Unies, doc. A/RES/47/229 : résolution 47/229 (1993) de l’Assemblée
générale.
28 Communication des Gouvernements de Bosnie-Herzégovine, de la République de
Croatie, de la République de Slovénie et de l’ex-République yougoslave de
Macédoine, reçue par le Secrétaire général le 28 mai 1999, telle que reprise à la
note 73 des pages 30 à 31 du Recueil des traités déposés auprès du Secrétaire
général : état au 31 décembre 1999, vol. I.
29 Nations Unies, doc. A/47/485 : lettre du conseiller juridique des Nations Unies
datée du 29 septembre 1992.
___________
Exceptions préliminaires du Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d'Irlande du Nord