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COUR INTERNATIONALE DE JUSTICE
AFFAIRE RELATIVE À LA LICÉITÉ DE L’EMPLOI DE LA FORCE
(YOUGOSLAVIE c. PORTUGAL)
EXCEPTIONS PRÉLIMINAIRES
DE LA RÉPUBLIQUE PORTUGAISE
5 JUILLET 2000 TABLE DES MATIÈRES
P AGE
INTRODUCTION ...................................................................................................................................1
I. GENESE DE L AFFAIRE ET QUESTIONS PRELIMINAIRES ..................................................................1
II. EXPOSE DES EXCEPTIONS PRELIMINAIRES .....................................................................................3
PREMIÈRE PARTIE EXCEPTIONS SE RAPPORTANT A LA QUALITE POUR AGIR
DE LA RFY...................................................................................................................................5
I. QUALITE POUR AGIR ET COMPETENCE ...........................................................................................5
II. LES RAPPORTS EXISTANT ENTRE LA RFY ET L’ORGANISATION DES NATIONS U NIES..................7
III. L RFY N’EST PAS PARTIE AU STATUT DE LA C OUR ...................................................................12
IV. LA RFY N’EST PAS ADMISE A ESTER DEVANT LA COUR ..............................................................13
DEUXIÈME PARTIE EXCEPTIONS D’INCOMPÉTENCE .........................................................15
I. EN CE QUI A TRAIT A LA DECLARATION FACULTATIVE DEPOSEE PAR LA RFY............................15
II. EN CE QUI A TRAIT A ’ARTICLE IX DE LA CONVENTION DE 1948 SUR LE GENOCIDE .................20
A. Le Portugal n’était pas partie à la convention ........................................................................20
B. Il n’y a pas de différend au sens de l’article IX......................................................................24
TROISIÈME PARTIE EXCEPTIONS D’IRRECEVABILITÉ.......................................................29
I. LA DEMANDE CONCERNE DES ACTES DE L ’OTAN ET NON DU PORTUGAL ..................................29
II. L’EXERCICE PAR LA C OUR DE SA COMPETENCE AURAIT UNE INCIDENCE DIRECTE SUR LES
DROITS ET OBLIGATIONS DE TIERS ...............................................................................................32
III. LS CONCLUSIONS RELATIVES AUX FAITS POSTERIEURS AU 10JUIN 1999 TRANSFORMENT
RADICALEMENT LA NATURE DU DIFFEREND ................................................................................33
CONCLUSIONS....................................................................................................................................35 INTRODUCTION
I. GENÈSE DE L ’AFFAIRE ET QUESTIONS PRÉLIMINAIRES
1. Le 29 avril 1999, la République fédérale de Yougoslavie (RFY) a introduit une instance
contre la République portugaise («Portugal») par la voie d’une requête en date du 26 avril, dans
laquelle il était reproché au Portugal ainsi qu’à d’autres Membres de l’Organisation du Traité de
l’Atlantique Nord («l’OTAN») d’être responsables de divers actes découlant de la crise du Kosovo
qui, selon la RFY, violaient le droit international 1.
2. Le même jour, la RFY a déposé une requête en indication de mesures conservatoires
priant essentiellement la Cour d’ordonner au Portugal de s’abstenir de commettre les actes qui lui
étaient reprochés.
3. Le Portugal a prié la Cour de rejeter cette requête, faisant valoir plus particulièrement que
la Cour n’avait pas prima facie compétence. Par ordonnance du 2 juin 1999, la Cour a accepté
l’argumentation du Portugal à ce stade de la procédure et a rejeté celle de la RFY 2.
4. Par ordonnance du 30 juin 1999, la Cour a fixé au 5 janvier 2000 et au 5 juillet 2000 les
dates d’expiration des délais dans lesquels la RFY et le Portugal devaient respectivement déposer
un mémoire et un contre-mémoire.
5. La RFY a respecté à strictement parler ce délai même si le mémoire qu’elle a déposé dans
l’instance introduite contre le Portugal est identique à celui qu’elle a présenté à l’égard des sept
autres Etats membres de l’OTAN cités dans d’autres affaires portant la même date et ayant le
même objet, à savoir la République fédérale d’Allemagne, la Belgique, le Canada, la France, les
Pays-Bas, l’Italie et le Royaume-Uni. Par cette démarche, la RFY a procédé unilatéralement à la
jonction des instances pour exposer ses allégations, retenant l’intitulé suivant pour son
mémoire : «Mémoire, Affaire relative à la Licéité de l’emploi de la force (Yougoslavie c. Belgique,
Canada, France, Allemagne, Italie, Pays-Bas, Portugal et Royaume-Uni)».
1L’objet du différend a été défini ainsi qu’il suit :
«L'objet du différend porte sur les actes commis par le Portugal, en violation de son obligation
internationale de ne pas recourir à l'emploi de la force contre un autre Etat, de l'obligation de ne pas
s'immiscer dans les affaires intérieures d'un autre Etat, de l'obligation de ne pas porter atteinte à la
souveraineté d'un autre Etat, de l'obligation de protéger les populations civiles et les biens de caractère
civil en temps de guerre, de l'obligation de protéger l'environnement, de l'obligation touchant à la liberté
de navigation sur les cours d'eau internationaux, de l'obligation concernant les droits et libertés
fondamentaux de la personne humaine, de l'obligation de ne pas utiliser des armes interdites, de
l'obligation de ne pas soumettre intentionnellement un groupe national à des conditions d'existence devant
entraîner sa destruction physique.» (Voir requête de la République fédérale de Yougoslavie contre la
République portugaise pour violation de l’obligation de ne pas recourir à l’emploi de la force, p. 1-2.)
2 Voir affaire relative à la Licéité de l’emploi de la force (Yougoslavie c. Portugal), demande en indication de
mesures conservatoires, ordonnance du 2 juin 1999, par. 50. - 2 -
6. Le Portugal estime que cette initiative unilatérale ne respecte guère la compétence
exclusive que l’article 47 de son Règlement reconnaît à la Cour en cette matière. La modification
d’un élément symbolique, tel que l’intitulé officiel de l’instance, arrêté par la Cour, postulant sa
consolidation avec les se3t autres instances, ne saurait être dissociée de l’affirmation que réitère la
RFY dans son mémoire , selon laquelle les Etats défendeurs font cause commune.
7. Le Portugal a déjà eu l’occasion d’exposer son point de vue à ce sujet. Après qu’il eut
désigné M. J. Sérvulo Correia en qualité de juge ad hoc le 25 avril 2000, la RFY a fait valoir, pour
s’opposer à cette désignation, que le Portugal faisait cause commune avec les autres Etats
défendeurs dans les actions qu’elle avait intentées le même jour. Dans un document distinct
portant la même date que celle du présent acte introductif d’exceptions préliminaires auquel la
Cour est priée de se reporter le Portugal a réfuté l’existence d’une cause commune.
8. Le Portugal soutient, comme il l’a déjà fait lors de la phase de la procédure relative à la
demande en indication de mesures conservatoires présentée par la RFY, que celle-ci n’a pas qualité
pour agir devant la Cour. De plus, la Cour n’a pas compétence pour se prononcer sur la présente
affaire quel que soit le chef de demande invoqué, et les conclusions formulées par la RFY sont
irrecevables à plus d’un titre.
9. Aussi le Portugal entend-il se prévaloir du paragraphe 1 de l’article 79 du Règlement de la
Cour et présenter des exceptions préliminaires dans le délai fixé pour le dépôt du contre-mémoire.
Dans les exceptions préliminaires exposées ci-après, le Portugal se borne à examiner les questions
faisant obstacle à ce que la Cour examine l’argumentation de la RFY sans aborder le fond de
l’affaire. Ces exceptions ont dès lors un caractère exclusivement préliminaire. Au cas où la Cour
déciderait d’examiner l’affaire au fond, le Portugal répondra aux prétentions de la RFY dans le
délai que la Cour fixera en application du paragraphe 7 de l’article 79 de son Règlement.
10. Le nombre et l’importance des exceptions de nature procédurale soulevées à l’encontre
de l’examen au fond de l’affaire dans le présent acte introductif d’exceptions préliminaires
conduisent le Portugal à refuser d’accepter que la Cour se prononce sur ces exceptions lors de
l’examen au fond de l’affaire étant donné que ne sont pas réunies les conditions auxquelles est
subordonnée l’application du paragraphe 8 de l’article 79 du Règlement de la Cour. Le Portugal
prie par conséquent la Cour de suspendre la procédure sur le fond afin qu’elle se prononce
expressément sur ces questions préliminaires conformément aux paragraphes 3 et 7 de l’article 79
de son Règlement.
11. Le Portugal ne doute pas que la Cour ne considérera aucun élément de l’argumentation
qu’il développe dans les présentes exceptions préliminaires comme valant reconnaissance sous
quelque forme que ce soit de sa compétence en l’e4pèce (forum prorogatum) conformément au
paragraphe 5 de l’article 38 de son Règlement . Mais il doit toutefois faire observer qu’il ne saurait
reconnaître la juridiction de la Cour. Ce refus se fonde non seulement sur la circonstance que
l’exercice de cette juridiction aurait nécessairement des conséquences pour des Etats tiers et des
3Voir mémoire, affaire relative à la Licéité de l’emploi de la force (Yougoslavie c. Belgique, Canada, France,
Allemagne, Italie, Pays-Bas, Portugal et Royaume-Uni), 5 janvier 2000.
4
Compte tenu aussi de la prudence avec laquelle elle a sagement abordé la question : «La Cour ne trouve pas que
le défendeur a exprimé en l’espèce un consentement «volontaire et indiscutable» (voir Détroit de Corfou, exception
préliminaire, arrêt, C.I.J. Recueil 1947-1948, p. 27).» (Voir Application de la convention pour la prévention et la
répression du crime de génocide, exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 1996, par. 40.) - 3 -
organisations en l’espèce, mais s’explique aussi par le fait que l’examen au fond de l’instance
introduite par la RFY qui, selon le Portugal, est dépourvue de fondement représenterait un
gaspillage du temps précieux de la Cour.
II.E XPOSÉ DES EXCEPTIONS PRÉLIMINAIRES
12. Les exceptions préliminaires soulevées en l’espèce se rattachent à trois questions
principales.
13. La première est liée à la qualité pour agir de la RFY. Le Portugal soutient que celle-ci
n’a pas le droit de saisir la Cour d’une requête.
14. La deuxième concerne la juridiction de la Cour au sens strict. Le Portugal est d’avis que
la Cour n’a pas compétence pour connaître de la présente affaire.
15. Enfin, la requête de la RFY est irrecevable dès lors que le Portugal n’est pas responsable
des actes allégués et l’éventuel exercice par la Cour de sa compétence en l’espèce affecterait
directement les droits et obligations d’Etats et d’organisations qui ne participent pas à la présente
procédure puisque leurs actes feraient l’objet même de celle-ci. De plus, toutes les demandes de la
RFY se rapportant à des événements postérieurs au 10 juin 1999 sont également irrecevables
puisqu’elles transformeraient la nature du différend.- 4 - - 5 -
PREMIÈRE PARTIE
EXCEPTIONS SE RAPPORTANT À LA QUALITÉ POUR AGIR DE LA RFY
I. QUALITÉ POUR AGIR ET COMPÉTENCE
16. La Cour a affirmé à maintes reprises dans ses décisions qu’elle n’a compétence qu’à
l’égard des Etats qui, étant parties à son Statut, ont volontairement accepté celle-ci par un acte
ultérieur5.
17. La compétence de la Cour est toutefois subordonnée à une condition préalable
essentielle : l’entité qui demande à ester en justice devant elle doit en avoir le droit. La Cour
elle-même a décidé qu’elle «ne peut donc exercer sa compétence à l’égard d’Etats parties à un
différend que si ces derniers ont non seulement accès à la Cour, mais ont en outre accepté sa
compétence, soit d’une manière générale, soit pour le différend particulier dont il s’agit» 6.
18. Il s’ensuit que la question de la compétence ne se pose même pas dans le cas d’une entité
qui n’a pas droit d’accès à la Cour. L’entité en question ne peut tout simplement pas agir devant la
Cour en tant que demandeur que défendeur. Partant, la requête doit être rejetée in limine. Ce droit
d’accès est par voie de conséquence une condition sine qua non de l’exercice par la Cour de sa
compétence.
19. Le Statut de la Cour restreint ce droit d’accès aux Etats qui y sont parties (art. 35, par. 1)
ou aux Etats qui, sans y être parties, se sont conformés aux conditions auxquelles le Conseil de
sécurité des Nations Unies leur ouvre l’accès de la Cour (art. 35, par. 2).
20. Ces conditions sont énoncées dans la résolution 9 (1946) du Conseil de sécurité du
7
15 octobre 1946 qui prévoit que la Cour internationale de Justice est ouverte à tout Etat qui n’est
pas partie au Statut de la Cour internationale de Justice aux conditions suivantes : cet Etat devra
avoir déposé préalablement au Greffe de la Cour une déclaration par laquelle il accepte la
juridiction de la Cour aux conditions du Statut et du Règlement de la Cour et accepte toutes les
obligations mises à la charge d’un Membre des Nations Unies par l’article 94 de la Charte des
Nations Unies, notamment la faculté qu’a le Conseil de sécurité de prendre les mesures voulues
pour faire exécuter une décision de la Cour. Cette condition se comprend aisément : ce n’est ainsi
que les parties se trouveront sur un pied d’égalité si elles veulent être certaines que les décisions de
la Cour seront respectées.
5C’est ainsi qu’elle a décidé il y a quelques années à peine que «l’un des principes fondamentaux de son Statut
est qu’elle ne peut trancher un différend entre des Etats sans que ceux-ci aient consenti à sa juridiction» (voir Timor
oriental (Portugal c. Australie), arrêt, C.I.J. Recueil 1995, p. 101, par. 26).
6
Voir Licéité de l’emploi de la force (Yougoslavie c. Portugal), ordonnance du 2 juin 1999, par. 19. On peut
tirer la même conclusion des autres ordonnances rendues le même jour par la Cour dans l’instance introduite par la RFY à
l’encontre d’autres pays membres de l’OTAN.
7
Texte tiré de résolutions et décisions du Conseil de sécurité, documents officiels, 1946, p. 14-15 (annexe 1). - 6 -
21. Le Statut ne prévoit qu’une seule exception : la Cour peut exercer sa compétence à
l’égard de deux ou plusieurs Etats non membres sur le fondement de «traités en vigueur»
(deuxième ligne du paragraphe 2 de l’article 35). Cette notion est cependant ambiguë.
L’interpréter comme si elle s’appliquait à tout traité en vigueur permettrait de tourner les conditions
de la résolution 9 (1946) du Conseil de sécurité et par voie de conséquence du paragraphe 2 de
l’article 35 du Statut. Il suffirait alors à un Etat non membre de conclure avec un autre Etat un
traité acceptant la juridiction de la Cour pour que la résolution ne s’applique pas.
22. Le paragraphe 2 de l’article 35 du Statut remonte au Statut de la Cour permanente de
Justice internationale où cette exception relative aux «traités en vigueur» a été introduite pour
protéger des clauses des traités de paix ayant mis fin à la première guerre mondiale, qui attribuaient
compétence à la Cour et qui étaient déjà en vigueur avant l’adoption du Statut de la Cour.
23. La jurisprudence de la Cour permanente sur l’interprétation de cette exception n’est pas
constante. Elle a fait jouer cette exception dans une affaire dans le cas de l’article 386 du traité de
Versailles 8 mais dans une autre affaire elle a laissé entendre que cette exception s’appliquait aux
9
traités entrés en vigueur uniquement après le Statut .
24. Lors de la révision du Statut en 1926, des propositions visant expressément à faire jouer
l’exception dans le cas de traités en vigueur à la date de la requête n’ont toutefois pas obtenu
l’appui des membres de la Cour permanente et n’ont par conséquent pas été adoptées.
25. La Cour n’a eu par la suite qu’une seule fois l’occasion de se pencher sur cette question,
et ce uniquement à l’occasion d’une demande en indication de mesures conservatoires, en 1993,
dans l’affaire relative à l’Application de la convention pour la prévention et la répression du crime
de génocide (Bosnie-Herzégovine c. République fédérale de Yougoslavie (Serbie et Monténégro))
dans laquelle, après avoir cité l’affaire du Wimbledon, elle s’est prononcée en ces termes : «une
instance peut être valablement introduite par un Etat contre un autre Etat qui, sans être partie au
Statut, est partie à une telle disposition particulière d’un traité en vigueur, et ce indépendamment
des conditions réglées par le Conseil de sécurité dans sa résolution 9 (1946)» et «une clause
compromissoire d’une convention multilatérale, telle que l’article IX de la convention sur le
génocide, invoqué par la Bosnie-Herzégovine en l’espèce, pourrait10tre considérée prima facie
comme une disposition particulière d’un traité en vigueur» .
26. Le Portugal considère que cette opinion exprimée à titre préjudiciel ne lie pas la Cour.
Celle-ci ne l’a d’ailleurs pas réaffirmé dans son arrêt de 1996 statuant sur les exceptions
préliminaires soulevées par la Yougoslavie 11. Pour le Portugal, l’interprétation qui répond le mieux
à la finalité du paragraphe 2 de l’article 35, c’est-à-dire faire respecter l’obligation de satisfaire aux
conditions de la résolution 9 (1946) du Conseil de sécurité est celle qui refuse de faire jouer
l’exception dans le cas de traités entrés en vigueur postérieurement au Statut lui-même. Seuls les
traités dont les Etats parties au Statut pouvaient avoir connaissance au moment de l’adoption de
celui-ci exemptent les Etats qui y sont parties de l’obligation de se conformer aux conditions fixées
dans la résolution 9 (1946) du Conseil de sécurité.
8Voir Vapeur Wimbledon, arrêt du 17 août 1923, C.P.J.I. série A n 1, p. 7 et 20.
9Voir Certains intérêts allemands en Haute-Silésie polonaise, fond, arrêt n 7, 1926, C.P.J.I. série A n 7, p. 11.
10
Voir C.I.J. Recueil 1993, p. 14, par. 18.
11 Voir Application de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide
(Bosnie-Herzégovine c. République fédérale de Yougoslavie (Serbie et Monténégro)), exceptions préliminaires, arrêt,
C.I.J. Recueil 1996, p. 595. - 7 -
27. Toute autre interprétation conduirait d’ailleurs à méconnaître l’objectif fondamental de
cette norme qui est clairement énoncé à la fin du paragraphe 2 de l’article 35 : il ne peut en résulter
pour les parties aucune inégalité. Ce qui voudrait dire sur le plan pratique qu’une partie, Membre
des Nations Unies, serait liée par l’article 94 de la Charte tandis que l’autre partie qui n’appartient
pas aux Nations Unies, avec laquelle la première a conclu par exemple un traité bilatéral, ne le
serait pas. La deuxième partie bénéficierait dès lors d’une garantie d’exécution du traité alors que
ce ne serait pas le cas de la première.
28. En bref, le Portugal soutient que le droit d’ester en justice devant la Cour n’est reconnu
qu’aux parties à son Statut, aux Etats qui ont déposé une déclaration conformément à la
résolution 9 (1946) du Conseil de sécurité et aux autres Etats qui peuvent ester devant la Cour en
vertu de traités entrés en vigueur avant le Statut de la Cour.
II. LES RAPPORTS EXISTANT ENTRE LA RFY ET L’O RGANISATION DES N ATIONS U NIES
29. Les prétentions avancées au sujet du droit de saisir la Cour s’appliquent également en
l’espèce du fait de la question que soulèvent les rapports entre la RFY et l’Organisation des
Nations Unies car seuls les Etats Membres des Nations Unies sont ipso facto parties au Statut de la
Cour (art. 93, par. 1, de la Charte).
30. Le 27 avril 1992, le jour de sa naissance, la RFY a adopté une déclaration dans laquelle
elle prétendait assurer automatiquement la continuité de l’ancienne République fédérative socialiste
de Yougoslavie (RFSY), qu’elle a transmise au Secrétaire général des Nations Unies 1. Elle a par
la suite revendiqué le siège de la RFSY à l’Organisation des Nations Unies.
31. La communauté internationale en général et les organes compétents de l’Organisation
des Nations Unies ont toutefois exprimé une certaine hostilité à l’encontre de cette revendication.
13
32. Dans sa résolution 757 (1992) du 30 mai 1992 , le Conseil de sécurité a déclaré (par. 10
du préambule) :
«Notant que l’affirmation de la République fédérative de Yougoslavie (Serbie et
Monténégro) selon laquelle elle assure automatiquement la continuité de
l’ex-République fédérative socialiste de Yougoslavie comme Membre de
l’Organisation des Nations Unies n’a pas été généralement acceptée.»
14
Cette position fut réaffirmée dans la résolution 777 (1992) du 19 septembre 1992 , dans
laquelle le Conseil de sécurité, après avoir affirmé dans le préambule que «l’Etat antérieurement
connu comme la République fédérative socialiste de Yougoslavie a cessé d’exister» et avoir
rappelé sa résolution antérieure, a déclaré qu’il
12
«La République fédérative de Yougoslavie, assurant la continuité de l’Etat et de la personnalité
juridique et politique internationale de la République fédérative socialiste de Yougoslavie, respectera
strictement tous les engagements que la République fédérative socialiste de Yougoslavie a pris à
l’échelon international.» (Voir Application de la convention pour la prévention et la répression du crime
de génocide, exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 1996, p. 610, par. 17.)
13Annexe 2.
14
Annexe 3. - 8 -
«consid[érait] que la République fédérative de Yougoslavie (Serbie et Monténégro) ne
[pouvait] pas assurer automatiquement la continuité de la qualité de membre de
l’ancienne République fédérative socialiste de Yougoslavie aux Nations Unies et par
conséquent recommand[ait] à l’Assemblée générale de décider que la République
fédérative de Yougoslavie (Serbie et Monténégro) devrait présenter une demande
d’adhésion aux Nations Unies et qu’elle ne participera[it] pas aux travaux de
l’Assemblée générale».
33. Suite à cette recommandation, l’Assemblée générale a déclaré ce qui suit dans sa
résolution 47/1 du 22 septembre 1992 (par. 1) :
«Considère que la République fédérative de Yougoslavie (Serbie et
Monténégro) ne peut pas assumer automatiquement la qualité de Membre de
l’Organisation des Nations Unies à la place de l’ancienne République fédérative
socialiste de Yougoslavie et, par conséquent, décide que la République fédérative de
Yougoslavie (Serbie et Monténégro) devrait présenter une demande d’admission à
15
l’Organisation et qu’elle ne participera pas aux travaux de l’Assemblée générale.»
34. Au cours du débat qui a précédé l’adoption de la résolution de l’Assemblée générale le
22 septembre 1992, le premier ministre à l’époque de la RFY a reconnu que son pays n’était pas
Membre des Nations Unies lorsqu’il a déclaré devant l’Assemblée : «Je présente officiellement une
demande d’admission à l’Organisation des Nations Unies au nom de la nouvelle Yougoslavie dont
je représente le gouvernement.» 16 Cette déclaration n’a toutefois été suivie d’aucune autre
démarche de la part de la RFY qui, à la différence de toutes les autres républiques issues de
l’ancienne RFSY, n’a présenté aucune demande officielle d’adhésion.
35. Devant cette situation, le Conseil de sécurité, pour qu’il n’y a aucun doute sur le fait que
la RFY n’était pas Membre des Nations Unies, a décidé dans sa résolution 821 (1993) du 28 avril
1993 17 ce qui suit :
«Réaffirme que la République fédérative de Yougoslavie (Serbie et
Monténégro) ne peut pas assurer automatiquement la continuité de la qualité de
Membre de l’ancienne République fédérative socialiste de Yougoslavie aux
Nations Unies et par conséquent recommande à l’Assemblée générale de décider, suite
aux décisions prises dans la résolution 47/1, que la République fédérative de
Yougoslavie (Serbie et Monténégro) ne participera pas aux travaux du Conseil
économique et social.»
36. Suite à cette recommandation, l’Assemblée générale a approuvé la résolution 47/229 du
5 mai 1993 18dans laquelle elle a décidé que : «la République fédérative de Yougoslavie (Serbie et
Monténégro) ne participera[it] pas aux travaux du Conseil économique et social»; elle a également
décidé dans sa résolution 48/88 du 20 décembre 1993 que les Etats Membres et le Secrétariat
devraient «mettre fin à la participation de fait de la Serbie et du Monténégro aux travaux de
l’Organisation» (par. 19).
15 o
Voir Nations Unies, Documents officiels de l’Assemblée générale, 47, supplément n 49, doc. A/47/49, 1992,
p. 12 (annexe 4).
16Voir Nations Unies, doc. A/47/PV.7, 1992, p. 149 (annexe 5).
17Annexe 6.
18
Annexe 7. - 9 -
37. La position des organes chargés de statuer sur l’admission et l’expulsion de Membres
(articles 4 et 6 de la Charte) est donc tout à fait claire. La République fédérative socialiste de
Yougoslavie n’existe plus et aucune des républiques qui la constituaient, qu’elles soient ou non
membres d’une nouvelle fédération, ne peut prétendre lui succéder en ce qui a trait à l’adhésion à
l’Organisation des Nations Unies 1.
38. La République fédérale de Yougoslavie n’est par conséquent pas membre des
Nations Unies, la qualité de Membre de la RFSY étant automatiquement devenue caduque à la
dissolution de cet Etat.
39. Ce problème n’est pas inédit dans la pratique de l’Organisation des Nations Unies. Il
s’est déjà posé le 31 décembre 1992 à l’occasion de la dissolution de la Tchécoslovaquie, lorsque la
République tchèque et la Slovaquie ont demandé à adhérer à l’Organisation des Nations Unies.
Dans le cas de l’ex-Union des Républiques socialistes soviétiques, la communauté internationale,
au sein de laquelle on comptait les onze autres membres du nouveau Commonwealth d’Etats
indépendants, a accepté à une large majorité que la Fédération russe succède à l’Union soviétique.
Cette reconnaissance, consacrée dans la résolution 757 (1992) du Conseil de sécurité, n’a jamais
été accordée dans le cas de la RFY Les quatre autres anciens membres de la République fédérative
socialiste de Yougoslavie ont refusé d’accepter que la RFY soit le seul Etat à succéder à la
20
République fédérative socialiste de Yougoslavie .
40. C’est à la même concl21ion qu’est parvenue la commission d’arbitrage de la conférence
pour la paix en Yougoslavie dans une série d’avis portant sur cette question.
41. C’est ainsi que la Commission a tiré la conclusion suivante dans son premier avis du
29 octobre 1991 (par. 3) : «[L] a République socialiste fédérative de Yougoslavie est engagée dans
22
un processus de dissolution.»
o
42. Par la suite, dans l’avis n 8 du 4 juillet 1992, la Commission, après avoir confirmé que la
Serbie et le Monténégro avaient constitué un nouvel Etat fédéral le 27 avril 1992, a affirmé ce qui
suit au paragraphe 4 : «[L]e processus de dissolution de la RSFY … est arrivé à son terme et … il
23
faut constater que la RSFY n’existe plus.»
o
43. Dans son avis n 9 également daté du 4 juillet 1992, elle a affirmé clairement ce qui suit :
«De nouveaux Etats ont été créés sur le territoire de l’ancienne RSFY et se sont substitués à elle.
Ils sont tous des Etats successeurs de l’ancienne RSFY.» Elle a ajouté au paragraphe 4 :
19
Sans préjudice évidemment de son aptitude à succéder avec les autres républiques à d’autres traités qui
n’instituent pas des organisations internationales selon les règles générales du droit relatif à la succession d’Etats.
20 Voir notamment la lettre datée du 28 octobre 1996, adressée au Secrétaire général par la Bosnie-Herzégovine,
la Croatie, l’ex-République yougoslave de Macédoine et la Slovénie (Nations Unies, doc. A/51/564-S/1996/885)
(annexe 8).
21 Créée le 27 août 1991 par une déclaration adoptée lors d’une séance extraordinaire des ministres dans le cadre
de la coopération politique européenne entre les Etats membres de l’Union européenne et acceptée par les sept
républiques yougoslaves lors de l’ouverture de la conférence sur la paix le 7 septembre 1991. La Serbie elle-même a
posé des questions à la commission d’arbitrage.
22Voir Revue générale de droit international public, vol. 96, 1992, fascicule 1, p. 264-266 (annexe 9).
23Voir Revue générale de droit international public, vol. 97, 1993, fascicule 2, p. 588-590 (annexe 10). - 10 -
«[I]l doit être mis un terme à la qualité de membre de la RSFY dans les
organisations internationales conformément à leurs statuts respectifs et … aucun des
Etats successeurs ne peut revendiquer en tant que tel et pour lui seul le bénéfice des
24
droits détenus jusqu’à lors par l’ancienne RSFY en sa qualité de membre.»
44. Et pour terminer, dans son avis n 10 (par. 5) du même jour, la Commission a déclaré ce
qui suit : «[L]a RFY (Serbie et Monténégro) apparaît comme un Etat nouveau qui ne saurait être
considéré comme l’unique successeur de la RSFY.» 25
45. La Cour ne s’est pas prononcée sur la question de la qualité de Membre de la
Yougoslavie à l’Organisation des Nations Unies : «[L]a Cour n’a pas à statuer définitivement au
stade actuel de la procédure sur la que26ion de savoir si la Yougoslavie est ou non membre de
l’Organisation des Nations Unies» , position qu’elle a réitérée dans son ordonnance faisant suite à
la demande en indication de mesures conservatoires présentée en l’espèce 27.
46. Cela étant, et même si les décisions prises à ce sujet sont claires, force est de reconnaître
que la pratique de l’Organisation des Nations Unies n’a pas été constante. Comme la Cour l’a
rappelé dans l’affaire susmentionnée, certains membres du Secrétariat semblent avoir interprété de
façon restrictive les résolutions du Conseil de sécurité et de l’Assemblée générale en laissant
entendre que celles-ci n’ont pas mis un terme à la qualité de Membre de la Yougoslavie à
l’Organisation des Nations Unies puisqu’elles visaient uniquement la RFSY et non pas la RFY. Il
en résulte selon eux que la RFSY conserve sa qualité de Membre de l’Organisation des
Nations Unies jusqu’à ce que la question de sa succession soit définitivement réglée. Ce qui
explique que l’on continue à faire flotter le drapeau de l’ancienne RFSY et non celui de la RFY Et
il est également entendu que les représentants de la nouvelle RFY ne peuvent revendiquer le siège
28
de l’ancienne Yougoslavie .
47. Or les résolutions des organes compétents ne pourraient guère être plus limpides en
pratique. Il serait absurde de mettre un terme à la qualité de Membre d’une entité déjà disparue.
48. Mais la situation demeure confuse du fait de cette interprétation de certains membres du
Secrétariat ainsi que de la persistance avec laquelle la RFY se refuse à demander son adhésion à
l’Organisation des Nations Unies tout en maintenant sa représentation au sein de celle-ci bien
qu’elle demeure naturellement privée de son droit de vote au sein des organes de l’Organisation des
Nations Unies depuis 1992-1993 et que ce soit encore le cas aujourd’hui.
24Voir Revue générale de droit international public, vol. 97, 1993, fascicule 2, p. 591-593 (annexe 11).
25
Voir Revue générale de droit international public, vol. 97, 1993, fascicule 2, p. 594-595 (annexe 12).
26
Voir Application de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide, mesures
conservatoires, ordonnance du 8 avril 1993, C.I.J. Recueil 1993, p. 14, par. 18.
27Voir Licéité de l’emploi de l’emploi de la force (Yougoslavie c. Portugal), ordonnance du 2 juin 1999, par. 32.
28 Voir Application de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide, mesures
conservatoires, ordonnance du 8 avril 1993, C.I.J. Recueil 1993, p. 13 par. 17.Voir aussi le mémoire, page 330,
paragraphe 3.1.4, où il est valoir à tort que le Sous-Secrétaire général visait la RFY. - 11 -
49. En fait, le Secrétariat a non seulement fixé le montant des contributions à charge de la
nouvelle Yougoslavie29mais l’Assemblée générale a aussi approuvé la résolution 52/215 du
22 décembre 1997 . Cette résolution fixe le barème des quotes-parts pour le calcul des
contributions au budget des Etats Membres et non membres qui participent à certaines activités de
l’Organisation; figure sur cette liste des Etats Membres un Etat appelé Yougoslavie.
50. Nous pouvons écarter ces décisions du Secrétariat, simples décisions administratives qui
ne sauraient par elles-mêmes modifier la situation de la RFY. Une décision de l’Assemblée
générale dans laquelle un Etat dénommé Yougoslavie est indiqué comme Membre même pour des
raisons d’ordre purement financier est par contre de nature à retenir davantage l’attention.
51. Quoi qu’il en soit, le Portugal soutient que cette résolution ne suffit pas à elle seule pour
modifier la qualité de non membre de la RFY. Même si nous reconnaissons la possibilité d’une
admission tacite d’un Etat à l’Organisation des Nations Unies, il est clair que l’Assemblée générale
ne peut y donner suite sans l’approbation du Conseil de sécurité. L’article 4 de la Charte est tout à
fait catégorique à ce sujet et la pratique du Conseil de sécurité n’indique nullement qu’une telle
position ait été adoptée.
52. Ajoutons également qu’aucune clause de la résolution 52/215 ne témoigne de l’intention
de modifier la situation de la RFY même si l’on jugeait légitime de la mentionner par son nom. Si
telle avait été l’intention, il est clair que cette résolution n’aurait pas été adoptée par consensus.
Certains Etats, sinon la plupart, auraient contesté un acte qui ne respectait pas la Charte des
Nations Unies. Un simple arrangement d’ordre financier, probablement établi sur les instances du
Secrétariat, ne saurait servir de fondement à l’admission d’un Etat à l’Organisation des
Nations Unies.
53. Compte tenu de ce qui précède, le Portugal soutient que la mention de la Yougoslavie
dans la résolution 52/215 vise l’ancienne République fédérative socialiste de Yougoslavie et non la
RFY. Il appert que certains membres du Secrétariat estiment toutefois qu’il ne sera mis un terme à
la qualité de Membre de l’ex-Yougoslavie à l’Organisation des Nations Unies que lorsque la
question de sa succession sera considérée comme définitivement réglée, notamment par la nouvelle
Yougoslavie. Jusqu’à ce que ce soit le cas, il convient de percevoir les contributions dues par
l’ancien Etat du seul pays qui est disposé à les acquitter, les seuls organes administratifs de
l’Organisation des Nations Unies se contentant simplement de prendre acte de cette situation de
fait. Il n’y a rien d’illogique à ce que le personnel qui a pour mission quotidienne de résoudre la
crise financière de l’Organisation des Nations Unies s’emploie à éviter toute perte de recettes.
54. Aussi le Portugal fait-il valoir que la situation de la RFY vis-à-vis de l’Organisation des
Nations Unies ne saurait s’interpréter comme conférant à la RFY la qualité de Membre de
l’Organisation. Sa mission permanente auprès de celle-ci jouit en pratique de droits moindres que
ceux dont jouit la mission d’observation d’un Etat non membre. Le versement d’une contribution
au budget de l’Organisation n’y change rien car les Etats qui ont la qualité d’observateurs versent
également une contribution conformément à l’alinéa b) du paragraphe 3 de la même résolution
52/215 de l’Assemblée générale. Si la RFY avait vraiment la qualité de Membre, le fait d’être
privée comme elle l’est aujourd’hui de son droit de vote au sein de tous les organes de
l’Organisation des Nations Unies constituerait une violation extrêmement grave de la Charte.
29Annexe 13. - 12 -
55. La RFY semble donc se trouver dans une situation sui generis qui ressemble plus à celle
d’un Etat ayant la qualité d’observateur plutôt qu’à celle d’un Etat Membre car elle n’a sur le plan
pratique ni le droit de participer aux travaux des organes de l’Organisation des Nations Unies ni
celui d’y voter.
III. L A RFY N’EST PAS PARTIE AU S TATUT DE LA C OUR
56. Si la Yougoslavie n’est pas Membre des Nations Unies, force est donc de conclure
qu’elle n’est pas partie au Statut de la Cour car elle n’a pas demandé à y être partie en application
du paragraphe 2 de l’article 93 de la Charte et aucune décision correspondante du Conseil de
sécurité et de l’Assemblée générale n’a été prise comme ce fut le cas pour la Suisse 30 et, jusqu’à ce
31 32 33 34
qu’ils fussent admis comme Membres, pour le Japon , le Liechtenstein , Saint Marin et Nauru .
57. La RFY ne donne même pas à entendre qu’elle a eu recours à cette solution : on ne
trouve en effet aucune prétention en ce sens dans son mémoire.
58. On ne saurait non plus accepter que la RFY, se fondant sur le fait que la Cour a pris en
vertu de son Statut des mesures contre la Yougoslavie dans l’affaire relative à l’Application de la
convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Bosnie-Herzégovine c.
République fédérale de Yougoslavie (Serbie et Monténégro)), conclue que la Cour a considéré que 35
la RFY était partie à son Statut au motif que celui-ci ne lie que les Etats qui y sont parties . Ce qui
est clair, c’est qu’un Etat qui n’est pas partie au Statut, mais reconnaît légitimement la compétence
de la Cour en vertu du paragraphe 2 de l’article 35, le fait aux conditions du Statut. En d’autres
mots, sous certaines conditions (c’est-à-dire grosso modo l’acceptation de la résolution 9 (1946) du
Conseil de sécurité), le Statut confère des droits aux Etats non membres qui reconnaissent la
juridiction de la Cour conformément aux conditions qui y sont fixées. Se forme ainsi une sorte
d’accord accessoire étendant aux Etats non membres les droits et obligations du Statut 36 sans que
ceux-ci y deviennent officiellement parties, c’est-à-dire qu’ils jouissent de tous les droits reconnus
à un Etat qui y est officiellement partie et sans qu’ils soient obligés de faire une déclaration
officielle en application de la résolution 9 (1946).
30Voir résolution 11 (1946) du Conseil de sécurité du 15 novembre 1946 et résolution 91 (1) de l’Assemblée
générale du 11 décembre 1946.
31Du 2 avril 1954 au 18 décembre 1956 (conformément à la résolution 102 (1953) du Conseil de sécurité du
3 décembre 1953 et la résolution 805 (VIII) de l’Assemblée générale du 9 décembre 1953).
32Liechtenstein, du 29 mars 1950 au 18 avril 1990 (en vertu de la résolution 71 (1949) du Conseil de sécurité du
27 juillet 1949 et de la résolution 363 (IV) de l’Assemblée générale du 1 décembre 1949).
33Du 18 février 1954 au 2 mars 1992 (en vertu de la résolution 103 (1953) du Conseil de sécurité du 3 décembre
1953 et de la résolution 806 (VIII) de l’Assemblée générale du 9 décembre 1953).
34Du 29 janvier 1988 au 14 septembre 1999 (en vertu de la résolution 600 (1987) du Conseil de sécurité du
19 octobre 1987 et de la résolution 42/21 de l’Assemblée générale du 18 novembre 1987).
35C’est ce que soutient la RFY : voir mémoire, p. 335, par. 3.1.21. Il est encore moins utile d’invoquer la
position d’autres Etats Membres qui, pour introduire des instances contre la RFY, ont affirmé qu’ils estimaient que
celle-ci était partie au Statut (voir mémoire, p. 335, par. 3.1.19 et 3.1.20). C’est à l’Organisation des Nations Unies et
non à un Etat Membre agissant de son propre chef qu’il appartient de déterminer qui est Membre de l’Organisation.
36Voir les articles 35 et 36 de la convention de 1969 sur le droit des traitLa condition exigeant que
l’acceptation d’obligations soit constatée par écrit ne saurait être considérée comme découlant du droit coutumier bien
qu’elle ait été respectée en l’espèce car la déclaration exigée par la résolution 9 (1946) du Conseil de sécurité doit
nécessairement être écrite. - 13 -
IV. L A RFY N ’EST PAS ADMISE À ESTER DEVANT LA C OUR
59. Si elle n’est pas partie au Statut de la Cour, la RFY ne peut ester devant celle-ci qu’en
vertu du paragraphe 2 de l’article 35.
60. Le 26 avril 1999, la Yougoslavie a déposé une déclaration reconnaissant la juridiction de
la Cour 3, mais cette déclaration précise qu’elle est faite conformément au paragraphe 2 de
l’article 36 et ne mentionne nullement la résolution 9 (1946) du Conseil de sécurité qui régit l’accès
à la Cour des Etats qui ne sont pas parties au Statut conformément à l’article 41 de son Règlement.
61. On ne saurait non plus interpréter cette déclaration comme étant une déclaration
d’acceptation des obligations découlant de l’article 94 de la Charte faute d’invocation de cette
disposition. Aussi la Cour devrait-elle en tout état de cause déclarer cette déclaration nulle et non
avenue en application de la disposition figurant à la fin de l’article 41 de son Règlement.
62. Même si elle s’était référée à l’article 84, la déclaration faite en vertu du paragraphe 2 de
l’article 36 ne pourrait être invoquée pour introduire une instance contre le Portugal. Le
paragraphe 2 de la résolution 9 (1946) du Conseil de sécurité exige le consentement exprès de
l’Etat défendeur avant qu’une instance puisse être introduite à son encontre. Le Portugal n’a pas
donné un tel consentement et, pour les motifs déjà exposés, ne le donnera pas 38.
63. Partant le Portugal ne peut que conclure à la nullité de la présente déclaration de
reconnaissance de la juridiction de la Cour par la RFY et par voie de conséquence au défaut de
qualité pour agir de celle-ci devant la Cour.
64. Ce défaut a également des incidences sur le droit d’invoquer l’article IX de la convention
39
de 1948 pour la prévention et la répression du génocide comme base de compétence pour la Cour.
65. Le Portugal a déjà eu l’occasion d’indiquer que le droit exceptionnel de saisir la Cour
sans se conformer à la résolution 9 (1946) du Conseil de sécurité sur la base «des traités en
vigueur» (paragraphe 2 de l’article 35 du Statut) ne visait que les traités déjà en vigueur à la date de
prise d’effet du Statut de la Cour. Il s’agit là d’une condition liée à la finalité de cette disposition
37Déclaration qui est ainsi rédigée :
«Je déclare par la présente que, conformément au paragraphe 2 de l'article 36 du Statut de Cour
internationale de Justice, le Gouvernement de la République fédérale de Yougoslavie reconnaît comme
obligatoire de plein droit et sans convention spéciale, à l'égard de tout autre Etat acceptant la même
obligation, à savoir sous condition de réciprocité, la juridiction de la Cour sur tous les différends qui
pourraient surgir après la signature de la présente déclaration concernant des situations ou des faits
ultérieurs à ladite signature, excepté dans les cas où les parties sont convenues ou conviendront d'avoir
recours à une autre procédure ou à une autre méthode de règlement pacifique. La présente déclaration ne
s’applique pas aux différends portant sur des questions qui, au regard du droit international, relèvent
exclusivement de la compétence de la République fédérale de Yougoslavie, non plus que sur les
différends territoriaux. L'obligation susmentionnée est acceptée tant qu'il n'aura pas été notifié qu'elle ne
l'est plus.»
38
Voir par. 10 ci-dessus.
39Nations Unies, Recueil des traités, vol. 78, 1951, p. 277 et suiv. - 14 -
sans laquelle il serait alors possible de tourner les conditions de ladite résolution. Il en résulterait
une violation de l’objet fondamental du principe voulant que les parties se trouvent sur un pied
d’égalité, car l’une serait alors liée par l’article 94 tandis que l’autre ne le serait pas 4.
66. Cette exception ne s’applique toutefois pas dans le cas de la convention de 1948 sur le
génocide qui n’est entrée en vigueur que le 12 janvier 1951.
67. Partant, le Portugal conclut au rejet de l’instance introduite par la Yougoslavie motif pris
de ce que celle-ci ne remplit pas les conditions requises pour saisir la Cour.
68. Le Portugal soutient que la présente exception, bien qu’elle ne soulève pas à proprement
parler une question de juridiction au sens strict ou de recevabilité, revêt manifestement un
caractère préliminaire au sens de l’article 79 du Règlement de la Cour. Etant donné que le droit
d’accès à la Cour est une condition sine qua non de l’exercice par celle-ci de sa compétence, cette
exception devrait être considérée comme «toute autre exception sur laquelle le défendeur demande
une décision avant que la procédure sur le fond se poursuive» en application du paragraphe 1 de
l’article 79. Cette conclusion découle implicitement de la distinction41pérée par la Cour et
appliquée par le Portugal entre le droit d’accès et la compétence .
40 Voir par. 26-28 ci-dessus.
41
«Considérant … que la Cour ne peut donc exercer sa compétence à l’égard d’Etats parties à un
différend que si ces derniers ont non seulement accès à la Cour, mais ont en outre accepté sa compétence,
soit d’une manière générale, soit pour le différend particulier dont il s’agit.» (Voir affaire relative à la
Licéité de l’emploi de la force (Yougoslavie c. Portugal), ordonnance du 2 juin 1999, par. 19.) - 15 -
DEUXIÈME PARTIE
EXCEPTIONS D’INCOMPÉTENCE
I. EN CE QUI A TRAIT À LA DÉCLARATION FACULTATIVE DÉPOSÉE PAR LA RFY
69. Le Portugal a déjà eu l’occasion de contester la validité de la déclaration facultative
déposée par la RFY au regard tant du paragraphe 2 de l’article 36 que du paragraphe 2 de l’article
35 du Statut. Même si elle avait été déposée en application de cette dernière disposition, elle ne
serait toujours pas opposable au Portugal sans son consentement exprès (voir fin du paragraphe 2
42
de la résolution 9 (1946) du Conseil de sécurité) .
70. Cela étant, même sans ces empêchements, la déclaration ne conférerait pas compétence
en l’espèce à la Cour ratione temporis du fait de son libellé.
43
71. La déclaration déposée par le Portugal ne mentionne pas expressément la condition de
réciprocité mais renvoie au paragraphe 2 de l’article 36 du Statut qui soumet chaque déclaration à
une telle condition par le membre de phrase «à l’égard de tout autre Etat acceptant la même
obligation».
72. Comme le souligne la jurisprudence constante de la Cour, le principe de réciprocité «fait
partie du système de la disposition facultative en vertu des termes exprès tant de l’article 36 du
44
Statut que de la plupart des déclarations d’acceptation» et «[l]a réciprocité en matière de
déclarations portant acceptation de la juridiction obligatoire de la Cour permet à une partie
45
d’invoquer une réserve à cette acceptation qu’elle n’a pas exprimée dans sa propre déclaration» .
De surcroît, «il est reconnu que, par l’effet de la condition de réciprocité inscrite au paragraphe 2
42Voir par. 60-63 ci-dessus.
43La déclaration du Portugal est ainsi rédigée :
«En vertu du paragraphe 2 de l'article 36 du Statut de la Cour internationale de Justice, je déclare,
au nom du Gouvernement portugais, que le Portugal reconnaît comme obligatoire, de plein droit et sans
convention spéciale, la juridiction de la Cour, conformément audit paragraphe 2 de l'article 36 et dans les
conditions énoncées ci-après :
1) La présente déclaration s'applique aux différends nés d'événements survenus avant ou après la
déclaration d'acceptation de la «disposition facultative » que le Portugal a faite le 16 décembre 1920,
en tant que partie au Statut de la Cour permanente de Justice internationale.
2) La présente déclaration entre en vigueur à la date de son dépôt auprès du Secrétaire général de
l'Organisation des Nations Unies ; elle demeurera en vigueur pendant un an et, par la suite, jusqu'à ce
qu'une notification de dénonciation soit adressée au Secrétaire général.
3) Le Gouvernement portugais se réserve le droit d'exclure du champ d'application de la présente
déclaration, à tout moment au cours de sa validité, une ou plusieurs catégories déterminées de
différends, en adressant au Secrétaire général de l'Organisation des Nations Unies une notification qui
prendra effet à la date où elle aura été donnée.»
44Voir Droit de passage sur territoire indien, exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 1957, p. 145.
45Voir Interhandel, exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 1959, p. 23. - 16 -
de l’article 36 du Statut de la Cour», toute limitation ratione temporis apportée par l’une des parties
à sa déclaration d’acceptation de la juridiction de la Cour «fait droit entre les parties» (Phosphates
o 46
du Maroc, arrêt, 1938, C.P.J.I. série A/B n 74, p. 22)» .
73. Partant, le Portugal peut invoquer les conditions énoncées dans la déclaration de la RFY
qui imposent de surcroît expressément la réciprocité dès lors que la Cour n’aura compétence
que dans la mesure où les deux déclarations coïncident exactement. Pour reprendre les propos de
la Cour, «cette compétence lui est conférée seulement dans la mesure où elles coïncident pour la lui
conférer» 47.
74. De plus, comme il appartient à la Cour de statuer d’office sur une question de
compétence, le droit du Portugal d’attirer l’attention de celle-ci sur les limites de sa compétence 48
ne saurait être contesté même si le principe de réciprocité ne s’applique pas.
75. Le Portugal continue de défendre la thèse qu’il a exposée à la Cour au cours des
audiences faisant suite à la demande en indication de mesures conservatoires présentée par la
Yougoslavie, selon laquelle la déclaration que celle-ci a déposée 49 comporte une limitation ratione
temporis qui empêche la Cour d’exercer sa juridiction en l’espèce.
76. La déclaration ne confère juridiction à la Cour que sur «les différends qui pourraient
surgir après la signature de la présente déclaration concernant des situations ou des faits ultérieurs à
ladite signature». La RFY utilise ainsi la formulation «belge» qui se présente sous la forme d’une
double exclusion. La juridiction n’est conférée qu’à l’égard des différends surgissant après la date
de la déclaration et uniquement à l’égard de ceux concernant des événements survenant après le
26 avril 1999.
77. Or le différend qui est à l’origine de la présente affaire a surgi bien avant le
26 avril 1999. Il s’est élevé pour la première fois le 30 avril 1998 lorsque le Conseil de
l’Atlantique Nord a condamné l’action militaire entreprise par les autorités yougoslaves au Kosovo
comme étant disproportionnée et contraire au droit humanitaire applicable aux conflits armés ne
50
présentant pas un caractère international . Ce différend a atteint son paroxysme dans les jours qui
ont précédé et suivi directement le déclenchement de l’action militaire de l’OTAN contre la RFY le
24 mars 1989 par les accusations de la Yougoslavie qui ont été immédiatement réfutées.
46Voir Licéité de l’emploi de la force (Yougoslavie c. Portugal), ordonnance du 2 juin 1999, par. 29.
47Voir Certains emprunts norvégiens, arrêt, C.I.J. Recueil 1957, p. 23.
48
C’est ainsi que la Cour a décidé : «Celle-ci [la Cour] n’en doit pas moins, conformément à son Statut et à sa
jurisprudence constante, examiner d’office la question de sa propre compétence» et «[e]n outre, dans la présente affaire,
le devoir qu’a la Cour de procéder à cet examen de sa propre initiative est confirmé par l’article 53 du Statut.» (Voir
Compétence en matière de pêcheries (Royaume-Uni c. Islande), compétence de la Cour, C.I.J. Recueil 1973, p. 7,
par. 12.) Sans oublier ce qui suit : «La Cour fera observer qu’établir ou ne pas établir sa compétence n’est pas une
question qui relève des parties; elle est du ressort de la Cour elle-même» et «[i]l en résulte qu’il n’y a pas de charge de la
preuve en matière de compétence. C’est à la Cour elle-même de décider, compte tenu de tous les faits et de tous les
arguments avancés par les parties.» (Voir Compétence en matière de pêcheries (Espagne c. Canada), compétence,
4 décembre 1998, par. 37 et 38.)
49Pour le texte, voir par. 60 ci-dessus.
50 Voir Déclaration du Conseil de l’Atlantique Nord sur la situation au Kosovo, 30 avril 1998, communiqué de
presse 98/51 de l’OTAN (annexe 14). - 17 -
78. La Cour a confirmé cette interprétation des événements lors de la phase de la procédure
relative à la demande en indication de mesures conservatoires en des termes apparemment
péremptoires : «Considérant qu'il est constant que les bombardements en cause ont commencé le
24 mars 1999 et se sont poursuivis, de façon continue, au-delà du 25 avril 1999; et qu'il ne fait pas
de doute pour la Cour, au vu notamment des débats du Conseil de sécurité des 24 et 26 mars 1999
(S/PV. 3988 et 3989), qu'un «différend d'ordre juridique» (Timor oriental (Portugal c. Australie),
C.I.J. Recueil 1995, p. 100, par. 22) a «surgi» entre la Yougoslavie et l'Etat défendeur, comme avec
les autres Etats membres de l'OTAN, bien avant le 25 avril 1999, au sujet de la licéité de ces
51
bombardements comme tels, pris dans leur ensemble» .
e
79. Quand le représentant de la RFY a affirmé, lors de la 3988 séance tenue le 24 mars 1999
par le Conseil de sécurité, que «[c]ette agression éhontée est une violation flagrante des principes
de base de la Charte» 52 et que les Etats membres de l’OTAN ont contesté cette affirmation, il est
manifeste qu’un différend existait déjà au sujet de la question capitale qui est à l’origine de
l’instance engagée par la Yougoslavie, à savoir la licéité des bombardements.
80. Le Portugal reconnaît par conséquent qu’un différend d’ordre juridique l’oppose à la
RFY. Il va de soi que le Portugal conteste certains faits que la RFY semble alléguer dans son
mémoire et qu’il conteste aussi l’allégation selon laquelle ces faits seraient contraires au droit
international 53. Il existe donc un différend comme la Cour l’a constaté . Le Portugal affirme
simplement que ce différend a surgi bien avant le 26 avril 1999 et n’entre dès lors pas dans le
champ d’application de la déclaration facultative de la RFY. Comme la Cour l’a déjà dit, il est
clair qu’à l’époque des séances tenues les 24 et 26 mars 1999 par le Conseil de sécurité, tous les
faits du différend qui ont conduit la RFY à introduire la présente instance existaient déjà.
81. Qu’il suffise d’ajouter que les événements à l’origine du différend ont commenc55
en 1998 à l’occasion de la répression exercée par la Yougoslavie au Kosovo . Ceux-ci s’étaient
donc manifestement produits en dehors des délais fixés par la déclaration de la RFY qui exclut non
seulement les différends surgis avant le 26 avril 1999 mais aussi ceux concernant des situations ou
des faits antérieurs.
82. Situations ou faits au sujet desquels la Cour a déclaré ce qui suit :
51Licéité de l’emploi de la force (Yougoslavie c. Portugal), ordonnance du 2 juin 1999, par. 27.
52 Voir communiqué de presse SC/6657 de l’Organisation des Nations Unies, 3988 séance (après-midi),
24 mars 1999, p. 11 (annexe 15).
53
Pour les motifs qui ont déjà été exposés, nous ne nous attarderons toutefois pas sur cette question ici tout en
réservant cependant le droit de le faire ultérieurement le cas échéant; voir par. 9 ci-dessus.
54
Selon la définition classique donnée par la Cour permanente de Justice internationale que la Cour a citée à
maintes reprises : «au sens admis dans sa jurisprudence et celle de sa devancière un différend est un désaccord sur un
point de droit ou de fait, un conflit, une opposition de thèses juridiques ou d’intérêts entre des parties» (voir Timor
oriental (Portugal c. Australie), arrêt, C.I.J. Recueil 1995, p. 99, par. 22).
55
Répression condamnée par le Conseil de sécurité dans sa résolution 1160 (1998) du 31 mars 1998, par. 3 du
préambule («Condamnant l’usage excessif de la force par les forces de police serbes contre des civils et des manifestants
pacifiques au Kosovo …») (annexe 16). - 18 -
«Les faits ou situations qu’il faut ici retenir sont ceux que le différend concerne
ou, en d’autres termes, comme l’a dit la Cour permanente dans l’affaire de la
Compagnie d’électricité de Sofia et de Bulgarie, «uniquement ceux qui doivent être
considérés comme générateurs du différend», ceux qui en sont «réellement la
cause».» 56
83. Les faits concernant la répression exercée au Kosovo relèvent manifestement de cette
catégorie ainsi que ceux se rapportant à l’action déclenchée par l’OTAN le 24 mars 1999, qui sont
tous antérieurs au 26 avril 1999.
84. Lors de la phase relative à sa demande en indication de mesures conservatoires, la RFY a
notamment allégué que chaque action militaire menée par l’OTAN entre le 26 et le 29 avril, date de
présentation de sa requête, ainsi que les actions antérieures au 10 juin 1999 constituaient chacune
une violation du droit international donnant naiss57ce à un différend. La RFY semble avoir
abandonné cette position dans son mémoire .
85. La Cour a rejeté cette allégation en des termes dépourvus d’équivoque :
«Considérant que la circonstance que ces bombardements se soient poursuivis
après le 25 avril 1999 et que le différend les concernant ait persisté depuis lors n’est
pas de nature à modifier la date à laquelle le différend avait surgi; que des différends
58
distincts n’ont pu naître par la suite à l’occasion de chaque attaque aérienne.»
86. La position de la Cour est donc claire et le Portugal y souscrit totalement. N’ayant pas
été capable de convaincre la Cour qu’il ne s’agissait pas d’un différend unique s’étendant dans le
temps 59, ce qu’il est effectivement, la RFY a formulé sa déclaration d’une manière visant à lui
permettre d’atteindre ses objectifs de mauvaise foi : obtenir un arrêt de la Cour sur l’action menée
par l’OTAN tout en continuant à échapper à la juridiction de la Cour en ce qui a trait à la répression
qu’elle a exercée contre ses propres citoyens avant le 26 avril 1999. Elle se trouverait ainsi
protégée de toute demande reconventionnelle présentée par le Portugal en vertu du paragraphe 1 de
l’article 80 du Règlement de la Cour ou de toute autre action fondée sur cette répression. Il faudrait
alors scinder le différend en deux, ce qui favoriserait la partie dont les actes illégaux initiaux sont à
60
son origine. La Cour a déjà jugé cette démarche inacceptable en d’autres occasions .
56
Voir Droit de passage sur territoire indien (Portugal c. Inde), fond, arrêt, C.I.J. Recueil 1960, p. 35.
57 Voir mémoire, op. cit., p. 339, par. 3.2.11 et 3.2.12.
58 Voir Licéité de l’emploi de la force (Yougoslavie c. Portugal), ordonnance du 2 juin 1999, par. 28.
59 Ainsi que l’a indiqué la Commission du droit international à l’article 25 de son projet sur la responsabilité
internationale des Etats approuvé en première lecture en 1996 : «La violation d’une obligation internationale par un fait
de l’Etat ayant un caractère de continuité se produit au moment où ce fait commence.» (Voir rapport de 1996 de la
Commission du droit international, chap. III; annexe 17.)
60 C’est ainsi qu’elle a souligné que
«si le Gouvernement de l’Iran estimait que les activités alléguées des Etats-Unis en Iran sont en rapport
juridique étroit avec l’objet de la requête des Etats-Unis, il lui était loisible de développer à ce sujet sa
propre argumentation devant la Cour, soit comme moyen de défense dans un contre-mémoire soit par la
voie d’une demande reconventionnelle» (voir Personnel diplomatique et consulaire des Etats-Unis à
Téhéran, arrêt, C.I.J. Recueil 1980, par. 19-20, par. 36). - 19 -
87. La RFY fait maintenant valoir qu’il n’y a en réalité qu’un seul différend qui s’est aggravé
et a atteint son paroxysme après le 10 juin 1999; elle accuse la KFOR, la force multinationale
autorisée par les paragraphes 7 et 9 de la résolution 1244 (1999) du Conseil de sécurité du
10 juin 1999 61 d’avoir violé les conditions de ladite résolution et d’avoir commis divers actes
contre la population serbe du Kosovo. La RFY affirme ce qui suit :
«Il ne fait aucun doute que ces nouveaux éléments contestés font partie
intégrante du différend relatif au bombardement du territoire du demandeur. Le
différend né d62bombardement s'est cristallisé du fait de ces nouveaux éléments
contestés…»
88. La RFY reconnaît cependant un peu plus loin que «[l]e différend a surgi lors des débats
tenus au cours des séances des 24 et 26 mars 1999 du Conseil de sécurité», mais que des nouveaux
éléments du différend sont apparus après le 10 juin 1999 63. Elle invoque à l’appui de sa thèse
l’affaire du Droit de passage sur territoire indien, dans laquelle la Cour a jugé que «[l]e différend
soumis à64a Cour ayant ce triple objet n’a pu naître que lorsque tous ses éléments constitutifs ont
existé» .
89. La RFY n’a toujours pas précisé quand et pourquoi ce différend a surgi selon elle. Elle
s’est bornée à citer la jurisprudence de la Cour qu’elle estime applicable sans offrir aucune
justification. Pour la RFY, le différend a surgi après le 26 avril 1999 et s’est cristallisé après le
10 juin. Quant à savoir quand et pourquoi, la RFY est muette.
90. Cette attitude semble indiquer que, lorsque la RFY a introduit son instance le
29 avril 1999, le différend était sur le point de naître, mais n’était pas encore né. Il était né dans un
premier temps mais n’avait aucune portée juridique précise. C’est là une conclusion extraordinaire
dès lors que la RFY avait détaillé dans sa requête une longue liste d’accusations dont la plupart
avaient déjà été soumises à l’Organisation des Nations Unies et rejetées.
91. Force est pour le Portugal de souligner le caractère bizarre d’une affirmation selon
laquelle un différend qui s’est élevé du fait du recours à l’emploi de la force, que ce soit par la RFY
contre sa propre population ou par l’OTAN, semble, pour la RFY, ne pas avoir existé jusqu’à la
conclusion d’un accord y mettant fin entre les parties au conflit et confirmé par le Conseil de
sécurité. Par contre, des actes postérieurs survenant dans un contexte de paix radicalement
différent auraient donné naissance au «différend».
61
Annexe 18.
62Voir mémoire, op. cit., p. 339, par. 3.2.12 et voir aussi p. 8, par. 12.
63Voir mémoire, op. cit., p. 340, par. 3.2.16.
64
Voir C.I.J. Recueil 1960, p. 34-35. - 20 -
92. Le Portugal ne peut dès lors accepter que le différend ne se soit élevé qu’après le
10 juin 1999. Mais il n’a pas l’intention de nier à cet égard que les nouveaux faits survenus depuis
cette date font partie d’un différend antérieur puisque, pour lui, le différend s’est élevé dans sa
totalité entre le 24 et le 26 mars 1999, c’est-à-dire à une époque à l’égard de laquelle la Cour est
sans compétence selon les termes de la déclaration déposée par la RFY 65
93. On peut également faire remarquer que, même s’il n’était né qu’après le 10 juin 1999, le
différend trouverait encore son origine dans des faits et des situations remontant à 1998 et au
24 mars 1999, il continuerait donc d’échapper à la compétence de la Cour motif pris de ce qu’il
repose sur des faits antérieurs au 26 avril 1999.
94. Faute de retenir cette interprétation, la RFY serait en mesure de soustraire à la
compétence de la Cour des faits et situations qui étaient la cause directe du présent différend, ce qui
priverait abusivement le Portugal des moyens de se défendre contre les clauses expresses de la
déclaration de la RFY.
95. Le Portugal ne peut dès lors que conclure que la déclaration déposée par la RFY ne
confère pas à la Cour compétence pour se prononcer sur quelque aspect que ce soit du différend
dont elle est saisie.
II. EN CE QUI A TRAIT À L ’ARTICLE IX DE LA CONVENTION DE 1948 SUR LE GÉNOCIDE
A. Le Portugal n’était pas partie à la convention
96. Dans le droit fil de sa requête et des allégations qu’elle a formulées lors des audiences
consacrées à sa demande en indication de mesures conservatoires, la RFY continue de soutenir
dans son mémoire que la Cour a aussi compétence sur la base de l’article IX de la convention
de 1948 s66 le génocide, prétention qu’elle continue, semble-t-il, de faire valoir contre le
Portugal .
97. Le Portugal a déjà indiqué que la RFY ne peut invoquer l’article IX de la convention
de 1948 sur le génocide étant donné qu’elle n’est pas partie au Statut de la Cour, qu’elle n’a pas
déposé de déclaration conformément à la résolution IX (1946) du Conseil de sécurité et que la
convention n’est pas un «traité en vigueur» entrant dans le champ d’application de l’exception
67
prévue au paragraphe 2 de l’article 35 du Statut .
65S’il était prétendu que ces faits constituaient un nouveau différend (ce que la RFY n’affirme pas), ils devraient
être alors tenus pour irrecevables au motif qu’ils modifient radicalement l’objet de l’instance; voir par. 149-159
ci-dessous.
66Voir mémoire, op. cit., p. 349, par. 3.4.3.
67
Voir par. 64-66 ci-dessus. - 21 -
98. Les efforts déployés pour conférer compétence à la Cour sur le fondement de la
convention de 1948 sur le génocide se heurtent à un autre obstacle. En effet, le Portugal n’était pas
68
partie à cette convention au moment où la RFY a saisi la Cour de sa requête le 29 avril 1999 ainsi
que la Cour en a été informée lors de la phase de la procédure relative à la demande en indication
de mesures conservatoires. Le Portugal a déposé son instrument d’adhésion à cette convention le
9 février 1999 et n’y est devenu p69tie que le 10 mai 1999 conformément au paragraphe 3 de
l’article XIII de la convention .
99. Le Portugal ne conteste évidemment pas qu’il est lié par les principes fondamentaux
qu’énonce la convention et qui sont à la base de celle-ci. En 1951 déjà, la Cour a jugé que «les
principes qui sont à la base de la convention sont des principes reconnus par les70ations civilisées
comme obligeant les Etats même en dehors de tout lien conventionnel» . Mais seuls les principes
fondamentaux de droit matériel font partie du droit international universel coutumier et non
l’article IX relatif à la compétence de la Cour.
100. Dans le même ordre d’idées, il n’est pas non plus possible d’invoquer l’aliné71b) de
l’article 18 de la convention de Vienne sur le droit des traités du 23 mai 1969 . En premier lieu,
parce que le Portugal n’est pas partie à cette convention et en deuxième lieu parce que la règle qui
72
y est énoncée, même si elle peut être considérée comme étant de droit coutumier , ne concernerait
que les principes de la convention dont la violation pourrait mettre en péril son but et son objet, à
savoir ses principes fondamentaux. On ne saurait à proprement parler violer une clause attributive
de compétence. Un Etat peut contester la compétence de la Cour mais c’est à elle qu’il revient en
définitive de se prononcer sur sa compétence. Ce n’est point une question qui peut être considérée
comme une disposition dont la violation priverait un traité de son objet et de son but. La
convention sur le génocide a pour objet et pour but de prévenir et de réprimer les crimes de
génocide et non de préserver la compétence de la Cour.
101. Le Portugal n’ayant pas reconnu le 29 avril 1999 la compétence de la Cour sur le
fondement de l’article IX de la convention de 1948 sur le génocide, la RFY ne saurait dès lors
invoquer celle-ci comme base de compétence.
102. Lors de la phase relative à l’indication de mesures conservatoires, la RFY a toutefois
invoqué à l’appui de sa requête la jurisprudence de la Cour concernant le «principe selon lequel elle
ne doit pas sanctionner un défaut qui affecterait un acte de procédure et auquel la partie requérante
68
L’expression «partie» s’entend, au sens de l’alinéa g) du paragraphe 1 de l’article 2 de la convention de Vienne
sur le droit des traités de 1969 et du droit international coutumier, «d’un Etat qui a consenti à être lié par le traité et à
l’égard duquel le traité est en vigueur».
69
Voir note verbale du Secrétaire général des Nations Unies (annexe 19).
70Voir Réserves à la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide, avis consultatif, C.I.J.
Recueil 1951, p. 23. Position que la Cour a confirmée dans l’affaire relative à l’Application de la convention pour la
prévention et la répression du crime de génocide, exceptions préliminaires, op. cit., par. 31.
71Nations Unies, Recueil des traités, vol. 1155, p. 331-512.
72 On trouve des arrêts appuyant cette position : voir Certains intérêts allemands en Haute-Silésie polonaise,
fond, arrêt n 7, 1926, C.P.J.I. série A n 7, p. 30. - 22 -
73
pourrait aisément porter remède» . Autrement dit, le fait que le Portugal n’a été lié par la
convention que quelques jours après le dépôt de la requête ne devrait pas être considéré comme un
motif suffisant pour écarter la compétence de la Cour.
103. Le Portugal reconnaît que le principe avancé par la RFY est bien enraciné dans la
jurisprudence de la Cour, mais soutient qu’il est concrètement sans intérêt en l’espèce.
104. Invoquer cette règle ne change rien à la conclusion selon laquelle, par la force des
choses, la convention n’est devenue obligatoire pour le Portugal que le 10 mai 1999 alors que le
fait continu et complexe donnant lieu à la présente demande est survenu avant cette date. Un
nouvel acte de procédure de la part de la RFY ne modifierait absolument pas ce fait. Si la RFY
introduisait une nouvelle instance, rien ne changerait à cet égard, la Cour s’étant déclarée
incompétente. Le 74étendu différend concernant l’application de la convention, dont le Portugal 75
nie l’existence , continuera de concerner un fait continu qui est survenu avant le 10 mai 1999 ,
comme le Portugal l’a déjà démontré et comme la Cour l’a confirmé dans sa décision du
76
2 juin 1999 .
105. De plus, le principe régissant l’application ratione temporis des traités est le principe
coutumier de la non-rétroactivité consacré à l’article 28 de la convention de 1969 sur le droit des
77
traités et reconnu par la Cour lorsqu’elle a déclaré :
«Accepter cette théorie serait conférer un effet rétroactif à l’article 29 du traité
de 1926 alors que l’article 32 du même traité énonce que le traité, ce qui doit signifier
toutes les dispositions du traité, entrera en vigueur dès sa ratification. Cette
conclusion aurait pu être contredite s’il avait existé une clause ou une raison
particulières appelant une interprétation rétroactive. Il n’existe pas dans le cas présent
de telle clause ni de telle raison. Il est donc impossible d’admettre que l’une
quelconque de ses dispositions doive être considérée comme ayant été en vigueur à
une date antérieure.» 78
73 Application de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide, exceptions
préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 1996, op. cit., par. 26, et auparavant dans Cameroun septentrional, exceptions
préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 1963, p. 28, et Activités militaires et paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci
(Nicaragua c. Etats-Unis d’Amérique), compétence et recevabilité, arrêt, C.I.J. Recueil 1984, p. 428-429, par. 83. Ce
principe se retrouve également dano la jurisprudence de la Cour permanente de Justice internationale, dans Concessions
Mavrommatis en Palestine, arrêt n 2, 1924, C.P.J.I. série A n 2, p. 34, et Certains intérêts allemands en Haute-Silésie
polonaise, op. cit., p. 14.
74
Voir par. 112-126 ci-dessous.
75
Citons à nouveau le paragraphe 1 de l’article 25 du projet de la Commission du droit international sur la
responsabilité des Etats : «La violation d’une obligation internationale par un fait de l’Etat ayant un caractère de
continuité se produit au moment où ce fait commence.» (Voir rapport de la Commission du droit international, 1996,
chap. III; annexe 17.)
76
Voir par 77-83 ci-dessus.
77
«A moins qu’une intention différente ne ressorte du traité ou ne soit par ailleurs établie, les dispositions d’un
traité ne lient pas une partie en ce qui concerne un acte ou fait antérieur à la date d’entrée en vigueur de ce traité au regard
de cette partie ou une situation qui avait cessé d’exister à cette date.»
78
Voir Ambatielos, exception préliminaire, arrêt, C.I.J. Recueil 1952, p. 40. - 23 -
106. Ce qui ne signifie toutefois pas que le Portugal affirme que le principe de 79
non-rétroactivité devrait entraîner l’inapplicabilité de la convention à des actes postérieurs
simplement parce que ces faits englobent un fait continu survenu à une date antérieure.
107. Ce qu’il faut retenir par contre c’est que la Cour, même s’il est nécessaire de scinder un
fait continu pour statuer sur l’applicabilité d’une convention et de sa clause attributive de
compétence, devrait s’abstenir d’étendre sa compétence aux éléments du fait continu lorsque cette
scission empêcherait une des parties d’exercer son droit de se défendre parce qu’elle lui interdirait
d’invoquer des aspects du même fait essentiels pour assurer sa propre défense. Si tel était le cas, se
trouverait alors irrémédiablement compromis le droit que la Cour a consacré lorsqu’elle a déclaré :
«si le Gouvernement de l’Iran estimait que les activités alléguées des Etats-Unis en
Iran sont en rapport juridique étroit avec l’objet de la requête des Etats-Unis, il lui était
loisible de développer à ce sujet sa propre argumentation devant la Cour, soit comme
moyen de défense dans un contre-mémoire soit par la voie d’une demande
80
reconventionnelle» .
108. Certes, la Cour a déjà contourné ce genre de problème en se bornant à décider qu’elle
n’avait pas compétence pour connaître non seulement des faits postérieurs à la date à laquelle l’une
des parties est devenue liée, mais aussi de tous les faits constitutifs du différend, notamment au
regard de l’article IX de la convention de 1948 sur le génocide, dans l’affaire relative à
l’Application de la convention pour la prévention et la répression du crime de
génocide (Bosnie-Herzégovine c. République fédérale de Yougoslavie (Serbie et Monténégro)) 81.
109. Le prononcé de la Cour dans cette affaire ne saurait toutefois être considéré
indépendamment de la manière selon laquelle la RFY et surtout la Bosnie-Herzégovine sont
devenues l’une et l’autre parties à la convention de 1948 sur le génocide, à savoir par voie de
succession 82. L’exercice rétroactif de sa compétence ne saurait se comprendre, compte tenu de la
non-rétroactivité des traités, que si l’on se rappelle que les parties ont assumé par succession les
droits et obligations de la RFSY en tant que partie à la convention à compter de la date de son
entrée en vigueur, qui liait donc les citoyens de la RFSY avant qu’ils deviennent citoyens des
nouveaux Etats.
79 Le Portugal admet qu’il s’applique pour les besoins de la discussion même s’il estime qu’il n’y a prima facie
aucune raison de l’appliquer; voir par. 112-126 ci-dessous.
80 Voir Personnel diplomatique et consulaire des Etats-Unis à Téhéran, arrêt, C.I.J. Recueil 1980, p. 19-20,
par. 36.
81
La Cour a statué en ces termes :
«[L]a convention sur le génocide et en particulier son article IX ne comporte aucune clause
qui aurait pour objet ou pour conséquence de limiter de la sorte et de l’étendue de sa compétence ratione
temporis et … les Parties elles-mêmes n’ont formulé aucune réserve à cet effet, ni à la convention ni à
l’occasion de la signature des accords de Dayton-Paris. La Cour constate ainsi qu’elle a compétence en
l’espèce pour assurer l’application de la convention sur le génocide aux faits pertinents qui se sont
déroulés depuis le début du conflit dont la Bosnie-Herzégovine a été le théâtre. Cette constatation est
d’ailleurs conforme à l’objet et au but de la convention tels que définis par la Cour en 1951 et rappelés
ci-dessus (voir paragraphe 31.)» (Voir affaire relative à l’Application de la convention pour la prévention
et la répression du crime de génocide, exceptions préliminaires, op. cit., par. 34.)
82 Ainsi qu’en a jugé la Cour, voir affaire relative à l’Application de la convention pour la prévention et la
répression du crime de génocide, op. cit., par. 17, 20 et 23. - 24 -
110. L’application rétroactive de la convention de 1948 sur le génocide doit, sur le plan
pratique, être tempérée par le principe de non-rétroactivité du droit pénal international qui fait
partie intégrante du jus cogens du droit international coutumier et du droit conventionnel relatif aux
droits de l’homme 83. Partant, c’est uniquement par succession à un Etat dont les citoyens étaient
liés par la convention que l’on pourrait juger que celle-ci s’applique rétroactivement. Il ne suffirait
pas de conclure que la convention s’appliquait rétroactivement à des Etats mais non à leurs
citoyens car il serait alors normalement impossible de distinguer les effets de la convention sur les
premiers de ses effets, même indirects, sur les seconds.
111. Or la convention n’est pas devenue obligatoire pour le Portugal par voie de succession
si bien qu’il faut écarter toute application rétroactive de celle-ci, y compris de sa clause attributive
de compétence. La Cour devrait, selon le Portugal, décider qu’elle n’a pas compétence pour
connaître des faits qui sont à la base du présent différend même s’ils sont survenus après le
10 mai 1999. Si la convention s’appliquait au présent différend et si la Cour venait à estimer
qu’elle s’applique aux faits survenus après cette date qui se rattachaient en pratique à un fait
continu d’origine antérieure en invoquant «le principe selon lequel elle ne doit pas sanctionner un
défaut qui affecterait un acte de procédure et auquel la partie requérante pourrait aisément porter
remède», elle empêcherait ainsi le Portugal (lors d’une éventuelle phase sur le fond) de présenter
une défense suffisante en lui interdisant d’invoquer des actes parallèles commis à une date
antérieure par la RFY Le principe de l’égalité des parties devant la Cour serait alors compromis.
B. Il n’y a pas de différend au sens de l’article IX
112. Un autre obstacle se dresse toutefois devant la demande de la RFY indépendamment de
l’absence de base de compétence pour la Cour sur le fondement de l’article IX motif pris de ce que
le Portugal n’était pas partie à la convention à la date à laquelle la RFY a déposé sa requête. Les
actes que la RFY reproche au Portugal, à les supposer même véridiques, n’entrent manifestement
pas dans les prévisions des articles II et III de la convention de 1948 sur le génocide et la Cour ne
peut dès lors en connaître en vertu de l’article IX.
113. L’article IX est ainsi rédigé :
«Les différends entre les Parties contractantes relatifs à l’interprétation,
l’application ou l’exécution de la présente convention, y compris ceux relatifs à la
responsabilité d’un Etat en matière de génocide ou de l’un quelconque des autres actes
énumérés à l’article III, seront soumis à la Cour internationale de Justice, à la requête
d’une Partie au différend.»
114. Mais comme la Cour l’a souligné :
«Considérant que, à l'effet d'établir, même prima facie, si un différend au sens
de l'article IX de la convention sur le génocide existe, la Cour ne peut se borner à
constater que l'une des parties soutient que la convention s'applique alors que l'autre le
nie; et que, au cas particulier, elle doit rechercher si les violations de la convention
83Voir au niveau mondial le paragraphe 2 de l’article 11 de la déclaration universelle des droits de l’homme,
adoptée par la résolution 217 A (III) de l’Assemblée générale, du 10 décembre 1948, et le paragraphe 1 de l’article 15 du
pacte international relatif aux droits civils et politiques (Nations Unies, Recueil des traités, vol. 999, p. 171 et suiv.). - 25 -
alléguées par la Yougoslavie sont susceptibles d'entrer dans les prévisions de cet
instrument et si, par suite, le différend est de ceux dont la Cour pourrait avoir
84
compétence pour connaître ratione materiae par application de l'article IX.»
115. En d’autres mots, l’existence d’un différend entre la RFY et le Portugal, tout comme
l’assertion de la RFY selon laquelle ce différend entre dans les prévisions de l’article IX, ne
suffisent pas à elles seules à autoriser la Cour à affirmer qu’elle a compétence pour en connaître en
vertu de cet article.
116. Or c’est ce que la RFY s’est bornée à affirmer en pratique. Elle accuse essentiellement
le Portugal et les autres Etats défendeurs de génocide. Mais la manière quelque peu cavalière selon
laquelle elle cherche à asseoir ces accusations donne à penser que la RFY n’estime guère
elle-même qu’elles sont dignes de foi. Se heurtant à la difficulté de trouver des bases de
compétence pour la Cour, la RFY semble avoir cherché à infléchir à la fois le droit et les faits pour
tenter d’adapter les seconds au premier.
117. Le mémoire consacre un seul et unique paragraphe de six lignes, le paragraphe 3.4.3
(p. 349), à la question de la compétence de la Cour sur la base de l’article IX de la convention de
1948. La RFY y propose pour fonder la compétence de la Cour les bombardements effectués par
l’OTAN ainsi que les événements survenus au Kosovo depuis le 10 juin 1999 sous l’occupation de
la KFOR. S’agissant de l’intention spécifique de commettre un génocide, elle avance comme
«preuves» aux pages 282-284 les prétendus bombardements de cibles de l’industrie chimique ainsi
que la prétendue utilisation d’obus à uranium enrichi. Elle mentionne également des actes commis
après le 10 juin 1999 à l’encontre de Serbes au Kosovo sans toutefois alléguer que la KFOR en est
responsable. Elle ne fait aucun effort pour faire entrer les faits allégués dans les prévisions de la
convention de 1948 sur le génocide qu’elle se borne à citer sans commentaires au milieu de la
page 326.
118. Le génocide suppose à la fois un élément matériel et un élément psychologique. Le
premier exige l’accomplissement d’actes visant à détruire «en tout ou en partie, un groupe national,
ethnique, racial ou religieux» par des actes tels que ceux-ci :
«meurtres de membres du groupe; atteinte grave à l’intégrité physique ou mentale de
membres du groupe; soumission intentionnelle du groupe à des conditions d’existence
devant entraîner sa destruction physique totale ou partielle; mesures visant à entraver
les naissances au sein du groupe; transfert forcé d’enfants du groupe à un autre
85
groupe» (article II de la convention) .
84Voir affaire relative à la Licéité de l’emploi de la force (Yougoslavie c. Portugal), ordonnance du 2 juin 1999,
op. cit., par. 37; voir aussi l’affaire relative à l’Application de la convention pour la prévention et la répression du crime
de génocide, exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 1996, p. 615, par. 30 : («Pour asseoir sa compétence, la Cour
doit cependant encore s’assurer que le différend en question entre bien dans les prévisions de l’article IX de la convention
sur le génocide»); voir encore Plates-formes pétrolières (République islamique d’Iran c. Etats-Unis d’Amérique,
exception préliminaire, arrêt, C.I.J. Recueil 1996 (II), p. 810, par. 16.
85On retrouve la même notion à l’article 17 du projet de code de crimes contre la paix et la sécurité de l’humanité
établi par la Commission du droit international (voir rapport de la Commission du droit international, 1996, chap. 2;
annexe 20). Voir aussi le paragraphe 2 de l’article 4 du statut du Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie
(approuvé par la résolution 827 (1993) du Conseil de sécurité du 25 mai 1993 reprise dans le rapport du Secrétaire
général, Nations Unies, doc. S/25704 et add. 1; annexe 21) et le paragraphe 2 de l’article 2 du statut du Tribunal
international pour le Rwanda (approuvé par la résolution 955 (1994) du Conseil de sécurité du 8 novembre 1994 et repris
en annexe (annexe 22) et l’article 6 du statut du Tribunal pénal international dont le texte figure dans le document des
Nations Unies A/CONF.183/9 du 17 juillet 1998 (annexe 23)). - 26 -
Pour qu’il y ait génocide, il faut par conséquent que les actes soient perpétrés d’une manière
qui fait qu’ils risquent d’entraîner la destruction du groupe.
119. Il faut en outre une intention spécifique ainsi que l’indique clairement l’article II de la
convention : «la destruction intentionnelle d’un «groupe national, ethnique, racial ou religieux»,
86 87
comme l’ont décidé la Cour et le Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie .
120. Il ne suffit donc pas qu’il y ait meurtre d’un ou de plusieurs individus qui appartiennent
à un groupe particulier ou même que les actes soient commis parce que les victimes appartiennent à
ce groupe. Il faut que les actes s’inscrivent dans un projet plus vaste de détruire un groupe ou une
88
partie substantielle de celui-ci . C’est pour cette raison que des meurtres commis en grand
nombre, même s’ils sont manifestement un crime contre l’humanité, ne constituent en eux-mêmes
un génocide que s’ils s’accompagnent de l’intention spécifique de détruire totalement un groupe.
121. Les allégations de la RFY, qui s’emploie à établir par présomption cette intention dans
des actes de guerre qui visent exclusivement des cibles d’importance militaire et qui mettent en
Œuvre tous les moyens qu’offrent la technologie moderne pour sauvegarder la population civile et
les biens de caractère civil ne confortent manifestement pas les prétentions qu’elle avance. Les
allégations de violation du droit international humanitaire, que le Portugal nie, ne sauraient servir
de preuve de l’intention de commettre un génocide. Des violations du droit humanitaire peuvent
dans l’abstrait être à l’origine de crimes de guerre mais non du crime de génocide. De plus, tous
les actes de bombardement avaient pour objectifs des cibles d’importance militaire et non un
groupe particulier d’individus qu’il soit ou non serbe. Malheureusement, même l’ambassade de
Chine a été prise pour cible par accident.
122. Quoiqu’il en soit, le Portugal tient à insister sur un point particulier, à savoir, que même
dans le cas de l’entente en vue de le commettre, le crime de génocide exige une intention de
détruire de la part de l’accusé et non de tiers. Or la RFY ne reproche au Portugal aucun acte
s’accompagnant de cette intention spécifique. Le mémoire ne contient pas la moindre allégation
reprochant un acte précis au Portugal et encore moins un acte quelconque qui réunit les deux
éléments matériel et psychologique du génocide.
86 Voir Licéité de l’emploi de la force (Yougoslavie c. Portugal), ordonnance du 2 juin 1999, p. 15, par. 39; voir
aussi Licéité de la menace ou de l’emploi d’armes nucléaires, avis consultatif, C.I.J. Recueil 1996, p. 240, par. 26.
87Le Tribunal s’est prononcé en ces termes :
«C’est, en effet, l’élément moral qui confère au génocide sa spécificité et le distingue du crime de
droit commun et des autres crimes du droit international humanitaire : le ou les crime(s) sous-jacent(s)
doi(ven)t être qualifié(s) de génocide s’ils ont été commis dans l’intention de détruire, en tout ou en
partie, un groupe national, ethnique, racial ou religieux comme tel. Autrement dit, «[l]’acte prohibé doit
être commis en raison de l’appartenance de la victime à un certain groupe et à titre de mesure concourant
à la réalisation de l’objectif global de destruction du groupe.» (Voir Procureur c. Goran Jelisic, (affaire
o
n IT-95-00), jugement, 14 décembre 1999, par. 66.) (Annexe 24.)
88 Comme l’a confirmé la Commission du droit international dans son commentaire sur l’article 17 de son projet
de code des crimes contre la paix et la sécurité de l’humanité, «il doit s’agir de l’intention de détruire un groupe, et non
pas simplement un ou plusieurs individus qui, par coïncidence, se trouvent être membres d’un certain groupe. L’acte
prohibé doit être commis en raison de l’appartenance de la victime à un certain groupe et à titre de mesure concourant à la
réalisation de l’objectif global de destruction du groupe» et
«[l]e groupe même est en définitive la cible visée et c’est lui qui est destiné à être la victime de ce type de
comportement criminel massif. L’action menée contre les membres du groupe à titre individuel est le
moyen devant permettre d’atteindre l’objectif criminel ultime, qui concerne le groupe» et «le crime de
génocide, de par sa nature même, implique l’intention de détruire au moins une partie substantielle du
groupe visé.» (Voir rapport de la Commission du droit international, 1996, chap. 2, par. 6 et 8 du
commentaire sur l’article 17; annexe 25.) - 27 -
123. La RFY ne tente pas d’attr89uer à la KFOR les actes qui, selon ses allégations, seraient
survenus depuis le 10 juin 1999 , elle accepte qu’ils ont été perpétrés par des éléments de la
population du Kosovo 90. Mais le crime de génocide ne peut se commettre par négligence . 91
124. Il faut également ajouter que les actes qui se seraient produits depuis le 10 juin 1999
tout comme ceux qui auraient été commis avant cette date le cas échéant ne constituaient
manifestement pas les faits matériels du génocide. La plupart n’entraient manifestement pas dans
les prévisions des alinéas a) à e) de l’article II. Ceux relatifs au meurtre, aussi répréhensibles qu’ils
puissent avoir été le Portugal souligne qu’il les condamne et même s’ils ont fait l’objet d’une
répression appropriée, n’étaient nullement de nature à conduire à la destruction même partielle de
la population serbe du Kosovo. La RFY n’a non plus fourni aucun élément de preuve établissant
que ces actes s’accompagnaient d’une telle intention spécifique. Les allégations à cet égard se
bornent à réitérer des présomptions dénuées de fondement et à citer des rapports d’organismes
92
internationaux ne faisant pas la moindre allusion à une intention de commettre un génocide .
125. Bref, non seulement la RFY ne fournit-elle aucune preuve à l’appui de ses accusations,
question dont la Cour ne serait normalement saisie que lors de la phase sur le fond, mais elle
n’avance pas non plus les allégations de fait nécessaires qui, qu’elles soient ou non véridiques,
auraient démontré l’existence d’un différend concernant des actes entrant dans les prévisions des
articles II et III de la convention de 1948 sur le génocide. Certes il existe peut-être un différend,
mais celui-ci porte sur la question de savoir si les normes internationales sur le recours à la force, le
droit international humanitaire et la résolution 1244 (1999) du Conseil de sécurité ont été respectés.
Il ne concerne pas des actes de génocide et il est manifeste que de tels actes ne se sont pas produits.
126. Au vu de ce qui précède, le Portugal fait valoir que les conclusions auxquelles la Cour
est parvenue à cet égard lors de la phase relative à l’indication de mesures conservatoires ne
sauraient être contestées :
«Considérant … que le recours ou la menace du recours à l'emploi de la force
contre un Etat ne sauraient en soi constituer un acte de génocide au sens de l'article II
de la convention sur le génocide; et que, de l'avis de la Cour, il n'apparaît pas au
présent stade de la procédure que les bombardements qui constituent l'objet de la
requête yougoslave «comporte[nt] effectivement l'élément d'intentionnalité, 93rigé
contre un groupe comme tel, que requiert la disposition sus-citée.»
89
Allégations qui, si elles étaient tenues pour constitutives d’un nouveau différend, devraient être considérées
comme irrecevables; voir par. 149-159 ci-dessous.
90
Voir mémoire, op. cit., p. 201-282.
91Comme l’a indiqué la Commission du droit international, les actes de génocide
«ne résultent généralement pas d’un accident ni même de la simple négligence. Toutefois, l’intention
générale de commettre l’un des actes énumérés, associée à une conscience diffuse des conséquences
probables de cet acte pour la victime ou les victimes immédiates, ne suffit pas pour qu’il y ait crime de
génocide. La définition de ce crime exige une disposition d’esprit ou une intention spécifiques
concernant les conséquences globales de l’acte prohibé.» (Voir rapport de la Commission du droit
international, 1996, chapitre 2, par. 5 du commentaire sur l’article 17; annexe 26.)
92Voir mémoire, op. cit., p. 283-284.
93Voir Licéité de l’emploi de la force (Yougoslavie c. Portugal), ordonnance du 2 juin 1999, par. 39.- 28 - - 29 -
TROISIÈME PARTIE
EXCEPTIONS D’IRRECEVABILITÉ
127. Même sans les obstacles que sont les moyens tirés du défaut d’intérêt pour agir et de
l’incompétence de la Cour que le Portugal a invoqués et développés dans les pages qui précèdent,
d’autres éléments s’opposeraient encore sur le plan juridique à ce que la Cour exerce sa
compétence.
128. Comme la Cour a déjà eu l’occasion de le faire remarquer :
«[M]ême si, une fois saisie, elle estime avoir compétence, la Cour n’est pas
toujours contrainte d’exercer cette compétence. Il y a des limitations inhérentes à
l’exercice de l94fonction judiciaire dont la Cour, en tant que tribunal, doit toujours
tenir compte.»
129. Le Portugal soutient, pour les raisons qui seront exposées ci-après, que tel est bien le
cas des demandes présentées par la RFY dans la présente instance.
I. LA DEMANDE CONCERNE DES ACTES DE L ’OTAN ET NON DU PORTUGAL
130. Comme la RFY le reconnaît d’95 bout à l’autre de son mémoire et même dans le titre de
l’une des annexes qui l’accompagnent , les actes qui font l’objet de la présente instance sont ceux
de l’OTAN. Ce qui explique qu’il est question de l’«aviation de l’OTAN» 96ou des «actes de
97
l’OTAN» . Toutes les décisions politiques et militaires ont d’ailleurs été prises par des organes de
l’OTAN, à savoir respectivement par son Conseil, son secrétaire général ainsi que ses autorités
militaires.
131. L’OTAN est toutefois une organisation internationale dotée de la personnalité juridique
internationale. C’est ce qui découle implicitement du Traité de l’Atlantique Nord du 4 avril 1949
qui a établi cette organisation, de la création du Conseil de l’Atlantique Nord, son organe suprême,
doté du pouvoir de constituer des organismes subsidiaires (art. 9), des attributions dont l’exercice
exige la possession de la personnalité juridique et de la distinction opérée entre la situation de
l’organisation et celle de ses membres du fait de la faculté que possèdent ses organismes d’adresser
des recommandations aux membres en vertu du même article 9 98.
94Voir Cameroun septentrional, exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 1963, p. 29.
95
«Les crimes de l’OTAN en Yougoslavie», vol. I et II, mai/juillet 1999.
96
Voir par exemple le deuxième paragraphe de la première partie du mémoire de la Yougoslavie, op. cit., p. 11,
par. 1.1.1.2.
97Ibid., mémoire, op. cit., p. 299, par. 1.10.
98Ce sont là les critères que la Cour a appliqués pour se prononcer sur la personnalité juridique internationale de
l’Organisation des Nations Unies. Voir Réparation des dommages subis au service des Nations Unies, avis consultatif,
C.I.J. Recueil 1949, p. 178-179. - 30 -
132. Cette personnalité se trouve confirmée par sa propre pratique et par celle d’autres
99
organismes, notamment l’Organisation des Nations Unies . C’est ainsi que de nombreux Etats
Membres et certains Etats tiers ont des représentations permanentes auprès de l’OTAN qui a conclu
des traités non seulement avec ses propres membres mais aussi avec des pays tiers, dont la RFY
elle-même. Tel est le cas de l’accord sur la mission de vérification au Kosovo signé à Belgrade le
15 octobre 1998 par le chef d100at-major de l’armée yougoslave et le commandant suprême des
Forces alliées en Europe , et de l’accord militaro-technique signé le 9 juin 1999 par les autorités
militaires de l’OTAN représentant la KFOR, et de la Yougoslavie au nom du gouvernement de
101
celle-ci et de la Serbie .
133. Par ces traités, la RFY a reconnu de jure la personnalité juridique de l’OTAN. Partant,
elle a reconnu que l’OTAN, dans le cadre de ses attributions, agit en lieu et place de ses Etats
membres, en son propre nom et de sa propre autorité, notamment en ce qui a trait aux questions
visées dans les accords susmentionnés, c’est-à-dire celles qui concernent la crise au Kosovo.
134. L’Organisation des Nations Unies a adopté les mêmes principes pour ce qui est des
actes de ses propres forces. Une fois placées sous le commandement de l’Organisation des
Nations Unies , ces forces agissent sous sa responsabilité même si celles-ci ont été fournies par
103
des Etats Membres .
99Le Conseil de sécurité qualifie à la fois directement et indirectement l’OTAN d’organisation et non pas
simplement d’alliance de ses membres, reconnaissant ainsi implicitement sa personnalité bien qu’il semble hésiter à la
considérer comme une organisation régionale ou internationale au sens strict. C’est ainsi que le Conseil de sécurité, au
paragraphe 4 de la résolution 816 (1993) du 31 mars 1993 (annexe 27), après avoir rappelé le chapitre VIII de la Charte
dans le préambule (par. 6), autorise les Etats Membres, à titre national ou dans le cadre d’organisations ou
d’arrangements régionaux, à recourir à la force pour imposer une zone d’exclusion aérienne en Bosnie-Herzégovine. Les
forces qui sont intervenues étaient en pratique celles de l’OTAN, ce dont le Conseil de sécurité était parfaitement au
courant. Il s’agit donc là d’une reconnaissance implicite de la qualité d’organisation régionale de l’OTAN au regard du
chapitre VIII. Il en est de même de la résolution 770 (1992) du 13 août 1992 qui, dans ses paragraphes 2 et 4
(annexe 28), autorisait l’intervention dans le cadre d’organisations et d’arrangements régionaux même si le chapitre VIII
n’y est pas invoqué. Voir aussi la résolution 836 (1993) du 4 juin 1993, par. 10 (annexe 29), la résolution 908 (1994) du
31 mars 1994, par. 8 (annexe 30), la résolution 958 (1994) du 19 novembre 1994, par. 2 (annexe 31) et la résolution 981
(1995) du 31 mars 1995, par. 6 (annexe 32). Dans sa résolution 1931 (1995) du 15 décembre 1995 (par. 12, 14 et 25) qui
établissait la Force multinationale de mise en Œuvre (IFOR), commandée par l’OTAN en Bosnie-Herzégovine
(annexe 33), dans la résolution 1088 (1996) du 12 décembre 1996 (annexe 34) qui remplaçait cette force par la Force
multinationale de stabilisation (SFOR) [dont les pouvoirs sont réénoncés à l’identique dans la résolution 1174 (1998) du
15 juin 1998 (annexe 35) et dans la résolution 1247 (1999) du 18 juin 1999 (annexe 36)], le Conseil de sécurité
mentionne l’OTAN comme étant l’organisation visée à l’annexe I des accords de Dayton, la qualifiant ainsi expressément
d’organisation. La résolution 1203 (1998) du 24 octobre 1998, au par. 4 de son préambule et au par. 1 et 3 (annexe 37),
vise directement l’OTAN pour la première fois, la qualifiant d’organisation internationale. Le président du Conseil de
sécurité a fait de même dans sa déclaration n 12 du 14 mai 1999 (annexe 38). Dans sa résolution 1244 (1999) du
10 juin 1999 qui établit la KFOR, le Conseil qualifie implicitement l’OTAN d’organisation internationale (par. 7 et 10)
(annexe 18).
100
Voir Nations Unies, doc. S/1998/991, annexe (annexe 39). Le Conseil de sécurité a approuvé cet accord dans
sa résolution 1203 (1998) du 24 octobre 1998 qui exigeait aussi qu’il fût respecté (par. 4 du préambule et par. 1 et 3)
(annexe 37).
101Annexe 40.
102C’est ainsi que l’alinéa c) de l’article premier de la convention sur la sécurité du personnel des Nations Unies
et du personnel associé, adoptée par l’Assemblée générale dans sa résolution 49/59 du 9 décembre 1994 (annexe 41),
précise qu’«Opération des Nations Unies» s’entend d’une opération établie par l’organe compétent de l’Organisation des
Nations Unies conformément à la Charte des Nations Unies et menée sous l’autorité et le contrôle des Nations Unies».
103
Voir le rapport du Secrétaire général (Nations Unies, doc. A/51/389 d’octobre 1996), par. 6 et 7 (annexe 42) :
«[L]’ONU assume, depuis qu’elle met en place des opérations de maintien de la paix, les responsabilités qui lui
incombent en cas de dommages causés par des Membres desdites forces dans l’exercice de leurs fonctions» et «[l]a
responsabilité internationale de l’Organisation des Nations Unies en ce qui concerne les activités des forces des
Nations Unies découle de sa personnalité juridique internationale et de sa capacité d’exercer des droits et d’assumer des
obligations au niveau international». - 31 -
135. Mais comme il a déjà été indiqué, toutes les opérations entreprises au Kosovo ont été
décidées par des organismes de l’OTAN, les forces de ces Etats membres ayant été placées sous
commandement de l’OTAN et c’est à l’OTAN qu’incombe la responsabilité des opérations, fait
que la RFY a reconnu elle-même 104.
136. Partant, c’est l’OTAN qui, en sa qualité de personne juridique, répond totalement en
droit international de ses actes au Kosovo et non ses Etats membres. Ayant reconnu les
responsabilités de l’OTAN dans le cadre des accords susmentionnés, c’est avec celui-ci que la RFY
doit résoudre les différends découlant du prétendu non-respect de ces accords et des actes se
rapportant à leur objet, le Kosovo. Ces accords ont été conclus entre la RFY et l’OTAN.
137. En s’attachant à imputer des actes de l’OTAN à ses Etats membres, la RFY reconnaît
qu’ils sont le fait de l’OTAN. Afin d’échapper à cette dure réalité105a RFY invoque comme motifs
d’imputation des éléments aussi faibles que des excuses présentées pour des raisons
diplomatiques et sur le fondement de la courtoisie entre les nations.
138. La RFY soutient aussi que l’existence d’un mécanisme d’adoption à l’unanimité des
décisions politiques au sein du Conseil de l’OTAN signifie que chaque Etat membre exerce un
contrôle politique et militaire sur l’action de l’OTAN et que les actes accomplis par celui-ci
peuvent leur être imputés. Les décisions sont en fait prises par consensus, une abstention n’a pas
pour effet d’entraîner leur nullité. La RFY fait toutefois abstraction d’un élément important : c’est
que le fait que chaque Etat membre dispose d’un siège au sein du Conseil de l’OTAN n’a pas pour
effet de porter atteinte à la personnalité juridique de l’OTAN au regard du droit international.
Celui-ci demeure responsable à toutes fins utiles. Le nier revient aussi à affirmer que les Membres
permanents du Conseil de sécurité sont directement responsables des actes illicites de
l’Organisation des Nations Unies même s’ils se sont abstenus de voter en faveur d’une politique
dont la mise en Œuvre aurait conduit à un acte illicite.
139. Cet état de choses trouve confirmation ailleurs dans le mémoire même de la RFY.
Aucun des faits ou allégations qui y sont avancés ne concerne un acte du Portugal. La RFY se
borne à reprocher certains actes à l’OTAN et à affirmer en des termes vagues que la responsabilité
du Portugal et des autres Etats défendeurs est engagée du fait de leur appartenance à l’OTAN. Le
mémoire ne contient pas la moindre allégation précise reprochant un acte politique accompli par le
Portugal au sein de l’OTAN ou un acte de guerre des forces portugaises contre la RFY. Ce
non-respect des conditions énoncées au paragraphe 1 de l’article 49 du Règlement de la Cour ne
trouve qu’une seule explication : la RFY ne peut avancer aucun élément pour fonder sa demande.
140. En conclusion, la RFY a introduit une instance contre le Portugal à raison d’actes dont
répond un autre organisme, elle ne reproche aucun acte précis au Portugal et fonde uniquement son
action sur l’appartenance du Portugal à l’OTAN.
141. Partant, toutes les demandes de la RFY devraient, selon le Portugal, être considérées
comme irrecevables au motif qu’elles ne sont pas formulées contre l’entité responsable ainsi que
l’exigent les principes de la responsabilité internationale.
10Exemple : «La KFOR a été créée par l’OTAN. Elle est placée sous son commandement et son contrôle» (voir
mémoire, p. 2999, par. 1.9.2.7).
10Voir mémoire, op. cit., p. 299-300, par. 1.10. - 32 -
II. L’EXERCICE PAR LA C OUR DE SA COMPÉTENCE AURAIT UNE INCIDENCE DIRECTE
SUR LES DROITS ET OBLIGATIONS DE TIERS
142. Même si la Cour ne partageait pas ce point de vue, le Portugal soutient qu’elle devrait
décliner sa compétence en l’espèce motif pris de ce que l’organisation internationale qui a décidé
les actes à l’origine de l’instance introduite par la RFY n’y est pas partie.
143. Cela vaut aussi pour les autres membres importants de l’organisation qui ne sont pas
parties à l’instance introduite par la RFY Sur les dix-neuf Etats membres de l’OTAN, quatorze ont
joué un rôle plus ou moins important dans l’action que celle-ci a menée. La RFY n’a introduit des
instances que contre dix de ces Etats, la Cour ayant déjà radié deux de celles-ci de son rôle.
144. Il convient aussi de relever la participation de trente-quatre autres Etats, dont des pays
n’appartenant pas à l’OTAN, en ce qui concerne les actions de la KFOR et les événements
postérieurs au 10 juin 1999 . 106 A cet égard, même l’Organisation des Nations Unies est
directement impliquée puisque c’est le Conseil de sécurité qui a autorisé l’intervention de la
KFOR, et la MINUK, organe subsidiaire de 107rganisation des Nations Unies, exerce des
responsabilités importantes au Kosovo .
145. Les droits et obligations d’autres Etats et de deux organisations internationales qui sont
les uns et les autres étrangers à la présente instance forment par conséquent le cŒur même de
l’objet de celle-ci. Comme la Cour l’a déjà déclaré, elle ne saurait exercer sa compétence
lorsqu’agir ainsi signifierait que «les intérêts juridiques [d’un tiers] seraient», sans le contentement
de celui-c108«non seulement touchés par une décision, mais constitueraient l’objet même de ladite
décision» .
146. La Cour a appliqué ce même principe dans une autre affaire :
«l’arrêt que demande le Portugal aurait des effets équivalant à ceux d’une décision
déclarant que l’entrée de l’Indonésie et son maintien au Timor oriental sont illicites et
qu’en conséquence l’Indonésie n’a pas le pouvoir de conclure des traités relativement
aux ressources du plateau continental du Timor oriental. Les droits et obligations de
l’Indonésie constitueraient dès lors l’objet même d’un tel arrêt, rendu en l’absence du
consentement de cet Etat. Un arrêt de cette nature irait directement à l’encontre du
«principe de droit international bien établi et incorporé dans le Statut, à savoir que la
Cour ne peut exercer sa juridiction à l’égard d’un Etat si ce n’est avec le consentement
109
de ce dernier».»
106La Belgique, le Canada, la République tchèque, le Danemark, la France, l’Allemagne, la Grèce, la Hongrie,
l’Islande, l’Italie, le Luxembourg, les Pays-Bas, la Norvège, la Pologne, l’Espagne, la Turquie, le Royaume-Uni, les
Etats-Unis d’Amérique (Etats membres de l’OTAN), l’Argentine, l’Autriche, l’Azerbaïdjan, la Finlande, la Géorgie,
l’Irlande, la Jordanie, la Lituanie, le Maroc, la Russie, la Slovaquie, la Slovénie, la Suède, la Suisse, l’Ukraine et les
Emirats arabes unis (Etats n’appartenant pas à l’OTAN) (annexe 43).
107Voir résolution 1244 (1999) du 10 juin 1999, par. 5-7 et 9-11.
108
Voir Or monétaire pris à Rome en 1943, arrêt, C.I.J. Recueil 1954), p. 32.
109Voir Timor oriental (Portugal c. Australie), arrêt, C.I.J. Recueil 1995, p. 105, par. 34. - 33 -
147. Ce n’est que dans le cas où l’action du tiers ne revêt qu’une importance mineure dans la
situation examinée et que ses intérêts sont par conséquent secondaires que la Cour a refusé
110
d’appliquer ce principe .
148. Du fait des circonstances de l’espèce, les actions en cause étant celles de l’OTAN (ou
de la KFOR au sein de laquelle l’OTAN joue un rôle décisif) et d’autres Etats importants, que
ceux-ci appartiennent ou non à l’OTAN, il est clair que, pour que la Cour se prononce sur les
demandes de la RFY, elle devra obligatoirement procéder à une analyse détaillée de la situation
juridique. Il en est de même de l’Organisation des Nations Unies. La Cour serait obligée de
connaître de questions qui auraient pour objet même les droits et responsabilités de tiers sans que
ceux-ci y aient consenti.
149. Partant, le Portugal fait valoir que la Cour devrait décliner sa compétence en l’espèce et
conclure à l’irrecevabilité de toutes les demandes de la RFY
III.L ES CONCLUSIONS RELATIVES AUX FAITS POSTÉRIEURS AU 10 JUIN 1999
TRANSFORMENT RADICALEMENT LA NATURE DU DIFFÉREND
150. Dans le mémoire qu’elle a présenté, la RFY a ajouté aux demandes initiales une série de
demandes concernant des événements postérieurs au 10 juin 1999 qui seraient survenus au Kosovo
au cours de la période où s’y trouvaient la MINUK et la KFOR 111. La RFY fait valoir, pour
justifier cet élargissement de la portée de l’instance, que ces nouveaux éléments font également
partie du différend initial.
151. Le Portugal a déjà fait valoir que la Cour devrait rejeter les requêtes de la RFY relatives
aux événements postérieurs au 10 juin 1999 s’ils sont considérés comme faisant partie du même
différend motif pris de son incompétence étant donné notamment que le différend a surgi bien
avant le 26 avril 1999, date à laquelle la Yougoslavie a accepté la juridiction de la Cour pour les
différends s’élevant après cette date et reposant sur des événements également postérieurs à
celle-ci11.
152. Si la Cour venait toutefois à rejeter la prétention de la RFY selon laquelle il s’agit
d’éléments faisant partie du même différend et conclure qu’elle a compétence pour connaître de ce
nouveau différend, le Portugal fera valoir que ces éléments transforment radicalement la nature de
l’instance et que les demandes qui s’y rattachent devraient être déclarées irrecevables.
110
«Dans la présente affaire, toute décision de la Cour sur l’existence ou le contenu de la responsabilité que
Nauru impute à l’Australie pourrait certes avoir des incidences sur la situation juridique des deux autres Etats concernés,
mais la Cour n’aura pas à se prononcer sur cette situation juridique pour prendre sa décision sur les griefs formulés par
Nauru contre l’Australie. Par voie de conséquence, la Cour ne peut refuser d’exercer sa juridiction.» (Voir Certaines
terres à phosphates à Nauru (Nauru c. Australie), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 1992, p. 261-262,
par. 55).Voir aussi Activités militaires et paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci (Nicaragua c. Etats-Unis
d’Amérique), compétence et recevabilité, arrêt, C.I.J. Recueil 1984, p. 431, par. 88).
111
Voir mémoire, op. cit., p. 8, par. 12 et p. 339-340, par. 3.2.11, 3.2.12 et 3.2.16.
112Voir par. 92 ci-dessus. - 34 -
153. La Cour a déjà en effet décidé que le droit de formuler de nouvelles demandes est limité
malgré l’inserti113dans la demande originale d’une réserve permettant de la compléter
ultérieurement . Elle s’est prononcée comme suit :
«La Cour est toutefois d’avis que, pour que la demande relative aux avoirs
d’outre-mer des British Phosphate Commissioners puisse être tenue pour incluse
matériellement dans la demande originelle, il ne saurait suffire que des liens de nature
générale existent entre ces demandes. Il convient que la demande additionnelle soit
implicitement contenue dans la requête (Temple de Préah Vihéar, fond, C.I.J. Recueil
1962, p. 36) ou découle «directement de la question qui fait l’objet de cette requête»
(Compétence en matière de pêcheries (République fédérale d’Allemagne c. Islande),
fond, C.I.J. Recueil 1974, p. 203, par. 72).» 114
154. Or les nouvelles demandes de la RFY entraînent un changement des entités
défenderesses qui ne sont plus exclusivement des Etats membres de l’OTAN, mais trente-quatre
autres Etats, et mettent aussi en cause l’Organisation des Nations Unies en raison des allégations
relatives à la violation de la résolution 1244 (1999) du Conseil de sécurité et en raison du fait
également que ladite résolution autorise la KFOR à intervenir sur le terrain et crée la MINUK.
155. Elles modifient également la situation qui nous occupe, qui n’est plus celle d’un conflit
armé ouvert, mais simplement d’une opération de maintien de la paix après la signature d’un
accord entre les parties, approuvé par le Conseil de sécurité. On a peine à imaginer transformation
plus complète. Selon le droit international classique, le passage d’une situation de guerre à une
situation de paix était si profond qu’il entraînait un changement du droit applicable qui, du droit de
la guerre, devenait le droit de la paix. Un changement d’une telle importance ne saurait être
accepté aujourd’hui, ce changement demeure en effet substantiel.
156. Il touche aussi la période de temps dont la Cour doit tenir compte. Si l’on se place dans
cette perspective, la RFY ne s’est guère contentée que d’essayer de nouveau de reporter la date de
naissance du différend dans le but de se soustraire aux limitations ratione temporis de sa propre
déclaration facultative.
157. Elle modifie la cause de la demande en ce qu’une allégation de responsabilité du fait de
la violation des règles relatives au recours à la force et du droit humanitaire devient essentiellement
une allégation de responsabilité découlant de la violation de textes de l’Organisation des
Nations Unies.
113
C’est ce que la RFY a d’ailleurs fait; voir requête de la République fédérale de Yougoslavie, op. cit., p. 5.
114Voir Certaines terres à phosphates à Nauru (Nauru c. Australie), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J.
Recueil 1992, p. 266, par. 67. Voir aussi Activités militaires et paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci (Nicaragua
c. Etats-Unis d’Amérique), compétence et recevabilité, arrêt, C.I.J. Recueil 1984, p. 426-427, par. 8La Cour
permanente de Justice internationale s’était d’ailleurs elle aussi prononcée :
«[L]a Cour ne saurait admettre, en principe, qu’un différend porté devant elle par requête puisse
être transformé, par voie de modifications apportées aux conclusions, en un autre différend dont le
caractère ne serait pas le même. Une semblable pratique serait de nature à porter préjudice aux Etats tiers
qui, conformément à l’article 40, alinéa 2, du Statut, doivent recevoir communication de toute requête
afin qu’ils puissent se prévaloir du droit d’intervention prévu par les articles 62 et 63 du Statut.» (Voir
o
Société commerciale de Belgique, arrêt, 1939, C.P.J.I. série A/B n 78, p. 173.) - 35 -
158. Elle change enfin la nature de la responsabilité qui, au cours de la première période,
découlerait d’actes intentionnels et, au cours de la seconde, semble-t-il, de la négligence.
159. Il est difficile d’imaginer des demandes ayant un lien aussi ténu avec l’objet initial du
différend et le modifiant plus radicalement. Il ressort de l’ensemble de la preuve que la RFY,
plutôt que de vouloir présenter de nouvelles demandes, cherche en fait à entamer une nouvelle
procédure car rien ne lui permet manifestement d’espérer d’avoir gain de cause dans la première.
160. Cela étant, le Portugal, dans l’intérêt d’assurer sa propre défense et de veiller à la bonne
administration de la justice, soutient qu’il y a tout lieu d’éviter de compliquer davantage
artificiellement la présente affaire en transformant sa nature tout en maintenant les demandes
antérieures. Partant, le Portugal prie la Cour de conclure à l’irrecevabilité des nouvelles demandes
présentées par la RFY.
CONCLUSIONS
Pour les motifs exposés ci-dessus, le Portugal prie la Cour de dire et juger :
1. que la République fédérale de Yougoslavie n’a pas qualité pour agir devant la Cour;
2. que la Cour n’a pas compétence pour connaître des demandes présentées par la République
fédérale de Yougoslavie contre le Portugal;
3. que les demandes présentées par la République fédérale de Yougoslavie contre le Portugal sont
irrecevables.
L’agent de la République portugaise,
(Signé) Maria Margarida A LEIXO A NTUNES R EI.
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Exceptions préliminaires de la République portugaise