Mémoire du Gouvernement de la République de Bosnie-Herzégovine

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8616
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COUR INTERNATIONALE DE JUSTICE

AFFAIRERELATIVEÀ L'APPLICATIONDE LA CONVENTIONPOUR
LA P&VENTION ET LA &PRESSION DU CRIME DE GÉNOCIDE

(BOSNIE-HERZÉGOVINEc. YOUGOSLAVIE (SERBIE EMONTÉNÉGRO))

15 AVRIL 1994PREMIÈRE PARTIE . INTRODUCTION ................................. 1

CHAPITRE 1.1. LESQIJESTIONS JURIDIQUES EN JEU SONT D'UNE
IMPORTANCE ESSENTIELLE .................................... 1

CHAPITRE 1.2. P~Écrso~s LA QUESTION ............................ 4

CHAPITRE 1.3. LES FAITS ILLICITES ALLÉGUÉS ....................... 5

DEUXIÈME PARTIE .LES FAITS ..................................... 9

CHAPITRE 2.1. INTRODUCTION ................................... 9

CHAPITRE 2.2. LES ACTES QUI BOULEVERSENT LA CONSCIENCE HUMAINE .... 14

Section 2.2.1L'utilisation de camps de concentration................ 14

a) Prijedor ((3marsk- Bosnie septentrionale................. 14

b)Prijedor (Keraterm. Bosnie septentrionale................. 20

c) Brcko (Luka. nord-est de la Bosnie)..................... 21

Section 2.2.2Les meurtres ................................... 23

Section 2.2.3.Les tortures ................................... 27

Section 2.2.4.Les viols ...................................... 30

Section 2.2.5.L'expulsion des populations et la destruction de leurs bi.ns4

Section 2.2.6.La création de conditions de vie destructric........... 38

CHAPITRE 2.3. LE CONTEXTE DES ACTES INVOQUES .................... 41

Section 23.1. L'idéologiede la Grande Serbie ..................... 41

Section 2.3.2.La guerre en Slovénieet en Croatie .................. 42

Section 2.3.3.L'armée populaire yougoslave ...................... 43

Section 2.3.4.Le plan RAM .................................. 44

Section 2.3.5.La guerre en Bosnie-Herzégovine .................... 47 Section 2.3.6. La présence continue de la JNA dans la République de
Bosnie-Herzégovine .................................... 50

Section 2.3.7. L'engagement continu de la Yougoslavie........... 52

Section 2.3.8. Confirmations publiques par la Yougoslavie (Serbie et
Monténégro)de son engagement dans le conflit............... 54

Section 2.3.9. Conclusion................................... 59

TROISIÈME PARTIE .DES ORGANISMES INTERNATIONAUX DIGNES
DE FOI CONFIRMENT L'EXÉCUTION D'UNECAMPAGNE DE
GÉNOCIDE PAR LA RÉPUBLIQUE FÉDÉRATTVE DE
YOUGOSLAVIE (SERBIE ET MONTÉNÉGRO) ....................... 61

CHAPITRE 3.1 .LA PERTINENCE JURIDIQUE DES DÉCLARATIONS
DES ORGANES DES NATIONS UNIES .............................. 61

CHAPITRE 3.2 .LE CONSEIL DE SÉCURITÉ DE L'ORGANISATION
DESNATIONS UNIES ......................................... 63

CHAPITRE 3.3 .CONFIRMATIO NAR D'AUTRES ORGANES FAISANT ALJTORITE
DU GÉNOCIDE CONSTITUE PAR LES ACTES COMMIS ................... 70

Section 3.3.1. La convention sur le génocides'appliquefacieen
l'espèce............................................. 70

Section 3.3.2. L'Assembléegénéraledes Nations Uni............... 70

Section 3.3.3. La Commission des droits de I'homme de l'ONU et sa
Sous-Commission ...................................... 73

Section 3.3.4. Le rapporteur spécialsur les droits de I'homme dans
l'ex-Yougoslavie...................................... 75

Section 3.3.5. La commission d'experts de l'organisation des
Nations Unies......................................... 76

Section 3.3.6. La conférence mondiale de Vienne sur les droits de
l'homme ............................................. 77

Section 3.3.7. Le comitédes droits de l'ho..................... 77

Section 3.3.8. Le comitépour l'éliminationde la discrimination r...al78

CHAPITRE 3.4 .CONCLUSION INTERI~IAIRE........................... 79

QUATRIEME PARTIE .COMPETENCE ET RECEVABILITE ................ 81

CHAPITRE 4.1. INTRODUCTIOX .................................... 81 .......................... 84
CHAPITRE 4.2 -COMP~TENCE DE LA COUR

SectigénocideLa............................................n sur le 84

Le statut international de la Bosnie-Herzégovin............... 84

a) L'allégation d'absende statut dfEtatde la Bosnie-Herzégovin... 84

b) La prétendue«illégitimitéd)u Gouvernementde la
Busnie.-Herzégvine ................................ 86

La Bosnie-Herzégovine a succédéa la RSFY en tant que partie à la
convention pour la prévention et la répression du crime de
génocide ........................................ 88

La Bosnie-Herzégovine est un Etat successeur................. 89

La Bosnie-Herzégovine est partieà la convention sur le génocid... 91

Section4.2.2.La Yougoslavie (Serbie et Monténégro) estliéepar la
convention sur le génocide ............................... 95

La Yougoslavie (Serbie et Monténégro) a acceptéla compétence de
la Cour sur la base de l'artiIXede la convention sur le
génocide ........................................ 95

La Yougoslavie (Serbie et Monténégro) a succédéà la RSFY a
l'égardde la convention sur le génocide................ 97

La Yougoslavie (Serbie et Monténégro) estun Etat successeur
de la KSFY ...................................... 98

La Yougoslavie (Serbie et Monténégro)est partie a la convention
sur le génocide ................................... 99

La Yougoslavie (Serbie et Monténégro) est liéepar la convention
sur le génocide en tant que successeur de I'ex-RSF........ 100

La Yougoslavie (Serbie et Monténégro)serait également
liéepar la convention sur le génocidesi elle était
considéréecomme un Etat «continuateur» de
I'ex-RSFY ....................................... 101

Section 4.2.3.La situation de la Yougoslavie (Serbie et Monténégro)au
regard du Statut de la Cour .............................. 102

La qualité de partie au Statut n'est pas pertinente au
regard de l'articIX de la convention sur le
génocide ........................................ 103 La Yougoslavie (Serbie et Monténégro) est en tout état
de cause partie au Statut de la Cour ................... 104

Section 4.2.4.La portée de la compétence ratione rnateriaede la Cour.... 107

Section 4.3.1.Les activitésd'autres organes de l'organisation des
Nations Unies sont sans intérêtaucun en l'espèce............... 112

Section 4.3.2.Le caractère prétendument «interne» du différend ........ 113

CHAPITRE 4.4 .CONCLUSIONS .................................... 115

cINQuIÈME PARTIE . LES ACTES PERPÉTRÉS CONSTITUENT UN
GÉNOCIDE ET LES ACTES COROLLAIRES DE CELUI-CI .............
117

CHAPITRE 5.1 .LES ANTÉCÉDENTS ET L'ESPRIT DE LA CONVENTION ......... 117

Section 5.1.1.Un crime du droit des gens ......................... 117

Section 5.1.2.Buts et principes de la convention sur le génocide....... 118

CHAPITRE 5.2 .LA PORTÉE DE LA CONVENTION ....................... 120

Section 5.2.1.Les crimes interdits par la convention d1948 .......... 120

Section 5.2.2.Ceux à qui les auteurs de la convention entendaient faire
porter la responsabilité................................. 122

Section 5.2.3.Les obligations que la convention metà la charge des Etats
parties ............................................ 124

CHAPITRE 5.3. LES PREUVES ET LES INFERENCES : LES MODES DE PRECJVE
PRÉVUS PAR LA CONVENTION .................................. 127

Section 5.3.1.Les faits et le droit............................. 127

Section 5.3.2.Action civile ou pénal? ........................... 127

Section 53.3. La charge de la preuve et les présomptions dans les actions
civiles ............................................. 129

Section 5.3.4.Le critère requis:l'intention de «détruire. en tout ou en
partie» .............................................. 132

Section 5.3.5.Commen.........................................ntion» faite
à l'article ?I 134 CHAPITRE 5.4 .LES ACTES PROHIBES AUTRES QUE LES ACTES DE GENOCIDE .. 139

Section5.4.1.L'entente en vue de commettre le génocide ............. 139

Section5.4.2.L'incitationà commettre le génocide .................. 139

Section5.4.3.La tentative de génocide ........................... 140

Section5.4.4.La complicitédans le génocide ...................... 140

CHAPITRE 5.5 .DEVELOPPE~IEN TROGRESSIF DE LA D~FINITION ET DE
L'INTERDICTION DLI GÉNOCIDE ................................. 142

Section5.5.1.Evolution avant ['entréeen vigueur de la convention sur le
génocide ............................................ 142

Section5.5.2.Définitionsupplémentaire du génocide :celle du projet
d'articles de la CD1 sur la responsabilité des Eta.............. 142

Section5.5.3.Définitionsupplémentaire du génocide :celle de la
convention sur l'imprescriptibilité des crimes de guerre et des
crimes contre l'humanité ................................ 143

Section 5.5.4.Définitionsupplémentaire du génocide :celle du projet de
code des crimes contre.la paix et la sécuritéde l'humanité, de la
CD1 ................................................ 143

Section5.5.5.Définitionsupplémentaire du génocide :celle du projet de
statut de la CD1 pour une cour criminelle internationale.........
143

Section 5.5.6.Définitionsupplémentaire du génocide :le Tribunal pénal
international pour l'ex-Yougoslavie......................... 144

SIXIÈME PARTIE . LE GENOCIDE ET SES ACTES COROLLAIRES SONT
IMPUTABLES À LA YOUGOSLAVIE (SERBIE ET MONTENEGRO) ...... 147

CHAPITRE 6.1 .INTROD~JCTION ................................... 147

CHAPITRE 6.2 .LES ORGANES DE LA YOUGOSLAC'(IS EERBIE ET
MONTENEGRO )NT COhlhllS DES ACTES DE GENOCIDE ............... 149

Section 6.2.1.Rappel des faits pertinents......................... 149

Avant mai 1992 ....................................... 149

Après mai 1992 ....................................... 150 Section6.2.2.La reconnaissance de ces faits par la communauté
internationale........................................ 151

Au sein de l'organisation des Nations Unies................. 151

En dehors de l'organisation des Nations Unies................ 153

Section6.2.3.Conséquences juridiques ........................... 154

CHAPITRE 6.3.LES AGENTS. AUXILIAIRES ET AUTRES PERSONNES AGISSANT
AU NOM DE LA YOUGOSLAVI OENT PARTICIPÉ À LA COMMISSION DU
GÉNOCIDE ................................................ 156

Section6.3.1.Le droit applicable............................... 156

.........................
Section6.3.2.Rappel des faits pertinents 157

Le comportement de la soi-disant dtépublique Srpska)) engage la
responsabilité de la Yougoslavie (Serbie et Monténégro).... 159

Section6.3.3.Les conséquences juridiques ........................ 159

CHAPITRE 6.4.LA YOUGOSLAV(IS EERBIE ET MONTÉNÉGRO A)AIDÉ ET
ENCOURAGE DES GROUPES ET DES INDIVIDUS À COMMEITRE DES ACTES
DEGÉNOCIDE ............................................. 162

Section6.4.1.Le droit applicable............................... 163

Section6.4.2.Rappel des faits pertinents........................ 164

Section6.4.3.Reconnaissance de ces faits par la communauté
internationale........................................ 166

Section6.4.4.La reconnaissance de ces faits par la Yougoslavie (Serbie et
Monténégro)elle-même ................................. 168

Section6.4.5.Les conséquences juridiques ........................ 169

CHAPITRE 6.5.LE MANQUEhlENT DE LA YOUGOSLAVI(E SERBIE ET
MONTÉNÉGRO ) SON OBLIGATION DE PREVENIR LE GENOCIDE
ET D'EN PUNIR LES AUTEURS .................................. 170

Section6.5.1.Le droit applicable............................... 170

Section6.5.2.L'abstention de la Yougoslavie (Serbie et Monténégro)en
matière de prévention et de répressio...................... 170

CHAPITRE 6.6 .CONCLI~SION ..................................... 175

SEPTIEME PARTIE . CONCLUSIONS .................................. 177 JNTRODUCTION

CHAPITRE 1.1

LES QUESTIONS JURIDIQUES EN JEU SONT D'UNE IMPORTANCE ESSENTIELLE

1.1.O.]. Par requête déposéa eu Greffe de la Cour le 20 mars 1993, la Républiquede
Bosnie-Herzégovinea introduitiineinstance contrelaRépubliquefédérativd eeYougoslavie(Serbie
et Monténégro),invoquant la compétencede la Cour par référence à I'articleIX de la convention
pour la préventionet la répressiondu crime de génocide adoptée par l'Assemblée générald ees
Nations Unies le 9 décembre1948(entréeen vigueur le 12janvier 1961,Nations Unies, Recueil

des traités,ol. 78, p. 277).

1.1.0.2. Dans sa requête,la Bosnie-Herzégovinea exposéce qu'elle considère comme les
élémentsde la cause, pour laquelleelle a demandédes mesures conservatoires (Application de la
Conventionpour la préventionet la répressiondu crime de génocide,demande en indication de
mesuresconservatoires. ordonnancedu 8 avril 1993, C.I.J.Recueil 1993, p. 3; ibid., ordonnance
du 13 septembre 1993, C.I.J.R(ecuei11993, p. 325).

1.1.0.3. Dans sa requêtedu 20 mars 1993,la Bosnie-Herzégovine a affirméce qui suit :

«Depuis la fin de la seconde guerre mondiale et les révélationsdes horreurs de
la c(so1utionfinale)) de l'Allemagne nazie, l'Europe n'avait pas ététémoin de
l'anéantissement total d'un peuple poulra seule raison qu'ilappartientà un groupe
national, ethnique, racial ou religieux donné, commetel. Lescrimes abominables qui
ont lieu actuellement dans la République deBosnie-Herzégovinene peuvent être

désignésque par un seul nom :génocide.))

Le demandeur a élevéune mise en garde contre <(ladestruction du peuple bosniaque))et a déclaré
que «Le peuple et I'Etatde Bosnie-Herzégovineont souffert et souffrent actuellement des effets du
génocidequi leurest imposépar laYougoslavie(Serbieet Monténégro).)) (Requête,20 mars 1993,
p. 3.) Cela demeure l'essentiel etla substance de l'affairetelle que présentéeà la Cour par le
demandeur.

1.1.0.4.La Cour, par ordonnance du 8 avril 1993,a indiquédes mesures conservatoires qui
devaient êtreprises par la Républiquefédérativede Yougoslavie (Serbie et Monténégro)pour
empêcheret arrêterles actes de génocide : or ces actes n'ont pas cessé. L'ordonnance du
8 avril 1993 indiquait que:

«Le Gouvernement de la République fédérative de Yougoslavie (Serbie et
Monténégro)doit immédiatement,conformément à l'engagement qu'ila assuméaux
termes de la convention pour la prévention etla répressiondu crime de génocidedu

9 décembre1948, prendre toutes les mesures en son pouvoir afin de prévenir la
commission du crime de génocide.)) (Op. cit., par. 52.)

Mais ces mesures n'ont pasétéprises. 1.1.OS. Bien que la Cour, dans cette mêmeordonnance, ait aussi indiqué que

«Le Gouvernement de la République fédérativede Yougoslavie (Serbie et
Monténégro)doit en particulier veiller à ce qu'aucune des unités militaires,
paramilitaires, ou unitésirrégulièrsuipourraient relever desonautoritéou bénéficier
de son appui, ni aucune organisation ou personne qui pourrait se trouver sous son
pouvoir, son autorité, ou son influence ne commettent le crime de génocide. ne
s'entendenten vue de commettre ce crime, n'incitentdirectement ou publiquement à
le commettre ou ne s'en rendent complices, qu'un tel crime soit dirigé contre la
population musulmane de Bosnie-Herzégovineou contre tout autre groupe national,
ethnique, racial ou religieux...))Ibid., par. 52.)

Ces actes, qui étaient commis à l'époque, continuentsans relâche, suscitant I'horreurdu monde
entier.

1.1.0.6. Une deuxième demandeen indication de mesures conservatoires a étédéposéepar
le demandeur au Greffe de la Cour le 27 juillet 1993. Par ordonnance du 13 septembre 1993, la
Cour a réaffirméet renforcéles indicationsde ces mesures conservatoires (op. cit., par. 61), mais
ellesont continué àêtrebafouées parle Gouvernement de la RépubliquefédérativedeYougoslavie
(Serbie et Monténégro) etpar des individus et des organisations qui relèventde la responsabilité

juridique de ce gouvernement.

1.1.0.7. La Bosnie-Herzégovine présente donc aujourd'husion mémoire à la Cour dans des
circonstances tout aussi épouvantablesque celles qui ont provoqué sarequêtedu 20 mars 1993.
L'exposédes faits au chapitre 2 démontrerala politique continue et inchangée de génocidedans
laquelle s'est engagéela Républiquefédérative de Yougoslavie (Serbieet Monténégro) et dont elle
n'aété dissuadén ei par l'opinion publique mondiale,ni par les rapports horrifiants d'observateurs
impartiaux, ni par les majorités écrasantesqui ont donnéleur soutien aux résolutionsdesorganes

principaux et subsidiaires de l'organisation des Nations Unies, ni mêmepar deux ordonnances de
la Cour.

1.1.0.8. C'est avec un sentiment de désespoir,par trop fondé,que la Bosnie-Herzégovine
revient une fois de plus la barre de la Cour pour plaider sa cause et obtenir secourset réparation.
Mais à ce désespoir se mêletout de mêmede l'espoir, car il est clair maintenant que la Cour
elle-même,ainsi que les partiesà cette affaire, se tiennent devant le tribunal de l'histoire. La Cour
est appelée à remplir une mission historique. C'est, pour la juridiction mondiale, la première

occasion de donnervie au texte noir de laconvention sur legénocideet de le brandir, comme c'était
prévu, pour repousserles marées d'inhumanité qui remontent et dont on croyait récemmentencore,
qu'elless'étaientretiréespour toujours. Ce procèsne peut avoir qu'unaspect rédempteur. Ilest du
pouvoir de la Cour de faire sortir la convention sur le génocide de l'abstraction poussiéreudes
bibliothèquesde droit et des muséesdu souvenir pieux pour la brandir comme un bouclier efficace,
capablede protéger lesgénérationsprésenteset futures. En démontrantsans équivoqueque cette
convention revêt à l'époqueactuelle une signification puissante et témoigned'unevolontéévidente
et inébranlable,la Cour ne rendra pas la vie aux quelque deux cent mille à deux cent-cinquante
milleêtreshumains qui ontdéjàpéri; maiselle pourra contribuer à empêcherdenouveauxmeurtres,
aujourd'huiet à l'avenir.

1.1.0.9.Toute l'horreurdes deux annéesque nous venons de vivre est rendue par lesderniers
mots du poèmeque Matthew Arnold écriviten 1867, intitulé«La plage de Douvres)) : «Et nous sommes ici comme sur une plaine obscure,
Traverséedes bruits conf~isde combat et de fuite
Où des armées ignorantes s'affrontent dansla nuit.»

Mais ce qui fait le rôle exceptionnel de la Cour internationale de Justice, c'est qu'ellea l'autorité
morale et la compétencepour projeter, comme un signal, un faisceau de lumière assez éclatante
pour illuminer cette plaine obscure, révélerles ombres de ces coupables acteurs au milieu du
carnage qu'ils ont provoqué et montrer a toute l'humanité dignede ce nom l'étendarddu droit,
toujours dressé et souslequel tous peuvent encore s'abriter. CHAPITRE 1.2

P~Éciso~s LA QUESTION

1.2.0.1. LaCour a dit clairement dans son ordonnance du 13 septembre 1993 que «de très
vives souffrances ont été endurées et de lourdes pertes en vies humaines ont été subiespar la

population de Bosnie-Herzégovinedans descirconstancesqui bouleversent laconscience humaine))
(op. cir., p. 348, par. 52). Elle a pris acte de «la persistance de conflits sur le territoire de la
Bosnie-Herzégovineet la commission d'actes odieux au cours de ces conflits))(ibid., par. 53). La
Cour a aussi déclaré que les((actesodieux))qui ((bouleversentla conscience humaine)) sont de telle
nature qu'ilspeuvent «faire l'objet d'unarrêt dela Cour rendu dans l'exercicede sa compétenceen
vertu de I'articlede cette convention [sur legénocide]...))(ibid., p. 344, par. 39). Vu lanécessité
de rendre d'urgenceune décisionjudiciaire sur cettequestion essentielle, la Bosnie-Herzégovinea

décidé, dansses piècesde procédure,de s'attacher exclusivement aux questions qui découlent de
l'applicationde la convention. Elle s'efforcera ainsi d'aider la Cour en dégageant cet aspectdes
autres problèmesqui risqueraient d'obscurcir la tâche principale.

1.2.0.2.Enadoptant ce moded'exposition,laBosnie-Herzégovinen'abandonnenullementson
droit de faire valoir auprès des instancesappropriées toutes autres questionset moyensjuridiques
découlantdes événements survenusen ex-Yougoslavie. Cette mise en garde s'applique aussi à

plusieursquestionssoulevéesdanslesdemandesen indicationdemesuresconservatoiresantérieures.
Mais aux fins de la présenteaffaire, la Bosnie-Herzégovinesaisit avec empressementla possibilité
qui lui a été donnée de démontrer dfe açon convaincante à la Cour que les événementsqui font
I'objet du présentprocès constituent le génocide, l'entente en vue de commettre le génocide,
l'incitatioàcommettre legénocide,lacomplicitédanslegénocideet unmanquement à l'obligation
de prévenir et punir le génocide,ce qui constitue des violations des articles1,Il, et III de la
convention, sur lesquels la Cour a indéniablement compétencepar lejeu de l'article IX. CHAPITRE 1.3

LES FAITS ILLICITESALLEGUES

1.3.0.1. La Républiquefiidérativede Yougoslavie (Serbie et Monténégro) estliée parles
obligationsjuridiques internationales énoncédans la convention sur le génocide,du fait qu'elle
a spécifiquementacceptéles ob'ligationsqui incombaient antérieurementa Républiquesocialiste
fédérativede Yougoslavie (voirci-dessous,quatrièmepartie). Celaest en outreconfirmépar lefait
qu'elle a reconnu l'articleIX comme base de compétenceet que la République fédérativede
Yougoslavie (Serbieet Monténkgro)a formuléune demandereconventionnelledans la phase de la
présenteaffaire relative aux mesures conservatoires. Les actes qui constituent un génocidesont
énoncés à I'articleII de la convention sur le génocide.rticle premierconsacre l'obligation de
préveniret de punir le génocide. L'articleIII définit en outre des actes analogues qui sont
également interditsen vertu de la convention.e tels actes se sont produits et continuent de se
produire en dépitdu fait qu'ils sontexplicitement interdits en droit international. Cette violation
constitue la base de l'actionjudiciaire au fond intentéepar la Bosnie-Herzégovine.

1.3.0.2.Que ces actes de génocide aienteu lieu, avec entente, incitation et complicité, sera
démontré par des preuves convaincantes,comme ilconvientdans une instancecivile intentéecontre
un Etat devant la Cour en vertu de I'articleIX de la convention. Les travaux préparatoires de
I'article IXmontrent clairement que ses auteurs entendaient que cet article donne lieution
civile telle que celle qui est.roduiteci-après.

1.3.0.3. Du fait que la convention sur le génocide exige quesoit établieintention» de
commettre un génocide, cette intention sera également prouvée pardes moyens de preuve
convaincants. Toutefois, les autoritésétatiques,tout comme les personnes physiques, doivent être
présuméesavoir l'intentionde provoquer les conséquences naturelles deleurs actes, en particulier
. C-. 7 lorsque, de telles conséquence:^'étantdéjàproduites. ces actes sont alors répétés.Il n'est pas
nécessaire dedémontrer I'étatd'esprit de chacundes auteurs ayant perpétré chdes actes qu'on
peut prouver pour établirI'inteintionnécessaire.

1.3.0.4. La Bosnie-Herzégovinedémontrera que les actes barbares qui ont été commis
- meurtres, mutilations, viols.,tortures et déplacements forcésde personnen'étaientpas les
résultats aveugles des hasards de la guerre mais que des personnes déterminées ont été visées
précisémenten raison de leur appartenanceà un groupe ethnique ou religieux et que les attaques
contre ces groupes étaientprécisémentun moyen de parvenir àl'objectifconsistanà débarrasser
des zones entières de leur population musulmane.

1.3.0.5.La Bosnie-Herzigovine démontreraque si une certaine proportion de ces actes a été
commise par des Serbesbosniaques, un grand nombrede ces personnesou de ces groupesagissaient
sous l'autorité,la direction ou l'influenceet avec l'aidedes autoritésde la Républiqueféderative

Yougoslavie (Serbie etMonténégro) et que ces autoritéspeuvent être tenuespour responsables en
droit d'avoirtoléou apportéun appui ou encouragéces actesspécifiquementinterditsI'articleIII
de la convention. D'ailleurs,certaines, voire la plupart, des personnes qui sont désignéescomme
des Serbes bosniaques ont des origines qui ne sont nullement dans le territoire de la
Bosnie-Herzégovinemais elles sont entréesdans le conflit pour lutter pour une grande Serbie. 1.3.0.6. La Bosnie-Herzégovine démontrera aussi que d'autres actes de génocidont été
commis par des personnes et des groupes se trouvant directement sous lajuridiction ou l'autorité
de la République fédérative de Yougoslavie (Serbie et Monténégro). cette fin, les élémentsde
preuvepubliésou rapportéspar destémoins,des fonctionnairesou des représentantsd'organisations
'_ 3 intergouvernementaleset non gouvernementales ainsi que les récits et comptesrendus de médias
dignes de confiance seront présentéà la Cour.

1.3.0.7.Comme la plupart de ces événementsse sont produits au cours d'une période et dans
des sites de conflit militaire et paramilitaire intense, lesrèglesqui régissendes éléments
de preuve sont celles qui ont été établsar la Cour. En particulier, la Bosnie-Herzégovine se
fondera essentiellement sur les règles énoncées dans l'affairedu Détroitde Corfou (Détroit de
Corfou,fond, arrêt,C.I.J. Recueil 1949, p. 4) et dans l'affairedu Nicaragua (Activitésmilitaires et
paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci (Nicaragua c. Etats-Unisrique),fond, arrêt,
C.I.J. Recueil 1986,p. 14)pour guider son exposédes élémentse preuve lesplus fiablesainsi que
pour aviser la République fédérative de Yougoslavie (Serbie et Monténégo) son obligation de
produire toutes les preuves pertinentes qui seront directement accessiblesautorités.

1.3.0.8. La République fédérative de Yougoslavie (Serbie et Monténégro e)st liéepar
l'interdiction de commettre les actes de génocide énoncésrticleII de la convention, de même
que les actes qui s'yapparentent énumérés I'articleIII. Mais elle est égalementliéepar I'article
premier qui exigedes Etats qu'ilss'engag«àtpréveniretà punir))dans leurjuridiction, lesauteurs
de ces actes prohibés, que1'Etatou les organesde I'Etaty aient ou non participéou qu'ils aient aidé
ou non à les commettre. Or, il n'existeaucun rapport faisant étatde Serbes sous lajuridiction de
la Yougoslavie (Serbie et Monténégro)qui aient été déclarés coupablee sn vertu de la loi

yougoslave d'application interne des articlesI et III de la convention, malgré le nombre
extraordinairement élevé de cas dans lesquelsces actes prohibés ont été commis dans des secteurs
se trouvant sous lajuridiction defacto, sous le contrôle ou sous l'influenceexclusive des autorités
fédératives. Surla base de ces faits, la Bosnie-Herzégovine invitera la Càudéduire queles
obligations de ((préveniret punir))prévuàsI'article premiern'ontpas été remplies debonne foi
avec la diligence voulue par les autoritésde la République fédérative de Yougoslavie (Seetie
Monténégro).

1.3.0.9.En résumé,la Bosnie-Herzégovine estime qu'ellea étéla victime d'ungénocideet
d'actes apparentés, que ces actes sont interditspar ledroit international,qu'ils ont été commispar
la République fédérative de Yougoslavie(Serbiet Monténégroo)u lui sont attribuables et que cet
Etat est tenu par le droit conventionnelapplicable au génàcmettre fin et renoncàtous actes
de ce genre,àen indemniser les victimes àtfaire réparationde tous préjudices quela République
de Bosnie-Herzégovinea subis en conséquencede ces actes illégaux. CHAPITRE 1.4

1.4.0.1.La deuxième partiedu présentmémoire commencerapar un exposé des faitset des
éléments de preuvequi étayent clesfaits. Il est nécessairede procéderd'aborddans cet ordre, parce
que les faits constituent le pivot des pièces de procédureen l'espèce. Vient ensuite. dans la

troisième partie, une étude montrantque des organes internationaux faisant autorité confirment
l'existence d'une campagne de génocide.

1.4.0.2. Dans la quatrième partie, on démontrera quela Cour internationale de Justice est
compétentepour connaître de la.présente affaireet pour la trancher en vertu des dispositions de
l'articleX de la convention sur le génocideet que le fond du différend satisfait aux critères
applicables à la recevabilité.

1.4.0.3.Dans la cinquième partiedu mémoire,on cherchera à démontrer queles faits établis
par les élémentsde preuve présentés dansla deuxième partie satisfont aux exigences de droit
établies dansla définition des actes quela convention interdit. Pour ce faire, on aura recours au
texte de la convention, aux travaux préparatoires de celle-ci, ainsi qu'à la nébuleuse d'autres
instruments multilatéraux ou projets de traités qui ont trait en partie au génocide et aux actes
apparentés interdits,ouà d'autres questionsqui relèventde la définition et del'interdictionde ces
actes.

1.4.0.4.Dans lasixièmepartiedumémoire,lesauteurss'attacheront àdémontrerquecesactes
sont attribuableà la Républiquefédérative de Yougoslavie(Serbie et Monténégro).Pour ce faire,
on aura recours au droit de la responsabilité des Etats et à son évolution, y compris à la
jurisprudence et au droit coutumier pertinent, en se référantaux conclusions formuléespar des
organes principaux et subsidiaires et des experts de l'organisation des Nations Unies. Ceux-ci ont
déterminé que des actes degéno~cide et des actes apparentés seproduisant en Bosnie-Herzégovine
sont attribuablesà la République fédérative de Yougoslavie (Serbieet Monténégro).

1.4.0.5.Dans laseptièmepartie,laBosnie-Herzégovineénoncerasesconclusionsetformulera
les réparations qu'elle demandeen termes de préjudices, dommageset intérêts, restitution et de
jugement déclaratoire. LES FAITS

CHAPITRE2.1

2.1.O.]. Depuis la fin de 1991, la Bosnie-Herzégovinea étéle théâtre d'actesde violence et
de destruction dont la brutalité perversea été calculear les Serbes qui visentéliminerla vie,
la liberté, la dignité, la religion et la culture de la population musulmane et croate de
Bosnie-Herzégovine.

2.1.0.2. Lapopulation etaculturede laBosnie-Herzégovineont constituéun exemple vivant
de l'idéalde tolérance et de coexistence ethnique et religieuse.En effet, pendant l'inquisition
espagnole, vers 1492, de nombreux Juifs ont échappéaux persécutions et ontobtenu l'asile des

empereurs ottomans en Bosnit:-Herzégovine,ce qui leur a permis de finir par former une
communauté prospère dansce pays.

2.1.0.3. De plus, bien que les statistiques(tiréesd'unrecensement de la population en 1991)
montrent que la population de Bosnie-Herzégovinecomprend31,3 pour cent de Serbes, 43,7 pour
cent de Musulmans, 17,3 pour cent de Croates et 7,7 pour cent de Yougoslaves (c'est-à-dire de
personnes non déclarées comme appartenant à une nation). sa diversité ethnique est amplement
montréepar le fait qu'environ 130pour cent des mariages en Bosnie-Herzégovineont lieu entre
différents groupes ethniques.

2.1.0.4. Or l'imagetrompeuse que veut donner la Yougoslavie (Serbie et Monténégro) est
celle d'une Bosnie-Herzégovinequi est et a toujours été affligépar des haines et des divisions
ethniques et religieuses mortelles. Le but recherchéest de cacher et de déguiserla réalité de ses
ambitions territoriales et nationalistes.

2.1.0.5. L'effondrement du communisme vers la fin des années quatre-vingtsa entraînéle
désir chezde nombreuses républiquesde la République socialiste fédérative de Yougoslavie de

chercher à devenir des nations (voir la carte de la page 10représentant l'ex-Yougoslavie avec ses
républiques constitutives). Lai Serbie, qui était traditionnellement la plus puissante de ces
républiques,a cherché sans succèsàécraser militairementcesaspirationsen Slovénieenjuin 1991,
et partiellement en Croatie au cours de la mêmeannée (oùla JNA (armée populaire yougoslave)
et les forces paramilitaires serbes se sont emparéesde près de 30pour cent du territoire dans des
combats féroceset destructeurs),les combats les plusviolents ayant eu lieu en Bosnie-Herzégovine
depuis la fin de 1991 et se déroulant encore aujourd'hui.

2.1.0.6. On ne saurait espérer. dans le présentmémoire, énumérer et décrire toutes les

souffrances et les destructioris infligées au peuple, au territoire et à la culture de la
Bosnie-Herzégovinepar les forces yougoslaves (serbes et monténégrines),par l'arméepopulaire
yougoslave, par les forces serbes bosniaques, par les forces paramilitaires serbes et autres forces
serbes (ci-après dénomméescollectivement les ((forcesserbes)))qui sont actuellement ou étaient l'époqueconsidérée placées sc~usle commandement et le contrôle ou étaient approvisionnées.
encouragées, appuyées et assistéespar les dirigeants de Yougoslavie/Serbie et Monténégro(«les
dirigeants)))qui auraient pu empêcherou atténuerles actions de ces forces.

2.1.0.7. Au lieude chercher vraimentàempêcherde tels actes ou à les punir. ces dirigeants
ont en fait choisi de les reconnaître ou d'yconsentir, tout en cherchant parfois en mêmetemàs
se démarquer officiellement cles brutalités perpétrées poua rtteindre leurs fins. en déclarant
publiquement que les actes en question étaientle fait d'une guerre civileet de tensions ethniques
séculaires.

2.1.0.8. Dans le présentmémoire,on ne peut que s'efforcerde rendre justiceà la mémoire
des victimes des horreurs perpétréeaux fins de la pureté ethniqueserbe et au nom d'une grande
Serbie. Cela dit, les chiffres, qui sont généralement acceptés, indiquqtue le nombre total de
personnes tuées, essentiellement musulmanes, mais aussi croat,st d'environun quart de million,
sur une population totale d'environ quatre millions cinqcent mille. Cesiffies tiennent compte
du fait que les corps de nombreuses victimes n'ont pas encore étédécouverts. Des chiffres

documentés recueillispar l'institutde la santépublique de la Bosnie-Herzégovineen février1994
(àpartir d'avril 1992)et par d'aiutresorganes donnent une idéede l'étenduedes souffrances causées
par les actes des forces serbe:

142 334 tués(dont 16 510enfants),
161 755 blessés (dont33 734 enfants),
72 282 grièvementblessés (dont 18 056enfants),
au moins 20 000 viols,
au moins 2,6 millions de réfugiés,
au moins 500 mosquées détruites.

Ces donnéesontété recueillies sursoixanteetune municipalitésoucommuneset représentent
approximativement 65 pour cent du total.

2.1.0.9. Des Croates ont aussi eu souffrir des exactions des forces serbes, mais la grande
majoritédes victimes ont été desMusulmans qui ont fait I'objet d'unecampagne systématiqueet
terrifiante de meurtres, viols, tortures et destructions. Dans leur désirde «purifier» des zones
stratégiquement importantesde la Bosnie-Herzégovinepour créerun territoire serbe ethniquement
pur, lesforces serbes ont usélemoyens et de méthodestels que le viol systématiqueet les camps
de concentration.

2.1.0.10. On a admis qu'il n'étaitpas possible, dans le présent mémoir, e donner la liste
complèteet de traiter de tous les actes commis par lesforces serbes, mais l'attentionde la Cour est
[ '1 5 appeléesur le fait que de tels actes ont étémontrés jouraprèsjour sur les télévisionsdu monde
- entier, et ont fait I'objetd'articles détaillés danlsa presse internationale.

2.1.0.11.De plus,à la suiitede ces actes, les forces serbes occupent environ 70pour cent du
territoire de la Bosnie-Herzégovine. La plupart des actes les plus atroces ont étéperpétrécesur
territoire, plus particulièremecitdans le nord, dans le nord-ouest et dans l'est de la Bosnie, en
commençant le longdes frontièresavec la Serbieet leMonténégro.L'occupationrapide et planifiée
duterritoire par lesforcesrbe:sest figuréesur la carte reproduàlapage 16du présent mémoire,
qui montre leszones occupées à la suite des actes de ces forces. II est extrêmementdifficile, voire
impossible, d'accéderàces zoriesdu fait que les forces serbes ne veulent pas y laisser pénétrerles
observateurs extérieurs,et plus difficile encore d'obtenirdesrenseignements provenantdeces zones. 2.1.0.12.Cette partiedu mémoire se fonde surdes sources quiont étéen mesurede procéder

à des enquêtes, tellque lerapporteur spécialde la commissiondesdroitsde l'hommedesNations
Unies, ledépartementd'Etatdes Etats-Unis d'Amériqued ,es organisationsnon gouvernementales
respectées tellesqu'Amnesty Internationalet Helsinki Watch, ainsique des médias dignesde foi.

2.1.0.13. Dans le chapitre.2 ci-dessous, onciteraà titre d'exempledes actes spécifiques.
Au chapitre 2.3, on décrirale contexte dans lequel ces actes ont étécommis. - 13-

Lignes de front en Bosnie-Herzégovine

Bataillon

<L >Prtsidencebosniaquc
t~'?l-Bosno-serbes
O -Bosno-croates

.Lignede front
.....-Liened'affrontement
interne
$&$&- Lignede frontactive
.duHVO'mfluenrr
, , ,,.Zoned'exclusionde
l'OTANA Saraievo

Le 1"mars 1994 CHAPITRE 2.2

LES ACTES QUI BOULEVERSENT LA CONSCIENCEHUMAINE

2.2.0.1.Lacinquièmepartiedumémoiretraitede l'interprétationd ,e l'application.etdeseffets
de la convention de 1948sur le génocide(ci-après dénommée «la convention)))par rapport aux
actes commis par les forces serbes. Ci-dessous, on trouvera des exemplesd'actes commispar les
forces serbes, principalement mais non exclusivementdirigés contrela population musulmanede
Bosnie-Herzégovine,et qui ont été classés danlses catégories suivantes:

Section 2.2.1. L'utilisation de campsde concentration
Section 2.2.2. Les meurtres
Section 2.2.3. Les tortures
Section 2.2.4. Lesviols
Section 2.2.5. L'expulsion de personneset la destruction deleurs biens, de leurs foyers, de
leurs lieux de culte et objets culturels
Section 2.2.6. La créationde conditions de vie destructrices, en bombardant, pilonnant,
affamant et intimidant la population.

Section 2.2.1. L'utilisationde camps de concentration

2.2.1.1. A partir du début de 1992, lesforces serbes ont constamment eu recourà la mise
en place de camps de concentration à l'intérieurdesquels ils ont perpétré de nombreux meurtres,
viols, tortures et privatisations de nourriture, leursvictimes étantprincipalement des Musulmans
bosniaques. Au moins cent soixante-dix de ces camps ont pu être identifiés, dans lesquels des
dizainesde milliersde Bosniaques, surtout musulmans, ontété emprisonnésL .es nomset les lieux
des camps identifiés figurent surla carte et lestableaux ci-après.

2.2.1.2. Parmi tous ces camps, au moins quatorze étaienten Serbiemême,les plus connus
étant ceuxde Manjaca (Banja Luka - Bosnie septentrionale),de Prijedor (Keraterm- Bosnie
septentrionale),de Prijedor (Omarska- Bosnie septentrionale),de Prijedor(Tmopolje- Bosnie
septentrionale) et de Brcko (Luka- Bosnie septentrionale).

2.2.1.3. Dans tous ces camps et dans certains autres, les Bosniaques étaient traitésd'une
manièresi choquante qu'elleest presque indescriptible. On trouvera ci-après quelques exemples.

a) Prijedor (Omarska - Bosnie septentrionale)

2.2.1.4. Dans ce camp tenu par les forces serbes (une ancienne mine à ciel ouvert)
(Helsinki Watch,«War Crimes in Bosnia-Herzgovina)),avril 1993,vol.II, p. 87, par. l), on a tué,
après avril 1992,dix àvingt personnesparjour pendanttrois mois. Lesvictimes étaient enterrées
dansdes fossesouvertesou des minesdésaffectéeo su bien leurscorps étaientjetés danun lacdes
environs (United States Departnient of State Dispatch, 16novembre 1992, p. 804). Selon les
estimations, un total d'environonze mille civils auraient été détenus dans ce camp sanasucune
justificationjuridique; sur une période detrois mois, mille deuxcenàsdeux mille d'entreeuxont

été tués (Nations Unies, deuxièmr eapport présentéau Conseil de sécuritépar le Canada,
30juin 1993, doc. Sl26016, p. 15). Camps de concentration et prisons sur le territoire de la Bosnie-Henégovine

Légende
o Sarapw.Municipalité

O Nombre de camps de
concentration de prisons
dans la municipalité

1 121-125 Numérodu camp correspondant / Liste des camps de concentration et des prisons sur le territoire de
la Bosnie-Herzégovineavec le nombre approximatif

des prisonniers et des détenus

1 ) Nombre de /Nombrede prisonniers hombre de prisonniers' 1
) No site du camp ou de la prison prisonnierudetenus ldétenus tués detenus (oct 91!
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, 125.1Bour~riNovi -Miani hoic:

! 126.l Soumti Perro~c -Jurkonc I
!27.! Sovr~LjPcrm~c -Selo Vrie
$ ;?S.1 Dnr -Sc10 PIC DI^
i29.! Bounse ffioa -Osnoma $k~Ia uSCIL' ~ZSC~IC
. ix. I 3a.uruu boa -Chnovna ikoia u scic Sc=!i
!jl.' BOS-t~ KNna -OS 'Pcar Kot!C' 1.X :.Ca -
..JL ! %~JNKZ QUOI - Osno~na Skoia u sciu Conr.1: d
1 153.' Koicr Varos -Pilanz
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1 r - < Koior Varos - Sranrdkoisk: c-iar P
.J-.i <01îr Varoi - Siar! suc - <l Kotor Var03 - Maslovare I
Gra Gndi3ka -i(auicn0 DOonvnidom i 1 1.500
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ia- 1 ainat -Selo RaCiei' ! l
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e l Bihae -OsnovnaSkoia uOra$cü l I I
Bihad -Tnktonka sranica u R]Q&- 1 Dreko140 l I
G. ! Si~ovo -Staro Sioovo l I
Tj. i BaniaLuka 1 : 1.500
3ania Luka -I(aznezo 0coraw.i dom yiniix. 1 I
77.1 Glarnct -Sfadion ! 1 9SO
1 I
1 Donii Vakuf -:Maexin 'Vrbas~rom~:. l I ' 865
719, ' Donii Vakuf - Maeannske oros:criie -0 1 l ! sr)
70. Treoinie- VolniEiKVor l 1 i.GW
' 151.i Yevesinie -Tvornia aiau 7.4- 1 t
j2. iGacko - Avrovac 1 l i 0k0 1.CW
lq$ G ac.fo- R z a c i t a b 1
' 1j4.: G~CK OPodrunski orostori Te:moe!ck;rane .G~~~~- , l
1ji.: Bileca -Vcina kasarna I 1
1.;6.1Kalinovik - Sarutni matacln 1 ! 2.600
157.I Kaiinovik - Osnovna<kolaujeiaScï I I 54 1 0ko 120
1 ok0500 1 240
1jS.' Koniic -Boraekoiezero ! I l
/ 1j9 Bvidowti -Se!oMii:evidi l

Liste des camps de concentration etdes prisons sur le territoire de
la Serbie et du Monténégro dans lesquels des citoyens

de la Bosnie-Herzégovinesont détenus

No i 1 hombre de Nombre de priionniersr
+ Site du camp ou de la prison / prisonniersidétenur dktenus tués détenus (oct.92)
J! II iil ! W l V
%i. ' -0znica - Snonsko rckreaiivniccntzr
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! Bcocrad -Kasama '2.iuli' 1 2200
. ! NiS -Voini loeor 1 1.540

.,:. ' Suhnfia -Sabirnrccniar 1 1 5.000
1 Alcksinac - ïaiwreni rudnik : oko 2.333 I I2.m
1 Sitoac- 'zrb. 1 1.460
k l Bor -Bonki Rudnrk 1 i 2500

l
- .. 1 :qokra Gora -u biiziniUfia I 1 3.000
-2- ! ?nienolie 1
8aoSiCi - u bii,ni H e r u r - N o r o r i 350 2.2.1.5. En juillet 1992, ,au cours d'une seule nuit, deux cents personnes ont ététuées
(Nations Unies, rapport du représentant permanent de l'Autriche au Secrétaire généralde
l'organisation desNations Unies.5 mars 1993.renseignementsfondés surdestémoignagesrecueillis
par les autorités autrichiennes,doc. S125377,voir en particulier les pages 1à 22).

2.2.1.6. Un témoinqui avait étéappréhendépar les forces serbes à Prijedor et emprisonné
dans le camp a décritla manière dont il a étéforcéde transporter des cadavres de prisonniers.
Selon ses estimations,il a aidà transporter ouà enterrer dixà vingt personnes parjour et il a été

forcé, durantses neuf semaines ti'emprisonnement, à participeràl'ensevelissementde sept cents à
huit cents corps (Nations Unies, troisièmerapport du Gouvernement des Etats-Unis au Secrétaire
général de l'organisation des Nations Unies, document annexé à une lettre datée du
5 novembre 1992 (troisième rapportdes Etats-Unis), doc. Sl24791, p. 7).

2.2.1.7. Les intellectuels, professionnels, et membres du clergéou chefs musulmans étaient
spécialement viséspar lesexécutions(Nations Unies, rapport sur la situation des droits de l'homme

dans le territoire de l'ex-Yougoslavie établipar M. Tadeusz Mazowiecki, rapporteur spécialde la
commissiondesdroitsde I'hommle («Lerapporteun)), 17 novembre 1992,doc. Al471666et Sl24809,
p. 14,par. 31).

2.2.1.8. Un Musulman de trente ans, qui a étégardé neufsemaines dans ce camp, décriten
ces termes certaines des scènesauxquelles il a assisté durantsa captivit:

«Les gardes battaient fréquemmentles gens avec d'épaiscâbles électriques, au

point que, souvent, ces derniers ne pouvaient plus se tenir debout; en administrant ces
raclées,les gardes frappai'entles prisonnierà des endroits précis,souvent aux reins,
afin de briser d'importants organes internes.

Les prisonniers étaientforcésde courir pieds nussur des débrisde verre. Quand
ils tombaient, les gardes leur assenaient des coups de matraque et de barre de fer.

Comme punition, un gardien a coupé avecun couteau les testicules d'un

prisonnier en présenced'ungroupe de détenus;un prisonnier a été forcé,sous menace
d'exécution, d'arracheravec les dents les testicules d'unautre.

La seule eau que les prisonniers avaient à boire était celle d'une rivière
contaminéepar les déchetsprovenant d'une minede fer; l'eauétaitjaune, l'urinedes
prisonniers devint rouge.)) (US Departmertr of State Dispatch Bureau of Public
AfJair1 s6,novembre 199:2,p. 829. col. 3.)

2.2.1.9. Les tortures physiques, les mutilations, la privatisation de nourriture et les sévices
sexuels étaient courantsdans ce camp et dans certains autres. Un religieux musulman de
cinquante-deux ans a fait le récitde son internement dans le camp pendant soixante-quinzejours:

«durant lesquels il a étrégulièrementbattu jusqu'ausang. Ce religieux a ététémoin,
dans ce camp, de plusieurs bastonnades publiques et de cas de tortures sexuelles. II
a déclaré queles gardes avaient forcé plusieurs hommes à avoir des rapports sexuels
entre eux et que les gardes coupaient les mainset la verge de certains détenuspour les

punir et pour effrayer les autres.))(Nations Unies, deuxièmerapport des Etats-Unis,
doc. Sl24705, p. 9, par. 6.) 2.2.1.10. L'organisation de protection des droits de l'homme,Helsinki Watch. a identifiéet
désigné nommément les membres des forces serbes qui commandaient ce camp (Helsinki Watch,

Prosecute Now, 1" août 1993, no12, p. 15). Lorsque la communauté internationalea exercé des
pressions sur les forces serbes pour qu'elles fermentce camp, elles ont prétenduacquiescer à cette
demande en août 1992,maiselles onten réalitétransféré lesprisonniersdansd'autrescampscomme
celui de Manjaca (Nations Unies, troisième rapport des Etats-Unis, 10 novembre 1992,
doc. Sl24791, p. 4, par. 5).

b) Prijedor (Keraterm - Bosnie septentrionale)

2.2.1.11.Ce camp de concentration serbe se trouvait dans une usine de céramique situéeen
dehors de la ville de Prijedor. Dans ce camp, comme dans d'autres,ce sont des témoins oculaires
qui ont fait le récit des tortures, des privations de nourriture, des mutilations et des meurtres. Le

camp a fonctionné environde mai 1992jusqu'en août 1992,lorsque les révélations des médiao snt
obligéles Serbes à le fermer.

2.2.1.12. En réalité, cettfois encore, les forces serbesont simplementtransféréà Trnopolje,
avant l'arrivée dela Croix-Rouge, les quelque mille cinq cents personnes qui étaient détenuesdans
ce camp (Nations Unies, sixième rapport des Etats-Unis, 10 mars 1993, doc. S125393.p. 5).

2.2.1.13. Un témoinde trente-huit ans résidant à Hambarine a décritla scènede son arrivée
au camp par autocar le 20 juillet 1992, après avoir été détenupar des soldats serbes :

((Tousles hommes qui se trouvaient dans l'autocar sontdescendus les mains en
l'air. Nousnous sommesprésentésl'unaprèsl'autreau portier. Ils ont pris tout ce que
nous avions et nous ont conduits dans une grande salle où se trouvaient déjà des
prisonniers. Nous étions environ trois cents dans cette pièce. Les autocars ont
continué d'arriver. Nous pouvionsvoir à travers les barreaux des fenêtres. Il y avait
des palettes sur le sol, et les murs étaient recouverts d'une mince feuille de tôle
ondulée. La pièce ressemblait à une sorte d'ancien entrepôt. Comme la salle
commençait à se remplir, nous nous pressions contre les murs, mais ils ont continué
de faire entrer d'autres hommes. Durant l'après-midi,une autre centained'hommesest
arrivée. On ne nous a donnéni nourriture ni eau. Au bout du compte, il y avait dans
cette salle d'une centaine de mètres carrés quatre centshommes.)) (Helsinki Watch,

War Crimes in Bosnia-Herzagovina, avril 1993, vol. II, p. 122.)

2.2.1.14. Un autre témoin. un peintre de cinquante-six ans, originaire du village de
Hambarine, a décrit les bastonnadesdont ila étél'objetet les scènes auxquelles il a assisté:

- ((Chaquesoir, lesgardes appelaient dixà quinzenoms inscrits sur une liste. Ces
hommes étaient emmenés dela pièceoù ils étaient et y étaient ramenés plustard dans
des conditions effroyables. Ils étaient couverts de sang, les os brisés,ne pouvant pas
setenir debout, vomissant du sanget perdant connaissance. Le matin suivant,certains
étaient morts ...et très peu survivaient [aux passages à tabac]...Ils nous battaient
avec ..des barres de fer d'unmètre et demi ...De temps àautre, ils nous obligeaient

a nous mettre en ligne et a nous coucher sur le sol, le visage dans le sang et la
poussière. Alors, les soldats marchaient entre nos corps avec leurs matraques et des
barres de fer et nous rouaient de coups. J'avais perdu beaucoup de poids à Keraterm,
et on voyait mes côtes. Un soldat m'a prispar les cheveux, m'asoulevé etm'abrisé
une côte.» (Ibid., p. 123-124.) 2.2.1.15.11y a euà l'aubedu25 juillet 1992unetuerie d'une horreurparticulière. Un témoin
de trente-huit ans originaire de Hambarine (identifié dans son témoignagepar les lettres AH) a
décritla scèneen ces termes :

«Le [vendredi 24 juillet]...vers 20 heures, ils ont pris une vingtaine ou une
trentaine de personnes pendant que nous buvions de I'eau. C'est alors qu'ils ont
administréles pires bastorinades. Les genssont revenusavec des fractures àla têteet
aux côtes. Ils pleuraient et hurlaient. Certains de ceux qui étaient restés dansla salle
ont essayédelessecouriret ont demandédeI'eauen criant. Quelques-unsavaient déjà

des hallucinations provoquées par la chaleur, et une bagarre éclata. Les gardiens
commencèrent par crier qu'ils allaient nous tirer dessus. Une panique générale
s'empara de la salle. La grande porte de la salle était faite d'une mince plaque
métallique. Ils se sont alors mis à tirer de l'autre côté de la porte avec des
mitrailleusesetdes armesautomatiques. Lesgensont commencé àtomber. Ilstiraient
au hasard et les balles traversaient la porte. J'aialors perdu connaissance.))

Le témoinen question a été blessé ea t montré ses blessuresau représentantde Helsinki
Watch. Il a poursuivi le réciten ces termes :

((Quandj'ai repris connaissance le lendemain matin, j'ai vu des cadavres qui
jonchaient le sol en béton. 11y en avait tellement qu'il fallait marcher dessus.
Quelques personnes étaientencore en vie, mais la plupart avaient été tuésu étaient
blessées. Les gens se rkpandaient en lamentations et les gardiens ont défoncéla
porte...Ils ont dit qu'ils cherchaient les instigateursde l'é...Ils sont sortis avec
une vingtaine d'hommes ...J'ai entendu des coups de feu et des cris. J'ai également
entendudes camions s'arrf3ter..Je suppose qu'ily a eu cejour-là environcent quarante

morts et une quarantaine ou une cinquantaine de blessés...

Ceux d'entrenous qui étaient restés dansla pièceont été alors emmenés dehors.
Nous devions garder nos mains en l'air...Nous sommes restéslàjusqu'à ce que des
officiers del'arméeserbe))et de la police arrivent et commencentà nous tabasser les
uns aprèsles autresavec les crossesde leurs fusils. Je ne pouvais pas lever les yeux
mais j'ai entendu de temps à autre des coups de feu.

Pendant ce temps, I,atempératuremontait à l'extérieur.Nous sommes restés sur
le bétontoute lajournéeletcertains d'entre nous ont demandéde I'eau. Ils ont alors
installéune lance à inceridie et nous ont arroséspendant une trentaine de minutes.
Depuis, j'ai des problèmes de surdité ... Nous pensons qu'une trentaine ou une
quarantaine d'entre nous ont été tués surlace. Ils nous ont ensuite ramenés dansla
salle d'oùles palettes avaient été enlevées. les avaient [probablement] prises pour
en enlever le sang, de sorte qu'à notre retour nous n'avions plusde lit. Je crois qu'ils
nous ont donné de I'eau et un peu de pain, mais je ne peux pas réellement me

rappeler.))

Ce compte rendu a été confirmé par d'autrestémoins(HelsinkiWatch, ibid ..124-126,récit
d'untémoin nomméHaris; et, PirJations Unies, deuxième rapport des Etats-Unis, 23 octobre 1992,
doc. Sl24705, p. 5, par. 3; troisième rapport des Etats-Unis, 10 novembre 1992, récits de trois
témoins différents,doc. Y2479 1, p. 5-6).

c) Brcko (Luka - nord-est de la Bos~tie)

2.2.1.16. Ce camp a ététenu de mai à juillet 1992 par les forces serbes qui avaient au
préalablepris lecontrôlede larégion(voir lan Traynor. TheGuardian, 5 mai 1992;Nations Unies,
troisième rapport des Etats-Unis, 10 novembre 1992. doc. S/24791, p. 8). La torture, le manque
- - 8de nourriture et les tueries étaient courants dans cette fabrique de briques et ce hangar désaffecté

convertis en camps (ibid., voir égalementle rapport du rapporteur, 10février1993,Nations Unies.
doc. E/CN.4/1993/50, p. 14, par. 63).

2.2.1.17. Pendant la période d'ouverture dece camp, deux àtrois mille hommes, femmes et
enfants musulmans y ont été tués (Nations Unies, deuxième rapport des Etats-Unis,
23 octobre 1992, doc. Sl24705, p. 6). La plupart des meurtres ont été commispar les forces
paramilitairesserbes dirigéespar SelijkoRaznajatovic(Arkan)et Vojislav Seselj, deux importantes
personnalités politiquesde la Yougoslavie (Serbie et Monténégro)(UnitedStates Department of
State Dispatch Bureau ofPublic Ajfairs («The Dispatch))),2 novembre 1992, p. 803).

2.2.1.18. On se débarrassaitdes corps des victimes de différentes façons. Certains étaient
ensevelis dans des fosses communes. D'autresétaientjetés dansle fleuve de Sava, parfois, après
avoir été démembrés (Nations Unies, septième rapport des Etats-Uni9 s,avril 1993, doc. Sl25586,
p. 30). D'autres ont également été broyés danusne usine de traitement de la viande, tandis que
d'autresontété carbonisésdans lesfoursd'uneusinevoisine(Nations Unies, troisièmerapport,p. 8,
par. 1,et p. 10; septième rapport des Etats-Unis, doc. S124791,p. 16, par. 3).

2.2.1.19. Le troisième rapport des Etats-Unis cite la relation faite par un témoin des

traitements et conditions de vie dans le camp :

«On a mentionnéle cas d'un homme dontun soldat des forces spéciales avait
coupé lesoreilles à I'aided'uncouteau. Alors que ce dernier,sous l'effet de la douleur,
portait les mains à ses oreilles, une jeune femme lui a coupé les organes génitaux a
I'aided'uninstrument appelé «cuillère». Comme il s'écroulait à plat ventre sur le sol,
un garde lui a tiréune balle dans la tête. Dans d'autres cas,on a coupéles oreilles et
le nez des détenus eton leur a arrachéles yeux. On se servaitde couteaux afin de leur
infliger des blessures jusqu'àl'os;certains ont eu les doigts entièrement sectionnés.
Tous ces supplices avaient lieu sous les yeux des autres internés.

Les matraquages à I'aide degourdins étaient fréquents. Un soldat des forces
spéciales utilisaitun gourdin en bois garni de clous afin de tuer plusieurs personnes.
Il obligeait les détenusà lécherle sang qui couvrait les clous.

Dix à quinze Tchetniks environ, ainsi que des membres des forces fédérales
spéciales Yougoslaves et des agents de la police serbe ont participé de temps à autre
à ces actes, mais certains l'ontfait plus régulièremen...

Il y avait égalementune salle de torture au campde Luka-Brcko. Les personnes
torturéesétaientsoittuées immédiatementaprèsavoirété suppliciées,soitabandonnées
alors qu'elles perdaient du sang en abondance, et si elles ne mouraient pas dans les
deux àquatrejours suivants, on les achevait par balles. On les laissaitgisantdans leur
propre sang dans les salles communes et l'on interdisait aux autres détenus de leur
porter secours d'une façon ou d'uneautre.)) (Nations Unies, doc. S124791,p. 8-9.)

2.2.1.20. On conduisait également des femmes à ce camp et elles étaient violéespar les
soldats serbes; certaines fillettes n'avaient que douze ans (Nations Unies, troisième rapport des
Etats-Unis, p. 9, par. 6; également septième rapport desEtats-Unis, p. 7, par. 2, et p. 21, par. 3; le

rapport du rapporteur, 10 février1993, doc. E/CN.4/1993/50, p. 14, par. 63 ). 2.2.1.21.Ces camps et les autres qui étaient tenuspar les forces serbes n'avaient qu'unbut :

détruire la vie, la volonté, la dignité et l'existence de la population musulmane de
Bosnie-Herzégovine.La manière:systématiquedont lesvictimesmusulmanesétaient appréhendées
une fois que les forces serbes avaient pris le contrôle d'une régionet le traitement qui leur était
réservépar la suite indiquent qu"ils'agissaitd'unepolitique délibérép eour exterminer ce groupe.

Section 2.2.2. Les meurtres

2.2.2.1. La destruction de la vie musulmane en particulier est un élément nécessaire de la
stratégiemilitaireet ethnocentriquedes forces serbes. L'ampleur de cette destruction, qui continue
encore, est telle qu'onestime à lin quart de million le nombre de Musulmans qui ont ainsi perdu

la vie en Bosnie-Herzégovine.

2.2.2.2. Au début d'avril 1,992,plus de mille civils musulmans ont été tués par les forces
paramilitairesserbes àBijeljina(Nations Unies,rapportprésenté àl'organisationdes Nations Unies
par le représentant permanentdi1Canada, 10 mars 1993, doc. Sl25392, p. 14).

2.2.2.3. Environ quinze rnille Musulmans des villages de la région de Gornja Sanica,
Bijeljina,Velagici, Pudin Han,Krasuljaet Hrikovac(qui réunissaient95 pour centde lapopulation

totale de la région) ont ététués, incarcérés o,u affectés aux travauxdes champs (Nations Unies,
rapport de la Commission des d:roitsde l'homme, 27avril 1993, doc. CCPRlCl89, p. 15).

2.2.2.4. Le rapporteur a rendu compte de l'extermination systématiquede la population
musulmane par les forces serbes :

«Il existait auparavant près de Kozarac, dans le nord-est de la
Bosnie-Herzégovine,six petits villagesde montagne appelés Hambarine. Rizvanovic,
Rakovcani, Sredice. Carakovo et Bisceni. Lorsque les forces serbes ont occupé ces

villagesvers le mois de miii 1992, lestrois quarts des habitants, qui étaientau nombre
de quatre mille cinq cents, auraientété exécuté...Un adolescent de seize ans ..[ainsi
que] un voisin ..ont été témoins de l'assassinatde son oncle, âgéde soixante et un
ans, et d'un autre voisin iigéde cinquante-huit ans :«Ils les ont forcésà se donner
mutuellement des coups sur la tête,avant de les pendre aux piliers d'un pont.))
(Nations Unies, 10 février1993, doc. E/CN.4/1993/50, par. 39.)

2.2.2.5. Les Serbes ont souvent bombardédélibérément des populations civiles. Si ces
bombardements se sont produits partout où se trouvaient les forces serbes, les exemples les plus

largement cités sont ceux dela tlestruction de Srebrenica,de Gorazde ainsi que le bombardement
sans répitdu bastion de la culture et de la tolérance bosniaques à Sarajevo.

2.2.2.6. Avant ledéclenchementdesattaquesdes forcesserbescontrelaBosnie-Herzégovine,
Srebrenica avait une population de sept mille habitants. Au début de mars 1993, celle-ci était
passée à près de soixante mille par suite de l'affluxde Musulmanschassés de leurs foyers dans les
villages avoisinants. Sur ce nombre, vingt à trente personnes mouraient chaquejour de faim, car
les forces serbes qui entouraient Srebrenicarefusaient de laisser passer tout envoi de nourriture ou
de médicaments(Nations Unies, rapportpériodiquedu rapporteur,5 mai 1993,doc. E/CN.E/1994/3,

p. 9-11, par. 30-40). En outre, l'existencemisérable quemenait la population prise au piègedans Srebrenica a été
encore aggravéepar les bombardements incessants des forces serbes, qui provenaient parfois de
l'autrecôtédelafrontière,en Serbie(Nations Unies, septièmerapportdesEtats-Unis, doc. S125586,
p. 25.)

2.2.2.7. Lors d'unincident particulier survenu le 12 avril 1993,au moins quinze enfants ont
été tuépsendant qu'ilsjouaient au football dans une cour d'école,et un garçonnet de six ans a étk

décapité surle champ. Un membre du HCR qui a assistéau bombardement a déclaré :

«Je ne seraijamais en mesured'exprimerl'horreurprofonde du drame auquelj'ai
assisté. Je me contenterai de dire que je redoutais de fermer les yeux la nuit par
crainte de revivre les images de ce cauchemar, qui n'étaitpas un mauvaisrêve.))

2.2.2.8. L'approvisionnement en eau et en électricité ayantétéinterrompu par les forces
serbes, Srebrenica est devenue, selon la description faite en avril 1993 par les membres de la
932 mission du Conseil de sécurité des Nations Uniesqui visitait la ville assiégée,une ((priàociel
ouvert))où les forces serbes planifiaient un ((génocideau ralenti))(Nations Unies, huitièmerapport
des Etats-Unis, 16juin 1993, doc. S12.5969,p. 25 et 29).

2.2.2.9. Ailleurs, la situation était la même. Le 16mai 1992, au moins
quatre-vingt-trois civilsmusulmans,dont onzeenfants et seizepersonnesâgées,ontétéexécuté pasr
les forces paramilitaires serbes (Helsinki Watch, War Crimes in Bosnia-Herzegovina, août 1992,
P 7).

2.2.2.10. Le 21 mai 1992, on a massacré les patients musulmans du centre médicalde
Zvomik pour faire de la place pour les soldats serbes blessés. Un ancien employéa dit qu'ila vu
des Serbesobligertrente-six patients adultàssortir dans la cour, où ils ont été exécuA.u sujet
des enfants,il a précis:

«Peu après, des soldats serbes en uniforme et en civil ont envahi le service de
pédiatrie et ont massacréles vingt-sept enfants musulmans qui s'ytrouvaient, les seuls

qui se trouvaient encore dans l'hôpital, en les assommant et en leur cassant les os.
Deux soldats ont obligé le témoin à regarder la scène pendant une quinzaine de
minutes pendant lesquelles une dizaineà une quinzaine d'enfants ont étémassacrés.
Certains étaient des nourrissons. Les plus âgés avaientenviron cinq ans.

Le témoina dit qu'unchirurgien serbe, qui avait également assisté, impuissant,
àla scène, avait par la suite perdu la raison.)) (Nations Unies, troisième rapport des
Etats-Unis, 10 novembre 1992, doc. SI24791. p. 11-12.)

2.2.2.11. Le 25 mai 1992 ou aux environs de cette date, l'artillerie serbe a commencé à
pilonner la ville de Kozarac, après quoi l'assauta étélancépar des tanks et l'infanterie. La ville
a été pratiquement rasée ets ,elon les estimations, cinq mille des quinze mille habitants ont été

exécutéspar les forces serbes (Nations Unies, rapport du rapporteur, 17 novembre 1992,
doc. Sl24809, p. 9, al.d); et quatrième rapport des Etats-Unis, 8 décembre1992,
-33 doc. Ai471666S124809,p. 9, par. 1;voir égalementIan Traynor, «How they wiped out Kozarac)),
TheGuardian, 17 octobre 1992, p. 23). 2.2.2.12. Le rapporteur a fait égalementétatdes événements dePrijedor :

«e) La nuit du 29 mai, des tanks et des soldatsont pris position autour de Prijedo...
Lorsque l'assauta commencé,les Serbes du village ont guidéles tanks vers les
maisons de certains Musulmans et il fut demandé aux habitants de sortir et de
présenter leurs papiers d'identité. Nombre de ceux qui le firent furent
sommairementexécutés.Selon des témoins,quelque deux cents habitants d'une
seule rue (la rue de:spartisans) furent exécutés,et une centaine de maisons
détruites. Durant l'attaque,la radio locale continuait d'appeler la populatioà
livrer ses ames, alors qu'aucun coup de feu n'avait encore été tirépar les
Musulmans.

jl Lorsque les tirs d'artillerie ont cessé, vers midi, des groupes d'extrémistes,
probablement contrôléspar lechef milicien Arkan, ont commencélesexécutions,
faisant sortir leurs victimes dans la rue pour leur couper la gorge, selon les
témoins. Les corps furent emmenéspar des camions qui laissèrent derrière eux
des traînéesde sang ...

Par la suite, les mai,sonsqui avaient été tropgravement endommagées furent
rasées,et leurs fondations recouvertes de terre fraîche. Cinq mosquées furent
détruites, etle cimeti,èremusulman rasé ...

i) En septembre, la dernière mosquée de Prijedor et l'églisecatholique furent
détruitespar desexplosions àdix minutesd'intervalle...))(Nations Unies, rapport,
17 novembre 1992, doc. S124809,p. 9-10; voir aussi le deuxième rapport des
Etats-Unis, 22 octobre 1992, doc. Sf24705, p. 8, par. 6, dans lequel il est
mentionné que, selon les témoins, trois mille à cinq mille personnes ont été
enterrées dansune fosse commune non loin de la ville de Prijedor).

2.2.2.13. Un combattant serbe de vingt et un ans a fait lui-mêmele récitdes meurtres qu'il

a commis, décrivantcomment il a abattuà coups de feu dix membres d'une famille musulmane à
la fin juinà Ahatovic :

«Nous étions convaincusqu'il fallait les tuer. Aussi. lorsque quelqu'un a crié
«feu», je me suis retourné et j'ai appuyé sur la gâchette, trois fois en mode
automatique. Je me souviens de cette petite fille vêtue de rougequi se cachait derrière
sa grand-mère.))

Ce combattant a égalementdécritcomment il a violéet tué des femmesmusulmanes. 11a

dit aussi qu'ilétait surles lieux enjuillet 1992 quand trente hommes originaires de Donja Bioca
ont été abattus etjetésp,endant que certains étaientencore vivants, dans le fourneau d'uneaciérie
de Ilijas, ville situéeau nord de 'Vogosca(The UnitedStates Department of State Dispatch Bureau
ofPublic AfJairs,28 décembre 1992,p. 919,2'colonne; voir aussi TheGuardian, ((Slaughterinthe
name of Serbia)),23 décembre 1992).

2.2.2.14. Amnesty International a menéune enquête surles événements qui se sont produits
entre avril et novembre 1992a l'intérieuret dans les environs de Bosanski Petrovac, ville contrôlée
par lesSerbes. En septembre 1992,lapopulation musulmane(au moins 20 pour cent dutotal) avait

fui cette ville. En avril 1992,le:;forces serbes avaient commencéleur tuerie délibéréeet arbitraire
des Musulmans : «Bien que l'ampleuret la chronologie des abus aient variéselon les régions,
Amnesty International estime que les événementsde Bosanski Petrovac sont très
représentatifsdu systèmed'abusflagrants commis dans toute la Bosnie-Herzégovine
dans le cadre du processus d'expulsionforcéede milliers de Musulmans de leurs
foyers.)) (Amnesty International, Bosnia-Herzegov inAa Wound ro the Soul.
janvier 1993,p. 2, par. 2.)

2.2.2.15. Les forces serbes ont appliqué sanspitié leur politique. Même lesSerbes qui

refusaient decoopérer avec euxn'ont pasété épargnés. Le rapporteura abordéla question de ces
exécutions :

«par exemple, trois Serbes auraient été tué sTeslic le 2 juin 1992pouravoir refusé
de coopérer avecl'arméenationale populaire yougoslave(JNA) et avec les milices
serbes ...dans les persécutionsde Musulmanset de Croates. De même, les membres
de lafamilleNeskovic,accusésd'avoircachédesMusulmans,ainsi qu'uncommandant
de la police serbe, ont été tuésour s'être élevés contlrees exécutions deMusulmans
à Bratunac et dans la région avoisinante.))(Nations Unies, rapport, 10 février1993,

doc. E/CN.411993150,par. 22.)

2.2.2.16. Le 5 mai 1992, une Musulmane de quarante et un ans a assisté aux abordsde
l'aéroport deSarajevo à l'exécution d'un civil serear des soldats serbesarborant les insignesdes
Tchetnicks (forces paramilitaires serbes) et de I'arméeyougoslave. Ils ont ordonné à tous les
habitants de sortir de leur maison etde former deux lignesdistinctes,'unepour lesSerbes, l'autre
pour les Musulmans :

«Un Serbede cinquante ans connu sousle nomde «Ljubo»a refusé d'êtr séparé
de ses voisins musulmans ... Les soldats serbes ...I'ontjeté à terre et cinq ou six
d'entre eux I'ontbattu à mort.)) (Nations Unies, quatrième rapport desEtats-Unis,
7 décembre1992,doc. SI24918, p. 11, par. 5 .)

2.2.2.17. La déterminationdes Serbes contre la population musulmane s'est également
manifestéepar ladestructiondes mosquées,des bibliothèqueset d'autres lieux deculte musulmans.

Ils ont également faitpreuve d'une brutalité particulièra l'endroitdes religieux musulmans. Le
deuxième rapportdes Etats-Uniscontientune référence au meurtrede I'imamMustafa Mojkanovic
de Bratunac. Il a été

«torturédevant des milliers de Musulmans- femmes, enfants et vieillards -sur le
terrainde footballde laville, selon l'imam EfardiEspahicde Tuzla. Desgardesserbes
ont ordonnéau religieux defaire le signe de la croix; lorsqu'ila refusé, ilsl'ontbattu,
lui ont rempli la bouche de sciure et de bière,et lui ont ensuite coupéla gorge.

Le mufti musulman de Zagreb, Sevko Omarbasi,a dit qu'àla fin dejuillet [1992]
les Serbesavaientexécutétrente-sepitmams.)) (Nations Unies,deuxièmerapport des
Etats-Unis, 23 octobre 1992, doc. Sl24705, p. 9.)

2.2.2.18. Un Musulman dequarante-huitans originairede Sanica Danja, près de Kljuc,a dit
avoir assisté, aprèsi'occupationde cette ville, la décapitation d'unecentaine d'hommes parles
forces de la JNA au débutdejuillet 1992 : «lestroupes régulières[JNA]sontentréesdenouveau [à SanicaDonja] ..Parties d'une

extrémité du village, elles sont alléesd'une maisonà l'autre,ont pris tous les hommes
en otage et les ont utilisés comme boucliers humains pendant qu'elles ratissaient le
village.

Selon lestémoins, ces soldats dela JNAfaisaient partie de la sixième brigade de
Krajina, dont le quartier général se trouve aPalanka.

Les quelquetrente-deux hommesont été ..etjetés dansun camion bâché ..[qui]
s'est arrêtéà l'écoleOjedinostovo a Tomina ... Les hommes faits prisonniers ont été
sortisde l'écolepar groupe:sdetrois et emmenésen direction de trois autres soldats qui
setrouvaient près des camions. Ces soldatsont étendules prisonniers sur le sol et leur

ont tranchéle cou avec un couteau à lame courbe d'une trentaine de centimètres de
long. Quatre hommeshabillésen civil, apparemment des prisonniers,ont alors mis les
têtes dansun camion et les corps décapités dans l'autre.)) (Nations Unies, sixième
rapport des Etats-Unis, 10 mars 1993,doc. Sl25393, p. 10.)

2.2.2.19. A Banja Luka, rggionde laBosnie septentrionalecontrôléepar les Serbes, lesforces
serbes continuent encore à assassiner,àmassacrer et àintimider les Musulmans et les Croates. Le
rapporteur a déclaré récemment que les autorités serbe dse Banja Luka avaient effacé toute trace
physiquede laprésenced'unecommunautémusulmaneendémolissantlesdeuxcent deuxmosquées

de lamunicipalité.Le 15 décembre1993,lesvestigesde la mosquéeFerhadpasinadu XVI'siècle,
et de quatre autres mosquées et mausoléesont étérasés,et le terrain sur lequel était construitla
mosquée sert maintenant d'aire de stationnement(Nations Unies, sixième rapport,21 février1994,
doc. E/CN.4/1994/110, p. 6, par. 13).

2.2.2.20. Bien que la majorité dela population musulmane ait étésystématiquementchassée
de Banja Luka et de ses environs, les forces serbes qui contrôlent la régionont continué de tuer,
de violer et d'intimider ceux qui sont restés. Commentantla menace qui pèseplus quejamais sur
les Musulmans et les Cr0ate.s de Banja Luka, Joran Bjallerstedt, l'administrateur du Haut
Commissariat des Nations Unie!;pour les réfugiéschargé d'assure lr protection en Yougoslavieet

dans les anciennes républiques de la fédération,a déclaréau débutde 1994 :

«Nous assistons à des atrocités systématiqueset la situation empire ...la seule
solution qui s'offre à nous maintenant est de sortir les gens de cette région. Des
centaines de vies humaines sont en jeu.)) (International Herald Tribune,
28 mars 1994.)

2.2.2.21. Les exemples qui précèdentne sont qu'un très faible échantillon des milliers de

témoignages recueillis et desnombreux rapports écritssur le sujet. Mais ils indiquenttous la mise
en Œuvre d'une politiqued'assa:;sinatsdirigéeprincipalement contre la population musulmane par
les forces serbes, mais aussi contre les Croates et tous ceux qui osent s'opposeràeux.

Section 2.2.3. Les tortures

2.2.3.1. La privation systématique de nourriture. l'humiliation, les agressions sexuelles,
notamment le viol et la sodomie, la violence physique et les agressions psychologiques perpétrées
principalementcontre les Musulmans,mais aussi contre les Croates, étaient tous très courants dans

les régions contrôléespar les forces serbes. Les camps de concentration n'étaientpas les seuls
théâtresde ces actes de barbarie calculée. -!"' 8 2.2.3.2. Vers le 30 mai 1992,la ville de Prijedor ayant été attaquear les forces serbes, un
certain nombre de Musulmans ont été amenéa su secrétariat des affaires intérieures(SUP). où ils
ontété incarcéréb s,ttus, torturés etoù certainsont tués.Un des hommesrelate lesupplice qu'il
a vécu :

«Dans le SUP,des soldatsserbes m'ontenfoncélaculasse d'unfusildans lecrâne.
Les Serbes nous frappaient tous sans pitié;ils nous ordonnaient de nous mettre face
au mur pour nous empêcher de voirlequel d'entre eux nous battait. Il y avait une
centaine de soldats serbes dans la pièce pour nous ((interroger))et nous frapper.))

(Nations Unies, deuxième rapport du Canada, 30 juin 1993, doc. Sl26016, p. 16,
par. 2.13.)

2.2.3.3. Le 20 juillet 1992,des soldats serbes ont rassemblé les hommes musulmans vivant
dans le village de Biscani:

«Les hommes avaient été forcé ss'allongersur lepavéau centre du village. Des
soldats serbes les ont frappés avec des barres de fer et les ont obligàchanter des

chants patriotiques serbes.

Les femmes les plus connues du village, au nombre d'une centaine, ont été
rassemblées. Pendant qu'on leur disait de se disperser, on leura tiré dansle dos.
Leurs corps sont restéspendant quatre jours sur la route jusqu'à ce que des camions
serbesviennent lesenlever.)) (The UnitedStatesDepartment ofStateDispatch, Bureau
of Public AfJairs, 2 novembre 1992. p. 803.)

2.2.3.4. Un Musulman de vingt ans qui s'étaitenfui de Hambarine aprèsavoir été agressépar
les Serbes est tombé entre leurs mains par la suite. II a relaté commentles Serbes ont arrêtéle
20 juillet tous les hommes de plus de quinze ans de Biscani, où il habitait chez son oncl:

«A en juger par les accents et le type de casquette que portaient les soldats, le
témoin estime queceux-ci étaient des Monténégrins.

..les soldatsont ordonnéaux huit hommes,qu'ils avaientalignéspar groupesde deux,
9.JL à commencer àbattre son voisin. Le témoinétaitau bout de la rangée, àcôtéde son
. .
père,et on lui a donc ordonné de commencer à battre ce dernier.

Un instant après,I'hommequi était devantle témoina refusé de tabasserson fils
plus violemment, comme le lui demandait le soldat. Un des soldats a alors quittéla
route avec I'hommeen question. l'ajeté dansle fossé etil l'aabattu d'uncoup de feu.

Au terme de ce supplice, six des huit hommes avaient ou bien refuséou bien été
incapables de continuer à frapper un membre de leur famille et ils ont été exécutés.
Le témoinet le plus jeune du groupe sont parvenus à persuader les soldats de leur

laisser la vie sauve en mentant et en leur disant qu'ilsn'avaientque dix-huit ans. Les
soldats ont toutefois passéà tabac les deux garçons et le témoina perdu une dent.»
(Nations Unies, sixième rapport des Etats-Unis, 10 mars 1993, doc. S125393, p. 3,
par.4.)

2.2.3.5. Le septième rapport des Etats-Unis relate le témoignage de trois Musulmans âgés
respectivement de trente-trois, trente-cinq et trente-neuf ans, originaires de Bileca. Ils ont assisté

au rassemblement de toute la population musulmane de leur village, à son incarcération dans des
centres de détentionetàla ((purificationethnique))finalede Bileca par les autorités serbes loc:les «Le témoinde trente-cinq ans a racontéque l'onavait choisi cinquante hommes
au centre de détentionde Bileca pour leur infliger des mauvais traitements. Chaque
nuit, la police entraitaris le camp et pratiquait la torture du ((téléphone)). Cette

méthode consistaità administrer des décharges électriques de40 volts aux détenus a
I'aided'un câble de téléphone attaché leurs doigts. Chaque fois qu'oncomposait le
numérodu téléphone, lesprisonniers recevaient de puissantes décharges électriques.))
(Nations Unies, septième rapport des Etats-Unis, 12avril 1993,oc. S125586,p. 15.)

2.2.3.6. Les hôpitaux étaie:égaiement utilisés comme lieuxde torture par les forces serbes.
Les Musulmans qui avaient suiliécuau massacre effectuépar les forces serbes a Vlasica ont été
internésa I'hôpitalophtalmologique de Paprikovac, dans un des faubourgs de Banja Luka, utilisé
140 à l'époquepar les forces serbes établies dans la régio:

«Les quatre intéressés avaient été trouvés séparément, errant daln es bois

plusieurs jours après le massacre de Vlasica...[et ils ont été] remis aux militaires
serbes...La nuit, des soldats serbes blessésqui venaient d'autres parties de I'hôpital,
ainsi que des gardes, les battaientcoups de câbles métalliqueset de matraques [tous
lesjours]...

Les prisonniers recevaient une tranche de pain parjour avec un peu de bouillon.
Ils n'avaientpresquejamais d'eau potablemais étaient régulièrement obligés de boire
de l'urine. On leur avait donné à tous les quatre à leur sortie de I'hôpital des
documentscertifiantqu'ilsavaientététraitép sourdesblessuresinterneset desmaladies
cardiaqueschroniques. Lt:sprisonniers ont toutefois déclaqu'on neleur avait même
pas donnéun comprimécl'aspirine ...

un jeune musulman de seize ans ...a son arrivée à I'hôpital...a été frappé une
vingtaine de fois dans la régiondes reins par lepolicier militaire de servicendant
le mois qu'ila passé[là], il a reçu unetranche de pain par jour et rarement de l'eau
potable. Son poids est passéde 68 à 50 kg. Les gardes obligeaient les prisonniers a
boire unverre d'urinematin et soir.)) (Nations Unies,troisième rapportdes Etats-Unis,
10 novembre 1992, doc. S124791,p. 13-14.)

2.2.3.7. Le 11juin 1992,iuntechnicien agricole musulman de vingt-quatre ans, originaire de
Kotor Maros,a étéappréhendp éar dessoldatsserbes revêtusd'uniformesportant l'insignedesaigles
blancs :

«A la manufacture [defourrure de Koza Proletaria], un garde a mis le canon d'un
fusil dans la bouche du témoinet l'asoulevéde terre. Un autre garde a arraché deux
de ses dents supérieuresaI'aidede tenailles.Il a dit qu'ilavait étébattu, de mêmeque
cent autres hommes, pendant huit jours et qu'ils avaient été contraints d'avoir des
rapports sexuels les uns avec les autres... La pièce ne mesurait qu'environ 2,s m
sur 3,s m, et pourtant on y entassait parfoisjusqu'a soixante-dixhommes. Les gardes
serbesjouaient de la musique à plein volume pendant qu'ilsbattaient les prisonniers
dans les pièces adjacenteset dans la cour. La pièceétait crasseuse. On leur donnait
de la nourriture avariée,pleine de moisissures et ils n'avaient pasaccèsun cabinet
de toilette. Leur peau devenaitjaune sous l'effetde lajaunisse. Il a passéplus de trois

mois dans de telles condiitions,sans jamais prendre un bain ni laver ses vêtements.
Le 10octobre, ce témoinletdeux autres Musulmansont été échangés contru en Serbe.
Trois gardes serbes,qu'il a reconnus, I'ontemmenédansla cour du tribunal où ils I'ont
battu sauvagement, puis lui ont lié les bras auxjambesà la manière des moutons et
I'ontobligéà bêler. Plus tard, ils I'ontattachà une Land Rover et I'ontconduit à l'hôpitalen le faisant courir derrière le véhicule. A l'arrivée, ilsl'oàtramper.

à bêleret à manger de I'herbe,qu'ils lui ont dit ensuite de vomir parce que c'étaitde
I'herbeserbe.

Un garde a apportéde l'huileà nettoyer les fusils, très acide et en a fait boire un
demi-litre au témoin. Celui-ci a immédiatementétésaisi de convulsions stomacales.
Un deuxième garde aretroussé l'unede ses manches et a écraséhuit cigarettes sur son
bras. Peu après, il a étéremis aux forces musulmanes du village de Vecic.))
(Nations Unies, quatrième rapport des Etats-Unis, 8 décembre 1992,doc. Sl24918,
p. 14, par. 5.)

2.2.3.8. Le rapporteur cite également des comptes rendus de tortures de centaines de
Musulmans qui ont été incarcérép sar les forces serbes à Bratunac, en Bosnie orientale,
le 9 mai 1992 :

((Entrecinq cents et sixcents hommes avaient étdétenusdanslehall d'uneécole
élémentaire. Ceuxqui ne pouvaient pas entrer à l'intérieurétaient battus avec des
armesautomatiquesdevant l'école. Les membresles plus influentsde la communauté,
dont le nom figurait sur des listes auraient étébattus. Entre trente et cinquante
personnes seraient mortes de leurs blessures au coursde la première nuit etneuf autres
seraient mortes étoufféesdansla bousculade qui s'estproduite alors que les cinq cents

à six cents prisonniers s'efforçaient d'échapperaux coups. Un imam aurait étébattu
et poignardédevant lescinqcents à sixcentsprisonniersaprèsavoirrefuséd'embrasser
la foi chrétienneet de faire le signe de bénédiàtla manière serbe. Aprèsavoirété
battus pendant troisjours, les prisonniers ont été transfàPale, où ils ont continué
d'êtremaltraitésjusqu'au momentou ils ont été échangésA . vant de quitter Pale, les
détenusauraientété attachéspar groupes de dix et forcésde passer entre des rangs de
soldats qui les auraient battus avec des câbles, des matraques et des barres der.))
(Nations Unies, rapport, 10 février1993,doc. E/CN.4/1993/50, p. 15, par. 65.)

2.2.3.9. L'ampleurmêmeet le caractère systématiquede la campagne de torture menéepar
les forces serbes contre les Musulmans visaienà assujettir et en fin de compteàexterminer la
population musulmane dans les régionscontrôléespar les forces serbes.

Section 2.2.4. Les viols

2.2.4.1. La profonde perversion dans laquelle le désirde ((purifierethniquement))la région
serbe a plongé lesforces serbesà donner lieu auviol de fillettes qui n'avaient pas plus desept ans
et de femmes qui avaientjusqu'à soixante-dixans (voir, entre autres,itedStatesDepartmentof

State Dispatch Bureau ofPublic Affairs,Report on WarCrimes -former Yugoslavia;Maggie
O'Kane, ((ForgottenWomen of Serb rape camps», The Guardian,19 décembre1992; «A Pattern
of Rape)),Newsweek,4 janvier 1993).

2.2.4.2. Dans le rapport intitulé((Bosnia-Herzegovina Rape and sexual abuse by armed
forces)),datédejanvier 1993,Amnesty International fait état de certainscasde viol. A la page,
le rapport relate en détaille viol d'unejeune fille de dix-sept ans. Elle a été per les Serbes
revêtusd'uniformes de la JNA et gardée trois mois avec une centaine de femmes. Durant sa
détention, cettejeune fille et les autres ont étévioàéplusieurs reprises et on leur a dit qu'elles
I3 porteraient des enfants serbes. 2.2.4.3. Le sixième rapport des Etats-Unis relate le témoignage d'une musulmane de

trente-deux ans originaire de la régionde Teslic. Cette femme avait trouvé refuge dans un camp
de réfugiésde la Croix-Rouge serbe, mais elle y a été arrêté etevioléeà plusieurs reprises par des
soldats serbes armés,dont les uniformes portaient les initiales«SMP)). Elle a vu presque tous les
jours des soldatsvenir chercherdes femmes le soir(Nations Unies, sixièmerapport des Etats-Unis,
9 mars 1993, doc. Sl25393, p. 23).

Le rapport contient égalenientle récitdu viol d'unejeune musulmane de quinze ans. Après
la prise de sa ville (Teslic) par les forces serbes, elle a été conduitepar des soldats serbes avec
d'autres femmes dans un petit rniotel:

«Le périmètredu complexeétaitcomplètementclôturéde barbelés.Descentaines
d'hommes, defemmes et d''enfanty étaientdétenus ..letémoin ...a dit que les soldats
«nous violaient toutes les riuits)). La plupart des nuits, vingt soldatsvenaient au motel.
Les prisonnières étaient forcéesde se déshabiller,puis de faire à manger pour les
soldatset de les servir. Chaquefille oujeune femme était violéepar plusieurssoldats,
et plusieurs d'entre elles étaient violées ensemble dansla même pièce.Ce témoina
vécuet observétant de viols qu'ilne pouvait en estimer le nombre...)) (Ibid., p. 17.)

2.2.4.4. Dans son rapport au Conseil de sécurité,l'Autrichea égaiement fait étatde viols de

femmes dans le camp de con~~entrationde Prijedor : Trnopolje (Nations Unies, 6 mars 1993,
doc. Sl25377, p. 39-42).

2.2.4.5. Les soldats serbes ont brutalement violé quarante Musulmanes originaires de
Brezovo Polje, au nord de Sarajevo, durant le voyage en autocar à Caparde (voir United States
Department ofStateDispatch,Bureau ofPublicAffairs,2 novembre 1992,p. 804;ontrouvera aussi
dans le Dispatch du 16 novembre 1992un témoignagedans lequel une des victimes a déclaré à un
journalisteà la fin août que son ravisseur serbe avait dit que le viol faisait partie des ordres qu'il
avait reçus).

2.2.4.6. Le fait que le viol étaitutilisé commeune arme par les Serbes qui savaient bien les
stigmates que cela constituerait pour une femme musulmane est confirmé par le récit d'un
combattant serbe de vingt et un ans, Borislav Herak. II a déclaré :

«s'êtrerendu tous les trois ou quatre jours à un motel-restaurant près de Vogosca
- localité situéà 11kilomètresau nord de Sarajevo - le Sonja Cafe, qui avait été
transforméen prison pour Musulmanes. II a indiqué l'identité du ((commandantde la
prison)), dont il a ditu'iilavait instituéun ((système))permettant aux combattants

serbes de violer et detuer lesfemmes internéesdans cet établissement. Sescamarades
et lui-mêmeétaientencouragés par leschefsmilitaires àaller au Sonja Cafe, carvioler
les Musulmanes était«bon pour le moral des combattants)). Le commandant de la
prison avait égalementtenu les propos suivants :

«Vous pouvez faire d'ellesce que vous voulez. Vous pouvez les emmener -
nous n'avons pasassez de nourriture pour les garder, de toute façon - et ne les
ramenez pas.)) (Nations Unies, quatrièmerapport des Etats-Unis, 8 décembre1992,
doc. Sl24918, p. 8, par. 3-4; voir égalementThe Guardian, 3 décembre 1992.)

Deux déserteurs serbesorit égalementdéclaréqu'on leuravait ordonnéde violer et de tuer
des femmes (Newsweek,4 janvier 1993, p. 28, col. 4, par. 3). 2.2.4.7. La tactique des Serbes consistait égalementà garder en prison les femmes violées
jusqu'à ce qu'elles aient atteint un stade de grossesse avancé

«[en septembre 19921Au moins cent cinquantefemmes et adolescentes musulmanes,
dont certaines n'avaient que quatorze ans, qui sont passées aucours des dernières
semaines dans des zones de Sarajevo tenues par les forces gouvernementales
bosniaques, sont dans un état degrossesse avancé; elles auraient été violéep sar des
combattantsnationalistesserbes et on les aurait ensuite gardéesen prison pendant des
mois pour les empêcher d'interrompreleur grossesse ...

Une jeune fille musulmane âgée dequinze ans a dit le 1" octobre à la BBC
qu'elle avait été arrêtépar des combattants serbes à Grbavica, quartier de Sarajevo
tenu par les Serbes. Elle avait été enfermée en compagnie d'une vingtaine d'autres

jeunes filles dans une petite pièceoù on leur avait ordonné de se déshabiller :

«Nousavonsrefusé. Ilsnous ont alors battues et nous ont arrachénos vêtements.
Ils nous ontjetéespar terre. Alors que deux hommes m'immobilisaient,deux autres
me violaient. J'aicrié etj'ai essayéen vain de résister. Ils disaientqu'ils voudraient
s'assurer quej'allais donner naissanceà un petit Serbe, et ils ne cessaient de répéter
cela pendant tout le temps où ils m'ont gardée là-bas.)) (Nations Unies, troisième
rapport des Etats-Unis, 1Onovembre 1992,doc. S/2479 1.)

2.2.4.8. Amnesty International a fait observer que :

«[bien que d'autres femmes aient égalementété victimes d'agressionssexuelles] :les
Musulmanesont étéles principales victimes, tandis que les principaux auteurs de ces
actes étant desmembres des forces armées serbes. Les renseignements disponibles
indiquent que dans certains cas les viols de femmes ont étéréalisésd'une manière
organiséeou systématique,avecl'incarcérationdélibéréedes femmesaux fins de viol
et d'agressionssexuelles. Les incidents qui sesont accompagnésd'agressionssexuelles
à l'encontrede femmes semblentfaire partie d'untype de guerre plus large caractérisé
par l'intimidationet les mauvais traitements infligésaux Musulmans et aux Croates;

cette stratégiea contraint des milliers de gensàs'enfuirou à adopter, par crainte de
nouveaux sévices, une attitude docile après avoir été expulsés de leurs régions
d'origine.)) (Rapport,Bosnia-Herzegovina Rape and SexualAbuse byArmed Forces,
janvier 1993, p. 1.)

2.2.4.1. Maggie O'Kanea évoquéles entretiens qu'ellea eus avec des victimes de viols qui
ont réussiàatteindre les camps de réfugiésde Zenica. Elle a décritle supplice d'une femme violée
qui avait étédétenue àTrnoljpe, où environ deux mille cinq cents à trois mille femmes avaient été
amenéespour être violées entrela mi-mai et juin 1992 :

«Sejma Alukic étaitune machiniste de trente-quatre ans, qui travaillait dans une
04.6 scierie prèsde Foca. Elle a étédétenuedans le camp de Trnopolje, et est l'unedes
cinq femmes du camp à avoir fait le mêmerécitdes viols collectifs commis par les
soldats serbes.

Elle a des cheveux blonds et longs; elle parle d'une voix inquiète et d'un ton
insistant, en agitant les mains «Les soldats sont ent~és[dans la salle du camp] vers 10 heures. aprèsl'extinction
des lumières, et ont éclairéles visages des filles avec des torches pour trouver celles
qu'ils voulaient. Puis ils les ont emmenées. Personnen'arésistéou ne s'est débaitu,
car ils nous avaient dit qu'ils nous logeraient une balle dans la tête.))

Durant les mois que Sejma a passéau camp de Tmopolje, ils prenaient tous les
soirs environ cinq filles eitfemmes de chacune des trente salies de l'école primaireoù
elles étaient détenues etles emmenaient à la scierie «Dip Jela» à environ trois milles
du camp. Ces femmes étaient violées dansles dix-sept bureaux attachés à la scierie:

((Plus d'une centaine d'entre nous étaient amenées chaque soir. C'était pire
lorsqu'ils perdaient une bataille - alors ils voulaient en avoir davantage.))
(Maggie O'Kane, ((Forgotten Women of the Serb Rape Camps)), The Guardian,
19 décembre1992;voir [JnitedStates Department of State Dispatch, 8 février1993,
p. 76, du récit d'unmédecin quia assistéau viol et au matraquage de Musulmanes par
les forces serbes au camp de concentration de Trnopolje.)

2.2.4.2. Le rapport d'une mission d'enquête surle traitement réservé aux Musulmanes dans
l'ex-Yougoslaviea été remis aux ministres des affaires étrangèresde la Communauté européenne
par Mme Anne Warburton. On y lit notamment :

((9...Le fait que le!;femmes musulmanes de Bosnie-Herzégovine représentent
la grande majorité des victimes de viol s'expliquepar l'intensitéde ce conflit et les
formes qu'il a prises. Le gros des attaques des Serbes de Bosnie-Herzégovine a été
concentré dansles zones iiforte densitéde population musulmane telles que la région
deBrcko (44 pour cent deMusulmans). lavalléede laDrina(Zvornik - 60 pourcent,
Bratunac - 64 pour cent, Srebrenica - 74 pour cent, Visegrad - 63 pour cent,

Gorazde - 70 pour centet Foca - 51 pour cent)et lazone de Prijedor (44 pour cent
de Musulmans) dans le but de délimiter unterritoire ethniquement homogène entre la
Serbie et les zones serbes de la Bosnie-Herzégovineet de la Croatie occupées ...[le
rapport fait également étatdu fait que d'autres personnes ont également subi de
mauvais traitements mais dans une moindre mesure].

10. ..Environ 70 pour cent duterritoirede Bosnie-Herzégovineest souscontrôle
serbe, et il est extrêmement difficilepour les institutions internationales de travailler
dans ces régions. Le HCR estime que plus de 2.6 millions de personnes avaient été
déplacéesau mois de novembre 1992..

13. ..Sur la base de ses recherches, la mission est convaincue que le viol des
femmes musulmanes a étt5e.t est peut-êtreencore, perpétré à grande échelle et d'une
manièretelle qu'ilpeut être considéré commu en élément important d'une stratégiede
guerre.

14. ..Selon l'hypothèsela plus plausible présentée à la mission, le nombre de
victimes serait d'environ vingt mille [tandis que] celui des grossesses pourrait être
de mille ...

19. Pendant toute I,a durée de sa mission ...la délégationa fréquemment
entendu ...qu'une caractéristiquedes attaques serbes contre les localités et villages
musulmans étaitle recours au viol, surtout en public, ou a la menace de viol, comme

arme de guerre pour contraindre les habitants à quitter leurs foyers...accompagnéou
suivi de la destruction des habitations, des mosquéeset des églises. La mission a vu
des déclarations et des clocuments émanantde sources serbes, qui inscrivent très clairement de tels agissements dans le cadre d'une stratégieexpansionniste...)) (Lettre
datéedu 3 février1993 adresséepar lereprésentant permanentdu Danemark auprès
de l'organisation des Nations Unies, doc. 925240.)

Section 2.2.5. L'expulsion des populations et la destruction de leurs biens

2.2.5.1. La stratégie des forces serbes ne consistait pas seulementà infliger de mauvais
traitements aux Musulmans ainsi qu'aux Croates. Ces actes étaient souvent précédés de

bombardements massifs d'une localitéou d'unvillage, la dévastationet les tueries systématiques
visant àcauser le plus de perturbations possibles pour contraindre les genà quitter leurs foyers.
Ce faisant, toutes les traces de la présence musulmane et croate que constituaient les églises et les
mosquées étaient effacées.Parmi les gens qui fuyaient, seuls ont survécu ceuxqui avaient de la
chance. La plupart du temps, ils se retrouvaient en face des forces serbes qui les menaçaient, les
emprisonnaient, les violaient, les torturaient ou les massacraient.

2.2.5.2.L'utilisationduterme clinique((nettoyageethnique))pourdésignerune brutalitéet une
cruauté pareillesprouve la dépravation des forces serbeset leur total méprisde la vie humaine, de

la liberté et des valeurs sur lesquelles reposent toutes les formes de comportement civilisé (voir
Nations Unies, Comité des droits de l'homme, Pacte international relatif aux droits civils et
politiques, 27 avril 1993,oc. CCPRJCl89, p. 13, par. 37, et p. 14, par. 51).

2.2.5.3.A la fin avril et au débutdu mois de mai 1992, les forces serbes ont attaquéla ville
de Mostar, détruisant au moins treize mosquées et forçantla population civile à s'enfuir. Un
incident bien précis illustrele mode d'opération conjointde la JNA et des forces paramilitaires
serbes :

«le 1" mai [1992], une unitéde laJNA a pris positiona proximitéde deux immeubles
d'habitation appartenantà la fabrique de cigarettes et situés surle mêmeterrain. Les
membres ont alors ouvert le feu avec leurs mitrailleuses. Un résidenta téléphoné aux
bureaux des Nations Unies et de la Croix-Rouge situés dans le magasin «HIT»;peu
après,un soldatdes forces spécialesde laJNA, portant une tenue de camouflageet un
foulard noir autour de la tête.et deux policiers militaires d'une unitéaéroportée sont
arrivés sur leslieux. Letémoin estime,d'aprèsleuraccent,qu'ils étaientMonténégrins.

Le soldat des forces spécialesa enfoncéla porte d'unappartement et, en menaçant les
occupants, a demandéqui avaittéléphoné au représentantdesNations Unies. L'instant
d'après, des soldats de la JNA arrivaient sur les lieux et se sont mis à saccager
l'appartement à la recherche d'armes.

La nuit d'après,un groupe de civils serbes revêtusd'uniformes paramilitaires est
entré dansles deux immeubles et a emmenédix hommes. Un officier supérieur des
forces paramilitaires a dità ses hommes qu'ils pouvaient choisir les femmes qu'ils
voulaient pour se distraire. Plusieurs des appartements des deux immeubles ont été

incendiéspar des balles traçantes tiréespar les tanks de l'unité.)) (Nations Unies,
sixième rapport des Etats-Unis, 9 mars 1993, doc. Sl25393, p. 28; voir également
Helsinki Watch, War Crimes In Bosnia-Herzegovina,août 1992, p. 35 et suiv.) 2.2.5.4. Dans la prise de Visegrad (Bosnie orientale), les forces de la JNA venues de Serbie
ont jouéun rôle essentiel. Des mouvements massifs de troupes et de matérielen provenance de
Serbie et pénétranten Bosnie-.Herzégovineont été vuspar un grand nombre d'observateurs
indépendants (voir Ian Traynor, The Guardian, 14. 15 et 16 avril 1992; Blaine Harden.
The Washington Post, 15 et 16avril 1992).

2.2.5.5. Peu de temps après avoir occupéla ville, les forces serbes se sont lancéesdans lii

débauche de meurtres et de destruction quine leur est que trop familière. Le rapporteur a fait état
du récitd'une retraitée musulmane qui, à la mi-avril 1992 :

«a observépendanttrente-six heures de lafenêtrede son logementlesforcesserbes qui
exécutaient des groupes de personnes sur le vieux pont de Visegrad. Les victimes
étaient soitjetéesdu pont et abattues dans l'eau,soit abattues puisjetées dupont. Des
groupes de personnes auraient été embarquées dand ses véhiculeset tuées surle pont
toutes les trenteà soixante minutes. La femme qui a témoignéa pu quitter la ville,
mais elle a dû alors travtzrser le pont. Elle a le souvenir précis d'avoirmarchéau

milieu des corps desvictimes en traversant. Le rapporteurspéciala appris qu'en raison
des nombreuses atrocités qui ont été commisesle long de ses rives entre Foca,
Bratunacet Bijeljina, dans;lecentreet l'estdela Bosnie, lefleuveest connu localement
sous le nom de fleuve de la mort.» (Nations Unies, rapport, 10février1993,
doc. E/CN.4/1993/50, p. 13-9,par. 35.)

2.2.5.6. En juin 1992, les forces serbes ont perpétré d'innombrables crimes à l'endroitdes
populations musulmane et croate de Kozluk. prèsde Zvomik, semant la mort, forçant les gens à

s'enfuiret leur infligeant de mauvais traitements. Avant de s'emparerde la ville, les forces serbes
ont procédé à l'exécutiondes civils, et elles ont pilonnéla viàlpartir des montagnes de Gucevo,
de l'autre côté de la frontière en Serbie (Nations Unies, septième rapport des Etats-Unis,
23 septembre 1992, doc. 924583, p. 31,par. 6:voirégalementlecinquièmerapportdesEtats-Unis,
27 janvier 1993, doc. SI25171, p. 3. qui fait référencà certains des événements survenus à cette
époque).

2.2.5.7. Les forces locales serbes ont été renforcéepsar des unités régulières de charset
d'infanterievenuesdesvilles serbesdeValjevo, Sabac,Loznica,Novi SadetTitovo Uzice. Lorsque
les forces serbes ont pris la ville.,lesmauvaistraitements ont commencé(NationsUnies, quatrième
rapport des Etats-Unis, 7 décembre1992,p. 9-10: septièmerapport des Etats-Unis, 12avril 1993,
doc. Sl25586, p. 31).

2.2.5.8. Le huitième rapportdes Etats-Unis relate le récitdes événements auxquelsa assisté
le 8 avril 1992 un Musulman dme soixante-quatre ans originaire de Zvornik:

«Les «Tchetniks» [nationalistes serbes] ont incendié environ quelque
deux cents maisons. Aprèsavoir obligéles gens à sortir de leurs maisons, ils leur ont
ordonné de rester en groupe en face d'une grande maison. Deux hommes
musulmans ..ont ététuésdans leur maison. aprèsquoi lescadavresont été transportés
au-dehorset brûlés. Entout, environ soixante-seize personnes ont été tuéesl,aplupart
dans leurs cave... Quelquesjours plus tard ..les forcesserbesontcommencé à creuser au bulldozer

d'immensesfossesdans les cimetièresmusulmans du sud-ouest deZvomic même. Les
témoinsontvu lesautocarset lescamionsdéverserunnombre indéterminé de cadavres
dans ces fosses jusqu'à trois fois par jour...)) (Nations Unies, huitième rapport des
Etats-Unis, 16juin 1993,doc. S125969,p. 20, par. 5.)

2.2.5.9. Ceux qui n'ont pas été tués ont été expulsp éasr les forces serbes et les autorités
yougoslaves, comme l'arelatéle rapporteur :

«Les villes ont étébouclées par lesforces serbes. Les familles musulmanes ont
été avertiesqu'ellesavaientsixheures pour faire leursbagages et se rendreà uncertain

point de rassemblement. Dans le cas de Zvornik, c'étaitla cour d'une ferme. A ce
point de rassemblement, les noms desexpulsésont été inscritssuu rne listeque chacun
a dû signer personnellement. Ils ont étéinformés que par cette signature ils
renonçaient ((volontairement» à toutes leurs possessions. On leur a ensuite ordonné,
parfois sous la menace d'unfusil, de monter dans des bus et des camions, puis dans
des trains,jusqu'à ce qu'ilsarriventà Palic (Vojvodine) où ils ont été amenés dans le
camp local. Des photographes sont venus dans le camp pour prendre la photo des
expulsésauxquelson a ensuite remis des passeports yougoslaves, bien qu'ilsn'enaient
apparemment pas fait la demande. Certains de ces passeports étaient délivrép sar le
«MUP (ministère des affaires intérieures)de la Républiquede Serbie, secrétariatde

Subotica)). Des expulsésont raconté qu'entrele 26 juin et le 1"juillet 1992 le camp
dePalicabritait environmille deuxcents personnesdeKozlucetmille huitcents autres
de Zvomik. Aprèsavoir été conduites a la frontière,ces personnes ont pu pénétreen
Hongrie en qualité de réfugiés.)) (Nations Unies, rapport, 10 février1993,
doc. EICN.4/1993/50, p. 22-23, par. 99.)

2.2.5.10. Le village de Ripac, prèsde Bihac, a étéen partie détruit. Aprèsavoir purgéla
régionprincipalement de sa population musulmane, les forces serbes ont institué un contrôle
rigoureux des mouvements de ceux qui restaient :

«[les forcesserbesont délivré]deslaissez-passer spéciauxet [introduit] le systèmedes
prétendus «nouveauxregistres de police)) ...A Bosanska Otoka, où les cadavres des
civils gisent encore dans les rues, l'agresseur a pillé et détruit les immeubles
d'habitation des réfugiésmusulmans. D'aprèsles témoins retenusen otage par les
[forcesserbes] ...lesmaisonsauparavantoccupéespardes Musulmanssontmaintenant
habitéespar desfamillesserbes, et le cadastre est modifiépour y inscrire les nouveaux
propriétaires.))(Nations Unies, pacte internationalrelatif auxdroitscivilset politiques,
comité des droits de l'homme. 27avril 1993.doc. CCPRlCl89, p. 13, par. 43.)

2.2.5.11. En mai 1992, le village de Borajno dans le district de Cajnice a étévidé de sa
population musulmane, comme l'arelatéun témoin musulmande soixante ans :

«Le 10 mai, des forces serbes venues de Plejvlja, de l'autrecôté dela frontière
du Monténégros ,ont venues àBoranjo demander à tous les citoyens de remettre leurs
armes. Le 14 mai, les soldats ont ordonnéaux Musulmans de se rendre dans l'autre
partie du village, et les Serbes ont alors bombardéles maisons vides. Le matin
suivant, les soldats ont commencéa tirer en l'airàt15 heures lecommandant de l'une
des unitésserbes locales a ordonnéaux Musulmans de quitter le village. Les habitants se sont précipités dans lesbois. Immédiatement après,les forces

serbes ont commencé à bombarder les bois à partir des montagnes. Le témoinest
parvenu à retourner à Horajno le 18 mai, mais le village avait été déserté.))
(Nations Unies, huitième rapport des Etats-Unis, 18juin 1993, doc. Si25969, p. 34.)

2.2.5.12. Le 25 mai 1992, lalocalitéde SanskiMost (40 kilomètres à l'ouestde Banja Luka)
a été encerclép ear des forces serbes équipéesde tanks et de véhicules blindés. Toutelajournée
suivante, ces dernières ont bombardéla ville et démoli systématiquement les maisons. Dans un
ultimatum invitant la populationàse rendre, les forces serbes ont demandéaux Musulmans et aux
Croates d'identifier leursmaison!;en accrochant des draps blancs sur leur toit. Aprèsqu'unepartie
de la population d'estrendue, les maisons identifiéesont été bombardées, saccagées et brûlépeasr
les forces serbes, y compris lesroupesde la JNA (Nations Unies, deuxième rapport du Canada,
--!A 3 30 juin 1993,doc. Si26016,p. 17;et septièmerapportdesEtats-Unis, 12 avril 1993,doc. Si25586,

p. 33).

2.2.5.13. A Bosanska Dubica, lespopulationsmusulmaneet croate ont été l'objetde menaces
de la part des forces serbes qui contrôlaient la région,puis d'attaques sporadiques. Les procédés
d'intimidation utilisés ont convaincu les Musulmans et les Croates de la nécessité de partir.
Toutefois, ils n'ontreçu la permission de quitter le village qu'àcondition de partir avec toute leur
famille. En outre :

«Avant d'être autorisé às partir, les intéressés ont été contraise signer des
documents s'engageant à riejamais revenir. Aucune mention n'yétait faite desbiens
qu'ils possédaient dansle village, en particulier leurs maisons. Le témoina indiqué

qu'ils avaient le choix entre vendre à un prix dérisoire et confier les clés à la
municipalitéjusqu'à leurretour, c'est-à-dire,étantdonnéqu'ils ont signé lesdocuments
susmentionnés, à vie...)) (Nations Unies. rapport du rapporteur, 28 août 1992,
doc. E/CN.4/1992/S-119.)

2.2.5.14. Le 2 mars 1993, à l'intérieuret aux alentours du village de Cerska, non loin de
Konjevice Polje, les forces serbes de laJ (armée yougoslave) sesont positionnéespour occuper
levillage,empêchantl'évacuatiod nes femmes, des enfants.des vieillardsmusulmans etdes quelque
mille cinq cents blessés, les obligeantainsi'enfuirdansles bois. Ces derniers ont dû par la suite
affronter de fortes chutes de neige et se passer de nourriture, de sorte qu'un grand nombred'entre

eux ont péri(Nations Unies, rapport du rapporteur, 5 mai 1993, p. 4, par. 8, et p. 6, par. 17; et
septième rapport des Etats-Unis,,2 avril 1993,doc. Sl25586, p. 26). Un témoinqui avait trouvé
refuge dans les montagnes a relatéce qui suit :

«Les forces serbes entraient dans le village de Cerska avec l'infanterie,puis les
tanks et enfin les véhicules blindé: «Les maisons avaient déjà été détruitepsar les
bombardements, mais s'il nerestait mêmequ'unmorceau de toit intact, les Serbes y
mettaient le feu pour que tout le monde puisse voir.» (Nations Unies, rapport du
rapporteur, ibid.p. 6, par. 15.)

2.2.5.15. A Bijeljina, en mars 1993, les forces serbes ont eu recours aux mêmesméthodes
154 qu'ilsont appliquées dans toutesles régionsoù elles avaient exerce leur domination brutale; elles

ont ainsi fait sauter et détruit complètement sixmosquées. Une équipe de télévision dla BBC a
pu filmer les dégâts ainsicaustSs(Nations Unies, huitièmerapport des Etats-Unis, 16juin 1993,
doc. Sl25969, p. 32, par. 6). 2.2.5.16. Le caractère systématiqueet barbare des actes commis par les forces serbes à

l'encontredes populations musulmaneet croate,de leursfoyerset de leursreligionsn'ontqu'unseul
objectif, la création d'urégionserbe ethniquementpure d'oùles Musulmanset lesCroates seront
exclus.

Section 2.2.6. La créationde conditions de vie destructrices

2.2.6.1. Dans leur désir de créer des régions serbes ethniquement pures d et réaliserleurs
ambitions nationalistes et territoriales, les forces serbes ont uàgrande échellelatélévisionl,a
radioet lesjournaux pour dénigrer lesMusulmanset lesCroates. Il s'estainsi créuneatmosphère

dans laquellelahainead'abordconduit à ladiscriminationdansde nombreuxdomaines,notamment
celui de l'emploi. Cela s'est inévitablement transformé en violence contre les Musulman et les
Croates. Parexemple, à Banja Luka(où vivaienttrente milleMusulmans),un chef localdes forces
serbesa déclaré à latélévision qu'inl'yavait placeque pour mille Musulmanset que lesvingt-neuf
mille autres devraient partir ((d'unefaçon ou d'uneautre» (Nations Unies, deuxièmerapport des
Etats-Unis, 23 octobre 1992, doc. S/24705, p. 15,par. 4).

2.2.6.2. De son côté,le rapporteur a attiré également l'attentionces derniers temps sur
l'utilisation sans cesse croissante faitedes médiaspar les autorités serbes en vue de propager

l'intolérance raciale et religieu:e

((124.Un domaine qui préoccupebeaucoup [le rapporteur] est l'incitation à la
haine nationale et religieuse rencontrée dansla vie publiqueet dans les médias.Des
hommes politiques en vue font régulièrement des déclarations inflamatoiree st
menaçantes contre les groupes minoritaires ...

125. Leclimat ambiantde haine ethnique et religieuse est également encouragé
par la désinformation,la censure et l'endoctrinementauxquels se livrent les médias
(voir Nations Unies, doc. E/CN.4/1194/47, par. 176-179). Les reportages sur les

atrocitéscommises ...enBosnie-Herzégovine notamment sontsélectifsetpartiaux.Les
médias dénigrenltes Musulmans et l'islamdans des articles à sensation déformant les
«crimes» passés et actuels qu'ils ont commis ((contrlee peuple serbe» tandis qu'ilest
rarement question des graves violations dont sont victimesles Musulmans, sauf pour
dire qu'il s'agit d'accusations malveillantes s'inscrivant dans une ((conspiration
antiserbe)). Les programmes de la télévision publique de Belgradeprêtent
régulièrementun caractère satanique à certains groupes ethniques et religieux...))
(Nations Unies, sixième rapport, 21 février1994, doc. E/CN.4/1994/110, p. 21,
par. 124-125).

2.2.6.2. Il n'est donc pas surprenant qu'il y ait des massacres et des persécutions de
Musulmansdepuisledébutde 1992enYougoslaviemême (Serbieet Monténégro) o,uI'Etatfélicite,
encourageet cautionneactivementlahainereligieuse(voirHelsinkiWatch, «WarCrimesin Bosnia
Herzegovinan,août 1992,p. 81-89; voirégalement,Nations Unies, sixième rapport périodiqu deu
rapporteur, 21 février1993,p. 24-26). Les régions dans lesquelles les Musulmans et les Croates
ont été particulièrement visé ssnt le Sandzak, le Kosovo et la Vojvodine.

2.2.6.3. Dans les régionsoù les Serbes n'étaientpas en mesure d'exterminer brutalementles
Musulmans et les Croates, ils se sont efforcés de détruire ces groupepsar attrition, ainsi que par
intimidation. Les Musulmans qui vivaient et vivent encore dans des régions dominées par les
Serbes ont été forcés de céder leu brisens ou perdaient leuremploi. Leur libertéde mouvementa
également été l'objetde violations flagrantes. 2.2.6.4. Au sujet de Banja Luka et d'autres villes, le rapporteur a attàrplusieurs reprises
l'attentionsur les difficultés extrêmes auxquelles fait facela population musulmane. exposéeaux
attaques des Serbes qui contrôlent la région:

((8.Avec l'escaladedu ((nettoyageethnique))observée à Banja Luka depuis fin
novembre 1993, de plus en plus nombreux sont les propriétaires qui ont repris
possession de leurs appartements,expulsant sommairement les locataires musulmans
et croates en violation des;dispositions de la l...En fait, un «office du logement))
auraitétécréédan lss senrices municipaux; il choisiraitdes logements pour les Serbes

déplacés, expulseraitles occupants musulmans et croates, et se rétribueraitpour ses
services avec les biens abandonnéspar les personnes expulsées ...

9. Presque tous les non-Serbes ont perdu leur travailàBanja Luka et on estime
que 3 pourcent seulementd'entreeux continuent d'avoirun emploi ...Pour les renvois,
souvent injustifiés,on invoque I'«insoumission~ ~..Les familles de personnes qui se
sont installéesà titre permanent dans d'autres pays peuvent connaître ce sort, les
émigrants pouvant être accusésd'insoumission ..» (Nations Unies, rapport,
21 février1994, doc. E/CN.4/1994/110, p. 5, par. 8-9.)

2.2.6.5. Lorsque les Serbes parvenaient à contraindre des Musulmans et des Croates à se
réfugierdans une régiondonnée, cesvictimes terrifiées étaientbombardéeset devenaient la cible
de francs-tireurs. En d'innombrablesoccasions, I'aidealimentaire et médicalea étérefusée à ces
victimes par lesforces serbes,qui empêchaiendt élibérémen l'tacheminement deI'aideinternationale
et parfois la détruisaientpour qil'ellene parvienne paà ceux qu'elles avaient si cruellement pris
au piège :

«LesautoritésdelaR.épublique fédérativede Yougoslavie (SerbieetMonténégro)
ont égalementmis des entraves à l'aidedestinéeà la Bosnie-Herzégovine. Elles ont

par exemple insistépour que les livraisons de combustible à Sarajevoet Tuzla n'aient
lieu que si les autorités serbes en recevaient des quantités équivalentes,
indépendamment de leurs besoins (le HCR a refusé). Le 10 décembre1993, le
Gouvernement de la Républiquefédérativede Yougoslavie (Serbie et Monténégro)a
refuséd'autoriser le passage de la frontièrea un convoi transportant du matérielde
protection contre le froid vers Gorazde [alors assiégé].)) (NationsUnies, sixième
rapport périodique,2 1 février1994,doc. E/CN.4/1994/110, p. 16, par. 69.)

2.2.6.6. Ce type d'agissementset d'autres tentatives de créerdes conditions destructrices en
vue d'empêcher que ne surviverit les Musulmans et les Croates ont été observés dans la partie de

la Bosnie-Herzégovineou les Serbes ne sont pas parvenus à éliminerles populations musulmane
et croate.

2.2.6.7. Par exemple, du début avril1992 jusqu'à maintenant, les forces serbes ont
effectivement tenu Sarajevo,capitale de la Bosnie-Herzégovine, dansun étau. Elles ont bombardé
les hôpitaux, les écoles,les mosquées.les égliseset les immeubles civils d'une manièredélibérée
(Nations Unies, quatrièmerapport des Etats-Unis. 8 décembre1992. doc. S124918,p. 15).

2.2.6.8. Le rapporteur a commenté ainsi la question du siège de Sarajevo par les forces
serbes : ((17.Une autre tactique utiliséepour forcer les Musulmans et les Croatesà fuir
consisteà assiégerune ville ..Sarajevo ...est bombardéerégulièrement,ce qui paraît
êtreune tentative délibérépeour terroriser la population. Desiancs-tireurs tirent sur

des civils innocents. La mission ..a égalementpu constater les dommages causés à
l'hôpital lui-même, quia été délibérémeb notmbardé à plusieurs reprises. bien que
l'emblème de la Croix-Rouge ...y soit bien visible. Des centres culturels ont
également été viséc s, qui conduit certains observateurà penser que les attaquants
sont résolus à «tuer» la ville elle-même et à anéantir la tradition de tolérance et
d'harmonie entre les groupes ethniques qu'elle symbolise.

18.Les civils vivent en permanence dans l'anxiétén,e quittant demeures ou abris
que lorsqu'ilsy sont forcés. Il est dangereux de se risqàel'extérieur,et nombreuses
sont les personnes et les familles qui restent isoléespendant de longues périodes. Les
réseaux publics d'alimentationen électricitéet en eau ne fonctionnent plus. Les
produits alimentaires et les autres biens de première nécessité sont rares, car

l'approvisionnement dépenddu pont aérien organisépar le Haut Commissariat des
Nations Unies pour les réfugiés et protégéar laFORPRONU. La caserne et le siège
de laFORPRONU,ainsique l'aéroport lui-mêmc e,mptentparmi lesprincipalescibles
des bombardements ... La distribution des fournitures humanitaires qui arrivent
effectivementest problématique. Tousleshabitantsde laville sontgravementaffectés
par les combats et par le siège.)) (Nations Unies, rapport, 28 août 1992,
doc. E/CN.4/1992/S-119,p. 7, par. 17-18.)

2.2.6.9. Mais bien que lesconditions se soientconsidérablementdétériorées depulis rapport
du rapporteur et que les francs-tireurs serbes continuent de tuer, I'espritde tolérancen'a pasété

anéanti. Aujourd'huiencore,des Serbes,desCroates,desJuifs etdesMusulmans vivent encore unis
dans cette ville, comme dans d'autresrégionsoù la culture de la Bosnie-Herzégovinea survécu aux
actes de destruction et de division des forces serbes.

2.2.6.10. La courte liste des faits mentionnés ci-dessusmontre le caractère épouvantablede
la politique des forces serbes. Elles n'ont passeulement essayé d'anéantirles Musulmans, et
égalementles Croates, mais elles ont agi avec brutalité envers tous ceuxqui se sont élevés contre
leurs conceptions racistes et cruelles. Bref, elles ont tenté d'éliminerqui ont vécu,et parfois
sont morts, pour le droit à l'existence en tant que Musulmans ou Croates dans une
Bosnie-Herzégovineoù I'espritde tolérance etde coexistence est source mêmede vie. L'avenirde
r r,
72/ la Bosnie-Herzégovinetémoigneradu fait que ces valeurs ont encore des racines profondes, bien
que les forces serbes aient essayé deles extirper du cŒur des Bosniaques. La Bosnie-Herzégovine
porte et portera toujours le flambeau de la tolérancequi continuera d'éclairerles sombres brumes
de la haine et de l'intolérance quitentent de l'éteindre. CHAPITRE2.3

LE CONTEXTEDES ACTESIIL'VOQUÉS

Section 2.3.1L.'idéologiede la Grande Serbie

2.3.1.1. La guerre qui a éclaté dansla République deBosnie-Herzégovinedécouledans une
certaine mesure de l'effondrement des régimes communistes d'Europe de l'Est à la fin des
annéesquatre-vingts. L'effondrementdu communisme s'est accompagnédu désir deplusieurs des
républiques de la République ~~ocialistefédérativede Yougoslavie d'accédàrl'indépendance
nationale. La Serbie, qui était traditionnellementla plus puissante de ces républiques chercha
étouffer ces aspirationspar la force des armes. mobiliser l'opinionpublique etjustifier leur
campagnemilitaire, lesdirigeantsserbeseurentsouventrecouàlarhétoriquenationalistequ'utilise
la prétendue idéologie dela Graride Serbie. Les origines de cette idéologieremontent au débutdu
XIX' siècle.

2.3.1.2. La première formulation de ld'uneGrande Serbie est généralementattribuéà
Ilija Garasanin, ministre des affaireintérieures de la Serbie dans le gouvernement du
prince Aleksander Karadjordjevic. Garasanin a publiéen 1844 un opuscule intituléLes Grandes
8 6 0 lignesduprogramme depolitique étrangère et nationaleserbelafin de 1844. Dans cet ouvrage,
il écritnotamment:

«il faut élaborerun plan qui ne limite pas la Seàbses frontières actuelles, mais
essaie d'absorbertoutes les populations serbes qui l'entourent))

((11faut non seulement étendre à la Bosnie et à l'Herzégovine les lois
constitutionnellesfondamentales de la Serbie. mais il faut faire entrer dans le système
administratifserbe deuries bosniaques pour en faire des spécialistesde la politique,

des finances et du droit. l'lustard, ces spécialistesappliquerontdans leur propre pays
ce qu'ils auront appris en Serbie et ilsettront en pratique les connaissances
acquises. Il convient de faire remarquer ici qu'il faudra surveiller et éduquer
particulièrement ceseunes dans leur travail pour que l'idéerédemptrice d'une
unification généraleprédomineet l'emporte surtout. On ne pourra jamais souligner
assez l'importance decette exigence.)) (M. Vuckovic. Program spoljnepolitike Ilija
Garasina na koncu 1844 godine, Belgrade. Delo XXXVIII, 1906, p. 321-336.)

2.3.1.3. Au lendemain deila seconde guerre mondiale, les aspiratàola créationd'une
Grande Serbie furent étoufféespar la politique de Tito qui consistaitdiviser pour régner.
Toutefois, après la mort de Tito. l'idéologie dela Grande Serbie connut un renouveau. En 1986
l'Académieserbe des arts et des sciences publia un document généralementconnu sous le nom de
((Mémoirede 1986)). Ce dociiment, qui portait la signature de quelque deux cents éminents

intellectuels de Belgrade, traitait principalement de la situation au Kosovo et accusait la majorité
albanaise de génocideperpétrécontre les Serbes vivant dans cette province serbe. En outre,
appelaitàla créationd'uneGraride Serbie. Les principaux promoteurs du renouveau de la Grande
Serbie, tous deux membres de l'académie serbe, étaient DobricCosic, actuel présidentde la
Yougoslavie (Serbie et Monténégro) etJovan Raskovic, ancien leader du parti démocrateserbe
(SDS) et prédécesseuren tant que tel de Radovan Karadzic, l'actuel présidentautoproclaméde la
prétendue((Srpska Republica)),ausein de la Républiquede Bosnie-Herzégovine. L'adhésionde
Karadzic à l'idéologie dela Gninde Serbie est incontestée.Le 16 mars 1992, il a d:claré «que les Serbes ne pourront jamais vivre dans la paix, tant qu'ilsn'auront pasréalisé
leurs aspirations plusieurs fois séculairesde vivre dans un seul Etat. Cela se fera
maintenant ou dansquelquesannées,je ne saispas, maiscesaspirations seréaliseront.))
(Tanjug, 10 h01 TU, 16 mars 1992,source :BBC,((Summaryof WorldBroadcasts)).)

2.3.1.4. Le mémoire de 1986 prépara les bases idéologiquesde la prise du pouvoir en
septembre 1987 par Slobodan Milosevic. A la faveur d'une vague nationaliste, Milosevicprit la
direction du parti communiste serbe. L'idéologie de la Grande Serbie s'est révélée depuis un
instrument utile de mobilisation de l'opinion publiqueserbe et derenforcementde .labasepolitique
du gouvernement de Belgrade à prédominanceserbe. Par exemple, durant une session de la
présidencefédéraletenuele 15janvier 1991,Milosevicamontréque l'idéologiede laGrande Serbie
lui était familièr:

«nous affirmons que chaque nation a un droit égal de déciderlibrement de son avenir.
Ce droit ne peut être limitéque par le droit égal des autres nations. En ce qui

concerne le peuple serbe,il veut vivre dans un seul Etat. Ainsi, le fractionnement qui
a eu pour effet de séparerla population serbe et de la forceà vivre dans différents
Etats souverains està mon avis inacceptable, ce qui signifie - permettez-moi de le
préciser- est hors de question.)) (Tanjug, 19 h 39 TU, 15janvier 1991; source :
BBC, ((Summaryof World Broadcasts)).)

Section 2.3.2. La guerre en Slovénieet en Croatie

2.3.2.1. Le 25 juin 1991,aprèsune longue périodede négociationsinfructueuses, la Slovénie
et la Croatie se déclaraient indépendantes dela Républiquesocialiste fédérative deYougoslavie.
Le 27 juin 1991,la guerre éclatait dansl'ancienne Yougoslavie. Pourempêcherla sécessionde la

Slovénie,où la population est relativement homogèneet la minorité serbepeu importante, l'armée
populaire yougoslave (JNA) tenta un ultime effort et essuya, après une guerre qui n'auraduréque
dixjours, une humiliante défaite. Le 7juillet 1991, par suite d'un accord conclugrâce aux bons
offices de la Communautéeuropéenne,I'accordde Brioni, la JNA se retirait du territoire de la
Slovénie.Contrairement à ce qui s'est passé plus ten Bosnie-Herzégovine,laJNA emporta avec
elle, au moment de son repli, tout son matérielmilitaire.

2.3.2.2. Lorsque I'accordde Brioni a étésigné.la guerre avait déjàcommencéen Croatie.
Les forcesparamilitairesagissantà l'intérieur dela Serbie avaient commencéàarmer lapopulation
locale dans les régions prédominance serbe dela Croatie dans le but de provoquer des combats

et de fournirà la JNA un prétextepour intervenir directement du côté des forces paramilitaires
serbes. Les conséquencesde l'interventionarméede la JNAont été désastreuses.En août 1991,
l'artillerie de la JNA commença à bombarder la ville de Vukovar et en novembre la ville était
complètement détruite. En mêmetemps, la JNA, appuyéepar des chars d'assaut, lançait à partir
de la Bosnie-Herzégovineune vaste offensive contre des objectifs situés en Croatie. Avec l'aide
de la JNA, les forces serbes prirent rapidement le contr6le de 30 pour cent du territoire de la
Croatie. Après l'échec d'un certain nombre d'effortsvisantà la conclusion d'uncessez-le-feu, le
plan de paix Vance parvint finalement, en décembre1991, àmettre fin aux hostilités. Les régions
occupéespar les Serbesétaient désignée( s(zonesprotégées par lesNations Unies))(ZPNU), et une
'i 53 force de maintien de la paix de quatorze mille hommes fut déployéedans la régionpour surveiller
les frontières. 2.3.2.3. Avec, par exemple, la destruction complète de Vukovar et le siège de Dubrovnik,la

guerreen Croatie révélaclairement pour lapremièrefoistoute l'ampleurdes politiquesnationalistes
et expansionnistes de Belgrade. A ce moment-là. l'élitepolitique et militaire de Belgrade avait
pleinement compris qu'elle ne pourrait pas persuader leGouvernement croate de demeurer dans la
fédération yougoslave. JamesGtow,éminent analyste des questions de défense et chercheurau
Centre for Defence Studies de King'sCollege(UniversitédeLondres), a fait une étude approfondie
de la situation dans l'ex-Yougosliivie. Dansl'unede ses récentes analyses,il a fàice propos les
remarques suivantes :

«Les dirigeants de Belgrade semblaient avoir atteint un tournant et s'êfixéun
nouveaubut, I'établissemenitesfrontièresd'une«mini-Yougoslavie»,quicomprendrait
l'infrastructure stratégique clefde l'ancienEtat et des régions yougoslaves, ainsi que
les populations «fiables», c'est-à-dire les communautés dominéespar les Serbes. A
partir de la fin septembre 1991, le siège de Dubrovnik ne laissait aucun doute- si
tant est qu'il en eût auparavant - sur le changement de cap de la politique serbe et
l'intentiondes dirigeants serbes de créerun nouvel Etat.» (James Gow, «One Year of
War in Bosnia and Herzegovina)),RFE/RL ResearchReport,vol. 2, no23.4 juin 1993,

p. 6; annexe 2-1.)

2.3.2.4. La campagnede laJNAvisait principalement des pointsd'importancestratégiquetels
que la régionde Konavli en Dalmatie méridionale, près de Dubrovnik. Commeil n'yavait pas eu
de combat dans ces régions entre!les groupesparamilitaires serbes et les forces croates, il n'yavait
aucune raison d'yintervenir au nom de la population localeserbe. Cette régionprésentait toutefois
une importancecapitale pour la JNA, les régions côtières contrôlantl'entréede la base navale de
Kotor au Monténégro.En raison,de la pression internationaleexercée pour mettrefin aux combats
et qui conduisit en fin de compte au plan de paix Vance, «les forces serbes ne purent atteindre tous
- 54 leurs buts)),comme le reconnut le colonel généraZl ivota Panic peu de temps avant de remplacer
le colonel généralBlagoje Adzic au poste de chef d'état-major dela JNA (VojnoDelo (lejournal
théorique, del'arméeyougoslave), no 1-2,janvier-avril 1992,p. 222-223). La JNA ne parvint pas
en particulier établirun corridor entre, d'une part,la Slovénie occidentale, Banija,Kordun, Lika
et Kninska Krajina et, d'autre piirt, Baranja et la Slovénie orientale. Par la suite, la créationd'un

corridor menant aux régions serbesde la Croatie occidentaledevait se révélerl'undes objectifs de
l'offensive serbe enBosnie-Heriaégovine.

Sectiori 2.3.3. L'armée populaire yougoslave

2.3.3.1. Le déroulement de la guerre en Slovénie eten Croatie a prouvéqu'il existait une
coïncidence presque parfaite entre les intérst les vues des chefs militaires de la JNA et ceux des
dirigeants serbes de Belgrade. James Gow a fait sur cette relation symbiotique les remarques
suivantes :

«Durant la guerre [en Croatie], le contrôle exercépar les chefs politiques serbes
sur la JNA ne cessa jamais de croître et de s'affirmer de façon plus ouverte. Cette
prise de contrôle graduel s'estopérée de deux façons. Premièrement, elle s'est faite
avec l'aided'élément s d~versniveaux de la hiérarchie militaire,qui ont délibérément

formulélerôlede I'armée.Déjà,cesélémentsfomentaientactivementdestroubles,par
exemple en fournissant des armes, de l'aide et une couverture aux rebelles locaux
serbes en Croatie. Le chef de ce mouvement était le major général
Bozidar Stevanovic, qui avaitatteint l'âgede laretraite,maisque ((quelqu'unqui n'était
pas n'importe qui» avait convaincude renoncer àsa demande de retraite pour rester en
service actif. Tout semble indiquer que ce «quelqu'un)) était le président
serbe Milosevic. Deuxikmement, Milosevic a exercéson influence sur la JNA par
l'entremise de quatre représentantsdu camp serbe au sein de la présidence fédérale collective, en particulier le vice-président fédéral Branko Koct le représentantde
la République serbe dans la présidencefédérale,Borisav Jovic. Sans aucun doute,

Kostic exerçait une influence considérable sur l'orientation politiquedes actes de la
JNA dans le conflit en Slovénieeten Croatie et durant les premièressemaines de la
guerre en Bosnie-Herzégovine. L'ampleur decette influence a étérévélée eu grand
jour pendant le procès de I'ancienchef des services secrets yougoslaves, le général
Andrija Vasiljevic, lorsque l'ancienministrede ladéfense,legénéralVeljko Kadijevic.
a déclaré sous serment queVasiljevic étaitpoursuivi pour avoir exécuté des ordres
provenant de Kostic.)) (James Gow, op. cit., p. 3-4.)

2.3.3.2. Le 30 décembre 1991,aprèsla cessation des hostilitésen Croatie la faveur du plan

de paix Vance, la présidencefédéraleà domination serbede Belgrade a ordonnéune réorganisation
importante de la JNA. Cette réorganisationa été décritpear Milan Vego dans Jane's Intelligence
Review, publicationque beaucoup considèrentcomme lameilleuresourcederenseignementssur les
questions militaires (Milan Vego, Jane's Intelligence Review, octobre 1992; p. 445; annexe 2-11).
Milan VegoenseigneauxEtats-Unis d'Amérique l'histoire et lapolitique des pays d'Europe deEst,
ainsi que l'artdes opérations navales.

L'un des principaux buts de la réorganisation del'arméefédérale consistait à assurer la
main-mise de Belgrade sur la Bosnie-Herzégovine. Afin d'y parvenir, la présidence yougoslave

reconstitua le quatrième district militaire, dont le quartier généralfut iàsSarajevo. La plus
grande partie de la Bosnie-Herzégovinefut rattachéeà ce district, tandis que les régionsrestantes
de la Bosnie-Herzégovinefurentrattachéesauxpremier et deuxièmedistricts. La réorganisation de
la JNA porta à soixante mille hommes l'effectifdes troupes en Bosnie-Herzégovine. Pour garantir
la loyautéet la fiabilité des soldats, I'état-major n'affectadélibérémentue des Serbes et des
Monténégrinsaux postes clésdu quatrième et du deuxièmedistricts militaires. Un exemple qui
illustre bien la détermination de I'état-major de mettrela JNA sous le contrôle serbe a étéla
décision de placer le 37' corps, stationné à Mostar (capitale de la Herzégovine) sous le
commandement du quatrième district militaire de Sarajevo. Ce corps d'armée,qui était constitué
exclusivementde réservistes serbes et monténégrins, procéderp aar la suite au bombardement de

Mostar. Durant la même période, de nouvellestroupes fédérales ont été envoyéesen
Bosnie-Herzégovine. Durantla première partiedu mois d'avril,des observateurs indépendants ont
été témoins desmouvements massifs de troupes et de matériel de la Serbie vers la
Bosnie-Herzégovine (voir par. 2.2.5.4.). Ainsi, la JNA avait environ quatre-vingt
quinze mille hommes en Bosnie-Herzégovine au moment où cette république a déclaréson
indépendanceen avril 1992.

Section 2.3.4. Le plan RAM

2.3.4.1. Tandis que la JNA concentrait ses troupes en Bosnie-Herzégovine,une énorme
opérationclandestinese déroulait. Cette opération,connue sous l'acronymeRAM, fut organisée à
Belgrade par Mihalj Kertes, qui occupait en 1990lespostes de ministre fédérldjoint de l'intérieur
et de chef des servicessecrets yougoslaves. Kertes organisa ses opérationsen étroitecollaboration
avec Jovica Stanisic, chef des services secrets du ministère serbede l'intérieur. ((D'aprèslesrévélatioinds'unofficier.analystestratégiqueen servicà 1'Etat-major
de l'arméefédéralel.eplan RAM a été élabore én février1991. ((Tandisque lesquatre
plans Bedem' définissaientla répartitiondes forces arméessur les territoires de la
Bosnie-Herzégovine et de la Croatie, le plan RAM prévoit l'élargissementet le
nettoyage de cet espace de l'intérieur etla connexion des enclaves serbes dans cet

espace.)) Le plan a étéconçu aprèsles consultations entre les chefs de l'état-major et
Milosevic. Son but final est la réalisation dela Grande Serbie ou de'Uniondes Etats
serbes. Le plan prévoitle:déploiement des réservistes serbes del'arméefédéraleen
Herzégovine sousle prétextede la ((défensedes populations serbesnon arméesde la
Herzégovineorientale (à majoritéserbe) contre les attaques provenant des extrémistes
de laHerzégovineoccidentale (à minoritéserbe))).DesunitésdeTchetniks et lamilice
localeserbeprovoqueront destroubles, l'annéeoccuperadespositionsstratégiquessous
le prétexte de défendrela population des bandes de pillards ivres (organisées
préalablement par I'anritSeelle-même) et prendra le contrôle de la Dalmatie

méridionale, avecDubrovnik et les îles. D'aprèsle plan RAM, des graves désordres
et des conflits interethniques provoquéspar les milices serbes avec l'aidede I'armée
empêcherontla proclamatiionde la souverainetéde la Bosnie-Herzégovineet, aprèsla
créationdecinq régionsserbesautonomes,finirontpar disloquercette république. Les
diverscorps d'arméeferontjonction, relieront laKrajinaà la Herzégovineet assureront
l'occupationdesvilles croatesde lacôte. (Mirko Grmek,Marc Gjidara, Neven Simac,
Le nettoyage ethnique :documents historiques surune idéologieserbe, Paris, 1993,
p. 299-300.)

2.3.4.2. Afin de réaliser ses objectifs, le planAM prévoyaitla livraison d'armes et de
munitions aux communautés serbes établies dans des régions stratégiques de la Croatie et de la
Bosnie-Herzégovine. Pour distribuer ces armes, qui venaient principalement des magasins des
divers corps de réserve de la police et de la JNA, Kertes utilisa un vaste réseaucomposéde
membres du parti démocrate serbe (SDS) et d'officiers de la JNA. Avec le concours de
Dusan Mitevic, chef de la direction des réserves de matériel(DMR) et ancien directeur de la

télévision de Belgrade, plusieurs centaines de milliers d'armes furent aussi expédiées à
Bosanska Krajina, en Herzégovine orientale et à Ramaniya, régionmontagneuse située à l'estde
Sarajevo. La distribution des armes dans les populations serbes de Bosnie-Herzégovine est
confirméepar Misha Glenny, clorrespondantde la BBC en Europe centrale dans son livre sur la
guerre dans l'ancienneYougoslavie, qui a connu un trèsgrand succès(Misha Glenny, TheFullof
Yugoslavia, Londres, 1993, p. 150; annexe 2-111).

2.3.4.3. En février1992, le journal Yjesnik de Zagreb a publiéun article dans lequel des
officiers de la JNA reconnaissaientqu'ils avaient arméla population serbe de divers villages de la
Bosnie.

«A lademande du parti d'actiondémocratiqueet dela communautédémocratique
croate, l'assembléecommunale deZavidovici a discuté durantla conférencede presse
tenue le 28 janvier de l'armementde la population serbe de la localité deolac. Les

habitants ont été arméspar I'armée populaireyougoslave à partir des casernes
((4juillet)) de Doboj. II est établi que l'arméea admis avoir armé les prétendus
volontaires serbes. Cela a été confirmé par les procès-verbaux ainsi que par les
déclarations de témoins oculaires employésau poste de sécurité publique de
Zavidovici. II a étésignaléque ..la population serbe de la localité de Gostavic avait

'~edemétait un autre programme militairsecret élaboréen 1990. Son existencea été révéléd eans
I'Evénernendt Jeudi du 4 juillet 1991.11a étémis en applicationenjuin 1991, aprèsles déclarations
d'indépendancd eelaSlovénie etclela Croatie. été armée récemmend te la mêmemanière. Les représentants de l'assemblée
communale de Zavidovici ont visité Doboj et ont eu des conversations avec le
commandant de la caserne, le lieutenant Hadzic et avec le major Corluk, qui a

confirmé avoir remis les armesà la population serbe de Dolac afin de ((compléterson
escouadede volontaires)). Lesvolontairesde Dolac ne sontpas allésà la caserne,mais
ils ont gardéles armes chez eux.)) (Vjesnik, 1" février1992, p. 7; source:Foreign
Broadcast InjiormationService (FBIS).)

$69 2.3.4.4. C'est en août 1991 que le premier ministre fédéral,Ante Markovic, a révélé
l'existenceduRAM. IIa en mêmetemps divulguél'enregistrementd'uneconversationtéléphonique
entre Slobodan Milosevic, qui parlaitde Belgrade,et Radovan Karadzic, qui parlaitde Banja Luka.
Durant cette conversationtéléphonique,Milosevica informéKaradzicquedes armes seraientmises
à la disposition des Serbesde sa localitépar l'entremisedu généralNikola Uzelac, commandant de
la JNA à Banja Luka. De plus, Milosevic a rassuré Karadzicen lui disant qu'au besoin Uzelac

pourrait également prêtermain forte à Karadzic en réalisant des frappes aériennes (voir
Misha Glenny, op. cit., p. 151; Stipe Mesic qui signifie ((Comment se débarrasser de la
Yougoslavie)),Zagreb, 1992, p. 236).

2.3.4.5. Kertes et Stanisic n'ont pas limitéleurs opérations clandestinàsl'armementdes
communautés serbes. Le plan RAM envisageait égalementla création d'unités paramilitaires qui
serviraientàcréeren Croatie et en Bosnie-Herzégovineles conditionsnécessaires à lajustification
d'une intervention armée de la JNA. Ces unités devaient également servir à terroriser les
populations croate et musulmane pour les pousser àfuir les régions d'importance stratégique.Le
premier groupeparamilitaire créépar Kertes a étéla gardevolontaire serbe, ou les((Tigresserbes)),

dirigéepar Zeljko Raznjatovic, égalementconnu sous le nom de guerre «Arkan». De plus, Kertes
a joué un rôle fondamental dans la création de deux autres groupes paramilitaires: les ((Aigles
blancs))(Beli Orlovi),dirigésparMirko Jovic,fondateuretchef durenouveaunationalserbe(SNO),
un parti nationaliste serbe extrémiste depeu d'importancepolitique, et le ((Mouvementtchetnik)),
placésous le commandement de Vojslav Seselj, chef du parti radical serbe (SRS). Ce parti a été
d'une importance capitale pour Milosevic. Après les électionsde 1992. le SPS de Milosevic est
restéau pouvoir grâce au soutien du parti radical serbe.

2.3.4.6. Ces groupes paramilitaires, dont la plupart sont établisen Serbie ou auMonténégro
n7i) mêmeet qui agissent sous les ordres de Kertes, de Stanisic et du service secret yougoslave (voir

Misha Glenny, op.cit., p.1SO),sont responsablesde nombreusesatrocitéscommisespar les Serbes
en Bosnie-Herzégovine(voirparexemplepar. 2.2.1.17,2.2.2.2,2.2.2.16,2.2.5.3et2.2.5.8). Ils'agit
là d'un fait bien reconnu mêmedans la République fédérative de Yougoslavie (Serbie et
Monténégro).En décembre1992.dans les semaines qui ont précédé leé slections parlementaires
en Serbie, le président serbeSlobodan Milosevic a qualifiéde criminel Vojslav Seselj et d'autres
membres du SRS. En réponse à ces accusations toutefois Seselj a soulignéla responsabilité de
Milosevic :

((Seselj..répondit aux accusationsde Milosevicen contre-attaquant. Tout en se
défendantd'être un criminel, Sesejl déclara«le moment est venu de lever levoile sur
le chef mafioso de Serbie, qui a pour nom Slobodan Milosevic...On ne pouvait rien

faire dans ce pays sans que le présidentle sache.)) Seselj ajouta que, bien qu'il n'ait
commis aucune atrocité de guerre, il se plieraià toute demande officielle de se
présenter devantun tribunal internationalà La Haye pour répondre aux allégations
portées contrelui. Il laissa entendre en mêmetemps que Milosevic étaitle véritable
criminel de guerre, ajoutant : «Je ne vois pas comment j'irais [à La Haye] sans
Slobodan Milosevic.)) (Stan Markotich, ((Serbia Prepares for Elections));RFE/RL
Report, vol. 2, no49, 10 décembre1993, p. 16; annexe 2-IV). 2.3.4.7. Comme le chef tchetnik Vojslav Seselj l'admit durant une entrevue réaliséeen
août 1991, au moins certains de ces actes ont été commis avecdes armes fournies par la JNA
(Der Spiegel, 5 août 1991,p. 12:4-126). Encore maintenant, les groupes paramilitaires continuent
de recruter librement des membres en Serbieet au Monténégro,comme l'aégalementrévélé Seselj
dans la mêmeinterview. Le Gouvernement yougoslave n'a rienfait pour tenter d'empêcherou de
restreindre les agissementsde ces forces. Bien aucontraire, Seseljet Raznjatovic sont membres du
- Parlement serbe. En outre, sans le soutien que Seselj lui accorde au Parlement, Milosevic n'aurait

pas pu se maintenir au pouvoir après les élections de1992 (Stan Markotich, op. cit., p. 15).

Section 2.3.5. La guerre en Bosnie-Henégovine

2.3.5.1. En novembre 1991,des élections pluripartites furenttenuesen Bosnie-Herzégovine.
Le 28 février1992, la veille d,u référendum sur I'indépendanc dee la Bosnie-Herzégovine, les
soi-disant dirigeants serbes de la Bosnie-Herzégovine proclamaient la création de la prétendue
((RépubliqueserbedeBosnie-Herzégovine)).Lorsduréférendum lui-même, tenu2l9 e février1992,

la majorité des électeurs- en dépitdu boycott d'un grandnombre de Serbes - se prononça en
faveur de I'indépendance. Après l'annoncedes résultats,la République de Bosnie-Herzégovine
rompit lesliensavec l'ancienneRépubliquesocialistefédérativedeYougoslavie pour proclamer son
indépendanceau débutd'avril de la mêmeannée. Entrele 5 et le 7 avril 1992, la Communauté
européenne et les Etats-Unis d'Amérique reconnurent I'indépendancede la République de
Bosnie-Herzégovine.

2.3.5.2. Au moment de la proclamation de I'indépendance de la République de
Bosnie-Herzégovine, la guerre avait déjà commencé. Au débutde mars de la même année,

Karadzic avait mis en garde contre les conséquencesqu'auraitun vote en faveur de I'indépendance
f- r??- de la République de Bosnie-Herzégovine : ((Comparée à la Bosnie-Herzégovine, l'Irlandedu Nord
serait un centre de villégiature))(Tanjug. 10 19 TU, 2 mars 1992, source : BBC. ((Summaryof
World Broadcasts))). A cette époque,la JNA était devenueun instrument de la domination serbe,
qui contrôlaitcomplètementlaprésidencefédérale.L'arméefédéralecoopéraitétroitementavelc es
forces paramilitaires, constituée^t contrôléespar Kertes :

«Des unitésirrégulikres.en particulier les «Tigres», officiellement connus sous

le nom de garde volontaire serbe, participèrentégalement, sousla direction du célèbre
Eljko Raznjatovic (du nom de guerre Arkan), à la préparation du conflit en
Bosnie-Herzégovine. Des membres de la garde, dont un grand nombre avait des
antécédents criminels, constituèrentes effectifs des troupes de choc particulièrement
efficaces qui entrèrentà Vukovar à la fin de ce siège, fournissanà l'arméeun corps
d'infanterie constituéexc:lusivementde volontaires «professionnels» dont manquait
l'arméefédérale yougoslave recrutép ear conscription. Ils ont égalementjouéun rôle
essentieldans laguerreéclairdurantlaquelle l'arméefédéraleyougoslave s'estemparée,
au printemps de 1992,de vastes régionsdu nord et de I'estde la Bosnie-Herzégovine
dans lesquelles elle a répandula terreur. Entre le 27 mars et le8 avril de la même

année,il s'est produit uri certain nombre d'événements d'importance capitale. Les
«Tigres» d'Arkandans le:nord et I'est, etdes unitésde la JNA dans le sud, l'ouestet
le nord-ouest, lancèrent des attaquesàpartir de la Serbie, dans le cas de I'est)en vue
decontrôlerlesprincipaux pointsd'entréeenBosnie-Herzégovine,ainsiquelesgrandes
voies de communication et les lignes d'approvisionnement à Foca, Visegrad, Zvomik,
Bijelina, Kupres, Bosanski, Brod et Derventa. A la suite de cette offensive, le noyau
du nouvel Etat indépendantde Bosniea étée ,n effet, encercléet militairement contrôlé
par les Serbes, presqued~ela même façonque Sarajevo, la capitale de la Bosnie, avait

étéencerclée par les troupes serbes déployées surles montagnes environnantes.))
(James Gow, op. cit., p. 8.) 2.3.5.3. L'offensive menéepar la JNA et les forces irrégulières serbesn'a pas étéune
explosion chaotique et incontrôlée de violence ethnique. Il s'agissaitau contraire d'un ensemble
d'opérations militairesbien planifiées et menéesà terme par un Etat contre un autre. La rapidité
et l'efficacité terribledes attaques serbes dans les premiersjours de la guerre en Bosnie, ainsi que
le déclenchement presque simultanédes hostilités à Sarajevo et dans plusieurs villes d'importance
stratégique prochesde la frontière avec les Républiques dela Serbie et du Monténégrom , ontrent
que ces actions militaires étaient bien coordonnées. Autrement dit, les événementsqui se sont
déroulés en Bosnie àpartir d'avril 1992fontressortir une stratégiemilitairesystématique. L'arrivée

d'unités irrégulièresprovenan dte l'autrecôtéde la frontièrede la Serbieet du Monténégrs'intègre
parfaitementdans cette stratégie, etne répondpas du toutà la notion de guerre civile. Gow est lui
aussiconvaincu qu'on peutconcluredesactionsmilitaires des Serbes à l'existenced'un pland'action
évident :

«Parallèlement aux unités placées dans toutela Bosnie-Herzégovine, l'armée
fédérale yougoslavelança une série d'attaques contredes localités situéesle long des
principales voies de communication de tout le nord et I'estde la Bosnie-Herzégovine.
Durant la période de deux mois comprise entre la fin mars et la fin mai 1992, les

forces serbesprirent lecontrôledevastes régionsde laBosnie-Herzégovine,accélérant
leur programmede ((nettoyageethnique))et chassant, par des campagnes de terreur, les
non-Serbes et les Serbes «déloyaux»de nombreuses régions. Le succèsdes forces
serbes s'explique par l'effet de surprise et par l'écrasante supériorité de leurs forces
armées. La rapidité avec laquelleont été exécutées les attaque et le haut niveau de
coordination qu'elles révèlentindiquent bien qu'il ne s'agissait pas d'opérations
spontanées.)) (James Gow,op. cit. p. 8.)

2.3.5.4. Pour garantir la libre circulation des personnes et des approvisionnements entre la
RépubliquefédérativedeYougoslavie(SerbieetMonténégre ot)lescommunautésserbesdeCroatie
et de Bosnie-Herzégovine,la créationde corridors sûrs, défenduspar l'arméeserbe, constitue un
Q 7 .Li impératif militaire absolu. Dans leur offensive, les forces serbes sont parvenues à créer deux
:..t! , corridors.

L'offensivea eu pour effet de relier les régions tenuespar les Serbes en Croatie occidentale
à la République fédérativd ee Yougoslavie (Serbie et Monténégro)o , bjectif que les forces serbes

n'avaientpu atteindre dans la guerre de Croatie. et elle a crééun corridor continu dans I'estet le
sud-est de la Bosnie-Herzégovine. Toutefois,les forces serbes n'ontpas réussià relier le territoire
bosniaque qu'elles occupaient dans le sud-est avec la Krajina serbe (voir Misha Glenny, op. cit.,
p. 184-185).

2.3.5.5. Au moins une partie de ces corridors passe, par la force des choses, par des régions
qui étaient habitéesjusqu'à l'éclatement dla guerre par une majorité de Musulmans. C'estdans
ces régionsqu'acommencéle nettoyage ethnique. Dans leur désirde créerun Etat ethniquement

pur, les forces serbes ont immédiatement commencé à éliminer de ces régionsles populations
musulmanes qui étaient importantesou prédominantes. Dans le corridor de I'est parexemple, la
plus grande partie de la population musulmane des régions situées autourde Zvornik (avec une
majorité musulmane de59 à 60 pour cent), de Bratunac (63 à 64 pour cent), de Visegrad
(63 à 64 pour cent) et de Foca (51 pour cent) a été terrorisée et forcéefuir (voir par. 2.2.4.2).
Le camp de concentration de Brcko (Luka) (voir par. 2.2.1.16 et suiv.), où deux à trois mille
Musulmans ont été assassinés entre mai et juillet 1992, était situé dansune régiond'importance
stratégique vitale. Cetterégiondes alentours de Brcko est le point le plus faible du corridor du
nord. Pour faire disparaître toute trace d'existence de la population musulmane, les forces serbes

ont également démolila plupart des lieux de culte situés dansce corridor (voir par. 2.2.5; voir la
carte de la page49 du mémoireet celle du HCR à la page 13).Zonee où des actes da g6nocide se eont produits en Bosnie-Herz6govinependant 1°6t6 1992
. Région de Prijedor
Population avant la guerre :
112 543 habitants dont 44 t de
Musulmans. 6 i de Croates, 42 t de
Serbes, 8 t autres.
Début purification ethnique : 25 mai

Région de Sanski Most
Population avant la guerre :
60 307 habitants dont 47 t de
Musulmans, 7 t de Croates, 42 t de
Serbes, 4 t autres.Début purification
ethnique : 5 mai
Région de Kotor Varos
Population avant la guerre:
36 853 habitants dont 30 t de
Musulmans, 29 t de Croates, 38 \ de
Serbes, 3 t autres.Début purification
ethnique : 11 juin

Ville de Brcko
Population avant la guerre :
41 346 habitants dont 56 t de
Musulmans, 7 t de Croates. Début
purification ethnique : 5 mai
Région de Zvornik
Po ulation avant la giierre : 81 296
haEitants, dont Urie majorité de
Musulmans (59 t). Début purificatiori
ethnique : 27 avril

R6gion de Bratunac
Population avant la giierre :
33 619 habitarits, dont une majoritéde
Musulmans (64 5). Début purification
ethnique : 7 avril

Région de Vlasenica
33 942tihabitants,dont une majoritédee :
Musulmans (55 ti. Debut purification
ethnique : 16 mai

R6gion de Visegrad
Population avant la guerre :
21 199 habitants,dont une majoritéde
Musulmans (64 t). Début purification
ethnique : 14 avril

R6gion de Poca
Population avantla guerre :
Musulmansabi(51 5).oDébut purification
ethnique : 12 avril

plus de 66 t moins de 60 t
Carte ethnique de la Bosnie-Herzégovineen 1991

Zones précédemment à majorité musulmane où il ne reste plusqu'une poignée de non-serbes. Section 2.3.6L .a présence continue de la JNA dans la République de Bosnie-Herzégovine
-, 7 7
2.3.6.1.Le 27 avril 1992,laprésidenceet leGouvernement deBosnie-Herzégovine intimèrent
àtous les soldatsde I'arméfédérale l'ordre dequitter leterritoirede la république.Le mêmejour,

laSerbieet leMonténégro adoptaientunenouvelleconstitutiondans laquelleellesexprimèrentleur
intention de continuer à faire vie commune en Yougoslavie et de réorganiserla République
socialistefédérativede Yougoslavieen Républiquefédérative de Yougoslavie,constituéedesdeux
républiques. Feignant de se conformer à l'ordre donnépar la Bosnie, Belgrade annonça le
. . 4 mai 1992 le retrait de tous les soldats de la JNA qui ne résidaient pasen Bosnie-Herzégovine.
A cette époque, lesforces de la JNA stationnéesen Bosnie-Herzégovine totalisaientenviron
quatre-vingtquinze mille hommes. Toutefois,contrairement àla décision annoncéel,a présidence
- . fédérale de Belgradene retira de la République qu'unpartie des soixante-seize mille soldats non
résidents. A la fin mai, quelque quatorze mille hommes seulement avaient quittéle territoire
bosniaque pour rejoindre I'arméeyougoslave (VJ) qui, conformément à la nouvelle constitution,
avait succédé a l'armée populaire yougoslave (la JNA). Les soldats restants.

environ quatre-vingt mille, furent transférés la prétenduearméede la République serbe de
Bosnie-Herzégovine (MilanVego, op. cit., p. 445).Le fait que presque tous les soldats de
l'ancienneJNA soient restés surle territoire bosniaque est confirmé égalementpar des sources
serbes:

«Avec la décision des autorités fédérales yougoslaves de retirerde la
Bosnie-Herzégovinel'arméepopulaire yougoslave(JNA) l, décisionde lanationserbe
de transférer les unités dela JNA dans les territoires serbes a commencé à se
concrétiser. Cetteannoncea été faitaujourd'hui àune conférencedepressetenue au
centre internationalde pressede la République serbede Bosnie-Herzégovine(à Ilidza
près deSarajevo),par Tomislav Sipovic,membredu Gouvernementde la République

serbe... Conformément à cette décision,la JNA est officiellement suppriméeen
Bosnie-Herzégovine ... En réalité,la JNA ne se retire pas mais est transférée en
territoire serbe. L'armée,quijusqu 'àprésentétait principalementserbe, restera.»
(Servicenationald'informations,TanjugdeBelgrade,12h 23TU,7 mai 1992;source :
Foreign Broadcast InformationService (FBIS); les italiques sont de nous.)

2.3.6.2. Le 30 mai 1992, soitprèsde quatre semainesaprèsl'annoncedu retrait des troupes
de la JNA, le nouveau commandant des forces serbes en Bosnie-Herzégovine, RatkoMladic,
accusait les forces armées croatesd'avoirattaquéen territoire bosniaquedes soldats yougoslaves,
citoyens de la Républiquefédérativede Yougoslavie(Serbie et Monténégro).

«Le commandant de I'arméedes Serbes de Bosnie-Herzégovinea déclaré que
doivent cesser les attaques contre les soldats de I'arméeyougoslave comme celle
survenueily a deux semaines à Sarajevoou lerécent massacre d'une colonnme ilitaire
dans la localitébosniaque de Tuzla où «six des quarante-neuf soldats et officiers
innocents,citoyensde la République fédérative de Yougoslavie, oénté tuépsar balles
et les autreà coups de hache.)) (Tanjug, 15 h 40 TU, 30 mai 1992; source :BBC
((Summaryof World Broadcasts.)))

2.3.6.3. Le 3 juin 1992,dans une interview accordéeà Vilmos V. Kovacs, le ministre serbe

des affaires étrangères,Vladislav Jovanovic, a confirméque I'arméeyougoslave étaitrestéeen
Bosnie-Herzégovine :

«[Kovacs] L'arméefédérale estégalementen Bosnie-Herzégovine. [Jovanovic] L'arméeyougoslave est restée dans la république à cause de la
reconnaissancerapide de I'indépendance de laBosnie-Herzégovine.C'est-à-dire,parce
que la reconnaissance s'est effectuée avant la fin de la conférence sur la
Bosnie-Herzégovine.))(Radiohongroise,Budapest, 16h 30 TU,3 juin 1992;source :
BBC, Summaq of World Broadcasts.)

2.3.6.4. Les nouvelles recrues de I'arméeserbe en Bosnie-Herzégovine n'ont pas été
transférées les mains vides.Une grandepartie du matériel militairede I'anciennJNA a été laissée
entre les mains du général Ratko Mladic,nommé le9 mai commandant de I'arméeserbe en
Bosnie-Herzégovine. Le généralMladic s'étaitlui-mêmedistinguépar sa conduite impitoyable

lorsqu'ilétait commandantdu corps des Knin dans la régionde la Croatie contrôléepar lesSerbes.
Durant laguerrede Croatie, Mladic «se rendit célèbrepar labarbarie avec laquelle iltraita lescivils
croates et par ses menaces de destruction de la ville côtière croate de Sibenik~ (Milan Vego.
op. cit., p. 46). Dans un discours radiodiffuséle 14juillet 1992à Belgrade par Radio Beograd
Network, le président dela fédération, Dobrica Cosic, reconnaissait,en sa qualité de commandant
suprême dela VJ, la commission des actes suivants et en assurait pleinement la responsabilité:

«Le matérielde guerredeI'armée populaireyougoslave n'estpas seulementresté
en possession de I'arméede la Républiqueserbede Bosnie-Herzégovine ..L'arméede
laRépubliqueserbedeBosnie-Herzégovine agardévingt-quatre avionsd'entraînement

et de combat, vingt hélicoptèreset quatre bataillons d'artillerie, qui sont restés
l'aéroportde Banja Luka, parce que les pilotes et les autres membres d'équipage ont
refusé de se rendreen République fédérative de Yougoslavie, car ils étaient citoyens
de la Bosnie-Herzégovine. On leur a donc laissétrois cents chars d'assaut, deux cent
trente et une pièces d'artillerie de divers calibres etune grande quantité d'armes etde
munitions légères.))(Discours du président à l'assemblée fédérale, Radio Beograd
Network, 9 h 35 TU, 14juillet 1992;source :Foreign Broadcast Information Service
(FBIS).)

2.3.6.5. Chaque fois que c'étaitpossible. l'étoilerouge de la JNA a été remplacée sur le
matérielmilitaire par des emblèmes et des drapeaux serbes. Les forces serbes qui ont occupé
l'aéroportde Sarajevodurant tout le mois de mai aprèsle retrait officiel de la le 19 mai 1992
utilisaientdescharsd'assautsur lesquelslesanciennescocardesde laJNA avaientété grossièrement
repeintes. Cela a été confirmé par Milos Vasic, rédacteuren chef de Vreme,un hebdomadaire
nfjo réputéde Belgrade, dans ses analyses sur la guerre dans l'ex-Yougoslavie (Milos Vasic et
Aleksander Ciric, «No Way Out: The JNA and the Yugoslav War», WarReport,janvier 1993;cité
par Lee Bryan, «The Betrayal olfBosnia)),Londres, 1993,p. 28.)

2.3.6.6. En dépitdu retrait partiel deJNA et du transfert de ses forceàI'arméeserbe de
Bosnie-Herzégovine,la structure du commandement de I'ancienne armée fédérale ne s'est pas
modifiée de manière radicale depuis l'été1991 :

«La chaîne de cominandement opérationneldansI'arméefédéraleva du conseil
suprêmede la défense (composédu Président de la République fédérative de
Yougoslavie et des présidentsdes Républiquesde la Serbie et du Monténégro)aux
commandants des unités désignés ci-aprèe sn passant par l'état-major quise trouvà
Belgrade :premierdistrict:militaire(Belgrade),quatrièmedistrictmilitaire(Podgorica),
l'«arméede la Républiqueserbe de Bosnie-Herzégovine)),le district naval (Kumbor,

baie de Cattaro), unitésde l'aviationet de la défense aérienne. Le commandant de
l'«arméede la Républiques!erbe de Bosnie-Herzégovine»estle généraR l atko Mladic,
ancien commandant du 9'corps stationné àKnin ...Sonquartier généraa l été transféré
récemment dePale (àprolximitéde Sarajevo) à la localitéplus sûre de Han Pijesa(à environ 55 kilomètresau nord-est de Sarajevo). Ce quartier généralest installé dans

un abri bétonné souterrain dotéd'unréseaude télécommunicationssûr et à plusieurs
canaux par lequel il peut communiquer avec tous les commandants des corps
subalternes, I'état-majorà Belgrade ainsi qu'avec le président de la République
fédérative de Yougoslavie»

«A l'heure actuelle. I'état-major à Belgrade obéit aux ordres du
président Milosevic. Non seulement le régime de Belgrade planifie les actions des
forces serbes en Bosnie-Herzégovine,mais il assure l'approvisionnementde ces forces

en armes, matériel et munitions. Les commandants des forces serbes dans cette
république sont affectés,promus ou démis de leurs fonctions par I'état-major à
Belgrade, qui reçoit à son tour ses ordres du présidentMilosevic.)) (Milan Vego,
op. cit., p. 445-446, 448.)

2.3.6.7.L'avancementde Ratlo Mladicdans lahiérarchiemilitaire illustredefaçon frappante
l'influencede Belgrade sur l'arméeserbeen Bosnie-Herzégovine. Le9 mai 1992,c'est-à-diredouze
jours aprèsl'adoptionde lanouvelleconstitutionde laYougoslavieetdixjours après l'annoncefaite
par Belgrade de sa renonciationexpliciteà tout lien avec les forces serbes en Bosnie-Herzégovine,

la présidence yougoslavea officiellement annoncé que Mladic assumerait le commandement de
l'arméede la prétendueRépublique serbe de Bosnie-Herzégovine (Misha Glenny, op. cit.. p. 201).
Le contrôle exercé parBelgrade sur les forces serbes en Bosnie-Herzégovinea été confirmé par le
comportement des officiers serbescombattant en territoire bosniaque lorsqu'ilsont déclqu'ilsne
pourraient cesser les hostilités tant qu'ilsn'auraient pasreçu de Belgrade d'instructions en ce sens
(The Daily Telegraph, 15 mars 1993).

Section 2.3.7. L'engagement continu de la Yougoslavie

2.3.7.1. Contrairement aux déclarations répétées de Belgradeq ,ui prétend avoir cessé
d'intervenirdanslaguerrede Bosnieapres leretrait destroupesfédérales en mai 1992, l'engagement
de Belgrade dans la guerre en Bosnie-Herzégovinese poursuit. Depuis le 27 avril 1992, lesforces
serbes en Bosnie-Herzégovineont continué de recevoir le soutien logistique de la République
fédérativedeYougoslavie(SerbieetMonténégro). Cetteaffirmationestconfirmé parMilan Vego,
qui écrit dansJane's IntelligenceRevieu~ :

«Seloncertainsreportages, lesforcesserbesont des réservesplus que suffisantes
d'armeset de munitions pour poursuivre les combats, au niveau actuel d'intensité de

la guerre, pendant plus de deux ans. Les forces serbes contrôlent près des deux tiers
des 250 000 tonnes des munitions détenuespar l'anciennearmée fédérale. Mais ces
forces dépendent dans une large mesure d'autres sources d'approvisionnement, en
particulier le carburant utilisépar les avions, les tanks et les véhiculesblindéset le
matérielspécialisé qui ne peut provenir que de la Serbieet du Monténégro.Les forces
serbessontdoncapprovisionnéesparvoiesaérienneetterrestre. Endépitdes sanctions
prises par les Nations Unies, on signale des centaines de semi-remorques serbes,
notamment des camions citernes, qui circulent tous lesjours sur les routes reliant le
nord-ouest de la SerbieàBeijeljina, de l'autrecôtédela Drina,et ensuiàeBanja Luka
et à d'autres villes de la Bosnie occidentale. Parmi les autres routes que peuvent

emprunter les forces serbes,il y a celles qui traversent la DàiLozinca, Bralinac et
Visegrad. Une autre route utiliséepour approvisionner les forces serbes est celle qui
va de Scepan Polje (Monténégro) à Sarajevo.))(Milan Vego, op. cit., p. 448.) Le 16novembre 1992.Radoman Bozovic,alorspremierministrede laRépubliqueyougoslave
de Serbie, a confirmél'engagementcontinu de la Yougoslavie dans le conflit. L'agencede presse
Tanjug de Belgrade a publié à ce sujet le compte rendu suivant:

«Bozovic a participélundi [16 novembre 19921 à un débat animépar l'agence
de presse yougoslave Tanjug. A la question relative au renforcement annoncé des
sanctions des Nations Unies contre la Yougoslavie, Bozonica répondu en soulignant
que cette pression,ussij~rte soit-elle. ne peut forcla Serbie à interrompre l'aide
en matérielet l'aide humanitaire qu'elleaccorde aux Serbes engagésdans une guerre
civiledansla Bosnie-Herzcigovinevoisine» (Tanjug, 15h 32TU, 16 novembre 1992;
source :BBC «Summary of World Broadcasts));les italiques sont de nous.)

Les observations de M. Vlegoet le reportage de Tanjug concordent parfaitement avec deux
déclarationsfaitespar lord Owen,coprésidentdelaConférenceinternationalesur l'ex-Yougoslavie.
Au débutde décembre1992, celui-ci avait fait la remarque suivante :

«La Serbieet le Monténégrofoumissentle carburant et les pièces détachées.Si
g-3 cette aideétaitinterromput:,l'opérationmilitaireserbe en Bosnieprendrait fin dans une
semaine.)) (The Guardiafi!,5 décembre1992.)

Aussi a-t-il, au début de1993,recommandé de procéder à des bombardements sélectifsdes

routes et des ponts conduisant en Bosnie pour empêcherle Gouvernement serbe de continuer à
approvisionner les forces serbes.

2.3.7.2. En plus de falumir un soutien logistique aux forces serbes opérant en
Bosnie-Herzégovine,les troupes et les avions de la VJ traversent régulièrementla frontièrepour
soutenir l'effort de guerre serbe en Bosnie-Herzégovine. Depuis le retrait de laJNA, la VJ a
déployé àl'occasionjusqu'à vingt millehommes sur leterritoire de la Bosnie (James Gow, op. cit.,
p. 2). Les avionsà réactionde l'aviationyougoslave ont fourni un appui considérable aux Serbes
bosniaques au sol. Ces avions iitilisaient les bases aériennes de Batajnica (près de Belgrade), de

Nis, de Ponikve (prèsd'uzice), (lePristina et de Podgorica pour effectuer des missions de combat
sur le territoire de la Bosnie-Herzégovine. En dépit de l'interdiction devol décrétée par les
Nations Unies, des chasseurs-bombardiers Mig-23 sont partis de leur base en Serbie pour aller
bombarder des objectifs en Bosi~ie(Milan Vego, op. cit., p. 446).

2.3.7.3. En mai 1992, des;forces serbes venant du Monténégroont vidé de sapopulation
musulmane le village de Borajn~odans le district de Cajnice (voir par. 2.2.6.3).2 mars 1993,
des troupes de la VJ ont complétement détruitle village de Crska, près de Kojnevice Polje (voir

par. 2.2.5.14). Lestroupes yougoslaves, en particulier les commandos des forces spéciales de la
63' brigade aéroportée, opèrent à partir de territoires contrôlés par les Serbes en Bosnie
(The Guardian, 28 janvier 1994:).Au débutdefévrier1994,desofficiels occidentauxontconfirmé
lesrapportsselonlesquelsdesunitésclandestinesyougoslavesintervenaientrégulièremene tnBosnie
(The Guardian, 2 février1994).

2.3.7.4. A plusieursreprises, la VJ a dépldes charset de l'artillerieprovenant du territoire
de la~é~ubli~uefédérative'de'Yougoslavie(~erbie et Monténégro)pour soutenir ou couvrir des
forces serbes en Bosnie-Herzégovine. Le 25janvier 1993,I'armée yougoslave a bombardé, à partir
de la rive droite de la Drina. c'est-à-dirertir du territoire yougoslave, des positions de I'armée

bosniaquesur larivegauche. Acette occasion, lelieutenant-généraNl ikola Mandaric,commandant
de la première armée del'armée :yougoslavea,accordéune entrevue à Politika. Dans l'ouvragequifait autoritéqu'ila écrit surla Yougoslavie, Misha Glenny décrit Politikacomme étantl'undes
«vasescreuxque lesbureaucratesde Milosevicremplissentd'ineptiesséduisantes)) (Misha Glenny,
op. cit., p. 44). Lors de cette entrevue, Mandaric a fait la déclarationsuivante:

«Par décretdu président dela Républiqueet du conseil suprêmede la défense,
I'armée yougoslavedéploieune partie de ses forces sur la rive droite de la Drina pour
prêtermain forte à I'arméede la République serbe, qui protège la population serbe
contre le génocide ...Pour l'instant,l'aideconsiste en un certain soutieà l'armée-de

la Républiqueserbe et vise à empêcher desgroupes de saboteurs et de terroristes de
pénétree rn territoires serbe et yougoslave,ce qui, nous l'avonsappris par I'expérience
de Rudo et de Visegrad, fait partie de leurs plans. Quant au désir des forces
musulmaneset des forcesde I'oustachade conquérirlarégionsituéesurlarive gauche
de la Drina et de la peupler de Musulmans,cela ne se fera pas, et si nous en recevons
l'ordre, noustraverserons la rivièrepour aller secourir la population serbe.))(Politika.
26janvier 1993,p. 8; source : Foreign Broadcast InformationService.)

2.3.7.5. En Serbie,des officiers de I'arméeyougoslaveont participé àla conscription forcée
de réfugiés serbesbosniaques recrutés pour combattre aux côtés des forces serbes en
Bosnie-Herzégovine :

«Selondes hautsfonctionnairesdu HCR,au moinsvingt-six Serbesbosniaques
en âge de combattre ont étérécemmentrassemblés dansun centre de réfugiésdu
Kosovo. Ils auraientétéconduits à lafrontièreoù ils ontétéremisaux autoritésserbes
bosniaques.)) (The Independant, Londres, 21janvier 1994.)

La conscription forcéea étépar la suite confirméepar d'autressources :

«Dansun effortvisant à soutenir les Serbesde Bosnie,lesautoritésyougoslaves
convoquent depuis quelques temps des réfugiés pourles embrigader de force dans
I'arméedissidente. Selon le Haut Commissaire des Nations Unies pour les réfugiés,
on demandeaux hommesen âge de porter lesarmes,qui ont fuileszones des combats
pourtrouverrefugedansdescamps, de se présenter auxdistrictsmilitairesyougoslaves
de la localité. Au bureau de I'armée yougoslave.on leur remet un formulaireportant

untimbreduministèrede ladéfensedes Serbesbosniaques, commençantpar lesmots :
«La patrie vous appelle.)) La note ordonne aux réfugiés dese présenterau centre
militaire situéen Serbie pour servir dans I'arméeserbe bosniaque,et précise quele
service est obligatoire et que les contrevenants seront poursuivis.)) (TheGuardian,
28 juin 1994.)

Section 2.3.8. Confirmations publiques par la Yougoslavie(Serbie et Monténégro)
de son engagement dans le conflit

2.3.8.1.Aplusieursreprises,leprésident serbeSlobodanMilosevicaadmisquelaRépublique
fédérative de Yougoslavie (Serbie et Monténégro) continuait, aprèsle retrait officiel de I'armée
populaire yougoslave(JAN) en mai 1992, a accorder un soutien considérable aux forces serbes
opérant en Bosnie-Herzégovine. Le 9 octobre 1992, la télévision de Belgradea diffusé
l'enregistrementd'uneentrevueaccordéepar leprésident serbe à Milorad Vucelic,directeurgénéral
de la Radio-télévision serbe : «[Vucelic] Monsieur le président.il semble parfois qu'unedes conditions qu'il

vaudrait peut-êtrela peine de remplir et que certaines superpuissances veulent voir
respecter pour lever les sarictionsest qu'oncessed'aider naturellementje pense. sur
un plan humanitaire ou sur tout autre plan, sous réserve de notre devoir
constitutionnel- c'est-à-dire,qu'oncesse de s'occuperdes Serbes de Krajina et des
Serbes de Bosnie-Herzégovine. Est-ce qu'untel virage politique est possible en Serbie
pendant que vous êtesprésidentde la républiqueet que le gouvernementactuel dirige
la Serbie?

[Milosevic] Il n'entzstabsolumentpas question. Ils n'ont personne d'autre sur
qui compter. Si nous avions mêmeréduit l'aideque nous leur accordons, ils se
seraient trouvésdans une situation très dzflcile. Nous n'avonspas le droit defaire
une chose pareille. Ces gensfont partie de notre nation et nous avons l'obligation
absolue de les aider. Toutes ces histoires que racontent certaines personnes.

notammentque nous pouvons vivre bien et heureux, et qui se demandent en quoi nous
concerne ce qui se passe la-bas ...Eh bien, si on détruitune nation, il n'y a pas de
liberté,de prospéritni rien d'autrepour l'individunon plus. Bref, nous savons à quels
individus aurait pu profiter la liberté, la prospérité etbien d'autres choses dont
jouissaient d'habitude les nations qu'on était en train d'exterminer ou qui étaient
victimes de I'agressionet ils ont trouvéun prétexte à I'agression,à la non-résistance
et à la trahison - pou:r ne pas utiliser ce mot galvaudé de notre vocabulaire
politique- donc je ne vois réellement pas comment cela serait possible pour la
Serbie. Je crois qu'iln'yapas en Serbie un seul gouvernement ayant la moindre idée
des intérêts de I'Etat et de la nation qui puisse mêmey songer.)) (Télévision de
Belgrade, 20 h 54 Tü, 9 octobre 1992; source : BBC «Summary of World
Broadcasts)); les italiques sont de nous.)

2.3.8.2. Au début demai 1993, la Républiquede Serbie et la République fédérative de
Yougoslavie (Serbie et Montériégro)ont publié lescommuniqués officiels suivants aprèsune
réunion du soi-disant ((Parlement))de la prétendue ((RépubliqueSrpska ». Le texte de ces
- ,- ,-- communiquésa déjà été transmi sla Cour avec la requêteen indicationde mesures conservatoires
*.... i (requêteen indication de mesures conservatoiresprésentéespar le Gouvernement de la République
de Bosnie-Herzégovine,27 juillet 1993, p. 43-45) :

((Communiquépubliéaprès la session du Gouvernement de la Républiquede Serbie

Le Gouvernement de la Républiquede Serbiea examinéle rapport établipar le

premier ministre N. Sainovic concernant les résultatsdes négociations depaix dans
l'ex-Bosnie-Herzégovineet de la session du Parlement de la République serbe.

Le gouvernement e:stparvenu aux conclusions suivantes :

Fermement convaincue qu'unjuste conlbatpour la libertéet l'égalitédu peuple
serbe est actuellement mené dans la Républiqus eerbe, la Républiquede Serbie avait
aidé généreusement es tans réservesla Républiqueserbe, malgré les problèmes
énormes auxquels elle a eu afaire face en raison des sanctions décrétéec sontre elle
par le Conseil de sécuritléde l'ONU.

En mêmetemps, la Républiquede Serbie a grandementcontribué à la paix dans
le cadre des efforts del'ONU,avec l'intentiond'obtenirdes garanties internationales
pour une paix juste et honorable, assurant la sécurité,les territoires et le statut
représentatifdu peuple serbe en Bosnie-Herzégovine. Le gouvernement est convaincu que ces conditions ont étéremplies après le
renforcement du plan Vance-Owen à la réuniond'Athènes.

Prenant parta la session du Parlement de la République serbe,S. Milosevic,
présidentde la Républiquede Serbie, N. Sainovic, premier ministre de la Serbie, et
Z. Lilic, présidentdu Parlement serbe,ont présentéde nombreux élémentsetfaits afin
d'aider les députés au Parlement de la République serbe a approuver le
plan Vance-Owen, non comme solution définitive, mais certainementcomme une
bonne base en vue de prévenir,dans le cadre du processus de paix, la perte de vies
humaines, ainsi que pour assurer une paix durable et la réalisationdesjustes objectifs
du peuple serbe.

Le gouvernement est parvenu à la conclusion que la décision du Parlementde
la République serbe de transférer au peuple la décision définitive au sujet du
plan Vance-Owen constitue un acte irresponsable, puisque le peuple n'apas participé
aux négociations quiont duré plusieursmois et qu'il nedevrait pas servir d'écranaux
dirigeants placés devantdes décisions critiques, puisqueceux-ci ont l'obligationde
décideret de répondredonc de leurs actes devant le peuple.

Etant donné que les conditions territorialesontété satisfaitesl,e gouvernement
est aussiconvenu que toutappauvrissementéconomique ultérieu dre la Républiquede

Serbie est maintenant injustifiéetinjustifable, et que l'aidefutureà la République
serbe devrait se limiter auxdenrées alimentaires etauxmédicamentsendes quantités
que déterminerontles ministèrescompétents.Le Gouvernementde la Républiquede
Serbie a aussi la conviction que,puisque les conditionsde l'établissementde lapaix
ont étéréaliséest,oute aide ultérieureenfonds, carburants et combustibles, matières
premières,etc.,fournie jusqu'aprésentauprix de grands sacrzfzcespar la République
de Serbie elle-mêmen , 'est plusjustifiée.

La Républiquede Serbie offrira toujours sans réserveun abri aux blessés,
réfugiés,et toute personne menacée venant del'ex-Bosnie-Herzégovine,mais elle ne

peut tolérerque certains représentants officielsde cette régionvivent confortablement
et impudemment a Belgrade, tout en offrant au peuple de la République serbe qu'une
dure politique de sacrifices et de pauvreté.

Le Gouvernement de la Républiquede Serbie tient a dire sa profonde gratitude
pour lesefforts déployés surle plan politique et grâceun engagement personnel par
le Gouvernement grec, en particulier par le premier ministre Mitzotackis, pour
contribuer au processus de paix sur place))

((Gouvernement fédéral - Communiqué

Le Gouvernement de la République fédérative de Yougoslavie a examiné
aujourd'hui les conséquences découlant de la décisionpriseà Pale par l'assembléede
la République Srpskade ne pas accepter le plan Vance-Owen mais de laisser le soin
au peuple serbe de Bosnie-Herzégovine de prendreune décision définitivelors d'un
référendum. A ce propos, le gouvernement a exprimé son indignationet sa profonde
préoccupation devant unetelle décision et le cours que pourraient prendre les
événements ultérieurs ainsique devant le fait que l'assembléede la République Srpska
n'a pas reconnu les arguments irréfutablesque les présidents Cosic, Milosevicet
Bulatovic ont fait valoiru nom de la RFY.

Considérant leseflètsdéfmorablesimmédiatsde la résolution820 du Conseil
de sécuritéde l'ONUsur A'peouvoir économique de la RF.Y.et la situation socialede
la majoritéde ses citoyens, le gouvernementfédéral est obligé d'ajuster touteaide

futurea laRépubliqueSrpska àsespossibilitéséconomiquesobjectives et de la limiter
exclusivement à des livraisons de denrées alimentaires etde médicaments.

Le gouvernement 5édéraa l chargéles ministèrescompétentsde veiller à une
stricte application de cette décision.)) (Les italiques sont de nous.)

2.3.8.3.Dans le premier communiqué,la Républiquede Serbiea déclaréquela guerre menée

dans laRépubliquede Bosnie-Herzégovineest «unjuste combat pour la libertéet l'égalité du peuple
serbe)). Pour aideà mener ce combat, la Républiqueserbe a «aidégénéreusemene tt sans réserve))
les Serbes de Bosnie. La République a révéllé a nature de cette aide dansla dernière partiedu
premier communiqué. Au prix de son ((appauvrissementéconomique)),la Républiquede Serbie a
fourni des((fonds,carburants,miitièrespremières,etc.)). Dans ledeuxièmecommuniqué, qui faisait
partie du mêmedocument et qui doit êtrerapprochéde celui-là, la République fédérative de
Yougoslavie (Serbieet Monténégro) reconnaît égalemen atvoir fourni une «aide» aux Serbes de la
Républiquede Bosnie-Herzégovine. A ce sujet, le communiquédéclareque «le gouvernement
fédéraelst obligé...de la [I'aide]limiter exclusivemeàtdes livraisons de denréesalimentaires et

de médicaments)).Cela signifie clairement que I'aideconsistait auparavant en produits autresque
des denrées alimentaireset des médicaments.

2.3.8.4. Le 11 mai 1993, Slobodan Milosevic a fait à Slobodan Jovanovic, présidentde
l'agence de presse Tanjug basée à Belgrade, une déclarationen tout point conforme aux deux
communiqués :

(Au cours des delu:annéesécouléesl,a Républiquede Serbie - en aidant les

Serbes horsde Serbie - a forcéson économie àdes efforts massifs et ses citoyeàs
des sacrifices considérables.Ces efforts et sacrifices atteignent maintenant les limites
du supportable. La majeurepartie de cette aide est allée à la population et aux
combattants enBosnie-Herzégovine, mais un volume d'aide considérableest alléaussi
aux cinq cent mille réfugiéen Serbie. En même tempse ,n raisonde sa solidarité avec
les Serbes en Bosnie-Herzégovineet son assistance à ces derniers, la Serbie subit de
dures sanctions internationales. Aujourd'huiil n'ya pas de comparaison entre nouset
n'importequel autre pays du monde, ou trèspeu de pays, pour ce qui est des difficultés
économiqueset d'ordre généraq lue nous affrontons. Nous savions évidemment que

nousrencontrerionsces difficultéslorsquenousavonsdécidé deporter assistanceaux
Serbes quifaisaient la guerre.

Maintenant les conditions de la paix en Bosnie ont étécréées. Ala suite d'une
annéede guerre et de négociations depaix à long terme, les Serbes ont conquis leur
libertéet regagnéI'égalitqui leur avait éenlevée lorsquela guerre a commencé.La
majeurepartie du territoire de l'ex-Bosnie-Herzégovine appartient maintenant aux
provinces serbes. C'estliiune raison suffisante pour mettre fànla guerre et dissiper

d'autres malentendus éve.ntuelspar des négociationset des moyens pacifiques. La signature du plan de paix est un acte de bonne volonté,qui met fin à la
guerre et ouvre la voieà des négociations pacifiques entre les trois parties en guerre

en Bosnie et les républiques voisines de l'ex-Yougoslavie et la communauté
internationale. Ce n'estpas la fin des négociationsau sujet des relations entre Serbes.
Musulmans et Croates, mais c'est la fin de la guerre. C'est pourquoi nous en
Yougoslavie et Serbieavons appelé les Serbesde Bosnie àappuyer la fin de la guerre
et à s'engager sur la voie de la paix en signant le plan. Les Serbes de Bosnie. de
mêmeque les Serbes et tous les autres citoyens de Serbie, ont maintenant vraiment
besoin de la paix.

LaSerbie a du mal à supporter la chargede l'assistanceconsidérablequi va à
la Bosnie ainsi que celle des sanctions qui lui ont été imposées en raison de sa

solidarité avecles Serbeshors de Serbie,etil n'ya pas de raison pour qu'elle supporte
cette charge si la guerre en Bosnie cesse. Bien entendu nous n'avons pas exclu de
fournir une aide humanitaire ultérieureà la population de Bosnie-Herzégovine, mais
celle-ci deviendra capable en temps de paix de reconstruire son économie et dese
prendre en charge.

La Serbie a un besoin urgentde lapaix en Bosnie. Lorsque lesgrands sacrifices
consentis actuellement auront cessé et que les sanctions seront levées,la Serbie se
rétablira rapidement- lestensions diminueront, le niveau de vie s'élèveral,escitoyens
seront soulagésdu fardeau de l'incertitudeet de la peur de la guerre et de la pauvreté.

Les intérêts de dix millions de citoyens de Serbiedoivent maintenant avoirla priorité.
On ne peut pas desservir ces intérêtsu profit de certains autres, surtout si les intérêts
des citoyens de la Serbie ont une importance vitale et sont extrêmement menacés.

LaSerbie a accordéuneassistance considérableauxSerbes de Bosnie. Grâce
à cette assistance,cesderniersontobtenupresquetoutce qu'ilsvoulaient. Maintenant
la Serbiedoitcommencer à s'occuperd'elle-mêmee,n s'employantavant tout àranimer
et développer son industrie et son économie,en élevant le niveau de vie de ses
citoyens et en les protégeantdela violenceet du crime qui sont aussi une conséquence

de la guerre et des mouvements considérables et non contrôlésde personnes entre les
deux républiques. Je suis donc convaincu qu'appuyer le plan de paix c'est vraiment
Œuvrerpour la paix, qui est d'uneimportancevitale extrêmepour la Serbie, pour ses
citoyens, pour tout citoyen de Serbie. Seul celui qui est indifférentaux intértse la
Serbieet de son peuple, mais est motivépar d'autres intérêtdse caractèrepersonnel ou
collectif ne peut voir et accepter cela. Quiconque subordonne les intérêtsla Serbie
et de ses citoyensà ses propres intérêtne peut compter ni sur notre compréhension
ni sur notre soutien.

La décision relativeau plan de paix touche les intérêtsdla Yougoslavie,de la

Serbie et du Monténégro, dela Krajina [en Croatie] et de la République serbe[en
Bosnie-Herzégovine],ceux de tousles citoyenset de l'ensemblede la nation serbe - et
non pas seulement ceux de l'assembléeet des citoyens de la République serbe.

J'estime donc que la décisionà ce sujet ne peut êtreprise par les seuls citoyens
de la République serbe, mais qu'elle doit'êtrpar tous les représentantsdu peuple élu
aux parlements de Yougoslavie, de Serbie, du Monténégro,de la Krajina et de la
République serbe - sur une base d'égalité etn respectant pleinement les intérêts de
leurs citoyens et de la nation serbejouir de la paix, de la liberté et de l'égaettà
se protéger contre la guerre et la violence.))
(Service télégraphique yougoslave,
15 h 53 TU, 11 mai 1993;source : BBC, Summaryof World Broadcasts; les italiques
sont de nous.) 2.3.8.5. Dans cette déclaration officielle, Milosevica admis que la République fédérative de

Yougoslavie (Serbie et Monténégro)a accordé ((une aide considérable))a la c<populationet aux
combattants» (les italiques sont:de nous) en Bosnie-Herzégovine. Comme l'indique clairementla
déclarationde Milosevic, cette ((assistanceaux Serbes qui faisaient la guerre))ne se limitait pas
I'aidehumanitaire :

((11n'y a pas de raison pour qu'elle [la République fédérative de Yougoslavie
(Serbie et Monténégro)] supporte cette charge [cellede I'aide] sila guerre en Bosnie
cesse. Bien entendu nous n'avonspas excludefournir une aide humanitaire ultérieure
à la population de Bosnie-Herzégovine))(les italiquessont de nous).

Cette déclaration impliqueclairementqu'uneaide autre que I'aidehumanitaire a été accordée
aux Serbes bosniaques. Dans sa déclaration, Milosevic reconnaîten outre que le soutien accordé
auxforcesserbes a constituéunélémentdécisidfe laguerreen Bosnie-Herzégovine : «Grâce a cette

assistance, ces derniers [les Serbes de Bosnie] ont obtenu presque tout ce qu'ils voulaient)),
c'est-à-direque«la majeure partie du territoire de l'ex-Bosnie-Herzégovineappartient maintenant
aux provinces serbes)). L'influence de l'idéologie dela Grande Serbie sur les idées politiques de
Milosevic ressort clairement de cette déclaration. Milosevic fait a plusieurs reprises référence aux
intérêtscommunsde la«nation serbe)),qui comprend tous les Serbes,tant ceux «de laYougoslavie,
de la Serbie et du Monténégro, dela Krajina [en Croatie]))que ceux «de la République serbe[en
Bosnie-Herzégovine])).Dans l'optiquede Milosevic, la fin de la guerre est acceptable. désirable et
conformeaux intérêtsde «tous lescitoyenset de l'ensemblede la nation serbe)),maintenantque ((la
majeure partie du territoire de l'ex-Bosnie-Herzégovineappartient...aux provinces serbes)).

2.3.8.6. Tout récemment.,le 16 mars 1994,en dépitdu scandale international provoquépar

le bombardement de Sarajevo, la Républiquefédérativede Yougoslavie(Serbie et Monténégro)est
intervenuepubliquement etde façon nonéquivoquepour lecompte desforces serbes qui entouraient
la capitale bosniaque. En réponse à la menace faite le 9 février 1994par I'OTANde bombarder
l'artillerie serbe qui avaitris position aux abords de Sarajevo, la République fédérative de
Yougoslavie (Serbie et Montériégroa ) présentéune requête officielle à la Cour internationale de
Justice. Dans sa requêtecontre les Etats membres de I'OTAN, la République fédérative de
Yougoslavie (Serbie et Montériégroa ) prétendu que «la menace directe de I'emploide la force ...
sans l'autorisationdu Conseil dlesécuritde l'ONUet sous la forme d'unultimatum))par les Etats
Membres constituaient une violation de la Charte des Nations Unies :

«LaYougoslaviesaisit laCourinternationaledeJustice du différendqui l'oppose

aux Etats membres de I'OTANau sujet de la menace de I'emploi de la force par
l'OTAN.» (Communiquéde presse n"94111.21 mars 1994.)

Par son intervention pour lecomptedes forces serbes en Républiquede Bosnie-Herzégovine,
la République fédérative de Yougoslavie (Serbie et Monténégro) a reconnu qu'elle étaitloin d'être
neutre dans le conflit. Au contraire, elle a semblé considérerune menace contre les forces serbes
en République deBosnie-Herz.égovinecomme une menace contre elle-même.

De plus, la Yougoslavie (Serbie et Monténégro)a fermé les yeux sur la destruction
systématique de Sarajevoet approuvécet acte. maintes fois dénoncépar toute la communauté
internationale.

334 Section 2.3.9. Conclusion

2.3.9.1. L'offensive meriéepar la Yougoslavie dans les mois qui ont suivi la déclaration
d'indépendancede la Bosnie-Herzégovinen'a pas étéune explosion chaotique et incontrôléede
violence ethnique. Il s'agissait plutôtd'une campagne (militaire) bien planifiéeet minutieusementexécutée,qui visait la conquête etle contrôle de la plus grande partie possible des régions
présentantun intérê sttratégique,ainsiquel'exterminationde lapopulationmusulmaneprédominante
qui vivait sur les territoires concernés.

Lesatrocitéscommisessur leterritoire de la RépubliquedeBosnie-Herzégovine ne sont donc
ni le résultat d'une haine plusieurs fois séculaireni une conséquence tragique d'une guerre
territorialeetfou d'une guerre civile de type traditionnel. Bien au contraire, ces atrocités sont
l'aboutissementfinalet inévitabledes aspirationsde laGrande Serbieque favorisaient lesdirigeants
serbes et de leur désir de créerun Etat serbe ethniquement pur. - 61 -

TROISIÈME PARTIE

DES ORGANISMES INTERNATIONAUX DIGNESDE FOI CONFIRMENT
L~EXÉCUTIOND'UNECAMPAGNEDE GENOCIDEPAR LA RÉPUBLIQUE
FÉDÉRATIVEDE YOUGOSLAVIE
(SERBIE ET MONTÉNÉGRO)

CHAPITRE3.1

LA PERTINENCEJURlDIQlJE DES DÉCLARATIONSDES ORGANES DES NATIONS UNIES

3.1.0.1. Comme il a été démontré danls partie précédente, les troupesde la JNA opérant
sur le territoire de la Républiquede Bosnie-Herzégovineet d'autres forces dirigéeset soutenues par

la République fédérative de Yougoslavie (Serbie et Monténégro) ont menet appuyéune vaste
campagne de génocide. La présente partie expose la réactioninternationaleàces opérations,
notamment celle des organes des Nations Unies. On trouvera en annexe au présentmémoireles
documentslesplus importantsdesNations Unies, àsavoir lesrésolutions pertinentesdu Conseilde
sécurité (annexe3-1)et les résolutions pertinentes de l'Assemblée générale (annex3e-111).

3.1.0.2. Conformémentà l'articleVI11de la convention sur le génoc:de

((Toutepartie contractante peut saisir les organes compétentsde l'organisation

des Nations Unies afin que ceux-ci prennent, conformément à la Charte des
Nations Unies, les mesuresqu'ilsjugent appropriéespour lapréventionet larépression
des actes de génocideou de'unquelconquedes autres actes énuméréàs l'article III.))

La convention place donc les organes des Nations Unies dans une situation particulièreen ce qui
concerne l'applicationde la convention sur le génocide et les déclarations de ces organesont un
poids particulier quand s'agittledéterminersi les dispositionsde la convention s'apàluneent

situation donnée,si ces dispositions ont été violées, et, dans l'affirmative, l'entitéeresponsabslu
le plan internationalde la violation. La Cour internationalede Justice voudra peut-êtreur
accorder une importance particulière aux déclarations des Nations Unies, dont elle estgane
judiciaire principal)).

3.1.0.3. La présenteartie commence par un exposé des résolutionset des décisionsdu
Conseil de sécuritdes Nations Unies, organe qui assume la responsabilité principaledu maintien
de la paix et de la sécurité internationales.L'adoptionde ces résolutionset de ces décisionsa été

à l'origine déclenchéepar les agressions armées et les actes d'intervention de la République
fédérativede Yougoslavie (Serbie et Monténégro). C'est naturellement dans le cadre de cette
campagne d'agression qu'ont été commisles actes de génocide, comme en témoignent les
déclarationsdu Conseil.

3.1.0.4. Cette section est suivie d'une présentationd'appréciations dignes de foi touchantles
éléments dela campagne de génocide et qui révèlent,selon des institutions internationales
objectives, le caractère systématique des atrocités commises et confirment que ces actes

correspondent à la définition quedonnent du génocideles dispositions de la convention sur le
génocide. Ces déclarationsont été faitespar l'Assemblée générale des Nations Unies, laCommission des droits de I'homme,sa Sous-Commissionet son rapporteur spécial,le comité des
droits de I'hommeet la conférence de Vienne surles droits de l'homme,qui, sans aucun doute, ont
((compétence)),eux aussi,au sens de l'articleI11de la convention sur le génocide.

3.1.O.S.Il serait impossible de mentionner les nombreuses déclarations faites par les Etats
Membres des Nations Unies à l'ONU et dans d'autres organismes au sujet du génocide en
Bosnie-Herzégovine.Aussi a-t-on décidé de citer de préférencdes rapportsdistinctsprésentésux
Nations Unies par des gouvernements et qui sont susceptibles d'aider la Cour à comprendre la
résolution adoptéeou la décision prisepar l'organeen question. La sixième partie du mémoire
contient une analyse de ces résolutions et de ces décisions, effectuée dansle contexte de l'analyse
d'une imputationdes responsabilités, ainsi que d'autresélémentsdepreuveémanantd'organisations

et institutions régionales. CHAPITRE 3.2

LECONSEIL DE SÉCURITÉ DE L'ORGANISATION DES NATIONS UNIES

3.2.0.1.Avantmême l'admissionde laRépubliquedeBosnie-Herzégovine àI'ONU,leConseil
de sécuritéavaitréagiaux attaques lancéespar la RépubliquefédérativeYougoslavie (Serbieet
Monténégro)dans le cadre de la campagne de génocidequi allait suivre. Après avoir lancéle
13 avril 1992unappel au cessez-le-feu quiest restélettremorte, leConseil a adoptéune déclaration
présidentielleinvitant une fois de plus toutes les ((forcesrégulièresou irréguàimettre un
terme aux opérations militaires et demandant que ((toutes leses d'ingérence extérieurà la

Bosnie-Herzégovinecessentimmédiatement)) (Nations Unies,doc. S/23842,24 avril 1992). Ainsi,
le Conseil a confirmàI'unanimiitl'existence del'élément'interventionarmée extérieure dansla
crise qui se développait. La déclarationa été adoptée sans débatsu Conseil, mais plusieurs
délégationsà I'ONUont communiquéau Conseil leur appréciationjuridiqd ueela situation. La
Hongrie par exemple a écritdans une lettre au Conseil que

«Ifagressionperpétréecontre la souverainetéet l'intéterritoriale de la République
098 deBosnie-Herzégovine,lesviolationsdesdroits fondamentauxde l'homme,notamment
les droitsdes minoritésetllniqueset nationales, dans les régionscontrôléespar l'armée
«yougoslave» et les force!;irrégulièresserbes, constituent une menace àrla paix

et à la sécurité danstoute la régionde l'Europedu centre et du sud-est)) (923845,
26 avril 1992).

Le Venezuela s'estélevpour sa part contre des «atrocités»d'unenature telle qu'ellespeuvent être
considéréescomme «un acte (l'agression contre nature d'un pays contre un autre)) (Sl24377,
4 août 1992).

3.2.0.2. Le 12 mai 1992,dans le rapport qu'ila présau Conseil de sécuritél,e Secrétaire
général deI'ONUa expriméle point de vue largement répandu selon lequel

«on assiste actuellement à un effort concerté mené par les Serbes de
Bosnie-Herzégovine,avec l'assentimentde la JNAet à tout lemoins un certain appui
de la part de celle-cpour créerdes régions((ethniquementpures)...Les techniques
utilisées consistenà saisir des territoires par la force militairà intimider la
population non serbe.))(Nations Unies. doc. Sl23900, par. 5. 12mai 1992).

En plus des arrestations et del'intimidation, le Secrétaire génélevait peu de temps après
dénoncer l'utilisationdirecte de la force armée contre descivils, notamment le siège devilles dans
le cadre de cette stratégie. II a confirmé que,dans certains cas, lait directement participé

àde telles activités,l'associantdàce stade aux meurtres directs de Musulmans àtla création
de conditions de vie visant entraîner l'extermination physique de ce groupe (Nations Unies,
doc. Sl24000, par. 6, 26 mai 1992).

3.2.0.3. Dans le but peut-êtrede devancer une réactionénergiquedu Conseil de sécuriàé
cette observation du Secrétairegénérall,a délégationde la Républiquefédérativede Yougoslavie
(Serbie et Monténégro) annonçadans une communication au Conseil qu'elle avait décidé,le
27 avril, «que I'arméede la Yougoslavie serait composée uniquement de citoyens de la
Yougoslavie et resterait cantonnée sur le territoire de cette République. En
conséquence,tous lescitoyensde laRépubliquefédérativedeYougoslavieenrôlésdans
les unitésde I'arméepopulaire yougoslave (JNA) ont été retirélse 19 mai 1992,avec
099 leur matérielet leur armement))(Nations Unies, doc. Sl24007, 27 mai 1992).

Le Gouvernement de la République fédérative de Yougoslavie (Serbie et Monténégro a)ainsi
confirmé officiellement que, pour le moins la JNA avait continué d'opérerà l'intérieurde la
Républiquede Bosnie-Herzégovine etqu'elle fournissait aux citoyens bosniaques d'origine serbe
((leur part)) du matériel militaire.me il a été indiqué dans la deuxième partie du présent
mémoire,ce matériel consistaiten armes lourdes,en installationsde commandementet de contrôle,
en aéronefset autre matériel, c'est-à-direle matérielde guerre et les instruments de terreur qui ont
été utilisés danlsa campagne menéeprincipalement contre les civils musulmans.

3.2.0.4. Le fait que ce transfert d'armeset demunitions s'estréellementproduita été confirmé
par le Secrétairegénéradle l'ONU(Nations Unies, doc. Sl23844, par. 16,24 avril 1992). Dans un
rapport ultérieur,le Secrétairegénérl indiqué quela «part» en hommes et en matériel quia été
transférée représentaitenviron 80 pour cent des ressources de la JNA (Sl23900, par. 24,
12 mai 1992). Il a donc été confirmé qula JNA avait simplement changé denom. mais qu'elle
était resté, u point de vue des effectifs. du matérielet de l'orientationstratégique, essentiellement

le mêmeinstrument de la campagne de génocide perpétréepar la République fédérative de
Yougoslavie (Serbie et Monténégro) etpar ceux qui y étaient affiliés.

3.2.0.5. Le Conseil de sécuritéa répondu à l'engagement continuel de la République
fédérative de Yougoslavie (Serbieet Monténégro) dansle conflit en adoptant la résolution752
(1992) du 15mai 1992. Le Conseil a alors officiellement exigé

«que toutes les formes d'ingérence extérieen Bosnie-Herzégovine,y compris de la
part d'unitésde I'arméepopulaire yougoslave, de mêmeque d'éléments deI'armée
croate, cessent immédiatement,etque les voisins de la Bosnie-Herzégovineagissent
. ?go très rapidement pour mettre un terme à telle ingérence et respectent l'intégrité
- territoriale de la Bosnie-Herzégovine)).

Le Conseil a donc confirmé que les troupes de la JNA qui, selon la République fédérative de
Yougoslavie (Serbie et Monténégro) relevaient dorénavantofficiellemetu commandement local
serbe, continuaient en faitopérer comme des forces régulières dela JNA. Le Conseil a donc
demandéégalement,danslarésolution752 (1992), que les unitésde laJNA en Bosnie-Herzégovine
soient ou retiréesou dissoutes, leurs armes étantplacéessous surveillance internationaleefficace.

3.2.0.6. Dans la résolution752(1992), leConseil s'est inqégalementdesactivitésdeces
forces, appelant les partieà mettre fin aux expulsions forcées de personnes de leur lieu de
résidence età «toute tentative visaàtchanger la composition ethnique de la population)).

3.2.0.7. Environ deux semaines après l'adoptionde la résolution 752(1992), le Secrétaire
généraldevait informerle Conseild'une nouvelledétériorationdlasituation. De gravesviolations
des plus élémentaires des règles humanitairesrelativesprotection des civils en temps de conflit

armé ont été commisesa,-t-il ajouté. Par suite de ces actes, le ((déplacementde civils quittant leurs
villes et villages [s'est fait]ythmejamais vu en Europe depuis la deuxième guerre mondiale))
(Nations Unies,doc. Sl24000,par. 5,26 mai 1992). Le Secrétairegénéraal poursuivi en déclarant
que «le sort tragique des civils, prisonniers dans les villes assiégéespar diverses forces
irrégulières et, dans certains cas, aussipar l'arméenationale yougoslave (JNA) est
devenu pire encore)).

Il a ainsi confirméune fois de plus l'existence d'une campagne de génocide visanà exterminer
principalement la population musulmane et qui se poursuivait encore avec la participation directe
de la JNA (ibid., par. 6).

4 (7 A
! ;!I ! 3.2.0.8. Le 30 mai 1992, le Secrétairegénérala une fois de plus informéle Conseil que sa
demande de retrait de la JNA letde non-intervention n'avait pas été respectée (Nations Unies,
doc. Sl24049, par. 5-9, 30 mai 1992). Le Conseil de sécuria réagide manière très énergiqueen
adoptant, par sa résolution75'7(1992) du 30 mai 1992, un ensemble complet de sanctions
économiquescontrela Républiquefédérative de Yougoslavie (Serbie et Monténégro).En fait, les
sanctionsadoptées à ce stadeétaientsimilairesou mêmeplusrigoureusesque celles adoptéescontre

l'Iraqen 1990, ce qui montrait le sérieux aveclequel le Conseil considéraitla situation.

3.2.0.9. La résolution déplorait le fait que les exigences formulées dans la
résolution752 (1992) n'avaient pas été satisfaitespar les autorités dela République fédérative de
Yougoslavie(Serbie et Monténégro). Adoptéee sn vertudu chapitre VI1de la Charte, ces sanctions
devaients'appliquer(jusqu'à ce que le Conseilde sécuritédécideque lesautoritdse la République
fédérativedeYougoslavie(SerbieetMonténégro), y compris l'Arméepopulaireyougoslave, ont pris
des mesures efficaces en vue de satisfaire aux exigences de la résolution752 (1992))). Ces
exigencesportaientnotammentsur lademandede retrait des forcesde laJNA, lacessation des actes
d'intervention et de génocide devant conduire la modification de la composition ethnique de la
population et la fin des actions visantntraver l'acheminementde l'aidehumanitaire.

3.2.0.10. La résolution 757(1992)fut adoptéepar 13voix contre zéro avec2 abstentions(la
Chine et le Zimbabwe). Le Zimbabwe s'opposapar principe àl'idéedes sanctions économiques,
mais il ne contestait pas le point de vue des autres membres du Conseil au sujet des actes
d'interventionarmée et des violations graveset systématiquesdu droit humanitaire perpétréspar la
. 1 C 2 Républiquefédérative de Yougoslavie (Serbie et MonténégroL ).a Chine confirma officiellement
que I'exigence d'unretrait des troupes n'avait pasété respectée (Nations Uniedoc. SIPV.3082,
30 mai 1992, p. 8). Les autres délégations étaient également très catégoriques, plusiersentre
elles associant explicitement les actes d'agression perpétréspar la République fédérative de
Yougoslavie (Serbie et MonténtSgroa )ux ((effortsnon dissimuléspour créerce qu'onappelle des
Etats-nations,englobanttous les individus de mêmeorigineethnique,ainsi que le recoursla force

pour parvenir à cet objectif grâcà la conquète territoriale))(Hongrie, ibid., p. 16).

3.2.0.11. 11convient de l'aireremarquer que les sanctions adoptéespar la résolution 757
(1992) sont encore en vigueur à ce jour, ce qui confirme l'opiniondu Conseil de sécuritéselon
laquelle la République fédérativede Yougoslavie (Serbie et Monténégro) continue de violer les
exigences formulées dans cette résolution. De fait, dans la résolution787 (1992) du
16 novembre 1992, le Conseil de sécuritéa confirméque toute prise de territoire par la force ou
toute pratique de ((nettoyageethnique))est illégaleet inacceptable,et a exigéune fois de plus que
cessent immédiatementtoutesles formes d'ingérence,notamment l'infiltrationd'unités irrégulières
et de personnel. En raison de ces violations continuelles, le Conseil a renforcépar cette résolution
les sanctionsprécédenteseta mt3meautorisél'emploide laforce militaire pour assurer l'application

des dispositions de la résolutioiirelatives au transport maritime.fait, dès 1993, le Secrétaire
généraa lvait confirméqueI'exigenced'unretrait des troupesde laJNA était «restàecejour lettre morte))(Nations Unies, doc. Al471869,18janvier 1993). Compte tenu deces violations et de la
répétitiod'autres gravesviolationsdes droitsde la Bosnie-Herzégovine,leConseil se voyait dans
l'obligationde renforcer encore les sanctions (résolution82093), 17avril 1993).

7.'.13 3.2.0.12. Pendant l'ét1993, le Conseil a proposé la mise en place d'une équipe de
surveillanceen vue d'empêcher l'infiltratine forces militaires et l'envoi de matéet d'autres
formes de soutienaux forces serbesen Bosnie-Herzégovine(résolution838(1993), 10juin 1993).
Fait significatif, la Républiquefédératde Yougoslavie(Serbie et Monténégroa ) rejetéce plan
en dépitde ses indicationsantérieursuidonnaient àpenser qu'elley souscrirait,affichantunefois
de plus sonrefus d'envisagerune interruptiondes opérationsque continuaitde mener ses forces et
celles qu'ellesoutenait,dans le cadre de la campagnede génocide menéen Bosnie-Herzégovine.

3.2.0.13. L'appui aériaccordé aux forces serbes opérantn Bosnie-Herzégovineconstitue
un des élémentsde la participationcontinuede laYougoslaviedans le conflit. Le 9 octobre 1992,
le Conseil a adoptélarésolution781(1992)qui, en réaction i'utilisationfaite de laforceaérienne
par la République fédérativee Yougoslavie (Serbie et Monténégro)d,écrétaune interdictiondes
vols militairesdans'espaceaériende la Bosnie-Herzégovine.Il a alors été demandau Secrétaire
généradle l'ONUde présenterau Conseil un rapport sur le respect decette interdiction. Grâceau

matérielultraperfectionnéde surveillanceet la collaboration d'unorganismerégional de défense,
un grand nombre de violations ont alors été déceléeD.e fait, le Secrétairegénérl taittenu de
dresser des rapports hebdomadairesdétaillés sur cviolations, maintenanttrop nombreuses pour
être citéeisci. La plupart des violations ont étécommises par des avions opérantconjointement
avec les forces serbes. Le 19mars 1993,le Secrétairegénéral rapporté quetrois avions avaient
attaquéet bombardé lesvillages des environs de Srebrenica,où des civils avaientimmobilisés
par les forces qui les encerclaient. Des avions ont été observés alsu'ils retournaient versle
territoire de la Républiquefédératide Yougoslavie (Serbieet Monténégro) après avoirréalisé
leurs attaques (Nations Unies,doc. Sl25444, 19 mars 1993). Le Conseil a vigoureusement
condamnécette nouvelleviolation(a cette époque,quatre cent soixante-cinqviolationsavaientété
déclarées)e,t exigédesforcesbosniaquesuneexplicationimmédiatedesviolationssusmentionnées
et, en particulier, du bombardementaérien. Le Conseil demandaégalementau Secrétairegénéral
de faire mener une enquêtepour déterminersi le territoire de la République fédérative de
Yougoslavie(Serbieet Monténégro) avaip tu êtreutilisé,commecela avait été signalp,our lancer

des attaques contre le territoire de la Bosnie-Herzégovine (Nations Unies, doc. Sl25426,
17mars 1993). La sévérité avec laquelle le Conseil a considéréle soutien aérien donnpar la
Républiquefédérativede Yougoslavie(Serbie et Monténégro) s'est manifestée de façon frappante
lorsqu'ellea autoriséles Etats Membres de l'ONUde recourir à la force, sous son autorité,pour
faire respecter'interdictiondes vols (résolution816(1993), 25 mars 1993).

3.2.0.14.LeConseils'estégalement préoccupé spécifiquementdd eersélémentisndividuels
de la campagnede génocide. Dansla résolution798 (1993)du 21 décembre1993, il a condamné
fermement la détentionet le viol massifs, organiséset systématiquesde femmes, notamment
musulmanes,en Bosnie-Herzégovine.Le Conseila égalementexprimésa profonde préoccupation
au sujet de rapports faisant étatdes mauvais traitements infligésaux civils dans les camps, les
prisons et les centres de détentionet exigé que soitaccordéimmédiatementaux organisations
humanitairesun accèslibreet permanent àtous lescamps, prisonset centresde détention;ila aussi

exigéuntraitement humain pour lesdétenus,notammentde la nourriture,un logementet des soins
médicauxadéquats. Comme on le voit à la lecture des débatsqui ont accompagnéau Conseil
l'adoptiondes diversesrésolutionset décisionsl,eConseila ainsi confirmél'existenceet condamné
la pratique des camps de concentration où sont perpétrés des tortures et des masarbitraires,
principalement à l'encontre de civils musulmans (par exemple, Nations Unies, déclarationdu
\.,5 Président,doc. Sl24378,4 août 1992;résolution770(1993), 13août 1992;résolution771 (1992),
13août 1993;Nations Unies, déclarationdu Président,doc. 926437, 14 septembre 1993). 3.2.0.15. Le Conseil s'estégalement penchésur ce qui est peut-êtrela manifestation la plus

directe de la politique de génocide les attaques militaires dirigées contre des civils, y compris le
bombardement et le pilonnage de:centrescivilset mêmede concentrationsde personnes déplacées,
ainsi que la multiplication d'entraves l'acheminement de I'aidehumanitaire, comme moyens de
guerre contre les civils. En aoû~:1992, le Conseil a répondà cette stratégie de génocide dirigée
principalement contre les Musulmans et dans le cadre de laquelle les forces serbes ont effectuéde
véritables tueries et affaméla population civile.

3.2.0.16. Dans larésolution770 (1992). adoptéeofficiellement en vertu du chapitre VII, le
Conseil a autorisél'emploi de I;iforce pour acheminer I'aidehumanitaire. Les entraves a I'aide

humanitaire et la pratique consistant affamer la population civile comme moyens de guerre ont
été vigoureusement condamnées àplusieurs reprises par la suite dans des résolutionsdu Conseil et
des déclarationsdu Président,airisique dans de nombreux rapportsadresséspar les Etats Membres
à l'occasionde l'adoption de cesrésolutions etde ces déclarations. Le déléguédu Venezuela par
exemple a attiré l'attention des imembresdu Conseil sur les dispositions de la convention sur la
préventionet la répressiondu crime de génocide,leur rappelant que la convention assimile au
génocide le fait d'imposer à un groupe d'êtreshumains des conditions de vie telles qu'elles
entraînent leur destruction physique totale ou partielle. L'article 54 du protocole additionn1l
de 1977auxconventions de Geniève,a-t-il précisé, interdit galementdedétruiredes infrastructures
indispensables à la vie, telles que celles nécessaiàla distribution d'électrici, 'eaupotable et
d'autres services publics essentiels. Le délégué vénézuéla ieconclu en ces termes :«Ce sont
! (
précisément detels actes qui sont perpétrés à l'heure actuelle contre la République de
Bosnie-Herzégovine.)) (Nations Unies, doc. SlPV.3119, 6 octobre 1992, p. 9.)

3.2.0.17.Dans la résolution780 (1992) du 6 octobre 1992,le Conseil a égalementconfirmé
l'existence deviolationsgénéraliséedsu droit humanitaire dans le contextede la campagne dite de
nettoyage ethnique et la pratique des ((tueries massives))qui a accompagné cettecampagne (voir
égalementla résolution 808 (1993), 22 février1993). Ce même mois,le Conseil s'estdit révolté
que même lescivils qui avaient été victimesde ce nettoyage ethnique et qui fuyaient la ville de
Jajce ont étél'objetd'attaquesde la part des forcesserbes(Nations Unies, déclarationdu Président,

doc. S/24788,30 octobre 1992). Des atrocitésde ce genre, qui ont été vérifiéet condamnéespar
le Conseil,confirment I1existenc:d'unestratégiequi visait non seulement à chasser les membres
d'un groupe ethnique ou religieux de régionsparticulières, mais en faità les exterminer, même
lorsqu'ils tentaient de s'enfuir. En novembre 1992. le Conseil a réaffirmé quetoute prise de
territoire par la force et par de telles pratiques est illégaleet inacceptable, insistant pour que toutes
lespersonnesdéplacées puissentiregagnerpacifiquement leursanciensfoyers(résolution 787(1992),
16 novembre 1993). Dans la même résolutionl,e Conseil a jugénécessaire d'exigerla cessation
detoute ingérenceétrangère,y compris((l'infiltrationd'unitéset d'élémentsirréguliers)),confirmant
une fois de plus la participation continuelle de la RépubliquefédérativedeYougoslavieces actes
de génocide. Le fait que le Conseil a une fois de plus réagien adoptant, dans le cadre de cette

résolution, de nouvelles sanctions contre la République fédérativede Yougoslavie (Serbie et
Monténégro) indique de façone:ncoreplus manifeste l'existencede ce lien direct.

3.2.0.18. Les appels au respect des résolutionsétantrestés lettre morte,le Conseil de sécurité
? 97 a graduellement élargile manda,tde la force de protection des Nations Unies (FORPRONU), qui
consistait au débutàescorter les convois d'aidehumanitaire. Mêmealors, ces efforts entièrement
humanitaires, qui visaient assurer la simple survie des populations majoritairement musulmanes,
ont été continuellemententravé:spar les forces serbes, ce qui a portéle Conseil à recourir au
. . parachutage des secours humanitaires pour tenter d'empêcher l'exterminationp ,ar la famine, de

larges secteurs de la population (Nations Unies, déclaration du Président, doc. Sl25334,
25 février1993). En mars 1993,le Conseil s'estvu une fois de plus dans l'obligation d'exiger que «les tueries et les atrocités)) cessent, réaffirmantque les responsables des crimes commis en
violation du droit humanitaire international seront tenus personnellement responsables par la
communautémondiale (Nations Unies, déclarationdu président, doc. S125361,3 mars 1993). Par
la suite, le Conseil a affirmé,en adoptant le règlementdu Tribunal international, que le crime de

génocidefaisait partie de ces violations du droit humanitaire (voir par. 3.2.0.21-3.2.0.22, 3.3.1.1).

3.2.0.19. En avril 1993,le Conseil s'est ditalarmépar «la persistance des attaquesarméeset
du pilonnage délibérédse la population civile innocente))par les forces serbes groupéesautour de
Srebrenica, enclave peuplée principalement decivils musulmans et où avaient trouvérefuge un
grand nombre de civils forcés de quitter leurs foyers par la campagne de génocide. Fàccette
pratique des forces serbes consistantà encercler principalement les régions habitées par des
Musulmans et à bombarder ensuite la population civile et les personnes déplacées,tout en
interdisant I'acheminement de l'aide humanitaire,le Conseil a procédé créationdece que l'on
a appelé les «zonesde sécurité)),'abord à Srebrenica, puis dans d'autres régions, notammeàt
Sarajevo(résolutions819 (1993), 3 avril 1993; 824 (1993), 6 mai 1993). Ilaylieu de noter que
le Conseil a fait expressément référenceà la première ordonnance en indication de mesures

conservatoiresémisepar la Cour internationalede Justice au sujet des actes de génocide,lorsqu'il
a adoptéla résolution819 (1993) relativeà Srebrenica. Toujours en réactionà ces actes, et se
? 08 référantspécifiquement à l'ingérence queconstituaient «les activités menées en violation des
résolutions757(1992) et 787 (1992)entre le territoirede la Républiquefédératde Yougoslavie
(Serbieet Monténégroe )t leszonescontrôlée..enRépubliquedeBosnie-Herzégovine)),leConseil
a encore décrétéde nouvelles sanctionscontre la Républiquefédérativede Yougoslavie(Serbieet
Monténégro)(résolution 820(1 993), 17 avril 1993).

3.2.0.20. Par lasuite, le Conseil a mêmeautoriséles Etats Membàeavoir recourà la force
pour assurer la sécurité des zones ditesde sécurité,confirmantnouveau ainsi la gravité dela
pratique de génocidequ'il essayait de contrecarrer (résolution836(1993), 4 juin 1993). Fait

significatif, le Conseil a une fois de plus exigéque «la Républiquefédérative deYougoslavie
(Serbie et Monténégro)cesse immédiatement defournir des armes, du matérielet des services de
caractèremilitaireaux unitésparamilitairesserbes)),associant de nouveau la Républiquefédérative
de Yougoslavieaux actes épouvantablesde génocide dontla population et les personnes déplacées
étaient victimes dans les zones dites de sécurité.

3.2.0.21. Les moyens et méthodes de génocidont égalementété examinés sur le plan de la
responsabilitéindividuelle. Dans larésolution771 (1992), leConseil s'est dit gravementalarmépar
les expulsions et déportationsmassives et forcées,l'emprisonnement decivils dans des centres de
détentionoù ils sont soumis àde mauvais traitements, par les attaques délibéréàsl'endroitde

non-combattants, d'hôpitaux et d'ambulances, qui font obstacleà I'acheminement de denrées
alimentaireset de fournitures médicalesdestinéesla population civile,et par des actes gratuits de
saccage et de destruction de biens. Le Conseil a condamné ces pratiques,mpris le ((nettoyage
ethnique)) et déclaréqu'elles entraînaient une responsabilité individuelle. en conséquence
demandé aux Etats Membres et aux organisations humanitaires de rassembler des informations
étayéessur ces agissements.Le Conseil a donnésuiteà cette mesure en adoptant la résolution780
(1992), dans laquelle il s'estdit une fois de plus gravement alarmépar les rapports qui continuent
de faire étatde violationsfréquentesdu droit humanitaire international, notamment lestueries et la
pratique continuelle du ((nettoyage ethnique)),et en créant une commission d'experts chargée
d'examiner et d'analyser les informations relativesla commission de tels actes. Comme l'a
expliquéle délégué du Pakistan durant le débattenu au Conseil sur cette résolut:on «Dans la guerre en Bosnie, la violation systématiquedes droitsde I'homme- la
brutalecampagne d'«épurationethnique)) -n'estpas la conséquencedu conflit, mais sa
cause. Le Conseil de sécurité doit répondre résolumentàcette campagne génocidaire
menéecontre le peuple bosniaqueet, en particulier,contre lesmusuimans. Il doit agir
énergiquementpour mettre un terme aux atrocités commises contre les miisulmans,
atrocités jamais vues depuis l'holocauste.» (Nations Unies, doc. SlPV.3136,
16 novembre 1992,p. 31. D'autres délégationo snt également dénoncé expressément
ce génocideen le plaçani:dans le contexte d'une campagne de conquêtes territoriales
et d'uneguerre d'agression;par exemple, ibid., p. 53 et 68.)

3.2.0.22. En février1993.,le Conseil a décide créerun tribunal international pourjuger les
personnesprésuméesresponsablesdeviolationsgravesdudroit internationalhumanitairecommises
sur leterritoire de'ex-Yougoslsivie(résolutio808 (1993), 22 février 1993).Le statut du tribunal,
qui a été adopté danlse cadre dlela résolution 827 (1993)du 25 mai 1993, place explicitement le
génocide dansla catégorie des crimes à juger. Le Conseil a une fois de plus clairement désigné
dans ce contexte les mêmesméthodes de génocide appliquéesen Bosnie-Herzégovinepar la
République fédérative de Yougoslavie (Serbie et Monténégro), lorsqu'ils'est référé aux

((tueriesmassives,détentionetviol organiséset systématiquesde femmes musulmanes
119 et poursuite de la pratique du ((nettoyage ethnique)), notamment pour acquérir et
conserver du territoire))(ibid.).

3.2.0.23.Les mesures prises par leConseilde sécuritont étérenforcéespar les interventions
d'un large éventail d'autres organes fonctionnant dans le cadre des Nations Unies, notamment
l'Assembléegénérale l, Commissiondes droits de I'homme,sa Sous-Commissionet le rapporteur
spécial,le comitédes droits de I'homme,le comitépour l'élimination dela discrimination raciale,
etc. Comme on le verra dans l'exposéplus approfondi des chapitres qui suivent, plusieurs de ces
organes ont officiellement présentéles atrocités commisesen Bosnie-Herzégovine comme des
éléments d'unensemble cohérentet, de fait, systématique,de violations constituant un génocide et
auquel a participéla République fédérativede Yougoslavie (Serbie et Monténégro). CHAPITRE3.3

CONFIRMATIO PAR D'AUTRES ORGANES FAISANTAUTORITÉ DU
GENOCID CE NSTITUEPAR LES ACTES COMMIS

Section 3.3.1. La convention sur le génocides'applique pfacie
en l'espèce

3.3.1.1. Le fait que tous les élémentsdu droit humanitaire, notamment l'ensemble des
conventionsadoptéesàGenèvesur les conflitsarmés internationaux,s'appliqàla situation qui
prévauten Bosnie-Herzégovinene fait aucun doute. Cela, le Conseil de sécuritél'aconfirmé dès
juin 1992(résolution7641992)), en faisantétatde la responsabilitéindividuellequ'entraînent,sur
l ' le plan pénal, les gravesviolationsdes conventionsde Genève. En plus des résolutions771 (1992)
et 780(1992)auxquelles ila étéftéférence précédemmen ilt,y a lieu dementionner que le statut
du Tribunal international par le Conseil de sécuritéconsidèreexplicitementla convention sur
le génocideet le concept de crime contreumanitécomme sources de droit, dans le contexte de
la situation dans l'ex-Yougoslavie. Dans lespropositions qu'ellea faites au sujetde la rédaction du
statut du Tribunal, la France a déclaréqu'elle trouvait «paradoxal»quen'ait pas inclus le
génocidedans le domaine de compétencede cette cour dejustice ni mêmele ((nettoyageethnique))
(Nations Unies, doc. Sl25266, p. 20)Dans certaines autres propositions, notamment celles
présentéeparl'Italie,l'organisationdelaconférenceislamique,laRussie, lesEtats-Unisd'Amérique
et le Canada, la convention sur le génocidconsidérée commeun instrument applicableprima
faci(Nations Unies, doc. SI24300du 17février1993,doc. SI25512du 2 avril 1993,doc. SI25537
du 6 avril 1993, doc. SI25575 du 12avril 1993,doc. SI25594 du 14 avril 1993).

3.3.1.2. La convention sur le génocideest égalementcitéesouvent dans les résolutions de
l'Assemblée générale, eCommission desdroits de l'hommedel'organisation desNations Unies
et de sa Sous-Commission, dans lesrapportsdes rapporteurs desNations Unies et d'autresorganes.
On trouveraaux paragraphes suivants une brèveanalyse des documents émanantde chacune de ces
sources.

Section 3.3.2. L'Assembléegénérale desNations Unies

3.3.2.1. Dès le 25 août 1992, en adoptant la résolution461242, l'Assembléegénérale
condamnavigoureusement ((l'odieusepratique du((nettoyageethnique)),quiconstituea sesyeux une
7 2 violation grave du droit international humanitaire. Elle reflétaitla conclusion du Secrétairegénéral
de l'organisation desNations Unies, de l'avisduquel les Serbesde Bosnie-Herzégovinedéployaient
un effort concerté, avecassentiment et pour le moins un certain soutien de l'armée populaire
yougoslave, dans le but de «créerdes régions ethniquement pures». Parmi lesélémentsde cette
stratégie,l'Assemblgénéralacitélesexécutionssommairesetarbitraires, lesdisparitionsforcées,
la torture, le viol et les traitements cruels inhumains et dégradantsainsi que les arrestations et la
détentionarbitraires. L'application systématiquede ces techniques, dans le double but d'anéantir
en tout ou en partie lapopulationte majorité musulmaneet de créerdes régions((ethniquement
pures)),corresponà l'évidenca la définitionmêmedu génocide(voir cinquième partie). 3.3.2.2. l'Assemblée a condamné en outre la violation de la souveraineté,de l'intégrité
territoriale et de l'indépendancepolitique de la Républiquede Bosnie-Herzégovine, qu'elle assimile
à une agression, et exigéqu'il y soit misfin immédiatement. Elle a enoutre demandéde prendre
de toute urgence de nouvelles mesures pour arrêter les déplacements massife st forcés de
populations en provenance et à l'intérieurde la Républiquede Bosnie-Herzégovine. l'Assemblée
a ainsi établiun lien entreinterventionextérieure etles actes de génocidequ'elle avait déjà décrits
et condamnés avec vigueur.Dans larésolution471147,l'Assemblée générale a égaleme cotnfirmé
que les Etats ((doiventêtretenus responsablesdes violations desdroits de I'hommeque leursagents
commettent sur le territoire d'unautreEtatn.

3.3.2.3.Le 16décembre1992,l'Assemblée généralea adoptéunerésolutionsur le((nettoyage
ethnique)),dans laquelle elle condamne unefois de plus cette pratique et l'assimàlune violation
du droit humanitaire, dont la convention sur le génocideest un élément(résolution 47/80). Dans
une autre résolutionadoptéedeuxjours plus tard, la résolution471147,l'Assemblée généraleda e
nouveau identifiéet condamnéles éléments suivants de la campagne de génocide, notamment les

((meurtres,tortures, brutalités,viols,disparitions,destructionsdemaisonsetautresactes
ou menaces de violences ayant pour but de forcer les gensàquitter leurs foyers, ainsi
que les violations des droits de I'hommesignalées contre les personnes détenues))

((le bombardement aveugle de villes et de zones occupées pardes civils, le recours
systématique à la terreur et au meurtre contre des non-combattants, la destruction de
servicesvitaux, le siègede villes et l'emploide laforce militaire contre des populations
civiles et des opérationsde secours)).

Elle ajugéque, par suite de ces pratiques,la population musulmane [était]pratiquement menacée
d'extinction)),ajoutant que les dirigeants serbesdans lesterritoires se trouvant sous leurcontrôle en
Bosnie-Herzégovineet

((l'arméepopulaire yougoslave et les dirigeants politiques de la Républiquede Serbie
portent la responsabilité principalede cette pratique répréhensible, qui constitue une
violation flagrantedesprincipes les plusfondamentaux relatifsauxdroits de l'homme)).

L'Assemblée généraleea n outre réitéré l'obligation, exprimée égalemdents la convention sur le
génocide,de prendre les mesures nécessairespour appréhenderet punir ceux qui auront ététrouvés
coupables d'avoir perpétréou autoriséces violations. Elle a également réaffirmé que les Etats
doivent être tenusresponsables des violations des droitsde I'homme«que leurs agents commettent

sur le territoire d'un autre Etsit)). Comme l'a dit un délégué duranlte débatqui a conduit à
l'adoptionde la résolution:

«La Serbie doit comprendre qu'en poursuivant sa politique de ((nettoyage
ethnique)),elle viole de façon flagrante la convention de 1948pour la préventionet la
répressiondu crime de génocideet doit donc êtretenue responsable pour ses crimes
contre l'humanité.)(Bangladesh, Al47lPV.87, 15 décembre1992, p. 46.)

Exprimantunpoint devue similaire, l'Assemblée généralea adoptéégalementle 18décembre1992
la résolution471121,dans laquielleelle s'est unefois de plus dite gravement préoccupée par «les violationsconstantes,flagrantes etsystématiquesdesdroitsde I'homme, lenombre
croissant de réfugiésqui résultent des expulsionsmassives de civils sans défense de

qqk leursfoyerset par I'existence,dans les zonessous domination monténégrine, de camps
1 . . de concentration et de camps de détention, concourant à l'ignoble politique de
((nettoyageethnique)), qui est une forme de génocide)).

Ainsi, l'Assembléea officiellement et explicitement déclaréque cette campagne constituait un
génocide(résolution471121),dont ((l'armée populaire yougoslave et les dirigeantspolitiques de la
Républiquede Serbie portent la responsabilitéprincipale))(résolution471147). La première de ces
deux résolutionsavait été approuvépear 102voix contre zéro.Les 57 abstentions s'expliqueraient
par la référence à certaines dispositions de la résolutionrelatives aux aspects politiques de
l'application continue de la résolution713 (1991) du Conseil de sécurité. Commele montre le
compte rendu des débatsde l'Assemblée générale, ledsispositions concernant I'existenced'une
campagne d'agression et de génocide n'avaientguèreété contestées.La résolution471147a été
adoptée sansvote, ce qui prouve le consensus universel au sujet des conclusions qu'elle contient.

3.3.2.4. Dans une résolutionadoptéepar la suite, l'Assemblées'est déclarindignéedu fait
que la((pratiquesystématique))duviol soitutiliséecomme ((instrumentdenettoyageethnique visant
les femmes et les enfants dans les zones de conflit armé dansl'ex-Yougoslavie,en particulier les
femmes et les enfants musulmans en Bosnie-Herzégovine)) (481143, 20 décembre 1993).
L'Assemblée générala e déclaréque «ces pratiques abominables constituent une arme de guerre
utiliséedélibérémenp tar les forces serbes en Bosnie-Herzégovine pour mener àbien la politique
de nettoyage ethnique)),et elle a réaffirmédans ce contexte quel'ignoblepolitique de nettoyage
ethnique [est] une forme de génocide)). Dans une autre résolution encore, adoptée à sa
quarante-huitièmesession, l'Assembléea réaffirmé sa <(volontéd'empêcher des actesde génocide
et les crimes contre l'humanité))dans le contexte de «la poursuite de l'agression en

Bosnie-Herzégovine)). Dans cette résolution.elle a égalementfait référenceaux liens entre la
Républiquefédérative deYougoslavie (Serbie et Monténégro)et les milices serbes et groupes
paramilitairesresponsablesdes«violations massives,grossièresetsystématiques)(résolution 48/88,
20 décembre1993).

3.3.2.5. C'estencoreà la quarante-huitième session quel'Assembléegénéralea adopté,le 20
décembre1993, la résolution481153. Cette résolution - autre document de l'Assemblée faisant
autorité- atteste de I'existence des faits, en donne une classification juridique et déterminela
responsabilitéinternationalede leurs auteurs. La résolutiona éadoptée à l'unanimitéet peut être
considérée comme une dénonciationconciseet digne de foi faite par la communautéinternationale

sur la situation juridique existant dans la République de Bosnie-Herzégovine.

3.3.2.6. Dans la résolution481153, l'Assembléea une fois de plus défini et condamnéles
éléments essentiels dela campagne de génocide, «qui prennent la forme de meurtres, tortures,
brutalités,fouillesarbitraires, viols, disparitions,destructions de maisons etautresactes oumenaces
de violence ayant pour but de forcer les genà quitter leurs foyers)),ainsi que les violations des
droits de I'hommesignalées à l'encontre des personnesdétenuesdans des camps de concentration.
L'Assembléea en outrecondamnéle bombardement aveugle de villeset de régionshabitéespar des
civils,le recours systématiqueà laterreur et au meurtrecontre lesnon-combattants)),ladestruction
de services vitaux, le siège de villes et l'emploide la force militaire contre des populationsciviles
et les opérationsde secours-auxquelles se livrent toutes les parties au con-tout en constatant

que la responsabilitéen incombe principalement aux Serbes de Bosnie, qui ont érigé cespratiques
en politique, et aux Croates de Bosnie. 3.3.2.7. Ces violations commises «systématiquement>ou comme élément d'une ((politique))
ont été assimilées de manière claiet non équivoque àun génocidepar l'Assemblée généralq eui
a rappelélejugement qu'elle avait déjà formulé dans sa résolut471121,dans laquelleelle disait
i 1 6 Elle a ainsi
que la campagne dite de nettoyage ethnique étaiten fait «une forme de génocide)).
soulignédenouveau que presque:tous les Etats du monde entier partageaient le même pointde vue
sur cette question.

3.3.2.8. Par la suite, l'Assembléea préciséencoredavantagel'identitédes ((Serbeosnie))
qui ont érigé des pratiques de génociden politique, en

((constatant que les dirigeants du territoire contrôlé par les Serbes en
Bosnie-Herzégovineet en Croatie, les commandants des forces paramilitaires serbes
et les chefspolitiques et militairelaRépubliquf eédérative deYougoslavie (Serbie
et Monténégro) son ltsprincipauxresponsablesde ces violutions»(les italiquessont
de nous).

Dans ce cas également, il s'agissait de rien de moins qu'une appréciation unanime de tous les
Membres des Nations Unies.

Section 3.3.3. La Commission des droits de I'hommede l'ONU
et sa Sous-Commission

3.3.3.1. Le 13août 1992,la Sous-Commissionde la luttecontre lesmesures discriminatoires
et de la protection des minoritésa exprimé l'horreurquelui inspire la politique dite de ((purification
ethnique)),et a condamnécatégoriquementcette politiqueet ces pratiques, exigeant qu'ily soit mis
fin sans délai (décision19921103). Le lendemain, la Commission des droits de I'homme de
l'organisation des Nations Unies a tenu la premièresession extraordinaire de son histoire, ce qui
montrait bien le caractère dramatique et urgent de la situation. La Commission a alors adoptéune
résolutiondans laquelle elle exprimela répulsion quelui inspirent le concept et la pratique de la
((purificationethnique)), lesquel!;

«se traduisentàtout le nioins par des expulsions et des transferts ou déplacements
massifs forcés de personnes de leurs foyers. en violation flagrante des droits de
I'homme,etvisent àdésunirou détruiredes groupesnationaux,ethniques ou religieux))
(résolution19921s-1/11,14 août 1992).

Dans ce contexte, laCommissimon a expressément rappelé queI'ex-Yougoslavieétaitpartie à la
convention sur le génocide et ((condamne de manière absolue la notion et la pratique de la
((purificationethnique)). La Conimission a engagétoutes lesparties de I'ex-Yougoslaviepecter
les obligations contractées, entre autres,en vertu de la convention sur le génocide, affirmant«que
les Etatsdoivent être tenuspour responsablesdes violationsdes droits de l'hommeque leursagents
commettent sur le territoire d'unautre Etat)).

A sa deuxième session extraordinaire d'urgence, la Commission a expressément attiré
l'attention de tous les Etats su,r le fait que les actes qui se produisent dans la République de

Bosnie-Herzégovine constituentun génocide,les engageant a tenir compte de ((l'ampleur))de ces
violations (résolution 19921s-211,1" décembre 1992).

3.3.3.2. Lorsde saquarante-neuvièmesession,en 1993,laCommissiondesdroits de I'homme
de l'organisation des Nations Unies a rappeléles gravespréoccupationsqu'elle éprouvaitdevantla
pratique persistanteet odieuse du nettoyageethnique,qu'elleconsidéraitcommelacausedirecte de
la grande majoritédes violation:;des droits de I'hommedans I'ex-Yougoslavieet dont la principalevictime étaitla population musulmane, virtuellement menacée d'extinction)).La Commission a
également rappeléle point de vue de l'Assemblée générale q,ui considéraitle nettoyage ethnique
comme une forme de génocide (résolution199317.23 février1993).La Commission a adoptéune
autre résolution sur le viol et les sévices exercées contreles femmes sur le territoire de
l'ex-Yougoslavie, condamnant une fois de plus cette pratique dans laquelle elle voit un élément

systématiquede nettoyage ethnique (résolution 199318.23 février 1993).

La Commission a condamné dans les termes les plus vigoureux toutes ces violations,

((constatant que les dirigeants du territoire contrôlé par les Serbes en
Bosnie-Herzégovine eten Croatie, les commandants des forces paramilitaires serbes
et les chefspolitiques et militairesde la Républiqueédérative de Yougoslavie (Serbie
et Monténégro) sont lesprincipaux responsabd leesces violations»(les italiques sont
de nous).

La Commission a égalementdemandéque l'onprenne des mesures appropriées,conformémentaux
principes internationalement reconnus de la procédure régulièrep , our appréhender et punir les
personnes coupables d'avoir perpétréou autorisé ces violations et pour garantir qu'elles ne se
reproduiront plus.

3.3.3.3. Dans l'ensemble donc, la Commission de droits de l'hommea identifiéla pratique
systématique des violations gravesdes droits de l'hommecomme correspondant parfaitement à la
définitiondu génocide et elleen a tenu pour principale responsable la République fédérativd ee
Yougoslavie (Serbie et Monténégro).

3.3.3.4. En mars 1994,la commission a de nouveau examiné, dans l'optiquedu génocide,la
pratique du viol et des sévices exercés contre les femmesen tant qu'instrument de guerre,
l'étranglement des villesen Bosnie-Herzégovine,le bombardement et les massacres des civils, la
torture, les exécutions arbitraires etles disparitions forcéeset involontaires. Dans ce contexte, elle
a dénoncéégalemenlt apersistance des attaquesdélibéréeset illégales,ainsiqule'emploide laforce

militaire contre des civils et d'autres personnes protégées.en particulier
-
le siègede villes et d'autres régions habitéespar les civils, et le bombardement meurtrier et
délibéré de ces régione s, particulier celles déclarées«zones de sécurité));

- les massacres de civils et de non-combattants et les agissements systématiquesvisant à les
terroriser;

- la destruction des services vitaux;

- l'emploide la force militaire contre les organisations de secours;

- la destruction intentionnellede mosquées,d'églises, d'autreslieux de du culte et la profanation

de cimetières;
-
les autres attaques perpétrées contre des civils:

- la conscription forcéede personnes déplacées à l'intérieurde leur pays et des réfugiés, sans
considérationdu statutde protectiondont ilsbénéficien(tNations Unies, doc. E.CN.4/1994/L.80). Section 3.3.4.Le rapporteurspécial sur les droits
de l'hommedans l'ex-Yougoslavie

3.3.4.1.A sa première sessionextraordinaire,la Commission des droits de I'hommea nommé
un rapporteur spécial, M. Tadeusz Mazowiecki,qui a indiqué dansson premier rapport que :

((6.La majeure partie du territoire de l'ancienneYougoslavie, et en particulier
la Bosnie-Herzégovine, est actuellement le théâtre de violations massives et
systématiques des droits deI'hommeainsi que d'atteintes graves au droit humanitaire.
La politique de purification ethnique est la cause de la plupart de ces violations.

((7....cette politique [de purification ethnique] est ouvertement appliquée dans
les parties de Bosnie-Herzégovineet de Croatie contrôléespar les Serbes.)) (Nations
Unies, doc. ElCN.411992-S-119,28 août 1992.)

3.3.4.2. Le rapporteur sptJciala décritles méthodes de ((purificationethnique))en détail,
évoquant notamment le bombardementd'objectifs civils et de mosquées,la privation systématique
de nourriture des populations, les détentions et exécutions arbitraires,etc.a mis l'accentsur la
tactique consistantà (([bombarder] les centres habitéspar la population civile)) età (([couper]
l'approvisionnement en denrées alimentaires et autres denrées essentielles)),en indiquant que
((l'exemplele plus dramatique et le mieux connu en est Sarajevo)), ce qui a conduit certains
observateurs à penser que «les attaquants sont résolàs«tuer» la ville elle-même))(ibid,.par. 17).
Dès le mois d'août 1992, le rapporteur spécial évoquait cette pratique dansle contexte de Bihac,
dans le nord-ouest de la Bosnie:((bombardéesquotidiennement. II n'ya pas d'objectifs militaires
2 Q importantsdans la ville...Cinquante et un enfants ont été tués dans cette ville depuilse début des
hostilités.))bid.,par. 20.)

3.3.4.3. En octobre 1992,le rapporteurspéciala indiquéque, selon lui, le conflit militaire en
Bosnie-Herzégovinevisait à réaliserla ((purificationethnique))etque la population musulmane, qui
enest laprincipalevictime, «estpratiquementmenacéed'extermination)).11pensait,commed'autres
observateurs,que le principalob.jectifdu conflit militaire en Bosnie-Herzégovineétaitde constituer
des régions ethniquement homogènes. L'épurationethnique ne serait pas selon le rapporteur la
conséquencedela guerre mais bien plutôt son but. Ce but a déjà,dans une large mesure, été atteint
par les massacres, brutalités, viols, destructions des maisons et menaces, a ajoutéle rapporteur
spécial. Ces exactionss'étaient intensifiéasu coursdes semainesprécédentesetily avaitde moins
en moins de résistance dela part de la population non serbe, dont les membres étaient de plusen

plus nombreux à vouloir tout abandonner et fuir leur patrie. II a conclu en déclarant que les
populationsmusulmane et croate, dans leterritoire contrôlépar les autorités serbes, soumisesne
intense pression, vivaient dans la terreur. Des centaines de milliers de personnes étaient obligées
de fuir leurs foyers et d'abandonner leurs biens pour sauver leur vie (Nations Unies,
doc. E.CN.411992S-1/10,27 octobre 1992).

3.3.4.4. Le rapporteur spécial a plus tard confirmé que les principaux agents de cette
campagne de ((nettoyageethnique))étaientdes groupes paramilitaires irréguliers qui avaient été
armés et dotés d'«unegrande quantitéde matérielmilitaire))précédemmentdétenue par laJNAet
les autorités de Belgrade(Al471666,par. 14-15).

3.3.4.5. En février1993, le rapporteur spéciala soumis un autre rapport, qui décrivaitde
manière détailléela pratique du nettoyage ethnique appliquéeàun grand nombre de cas précis,en
évoquantlesméthodesdepassages àtabac,torture, exécutionsommaire,expulsion,siègeet coupure
des approvisionnements alimtmtaires, pilonnage des civils etc. et, surtout, le ((caractèresystématique))de ces violations (Nations Unies, doc. A148192,par. 20). Dans sa conclusion, le

rapporteur spécial a confirméune fois de plus que le nettoyage ethnique violait les principes
fondamentaux des droits de l'hommeet du droit humanitaire, mentionnant aussi expressément la
convention sur le génocide (Nations Unies, doc. A148192,par. 256).

3.3.4.5. Dans son rapport le plus récent,le rapporteur spécial confirme quela campagne de
génocidesouslesdifférentsaspectsadécritsprécédemmen st'estpoursuivieen 1994(Nations Unies,
doc. E/CN.4/1993/110, 21 février 1994).

Section 3.3.5. La commissiond'experts de

l'organisation des Nations Unies

3.3.5.1. La commission d'experts, constituée conformément à la résolution780 (1992) du
Conseil de sécurité des Nations Unies,a confirmé dansson rapport que :

((D'aprèslesnombreuxrapportsdécrivantlapolitiqueet lespratiquesappliquées
dans l'ex-Yougoslavie, le ((nettoyageethnique)) se réalisepar le meurtre, la torture,
l'arrestation et la détention arbitraires, les exécutions extrajudiciaires,le viol et les
violences sexuelles, le cantonnement de la population civile dans les ghettos, les

déplacements, transferts et déportationsde populations civiles contre leur gré,les
attaques ou menaces d'attaques délibéréescontrd ees civils dans des zones civiles et la
destruction aveugle de biens. Ces pratiques constituent des crimes contre l'humanité
et peuvent être assimilées à des crimes de guerre bien définis. Qui plus est, elles
pourraient également relever de la Convention sur le génocide.)) (Nations Unies,
doc. S.251274,10 février1993, par. 56.)

3.3.5.2. De nombreuxrapportsde lacommissiond'expertsde l'ONUet du Conseilde sécurité
des Nations Unies reflètent aussi le caractère génocidaire des événements danlsa République de

Bosnie-Herzégovine. Les rapports des Etats-Unis,par exemple, mentionnent des actes de tueries
intentionnelles,detorture desprisonniers,demauvaistraitementsinfligésauxcivilsdansdescentres
de détention, d'attaques délibérées contrdees non-combattants, d'expulsions et de déportations
massives et forcées. Le rapport indique que «les incidents distincts rapportés ci-après semblent
avoir été provoqués danlse cadre d'unecampagne systématiquetendant à un seul but -la création
d'unEtat ethniquement «pur.»» (Nations Unies, doc. Sl24583, 23 septembre 1992, p. 3.)

De même,la France a fait dans son rapport la déclaration suivante :

«Les récits mettent ainsien évidenceun processus :occupation et destruction
d'unvillage, exécution d'une partiedes habitants. transfert des autres vers des camps
où ils subissent de mauvais traitements et des conditions de détention très dures,
éliminationdes plus influents, et éventuellementlibérationou échangedes autres à
condition qu'ils abandonnent leurs biens et déclarentne plus revenir dans leur village.
Ce processus s'inscrit généralement dansle cadre d'une politique de purification
ethnique.)) (Nations Unies, doc. S124768,5 novembre 1993, p. 2.)

3.3.5.3. La Slovéniea signalé que sur les quelque soixante-dix mille réfugiés qu'ellea

accueillis,il y avait de nombreux témoins oculaires de tortures, de viols et d'autres traitements
violents, inhumains et humiliants, de nombreuses personnes qui ont été chasséeo su expulsées de
leurs foyers, internéesdans des campsde concentrationet dépouilléesde leurs biens, confisquésou
détruits lorsdes ((nettoyages ethniques)), ainsi que des personnes que des attaques contre des
hôpitaux et des dispensaires avaient privéesdes soins médicaux dontelles avaient immédiatement besoin. Nombre de réfugiés ont assiàtdes tueries massives ou isoléeà d'autres violationsdu
droit humanitaire. Ces violations flagrantes du droit international. a poursuivi la Slovénie, sontla
1 2 3 preuve du ((génociderésultant dela pratique du ((nettoyageethnique)) ens))(Nations Unies.

doc. S124789,9 novembre 1992, p. 2).

Section 3.3.6. La conférencemondiale de Vienne sur les droits de I'homme

3.3.6.1. La conférence mondiale sur les droits de I'homme a fourni une occasion unique
d'exprimerun avis faisant autorité sur lapratique des Etats et I'opiniojuris concernant les droits de
I'homme et le droit humanitaire. La conférence a réuni des représentants de
cent soixante et onze Etats et a.doptépar consensus une déclarationet un programme d'action
officiels dans lesquels elle s'est déclarée constpar les violations massives des droits de
l'homme,notamment celles qui prennent la forme de génocide,de ((nettoyageethnique))et de viol
systématique des femmesen teinps de guerre, violations qui sont'origine d'exodes massifsde
réfugiéset de déplacements de personnes. La conférencea décidé également,à l'unanimité, de
lancer un appel au Conseil de slécupour ((qu'ilprenne les mesures nécessairespour mettre fin
au génocideen cours enBosnie:-Herzégovine,et en particuliàrGorazde)).

3.3.6.2. La conférencea doncdéclaràl'unanimitéque la pratique dite de nettoyageethnique
est assimilabàeun génocide. lJne autre déclaration sur la Bosnie-Herzégovinea été adoearp
88 voix contre 1, avec 54 abstentions. La plupart des abstentions s'expliquent par l'introduction
dans la résolutionde paragraphes proposant des moyens précis de remédiera situation dans la
Républiquede Bosnie-Herzégovine.En particulier,plusieursdélégationsn'étaient pasconvaincues
du bien-fondé d'utiliserla conférence mondialepour recommander la conduiteivre au Conseil
de sécurité. Cependant, comptetenu de la décision consensuellementionnée plushaut, on ne peut
douter de l'appuiquasi unanime de tous les membres de la communauté internationalepour des
dispositions suivantes de laaration :

«La Conférencemondialeestimequelapratique du nettoyageethnique résultant
de l'agression serbe contre la population musulmane et croate de la République de
Bosnie-Herzégovineconstitueun génocideet une violation de la Convention pour la

préventionet la répressiondu crime de génocide.

La Conférence mondiale condamne fermement la Serbie et le Monténégro,
l'arméenationaleyougoslave, lesmilices serbes et leséléments extrémistesdes milices
croates de Bosnie,responsablesde ces crimes.)) (Nations Unies,. AIConf. 157124
(partie 1),p. 49.)

Section 3.3.7. Le comitédes droits de I'homme

3.3.7.0. En 1992, le comitédes droits de I'hommecren vertu du pacte internationalrelatif
aux droits civils et politiques a demandé au Gouvernement de la Yougoslavie (Serbie et

Monténégrod )e luiprésentern rapport concernant notamment lesmesures prises pour préveniret
combattre la politique de ((nettoyageethnique)). Aprèsavoir pris connaissance de ce rapport, le
comitéa constaté ((l'existencedeliensentre lesnationalistes [enBosnie-Herzégovineeten Croatie]
et la Serbie qui excluait l'exonérationde responsabilitéinvoquéepar le gouvernement fédéral)).Le
comitéavivementdéplorécettesituation(NationsUnies, doc. AlC.3147lCRP.1,20 novembre 1992
et doc. CCPRlCl791Add.16, 28;décembre 1992). Section 3.3.8. Le comité pourl'éliminationde la discrimination raciale
725
3.3.8.0. Le comitépour l'éliminationde la discrimination raciale s'est déclaré gravement
préoccupépar lesviolationsdesdroits de I'homme,massives,flagrantesetsystématiquesqui avaient
lieu sur le territoire de la Bosnie-Herzégovineainsi que par les pratiques de ((nettoyageethnique)),
y compris lestransferts forcésdepopulation,latorture, leviol, lesexécutionssommaires.le blocage
de l'aidehumanitaire internationale et les atrocités commisespour semer la terreur au sein de la
population civile. Le comités'est inquiété profondémente ce que les violations des droits de
I'hommecommises en Bosnie-Herzégovinel'étaiene tn fonctiondel'«identitéethnique)),pourtenter
de créer des Etats ethniquement purs. Le comité a noté dans ce contexte avec une vive
préoccupationqu'il existait des liens entre la République fédérade Yougoslavie (Serbie et
Monténégro) et les milices et groupes paramilitaires serbes responsables de violations massives,
grossières et systématiques des droits de I'homme en Bosnie-Herzégovine (NationsUnies,
doc. Al48118,par. 467-468, 537). CHAPITRE 3.4

3.4.0.1.LesorganesdesNations Unies etdesautresorganisationsinternationalescompétentes
ontclairementidentifiélecaractèreconcertéet systématiqud eesviolationslesplusgraves desdroits
de l'hommefondamentaux et des violations des règles élémentairesdu droit humanitaire. qui se
manifeste notamment par les éléments suivants :

- l'existencede camps de concentrationdont l'objectifprincipal est la détention,le viol, la torture
126 et l'exécutionde populations, en particulier la population musulmane (voir par exemple
résolutionsdu Conseil de sécurité770 (1992), 771 (1992), 798 (1992), 820 (1993), 827 (1993);
résolutionsde l'Assemblée général4 e61242, 471121, 47/147, 48188,etc.);

- les exécutions,et mêmeles exécutionsde masse, de personnes principalement musulmanes, y
compris les tentatives visant à exterminer d'importants segments de populations, surtout
musulmanes,et de personnes déplacées àl'intérieurdu pays par des attaques militaires directes,

notamment bombardements et pilonnages, et par la création de conditions de vie propres
calculéespourentraîner leurtîestmctionphysique,enempêchantnotammentl'acheminementdes
secours humanitaires essentiels et la fourniture de services de base tels que l'eau, lechauffage
etl'électricit,tc., ainsi qu'enrecouranà la torture et au violàed'autres formes d'agression
et de mauvais traitements provoquant de graves dégâts physiques et mentaux aux victimes,
surtoutmusulmanes(résolutionsdu Conseilde sécurité 557 (1992), 764 (1992), 770(1992), 780
(1992), 787 (1992), 819 (1993), 824 (1993), 836 (1993). 859 (1993), résolutions de l'Assemblée
générale461242, 471121, 4711484 , 8188,etc.);

- le recourssystématiqueau viol non seulementcomme moyen d'empêched res naissances au sein
du groupemais, d'unemanièreperverseet indiciblementcruelle,commemoyend'aliénerlamère
de l'appartenanceethniquede l'enfantissudu viol (résolutionsduConseil de sécuri798(1992),
820 (1993), 827 (1993), résolution de I'Assembléegénérale481143, résolution199318de la
Commission des droits de I'lhomme,etc.);

- d'autres mesures visantà ((changer la composition ethnique de la population))(résolutionsdu
Conseil de sécurité752 (19!)2), 757 (1992). etc.).

3.4.0.2.Ces types d'actes, prisparcatégories individuelleset dansleurtotalité, correspondent
précisément àla définitiondu génocide fournieàl'articleIl de la convention sur le génocide. Cela
a été confirmé sans équivoque!par des organes internationaux faisant autorité et objectifs qui
reflètentl'avisde la grande majorité des Etats. Il ne s'agitpas simplement du déplacementd'une
population, mais d'une campagne systématique conduite à l'intérieur de la République de
Bosnie-Herzégovine dans le but de détruire,en tout ou en partie, la population, principalement
musulmane, qui est visée -question que l'onabordera plus en détail dansla cinquième partie du
présentmémoire (voirpar exemple résolution471121de l'Assembléegénérale reformulée danlsa
résolution48113).

3.4.0.3. Enfin, la participation directe et active, et assurémentla responsabilité premièrede
la Républiquefédérativd ee Yougoslavie(Serbie et Monténégro)o ,nt été confirméesdanstoutelses
résolutions et décisions citéici- aspect qui sera développé dansla sixième partie. QUATRIEMEPARTIE

COMPETENCE ET RECEVABILITE

CHAPITRE4.1

4.1.0.1. En application du paragraphe 2 de I'article38 du Règlement de la Cour, la
République de Bosnie-Herzégovinea indiqué dans sarequête,autant que possible, les moyens de
droit sur lesquels elle prétendfonder la compétence dela Cour. Aprèsun examen consacré à «la
compétencede la Cour» (par. 88-100), elle conclut :

«Enconséquence,laBosnie-HerzégovineestimequelaCourestcompétentepour
connaître de ses revendications contre la Yougoslavie (Serbie et Monténégro) surla
base de la convention sur le génocide.)) (Requête, par.101.)

4.1.0.2. Par la suite, au cours de la procédureconsacréea la demande en indication de
mesures conservatoires, la Bosnie-Herzégovinea déposé deux documents constituant desbases
supplémentaires decompétenct:de la Cour en I'affaire :

- une lettre en date du 8juin 1992adresséeau présidentde la commission d'arbitrage de
laconférenceinternationalepour lapaix en Yougoslaviepar leprésidentdelaRépublique
du Monténégro etpar le président dela République de Serbie,et

- le traité entre lespui,ssancesalliées et associéessur la protection des minorités, sàgné

Saint-Germain-en-Laye le 10septembre 1919.

4.1.0.3. Alors qu'elle ;ielle-même déposé des demandesen indication de mesures
conservatoires, laYougoslavie(SerbieetMonténégro),defaçontoutafait inconséquente,a contesté
la recevabilitéde la requêteetla compétencede laCour, tout au moins dans la mesure où elle était
fondée surla base supplémentaire de compétenceinvoquéepar la Bosnie-Herzégovine.

4.1.0.4. Dans son ordonnance du 8 avril 1993, la Cour a rappelé que :

«enprésenced'unedemandeen indicationde mesuresconservatoires,point n'est besoin
pour la Cour, avant de décider d'indiquerou non de telles mesures, de s'assurer de
manière définitivequ'ellea compétencequantau fond de I'affaire,mais qu'ellene peut
indiquer ces mesures que si les dispositions invoquéespar le demandeur ou figurant
dans le Statut semblentprima facie constituer une base sur laquelle la compétence de
la Cour pourrait être fondée))C.I.J. Recueil 1993, p. 1-12; voir aussi l'ordonnance
du 13 septembre 1993, C..I.J.Recueil 1993. p. 337-338). 4.1.0.5. Dans cette même ordonnance,la Cour a considéré

- qu'elle aété((saisiede I'affairesur autorisation d'unchef d'Etattraité encette qualité au
sein de l'organisation des Nations Unies)) et qu'elle étaiten mesure «aux fins de la

[présente] procédure concernant une demande en indication de mesures conservatoires.
d'accepter une telle saisine en tant qu'acte decettab (ibid., p. 11);

- qu'ellen'avaitpas besoin de statuer définitivement au stade actuelde la procédure«sur
la question de savoir si la Yougoslavie est ou non membre de l'organisation des
Nations Unies et, à ce titre, partie au Statut de la Coun) (ibid., p. 14)et que, en tout état
de cause, «une instance peut êtrevalablement introduite par un Etat contre un autre Etat
qui, sansêtrepartie au Statut)),est partientraité contenant une disposition particulière
établissantlajuridiction de la Cour mêmesi cet Etat n'estpas partieàson Statut (ibid.);

- que «l'article IX de la convention sur le génocidàlaquelle la Bosnie-Herzégovineet la

Yougoslavie sontparties, semble de i'avisde la Cour, constituer une basesur laquelle la
compétencede la Cour pourrait êtrefondée, pour autantque I'objetdu différend a trait
à ((l'interprétationl,'application ou l'exécut)e laconvention,y compris lesdifférends
((relatifs la responsabilitéd'unEtat en matièrede génocide oude l'unquelconque des
autres actes énumérés à l'articleIII))de la convention))(ibid., p. 16);

- mais que la Cour n'estpas en mesure de considérerla lettredu 8juin 1992adresséepar
les présidents des Républiques du Monténégroet de la Serbie au président de la
commission d'arbitrage de la conférence internationale pourla paix en Yougoslavie
((commeune base de compétenceprima facien (ibid., p. 18).

4.1.0.6. Dans son ordonnance du 13septembre 1993,la Cour a fait connaître son opinion sur
la deuxièmebase supplémentairede compétence invoquée par la Bosnie-Herzégovineet a estimé
qu'entout étatde cause le traitésur la protection des minorités signéSaint-Germain-en-Laye le
10 septembre 1919 était((dénué de pertinenceà l'égardde la présentedemande en indication de
mesures conservatoires)) (C.I.J. Recueil 1993, p. 340).

4.1.0.7.onformément à sa pratique. dans ces deux ordonnances, la Cour a rappelé quela
décision rendue enla procédure surles demandes en indication de mesures conservatoires

«ne préjuge[ait]en rien la compétencede la Cour pour connaître du fond de l'affaire,
ni aucune question relativeà la recevabilité dela requêteou au fond lui-même,et
qu'elle laisse intact le droit du Gouvernement de la Bosnie-Herzégovine et du
Gouvernement de la Yougoslavie de faire valoir leurs moyens en ces matières))
(C.I.J. Recueil 1993, p. 23 et 349).

4.1.0.8. En conséquence, compte tenudu fait que la Cour s'estfondée uniquementsur des
conclusionsprima facie, ilapparaît au Gouvernement delaBosnie-Herzégovinequ'il luifaut établir
d'une façon plus détaillélea recevabilité desa requêteet lacompétencede la Couret qu'il nesaurait
se fonder uniquement sur ces conclusions provisoires.

4.1.0.9. Le Gouvernement de la Bosnie-Herzégovine ala ferme conviction que, si elle fait
I'objetd'unexamen attentif, la base supplémentairequ'ila présentée pourjustifier la compétence
de la Cour se révélerabien fondée,et que la Cour est également compétente sur la base duforum
prorogatum, dans lamesureoù lesdemandes spécifiquesfaitespar I'Etatdéfendeur, notammentdans sa lettre d1" avril 1993,«coïricident,par leur nature. avec celles du demandeun) et ((dépassaient
les limites de la convention sur le génocide)) (Opinion individuelle de M. Lauterpacht,
C.I.J.Recueil1993, p. 421).

4.1.0.10. Toutefois, il est certain que ces bases de compétence de la Cour sont moins
évidentes et moins indiscutables que celles fournies par l'articleIX de la convention pour la
préventionet la répressiondu crime de génocidedu 9 décembre1948. En outre. cette dernière
convention fournit une base solide de compétencepour ce qui est des principales conclusions de
la Bosnie-Herzégovinequi visent, avant toutà obtenir le prononcé d'un arrêt reconnaissanlta
responsabilité dela Yougoslavie(Serbie et Monténégro)pour avoir commis un génocide et aidé et
encouragé autruià commettre un tel crime, et pour ne pas s'employée à prévenir eà punir le
génocide;ces principales conclusions visent aussibtenir le prononcé d'un arrêt ouvrant dàti
réparation,y compris restitution. Il y a égalementlieu de noter que la Yougoslavie (Serbie et
1 13 ."3 Monténégro)a, en fait, consentà lajuridiction de la Cour sur cette base.

4.1.O.11. Par conséquent, eu égard aux conclusions prima facie de la Cour dans ses
ordonnances du 8 avril et du 13 septembre 1993,ainsi qu'àl'extrurgence de se prononcer par

unarrêtsurlegénocideperpétré par laYougoslavie(SerbieetMonténégro),laBosnie-Herzégovine,
en manifestant l'espoir d'éviter des exceptions préliminade caractère dilatoire. centrera son
examen, dans la présente partie, sur l'unique basede compétence tiréede l'articleIX de la
convention sur le génocide (chap.4.2.). Et elle traitera ensuite très brièvementde la question très
artificielle qui a été soulevée concernanlta recevabilitéde la requête (chap.4.3.). CHAPITRE 4.2

4.2.0.1. Bienqu'ayantconsenti à lajuridiction de la Cour sur la base de l'articleIX de la
convention sur le génocide, et étant effectivemenltiépar cette disposition,tdéfendeur afait
valoir de prétendues difficultés concernanle statut de la Bosnie-Herzégovineà l'égardde la
convention, et la Cour elle-même a relevé certaines autres difficultés conceratqualitéde la
Yougoslavie (Serbieet Monténégro) à I'égard dStatutde laCour. En fait, lesdeuxEtats sont liés
par cette conventionet,en conséquence,la portéede lacompétencedelaCour à cet égarddoit être
clarifiée.

Section 4.2.1. La Bosnie-Herzégovineest liée parla
convention sur le génocide

4.2.1.1.Lorsde laprocédureportant sur lesrequêteesn indicationde mesuresconservatoires,
la Yougoslavie (Serbie et Monténégro) a semblé contestelre statut international de la
Bosnie-Herzégovine et,par voie de conséquence, sa capacitéà être partià la convention surle
génocide. Aucune de ces allégationn s'estfondée.

Le statut internationalde la Bosnie-Herzégovine

a) L'allégation d'absencede statut dfEtatde la Bosnie-Herzégovine

4.2.1.2. Bien qu'ellen'aitjamais fait d'affirmation directeen ce sens au cours de la présente
instance, la Yougoslavie (Serbie et Monténégro) a insinué de temps à autre que la
Bosnie-Herzégovinen'est pas un Etat au regard des critères établis à ce sujet par le droit
international. Ainsi, durant l'audiencepublique tenue le 2 avril 1993, celui qui faisait fonction
d'agent pourla Yougoslavie (Serbie et Monténégro) a qualifiéla Bosnie-Herzégovine d'«entité
internationale indépendante)) (sic) (CR 93/13,p. 12). Plus tard, dans ses observations du 23
août 1993, la Yougoslavie (Serbie et Monténégro) a contestle droià l'autodéterminationdece
qu'elleaappelé la((prétendueRépubliqudeeBosnie-Herzégovine)()p. 21;voirégalementCR 93/34

p. 4-7, 9).

4.2.1.3.Endehorsde cetteCour. laYougoslavie(Serbieet Monténégro)a clairemen it diqué
qu'ellene considéraitpas laBosnie-Herzégovinecommeun Etat,au sens du droit international;par
exemple, le 26 juin 1992, le président serbe,M. Milosevic,a déclarélorsd'uneréunionavec le
3 5 présidentde la conférence européenne pour la paix en Yougoslavie qu'à sonavis le statut de la
Bosnie-Herzégovine devait être déterminéà Belgrade (New YorkTimes2 ,6 juin 1992,p. 8".

4.2.1.4. Bien qu'il s'agisseici d'uneallégationblessante, injurieuseet purement politique, le

Gouvernementde la Bosnie-Herzégovine désire profiter de la présenteinstance pour la réfuteret
il est convaincu que la Cour tranchera définitivement cettequestion àofait artificielle.

4.2.1.5.Commelacommission d'arbitrage de laconférence internationalesur l'ex-Yougoslavie
(ci-après dénommée :«la commission d'arbitrage)))l'adit dans son avis no 14(paragraphe 1 b) du
29 novembre 1991 : «IfEtatest communémentdéfinicomme une collectivité qui se composed'unterritoire
et d'une populationsoumis à un pouvoir politique original;...il se caractérisepar la
souveraineté...))ILM, 1992,vol.XXX1,p. 1945; voir aussi Mixed Arbitral Tribunal,
Germany-Poland, Award of 1August 1929.DeutscheContinenlalGm-GesellschaJi,
Rec. TAM, IX, p. 336 et l'article1de la convention sur les droits et devoirs des Etats,
adoptée à Montevideopar laseptièmeconférencepanaméricainl ee22 décembre1933.
AJIL, 1934, no28, suppl.. p. 75;voir aussi Annuairefrançaisde droit international,
1991,vol. XXXVII, p. 337, par. 19.)

4.2.1.6.II ne saurait faire le moindre doute que ces conditions sont remplies en l'espèce.

4.2.1.7. En fait, I'Etat défendeur s'applique à tenter de rompre l'unité de la
Bosnie-Herzégovineet a faire fi de sa souveraineté. Il sufftra de rappelàrcet égardque

«La souveraineté, dans les relations entre Etats, signifie l'indépendance.
L'indépendancer ,elativement à unepartie duglobe, est ledroit d'yexerceà l'exclusion
de tout autre Etat, les fonctions étatiques...))(Max Huber ((Sentencearbitrale rendue
le 4 avril 1928», dans Le litige relatifà la Souverainetésur l'îlede Palmas, Revue

généralede droit international public, 1935, p. 163.)

4.2.1.8. Nul,à l'exceptionde la Yougoslavie (Serbie et Monténégro)n , e conteste ce droià
la Bosnie-Herzégovinequi, à la date de rédactiondu présent mémoirea , déjàétéreconnue par la
plupart des Etats Membres de l'Organisationdes Nations Unies, enparticulier, dèsle 7 avril 1992,
par les Etats-Unis d'Amérique,la Communauté européenneet ses Etats membres, et qui a été
admise à l'organisation desNations Unies le 22 mai 1992.

4.2.1.9. Certes, «la reconnaissance d'un Etat par d'autres Etats a des effets purement
déclaratifs))(commission d'arbitrage,avis no 1,p. 1, par. 1a)). Toutefois, comme la commission
d'arbitragel'aelle-mêmeadmis,,cette reconnaissance pard'autresEtats

((tout comme la qualitétie membre d'organisations internationales.témoignede la
conviction de ces Etats que l'entité politique ainsi reconconstitue une réalité, eltui
confère certains droitset certaines obligations au regard du droit international))(avis
no 8 du 4 juillet 1992,p. 2, par. 2; voir aussiAnnuairefrançais de droitinternational
public, 1992, vol. XXXVIII, p. 227, par. 16et Oppenheim, InternationalLaw, 9'éd.

de sir Robert Jennings et sir Arthur Watts, 1992,p. 158-160).

4.2.1.10. Lacommission d'arbitragea constaté l'existencdes principaux éléments a cet égard
dans son avis no 11du 16juillet 1993 :

«par un référendum tenu le2 s9 févrieret 1 mars 1992,la majoritéde la population
de cette républiques'est prononcéeen faveur d'uneBosnie souveraine et indépendante.
Les résultatsde ce référendum oné t tproclamésofficiellement le 6 mars et, quels que

soient les événements dramatiques qui ont affectédepuis lors la Bosnie-Herzégovine,
lesautoritésconstitutionnellesde cette républiquesesont,depuiscettedate,comportées
comme celles d'un Etat souverainen vue de maintenir son intégrité territoriale et la
plénitudeet l'exclusivitéle leurs compétences.)) (Avisno 11 du 16juillet 1993,p. 3,
par. 6.) 4.2.1.11.Aussi est-il absolument incontestablequela Bosnie-Herzégovineconstitueun Etat
au sens du droit international et qu'elle est,en sa qualitéd'Etat Membre de l'organisation des
Nations Unies, partie au Statutde laCour et,parvoiede conséquence,en droit de porteruneaffaire
devant la Cour conformémentau Statut et aux dispositions du Règlement dela Cour (voir aussi
ci-dessous, par. 42.1.25et suiv.).

b) La prétendue «illégitimitéédu,, Gouvernement de la Bosnie-Herzégovine

4.2.1.12. Dèsla date de dépôtde sa première piècede procédure, 1'Etatdéfendeura soulevé
une ((exceptionpréliminaire à l'égardde la légitimitdu requérant)),en affirmant que :

«Le ((Gouvernementde la République de Bosnie-Herzégovine))elte ((président
de la République de Bosnie-Herzégovine))M , . A. IZETBEGOVIC, n'ont pas été
légalement élus ente représententpas les trois peuples constitutifs,et leur légitimité
ainsi que leur mandat sont contestésnon seulement par les représentantsdu peuple
serbe, mais égalementpar ceux du peuple croate, y compris certains organesofficiels
de la ((Républiquede Bosnie-Herzégovine)). Dans les négociationsrelative slacrise
dans la ((Républiquede Bosnie-Herzégovine)),lesorganed se la conférencede Genève
et de I'Organisation des Nations Unies acceptent M. A. IZETBEGOVIC et le

((Gouvernement de la République de Bosnie-Herzégovine)) comme partenaires
seulement en tant que représentants dela partie musulmane, M. R. KARADZIC, en
tant que représentant dela partie serbe et M.OBAN en tant que représentantde la
partie croate. Même cemandatillégalde M. A. IZETBEGOVICestvenu à expiration
le 20 décembre1922, comme le Présidentdu ((Gouvernementde la République de
Bosnie-Herzégovine»,M. M. AKMADZIC, l'aclairement fait savoirau présidentdu
Conseilde sécurité de I'OrganisationdesNations Unies etau présidentdes Etats-Unis
d'Amérique (copiesdes lettres sont jointes), (réponsedu Gouvernement de la
République fédérative de Yougoslavie à la demande en indication de mesures
conservatoires présentée par le Gouvernement de la République de

Bosnie-Herzégovine,1" avril 1993,annexe BHY 93/13, p. 1, par. 1).

4.2.1.13. La République fédérative de Yougoslavie (Serbieet Monténégro) a de nouveau
exprimé ces vuespeu communes tant au cours de la phase écrite que dela phase orale de la
procédure à l'issuede laquelle la Cour a rendu sonordonnance du 13 septembre 1993(voir par
exemple :observations du 9 août 1993,BHY 93/57, p. 6, par. 6 ou CR93/34, p. 12).

4.2.1.14.Il n'estguère nécessaire de préciseqru'unetelle argumentationest non seulement
dénuée de tout fondement (voir ci-dessoup sar. 4.2.1.19). mais aussi sans rapport aucun avec la
question.

4.2.1.15. Le «postulat» fondamental (Shabtai Rosenne, The Law and Practice of the
International Court, 1985,p. 268), s'agissantdelacapacité d'ester devanlta Cour internationalede
Justice que, comme il est indiquéau paragraphe 1 de l'article34 du Statut, ((Seulsles Etats ont
qualitépour se présenter devantla Cour.))

4.2.1.16. La ((légitimitéo)u l'«illégitimi»résumée du gouvernementd'unEtat qui saisit
la Cour est donc sans conséquence aucunepour saqualitépour agir devant la CIJ et, commeon l'a
expliquéplus haut (voir ci-dessus, par. 4.2.1.2 -4.2.1.1l), il ne saurait faire de doute que la
Bosnie-Herzégovineestun Etat au sens du droit international. Aussi est-il, en tant que tel, en droit
de porter une question devant la Cour conformémentau Statut et au Règlement de celle-ci. 4.2.1.17. C'estlà une conséquence inéluctabldu principe fondamental du droit international
139 généralaux termes duquel

«Tout Etat a le droit inaliénable de choisirson systèmepolitique, économique,
social et culturel)) sans aucune forme d'ingérence de la part d'un autre Etat.))
(Assemblée générale des Nations Unies, Déclaration relativeauxprincipes du droit
international touchant les relations amicales et la coopérationenhe les Etats
conformément à la Charte des Nations Unies; résolution 2625 (XXV),
24 octobre 1970.)

Comme la Cour l'adit dans son arrêtdu 27 juin 1986,les ((choixpolitiques et internes))d'unEtat
«ne peuvent pas légitimer, surle planjuridique)), des plaintes d'autres Etats (C.I.J. Recueil 1986,
p. 133; voir aussi Sahara occidental, avis consultatifdu 16 octobre 1975, C.I.J.Recueil 1975,
p. 43 :«aucune règle de droit international n'exige que I'Etatait une structure déterminée));et
commission d'arbitrage, avis no 1, p. 2, par. 1 c)).

4.2.1.18.Il n'esttoutefois guèresurprenantque laYougoslavie(Serbie et Monténégro)adopte
une telle position. Celle-ci est entièrement dans la ligne de son immixtion constante dans les
affaires internes de ses voisins, en particulier la République de Bosnie-Herzégovine.

4.2.1.19.Entout état decause,sesallégationssonttotalementdénuée dse fondement. IIsuff~t
de rappeler ici les faits suivan:s

- par un référendum tenu les 29 février et1" mars 1992,la population de la Bosnie-Herzégovine
a optépour l'indépendancede son pays à la majorité écrasante de99,4 pour cent des votants, le
taux de participation s'élevanà 63,4 pour cent vu que de nombreux Serbes - mais pas tous -
avaient obéiaux ordres de leurs prétendusdirigeants et boycotté lesélections (les Serbes de
souche représentantenviron 31 pour cent de la population de la république). Bien que le
référendum se soitdéroulédans une situationtroublée,la légalitéelavalidité desélectionsn'ont

pas été contestéeest ont été confirméepsar les observateurs internationaux;

- la présidence collégiale de1'Etatnouvellement indépendantest composéede sept membres
démocratiquement élus - deux représentants croates, deux représentants musulmans, deux
représentants serbes et un autre membre représentantd'autres citoyens de la république, de
souche non déclarée; certes.,les membres serbes dela présidencen'y ont ultérieurementpas
participémais ils ontpris librementcette décisionregrettable-et rien nesaurait, évidemment,
êtreinduit de ce fait concernant la légitimitédu Gouvernement de la Bosnie-Herzégovine;

- aux termes de l'article 220 de la constitution de la Bosnie-Herzégovin:

«En cas de guerre ou d'état d'urgence,les membres de la présidence etle président
demeurent en fonction jusqu'au moment ou les conditions permettant de procéder à de
nouvellesélectionsà la présidenceseront réunies)()le texte originalde cette dispositionainsi

qu'une version anglaise de ce texte ont été adressés à la Cour par l'agent de la
Bosnie-Herzégovine,le 22 août 1993;voir BHY 93/66bis, p. l),

il ne saurait faire le moindre doute que les conditions d'application de cette disposition n'ont
cessé d'être réunies depulis 20 décembre 1992,date à laquelle le mandat de la présidenceen
cours était,en principe, censé venir à expiration; et bien entendu, les manŒuvres de I'Etat
défendeuront jouéun rôle important dans cette situation dramatique;- M. A. Izetbegovica constammentété reconnucommeétant leprésidenten droit et le président
légitimede laRépubliquede Bosnie-Herzégovine.Certes,d'autrespartiesauconflitencours - y
compris des représentantsde la Yougoslavie (Serbie et Monténégro) -apparaissent au sein de
la conférence internationalesurl'ex-Yougoslavie,mais aucune conclusionjuridique ne saurait,

à l'évidence,être tirée de ce fait; celui-ci reflète simpllt situation même provoquép ear
1'Etatdéfendeur.

4.2.1.20. Comme la Cour l'aconstaté dansson ordonnance du 8 avril 1993 :

«lepouvoir qu'aunchefdlEtatd'agirau nomde I'Etatdanssesrelations internationales
est universellement reconnu et trouve son expression, par exemple, dans le
paragraphe 2 a), de l'article7 de la convention de Vienne sur le droit des traités))
(C.I.J.Recueil1993, p. 11; voir aussi l'ordonnance du 13septembre 1993,
C.I.J.Recueil 1993, p. 337).

4.2.1.2 1.En l'espèce,larequête porlasignatured'unagentdûmentdésigné par leprésident
Izetbegovic,universellementreconnu par la communautéinternationalecomme étantle chef légal
et Iégitime de1'Etatdemandeur, dontl'existencene saurait être contestée. Ceteésignationa été
effectuéeen conformitéabsolueavec l'article 40du Règlement dela Cour et la pratique habituelle
a cet égard(voir S. Rosenne,op. cit., p. 214-215,par. 3.27 ou GenevièveGuyomar,Commentaire
du Règlementde la Cour internationaledeJustice 1983.p. 261-264).

4.2.1.22. La requêtedonc incontestablementété déposépearunauthentiqueEtat demandeur,
dûment représenté conformémentau Règlementde la Cour.

La Bosnie-Herzégovinea succédé à la RSFY en tant que partie à la convention
pour la préventionet la répressiondu crime de génocide

4.2.1.23.Dans lecadrede saplaidoiriedu 2 avril 1993,M. Rosenne,faisantfonction d'agent
de la Yougoslavie (Serbie et Monténégro)a , fait valoir cequi suit

«aucunerèglede droit international contemporain- à ma connaissance -ne confère à
la Bosnie le droit de proclamer unilatéralement,au moyen d'un document dénommé
notification de succession, qu'elle est maintenant paràila convention à compter

du 6 mars 1992simplementparce quela Yougoslavieest partie à cette convention,et
que la convention était applicable à ce qui est aujourd'hui le territoire de la
Bosnie-Herzégovinepar l'intermédiairede l'ex Républiquesocialiste fédérative de
Yougoslavie))(CR 93/13,p. 13).

4.2.1.24. On saisit assez difficilement le sens de cette argumentation. Ellesembledonner
entendre que la Yougoslavie (Serbie et Monténégroc )onteste que la Bosnie-Herzégovinesoit un
Etat successeur de l'ex-RSFY et (ou subsidiairement ?) qu'il n'existe aucune règleen droit
international contemporainqui autorise un Etat successeur succéder à des traités multilatéraux
conclus par 1'Etatprédécesseur.Les deux assertions sont totalement fausses. La Bosnie-Herzégovine estun Etat successeur

4.2.1.25.Lefaitque laBosnie-Herzégovine -ainsique laYougoslavie(Serbie et Monténégro)
(voir ci-dessous par. 4.2.2.9) soit un Etat successeur, est incontestable.

4.2.1.26. Aux termes de la définition très largement admise qu'en donnent les deus
conventions de Vienne sur la succession d'Etatsde 1978et 1983

((l'expression «successiondlEtats»s'entendde la substitutiond'un Etaà un autre dans

la responsabilité des relations internationalesd'unterritoire));

et il est évident que la Bosnie-Herzégovine s'est substituée à I'ex-RSFY pour les relations
internationales de ce qui constituait la République fédérative de Bosnie-Herzégovine avanlta
dissolution de I'ex-Yougoslavie.

4.2.1.27. Cettesituation a étéreconnudèsle 7 avril 1992par leConseil de sécuritécar,dans
sa résolution 749(1992), celui-ci se référà la Bosnie-Herzégovinecomme constituantune entité
distincte (voirà cet égardDrazen Petrovic et Luigi Condorelli, L'ONUet lacrisy eougoslave,

AFDI 1992, p. 35), ce qui signifie clairement qu'à cette date la «Yougoslavie» avait cessé de
représenterla Bosnie-Herzégovinedans ses relations internationales. Un peu plus tard, le Conseil
de sécurité exigeait

«que cessent immédiatement toutes les formes d'ingérence extérieure en
Bosnie-Herzégovine,y compris de la part d'unitésde l'arméepopulaireyougoslave, de
mêmeque d'éléments de l'arméecroate, et que les voisins de la Bosnie-Herzégovine
agissenttrès rapidementpour mettre unterme à toute ingérenceet respectent l'intégrité
territoriale de la Bosnie-Herzégovine))(résolution752 (1992) du 15 mai 1992; voir
égalementlesrésolutions757(1992)du 30 mai 1992,et 770(1992)du 13 août 1992).

4.2.1.28. L'Assemblée générala eadoptéla mêmeposition dans ses résolutions461242 du
25 août 1992,471121du 18 décembre1992 et 48/88 du 20 décembre1993.

4.2.1.29. Certes, dans ses premièresconclusions, la commission d'arbitrage de la conférence
européenne pour la paix en Yougoslavie, alors dénommée conférence internationalesur
l'ex-Yougoslavie, a émis des doutes quant à la qualité de la Bosnie-Herzégovine comme Etat
successeurde la RSFY. Aprèsavoirétablique «la Républiquesocialistefédérative de Yougoslavie

[était] engagée dansun processus de dissolution))(avis no 1, p. 3, par. 3), elle a estimé, dansson
avis no4 du Il janvier 1992,

«que l'expressionde la volonté des populations de Bosnie-Herzégovine de constituer
la RSBH en Etat souverain et indépendantne peut être considérée comme pleinement
établie))(avisno4, p. 4, Ipar.4).

Mais, après le référendum des 29 févrieret ler mars 1992, la commission d'arbitrage a fait les
constatations suivantes:

«- le référendumsuggkrédans son avis no4 a ététenu en Bosnie-Herzégovine

les 29 février et ler mars 1992 et la population s'est prononcéeà une grande
majoritépour l'indépendancede cette République; ... - la plupart des nouveaux Etats formés a partir des anciennes républiques
yougoslaves ont procédé à une reconnaissance mutuellede leur indépendanceet
parconséquentétablique l'exercicedetoute autoritéétatiquefédé ararlies fin sur
le territoire des Etats nouvellement constitués;

- lesorganesfédérauxcommuna su seindesquelstouteslesrépubliquesyougoslaves
étaient représentéesn,'existent pluset, depuis lors, aucun organe de ce type n'a
fonctionné;

-
l'ancienterritoire national et la population de la fédérade la RSFY relèvent
désormais entièrement de l'autorité souveraine des nouveaux Etats;

- la Bosnie-Herzégovine,la Croatie et la Slovénie ont été reconnue psar tous les
Etats membresde la Communauté européenne et par de nombreux autres Etats et
ont été admises aux Nations Unies le 22 mai 1992;

- les résolutions752 et 757 (1992) du Conseil de sécurité des Nations Unies
mentionnent à plusieurs reprises «l'ex-RSFY))...

- la déclaration adoptéle 27 juin 1992 à Lisbonnepar le Conseil européenporte
expressémentsur l'«ex-Yougoslavie».

La commission d'arbitragea été d'avis

«que le processus de dissolution de la RSFY mentionné dansl'avis no 1 du 29
novembre 1991est arrivé àsonterme etqu'il fautconstaterquelaRSFYn'existe plus»

(avis no5, p. 4, par. 4),

et, dans son avis no 9 elle a déclaré expressément:

«De nouveaux Etats ont été créés slu erterritoire de l'ancienneRSFYet se sont
substituésà elle. Ils sont tous des Etats successeurs del'ancienneRSFY» (avis no9,
p. 2, par. 11,

de plus, dans son avis no 11du 16juillet 1993,elle a souligné quele 6 mars 1992,date a laquelle
les résultatsdu référendum ont été officiellemenptroclamés,

«doit ..être considéré comm edate à laquellela Bosnie-Herzégovinea succédé à la
RSFY» (opinion no11, p. 3, par. 6).

4.2.1.30. En outre, la Républiquede Bosnie-Herzégovineparticipe pleinemen atu groupede

travail de la conférence internationale sur l'ex-Yougoslavioù elle est unanimement considérée
commeun Etat successeurde la RSFY. Cetteparticipationn'ajamais été contestée, pasmême par
la Yougoslavie (Serbie et Monténégro).

4.2.1.31.Il appertà l'évidenceque si, au cours de la procédure antérieuen l'espèce,I'Etat
défendeura tenté de mettre quelquepeu en doute la qualité dela Bosnie-Herzégovinecomme Etat
-1 6 successeur de la RSFY, il s'estagi d'une manŒuvrepurement procédurale :mêmeau cours de la
présente procédure il a, en fait, reconnu que

«la Bosnie-Herzégovine estune entité internationaleindépendante))(plaidoirie de
M. Rosenne, 2 avril 1993,CR 93/13, p. 12),et que

((àl'exceptionde ceux de la Serbieet du Monténégro, letserritoires des ex-républiques
yougoslaves ne font plus partie de celui de la République fédérative de Yougoslavie))
(CR 93/34, p. 8).

4.2.1.32. Si cela est vrai- et c'est effectivement le cas- il est parfaitement clair que la
Bosnie-Herzégovines'est substituée à l'ex-RSFYdans les relations internationales concernant son
territoire et qu'elle est par conséquentun Etat successeur.

La Bosnie-Herzégovine est partie à la conventionsur le génocide

4.2.1.33. En cette qualitérnême,la Bosnie-Herzégovinea succédé a la RSFY comme partie
à la convention de 1948sur le génocide.

4.2.1.34. La Bosnie-Herzégovinea clairement reconnu ce fait dans une note datée du
29 décembre1992, adresséeau Secrétairegénéralpar leministre des affaires étrangères (pourle
texte de cette note, voir infa, par. 4.2.1-47).

4.2.1.35. L'Etatdéfendeur semble contesterce fait pour le motif

- qu'unesuccessionunilatéraleneserait prévuequedans laconventiondeViennesurlasuccession
d'Etatsen matière detraitéa: du 23 août 1978, qui n'est pas entréeen vigueur et qui aurait
uniquement été ((établip eour traiter du problèmedes effets de la décolonisation))(S. Rosenne,
2 avril 1993, CR 93/13, p. 1:3),

-
qu'enoutre, il n'existeraitaucune règle de droit international conféraàtun Etat successeur le
droit de proclamer unilatéralementqu'ilest lié parun traitéauquel I'Etatprédécesseurest partie
(voir ci-dessus, par. 4.2.1.23:).

4.2.1.36. Il est exactque la convention de 1978n'est pasencore en vigueur, mais ilfaut noter
que l'ex-RSFYl'asignéele6 février1979et a déposé un instrumentderatification le28 avril 1980.

4.2.1.37. En revanche, il est manifestement inexact d'affirmer que cette convention ne traite
que «duproblèmedes effets de Indécolonisationsur lesobligationsconventionnellesdes anciennes
puissancescoloniales et des Etats nouvellementindépendantsdécolonisés))(CR 93/13p ,. 13). Les
auteurs de la convention avaieniteffectivement ce problèmeprésent à l'esprit mais il n'estde loin
pas le seul qu'ils aient abordé. II suffit, cet égard,de se reporter au texte de la convention
elle-même : celle-ci s'applique,d'une façongénérale,

«auxeffetsd'une successiond'Etatsse produisant conformémentau droit international,
et plus particulièrement aux principes du droit international incorporés dansla Charte

des Nations Unies))(art. 6),

et elle s'applique égalementà la «succession concernant une partie de territoire))(partie II), aux
((Etats nouvellement indépendants)) (partie III) et à «[l']unification et [lalséparation d'Etats»
(partie IV). 4.2.1.38. Unedistinction entrelesrègles applicabàla successionen cas de décolonisation
et celles applicablesaux autres cas de succession est néanmoins très imporau regard tantde
la convention que du droit international général.Il découle del'alinéf) du paragraphe 1 de
7 48 l'article2 de la convention de 1978que sa partie III ne s'appliquequ'encas de décolonisation car

((l'expressionEtat nouvellement indépendant»s'entend d'unEtat successeur dont le
territoire, immédiatement avantla date de la successiond'Etats étaitun territoire
dépendantdontI'Etatprédécesseuravailtaresponsabilitédesrelationsinternationales));

la Bosnie-Herzégovinen'estmanifestement pas dans cette situation; en conséquence, seulesles
règles énoncées danlsa partie IV de la convention sont directement pertinentes.

4.2.1.39.1en est de même pour ce qui concernele droit internationalgénélontemporain.
Les auteurs ont souligné quela pratique des Etatset égarda variéet a souvent été fonction des
circonstances très particulièresde l'espèce(Oppenheim, 9'éd.,op. cit., p. 210, par. 4.2.1.9; voir
aussiCharles Rousseau,Droit internationalpublic, t. III,Lescompétences,Paris,1977,p.484-487).
Quelques tendances généralesse manifestent néanmoins,en particulier,

i) si l'onne saurait soutenir que la conventionde 1978 est Œuvrede codification pure ((les
principes dont [elle s'inspire]ne sont cependant guère contestables))(Nguyen QuocDinh,
Patrick Daillier, Alain Pellet, Droit international public, 4' édition, 1992, p. 512). La
convention,qui a été rédigée avec soin après de savants débats CD1et qui se fonde sur
des études approfondies de la pratique des Etats, ((conserve toute sa valeur en tant
qu'instrument consolidant l'opinion juridique quant aux règles du droit international
généralement admisesen ce qui concerne la succession d'Etats en matière de traités»
(Annuairede la CDI 1974,vol. II, premièrepartie,rapportdelaCD1à YAssemblée générale,
7.9
p. 174, par. 63);

ii) il faut faire nettement la distinction entre les règles qui s'appliquent dans les cas de
décolonisation,d'unpart,et cellesqui s'appliquentdanslescas où ladécolonisationn'estpas
en cause, d'autrepart. Dans lepremier cas, il y a lieu de veiller tout particulièrementà
sauvegarderle libre arbitre total du nouvel Etat,alors que cet etst moins évident dans
le cas d'unedissolution ou d'unesécession:c'estce qui ressortaussi bien de la convention
de 1978 que de la pratique des Etats. Comme on l'a expliqué, dansle deuxième cas,
((l'opération se déroule dans des conditions telles que, quelle que it rupture légale
d'identité entreles Etats en cause, les successeurs peuvent difficilement passer pour de
véritables tierspar rappoàtleurs prédécesseurs, qu'ils continuent psu moins ...Cette
particularité explique la règle générale applicable de telles situations= le régime
conventionnel du ou des prédécesseur(s),dans ses limites spatiales originelles))
(Jean Combacau et Serge Sur,Droit internationalpublic, Paris, 1993,p. 436).

4.2.1.40. Il découle de ces considératisu'encas de dissolution d'un Etat pré-exista-t

hypothèse présentement envisagéem , êmesi I'Etatdéfendeurle conteste indûment -, les Etats
successeurssont,en principe, liéspar lestraités concluspar I'Etatprédécesseur.IIen iraitde même
en cas de succession mêmesi, contrairement aux allégations de la Yougoslavie (Serbie et
Monténégro)l,edémembrementdel'ex-RSFY nesauraitêtreassimilé àunesériedesécessions(voir
ci-dessous, par. 4.2.2.9 et suiv.). 4.2.1.41. D'une façon générale,((il ressort de la pratique que dans de nombreux cas il
conviendra de considérer les anciennes parties constitutives de It«Etatnéde l'unification»comme

demeurant liées, après sa dissolution,par les traitésqu'ilaura conclus si ceux-ci étaienten vigueur
soitàl'égardde l'ensembledesonterritoire soitàl'égardde cette partie de sonterritoire que formait
1'Etatconstitutif))(Oppenheim, 9' édition,op. cit., p. 220, par. 4.2.1.9).si la pratique ne clôt
pas entièrementle débat, s'agissant des traibilatéraux,elle établit incontestablementque «c'est
la continuité des actes conventionnels qui a été habituellement consacréepar la pratique
internationale en ce qui concerne les traités multilatéraux»(Ch. Rousseau, op. cit., p. 502,
par.4.2.1.39), cailest «logique de considérer que les dispositionsdes traités normatifssont dans
une large mesure indépendantesdes vicissitudes auxquellespeuvent être soumis leurs signataires))
(id., p. 501, voir aussi. Wilfred Jenks, State Succession in Respect of Law-Making Treaties,
BYBIL,1952,p. 105 ou Marco G. Marcoff, Accession à l'indépendanceet succession d'Etats aux
traitésinternationaux, Fribourg, 1969, p. 155 et suiv. et p. 276).

4.2.1.42. La continuité automatique est particulièrementbien établie ence qui concerne les
conventionsà caractèrehumanitaire. Ainsi,bien que lesauteurs de laneuvièmeéditiondel'ouvrage
d'oppenheim hésitent quelquepeu à admettre la succession dans le cas d'une séparationou d'une
sécession, ils reconnaissent qu'«on est davantage fondé à faire valoir qu'en cas de séparation
entraînant la naissance d'un nouvel Etat, ce dernier est liépar les traités généraux de caractère
«normatif»,notammentceux de caractèrehumanitaire, qui le liaientprécédemmene tn sa qualité de
partie de 1'Etatdont il s'estsépar-ou du moins qu'ilest en droit d'adhéreà ces traités))(op. cit.,
p. 222, par. 4.2.1.9)-et de fournir plusieurs exemples corroborant ce point de vue (ibid.,
p. 222-223). De nombreux exemples à l'appui de ce principe sont également fournis par
M. M.G. Marcoff qui, dans sa savante étude, établit quela continuité automatiqueex tunc (en
5 '1 d'autrestermes, àcompter de la date mêmede l'indépendance)a étésystématiquementadmisepour

I'ensembledes conventions humanitaires y compris les conventions de 1949 de la Croix-Rouge
(op. cit., p. 303 et suiv., par. 4.2.1.41). Et dans le commentaire du projet d'articles final sur la
succession d'Etats en matière de traités,la CD1 a expressément appelé l'attentionsur le cas
particulier des conventions humanitaireset préconiséla continuitéen ce qui les concerne (rapport,
op. cit., par. 4.2.1.39, par. 7678).

4.2.1.43. Il ne fait pas le moindre doute que la convention de 1948 sur le génocide està
caractère humanitaire. Comme la Cour l'adit dans l'avis consultatif qu'ellea rendu en 1951,

«La convention a étémanifestement adoptée dansun but purement humain et
civilisateur. On ne peut rnéme pasconcevoir une convention qui offrirait à un plus

haut degréce double caractère...))(C.I.J. Recuei1951, p. 23.)

De plus, comme la Cour l'a souligné,une conséquence des «traits particuliers que présentela
convention sur le génocide)) :

«est le caractère universel à la fois de la condamnation du génocide et de la
coopérationnécessaire«pourlibérer l'humanité d'u fléauaussiodieux))(préambulede
la convention). La convention sur le génocidea donc été voulue ...par l'Assemblée
générale ...comme une convention de portée nettementuniverselle.)) (Ibid)

4.2.1.44. Ces traits partic.uliersrenforcent le principe généralénoncéà l'article 34 de la
convention de 1978sur la succession d'Etatsen matièrede traités qui, commeon l'avu plus haut,
codifie simplement la pratique contemporaine des Etats. AUX termes de cet article:

((1. Lorsqu'une part.ieou des parties du territoire d'un Etat s'en séparentpour
former un ou plusieursEtats, que I'Etatprédécesseurcontinue ou non d'exister : a) tout traitéen vigueurà la date de la succession d'Etatà l'égardde l'ensemble
du territoire de1'Etatprédécesseur resteen vigueur à l'égardde chaque Etat
successeur ainsi formé.)) (Paragraphe 1 - les exceptions prévues au

paragraphe 2, alinéa1, ne s'appliquent manifestement pas en l'espèce.)

4.2.1.45. Forceest donc de conclure que tous les Etatssuccesseurs de l'ex-RSFY,y compris
laBosnie-Herzégovine,ontautomatiquementsuccédé à laconventionsur legénocidequel'ex-RSFY
avait signéedès le 11 décembre 1948et ratifiée, sans émettre de réserves l, 29 août 1950.

4.2.1.46. Aussi la question des effets et de la portéede la notification de succession donnée
par la Bosnie-Herzégovine,le 29 décembre1992, revêt-elleune importance secondaire.

4.2.1.47. Comme la Cour l'a rappelé dans son ordonnance du 8 avril 1993
(C.I.J.Recueil 1993, p. 15),la notification de succession est conçue comme suit:

«Le Gouvernement de la République de Bosnie-Herzégovine,ayant examiné la
convention pour la prévention et la répression de crime de génocide, du
9 décembre1948, à laquelle l'ex-Républiquesocialistefédérativede Yougoslavieétait
partie, souhaite êtrele successeur de cette dernièreet s'engagea respecter et exécuter
scrupuleusement toutes les clauses figurant dans ladite convention, avec effet du
6 mars 1992, date à laquelle la République de Bosnie-Herzégovine est devenue
indépendante.))

4.2.1.48.Bien qu'il nefûtaucunementindispensabled'établirquelaBosnie-Herzégovineétait
liéepar la convention sur le génocide,cette déclarationtémoigne dla volontéde 1'Etatdemandeur
de respecter la convention. Comme M. M. G. Marcoff l'adit :

., «Des extériorisationsdece genre ne possèdentque la fonction de ((révélateurs))
du phénomène juridique dela succession, survenu au moment du changement de
souveraineté.))(op. cit., p. 305, par. 4.2.1.)1

4.2.1.49. Comme la Cour l'anotédans son ordonnance du 8 avril 1993, il y a toutefois lieu
de soulignerque «le Secrétairegénéral)e), adressant, le 18 mars 1993,en sa qualitéde dépositaire,

une notification aux partieà la convention sur le génocide,«a considéréla Bosnie-Herzégovine
commeayant non pas adhéré,maissuccédé à laconvention surlegénocide...))(C.I.J. Recueil 1993,
p. 16).

4.2.1.50. Les autres Etats parties n'ont pasréagicette notificationIIen résulte quesi la
Bosnie-Herzégovinedevait être considéréecomm un «Etat nouvellement indépendant))au sens de
la convention de 1978 - ce qui est plus que douteux (voir ci-dessus, par. 4.2.1.3-)elle aurait
néanmoins succédé à ex-RSFY en sa qualité de partieà la convention sur le génocide,par laquelle
elle est en tout état de cause liée.

4.2.1.51. Il appert par conséquent

i) que la qualitéd'Etatde la Bosnie-Herzégovinene saurait lui être contestée;

ii) que la Bosnie-Herzégovineest un Etat successeur de l'ex-RSFY; qu'en tantque tel. elle lui a automatiquement succédé comme partie à la convention
iii)
de 1948sur le génocide ou, subsidiairement (et à titre complémentaire),a établison
acceptation de la convention par la communication qu'elle a adresséeau Secrétaire
généralle 29 décembre1992;

iv) que cette succession a eu lieu le 6 mars 1992,date de la succession d'Etats;

v) que la Bosnie-Herzégovinepeut par conséquentdéposerune requêteen se fondant sur
l'articleIX de la convention sur le génocide;et

que cette requêtea été déposé pear le gouvernement légitimeet légal.
vi)

Section 4.2.2. L,aYougoslavie (Serbie et Monténégro) est liée
par la convention sur le génocide

4.2.2.1. La Yougoslavie (Serbie et Monténégro)a en fait, bien qu'avec quelque réticence,
reconnu la compétence dela Cour en l'espèce,sur la base de l'articleIX de la convention sur le
génocide. Il faut toutefois souligner qu'entout état de cause ellea succédéà l'ex-RSFYcomme
partieà la convention sur le génocide.

La Yougoslavie (Serbieet Monténégro) a acceptlé a compétence dela Cour
sur la base de l'articleIX de la conventionsur le génocide

4.2.2.2. A plusieurs reprises au cours de la procédurerelative aux demandes en indication de
mesures conservatoires, 1'Etatdéfendeur«a réservé sesdroits))concernant lacompétencedelaCour
et la recevabilité dela requête, mais dansla plupart -en fait, la quasi-totalit- de ces cas, ces
prétendues«réserves»ont été expressémentémises à l'égarddes seules conclusions formuléesdans
la requêteou dans les demandes en indication de mesures conservatoires, qui ont pu paraître se

situer en dehors du champ d'application de la convention sur le génocide.

4.2.2.3. Ainsi :

i) dans sa lettre du ler avril 1993, le ministre fédéral des affaires étrangères de Yougoslavie
(Serbieet Monténégroa ) lui-même proposédiversesmesures conservatoires (voir ci-dessous,
par. 4.2.2.4.) en précisantque :

«Le Gouvernement:de la République fédérative de Yougoslavie saisit cette

occasion pour faire savoir à la Cour qu'elle n'accepte pas sa compétencepour
connaître d'une revendic,ationquelle qu'elle soit du demandeur sortant du cadre de
la conventionpour la préventionet la répressiondu crime de génocide. Cela est
sans préjudice de la décision finale du Gouvernement yougoslave s'agissant de
devenir ou non partie aiudifférendporté devantla Cour par la «République de
Bosnie-Herzégovine.))

Mêmesi le sens exact de la dernièrephrase n'apparaîtpas clairement, il découlea contrario
de la premièrephrase que 1I'Etadtéfendeur acceptela compétencedela Cour aussi longtemps
qu'ellereste dans les limites de la convention sur le génocide.

ii) Cette interprétationa étéconfirméepar la Yougoslavie (Serbie et Monténégro) dans ses
observations datéesdu 23 août 1993 : «Il va de soi qu'endemandant des mesures conservatoires le 1" avril 1993.la

République fédérative de Yougoslavie n'entendaie tn aucune manière accepter la
compétencede la Cour si ce n'estdans les limites de ce qui est strictement stipulé
dans la convention sur le génocide.))

iii) Dans ces mêmes observations,1'Etatdéfendeura rappeléla déclaration faite à l'audience
publique de la Cour du 2 avril 1993 par M. Shabtai Rosenne :

«La République fédérativd ee Yougoslavie ne consent à aucune extension de
la compétence de la Cour au-delà de ce qui est strictement stipulé dans la

convention même.» (CR93/13, p. 15.)

iv) Au cours de cette mêmeaudience, celui qui faisait fonction d'agent de I'Etatdéfendeura
déclaré :

((nouspensons bien que la compétence dela Cour est limitée, mais nous sommes
disposés àcontinuer à plaider l'affaire dans les limites de la compétencede la Cour
telle que nous l'entendons)) (ibid.,p. 51).

V) Et ce que 1'Etatdéfendeur((entend))par «dans les limites de la compétence dela Coun) a
été clairement expliqué à plusieurs reprises; conformément a la définition donnée dansla
convention sur le génocide :

«notre différendconcern[e l'application de] la conventionpour la préventionet la
répression du crime de génocide (M. Rodoljub Etinski, agent de la Yougoslavie
(Serbie et Monténégro),26 août 1993, CR 93/34, p. 11);

il est demandé certaines mesures supplémentaires,mais ellesvont bien au-delà de
l'applicationde la conventionsur le génocide,qui est l'objetde laprésenteaffaire...))
(S. Rosenne, ibid., p. 41)

4.2.2.4. Deux épisodes précis revêten utne importance particulièreà cet égard. Aussi bien
le 1" avril 1993 que le 23 août 1993, la Yougoslavie (Serbie et Monténégro)a présenté des
demandes reconventionnelles en réponseaux demandesen indication de mesures conservatoiresde

la Bosnie-Herzégovine. Pour des raisons déjà exposées (voir ci-dessus, par. 4.1.0.1l), la
Bosnie-Herzégovinerenoncera à soulignerque ces demandesreconventionnellesse situent largement
hors du cadre de la convention de 1948 sur le génocide,d'autant plus que I'Etatdéfendeur«a
réservé sesdroits))concernant lacompétencedelaCour en dehors du champd'applicationde ladite
convention, (même si la validité d'une telle «réserve» est extrêmement sujette à caution).
Cependant, ces demandes en indication de mesures conservatoiresse fondaient nécessairementsur
quelque lienjuridictionnel entre les Parties ou, du moins,l existait, de l'avisdu Gouvernementde
laYougoslavie(Serbie et Monténégro),une baseprima facie sur laquelle la compétencedela Cour

pouvait être établie.Selon les déclarations faitespar1'Etatdéfendeur, cettebase est la convention
sur le génocide.

4.2.2.5. Enconséquence, ilest clair que laYougoslavie(Serbieet Monténégro)estelle-même
convaincueque laCour a compétenceen l'espèce,en vertu de l'article IXde la conventionde 1948.
Elle a reconnu ce fait publiquement et à diverses reprises au cours des étapes antérieures dela
procédure,et des déclarations faitespar les représentants d'une partieau cours d'une procédure
juridictionnelle ouarbitrale lient incontestablementcettepartie(voir parexemple lasentencerendue

le 17juillet 1986 par le tribunal arbitral instituépar le compromis du 23 octobre 1985 entre le
Canada et la France :Dlyérend concernant le filetage à l'intérieurdu Golfe du Saint-Laurent,
RGDIP 1986, p. 756). 4.2.2.6. Comme la Cour l'afait observer.

((L'un des principes de base qui président a la création et a l'exécution
d'obligationsjuridiques, quelle qu'en soitla source, est celui de la bonne foi. Tout
comme la règle du droii. des traitéspacta sunt servanda elle-même,le caractère
obligatoired'un engagement internationalassumépardéclarationunilatéralerepose sur
la bonne foi. Les Etats intéressés peuvent donctenir compte des déclarations
unilatéraleset tabler sur elles; ils sont fondésxiger que I'obligationainsi créée soit
respectée))(Essaisnucléairesa ,rrétdu20 décembre1974,C.I.J. Recueil 1974,p. 268;
voir égalementC.I.J. Recueil 1988, p. 105.)

4.2.2.7. En I'espèce,la Yougoslavie (Serbie et Monténégro)a fait clairement comprendre

qu'elle seconsidéraitcomme liéepar la convention sur le génocideet qu'elleestimait que la Cour
avait compétence sur la base de I'article IX de ladite convention. C'est en partant de cette
présomption - et de cette présomption seulement - que, dans le présent mémoire, la
Bosnie-Herzégovinese concentreexclusivement surcetitre de compétence.Aussi 1'Etatdéfendeur
n'est-il plusen droit «de revenir sur cette reconnaissance pour contester la validité))de cette base
de compétence(cf. C.I.J. Recueil 1960,p. 213). Comme sir Gerald Fitzmaurice l'aexpliquédans
son opinion dissidente en l'affairedu Templede PréahVihéar :

«dans les cas où il peut êtreprouvé,par sa conduite ou de toute autre manière, qu'une
partie s'estengagéeou est liée parune obligation,il n'eststrictement pas nécessaireni
mêmeappropriéd'invoquer le principe de la forclusion ou de I'estoppel, quoique les
termes de ce principe soient en pratique souvent employés pourdécrirecette situation.

Ainsi on peut dire que A, ayant acceptéune certaine obligation, ou étantliépar un
certain instrument, ne peut pas ensuite nier ce fait et ((souffler le chaud et le froid)).
Sans doute A ne peut pas être admis ànier; mais cela veut simplementdire que A est
lié,et que, étant liil ne peut pas échapperà cette obligation par le seul fait d'ennier
l'existence.)) (C.I.J.ecueil 1962, p. 63.)

4.2.2.8. En conséquence, ayant accepté deconsidérerI'articleIX de la convention sur le
génocide comme pouvant fonderla compétencede la Cour en I'espèce,la Yougoslavie (Serbie et
Monténégro) ne saurait maintenant se soustraireà I'obligationqui en découle«par le seul fait d'en
nier l'existence)).Cette considération estessentielle et faitjustice de toutes lesexceptions quet

défendeura estiméopportun de soulever ici et là :on ne peut souffler le chaud et le froid.

La Yougoslavie (Serbie et Monténégro) a succé àdla RSFY
a l'égardde la conventionsur le génocide

4.2.2.9. Indépendammentdu fait qu'elle reconnaîtla compétencedela Cour en I'espèce,sur
la base de l'articleIX de la convention de 1948 sur le génocide, la Yougoslavie (Serbie et
Monténégro) ne conteste pas qu'ellesoit liéepar ladite convention; son argumentation esttoutefois
extrêmementcontestable d'unpoint de vuejuridique car elle affirme êtrele seul Etat ((continuateur))
de l'ex-RSFY.

4.2.2.10. De l'avisdu Goi~vernementde la Bosnie-Herzégovine,un tel moyen de défensene
sauraitêtreinvoquécar 1'Etatdéfendeurn'estque l'undes Etats successeurs de l'ex-RSFY,au même
titre que les quatre autres Etats nésde la dissolution deEtatprédécesseur.Toutefois,aux fins de
la procédureen cours, la Yougoslavie (Serbie et Monténégro) - qu'elle soit ou non un Etat
successeur ou un Etat ((continuateur))-est liéepar la convention sur le génocide. La Yougoslavie (Serbieet Monténégro) esu tn
Etat successeur de laRSFY

4.2.2.11.Au cours de la procédureantérieureen l'espèce commeau sein d'autresinstances.
laYougoslavie(SerbieetMonténégro)aaffirmé qu'elleétaitleseulEtatcontinuateurde l'ex-RSFY.
C'estainsique, dans lecadrede sonexposéoral,le26 août 1993,M. M. Mitic,conseillerjuridique
en chef du ministère fédéral des affaires étrangères, a contesévalidité del'indépendancedes
ex-Républiques fédérées d Yeougoslavie (CR 93/34,p. 4). De plus, c'esten se fondant sur cette
((continuité))présuméqeue la Yougoslavie(Serbieet Monténégros)econsidèrecomme liéepartous
les engagements internationauxpris par l'ex-RSFY.

4.2.2.12.Par une déclarationfaite le 27avril 1992,les participànla sessioncommunede
l'assembléede la RSFY, de l'assembléenationale de la République deSerbieet de l'assembléede
la République de Monténégr ont déclaré:

«La RépubliquefédérativedY eougoslavie,assurant lacontinuitéde1'Etatet de
la personnalité juridique et politique internationale de la République socialiste
fédérative deYougoslavie, respectera strictement tous les engagements que la
Républiquesocialiste fédérative deYougoslavie a pris à l'écheloninternational...))
(Voir C.I.J. Recueil 1993, p. 15.)

Cettedéclarationa été confirméedan usnenoteofficielledatéedumême jour (quiétaitaussi ladate
d'adoptionde la constitution du nouvel Etat de Yougoslavie(Serbie et Monténégro)a)dresséeau
Secrétaire général del'organisation des NationsUnies par la mission permanente de la
«Yougoslavie»auprèsde I'Organisation,et publiéeen tant que document officielde l'Assemblée
générale :

«Dans le strict respect de la continuitéde la personnalité internationale dela
Yougoslavie, la Républiquefédérative de Yougoslaviecontinuera à exercer tous les

droits conféréà la Républiquesocialistefédérativde Yougoslavieet às'acquitter de
toutes les obligations assuméespar cette dernière dansles relations internationales,y
comprisen ce qui concerne sonappartenance à toutes lesorganisationsinternationales
et sa participation tous les traitésinternationaux que la Yougoslavie a ratifiésou
auxquels elle a adhéré.))Al461915, 7 mai 1992.)

Telle est la position que le défendeura constamment adoptée depuislors (voir, par exemple,
l'aide-mémoire datédu 14janvier 1994,adresséau Président provisoire dela 15'réuniondes Etats
partiesàlaconventioninternationalesur l'élimination de toutlesformes de discrimination raciale
par leGouvernementde la République fédérative de Yougoslavie, CERD/SP/SO,annexe). Dans le

mêmeesprit, il faut noter que lorsque le comitédes droits de l'hommede l'organisation des
Nations Unies a priéle Gouvernementde la Yougoslavie(Serbie et Monténégrod )e présenterun
rapportsuccinctsur lesviolationsgravesdu pacteinternational relatifauxdroitscivilset politiques,
une délégation de la Yougoslavie (Serbie et Monténégroa) étéenvoyée à une séancedu comité
tenue le 6 novembre 1992 :

«Le comité a souhaitéla bienvenueà ladélégationet a déclarqu'ilvoyait dans
la présentationde ce rapport et la présence dela délégationla preuve que la
Républiquefédérative deYougoslavie(Serbieet Monténégroa )vait,pource qui est de

son territoire, succéàél'ex-Républiquesocialistefédérativde Yougoslaviedans les
obligationsque celle-ci avait souscritesautitre du pacte internationalrelatif auxdroits
civils et politiques.)) (Observations du comitédes droits de l'homme,CPRICI79,
add. 16,28 décembre1992, par. 3.) 4.2.2.13.Bien que leGouvernementdelaBosnie-HerzégovinesoutiennequelaYougoslavie

(Serbie et Monténégron )e saurait êtreI'Etat((continuateur))de l'ex-RSFY,il reconnaît néanmoins
sans réserve qu'elle et n Etat successeurau même titre exactementquelesquatre autres Etatsnés
de la dissolutionde l'ex-Yougoslavie,et qu'elle esten tout état de cause par laconvention sur
le génocide.

4.2.2.14. Un trèsgrand nombre de faits découlent de cette conclusion incontestable

- depuisle 15 mai 1992(résolution752(1992)),toutes lesrésolutionsdu Conseilde sécuritéainsi
quede l'Assemblée généraledesNations Unies, font mentiod ne «l'ex-Yougoslavie»,traduisant

ainsi la conviction de la communauté internationale quela RSFY n'existeplus;

- on peut faire état ausside l'opinionde la Communauté européenne (voilra déclaration adoptée
par le Conseil européen à Lisbonne, le 27 juin 1992), de la conférence internationale sur
l'«ex-Yougoslavie» (depuis ]laconférence tenueà Londres les 26 et 27 août 1992);

et de la commission d'arbitrage,qui dans plusieurs avis mûrement pesésa noté,premièrement,
que la RSFY était ((engagéedans un processus de dissolution»(avisno 1, p. 3, par. 3, op. cit.,
par. 4.2.13, puis que ce processus était arrivà son terme, que la RSFY n'existaitplus (avis
no8, p. 4, par. 4, op. cit., pa:r.4.2.1.9),qu'((aucundes Etats successeursne peut revendiqueren
tant quetel et pour lui seul le bénéfdes droits détenusjusqu'alorspar l'ancienneRSFY ensa

qualitédemembre))(avisno9,p. 2-3, par.4, op. cit., par. 4.2.1.9)et,en particulier,que«laRFY
(Serbie et Monténégro) apparaît commu en Etat nouveau quine saurait être considéré comme
l'uniquesuccesseur de la RSFY» (avis no 10,4juillet 1992,p. 3, par. 5), la dateà laquelle la
République fédérale de Yougoslavie (Serbie et Monténégro) a succédé à la RSFY étant
le 27 avril 1992(avis no 11,p. 4, par. 10,op. cit., par. 4.2.1.10);

- dans sa résolution757 du 30 mai 1992,le Conseil de sécurité a noté

«l'affirmationdelaRépubliquefédérativedeYougoslavie(SerbieetMonténég sel)n
laquelle elle assure automatiquement la continuité de l'ex-République socialiste

fédérativedeYougoslaviecommeMembrd ee l'organisation desNations Uniesn'apas
été généralement acceptée));

- tandisquedanssarésolution777du 19 septembre 1992,ilconsidéraitque((I'Etatantérieurement
connu comme la République socialiste fédérative de Yougoslava iecessé d'exister)).

4.2.2.15.Tous lescinqEtatsnés deladissolutiondel'ex-RSFYsontpar conséquentdes Etats
nouveaux, chacund'entre eux étant son successeursursonterritoire respectif. Les règles générales
du droit international sur la successiond'Etatss'appliquànchacun d'eux,Yougoslavie(Serbie et

Monténégroi )ncluse.

La Yougoslavie (Serbieet Monténégro) est parti e
la convention sur le génocide

4.2.2.16. Les observations formulées précédemment(par. 4.2.2.9-4.2.2.15) l'ont été
principalement dans l'intérêd te la complétude juridique. Que la Yougoslavie (Serbie et
Monténégro) soie tn fait considérée comme un Etat successeurou comme un Etat «continuateun)
de l'ex-RSFY,le résultat estle même :d'une manièreou d'une autreelle est partià la convention

de 1948sur le génocide quel'ex-RSFYa ratifiéeen 1950. Pourla commodité del'argumentation
juridique, les deux hypothèses seront examinées séparément. La Yougoslavie (Serbie et Monténégroe)st liéepar la conventionsur le génocide
en tantque successeurde l'ex-RSFY

4.2.2.17. Comme nous l'avons montré (voir ci-dessus, par. 4.2.1.25-4.2.1.40), un Etat
successeur succède, en principeà tout traitéen vigueuà I'égardde 1'Etatprédécesseuà la date
de la successiond'Etatspour ce qui concerne le territoire tout entier de 1'Etatprédécesseur.Cela
est vrai en particulier pour les conventions humanitaires.

4.2.2.18. Le raisonnement qui s'appliqueà la Bosnie-Herzégovine(voir ibid.) s'applique
?. L 4
également àla Yougoslavie (Serbie et Monténégro):

- les deux Etats sont des Etats successeurs de l'ex-RSFY;

- l'ex-RSFYétait devenuepartie àlaconventionen 1950et l'étaitencoreàla date de la succession
d'Etats;

- la convention sur le génocide esàcaractère humanitaireetà vocation universelle;

- elle reste donc en vigueur automatiquemenàl'égardde la Yougoslavie(Serbie et Monténégro)
comme de la Bosnie-Herzégovine.

4.2.2.19. De plus, les deux Etats ont, par des déclarations sans ambiguïté, formellement
acceptélesobligationsinternationalescontractéespar l'ex-Yougoslavieelaaété faitexpressément
au regard de la convention sur le génocide (et de nombreux autres traitéset conventions) par la
Bosnie-Herzégovine (voir ci-dessus, par. 4.2.1.47) et d'une façon généralepar la Yougoslavie

(Serbie et Monténégro)par lavoie des déclarationsfaitesle 27 avril 1992,par la réunioncommune
des assembléesde Serbie, du Monténégroet de la ((Républiquefédérativd ee Yougoslavie))ainsi
que par la mission permanente auprès de l'organisation des Nations Unies (voir ci-dessus,
par. 4.2.2.12).

4.2.2.20. En fait, dans ces mêmes déclarations, les organes législatifs, exécutifs et
diplomatiquesconstitutifs de laYougoslavie(Serbie et Monténégr)ntaussiexprimélaconviction
que I'Etatqu'ilsreprésentaient perpétuailtapersonnalité internade l'ex-RSFY,affirmationqui,
de l'avisdu Gouvernement de la Bosnie-Herzégovine,est manifestement inexacte (voir ci-dessus).
Mais rien ne saurait être induit,en droit, de cette affirmation.

4.2.2.21. Premièrement,comme nous l'avons montré(voir ci-dessus,par..2.1.48), unetelle
déclarationn'est aucunement indispensable pour établir la succession un traité auquel 1'Etat
prédécesseur (à l'exceptiondes ((Etats nouvellement indépendants)),en d'autres termes les Etats
décolonisés - voir ci-dessus, par. 4.2.1.38 et 4.2.1.39) était partie, s'agissant notamment de

conventions àcaractèrehumanitaire. En l'espèce,la ((continuité))est automatiqueetune déclaration
de succession ne fait qu'attester la volonté detsuccesseurde respecter le traité. II y a lieu de
rappelerà cet égardque le comité des droits del'hommede l'organisation des Nations Unies a vu
dans la présentationd'un rapport et la présencedevant lui d'une délégation dela Yougoslavie
(Serbie et Monténégro)la simple «preuve» que ce pays ((avait,pour ce qui est de son territoire,
succédé à l'ex-RSFY dans les obligations que celle-ci avait souscrites)) (CPRfCl79, add. 16,
28 décembre1992, voir ci-dessus, par. 4.2.2.12). 4.2.2.22. Deuxièmement,la Yougoslavie (Serbie et Monténégro) ne saurait transformer une
successionautomatiqueconformément à des principes internationauxgénérauxbien établisen une
succession conditionnelle. comme ce serait le cas s'ilétait admis qu'ellen'a succédél'ex-RSFY
comme partie à la convention sur le génocidequ'àla condition d'êtreun Etat continuateur.

4.2.2.23. La conclusion qui s'impose manifestement est que la Yougoslavie (Serbie et

Monténégro) est partià la convention sur le génocideen vertu des principes habituels applicables
à la succession d'Etatsen matière de traités. Ses déclaratiodu 27 avril 1992 ont pu consolider
ses obligationsà cet égardmais elles n'ont certainement pas pu empêcherl'application de ces
principes généraux.

La Yougoslavie (Serbieet Monténégro) serait égalemeln it epar la convention sur le génocide
si elle était considérée comm uen Etat cccontinuateur>de l'a-RSFY

4.2.2.24. La mêmeconclusion s'impose à l'évidencesi, pour les besoins du débat,l'onadmet

que la Yougoslavie (Serbie et Monténégro) est, comme ellel'affirme,le seul Etat continuateur de
l'ex-RSFY.

4.2.2.25. Tout d'abordil faut souligner que, selon cette hypothèse,une déclaration aurait été
entièrementsuperflue :déclarerqu'unEtat((continuateur))perpétuelesdroits et obligations de I'Etat
prédécesseur revientà énoncerune vérité d'évidence.

4.2.2.26. Cependant la Yougoslavie (Serbie et Monténégro)a effectivement fait une telle
déclaration dela manièrela pliis officielle et la plus solennelle (voir ci-dessus, par. 4.2.2.12).

4.2.2.27. Selon le célèbre:ictum de la Cour en l'affaire desEssais nucléaires,

«II est reconnu que des déclarationsrevêtantla forme d'actes unilatérauxet
concernant des situations de droit ou de fait peuvent avoir pour effet de créerdes

obligationsjuridiques. Des déclarations de cette naturepeuvent avoir et ont souvent
un objettrèsprécis. QuandI'Etatauteurde ladéclarationentendêtre lié conformément
à sestermes, cette intentionconfèrà sa prise de position lecaractèred'unengagement
juridique, I'Etatintéresséétant désormatsnu en droit de suivre une lignede conduite
conforme à sa déclaratioi. n engagement de cette nature, exprimé publiquement et
dans l'intentionde se lier, même horsdu cadre de négociations internationales,a un
effet obligatoire. Dans ces conditions, aucune contrepartie n'estnécessairepour que
ladéclarationprenneeffeit, nonplusqu'uneacceptationultérieureni mêmeuneréplique
ou une réactiond'autresEtats, car cela serait incompatibleavec la nature strictement

unilatéralede l'actejuridique par lequel I'Etats'est prononcé.))(C.I.J. Recueil 1974,
p. 267.)

4.2.2.28. En l'espèce,il rie saurait faire de doute que des déclarationsqui sont le fait et de
l'assembléeconstituantede la Yougoslavie(Serbie et Monténégro)etde la mission permanente de
ce pays auprès de l'organisation des NationsUnies, qui ont été conçuesen des termesjuridiques
et qui expriment des engagements internationaux formels et ont été faites publiquement dans
I'intentionévidente de lierleur auteur, créentdes obligationsjuridiques pour ledit Etat. 4.2.2.29. L'Etatdéfendeura fait publiquement parà tous les autres Etats de son intention de
respecter tous les engagements pris par l'ex-RSFY. Quelle que soit sa situation, est maintenant
liépar ces déclarationsqui s'appliquent aux droits et obligations découlantde la convention sur le
génocide ainsi que de tous les autres traités auxquelsla RSFY étaitpartie.

4.2.2.30. En conséquencela Yougoslavie (Serbie et Monténégro), qu'elle soit considérée
comme un Etat «continuateur» ou comme un Etat successeur,est à l'évidencepartieà laconventior?
sur le génocideen vertu des principesgénérauxdu droit internationalapplicables dans le cas d'une

succession d'Etats. Savolonté,telle qu'elles'exprimedans sesdéclarationsu 27 avril 1992,ne fait
que corroborer cette conclusion générale.

4.2.2.31.Il faut souligneà cet égardque la «Yougoslavie» est énumérée - conjointement
avec les autresEtats successeurs de l'ex-RSFY-parmi lesEtatspartiesà la conventionde 1948sur
le génocide,dans lapublicationofficielledesNations Unies intituléeTraités multilatérauxéposés
auprèsdu Secrétairegénéral; étatau 31 décembre1992 (ST/LEG/SER.E/l 1, New York, 1993).

4.2.2.32. Les deux Parties au présent différend étant esussi partieà la convention sur le
: 5s génocide, leurs litiges doivent nécessairement être réglés conformément à cette convention, y
compris son article IX, qui confère compétence à la Cour internationale de Justice. Cette
disposition a de surcroît été acceptear la Yougoslavie (Serbie et Monténégro)en tant que titre
valable de compétenceen l'espèce.

Section 4.2.3. La situation de la Yougoslavie (Serbie et Monténégro)
au regard du Statut de la Cour

4.2.3.1. Dans son ordonnance du 8 avril 1993, la Cour a soulevé desa propre initiative la
question de sa compétence rationepersonae. Nous voudrionsrespectueusementfaire observer que
la logique qui sous-tend cette question est la suivante

i) en principe,

«La Cour est ouverte aux Etats parties au présentStatut)) (paragraphe 1 de
l'article 35 du Statut de la Cour);

ii) aussi longtemps que la Yougoslavie (Serbie et Monténégro)ne peut prétendre qu'elleest le
seulEtat«continuateur»de l'ex-RépubliquesocialistefédérativedeYougoslavie l,onpourrait
soutenir que le nouvel Etat n'estplus membre de l'organisation des Nations Unies;

iii) le cas échéant,il ne serait plus un «Etat partie au Statut))et, par voie de conséquence,la
requête pourrait être considérée comme irrecevable (voir.I.J. Recueil 1993, p. 12-14).

4.2.3.2. Le Gouvernementde la Bosnie-Herzégovine,comme il a été indiqué(voir ci-dessus,
par. 4.2.2.11et suiv.), soutient queEtatdéfendeurne saurait être considéré comme étal net seul
?69 «continuateur))de l'ex-RSFY. Mais il ne découlepas d'unetelle conclusion que la Yougoslavie
(Serbie et Monténégro)n'estpas partie au Statut de la Cour. Une telle position est indéfendable,
qu'elle soitun Etat successeur ou,commeelle l'affirme,unEtat((continuateur)).Desurcroît,comme
la Cour elle-même l'aprédit,ce problème est sans intérêt pour ce qucioncerne la convention sur
le génocide. La qualité de partieau Statut n'estpas pertinente au regard de l'articleIX
de la convention sur le génocide

4.2.3.3. Comme la Cour l'anotédans son ordonnance du 8 avril 1993, le paragraphe 2 de
I'article35 du Statut dispose

((Lesconditions auxquelles elle est ouverte aux autres Etats sont, sous réserve
des dispositions particulières des traitésen vigueur, réglpar le Conseil de sécurité,
et, dans tous les cas, sans qu'il puisse en résulterpour les parties aucune inégalité
devant la Cour.))

En conséquence, commela Cour l'afait observer,

«une instancepeut êtrevalablementintroduitepar unEtatcontre unautre Etatqui, sans
être partieau Statut, est partiene telle dispositionparticulièred'untraitéen vigueur,
et ce indépendamment des conditions régléespar le Conseil de sécurité danssa

résolution9 (1946)))(C.I.J. Recueil 1993, p. 14).

4.2.3.4. La Cour permanente avait adopté la même argumentationen l'affaire du Vapeur
Wimbledon : elle s'y était déclarée compétentp eour connaître de la requête introduitepar la
Grande-Bretagne, laFrance, l'Italieet leJaponcontre l'Allemagnesur la seule base du paragrap1e
de I'article386 du traité de Versailles,bien que l'Allemagnene fût pas encore partie au Statut de
la Cour (Vapeur Wimbledon, arrêtdu 17 août 1923, C.P.J.I.sérieA no1, p. 20).

4.2.3.5. Toute autre solut~onpriverait totalement aussi bien l'expression «sous réservedes
, 775 dispositionsparticulièresdestraitésen vigueur))(voirparagraphe 2 de I'articledu Statut)quedes

clauses juridictionnelles de ce type, de toute incidence. Elle serait contraire au caractère
essentiellementconsensuel de la compétencedelaCouret incompatibleavec l'intentiondes auteurs
du Statut, qui était de donner aussilargement que possible accèsà sa juridiction.

4.2.3.6. En l'espèce,la compétence de la Cour se fonde sur I'articleIX de la convention
de 1948 sur le génocide (c'est-à-dire surune ((dispositionparticulière d'un traitéenigueun)) à
laquelle lesdeuxEtatssont partiesconjointementavecdenombreuxautresEtats. Ilserait paradoxal
d'admettrequel'unde ces Etats ne serait pas lié parl'unedes dispositionsextrêmement importantes
de cette convention et pourrait, par conséquent,ne pas être assujetti au contrôle d'une tierce partie

impartialealors quetoutes lesautres parties sontainsi liéeset ont présuméque tousles Etatsparties
avaient acceptéde contracter laimême obligation. Cela équivaudraità une sorte de réservede fait
contre laquelle aucune objectiocine pourrait être élevée.

4.2.3.7. Il faut admettre que, tout comme la Bosnie-Herzégovine,la Yougoslavie (Serbie et
Monténégro),qu'elle soio tu non partie au Statut de la Cour, est liéepar toutes les dispositions de
la convention sur le génocide, 11compris son article IX,. Aussi n'est-ce que dans un souci de
complétudequelaBosnie-Herzégovinese propose maintenantdedémontrerqu'entout étatde cause
1'Etatdéfendeur est partieau Stiuut. La Yougoslavie (Serbie et Monténégro) est en tout édtetcauseparfie au Statut de la Cour

4.2.3.8. Comme nous l'avons déjà rappelé (par4 ..2.2.12), la Yougoslavie (Serbie et
171 Monténégroa ) fait, le 27 avril 1992,des déclarations formelles, réàtplusieurs reprisespar
la suite, dans lesquelles ellea indiquéqu'elle respecterait strictement tous les engagements quela
RSFY avait pris a l'écheloninternational dans le passé,«y compris en ce qui concerne son
appartenance à toutes les organisations internationales, et sa participation a tous les traités
internationaux que la Yougoslavie a ratifiésou auxquels elle a adhéré)).

4.2.3.9. C'étaità un engagement clair, qui, assurément, liela Yougoslavie (Serbie et
Monténégro), encorequ'il soit juridiquement superflu car, que la Yougoslavie soit un Etat
successeurdel'ex-RSFY, cequ'elleesteffectivement- ou ll«Etatcontinuateun) decelle-comme
elle l'affirm-,les traitésen vigueuà l'égardde la RSFY demeurent en vigueur après queI'Etat
prédécesseua r cessé d'exister (voir ci-des, ar. 4.2.2.24 et suiv.).

4.2.3.10. Ce raisonnement s'applique égalementau Statut de la Cour (et aux droits et
obligations qui en découlent) auquella RSFY était partie etpar lequel la Yougoslavie (Serbie et
Monténégro) est maintenanltiéeaussi bien parvoie de successionqu'en raisonde ses déclarations
sans ambiguïté.

4.2.3.11. Cela étant,il s'agitde savoir si la qualité de partie au Statutva de pair avec la
qualité de Membrede I'OrganisationdesNations Uniesou si les deux instrumentssont autonomes.
Vu qu'aux termes de l'article 92de la Charte, le Statut «fait partie intégrante))de celle-ci, on
pourrait faire valoir qu'unEtat qui n'est pasu qui n'estplus- membre de I'Organisation des
Nations Unies ne peut être partieau Statut. D'oùalors la question de savoir si la Yougoslavie
(Serbie et Monténégro)eso tu non encore membrede l'organisation desNations Unies (bienqu'en
définitive, commeon ledémontreraci-après -voir ci-dessouspar. 4.2.3.20-4.2.3.23- cettedernière
question soit probablement sansintérêetn l'espèce').

? '72 4.2.3.12. Sila Bosnie-Herzégovinea systématiquementadopté la position selon laquellela
Yougoslavie (Serbieet Monténégron )e saurait assurer automatiquementlacontinuité delaqualité
de membre de l'ex-RSFY à I'Organisationdes Nations Unies et qu'ilconviendraitde mettre àin
cette continuité,il faut reconnaître qu'endroit la situation est loin d'êàrcet égard.

4.2.3.13. Se fondant sur la résolution777 (1992) adoptéepar le Conseil de sécuritéle
19 septembre 1992,et la résolution711de l'Assemblée générale datédue22 septembre 1992,la

Cour laisse en suspens la question de savoir si I'Etat défendeurest ou non partie au Statut
(ordonnance du 8 avril 1993, C.I.J. Recuei1993. p. 14).

4.2.3.14. Encore que la Bosnie-Herzégovinele regrette d'un pointde vue politique,faut
reconnaître que, dans ces résolutions,les organes directeurs de I'Organisationdes Nations Unies
n'ont pasencoreprisdedécisiondéfinitiveence quiconcernelasituationde laYougoslavie(Serbie
et Monténégroa )u sein de l'Organisation. Sans doute ont-ils déjà décidé que cta'tétait pas le
seulcontinuateurdel'ex-RSFYet «ne pouvaitassurer automatiquementlacontinuité)de sa qualité
de Membre de I'Organisation. Mais,conformément à la recommandation faite par le Conseil de
sécurité dans sa résolution77(1992), l'Assembléegénérale s'estcontentéede décider «que laRépublique fédérativede YougoslaviSerbieet Monténégrod)evrait présenter
une demande d'admissionà I'Organisationet qu'elle ne participerapas aux travaux de
l'Assembléegénérale)()resolution711,22 septembre 1992).

4.2.3.15. Mais, d'unautre côté, commele Secrétairegénéldjoint aux affairesjuridiques,
conseillerjuridique de I'Organisationdes Nations Unies,tédans la lettre qu'ila adresséeaux
représentants permanentsde la Bosnie-Herzégovineet de la Croatie auprès de l'organisation, Ia
-1r7 3 résolution4711:«ne met pas fin à l'appartenance de la Yougoslavià I'Organisation et ne la
suspend pas» (doc. Al471485,annexe, italiques dans l'ori-voir C.I.J. Recuei1993, p. 13).
En fait, la Yougoslavie (Serbieet Monténéga continuéde se considérercomme un Membre de
I'Organisation des Nations Unies et a agi comme tel, maintenant ses missions permanentes
New York et à Genève,et submergeant le Secrétariat,leConseilde sécuritéetl'Assembléegénérale
de documents, dont nombre ont étépubliésen tant que documentsoff~cielsde ces organes.

4.2.3.16. Pour sa part, le Secrétairegénérala égalementcontinuéde traiter la Yougoslavie

(Serbie et Monténégrocomme un Etat Membre. Comme suite àla résolution4711de l'Assemblée
générale,le siège et la plaque portant le nom de la Yougoslavie

((subsistent,mais dans les organes de l'Assemblée, lesreprésentantsdela République
fédérativdeYougoslavie(Serbieet Monténégro)n,epeuventoccuper laplace réservée
à la «Yougoslavie». La mission de la Yougoslavie auprèsdu siègede I'Organisation
desNations Unies, ainsi que les bureauxoccupéspar celle-ci, peuventpoursuivre leurs
activités,ils peuvent recevoir et distribuer des documents. Au Siège,le Secrétariat
continuerade hisser le drapeau deancienneYougoslavie, car c'est ledernier drapeau
de la Yougoslavie que le Secrétariat ait connu. La résolution n'enlèvepaà la
Yougoslavie le droit de participer aux travaux des organes autres que ceux de
l'Assemblée. L'admission à I'Organisation des Nations Unies d'une nouvelle
Yougoslavie, en vertu de l'article4 de la Charte, metàrla situation crépar la
résolution4711» (A1471485- voir C.Z.JRecueil 1993,p. 13-14.)

4.2.3.17.Bienque,de l'avisde laBosnie-Herzégovine,laYougoslavie(Serbieet Monténégro)
n'ait aucun droit d'assurer la continuité de la qualitéde membre de I'Organisation et devrait
présenterune demande d'admission comme tous les autres Etats successeurs de l'ex-RSFY, la
communautéinternationale a accepté cette situation. La Yougoslavie (Serbie et Monténégro)ne
' 1 ' 47 peut s'approprier sans droit le siège de l'ex-RSFY à I'Organisation des Nations Unies et,
simultanément, refuser'admettrequ'elleest liéepar la Charte.

4.2.3.18. Encoreque l'Assembléegénérale, prenant laditedécisiondanssa résolution4711,
n'ait pasfait expressément référeàcI'article5 de la Charte, la situationjuridique actuelle de la
Yougoslavie (Serbie et Monténégro) estcelle d'«un Membre de I'Organisationcontre lequel une
action préventiveet coercitive a été entreprisepar le Conseil de[et qui a étsuspendu par
l'Assemblée générales,ur recommandation du Conseil de sécurité,de l'exercice des droits et
privilèges inhérents la qualitéde membre». Une telle situation n'a aucune incidence sur les
obligations de cet Etat, telle qu'elle découlede la Charte et du Statut de la Cour.

4.2.3.19. Cetteconséquenceestreconnue par M. Rosenne,qui écritquela suspensionau titre
de l'article 5 de la Charte «est limitéeàla suspension de l'exercice des droits et privilèges inhàrla qualité
de membre, et [que] I'Etat concerné demeure Membre de l'organisation des
Nations Unies à toutes les autres fins, et est liépar les obligations qui lui incombent
en vertu de la Charte et du Statut. Une action entreprise au titre de cette disposition
pourrait, par exemple, priver un Etat de son droit de saisir la Cour, sans restreindre ses
obligations au cas où une instanceserait introduitecontre» (Op. cit., par. 4.2.1.15,
p. 277.)

4.2.3.20. En tout état de cause, leouvernement de Bosnie-Herzégovine soutient que la

question de qualité de partàela Charte, d'unepart, et celle de la qualitéde partie au Statut, d'autre
part, ne constituent pas des questions interdépendantes et que la Yougoslavie (Serbie et
Monténégro)q , uand bien mêmeelle ne serait pas partàela Charte, demeurerait liéepar le Statut
de la Cour.

77'5 4.2.3.21. 11faut avoià l'esprit,en particulier, que

i) «les Etats qui ne sont pas membres de l'Organisation[des Nations Unies] peuvent devenir
parties au Statut de la Cour internationale de Justice...)) (par. 2 de93 de la Charte);
et que

ii) les conditions d'amendement établiespar la Charte (art.8et 109, par. 2) et par le Statut
(art. 69 et 70) ne sont pas rigoureusement identiques.

Il en ressort que ces instruments sont, en fait, des instrumentsjuridiques différents.

4.2.3.22. On notera que, compte tenu de ces faits, plusieurs auteurs ont souligné qu'il ne
résultepas duretrait oude l'expulsionde l'organisation desNations Uniesque I'Etatconcernécesse
d'êtreliépar le Statut. Ainsi, Hans Kelsen a écrit que

«le Statut de la Cour internationale de Justice, bien qu'ilsoit partie intégrante dela
Charte,constituenéanmoinsun instrumentrelativementindépendant. Il estsusceptible
d'amendement selon une procédurequi n'est pas identique à celle applicableà la
Charte. Le fait est, en particulier, qu'il est possible d'appartenircommunauté
constituéepar le Statut sans appartenià l'(<Organisationdes Nations Unies» ce qui
autorise l'interprétation selonlaquelle un Membre de l'OrganisationdesNations Unies
peut se retirer de la seule communauté judiciaire ou de l'organisation des
Nations Unies (au sens étroit), enrestant partie au Statut. Qu'ilpuisse devenir partie
au Statut après s'être retiré de l'organisation des Natisnies ne saurait faire de
.doute. Si le droit de retrait est considéré commeune conséquence dela souveraineté
du membre, on pourra difficilement contester qu'unEtat peut restreindre l'exercicede
ce droit dans la mesure qu'ilsouhaite.)) (Hans Kelsen, TheLawof the UnitedNations,

Londres, 1951,p. 134;voir aussi Shabtai Rosenne,TheInternational Court ofJustice,
1957,p; 227; ce dernier auteur a ultérieurement émisun avis contraire; voir op. cit.
par. 4.2.1.15, p. 276-277.)

? 76 4.2.3.23. On peut probablementadmettre qu'unEtat puisse déciderde cesser d'être paraue
Statut en se retirant simultanément de l'organisation des NationsUnies. Mais il n'y a aucun
automatisme àcet égard et,en l'espèce,la Yougoslavie (Serbie et Monténégro)non seulement n'a
pas décidé de cesser d'être partiaeu Statut de la Cour mais, au contraire, a proclamé qu'elle
respecterait tous les engagements internationaux pris par l'ex-RSFY. Parmi ces engagements
figurent ceux qui procèdentdu Statut. 4.2.3.24. Aussi est-il permis de conclure

i) que laYougoslavie(Serbieet Monténégroe )st,qu'ellesoitou nonMembre de l'organisation
des Nations Unies, partie au Statut de la Cour et liéepar toutes les obligationsjuridiques
qui en découlent;mais,

ii) qu'entout état decause, la situation de I'Etatdéfendeurau regard du Statut n'a aucuneffet
sur la compétence dela Cour au regard de l'article IX de la convention de 1948 sur le
génocide.

Section 4.2.4. La portée de lacompétence ratione materiae de la Cour

4.2.4.1. Si la Yougoslavie (Serbie et Monténégron'ajamais contestéqu'elleétaitpartie à la

convention sur le génocideet si elle a accepté"la compétencedela Cour sur la base de l'articleIX
de cette convention (voir par. 4.2.2.2 et suiv.), elle a cependant insistésur le fait qu'elle était
«disposé[e]à continuerà plaider l'affairedans les limites de la compétencedela Courtelle qu'[elle]
I1entend[ait]»(voir CR 93/13, p. SI), c'est-à-di:dans le cadre de «ce qui est strictement stipulé
dans la convention même)) (voir id. p. 15 et voir ci-dessus par. 4.2.2.31.

. 117 4.2.4.2. La compétence delaCour se fonde, incontestablement,sur leconsentementdes Etats
mais

«Lanécessité duconsentementnesauraitdégénére ern négationduconsentement
ou, ce qui revient au même,en exigence d'un double consentement, à savoir de la

confirmation du consentement déjà donné.)) (Incident aérien du 27juillet 1955,
opinion dissidente collective de sir Hersch Lauterpacht, M. Wellington Koo et
sirPercy Spender, C.I.J. .Recueil1959. p. 187.)

Autrement dit, en l'espèce,la Yougoslavie (Serbie et Monténégro) a accepté,en tant que partieà
la convention sur le génocide,la compétence dela Cour et elle ne peut, au cours de la procédure,
faire dépendreson acceptation -et, par voie de conséquence,la compétence dela Cour - de règles
particulières d'interprétation.

4.2.4.3. L'articleX de la convention de 1948 constitue un fondement certain de la
compétence dela Cour; il ne doit êtreinterpréténi de façon ((stricte))ni de façon ((large)),mais

conformémentaux règles usuelles d'interprétationdes traités. En particulier, dans le doute, les
clauses conférantcompétence à la Cour

((doivent,si cela n'estpas faire violence a leurs termes, être interpds'unemanière
permettantà ces clauses de déployer leurseffetsutiles))(ordonnance du 19 août 1929,
Zones Franches, C.P.J.I. sérieA no22 ,p. 13; voir égalementC.I.J. Recueil 1949,
p. 24).

La compétence de la Cour ne saurait êtremise en échec par des interprétations restrictives
unilatérales. D'autre part,'Etatdemandeur

«doit prouver l'existence d'unrapport raisonnable entre [le] traité et les demandes

présentéesà la Cour)) (Activitésmilitaires et paramilitaires au Nicaragua et contre
celui-ci, compétenceet recevabilité,arrêdu 26 novembre 1984, C.I.J. Recueil 1984,
p. 427). 4.2.4.4. AUXtermes de I'articleIX de la convention pour la préventionet la répressiondu
:78 crime de génocide,

«Les différends entre les parties contractantes relatifs a l'interprétation,

l'application ou l'exécutionde la présenteconvention, y compris ceux relatifsà la
responsabilité d'un Etaten matière de génocideou de I'unquelconquedes autres actes
énumérés a I'article III, seront soumisa la Cour internationale de Justice, a la requête
d'une partie au différend.))

4.2.4.5.11 ressort à l'évidencede la section IV de la requête de la République de
Bosnie-Herzégovine queles violations, par 1'Etatdéfendeur,des obligations qui lui incombent en
vertu de la convention sur le génocide,etla responsabilitéquien découlepourlui, ont figuréparmi
lesconclusionsprincipalesformuléespar laBosnie-Herzégovine. Ellesconstituentla substancedes
pointsa) et q) de la requêteet de nombreuses autres conclusions y sont liées, commenous le
montrerons ci-après. De plus, comme il est expliqué dansle chapitre premier du présentmémoire,

la Bosnie-Herzégovinea limité ses conclusions aux pointsqui ont un «rapport raisonnable))avec
la convention sur le génocide, sousla réserve expresse de pouvoir considérer comme acquis quela
Yougoslavie (Serbie et Monténégro)a acceptéla compétencedela Cour sur la base de I'article IX
de cette convention.

4.2.4.6. l'évidence, cette disposition offredonc une base sur laquelle la compétencede la
Cour en l'espècepeut incontestablement être fondée.

4.2.4.7. De plus, dans ses ordonnances du 8 avril 1993 et du 13septembre 1993,
respectivement, la Cour a conclu que

((l'articleIX de la convention sur le génociàelaquelle la Bosnie-Herzégovineet la
Yougoslavie (Serbie et Monténégro)sont parties, semble ...de l'avis de la Cour,
constituer une base sur laquelle la compétence dela Cour pourrait être fondée,our
autant que l'objetdu différenda trait ((l'interprétation,l'applicationou l'exécution))
de la convention, y compris les différends ((relatifsa la responsabilité d'un Etaten
matière de génocideou de I'unquelconque des autres actesénuméré às I'articleIII))de
la convention))(C.I.JRecueil 1993. p. 16 et 338; voir égalementp. 14et 342).

4.2.4.8. La Bosnie-Herzégovinene conteste pas qu'ence qui concerne le titre de compétence
constitué par laconvention sur le génocide,l'objetdu différend doit avoir traita convention et

à la responsabilitéqui découle des violations decet instrument. Mais, ainsi conçue, cette base de
compétence est plus largequ'iln'yparaît peut-être premièrevue, et certainement bien plus large
que la Yougoslavie (Serbie et Monténégro)ne l'envisage (voir par exemple ses observations
du 23 août 1993, p. 15).

4.2.4.9. Premièrement, le génocidetel qu'il est défini dans la convention de 1948, doit
nécessairement être envisagé danusn sens large, comme ilressort destravauxpréparatoires ainsi
que de l'intentiondes auteurs et des parties contractantes. Ce point sera développé ci-dessous au
chapitre 5. 4.2.4.10. Deuxièmement,s'il nesaurait faire de doute que la Cour a compétenceen ce qui
concerne le crime de génocideperpétrpar 1'Etatdéfendeur,ses agents et auxiliaires,ainsi que tous
les autres faits illicites énuàél'articleIII de la convention,elle a également compétencepour
ce qui concerne les conséquencesde ces crimes. C'estce que la Cour a laissé clairement entendre

dans la motivation du paragraphe 42 de sa deuxième ordonnancedu 13septembre 1993. Dans ce
paragraphe, la Cour a expliqué qu'ellene pouvait admettre, aux fins d'une demande en indication
de mesures conservatoires, que

1- ô O «la partition et ledémembrement))ou l'annexion d'unEtat souverain, ou sonabsorption
par un autre Etat, pourrait en soit constituer un acte de génocide...))
(C.I.J. Recueil 1993, p. 345).

Maisen même temps laCourfaitclairementcomprendrequ'elleestcompétentepourconnaîtred'une
telle ((partition))et d'un tel((démembremen,'unetelle annexion ou d'une telle absorption,pour
autant qu'ilssont la conséquenced'ungénocide(ibid, p. 345-346). Le demandeur soutient que tel
est bien le cas et que la partition et le démembrementdela Bosnie-Herzégovineet l'absorptionpar

I'Etatdéfendeur,dansson propre territoire,de parties importantes decet Etat souverain,constituent
l'objetet le but poursuivis par 1téfendeur,et sont par conséquentdes conséquences illicitesdu
crime de génocide.De même,laBosnie-Herzégovineesten droit de s'opposerau génocidepar tous
les moyens possibles dans l'exercice de son droit naturel de légitime défense et de bénéficier de
l'aideet de l'assistance humanitaire des autres Etats et de la communauté internationale.

4.2.4.11. Troisièmement, dans la mêmeoptique, «il convient d'avoirà l'esprit que des
comportements qui, de prime abord. ne semblent pas releverde» catégories de comportements
énumérés à l'articleIII de la convention de 1948

((pourraientbien, en fait, en faire partie s'ilest possible d'établir qu'ils conduisentou
contribuent de façon suffisamment directeun génocideou à des actes de génocide))
(opinion individuelle de sir Hersch Lauterpacht, C.I.J. Recueil 1993, p. 413).

A l'évidence,en effet, tous les faits de la Yougoslavie(Serbie et Monténqui contribuenà la
perpétrationd'un génocide relèvent dela compétence de la Cour en vertu de I'article de la
convention sur le génocide. Cette clause confèrà la Cour compétence à l'égarddes différends
relatifs l'«exécution»de la convention; par voie de conséquence, tous les faitsqui contràbuent
la perpétrationdu crime de génociderelèventdela compétencedela Cour. Ainsi, par exemple. les
violations des lois de la guerre ou le recours illiciterce par 1'Etatdéfendeur pourraient,en
tant que tels, échapperla compétencedela Cour telle qu'elle est prévue dansla convention;mais
-1 Q,?,
. L . s'ilsont été commisen vue de perpétrerun génocide,et pour autant qu'ils l'ontété ce but, ils
relèventde sa compétence. Commenous le démontrerons(voir ci-dessouschapitres 5 et 6), tel est
effectivement le cas.

4.2.4.12. Comme la Cour l'areconnu en 1951dans son avis consultatif relatif aux réserves
à la convention pour la préventionet la répressiondu crime de génoci:e

((Laconvention a été manifestement adoptée dansun but purement humain et
civilisateur. On ne peutêmepas concevoir une convention qui offriraità un plus

haut degréce double caractère, puisqu'elle vise d'une pàrsauvegarder l'existence
mêmede certains groupes humains, d'autre part à confirmer et à sanctionner les
principes de morale les plus élémentaires. Dans une telle convention les Etats
contractants n'ont pasd'intérêsropres; ils ont seulement tous et chacun, un intérêt
commun, celui de préserver les fins supérieures qui sont la raison d'être dela
convention. Il en résulte quel'onne saurait, pour une convention de ce type, parler
d'avantagesou de désavantagesindividuelsdesEtats,non plus que d'unexactéquilibre contractuel à maintenir entre les droits et les charges. La considération des fins
supérieures de la convention est, en vertu de la volontécommune des parties. le

fondement et la mesure de toutes les dispositions qu'elle renferme.))
(C.I.J. Recueil1951, p. 23.)

4.2.4.13. La Bosnie-Herzégovine montreraplus en détail (voir chapitre 5 ci-dessous)que le
génocideest un fait internationalementillicite et, plus précisément,un crime contre la paix et 12
sécurité de l'humanité,interditpar une norme impérativedu droit international généra 0lu.scogens).
Il s'agit làà l'évidence,d'une obligation erga omnes comme la Cour l'aexpressémentadmis en
l'affairede la Barcelona Traction, Light and Power Company, Limited,deuxièmephase :

«Ces obligationsdécoulentpar exemple,dans ledroit international contemporain,
de la mise hors la loi des actes d'agressionet du génocidemais aussi desprincipes et
des règles concernant les droits fondamentaux de la personne humaine, y compris la
protection contre la pratique de l'esclavageet la discriminationraciale. Certainsdroits
de protection correspondantsse sont intégrésau droit international général (Réserves
à la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide, avis
consultatif, C.I.J. Recueil1951, p. 23); d'autres sont conféréspar des instruments
internationauxdecaractèreuniversel ouquasi-universel.))(C.I.J. Recueil 1970, p. 32.)

4.2.4.14.Cette constatation ades conséquences importantesen ce quiconcerne lacompétence

de la Cour car :

«Une distinction essentielle doit ...être établieentre les obligations des Etats
envers la communautéinternationaledans son ensemble et celles qui naissent vis-à-vis
d'unautre Etat dans le cadre de la protection diplomatique. Par leur nature même, les
premièresconcernenttous les Etats. Vu I'importancedesdroits en cause,tous les Etats
peuvent être considérécsomme ayant un intérêjturidique a ce que ces droits soient
protégés...))Ibid.)

4.2.4.15. En d'autrestermes,tout Etat a un «intérê jtridique))a poursuivre enjustice un Etat
qui commet un génocide (àcondition qu'un lienjuridictionnel existe entre les deux Etats en litige)
et cela, que les victimes de ce génocidesoient ou non ses propres citoyens et quel que soit le lieu
où le crime est commis. 11en découle,en l'espèce, quela Bosnie-Herzégovine pourraitmême
poursuivre la Yougoslavie(Serbie et Monténégro) enjustice sans avoir à prouver que les victimes
sont des Bosniaques, et quand bien mêmeles actes de génocide seraientcommis sur le territoire
dlEtats tiers ou sur celui de 1'Etatdéfendeur lui-même, ce qui montre bien I'importancede la
convention et de ses dispositions.

4.2.4.16. Il appert en conséquence :

i) que l'articleIX de laconvention sur le génocideconstitue une base appropriéesurlaquelle
la Cour peut fonder sa compétenceen I'espèce;

ii) que cet article doit, de mêmeque les autres dispositionspertinentesde la convention, être
interprété conformémena tux règles usuelles d'interprétationdes traités;iii) que la Cour a compétencepour se prononcer sur tous les aspects du différend caractérisés

par l'existenced'unrapportraisonnableavec laconventionsur legénocideet. en particulier,
surtoutes les conclusionsrelatives aux faits de1'Etatdéfendeurqui ont constituéun moyen
de commettre un génocide et/ou ont contribué asa perpétration,et relatives a toutes les
conséquencesde tels faits; et

iv) que, le génocide constituantun crime en droit international, la Bosnie-Herzégovinea un
intérêtjuridique elte droit de poursuivre la Yougoslavie(Serbie et Monténégro)enjustice
à raison de tous les actes de génocideou comportements assimilés. CHAPITRE 4.3

4.3.0.1. L'Etatdéfendeurn'apas directement contestéla recevabilité dela requêteprésentée
par la Bosnie-Herzégovine. Cependant, à plusieurs reprises, il a laissé entendre que certaines
difficultés pourraient existàrcet égard. La Yougoslaviea fait allusion à deux points différents:
premièrement, elle semble affirmer que la Cour devrait éviter d'exercersa compétencevu que
d'autres organes de l'Organisationdes Nations Unies s'occupentdu différend; deuxièmement, elle

fait valoir que le différenda un caractère exclusivement interne. Aucune de ces allégationsn'est
tant soit peu fondée.

Section 4.3.1.Les activitésd'autres organes de l'organisation des Nations Unies
sont sans intérêt aucunen l'espèce

4.3.1.1. A plusieurs reprises au cours de la procédurerelative aux demandesen indicationde
mesures conservatoires, I'Etatdéfendeura soulevé des exceptionsen s'appuyant sur le fait que le
Conseil de sécurité était saisi l'affaireen vertu du chapitreI1de la Charte des Nations Unies.

Comme la Cour l'anotédans sa première ordonnance,

«la Yougoslavie a appelél'attention sur lesnombreuses résolutions adoptéespar le
Conseil de sécurité de l'organisation des Nations Unies au sujet de la situation dans
l'ex-Yougoslavie et sur le fait que, à cet égard, le Conseil de sécuritéa pris des
décisions surla base de l'article 25de la Charte et a indiquéde façon expresse qu'il
agissait envertu du chapitreVI1de laCharte; ...laYougoslavieprétend qu'en I'affaire,
tant que le Conseil de sécurité agit conformément à cet article et en vertu de ce
chapitre, ((l'indication par la Cour de mesures conservatoires serait prématuréeet

inappropriée, particulièrement s'agissant demesures conservatoires du type de celles
qui ont été demandées)) (C.I.J. Recueil 1993, p. 18-19;voir aussi les déclarations de
M. Rosenne, 2 avril 1993,CR 93/13, p. 16-17,20-21 et49-50; et les observationsde
la Yougoslavie (Serbie et Monténégro)du 9 août 1993, p. 9-10).

4.3.1.2. Bien que la Yougoslavie (Serbie et Monténégro)ait fait au moins une fois
expressément valoir que «le Conseil de sécuritédemeure activement saisi de l'ensemble de la
question soulevée dansla requête introductive de cette instanceet dans la demande en indication
de mesures conservatoires))(CR 93/13, p. 17), on ne voit pas très bien si cette exception visait

uniquement les mesures conservatoiresdemandéespar la Bosnie-Herzégovineou si elle étaitaussi
censée s'appliquerà la requête elle-même.

'7 ~I' 4.3.1.3. En tout état de cause, comme la Cour l'a rappelé dans son ordonnance du
8 avril 1993,

«mêmesi la Charte ((départagenettement les fonctions de l'Assembléegénérale etdu
Conseil de sécuritéen précisant que, à l'égard d'undifférend ou d'une situation
quelconque, la premièrene doit faire aucune recommandation sur ce différendou cette

situation,àmoins que le Conseil de sécurité ne le lui demande, ..aucune disposition
semblable ne figure dans la Charte sur le Conseil de sécurité etla Cour. Le Conseil
a des attributions politiques; la Cour exerce des fonctions purement judiciaires. Les
deux organes peuvent donc s'acquitter de leurs fonctions distinctes mais complémentaires a propos des mêmes événements))(Activités militaires et
paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci (Nicaragua c. Etats-Unis%mérique,
compétence et recevabilité, arrêt. C.I.J. Recueil 1984, p.434-435).»
(C.I.J. Recueil 1993, p. 19.)

4.3.1.4. Il existe une jurisprudence constante et bien établie de la Cour (cf.Personne1
diplomatique et consulaire des Etats-Unisà Téhéran, arrêd tu 24 mai 1980, C.I.J. Recueil 1980.
p. 20-22 - voir aussi Alain Pellet, «Le glaive et la balan-Remarques sur le rôle de la CIJ en
matièrede maintien de la paix et de la sécurité internationales)),dansInternational Law at a Time
of Perplexity - Essays in Honour of Shabtai Rosenne, 1989, p. 541-550) et il faut noter que,
contrairementauxallégationsde I'Etatdéfendeur(cf.CR 93/13,p. 21), en l'affaireLockerbie. lefait
que le Conseil de sécurité aitagi en vertu du chapitre VI1de la Charte n'apas empêché la Cour
d'examiner les demandesen indication de mesures conservatoires(mêmesi elle les a rejetéespour
d'autres motifs) (ordonnances du 14 avril 1992, C.I.J. Recueil 1992, p. 3 et 114).

Section 4.3.2. Le caractèreprétendument&terne» du différend

4.3.2.1.A plusieurs reprises au cours de la procédure antérieureen l'espèce,la Yougoslavie

(Serbie et Monténégro) a insisté surle fait quea situation qui s'est créée en Bosnie-Herzégovine
est une situation de guerre civile avec tout ce que cela entraîne)) (plaidoirie dM. Rosenne,
2 avril 1993,CR 93/13, p. 49; voir aussi l'exposéoral de M. Zivkovic, ibid., p. 2-6et observations
du 9 août 1993, p. 8).

4.3.2.2. On ne voit pas bien si cette insistance est censée, dans l'espritde I'Etatdéfendeur,
avoir une conséquence quelconquepour la recevabilitéde la requête.Quoi qu'ilen soit, elle n'en
a aucune.

4.3.2.3. Laquestion de savoir si la Yougoslavie(Serbie et Monténégro) participeou non au
génocide perpétré contre des parties de la population de la Bosnie-Herzégovine (ainsi que contre

lapopulationmusulmanede I'Etatdéfendeurlui-même)constitueprécisémeln atprincipalequestion
de fond en I'espèce. Le demandeur soutient que la Yougoslavie (Serbie et Monténégro)non
seulementparticipe à ces événements dramatiquesmais est aussi à l'originede ces derniers et que
les autorités de Belgradeont décidé, organiséet dirigéet sont en train d'organiser et de diriger
l'infâme politique de génocide dénommée ((purification ethnique)) en vue de réaliser le rêve
chimériqued'une((grandeSerbie))par recours a l'agression. Dans lesconclusions qu'ila formulées
dans sa requête, et limitées (sous condition)en leur portée dans le présent mémoire, 1'Etat
demandeur prie la Cour de rendre une décisiondéclarant1'Etatdéfendeur responsable de ces faits
internationalementillicites et décidant qu'uneréparation/restitutionest due au titre des dommages
causéspar ces faits.

4.3.2.4. Il faut ajouter que le génocideet les autres faits illicites connexes, commis par la
7-7 Yougoslavie(Serbie et Monténégro),équivalens t,elon leGouvernementde la Bosnie-Herzégovine,

a des crimes internationaux - au sens que le droit international donneà cette expression (voir
ci-dessous cinquième partie). Cela découle clairement de l'article19 du projet d'articles de la
Commission du droit international (CDI) sur la responsabilité des Etats, aux termes duquel

«Le fait intemationalement illicite qui résulted'une violationpar un Etat d'une
obligation internationale si essentielle pour la sauvegarded'intérêts fondamentxed
la communauté internationalequesa violation est reconnuecomme un crime par cette
communauté dansson ensemble constitue un crime international.)) (Par. 2.) Parmi ces crimes, le paragraphe 3 du projet d'article19 énumère

- l'agression,

-
«uneviolationgraved'uneobligationinternationaled'importanceessentiellepour lasauvegarde
du droit des peuples à disposer d'eux-mêmes)),et

- «une violation grave et à une large échelled'une obligation internationale d'importance
essentielle pour la sauvegarde de l'être humain, comme celles interdisant l'esclavage,le
génocide, l'apartheid)- violations qui sont toutes en cause en i'espècesoit directement
(génocide)soit parce qu'elles ontconstituéune conséquencedu génocideou ont constitué un
moyen de le commettre. Ces crimes sont, par essence, internationaux.

4.3.2.5. Au moins deux conclusions principales peuvent être tiréed se ces considérations:
premièrement, le différend porté devantla Cour par la requête du 20 mars 1993 est
incontestablementinternational;et, deuxièmement,si l'Etatdéfendeurdevaitcontesterun faitaussi
évident,la contestation ne pourraitêtre considéré comme revêtanu t n caractèrepréliminaire;elle
est,à l'évidence,si indissociabledu fond de l'affaireque la Cour n'auracertainement pas d'autre

choix que de ((jugerque l'exceptionest tellement liéeau fond ou a des points de fait ou de droit
touchantau fondqu'onne sauraitl'examiner séparémen stnsaborderlefond» (BarcelonaTraction,
Light and Power Company, Limited, exceptions préliminaires,arrêt du 24juillet 1964,
C.I.J.Recueil 1964, p. 43). - 115 -

CHAPITRE 4.4

4.4.0.1Le Gouvernement de laBosnie-Herzégovinefait respectueusement observer que les
deux Etats en litige sont parties la convention sur le génocide dont l'articleIX est une base

appropriéesurlaquelle lacompétencepeutêtrefondéeeq tu'aucuneexceptionne peut, sérieusement,
être soulevée contrela recevabilité de la requête.

4.4.0.2.Cependant, il faut reconnaître qu'ense contentant de cette base de compétence,le
Gouvernement de la Bosnie-Herzégovinea limitélaportée desa requête(les conclusionsformelles
qu'ila déposées ont,en conséqiience,étémodifiées).

4.4.0.3.Une fois de plus, le Gouvernement de la Bosnie-Herzégovinetientà préciserqu'il
demeure convaincu de l'existence d'autrestitres valides de compétence,mais qu'en raison des
circonstancesparticulières et de l'urgencede l'espèce,il a décidé de se concentrer surl'article
de la convention sur le génocide que1'Etatdéfendeura acceptéde considérercomme untitre valide
de compétence. Si la Yougoslavie (Serbie et Monténégro)ne remet pas en cause son acceptation
de ce titre de compétence - ce que de toute façon elle n'est pas en droit de faire - la
Bosnie-Herzégovine selimitera aux questions liéesà la convention sur le génocideau cours des
phases suivantes de la procédure; maissi'Etatdéfendeur soulèvedes exceptionspréliminaires,le
Gouvernementde laBosnie-Herzégovineseréserve ledroit d'invoquertous lesautrestitresexistants

de compétence. LES ACTES PERPÉTRÉSCONSTITUENTUN GENOCIDEET LES
ACTES COROLLAIRESDE CELUI-CI

CHAPITRE 5.1

LES ANTÉCÉDENTS ET L'ESPRIT DELA CONVENTION

Section 5.1.1.Un crime du droit des gens

5.1.1.1. Le génocideest un crime qui est définidans la convention de 1948 sur le génocide
(convention pour la préventionet la répressiondu crime de génocide, résolution 260 (III) du
9 décembre 1948de l'Assemblée générad lees Nations Unies; Nations Unies, Recueil des fruités,
vol. 78, p. 277). Bien qu'auxtermes de l'article premier de cette convention «les Parties
contractantes...s'engagentà préveniret àpunir))ce ((crimedu droit des gens)),le génocide avait
déjà étédéfinidans l'acted'accusationdu 8 octobre 1945 contre des grands criminels de guerre
allemands (Procès des grands criminels de guerre allemands, Nuremberg, 14 novembre 1945-
1" octobre 1946, Nuremberg, 1947, vol. 1,p. 43-44). De plus, une résolutionde l'Assemblée
générale de 1946 adoptée à l'unanimité«affirme que le génocideest un crime de droit des ge...
et pour lequelles auteurs principaux et leurs compli..doivent êtrepunis))(résolution96 (1)du

11 décembre 1946de l'Assemblée générad les Nations Unies, intitulée«Lecrime de génocide))).

5.1.1.2. Ce point est repris dans la résolution180 (II) de l'Assemblée génélees Nations
Unies dans laquelle l'expression«crime contre l'humanité)st utiliséela fois pour souligner que
de tels actes sont reconnus au niveau international comme contraires aux dispositions les plus
fondamentales des normes internationaleset pour préciser quele génocidene se limite pas, comme
l'aétéle jugement prononcé à Nuremberg, aux crimes de guerre contre la paix et la sécuritéde
l'humanité(la Commission du droit internationale serapar la suite appeléà codifier ces crimes
contre la paix et la sécurité.Voir le comitéspécial dugénocide,de I'ECOSOC(ci-aprèsle comité
spécial), rapport ducomité etprojet de convention,El974, 24 mai 1948, p. 7).

5.1.1.3. En employant délibérémenlte terme «affirme», la résolutionde 1946 entendait
signifier sans aucune ambiguïtépossible que le génocide était déjràeconnu comme un crime de
droit des gens (selon le code justinien2,1, lejus gentium est «le droit que la raison naturelle a
établientre tous les hommes, et qui jouit d'un respectgénéral tout particulier))).En 1948,avant
mêmel'adoptionde la convention par l'Assembléegénérale et son ouvertureà la signature àtla
ratification, lacommunautéinternationale avait donc affirmésans équivoqueque le génocide était
l'exemple par excellence d'uneviolation dudroit, droit dont le respect est reconnu par tous comme
étantla condition sine qua non(le l'appartenancà la communautédes Etats et peuples civilisés.

5.1.1.4. Qu'unstatut spécial soitreconnuaugénocideest manifestedans larévulsion éprouvée
dans le monde entier notamment - mais en aucun cas uniquement - à l'égarddes activitésdes
acolytes de Hitler. LaCour internationalede Justice l'areconnu. Dans sonavis consultatif de 1951
sur les Réservesà la convention sur le génocide,la Cour a di: «les principes qui sonà la base
? i'3 de la convention sont des principes reconnus par les nations civiliséescomme obligeant les Etats
mêmeen dehors de tout lien conventionnel)) (Réservessur la convention sur le génocide,
C.I.J. Recueil 1951, p. 23). 5.1.1.5. Le but de la convention de 1948n'étaitdonc pas de créerun nouveau crime mais
1) de définirplus précisémentun ensemble d'obligations juridiques contraignantespour les Etats
et les individus;2) deprévoir lesmoyensjuridiques defaire respectercesobligationset prohibitions
par les individus; et 3) de s'assurerque les différends entre Etats relatifseur responsabilité au
regard de la convention soient portés devantla Cour internationale de Justice en vue de leur
règlement.

Section 5.1.2. Buts et principes de la convention surle génocide

5.1.2.1.Comme laBosnie-Herzégovineledémontrera,ces buts ressortent clairementdutexte
de la convention et des travaux préparatoires, demême quede la pratique suivie ultérieurement.

5.1.2.2. Toutefois,il est utile de saisir d'embléel'esprit de la convention. Il est mis en
lumièrepar les considérations liminairesexprimées dansl'avisconsultatif que la CIJ a donnéen
1951 :

«Les origines et le caractère de la convention, les fins poursuivies par
l'Assemblée généraleet par les parties contractantes, les rapports que présentent les

dispositions de la convention entre elles et avec ces fins, fournissent des éléments
d'interprétationde la volontéde l'Assembléegénérale et des parties. Les origines de
la convention révèlentl'intentiondes Nations Unies de condamner et de réprimerle
génocidecomme «un crime dedroitdes gens))impliquantlerefus dudroit à l'existence
de groupes humains entiers, refus qui bouleverse la conscience humaine, inflige de
grandes pertes à l'humanité,et qui est contraire a la foàsla loi morale eà I'espritet
aux fins des Nations Unies.)) (Ibid., p. 23.)

5.1.2.3. Poursuivant, la Cour a affirmé :

«Les fins d'unetelle convention doivent égalementètreretenues. Laconvention
a été manifestement adoptéedansun but purement humain et civilisateur. On ne peut
mêmepas concevoir une convention qui offrirait à un plus haut degréce double
caractère, puisqu'elle vise d'une part à sauvegarder I'existence mêmede certains
groupes humains, d'autre part a confirmer età sanctionner les principes de morale les
plus élémentaires...Laconsidération des fins supérieures delaconventionest, en vertu
de lavolontécommunedes parties, lefondementet lamesurede toutes lesdispositions
qu'ellerenferme.)) (Ibid.)

5.1.2.4. Toute tentative d'interpréterla convention quise veut fidèlel'espritde ses auteurs
età leurs objectifs passe par l'examendes travaux préparatoires. Dans son avis consultatif de 115
sur les Réserves à la convention sur le génocide,la Cour internationale de Justice a déjàmis en
lumièrela pertinence des travaux préparatoireset de l'historiquede l'adoptiondu texte en question.
Par exemple, la Cour a fait observer en l'occurrence que,bien que la convention sur le génocideait
étéadoptée à l'unanimitépar l'Assembléegénérale réunie en séance pléniè erl, «est néanmoins
le résultatd'une sériede votes prisàla majorité [ce qui]peut rendre nécessaire pour certainsEtats
de formuler des réserves))(ibid., p. 22). De plus, bien que la convention elle-même reste muette

sur laquestion des réserves,laCour a acquis laconviction, au vu destravaux préparatoires, ((qu'une
entente s'estforméeau sein de l'Assemblée générale quant à la faculté d'apporterdes réserve..et
qu'il est permis d'en conclure qu'au moment d'y devenir parties les Etats y ont donné leur
assentiment)) (ibid, p. 22-23). Comme la Cour l'a soulignédans son avis consultatif sur lesRéserves à la conventionsur legénocide,s'agissant d'untraité entretenant des liens aussi étroits

avec l'histoireet l'ordre public, recours aux travaux préparatoireseà l'historiquede l'adoption
du traité est d'une aideinestimable pour saisir le sens des termes mêmes.

5.1.2.5.Gardant à l'espritces restrictions importan-eà savoirque la convention codifie le
droit préexistantet que cette codification doit s'analyserlumièredesprincipessupérieurset des
objectifs moraux clairs des auteurs du texte et des Etats quitratifi- le demandeur se propose
à présentd'examinerles dispositions de la convention qui constituent la basejuridique sur laquelle
reposent ses allégations. La Bosnie-Herzégovine soutient que la République fédérative de
Yougoslavie (Serbieet Monténégrov )iole de façon flagrante lesobligations lesplus solennelles qui

découlent pour elle de la convention sur le génocide. Plus précisément,la République de
Bosnie-Herzégovineaffirme que.la Républiquefédérativede Yougoslavie(Serbie etMonténégro)
a commis un génocide;que. bénéficiant de complicités,cette dernières'estabstenue de prévenirce
génocide, dontelle a encouragéla perpétrationet à laquelle elle a prêassistance; et que celle-ci
s'estabstenue de punir les personnes qui avaient commis ou aidéà commettre ces actes prohibés. '-120 -

CHAPITRE 5.2

LA PORTÉE DE LA CONVENTION

Section 5.2.1.Les crimes interdits par la convention de 1948

5.2.1.l. L'article III de la convention frappe d'illicéisctes suivants :

«a) le génocide;

b) l'entente en vuede commettre le génocide;

C) l'incitationdirecte et publiquàcommettre le génocide;

4 la tentative de génocide;

e) la complicitédans le génocide)).

5.2.1.2.La Bosnie-Herzégovine démontrerq auetous cesactesont été etdemeurent perpétrés
sur son territoire (voir la résolution820 (1993) du 17 avril 1993 du Conseil de sécurité, qui a
réaffirmé «la souveraineté,I'intégritterritoriale et I'indépendancepolitique de la Républiquede
Bosnie-Herzégovine))) parla République fédérativd ee Yougoslavie (Serbie et Monténégro), qui

aurait dû les prévenir, y mettrefin et punir leurs auteurs. L'intégterritoriale et I'indépendance
politique de la Républiquede Bosnie-Herzégovine sont réaffirmée dsans la résolution820 (1993)
du 17 avril 1993 du Conseil de sécurité.

5.2.1.3. Aux termes de l'articleII de la convention, le génocide s'entend

«de l'unquelconque des actes ci-après,commis dans l'intentionde détruire,en tout ou
en partie, un groupe national, ethnique. racial ou religieux,comme tel:

«a) meurtre de membres du groupe;

b) atteinte graveà I'intégrité physique omuentale de membres du groupe;

C) soumission intentionnelle du groupe àdes conditions d'existence devant entraînersa
destruction physique totale ou partielle;

4 mesures visant àentraver les naissances au sein du groupe;

e) transfert forcé d'enfantsdu groupe à un autre groupe)).

5.2.1.4. Les événementsqui se déroulent aujourd'huien Bosnie-Herzégovine correspondent
à la définitionque laconvention donnedu génocide.Commenous l'avonsexposédansladeuxième
partie (chap. 2.2), selon des rapports fiables établispar des observateurs de premier plan au nom
d'organisations spécialiséeset impartiales intergouvernementales et non gouvernementales, des

centaines de milliers de personnes ont ététuées, torturées, violéeest transforméesen victimes en
se faisant imposerdes conditions de vie devant entraîner la destruction physique partielle ou totale
desgroupes (ethniques, raciauxou religieux) auxquels elles appartiennent. Ces mauvaistraitements n'ontpas été infligésu hasard. Comme indiquédans la troisièmepartie, le rapporteur spécialde
la commission des droits de I'homme,M. Tadeusz Mazowiecki, a indiqué quela grande majorité
des personnes passées tabac, dévalisées. violéeest contraiàtfuirétaientnon serbes et que cela
«est incontestablement à rapprocher des objectifs politiques énoncés et poursuivispar les
nationalistesserbes...))(A.471666;S/24809,17 novembre 1992,annexe,p. 7,par. 12) L'Assemblée
généralea affirméqu'elleétait atterréepar les «viols..sévices généralisés don ts femmes et
les enfants sont victimes)) et, en particulier,par le fait que les forces serbes recourent
systématiquement à ces pratiques contre les femmes et les enfants musulmans en
Bosnie-Herzégovine)()résolution81143du 20 décembre1993de I'Assemblée généraledes Nations

Unies). Les Musulmans au premier chef, mais également la population croate de
Bosnie-Herzégovine, ontétéles victimes de cette campagne délibérée. e n'estpas un hasardles
victimes sont choisies en fonction de leur religion, de leur ethnie ou de leur apparteàaune
groupe.

5.2.1.5. Ces actes ne sont pas non plus le fait de criminels ordinaires agissantà titre
personnel. D'aprèslerapport du comité pour l'élimination deaiscriminationraciale, il est évident
((qu'ilexistaitdes liens entre la Republique fédérde Yougoslavie (Serbie et Monténégroe)t les
milices et groupes paramilitaires serbes responsables de violations massives, grossières et
systématiquesdes droitsde I'hommeen Bosnie-Herzégovine))(Nations Unies, Documents oficiels
de l'Assembléegénérale, quarante-huitièmesessions,upplémentno18(Al48118),par. 537,p. 109).
En décembre 1993,l'Assemblée généra des Nations Unies a condamnésans réserve«le fait que
les forces serbes continuent de violer la frontière internationale)) de la Bosnie-Herzégovine
? 98 (résolution48/88 du 20 décembre1993 de I'Assembléegénérale des NationsUnies, par. 4) et a
conclu, par consensus, que les détentions arbitraires, les exécutions sommaires, les viols et les
tortures«vis[aient]principalemenl:lapopulation musulmanevirtuellementmenacéed'extermination))
(résolution481153du 20 décembre1993de I'Assembléegénérale des Nations Unies, préambule).

L'Assembléegénérale a égalementconcluqueces actesépouvantablesconstituaientdes ((pratiques))
érigées «en politique))(ibid., par. 6). Mais pa? L'Assembléegénéralte o,ujours par consensus,
a conclu que si des violations étaientégalement commisespar d'autres,

«les dirigeants du territoire contrôlé par les Serbes en Bosnie-Herzégovin...les
commandants des forces paramilitairesserbes et les chefs politiques et militaires de la
Républiquefédérativede Yougoslavie (Serbie et Monténégro) sontles principaux
responsables de la plupart de ces violations))(ibid., par. 4).

Ainsi, le rapporteur spécial dela commission des droits de I'homme(voir ElCN.411992lS-119,
28 août 1992et suiv.), la sous-commission de la lutte contre les mesures discriminatoireset de la
protection des minorités(voirrésolution19921103du 13août 1992),la commission des droits de
I'homme (voir résolution 19921s-111)et l'Assemblée générale onttous conclu que les actes
équivalant àun génocide ontétéet sontcommis, et qu'ilssont pour l'essentielimputablesauxforces
serbes. De fait, dans larésolution 47/1218 décembre1992,l'Assembléea conclu quecesactes
constituaient«une forme de génocide))(préambulede la résolution471121 du18 décembre1992

de l'Assembléegénérale).De meme, la commission d'expertsinstituéepar le Conseil de sécurité
a estimé que «ces pratiques ...pourraient également relever dela convention sur le génocide))
(S125274,par. 56). En 1994, l'Assemblée généralaede nouveau conclu que le viol de femmes
musulmanes était utilisé comme ((instrument de la politique de ((nettoyageethnique)) et que
((l'ignoblepolitique de ((nettoyage ethnique)) était une forme de génocide))(résolution481143 .
du 20 décembre1993 de l'Assemblée générale des Nations Unies, préambu eltepar. 2). La Cour
?. .9 ne manquera certainement pas detrouver convaincantescesconclusionsdedroitetde fait,exposées
plus longuement dans la troisième partie. 5.2.1.6. La Cour est maintenant appelée à inscrire dans la réalitéle but solennel de la
convention sur le génocide. Dans cette perspective, la plupart des termes de I'article sont
heureusement parfaitementclairs. Point n'est besoinde rechercher,dans lajurisprudence nationale
des Etats auteurs de la convention ou dans les travaux préparatoires, ce quel'ondoit entendrepar
«meurtre» ou par «atteinte graveà l'intégrité physiqueu mentale)). Il n'ya aucune difficultà
rattachercestermes àlaterribleréalitédessouffrancesinfligéeà laBosnie-Herzégovine, résumées

dans la deuxième partie de ce mémoire. La présentepartie sera en revanche axéesur certains
termes et notions plus ambigus que la convention emploie pourformulercertaines interdictionset
qu'un examen des travaux préparatoirespourra servir à élucider.Plus précisément, nous nous
attacherons àrépondreaux questions suivantes :

1) à qui lesauteursde laconventionentendaient-ilsfaireporter laresponsabilitédes actesillicites
énoncés ?

2) quelles responsabilitésles Etats ont-ils assumées aux termes dela conventio?

3) la norme de preuveapplicableaux différendsfondés sur la responsabilitédes Etatsest-elle de
caractère civilou pénal?

4) que doit-on entendrepar l'expression((détruire,n tout ou en partie)),qui figàrI'articleI?
et

5) que doit-on entendre par l'exigenceposée à I'articleII que les actes soient ((commisdans
l'intentionde...));et quelle est la norme de preuve applicable en lamati?re

Section 5.2.2. Ceuxà qui les auteurs de la convention entendaient
faire porter la responsabilité

5.2.2.1. Conformément à I'article IV, les interdictions portéespar la convention et les

dispositionsrelativesauchâtimentdes auteursde violationss'appliquentaux ((personnes)),((qu'elles
soient des gouvernants, des fonctionnairesou des particuliers)).

5.2.2.2. Toutefois, la convention n'envisagepas seulement la nécessité de s'attaquer aux
auteurs de violations agissant à titre personnel. Bien au contraire. L'articleIX prévoit
expressémentune autre éventualitép , rofondémentenracinée dansla période historique queles

auteurs de la convention venaient detraverseràsavoir «la responsabilitéd'un Etaten matièrede
génocideou de l'unquelconque des autres actes énuméré sI'articleIII)).

5.2.2.3.Ainsi, la conventiondéfinitle génocideet ses crimescorollaires;elle établit que ces
crimes pourront êtreimputables àtoute une séried'individusà quelque niveau qu'ilsse trouvent,
et aussi aux Etats.Quand un délitest commis par un Etat, un ((délitinternational est constitué
quand un sujet de droit international agit en violation d'une obligationjuridique internationale»

(Jenningset Watts,Oppenheim's InternationalLaw, 9'éd., vol.1,première partie,p. 502,sect. 146
(1992)). La République de Bosnie-Herzégovine reconnaît qulea Républiquefédérativede
Yougoslavie(Serbie et Monténégroe )st dotée dela ((personnalitéinternationale)).En s'appuyant
surles faitset ledroit,elle démontreraque ce sujet dedroit internationala commislesdélitsdéfinis
dans la convention sur le génocide. 5.2.2.4. La convention définitla conduite qui constitue le délitqu'elle cheàcinterdire.
Premièrement, aux termes de I'article IX,un Etat peut être coupable degénocidesi lui-mêmeou
sesreprésentantsofficiels ou agents commettent un génocide,ainsi que défiàI'article II,ou bien

I'undes actes corollaires tels que l'incitaàila commission du génocideprévue à I'articleIII.
Deuxièmement, un Etat peut être responsable de l'inexécution d'une obligationjuridique
particulièrementsolennelleau regarddesarticles1,IV, Vet VI s'il s'abstientderecourir auxorganes
et instruments de son ordre interne pour interdire aux personnes de commettredes actes génocides
ou pour les en empêcher. Troisièmementu ,n délit estcommis quand un Etat, en violation de
l'obligation quilui incombeconformémentauxarticles 1et VI, s'abstientde poursuivre et de châtier
les personnes qui ont commis I'undes actes prohibés. En d'autrestermes, les Etats sont tenus non
seulement de ne pas commettre le génocide de Vunedes manières indiquées,mais d'interdire et
d'empêcher activement la commission de tels actes et de châtier ceux qui les commettent.

5.2.2.5. Le texte de la convention, dont I'articleIX énonceque

«les différendsentreles Partiescontractantesrelat..à laresponsabilitéd'unEtat en
matière de génocideou de I'unquelconque des autres actes énumérés à I'articleIII,
seront soumis à la Cour internationale de Justice,à la requête d'unePartie au
différend)),

indique clairement que les Etats sont débiteursde ces obligations.

C'est surlabasedecette disposition que laRépubliquedeBosnie-HerzégovineaccuselaRépublique
fédérative de Yougoslavie(Serbie et Monténégro) de commettreet d'encourager à commettre un
génocide. C'estégalementen vertu de cette disposition que la Républiquede Bosnie-Herzégovine

accuse la Républiquefédérativede Yougoslavie (Serbie et Monténégro) de manquer gravement à
son obligation de veiller, pour reprendre les termes de l'articàe«l'applicationou l'exécution
de laprésenteconvention)). 11est flagrant que la Républiquefédératide Yougoslavie (Serbie et
Monténégro)a manqué à ses obligations, aux termes des articles 1, IV et VI, de prévenir la
commission des crimes énuméréd sans la convention et de poursuivre et de châtier les auteurs de
ces crimes.

5.2.2.6. Ce n'est du fait d'un simple caprice de ses auteurs que la convention fait reposer
- 92 directement sur les Etats une responsabilité distincte de celle qui pèse sur les individus. Au
contraire, le membre de phrase ((la responsabilitéd'un Etat en matière de génocideou de I'un
quelconque des autres actes énumérésà l'articleIII» est I'aboutissement deI'undes débatsles plus

intenses qui ait eu lieu au sujet d'unepartie de la convention. Ce membre de phrase ne figurait ni
dans le premier projet du Secrétariat,ni dans le projet élaborépar le comité spécialdu Conseil
économiqueetsocial (comité spécial,op. cit., p. 38 et note de bas de page).

5.2.2.7. Toutefois, mêmeau cours de la phase de rédaction,la Sixième Commission de
l'Assembléegénéralea indiquéson intention de rendre les Etats directement responsables. Dans
sa résolution 180 (II), l'Assembléegénéraledéclare que ((le crime de génocide est un crime
international qui comportedes responsabilitésd'ordre nationalet international pour les individuset
pour les Etats)) (préambule,op. cit.; les italiques sont de nous). La notion de responsabilité des

Etats a étéreprise par laixièmeCommission de l'Assembléegénérale,lorsqu'ellea examinéle
projet du comité spécial(Nations Unies. Documents ofSicielsde l'Assembléegénérale,Sixième
Commission,comptesrendusanulytiquesdesséances21 septembre-10 décembre1948;ci-après«la
SixièmeCommission))).A cette occasion, lereprésentant dela Franceanoté«que legouvernement
soit auteur ou complice, sa responsabilitéest engagéedanstous les cas» (ibid., p. 146). Alors que
la France et un certain nombre d'autresEtats ont préfédans un premier temps la créationd'un
tribunal pénalinternational pourjuger les régimes auteurs deviolationsid, p. 339), c'esten fin de compteune approche différente,proposéepar la Belgique,qui a été retenue.Elletenait compte
de ce qu'untribunal pénalinternational, habilitéuger les Etats commeles individus,pourraitne
pas être créé avant longtemps. Ainsi, comm leerelate le compte rendu analytique. délégation
belge a préféré recourir unejuridiction existante,la Cour internationalede Just..qui ..peut

203 constater I'inexécution,ar un Etat, de I'engagementde réprimerlesactes prévus.(ibid., p. 338).

5.2.2.8.Surce point, laBelgiquea reçu l'appuiduRoyaume-Uniqui,tout du long,a souligné
que «la question principale))était celle de«la responsabilité qu'encourent les pour les actes
degénocidequ'ils commetteno tuqu'ilstolèrent))(ibid,,p. 702). La SixièmeCommissionn'aadopté
l'amendementcommunde la Belgique et duRoyaume-Uni à ce qui est devenu I'articleIX qu'après
de longues délibérations eà une majorité de23 voix contre 13,avec 8 abstentions (ibid.,p. 447).
Les propos du représentant britannique, sirerald Fitzmaurice (qui devait devenirjuge). restent
instructifs:

«S'il se précisequ'un génocide esten voie de perpétration, toute partià la
convention peut en saisir la Cour internationale de Justice... Conformément à
I'article94 de laCharte, lesEtats Membres sont légalementtenusde se conformeraux
décisions delaCour internationale. En outre, le paragraphe2 decet article 94 prévoit

que si un Etat ne satisfait pas aux obligations qui lui incombent en vertu d'unarrêt
rendu par la Cour, l'autrepartie peut recourir au Conseil de sécurité.

La délégationdu Royaume-Unia toujourstenu compte du fait que, du pointde
vue pratique, il est extrêmement difficile de traenjustice des gouvernants etdes
chefs d'Et&, sauf peut-être à la suite d'une guerre. En temps de paix. il est
pratiquement impossibled'exercerunejuridiction internationaleou nationale efficace
sur des gouvernantsou des chefsd'Etat. C'est pourquoiladélégatiodu Royaume-Uni
a considéréqu'il était indispensable,pour établirune convention efficace sur le
génocide,de prévoirque les actes de génocide seront soumis la Cour internationale
de Justice, et d'introduirela notion de la responsabilité internationaledes Etatsou des
gouvernements.)) (Ibid., p. 444.)

5.2.2.9.Ainsi, il ressort très clairement des travaux préparatoirle projetd'articleIX a
été délibérément amen par la SixièmeCommission del'Assemblée généralepour incluredans la
2 4 conventionunedispositionspécifiqueprévoyant,outrle aresponsabilitédesindividusetdesgroupes,
une responsabilitédes Etatsà raison des actes prohibés.

Section 5.2.3. Les obligations que la convention metà la charge des Etats parties

5.2.3.1.Bienentendu,I'articleIXde laconventionrendlesEtatsresponsablesd'actestels que
le((génocideou ..l'unquelconquedes autres actes énumérés...))aux articIset III. En outre, les
Etats doiventrépondredesviolations des obligationsexpressémentprévues aux articles,IV et VI.
CommeM. Kaeckenbeeck,le représentantbelge, l'adit, letexte qui allait devenir I'articleIX avait
égalementpour effet de conférer compétence à la Cour internationale de Justicepour ((constater

I'inexécutionp,ar un Etat, de I'engagementde réprimer lesactes prévus...))(ibid., p. 338). Quelles
sont ces obligations?

5.2.3.2. L'article1fait obligation aux partiesde «prévenir»la commissiond'ungénocide et
d'en«punir» les auteurs. Ainsi, tout manquement de 1'Etaà prévenirla commission d'actesde
génocide est passible de sanctionsen vertu de I'article. De plus, l'obligationde prendre des
mesures préventivesdu ressort des autorités compétentese se confine pas au territoire sur lequel 1'Etatexerce sa juridiction souveraine, mais s'étendégalement aux zones surlesquelles celui-ci
exerce un contrôle defacto ou sur lesquelles il a les moyens de pré-voire même en faisant
simplementde son mieux pour prévenir - une tragédiehumaine, particulièrementlorsque ce sont
les autoritésqui le représententqui en sont responsablesau moins partiellement. D'autresaspects
de ce manquement abject de la Républiquefédérativede Yougoslavie (Serbie et Monténégro)à
((préveniret..punin) seront abordésci-après,dans la cinquièmepartie.

7 LI 5 5.2.3.3.La carence d'unEtatàprévenirles violations de la convention àpoursuivre des
individus pour detelles violationssont des délitsau regard de cet instrument,que I'Etatait ou non
participédirectementàla commission deces actes, ou qu'illes ait ou non encouragés.La carence
de laRépubliquefédérativede Yougoslavie(Serbieet Monténégro) àétablirlaculpabilitéd'un seul
Serbe en ce qui concerne la séried'atrocitésdécrites dansla deuxième partiedu présent mémoire
est scandaleuseetprouveégalementprimafacie qu'ellea manqué àl'obligationprévuà I'articleIV
de la convention de veilleràce que les personnes ayant participéaux actes énumérés soient
«punies»conformémentaux lois édictéepsar les Etats «pour assurer l'applicationdes dispositions
de laprésenteconvention))(art.). Alors que la Yougoslavie,comme la plupart des autres Etats
parties, a adoptéune loi de cette nature (Institute of Comparative Law, Collection of Yougoslm
Law, vol. XI, Criminal Code (Beograd: 1964),chap. 11,art. 124,p. 75,annexe 5-1)et que, soit
dit en passant, elle I'arendue applicableégalementaux ((citoyensyougoslavesqui commettentdes
délitspénaux à l'étranger)code pénal,ibid, chap. 8, p. 62-63, art. 93), la prohibition légaledu
génocide estinsuffisante. L'articleVI de la convention fait également obligation auxEtats de
traduire les auteursprésumés devalestribunauxnationaux. En outre, I'articleIV exige des Etats
qu'ils s'assurent que«les personnes ayantcommis le génocideou l'unquelconquedes autres actes
énumérés à I'articleIII [soient]punies...)) Nous attirons l'attentionde la Cour sur le fait que, bien

loin de la scène descarnages, en République fédérale d'Allemagne, lstorités ontrecherchéet
arrêtéun Serbe, Dusko Tadic,suspectéde s'être liàdestortures et des mutilationsdans lecamp
de détentionserbe d'omarska (TheNew YorkTimesdu 16février1994,p. A4). La carence de la
Républiquefédérativede Yougoslavie(Serbieet Monténégro) à faire preuve de lamêmediligence
pour s'acquitter de ses obligations constitue une violation de sa responsabilité étatiqueselon
. u i-6 I'articleIX etdonne naissanàeunrecours devantlaCour,quiest indépendantdesallégationsselon
lesquellescet Etat a participédirectement ou indirectemànla commission des actes prohibés.

5.2.3.4.On peutdoncconstaterque laconventionmet trois obligatioàslachargedesEtats

1. ne pas se livrer au génocideou aux actes corollaires décrits aux articlesII et III de la
convention;

2. ne pas manquer -par négligence, défaute diligenceou sympathieavec les auteurs des actes
prohibés- de faire tout ce qui est en leur pouvoiren tant qulEtatpour prévenirla commission
du génocidepar quiconque agissant sousleur autorité,relevant de leurjuridiction dejure ou
defacto ou se trouvant sous leur influenceou sous leur contrôle direct ou indirect; et

3. ne pas manquer -par négligence, défaute diligence ou sympathieavec les auteursdes actes
prohibés- de traduire ces derniers en justice et, par là, de découragerla commission de
nouveaux actes génocidesou de crimes connexes.

La Républiquede Bosnie-Herzégovineprie la Cour de conclure en droit, après un examen
approfondides faitsexposésdansleprésent mémoire, quleaRépubliquefédérativede Yougoslavie
(Serbie et Monténégro)a commis les actes proscrits par la convention et qu'elle a failli a son
obligationde prévenirlaommissiondes actes proscritset de traduire enjustice les auteursde tels
actes qui se trouvent sous son contrôle ou sous sajuridiction. 5.2.3.5. Letexte des dispositions de la convention relaàla responsabilité des Etatsest
parfaitement clair. Il est fait interdictionaux Etats de commettre n'importequel acte énuméré aux
articles II et III. De plus, 1'Etatest tenu d'enquêter,de traduire en justice et de poursuivre les
personnes qui ont commis le génocide, ont conspiréen vue de sa commission, y ont incité,ou s'en
' 0 sont rendues complices. La République de Bosnie-Herzégovine soutient que la République
fédérativde Yougoslavie(SerbieetMonténégro) a commiselle-mêmelesactes interdits énumérés:
qu'elle n'a manifesté aucune diligence pour prévenir leurcommission par les moyens dont elle
disposait-jeu d'influences,financement,etc-et pour empêcherque des personnesne commettent

de tels actes; qu'elle a aussi, de façon flagrante, àson obligation d'appréhender, demettre
en accusation et de condamner les personnes qui relèventde sajuridiction, ou qui ont agi sur ses
instructions, en son nom ou sous son autoritéet queonpeut raisonnablement suspecter d'avoir
commis les actes prohibés.

5.2.3.6.l est clair que les auteurs de la convention ont également envisagéce troisième
aspect de la responsabilité des Etats. Commele représentantdes Pays-Bas l'adit lors des débats
de la SixièmeCommission, l'amendementrelatifàla responsabilitédes Etats qàil'époque, avait
été proposé et approuvé comme ajoutà l'articIX «vise égalementla responsabilité indirectede
1'Etatrésultant dela mansuétude des tribunaux nationauàl'égarddes individus ou des groupes
coupables de génocide))(SixièmeCommission. op. cit.p. 435).

5.2.3.7. En décembre1993, l'Assemblée générale des Nations Unies insisté((pourque les
autoritésdelaRépubliquefédérativedeYougoslavie(Serbie et Monténégro)usendt e leurinfluence
auprès des autorités serbes autoproclaméesde Bosnie-Herzégovine))pour faire celes atrocités

associées au nettoyage ethnique (résolution153 du 20 décembre 1993de l'Assembléegénérale
des Nations Unies, par.0). La Cour est priée d'adopterle point de vue de I'Assembléegénérale
selon lequel les autorités de Belgrade pouvaient exercer une telle influence, et de conclure au vu
des faits que ces autoritésne se sont pas acquittéesdes obligationsque la convention mettait
charge.

A- G8 5.2.3.8.C'esàlaCour qu'ilrevientd'amenerlaRépubliquefédérativedeYougoslavie(Serbie
et Monténégro) à rendre des comptes; de déterminer la portée des actions et omissions
dommageables commises par le Gouvernement de celle-ci; et de donner recours aux victimes.
Comme il est précisé dansOppenheim(9' éd.,op. cit. p. 944, vol1,parties 2-4, sect. 43:)

((Compétencea été dévolue à la Cour internationale de Justiàel'égarddes
différends relatifsl'interprétation, l'applicationet l'exécutionde la convention, y
compris la responsabilité des partàeraison d'actes de génocide.))

La République de Bosnie-Herzégovinerevendique donc devant la Cour son droit à obtenir
réparationàraison des actionset desomissions de laRépubliquefédérativede Yougoslavie(Serbie
et Monténégro)qui ont fait subirà la population de Bosnie-Herzégovinele sort mêmeque la
convention cherchaitàéliminer àtout jamais. CHAPITRE 5.3

LES PRELWESET LES INFÉRE:NCES : LES MODES DE PREUVE PRÉVUS PAR LA CONVENTIOK

Section5.3.1.Les faits et le droit

5.3.1.1Il ressort clairement de l'exposédes faits qui figure dans la deuxième partiedu
présent mémoire quela sinistre réalitédes meurtres, viols, mutilations, destructions et
épouvantement delapopulation musulmane de Bosnie-Herzégovine révèle de lui-mê lmeanevas
d'uneconduitedélibéréeC . 'estle canevasd'un génocide. Diverorganes,commissionset experts

desNationsUnies l'ontconstaté.Toutefois,laCoura laresponsabilitéparticulièred'apprécie,ec
une prudence avisée,les éléments depreuve qui, pour un profane, pourraient sembler établirde
façon évidentela culpabilité delaRépubliquefédérativde Yougoslavie(Serbie et Monténégro).
Heureusement, lestravaux préparatoiresde la convention sur le génocide mettenten évidenceles
normes de preuve queses auteurs ont estimé adéquatesour l'appréciatijudiciaire des éléments
de preuve dans des cas comme celui-ci.

Section 5.3.2. Action civile ou péna?e

5.3.2.1Un examen hâtifdu texte pourrait amenerà des conclusions erronéessur lesrègles
de preuveet la chargede la preuve applicables. L'articlela conventionsur le génocidedécrit

ce dernier comme «un crime du droit des gens)). A ce sujet, la Commissiondu droit international,
dans ses travaux sur le projet de code des crimes contre la paix et la sécuritéde l'humanité
(Nations Unies,Documentsoflciels de l'Assemblégeénéralen,euvièmesession.1954,suppléments
7-21, p. 9 et suiv.) a proposéelle aussi que le code traite le génocide entre autres catégories de
crimes. Celapeutprêterà confusion,puisquelaprésente actionenjustice n'estpaspénaleet qu'elle
ne met pas en jeu une procédureou des règlesde preuve de cette nature. La convention sure
génocidea décrit legénocide comme«un crime du droit des gens))pour une raison limitéeet
précise: affirmer que les Etats, en ratifiant la convention, «s'enàpréveniret à punir))les
personnesqui commettentces crimes. Cette disposition ne visepaàfairetomber sous lecoup du
droit pénalles violations commises par des Etatsl'encontred'autresEtats. Le projet de code
concerneluiaussi laprocédure pénalaepplicableauxviolationsautresque cellescommisespar des

Etatsou àleurencontre. Cette limitation est aujourd'hui incontournable. Coil est relevé dans
3 O Oppenheim's InternationalLaw(9' Cd..op. cil.,535,vol. 1,premièrepartie,sect157)«iln'existe
aucune juridiction dotée d'une réecompétencepénaleinternationale à l'égarddes Etats)).

5.3.2.2Dans une poursuite pénale,le tribunal ou lejury doit normalementêtreconvaincu
sans le moindre doute raisonnable queI'accua commis le crime qui lui est imputé. Cette règle
sejustifie par lasévéritédepseines encouruessi I'acest déclarécoupable(peine demort,peine
privative de liberté...). sejustifie égalementdu fait que, dans un procès pénal,le particulier
se voit confronté la puissance souverainede I'Etat. Aucune de cesjustifications de la nécessité
d'une preuve «sans aucun doute raisonnable)) ne se retrouve dans une instance où la
Bosnie-Herzégovinesollicitedes remèdes dontla nature ne diffèrepas de ceux qui s'appliquenten

cas de manquement grave à un traité etoù aucune des deux parties- et certainement pas la
Bosnie-Herzégovine - n'estplacéedans une situationavantageusepar rapporàl'autre. Les règles
de preuve pertinentes sont donccelles communémentapplicables aux actions «civiles>). 5.3.2.3. Point n'est besoin de spéculàrce sujet. Aux termes de la convention sur le
génocide etdu Statut de la Cour, il s'agit bien d'une action civile. Cela ressort clairement des
travaux préparatoires. LorsqueI'amendement communde la Belgiqueet du Royaume-Uni à ce qui
allait devenir l'articleIX de la convention a été par la SixièmeCommission de l'Assemblée

et qu'ila été incorporé au projeftinal, le représentantbelge a abordé cette question importante. 11
a fait observer que la ((compétence[dela Cour internationalede Justice], certes, ne peut s'étendre
au domaine pénal))(Sixième Commission, op. cir.p. 338). La Commission s'est effectivement
engagée sur cettequestion dans un débat animé, dontil ressort que la plupart des déléguésent
prêtsàaccepter l'introductiond'une «responsabilitédesEtats))que dans la mesure où elle serait de
naturecivile et non pénale. Par exemplM. Chaumont, le représentantde la France, a affirmé que
71 1 son pays «ne s'oppos[ait] nullement au principe de la responsabilité internationale des Etats, du
.- moment qu'il ne s1agi[ssai]tplus de responsabilité d'ordrepénal,mais uniquement d'ordre civil»
(ibid., p. 431), un point sur lequel il a été amplement rapar les auteurs de I'amendementà
l'article IX. Les Pays-Basn'entendaientsoutenir I'amendementque s'ils recevaient des assurances
sur la nature civile de la responsabilitéen cause (ibid., p.Sur le débat relatàfla question
responsabilitéivilelresponsabilitépénale,voir ibid., p. 431-440).e coauteur britannique de
I'amendement,sir Gerald Fitzmaurice, a exprimél'intentiondes auteurs en destermes parfaitement
clair:«la responsabilitéenvisagéedansI'amendementcommunde laBelgiqueet du Royaume-Uni
est la responsabilité internationale des àtla suite d'uneviolation de la convention. II s'agit

d'uneresponsabilitécivile et non pas d'une responsabilité pénale))(, . 440; les italiques sont
de nous). C'est dans cet esprit que les délégués totéen faveur de cette nouvelle disposition
importante qui introduisait la notion de responsabilité des Etatspour le génocide.

5.3.2.4. Le droit international de la responsabilité des Etats reconnaît aussi que la
responsabilitédesEtats s'apparenàelaresponsabilitéciviledanslesordresjuridiques internes,alors
que la responsabilitédes individusen droit international s'apparenteesponsabilitépénaledans
les systèmes nationaux. Comme M. Ago, alors rapporteur spécial, l'a écrit dans le cinquième
rapport de la CD1sur la responsabilitédes Etats (doc. AlCN.41291et Add. 1et 2, Commission du
droit international,Annuaire dlaCD1 1976, vol. II, première partie(1977), p.:3)

«il serait erroné d'assimilerla faculté-devoirreconnuàcertains Etats de punir les
individusauteurs de [crimesde guerre,crimescontre l'humaniet autrescrimesdéfinis

en droit international]a ((formespéciale))de responsabilitéinternationaleapplicable
à 1'Etatdans les cas en question))(ibid., p. 34, par. 101).

Il ajoutait qu'«ilnous semble évident quel'onne saurait en aucun cas parler d'une responsabilité
.- 12 «pénale»de I1Etat»même s'ie lxiste un fondement pour l'applicabilitéaux individus de sanctions
pénales définiesau plan international (ibid., p. 34-35, par. 101, note 154). A titre d'hypothèse,
engager la responsabilité internationalepénaled'un Etàtraison de ses actions

((pourraità la rigueur se justifier dans les cas où la forme de responsabilité
internationale applicable à I'Etatlui-mêmese traduirait en une mesure de nature et à
finalités nettement«afflictivesfibid.).

Cela n'est toutefois pas le cas. Il est clair que la convention sur le génociden'envisage pas

d'intenter contre les Etats des poursuites pénaleset certainement pas devant la Cour internationale
de Justice. 5.3.2.5. En l'espèce,cette question qui pourrait sembler théorique revêtune importance
pratique. Les normes de preuveexigéeset lesmesures de redressement possibles sont sensiblement
différentesselon qu'il s'agitd'une responsabilitécivile ou pénale. Les mesures de redressement
sollicitées devant la Cour sont de nature civile. En revanche, il convient d'aborder l'importante
questionjuridique de savoir quelles normes de preuve la Cour devra appliquer car, de la réponse
àcette question,dépendralamanière dontlaRépubliquedeBosnie-Herzégovineprésentera sathèse.

5.3.2.6.Alors qu'ilressortclairementde sesarticles III que laconvention met àlacharge
des Etats parties l'obligationjuridique d'engagerla responsabilitédes auteurs deviolation selon les
règlesdu droitpénal,la Cour internationale de Justice doit appliquer le droit de la responsabilité
civile aux Etats ayant commis les actes proscrits par la convention ou ayant négligé depoursuivre
et de punir les auteurs de ces actes se trouvant sous leur contrôle ou sous leurjuridiction. Ainsi,

les normes de preuve appropriées,généralemenr teconnues comme telles par les ordresjuridiques
nationaux, sont celles de la prépondérancela preuve et, pource qui est des inférences,la balance
des probabilités. En outre, si c'eàla partie qui prétendavoir subi un dommage qu'il incombe
3 Î 3 d'apporterla preuve des actes illicites. il peut y avoir renversement de la charge de la preuve dans
certaines circonstances. dont quelques unes sont réuniesen l'instance.

Section 5.3.3. La charge de la preuve et les présomptionsdans les actions civiles

5.3.3.1. Indépendammentde la question des mesures de redressement, la reconnaissancede
la nature civile de la présenteaffaire est importante en ce qu'elle est susceptible d'avoir des
conséquencessur l'économiedes preuves que le demandeur doit administrer pour obtenir gain de

cause.

5.3.3.2. L'articledu pacte international relatif aux droits civiques et politiques réaffirme
ce qui est universellement reconnu comme une règle générale dansune instance pénale : ((toute
personne accusée d'uneinfraction pénaleest présumée innocentejusqu'à ce que sa culpabilité ait
étélégalementétablie))(NationsUnies, Recueildes traités,vol. 999, p. 192). Comme l'adit le
rapporteur dans son commentaire du projet de statut pour une cour criminelle internationale, le
procureur «a la charge de prouver chaque élémentdu crime au-delà de tout doute raisonnable ou
conformément à la règle qui doit êtreappliquéepour établir la culpabilité ou l'innocence de
l'accusé» (Rapport de la Commission du droit international sur les travaux de sa
quarante-cinquièms eession,Assemblée générale,Docunientsofficiels, supplémen to10 (A/48/1O),

p. 319).

5.3.3.3. Néanmoins,ce n'estpaslà la norme de preuve applicableaux actions civiles. Dans
une instance civile, après que Pedemandeur a produit des moyens de preuve convaincants de
certainsfaits essentiels, lajuridiction peut en déduire,ou inférer,certainsautresélémentsparce que
cette opérationest conforme aux règlesordinaires de probabilité desurvenance des événements.
II incombe alors au défendeur dedémontrerque de telles déductions, inférenceou présomptions
ne sont pas fondées dans le cas d'espèce. Dans une procédure pénaleaussi, il est permis de
procéderpar inférencemais, si tant est qu'ilpuissevoir renversement de la charge de la preuve,
cela n'arrive que rarement.

5.3.3.4.L'exposédesfaits contenu dans ladeuxième partiedu présent mémoire invitlaCour
à tirer des inférencesetàdemander au défendeurde réfutercelles-ci. Les inférences sont des
déductionslogiques àpartir de faits démontrésqui correspondenà ((l'expériencommune))ou au
((senscommun)). Par exemple, presque tous les systèmesjuridiques acceptent que l'ontire des
inférencesdans lecadred'actionsciviles,conformément àce que lacommonlawdénomme,en droit de la preuve, le principe de res @sa loquitur(((lachose parle d'elle-même))) (rar exemple,
A. Tunc,«Torts»inInternational Encyclopaedia oC fomparativeLm],vol. 11,chap. 13,p. 34-38,
où l'auteurconclut, aprèsavoir passé en revuelesjuridictions de commonlaw et de droit civil,
qu'«ilest peut-être plsuste de ne pas parler dutout d'uneprésomptionde faute, mais plutôt de
son établissementindirect au moyen de preuves circonstancielles (ibid., p. 38) (J.A. Jolowitz,
auteurde l'article).Endroit français, induiredesprésomptionsestautorisélorsquelescirconstances
s'y prêtent

«La charge de la preuve imposée au ministère public oàu la partie civile est
parfois allégéear l'existencede présomptions légales ou conclusions tiréelarloi
de faits connus ou simples à établir. Fondées sur une probabilité imposée par
l'expérience,llesjouent enmatièrepénaleun rôlebienmoinsimportantqu'enmatière
civile; leur utilitéest cependant indiscutable,car elles simplifientdes preuves parfois
trèsdifficiles ou impossiblàsrapporter. Les présomptions favorableàl'accusation
facilitent d'ordinairelapreuve d'undesélémensel'infraction.»(MerleetVitu, Traité
de droit criminel etdeprocédure pénal(e4e éd.),Paris 1989,p. 162,par. 126,annexe
5-11.)

5.3.3.5.Les lois et pratiques d'autres systèmes juridiques permettent égalnet tirer des
?? 5 inférences,et que des faits avéréconstituent des commencementsde preuve d'autresfaits non
établis, parfoisdans des instances pénales, mais sutans les affaires civilesoù la répartitionde
la charge de la preuve n'est pas aussi favorable au défendeur. Le système juridique de la
République populairede Chine admet, même dansune affaire pénale,que la charge de la preuve
se déplacevers un fonctionnaireaprèsqu'ilait étdémontré que les biens ou le train de vie de ce

dernier dépassaient largemenstes revenus officiels. Ainsi, ledéfendeur peutêtrerequisdejustifier
ses autres revenus et,s'iln'yparvientpas, il en sera ique l'écartntre ses revenus officielset
ses biens ou son trainde vie est le fruit d'activités ill(Supplementary Regulations on the
PunishmentoftheCrimesof Corruption andBribery,entréen vigueurle 21 janvier 1988.Chinese
Judicial Dictionary (Ji Lin People'sPublishing House, 1991), p. 572. Annexe 5-111). De telles
inférencessont plus courantesen matière civile. Par exemple, en Chine,dans une action civile
engagée à raison de l'effondrementd'un ((immeubleou de tout autre type d'installatio...le
propriétaire oule gestionnaire encourent une responsabilité civiles qu'ilsne prouventqu'ils
n'ontcommis aucunefaute.))(TheGeneralPrinciples ofthe Civil Lawof thePeople's Republic of
Chine,entrés en vigueurle 1"janvier 1988,article 126. Annexe 5-IV).

5.3.3.6. Sous une forme ou sous une autre, tous les systèmes juridiques permettent, dans
certaines circonstanceset tout particulièrementen matière civile, d'inférer d'un faitavuné
fait dont la preuve est impossibleapporter. Il existe en droit allemand une «notionde preuve

prima facie qui s'apparenteau principe deres ipsa loquitur[en commonlaw]» . En outre, selon
le principe de VerkehrssicherungspJ (qiuiotnene,du fait de ses activitésou de ses biens,
génèredans la vie quotidienneun danger potentiel pourles intérêsu lesdroits d'autrui,est tenu
- 16 d'assurerlaprotectiond'autrui contre lesdangersqu'ilgénèreai(B. S. Markesinis,Comparative
Introductionto the GermanLaw of Tort,2' éd., Oxford,1990,p. 64. Annexe 5-V.)

5.3.3.7.Dans le cadre d'une action civile,la mesuredans laquelle la responsabilitépeut être
établiepar des élémentsde preuve circonstanciels dépend, oueud((senscommun)),de la mesure
dans laquellelespreuvesnoncirconstancielles pertinentes sont impossiàlobtenirou setrouvent
exclusivementsouslecontrôle du défendeur. Parexemplel,aRépublique fédérativ deYougoslavie
(Serbie et Monténégro) a-t-elle déployéles efforts sincèresqui s'imposaientpour poursuivre en
justice et condamner les auteurs des crimes prohibéspar la conventio? Seule la République
fédérativede Yougoslavie (Serbieet Monténégro) ese tn mesure d'administrerla preuve de tels efforts, si tant est qu'elleexiste. àala multitude des actes interdits qui ont étécommis, c'est
àla partie la mieux placéepour le faire qu'ilrevient dejustifier cette tragique incongruité. Comme
la Courl'adit dans l'arrêt qu'ea rendu dans l'affairedu Détroitde Corfou:

«le contrôleterritorialexclusif exercé par 1'Etatdans les limites de ses frontièresn'est
pas sans influence sur le choix des modes de preuves propres à démontrercette
connaissance. Du fait de ce contrôle exclusif. I'Etatvictime d'une violation du droit
international se trouve souvent dans l'impossibilitéde faire la preuve directe des faits
d'oùdécouleraitla responsabilité.)).(Détroit deCorfou, arrêtdu 9 avr1949. C.I.J.
Recueil 1949, p. 18.)

5.3.3.8. En l'espèce,la République de Bosnie-Herzégovine priera laCour de tirer des
inférencesàpartir des canevas de faits avérés. inférencesse rattacherontau point de savoir si

la Républiquefédérativede Yougoslavie (Serbie et Monténégro)a déployéles efforts sincères
auxquels elle étaittenue pour s'acquitterdes obligationsqui lui incombent en vertu de l'article
de la convention,c'est-à-dire pour prévenirle génocideet pour instruirecontre les personnes ayant
. - 7 commis legénocideen violation de laconvention et des deuxordonnancesen indicationde mesures
conservatoires que la Cour a rendues, pour les poursuivre et pour les punir. Par exemple, vu
l'ampleur, la duréeet la brutalitédes meurtres, viols et actes apparentés, et le fait qu'ils ont été
commis à proximité du territoire de la République fédérative deYougoslavie (Serbie et
Monténégro),il est raisonnable de demanderà cet Etat de réfuterl'inférencede complicité etde
manquement à son obligation tie prévenir les actes de génocideet d'en punir les auteurs, en
établissantde façon convaincante que son gouvernement a déployétousles efforts raisonnableset
diligents pour s'acquitterde ses obligationsjuridiques.

5.3.3.9. La Cour sera également invitéeà tirer une inférence quantà «l'intention» dans
laquelle la Républiquefédérativede Yougoslavie (Serbie et Monténégro)et les personnes qu'elle
a aidéesou qui se trouvaient sous son contrôle ont commis les faits avérés (voir ci-dessous).

5.3.3.10. Dans son ordonnance du 13 septembre 1993, la Cour a indiquéà titre de mesure
conservatoire que

«Le Gouvernement de la République fédérative de Yougoslavie (Serbie et
Monténégro) doit immédiatement, conformément à l'engagementqu'il a assuméaux

termes de la convention pour la préventionet la répressiondu crime de génocidedu
9 décembre 1948, prendretoutes les mesures en son pouvoir afin de prévenir la
commission du crime de génocide.))(Applicationde laconventionpour laprévention
et la répression du crime de génocide(Bosnie-Herzégovinec. Yougoslavie(Serbie et
Monténégro))o ,rdonnance du 13 septenzbre1993,C.I.J.Recueil1993,p. 342, par. 37.)

La Républiquefédérativede Yougoslavie (Serbie et Monténégro)s'est-elle efforcéede bonne foi
de remplir ses obligations Lorsqu'elle examinerasi la Républiquefédérativede Yougoslavie
(Serbieet Monténégro) a pris effectivement toutes les mesures qui étaienten sonpouvoir, la Cour
sera invitéeexercer son pouvoir discrétionnairepour tirer certaines inférencesdes faits avéréset
pour procéderà des déductionsjuridiquesà partir de canevas établis d'actionset d'omissions. La

Cour sera égalementappelée à déterminerlaquelle des deux Parties est la mieux placéepour
démontrerlamesure dans laquelle la Républiquefédérativde Yougoslavie (Serbieet Monténégro)
s'est conforméede bonne foià l'ordonnancede la Cour. Section 5.3.4. Le critère requis: l'intention de «détruire,en tout ou en partie»

5.3.4.1. Aux termes de l'article II de la convention, le génocides'entendd'actes commisà
l'encontred'«ungroupe national, ethnique, racial ou religieux» dans i'intentionde le ((détruire.en
tout ou en partie)).l n'est pasnécessaire que les faits avérés établisqtu'ungroilpe entier ou la
plupart de ses membres ont été tués. Sulra toile de fond de l'Holocauste, il ressort des travaux
préparatoires de la convention sur le génocide que les auteursde ladite convention entendaient
frapper la tentative d'extermination et ne pas retenir le bras de la justice, en attendant que cette
tentative ait été couronnéd'unsuccèspartiel ou complet.

5.3.4.2. L'expression«en tout ou en partie)) a été ajouteu projet d'article II. Le comité
spécialdu génocide de I'ECOSOC avait défini le génocide comme consistant en des «actes ...
commis dans l'intention de détruireun groupe national, ethnique, racial ou religieux)). Cette
formulation a été modifiépear l'ajoutde l'expression«entout ou en partie))aprèsle mot ((détruire))
(AlC.61228,Nations Unies,Documentsoflciels de l'Assemblég eénérale,troisièmesession,première
partie (SixièmeCommission), soixante-treizièmeséance). Cet amendement a également trait à la
question du seuil de massacres requis.

5.3.4.3. D'autres élémentsindiquent que la Sixième Commissiona délibérément cherché à

abaisser le seuilà partir duquel des actes de violence pouvaient recevoir la qualification de
génocide. Alors que le projet du comitéspécialparlait de ((soumission à des traitements ou
conditionsde vie destinéà entraîner lamort))(Nations Unies,Bulletin, 15 novembre 1948,p. 429),
la SixièmeCommissionapréféré une formulationdifférente:((soumissionintentionnelle du groupe
à des conditions d'existence devant entraîner sa destruction physique totale ou partielle))(article II
C)de la convention sur le génocide). Ainsi,les rédacteurs de l'Assemblée ont exprimé deux fois
la mêmeidée(((entout ou en partie))et ((totale ou partielle)))pour s'assurer que la gravité dela
transgression devant être établipour que le crime soit constitué neretarde pas la mise en Œuvre
de la convention jusqu'à ce que les massacres aient atteint leurs pleines conséquences.

5.3.4.4. Dans lemêmebut, l'articleIII a étprofondémentremaniépour incluredes actes qui
n'étaient pascompris dans le projet du comité spécial,notamment ((l'ententeen vue de commettre
le génocide)),((l'incitation commettre le génocide))«, latentative de génocide))et «la complicité
dans le génocide)). L'ajoutde ces crimes corollairesest particulièrementpertinent dans le cadre de
l'actionengagéepar la République de Bosnie-Herzégovine,puisque l'existence de ces crimes ne
dépenden rien de la mesure dans laquelle leurs auteurs ont«réussi)>à détruirele groupe visé.

5.3.4.5. Pourquoices changementsont-ilsété apportésverl safin du processusde rédaction ?
Les experts ont souventfait observer que «le génocidequi mèneà l'exterminationd'ungroupe n'est
pas forcément l'assassinat immédiadt'uncertain nombre d'êtres humains)) (S. Plawski, Etude des
principes fondamentaux du droit international pénal, Paris, 1972,p. 115). Raphael Lemkin, qui
a inventéle mot «génocide» et participéen tant qu'expert à la rédactiondu projet de texte du
Secrétaire générala, expliqué que «le génociden'implique pas nécessairement la destruction
? 3 r) immédiated'une nation maisplutôt «un plan coordonnéde plusieursactions visant à la destruction
t- -- des fondements indispensables à la vie de groupes nationaux))(R. Lemkin,AxisRule in Occupied
Europe, Washington, 1944, p. 79. Annexe 5-VI).

5.3.4.6. Les rédacteurs de la convention avaientà l'esprit l'histoirede l'empire européen
d'Hitler et les différentes modalités adoptéesar celui-ci pour détruire les races non aryennes
assujetties. Certaines devaient être entièrement annihilsar des assassinats en masse, alors que
d'autres devaient être détruiteplus progressivement. C'est le représentantdu Gouvernement
yougoslave qui a soulignéquela politique délibérémentsuivip ear l'Allemagnedurantl'occupation de son pays, et qui consistaàchasser la majorité slave decertaines régions afind'yinstaller une
nouvelle population allemande,constituait un exemplede génocide. M. Bartos l'aexpriméen des
termessuccincts :«On peut commettre legénocideen contraignant ungroupe humain àabandonner
ses foyers.)) (Nations Unies, Documents oflciels de l'Assembléegénérale,troisième session,
premièrepartie (SixièmeCommission),quatre-vingt-deuxièmeséance, 23octobre 1948,p. 184-185.)
A l'époquecommeaujourd'hui,cesopérationssont inévitablementmenées enrecourantà laviolence
età la terreur contre une partie seulement du groupe, qui fait l'objetd'assassinats,de mutilations,
de tortureset de viols afin de produire l'effetvoulu sur I'ensemblede celui-ci. La convention visait
àrendre passible de sanctionstoute entreprise génocide, qu'ellesoit dirigée contreI'ensemble d'un
groupe ou contre une partie seulementde celui-ci, et qu'elle parviennene éradicationtotaleou
seulement partielle de ce groupe.

5.3.4.7. Cet aspectdes travaux est confirmépar une étudepréparéen 1978par le rapporteur
spécial,NicodèmeRuhashyankiko, chargéde faire rapport à la sous-commission de la lutte contre
les mesures discriminatoires et de la protection des minoritésCN.41Sub.21416,4 juillet 1978,
ci-après le ((rapport Ruhashyankiko))). Cette étude relevait que la Commission des questions
juridiques de l'Assemblée générale avaa itccordéune attention toute particulièrecette question
lorsqu'elleavaitexaminéetreviséle projet de convention. Ainsi, sur «le point desavoirdansquelle
mesure un groupe doit être détrutour qu'unacte commisdans cette intention puisse être qualifié
de génocide, il a généralement étéconvenu au cours des débats à la SixièmeCommission qu'il

n'étaitpas nécessaireque l'acte soit dirigé contre I'ensembledu groupe.Il suffisait qu'un acte
génocidevise la destruction partielle d'ungroupe. En conséquence,un amendement (AlC.61228)
tendantà l'insertiondes termes (:<totou partielle))dans le projet du comité spéciala étéadopté.
Le but évident de cet amendement étaitde préciserqu'il n'étaitpas nécessaire de tuer tous les
membres d'un groupe pour commettre un génocide))(Nations Unies, Documents ofJiciels de
1'Assemblégeénérale,troisième.session,premièrepartie (SixièmeCommission),soixante-treizième
séance). Les observations du Gouvernement des Etats-Unis d'Amériquesur le projet de convention
reflétaientle point de vue commun selon lequel «il est évidentqu'il n'est pasnécessaire que le
groupe soit entièrement détruitpour qu'iyait génocide))(Al401lAdd.2, 18 octobre 1947, p. 2).

5.3.4.8. Effectivement, au cours de la rédaction dela convention, la Sixième Commissiona
très longuement débattula question assez délicatede savoir si un génocidepouvait être commis
contre une seule personne (ibid., p. 15,par. 54). Ilressort manifestement destravaux préparatoires
que l'intention des rédacteursétait de qualifier de génocidesdes actes qui visenà détruireun
groupe, par une politique d'usureou par des moyens plus radicaux et instantanés,en une fois ou
par étapes.

5.3.4.9. Il n'est donc pas nécessaire de démontrer que les assassinats de Musulmans

bosniaqueset lescrimescorollairescommiscontre euxontentraînél'éradicationtotalede ce groupe,
ni mêmequ'ilsy tendaient. Le seuil du génocide tel que définidans la convention de 1948 est
._ a_3- atteint dès lors qu'«un grand nombre de personnes)) (ibid.) ont été visées en raison de leur
appartenance àun groupe ethnique donné.

5.3.4.10. Qu'entend-on par «groupe» visé commevictime d'un génocide ? Le libelléde
l'articleII est suffisamment clair. Toutefois.ressort des travaux préparatoires quela Sixième
Commission a modifiéle projet d'articleIIélaborépar le comité spécialn remplaçant l'expression
((intention de détruire une nation)) par ((intention de détruire,en tout ou en partie, un groupe
national)). D'aprèsl'étudede Ruhashyankiko, les rédacteurs avaientpour intention, en apportantce

changement, de se référer«non pas à des personnes ayant la nationalitéd'un Etat donnéou étant
titulaires d'unpasseport délivpar celui-ci, maià des personnes ayant une culture, une langue et
un mode de vie traditionnels particulierà une nation tout en vivant dans un autre Etat))(ibid., p. 291, par. 59; voir A/C.3/L.1212).L'Etat de Bosnie-Herzégovineest constituéde plusieurs
groupes nationaux et religieux. Ainsi, le texte revisé a délibérément, et avecune grande
clairvoyance,défini les actes degénocided'unemanière qui correspond parfaiteàelanature de
latragédiequevivent aujourd'huiles Musulmans de Bosnieet d'autresgroupes qui partagent l'idéal
delaRépubliquedeBosnie-Herzégovine d'unEtatpluricultureldanslequeldiversgroupesnationaux
peuvent coexister pacifiquement.

Section5.3.5. Comment doit-on entendre la référence à«l'intention» faità l'article ?I

5.3.5.1. Aux termes de I'artIIde la convention, le génocide s'entde l'unquelconque
des actes mentionnésdans ledit article ((commisdans I'intentionde dét..)un groupe donné,
en tout ou en partie. L'exigence d'unetelle ((intention))créerait des problèmesindéniablesen
2 3 l'espècesi l'onen déduisait quela République de Bosnie-Herzégovine doit prouvrétatd'esprit
individueloucollectifdesauteursdesatrocitésdontcertainessontévoquéesdansladeuxième partie
du présent mémoire.

5.3.5.2.Néanmoins,il est important de garderl'espritl'instructionque la Cour a donnée,
dans son avis consultatifde 1951,de lire la conveàtla lumière deses fins moralessupérieures
et de son objetessentiel. A cet égard,sontégalementpertinents lesdéveloppementsconsacrésdans
le présent mémoireaux normes applicablesen matièrecivilela preuve «d'actes»tombant sousle
coup de la conventionde manière générale. e contexte interditde conclureque la preuve directe
d'unplan d'ensemblede génocide doitêtrenécessairement rapportée pouqrue la convention puisse
s'appliquer des circonstancesdu genre de celles qui prévalentactuellement sur les territoires de
I'ex-Yougoslavie.

5.3.5.3. La questiona étémise en perspective il y a quelques annéespar le philosophe et
spécialistede l'histoire sociale, Jean-Paul Sartre, qui a relevé quela convention ((renvoyait
tacitement aux souvenirs encore vivaces de I'intentionproclamée[d'Hitler et de ses acolytes]
d'exterminer lesJuifs)). Mais Sartre s'empressait desoulignerque peu de gouvernements seraient
assez démoniaquespour proclamer de telles intentions. Ainsi, s'interrogeait-il,ne serait-il pas
possible, voire nécessaire,((d'examinerles faits en toute objectivitépour déceler s'ils révèlent de
façon implicite une intention de commettre un génoc?»e(J.-PSartre,«On Genocide)),in Falk,
Kolko and Lifton, Crimes of War,New York, 1971,p. 534. Annexe 5-VII).

5.3.5.4.Lestravauxnejettent pas unegrande lumière surce point.Lerapport Ruhashyankiko
relèvequ'àla SixièmeCommission de l'Assembléel,espartisansde l'insertiond'uneclauserelative
à I'intentionl'ontdéfenduepour différentesraisonCertains y voyaient une manière d'empêcher
un moyen de défense fondé surl'échecdu génocide projeté;insi, I'intentionet la commissionde
2 4 certains actes suffisaient, quel qu'aitétéle résultat deces actes (rapport Ruhashyankiko,op. cit.,

p. 25-27, par. 96-106). D'autresétaienten faveur de I'insertiond'uneclause reàaI'intention
afin de distinguerlegénocidedeshomicidesordinaires»,c'est-à-diredesmeurtresnon motivéspar
une haine dirigée contreun groupe et qui sont punisen application des lois pénalesordinairesou
du droit de la guerre. Certains promoteurs decette idéeavaient pour objectif de comblerce qu'ils
considéraientcomme une lacunejuridique mise en évidencelors des procès de Nuremberg,où la
persécution de groupes massifs d'individus motivée par une haine irrépressible fondéesur
l'appartenancenationale,ethniqueou autre,n'étaitpasconsidécomme passible desanctionssauf
si elle était perpéten rapport avec la commission, objectivementconstatée,du crime de guerre
ou d'agression(ibid., p. 26, par. 100). 5.3.5.5. Quels qu'aient ételes motifs des promoteurs de la clause relatiàeI'intention, les

rédacteursont essayé de laisser clairement entendre qu'ils voulaient éviter toute échappatoqui
auraitpermis auxauteurs de crimes ignoblessystématiquesdese déroberaux sanctions simplement
en s'abstenant d'afficher leur intention. Par exemple, ils ont finalement supprimé le tenne
((préméditésq)u)i figurait dans le projet d'articleII du comité spécial (comité spél,1794.p. 5;
voir J. Graven, Les crimes contre l'humanité,RCADI(1950-1), p. 494) pour ne pas risquer «de
restreindre de manière injustifiéele caractère criminel de l'infraction))(ibid., p. 495).utre,
comme le représentant des Pays-Basl'afait observer au cours des débatsdu 22 avril 1948relatifs
au projet de convention élaborépar le Secrétariat,

«il doit être établi au-dela de tout doute possib..que ce que l'ona pu appeler le

génocide camouflésera égalemenptuni; il s'agitde casoù i'accusépourrait faire valoir
que l'action incriminée,bien qu'elleait effectivement aboutà la destruction ouà la
contrainte d'ungroupe, n'ëtait pas dirigée contre celui-ci. L'accusé pourrait prétendre
que c'est uniquement par hasard que le groupe s'est trouvé détrutu qu'ila été porté
atteinteàsonexistence ou à sondéveloppement.))(NationsUnies,Documents oflciels,
El623lAdd.3, 22 avril 1948, p. 2.)

5.3.5.6. En outre,lors d'un débat animé,la Sixième Commission a traité la question de
l'intentioncomme tout àfait distincte de celle des motifs (rapport Ruhashyankiko, op. cit., p. 26,

par. 101-105). Ruhashyankiko a relevéqu'au cours du processus de rédaction, certains avaient
proposé d'inclurela notion de motifs dans l'articleII. est instructif de comprendre pourquoi leur
point de vue ne l'a pas emporté. «Il a été opposé à la proposition susmentionnée)),note le
rapporteur, ((qu'uneréférence aux motifs aboutiraàtune définition quipermettrait aux coupables
de prétendre qu'ilsn'ontpas agi sous l'impulsiondel'undes motifs considérés comme nécessaires
pour que le génocide soitprouvé))(ibid., p. 26, par. 104). La suppression de l'élément relatif
motivation illustre donc clairement la déterminationdela Sixième Commission à veillerà ce qu'il
ne soit pas nécessaire l'avenirde démontrer queles auteurs des infractions nourrissaient le genre
de projet délibéré d'assassinats systématiquesmotivpar la haineà l'encontre de certains groupes,
qui avait caractériséle régimenazi et que celui-ci avait érigéen politique nationale.

5.3.5.7. Dans sonrapport,M. Ruhashyankiko a également relevéun point évoqué plushaut
dans cette partie du présent mémoire, à savoir que l'article IX soulève la question de la
responsabilité civile des Etats (ihid.,p. 84-85, par. 324-328). En matière de responsabilité civile,
la règle généralement suiviepar les Etats civilisés est que toutepersonne est réputée avoirvoulu
lesconséquencesnaturelles de ses actes. Ainsi,il sembleque l'intentioncoupable d'unEtat accusé
de génocideau titre de l'articleIX de la convention puisse être démontrép ear une combinaison
d'actes dont la conséquence naturelleet effective est la destruction «en tout ou en partie, [d']un

f- groupe national, ethnique, racial ou religieux, comme tel». Une telle ((intention implicite))est
~- -.6 présumée et le demandeur n'est pastenu de la prouver. Au contraire, c'àla partie dont lesactes
ou lecanevas de conduiteont été établis qu'rlvient de combattrecette présomption. L'auteurd'un
acte sera réputéen avoir voulu la conséquencenaturelle, c'est-à-dire la destruction en tout ou en
partie d'un groupe national,tantque cette présomption n'aurait pasété renversée par la preuve
contraire. Comme M. Lauterpacht l'aécrit dansl'opinionindividuellequ'ilajointeàl'ordonnance
en indicationde mesures conservatoires du 13septembre 1993en la présenteaffaire,((leséléments
probants ont à tout le moins pour effet de renverser complètement le fardeau de la preuve, qui
incombe ainsi au défendeur)) (op.cit. p. 431,par. 67).

5.3.5.8. Cette conclusion a égalementété dégagéedau nse deuxième étude,le rapportétabli
en 1985par le rapporteur spécialde la Commission des droits de l'homme,dans lequel ce dernier
analysait, pour la Commission, la convention sur le génocide.M. Whitaker a écrit que : ((L'étendue relativede la destruction. ou de la tentative de destruction. d'un
groupe par n'importelequeldesmoyensénumérésaua xrticles IIet III de laconvention
constitue certainement une forte présomptionde I'intentionnécessairede détruireun
groupe en tout ou en partie.))E/CN.4/Sub.2/1985/6, 2 juillet 1985. p. 19, par. 29.)

Il conclut dans son rappor:

((11est probable que les cas de génocidene sont pas tous aussi bien documentés
que celui qui a été commispar le régime nazi. On a fait valoir qu'untribunal devrait
pouvoir conclure à I'intention nécessaire en se fondant sur. un nombre suffisant
d'élémentsde preuve et que, dans certains cas, il s'agirait d'actes ou d'omissions
atteignant un degré de négligence ou d'imprudence criminelles telqu'il faille
raisonnablement supposer que l'accuséavait conscience des conséquences de sa
conduite.)) (Zbid.,p. 23, par. 39.)

5.3.5.9. Il ressort clairement des faits exposés dans la deuxièmepartie du présent mémoire
que tel est précisémentle cas, ce qui permet de présumerI'intentionde commettre le génocide. Il
y a lieu de relever qu'en 1948, s'adressaàtla SixièmeCommission de l'Assembléegénérale,le
-.7- représentantde la Yougoslavie avait prévu la nécessitd,ans des circonstances du genre de celles
qui prévalentaujourd'hui, d'induirecertaines présomptionsd'uncanevas de faits. IIsoutenu que
«tout crime contre certains groupes doit être qualide génocide,mêmes'iln'estpas prémédité))
et a fait observer, visiblement en le réprouvant,«auxEtats-Unis, des auteurs de lynchages ont
été acquittépsarce que la préméditationn'avait pas étéétablie))(Sixième Commission, op. cit.,

p. 82). Il a fait valoir avec insistance que le texte ne devait pas «faire dépendrela répression))du
génocide((d'unétatpsychologique subjectif)),maisbien «de la seule objectivitéde l'actecriminel))
(ibid., p. 88), sans quoi letexte ((permetàde nombreux casde génocidede demeurer impunis))
(ibid.)

5.3.5.10. Soitdit incidemment, lecode pénalyougoslave adopte plus oumoins lemêmepoint
de vue. Si l'article 124 duchapitre XI du code incorpore l'articleII de la convention sur le
génocidedans l'ordrejuridique interne yougoslave, y compris la clause relativeà I'intention,le
chapitre II du code (art. par. 2) précisele rôle de I'intention en lestermes suiva:ts

«Une infraction pénaleest commise intentionnellement lorsqueson auteur était
conscient deses acteset en souhaitait lacommission;ou lorsqu'ilétait conscientqu'une
conséquence illégale pourrait résuldre son acte ou de son omission et qu'ila accepté
que cette conséquencese produise.)) (Annexe 5-VIII.)

5.3.5.11. Selon la Républiquede Bosnie-Herzégovine,le Gouvernement de la République
fédérativede Yougoslavie (Serbieet Monténégron )e pouvait ignorerqu'une conséquence prohibée
résulteraitde ses actes et omissioàssavoir la disparition d'unepartie importantede la population
musulmane de Bosnie, mais il a néanmoins contribuéet consenti à ces actes, et il s'est abstenu
.--7 8 d'instruire contre les auteurs de ces actes et de les punir. Le fait même,la portée et les
circonstances de cette disparition permettent d'inférer I'intenimplicite nécessaire,que l'Etat
demandeur puisse ou non apporter la preuve manifeste de I'intentioneffective de 1'Etatdéfendeur
de détruireun groupe en tout ou en partie.

5.3.5.12. La possibilitéde tirer des inférences partir des actions de l'auteur d'undélit,
s'agissanten particulier de I'intentionde commettre un acte, n'estpas prévueen droit yougoslave
uniquement; elle l'est dans de nombreux systèmes juridiques. Aux Etats-Unis,les tribunaux
admettent que des ((inférences facultatives))puissent être tirées, men matièrepénaleet plus facilement encore en matière civile. La Cour suprêmea estiméque les inférences facultatives
relativesà I'intention(par opposition aux «présomptionslégales))d'intention) ne violent pas les
droits constitutionnels du défendeur(Francis v. Franklin, 471 U.S., p. 314 (1985): voir également
Ulster CountyCourt v.Allen,442 U.S., p. 157(1979)). SelonlaCour suprêmedes Etats-Unis. une
((inférencefacultative)) s'apparentene c<présomption» qui, à son tour, «peut constituer un
commencement de preuve)) (Turner v. United States, 396 U.S., p.402, note 2 (1969)).es
juridictions américainespeuvent considérer que ce commencementde preuve permet de tirer une
inférencefacultativeà moins que le défendeurne donne des éclaircissements qui emportentla
conviction du jury)) (ibid., p. 402). On a recours au critère selon lequel «il est plus probable
qu'improbable quele fait présumdécouledu fait avéré donton lefait dépendre))(Lemy v. United
States. 395 U.S., p. 36 (1969)). Dans les litigesqui portent sur lesdroits civiques, ou ilest possible
d'intenter une actioncivile en dommages et intérêpour discrimination intentionnelle. la Cour

suprême desEtats-Unis a décidéqu'unefois que la discrimination a prouvéeprima facie sur la
base desfaits- par exemple, que le demandeur a étélicenciésans aucune raison apparen-e la
charge de la preuve est renverséeet il incombe au défendeurde fournirune explication pour
écarterla présomptionprima facie, c'est-à-dire qu'ildoit «apporter la preuve)) que les mesures
22 9 dommageables ont étéprises pour une raison légitime,et non dans un esprit de discrimination))
(St. Mary's Honor Center v. Hicks,113 S. Ct., p. 2747 (1993)). En d'autres termes, dèsque le
demandeur a prouvéle dommage, c'est audéfendeurqu'il incombe d'avancerdes raisons «qui.si
elles emportent la convictiondujuge desfaits, étayeraientune conclusion selon laquelle lamesure
[dommageable]nerésultepas d'une discrimination illici)ibid., p. 2746, italiquesdans l'original).

5.3.5.13. De même,en l'instance, la Cour devrait considérer que les meurtres, viols,
mutilations et actes de terreur qui ont étéprouvésconstituent un commencement de preuve du
génocide,et que c'est l'auteurde ces actes qu'il revientde démontàela Cour qu'il n'avait pas
((l'intentionde détruire,en tout ou en partie))la communautédont étéprouvé qu'elleavait été
brisée.

5.3.5.14.Dans lessystèmesjuridiquesde droit civilégalement,dans d'importantes catégories
d'affaires laresponsabilitépeut découler d'une présomptiodnefauteoude l'applicationd'unprincipe
de responsabilité objective qui faitreposer la charge de la preuve sur le défendeur aprèsque le
demandeur a établiprima facie le bien-fondéde sa thèse. Ainsi,le défendeurpeut aàprouver
l'absencede négligenceou d'intentionde sa part après quele demandeur a démontrélacommission

d'unacte qui, dans l'ordredes choses, ne se serait probablement pas produitsans une telle intention
(do1ou dolus) ou une telle négligence(faute, cul(1.Brownlie, Systemof the Law of Nations,
State Responsibility, Partxford, 1983,p. 44. Annexe 5-IX; Mazeaudet Tunc, Traitéthéorique
et pratique dea responsabilitécivile, 6'éd., chap.4).

5.3.5.15. En droit anglais, ((l'intentiondeest prouvéedèslors qu'ila édémontré que
33 O ledéfendeura causévolontairement un préjudice,sansqu'il soitnécessairede prouver une intention
malveillante (Wilkinson v. Downton (1897),QB, vol. 2, p. 58-59). Le droit anglais de la
responsabilité civile,s'iltient compte de I'intentionpour de nombreuses catégoriesde délits, traite
généralement I'intentione façon restrictive comme l'intentionde nuire, sans qu'il soit besoinde
prouver la malveillance ou la motivation (Dias et Markesinis, TortLaw, Oxford 1984,p. 169-200.
Annexe 5-X). En outre, l'imprudencedu défendeurface àla possibilitéde dommage peut suffire
à établir I'intention, soit prima facie. soit en vertu du principe res ipsa loquitur. Il suff~tde
démontrerqu'unepersonne raisonnable auraitprévuque des conséquences délictueuses découleraient
des actes ou des omissions susceptibles ddémontrés qui ne sont pas, en eux-même,élictueux
(Clerk and Lindsell on Torts (Londres,89), p. 42-50. 564-577. Annexe 5-XI). De plus, «lorsqu'il est démontré quela chose est sous le contrôle du défendeurou de ses

mandataires,et que I'accidentest de ceux qui ne se produisent pas dans l'ordrenormal
des choses si ceux qui ont le contrôle font preuve de diligence, il est raisonnable de
considérer,en l'absenced'explicationsdu défendeur,qu'ilest prouvéque I'accidents'est
produit par négligence))(Scott v. London and St. KatherineDoch (1865), H & C,
vol. 3, p. 601).

Enrésumée ,n droitanglais comme dansd'autressystèmesjuridiques, unepersonne peutêtreréputée
avoir voulu les conséquencesnaturellesetprobables de ses actes(voir R v. Molonay(Ch. des L.),
A. E., vol. 1, p. 1038 (1985)).

5.3.5.16. Au Canada, le sens de cette règle a été définc iomme suit :«un individu est en
généralcapable de prévoirles conséquencesnaturellesde ses actes de sorte qu'il est raisonnable,

en règlegénérale, de conclurequ'illes a prévueset voulues» (D. Stuart, CanadianCriminalLaw
,Toronto, 1982,p. 121. Voir égalementBwzanga et Durocher(1979),CCC (2e), vol. 49, p. 369
(C.A. Ont.) :

((Puisqueles individus sont en généraclapables de prévoir lesconséquencesde
leurs actes,il est de manière générale raisonnable d erésume rue celui qui commet
un acte susceptible de produire certaines conséquences a prévu également les
conséquencesprobables de sesactes et que, s'ila néanmoins agi demanière à produire
ces conséquences,il les a voulues.» (Ibid.. p. 387.) - 139-

CHAPITRE 5.4

LES ACTES PROHIBÉS AUTRES QUE LES ACTES DE GENOCIDE

Section 5.4.1. L'entente en vuede commettrele génocide

5.4.1.1. Lecomitéspéciala faitobserverque l'ententedevraitêtre considérécommeundélit
à part

«étantdonné ..la gravitédu crime de génocideet ...le fait que le génocidea en
pratiquelecaractèred'uncrimecollectifqui suppose lacollaborationd'un nombre plus

ou moins grand de personnes))(Nations Unies, doc. El794, 24 mai 1948,rapport du
comitéspécialdu génocide,M. Karim Azkoul, rapporteur,p. 8).

A la SixièmeCommission,la seuledifficultésoulevép ear leconceptde complicitéétailtaquestion
de savoir s'il était mieux rendu en droit français par l'expression ((entente en vue de
I'accomplissement de génocide))ou par le terme «complot» (Sixième Commission op. cit.,
p. 211-212). La dispositiona été facilement adoptéepar 41 voix contre zéro, avec4 abstentions
(ibid.,p. 212).Il ressortde l'exposdes faits contenudans ladeuxièmepartiedu présent mémoire
qu'unetelle entente en vue de commettre le génocidea effectivement existé entre despersonnes
placéessous lajuridiction de la République fédérative de Yougoslav(ieerbie et Monténégro)l,es
forces serbes irrégulièreset d'autrpersonnes en Bosnie.

7:f-,
?dl Section 5.4.2. L'incitatioà commettrele génocide

5.4.2.1. Au comité spéciall,es Etats-Unis ont insistépour que le mot ((incitation))soit suivi
de l'adjectif «directe»et ont expliqué queles deux termes devaients'entendred'unactede nature
à créerundanger imminentde commission))du génocide lui-mêm (El794,comitéspécialo ,p. cit.,
p. 8, note 11). Malgré l'oppositiodes Etats-Unis, fondéesur des raisons d'ordre constitutionnel,
la mention de ((l'incitation))conime un acte corollaire distinct prohibépar la convention a été
soutenue par unemajoritéde membres, àla fois au comitéspécial deI'ECOSOCet à la Sixième
Commissionde l'AssembléegénéralS ee.lon lestermesdureprésentantpolonaisM, . Manfred Lachs
(qui allait devenirjugea la C0u.rinternationale deJustice:

«Les victimes du génociden'ont qu'une faible consolation en voyant les
coupablestraduitsenjustice aprèsleurcrime; ilest préférable d'empêch qure lecrime
ne soit commis ...L'incitationau génocideest un de ces cas typiques ou la loidoit
intervenirtrèstôt.)) (Sixième Commission,op. cit., p. 215.)

M. Spanien,le représentant français,a ajoutéque l'argument dela libertéd'opinionsoulevpar les
Etats-Unis«ne saurait convaincre...C'esten matière de génocide, précisément, qlu aerépression
de la propagande s'imposeavec une nécessité absolue.)()Ibid, p. 216.) Le représentantdu
Danemark,M. Federspiel,a ajoutéque le «stade le plus dangereux))était«celui de l'incitation))et
que celle-cidevaitdoncêtre ajoutéeà la listedesactesprohibés (ibid.,p. 220). M. Manini y Rios,

représentant del'Uruguay,a affirméque ((l'histoiremontre que la plupart des cas de génocide ont
été précédé ds'une violentecampagned'incitation))(ibid., p. 222). Il ressortdes faits exposésdans
la deuxième partie du présent mémoireque des personnes placéessous l'autoritéou sous la
juridiction de la Républiquefédérativde Yougoslavie(Serbieet Monténégroe )n ont effectivement
incité d'autres commettre le génocide. Section5.4.3.La tentative de génocide

5.4.3.1. La((tentative)),comme acte proscrit lié autre acte prohibétouten étant distinct,
estcommunémentreconnueetemployéedansunecertainemesuredanstous lessystèmesjuridiques.
L'ajoutde la «tentative»àl'énumération des actes prohibépsar la convention sur le génociden'a
provoqué aucune discussionau stade de la rédaction.Il ressort de l'exposédes faits contenu dans

la deuxièmepartie dece mémoirequ'ily a effectivement eu tentative de génocidelorsde nombreux
incidents.

Section 5.4.4. La complicité dans le génocide

5.4.4.1.l y a eu unanimitéau sein du comité spécil our ajouter la compliciàla liste des
actes prohibéspar la convention (El794, comité spécia, p. cit. p. 8). A la Sixième Commission
de l'Assembléegénérale l, Luxembourg a proposél'adoption d'unamendement au projet du comité
spécial,pour préciser quela compliciténe s'appliquaitqu'aux actesde génocide eux-mêmesenton
à l'entente,l'incitation et la tentative (Sixième Commission, op. cit., p. 254). A cette occasion, il
a précisé que, dans son droit national,la complicité s'entendaitde (d'aideaccessoire, secondaire ou
simplement utile, prêtée l'auteur de l'infraction))(ibid.). Il semblerait que cette définition aitété
retenue par les représentants des Etats à la Commission (voir par exemple, M. Chaumont,

représentant dela France, ibid., p. 255. Au mêmeeffet, voir M. Houard (Belgique), ibid. p. 256,
M. Fitzmaurice (Royaume-Uni), ibid., M. Abdoh (Iran), ibid., p. 258).

.- 734 5.4.4.2. Dans son rapport de 1978 sur la responsabilitédes Etats, la Commission du droit
international a relevéque, dans son projet d'article27, la «complicité»pouvait consister en une
((assistance.sous forme de fourniture d'armes ou d'autresmoyens destinésà aider un autre Etat
à commettre un génocide))(Annuairede la CD1 1978, vol. II, deuxièmepartie, p. 115, par. 13).
Toutefois, une simple toléranceou négligence bienveillantepeut également suffire. Celareprend
leconcept de complicitétel qu'il est utenisémmonlaw, dont ilest originaire. La responsabilité
par complicité est souventune forme de responsabilitédu fait d'autrui. Cela consacrerincipe
de surveillance))en vertu duquel, par exemple

((lesemployeurs sonttenus responsablesdes transgressions pénales de leursemployés

puisqu'ils sont réputés avoir manquà leur devoir d'exercer le contrôle et l'autorité
voulus sur leurs employés)) (K. J.M. Smith, A Modern Treatise on the Law of
Criminal Complicity, Oxford, 1991. p. 8).

Cette mêmedéfinition serait applicable à la responsabilité civile du fait d'autrui. La Cour a
clairement établi que, lorsqu'un gouvernement est tenu en droit international de protéger les
personnescontre lesviolationsde leursdroits par d'autrespersonnes placéessoussajuridiction, une
((carence))de ce gouvernement constitue une violation grave de ses obligations. indépendamment
de la question de savoir si les auteurs des actes illicites ont agi avec la complicité explicite dece
gouvernementou entant qu'agentsde celui-ci(Personnel diplomatiqueet consulairedes Etats-Unis
à Téhéran,arrêt,C.I.J. Recueil 1980, p. 32-33, par. 66-68).

5.4.4.3. Dans son ordonnance du 13septembre 1993, la Cour a préciséque

«Le Gouvernement de la République fédérative de Yougoslavie (Serbie et
Monténégro) doit en particulier veiller à ce qu'aucune des unités militaires,
paramilitaires ou unités armées irrégulièreqsui pourraient relever de son autoritéou
bénéficier deson appui, ni aucune organisation ou personne qui pourraient se trouver
sous son pouvoir, son autorité,ou son influence ne commettent le crime de génocide,
ne s'entendenten vue de commettre ce crime, n'incitentdirectement et publiquement à le commettre ou ne s'en rendent complices. qu'un tel crime soit dirigé contre la

population musulmane de Bosnie-Herzégovine,ou contre tout autre groupe national.
ethnique, racial ou religieux.)) (Ordonnance du 13 septembre 1993, op. cit..
p. 342-343, par. 37.)

Que la Cour ait ainsi repris les termes de l'articleIII montre qu'elle se fait une idéetrès claire de
la signification évidente de ces termes tels qu'ils s'appliquentsituation dans l'ex-Yougoslavie.
11ressort de l'exposédes faits contenu dans la deuxième partie du présent mémoire quela
RépubliquefédérativedeYougoslavie(Serbie etMonténégro)s'esrtenduecontinuellementcomplice
des personnes et des groupes de personnes ayant commis des actes de génocideen République de
Bosnie-Herzégovine. - 142 -

CHAPITRE 5.5

Section 5.5.1.Evolution avant I'entrée envigueur de la convention sur le génocide

5.5.1.1. Comme nous I'avonsdéjà fait observer dansla section 5.1. ci-dessus, le concept de

génocide comme acte d'une gravité et d'une illicéité extrêmes précI èdnetréeen vigueur de la
convention sur le génocide. Ce crime étaitconnu du Tribunal de Nuremberg et évoquépar
l'Assemblée générale dè1 s946 (résolution 96(1)) du 11 décembre 1946). De fait, dans son
ordonnance du 13septembre 1993, la Cour a repris mot pour mot la définitiondu génocidequ'elle
avait donnée dansson avis consultatif de 1951. En 1951, la Cour a définile génocide commele
refus du droitàl'existence de groupes humains entiers,

((refusqui bouleverse la conscience humaine, inflige de grandes peràel'humanité,
et qui est contraiàela foià la loimorale eà l'espritet aux fins des Nations Unies))
(Réserves àla conventionpour laprévention etla répressiondu crime du génocide,
C.I.J.Recueil 1951, p. 23).

En 1993, la Cour a notéque «de très vives souffrances))avaient été subiespar la population de
Bosnie-Herzégovine «dans des circonstances qui bouleversent la conscience humaine et sont à
I'évidenceincompatibles avec la loi morale ainsi qu'avec l'esprit et les fins des Nations Unies))
(ordonnancedu 13 septembre 1993,op. cit., p. 348, par. 52). A I'évidenc,e n'est pas par hasard
que la Cour a choisi de reprendre en 1993 la définition qu'elle avait ddu génocideen 1951.

Section 5.5.2.Définitionsupplémentaire du génocide :celle du projet d'articles de la CD1
sur la responsabilité des Etats

5.5.2.1. L'article 19 du projet d'articles de la Commission du droit international sur la
responsabilité des Etats qualifie le génocidede «crime international))reconnu comme tel par la
((communautéinternationale ..dans son ensemble))(projetd'articles sur la responsabilitédes Etats,
Rapportde la Commission du droit internationaà l'AssembléegénéraleA, nnuairede la CDI 1980,
vol. II, deuxième partie, p. 31). LaD1 relève égalementqu'un crime international tel que le
génocide ((résulted'une violatipar un Etat d'une obligationinternational..essentielle pour la
sauvegarded'intérêts fondamentauxdl eacommunautéinternationale))(ibid.). Comme nous I'avons
relevédans le paragraphe 5.3.2.3 ci-dessus, le terme «pénal»est utiliséici pour qualifier plusieurs
questions sans rapport avec le présentdifférend,par exemple le devoir des Etats de traduire en
justice les auteurs d'actes de génocide se trouvant sousleurjuridiction. En revanche, ce qui est
pertinent en l'instance est le fait qu'il soit reconnu dans le projet d'articles de la CD1 que 1) le

? 3 7 génocidepeut être commispar un Etat en tant que tel et 2) qu'ilconstitue un ((faitillicite))résultant
de laviolation par un Etat d'uneobligationconventionnellefondamentale. Ainsi, le projet d'articles
va dans le sens de lathèse dela Bosnie-Herzégovineselon laquellel'article IX de laconventionsur
le génocide est applicable aux Etats,en tant que le génocide estun crime résultant dela violation
d'une obligation conventionnelle fondamentale laquelle il est impossible de se dérober,violation
pour laquelle les Etats peuvent être tenus responsablespar la Cour. Cela confirme l'acceptation
universelle del'interdiction du génocide,qui atteint le niveau d'importance qui lui vaut d'être
considéréee,n droit international, comme relevant dus cogens (voir Annuairede la CDI 1966,
vol. 2, p. 248-249). Section 5.5.3. Définitionsupplémentairedu génocide :celle de la convention sur
I'imprescriptibilitédes crimes de guerreet des crimes contre l'humanité

5.5.3.1. Cette convention a été adoptép ear l'Assemblée générale et ouvert e la signature
en 1968(Nations Unies,Documents oflciels de l'Assemblée générale,résolution2391 (XXIII) du
26 novembre 1968, entréeen vigueur en 1970). Elle rattache le génocide,tel que définipar la
convention, à d'autrescrimescontreI'humanité tels que définis «dansle Statut du Tribunalmilitaire
international de Nuremberg du 8 août 1945 et confirméspar les résolutions3 (1) et 95 (1) de
l'Assembléegénérale...))(ibid.,artI.b)); plusprécisément,elleseréferea ((l'évictiopar une attaque
arméeou l'occupation»et aux ((actesinhumainsdécoulantde lapolitiqued'apartheid))(ibid.). Alors
que le Statut du Tribunal militaire de Nuremberg et les lois relativàsl'apartheidsont distincts de
la convention sur le génocide,il apparaît que, pris ensemble, ils sont tous trois de plus en plus

souvent reconnus comme faisant partie des instruments de droit international interdisant
l'exterminationcollective et haineuse de personnes en raison de leur appartenance à un groupe.

5.5.3.2. La symbiose entre la convention sur l'imprescriptibilitédes crimes de guerre et des
crimes contre I'humanitéet la convention sur le génocide est encore soulignéepar I'articleII de la
première de ces conventions, qui se déclare applicable,en des termes semblables à ceux de la
convention sur le génocide, aux ((auteursou ..complices)),définis comme les personnes«qui se
rendraient coupables d'incitation directe la perpétrationde l'unquelconque de ces crimes, ou qui
participeraientà une entente en vue de le commettre, quel que soit son degré d'exécution))ainsi

qu'aux((représentantsdel'autoritéde I'Etatqui toléreraientsa perpétration)). Voilàqui rejoint les
termes de I'articleIII de laconventionsur le génocide,dansuntexte plus complet quoiquecohérent
par rapport à celui dudit texte.

Section 5.5.4. Définitionsupplémentairedu génocide : celle du projetde code des crimes
contre la paix et la sécurité de I'humanitéd ,e la CD1

5.5.4.1. Le projet de code, tel qu'adoptéen première lecture par la Commission du droit
international en 1991, qualifie de crime le génocide commispar les personnes, en reprenant la

définition dela convention sur Yegénocide (projetde code des crimes contre la paix et la sécurité
de I'humanité,art. 19, rapport de la Commission de droit international sur les travaux de sa
quarante-troisième session,Annuaire de la CDI 1991,vol. II, deuxième partie,p. 106). Le projet
ne fait que confirmer, et compléterpar d'autres crimes, la liste des actes que la convention sur le
génocideavaitdéjàrendus passibles de poursuites. Mais le projet de code va plus loin que letexte
de laconvention. Il précise que l'acte prohiconsistant en «la soumissionintentionnelle du groupe
à des conditionsd'existence devantentraîner sa destruction physique totale ou partiell-)selon les
termes de l'article II de la conventio- couvre également((ladéportation dansles cas où celle-ci
visaità détruire toutou partie du groupe))(ibid.). Dans ce contexte, la déportations'entenddu
déplacement et de la dispersion forcée d'une population, et non d'un mode de transport. A

l'évidence,peu importe que les personnes soient ((déportées))dans des charrettes àdestination de
territoires lointains en vue de ((faireplace nette de toutjuif)) (Juden-rein) ou que les conditions de
terreur soient crééesqui amènent des milliers de membres d'un groupe à fuirà pied afin de
((nettoyer))un territoire de sa population musulmane.

Section 5.5.5. Définitionsupplémentairedu génocide : celle du projet de statut de la CD1
pour unecour criminelle internationale

5.5.5.1. Ce projet de statut confèràla cour criminelle envisagée compétencepourjuger les
personnes qui se seraient rendues coupables d'un certain nombre de crimes énumérés, dontle
premierest le génocide(projetde statutpour une cour criminelle internationaleaveccommentaires,
deuxièmepartie, art. 22a). Rapport de la Commission du droit international sur les travaux de saquarante-cinquièmesession,Nations Unies,Documents officiels de l'Assembléegénérales,uppl. 10.

doc. A/48/10, 1993). Le droit applicable dans un tel cas est la définitiondu ((génocideet [des]
crimes connexes))énoncésaux articles II et III de la convention (ibid., p. 285).

5.5.5.2. Cette disposition manifeste l'intentionde la communauté internationalede donner
effetà la convention sur le génocide dans tousles cas applicables lorsqu'uneculpabilitépénaleest
en jeu et de le faire par la création d'une nouvellejuridiction internationaleenvisagéepour la
première foispar les auteurs de la convention- et ayant compétencepourjuger des actes commis
par des individus. L'entréeen vigueur d'untel statut aurait pour effet de compléter les trois types
dejuridiction prévuspar lesauteursdutexte, à savoir :1) lestribunauxrépressifsnationauxchargés
dejuger les individusaccusésd'avoircommislesactes interditsénumérés,tels qu'islo snt incorporés

au droit national;2) un tribunal international doté d'une compétence pénale générale, charg de
juger tous les individus accusés d'avoir commis les actes interditsénumérés danla convention; et
3) la Cour internationale de Justice ayant compétence pour connaître des affaires civiles portées
devant elle par un Etat partieà la convention sur le génocide,qui met en cause la responsabilité
civile d'unautre Etatà raison d'actes interdits énumérés notamment aux articleIsI et III, et qui se
prévautde l'obligation civile dudit Etat de réparerles conséquences de ses actes dommageables.

Section 5.5.6. Définitionsupplémentairedu génocide : le Tribunal pénal international
pour l'ex-Yougoslavie

5.5.6.1. Ce tribunal (dont le titre complet e:((Tribunalinternational chargé de poursuivre
les personnes présumées responsablesde violations graves du droit international humanitaire
commises sur le territoire de l'ex-Yougoslavie depuis 1991)))a été constituépar une décisiondu
Conseil de sécurité,lequel agissait dans l'exercicedes pouvoirs que lui confèrele chapitreI1de
la Charte desNations Unies et dans la conviction que la situationdans l'ex-Yougoslaviereprésente
une menace pour la paix et une rupture de celle-ci. Le Conseil a décidé«la créationd'untribunal
international pour juger les personnes présumées responsablesde violations graves du droit
international humanitaire commises sur le territoire de l'ex-Yougoslavie depuis 1991 »
(résolution808 (1993) du Conseil de sécurité,du 22 février1993).

5.5.6.2. L'article4 de son Statut autorise expressément le Tribunal pénal pour
l'ex-Yougoslavie à ((poursuivre les personnes ayant commis le génocide)) tel que défini aux
paragraphes 2 et 3 du mêmearticle. Le paragraphe 2 reprend exactement I'énumératiod nes actes
prohibésfigurant à l'articleII de la convention surle génocideet le paragraphe 3fait de mêmeavec
I'énumération qufiigure à l'articleIII de ladite convention. Ainsi, bien que le Tribunal pénal pour
l'ex-Yougoslavie diffère de la Cour par ses origines puisqu'il a été créé par une résolutiondu
Conseil de sécurité etnon par un traité,et bien que sa compétence soit très différentpuisqu'elle
est d'ordrepénalet se limite aux actes commis dans l'ex-Yougoslavie, il n'endemeure pas moins
que le mandat de ce Tribunal est pertinent en l'instance. Premièrement,il démontrel'importance

que la communauté internationalen'a cessé d'accorder à la convention sur le génocide età ses
dispositions qui définissentet énumèrentles actes et omissions qui constituent le génocideet ses
crimesconnexes. Deuxièmement, il réaffirmelecaractèreuniversel et I'importanceprimordialedes
principes et buts consacrés dans la convention.

5.5.6.3. Si, en reprenant des dispositions clésde la convention sur le génocide,le Statut du
Tribunal pénal pour l'ex-Yougoslavierenforce le droit de la convention,l développe égalementla
définitiondu génocide précédemment donnée P.ar exemple, la compétence nouvelledu Tribunal
pourjuger les personnes (il n'aaucune compétencepourjuger les Etats en tant que tels) s'étend à

la déterminationde la ((responsabilitépénaleindividuelle))(op.cit. at. 7). Le Statut poursuit en
précisantqu'encourtcetteresponsabilité((quiconqua eplanifié,incitéàcommettre,ordonné,commis ou de toute autre manière aidé et encouraàéplanifier, préparerou exécuterun crime))y compris
- expressément - le génocide(ibid.). Ces précisions,cohérentespar rapport au texte de l'article III
de la convention, l'éclairentutilement. Certaines dispositions font encourir une responsabilitéau
supérieurd'unsubordonné«s'ilsavait ou avait des raisons de savoir que le subordonné s'apprêtait
à commettre cet acte ou l'avait fait et que le supérieurn'a pas pris les mesures nécessaires et
raisonnables pour empêcher queledit acte ne soit commis ou en punir les auteurs))bzd., art. 7,
- 42 par. 3). Cette disposition clarifie l'obligationdes Etats de ((pré...punir))telle que poséà
l'articlepremier de la convention sur le génocide. Si ces dispositions rejoignent la définitionde la
culpabilitépour génocideprévuedans la convention, elles le font dans un contexte qui laisse
nettement apparaître l'intention du Conseil de sécurité dese contenter de clarifier le droit tel
qu'énoncé dans la convention, c'est-à-dire le droit applicable aux deux parties en l'instance.

5.5.6.4.En outre, alors que la compétencedu Tribunal pénal pourl'ex-Yougoslaviese limite
aux actes criminels commis par des personnes, les dispositions du Statut du Tribunal relatives
responsabilitépénaledes individus devraient être considérées comme applicablespsofacto à la
responsabilité civile des Etatsau titre de l'articleIX de la convention.

5.5.6.5.Il convient égalementde noter que si le Statut du Tribunal est le hit des efforts du
Conseilde sécuritépourappliquer laconvention sur legénocid- demême que d'autres instruments
de droit internationa- à un cas spécifique (celui de l'ex-Yougoslavie)et qu'il està ce titre
susceptible d'être trèsprécieuxà la Cour dans l'interprétationde la convention, l'inverse est
également vrai. Les décisionsde la Cour sur les questions soulevées en l'instanceen ce qui
concerne le devoir de prévenir et depunir, la définition de l'intention,les règlesde preuve et de
charge de la preuve applicables, la définition des actes énumérés aux articleIsI et III de la
convention et le droit relatif complicitéeà l'imputabilité,exerceront une influencecapitale sur
la formation de lajurisprudence du Tribunal. '- 147 -

sIXIÈME PARTIE

LE GENOCIDEET SES ACTES COROLLAIRESSONT IMPUTABLES A
LA YOUGOSLAVIE (SERBIE ET MONTENEGRO)

CHAPITRE 6.1

6.1.O.1. Comme nous I'avonsdémontré plushaut dans la cinquièmepartie, un génocide est
en train d'être commisen Bosnie-Herzégovine. En conséquence,la convention sur le génocide
s'applique. En outre, commenous l'avonsexpliqué à la section 5.2.3, laconvention metà la charge
des Etats parties deux types d'obligations:

ne pas commettre le génocideetles actes connexesénumérés àl'articleIII de la convention
i) (l'ententeen vue decommettre le génocide. l'incitatioàcommettre le génocide,latentative

de génocide etla complicité dansle génocide) et,

ii) prévenirle génocideet en punir les auteurs.

6.1.0.2. En ce qui concerne les individus, c'estle droit pénal,soit national, soit international,
qui doit leur être appliqué, soitar les tribunaux répressifs nationaux, soitpar «la cour criminelle
internationale qui sera compétente))(art.VI), en l'occurrencele Tribunal pénalinternational pour

l'ex-Yougoslavieconstituépar la résolution827 (1993) du Conseil de sécurité.

6.1.0.3. Mais telle n'est pasla situation des Etats partiea la convention. Si un différend
s'élève entre eux,I'articleIX confère compétencea la Cour internationale de Justice dont, aux
termes de l'article 38deson Statut,«la mission est de régler[lesdifférends] conformémentau droit
international)). Parvoie deconséquence.laresponsabilitéde laYougoslavie(Serbieet Monténégro)
doit être déterminéeen l'instanced'aprèsles principes de droit international généralapplicableà

la responsabilité des Etats.

6.1.0.4. Dans ce domaine, le principe de base est exposéa l'article3 de la première partiedu
projet d'articles sur la responsabilité des Etats adoptéen première lecturepar la Commission du
droit international, en 1980:

((Article3. Elémentsdu fait internationalement illicite de 1'Etat

Il y a fait internationalement illicite de I'Etatlorsque

a) un comportement consistant en une action ou en une omission est attribuable
d'aprèsle droit international 1'Etat:et

ce comportementconstitue une violation àune obligation internationalede I'Etat.))
b) 6.1.OS. Ainsi, il ne suffit pas qu'une disposition internationaleait méconnue.comme l'a
effectivementétélaconventionsur le génocide.Encore faut-il quecette violation soit «attribuable»
(imputable) à un Etat. Nonobstant notre exposésur lachargede la preuve selon le régimejuridique
internationalde laresponsabilité (section5.3.3), laBosnie-Herzégovineseproposede montrer que
de très graves violations du droit international, détaillées dansce mémoire, sontanribuables à la
Yougoslavie (Serbie et Monténégro).

6.2.0.6. Le projet d'article de laCDI, rédigé avecle plus grand soin, codifie les règles

applicables en la matière. L'économie générae ln est la suivante :

- le projet d'articles 5 et 6 confirme le principe selon lequel la conduite des organes de 1'Etatest
attribuableà ce dernier, quelle que soit la position de l'organedans le cadre de l'organisationde
1'Etat;

- il en va de même pourles autres entités habilitéesàexercer certaines prérogatives de puissance
publique (art. 7);

- et pour les mandataires de fait de 1'Etat(art. 8), même s'ilont outrepassé leurs compétences
(art. 10):

- les articles 27 et 28visent la responsabilitéd'unEtat pour le fait internationalementillicite d'un
autre Etat.

6.1.0.7. A la lumière de ces principes, la responsabilité de la Yougoslavie (Serbie et
Monténégro), traitée dans cette partiedu mémoire,se présente comme suit :

-
premièrement,la Yougoslavie (Serbie et Monténégro) a participé directementà la commission
du crime de génocidepar l'intermédiaire de ses propres organes (chap. 6.2.);

- deuxièmement, elle a commis le génocidepar le truchement de ses agents et auxiliaires, y
compris la soi-disant ((RépubliqueSrpska)),qui ont été ses mandatairesen Bosnie-Herzégovine
(chap. 6.3);

- troisièmement, elle a aidé et encouragédes groupes et des individus à commettre le crime de
génocide (chap. 6.4.);

- quatrièmement, ellea manqué à son obligation de prévenirle génocideet d'enpunir lesauteurs
(chap. 6.5). - 149-

CHAPITRE 6.2

LES ORGANES DELA YOUGOSLAV (SERBIE ET MONTÉNÉGRO)
ONT COMMISDES ACTES DEGÉNOCIDE

6.2.0.1.BienqueleGouvernementde Belgradeaitannoncéle4 mai 1992leretrait de l'armée
nationaleyougoslavede Bosnie-Herzégovine,il est incontestableque la participationdirecte de la
Yougoslavie(Serbieet Monténégro) àlacommissiondugénocide,par letruchementde sespropres
organes et en particulier de son armée,s'estpoursuivie sans interruption après cette date.
organisationsinternationales,a fois auxniveaux mondialet régional,de mêmeque de nombreux
Etats ont reconnu la participation directe et continue de la Yougoslavie(Serbie et Monà)négro

la commission du génocide. Ces faits et conclusionsamènentinévitablemeàtconstater que la
responsabilité de la Yougoslavie (Serbie et Monténégro)est engagée à raison des faits
intemationalementillicites commis par ses propres organes.

Section 6.2.1. Rappel des faits pertinents

6.2.1.1. Comme nous l'avonsdémontré plus hautdans la deuxièmepartie, et en particulier
dans le chapitre 3 de celle-ci, non seulement le Gouvernementde Belgrade est impliquédans la
perpétrationdu crime de génocidecontre la population musulmaneet croate de la République de
Bosnie-Herzégovine(et contreune partie de sa propre population),mais aussi ce génocidea été
entièrementconçu et planifié parce gouvernementet, pour une large part, pepar ses propres

organes. En la matière, l'«arméenationale yougoslave))(JNA), devenue par la suite ((armée
yougoslave))(VJ), ajouéun rôle majeur.

,-47 6.2.1.2. A cet égard, deux périodes doiêt tre envisagéesséparémet avant et aprèsmai 1992.

Avant mai 1992

6.2.1.3. Comme exposéplus haut (par. 2.3.3.2), I'arméenationale yougoslavea fait l'objet
d'uneprofonde réorganisationau début del'année1992, qui s'esttraduite par une augmentation
spectaculaire du nombre de soldats en Bosnie-Herzégovine, lequel a enflé jusqu'à

quatre-vingt-quinzemille hommes. Cette redistribution des troupes visait clairement la mise en
Œuvredu plan secret «RAM», dont l'objectifétaitde réaliserla ((grandeSerbie))(voir plus haut
section 2.3.4).

6.2.1.4. C'estdans le cadre du plan RAM que la population serbede Bosnie-Herzégovinea
été armée e qtue les premiers groupes paramilitaires ontétéàcla fois en Bosnie-Herzégovine
et en Serbie et Monténégro. Lesutoritésde Belgrade ont toléré etlargement appuyéla création
de ces groupes.

6.2.1.5.Comme expliquédans les deuxième,troisième et cinquièmeparties, c'est également
au début de 1992 que les atrocités contre les populations musulmane et croate en
Bosnie-Herzégovine ont commencé a êtrecommisessur une grandeéchelle :créationde campsde
concentration,expulsionsmassives,meurtres,passages tabac, internements,viols, attaquescontre
des villages musulmans,etc. (voir notamment2.2.1.4;2.2.2.2;.5.3; 2.2.5.5). Tous ces actes, et
de nombreuxautres, ont étéperpétrés directementar I'arménationale yougoslave agissant seule ou avec l'aidede groupes paramilitaires armés, contrôlés et commandpar des officiers ou des
responsables serbes, notamment le fameux ((commandant Arkan)), et V. Seselj. qui allaient
rapidement être élus membred su Parlement serbe (voir notamment 2.2.1.17;2.2.2.2: 2.2.2.16;
- 48 2.2.5.3; 2.2.5.8).

Après mai 1992

6.2.1.6. Le 4 mai 1992, le Gouvernement de Belgrade annonça le retrait des troupes de

I'arméenationaleyougoslavedeBosnie-Herzégovine. Commenousl'expliqueronpsar lasuite.cette
annonce ne visait qu'aéchapper aux condamnations dela communauté internationale etajustifier
l'affirmationselonlaquellelesévénementsnBosnie-Herzégovineconstituaienutne((guerrecivile)).
Cetteaffirmation est dénuéee tout fondement. Néanmoins,cette annonceconstituatnclairaveu
de la présence massive de troupes serbes surplacejusqu'à cette date.

6.2.1.7. D'aprèsle défendeur, «le 5 juin 1992, le dernier soldat yougoslave a quitté le
territoire delaBosnie-Herzégovine))(M.Etinski,audiencedu26 août 1993,CR 93/34,p. 12,trad.,
p. 8). Fort malheureusement,ce n'estpas vrai. En fait, environ quatorze mille hommes seulement
ont été retirés sur les soixante-seize millqeui n'étaientpas résidentsen Bosnie-Herzégovine; les
quatre-vingt mille hommes restantont été transférés'arméede la soi-disant ((Républiqueserbe
de Bosnie-Herzégovine)()le nom initial de la ((Républiqueska)))(voir par. 2.3.6.1 ci-dessus),
qui n'étarien d'autrequ'unecréature dela Yougoslavie(Serbieet Monténégro) (voir ci-dessous);
les décisions continuaient d'être pràsBelgrade, et c'étaittoujours de Belgrade que les ordres
venaient (voir par. 2.3.6.6 ci-dessus). En outre, I'arméenationale yougoslavea fourni des armes

auxforces paramilitairesen Bosnie-Herzégovineetunepartiedes soldatsont continuéopérer sous
l'uniforme et les insignesde I'arméenationale yougoslave.

- .A 9 6.2.1.8. Il ressort du dossier que les anciennes troupes del'arméenationale yougoslaveont
jouéun rôle primordial et continu dans les atrocités commiseà une plus grande échelle après
mai 1992(voir notamment 2.2.2.15; 2.2.2.18: 2.2.5.3: 2.2.5.12;2.2.5.14).

6.2.1.9. La République fédérativdee Yougoslavie (Serbieet Monténégroa) continuéd'être
directementimpliquéedanslesatrocitésperpétrée enRépubliquedeBosnie-Herzégovine b,ienque
cette participation ait pris une forme différente aprèsla créationde la soi-disant ((République
Srpska)).

6.2.1.IO. Premièrement, I'arméeyougoslave en tant que telle est restéeprésente en
Bosnie-Herzégovineet sesmembresontprisunepartdirecteet activeauxatrocitéscommisescontre

les populations musulmanes et croates. C'estainsi que, par exemple, les commandants des camps
deconcentration,demême que les((responsablesdes interrogatoires)),ont été et sontencoresouvent
des officiers de I'arméeyougoslave (voir section 2.2.1).

6.2.1.11.Deuxièmement, il convient de gardàrl'esprit quenon seulement la Yougoslavie
(Serbie et Monténégro) commelte génocideen Bosnie-Herzégovine,maisaussi qu'elle procèdea
ce ((nettoyageethnique))sursonpropreterritoire eten Croatie. Acet égard,ilconvientde souligner
la situation Sandjak. Dès août 1992, M. Tadeusz Mazowiecki, le rapporteur spécial dela
Commission des droits de l'hommea relevéque : ((DanslarégionlimitrophedelaBosnie-Herzégovineo ,narecoursauxméthodes
classiquesde purificationethnique. Des maisonsappartenant àdes Musulmans ontété
incendiéeset des mosquéesdétruitespar des attentats terroristes dans les villes de
Pljevlja, Prijepolje et Priboj. La présence de plusieurs groupes militaires et
paramilitaires dans la région, qu'expliquela proximitédu conflit en Bosnie, a accru
le sentiment d'insécurité éprouvp éar la population musulmane. Environ 70 000
Musulmans auraient quittéla régiondepuis le débutdes hostilités.)) (Deuxième
rapport. octobre 1992,E/CN.4/1992/S.111 0. p. 7,par. 23; les italiques sont de nous.)

Dans son sixième rapport,M. Mazowiecki relèveégalement que dansla même région :

((Nombreuxsont les renseignements quifontétatd'enlèvements,de destructions
de maisons, incendiéesou dynamitées,et du harcèlement générad les Musulmans.
notammentde passages àtabacetdetorturesinfligéespar lapolice.))(21 février1994;
E/CN.4/1994/10,p. 31, par. 144.)

6.2.1.12. Troisièmement,il est amplement prouvé que lestroupes venant de Serbie et du
Monténégro franchissenctontinuellement les frontièreset bombardent lesvillages musulmans en
Bosnie-Herzégovine (voir notammen2 t.3.7.2; 2.3.7.3;2.3.7.4).

Section 6.2.2. La reconnaissancede ces faits parla communauté internationale

6.2.2.1. La participationdirecte de la Yougoslavie(Serbie et Monténégro ) la commission

du crime de génocidea étélargement reconnue à la fois par la communautéinternationale, par
l'intermédiairedes organesdesNations Unies et par d'autresforums internationaux,et par certains
Etats. Nous l'avons montré de façon détaillée dansla troisièmepartie et nous n'auronsbesoin
d'évoquer cetaspect que brièvement à ce stade.

Q/-:> ! Au sein de IIOrganisationdes Nations Unies

6.2.2.2.Ni le Conseil de sécurité,i l'Assemblée généraln ei, leSecrétairegénéral'ontété
trompéspar les déclarationsde la Yougoslavie (Serbie et Monténégro) selon lesquellec sette
dernièren'étaitpas impliquéedans la perpétrationdu crime de génocide et avaitretiréses troupes
du territoire de Bosnie-Herzégovine.

6.2.2.3. Huitjours après l'annoncefaite par le Gouvernement de Belgrade qu'il retirerait
l'arméenationale yougoslave de Bosnie-Herzégovinel,e Secrétaire généra alexpriméde sérieux

doutes quant à la véracitde cette annonceet a relevéque l'arméenationale yougoslave soutenait
en fait la politique de nettoyage ethnique (voir S123900, 12mai 1992, par. 5). Et dès le
15mai 1992, le Conseil de sécuritéa exigé «que cessent immédiatementtoutes les formes
d'ingérenceextérieure en Bosnie-Herzégovine, y compris delapart d'unités de l'armée populaire
yougoslave ..» (résolution752 (1992); les italiques sont de nous). Quinze jours après,il devait
déplorer «que les exigencesformuléesdansla résolution752(1992)n'[aient]pas été satisfaites))et
il condamnait

«les autorités dela Républiquefédérative de Yougoslavie(Serbie et Monténégro)y ,

compris l'armée populaire yougoslavep ,our ne pas avoir pris de mesuresefficaces en
vue de satisfaire aux exigences de la résolution752 (1992)));et, agissant en vertu du chapitre VI1de la Charte. il a imposéen conséquence des sanctions à la

Yougoslavie (Serbie et Monténégro), dontla responsabilité directe dansles événements tragiques
survenus en Bosnie-Herzégovine avait donc été clairement reconnue(résolution 757 (1992)). Des
sanctions ont été adoptées dans lesrésolution7s87 (1992) du 16 novembre 1992.et 820(1993) du
17avril 1993. Enjuin (résolution762 (1992)) et en octobre (résolution 786(1992)), leConseil de
sécuritéa officiellementpris note de ce que I'arméenationaleyougoslaveétait toujoursprésenteen
Bosnie-Herzégovine. Toujoursen 1993, le Secrétaire généraal confirmé quela disposition de la
résolutionqui exigeait le retrait des troupes de I'arméenationale yougoslave étaitestéà cejour
lettremorte))(Al471869,par. 31).

6.2.2.4. De son côté, l'Assemblée généraa leexigéen août 1992que

«les éléments deI'arméecroate actuellement en Bosnie-Herzégovine soientou bien
retirés,ou bien soumisà I'autoritdu Gouvernementde la Bosnie-Herzégovineou bien
dissousetdésarmés, leursarmesétantplacéessoussurveillanceinternationaleefficace,
et demande au Secrétairegénérad l 'examiner sans délai quelle assistance pourrait être
fournie à cet égard» (résolution461242,par. 3).

6.2.2.5. Dans sa résolution471121du 18 décembre1992, l'Assembléegénérale

((2. Condamne énergiquementla Serbie, le Monténégro et les forces serbes
présentes dans la République de Bosnie-Herzégovinepour leur violation de la
souveraineté, de l'intégritéterritoriale et dedépendancepolitique de la République
de Bosnie-Herzégovineetleurrefus derespecterlesrésolutionsadoptéespar leConseil
de sécurité et l'Assemblée généraa insi que les accords de paix de Londres
d'août 1992:

3. Exige que la Serbie et le Monténégroet les forces serbes présentes en
République de Bosnie-Herzégovine cessent immédiatement leurs actes agressifset

hostileset seconformentpleinementet inconditionnellementauxrésolutionsduConseil
de sécuritée,n particulier aux résolutions752 (1992) du 15mai 1992, 757 (1992) du
30 mai 1992, 770 (1992)) et 771 (1992) du 13 août 1992, 781 (1992) du
9 octobre 1992et 787(1992) du 16 novembre 1992,ainsi qu'àla résolution461242de
l'Assembléegénérale et aux accords depaix de Londres d'août 1992;

4. Exige que, conformément à la résolution752 (1992) du Conseil de sécurité.
tous les éléments deI'arméepopulaire yougoslave encore présentssur le territoire de
la République de Bosnie-Herzégovine soientou bien retirés immédiatemento , u bien

soumis à I'autoritdu Gouvernement de laRépubliquede Bosnie-Herzégovineo ,u bien
dissouset désarmés,leursarmesétantplacéessou lscontrôleeffectifde l'organisation
des Nations Unies.))

Dans une résolution adoptéele mêmejour, l'Assembléegénérale

((Condamnedans lestermes les plusénergiquesl'odieusepratiquedu ((nettoyage
ethnique))et considèrequelesdirigeantsserbesdans lesterritoires qui setrouvent sous
leur contrôle en Bosnie-Herzégovine.I'arméepopulaire yougoslave et les dirigeants
politiques de la Républiquede Serbie portent la responsabilité principale de cette

pratique répréhensible,qui constitue une violation flagrante des principes les plus
fondamentaux relatifs aux droits de l'homme))(résolution471147). 6.2.2.6. Ces condamnations catégoriques ont étéréaffirméesdans la résolution48/88
du 20 décembre1993, dans laquelle l'Assemblée générale e,n outre,

((Condamneénergiquemenltesviolations des droitsde I'hommede lapopulation
bosniaque et les violations du droit internationalhumanitairecommises par les parties

au conflit; enparticulier celles commisessystématiqueme,efaçonparriculièrement
jlagrante et massive, par la Républiquefédérative de Yougoslavie (Serbie et
Monténégro) et les Serbes de Bosni..»

«Se déclare vivement alarméepar les actes de violence systématiques qui
continuent d'être commis contredes Albanais, des Bosniaques, des Hongrois et des
Croateset d'autresencoreauKosovo,dansle San4ak et en Voïvodine,respectivement.
par les autoritésde Serbie et duMonténégro ..» (Les italiques sont de nous.)

Cette position a été affirmée avec encoplus de vigueur dans une résolution suivante de
l'Assembléegénérale e,n date du mêmejour (résolution481153). Ces résolutions constituent donc
une prise de positionjuridique unique par l'organecensé refléterle point de vue de la communauté
3, L" internationale.

6.2.2.7. Dans le mêmeesprit, la Commission des droits de I'hommea affirméavec force, en
février1993,que la Yougoslavie (Serbie et Monténégro)et les forces militaires serbes ((portentla
responsabilitéprincipale))dela plupart des violationsdes droits de I'hommeet du droit humanitaire
international dans l'ex-Yougoslavie(résolution71993), 23 février1993, par. 8).

En dehors de l'Organisation des Nations Unies

6.2.2.8.D'autresinstancesont égalementsoulignélaresponsabilitéde la Yougoslavie(Serbie
et Monténégro)pour le ((nettoyageethnique)) et le génocide commisen ex-Yougoslavie et plus
particulièrementen Bosnie-Herzégovine.

6.2.2.9. Ainsi, la CSCE a constaté que

«les dirigeants actuels de la Serbie et du Monténégro etles forces serbes opéranten
Bosnie-Herzégovine portent la responsabilité principale du conflit qui sévit en
Bosnie-Herzégovine)).

Selon laCSCE, ces autorités continuentde faire des conquêtesterritorialesen recouàala
force et en violant les normes fondamentales des droits de I'hommepar la pratique odieuse du
((nettoyage ethnique)) et d'autres brutalités dans de nombreuses parties de l'ex-Yougoslavie
(déclaration de la troisième réuniondu Conseil de la CSCE, Stockholm, 15décembre1992).
Confirmant encore son point de vue selon lequel le Gouvernement de la Yougoslavie (Serbie et
Monténégro)était intemationalementresponsabld eu «nettoyageethnique))et du génocide,laCSCE
- 7 j
a décidéd'exclurecet Etat de son sein, une mesure sans précédent.

6.2.2.10. Pour sa part, la Communauté européennea de façon répétée et continue déplet
condamnéla situation en Bosnie, dont elle estime «que la plus grande part de responsabilité. et debeaucoup, incombe aux dirigeants
serbes età I'arméeyougoslave qu'ils contrôlent)).(déclarationdu Conseil de 1'Europe
sur l'ex-Yougoslavie,Lisbonne. 27 juin 1992,F/S/24200. 29 juin 1992).

6.2.2.11.La conférence mondiale surles droits de I'homme,tenue à Vienne enjuin 1993,a
également adoptéune déclaration surla Bosnie-Herzégovine,dans laquelle elle :

((condamnefermement la Serbie et le Monténégro, I'armée nationale yougoslave, les

milices serbes et les éléments extrémistes des milices croatese Bosnie, responsables
de ces crimes)),

à savoir :

«la pratique du nettoyage ethnique résultant del'agressionserbe contre la population
musulmane et croate de la République de Bosnie-Herzégovine [qui] constitueun
génocideet une violation de la convention pour la préventionet la répressiondu crime

de génocide)) (A/Conf.157/24 (part. l), p. 49; les italiques sont de nous).

6.2.2.12. De nombreux Etats ont également exprimél'opinionselon laquelle la Yougoslavie
(Serbie et Monténégro) portaitla responsabilitéprincipale du génocidecommisen ex-Yougoslavie
et plus particulièrementen Bosnie-Herzégovine.Dans le cadre de ce mémoire,il n'estpas possible
d'évoquerl'ensemblede cette vaste pratique étatique. La positionjuridique des Etats est bien sûr
reflétée dans les débatqsui ont eu lieuà l'organisation des Nations Unies et dans d'autres organes
lors de l'adoptiondes résolutions et décisions mentionnéee st citées ci-dessus. Ces résolutions et
décisions représententen elles-mêmesla cristallisation de cette pratique étatique virtuellement

unanime.

Section 6.2.3. Conséquencesjuridiques

6.2.3.1. Comme l'Assembléegénéralle 'arappelédanssa résolution461242 du25 août 1992,

«Les Etats doivent être tenuspour responsables des violations des droits de

I'homme que leurs agents commettent sur le territoire d'un autre Etat.)). (Voir
également résolution19921s-1/1de la Commission des droits de I'homme, par.11.)

6.2.3.2. 11 ne s'agit là que de la simple application du principe fondamental de la
responsabilité internationaledes Etats, tel que codifià l'article5 de la premièrepartie du projet de
la CDI, aux termes duquel :

«est considéré commeun fait de I'Etatd'aprèsle droit international le comportement
de tout organe de 1'Etatayant ce statut d'aprèsle droit interne de cet Etat, pour autant
que, en l'occurrence,il ait agi en cette qualité)).

6.2.3.3. En l'espèce, il est indubitable que I'arméenationale yougoslave, qui porte la
responsabilité des actes de génocide commis dans l'ex-Yougoslavie et particulièrement en
Bosnie-Herzégovine,estun((organede I'Etat))de laYougoslavie(Serbie et Monténégro).En outre,
c'estce que stipule expressémentl'article240 de la constitution de 1974de l'ancienneRépublique
socialiste fédérativede Yougoslavie, qui est restée en vigueur en Serbie et au Monténégro

jusqu'au 27avril 1992. L'arméeyougoslave assume la même fonctionen Yougoslavie (Serbie et
Monténégro) depuis cette date. 6.2.3.4. Il n'est pas non plus douteux que I'arméenationale yougoslave. puis I'armée
yougoslave, ont agi et continuent d'agiren l'occurrenceen sa qualitéd'organede la Yougoslavie
(Serbie et Monténégro). Comme nous l'avonsmontréau chapitre II du présentmémoire.la«chaîne
- 5'7 opérationnelleducommandement))de l'arméeyougoslaven'apaschangédepuis 1991et sonpremier
maillon est Belgrade,compris pourtoute lesopérationsmilitairesmenéesen Bosnie-Herzégovine
(par. 2.3.6.6). Rienn'indique quelevernementdeBelgradeaitjamais désapprouvéoudésavoué
le comportement de ses forces armées,ou qu'ilait essayéde les restreindre.

6.2.3.5. On peut donc tirer sans hésiter de cette combinaison de faits concordants et
impressionnants la conclusion juridique suivan:ela Yougoslavie (Serbie et Monténégro)est
directement responsable de sa participation directedans le génocidecommiscontre les Musulmans
(et d'autres peuplesde l'ex-Yougoslavieet en particulier)de la RépubliquedeBosnie-Herzégovine;
les conclusions formuléesau mode conditionnel par la Cour dans les ordonnances duril et du

13 septembre 1993 devraient être misesau mode indicatif le Gouvernement de la République
fédérativede Yougoslavie (Serbie et Monténégro)n'a pas veillé à ce que ses unités armées
militaires,paramilitaires ou irrégulières(mais sousson contrôle direct) ne commettent pas d'actes
de génocide,ne s'entendent pas en vue de commettre le génocide, n'incitent pasdirectement et
publiquement à commettre le génocide,ou ne se rendent pas complices dans le génocide, que
celui-ci soit dirigé directementcontre la population musulmane de Bosnie-Herzégovineou contre
tout autre groupe national, ethnique, racial ou religieux. Bien au contraire, de tels actes ont été
commis par les organes de laYougoslavie (Serbieet Monténégro,articulièrementpar son armée,
avec laconnaissance et l'approbationentièresdu gouvernement de cet Etat. En conséquence,I'Etat
défendeura violé et continuede violer les obligationsjuridiques qu'ila assuméesaux termesde la
convention pour la préventionet la répressiondu crime de génocidedu 9 décembre1948. Sa
responsabilité internationale est doncengagée. '-156 -

CHAPITRE6.3

LES AGENTS, AUXILIAIRES ET AUTRES PERSONNES AGISSANTAL' NOM DE LA YOIIGOSLAVIE
ONT PARTICIPÉ À LA COMMISSION DU GÉNOCIDE

6.3.0.1. Au cours de la procédure relative aux demandes en indication de mesures
conservatoires,les représentantsdelaYougoslavie(Serbieet Monténégro)n'onteu cessede répéter
que le défendeur

«continue de ne faire aucune distinctionentre les actes duuvernement fédéral etles
points de vue du Gouvernement fédéral dela Yougoslavie même,d'une part. et les

actes et lespointsdevue des Serbes de Bosnie-Herzégovine,d'autrepart» (S. Rosenne,
audience du vendredi 2 avril 1993, CR 93/13, p. 52, trad. p. 49, voir également,
notamment, ibid.,p. 7-8 et 33; CR 93/34, p. 15,ou observations du 9 août 1993,p. 9,
etc.).

6.3.0.2. Cependant, il n'ya réellement aucune confusion;ou bien plus exactement, s'ily a
confusion, celle-ci résultedu comportement de la Yougoslavie (Serbie et Monténégro) elle-même

puisque cet Etat a établisa souveraineté de facto sur d'importants territoires appartenant a la
Républiquede Bosnie-Herzégovine etsur lesquels il agit en véritable souverain, soit directement
(voirchapitre 6.2ci-dessus),soit parl'intermédiairedelasoi-disant((RépubliqueSrpska))oud'autres
groupes et individus qui agissent effectivement en son nom. Selon des principes bien établis de
droit international(section.3.1), les faits internationalementillicitescommis par ces personnes ou
ces groupes engagent la responsabilitéde la Yougoslavie (Serbie et Monténégro) (section 6.3.3).

Section 6.3.1. Le droit applicable

6.3.1.1. Leprincipe codifiéàl'article8 de la premièrepartie du projet d'article dela CD1sur
la responsabilitédes Etats doit être interprété dfeaçon largeAux termes de cette disposition :

(IQrticle8. Attributionà IIEtatdu conlportenzentde personnes agissantenfait
pour le compte de IIEtat

Est aussi considéré commeun fait de 1'Etatd'aprèsle droit international le
comportement d'une personne ou d'ungroupe de personnes si

a) il est établi que cettepersonne ou ce groupe de personnes agissait en fait pour le
compte de cet Etat; ou

b) cette personne ou ce groupe de personnes se trouvait exercer en fait des

prérogatives dela puissance publique en cas de carencedes autorités officielleset
dans lescirconstancesquijustifiaient l'exercicedecesprérogatives.))Annuaire de
la CDI 1980, vol. II, deuxième partie, p. 30.)

Commentant cette disposition, M. Ago, alors rapporteur spécial,a écrit : ((L'attributiànI'Etat,sujetdedroitintemational,ducomportementdepersonnes
agissanten faitpour soncompteou surson instigation(sanspourcelaavoirni acquérir
laqualitéd'organesp,asplusde 1'Etatlui-mêmeque d'uneinstitutionofficielledistincte

affectéeà un service public ou remplissant une fonction publique) est unanimement
soutenue par les auteurs de droit internationalqui ont traitéla question.)) (R. Ago.
troisièmerapport sur la responsabilitédes Etats, Annuaire dea CDI 1980, vol. II,
première partie,p. 281, par. 194.)

M. Ago a égalementrelevé que

«des particuliers sont secrètementpréposésà I'accomplissementde missions ou de
besognesdéterminées dont les organesde 1'Etatestiment préférabde ne pas charger
directement de vrais agents de I'Etat; des personnes sont envoyées,en tant que
prétendus«volontaires»,aider un mouvement insurrectionneldans un pays voisin-et
les exemples pourraient se multiplier»ibid, p. 278, par. 190).

6.3.1.2. Ce point de vue est corroborépar une doctrine unanime. Bien que les auteurs
360 discutenthabituellement de l'emploi internationallaforce, les principesqu'ilsdécriventpeuvent

de toute évidence être transposéà d'autres violationsdu droit internationalet ils s'appliquenten
particulier au génocide(voir notamment Hans Wenberg,((L'interdictiondu recours à la force; le
principeet les problèmesqui se posent)).RCADI(1951-1),vol. 78, p. 68; Rosalyn Higgins, «The
Legal Limits to the Use of Force by Sovereign States-United Nations Practice)),BYBIL,1961,
p. 278 et suiv.; Ian Brownlie, InternationLaw and the Use of Force by States. 1963, p. 361;
Rifaat, International Agression, 1979,p. 2).

6.3.1.3.Enconséquence,leGouvernement delaRépubliquede Bosnie-Herzégovinesoutient
que les autoritésde la soi-disant ((Républiquepska)),son «armée»et ses autres «organes», de
mêmeque d'autres groupes etindividus directementcontrôléspar le Gouvernement de Belgrade,
ontagiet continuentd'agirexclusivementpour lecomptede laYougoslavie(Serbieet Monténégro).
Les faits intemationalementillicitesqu'ils ontcommiset,en particulier,leurparticipationauxactes
de génocide, engagentla responsabilitéde cette dernière.

Section 6.3.2. Rappel des faits pertinents

6.3.2.1.Le 28 mars 1992, le lendemainde ladéclaration del'indépendancde la République
de Bosnie-Herzégovine, lesdirigeantsserbesextrémistesde Bosnie-Herzégovineont proclaméune
soi-disant((RépubliqueserbedeBosnie-Herzégovine)),dénomméepla arsuite((RépubliquSrpska)),
dont lesforcesont semblésuccéde r l'arméenationale yougoslaveet auxforcesde police deSerbie
rc:6 Î et du Monténégro. 11ne s'agissait que de sauvegarderles apparences : la République de
Bosnie-Herzégovine avait été universellement reconnue et admise a l'organisation des
Nations Unies. La Yougoslavie (Serbie et Monténégroa )vait étécondamnée parle Conseil de
sécurité etl'Assembléegénéralepour ses ingérencescontinues dans les affaires du nouvel Etat
souverain,poursaparticipationdirecteà lapolitique de((nettoyageethnique))et pour ses violations
de l'intégriterritoriale de ses voisins souverains;elle a alors apparemmentdécde se retirer et

d'agiren sous-main par I'intermëdiaired'uneentitéfantocheentièrementsadisposition. En outre,
pour des raisons évidentes, ellevoulait prétendreque les événementsde Bosnie-Herzégovine
n'étaient qu'une guerreivile. 6.3.2.2. En fait, rien n'achangé. Les autoritésdu soi-disant ((nouvelEtat))ont contiàué
prendre leursordresde Belgrade. L'armée nationale yougoslavaecontinué,sousun nouveau nom,
sa campagne de génocidenon seulement avec l'aide, mais également sousle contrôle, de la
Yougoslavie (Serbie et Monténégro)d ,ont elle recevait d'importantsmatériels.

6.3.2.3. Comme nous l'avons montréplus haut dans la section 3.3.6, la ((décision)ue le

Gouvernementde Belgradeprétendavoir prise en mai 1992n'ajamais été appliquéceoncrètement
et la majeure partie des troupes de I'armée nationale yougoslave est demeurée en
Bosnie-Herzégovine,secontentantde changerd'uniformeset d'insignes,et encorepas toujours. De
surcroît:

- les officiers ont continàéêtrenomméspar Belgrade, y compris le ((commandanten chef de
I'arméeserbe en Bosnie-Herzégovine))l,e général Ratko Mladicq ,ui a éténommé après cette
soi-disant décision de «retrait» et demeure en poste. Avant d'avoir éténommé en
Bosnie-Herzégovine,Mladic s'étaitdistinguécomme le chef impitoyabledes forces serbes en
Croatie;

- la plus grande partie de l'équipementde l'arméenationale yougoslave est restée en
Bosnie-Herzégovinec ,ommel'aexpressémenr teconnu le président osic dansladéclaratioqu'il
a adressée à l'assembléefédéraleyougoslave (voir ci-dessus, par. 2.3.6.4), et des matériels

militaires ont depuis lors été continuellemetnvoyésde Serbie en direction des zones de la
République de Bosnie-Herzégovine contrôléespar les extrémistes serbes (voir ci-dessus,
par. 2.3.7.1);et

- la soi-disant ((arméede la RépubliqueSrpska))reçoit ses ordres exclusivementdu ((conseilde
défense suprêmy eougoslave))(composédu présidentde laYougoslavie(Serbieet Monténégro)
et desprésidentsdesrépubliques deSerbieet du Monténégroe )t de l'état-majorelgrade (voir
ci-dessus, par.2.3.6.6).

6.3.2.4. Ainsi, peu importe que les atrocitésaient étécommises ouvertement par I'armée
nationale yougoslave,plus tarddénomméearméy eougoslave,ou bien par«l'armée»et lapolice de
lasoi-disant((RépubliqueSrpskan :celles-làsont impossiblesa distinguer decelles-ci;lesatrocités

sont commises par des hommes qui portent des uniformes différentsmais obéissentaux mêmes
autorités.

6.3.2.5. On peut donc dire sans craindre de se tromper que tousles actes de génocide, dont
la réalité épouvantablaeété établielus haut dans les deuxièmeet cinquièmeparties, quiont été
commis par les forces de la soi-disant ((RépubliqSrpska))l'ontétéen fait pour le compte de la
Yougoslavie (Serbie et Monténégro).

--53 6.3.2.6. A cet égard,il est extrêmement révélateur qu tent la Yougoslavie (Serbie et
Monténégro) que la soi-disant ((Républiquepska))se comportent manifestementd'unefaçonqui
indiqueque cette dernièren'est pasun Etat indépendant,ni même une entitéquasi souverainede
quelque nature que ce soit. Ainsi, lors des réunions de la conférence internationale sur

l'ex-Yougoslavie, les représentante la soi-disant ((Républiquepska))ont siégéaux côtésde la
délégation de Yougoslavi(eSerbieet Monténégro).De lamême manière, ilconvientde releverque
dans sa demande adressée à la CIJ, pas plus tardque le 16mars 1994,la Yougoslavie(Serbie et
Monténégroa ) contestéla licéides décisionsprises par leConseil del'AtlantiqueNord lors d'une
réuniondu 9 février1994dans le but de protégerle territoire de la Bosnie-Herzégovine.Ce fait démontre dela façon la plus claire que la Yougoslavie(Serbie et Monténégroc )onsidèrecomme
une partie de son propre territoire la fraction de la Bosnie-Herzégovine qu'ellecontrôle par

l'intermédiairede la soi-disant ((RépubliqueSrpska))(voir par. 2.3.8.6).

Le comportementde la soi-disant ccRépubliquS erpska>)engage la responsabilité
de la Yougoslavie (Serbie et Monténégro)

6.3.2.7.11ressortmanifestementdesfaits que l'entitqui sefait appeler«RépubliqueSrpskm
n'existe pasen tant qu'Etat,étant effectivementdépourvuede toute existencejuridique.

6.3.2.8. Comme l'a rappeléla commission d'arbitrage de la conférence internationale sur
l'ex-Yougoslavie :

«I'Etatest communémentdéfinicommeune collectivitéqui se composed'unterritoire
et d'unepopulation soumis à un pouvoir politiqueorganisé ..il se caractérisepar la
souveraineté))(avisno 1 de la commission d'arbitrage).

On peut constaterque la soi-disant((RépubliqueSrpskm),qui n'aau demeurantété reconnue
par aucun Etat, mêmepas - tout au moins dejure -par la Yougoslavie (Serbie et Monténégro),
pouvait se prévaloir dedisposer d'un((territoire))(bien qu'ilsoit mal défini)et d'une ((population))
(bien qu'ellesoitlerésultatd'unnettoyageethnique,c'est-à-did'uneconduitemanifestementillicite
au regard du droit internationalet contraire aus cogens international); maiselle ne dispose, en
droit international,ni d'un ((pouvoirpolitiqueorganisé))ni de la souveraineté.

CommelacommissionBadinter l'aconfirmé,lapopulation serbedeBosnie-Herzégovinen'est

pas uneentité ayant exercé le droià l'autodéterminationet ayant droià l'indépendanceainsi qu'à
la qualitéd'Etat. Elle peut bienentendujouir d'unevaste gamme dedroits afférents à la personne
humaineet de droits relatifà la protectiondes minorités, maiselle ne peut prétendreau droià la
sécessionarmée. Dansce cas particulier, la soi-disant créationd'unEtat est le résultatd'unemploi
illicite de la force par la République fédérativdee Yougoslavie (Serbie et Monténégro) etde la
pratique du nettoyageethnique par des moyens qui ressortissent au génocide. Comme le Conseil
de sécurité des NationsUnies l'aprécisé dans de nombreua xutres cas, la créationou le maintien
d'uneentitéprétendant à la qualitéd'Etaten violationde l'interdictionde l'emploide la force ou de
n'importequelleautre règle dejus cogens, notammentlaprohibitionde l'apartheid- et selonnous
l'obligation dene pas perpétrerle génocide- est sans effetjuridique. Par voie de conséquence,
même sl ia soi-disant République serbexerçaiteffectivementla moindreautorité, ellen'entirerait
pour autant aucun statut juridique international. Elledemeure une auxiliaire de la République

fédérative deYougoslavie (Serbie et Monténégro).

265 6.3.2.9. Le ((gouvernement))de ce soi-disant «Etab) est entièrement entre les mains du
gouvernementde Belgrade;iln'aaucuneeffectivité,ni aucuneautoritési ce n'estpar lebon vouloir
de ses maîtres à el grade.

Section 6.3.3. Les conséquencesjuridiques

6.3.3.1. Dans ces conditions, il ne saurait êtrequestion de souveraineté.Selon le célèbre

dictum de l'arbitreMax Huber :: «La souveraineté, dans les relations entre Etats, signifie l'indépendance.
L'indépendance,relativement à unepartie du globe, est ledroit d'yexercàrI'exclusion
de tout autre Etat, les fonctions étatiques.))(Ile de Palmas, sentence arbitrale, 1928,

RSAII, p. 838, trad. fi. dans RGDIP 1935, p. 163.)

Comme il est rappelédans Oppenheim (9' éd.),«la souveraineté est I'autoritésuprême, cequi
signifie au niveau internationa...I'autoritjuridique qui ne dépendjuridiquement d'aucuneautre
autoritéterrestre))(op. cit., p. 122). En l'occurrence, I'aude la soi-disant ((Républiquepska)>
dépendentièrementdu gouvernement de Belgrade et cette «république»ne peut donc prétendre à
la qualitéd'Etat.

6.3.3.2. Cependant, on peut ajouteràtitre incident que mêmesi cette entité étaitun Et-tce

qui n'est pas le cas - la Yougoslavie (Serbie et Monténégro)serait néanmoins responsable du
génocide commispar les organes de ce soi-disant «Etab) ou par les personnes agissant pour son
compte. En effet, aux termes du paragraphe 1de l'article 28de la premièrepartie du projet de la
CD1sur la responsabilitédes Etats :

«Lefaitinternationalementillicitecommis parunEtatdansundomained'activité
dans lequel cet Etat est soumis au pouvoir de direction ou de contrôle d'unautre Etat
engage la responsabilité internationale de cet autre Etat.)) (Voir également le
paragraphe 2 de l'article 12.)

(Voir également, a contrario, la sentence arbitrale de novembre 1923 dans I'affaireBrown, RSA,
vol. VI, p. 120et suiv., une affaire qui a retenu toute l'attentionde la CDI;voir égalementAnnuaire
de la CDI 1979, vol. II, deuxième partie,p. 106.)

En I'occurrence,il est clair que mêmesi la soi-disant ((RépubliqueSrpska))étaitun Etat et pouvait
être tenueà ce titre comme auteur du crime de génocidesur le territoire qu'ellecontrôle, elle n'en
aurait pas moins été((soumiseau pouvoir de direction ou de contrôle))de la Yougoslavie (Serbie
et Monténégro), dontla responsabilitéserait donc engagée. Ce serait là un cas de ((responsabilité
indirecte))au sens où l'entendaM. Ago dans l'opinionindividuellequ'il ajointeà l'arrêrtendudans

l'affairedes Activitésmilitaires etparamilitaires au Nicaragua et contre celui-ci

«Les hypothèses que, à mon avis, l'on qualifie correctement comme de
responsabilité indirecte,sont celles où un Etat, qui, dans certaines conditions, exerce
un contrôle sur l'action d'un autre Etat, peut êtrerendu responsable d'un fait
internationalementillicite commispar cet autre Etat et imputable à lui. La question
qui se pose alors n'est pas celle de l'imputabilitéou nonun Etat d'uncomportement
de personnes ou de groupesn'appartenantpas àl'appareilofficiel de cet Etat, maiscelle
du transfert à un Etat déterminé dela responsabilité internationale découlantd'un

agissement imputable à un autre Etat.» (C.I.J. Recueil 1986, p. 189, note de bas de
page.)

6.3.3.3. Si la Yougoslavie (Serbie et Monténégro) pouvait treresponsable du comportement
de la soi-disant ((RépubliqueSrpska))dans l'hypothèseoù cette entité seraitun Etat, il en est ainsi
à plus forte raison lorsque, comme c'est ici le cas, cette entitén'est pasun Etat mais une simple
entité artificielledefacto émanant de Belgrade. 6.3.3.4. En effet, si les autorités de la soi-disant ((RépubliqueSrpska)) ne peuvent pas
.-' prétendre à la qualité d'Etat -comme cela est évident d'après le Gouvernement de
Bosnie-Herzégovine -ellesnesontalorsquelesmandatairesetauxiliairesde laYougoslavie(Serbie
et Monténégro).On est bien loin des faits relatàfla premièrephase de l'affairedu Personnel
diplomatiqueer consulaire, dans laquell:

«il n'apas étsoutenu qu'au momentoù ils attaquaient l'ambassadeles militants aient
eu un statut officiel quelconque en tant qu'«agents» ou organes de 1'Etatiranien))
(C.I.J. Recueil 1980, p. 29, par. 58).

En l'occurrence, le comportement du Gouvernement de la Yougoslavie (Serbie et Monténégro)
révèle que,dèsle début, les autoritésde la soi-disant ((RépubliqueSrpska))ont étéles «agents» de
la Yougoslavie(Serbie et Montenégro)«dont les actes engagent [la] responsabilité internationale))
de cet Etat (voirid., p. 35, par. 74). En outre, et au contraire de ce qui s'étaitpassédans l'affaire
desActivités militairesetparamilitaires auNicaraguaet contrecelui-ci, la Yougoslavie(Serbie et
Monténégro) a«le contrôle effectif des opérations militaires ou paramilitaires)) de la soi-disant
((arméede la RépubliqueserbedeBosnie-Herzévogine)) (voir C.I.J. Recueil 1986,p. 65,par. 115).

6.3.3.5. Bien que la jurisprudence internationale ne recèle aucun exemple d'événements
flagrants du genre de ceux quel'on retrouve en la présente affaire (voir le rapport de là CD1
l'Assemblée générale, danAsnnuaire de la CDI 1974, vol. II, première partie. commentaire de
l'article8,paragraphes 4 et 5,article 8.a), leprojetd'articledelaCD1sur laresponsabilitédesEtats
est pleinement pertinent en l'instance (cité ci-dessus,par. 6.3.1.1).

La soi-disant ((Républiquerpska))et, bien entendu, tous ses «organes» et ((agents)),n'est
qu'un((groupede personnes))agissant en réalitépour le compte de I'Etatde Yougoslavie (Serbie
et Monténégro).

6.3.3.6. En outre, comme nous l'avonsexpliquéplus haut (par. 6.3.3.2), mêmesi cette entité
265 étaitun Etat, sa conduite engagerait néanmoins la responsabilité de la Yougoslavie (Serbie et
Monténégro).En conséquence,puisque ce n'est même pau sn Etat agissant derrièrele paravent de
la souveraineté «yougoslave»,il est impensable que les actes illicites de cette entiténe soient pas
imputablesà la Yougoslavie (Serbie et Monténégro).

6.3.3.7. Par voie de consequence,toutes les atrocités commisespar ce soi-disant, par
ses organes et agents ou par toutes autres personnes, individuellement ou en groupe, agissant
effectivement pour le compte de la Yougoslavie (Serbie et Monténégro) contrela population
musulmaneet touteautre partie de lapopulation non serbeduterritoire de la soi-disant((République
Srpska)),doivent être imputées ala Yougoslavie (Serbie et Monténégro).

Comme nous l'avons montré plushaut dans la cinquième partie, ces actes constituent
incontestablement un génocide. CHAPITRE 6.4

LAYOUGOSLAV(IS EERBIE ET MONTÉNÉGRO) A AIDÉ ET ENCOURAGÉDES GROUPESET DES
INDIVIDUS A COMMETTREDES ACTES DE GÉNOCIDE

6.4.0.1. Dans son ordonnance du 8 avril 1993, la Cour a indiquéque:

«Le Gouvernement de la République fédérative de Yougoslavie (Serbie et

Monténégro) doit en particulier veiller à ce qu'aucune des unités militaires,
paramilitaires ou unitésarméesirrégulières qui pourraient releverde son autorité ou
bénéficierde son appui, ni aucune organisation ou personne qui pourraient se trouver
sous son pouvoir, son autorité,ou son influence ne commettent le crime de génocide.
ne s'entendenten vue de commettre ce crime, n'incitentdirectement et publiquement
à le commettre ou ne s'en rendent complices, qu'un tel crime soit dirigécontre la
population musulmane de Bosnie-Herzégovine,ou contre tout autre groupe national,
ethnique, racial ou religieux.)).I.J. Recueil 1993, p. 24.)

Ce passage a étérepris dans l'ordonnancedu 13 septembre 1993 (ibid, p. 349).

6.4.0.2. Dans une situation de confiit arméinternational aussiinextricable que la situation
prévalantdans l'ex-Yougoslavie,il n'estpas aiséde détermineravec précisionles auteurs des actes
illiciteset de faire clairement ledépartentre, d'une part, lesfaits internationalement illicitescommis
directement par laYougoslavie (Serbieet Monténégro)s ,es organes, ses mandataires et auxiliaires
et, d'autre part,ceuxcommis par les((organisationsou personnes qui pourraient setrouver sous son

pouvoir, son autorité ou son influence)).Cela est d'autantplus difficile que la plupart des éléments
de preuve se trouvent soit en Yougoslavie (Serbie et Monténégro) proprement dite, soitans la
partie du territoire de Bosnie-Herzégovine quise trouve sous son contrôle.fait de ce contrôle
exclusif, 1'Etatvictime d'une violation du droitinternational [enl'espècela Bosnie-Herzégovine]se
trouve souvent dans l'impossibilitéde faire la preuve directe des faits d'où découlerait la
responsabilité))(Détroite Corfou C.I.J. Recueil 1949, p. 18) et, en particulier, de déterminerla
véritable naturejuridique des actes commis.

6.4.0.3. Dans ce cas particulier, le Conseil de sécuritéet d'autres organes internationaux
compétentsn'ont laissé subsisteraucun doute sur l'identitédu responsable, en droit international,
du lancement et de la poursuite de la campagne d'emploide la force armée etde génocide menée
sur le territoire de la Républiquede Bosnie-Herzégovine. Comme nous l'avons indiquédans la
troisième partie,la communauté internationale a même adopteàl'encontrede l'auteurde ces actes
illicites, laRépublique fédératiee Yougoslavie (Serbie et Monténégro),le régimede sanctions
le plus complet qui aitjamaisétéimposé.

0 7 Pn
.L i vi 6.4.0.4. Ayant établila responsabilitéde la République fédérativeougoslavie (Serbieet
Monténégro) pour les actes de génocide perpétrés directemen ptar ses organes et ses auxiliaires,
nous porterons maintenant notre analysejuridique surla responsabilité encouruepour l'assistance
et l'encouragement d'individuset de groupes agissant en Républiquede Bosnie-Herzégovine. Section 6.4.1. Le droit applicable

6.4.1.1. Le principe selon lequel un Etat engage sa responsabilitélorsqu'ilaide des groupes
ou des personnes àcommettre des faits intemationalementillicites recueille un large soutien dans
lajurisprudence internationale. IIremontàaussiloinquelasentencehistoriquede l'Alabama,dans
laquelle le tribunal arbitral Etats-Unis'Amérique/Grande-Bretaga nejugé, en 1872, que, en
entraînant,armant,équipantetapprovisionnantlescorsairesdelaConfédérationl,aGrande-Bretagne
avait engagésa propre responsabilité(Moore.History and Digest ofthe International Arbitrations
to whichthe UnitedStates hm been a Party, vol. 1,p. 653). Plus récemment, laCIJ a décidé que

laresponsabilitéde l'Iranétait engagéedansl'affaire duPersonnel diplomatiqueet consulaireà la
foisparceque l'Irann'avait pas empêchéda,nsunpremier temps, lesactesdes ((militants))(voirplus
haut paragraphe 6.2.3.6) et parce que ceux-ci avaient agi, dans un deuxièmetemps, pour'Etatet
sous «le sceau de l'approbationofficielle du gouvememenb)(C.Z.J.Recueil 1980, p. 34, par. 73).
Dans le mêmeordre d'idée,dans son arrêtdu 27juin 1986 la Cour a dit que :

((les Etats-Unis d'Amérique, en entraînant, armant, équipant, finançant et
approvisionnantles forcescontras, et en encourageant,appuyant et assistant de toute
autre manièredes activitésmilitaireset paramilitairesau Nicaragua et contre celui-ci,
ont àl'encontredu Nicaragua violél'obligation que leur imposele droit international
coutumier dene pas intervenirdans les affairesd'unautre Etab)(C.I.J. Recueil 1986,

p. 146).

Elle a dit également queles Etats-Unis avaient«l'obligationde mettre immédiatement finet de
renoncer))àtousces acteset qu'ils étaiettenusenvers laRépubliqueduNicaragua de l'obligation
de réparer tout préjudiceausé a celle-ci)à raison de leursviolations (ibid, p. 149).

6.4.1.2.l est d'autantplus évidentqu'enl'occurrencelaYougoslavie(Serbieet Monténégro)
a engagé saresponsabilitépour violationde laconventionsur legénocideen aidantet encourageant
des groupes et des individusà commettre le génocide, que l'articlIII de ladite conventionrend
passible de sanctions non seulement le génocide lui-mêmm eais également ((l'ententen vue de

commettrele génocide))(,(l'incitationdirecteetpubliquà commettrele génocide))« ,latentativede
génocide»et «la complicité dansle génocide». Tous ces actes ont été définipslus haut, dans la
cinquièmepartie. En outre, il convientde relever que I'article7 du Statutdu Tribunal international
pour l'ex-Yougoslavie,adoptépar la résolution827 (1993)du Conseilde sécurité du 25 mai 1993,
prévoit quesera tenu pour responsable des crimes énumérés aua xrticles 2 5, y compris le
génocide(art. 4), ((quiconquea planifié, incitécommettre, ordonné.commis ou de toute autre
manièreaidéet encouragé aplanifier, préparerou exécuter))lescrimes en question))(les italiques
sont de nous).

6.4.1.3. C'estsans doute dans l'arrêt qu'eerendu dans l'affairedes Activitésmilitaires et
paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci que la Cour a donnéla meilleure définitionde la
((complicité)et des autres actes connexes. La Cour a dit que, pour apprécierI'illicéité d'un
encouragement à la commission d'actes,il importe

«de se demandersi cet encouragementa été donnédans des circonstancestelles qu'il
a étéprobable ou prévisible que de tels actes seraient effectivement commis))
(C.I.J. Recueil 1986, p. 130, par. 256).

372
6.4.1.4. Dansson arrêt,la Cour a examinéles prétentionsdu Nicaragua selon lesquellesles
actionsmilitaireset paramilitairesauNicaraguaetcontrecelui-ci seraient «essentiellement lesactes
des Etats-Unis)). La Cour a rappeléque : «Si une telle imputabilitéaux Etats-Unisdevait être ret.lors ne se poserait
aucune question de simple complicité pour ces actes, ni d'incitationà les faire
commettre.)) (C.I.J. Recueil 1986, p. 64.)

Toutefois,

«La Cour a estimé..que, mêmeprépondérante ou décisive,la participationdes
Etats-Unis à l'organisationà la formation. à l'équipement,au financement et à
l'approvisionnement des contras, à la sélection de leurs objectifs militaires ou
paramilitaires etla planification de toutes leurs opérations demeure insuffisante en
elle-même, d'aprèsles informations dont la Cour dispose, pour que puissent être

attribuésaux Etats-Unis les actes commis par les contras au cours de leurs opérations
militaires ou paramilitaires au Nicaragua. Toutes les modalités de participation des
Etats-Unis qui viennentd'êtrementionnéese,t même lecontrôlegénéralexercpareux
sur une force extrêmement dépendante à leur égard, ne signifieraient pas par
eux-mêmes, sans preuve complémentaire,que lesEtats-Unis aient ordonnéou imposé
la perpétration des actes contraires aux droits de l'homme et au droit humanitaire
alléguéspar I'Etatdemandeur. Ces actes auraient forbien pu être commispar des
membres de la force contra en dehors du contrôle des Etats-Unis. Pour que la
responsabilitéjuridique de ces derniers soit engagée,il devrait en principe être établi
qu'ils avaient le contrôle effectif des opérations militairesou paramilitaires au cours
desquelles lesviolations en question seseraient produites.)) p. 64-65, par. 115.)

En conséquence,

«LaCour ne considèrepas que l'assistancefourniepar lesEtats-Unis auxcontras
l'autorisà conclure que ces forces sonàtel point soumises aux Etats-Unis que les
actes qu'elles pourraient avoir commis seraient imputables Etat. Elle estime que

les contras demeurent responsables de leurs actes et que les Etats-Unis n'ont pas
répondre deceux-ci mais de leur conduitàl'égarddu Nicaragua, y compris celle qui
est liéeaux actes en question. Ce que la Cour doit examiner, ce ne sont pas les griefs
relatifs aux violations du droit humanitairequ'auraientcommises les contras et que le
Nicaragua considère comme imputables aux Etats-Unis, mais plutôt les actes illicites
dont ces dernierspourraientêtre directementresponsablesen relation avec lesactivités
des contras. La licéitéou I'illicéide tels actes des Etats-Unis est une question
distincte de celle des violations du droit humanitaire dont les contras se seraient
éventuellementrendus coupables. Aussi laCour n'a-t-ellepaàétablir s'ils onten fait
commis les violations du droit humanitaire qui leur sont attribuées. Cependant la
question de savoir si, au moment considérél,e Gouvernementdes Etats-Unis avait ou
devait avoir connaissancedes allégationsde violationsdu droit humanitaireformulées
contre les contras intervient dansappréciationde la licéitédu comportement des
Etats-Unis.)) (Ibid., p. 65, 116.)

Section 6.4.2Rappel des faits pertinents

6.4.2.1. Il ressort clairement du dossier que la Yougoslavie (Serbie et Monténégro)a été
((omniprésentedans la commission du génocide)). Cette «omniprésence»a été -et demeure -
attestéepar la présence surplace de ses organes, y compris l'arméenationale yougoslave (JNA),
puis l'armée yougoslave (VJ), et de ses agents et auxiliaires, notamment la soi-disant
((RépubliqueSrpska)),ainsi que par:

.- ' 47 - l'incitationet le support idéologiquequ'ellea foàrtous les participants au génocide,ce qui
relèvede l'ententeen vue de commettre le génocide;- le fait d'entraîner, d'armer,d'équiper,de financer et d'approvisionnerles groupes et individus
auteurs du génocide; et

- l'infiltrationde forces irrégulières dansle territoire de Bosnie-Herzégovine.

6.4.2.2. Le chapitre 3 de la deuxième partie exposaitle contexte (historique) dans lequel le
génocideest perpétré. De toute évidence, l'idéologid ee la Grande Serbie (section2.3.1) i?
représentéla toile de fond et une source constante d'inspirationpour les auteurs des actes de
génocide. Certes,un Etat nepeut pas êtretenu responsabled'uneidéologie,maisilen va autrement

lorsqu'ilérige celle-cien idéologïeofficielleetlapropagepar lesmédiasqu'ilcontrôle entièrement,
censurant tout point de vue contraire. Comme M. Tadeusz Mazowiecki, le rapporteur spécial de
la Commission des droits de l'homme,l'asouligné dans sonSixièmerapport sur la situation des
droits de l'hommedans le territoire de l'ex-Yougoslavie,pour ce qui est de la Serbie:

«Un domainequi préoccupebeaucoup le Rapporteur spécial estl'incitation à la
haine nationale et religieuse rencontrée dansla vie publiqueet dans les médias. Des
hommes politiques en vue font régulièrement des déclarations inflammatoires et
menaçantes contre des groupes minoritaires. A plusieurs reprises par exemple, le
dirigeantdu parti radical serbe, M. Vojislav Seselj,a suggéré d'expulser les minorités
hongroise et albanaise de Voïvodine et du Kosovo respectivement. La campagne

électorale de décembre 1993a été l'occasiond'appelsà la haine généralisésE.n effet,
l'utilisation de méthodes démagogiques pour intensifier et manipuler les peurs
irrationnelleset les préjugédes électeurs semble êtru en moyen important d'obtenir
des voix.

Le climat ambiant de haine ethnique et religieuseest également encouragé par
la désinformation,la censure etl'endoctrinementauxquels se livrent les médias (voir
E/CN.4/1994/47,par. 176 à 179). Les reportages sur les atrocités commises dansle
conflit entre les Serbes et les Musulmans, en Bosnie-Herzégovine notamment, sont
sélectifset partiaux. Les médias dénigrenltes Musulmanset l'Islamdans des articles
à sensation déformant les «crimes»passéset actuels qu'ilsont commis ((contrele

peuple serbe)) tandis qu'il est rarement question des graves violations dont sont
victimes les Musulmans sauf pour dire qu'il s'agitd'accusations malveillantes
s'inscrivant dans une ((conspirationantiserbe)). Les programmes de la télévision
publique de Belgrade prêtent régulièremeu nt caractère sataniqueà certains groupes
ethniques et religieux. Dans ce contexte. le programme Iskre i varnice nedelje est
particulièrement inquiétant.)) (E/CN.4/1994/110. 21 février1994, p. 27, par. 124
et 125;sur le Monténégro, voir ibid., p.32. par. 149.)

6.4.2.3. L'incitation la haine ethnique et religieuseet au génocide s'accompagne de plans

stratégiquesvisantà réaliserla«GrandeSerbie))pardes meurtres,des déportations,des expulsions,
des séviceset des viols dont sont victimes les non-Serbes, en particulier les membres de la
populationmusulmane. Le plusconnu et le plus systématiquede cesplans, baptisé«RAM»(voir,
plus haut, section 2.3.4), a effectivement émis à exécution. Par exemple, il y a lieu de relever
que, le 2juillet 1993,legénéral Ratko Mladia cdéclaréouvertemen t«Tout se déroule defaçon
satisfaisante,commeprévu.)) (.NewYorkTimes,22juillet 1993, les italiques sont de nous.) 6.4.2.4. En exécutiondu plan RAM. l'arméenationale yougoslave (JNA) a commencé à
transférer des armes aux communautés serbes de Bosnie-Herzégovine(voir,plus haut, par. 2.3.4.2
et 2.3.4.3) et ces livraisons d'armes se sont poursuivies et mêmeintensifiées aprèsindépendance
de laBosnie-Herzégovine,de mêmeque lesapprovisionnements en matériel,vivres, etc. (voir,plus

haut, par. 2.3.7.1 et 3.2.0.13, et les faits énumérés danls'opinionindividuelle de M. Lauterpacht.
C.I.J. Recueil 1993, p.428-429).

6.4.2.5. De surcroît,commenous l'avonsrappeléplushaut, dans la deuxièmepartie. outre les
livraisons d'armes et l'appuilogistique de la Yougoslavie (Serbie et Monténégro) aux «Serbes de
Bosnie)),lestroupes et aéronefsdel'arméeyougoslave (VJ) franchissentrégulièrementla frontière,
tandis que des groupes paramilitaires sont formés, équipés et entraînésen Serbie et Monténégro
(voir notamment, par. 2.3.7.2 et suiv.).

Section 6.4.3.Reconnaissance de ces faits par la communauté internationale

6.4.3.1. L'aide et le soutient que la Yougoslavie (Serbie et Monténégro) apporte à la
commission du génocidea été largementreconnuepar lacommunautéinternationale,qui a en outre
- et parallèlement-condamnécetEtatpour saparticipationdirecteauxactes degénocide(voir,plus
haut, section 6.2.2). Il en a été ainsi à la fois au sein et en dehors de l'organisation des
Nations Unies.

6.4.3.2. Dans de multiples résolutions, le Conseil de sécuritéa dit avec insistance que la
Yougoslavie(Serbie et Monténégro)devaitmettrefin à son aideaux groupesparamilitairesopérant
en Bosnie-Herzégovine :

- dans sa résolution787 (1992), il a exigé

«que cessent immédiatementtoutes les formes d'ingérenceprovenant de l'extérieurde
la République de Bosnie-Herzégovine, y compris l'infiltrationd'unités etd'élérnents
irréguliers...))(16 novembre 1992; les italiques sont de nous);

- dans sa résolution 819(1993), il a exigéen outre

«que la République fédérative de Yougoslavie (Serbieet Monténégro) cesse
immédiatement la fourniture d'armes, d'équipement ed te services de caractère
militaire aux unitésparamilitaires serbes de Bosnie dans la République de

Bosnie-Herzégovine))(16 avril 1993; les italiques sont de nous);

- dans sa résolution 820 (1993) adoptéele lendemain, il a exprimé

«sa condamnation de toutes les activitésmenéesen violation des résolutions757
(1992) du 30 mai 1992 et 787 (1992) du 16novembre 1992 entre le territoire de la
Républiquefédérativd ee Yougoslavie (Serbieet Monténégro) eltes zones contrôlées
par lesSerbesenRépubliquede Croatieet enRépublique de Bosnie-Herzégovine)) (les
italiques sont de nous)

et il a renforcéles sanctions contre la Yougoslavie (Serbie et Monténégro)afin d'empêcher ces
activités (voir également résolution 838 (1993)du 19juin 1993), etc.

Ainsi, leConseilde sécuritéa condamnéfermement à lafois lesactes des((Serbesde Bosnie))
et l'aideque leur fournit la Yougoslavie (Serbie et Monténégro). 6.4.3.3.Dans sa résolutionlaplus récente.adoptéele20 décembre1993,l'Assembléegénérale
appuie la position prise par le Conseil de sécuritéen lamatière et

(Demande au Conseil de sécuritéde donner suiteàsa résolution 838 (1993)du
10juin 1993et de l'appliquerimmédiatement.de façon que la République fédérative
de Yougoslavie(Serbieet Monténégro)cesse immédiatemend te fournir des armes. du
matérielet des servicescaractèremilitaireauxunitésparamilitairesserbesde Bosnie,
comme l'exige la résolution 819 (1993) du Conseil de sécurité, en date du
16 avril 1993.» (Résolution48/88.)

6.4.3.4. De nombreux autres organes internationaux ont soulignéquela Yougoslavie(Serbie
et Monténégro) exerçaitune grande influence sur les «Serbes de Bosnie)). Ainsi, le rapporteur
spécial de la Commission des droits de I'homme a confirmé que les groupes paramilitaires
irréguliersqui participaient très activement au ((nettoyageethnique)) étaient arméspar l'armée
-- 7 nationaleyougoslave, dont ilsrecevaientune ((grandequantitéde matérielmilitaire*(voirA/47/666,

p. 7, par. 14).

6.4.3.5. De leurcôté,laCEE et laSCEont égalementreconnu l'influencede laYougoslavie
(Serbie et Monténégro)sur les forces opéranten Bosnie-Herzégovine. Ainsi,dèsle 11avril 1992,
dans une déclaration surla Bosnie-Herzégovine.la Communautéeuropéenne et ses Etats membres
ont appelé

((lesGouvernementsserbe et croateà exercer leur influence incontestable pour mettre
finà l'ingérence dansles affaires d'une république indépendante etpour condamner
publiquemenf et sans réserve l'emploi de la force en Bosnie-Herzégovine»
(communiqué depresse 46/92, les italiques sont de nous).

et, le 15avril 1992,au cours d'une réunionde suivi des accords d'Helsinki, les représentants des
Etats participants la CSCE

«ontcondamnélesforcesserbes irrégulièreset l'arméenationaleyougoslave (JNA)qui
violent l'indépendanceet l'intégrité territorila Bosnie-Herzégovineet les droits
de I'hommede son peuple))et «ont exhortéle Gouvernementde Serbie à mettre fin au
soutien qu'il apporte ces actions qui, si elles se poursuivaient, constitueraient un
ensemblede violationsmanifestes,flagrantesettoléréesdesengagementsde laCSCE))
(voir Marc Weller, «The International Response to the Dissolution of the Socialist

Federal Republic ofYugoslavia)),AJIL 1992, no3, p. 598).

6.4.3.6. L'analyse la plus convaincantà cet égardest peut-êtrecelle contenue dans les
observationsque le Comitédes droits de I'hommea formulées après avoir entenduune délégation
de la Yougoslavie (Serbie et Monténégro)le 4 novembre 1992. Se plaçant exclusivement sur le
terrain juridique,

«LeComitéa relevéque lesmoyensemployésetles intérête snjeu démontraient
l'existence,entreles nationalistes et la Serbie,de liens qui infirmaient la prétentiondu
Gouvernement fédéral d'être exemp dte toute responsabilité.

Le Comité a vivement déploré cette situationet a regretté le refus du
Gouvernement fédéralde reconnaître qu'il portait la responsabilité de ces actes, au
motif qu'ils étaient commisen dehors de son territoire. Le Comité ainstamment exhortéle Gouvernement fédéral à mettre fin à cette
situation intolérabledu point de vue du respect des droits de l'homme,età s'abstenir
d'apporter son soutien àla commission de tels actes, y compris en dehors du territoire
de la République fédérativd ee Yougoslavie (Serbie et Monténégro).II a demandéau

gouvernement de faire preuve d'une volonté politique claireet de se dissocier
effectivement des mouvements nationalistes serbes en rejetant entièrement leur
idéologieet en condamnant leurs projets. LeComité considèreque la manifestation
d'unefermeté sans faillesur ces questions priverait lesextrémistesdu soutien qui leur
est indispensable.)) (A/C.3/47/CRP.1,20 novembre 1992,p. 8-9, par. 21, 23 et 24.)

6.4.3.7. Ces déclarationsse suffisentà elles-mêmeset témoignentde ce que la communauté
internationale est convaincue que la Yougoslavie (Serbie et Monténégro) a apporté son aide et son
soutien, par de nombreux biais, à la commission du génocide.

Section 6.4.4.La reconnaissancede ces faits par la Yougoslavie
(Serbie et Monténégro)elle-même

6.4.4.1.Au cours de la phase précédente de la procédureen l'instance, laYougoslavie (Serbie
et Monténégro) aniéêtreimpliquée dansle génocide commis contreles populations non serbes,
en Bosnie-Herzégovineet dans d'autres partiesde l'ex-Yougoslavie. Elle a affirméen particulier
que «pas un seul soldat de la République fédérativdee Yougoslaviene se trouv[ait] sur leterritoire
de la ((Républiquede Bosnie-Herzégovine)))),qu'elle «ne fourni[ssait] de soutien militaiàeaucune
des forces en présencedans ce conflit armé enire nations))(les italiques sont de nous)-qu'ellea
aussi qualifiéde ((pureguerre civile ..»- et qu'elle«nlappu[yait]en aucune façon la perpétration
[en Bosnie-Herzégovine]des crimes graves)) en question (M. Zivkovic, audience publique du
2 avril 1993, CR 93/13, p. 7, trad. fr., p. 3; voir également M. Mitic, 26 août 1993, CR 93/34,

p. 15, trad. fr., p. 10-11). Ces propos édifiantssont entièrement démentispar les déclarations
officiellesetconcordantesdehautsresponsablesdeYougoslavie(SerbieetMonténégro), notamment
M. Slobodan Milosevic, et de leurs auxiliaires en Bosnie-Herzégovine(voir section 2.3.8).

6.4.4.2. Il y a lieu de relever en particulier que, dans une déclaration rapporpar la BBC,
M. Radovan Karadzic, dirigeant de la soi-disant ((République Srpska)),a dit le 23 juin 1993 :

«A l'heure actuelle, l'arméeet la nation serbes jouent le rôle d'une force de
protection de l'ONU supplétive,en laissant les civils et I'armée deI'Herceg-Bosna
croateentrer sur leurterritoire, en les aidantet en leur permettantderetournerchez eux

s'ils ledésirentou d'aller plusloin.)) (BBC. 23juin 1993.)

6.4.4.3. Plus importantencore,cette nette reconnaissancede l'aideapportéepar lesSerbesest
corroboréepar des déclarations officielles émanant desplus hautes autoritésde Serbie et de
Yougoslavie (Serbie et Monténégro). Trois documentssont particulièrement importants à cet
égard :

- le communiqué diffusépar le Gouvemement de Serbie au débutdu mois de mai 1993(voir
par. 2.3.8.2 et 2.3.8.3);

-
le communiquédu Gouvemement fédéralé , galement publié débutmai (ibid.); et
-
la déclarationfaite le 11 mai 1993 par le président de Serbie,M. Slobodan Milosevic (voir
par. 2.3.8.4 et 2.3.8.5). De larges extraits de ces documents ont été reproduitsplus haut et les passages les plus
pertinents sont également cités dans les opinions individuelles que MM. Shahabuddeen et
Lauterpacht ont jointeà l'ordonnance du 13 septembre 1993 (C.i.J Recueil 1993, p. 362-363
3 8 1 et 428-429).

6.4.4.4.Cesdéclarationsconstituentautantde reconnaissancesnettesdece que laYougoslavie
(Serbie et Monténégro)a apportéune aide massive aux ((forcesdes Serbes bosniaques)),celles qui
commettaient le génocide:

- y est reconnu le fait que la Yougoslavie (Serbie et Monténégro)«avait aidégénéreusementet
sans réservela Républiqueserbe));

- y est aussi reconnu le fait que «la majeure partie de cette aide a étéfournie a la population et
aux combattants en Bosnie-Herzégovine))(les italiques sont de nous);

-
y sont réaffirmés((lesjustes objectifs du peuple serbe));et
-
y est enfin apportéelaprécision que((gràccette assistance, [les Serbesde Bosnie]ont obtenu
presque tout ce qu'ilsvoulaient)).

6.4.4.5. On ne saurait évidemmentattendre des autorités gouvernementales de Belgrade
qu'elles reconnaissent officiellement qu'elles ont aidéet encouragéla commission du génocide.
Mais l'onpeut remarquer que, par ces déclarations,ellesreconnaissent officiellement qu'elles ont,
au moins pendant deux ans, aidé lescombattants en Bosnie-Herzégovine et, commeexpliquéplus
haut, dans les deuxièmeet cinquièmeparties, il ne peut y avoir aucun doute quant au fait que ces
((combattants))sont les auteurs du génocide. La Yougoslavie (Serbie et Monténégro)les adés
généreusement», touten étantpleinement consciente de ce qui se passait.

, iv2 Section 6.4.5. Les conséquences juridiques

6.4.5.1.En l'occurrence,il est clair que la Yougoslavie (Serbie et Monténégro)est la seule
puissance présentedans la partie de Bosnie-Herzégovinequi se trouve sous contrôle serbe, comme
nous l'avonsexpliqué dansles deuxièmeet troisièmechapitres de la présente partie. Toutefois,et
gardant à l'esprit les difficultés inhérenàel'administration de la preuve (voir plus haut,
par. 6.4.0.2), mêmesi certains groupes ou individus prenant part au génocideagissent de façon

relativement autonome- ce qui, d'aprèsle demandeur, n'estpas le -ala Yougoslavie (Serbie et
Monténégro), conformémenatux principes énoncéspar la Cour dans son arrêtde 1986(voir plus
haut par..4.1.4), serait responsable de ses propres faits internationalement illicites liésaux actes
de génocide entant qu'actesconnexes commis par ces groupes et individus. En l'espèce,il a été
pleinementsatisfaitcetteexigence. Les faitsexposésdans leprésent mémoire, largemenrteconnus
par la communauté internationale(troisième partie, section 6.4.3) et admis par la Yougoslavie
(Serbie et Monténégroelle-même(par.2.3.8; section6.4.4), montrent on ne peut plus clairement
que la Yougoslavie (Serbie et Monténégroa apportéson aide et son soutiàndes groupes et des
individus dans la commission d'actesqui sont en l'occurrencedes actes de génocideconnexes. En
conséquence, la responsabilité internationale de la Yougoslavie (Serbie et Monténégro)est
manifestement engagée. - 170 -

CHAPITRE 6.5

LE MANQUEMENTDE LA YOUGOSLAV(IS EERBIE ET MONTENEGR O)SON OB,'IGATIOS DE
PRÉVENIR LE GENOCIDEET D'EN PUNIR LES AUTEURS

Section 6.5.1. Le droit applicable

6.5.1.1.Commenous l'avonsexpliquéplushaut, laconventionde 1948n'exige passeulement
des Etats qu'ilsne commettent pas le génocidedirectementou parintermédiairede leurs organes,
agents ou auxiliairesne obligationque laYougoslavie(Serbie et Monténégroa) violée-elle leur
imposeégalement l'obligationd'interdiet deprévenir lacommissiond'actes de génocidet d'actes
connexes et d'en punir les auteurs. La Yougoslavie (Serbie et Monténégro)ne s'est acquittée
d'aucunedeces deux obligations. Ces manquementscréentun motif d'actiondistinct de celui fondé
sur la commission du génocide (voirpar. 5.2.3.3).

6.5.1.2. En fait, l'obligationde prévenirle génocideetd'enpunir lesauteurs constitueet

et le but» mêmesde la convention de 1948,au sens que ces termes revêtent dansla convention de
Vienne de 1969sur le droit des traités. Le titre officiel de laconventionde 1948estvention
pour lapréventionet la répressiondu crime de génocide)),et son article 1dispose q:e

«Les Parties contractantes confirment que le génocide,qu'il soit commis en
temps de paix ou en temps de guerre est un crime du droit des gens,qu'elles s'engagent
àpréveniret à punir))(les italiques sont de nous),

tandis que ses articlesà VI précisentle sens de cette «répression»(voir ci-dessus,par. 5.2.3.3).

En s'abstenantde prévenirle génocide etd'enpunir les auteurs, la Yougoslavie (Serbie et
Monténégro), quelle que soit sa responsabilité directe dansla commission de ce crime, a privéla
--34 convention de son objet et de son but (voirivitésn~ilitaireset paramilitaires auNicaragua et

contre celui-ci, arrêtdu7juin 1986, C.I.J. Recueil 1986, p. 136-138).

6.5.1.3. Onpeut ajouter qu'indépendammentde toute dispositionconventionnelle,il est bien
établien droit internationalcoutumier génélu'un«fait internationalementillicite))peut consister
soit en une «action», soit en uneomission»((attribuabled'aprèsle droit internatioàal'Etat»
(article 3 de lapremière partiedu projet d'articlesdelaCD1sur laresponsabilitédes Etats). IIs'agit
d'une simple codification d'un principefermement établi(voir le troisième rapport deo sur
la responsabilité des Etats, Annuaire de la CDI 1971, vol. II, première partie, par. 56; voir
également Détroitde Corfou, arrêtdu 9 avril 1949, C.I.J. Recueil 1949, p. 22-23 et Personnel
diplomatique et consulairedes Etats-Unis Téhérana .rrêtdu 24 mai 1981,C.I.J. Recueil 1980,
p. 30-33).

Section 6.5.2. L'abstentionde la Yougoslavie (Serbie et Monténégro)
en matièrede préventionet de répression

6.5.2.1. Dans le dernier arrêt susmentionnél,a Cour a relevéque lors de la premièrephase
des événementsqu'elle décr(tu cours de laquelle les ((militants))ne pouvaient pas être considérés
comme les agents du Gouvernement iranien), les autorités iraniennes «a) étaient pleinement conscientes des obligations que leur imposaient les
conventions en vigueur de prendre des mesures appropriéespour protégerles
locauxde l'ambassadedesEtats-Unisetsonpersonneldiplomatiqueetconsulaire
contre toute attaque et contre toute atteinteeur inviolabilité, ainsi quepour
assurer la sécurité des autrespersonnes qui pouvaient s'y trouver;

étaient pleinement conscientes,du fait des appels l'aide de l'ambassade des
b) Etats-Unis, que des mesures urgentes de leur part s'imposaient;

C) disposaient des moyens de s'acquitter de leurs obligations;

d) ont totalement manquéde se conformer auxdites obligations))(ibid., p. 32-33).

6.5.2.2.Il en va de mêmeen la présente affaire.

Le Gouvernement de Belgrade était pleinementconscientde I'obligation quilui incombe,en
vertu de la convention de 1948,de prévenir legénocideet d'enpunir les auteurs. A cet égard,il
y a lieu de relever que la Yougoslavie (Serbie et Monténégro)a présentédes demandes
reconventionnellesau coursde laphase précédente de l'affaire,priantlaCour d'indiquernotamment
la mesure conservatoire suivante:

«Le Gouvernement de la prétendueRépublique de Bosnie-Herzégovine doit
immédiatement,conformément àI'obligationqui estlasienneenvertu de laconvention
pour lapréventionet la répressiondu crime de génocidedu 9 décembre1948,prendre
toutes lesmesures en sonpouvoir afin deprévenirlacommission du crime de génocide
contre le groupe ethnique serbe» (observations du 9 août 1993, par.,

ce qui prouve qu'elle était parfaitement conscientedeI'obligationde prévention quela convention
impose aux Etats parties. En tout état de cause, cette obligat-qui, répétons-le,est ((l'objetet
le but» mêmes dela convention a laquelle la Yougoslavie (Serbie et Monténégroest parti- a été
rappelée à de nombreuses reprises par:

- le Conseil de sécurité(voirnotamment résolutions771(1992) du 13août 1992;787 (1992) du
16novembre 1992; 819 (1993) du 16avril 1993;etc.), et

7 !26, - l'Assemblée générale (voinrotamment résolutions461242du 25 août 1992, par. 7; 47/80 du
-. 16 décembre1992;471147du 18 décembre1992.par. 9 et 16;48/88 du 20 décembre1993).

Dans son ordonnance du 8 avril 1993, la Cour elle-mêmea rappeléa l'unanimitéque :

«Le Gouvernement de la Républiquefédérativede Yougoslavie (Serbie et
Monténégro) doit immédiatement, conformément a l'engagementqu'il a assumé aux
termes de la convention pour la préventionet la répressiondu crime de génocidedu

9 décembre1948, prendre toutes les mesures en son pouvoir afin de prévenir la
commission du crime de génocide.)) (C.I.J. Recueil 1983, p. 24; voir également
l'ordonnancedu 13 septembre 1993, ibid., p. 349.)

Par voie de conséquence, la Yougoslavie (Serbie et Monténégro)ne pouvait être que
consciente des obligations de préventionet de répression quilui incombaient aux termes de la
convention sur le génocide. 6.5.2.3. Le Gouvernement de Belgrade était également pleinement ((conscient ...que des
mesures urgentesde [sa] part s'imposaient)).au sens où laCour I'entendaitdans l'tusmentionné
(C.I.J. Recueil1980, p. 33, par. 68). Puisque des actes constitutifs d'ungénocideont été commis
par lui,ou par l'arméeyougoslave, ou parsesagents et auxiliaires en Bosnie-Herzégovine.ilne peut

certainement pas prétendrene pas avoirétéau courandte cesactes,alorsqu'unemultituded'organes
internationauxont souligné,au moins a partir de l'é1992, l'extrême urgence qu'yilavait a réagir
(voir plus haut, par. 6.2.3.5). En outre, comme M. Shahabuddeen l'a relevé dans l'opinion
individuelle qu'ila jointa I'ordonnancede la Cour du 13 septembre 1993, il està tout le moins
très surprenant que«la Yougoslavie ni ne confirme ni n'infirme))que les Serbes ont commis le
génocide (C.I.J. Recueil 1993, p. 363) alors qu'elle ne pouvait pas l'ignorer et qu'elle avait
elle-même présenté une demande en indication de mesures conservatoires (voir plus haut
par. 6.2.3.6) ce qui, par définition, suppose une véritable urgence (voir le paragraphe 1 de
- 87 l'article74 du Règlement de la Cour et l'ordonnancedu 29 juillet 1991 dans l'affairedu Passage
par le Grand-Belt, C.I.J. Recueil1991,p. 12 et suiv.).

6.5.2.4. Il ne peut davantage y avoir de doute sur le fait que les autoritésde Yougoslavie
(Serbie et Monténégro) ((disposaientes moyens de s'acquitterde leursobligations)),au sens ou la
Cour I'entendait dans l'arrêt susmentionné(C.I.J. Recueil1980, p. 33, par. 68), de prévenir le

génocideetd'en punir lesauteurs. Le Gouvernement de Belgrade n'apas la réputationd'être faible.
Bien au contraire,il dispose manifestement de pouvoirs très étendus, pourne pas dire qu'il s'agit
purement et simplement d'unedictature. Il est donc improbableque ses organes, et en particulier
ses forces armées, aientpu agir contre sa volonté et sesordres. d'autant que les atrocités commises
en son nom ne sont pas des faits isolésou des((bavures)),mais sont perpétrées defaçon massive
et à une grande échelle. De surcroît, comme nous l'avonsmontré plushaut, les autorités dela
soi-disant((RépubliqueSrpska))sontentièrementsousl'emprisedu Gouvernementde Belgrade,qui,
par ailleurs, contrôle et aide massivement les forces paramilitaires agissant sur le territoire de la
Bosnie-Herzégovine, lesquelles dépendent entièrementde son aide et de ses livraisons.

6.5.2.5. En outre, il y a lieu égaiement de tenir compte dela configuration géographiquede
la région (Détroit de Corfou, arrêt du 19 avril 1949, C.I.J. Recueil1949, p. 20-23). La

Yougoslavie (Serbie et Monténégro) estun Etat voisin de la Bosnie-Herzégovine; ellea donc un
devoir spécial d'éviter queson territoire puisse être utilisépour la perpétration de faits
intemationalement illiciteset elle est davantage en mesure de prévenir ces actes que des Etatsplus
lointains.

6.5.2.6. Il convient également denoter que la Yougoslavie (Serbie et Monténégne saurait
invoquer lemoindreobstaclejuridique a la répression desauteurs du génocid: lesdispositionsdes
-- *' 8 articles II et III de la convention de 1948 ont étéinclues mot pour mot dans le code pénal
yougoslave, toujours en vigueur en Yougoslavie (Serbie et Monténégro).

6.5.2.7.Il est doncclair que le Gouvernementde la Yougoslavie(Serbie et Monténégro)était
conscient de l'obligation de prévenir et depunir qui lui incombe en vertu de la convention sur le

génocide, demêmeque de l'urgentenécessité deprendre des mesures, et qu'il avait lesmoyens de
s'acquitter de ses obligations.Il a néanmoins ((totalementmanquéde se conformer auxdites
obligations>)(C.I.J. Recuei1980, p. 33, par. 68). Cela ressort très nettement de l'exposédes faits
pertinents et point n'est besoin d'énumérerà nouveau les atrocités odieuses commises par la
Yougoslavie(Serbie et Monténégro)(voir chapitre2.2). Il suffit de dire que ((rienn'atenté (par
les autorités de Belgrade)pour prévenirle désastre))(C.I.J. Recueil0, p. 23), pas plus qu'elles
n'ontà aucun moment, que ce soit au cours de la phase précédentede la présente affaireou dans d'autresenceintes,prétenduavoir pris ne serait-cequ'une seulemesurevisaàprévenirlegénocide
dont elles savaient qu'il étaitet est toujours- commis sur le territoire de 1'Etatvoisin de
Bosnie-Herzégovine.

6.5.2.8. En la présenteaffaire, I'obligation qui incombeaux Etats partàela convention
de 1949 de prévenirle génocide etd'en punir les auteurs est d'autant plus contraignante que le
génociden'est pas un fait internationalement illicite «ordinaire», n'est pas un simpledélit)).
Comme nous l'avonsdémontréplus haut dans la cinquièmepartie, il s'agitd'un «crimedu droit des
gens», un «crime au regard du droit international))(voir par. 5.1.1.1 et suiv. et le par. 4.2.4.13).
Or, il est admis que de tels crimes entraînent des ((conséquencesspéciales))en droit international
(voir R. Ago, Cinquième rapport sur la responsabilitédes Etats,Annuairede la CD1 1976.vol. II.
première partie, p. 79-154; voir également Gaetano Arangio-Ruiz, Cinquième rapport sur la
responsabilité des Etats, A/CN.4/453/Add. 2, 8juin 1992). L'une de ces conséquences est
il a '9 I'obligation spéciale de ne pas prêter assistancà l'auteur de la violation, de mêmequ'une
((intensification))des contre-mesures justifiées (voir Riphagen, Quatrième rapport sur la
responsabilitédes Etats,nnuairede la CD11983,vol. II,première partie,par. 53 et suivants; voir

égalementG. Arangio-Ruiz, op. cit. a,d. 3, 24 juin 1993, par. 118et suiv.).

6.5.2.9. Cela suggèreune réponseclairàlaquestion poséeen ces termes par M. Lauterpacht
dans l'opinionindividuelle qu'ila joinàel'ordonnancede la Cour du 13septembre 1993 :

((Certes,concevoir I'obligationde prévenirle génocide commeune obligation
strictement territoriale n'auraitpas de sens parce que cela voudrait dire qu'une partie,
bien qu'étantdans I'obligation de prévenir le génocideà l'intérieurde son propre
territoire, ne serait pas obligée deI'empêrur le territoire qu'elle-même envahitet
occupe. Ce qui serait absurde. De sorte qu'entout étatde cause I'obligationexiste,
pour un Etat impliqué dansun conflit, de se préoccuper de prévenirle génocideen
dehors de son propre territoire.

Mais cette obligationde prévenir qui incombà une partie pour ce qui est de sa
propre conduite, ou celle des personnes qui relèventde son autoritéou de son contrôle
à l'extérieur deson territoire, veut-elle aussi dire que chaque partie a I'obligation
d'intervenir individuellementet activement pour prévenirle génocideen dehorsde son
territoire lorsque ce génocide est commispar uneautre partie ou sous son autorité
(C.I.J. Recueil 1993, p. 444, par. 114-115.)

II apparaît ainsi que M. Lauterpachtétablitune distinction entre deux situ:d'une part,

quand un Etat est directement impliqué dansun conflit et il ne peut y avoir aucun doute sur le fait
que I'obligationde prévenirle génocide s'appliquedefaçon stricte; d'autrepart, lorsqueatn'est
pas directement impliqué dans le conflit. situationpropos de laquelle M. Lauterpacht semble
nourrir quelque doute pour ce qui est de l'exigencejuridique de prévention.

7-90 6.5.2.10. Une réponse catégorique à cette question ne s'impose probablement pas en
l'occurrence, puisqu'il est toutfait manifeste que la Yougoslavie (Serbie et Monténégro) est
directement impliquée dansle conflit. C'est, de fait, le seul Etat impliqué; elle exerce uncontrôle
direct sur la partie du territoire de Bosnie-Herzégovine ou le génocide est perpétré eta
incontestablement I'obligationde I'empêcher.Cependant. mêmesi l'onse trouvait dans la seconde
situation, l'article 1de la convention, libelléen des termes on ne peut plus généraux,prévoitune
obligation pour tous les Etats partiesde prévenirle génocideet d'enpunir les auteurs, conséquence
qui découle dece que le génocidea été définciomme un crime de droit international. 6.5.2.11. Onpeut égalementrelever que l'article93 du code pénalde laYougoslavie(Serbie
et Monténégro) prévoit qu'((un citoyen yougoslave qui commet une infraction criminelleà
I'étrange)st passiblede sanctions(voir plus haut, par. 5.2.2.3),ce qui prouve que cetEtat n'apas
une ((conceptionterritoriale du droit pénal)).

6.5.2.12. Dansson ordonnance du 13 septembre 1993,la Cour a affirméque

«tenant compte, entre autres, des réponses apportéespar les deux Partiàsune
question, posée l'audience,sur le point de savoir quelles dispositions elles avaient
prises "pourassurer le respect de l'ordonnance du8 avril,n'est pasconvaincue
que tout ce qui pouvaitêtre faitait étt our prévenir la commissiondu crime de
génocidesur le territoire de la Bosnie-Herzégovineet pour veillere qu'aucune
mesure ne soit prise qui soit de natureraver ou étendrele différendexistant ou
en rendre la solution plus difficile)). Recueil 1983,p. 348-349, par. 57).

Bien que cette déclarationsoit réden destermes générauxe,lle s'adresse manifestement
au défendeur, comme cela ressort des opinions de certains juges (voir l'opinion de
M. Shahabuddeen, p. 364; celle deM. Weeramantry, p. 273 et 381; et celle de M. Tarassov,
p. 450-451). 11est donc clair que la Cour a estimé quela Yougoslavie(Serbie et Montén)eron
29 1 s'étaitpas acquittéedeson obligation de prévenirle génocide,au moins pour la période s'étendant
entre le 8 avril et le 13 septembre 1993. Fort malheureusement, cette situation est demeurée
inchangéedepuis lors. -175 -

CHAPITRE 6.6

A la lumière des arguments exposés plus haut, on peut affirmer catégoriquement que la
Yougoslavie (Serbie et Monténégro) a violé etcontinue de violer les obligations quilui incombent
en vertu de la convention sur le génocidede 1948et ce, à plusieurs titres:

ellen'apas prévenulegénocidealorsqu'elleétait parfaitementconscienteque cecrimeétait
i) commis à la fois sur son territoire et dans 1'Etatvoisin de Bosnie-Herzégovine,et qu'elle

avait les moyens d'en prévenirla commission;

ii) elle n'apas puni les auteurs du génocide, pourtantentièrement sous son contrôle exclusif;
mais

iii) au contraire, ses propres organes et agents ont eux-mêmescommis et continuent de
commettre le génocide;

ils ont été et continuentd'êtrecomplices dans la commission d'actes de génocide;
iv)

v) notamment la soi-disant ((RépubliqueSrpska» et d'autres auxiliaires de la Yougoslavie
(Serbieet Monténégro), qui agissent entièremenstous le contrôle de cette dernièreeten son
nom sur le territoire de la Bosnie-Herzégovine;et

vi) elle a aidé etencouragéla planification, la préparationet l'exécutiondu génocide. SEPTIEMEPARTIE

CONCLUSIONS

Sur la base des éléments depreuve et des arguments juridiques exposés dans le présent
mémoire,la Bosnie-Herzégovineprie la Cour de dire et juger :

1. que la République fédérative de Yougoslavie (Serbie et Monténégro), directementou par le
truchement de ses auxiliaires, a violéet continue de violer la convention pour la préventionet
la répressiondu crime de génocide, en détruisant partiellement, et en tentant de détruire
totalement, des groupesnationaux,ethniques ou religieux,notammentmais non exclusivement
sur le territoire de la République de Bosnie-Herzégovine, en particulier la population
musulmane, en se livrant aux actes suivants:

- meurtre de membres du groupe:

- atteinte graveàl'intégritphysique ou mentale de membres du groupe;

- soumission intentionnelle du groupe à des conditions d'existence visantà entraîner sa
destruction physique totale ou partielle;

- imposition de mesures aux fins d'entraver les naissances au sein du groupe.

2. que la République fédérative de Yougoslavie (Serbie et Monténégro)a violéet continue de

violer la convention pour la préventionet la répressiondu crime de génocideen se rendant
coupable d'entente en vue de commettre le génocide, de complicité dansle génocide, de
tentative de génocide et d'incitationommettre le génocide:

1 3. que la République fédérativede Yougoslavie (Serbie et Monténégro)a violé et continue de
violer la convention pour la préventionet la répressiondu crime de génocideen aidant et
encourageant des individus et des groupes se livrantdes actes de génocide;

4. que la République fédérative de Yougoslavie (Serbie et Monténégro)a violé et continue de
violer la convention pour la préventionet la répressiondu crime de génocideen manquant à
son obligation de préveniret de punir les actes de génocide;

5. que laRépubliquefédérativd eeYougoslavie(SerbieetMonténégro)doitimmédiatementmettre
fin aux actes susmentionnés etprendre des mesures immédiates et efficaces pour s'acquitter
pleinement de ses obligations aux termes de la convention pour la préventionet la répression
du crime de génocide;

6. que la République fédérative de Yougoslavie (Serbieet Monténégro) doit effacer les
conséquencesde ses actes internationalementilliciteset rétablirla situation qui prévalaitavant
que les violations de la convention pour la préventionet la répressiondu crime de génocide
ne fussent commises;

7. que, sa responsabilité internationaleétantengagéà raison des violations susmentionnées de

laconvention pour lapréventionet larépressionducrimede génocide,laRépubliquefédérative
de Yougoslavie (Serbie et Monténégro) est tenuede payer à la Bosnie-Herzégovine,et cette
dernière est fondéeàrecevoir, de son propre droit et commeparens patriae de ses citoyens,
pleine réparationpour les dommages et les pertes causés,réparation dontle montant sera
déterminépar la Cour lorsd'unephase ultérieurede la procédureen l'instance. La République deBosnie-Herzégovinese réservele droit de compléterou de modifier ses
conclusions dans le cadre d'autres pièces de procédure.

La République deBosnie-Herzégovineappelleégalemenrtespectueusement l'attention dela
Cour sur le fait qu'ellen'a pasréitéré, stade, plusieurs des demandes qu'elle avaitformulées
dans sa requête, partatu postulat formel quela RépubliquefédérativeYougoslavie(Serbieet
Monténégroa ) acceptéla compétence dela Cour en vertu de la convention pour la préventionet

la répressiondu crime de génocide. Si le défendeur devait revenirsur son acceptation de la
compétencedela Cour en application de ladite conventione qu'entout état de causeil n'estpas
autoriséàfaire- le Gouvernementde la Bosnie-Herzégovinese réservele droit d'invoquertoutes
lesautresbasesde compétenceexistantes,oucertainesd'entreelles,et de formulera nouveautoutes
les conclusions et demandes qu'ellea déjàprésenté.u certaines d'entre elles.

La Haye. le 15 avril 1994

(Sign é)uhamed SACIRBEY

Agent du Gouvernementde la République
de Bosnie-Herzégovine.

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Mémoire du Gouvernement de la République de Bosnie-Herzégovine

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