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COUR INTERNATIONALE DE JUSTICE
AFFAIRE RELATIVE À LA LICÉITÉ DE L’EMPLOI DE LA FORCE
(YOUGOSLAVIE c. PAYS-BAS)
EXCEPTIONS PRÉLIMINAIRES DU ROYAUME DES PAYS-BAS
5 JUILLET 2000 - i -
TABLE DES MATIÈRES
1. Introduction .............................................................................................................................1
2. Les faits .............................................................................................................................3
3. La RFY n’est pas admise à ester en justice devant la Cour..........................................................7
4. Le paragraphe 2 de l’article 36 du Statut de la cour ne constitue pas
une base de compétence pour celle-ci.......................................................................................17
5. L’article ix de la convention sur le génocide ne constitue pas une base
de compétence pour la Cour......................................................................................................20
6. Le traité de règlement judiciaire, d’arbitrage et de conciliation de 1931
ne constitue pas une base de compétence pour la Cour ............................................................26
7. Les demandes présentées par la RFY sont irrecevables.............................................................34
7.1. Les demandes de la RFY sont irrecevables motif pris de ce que le demandeur
n’a pas produit le moindre commencement de preuve que les prétendues
violations reprochées sont le fait des Pays-Bas..............................................................35
7.2. Les demandes de la RFY sont irrecevables motif pris de ce qu’un arrêt rendu à
l’égard des Pays-Bas constituerait nécessairement une décision dans un
différend opposant la RFY à d’autres entités ou Etats non attraits devant la Cour
et / ou ne permettrait pas à celle-ci, en l’absence de ces entités ou Etats, de
rendre l’arrêt fondé.........................................................................................................36
7.3. La demande de la RFY fondée sur des prétendus manquements aux obligations
imposées par la résolution 1244 du Conseil de sécurité et par la convention
de 1948 sur le génocide relatives aux meurtres, aux coups et blessures et aux
mesures d’expulsion dont ont été victimes des Serbes et des membres d’autres
groupes non albanais au Kosovo-Metohija après le 10 juin 1999 est irrecevable
parce qu’il s’agit d’une nouvelle demande modifiant l’objet du différend
initialement soumis à la Cour dans la requête ................................................................43
8. Conclusions ...........................................................................................................................45
___________ 1. INTRODUCTION
1.1. Le 29 avril 1999, la République fédérale de Yougoslavie (ci-après dénommée la «RFY»)
a déposé auprès du Greffe de la Cour une requête introductive d’instance à l’encontre du Royaume
des Pays-Bas (ci-après dénommé les «Pays-Bas») «pour violation de l’obligation de ne pas recourir
à l’emploi de la force». Immédiatement après le dépôt de sa requête, la RFY a aussi saisi la Cour
d’une demande en indication de mesures conservatoires en application de l’article 73 de son
Règlement. Dans sa requête, la RFY invoquait le paragraphe 2 de l’article 36 du Statut de la Cour
ainsi que l’article IX de la convention de 1948 pour la prévention et la répression du crime de
génocide (ci-après dénommée «la convention sur le génocide») comme bases de compétence de la
Cour. Excipant du paragraphe 2 de l’article 36 du Statut de la Cour, la RFY entendait fonder la
compétence de celle-ci sur une déclaration reconnaissant la juridiction obligatoire de la Cour en
vertu de cette disposition, déclaration qui avait été déposée auprès du Secrétaire général des
Nations Unies trois jours plus tôt à peine, le 26 avril 1999. Dans une lettre du 12 mai 1999, l’agent
de la RFY a soumis à la Cour un «complément à la requête» de la RFY, dans lequel celle-ci
invoquait une autre base de compétence pour la Cour, à savoir l’article 4 du traité de règlement
judiciaire, d’arbitrage et de conciliation entre les Pays-Bas et le Royaume de Yougoslavie, signé à
La Haye le 11 mars 1931.
1.2. Au cours des audiences publiques que la Cour a tenues du 10 au 12 mai 1999 sur la
demande en indication de mesures conservatoires présentée par la RFY, les Pays-Bas ont opposé
une réfutation convaincante à la thèse selon laquelle la Cour avait compétence prima facie sur le
fondement de l’un des trois titres de compétence invoqués par la RFY et ont prié la Cour de rejeter
la demande en indication de mesures conservatoires. La Cour a décidé que les déclarations faites
par les Parties en vertu du paragraphe 2 de l’article 36 du Statut ne constituaient pas une base sur
laquelle elle pouvait fonder prima facie sa compétence en l’espèce. La compétence de la Cour ne
pouvait non plus être fondée prima facie sur l’article IX de la convention sur le génocide dès lors
que la Cour n’était pas en mesure de conclure, à ce stade de la procédure, que les actes que la RFY
imputait aux Pays-Bas étaient susceptibles d’entrer dans les prévisions de la convention sur le
génocide. Et vu que la RFY n’avait invoqué l’article 4 du traité susmentionné de 1931 comme base
additionnelle de compétence que lors du deuxième tour de plaidoiries sans fournir d’explications
sur les raisons qui l’avaient amenée à déposer ce document à ce stade tardif de la procédure, la
Cour, après avoir pris acte de l’argumentation développée par les Pays-Bas contre l’invocation de
cette prétendue base de juridiction, a estimé ne pas pouvoir prendre en considération cette nouvelle
base de juridiction additionnelle invoquée par la RFY «aux fins de décider si elle [pouvait] ou non
indiquer des mesures conservatoires dans le cas d’espèce».
1.3. Par son ordonnance du 30 juin 1999, la Cour a fixé l’ordre de présentation des pièces de
la procédure ainsi que les délais dans lesquels celles-ci devaient être produites, soit le
5 janvier 2000 pour le mémoire de la RFY et le 5 juillet 2000 pour le contre-mémoire des
Pays-Bas. La RFY a déposé son mémoire le 5 janvier 2000.
1.4. Selon le paragraphe 1 de l’article 79 du Règlement de la Cour,
«[t]oute exception à la compétence de la Cour ou à la recevabilité de la requête ou
toute autre exception sur laquelle le défendeur demande une décision avant que la
procédure sur le fond se poursuive doit être présentée par écrit dans le délai fixé pour
le dépôt du contre-mémoire…» - 2 -
et, selon le paragraphe 3 du même l’article, «[d]ès réception par le Greffe de l’acte introductif de
l’exception, la procédure sur le fond est suspendue».
1.5. Les Pays-Bas tiennent à user de la faculté qui leur est ouverte de soulever dans le présent
mémoire des exceptions préliminaires à la compétence de la Cour et à la recevabilité des demandes
présentées par la RFY dans sa requête et son mémoire. Ainsi qu’il sera exposé plus en détail dans
les chapitres qui suivent, les Pays-Bas demeurent d’avis, comme ils l’ont déjà indiqué lors de la
procédure relative à la demande en indication de mesures conservatoires présentée par la RFY,
que :
1. la RFY n’est pas admise à ester en justice devant la Cour (chapitre 3);
2. le paragraphe 2 de l’article 36 du Statut de la Cour ne constitue pas une base de compétence
pour celle-ci (chapitre 4);
3. l’article IX de la convention sur le génocide ne constitue pas une base de compétence pour la
Cour (chapitre 5);
4. le traité de règlement judiciaire, d’arbitrage et de conciliation de 1931 génocide ne constitue
pas une base de compétence pour la Cour (chapitre 6);
5. les demandes présentées par la RFY sont irrecevables motif pris de ce que :
a) le requérant n’a pas produit le moindre commencement de preuve que les violations
reprochées sont le fait des Pays-Bas;
b) un arrêt rendu à l’égard des Pays-Bas constituerait nécessairement une décision dans un
différend opposant la RFY à d’autres entités ou Etats non attraits devant la Cour et / ou ne
permettrait pas à celle-ci, en l’absence de ces entités ou Etats, de rendre un arrêt fondé;
et / ou;
c) la demande présentée par la RFY, fondée sur des prétendus manquements aux obligations
imposées par la résolution 1244 du Conseil de sécurité et par la convention de 1948 sur le
génocide, relativement aux meurtres, coups et blessures et mesures d’expulsion dont ont
été victimes des Serbes et des membres d’autres groupes non albanais dans la région que
la RFY appelle «Kosovo-Metohija» (ci-après dénommée Kosovo-Metohija) après le
10 juin 1999, constitue une nouvelle demande modifiant l’objet du différend dont la Cour
a été initialement saisie par la requête.
Aussi les Pays-Bas prient-ils la Cour dans leurs conclusions de dire et juger que la RFY n’est pas
admise à ester en justice devant la Cour, que la Cour n’a pas compétence pour connaître des
demandes présentées par la RFY à l’encontre des Pays-Bas et / ou que les demandes présentées par
la RFY sont irrecevables.
1.6. Les Pays-Bas ont pris acte de la relation des faits présentée par la RFY dans sa requête
et son mémoire. Etant donné qu’ils opposent des exceptions préliminaires d’incompétence de la
Cour et d’irrecevabilité des demandes, les Pays-Bas se borneront dès lors à n’aborder les questions
de fait dans le présent mémoire que dans la mesure où l’exigent ces exceptions préliminaires. Il
convient par conséquent de noter que les Pays-Bas ne sauraient, sauf indication contraire expresse
de leur part dans le présent mémoire, être considérés comme ayant accepté la relation des faits tels
qu’ils sont exposés dans la requête et le mémoire de la RFY, que ceux-ci se rapportent à des
événements antérieurs ou postérieurs au 10 juin 1999. - 3 -
2. LES FAITS
2.1. Les Pays-Bas se proposent dans le présent chapitre de donner un bref aperçu des faits de
l’affaire dont la Cour est saisie. Y sont rappelés les efforts déployés en vue de persuader les
autorités de la RFY de cesser de se livrer à des violations massives des droits de l’homme de la
population civile du Kosovo et, lorsque ces efforts ont échoué, la nécessité devant laquelle s’est
inévitablement trouvée l’OTAN d’entreprendre des bombardements sur le territoire de la RFY afin
d’empêcher une catastrophe humanitaire au Kosovo. Les Pays-Bas tiennent à souligner à nouveau
que cet aperçu ne saurait en aucune façon être interprété comme reconnaissant que la Cour a
compétence pour connaître de la requête de la RFY au fond. Cet aperçu a pour seul objet de situer
dans son véritable contexte factuel le mémoire des Pays-Bas qui vise à démontrer l’incompétence
de la Cour et l’irrecevabilité des demandes de la RFY.
2.2. En 1989, les autorités de la République de Serbie (qui faisait alors partie de la
République fédérative socialiste de Yougoslavie (RFSY) pour faire ensuite partie de la République
fédérale de Yougoslavie (RFY)) a privé le Kosovo de son statut de territoire autonome dont il
jouissait en vertu de la constitution de 1974 de la RFSY. La population du Kosovo qui était surtout
d’origine ethnique albanaise a dans un premier temps opposé une résistance exclusivement
pacifique à cette mesure et aux conséquences qui en découlaient. A partir de 1996, l’armée de
libération du Kosovo, l’UCK, a mené des actions de résistance armée. La situation s’est aggravée
au printemps de 1998 lorsque la police et des unités paramilitaires serbes de concert avec des unités
de l’armée yougoslave ont répliqué par des représailles aux actions de l’UCK. Ces représailles se
sont aussi accompagnées d’actes de violence excessive contre les civils. On estimait en
septembre 1998 que les combats au Kosovo avaient fait depuis le mois de mars de 600 à 700 morts
parmi la population civile et que le nombre de réfugiés et de personnes déplacées avait atteint le
chiffre de 230 000 (rapport du Secrétaire général, Nations Unies, doc. S/1998/834, par. 7).
2.3. La communauté internationale a tenté de porter un coup d’arrêt à l’escalade en exerçant
des pressions politiques, principalement dans le cadre du groupe de contact (se composant du
Royaume-Uni, des Etats-Unis, de la France, de l’Allemagne, de l’Italie, de la Fédération de Russie
et de la Présidence de l’Union européenne), du Conseil de sécurité et de l’Organisation pour la
sécurité et la coopération en Europe (OSCE).
2.4. Le 31 mars 1998, le Conseil de sécurité a adopté la résolution 1160 (annexe 2.1) qui
condamnait notamment l’usage excessif de la force par les forces de police serbes contre des civils
et des manifestants pacifiques au Kosovo, ainsi que tous les actes de terrorisme commis par l’armée
de libération du Kosovo. Agissant en vertu du chapitre VII de la Charte des Nations Unies, le
Conseil a notamment demandé à la RFY de prendre sans délai les mesures supplémentaires
nécessaires pour parvenir à une solution politique de la question du Kosovo par le dialogue. Il a
également souligné que le moyen de faire échec à la violence et au terrorisme au Kosovo consistait
pour les autorités de Belgrade à offrir à la communauté albanaise kosovar un véritable processus
politique.
2.5. Le 24 août 1998, le président du Conseil de sécurité a fait une déclaration au nom de
celui-ci (S/PRST/1998/25) (annexe 2.2), indiquant que le Conseil demeurait gravement préoccupé
par les combats au Kosovo qui ont eu un effet dévastateur sur la population civile et ont entraîné
une augmentation considérable du nombre des réfugiés et personnes déplacées. Le Conseil a
demandé un cessez-le-feu immédiat. - 4 -
2.6. Dans sa résolution 1199 du 23 septembre 1998, le Conseil de sécurité s’est dit
notamment gravement préoccupé par l’usage excessif et indiscriminé de la force par les unités de
sécurité serbes et l’armée yougoslave qui ont causé de nombreuses victimes civiles (annexe 2.3). Il
s’est dit profondément préoccupé par la détérioration rapide de la situation humanitaire dans
l’ensemble du Kosovo et, agissant de nouveau en vertu du chapitre VII de la Charte des
Nations Unies, il a formulé un certain nombre d’exigences à l’endroit de toutes les parties
intéressées et a expressément exigé que la RFY applique un certain nombre de mesures concrètes
en vue de parvenir à un règlement politique de la situation au Kosovo. Les mesures exigées (telle
que la cessation de toutes les actions des forces de sécurité touchant la population civile) avaient
déjà été énoncées dans une déclaration du groupe de contact en date du 12 juin 1998 et étaient
expressément reprises dans la résolution du Conseil de sécurité.
2.7. Le 16 octobre 1998, les autorités de la RFY et l’OSCE ont conclu un accord autorisant
cette dernière à établir une mission de vérification au Kosovo. La veille, les autorités militaires de
la RFY et l’OTAN avaient conclu un accord prévoyant la création d’une mission de vérification
aérienne au Kosovo en complément de la mission de vérification de l’OSCE. Celle-ci avait pour
objet de vérifier le respect des dispositions de la résolution 1199 du Conseil de sécurité par la RFY
et toutes les autres parties concernées au Kosovo. Dans sa résolution 1203 (annexe 2.4) adoptée le
24 octobre 1998, le Conseil de sécurité, agissant en vertu du chapitre VII de la Charte, a approuvé
les deux accords et exigé que les dirigeants albanais du Kosovo et tous les autres éléments de la
communauté albanaise du Kosovo respectent strictement les résolutions 1160 et 1199 et coopèrent
pleinement avec la mission de vérification de l’OSCE.
2.8. Alors que se précisait la menace de frappes aériennes par l’OTAN qui avaient été
décidées en principe par le Conseil de cette organisation en octobre 1998, l’envoyé spécial
américain qui agissait au nom du groupe de contact est parvenu à conclure un accord avec le
président de la RFY sur le respect de la résolution 1199.
2.9. Malgré cet accord, les actes de violence se sont poursuivis et ont abouti le
15 janvier 1999 au massacre d’Albanais du Kosovo dans le village de Racak. Selon la mission de
vérification de l’OSCE qui a fait rapport sur cet incident, les victimes étaient des civils et les forces
de sécurité de la RFY portaient la responsabilité de ce massacre. Dans une déclaration faite par son
président le 19 janvier 1999 (S/PRST/1999/2) (annexe 2.5), le Conseil de sécurité a condamné
énergiquement ce massacre.
La situation des réfugiés s’est détériorée. Dans un rapport présenté au Conseil de sécurité le
5 mai 1999, le Haut Commissaire des Nations Unies pour les réfugiés a déclaré qu’il y avait déjà,
avant le 24 mars, date du début de la campagne aérienne de l’OTAN, près d’un demi-million de
personnes déplacées ou réfugiées dans les Etats voisins (site web du HRC http://srch1.un.org)
(annexe 2.6). Le rapport reprenant les constatations opérées par la mission de vérification de
l’OSCE au Kosovo en matière de droits de l’homme (site web
http://www.osce.org/kosovo/reports/HR/part1/Index.HTM) (dont le résumé est reproduit à
l’annexe 2.7), qui a été publié en décembre 1999 mais couvre la période allant de la création de la
mission le 16 octobre 1998 jusqu’à sa dissolution le 9 juin 1999, énumère les crimes perpétrés par
les forces yougoslaves et serbes tels que les meurtres arbitraires de civils, les arrestations et
détentions arbitraires, les tortures et mauvais traitements, les viols et autres formes de violence
sexuelle, les violations du droit à un procès équitable, l’utilisation d’êtres humains comme
boucliers et les expulsions forcées. - 5 -
2.10. Une dernière tentative a été effectuée sous l’égide du groupe de contact pour trouver
une solution politique au problème. Les deux parties au conflit ont été invitées à participer à des
négociations visant à parvenir à un règlement politique et à établir un cadre et un calendrier à cet
effet. Le Conseil de sécurité a accueilli avec satisfaction et appuyé cette initiative (déclaration du
président du Conseil de sécurité en date du 29 janvier 1999; S/PRST/1999/5) (annexe 2.8).
2.11. Deux séries de négociations se sont tenues, l’une en février 1999 à Rambouillet et
l’autre du 15 au 19 mars 1999 à Paris. Les négociations à Rambouillet ont abouti aux accords dits
de Rambouillet, projet d’accord établissant un régime provisoire d’autonomie gouvernementale
poussé au Kosovo tout en reconnaissant l’intégrité territoriale de la RFY. Lors de la seconde série
de négociations à Paris, la délégation de la RFY a refusé de signer l’accord parce qu’elle s’opposait
au déploiement envisagé d’une force dirigée par l’OTAN pour assurer le respect de l’accord. Bien
qu’elle ait d’abord insisté pour que le texte fasse état de la tenue d’un référendum sur le statut
définitif du Kosovo après l’expiration de la période provisoire envisagée, la délégation du Kosovo
a fini par accepter de signer l’accord. La position adoptée par la délégation de la RFY a toutefois
conduit le groupe de contact à conclure qu’il n’avait d’autre solution que de suspendre les
négociations.
2.12. Même durant les négociations à Rambouillet et à Paris, les forces militaires et
policières yougoslaves n’ont cessé de se préparer à intensifier leurs opérations contre les Albanais
au Kosovo. Après une dernière tentative de l’envoyé spécial américain, M. Richard Holbrooke,
visant à convaincre le président Milosevic de faire machine arrière, le Secrétaire général de
l’OTAN, M. Solana, a donné l’ordre d’entreprendre les frappes aériennes (opération «Force
alliée»). (Voir : Kosovo : Un an après Réalisations et défis, Lord Robertson, Secrétaire général de
l’OTAN (site web http://www.nato.int/kosovo/repo2000/report-fr.pdf).) L’opération «Force alliée»
a débuté le 24 mars 1999. Lors du débat tenu à ce sujet le même jour au Conseil de sécurité à la
demande de la Fédération de Russie, le représentant permanent des Pays-Bas a notamment déclaré
ce qui suit :
«Nous avons pris part à la décision de l’Organisation du Traité de l’Atlantique
Nord (OTAN) et en assumons la responsabilité car il n’y avait pas d’autre solution
possible. Les Pays-Bas n’ont pas pris cette décision à la légère. Celle-ci a été prise
par conviction. La responsabilité des actes de l’OTAN incombe totalement au
Président Milosevic. C’est lui qui porte la responsabilité des violations à grande
échelle des accords d’octobre conclu avec l’Organisation pour la sécurité et la
coopération en Europe (OSCE) et l’OTAN. C’est parce que le Président Milosevic a
eu recours à la violence au Kosovo que nous avons été convaincus que la catastrophe
humanitaire imminente au sujet de laquelle le Conseil a exprimé ses préoccupations
par les résolutions qu’il a adoptées en septembre et octobre ne pourrait être évitée
par des moyens pacifiques.
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
La situation actuelle devrait convaincre toutes les délégations qu’en ce qui
concerne la question du Kosovo, les moyens diplomatiques pour rechercher une
solution sont désormais épuisés. Comme l’a dit le Secrétaire général, la diplomatie a
échoué mais il y a des moments où le recours à la force peut être légitime pour rétablir
la paix. Les Pays-Bas estiment que le temps est venu pour cela.» (Nations Unies,
doc. S/PV 3988, p. 8.) (Annexe 2.9.) - 6 -
2.13. Lors de la réunion qu’il a tenue le 26 mars 1999, le Conseil de sécurité a examiné un
projet de résolution présenté par le Bélarus et la Fédération de Russie et appuyé par l’Inde. Il y
était proposé que le Conseil de sécurité, agissant en vertu des chapitres VII et VIII de la Charte,
exige qu’il soit immédiatement mis fin à l’emploi de la force contre la RFY et que les négociations
soient reprises sans tarder.
Le projet de résolution a été rejeté par douze voix (Argentine, Bahreïn, Brésil, Canada,
France, Gabon, Gambie, Malaisie, Pays-Bas, Slovénie, Royaume-Uni et Etats-Unis d’Amérique)
contre trois (Chine, Fédération de Russie et Namibie) (Nations Unies, doc. S/PV 3989, p. 6)
(annexe 2.10).
2.14. La campagne progressive de frappes aériennes de l’OTAN s’est déroulée du 24 mars
au 10 juin. L’OTAN a fait tout son possible pour limiter les dommages collatéraux et respecter les
règles du droit international humanitaire. Il importe de relever à cet égard que le procureur du
Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie a décidé de ne pas ouvrir d’enquête sur
quelqu’aspect que ce soit de la campagne de frappes aériennes. Bien que l’OTAN ait commis
quelques erreurs, le procureur était convaincu que l’OTAN n’avait pas pris délibérément pour cible
des civils ou des objectifs militaires illégitimes pendant la campagne (Nations Unies,
documents S/PV/4150, p. 3 (annexe 2.11) et communiqué de presse du T.P.I.R. PR/P.I.S./510-e du
13 juin 2000).
Si on la compare à celle d’autres membres de l’OTAN, la participation des Pays-Bas à la
campagne de frappes aériennes a été relativement peu importante. La force aérienne des Pays-Bas
a effectué environ cinq pour cent du nombre total de sorties aériennes. C’est l’OTAN qui assurait
la direction de l’opération «Force alliée». Le contrôle opérationnel des unités néerlandaises
participant à cette campagne a été transféré à l’état-major de l’OTAN pour les besoins de la
réalisation de cette opération.
2.15. Pendant que la campagne de frappes aériennes de l’OTAN se poursuivait, le G-8 a
adopté le 6 mai 1999 un ensemble de principes généraux pour un règlement politique de la crise du
Kosovo. Ces principes ont été énoncés dans un document présenté par l’envoyé spécial américain
et l’envoyé russe et acceptés par les autorités de la RFY le 3 juin 1999. Ce document prévoyait
notamment qu’il soit mis un terme immédiatement et de manière vérifiable à la violence et à la
répression au Kosovo et qu’il soit procédé à un retrait vérifiable du Kosovo de toutes les forces
militaires, paramilitaires et de police suivant un calendrier serré. Le 9 juin 1999, l’OTAN
établissait la Force internationale de sécurité au Kosovo (la KFOR). Après la conclusion le même
jour d’un accord militaro-technique entre le chef d’état-major de l’armée de la RFY et le
commandant de la KFOR, le retrait des forces de sécurité de la RFY et de la Serbie a commencé le
10 juin 1999. Les frappes aériennes de l’OTAN ont été suspendues le même jour.
2.16. Dans sa résolution 1244 du 10 juin 1999 (annexe 2.12), le Conseil de sécurité, tout en
se félicitant de l’adhésion de la RFY au document présenté par l’envoyé spécial américain et
l’envoyé russe et en agissant en vertu du chapitre VII de la Charte, a notamment affirmé la
nécessité de procéder sans tarder au déploiement rapide de présences internationales civile et de
sécurité efficaces au Kosovo et exigé des parties qu’elles coopèrent sans réserve à ce déploiement.
Le Conseil a décidé que les responsabilités de la présence internationale de sécurité qui serait
déployée au Kosovo incluraient notamment les suivantes : prévenir la reprise des hostilités, établir
un environnement sûr pour que les réfugiés et les personnes déplacées puissent rentrer chez eux et
assurer le maintien de l’ordre et la sécurité publics. Les responsabilités de la présence
internationale civile incluraient notamment celles qui suivent : exercer les fonctions
d’administration civile de base, mettre en place des institutions provisoires, maintenir l’ordre
public, faciliter la reconstruction des infrastructures essentielles et le relèvement de l’économie, - 7 -
défendre les droits de l’homme et faciliter l’acheminement de l’aide humanitaire et des secours aux
sinistrés. La présence internationale de sécurité, c’est-à-dire la KFOR, a été déployée le
12 juin 1999. Le même jour, le Secrétaire général des Nations Unies a présenté une première
ébauche de la Mission d’administration intérimaire des Nations Unies au Kosovo (MINUK) qui
devait constituer la présence internationale civile. Un premier groupe de la MINUK a été déployé
au Kosovo dans les jours qui suivent.
2.17. Ainsi qu’il ressort des divers rapports du Secrétaire général (S/1999/767, S/1999/799,
S/1999/982, S/1999/987, S/1999/1062, S/1999/1185, S/1999/1250, S/1999/1266, S/2000/50,
S/2000/152, S/2000/177, S/2000/235, S/2000/318, S/2000/538) rendus publics depuis la mise en
place de la présence internationale civile (la MINUK) et de la présence internationale de sécurité
(la KFOR), les attaques contre les minorités ethniques demeurent un sujet de préoccupation
important en matière de sécurité. La KFOR, en coopération étroite avec la MINUK, continue
cependant de s’attaquer à ces problèmes ainsi qu’à d’autres afin de maintenir la paix et la stabilité
au Kosovo. Le tout dernier rapport du Secrétaire général sur la MINUK (S/2000/538), qui couvre
la période allant de mars à juin 2000, relève que la MINUK a renforcé les structures centrales et
municipales par l’intermédiaire desquelles les Kosovar participent à l’administration intérimaire de
la province. Du fait de la participation des communautés ethniques albanaises et non albanaises du
Kosovo, la composition de ces structures est devenue plus représentative de la population de la
province.
Les Pays-Bas ont participé à la KFOR depuis la date de son déploiement au Kosovo jusqu’au
1erjuin 2000. Ils ont mis à disposition plusieurs unités, soit environ 1 500 hommes au total. La
participation des Pays-Bas à la MINUK concerne surtout le «pilier» OSCE, chef de file pour la
mise en place d’institutions. Les Pays-Bas contribuent de manière substantielle au fonds
d’affectation spéciale de la MINUK.
3. LA RFY N ’EST PAS ADMISE A ESTER EN JUSTICE DEVANT LA C OUR
3.1. Les Pays-Bas soutiennent, ainsi qu’il sera expliqué plus en détail ci-après, que la RFY
n’est pas admise à ester en justice devant la Cour car elle n’est pas membre des Nations Unies et
n’est par conséquent pas ipso facto partie au Statut de la Cour, qu’elle n’est pas devenue partie au
Statut de quelque autre manière et qu’elle n’a pas accepté la juridiction de la Cour en faisant une
déclaration conformément à la résolution 9 (1946) du Conseil de sécurité. La déclaration
unilatérale par laquelle la RFY a accepté la juridiction de la Cour n’est pas valable et ne confère en
tout état de cause pas compétence à la Cour sur le fondement du paragraphe 2 de l’article 36 du
Statut à l’égard des Pays-Bas.
3.2. Les Pays-Bas continuent de soutenir, comme ils l’ont fait lors de la procédure relative à
la demande en indication de mesures conservatoires présentée par le demandeur, que la RFY, l’un
des Etats succédant à l’ancienne République fédérative socialiste de Yougoslavie (RFSY), n’est
actuellement pas membre des Nations Unies et n’est dès lors pas partie au Statut de la Cour
internationale de Justice en vertu du paragraphe 1 de l’article 93 de la Charte des Nations Unies qui
prévoit que tous les Membres des Nations Unies sont ipso facto parties au Statut.
3.3. Pour affirmer qu’elle est membre des Nations Unies (mémoire du demandeur, par. 3.1),
la RFY postule à tort qu’elle assure automatiquement la continuité de la République fédérative
socialiste de Yougoslavie comme membre de l’Organisation des Nations Unies. Que la RFY se
soit effectivement fondée sur ce postulat erroné, c’est ce qu’on peut déduire de la déclaration
suivante faite lors de la proclamation du nouvel Etat (27 avril 1992) et répétée dans une lettre
adressée au Secrétaire général des Nations Unies par les autorités de la RFY : - 8 -
«La République fédérale de Yougoslavie, assurant la continuité de l’Etat et de la
personnalité juridique et politique internationale de la République fédérative socialiste
de Yougoslavie, respectera strictement tous les engagements que la République
fédérative socialiste de Yougoslavie a pris à l’échelon international.» (A/46/915,
7 mai 1992, annexe II, par. 1.) (Annexe 3.1.)
Ainsi que le note le Conseil de sécurité dans sa résolution 757 (1992) du 30 mai 1992,
«l’affirmation de la République fédérative de Yougoslavie (Serbie et Monténégro) selon laquelle
elle assure automatiquement la continuité de l’ex-République fédérative socialiste de Yougoslavie
comme Membre de l’Organisation des Nations Unies n’a pas été généralement acceptée»
(annexe 3.2). Le rejet de l’affirmation de la RFY trouve en outre confirmation dans les avis de la
Commission d’arbitrage créée dans le cadre de la Conférence pour la paix en Yougoslavie à
laquelle avaient participé la Communauté européenne et ses Etats membres ainsi que les six
républiques de l’ex-RFSY Les six républiques de l’ex-RFSY, y compris la République de Serbie et
celle du Monténégro, qui formèrent par la suite la RFY, ont toutes accepté les dispositions prises en
vue de la création de la commission. Lorsque la RFY a récusé sa compétence pour se prononcer
par voie d’avis sur un certain nombre de questions qui lui avaient été soumises par le président de
la conférence au sujet notamment du statut de la RFY, la commission s’est déclarée compétente
pour rendre l’avis demandé dans une décision avant dire droit du 4 juillet 1992 (annexe 3.3).
o3.4. Après s’être ainsi prononcée sur sa propre compétence, la commission a dit dans son
avis n 8 du 7 juillet 1992 (annexe 3.4) :
«que le processus de dissolution de la R.S.F.Y. mentionné dans l’Avis n 1 du o
29 novembre 1991 [était] arrivé à son terme et qu’il fa[llait] constater que la R.F.S.Y.
n’exist[ait] plus»;
o
dans son avis n 9 (annexe 3.5) du même jour :
«qu’il [devait] être mis un terme à la qualité de membre de la R.S.F.Y. dans les
organisations internationales conformément à leurs statuts respectifs et qu’aucun des
Etats successeurs ne [pouvait] revendiquer en tant que tel et pour lui seul le bénéfice
des droits détenus jusqu’alors par l’ancienne R.S.F.Y. en sa qualité de membre»
et dans son avis no10, également du même jour (annexe 3.6) que :
«la R.F.Y. (Serbie et Monténégro) appara[isssait] comme un Etat nouveau qui ne
saurait être considéré comme l’unique successeur de la R.S.F.Y.».
L’Union européenne considère aussi la RFY comme l’un des Etats successeurs de la RFSY Elle a
fait le 20 juin 1992 une déclaration commune où figurait notamment le passage suivant :
«La Communauté et ses Etats membres se félicitent de l’avis de la commission
d’arbitrage de la conférence sur la Yougoslavie, présidée par M. Badinter. Il revient à
la Serbie et au Monténégro de décider de la constitution d’une nouvelle fédération.
Mais cette nouvelle fédération ne saurait être acceptée comme le successeur unique de
l’ancienne RFSY. A la lumière de cela, la Communauté et des Etats membres
s’opposeront à la participation de la RFY aux travaux dans les enceintes
internationales. (Bulletin des Communautés européennes 7/8-1992, p. 108.)
(Annexe 3.7.)
3.5. Comme suite à sa résolution 757 (1992) susmentionnée du 30 mai 1992, le Conseil de
sécurité a estimé dans sa résolution 777 (1992) du 19 septembre 1992 (annexe 3.8) que : - 9 -
«l’Etat antérieurement connu comme la République fédérative socialiste de
Yougoslavie a cessé d’exister»,
et que :
«la République fédérative de Yougoslavie (Serbie et Monténégro) ne [pouvait] pas
assurer automatiquement la continuité de la qualité de Membre de l’ancienne
République fédérative socialiste de Yougoslavie aux Nations Unies»
et a par conséquent recommandé à l’Assemblée générale :
«de décider que la République fédérative de Yougoslavie (Serbie et Monténégro)
devrait présenter une demande d’adhésion aux Nations Unies…»
3.6. Donnant suite à cette recommandation, l’Assemblée générale a considéré dans sa
résolution 47/1 (1992) du 22 septembre 1992 (annexe 3.9) :
«que la République fédérative de Yougoslavie (Serbie et Monténégro) ne [pouvait]
pas assumer automatiquement la qualité de Membre de l’Organisation des
Nations Unies à la place de l’ancienne République fédérative socialiste de
Yougoslavie»
1
et a par conséquent décidé :
«que la République fédérative de Yougoslavie (Serbie et Monténégro) devrait
présenter une demande d’admission à l’Organisation et qu’elle ne participera pas aux
travaux de l’Assemblée générale».
La résolution donnant effet à la recommandation du Conseil de sécurité a été adoptée à une
majorité écrasante, six Etats seulement, dont la «Yougoslavie» elle-même, ayant voté contre, quatre
membres permanents du Conseil de sécurité ayant voté pour et la Chine s’étant abstenue (voir :
Annuaire des Nations Unies, 1992, p. 139). Au cours des débats de l’Assemblée générale sur le
projet de résolution qui a finalement été adopté en tant que résolution 47/1 (1992), le premier
ministre de la RFY à l’époque a déclaré : «Je présente officiellement une demande d’admission à
l’Organisation des Nations Unies au nom de la nouvelle Yougoslavie…» (Nations Unies,
doc. A47/PV.7, p. 149/150) (annexe 3.10), mais l’Organisation des Nations Unies n’a jamais reçu
aucun document écrit donnant suite à cette déclaration. Tant la décision de l’Assemblée générale
que l’absence d’une réponse adéquate des autorités de la RFY confirment le point de vue des
Pays-Bas, qui est que la RFY n’est pas actuellement Membre de l’Organisation des Nations Unies
et, par conséquent, que le demandeur ne saurait être considéré comme étant ipso facto partie au
Statut de la Cour en vertu du paragraphe 1 de l’article 93 de la Charte des Nations Unies.
3.7. Le fait que le Conseil de sécurité a conclu que la RFSY avait cessé d’exister ne signifie
toutefois pas, selon les Pays-Bas, qu’il ait été mis fin officiellement à la qualité de membre de
celle-ci aux Nations Unies. La Charte ne contient pas de disposition mettant fin à la qualité de
membre d’un Etat aux Nations Unies à la suite de sa dissolution et ni le Conseil de sécurité ni
l’Assemblée générale n’ont pris une décision officielle mettant fin à la qualité de membre de la
RFSY Partant, l’Organisation des Nations Unies et ses organes devraient considérer officiellement
que la RFSY demeure membre des Nations Unies.
1Selon le paragraphe 2 de l’article 4 de la Charte des Nations Unies, la décision de l’Assemblée générale
d’admettre un Etat comme Membre des Nations Unies est subordonnée à une recommandation préalable du Conseil de
sécurité en ce sens. - 10 -
3.8. Les Pays-Bas soutiennent en outre que le demandeur n’est pas devenu partie au Statut de
la Cour de quelque autre manière, et certainement pas sur le fondement d’une résolution adoptée
par l’Assemblée générale sur recommandation du Conseil de sécurité ainsi que le prévoit le
paragraphe 2 de l’article 93 de la Charte des Nations Unies. Toujours est-il que la RFY n’est pas
mentionnée comme partie au Statut de la Cour sur ce fondement dans l’annuaire 1996-1997 de la
Cour internationale de Justice, p. 68-72. L’annuaire porte la mention suivante
«Yougoslavie … Membre originaire» et fait figurer celle-ci parmi les «Etats Membres des
Nations Unies» admis à ester en justice devant la Cour conformément au paragraphe 1 de
l’article 35 du Statut (annuaire 1996-1997 de la Cour internationale de Justice, p. 72). Cette
mention vise la RFSY qui, comme nous l’avons déjà relevé, n’a jamais été officiellement privée de
sa qualité de Membre des Nations Unies.
3.9. Les Pays-Bas savent bien qu’un Etat qui n’est pas partie au Statut de la Cour
internationale de Justice, comme c’est le cas du demandeur, peut, selon certaines conditions
qu’énonce la résolution n o 9 (1996) du Conseil de sécurité du 15 octobre 1946 (annexe 3.11),
adoptée par ce dernier en vertu du pouvoir que lui confère le paragraphe 2 de l’article 35 du Statut,
accepter la juridiction de la Cour (voir Annuaire 1996-1997 de la Cour internationale de Justice,
p. 72-74).
3.10. Les Pays-Bas font valoir que la déclaration de 1999, par laquelle le demandeur accepte
la juridiction de la Cour, fait simplement référence au paragraphe 2 de l’article 36 du Statut do la
Cour comme si le demandeur y était partie mais ne se réfère aucunement à la résolution n 9 du
Conseil de sécurité du 15 octobre 1946 comme lui ouvrant le droit d’ester en justice devant la Cour
et que le demandeur n’établit nullement qu’il a accepté les conditions auxquelles ladite résolution
subordonne le droit d’ester devant la Cour. Le demandeur se borne également dans son mémoire à
o
réitérer sa déclaration de 1999 sans invoquer la résolution n 9 (1946) du Conseil de sécurité. Les
Pays-Bas font valoir en conséquence que la déclaration de 1999 du demandeur acceptant la
juridiction de la Cour doit être considérée comme nulle et non avenue au motif qu’elle ne se fonde
pas sur la résolution n 9 (1946) du Conseil de sécurité et ne satisfait pas aux conditions essentielles
mentionnées dans celle-ci.
3.11. Les Pays-Bas font par ailleurs valoir que même si la déclaration de 1999 du demandeur
devait être considérée comme valable, l’acceptation de la juridiction obligatoire de plein droit et
sans convention spéciale de la Cour, aux termes du paragraphe 2 de l’article 36 du Statut, ne saurait
être opposée aux Pays-Bas qui sont partie au Statut et ont souscrit la déclaration prévue au
paragraphe 2 de l’article de celui-ci, étant donné que les Pays-Bas n’ont jamais expressément
consenti à ce que l’acceptation de la juridiction de la Cour par le demandeur sur cette base
produise des effets à leur égard, comme le requiert clairement la résolution n o9 (1946) du Conseil
de sécurité pour que la Cour puisse exercer sa compétence ratione personae sur cette base.
3.12. Les observations qui précèdent ont déjà été présentées dans une large mesure lors de la
procédure relative à la demande en indication de mesures conservatoires soumise par le demandeur.
Dans les paragraphes qui suivent, les Pays-Bas, après avoir examiné brièvement l’ordonnance de la
Cour du 2 juin 2000 et de façon plus détaillée le mémoire du 5 janvier 2000 du demandeur,
développeront leur thèse selon laquelle la RFY n’est pas admise à ester en justice devant la Cour.
3.13. Dans son ordonnance du 2 juin 1999 relative à la demande en indication de mesures
conservatoires présentée par le demandeur, la Cour a déclaré (par. 33) qu’elle n’avait pas, eu égard
à la conclusion à laquelle elle était parvenue au sujet de la limitation ratione temporis apportée par
le demandeur à sa déclaration d’acceptation de la juridiction de la Cour, à examiner la question de - 11 -
l’appartenance de la RFY à l’Organisation des Nations Unies à l’effet de décider si elle pouvait ou
non indiquer des mesures conservatoires dans le cas d’espèce. Dans son opinion individuelle,
Mme Higgins a fait observer que le statut de la RFY était une question extrêmement complexe et
importante (par. 21). Quant à M. Oda, il a estimé dans son opinion individuelle (par. 4) que la
RFY, n’étant pas membre des Nations Unies et n’étant pas par conséquent partie au Statut de la
Cour, n’avait pas qualité pour saisir la Cour d’une requête. Dans son opinion individuelle,
M. Kooijmans s’est interrogé sur la question de savoir si la RFY était un membre à part entière des
Nations Unies, remplissant toutes les conditions requises et ayant à ce titre la capacité d’accepter la
juridiction obligatoire de la Cour en sa qualité de partie au Statut (par. 25). Et M. Kooijmans
d’ajouter :
«Cela veut dire qu’il existe une possibilité, qui est loin d’être négligeable, que la
Cour doive constater après avoir procédé à une analyse approfondie des questions de
droit en jeu qu’elle n’est pas compétente parce que la déclaration d’acceptation que la
Yougoslavie a faite n’est pas valable.»
3.14. Le demandeur fait valoir dans son mémoire que la résolution 777 (1992) du Conseil de
sécurité «ne visait aucunement à mettre un terme à l’appartenance de la République fédérale de
Yougoslavie à l’Organisation des Nations Unies» (mémoire, troisième partie, par. 3.1.1). Citant
des déclarations des représentants permanents de deux membres du Conseil de sécurité, le
demandeur fait valoir que la résolution visait à parvenir à un compromis (la RFY ne participerait
pas aux travaux de l’Assemblée générale), mais n’emportait pas exclusion de la RFY de
l’Organisation des Nations Unies. Il convient toutefois de relever que le représentant permanent de
la Chine a fait observer que «la résolution qui vient d’être adoptée ne signifie en aucun cas que la
Yougoslavie a été expulsée de l’Organisation des Nations Unies» (les italiques sont du défendeur)
(Nations Unies, doc. S/PV. 3116 du 19 septembre 1992) (annexe 3.12).
3.15. Les Pays-Bas tiennent à contester l’interprétation que le demandeur donne à l’issue du
débat au sein du Conseil de sécurité. Il est tout d’abord erroné pour le demandeur d’affirmer que la
résolution du Conseil de sécurité portait sur la question de savoir s’il avait été mis un terme à
l’appartenance de la RFY aux Nations Unies. La RFY n’a jamais été membre de l’Organisation
des Nations Unies. La seule question était de savoir si la RFY avait le droit d’affirmer qu’elle
assurait la continuité de la qualité de membre de l’ancienne RFSY Il n’était par ailleurs pas
question d’un compromis même si certains membres du Conseil peuvent avoir envisagé sous cet
angle le texte de la résolution adoptée. Compte tenu du fait qu’il estimait que la RFY ne pouvait
assurer automatiquement la continuité de la qualité de membre de l’ancienne RFSY, le Conseil de
sécurité ne pouvait logiquement que formuler la recommandation suivante : la RFY, qui est un des
Etats successeurs de l’ancienne RFSY, devrait présenter une demande d’adhésion aux
Nations Unies et ne participera pas pendant toute la durée de cette procédure aux travaux de
l’Assemblée générale. La solution de compromis, si tant est que c’en était une, était plutôt
d’inviter le gouvernement de la RFY à remédier le plus tôt possible à la situation qui s’était
développée à la suite de la dissolution de l’ancienne RFSY en présentant une demande d’adhésion
conformément à l’article 4 de la Charte des Nations Unies. Les quatre autres Etats successeurs de
la RFSY ont eux présenté une demande officielle d’adhésion. La RFY devrait suivre leur exemple
car sa situation ne diffère pas de la leur. De plus, l’affirmation selon laquelle la RFY assure
automatiquement la continuité de la qualité de membre de la RFSY aux Nations Unies doit être
examinée dans le contexte global de son affirmation selon laquelle elle continue à assurer
automatiquement la personnalité juridique de l’ancienne RFSY Les Pays-Bas ont de la peine à
accepter pareille affirmation venant d’un pays dont le territoire et la population ne représentent plus
qu’une fraction du territoire et de la population de l’Etat prédécesseur. De plus, la constitution de - 12 -
cet Etat reconnaissait à ses parties constitutives un statut d’égalité. La situation juridique de la
République de Serbie et de la République du Monténégro n’était nullement supérieure à celle des
autres Républiques qui, après la dissolution de la RFSY, ont présenté une demande d’adhésion à
l’Organisation des Nations Unies.
3.16. L’adoption de la résolution 47/1 (1992) par l’Assemblée générale par laquelle celle-ci a
donné suite à la recommandation du Conseil conduit à la même conclusion, à savoir que la RFY
n’est pas Membre des Nations Unies. La non-participation de la RFY aux travaux de l’Assemblée
générale (et du Conseil économique et social, comme l’a décidé l’Assemblée dans sa
résolution 47/229 (1993) du 28 avril 1993 (annexe 3.13)) est le corollaire logique de la décision de
l’Assemblée invitant la RFY à présenter une demande d’adhésion à l’Organisation des
Nations Unies. L’emploi du conditionnel «devrait» est apparemment dicté par la nécessité de
laisser à l’appréciation des autorités de la RFY la décision de présenter une demande d’adhésion,
mais il est clair que dans la situation où se trouvait la RFY elle-même, la présentation d’une
demande officielle était et demeure une condition sine qua non pour devenir membre des
Nations Unies. On ne saurait souscrire à la conclusion selon laquelle la RFY serait déjà Membre
des Nations Unies. L’Assemblée générale a décidé que la RFY ne participerait pas à ses travaux ni
à ceux du Conseil économique et social. Le seul motif permettant de suspendre un Etat Membre de
l’exercice des droits et privilèges inhérents à la qualité de Membre, tel que la participation aux
travaux des organes susmentionnés et aux organes subsidiaires de ceux-ci, est énoncé à l’article 5
de la Charte qui ne s’applique manifestement pas en l’espèce. Aussi la décision de l’Assemblée
générale interdisant à la RFY de participer à ses travaux ne peut s’interpréter que comme une
précision ajoutée ex abundanti cautela à sa décision refusant de reconnaître que la RFY est
Membre des Nations Unies et invitant par conséquent celle-ci à présenter une demande d’adhésion
à l’Organisation des Nations Unies.
3.17. Pour ce qui est de la résolution 47/229 (1993) susmentionnée par laquelle l’Assemblée
générale, donnant suite à la recommandation du Conseil de sécurité (résolution 821 (1993) du
même jour (annexe 3.14)), a décidé que la RFY ne participait pas aux travaux du Conseil
économique et social, le demandeur affirme ce qui suit :
«Si la qualité de membre de la Yougoslavie au sein de l’Organisation avait pris
fin ou été suspendue par l’effet de la résolution 47/1, il n’aurait point été nécessaire
d’adopter une nouvelle résolution interdisant à la Yougoslavie de participer aux
travaux du Conseil économique et social.» (Mémoire, par. 3.1.5.)
Les Pays-Bas estiment que la résolution 47/229 (1993) de l’Assemblée générale était en effet
superfétatoire (il en est d’ailleurs de même de la résolution 821 (1993) du Conseil de sécurité),
mais il est excessif de remettre en cause le motif justifiant son adoption, à savoir l’impossibilité
pour la RFY de continuer à assurer automatiquement la qualité de membre de l’ancienne RFSY,
qui a été expressément réaffirmée dans la résolution 821 (1993) du Conseil de sécurité.
3.18. Dans son mémoire (par 3.1.7), le demandeur affirme que l’Assemblée générale a
confirmé par sa résolution 52/215 (1997) du 22 décembre 1997 (annexe 3.15) que la RFY est un
Etat Membre des Nations Unies. Cette résolution fixe le barème des quote-parts pour la répartition
des contributions des Etats membres au budget ordinaire de l’Organisation des Nations Unies pour
une période de trois ans. La liste des Etats membres jointe à la résolution mentionne notamment la
«Yougoslavie». Les Pays-Bas ne sauraient toutefois se rallier à la thèse du demandeur. Comme il
a déjà été indiqué plus haut (par. 3.7), la cessation d’existence de la RFSY ne signifie pas qu’il a
été mis fin officiellement à sa qualité de membre. S’attendant manifestement à ce que la RFY fasse
tout en son pouvoir pour rétablir son statut juridique vis-à-vis de l’Organisation des Nations Unies
par la présentation d’une demande écrite officielle d’adhésion, l’Assemblée générale n’a pas pris - 13 -
par sa résolution 47/1 (1993) la décision formelle de mettre fin à la qualité de membre de la RFSY
La résolution 52/215 (1997) (et d’ailleurs la résolution 49/19 (1994) du 23 décembre 1994 de
l’Assemblée générale fixant le barème des quote-parts pour les trois années précédentes)
(annexe 3.16) doivent être considérées comme en étant la conséquence logique. La mention de la
«Yougoslavie» dans l’annexe jointe à cette résolution ne peut s’interpréter que comme visant la
RFSY et non la RFY Suite à la recommandation du comité des contributions (Nations Unies,
doc. A 47/11, par. 63 et 64) (annexe 3.17), l’Assemblée générale avait déjà décidé à sa
quarante-septième session tenue en décembre 1992 que les quote-parts mises à la charge de la
Bosnie-Herzégovine, de la Croatie et de la Slovénie, nouveaux Membres des Nations Unies,
devraient être déduites de celle de la «Yougoslavie» (décision 47/456 de l’Assemblée générale du
23 décembre 1992) (annexe 3.18). L’Assemblée générale a pris une décision analogue à sa
quarante-huitième session (23 décembre 1993) en ce qui concerne le nouveau membre «l’ancienne
République yougoslave de Macédoine» (résolution 48/223A de l’Assemblée générale du
23 décembre 1993) (annexe 3.19). Les Pays-Bas considèrent cette solution comme fondée car il
aurait été injuste de fixer la quote-part de la RFSY comme si son territoire n’avait pas été
considérablement réduit du fait de la sécession d’un certain nombre d’Etats successeurs qui étaient
devenus Membres des Nations Unies de plein droit, dont les quote-parts devaient par conséquent
faire l’objet d’un calcul distinct.
3.19. A l’appui de sa thèse selon laquelle il assure la continuité de sa qualité de membre aux
Nations Unies, le demandeur cite dans son mémoire (par. 3.1.8 et suiv.) un certain nombre de
lettres émanant du Secrétaire général ainsi que certains usages de l’Organisation des Nations Unies
se rapportant au statut juridique de la «Yougoslavie» :
1) Le demandeur cite tout d’abord plusieurs lettres rappelant aux autorités de la RFY qu’elles sont
en retard de paiement de leurs quote-parts à l’Organisation ainsi que la note du Secrétaire
général du 8 janvier 1993 informant les autorités de la RFY du montant de la contribution de la
Yougoslavie au financement de la mission de vérification des Nations Unies en Angola
(Unavem II). La note ainsi que les lettres sont reproduites dans les annexes 169 à 174
inclusivement du mémoire du demandeur.
2) Sont en outre invoquées une lettre du conseiller juridique des Nations Unies du
29 septembre 1992, adressée aux représentants permanents de la Bosnie-Herzégovine et de la
Croatie, ainsi qu’une lettre du directeur par intérim du bureau du conseiller juridique du
15 décembre 1997 (reproduite à l’annexe 167 du mémoire du demandeur). Ces deux lettres
portent notamment sur les conséquences pratiques découlant de l’adoption de la
résolution 47/1 (1992) par l’Assemblée générale, telles que le maintien du siège et de la plaque
de la «Yougoslavie» au sein des organes de l’Assemblée générale, le maintien du drapeau de
l’ancienne RFSY devant le siège des Nations Unies et le maintien de la mission permanente
Yougoslave auprès de l’Organisation des Nations Unies.
3) Et pour terminer, le demandeur signale la mention de la «Yougoslavie» en tant que «Membre
originaire» de l’Organisation des Nations Unies dans les rapports annuels du Secrétaire général
publiés après 1992 sur l’état des traités multilatéraux déposés entre ses mains.
3.20. Les Pays-Bas font valoir que les lettres citées par le demandeur dans les annexes 169
à 174 inclusivement de son mémoire concernant les sommes dues au titre de contributions au
budget ordinaire de l’ONU et au financement d’autres activités dans le cadre de l’Organisation des
Nations Unies auraient dû respecter la décision des organes compétents de celle-ci de ne pas mettre
fin à la qualité de membre de l’ancienne RFSY et de ne pas faire droit à la demande de la RFY
d’assurer automatiquement la continuité de la qualité de membre de la RFSY aux Nations Unies.
En d’autres termes, l’envoi de ces lettres par erreur et en tout état de cause de manière injustifiée
aux représentants permanents ou aux chargés d’affaires de la République fédérale de Yougoslavie - 14 -
par le Secrétaire général ou en son nom ne saurait conduire à la conclusion que la RFY est devenue
Membre des Nations Unies. Selon la Charte, seule l’Assemblée générale a le pouvoir d’admettre
de nouveaux membres ou d’exclure des membres sur la recommandation du Conseil de sécurité.
Partant, les Pays-Bas estiment que ces organes ont compétence exclusive pour déterminer quels
Etats sont Membres des Nations Unies.
3.21. L’usage de conserver les attributs de souveraineté, comme la plaque portant le nom de
la «Yougoslavie» et le drapeau, concerne l’ancienne RFSY et non la RFY C’est ce que confirment
les lettres susmentionnées du conseiller juridique et du directeur par intérim du bureau du conseiller
juridique, citées par l’appelant. A défaut d’une décision officielle de l’Assemblée générale mettant
fin à la qualité de membre de la RFSY, le conseiller juridique et le directeur par intérim du bureau
du conseiller juridique se sont fondés sur le fait que la RFSY demeurait membre de l’Organisation
des Nations Unies. Ils ont signalé que la résolution 47/1 (1992) de l’Assemblée générale ne mettait
pas fin à l’appartenance de la «Yougoslavie» à l’Organisation ni ne la suspendait et ont pris soin
d’opérer une distinction entre la République fédérale de Yougoslavie d’une part et la
«Yougoslavie» tout simplement d’autre part.
Tout aussi révélatrice est la pratique au sein du Conseil de sécurité qui consiste, chaque fois
que la question de la situation en Yougoslavie est inscrite à l’ordre du jour, à inviter le représentant
permanent de la RFY ou le chargé d’affaires en sa qualité personnelle «à prendre place sur le côté
de la salle du Conseil» sans faire mention de l’article 37 du Règlement intérieur provisoire du
Conseil (qui vise «tout Membre des Nations Unies qui n’est pas membre du Conseil de sécurité»)
et sans indiquer qu’il représente un Etat (voir par exemple le communiqué officiel de
la 4102e séance du Conseil de sécurité tenue à huis clos le 16 février 2000 dans la salle du Conseil
au siège de l’Organisation des Nations Unies (Nations Unies, doc. S/PV.4102 du 16 février 2000)
(annexe 3.20).
3.22. Ces usages du Conseil de sécurité et des organes de l’Assemblée générale ainsi que les
mentions de la «Yougoslavie» dans les lettres susmentionnées du conseiller juridique et du
directeur par intérim du bureau du conseiller juridique et dans les rapports annuels du Secrétaire
général sur l’état des traités multilatéraux expliquent également pourquoi le Greffier de la Cour
internationale de Justice continue d’indiquer la «Yougoslavie» comme «Membre originaire» parmi
les Etats, Membres des Nations Unies, admis à ester en justice devant la Cour en vertu du
paragraphe 1 de l’article 35 du Statut et du paragraphe 1 de l’article 93 de la Charte. Il est
manifeste que le mot «Yougoslavie» vise la RFSY
De même, la version la plus récente du site web de la Cour internationale de Justice indique
la «Yougoslavie» comme «Membre originaire» parmi les Etats, Membres des Nations Unies, admis
à ester devant la Cour. Les Pays-Bas s’élèvent contre l’indication de la déclaration de la RFY du
26 avril 1999 en vertu du paragraphe 2 de l’article 36 du Statut en regard du nom «Yougoslavie».
Etabli par le Greffe, ce site web n’engage toutefois nullement la responsabilité de la Cour
elle-même.
3.23. Lors de la session la plus récente de l’Assemblée générale, des démarches ont été
entreprises pour trouver une solution à cette anomalie que constitue le maintien des attributs de
l’ancienne RFSY sans toutefois aboutir à une solution. La non-résolution de ce problème est sans
effet sur la validité de la résolution 47/1 (1992) de l’Assemblée générale par laquelle celle-ci, avec
l’appui et sur la recommandation du Conseil de sécurité, nie en des termes dépourvus d’équivoque
le droit de la RFY d’assurer automatiquement la continuité de la qualité de membre de la RFSY
aux Nations Unies. - 15 -
3.24. Dans sa lettre du 15 décembre 1997, citée dans le volume d’annexes joint au mémoire
du demandeur, le directeur par intérim du bureau du conseiller juridique mentionne la
résolution 48/88 (1993) de l’Assemblée générale du 20 décembre 1993 (annexe 3.21), dans laquelle
celle-ci réaffirme notamment sa résolution 47/1 (1992) et demande instamment aux Etats Membres
et au Secrétariat, dans l’esprit de ladite résolution, de mettre fin à la participation de fait de la RFY
aux travaux de l’Organisation. Du mémoire du demandeur on peut conclure que celui-ci estime
que le passage cité de la résolution 48/88 (1993) de l’Assemblée générale appuie sa thèse selon
laquelle la RFY est membre des Nations Unies. Les Pays-Bas ne partagent pas ce point de vue. En
premier lieu l’Assemblée générale qualifie la «participation» de la RFY aux travaux de
l’Organisation de «participation de fait» et non de «participation de droit». Cet appel de
l’Assemblée générale visant à faire cesser l’incertitude qui règne quant au statut de la RFY par
rapport à l’Organisation des Nations Unies ne saurait s’analyser, selon les Pays-Bas, qu’en une
invitation faite à la RFY de présenter une demande officielle d’adhésion à l’Organisation des
Nations Unies conformément à l’article 4 de la Charte.
3.25. Enfin, le demandeur invoque un certain nombre d’instances introduites devant la Cour
elle-même (mémoire, par. 3.1.18 et suiv.) à l’appui de sa prétention selon laquelle la RFY est partie
au Statut de la Cour internationale de Justice.
Le demandeur mentionne en premier lieu la requête présentée le 2 juillet 1999 par le
Gouvernement de la République de Croatie (par. 28) dans laquelle celle-ci expose «que la Cour est
compétente en l’espèce aux termes du paragraphe 1 de l’article 36 de son Statut».
En deuxième lieu, le demandeur invoque le mémoire du Gouvernement de la République de
Bosnie-Herzégovine (mémoire, 15 avril 1994, p. 170) dans l’affaire relative à l’Application de la
convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Bosni-Herzégovine c.
Yougoslavie), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 1996 (ci-après dénommée l’affaire du
Génocide de 1996), dans laquelle la Bosnie-Herzégovine confirme que «la Yougoslavie est partie
au Statut de la Cour».
En troisième lieu, le demandeur expose qu’en appliquant les articles du Statut dans l’affaire
de 1996 du Génocide, la Cour a confirmé que la RFY est un Etat partie au Statut. Pour le
demandeur, le Statut de la Cour est un traité international qui est en vigueur uniquement entre les
Etats qui y sont parties (mémoire, par. 3.1.19, 3.1.20 et 3.1.21).
3.26. Les Pays-Bas sont d’avis que les passages tirés de la requête de la République de
Croatie et du mémoire de la République de Bosnie-Herzégovine ne prouvent pas que la RFY est
partie au Statut de la Cour. Il appartient exclusivement à l’Assemblée générale et au Conseil de
sécurité et non à chaque Etat Membre des Nations Unies de déterminer si un Etat donné est
Membre des Nations Unies et ipso facto partie au Statut de la Cour. La Croatie et la
Bosnie-Herzégovine avaient l’une et l’autre un intérêt politique à saisir la Cour d’une action contre
la RFY et partant à persuader la Cour qu’elle avait compétence pour connaître de leurs requêtes
respectives. De leur point de vue, nier la qualité de partie de la RFY au Statut de la Cour aurait été
manifestement à l’encontre du but qu’elles recherchaient. La conviction apparente de la Croatie et
de la Bosnie-Herzégovine (ou l’intérêt qu’elles avaient de croire) que la RFY est admise à ester en
justice devant la Cour tranche nettement avec la position adoptée le 28 mai 1999 par ces deux Etats
lorsqu’ils ont fait parvenir au Secrétaire général, en sa qualité de dépositaire des traités
multilatéraux, une communication dans laquelle ils contestaient la validité de la déclaration de la
RFY acceptant la juridiction de la Cour en vertu du paragraphe 2 de l’article 36 du Statut aux
motifs que la RFY n’est pas un Etat Membre des Nations Unies ni un Etat partie au Statut de la
Cour (Traités multilatéraux déposés auprès du Secrétaire général; Etat au 31 décembre 1999,
Nations Unies, doc. ST/LEG/SER.E18 (vol. 1, p. 32-33) (annexe 3.22). - 16 -
3.27. Les Pays-Bas ne partagent pas le point de vue de la RFY selon laquelle «[e]n
appliquant les règles de son Statut dans l’affaire [du Génocide de 1996], la Cour internationale de
Justice a confirmé que la République fédérale de Yougoslavie était partie au Statut» (mémoire,
par. 3.1.21).
Lors de la phase relative à l’indication de mesures conservatoires dans cette affaire, la Cour a
déclaré qu’elle n’avait pas à statuer définitivement à ce stade de la procédure sur la question de
savoir si la Yougoslavie était ou non membre de l’Organisation des Nations Unies et, à ce titre,
partie au Statut de la Cour (ordonnance du 8 avril 1993, C.I.J. Recueil 1993, p. 14, par. 18). Les
Pays-Bas relèvent en outre que la Cour n’est revenue sur ce point ni dans son ordonnance ultérieure
faisant suite à de nouvelles demandes en indication de mesures conservatoires présentées par la
Bosnie-Herzégovine (13 septembre 1993) ni dans son arrêt statuant sur les exceptions préliminaires
soulevées dans cette affaire (11 juillet 1996). Il convient de rappeler à nouveau que cela peut
s’expliquer par le fait qu’aucune des deux parties en cause, le demandeur (la Bosnie-Herzégovine)
et le défendeur (la RFY), n’avaient d’intérêt politique à insister sur cette question.
Se fondant sur le paragraphe 2 de l’article 35 du Statut, la Cour a estimé dans son
ordonnance du 8 avril 1993 (par. 19) qu’une instance peut être valablement introduite par un Etat
contre un autre Etat qui, sans être partie au Statut, est partie à une telle disposition particulière d’un
traité en vigueur (telle que la clause compromissoire de la convention sur le génocide), et ce
indépendamment des conditions réglées par le Conseil de sécurité dans sa résolution 9 (1946) et
qu’une clause compromissoire d’une convention multilatérale, telle que l’article IX de la
convention sur le génocide, pourrait être considérée prima facie comme une disposition particulière
d’un traité en vigueur; qu’en conséquence, si la Bosnie-Herzégovine et la Yougoslavie sont toutes
deux parties à la convention sur le génocide, les différends auxquels s’applique l’article IX relèvent
en tout état de cause prima facie de la compétence ratione personae de la Cour.
Les Pays-Bas se reportent à ce sujet à l’analyse faite par M. Rosenne du paragraphe 2 de
l’article 35 du Statut (The Law and Practice of the International Court, 1920-1996, vol. II, p. 629) :
«Le membre de phrase «sous réserve des dispositions particulières des traités en
vigueur» figurant dans le paragraphe 2 du Statut de la Cour permanente visait
apparemment les traités de paix conclu après la première guerre mondiale. Ceux-ci
comportaient des dispositions conférant à la Cour permanente compétence pour
connaître des différends auxquels ils donnaient lieu et ils étaient en vigueur avant
l’adoption du Statut. Le paragraphe 2 de l’article 35 permettait donc d’introduire des
instances contre les anciennes puissances ennemies malgré le fait qu’au moment de
l’adoption du protocole de signature celles-ci ne remplissaient pas les conditions
requises pour devenir parties à cet instrument. Les mots «en vigueur» signifient par
conséquent que le traité devait être en vigueur à la date d’entrée en vigueur du Statut
er
de la Cour permanente (soit le 1 septembre 1921).» [Traduction du Greffe.]
Les Pays-Bas soutiennent que cette interprétation restrictive du membre de phrase «sous réserve
des dispositions particulières des traités en vigueur» est la bonne. Une interprétation plus large
placerait les parties à ces traités qui ne sont pas parties au Statut dans une situation privilégiée car
elles pourraient ester devant la Cour sans assumer les obligations mises à charge des Etats qui
acceptent la juridiction de la Cour. Sans oublier que le défendeur (la RFY) n’a pas contesté la
décision susvisée de la Cour selon laquelle celle-ci avait compétence prima facie pour se prononcer
lors de la phase relative à l’indication de mesures conservatoires dans l’affaire du Génocide
de 1996. Enfin, comme Rosenne le fait observer à bon droit (p. 630) : «Cette décision provisoire
ne tranche pas définitivement la question.» - 17 -
3.28. En résumé, les Pays-Bas estiment qu’il faut, pour les motifs exposés ci-dessus,
conclure que la RFY n’est pas membre des Nations Unies et n’est par conséquent pas ipso facto
partie au Statut, que la RFY n’est pas devenue partie au Statut conformément aux règles énoncées
au paragraphe 2 de l’article 93 de la Charte et qu’elle n’a pas accepté la juridiction de la Cour en
faisant une déclaration conformément à la résolution 9 (1946) du Conseil de sécurité.
3.29. La déclaration unilatérale de la RFY acceptant la juridiction de la Cour est nulle et non
avenue et ne saurait en tout état de cause conférer compétence à la Cour à l’égard des Pays-Bas sur
le fondement du paragraphe 2 de l’article 36 de son Statut. En conclusion, la RFY n’est pas admise
à ester en justice devant la Cour.
4.L E PARAGRAPHE 2 DE L’ARTICLE 36 DU STATUT DE LA COUR NE CONSTITUE
PAS UNE BASE DE COMPÉTENCE POUR CELLE CI
4.1. Les Pays-Bas soutiennent que la Cour n’a pas compétence pour connaître de la présente
affaire sur le fondement du paragraphe 2 de l’article 36 de son Statut. Ils font observer que la
déclaration unilatérale de la RFY acceptant la juridiction de la Cour sur cette base (annexe 1.1;
pour la déclaration unilatérale des Pays-Bas, voir annexe 1.2), dont la validité et / ou l’applicabilité
à l’égard des Pays-Bas est contestée (voir par. 3.11 du présent mémoire) limite de toute façon
ratione temporis son acceptation de la juridiction obligatoire de la Cour aux «différends qui
pourraient surgir après la signature de la présente Déclaration concernant des situations ou des faits
ultérieurs à ladite signature». Les Pays-Bas font valoir que le différend qui l’oppose à la RFY a
manifestement surgi avant la date de signature de la déclaration de la Yougoslavie et ne relève par
conséquent pas de la compétence de la Cour.
4.2. Les Pays-Bas tiennent à cet égard à citer les paragraphes 27 à 29 de l’ordonnance rendue
le 2 juin 1999 par la Cour à la suite de la demande en indication de mesures conservatoires
présentée par la Yougoslavie dans l’affaire relative à la Licéité de l’emploi de la force (Yougoslavie
c. Pays-Bas) :
«27. Considérant que la requête de la Yougoslavie est intitulée «Requête de la
République fédérale de Yougoslavie contre le Royaume des Pays-Bas pour violation
de l'obligation de ne pas recourir à l'emploi de la force»; que, dans la requête, l'«objet
du différend» (les italiques sont de la Cour) est décrit en termes généraux (voir
paragraphe 1 ci-dessus); mais qu'il ressort tant de l'exposé des «faits sur lesquels les
demandes sont fondées» que de la formulation de ces «demandes» elles-mêmes (voir
paragraphes 3 et 4 ci-dessus) que la requête est dirigée, dans son essence, contre les
«bombardements du territoire de la République fédérale de Yougoslavie», auxquels il
est demandé à la Cour de mettre un terme;
28. Considérant qu'il est constant que les bombardements en cause ont
commencé le 24 mars 1999 et se sont poursuivis, de façon continue, au-delà du 25
avril 1999; et qu'il ne fait pas de doute pour la Cour, au vu notamment des débats du
Conseil de sécurité des 24 et 26 mars 1999 (S/PV. 3988 et 3989), qu'un «différend
d'ordre juridique» (Timor oriental (Portugal c. Australie), C.I.J. Recueil 1995, p. 100,
par. 22) a «surgi» entre la Yougoslavie et l'Etat défendeur, comme avec les autres
Etats membres de l'OTAN, bien avant le 25 avril 1999, au sujet de la licéité de ces
bombardements comme tels, pris dans leur ensemble;
29. Considérant que la circonstance que ces bombardements se soient
poursuivis après le 25 avril 1999 et que le différend les concernant ait persisté depuis
lors n'est pas de nature à modifier la date à laquelle le différend avait surgi; que des - 18 -
différends distincts n'ont pu naître par la suite à l'occasion de chaque attaque aérienne;
et qu'à ce stade de la procédure, la Yougoslavie n'établit pas que des différends
nouveaux, distincts du différend initial, aient surgi entre les Parties après le 25
avril 1999 au sujet de situations ou de faits postérieurs imputables aux Pays-Bas;»
4.3. Que peut-on en déduire?
1) Qu’un «différend d’ordre juridique» «a surgi» entre la Yougoslavie et les Pays-Bas, fait qui
n’est contesté par aucune des Parties et qui est confirmé par la Cour.
2) Que l’«objet du différend, tel que la RFY le décrit dans sa requête, est le suivant :
«L'objet du différend porte sur les actes commis par le Royaume des Pays-Bas,
en violation de son obligation internationale de ne pas recourir à l'emploi de la force
contre un autre Etat, de l'obligation de ne pas s'immiscer dans les affaires intérieures
d'un autre Etat, de l'obligation de ne pas porter atteinte à la souveraineté d'un autre
Etat, de l'obligation de protéger les populations civiles et les biens de caractère civil en
temps de guerre, de l'obligation de protéger l'environnement, de l'obligation touchant à
la liberté de navigation sur les cours d'eau internationaux, de l'obligation concernant
les droits et libertés fondamentaux de la personne humaine, de l'obligation de ne pas
utiliser des armes interdites, de l'obligation de ne pas soumettre intentionnellement un
groupe national à des conditions d'existence devant entraîner sa destruction physique.»
3) Qu’il ressort, selon la Cour, tant de l’exposé des «faits sur lesquels les demandes sont fondées»
que de la formulation de ces «demandes» elles-mêmes, que la requête est dirigée, dans son
essence, contre les «bombardements du territoire de la République fédérale de Yougoslavie»,
auxquels il est demandé à la Cour de mettre un terme.
4) Que la circonstance que ces bombardements se soient poursuivis après le 25 avril 1999 et que
le différend les concernant ait persisté depuis lors n’est pas, selon la Cour, de nature à modifier
la date à laquelle le différend avait surgi, c’est-à-dire bien avant le 25 avril 1999, et que des
différends distincts n’ont pu naître par la suite à l’occasion de chaque attaque aérienne.
5) Qu’«à ce stade de la procédure», la Yougoslavie n’établit pas, selon la Cour, que des différends
nouveaux, distincts du différend initial, aient surgi entre les Parties après le 25 avril 1999 au
sujet de situations ou de faits postérieurs imputables aux Pays-Bas.
4.4. La RFY soutient maintenant dans son mémoire que
«[d]epuis que la Cour a rendu ses ordonnances le 2 juin 1999, le différend s’est
aggravé et s’est étendu. Il s’est enrichi de nouveaux éléments liés à l’inexécution par
les défendeurs de leurs obligations au titre de la résolution 1244 du Conseil de sécurité
et de la convention de 1948 pour la prévention et la répression du crime de génocide.
Contredisant les motifs prétendument humanitaires et défendeurs, ces nouveaux
éléments sont d’une importance capitale pour le fond du différend.» (Mémoire,
Introduction, par. 12; voir aussi par. 3.2.11 et suiv.)
et que
«[l]e différend s’étant cristallisé par la survenance des nouveaux éléments, le
demandeur estime que les circonstances fondant la compétence de la Cour ont changé
au point que la Cour serait désormais compétente pour résoudre le différend»
(mémoire, Introduction, par. 16). - 19 -
4.5. Les Pays-Bas contestent que, par la simple adjonction de certains «nouveaux [ce qui est
contesté] éléments [ce qui est aussi contesté]», qualifiés d’«éléments constitutifs du différend» par
le demandeur (mémoire, par. 3.2.14), le différend original qui, selon la Cour, a surgi avant le
25 avril 1999, se soit maintenant soudainement transformé en un différend surgi après cette date.
Les Pays-Bas font valoir que «nouveaux [ce qui est contesté] éléments [ce qui est aussi contesté]»
doivent être considérés comme continuant et étendant le différend initial ou comme une séquelle
ou conséquence raisonnablement prévisible à considérer comme faisant partie du différend original
aggravé et / ou étendu et non pas comme un nouveau différend distinct. Ainsi qu’il sera exposé
plus loin (par. 7.3), les Pays-Bas soutiennent à titre subsidiaire que la demande de la RFY
concernant les «nouveaux [ce qui est contesté] éléments [ce qui est aussi contesté]»doit être
considérée comme irrecevable au motif qu’elle constitue une nouvelle demande modifiant l’objet
du différend initialement soumis à la Cour dans la requête.
4.6. Pour les Pays-Bas, il est impossible que les «nouveaux éléments liés à l’inexécution par
les défendeurs de leurs obligations au titre de la résolution 1244 du Conseil de sécurité et de la
convention de 1948 pour la prévention et la répression du crime de génocide» aient soudainement
conféré compétence à la Cour pour connaître, sur le fondement du paragraphe 2 de l’article 36 de
son Statut, de questions contestées qui, selon son ordonnance du 2 juin 1999, ne relevaient pas de
sa compétence.
4.7. Les Pays-Bas ne croient pas qu’il suffit d’ajouter un nouvel élément contesté à ceux qui
existent déjà et de le qualifier d’élément constitutif du différend pour que les questions en litige
surgies avant la date critique du 25 avril 1999 puissent être décalées après cette date, surtout
lorsque la Cour a déjà décidé que ces questions avaient surgi avant la date critique.
4.8. En donnant à entendre que le nouvel élément consistant en la prétendue inexécution par
les Pays-Bas des obligations mises à sa charge par la résolution 1244 du Conseil de sécurité et par
la convention de 1948 sur le génocide est un élément constitutif du différend opposant les Pays-Bas
et la RFY, différend qui n’a pu naître que lorsque tous ses éléments constitutifs ont existé, la RFY
semble aujourd’hui effectivement prétendre que toutes les questions en litige qu’elle a soulevées
dans sa requête du 29 avril 1999 ne constituaient pas et ne pouvaient constituer un différend.
4.9. Il va sans dire que pareille affirmation contredit totalement la propre requête de la
Yougoslavie qui expose l’objet du différend ainsi qu’il est indiqué ci-dessus (par. 4.3 du présent
mémoire), son propre comportement au cours de la procédure relative à la demande en indication
de mesures conservatoires dont elle a saisi la Cour ainsi que la conclusion de cette dernière énoncée
au paragraphe 28 de son ordonnance du 2 juin 1999, selon laquelle «un «différend d’ordre
juridique» … a «surgi» entre la Yougoslavie et l’Etat défendeur, comme avec les autres Etats
membres de l’OTAN, bien avant le 25 avril 1999».
4.10. L’idée, avancée par la RFY dans son mémoire, selon laquelle les questions en litige
décrites dans sa requête du 29 avril 1999 ne peuvent être considérées comme constitutives d’un
différend entre elle-même et les Pays-Bas ou ne peuvent plus l’être, contredit ce qu’elle expose
dans son propre mémoire. La RFY affirme par exemple au paragraphe 3.2.11 de son mémoire :
«Depuis que la Cour a rendu ses ordonnances le 2 juin 1999, le différend s’est aggravé et étendu.
Il s’est enrichi de nouveaux éléments…» (les italiques sont du défendeur), ce qui indique
clairement l’existence d’un différend antérieur. Ou au paragraphe 3.2.12 : «Il ne fait aucun doute
que ces nouveaux éléments contestés relatifs aux bombardements du territoire du demandeur font
partie intégrante du différend» (les italiques sont de nous). Ou encore au paragraphe 3.2.14 : «le
différend qui a pris naissance avant le 25 avril 1999» (les italiques sont de nous). Ou bien encore - 20 -
au paragraphe 3.2.16 : «Le différend a surgi lors des débats tenus au cours des séances des 24 et
26 mars 1999 du Conseil de sécurité entre la Yougoslavie et les défendeurs avant le 25 avril 1999
au sujet de la licéité de ces bombardements en tant que tels, considérés dans leur ensemble.» (Les
italiques sont de nous.)
Il est dès lors clair, même d’après les propres déclarations de la RFY, que les prétendus
«événements ou manquements postérieurs au 10 juin 1999» doivent être considérés comme une
aggravation et une extension du différend existant qui était déjà né avant le 25 avril 1999 et non pas
comme un différend nouveau et distinct.
4.11. Les Pays-Bas font aussi valoir à ce propos que les passages tirés de l’arrêt rendu par la
Cour dans l’affaire relative au Droit de passage sur territoire indien, fond, arrêt, C.I.J.
Recueil 1960, p. 33-34) concernant la date de la naissance d’un différend (passages cités dans son
mémoire au par. 3.2.13) n’emportent pas la conviction en l’espèce.
4.12. Dans cette affaire, la Cour s’est apparemment fondée sur le fait que les divers éléments
du différend soumis ensemble par le Portugal à la Cour constituaient des éléments constitutifs qui
devaient tous exister avant qu’on pût même considérer qu’un différend était né. Il s’agit là d’une
situation totalement différente de celle dont la Cour est saisie en l’espèce. Des éléments nouveaux
qui aggravent et étendent un différend déjà existant et qui pourraient théoriquement donner
naissance à un différend lui-même lorsqu’ils se produisent tout seuls ne sauraient être considérés
comme des éléments constitutifs d’un différend sans lesquels celui-ci n’aurait pu naître.
4.13. Les Pays-Bas concluent que, même si l’on tient compte des «nouveaux [ce qui est
contesté] éléments [ce qui est aussi contesté]» que la RFY a ajoutés au différend dans son mémoire,
celui-ci doit encore être considéré comme ayant surgi avant le 25 avril 1999. Aussi la Cour doit
elle être considérée comme n’ayant pas compétence pour connaître du différend sur le fondement
du paragraphe 2 de l’article 36 de son Statut.
5.L’ARTICLE IX DE LA CONVENTION SUR LE GÉNOCIDE NE CONSTITUE PAS
UNE BASE DE COMPÉTENCE POUR LA COUR
5.1. La RFY soumet dans son mémoire deux conclusions distinctes priant la Cour de dire et
juger que les Pays-Bas portent la responsabilité des violations des obligations que la convention
de 1948 sur le génocide met à sa charge (annexe 5.1).
La première conclusion concerne les bombardements du territoire de la RFY, les dégâts
énormes causés à l’environnement et l’utilisation d’uranium appauvri. Cette conclusion est
identique à celle que la RFY a soumise à la Cour dans sa demande en indication de mesures
conservatoires du 29 avril 1999.
La deuxième conclusion vise elle le fait de ne pas avoir empêché les meurtres, les coups et
blessures et le nettoyage ethnique dont ont été victimes des Serbes et des membres d’autres groupes
non albanais au Kosovo-Metohija et de ne pas avoir empêché ainsi le génocide et les autres actes
énumérés à l’article III de la convention sur le génocide. Cette conclusion ne figurait pas dans la
requête que la RFY a déposée le 29 avril 1999.
5.2. Ainsi qu’il est exposé ailleurs dans le présent mémoire (par. 7.3), cette seconde
conclusion doit, selon les Pays-Bas, être considérée soit comme étant totalement irrecevable au
motif qu’elle constitue une nouvelle demande et une nouvelle conclusion modifiant l’objet du - 21 -
différend dont la Cour a été initialement saisie par la requête, soit comme continuant et étendant le
différend original ou comme une séquelle ou conséquence raisonnablement prévisible du différend
original qui devrait être considérée comme faisant partie du différend original aggravé et / ou
étendu (par. 4.5 et suiv.) et faisant dès lors partie d’un différend qui avait déjà surgi avant le
25 avril 1999, dont la Cour ne peut connaître sur le fondement du paragraphe 2 de l’article 36 de
son Statut.
5.3. Dans les paragraphes qui suivent, les Pays-Bas commenteront plus en détail les
conclusions de la RFY concernant la responsabilité qui serait celle des Pays-Bas en vertu de la
convention sur le génocide. Mais avant de se livrer à cet examen, les Pays-Bas tiennent cependant
à souligner d’abord que les conclusions de la RFY à cet égard reposent largement sur des «faits»
non étayés et souvent présentés d’une manière vague. Comme il a été indiqué plus haut (par. 1.6),
les Pays-Bas tiennent à rappeler que tous ces «faits» ne sont considérés comme de simples
allégations qu’ils n’acceptent pas sauf indication contraire expresse. Dans leurs commentaires sur
les allégations relevant de la convention sur le génocide, les Pays-Bas opéreront en outre une
distinction entre les arguments concernant la requête présentée par la RFY le 29 avril 1999 et ceux
se rapportant aux nouveaux éléments surgis après le 10 juin 1999.
Enfin, les Pays-Bas tiennent à souligner ici qu’on ne saurait, à partir du simple fait qu’ils
répondent aux allégations de la RFY visant la convention sur le génocide, conclure qu’un différend
les oppose à la RFY au sens de l’article IX de cette convention. La réponse des Pays-Bas à cet
égard sert exclusivement à montrer que les allégations de la RFY à cet égard sont totalement
dénuées de fondement et qu’on ne saurait raisonnablement déduire l’existence d’un tel différend du
mémoire de la RFY et de la réponse des Pays-Bas.
5.4. La première conclusion de la RFY se rapportant à la responsabilité des Pays-Bas au titre
de la convention sur le génocide concerne l’obligation «de ne pas soumettre intentionnellement un
groupe national à des conditions d’existence devant entraîner sa destruction physique» (mémoire,
Introduction, par. 4).
Les Pays-Bas est-il affirmé ont manqué à cette obligation parce qu’ils ont notamment
pris part aux bombardements du territoire de la RFY, à la destruction de monuments, de raffineries
de pétrole, etc. et, «en particulier, en causant des dommages énormes à l’environnement et en
utilisant de l’uranium appauvri» (mémoire, Introduction, par. 5). Le mémoire ne produit toutefois
aucun élément de preuve à l’appui de ces allégations. Il se borne à faire parfois état de l’intention
de commettre un génocide, mais n’étaye jamais ces allégations.
5.5. Quant aux bombardements, le mémoire donne une large vue d’ensemble des «faits» qui
en seraient la conséquence sur le territoire yougoslave. Ces faits ne fournissent toutefois pas le
moindre commencement de preuve de l’intention de commettre un génocide de la part des parties
participant au conflit, et encore moins de la part des Pays-Bas. Quant aux dommages causés à
l’environnement, le mémoire tente d’échafauder la thèse d’une intention de commettre un génocide
en ce qui a trait aux attaques lancées de façon continue contre les usines chimiques de Pancevo
parce que celles-ci avaient été construites avec la participation de l’Ouest et que ces attaques
auraient eu pour objet de créer des conditions ambiantes malsaines pour la population. Le mémoire
se borne toutefois à faire état de cette intention sans produire aucune preuve à l’appui. Quant à
l’emploi d’obus à uranium appauvri, le mémoire ne rapporte de nouveau pas la preuve d’une
intention de commettre un génocide. La Yougoslavie se contente d’affirmer qu’il a été fait usage
d’uranium appauvri, sans indiquer toutefois quand et où il aurait été utilisé et qui l’aurait utilisé. - 22 -
5.6. La deuxième conclusion relative aux responsabilités qui incombent aux Pays-Bas en
vertu de la convention sur le génocide concerne «le fait de ne pas avoir empêché les meurtres, les
coups et blessures et le nettoyage ethnique dont ont été victimes des Serbes et des membres
d’autres groupes non albanais au Kosovo-Metohija». Cette conclusion reproche aux Pays-Bas
d’avoir agi en violation de son obligation «d’empêcher le génocide et les autres actes énumérés à
l’article III de la convention sur le génocide». Le mémoire ne cesse de faire état du meurtre de
Serbes et de membres d’autres groupes non albanais «par des terroristes albanais» ou des coups et
blessures qui leur ont été infligés par ces terroristes. Les faits sont toutefois souvent imprécis et le
mémoire se borne à affirmer que ces actes se sont produits «dans la zone relevant de la KFOR».
5.7. Pour conclure à la responsabilité d’un Etat à raison de la violation des obligations que la
convention sur le génocide met à sa charge, un certain nombre de critères doivent être réunis :
a) l’intention de détruire;
b) la destruction totale ou partielle d’un groupe;
c) un groupe qui est protégé en vertu de la convention sur le génocide et qui fait l’objet du
génocide en tant que tel;
d) des actes de génocide au sens des alinéas a) à e) de l’article II de la convention de 1948 sur le
génocide.
5.8. Selon l’ordonnance du 2 juin 1999 de la Cour, «la caractéristique essentielle du génocide
est la destruction intentionnelle d’un «groupe national, ethnique, racial ou religieux» (par. 40).
S’agissant de la question de savoir si la Cour a compétence prima facie pour connaître d’un
différend entrant dans les prévisions de l’article IX de la convention sur le génocide, les Pays-Bas
feront porter plus particulièrement leur réflexion sur les éléments énoncés aux alinéas a) et c)
mentionnés ci-dessus.
5.9. En ce qui a trait au point a) : l’intention de détruire
L’intention de détruire exige une «intention spécifique». Cette «intention spécifique» est
reconnue également comme telle dans la jurisprudence du Tribunal pénal international pour
l’ex-Yougoslavie (T.P.I.Y.) et du Tribunal pénal international pour le Rwanda (T.P.I.R.). Par
exemple, selon la jurisprudence Akayesu et Kambanda, c’est l’«intention spécifique» qui confère
au crime de génocide sa spécificité, son caractère exceptionnel et distinctif (T.P.I.R., arrêt Akayesu,
affaire n o ICTR-96-4-T, 2 septembre 1998, par. 498 et T.P.I.R., arrêt Kambanda, affaire
n ICTR 97-23-S, 4 septembre 1998, par. 16. Dans le même sens : T.P.I.Y., arrêt Jelisic, affaire
T.P.I.Y. n IT-95-10, 14 décembre 1999, par. 66 et suiv. Voir aussi dans le même sens le
commentaire de la Commission du droit international sur l’article 17 sur le génocide dans le Projet
de code de crimes contre la paix et la sécurité de l’humanité de 1996 – crime de génocide, par. 5,
rapport de la Commission du droit international de 1996, Nations Unies, doc. A/51/10, p. 46 à 49
(annexe 5.2). L’exigence d’une telle intention spécifique impose un niveau de preuve très élevé
(voir T.P.I.Y., arrêt Jelisic, par. 78 et suiv.). Selon cette jurisprudence ainsi que les Eléments des
crimes, tels qu’ils ont été explicités dans le projet établi par la commission préparatoire de la Cour
pénale internationale (C.P.I.), il est reconnu que l’auteur doit non seulement avoir commis des
crimes énoncés expressément, mais que ces crimes doivent s’inscrire dans un projet plus vaste de
destruction du groupe comme tel (cf. T.P.I.Y., arrêt Jelisic, par. 66, projet d’éléments de crimes,
Nations Unies, doc. PCNICC/2000/WGEC/RT.1, 24 mars 2000) (annexe 5.3). - 23 -
5.10. En ce qui a trait au point c) : un groupe qui est protégé en vertu de la convention sur le
génocide et qui fait l’objet du génocide comme tel
La convention sur le génocide énumère de manière limitative les groupes qu’elle protège. Il
s’agit des groupes nationaux, ethniques, raciaux ou religieux. Les mots «comme tel» indiquent que
les actes de génocide doivent viser des personnes parce que celles-ci appartiennent à un tel groupe.
On en trouve notamment confirmation dans le commentaire de la Commission du droit
international sur l’article 17 concernant le génocide dans le Projet de code de crimes de 1996 où il
est précisé qu’
«il doit s’agir de l’intention de détruire un groupe, et non pas simplement un ou
plusieurs individus qui, par coïncidence, se trouvent être membres d’un certain
groupe. L’acte prohibé doit être commis en raison de l’appartenance de la victime à
un certain groupe et à titre de mesure concourant à la réalisation de l’objectif global de
destruction du groupe.» (CDI, Projet de code des crimes de 1996, rapport de 1996 de
la CDI, Nations Unies, doc. A/51/10, p. 47.)
5.11. A la lumière des critères susmentionnés, les Pays-Bas formulent les observations
suivantes sur le mémoire de la RFY en ce qui concerne les prétendus manquements aux obligations
que met à leur charge la convention sur le génocide. Ils tiennent à souligner de nouveau ici que la
spécificité du crime de génocide exige un très haut niveau de preuve pour établir ne fusse même
que la compétence prima facie de la Cour. La charge de la preuve incombe totalement au
demandeur en l’espèce.
5.12. En ce qui a trait au point a) : l’intention de détruire
Dans son mémoire, la RFY se borne à affirmer que les Pays-Bas avaient l’intention de
commettre un génocide sans toutefois étayer cette allégation. S’agissant de la participation des
Pays-Bas aux bombardements du territoire de la RFY, la Cour a déjà indiqué dans son ordonnance
du 2 juin 1999 que «le recours ou la menace du recours à l’emploi de la force contre un Etat ne
sauraient en soi constituer un acte de génocide». Le mémoire de la RFY ne fournit aucun
complément d’information par rapport aux éléments soumis à la Cour dans le cadre de sa demande
en indication de mesures conservatoires. Il en de même de la prétendue responsabilité des
Pays-Bas à raison des attaques lancées contre les usines chimiques de Pancevo et de la prétendue
utilisation de munitions à uranium appauvri.
Les Pays-Bas tiennent à formuler les observations suivantes sur ces allégations :
le bien-fondé de ces allégations n’est pas suffisamment établi pour qu’elles soient considérées
comme des faits se rapportant au prétendu différend opposant la RFY aux Pays-Bas;
la RFY ne fournit dans son mémoire aucun élément pertinent d’information qui établirait un
lien entre les Pays-Bas et les allégations exposées;
ces allégations, même si elles étaient exactes, ne constituent pas un commencement de preuve
établissant que les Pays-Bas auraient eu l’intention de commettre un génocide lorsqu’ils ont
participé aux actions militaires menées contre la RFY;
ces allégations opèrent une confusion entre le droit applicable au génocide et celui applicable
aux conflits armés. Elles visent d’éventuelles violations des normes relatives aux dommages
collatéraux ainsi que d’autres normes protégeant des biens déterminés, énoncées notamment
dans le protocole additionnel I de 1977 aux conventions de Genève de 1949 (Nations Unies, - 24 -
doc. A/32/144, 15 août 1977). Il va sans dire que toute prétendue violation de ces normes ne
peut conférer compétence à la Cour en vertu de l’article IX de la convention sur le génocide;
en ce qui concerne les attaques menées contre les usines chimiques de Pancevo, les Pays-Bas
tiennent à faire observer qu’il n’est ni affirmé ni prouvé qu’ils y ont participé. On ne saurait
d’ailleurs raisonnablement déduire de ces attaques l’intention de commettre un génocide;
s’agissant de la prétendue utilisation de munitions à uranium appauvri, il n’est de nouveau ni
affirmé ni prouvé que les Pays-Bas ont utilisé de telles munitions. Les Pays-Bas tiennent
cependant à signaler ici qu’ils n’utilisent pas de telles munitions et qu’ils ne les ont jamais
utilisées dans les actions militaires menées contre la RFY (annexe 5.4). On ne peut de surcroît
non plus établir raisonnablement à partir de l’utilisation éventuelle de telles munitions un lien
entre leur emploi et l’intention de commettre un génocide. Quant à la participation des
Pays-Bas aux actions menées contre son territoire, la RFY ne fournit par conséquent pas le
moindre commencement de preuve d’une intention de commettre un génocide.
5.13. Quant à la deuxième conclusion concernant les responsabilités des Pays-Bas en vertu
de la convention sur le génocide, c’est-à-dire le «fait de ne pas avoir empêché les meurtres, les
coups et blessures et le nettoyage ethnique dont ont été victimes des Serbes et des membres
d’autres groupes non albanais au Kosovo-Metohija», la RFY se contente à nouveau d’affirmer dans
son mémoire l’existence de l’intention de commettre un génocide, mais ne fournit pas le moindre
élément à l’appui de cette affirmation. Le mémoire mentionne le meurtre de Serbes et des
membres d’autres groupes non albanais «par des terroristes albanais» ainsi que les coups et
blessures qui leur ont été infligés par ces terroristes et se borne à affirmer que ces actes se sont
produits «dans la région relevant de la KFOR». Le mémoire n’étaye absolument pas de nouveau le
bien-fondé de ces allégations et n’établit pas en particulier de lien entre celles-ci et l’intention des
Pays-Bas de commettre un génocide ni un autre motif pouvant engager la responsabilité des
Pays-Bas au titre de la convention sur le génocide. Les Pays-Bas ne peuvent s’empêcher de penser
que ce volet de la conclusion repose sur une interprétation totalement erronée des obligations que
les articles premier et suivants de la convention sur le génocide mettent à leur charge.
5.14. En ce qui a trait au point c) : un groupe qui est protégé en vertu de la convention sur le
génocide et qui fait l’objet du génocide comme tel
La RFY fait valoir que les actes en question visaient «un groupe national». Elle n’indique
cependant pas dans son mémoire à quel groupe national appartenaient les prétendues victimes.
Dans un certain nombre de cas, il est même indiqué que les personnes attaquées n’appartenaient
pas au groupe national yougoslave, mais appartenaient par exemple au groupe de réfugiés albanais
ou de réfugiés de la République de Croatie. Les Pays-Bas tiennent ici encore à faire observer que
les allégations que la RFY avance dans son mémoire passent totalement sous silence la différence
fondamentale existant entre les obligations découlant du droit international humanitaire et celles
découlant de la convention sur le génocide. De la simple circonstance que le territoire de la RFY a
fait l’objet d’actions militaires on ne saurait manifestement pas prendre pour acquis qu’il y a eu
intention de commettre un génocide. La Cour l’a déjà relevé dans son ordonnance du 2 juin 1999
(par. 40). Ainsi qu’il ressort clairement de son mémoire, la RFY s’est abstenue d’essayer de
fournir des éléments d’information qui pourraient apporter la preuve de l’existence d’une telle
intention de commettre un génocide.
5.15. S’agissant également des autres critères applicables au crime de génocide la
destruction totale ou partielle d’un groupe et l’indication précise d’actes de génocide les
Pays-Bas tiennent à faire observer que la RFY n’a pas fourni de preuves à l’appui des allégations
figurant dans son mémoire. Par exemple, le nombre de personnes tuées n’est pas précisé, on ne - 25 -
trouve aucune indication sur la fraction de la population qui aurait été victime de ces actions, sur
les effets potentiels, par exemple, des munitions à uranium appauvri (indépendamment du fait que
les Pays-Bas n’ont même pas utilisé ce type de munitions) et on n’explique pas non plus comment
des actions militaires précises et des actions menées par «des terroristes albanais» peuvent être
attribuées aux Pays-Bas ou à la KFOR.
5.16. En guise de conclusion, les Pays-Bas tiennent à formuler les observations suivantes.
Dans son ordonnance du 2 juin 1999 faisant suite à la demande en indication de mesures
conservatoires, la Cour avait déjà fait observer au paragraphe 40 qu’«il n’apparaît pas au présent
stade de la procédure que les bombardements … comporte[nt] effectivement l’élément
d’intentionnalité, dirigé contre un groupe comme tel» que requiert la convention sur le génocide, et
la Cour d’ajouter au paragraphe 41 de son ordonnance :
«Considérant que la Cour n’est dès lors pas en mesure de conclure, à ce stade de
la procédure, que les actes que la Yougoslavie impute au défendeur seraient
susceptibles d’entrer dans les prévisions de la convention sur le génocide; et que
l’article IX de la convention, invoqué par la Yougoslavie, ne constitue partant pas une
base sur laquelle la compétence de la Cour pourrait prima facie être fondée dans le cas
d’espèce;»
Les Pays-Bas font observer que le mémoire de la RFY expose un grand nombre de faits qui
seraient la conséquence des actions militaires menées contre celle-ci ainsi que des faits qui auraient
été commis «sous l’autorité de la KFOR». Le mémoire ne fournit toutefois aucune preuve à
l’appui de l’intention de commettre un génocide que ce soit de la part de l’OTAN ou des Pays-Bas
à l’occasion de leur participation à ces actions militaires ou à la KFOR. On n’y trouve pas non plus
le moindre commencement de preuve établissant que les Pays-Bas étaient animés de l’intention de
commettre un génocide en ce qui concerne les actions entreprises contre des Serbes et d’autres
non-Albanais au Kosovo-Metohija par ceux qui sont qualifiés de «terroristes albanais».
5.17. Les Pays-Bas tiennent à rappeler le paragraphe 38 de l’ordonnance de la Cour du
2 juin 1999 dans laquelle celle-ci a affirmé ce qui suit : «à l’effet d’établir, même prima facie, si un
différend au sens de l’article IX de la convention sur le génocide existe, la Cour ne peut se borner à
constater que l’une des parties soutient que la convention s’applique alors que l’autre le nie». Il
faut disposer de plus d’éléments d’information bien étayés «pour rechercher si les violations de la
convention alléguées par la Yougoslavie sont susceptibles d’entrer dans les prévisions de cet
instrument et si, par suite, le différend est de ceux dont la Cour pourrait avoir compétence pour
connaître ratione materiae par application de l’article IX». Tout comme dans sa demande en
indication de mesures conservatoires, la RFY ne satisfait manifestement pas à ce critère dans son
mémoire. Elle se borne à alléguer l’existence d’une intention de commettre un génocide sans
toutefois fournir de preuves à l’appui. Elle ne fournit pas non d’éléments permettant d’apprécier la
réunion de tous les autres critères mentionnés et n’invoque pas par conséquent de manière plausible
l’article IX de la convention sur le génocide. Le mémoire semble en outre gommer la distinction
existant entre le droit international humanitaire et le droit en matière de génocide. Il va de soi
qu’une telle démarche ne peut conférer juridiction à la Cour sur la base de l’article IX de la
convention sur le génocide.
Partant, les Pays-Bas concluent que l’article IX de la convention sur le génocide ne saurait
constituer une base sur laquelle la compétence de la Cour pourrait être fondée. - 26 -
6. LE TRAITÉ DE RÈGLEMENT JUDICIAIRE ,D’ARBITRAGE ET DE CONCILIATION DE 1931
NE CONSTITUE PAS UNE BASE DE COMPÉTENCE POUR LA COUR
6.1. Dans une lettre du 12 mai 1999, l’agent de la RFY a soumis à la Cour un «complément à
la requête» de son gouvernement, dans lequel la RFY s’est prévalue d’une nouvelle base de
juridiction, l’article 4 du traité de règlement judiciaire, d’arbitrage et de conciliation entre les
Pays-Bas et le Royaume de Yougoslavie, signé à La Haye le 11 mars 1931 et entré en vigueur le
2 avril 1932 (ci-après dénommé le «traité de 1931») (annexe 6.1).
6.2. Dans son ordonnance du 2 juin 1999 (par. 44), la Cour a déclaré qu’elle ne pouvait
prendre en considération ce nouveau titre de compétence étant donné que son invocation aussi
tardive met gravement en péril le principe du contradictoire et la bonne administration de la
justice. Les Pays-Bas développeront et compléteront maintenant les arguments qu’ils ont déjà
avancés lors de la procédure relative à la demande en indication de mesures conservatoires
présentée par la RFY.
6.3. La RFY fonde la prétendue compétence de la Cour sur l’article 4 du traité de 1931 qui
est ainsi rédigé :
«Article 4
Si, dans le cas d’un des litiges visés à l’article 2, les deux Parties n’ont pas eu
recours à la Commission permanente de conciliation ou si celle-ci n’a pas réussi à
concilier les Parties, le litige sera soumis d’un commun accord par voie de compromis
soit à la Cour permanente de Justice internationale qui statuera dans les conditions et
suivant la procédure prévues par son statut, soit à un Tribunal arbitral qui statuera dans
les conditions et suivant la procédure prévues par la Convention de La Haye du
18 octobre 1907 pour le règlement pacifique des conflits internationaux. A défaut
d’accord entre les Parties sur le choix de la juridiction, sur les termes du compromis
ou, en cas de procédure arbitrale, sur la désignation des arbitres, l’une ou l’autre
d’entre elles, après un préavis d’un mois, aura la faculté de porter directement, par
voie de requête, le litige devant la Cour permanente de Justice internationale.»
L’article 2 auquel se réfère le paragraphe 4 prévoit notamment ce qui suit :
«Article 2
Tous les litiges, de quelque nature qu’ils soient, ayant pour objet un droit
allégué par une des Hautes Parties contractantes et contesté par l’autre, et qui
n’auraient pu être réglés à l’amiable par les procédés diplomatiques ordinaires, seront
soumis pour jugement soit à la Cour permanente de justice internationale, soit à un
Tribunal arbitral, ainsi qu’il est prévu ci-après…»
6.4. Pour les Pays-Bas, le traité de 1931 ne saurait constituer une base de juridiction
appropriée pour la Cour. - 27 -
Tout d’abord, ce traité doit être considéré comme n’étant pas en vigueur après que la RFY a
succédé à la RFSY de sorte que la première ne peut valablement l’invoquer comme chef de
compétence.
Ensuite, la RFY ne peut fonder la compétence de la Cour sur le traité de 1931 étant donné
que, selon l’article 37 du Statut de la Cour, un traité ou une convention en vigueur mentionnant la
Cour permanente de Justice internationale ne peut être considéré comme renvoyant à la Cour
internationale de Justice qu’entre les parties au présent Statut. Par ailleurs, même si elle pouvait
invoquer le traité de 1931, encore faudrait-il que la RFY eût respecté les formalités expressément
indiquées à l’article 4 de ce traité avant de saisir la Cour. Nous développerons maintenant ces
observations.
6.5. En invoquant le traité de 1931 comme base de juridiction, la RFY donne à entendre que
ce traité, conclu entre le Royaume des Pays-Bas et le Royaume de Yougoslavie, et ultérieurement
en vigueur entre le Royaume des Pays-Bas et la RFSY, est encore en vigueur entre le Royaume des
Pays-Bas et la RFY.
6.6. Les Pays-Bas ne reconnaissent pas à la RFY la qualité d’Etat continuateur de la RFSY
Il ne peut donc être question d’un simple maintien en vigueur de traités entre la RFY et les
Pays-Bas. Et la RFY ne peut non plus prétendre qu’elle assure ipso jure la continuité de la RFSY
en qualité d’Etat successeur de celle-ci.
6.7. Les Pays-Bas ne sont pas partie à la convention de Vienne sur la succession d’Etats en
matière de traités du 23 août 1978 qui n’est entrée en vigueur que le 6 novembre 1996 (ci-après
dénommée «la convention de Vienne») (annexe 6.2), de sorte que l’alinéa a) du paragraphe 1 de
l’article 34 de celle-ci ne s’applique pas entre les Pays-Bas et la RFY Les Pays-Bas estiment aussi
que cette disposition ne saurait non plus être considérée comme incorporant une règle ou un
principe généralement accepté du droit international général. L’alinéa a) du paragraphe 1 de
l’article 34 de la convention est ainsi rédigé :
«1. Lorsqu’une partie ou des parties du territoire d’un Etat s’en séparent pour
former un ou plusieurs Etats, que l’Etat prédécesseur continue ou non d’exister :
a) tout traité en vigueur à la date de la succession d’Etats à l’égard de l’ensemble du
territoire de l’Etat prédécesseur reste en vigueur à l’égard de chaque Etat
successeur ainsi formé;»
6.8. La convention de Vienne opère une distinction entre le maintien en vigueur des traités
en ce qui concerne d’une part la succession d’Etats en cas d’«Etats nouvellement indépendants»
(Etats issus d’anciennes colonies) et d’autre part la succession d’Etats pour les autres Etats. A
l’époque de la conclusion de la convention de Vienne, la très grande majorité des cas en matière de
succession d’Etats concernaient des «Etats nouvellement indépendants». L’article 16 de la
convention de Vienne, fondé sur la pratique des Etats ayant cours entre les «Etats nouvellement
indépendants», énonce la règle générale en matière de succession d’Etats pour les Etats
nouvellement indépendants. Il prévoit ce qui suit :
«Un Etat nouvellement indépendant n’est pas tenu de maintenir un traité en
vigueur ni d’y devenir partie du seul fait qu’à la date de la succession d’Etats le traité
était en vigueur à l’égard du territoire auquel se rapporte la succession d’Etats.»
Ce principe est généralement appelé le «principe de la table rase». - 28 -
6.9. L’article 34 (projet d’article 33) vise les cas de succession d’Etats autres que ceux qui
concernent des «Etats nouvellement indépendants». Dans son commentaire sur le Projet d’articles
sur la succession d’Etats en matière de traités qu’elle a adopté à sa vingt-sixième session
(doc. A/Conf.80/4), ci-après dénommé : «commentaire de la CDI» (annexe 6.3), la Commission du
droit international a examiné quatorze cas de succession d’Etats ne concernant pas des «Etats
nouvellement indépendants». Dans neuf de ceux-ci, l’Etat prédécesseur continuait d’exister
(Belgique/Pays-Bas; Cuba/Espagne; Panama/Colombie; Finlande/Russie; Tchécoslovaquie/Empire
austro-hongrois; Pologne/Empire austro-hongrois; Etat libre d’Irlande/Royaume-Uni;
Pakistan/Inde; Singapour/Malaisie). Dans tous ces cas, le principe de la table rase a été appliqué
aux traités bilatéraux conclus par l’Etat prédécesseur. Les cinq autres cas visent principalement la
dissolution d’unions d’Etats (Grande Colombie; Norvège/Suède; Autriche/Hongrie;
Danemark/Islande; République arabe unie). Dans cette catégorie, le Royaume-Uni n’avait pas
appliqué par exemple la règle de la continuité ipso jure dans le cas de la séparation de la Norvège
et de la Suède (commentaire de la CDI, p. 99). Le Royaume-Uni a déclaré que :
«la séparation de la Suède conférait indubitablement au Gouvernement de Sa Majesté
le droit d’examiner, de novo, les engagements conventionnels par lesquels la Grande
Bretagne était liée avec l’union».
6.10. Lorsqu’il a été mis fin à l’Empire austro-hongrois, l’Autriche, l’une des parties ayant
fait sécession, n’était disposée à accepter le maintien en vigueur des traités que si elle y était
obligée par les traités de paix (commentaire de la CDI, p. 99).
6.11. Les Pays-Bas soutiennent que la pratique ayant cours avant la conclusion de la
convention de Vienne ne permet pas d’affirmer que l’alinéa a) du paragraphe 1 de l’article 34 de
cette convention exprime une règle ou un principe généralement accepté du droit international
général. Cette disposition, selon eux, relève du développement progressif du droit international
plutôt que de la codification et le «principe de la table rase» tel qu’il est énoncé à l’article 15 de la
convention de Vienne (voir par. 6.8) exprime la règle ou le principe généralement accepté du droit
international général.
6.12. Sans aller jusqu’à laisser entendre que la RFY est un «Etat nouvellement indépendant»
au sens de la convention de Vienne, les Pays-Bas estiment cependant que les constatations et
conclusions de la Commission du droit international relatives à cette catégorie d’Etats sont
pertinentes en l’espèce.
6.13. La convention de Vienne opère, dans le cas des «Etats nouvellement indépendants»,
une distinction entre les traités multilatéraux et les traités bilatéraux en ce qui concerne leur
maintien en vigueur. Alors qu’un Etat successeur a le droit de se considérer comme partie aux
traités multilatéraux conclus par l’Etat prédécesseur (article 16 de la convention de Vienne), il n’en
est pas de même dans le cas des traités bilatéraux. Le paragraphe 1 de l’article 24, qui énonce la
règle et le principe applicables au maintien en vigueur des traités bilatéraux, prévoit ce qui suit :
«Un traité bilatéral qui, à la date d’une succession d’Etats, était en vigueur à
l’égard du territoire auquel se rapporte la succession d’Etats est considéré comme
étant en vigueur entre un Etat nouvellement indépendant et l’autre Etat partie :
a) s’ils en sont expressément convenus; ou
b) si, en raison de leur conduite, ils doivent être considérés comme en étant ainsi
convenus.» - 29 -
6.14. Dans son commentaire sur l’article 24 (projet d’article 23), la Commission du droit
international a déclaré ce qui suit :
«Il est patent qu’un traité qui était en vigueur à l’égard d’un territoire à la date
d’une succession est fréquemment appliqué par la suit par l’Etat nouvellement
indépendant et l’autre partie ou les autres parties au traité; cela indique que l’ancien
lien juridique qui existait entre le territoire et les traités conclus par l’Etat prédécesseur
a tout au moins quelques conséquences juridiques pour les relations ultérieures entre
l’Etat nouvellement indépendant et les autres parties à ces traités. Si, dans le cas de
nombreux traités multilatéraux, ce lien juridique paraît créer, au profit de l’Etat
nouvellement indépendant, le droit d’effectif de se constituer partie à ces traités (ou
Etat contractant), il ne semble pas qu’il en soit ainsi en matière de traités bilatéraux.
(Les italiques sont du défendeur.)
La raison en est double. Premièrement, l’équation personnelle (l’identité de
l’autre partie contractante) qui compte aussi, il est vrai, dans les traités
multilatéraux joue nécessairement un rôle plus grand dans les relations
conventionnelles bilatérales; en effet, l’objet même de la plupart des traités bilatéraux
est de régir les droits et les obligations mutuels des parties eu égard essentiellement à
leurs relations et à leurs intérêts particuliers. Par conséquent, il n’est pas possible de
conclure automatiquement du fait qu’un Etat a précédemment accepté qu’un traité
bilatéral s’applique à un territoire que cet Etat est disposé à faire de même, après une
succession, à l’égard du souverain tout à fait nouveau de ce territoire. Deuxièmement,
il n’est pas question de faire entrer en vigueur un traité bilatéral entre l’Etat
nouvellement indépendant et son prédécesseur, comme cela se produit pour un traité
multilatéral. Certes, à l’égard du reste du territoire de l’Etat prédécesseur, le traité
restera en vigueur bilatéralement entre ledit Etat et l’autre partie, mais, si le traité
devient applicable entre cette autre partie et l’Etat nouvellement indépendant, ce sera
en tant que relation nouvelle et strictement bilatérale entre eux, indépendante de l’Etat
prédécesseur et le traité n’entrera d’aucune manière en vigueur entre l’Etat
nouvellement indépendant et l’Etat prédécesseur (p. 73).
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
La Commission est donc consciente du fait que la pratique des Etats révèle une
tendance à la continuité dans le cas de certaines catégories de traités. Cependant, elle
ne pense pas que la pratique permette de conclure que la continuité découle d’une
règle juridique coutumière et non de la volonté des Etats intéressés (l’Etat
nouvellement indépendant et l’autre partie au traité conclu par son prédécesseur). En
tout cas, la pratique ne semble pas confirmer l’existence du droit unilatéral qu’aurait le
nouvel Etat de considérer un traité bilatéral comme demeurant en vigueur à l’égard de
son territoire après l’indépendance indépendamment de ce que souhaite l’autre partie
au traité. Cela ressort clairement de certains éléments de la pratique des Etats qui ont
déjà été exposés dans les commentaires d’articles précédents. C’est ainsi que les
nombreuses déclarations unilatérales d’Etats nouvellement indépendants qui ont été
examinées dans le commentaire de l’article 9 se fondaient indubitablement sur le
postulat qu’en règle générale le maintien en vigueur des traités bilatéraux conclu par
leurs prédécesseurs devait faire l’objet d’un accord avec l’autre partie à chacun de
ces traités. (Les italiques sont du défendeur.) La Commission sait qu’il est envisagé
dans ces déclarations que certaines catégories de traités puissent rester
automatiquement en vigueur en vertu du droit coutumier, mais, à part ces exceptions
possibles, il n’y est manifestement pas question que des traités bilatéraux puissent être
maintenus en vigueur autrement que par consentement mutuel.» (P. 74.) (Les
italiques sont du défendeur.) - 30 -
6.15. Se fondant sur ce qui a été exposé aux paragraphes 6.8 à 6.14 ci-dessus, les Pays-Bas
réaffirment que le «principe de la table rase» constituait, à l’époque de la conclusion du traité de
Vienne, la règle ou le principe généralement accepté du droit international général applicable aux
traités bilatéraux aussi bien dans le cas d’«Etats nouvellement indépendants» que dans le cas
d’autres Etats successeurs (sauf dans le cas de traités de frontières ou de traités établissant tout
autre régime territorial) et que le consentement de l’autre partie est dès lors requis pour le maintien
en vigueur d’un traité bilatéral. On trouve d’ailleurs confirmation de la conclusion à laquelle est
parvenue la convention de Vienne dans la pratique des Etats que nous examinerons plus en détail
dans les paragraphes qui suivent.
6.16. Dans le mémoire qu’elle a présenté en l’affaire relative à l’Application de la
convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Bosnie-Herzégovine c.
Yougoslavie), exceptions préliminaires, juin 1995 (p. 117 et suiv.) (annexe 6.4), la RFY expose
dans un long développement qu’il convient d’appliquer le «principe de la table rase» à la
convention sur le génocide dans le dessein de prouver que la Bosnie-Herzégovine n’y est pas
partie. Voici les passages qui nous intéressent de l’argumentation développée à cet égard par la
RFY :
«B.1.3.1. Etant donné que la convention de Vienne de 1978 sur la succession
d’Etats en matière de traités n’est pas encore entrée en vigueur, la succession d’Etats
parties à des traités internationaux est gouvernée par les règles coutumières du droit
international.
B.1.3.2. Or, comme quelques Etats seulement ont ratifié la convention de
Vienne de 1978, les règles conventionnelles qui y sont énoncées n’ont pas été
transformées en règles de droit coutumier …
B.1.4. Règles pertinentes du droit international coutumier
B.1.4.1. Au paragraphe 4.1.2.44. du mémoire [de la Bosnie-Herzégovine]
(p. 151), il est dit ce qui suit :
«Ces traits particuliers renforcent le principe général énoncé à l’article 34 de la
convention de 1978 … qui, comme on l’a vu précédemment, codifie simplement la
pratique moderne des Etats. Aux termes de cet article :
«Lorsqu’une partie ou des parties du territoire d’un Etat s’en séparent pour
former un ou plusieurs Etats, que l’Etat prédécesseur continue ou non d’exister :
a) tout traité en vigueur à la date de la succession d’Etats à l’égard de l’ensemble du
territoire de l’Etat prédécesseur reste en vigueur à l’égard de chaque Etat
successeur ainsi formé.»
Dans les paragraphes précédents du mémoire (p. 149-151), le demandeur
mentionne certaines opinions d’auteurs qui ne corroborent pas sa propre thèse. De
toute façon, ces opinions sont celles d’une minorité de spécialistes du droit
international (Ian Brownlie, Principles of Public International Law, 4 e éd., Clarendon
Press, Oxford, 1990, p. 670, annexes, p. 920). Le demandeur ne dit rien de la pratique
codifiée par l’article susmentionné, et pour cause : la disposition en question,
c’est-à-dire l’article 34, va dans le sens contraire à sa thèse.
L’article 34 de la convention de Vienne de 1978 … n’est pas applicable en tant
que règle de droit international coutumier. Il a été introduit dans la convention non à
la suite d’une codification, mais à la suite d’une évolution progressive (déclaration de - 31 -
M. Ritter, représentant de la Suisse à la conférence des Nations Unies sur la
succession d’Etats en matière de traités, Vienne, 31 juillet – 23 août 1978, p. 53-56;
déclaration du représentant de l’Espagne à la conférence de Vienne, ibid., p. 61;
déclaration de sir Ian Sinclair, représentant du Royaume-Uni, ibid., p. 61-62;
déclaration de M. Dogan, représentant de la Turquie, ibid., p. 68, annexes,
p. 920-926).
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
B.1.4.3. Les nouveaux Etats créés sur le territoire de l’ex-URSS – Azerbaïdjan,
Estonie, Géorgie, Arménie, Kazakhstan, Kirghizistan, Lettonie, Lituanie, Moldavie,
Tadjikistan, Turkménistan, Ouzbékistan – ne [se] sont pas conformés à la règle
énoncée à l’article 34 de la convention de Vienne de 1978 …
B.1.4.6. Les nouveaux Etats qui ont été créés sur le territoire de la RSFY n’ont
pas agi selon la règle énoncée à l’article 34 de la convention de Vienne de 1978 … Ils
ont agi selon le principe de «la table rase» en choisissant les traités auxquels la RSFY
était partie et auxquels ils souhaitaient adhérer …
B.1.4.7. D’évidence, vu les considérations qui précèdent, les notifications de
succession de l’Etat demandeur ne constituaient pas une preuve formelle de la
continuité des traités, mais résultaient du choix qu’il avait fait d’y adhérer, ce qui
prouve que cet Etat se considérait libéré de tous les traités auxquels la RSFY était
partie; autrement dit, comme tous les autres nouveaux Etats concernés, il a procédé
selon le principe de la «table rase» …
B.1.4.10. Le principe de la «table rase» est et demeure en vigueur en tant que
norme de droit international coutumier pour les nouveaux Etats. Ceux-ci choisissent
librement les traités de l’Etat prédécesseur auxquels ils souhaitent adhérer, exception
faite, bien entendu, de ceux qui portent sur les frontières et les régimes territoriaux.»
6.17. Les Pays-Bas peuvent à partir de leur propre pratique confirmer que plusieurs Etats,
faisant autrefois partie de l’URSS, ne se sont pas conformés à l’alinéa a) du paragraphe 1 de
l’article 34 de la convention de Vienne (annexe 6.5).
6.18. Il y a lieu de relever que la RFY il y a à peine quatre ans a affirmé qu’il
convenait d’appliquer le «principe de la table rase» à la convention multilatérale sur le génocide. Il
est clair que la RFY est d’avis qu’un traité bilatéral du genre de celui de 1931 ne demeurait
certainement pas automatiquement en vigueur pour un Etat successeur.
6.19. Les Pays-Bas ont pour pratique de se réserver le droit de négocier le maintien en
vigueur de traités bilatéraux avec des Etats successeurs. Il arrive que ces négociations débouchent
sur un échange de notes entre le Gouvernement du Royaume des Pays-Bas et le gouvernement de
l’Etat successeur constatant l’accord des deux Etats sur les traités conclus avec l’Etat prédécesseur
qui demeureront ou ne demeureront pas en vigueur (voir par exemple l’échange de notes entre le
ministère des Affaires étrangères du Royaume des Pays-Bas et l’ambassade de la République de
Croatie (annexe 6.6).
6.20. Il convient à cet égard de relever que c’est aussi la pratique qu’accepte et que suit la
RFY De fait, celle-ci après que les Pays-Bas l’eurent reconnue comme un Etat souverain
indépendant et comme un des Etats successeurs de l’ex-RFSY a proposé des consultations sur le - 32 -
maintien en vigueur des traités par une note en date du 4 juillet 1996. Cette démarche a été
entreprise malgré l’affirmation de la RFY selon laquelle elle assurait la continuité de la RFSY et
n’était pas l’un de ses Etats successeurs (annexe 6.7). Les Pays-Bas ont répondu positivement à
cette démarche par une note du 15 juillet 1996 dans laquelle il était précisé qu’il ne partageait pas
l’avis de la RFY (annexe 6.8). Des consultations se sont tenues le 24 juillet 1996 entre des experts
juridiques des ministères des Affaires étrangères des deux pays, sur lesquelles nous reviendrons en
détail au paragraphe 6.22.
6.21. Se référant apparemment aux observations formulées par les Pays-Bas au cours de
l’audience tenue le 12 mai 1999 devant la Cour, la RFY affirme dans son mémoire (par. 3.3.7) ce
qui suit :
«Les Pays-Bas font observer … qu’à la différence d’un certain nombre d’autres
traités bilatéraux conclus avec l’ex-République fédérative socialiste de Yougoslavie,
aucun accord provisoire n’a été conclu sur le maintien en vigueur du traité de 1931.»
Ce passage donne une vision fausse de la réalité en ce qu’il laisse entendre que le Gouvernement
néerlandais et le Gouvernement de la RFY avaient déjà conclu un accord précisant que certains
traités en vigueur entre les Pays-Bas et la RFSY continueraient à s’appliquer entre les Pays-Bas et
la RFY
6.22. La note mentionnée dans le mémoire du demandeur (par. 3.3.10) et jointe à celui-ci
(annexe 178, p. 528-531) n’est que le procès-verbal des consultations qui se sont tenues le
24 juillet 1995 entre les experts juridiques des ministères des Affaires étrangères des Pays-Bas et
de la RFY Au cours de ces consultations, la délégation yougoslave a donné son accord au maintien
en vigueur de sept traités bilatéraux. Il a été en outre décidé que la délégation yougoslave se
mettrait en rapport avec les autorités compétentes à Belgrade en ce qui concerne six autres traités
bilatéraux, dont le traité de règlement judiciaire, d’arbitrage et de conciliation conclu en 1931 entre
les Pays-Bas et le Royaume de Yougoslavie. Cette note est demeurée sans réponse. Comme il a
déjà été indiqué, elle ne constate pas un accord entre le Gouvernement du Royaume des Pays-Bas
et le Gouvernement de la RFY portant que les traités qui y sont visés constitueraient des traités
conclus entre le Royaume des Pays-Bas et la RFY L’invocation soudaine et inattendue par la RFY
du traité de 1931 à la fin de l’audience faisant suite à sa demande en indication de mesures
conservatoires en mai 1999 ne saurait non plus signifier que le Gouvernement des Pays-Bas et le
Gouvernement de la RFY étaient convenus que le traité de 1931 était demeuré en vigueur dans le
cadre de leurs relations bilatérales, car la RFY ne saurait décider unilatéralement de son maintien
en vigueur. Il convient en outre de se rappeler que le traité de 1931 n’était qu’un d’une série
d’accords sur le maintien en vigueur desquels les experts juridiques des Pays-Bas et de la RFY
avaient entrepris des consultations et que le Gouvernement des Pays-Bas ainsi que celui de la
République fédérale de Yougoslavie n’avaient encore conclu aucun accord définitif sur les accords
bilatéraux qui demeureraient en vigueur. Il est hors de question que la RFY puisse choisir
unilatéralement certains accords et considérer qu’ils demeurent en vigueur sans que les deux
gouvernements aient conclu un accord définitif réglant le statut de tous les accords bilatéraux.
6.23. Les Pays-Bas invoquent à ce propos le principe fondamental que la Cour a souvent
rappelé (voir notamment le passage cité au paragraphe 7.2.15 du présent mémoire), selon lequel
elle ne peut trancher un différend entre des Etats sans que ceux-ci aient consenti à sa juridiction.
Les Pays-Bas font valoir en l’espèce que le maintien en vigueur du traité de 1931 après la
disparition de la RFSY était subordonné au double consentement des Pays-Bas et de la RFY Faute
d’un accord à cet effet, le traité de 1931 ne constitue pas une base de compétence pour la Cour. - 33 -
6.24. Ainsi qu’il a déjà été dit au paragraphe 6.4, la RFY ne peut invoquer l’article 37 du
Statut à l’égard d’un traité qui n’est pas en vigueur entre elle-même et les Pays-Bas. De plus,
comme il a déjà été expliqué en détail précédemment (par 3.1 et suiv. du présent mémoire), la RFY
n’est pas partie au Statut. Ne sont dès lors pas remplies, selon les Pays-Bas, les deux conditions
expressément mentionnées à l’article 37 du Statut, à savoir qu’il doit s’agir d’un différend entre
Etats qui sont parties au Statut et que ce différend doit concerner un traité ou une convention en
vigueur. Aussi la RFY ne peut-elle prétendre que l’article 37 du Statut s’applique au traité
de 1931. Ces seuls motifs permettent déjà d’affirmer que le traité de 1931 ne constitue pas une
base de juridiction pour la Cour.
6.25. Même si elle pouvait invoquer le traité de 1931, la RFY aurait dû respecter les
formalités expressément prévues à l’article 4 de ce traité avant de saisir unilatéralement la Cour.
Le 6 août 1921, les Pays-Bas ont fait en vertu de l’article 36 du Statut de la Cour permanente de
Justice internationale une déclaration acceptant la juridiction obligatoire de celle-ci, valant
exclusivement pour tout différend futur à propos duquel les parties n’étaient pas convenues d’avoir
recours à un autre mode de règlement pacifique (annexe 6.9). Le Royaume de Yougoslavie a fait
une déclaration analogue le 16 mai 1930 (annexe 6.10). L’intention manifeste qui animait les deux
Etats lorsqu’ils ont conclu le traité de 1931 était que celui-ci aurait primauté. La différence existant
entre les juridictions fondées, d’une part, sur les deux déclarations faites en application de
l’article 36 du Statut de la Cour permanente de Justice internationale et, d’autre part, sur le traité
de 1931 réside dans le fait que le droit de saisir la Cour en vertu de ce dernier ne peut s’exercer que
si certaines conditions sont réunies.
6.26. Selon l’article 2 du traité de 1931, «Tous les litiges … seront soumis pour jugement soit
à la Cour permanente de justice internationale, soit à un Tribunal arbitral, ainsi qu’il est prévu
ci-après». L’article 3 mentionne ensuite la procédure (facultative) de consultation. Et l’article 4
précise qu’en cas de non-recours à cette procédure ou d’échec de celle-ci,
«le litige sera soumis d’un commun accord par voie de compromis soit à la Cour
permanente de Justice internationale…, soit à un Tribunal arbitral… A défaut
d’accord entre les Parties sur le choix de la juridiction, … l’une ou l’autre d’entre
elles, après un préavis d’un mois aura la faculté de porter directement, par voie de
requête, le litige devant la Cour permanente de Justice internationale.» (Les italiques
sont du défendeur.)
Les Pays-Bas soutiennent que les formalités prévues par le traité de 1931, telles qu’elles viennent
d’être résumées ci-dessus, constituent une condition essentielle qui doit être respectée pour qu’ils
consentent à être liés par ce traité et qu’il échet de ne pas permettre à la RFY de faire bon marché
de ces formalités comme elle l’a fait en l’espèce.
6.27. Dans l’affaire relative à la Barcelona Traction, Light and Power Company, Limited,
exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 1964, p. 38 (annexe 6.11), la Cour a examiné la
question de sa compétence en tant que tribunal du fait de la disparition de la Cour permanente de
Justice internationale en ce qui a trait au traité hispano-belge de conciliation, de règlement
judiciaire et d’arbitrage signé le 19 juillet 1927. L’article 2 et le paragraphe 1 de l’article 17 de ce
traité énoncent des droits et des obligations analogues à ceux qui figurent aux articles 2 et 4 du
traité de 1931. La Cour est parvenue à la conclusion suivante :
«[La Cour permanente de Justice internationale] n’a jamais été l’objet véritable
de la clause. L’objet véritable en était le règlement judiciaire obligatoire, et la Cour
permanente était simplement un moyen d’atteindre cet objet.» (Les italiques sont du
défendeur.) - 34 -
6.28. C’est à la même conclusion que la Cour devrait parvenir en l’espèce, à savoir que
l’objet du traité de 1931 était le règlement judiciaire obligatoire en tant que tel, et non pas le
règlement judiciaire obligatoire par la Cour permanente de Justice internationale ou par la
juridiction qui la remplacerait. En d’autres termes, le règlement judiciaire que pourrait opérer un
tribunal arbitral fait partie de l’objet et du but du traité de 1931.
Le fait que la RFY ne s’est pas efforcée de parvenir à «un accord commun par voie de
compromis» devrait dès lors être considéré comme une violation substantielle du traité de 1931.
6.29. La RFY a soumis ses prétentions à la Cour sans offrir aux Pays-Bas la possibilité de
choisir d’un commun accord (par voie de compromis) entre saisir la Cour ou saisir un Tribunal
arbitral comme l’exige expressément l’article 2 combiné à l’article 4 du traité de 1931. La RFY n’a
en outre pas respecté le délai de préavis d’un mois avant de porter unilatéralement le litige devant
la Cour.
6.30. Les Pays-Bas soulignent par ailleurs que la RFY, après avoir invoqué le traité de 1931
comme base de juridiction le 12 mai 1999, n’a pas tenté de remédier à la violation de ce traité et ne
s’est nullement arrêtée dans son mémoire sur cette violation dont elle s’est rendue coupable.
6.31. Les Pays-Bas soutiennent qu’on ne saurait accepter que la RFY puisse porter
directement le présent litige devant la Cour internationale de Justice compte tenu de l’obligation de
tenir des consultations sur l’élection de for que prévoit le traité de 1931, de la mise sur un pied
d’égalité du règlement judiciaire par une Cour ou par un Tribunal arbitral et de l’obligation de
donner un préavis d’un mois, conditions énoncées dans le traité de 1931, dont le respect est
essentiel pour que les Pays-Bas consentent à être liés par ce traité. Partant, même si elle venait à
conclure que le traité de 1931 est en vigueur et que l’article 37 de son Statut s’applique entre les
Pays-Bas et la RFY, la Cour devrait, selon les Pays-Bas, décliner sa compétence au motif que la
RFY n’a pas respecté les formalités essentielles prévues par le traité de 1931.
7. LES DEMANDES PRÉSENTÉES PAR LA RFY SONT IRRECEVABLES
Dans les chapitres qui précèdent, les Pays-Bas ont soutenu que la Cour n’a pas compétence
pour connaître de la présente affaire. Si la Cour venait toutefois à conclure qu’elle est compétente,
les Pays-Bas font valoir que les demandes présentées par la RFY sont irrecevables pour un ou
plusieurs des trois motifs suivants.
En premier lieu, les demandes de la RFY sont irrecevables motif pris de ce que le demandeur
n’a pas produit le moindre commencement de preuve que les prétendues violations reprochées sont
le fait des Pays-Bas.
En deuxième lieu, les violations reprochées s’inscrivent dans le cadre d’une action
collective. Un arrêt rendu à l’égard des Pays-Bas conduit nécessairement la Cour à trancher un
différend entre la RFY et d’autres entités ou Etats non attraits devant elle et / ou l’absence de ces
entités ou Etats ne permettrait pas à la Cour de rendre un arrêt fondé.
En troisième lieu, la RFY a présenté dans son mémoire du 5 janvier 2000 une nouvelle
demande qui ne figurait pas dans la requête initiale qu’elle a soumise à la Cour le 29 avril 1999 et
qui opérerait transformation de l’objet du différend.
Ces trois moyens seront examinés plus en détail dans les pages qui suivent. - 35 -
7.1. Les demandes de la RFY sont irrecevables motif pris de ce que le demandeur n’a pas
produit le moindre commencement de preuve que les prétendues violations reprochées
sont le fait des Pays-Bas
7.1.1. Selon le paragraphe 2 de l’article 38 du Règlement de la Cour, la requête «indique …
la nature précise de la demande et contient un exposé succinct des faits et moyens sur lesquels cette
demande repose». Quant au paragraphe 1 de l’article 49 du Règlement, il prévoit que «[l]e
mémoire contient un exposé des faits sur lesquels la demande est fondée, un exposé de droit et les
conclusions». Il est clair que ces conditions ont une double justification. Ce n’est que si elles sont
réunies que le défendeur peut véritablement se défendre comme il se doit et que la Cour peut être
en mesure de rendre son arrêt. Comme l’a fait remarquer M. Rosenne, l’un des trois principes
fondamentaux consacrés dans le Statut et dans la pratique de la Cour est le suivant : «avant que la
Cour prenne une décision à titre principal ou incident, elle est en possession de ce qu’elle estime
être les éléments d’information suffisants sur les positions des parties» (S. Rosenne, The Law and
Practice of the International Court, 1920-1996, vol. III, p. 1080).
7.1.2. Les Pays-Bas soutiennent que la partie la plus importante et la plus détaillée du
mémoire de la RFY (par. 1.1 – 1.10.3), même si elle contient des allégations de faits, se caractérise
par l’absence d’un élément essentiel. Le demandeur ne précise nulle part où, quand, comment et
pendant combien de temps se sont produits les actes accomplis par les Pays-Bas eux-mêmes.
Partant, ceux-ci ne sont pas en mesure de savoir quelle est la substance même des griefs que la
RFY fait valoir à leur encontre et la Cour se trouve privée d’éléments d’information suffisants sur
les positions des Parties.
7.1.3. Ce défaut fondamental d’imprécision vise à la fois les éléments initiaux de la demande
de la RFY (les bombardements de son territoire) et les nouveaux éléments se rapportant à la
situation postérieure au 10 juin 1999 (lors de la mission de la KFOR au Kosovo). S’agissant des
éléments initiaux de sa demande (les bombardements de son territoire), la RFY procède dans son
mémoire à un recensement chronologique exhaustif des personnes tuées ou blessées ainsi que des
dégâts causés par les bombardements. Mais nulle part dans ce recensement exhaustif n’est-il
reproché des faits précis aux Pays-Bas.
7.1.4. Le mémoire de la RFY est entaché du même défaut fondamental d’imprécision en ce
qui a trait à la situation postérieure au 10 juin 1999 (lors de la mission de la KFOR au Kosovo).
Dans la première partie de son mémoire portant sur les «Faits», d’une longueur de trois cent pages
environ, la RFY ne précise guère quels seraient les manquements aux responsabilités de la présence
internationale de sécurité. Ce n’est qu’au paragraphe 1.5 de son mémoire, faisant à peu près
quatre-vingt pages et intitulé «Faits relatifs aux meurtres, aux coups et blessures et au nettoyage
ethnique dont ont été victimes des Serbes et des membres d’autres groupes non albanais», qu’il est
fait mention de deux cas où quatre Serbes auraient été tués par des troupes de la KFOR (dont trois
par une unité russe) et de treize cas où des troupes de la KFOR auraient de manière directe ou
indirecte fait preuve de négligence en n’assurant pas une protection suffisante à des Serbes et à des
membres d’autres groupes non albanais ainsi qu’à leurs biens. La RFY n’a toutefois fourni aucun
élément de preuve démontrant que l’OTAN ait manqué à ses obligations dans ces circonstances
d’exception. De plus, la RFY ne mentionne nulle part explicitement les Pays-Bas dans ce contexte
ni n’affirme que les Pays-Bas ont manqué à leurs obligations.
7.1.5. La RFY ne s’est efforcée de remédier à cette carence qu’à la fin de son mémoire. Elle
s’est bornée à affirmer à un endroit (par. 2.8) que les actes de l’OTAN et de la KFRO «sont
imputables aux défendeurs». Les Pays-Bas soutiennent que cette affirmation ne saurait compenser
le défaut fondamental d’imprécision qui caractérise le reste du mémoire. La RFY fait - 36 -
essentiellement valoir que l’OTAN a agi sous la direction et le contrôle politique et militaire des
Etats membres de l’OTAN puisqu’aucune décision d’un organe de l’OTAN ne peut se prendre sans
le consentement de chacun de ceux-ci et leur sont partant imputables. Cette thèse, pour les
Pays-Bas, est erronée. Comme il sera expliqué en détail au paragraphe 7.2, les actes dont se plaint
la RFY sont ou étaient des actes collectifs. Par cette «thèse de l’imputabilité», la RFY fait bon
marché de la nature collective de la prise de décisions au sein de l’OTAN et du caractère organique
de ces décisions concernant à la fois l’opération «Force alliée» et la KFOR. Les actes de l’OTAN
et de la KFOR ne sont pas simplement directement imputables à un ou quelques-uns des Etats
ayant participé à leur planification et approbation. C’est ce qu’affirme à présent la RFY après avoir
décidé de ne pas saisir la Cour d’une instance contre tous les membres de l’OTAN et tous les Etats
participant à la KFOR et après l’ordonnance du 2 juin 1999 par laquelle la Cour a ordonné la
radiation des requêtes déposées contre l’Espagne et les Etats-Unis du rôle général.
7.1.6. Les Pays-Bas concluent par conséquent à l’irrecevabilité des demandes de la RFY La
RFY expose avec moult détails les faits allégués, mais ceux-ci manquent de précision sur un point
fondamental : la RFY n’indique pas quels actes elle reproche aux Pays-Bas d’avoir commis en
violation des obligations juridiques internationales qui sont les leurs.
7.2. Les demandes de la RFY sont irrecevables motif pris de ce qu’un arrêt rendu à l’égard
des Pays-Bas constituerait nécessairement une décision dans un différend opposant la
RFY à d’autres entités ou Etats non attraits devant la Cour et / ou ne permettrait pas à
celle-ci, en l’absence de ces entités ou Etats, de rendre l’arrêt fondé
7.2.1. Les demandes de la RFY doivent être considérées comme irrecevables pour une
deuxième raison qui se rattache à la première. Elle est en quelque sorte le reflet du défaut
fondamental d’imprécision que nous venons d’exposer en détail. La non-indication de la nature
précise des demandes s’explique principalement par le fait que les prétendus manquements
s’inscrivent dans le cadre d’une action collective. Partant, un arrêt rendu à l’égard des Pays-Bas
constitue nécessairement une décision dans un différend opposant la RFY à d’autres entités ou
Etats non attraits devant la Cour et / ou ne permettrait pas à celle-ci, en l’absence de ces entités ou
Etats, de rendre un arrêt fondé. Cette thèse sera développée plus loin. Nous démontrerons d’abord
(par. 7.2.2-7.2.11) dans quelle mesure les actes reprochés revêtaient un caractère collectif et nous
exposerons ensuite les conséquences découlant de cet élément capital qui caractérise la présente
affaire dont la Cour est saisie (par. 7.2.12–7.2.26).
7.2.2. Les actes que la RFY reproche aux Pays-Bas dans l’instance actuellement introduite
devant la Cour ne constituent nullement des actes individuels ou indépendants des Pays-Bas mais
s’inscrivent dans le cadre d’une action menée par une entité internationale, à savoir l’OTAN, ou
d’une action conjointe et collective menée par un groupe d’Etats, à savoir des Etats membres de
l’OTAN ou bien encore des Etats membres de l’OTAN et vingt autres Etats dans le cadre de la
KFOR, la présence internationale de sécurité au Kosovo autorisée par la résolution 1244 du Conseil
de sécurité (annexe 7.1).
7.2.3. Dans son ordonnance du 2 juin 1999, la Cour ne s’est pas penchée sur le caractère
collectif des actes dont se plaignait la RFY Au stade où en était la procédure, c’est-à-dire au stade
de l’examen de la demande en indication de mesures conservatoires présentée par la RFY, il ne
s’imposait pas d’examiner cette question. Ainsi qu’il est indiqué dans l’ordonnance, point n’est
besoin pour la Cour en présence d’une telle demande - 37 -
«de s’assurer de manière définitive qu’elle a compétence quant au fond de l’affaire,
mais qu’elle ne peut indiquer ces mesures que si les dispositions invoquées par le
demandeur semblent prima facie constituer une base sur laquelle la compétence de la
Cour pourrait être fondée» (Yougoslavie c. Pays-Bas, ordonnance du 2 juin 1999,
par. 21).
La Cour a conclu qu’elle n’avait manifestement pas compétence pour connaître des requêtes
de la RFY dirigées contre l’Espagne et les Etats-Unis et les a rayées de son rôle général. S’agissant
des instances introduites contre les huit autres défendeurs, la Cour a conclu qu’elle n’avait pas
compétence prima facie pour connaître de la demande de la Yougoslavie. Elle a rappelé qu’elle ne
pouvait trancher un différend entre des Etats sans que ceux-ci aient consenti à sa juridiction. La
Cour a pour la première fois de son histoire refusé d’indiquer des mesures conservatoires parce
qu’elle n’avait pas compétence prima facie.
7.2.4. La Cour doit toutefois au stade actuel de l’instance «s’assurer de manière définitive
qu’elle a compétence quant au fond de l’affaire». Le caractère collectif des actes dont se plaint la
RFY constitue l’une des caractéristiques essentielles de la présente affaire. Aussi la Cour doit-elle
dûment tenir compte de cette caractéristique essentielle ainsi que des conséquences qui en
découlent pour la recevabilité de la présente affaire. Les décisions pertinentes d’activation prises
par l’OTAN ainsi que les autres décisions concernant l’opération «Force alliée» et la KFOR
sont-elles des décisions émanant de l’OTAN ? Ces décisions ont-elles été prises d’une manière
coordonnée par tous les Etats membres de l’OTAN ? Ou bien encore, ces décisions ont-elles été
prises de manière coordonnée par des Etats membres de l’OTAN participant à l’opération «Force
alliée» et par des Etats participant à la KFOR ?
7.2.5. L’opération «Force alliée» était considérée en pratique comme une opération de
l’OTAN. Ainsi qu’il est indiqué plus loin, les documents, même ceux qui émanent de la RFY, qui
font état des décisions pertinentes d’activation de l’OTAN et d’autres décisions concernant
l’opération «Force alliée» ainsi que ceux qui se rapportent au présent différend mentionnent en
règle générale l’OTAN comme étant l’auteur de ces décisions et comme étant l’une des parties au
différend.
Par exemple, lors des séances tenues par le Conseil de sécurité des Nations Unies au cours de
l’opération «Force alliée», celle-ci est habituellement qualifiée d’opération de l’OTAN. Les 24 et
26 mars 1999, le Conseil de sécurité s’est réuni à la demande de la Fédération de Russie pour
examiner l’«action militaire … de l’OTAN» (Nations Unies, doc. S/1999/320 (annexe 7.2). Le
projet de résolution déposé par le Bélarus, la Fédération de Russie et l’Inde (qui fut rejeté par le
Conseil) évoquait «l’emploi de la force par l’OTAN» (Nations Unies, doc. S/1999/328
(annexe 7.3). Lors des séances tenues par le Conseil les 24 et 26 mars 1999, les actions militaires
entreprises étaient habituellement qualifiées de «décision de l’OTAN de recourir à la force», de
«frappes de l’OTAN», d’«objectifs de l’OTAN», etc. (Nations Unies, doc. S/PV.3988 (annexe 7.4)
et S/PV.3989 (annexe 7.5)), et non pas d’actions menées par des Etats à titre particulier. Au cours
des séances qu’a tenues le Conseil de sécurité par la suite, les actions militaires entreprises ont été
habituellement qualifiées d’«actions de l’OTAN, de «frappes aériennes de l’OTAN», etc.
(Nations Unies, doc. S/PV.4000 (annexe 7.6), S/PV.4003 (annexe 7.7) et S/PV.4011 (annexe 7.8).
L’observation formulée par la RFY dans son mémoire (par. 1.9.1.14) selon laquelle «les
demandeurs considéreront les actes de l’OTAN comme étant les leurs» lors des séances tenues par
le Conseil de sécurité les 24 et 26 mars 1999 est tout simplement erronée ainsi qu’il ressort même
d’une lecture rapide des procès-verbaux de ces séances. - 38 -
7.2.6. La RFY a elle-même reconnu que les actes dont il s’agit sont des actes collectifs de
l’OTAN. Le caractère collectif de l’opération «Force alliée» se manifeste tout d’abord dans le
passage suivant : «Pour des raisons techniques et de fond, le demandeur a préparé une version
identique du mémoire pour chacune des huit affaires pendantes. Le fond du différend est identique
dans toutes les affaires.» (Mémoire, introduction, par. 11; les italiques sont du défendeur.)
De plus, dans la première partie de son mémoire («Les faits»), la R.F.Y fait presque toujours
allusion à l’«aviation de l’OTAN», aux «bombes de l’OTAN», aux «frappes aériennes de
l’OTAN», etc., et non à des actes accomplis par les Pays-Bas ou par d’autres défendeurs. Sans
oublier que la RFY, dans la mesure où elle fonde ses allégations sur des sources externes
d’information, s’appuie presque exclusivement sur des conférences de presse de l’OTAN (voir par
exemple dans son mémoire, par. 1.2.7 et 1.4).
7.2.7. Une conclusion analogue s’impose dans le cas de la KFOR. Celle-ci est une action
collective et non une action entreprise par trente-neuf Etats à titre particulier. Nul ne conteste en
pratique que la KFOR est une opération de l’OTAN, autorisée par le Conseil de sécurité des
Nations Unies, à laquelle participent aussi un certain nombre d’Etats qui ne font pas partie de
l’OTAN. Par exemple, la RFY ne cesse d’affirmer dans son mémoire que la KFOR est l’Œuvre de
l’OTAN et est placée sous son commandement et son contrôle (mémoire, par. 1.9.2.7 et 2.8.1.2.1).
7.2.8. Le demandeur a par ailleurs également reconnu dans sa requête (p. 10; voir aussi
mémoire, introduction, par. 3) que les actes des Pays-Bas ne peuvent être considérés comme des
actes individuels et indépendants. Il y déclare en effet que les demandes qu’il soumet à la Cour
sont fondées sur les faits ci-après :
«Le Gouvernement du Royaume des Pays-Bas, conjointement avec les
gouvernements d’autres Etats membres de l’OTAN a recouru à l’emploi de la force
contre la République fédérale de Yougoslavie … Le Gouvernement du Royaume des
Pays-Bas prend part à l’entraînement, à l’armement, au financement, à l’équipement
et à l’approvisionnement de la prétendue «armée de libération du Kosovo.» (Les
italiques sont du défendeur.)
7.2.9. De plus, la RFY commence chacune des conclusions qu’elle a soumises à la Cour dans
sa requête (p. 8, 10; voir aussi mémoire, introduction, par. 5) par le membre de phrase « en
prenant part à …, le Royaume des Pays-Bas a agi contre la République fédérale de Yougoslavie en
violation de son obligation…» (les italiques sont du défendeur). La circonstance que ce membre de
phrase n’est plus repris dans les conclusions qu’elle soumet à la Cour dans son mémoire (quatrième
partie) ne modifie pas le caractère des actes que les Pays-Bas auraient commis.
7.2.10. Il ressort d’une analyse approfondie des actes dont se plaint la RFY que ces
appellations utilisées pour qualifier l’opération «Force alliée» et la KFOR ne sont pas erronées.
Ces opérations ont été à juste titre considérées comme des actions collectives. C’est l’OTAN qui a
pris toutes les décisions fondamentales concernant l’opération «Force alliée». En 1998, le Conseil
de l’OTAN a décidé qu’il fallait mettre au point divers scénarios en vue d’une éventuelle opération
militaire au Kosovo. Parmi ces scénarios, le Conseil de l’OTAN a choisi celui d’une campagne
aérienne comportant cinq phases (les phases 0, 1, 2, 3 et 4) passant par un accroissement progressif
de l’intensité et du périmètre géographique de l’action militaire. Cette décision a été prise afin
d’accroître progressivement la pression sur la RFY afin d’amener celle-ci à accepter cinq
conditions de l’OTAN pour un règlement politique de la crise du Kosovo. C’est le Conseil de
l’OTAN qui a pris toutes les décisions autorisant le passage à la phase suivante de la campagne
aérienne. - 39 -
Le 27 mars 1999, sur la proposition du commandant suprême des Forces alliées en Europe
(Saceur), appuyée par le Secrétaire général de l’OTAN, le Conseil de l’OTAN a décidé de passer à
la «phase 2» de l’opération. Le 30 mars 1999, il a décidé de ne pas passer à la «phase 3» (dans
laquelle les autorités militaires auraient le pouvoir exclusif de mener à bien l’opération), mais de
transformer cette phase en une «phase 2-plus». Dans cette nouvelle phase, la mise en Œuvre n’était
pas laissée totalement à l’appréciation des autorités militaires, la décision d’attaquer certaines
cibles de la «phase 3» était déléguée au Secrétaire général de l’OTAN.
Il faut opérer une distinction entre les décisions politiques principales et l’exécution de
l’opération par les militaires. Les décisions politiques principales ont toutes été prises par le
Conseil de l’OTAN. Les mesures d’exécution, qui couvraient les décisions telles que celles
concernant les cibles attaquées ainsi que le moment et les modalités de ces attaques, étaient laissées
à l’appréciation des autorités militaires de l’OTAN. S’agissant de l’exécution de l’opération, le
commandement et le contrôle des unités néerlandaises participant à l’opération étaient transférés
aux commandants de l’OTAN (annexe 7.9).
7.2.11. L’opération de la KFOR a elle été autorisée par la résolution 1244 du Conseil de
sécurité. Celui-ci a autorisé «les Etats Membres et les organisations internationales compétentes à
établir la présence internationale de sécurité au Kosovo conformément au point 4 de l’annexe 2, en
la dotant de tous les moyens nécessaires pour s’acquitter des responsabilités que lui confère le
paragraphe 9» (résolution 1244 du Conseil de sécurité, par. 7). Le point 4 de l’annexe 2 de cette
résolution prévoit ce qui suit :
«La présence internationale de sécurité, avec une participation substantielle de
l’Organisation du Traité de l’Atlantique Nord, doit être déployée sous commandement
et contrôle unifiés et autorisée à établir un environnement sûr pour l’ensemble de la
population du Kosovo et à faciliter le retour en toute sécurité de toutes les personnes
déplacées et de tous les réfugiés.»
La présence internationale de sécurité n’a été autorisée que par le Conseil de sécurité. C’est
l’OTAN qui s’est chargée de la mise en Œuvre. Le 9 juin 1999, le Conseil de l’Atlantique
Nord le principal organe de décision de l’OTAN a accepté de procéder à l’opération «Joint
Guardian». Le plan d’action pour l’opération «Joint Guardian» énonce les règles fondamentales
de fonctionnement de la KFOR, y compris les règles applicables en matière de commandement et
de contrôle. Selon ce plan, il appartient aussi au Conseil de l’Atlantique Nord de fixer la date à
laquelle il convient d’autoriser le redéploiement des forces de la KFOR. Celle-ci est une force
internationale dirigée par l’OTAN. Elle est placée sous la direction politique pleine et entière du
Conseil de l’Atlantique Nord et le commandant suprême des Forces alliées en Europe de l’OTAN
(SACEUR) assure la direction générale ainsi que le commandement ou le contrôle opérationnel de
toutes les forces désignées, y compris celle d’Etats n’appartenant pas à l’OTAN. Partant,
l’opération «Joint Guardian» est manifestement une action collective trouvant une assise solide
dans l’OTAN.
7.2.12. Maintenant qu’il a été établi de façon détaillée que les actions en cause sont des
actions collectives, il nous faut en examiner les conséquences juridiques pour les besoins de
l’espèce.
7.2.13. La circonstance que les actes reprochés aux Pays-Bas s’inscrivent dans le cadre d’une
action d’une organisation internationale, à savoir l’OTAN, ou d’une action conjointe et collective
d’un groupe d’Etats, à savoir des Etats membres de l’OTAN ou encore des Etats membres de
l’OTAN agissant avec vingt autres Etats dans le cadre de la KFOR, conduira fatalement, - 40 -
inéluctablement et logiquement la Cour à se prononcer sur la prétendue illicéité de l’action
entreprise par une organisation internationale ou des Etats qui ne se trouvent pas devant la Cour.
7.2.14. Il est clair que des organisations internationales ne peuvent être parties à des affaires
contentieuses portées devant la Cour (paragraphe 1 de l’article 35 du Statut) et que la Cour est
incompétente et ne peut, même si elle le pouvait, exercer sa compétence à l’égard de ces
organisations sans leur consentement. Dans des affaires contentieuses ne mettant pas en cause des
organisations internationales, la situation n’est pas différente de celle qui a cours dans le cas d’Etats
à l’égard desquels la Cour peut en principe exercer sa compétence lorsque les Etats en cause
n’ont pas donné leur consentement à sa juridiction.
7.2.15. Citons ici le passage suivant de l’arrêt rendu par la Cour dans l’affaire du Timor
oriental (Portugal c. Australie), C.I.J. Recueil 1995, p. 15, par. 26 :
«La Cour rappellera à cet égard que l’un des principes fondamentaux de son
Statut est qu’elle ne peut trancher un différend entre des Etats sans que ceux-ci aient
consenti à sa juridiction. Ce principe a été réaffirmé dans l’arrêt rendu par la Cour en
l’affaire de l’Or monétaire pris à Rome en 1943, puis confirmé dans plusieurs de ses
décisions ultérieures (voir Plateau continental (Jamahiriya arabe libyenne/Malte),
requête à fin d’intervention, arrêt, C.I.J. Recueil 1984, p. 25, par. 40; Activités
militaires et paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci (Nicaragua c. Etats-Unis
d’Amérique), compétence et recevabilité, arrêt, C.I.J. Recueil 1984, p. 431, par. 88;
Différend frontalier (Burkina Faso/République du Mali), arrêt, C.I.J. Recueil 1986,
p. 579, par. 49; Différend frontalier terrestre, insulaire et maritime (El
Salvador/Honduras), requête à fin d’intervention, arrêt, C.I.J. Recueil 1990,
p. 114-116, par. 54-56, et p. 122, par. 73, et Certaines terres à phosphates à Nauru
(Nauru c. Australie), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 1992, p. 259-262,
par. 50-55).»
7.2.16. Ce principe s’applique même, selon la Cour, aux Etats qui ne sont pas parties à des
affaires dont elle est saisie. Par exemple, dans son arrêt du 15 juin 1954 dans l’affaire de l’Or
monétaire pris à Rome en 1943, arrêt, C.I.J. Recueil 1954, la Cour, après avoir relevé que seuls la
France, l’Italie, le Royaume-Uni et les Pays-Bas étaient parties à l’instance, est parvenue à la
conclusion suivante :
«Statuer sur la responsabilité internationale de l’Albanie sans son consentement
serait agir à l’encontre d’un principe de droit international bien établi et incorporé
dans le Statut, à savoir que la Cour ne peut exercer sa juridiction à l’égard d’un Etat si
ce n’est avec le consentement de ce dernier.» (Ibid., p. 32.)
Après avoir relevé que l’Albanie avait choisi de ne pas intervenir, la Cour a déclaré :
«En l’espèce, les intérêts juridiques de l’Albanie seraient non seulement touchés
par une décision, mais constitueraient l’objet même de ladite décision. En pareil cas,
le Statut ne peut être considéré comme autorisant implicitement la continuation de la
procédure en l’absence de l’Albanie.» (Ibid.)
7.2.17. Il est clair que dans la présente affaire qui porte sur la participation des Pays-Bas à
une action d’une organisation internationale ou à une action commune ou collective d’un groupe
d’Etats, dans laquelle, selon la RFY, «le fond du différend est identique dans toutes les affaires» et - 41 -
«tous les défendeurs font cause commune» (mémoire, Introduction, par. 11), les intérêts juridiques
de tous les Etats participant à cette action «seraient non seulement touchés par une décision [de la
Cour], mais constitueraient l’objet même de la décision» (les italiques sont du défendeur).
7.2.18. Il ressort amplement de l’instance introduite en l’espèce devant la Cour, que ce soit à
son stade actuel ou au stade antérieur de la demande en indication de mesures conservatoires
présentée par la RFY, qu’aucun des Etats attraits par celle-ci devant la Cour n’a reconnu la
compétence de la Cour en l’espèce ni ne veut qu’elle s’en saisisse. Dans son ordonnance du
2 juin 1999 faisant suite à la demande en indication de mesures conservatoires présentée par la
République fédérale de Yougoslavie, la Cour a d’ailleurs reconnu définitivement son incompétence
à l’égard de l’Espagne et des Etats-Unis d’Amérique et a conclu, à l’égard des autres Etats attraits
devant elle, qu’elle n’avait pas compétence prima facie. Il faut en outre tenir compte du fait que les
huit Etats qui sont actuellement poursuivis devant la Cour continuent de contester sa compétence
pour connaître de la présente affaire.
7.2.19. Au cas où elle se déclarerait compétente pour connaître de la présente affaire
vis-à-vis des Pays-Bas, mais non vis-à-vis des autres (ou de la plupart des autres) défendeurs et
entreprendrait l’examen au fond de celle-ci, la Cour se trouverait manifestement devant une
situation où non seulement les intérêts juridiques de l’ensemble ou de la plupart des autres Etats
participant à l’action en cause seraient touchés par la décision, mais constitueraient l’objet même
de ladite décision.
7.2.20. Ce qui reviendrait pour la Cour, après avoir expressément décidé qu’elle n’avait pas
compétence à l’égard de ces autres Etats qui ont expressément fait connaître dans l’instance dont
elle est saisie leur volonté de ne pas voir leurs actions jugées par elle, d’entreprendre effectivement
néanmoins de se prononcer sur l’instance introduite à leur encontre.
7.2.21. La situation en l’espèce diffère nettement de celle que l’on retrouve par exemple dans
l’affaire relative à Certaines terres à phosphates à Nauru (Nauru c. Australie), exceptions
préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 1992 (ci-après dénommée «l’affaire de Nauru»), dans laquelle
la Nouvelle-Zélande et le Royaume-Uni n’avaient pas été attraits devant la Cour.
7.2.22. Du point de vue des Etats intéressés, il importe peu que la Cour se prononce à leur
égard en tant que condition préalable à la prise d’une décision contre les Pays-Bas ou en tant que
conséquence inéluctable et logique de la décision prise contre les Pays-Bas en leur qualité de
participants à une action à laquelle ils ont eux-mêmes pris part. Dans les deux cas, la décision
rendue contre les Pays-Bas n’est pas, du fait de l’article 59 du Statut de la Cour, obligatoire pour
eux, mais la Cour se sera prononcée au fond sur le litige qui les concerne malgré leur volonté
expresse et bien que la Cour ait elle-même expressément reconnu au cours de l’instance dont elle
est saisie et à laquelle ils sont parties qu’elle n’avait pas compétence à leur égard. On ne saurait
guère imaginer exemple plus frappant de l’exercice effectif d’une compétence sur les Etats sans
leur consentement.
7.2.23. La présente instance introduite contre les Pays-Bas se distingue aussi à un autre titre
de l’affaire de Nauru mentionnée dans le mémoire. Dans cette affaire, la défenderesse, l’Australie,
jouait un rôle dominant alors que celui des Etats absents n’était que mineur ou accessoire.
L’administrateur de l’île avait été constamment désigné par l’Australie et était soumis par voie de
conséquence aux directives du gouvernement de celle-ci (affaire de Nauru, par. 43). Ses
«ordonnances, proclamations et règlements» étaient sujets à confirmation ou rejet par le - 42 -
gouverneur général de l’Australie. Les autres gouvernements (du Royaume-Uni et de la
Nouvelle-Zélande), conformément à l’accord du 2 juillet 1919, modifié le 30 mai 1923, n’avaient
reçu communication de ces décisions que pour information (affaire de Nauru, par. 43). Le système
d’administration qui avait été celui de Nauru à l’époque de la Société des Nations avait été pour
l’essentiel maintenu lorsque le mandat fut remplacé par la tutelle. Sous le régime ainsi établi, les
accords du 2 juillet 1919 et du 30 mai 1923 sont demeurés en vigueur et l’administrateur a continué
à être désigné par l’Australie. Le nouvel accord du 26 novembre 1965 prévoyait en outre que
«l’administration du Territoire» serait confiée «à un administrateur nommé par le Gouvernement
du Commonwealth d’Australie» (article 3). Cet accord stipulait que l’administrateur, le gouverneur
général de l’Australie et le Parlement australien disposeraient de certaines compétences.
L’Australie prit des mesures appropriées, de caractère législatif et autre, afin de donner effet à
l’accord intervenu pour mettre en place ces nouveaux arrangements. Lesdits arrangements sont
restés en vigueur jusqu’à l’indépendance de Nauru (affaire de Nauru, par. 45-46). La Cour était
dès lors fondée à conclure que parmi les trois Etats en cause, c’est-à-dire le Royaume-Uni, la
Nouvelle-Zélande et l’Australie, «l’Australie jouait un rôle tout particulier consacré par l’accord de
tutelle de 1947 et les accords de 1919, 1923 et 1965, ainsi que par la pratique» (affaire de Nauru,
par. 47).
7.2.24. Les Pays-Bas soutiennent que les faits de l’espèce diffèrent considérablement de ceux
dont la Cour était saisie dans l’affaire de Nauru en ce que, loin de jouer un rôle dominant comme
l’Australie dans cette affaire, les Pays-Bas n’ont en l’espèce joué qu’un rôle relativement mineur
dans l’intervention de l’OTAN, la force aérienne néerlandaise n’ayant réalisé en effet que cinq pour
cent environ de toutes les sorties effectuées dans le cadre de l’opération «Force alliée»
(annexe 7.10). La plupart des participants à cette opération et surtout ceux qui y ont joué un rôle
dominant ne seront probablement pas devant la Cour.
7.2.25. Les Pays-Bas concluent par conséquent à l’irrecevabilité des demandes et
conclusions de la RFY en ce qu’un arrêt rendu en l’espèce à leur égard constituerait nécessairement
une décision dans un différend opposant la RFY à d’autres entités ou Etats non attraits devant la
Cour.
7.2.26. Un autre aspect de la situation en cause devrait retenir l’attention de la Cour. Du fait
de l’absence dans le prétoire de la plupart des participants à l’opération «Force alliée» et du moins
des principaux de ceux-ci, la Cour éprouvera de grandes difficultés, en raison du manque de
coopération de ceux-ci, à réunir les documents, moyens de preuve et autres éléments d’information
dont elle a besoin pour lui permettre d’aboutir à une conclusion judiciairement fondée sur la
consistance réelle de l’opération «Force alliée», sur son objectif véritable ainsi que sur la
participation relative des Pays-Bas à cette intervention. Les Pays-Bas seraient à leur tour
désavantagés plus qu’il ne faut pour se défendre en l’absence devant la Cour de la plupart des
participants à l’opération «Force alliée» et, en tout état de cause, des principaux participants à
celle-ci. Il y a lieu de considérer que les mêmes arguments s’appliquent mutatis mutandis aux
actions entreprises dans le cadre de la KFOR et à la participation des Pays-Bas à celles-ci. - 43 -
7.3. La demande de la RFY fondée sur des prétendus manquements aux obligations
imposées par la résolution 1244 du Conseil de sécurité et par la convention de 1948 sur
le génocide relatives aux meurtres, aux coups et blessures et aux mesures d’expulsion
dont ont été victimes des Serbes et des membres d’autres groupes non albanais au
Kosovo-Metohija après le 10 juin 1999 est irrecevable parce qu’il s’agit d’une nouvelle
demande modifiant l’objet du différend initialement soumis à la Cour dans la requête
7.3.1. Les Pays-Bas se reportent au paragraphe 3.2.11 du mémoire de la Yougoslavie qui est
ainsi rédigé :
«Depuis que la Cour a rendu ses ordonnances le 2 juin 1999, le différend s’est
aggravé et étendu. Il s’est enrichi de nouveaux éléments en raison de l’inobservation
par les défendeurs de leurs obligations au titre de la résolution 1244 du Conseil de
sécurité et de la convention de 1948 pour la prévention et la répression du crime de
génocide. Ces nouveaux éléments ont trait aux meurtres, aux coups et blessures et aux
mesures d’expulsion dont ont été victimes des Serbes et des membres d’autres groupes
non albanais au Kosovo-Metohija.»
et à la conclusion correspondante de la RFY dans la quatrième partie de son mémoire qui, avec la
phrase introductive, se lit comme suit :
«Le Gouvernement de la République fédérale de Yougoslavie prie la Cour
internationale de Justice de dire et juger :
qu’en s’abstenant d’empêcher les meurtres, les coups et blessures ou le nettoyage
ethnique dont ont été victimes des Serbes et des membres d’autres groupes non
albanais au Kosovo-Metohija, le défendeur a agi contre la République fédérale de
Yougoslavie en violation de son obligation d’assurer l’ordre et la sécurité publics
dans cette province, ainsi que d’empêcher le génocide et les autres actes énumérés
à l’article III de la convention sur le génocide»
7.3.2. Les Pays-Bas font valoir que la demande susvisée présentée par la RFY sur le
fondement de prétendus manquements des Pays-Bas aux obligations imposées par la
résolution 1244 du Conseil de sécurité et la convention sur le génocide de 1948 relatives aux
meurtres, aux coups et blessures et aux mesures d’expulsion dont ont été victimes des Serbes et des
membres d’autres groupes non albanais au Kosovo-Metohija après le 10 juin 1999 (ci-après
appelés les «événements ou manquements postérieurs au 10 juin 1999») est irrecevable.
7.3.3. La RFY s’est certes réservée dans sa requête le droit de modifier celle-ci mais les
Pays-Bas soutiennent que ce droit n’est pas illimité. Ce droit de modification ne peut notamment
avoir pour conséquence de transformer le différend dont la Cour est saisie par la voie de la requête
en un autre différend dont le caractère ne serait pas le même. La Cour a réaffirmé cette contrainte
en des termes dépourvus d’équivoque dans l’affaire relative à Certaines terres à phosphates à
Nauru (Nauru c. Australie), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 1992, p. 240 :
«69. Le paragraphe 1 de l’article 40 du Statut de la Cour stipule que l’«objet du
différend» doit être indiqué dans la requête, et le paragraphe 2 de l’article 38 du
Règlement de la Cour requiert que la «nature précise de la demande» soit indiquée
dans la requête. Ces dispositions sont tellement essentielles au regard de la sécurité
juridique et de la bonne administration de la justice qu’elles figuraient déjà, en
substance, dans le texte du Statut de la Cour permanente de Justice internationale - 44 -
adopté en 1920 (art. 40, premier alinéa) et dans le texte du premier Règlement de cette
Cour adopté en 1922 (art. 35, deuxième alinéa), respectivement. La Cour permanente
a, à plusieurs reprises, eu l’occasion de préciser la portée de ces textes. Ainsi, dans
son ordonnance du 4 février 1933, rendue en l’affaire relative à l’Administration du
prince von Pless (exception préliminaire), elle a affirmé :
«qu’aux termes de l’article 40 du Statut, c’est la requête qui indique l’objet du
différend … [et] que le mémoire, tout en pouvant éclaircir les termes de la requête, ne
pout pas dépasser les limites de la demande qu’elle contient…» (C.P.J.I. série A/B
n 52, p. 14).
La même Cour a déclaré, dans l’affaire de la Société commerciale de Belgique :
«Il y a lieu d’observer que la faculté laissée aux parties de modifier leurs
conclusions jusqu’à la fin de la procédure orale doit être comprise d’une manière
raisonnable et sans porter atteinte à l’article 40 du Statut et à l’article 32, alinéa 2, du
Règlement, qui disposent que la requête doit indiquer l’objet du différend … il est
évident que la Cour ne saurait admettre, en principe, qu’un différend porté devant elle
par requête puisse être transformé, par voie de modifications apportées aux
conclusions, en un autre différend dont le caractère ne serait pas le même. Une
semblable pratique serait de nature à porter préjudice aux Etats tiers qui,
conformément à l’article 40, alinéa 2, du Statut, doivent recevoir communication de
toute requête afin qu’ils puissent se prévaloir duodroit d’intervention prévu par les
articles 62 et 63 du Statut.» (C.P.J.I. série A/B n78, p. 173; cf. Activités militaires et
paramilitaires du Nicaragua et contre celui-ci (Nicaragua c. Etats-Unis d’Amérique),
compétence et recevabilité, C.I.J. Recueil 1984, p. 427, par. 80.)
7.3.4. Au vu de ce qui précède, la Cour a conclu que la demande nauruane relative aux biens
d’outre-mer des British Phosphate Commissioners était irrecevable au motif qu’elle constituait une
demande tant formellement que matériellement nouvelle et que l’objet du différend qui lui avait
originellement été soumis se trouverait transformé si elle accueillait cette demande.
7.3.5. Il convient aussi de tenir compte à cet égard du point de vue exprimé par la Cour au
paragraphe 67 de son arrêt dans l’affaire précitée :
«67. La Cour est toutefois d’avis que, pour que la demande relative aux avoirs
d’outre-mer des British Phosphate Commissioners puisse être tenue pour incluse
matériellement dans la demande originelle, il ne saurait suffire que des liens de nature
générale existent entre ces demandes. Il convient que la demande additionnelle soit
implicitement contenue dans la requête (Temple de Préah Vihéar, fond, C.I.J.
Recueil 1962, p. 36) ou découle «directement de la question qui fait l’objet de cette
requête.» (Compétence en matière de pêcheries (République fédérale d’Allemagne
c. Islande), fond, C.I.J. Recueil 1974, p. 203, par. 72.)
7.3.6. Il est clair que les «nouveaux éléments» concernant les prétendus événements ou
manquements postérieurs au 10 juin 1999, introduits sans modification formelle de la requête dans
le mémoire de la Yougoslavie (par. 3.2.11 et suiv. ainsi que dans la nouvelle conclusion ajoutée
dans la quatrième partie du mémoire) diffèrent considérablement du différend porté devant la Cour
par la requête. Alors que les Pays-Bas sont accusés dans celle-ci d’avoir recouru à «l’emploi de la
force contre la République fédérale de Yougoslavie en prenant part au bombardement de cibles
dans la République fédérale de Yougoslavie», ils sont accusés dans le mémoire après que les
bombardements eurent cessé d’avoir, en tant que participant à la KFOR, après le 10 juin 1999, - 45 -
«agi contre la République fédérale de Yougoslavie en violation des obligations [que lui impose la
résolution 1244 du Conseil de sécurité] d’assurer l’ordre et la sécurité publics au Kosovo-Metohija
et d’empêcher le génocide et les autres actes énumérés à l’article III de la convention sur le
génocide». La requête vise elle l’emploi de la force contre la RFY alors que les nouvelles
demandes portent sur le prétendu défaut de maintenir l’ordre public au Kosovo après qu’il a été mis
fin à cet emploi de la force contre la RFY.
7.3.7. Les Pays-Bas soutiennent que la nature, le fondement et le contexte de la demande et
par voie de conséquence également le différend décrit dans la requête diffèrent considérablement
de la nature, du fondement et du contexte de la demande figurant dans la nouvelle conclusion
ajoutée dans le mémoire de la Yougoslavie concernant les prétendus événements ou manquements
postérieurs au 10 juin 1999. On peine à voir comment cette nouvelle demande aurait pu être tenue
pour incluse matériellement dans la demande originelle (voir le critère indiqué par la Cour dans
l’affaire susmentionnée relative à Certaines terres à phosphates à Nauru, exceptions préliminaires)
puisqu’il ne saurait suffire que des liens de nature générale existent entre ces demandes. On peine
tout autant à voir comment cette demande additionnelle aurait pu être considérée comme étant
implicitement contenue dans la requête (critère également énoncé par la Cour dans l’affaire
susmentionnée du Temple de Préah Vihéar, fond) ou aurait pu être considérée comme découlant
directement de la question qui fait l’objet de la requête (critère également mentionné par la Cour
dans l’affaire susmentionnée de la Compétence en matière de pêcheries (République fédérale
d’Allemagne c. Islande), fond).
7.3.8. Partant, les Pays-Bas estiment que la demande de la RFY fondée sur les prétendus
manquements aux obligations imposées par la résolution 1244 du Conseil de sécurité et la
convention sur le génocide de 1948, relative aux meurtres, aux coups et blessures et aux mesures
d’expulsion dont ont été victimes des Serbes et des membres d’autres groupes non albanais au
Kosovo-Metohija après le 10 juin 1999 est irrecevable motif pris de ce qu’il s’agit d’une nouvelle
demande transformant l’objet du différend originellement soumis à la Cour dans la requête.
8.C ONCLUSIONS
Pour les motifs exposés ci-dessus, les Pays-Bas prient la Cour de dire et juger :
que la RFY n’est pas admise à ester en justice devant la Cour,
que la Cour n’a pas compétence pour connaître des demandes présentées par la RFY à
l’encontre des Pays-Bas,
et / ou
que les demandes présentées par la RFY contre les Pays-Bas sont irrecevables.
La Haye, le 3 juillet 2000.
L’agent du Royaume des Pays-Bas,
(Signé) Johan J. LAMMERS .
___________
Exceptions préliminaires du Royaume des Pays-Bas