COUR INTERNATIONALE DE JUSTICE
AFFAIRE DE LA COMPETENCE
EN MATIÈRE DE PÊCHERIES
(ESPAGNE c. CANADA)
CONTRE-MÉMOIRE DU CANADA
(COMPETÉNCE)
FÉVRIER 1996
__________
TABLE DES MATIÈRES
Page
INTRODUCTION 1
CHAPITRE I - LE CONTEXTE FACTUEL ET HISTORIQUE 7
Introduction 7
A. La crise de la conservation des ressou9ces halieutiques
dans l'Atlantique Nord-Ouest exigeait une action urgente
1. Le Canada était confronté à l'eff9ndrement des pêcheries de sa côte Est
2. Le recours excessif à la procédure d'objection a 11
empêché l'OPANO de réglementer efficacement les
pêches dans l'Atlantique Nord-Ouest
a. L'Organisation des pêches de 11
l'Atlantique Nord-Ouest
b. Le recours excessif à la procédure 13
d'objection et la crise de la
conservation des ressources
halieutiques
B. Face à la crise de la conservation des ressources 15
halieutiques, le Canada a modifié la Loi sur la protection des
pêches côtières et son Règlement, et déposé une nouvelle
déclaration en vertu de la clause facultative
C. L'objection faite par l'Union européenne au quota que lui 18
avait alloué l'OPANO pour le flétan du Groenland a conduit à
une nouvelle modification du Règlement sur la protection des
pêcheries côtières
Conclusion 23
CHAPITRE II - LA SIGNIFICATION ET L'EFFET DE LA 25
DÉCLARATION CANADIENNE DU 10 MAI 1994
Introduction 25
A. Le principe du consentement et l'interprétation des 25
déclarations en vertu de la clause facultative
1. La compétence doit être fondée sur un consentement réel 25
2. Le consentement ne saurait être présumé 27
3. Les déclarations en vertu de la clause facultative 27
doivent être interprétées d'une «manière naturelle et
raisonnable», de façon à donner plein effet à
l'intention de l'Etat déclarant
4. L'interprétation devrait être guidée par le principe33
de la bonne foi 5. L'interprétation devrait donner un effet réel et 34
substantiel à l'objet et au but de la déclaration et de
ses réserves
6. Les réserves à une déclaration en vertu de la clause35
facultative en font partie intégrante; elles n'y dérogent
pas
7. Il n'y a pas de charge de la preuve, mais un critère37
de preuve rigoureux s'applique au consentement
B. La signification et l'effet de la nouvelle réserve à la 40
déclaration du Canada
1. La portée géographique de la réserve est délimitée 41
avec précision
2. Le dispositif est englobant et clair 42
3. Les circonstances confirment l'intention que le 48
Canada attribue à la réserve
Conclusion 51
CHAPITRE III - LES TENTATIVES DE L'ESPAGNE POUR 53
CONTOURNER LA DÉCLARATION DU CANADA
Introduction 53
A. Les diverses interprétations de l'Espagne 53
1. Interprétation n1 : La réserve ne s'applique qu'aux 53
«mesures» manifestement conformes au droit
international
a. Cet argument occupe une place 53
centrale dans le mémoire de l'Espagne
b. L'interprétation de l'Espagne place 56
le fond avant la compétence
c. L'interprétation de l'Espagne ne 58
respecte pas le sens ordinaire des mots d. La conformité avec les accords 59
internationaux n'est pas un critère
pertinent
e. Une interprétation qui respecte le 60
libellé du texte et l'intention de son
auteur ne peut jamais être «anti-
statutaire»
o
2. Interprétation n 2 : La réserve ne s'applique qu'aux 62
bateaux apatrides et leurs équivalents
a. L'argument n'est pas fondé en fait 63
b. L'argument méconnaît le libellé 66
général de la réserve
o
3. Interprétation n3 : Seul le règlement, et non la loi,68
appartient à la catégorie des «mesures de gestion et de
conservation»
a. Une mesure législative visant la 68
gestion et la conservation des pêches
est, par définition, une mesure de
gestion et de conservation
b. L'interprétation de l'Espagne repose 72
sur une distinction sans pertinence
c. L'interprétation n'est pas conforme à 73
l'intention reconnue de la réserve
d. L'interprétation repose sur une 74
conception erronée de la loi
B. Les diverses interprétations de l'Espagne priveraient la 74
réserve du Canada de tout effet pratique
C. Il n'y a pas de doctrine d'interprétation restrictive des 77
réserves aux déclarations en vertu de la clause facultative
Conclusion 82
CHAPITRE IV - LE DIFFÉREND A ÉTÉ RÉGLÉ 85
Introduction 85 A. Le différend a été réglé depuis le dépôt de la requête 86
B. Les conclusions de l'Espagne sont désormais sans objet 89
Conclusion 93
RÉSUMÉ DES PRINCIPAUX ARGUMENTS 94
CONCLUSION 95
LISTE DES ANNEXES 97
INTRODUCTION
1. Le 28 mars 1995, le Royaume d'Espagne («l'Espagne») a déposé auprès de la Cour
internationale de Justice («la Cour»), aux termes du paragraphe 2, article 36, de son Statut,
une requête par laquelle il demande :
«A) que la Cour déclare que la législation canadienne, dans la mesure où elle
prétend exercer une juridiction sur les navires battant pavillon étranger en
haute mer, au-delà de la zone économique exclusive du Canada, est
inopposable au Royaume d'Espagne;
B) que la Cour dise et juge que le Canada doit s'abstenir de réitérer les actes
dénoncés, ainsi qu'offrir au Royaume d'Espagne la réparation due, concrétisée
en une indemnisation dont le montant doit couvrir tous les dommages et
préjudices occasionnés; et,
C) que, en conséquence, la Cour déclare aussi que l'arraisonnement en haute
mer, le 9 mars 1995, du navire sous pavillon espagnol Estai et les mesures de
coercition et l'exercice de la juridiction sur celui-ci et sur son capitaine,
constitue (sic) une violation concrète des principes etnormes de Droit
International ci-dessus indiqués1.»
2. A la suite de cette requête, le Canada a, le 21 avril 1995, fait objection à la compétence de
la Cour en l'espèce, déclarant : «la Cour n'a manifestement pas la compétence nécessaire pour se prononcer
sur la requête introduite par l'Espagne le 28 mars dernier, en raison de
l'alinéa (d) du paragraphe 2 de la déclaration du 10 mai 1994 par laquelle le
Canada a accepté la compétence obligatoire de la Cour en vertu de l'article 36,
paragraphe 2 de son Statut2».
En conséquence, le 2 mai 1995, le Président de la Cour a rendu l'ordonnance suivante :
«Décide que les pièces de la procédure écrite porteront d'abord sur la question
de la compétence de la Cour pour connaître du différend;»
et a fixé comme suit la date d'expiration des délais pour le dépôt de ces pièces :
«Pour le mémoire du Royaume d'Espagne, le 29 septembre 1995;
Pour le contre-mémoire du Canada, le 29 février 1996.»
Enfin, le Président a réservé la suite de la procédure3.
3. Conformément à l'ordonnance du Président en date du 2 mai 1995, le présent contre-
mémoire porte sur la compétence de la Cour. En réponse au mémoire de l'Espagne, il
démontrera que l'un des effets de la déclaration d'acceptation de la compétence obligatoire de
la Cour déposée par le Canada le 10 mai 1994 en vertu de l'article 36, paragraphe 2, du Statut,
est d'exclure la compétence de la Cour pour connaître de la requête de l'Espagne.
4. Malgré la longue incursion sur le fond que se permet l'Espagne dans son mémoire, seuls les
faits suivants sont pertinents en ce qui concerne la compétence de la Cour. Le 10 mai 1994, le
Canada a modifié sa déclaration d'acceptation de la compétence obligatoire de la Cour en
vertu de la «clause facultative» de l'article 36, paragraphe 2, du Statut. Dans sa nouvelle
déclaration, le Canada «accepte comme obligatoire de plein droit et sans convention spéciale,
sous condition de réciprocité, ... la juridiction de la Cour», avec, notamment, une réserve
visant :
«les différends auxquels pourraient donner lieu les mesures de gestion et de
conservation adoptées par le Canada pour les navires pêchant dans la zone de
réglementation de l'OPAN [OPANO], telle que définie dans la convention sur
la future coopération multilatérale dans les pêches de l'Atlantique Nord-Ouest,
1978, et l'exécution de telles mesures4».
5. Le jour même du dépôt de cette déclaration, le gouvernement du Canada présentait au
Parlement la Loi modifiant la Loi sur la protection des pêches côtières (la loi C-29)5. Cette
loi portait sur la gestion et la conservation des ressources halieutiques et sur des questions
connexes d'exécution dans la zone de réglementation de l'Organisation des pêches de
l'Atlantique Nord-Ouest (OPANO), laquelle est adjacente à la zone de pêche de 200 milles
marins du Canada6. Comme le prévoyait la loi C-29, et pour en permettre l'application, un
règlement était pris quinze jours plus tard, soit le 25 mai 19947. Ce règlement était modifié le
3 mars 1995, de manière à assujettir les navires espagnols et portugais à la loi8.
6. La requête de l'Espagne a été déposée par suite de la saisie, le 9 mars 1995, du navire de
pêche espagnol Estai par des fonctionnaires canadiens en exécution des mesures de gestion etde conservation adoptées par le Canada à l'égard des navires pêchant dans la zone de
réglementation de l'OPANO. Ce sont donc ces mesures et leur exécution qui ont donné lieu à
la présente affaire, et celle-ci correspond dès lors en tous points aux termes de la réserve
apportée par le Canada à la compétence de la Cour.
7. La compétence des tribunaux internationaux repose sur le consentement des Etats. Ceux-ci
ont le droit souverain de régler leurs différends par le moyen pacifique de leur choix,
conformément au droit international. La plupart décident au cas par cas du mode de règlement
qui leur convient. Un nombre relativement restreint d'Etats, dont le Canada, ont choisi
d'accepter la compétence obligatoire de la Cour pour un ensemble de différends, en vertu de la
clause facultative. En raison de la primauté du consentement, la Cour doit être convaincue que
les deux parties à un différend ont accepté la voie du recours judiciaire avant de se déclarer
compétente en vertu de la clause facultative. Autrement dit, elle doit déterminer si le différend
en question se situe dans les limites de sa compétence telles que définies par les parties dans
leurs déclarations.
8. Le sens ordinaire des mots employés par le Canada dans sa réserve indique avec précision
les limites de son consentement et exclut à l'évidence la présente affaire de la compétence de
la Cour. On peut parfois concevoir un doute face à des développements imprévus et se
demander s'ils sont couverts par le libellé général d'une réserve antérieure. Il ne saurait
toutefois y avoir de doute lorsque la situation à l'origine du litige est celle-là même que visait
au départ la réserve.
9. Les déclarations en vertu de la clause facultative doivent être interprétées selon le sens
naturel de leur libellé, de manière à donner effet à l'intention de l'Etat déclarant. La réserve du
Canada délimite précisément son objet et exclut tout ce qui concerne cet objet de la
compétence de la Cour. Elle couvre tous les aspects de la requête de l'Espagne, et établit hors
de tout doute que le consentement sur lequel la compétence doit toujours être fondée est
totalement absent en l'espèce. Les circonstances qui l'ont entourée, y compris les déclarations
faites au moment de son dépôt, confirment l'intention que le Canada attribue à la réserve. Le
Canada a présenté la loi C-29 le jour même où il déposait sa nouvelle déclaration en vertu de
la clause facultative. L'intention qui l'animait à ce moment-là a été clairement exprimée par le
ministre canadien des Affaires étrangères, l'honorable André Ouellet, dans les termes
suivants : «Afin de protéger l'intégrité de cette loi, nous avons présenté une réserve ... auprès
de la Cour internationale de justice9.»
10. Niant à la fois l'évidence et une abondante jurisprudence, l'Espagne demande à la Cour de
faire abstraction du sens ordinaire des mots employés par le Canada et de déformer l'intention
manifeste qui l'animait au moment où il a fait sa déclaration, pour aboutir à une interprétation
qui n'a rien de commun ni avec ces mots ni avec cette intention. L'Espagne demande en fait à
la Cour d'imputer le consentement à qui ne l'a pas donné, et n'avait nullement l'intention de le
donner.
11. Il est difficile d'examiner les arguments espagnols de façon systématique car ils n'ont eux-
mêmes rien de systématique. Dans bien des cas, les diverses thèses espagnoles se contredisent
et ne sauraient coexister. Dans certains passages de son mémoire, l'Espagne soutient que la
présente affaire ne porte pas sur des mesures de gestion et de conservation, car, allègue-t-elle,
le terme «mesures» ne peut désigner que des mesures manifestement conformes au droit
international. Mais, si tel était le cas, la Cour serait forcée de statuer sur le fond avant même
de vérifier si elle a ou non compétence dans telle ou telle affaire, ce qui viderait de leur sensles réserves figurant dans les déclarations en vertu de la clause facultative. Ailleurs dans son
mémoire, l'Espagne donne à entendre que la réserve du Canada ne s'applique qu'aux bateaux
apatrides et leurs équivalents. Cette assertion ne tient pas, face au texte lui-même et aux
explications claires données par le gouvernement du Canada au moment du dépôt de sa
déclaration. Ailleurs encore dans son mémoire, l'Espagne prétend que seul le règlement est
une «mesure», mais non la loi C-29 elle-même. Par conséquent, dit l'Espagne, la réserve du
Canada ne s'applique qu'aux différends découlant du règlement et non à ceux découlant de la
loi sous l'empire de laquelle a été pris le règlement. En niant ainsi qu'une mesure législative
est par définition une mesure, l'Espagne méconnaît le sens normal des mots et cherche encore
une fois à contredire l'intention pourtant manifeste qui a présidé à la déclaration du Canada.
12. Le différend qui a donné lieu à la présente affaire est réglé, et le Canada s'étonne de voir
l'Espagne poursuivre la procédure. Les événements décrits ci-dessus ont mené à d'intenses
négociations entre le Canada et l'Union européenne10. Peu de temps après la saisie de l'Estai
et l'introduction de la présente instance, le Canada et l'Union européenne ont réglé le différend
au moyen d'un accord sur l'application de mesures de contrôle et d'exécution agréées dans la
zone de réglementation de l'OPANO. Le 1 mai 1995, le Règlement sur la protection des
pêcheries côtières était modifié de manière à rayer l'Espagne et le Portugal de la liste des
Etats dont les navires pouvaient être assujettis aux dispositions de la Loi sur la protection des
pêches côtières et du Règlement11. En conséquence, la législation canadienne ne s'applique
plus à l'Espagne. Par ailleurs, les poursuites engagées contre l'Estai et son capitaine ont été
abandonnées sur ordre du procureur général du Canada, les cautions versées pour obtenir leur
libération ont été remboursées, avec intérêt, et la partie confisquée des captures de l'Estai a été
restituée. De ce fait, il n'y a plus de différend entre les parties.
13. Le présent contre-mémoire comporte quatre chapitres. Au chapitre I, le Canada expose les
faits pertinents au regard de la compétence de la Cour en l'espèce, et décrit le contexte général
de l'affaire. Le chapitre II montre que la déclaration déposée le 10 mai 1994 par le Canada
enlève à la Cour toute compétence pour statuer sur la requête de l'Espagne. Au chapitre III
sont réfutées les diverses interprétations que propose l'Espagne en vue de contourner cette
déclaration, et en particulier la réserve figurant en son paragraphe 2, alinéa d). Enfin, au vu
des événements qui ont suivi la saisie de l'Estai et le dépôt de la requête de l'Espagne, le
chapitre IV démontre que le différend ayant donné lieu à la présente affaire est réglé.
CHAPITRE I
LE CONTEXTE FACTUEL ET HISTORIQUE
Introduction
14. Le mémoire de l'Espagne dissimule mal un plaidoyer sur le fond. En s'aventurant si loin
dans cette voie, l'Espagne fait fi de l'ordonnance du Président du 2 mai 1995, qui restreint
cette étape de la procédure aux questions d'ordre juridictionnel. De plus, l'Espagne présente
les faits sous un faux jour et de façon sélective. Le Canada estime donc devoir fournir à la
Cour un compte rendu exact des événements ayant mené à cette affaire.
15. Les faits pertinents au regard de la compétence sont peu nombreux et incontestés. Le
10 mai 1994, le Canada a déposé une nouvelle déclaration en vertu de la clause facultative,comportant en son paragraphe 2, alinéa d), une nouvelle réserve qui soustrait à la compétence
de la Cour «les différends auxquels pourraient donner lieu les mesures de gestion et de
conservation adoptées par le Canada pour les navires pêchant dans la zone de réglementation
de l'OPAN [OPANO] ... et l'exécution de telles mesures12». Ce même 10 mai, le
gouvernement du Canada a présenté un projet de loi relatif à la gestion et à la conservation
dans la zone de réglementation de l'OPANO. La loi C-29 a été adoptée par le Parlement et a
reçu la sanction royale le 12 mai 199413. Un règlement énonçant les détails essentiels à
l'application de la loi C-29 a été adopté le 25 mai 199414, puis modifié le 3 mars 1995 de
manière à assujettir à la législation les navires espagnols et portugais15. Le 9 mars 1995, le
navire de pêche espagnol Estai a été inspecté puis saisi, et son capitaine arrêté16, en
application de la législation canadienne.
16. Ces faits sont incontestés et suffisent à la Cour pour trancher la question de sa
compétence. Les désaccords qui pourraient exister entre les parties sur certains aspects du
contexte factuel général du différend portent sur le fond, et la Cour n'a pas à les résoudre pour
se prononcer sur sa compétence. Le Canada attire cependant l'attention de la Cour sur le
silence éloquent que maintient l'Espagne
Figure 1 [65 kb]
sur la crise de la conservation des ressources halieutiques, vraisemblablement dans le but de
faire oublier les préoccupations réelles à l'origine des mesures de gestion et de conservation
prises par le Canada. Le présent contre-mémoire permettra à la Cour de se faire une idée
exacte des circonstances de la présente affaire. Dans le but d'éviter un débat sur le fond, le
Canada s'abstiendra cependant de commenter exhaustivement les nombreuses erreurs et
omissions factuelles du mémoire de l'Espagne, et il réserve donc sa position quant à
l'exactitude des thèses espagnoles.
A. La crise de la conservation des ressources halieutiques dans l'Atlantique Nord-Ouest
exigeait une action urgente
1. Le Canada était confronté à l'effondrement des pêcheries de sa côte Est
17. Pour comprendre les mesures prises par le Canada en mars 1995, il faut tenir compte de la
crise sans précédent que traversait alors—et que traverse encore—la conservation des stocks
dans l'Atlantique Nord-Ouest, crise dont le mémoire espagnol ne fait aucune mention. Depuis
le début des années 90, le Canada a vu s'effondrer une à une ses pêcheries de la côte Est.
Devant la régression rapide de la quasi-totalité des stocks de poisson de fond17 d'importance
commerciale entièrement situés dans sa zone de 200 milles, il a donc imposé une série de
moratoires, interdisant ainsi toutes les activités de pêche visant des stocks donnés. Les dix
moratoires actuellement en vigueur couvrent la plupart des stocks de poisson de fond
commercialement importants qui se trouvent entièrement dans la zone de 200 milles du
Canada18. Pourtant, la crise de la conservation se poursuit. Comme le faisait remarquer en
1995 la Direction des sciences du ministère canadien des Pêches et des Océans, «à de trèsrares exceptions, les ressources «traditionnelles» de poisson de fond dans les eaux qui
entourent Terre-Neuve restent à un niveau qui n'a pratiquement jamais été aussi bas19».
18. On a également observé une chute des stocks gérés par l'OPANO, qui réglemente la pêche
dans les eaux adjacentes à la zone de 200 milles du Canada. Ainsi, par souci de conservation,
le total admissible des captures (TAC) de la plie canadienne dans les divisions 3LNO de
l'OPANO20 est tombé de 55 000 tonnes en 1986 à zéro en 199421. Le TAC pour la morue
du3NO a de même été ramené de 33 000 tonnes en 1986 à zéro en 199422. En fait, comme le
montre la figure 2 23, il y a eu depuis 1986 une baisse marquée et soutenue des TAC fixés par
l'OPANO pour les stocks chevauchants de poisson de fond. Des six stocks chevauchants de
poisson de fond actuellement gérés par l'OPANO, quatre font en ce moment l'objet d'un
moratoire24. Le flétan du Groenland n'est pas du nombre25.
Figure 2 [34 kb]
19. Les stocks de poisson de fond qui chevauchent la limite de 200 milles au large de la côte
atlantique du Canada sont parmi les plus importants de la région du point de vue commercial.
Leur habitat se situe au large de Terre-Neuve sur la partie du plateau continental appelée le
«Grand Banc», dont 10 % environ s'étend à l'extérieur de la zone de pêche de 200 milles du
Canada. Ainsi donc, alors qu'une partie de ces stocks se trouve à l'intérieur de cette zone,
l'autre se trouve juste au-delà, dans les secteurs du «Nez» et de la «Queue» du Banc26. En
raison de leur unité biologique, les stocks chevauchants qui sont surexploités au-delà de la
limite de 200 milles s'épuisent aussi dans la zone de juridiction nationale27. C'est précisément
ce qui s'est produit dans l'Atlantique Nord-Ouest.
2. Le recours excessif à la procédure d'objection a empêché l'OPANO de réglementer
efficacement les pêches dans l'Atlantique Nord-Ouest
a. L'Organisation des pêches de l'Atlantique Nord-Ouest
20. C'est en 1949, avec la conclusion de la Convention internationale pour les pêcheries de
l'Atlantique Nord-Ouest (CIPANO)28, que la communauté internationale s'est préoccupée
pour la première fois de réglementer la pêche en haute mer dans l'Atlantique Nord-Ouest. En
1979, la CIPANO a été remplacée par la Convention sur la future coopération multilatérale
dans les pêches de l'Atlantique Nord-Ouest (la convention de l'OPANO29), qui a donné
naissance à l'OPANO30.
21. La convention de l'OPANO s'applique à la «zone de la convention», qui est définie par des
coordonnées géographiques à l'article I et comprend la majeure partie de l'Atlantique Nord-
Ouest. L'OPANO ne réglemente toutefois la pêche que dans la zone de réglementation de
l'OPANO, c'est-à-dire la partie de la zone de la convention située au-delà de la zone de
200 milles du Canada (voir la figure 1). Les décisions concernant les activités de pêche dans
la zone de réglementation sont prises par la Commission des pêches de l'OPANO, sur avis du
Conseil scientifique et d'autres organes subsidiaires. La Commission peut adopter des
propositions de mesures de conservation, de gestion et d'application, y compris l'établissement
de TAC et de quotas pour les Parties contractantes31. De façon générale, les propositionsadoptées par la Commission deviennent des mesures exécutoires pour toutes les Parties, sauf
pour celles qui ont présenté une objection32.
22. Le programme mutuel d'inspection et de surveillance de l'OPANO, qui a pris la suite d'un
programme semblable établi sous le régime de la CIPANO33, confère aux Parties
contractantes des droits réciproques d'arraisonnement et d'inspection des navires. Aux termes
de ce programme, les inspecteurs à bord des navires de patrouille de l'une des Parties
contractantes peuvent arraisonner et inspecter les navires de pêche de toute autre Partie, et
émettre des citations pour toute infraction aux mesures de conservation et de gestion de
l'OPANO. L'Etat du pavillon est alors notifié et l'Etat inspecteur lui communique la preuve
nécessaire pour donner suite à l'affaire34. Le programme de l'OPANO souffrait cependant
d'un grave défaut : il ne prévoyait aucun suivi systématique par l'Etat du pavillon après la
remise d'une citation. Dans certains cas, on a pu croire que ces citations n'étaient suivies
d'aucun effet, particulièrement lorsque des navires en ayant reçu plusieurs continuaient quand
même à pêcher.
b. Le recours excessif à la procédure d'objection et la crise de la conservation des
ressources halieutiques
2er L'Espagne est devenue membre de la Communauté économique européenne le
1 janvier 1986. Toutefois, en raison de certains problèmes, dont les pratiques de pêche de sa
flotte, elle ne s'est vu accorder, aux termes du traité d'accession, qu'un accès restreint aux eaux
de la Communauté pour une période d'au moins dix ans35. Une grande partie de la flotte
espagnole a donc continué de faire porter ses efforts sur des lieux de pêche lointains,
notamment au large des côtes namibiennes. A la fin des années 80 et au début des années 90,
cependant, l'importante flotte espagnole de chalutiers-usines congélateurs s'est retirée des
eaux au large de la Namibie pour venir mener ses activités dans la zone de réglementation de
l'OPANO. En 1994, la flotte de l'Union européenne dans cette zone était surtout constituée de
navires espagnols et portugais.
24. Jusqu'à la réunion annuelle de 1985 de l'OPANO, l'Union européenne avait accepté toutes
les décisions de celle-ci sur les TAC et les quotas. Les objections venant d'autres Parties
contractantes étaient rares. A partir de 1985, cependant, l'Union européenne a
systématiquement fait objection aux décisions de l'OPANO visant la majorité des huit stocks
de poisson de fond gérés par cette organisation, ainsi qu'à son moratoire sur la morue du nord
à l'extérieur de la zone de 200 milles36. Au total, elle a présenté quarante-huit objections
entre 1985 et 1991, ce qui a entraîné de larges excédents dans les captures effectuées par ses
navires tout au long de cette période par rapport aux quotas alloués par l'OPANO. En 1986,
par exemple, l'ensemble des quotas auxquels avaient droit les Etats membres de l'Union pour
la morue du 3NO s'élevait à 12 345 tonnes37. A la suite d'un recours à la procédure
d'objection, les captures de ce stock déclarées par l'Union européenne en 1986 totalisaient
30 285 tonnes38. De même, en 1986, les membres de l'Union ont fait objection à leur quota
de zéro tonne pour le sébaste du 3LN39 et leurs flottes ont par la suite capturé 23 388 tonnes
de ce stock40.
25. En 1988, le Conseil général de l'OPANO adoptait la résolution 4/88, appelant «toutes les
Parties contractantes à éviter de faire un usage excessif ou inapproprié de la procédure
d'objection», et en 1989, la résolution 1/89, appelant «toutes les Parties contractantes à
respecter le cadre de gestion de l'OPANO en place depuis 1979, et de se conformer aux
décisions de l'OPANO, afin d'assurer la conservation des stocks et de maintenir l'esprit decoopération et de compréhension mutuelle au sein de l'organisation»41. Ces résolutions sont
demeurées sans effet.
26. En 1992, il était devenu évident pour toutes les Parties contractantes que les stocks
s'étaient gravement appauvris et que les prises étaient trop élevées. A la réunion annuelle de
l'OPANO, en septembre 1992, les Parties contractantes décidaient de nouvelles réductions des
TAC et des quotas, sans rencontrer d'objection de la part de l'Union européenne42. Les
réductions et les moratoires dont il a été convenu par la suite, à la réunion annuelle de 1993 et
lors d'une rencontre extraordinaire en février 1994, montrent à quel point les stocks gérés par
l'OPANO étaient menacés43. L'Union européenne n'a pas davantage fait objection aux
décisions adoptées.
27. Malgré ces efforts du Canada et de l'OPANO, les stocks chevauchants ont continué de
s'amenuiser. Au début de 1994, tandis que toutes les Parties contractantes de l'OPANO
semblaient contrôler leurs flottes, le problème le plus immédiat venait des activités de pêche
de nombreux navires battant le pavillon d'Etats autres que des Parties contractantes et
pratiquant la libre immatriculation. Ceux-ci pêchaient dans la zone de réglementation au
mépris total des mesures de conservation et de gestion de l'OPANO, qu'ils n'étaient pas
juridiquement tenus de respecter44. Ces navires, auxquels s'ajoutaient peut-être quelques
navires sans nationalité, effectuaient des prises importantes de poissons sous moratoire,
aggravant d'autant la situation de ces stocks déjà fragiles et les empêchant de se
reconstituer45.
B. Face à la crise de la conservation des ressources halieutiques, le Canada a modifié la
Loi sur la protection des pêches côtières et son Règlement, et déposé une nouvelle
déclaration en vertu de la clause facultative
28. En réponse à la crise, et sachant l'OPANO incapable d'assurer adéquatement la
conservation et la gestion des stocks chevauchants menacés, le gouvernement du Canada a, le
10 mai 1994, présenté au Parlement la loi C-2946 et déposé aux Nations Unies une nouvelle
déclaration canadienne en vertu de la clause facultative. La loi C-29 avait pour but de mettre
fin à la destruction des stocks chevauchants de l'Atlantique Nord-Ouest et d'en permettre la
reconstitution, comme l'indique clairement le nouvel article 5.1 :
«Le Parlement, constatant que les stocks chevauchants du Grand Banc de Terre-Neuve
constituent une importante source mondiale renouvelable de nourriture ayant assuré la
subsistance des pêcheurs durant des siècles, que ces stocks sont maintenant menacés
d'extinction, qu'il est absolument nécessaire que les bateaux de pêche se conforment, tant dans
les eaux de pêche canadiennes que dans la zone de réglementation de l'OPAN [OPANO], aux
mesures valables de conservation et de gestion de ces stocks, notamment celles prises sous le
régime de la Convention sur la future coopération multilatérale dans les pêches de
l'Atlantique nord-ouest, faite à Ottawa le 24 octobre 1978 et figurant au numéro 11 du Recueil
des traités du Canada (1979), et que certains bateaux de pêche étrangers continuent d'exploiter
ces stocks dans la zone de réglementation de l'OPAN [OPANO] d'une manière qui
compromet l'efficacité de ces mesures, déclare que l'article 5.2 a pour but de permettre au
Canada de prendre les mesures d'urgence nécessaires pour mettre un terme à la destruction de
ces stocks et les reconstituer tout en poursuivant ses efforts sur le plan international en vue de
trouver une solution au problème de l'exploitation indue par les bateaux de pêche étrangers.»29. La loi C-29 visait donc à faire cesser la surpêche qui menaçait la survie et empêchait la
reconstitution des stocks chevauchants dans la zone de réglementation de l'OPANO. Le
nouvel article 5.1 montre à l'évidence que les modifications n'avaient pas pour but d'étendre
de manière permanente la juridiction du Canada en matière de pêche47, mais qu'elles avaient
une portée limitée et visaient à sauver les stocks. En présentant le projet de loi au Parlement,
le ministre des Pêches et des Océans, l'honorable Brian Tobin, a expliqué que le Canada se
dotait temporairement d'un instrument qui «nous habilitera à appliquer les mesures de
conservation nécessaires pour protéger les espèces menacées d'extinction et qui vaudra non
seulement pour nous-mêmes, mais aussi pour le monde entier48».
30. Le nouvel article 5.2 de la loi interdit à quiconque se trouve à bord d'un navire d'une
classe précisée par règlement dans la zone de réglementation de l'OPANO de pêcher ou de se
préparer à pêcher des stocks chevauchants prescrits, contrairement aux mesures de
conservation et de gestion prescrites49. Les navires et les stocks visés par la loi sont précisés
dans le règlement pris en application du nouvel article 6. Le ministre a été très clair quant à la
portée potentielle de cette interdiction lorsqu'il a présenté le projet de loi au Parlement :
«Le projet de loi donne au Parlement le pouvoir de désigner n'importe quelle
classe de bateaux de pêche, aux fins des mesures de conservation. On ne
précise pas contre qui ces dispositions seraient appliquées. On dit clairement
cependant que tout bateau de pêche qui ne respecte pas les bonnes règles de
conservation généralement reconnues .... pourrait, aux termes des pouvoirs
accordés par ce projet de loi, s'exposer à des mesures de la part du Canada50.»
31. Le 25 mai 1994, un règlement était adopté pour compléter les dispositions de la loi C-
2951. Pris aux termes des nouveaux articles 6 et 8.1 de la loi, celui-ci énonce les détails
nécessaires au fonctionnement du nouvel article 5.2 en précisant les classes des navires qui,
en mai 1994, compromettaient le plus directement la conservation des stocks chevauchants, à
savoir les navires battant le pavillon d'Etats qui pratiquent la libre immatriculation et les
navires sans nationalité. Le règlement désigne par ailleurs certains stocks, dont le flétan du
Groenland, comme stocks chevauchants aux fins des mesures de conservation et de gestion
prescrites. Enfin, il établit des critères rigoureux concernant l'emploi de la force dans
l'exécution de ces mesures52, contrairement aux allégations de l'Espagne53.
C. L'objection faite par l'Union européenne au quota que lui avait alloué l'OPANO pour
le flétan du Groenland a conduit à une nouvelle modification du Règlement sur la
protection des pêcheries côtières
32. En 1994, le flétan du Groenland était le seul stock de poisson de fond de taille importante
qui demeurait commercialement viable dans la zone de pêche de 200 milles du Canada et dans
la zone de réglementation de l'OPANO. Ce poisson, également appelé turbot dans l'Est du
Canada, vit en eau profonde le long du plateau continental de l'Amérique du Nord, depuis le
détroit de Davis au nord (entre le Canada et le Groenland) jusqu'au Grand Banc et au Bonnet
flamand au sud. Même si on le trouve dans la zone de réglementation de l'OPANO, c'est le
Canada qui en a toujours assumé seul la réglementation car, jusqu'en 1989, la quasi-totalité de
la pêche de cette espèce s'effectuait en eaux canadiennes.
33. Par suite du rapide déclin des stocks qu'elle avait surexploités dans les années 80, la flotte
espagnole s'est tournée vers le flétan du Groenland, une espèce qu'elle n'avait pas
traditionnellement pêchée. Faisant fi des avertissements donnés dès 1992 par le Conseilscientifique de l'OPANO54 et des représentations des responsables canadiens auprès de leurs
homologues de l'Union européenne quant à la nécessité de réduire les prises de cette espèce,
l'Espagne a continué d'intensifier son effort de pêche et d'accroître ses captures. Aussi, tandis
que les prises de flétan du Groenland diminuaient régulièrement dans la zone de pêche de
200 milles du Canada à la fin des années 80 et au début des années 90, en raison à la fois de
l'amenuisement du stock et de l'intensification des contrôles nationaux, le total des captures
effectuées dans la zone de réglementation de l'OPANO faisait un bond spectaculaire. Alors
qu'elle n'avait pris que 13 tonnes de cette espèce en 198955, la flotte espagnole en a pêché à
elle seule environ 35 000 tonnes en 199256 et de nouveau en 199357, et plus de 40 000 tonnes
en 199458.
34. A ces taux de capture non viables s'ajoutait un sérieux problème de fausses déclarations
des prises par les navires espagnols et portugais. En 1994, les citations remises à des navires
de l'Union européenne pour infractions aux règles de l'OPANO ont atteint des niveaux
extrêmement élevés. Quarante-neuf citations ont été délivrées par le Canada en 199459,
comparativement à vingt-six l'année précédente60. Dans les deux cas, bon nombre de ces
citations portaient sur de fausses déclarations quant au volume des prises et aux espèces
capturées. A l'automne 1994, le Canada s'alarmait de l'absence apparente de réaction efficace
à ces citations61 de la part des autorités espagnoles et portugaises, l'estimant susceptible de
compromettre gravement la conservation de tous les stocks gérés par l'OPANO, y compris le
flétan du Groenland.
35. En juin 1994, le Conseil pour la conservation des ressources halieutiques du Canada
parvenait à la conclusion que le stock de flétan du Groenland était gravement surexploité, et
qu'une importante réduction des captures s'imposait62. Toujours en juin 1994, le Conseil
scientifique de l'OPANO, ayant évalué l'état du stock de flétan du Groenland, déclarait qu'il y
avait lieu de «s'inquiéter de l'impact des activités de pêche actuelles sur le stock, car, étant une
espèce de fond à croissance lente, le flétan du Groenland est vraisemblablement incapable de
soutenir des niveaux d'exploitation élevés63».
36. Devant cette situation, le Canada a imposé de sévères restrictions à la pêche du flétan du
Groenland dans sa zone de 200 milles. Celles-ci comprenaient notamment une réduction du
TAC pour la partie des sous-zones 2 et 3 que le Canada gère seul, de 100 000 tonnes en
198964 à 6 500 tonnes à peine en 199465. Toutefois, le Canada se rendait compte qu'il ne
pouvait combattre le déclin du stock par la seule réglementation des captures dans sa zone de
200 milles. En effet, comme le flétan du Groenland chevauche la limite de cette zone, les
prises excessives effectuées au-delà de cette limite mettaient en danger la totalité du stock.
37. En septembre 1994, le Canada a donc proposé que, pour la première fois, l'OPANO gère
le stock de flétan du Groenland. Donnant suite à cette demande, l'OPANO a décidé de fixer
pour 1995 un TAC de 27 000 tonnes, soit 8 000 tonnes de moins que ce que l'Espagne seule
avait pris en 1993. Ce TAC s'appliquait à l'ensemble des sous-zones 2 et 3 de l'OPANO, y
compris les parties de ces zones situées à l'intérieur des eaux canadiennes (voir la figure 1), et
avait pour but de lutter contre le déclin du stock66.
3er Une réunion extraordinaire de l'OPANO s'est tenue à Bruxelles du 30 janvier au
1 février 1995 afin de déterminer la répartition entre les Parties contractantes du TAC de
1995 pour le flétan du Groenland. La Commission des pêches a alors adopté officiellement le
partage suivant : Canada - 60,37 % (16 300 tonnes pour 1995) et Union européenne - 12,59 %
(3 400 tonnes pour 1995), le reste étant réparti principalement entre la Russie et le Japon67.39. Le 2 février 1995, l'Union européenne s'est déclarée insatisfaite de la répartition décidée
par l'OPANO. Le Canada a immédiatement voulu répondre aux préoccupations de l'Union
européenne68 en tentant à plusieurs reprises d'amorcer des négociations aux plus hauts
niveaux, y compris des conversations téléphoniques entre le premier ministre Chrétien et le
président Santer de la Commission européenne. Le 3 mars, toutefois, l'Union européenne
faisait formellement objection au quota fixé par l'OPANO et s'attribuait unilatéralement une
part de 69 % du TAC, soit plus de cinq fois ce que l'OPANO lui avait accordé69.
40. Le Canada constatait donc à la fois un amenuisement continu du stock de flétan du
Groenland et une augmentation des infractions apparentes aux mesures de conservation et de
gestion commises par les navires espagnols et portugais. Sachant que les objections de l'Union
européenne avaient par le passé été suivies d'une surpêche, il a modifié son Règlement sur la
protection des pêcheries côtières le 3 mars 1995, de façon à autoriser la prise de mesures
d'exécution à l'égard des navires espagnols et portugais pêchant les stocks chevauchants dans
la zone de réglementation de l'OPANO en contravention des mesures de conservation
établies. Parmi celles-ci figurait l'interdiction de pêcher le flétan du Groenland70. Comme l'a
expliqué le gouvernement dans le résumé de l'étude d'impact qui accompagne le règlement :
«la principale menace qui pèse sur le flétan du Groenland et entrave la
reconstitution de ses stocks provient des bateaux espagnols et portugais qui, à
moins qu'on ne les en empêche, auront un total de prises dépassant largement
le quota de 3 400 tonnes fixé pour l'UE. [Or, un autre problème important
devait se présenter à partir de 1994 : l'augmentation substantielle des
infractions aux règles de l'OPANO par les bateaux espagnols et portugais.] ...
Les règlements sont essentiels pour mettre fin à la surpêche des stocks de
poisson de fond par les bateaux espagnols et portugais71.»
41. Les navires espagnols ont suspendu leurs activités de pêche après avoir été avertis des
modifications au règlement canadien72. Le 7 mars, toutefois, et malgré les efforts en cours du
Canada pour trouver une solution diplomatique au différend, le secrétaire espagnol aux
Pêches informait les armateurs qu'ils pouvaient continuer à pêcher jusqu'à ce qu'ils atteignent
le quota fixé par l'Union européenne73. Le 8 mars, les navires espagnols se sont donc remis à
pêcher le flétan du Groenland.
42. Le 9 mars 1995, des gardes-pêche canadiens ont arraisonné et inspecté le navire de pêche
espagnol Estai, conformément à la législation canadienne. Sur constatation d'infractions à la
Loi sur la protection des pêches côtières et à son Règlement, le navire a été saisi et son
capitaine arrêté. Ils ont été emmenés à St. John's, Terre-Neuve, où ils ont été accusés d'avoir
enfreint la Loi sur la protection des pêches côtières, et notamment d'avoir pêché le flétan du
Groenland74.
43. Les membres d'équipage de l'Estai ont été relâchés dès leur arrivée à St. John's le
12 mars 1995. Le gouvernement du Canada a offert de les faire rentrer en Espagne par avion à
ses frais, mais ils ont préféré demeurer avec leur navire. Le capitaine a été libéré le 12 mars
sur paiement d'une caution de 8 000 dollars, et le navire, le 15 mars, sur versement d'une
caution de 500 000 dollars. Le navire, l'équipage et le capitaine sont retournés en Espagne.
Une nouvelle comparution en cour devait avoir lieu le 20 avril75.
44. Le 28 mars 1995, l'Espagne déposait auprès de la Cour la requête introduisant la présente
instance.Conclusion
45. A la lumière des faits décrits ci-dessus, il est inconcevable que l'Espagne ne fasse aucune
mention de la crise de la conservation des ressources halieutiques dans l'Atlantique Nord-
Ouest et veuille prêter au Canada «un plan unilatéral d'élargissement des espaces marins76».
D'une part, l'Espagne traite à tort et en longueur du fond de l'affaire, et, d'autre part, elle
présente une version tronquée et déformée des circonstances qui ont précédé la saisie de
l'Estai le 9 mars 1995. Le Canada a donc estimé devoir remettre les pendules à l'heure, même
si les quelques faits strictement pertinents au regard de la compétence ne prêtent pas à
controverse. L'histoire récente des stocks chevauchants de l'Atlantique Nord-Ouest est
marquée par la crise et le déclin. Dans ces conditions, il est clair que les décisions prises par le
Canada en mai 1994 et en mars 1995 obéissaient aux impératifs de la conservation77.
CHAPITRE II
LA SIGNIFICATION ET L'EFFET DE LA DÉCLARATION CANADIENNE DU
10 MAI 1994
Introduction
46. L'argument juridique avancé par l'Espagne dans son mémoire est à ce point fallacieux
qu'un retour aux principes de base s'impose. Le présent chapitre débute donc par un rappel de
ces principes, dont les plus importants sont les suivants : la compétence dépend toujours de
l'existence d'un consentement réel; l'interprétation d'une déclaration en vertu de la clause
facultative doit avoir pour but de déterminer si ce consentement a effectivement été donné; et
l'interprétation d'une déclaration et de ses réserves doit être fondée sur une manière naturelle
et raisonnable de lire le texte, eu égard à l'intention de l'Etat déclarant.
47. La suite du chapitre est consacrée à une analyse de la réserve figurant au paragraphe 2,
alinéa d), de la déclaration déposée par le Canada le 10 mai 1994. La lettre et l'esprit de la
réserve se marient parfaitement. Ni le sens ordinaire des termes employés, ni les circonstances
qui ont présidé au dépôt de la nouvelle déclaration ne laissent subsister le moindre doute
quant à l'exclusion de l'ensemble du différend de la compétence de la Cour.
A. Le principe du consentement et l'interprétation des déclarations en vertu de la
clause facultative
1. La compétence doit être fondée sur un consentement réel48. Le consentement des Etats est à la base de la compétence des tribunaux internationaux.
Dans la récente affaire du Timor oriental (Portugal c. Australie), la Cour a rappelé que «l'un
des principes fondamentaux de son Statut est qu'elle ne peut trancher un différend entre des
Etats sans que ceux-ci aient consenti à sa juridiction78». Il doit y avoir consentement réel et
l'interprétation d'une déclaration en vertu de la clause facultative et de ses réserves revient en
définitive à déterminer si ce consentement a effectivement été donné.
49. L'exigence du consentement procède de principes fondamentaux. Le «principe du libre
choix des moyens», reconnu par la Charte des Nations Unies et d'autres instruments
internationaux, pose que les Etats sont entièrement libres de recourir au règlement judiciaire
ou à tout autre moyen de règlement pacifique des différends79. S'inspirant de ce principe, la
Cour a affirmé dans l'affaire relative aux Activités militaires et paramilitaires au Nicaragua et
contre celui-ci que les déclarations faites en vertu de l'article 36, paragraphe 2, sont «des
engagements facultatifs, de caractère unilatéral, que les Etats ont toute liberté de souscrire ou
de ne pas souscrire80». Le règlement judiciaire lui-même a été décrit comme n'étant «qu'un
succédané au règlement direct et amiable81» des différends.
50. C'est cette absolue liberté de participer ou non au système de la clause facultative qui
permet aux Etats de formuler des réserves aux déclarations faites en vertu de cette clause82.
Selon la maxime in plus stat minus—qui peut le plus peut le moins—, si un Etat est libre de
ne pas accepter du tout la compétence obligatoire, il est aussi libre de limiter cette compétence
comme bon lui semble lorsqu'il dépose une déclaration en vertu de l'article 36, paragraphe 2.
Comme l'a fait observer le président McNair dans son opinion individuelle dans l'affaire de
l'Anglo-Iranian Oil Co. :
«Un État, ayant loisir de faire une déclaration ou de s'en abstenir, est en droit,
dans l'affirmative, de limiter la portée de sa déclaration en quelque façon qui
lui plaira, toujours sous réserve de réciprocité83.»
51. Ce qui précède ne prête nullement à controverse, mais n'en entraîne pas moins certaines
conséquences au niveau de l'interprétation. En apportant une réserve à sa déclaration en vertu
de la clause facultative, l'Etat déclarant exerce unilatéralement son libre arbitre politique. La
réserve doit être interprétée de manière à lui donner sens et effet. Les sections suivantes
démontreront que c'est précisément cette ligne de conduite que la Cour a suivie.
2. Le consentement ne saurait être présumé
52. La Cour a récemment fait mention de la nécessité d'une «manifestation non équivoque» de
la volonté d'accepter sa compétence «de manière volontaire, indiscutable»84. Loin d'être
nouvelles, ces expressions reprenaient des formulations bien connues d'arrêts rendus par la
Cour et sa devancière dans les affaires des Droits de minorités en Haute-Silésie (écoles
minoritaires)85 et du Détroit de Corfou86.
53. La nécessité d'un consentement exprimé de façon non équivoque et indiscutable vaut aussi
bien pour les déclarations en vertu de la clause facultative que pour tout autre instrument ou
acte attributif de compétence. En droit, cela signifie que la compétence ne saurait être
présumée87, mais qu'elle doit être clairement établie à la satisfaction de la Cour.3. Les déclarations en vertu de la clause facultative doivent être interprétées d'une
«manière naturelle et raisonnable», de façon à donner plein effet à l'intention de l'Etat
déclarant
54. Les principes qui régissent l'interprétation des déclarations en vertu de la clause
facultative peuvent être énoncés de façon fort succincte. Dans l'affaire de l'Anglo-Iranian Oil
Co., la Cour a rejeté ce qu'elle a qualifié d'interprétation «purement grammaticale» de la
déclaration iranienne et affirmé :
«Elle [la Cour] doit chercher l'interprétation qui est en harmonie avec la
manière naturelle et raisonnable de lire le texte, eu égard à l'intention du
Gouvernement de l'Iran à l'époque où celui-ci a accepté la compétence
obligatoire de la Cour88.»
Voilà, dans toute sa simplicité, l'énoncé qui fait autorité quant aux principes devant présider à
l'interprétation de ces déclarations et de leurs réserves.
55. Dans l'affaire de l'Anglo-Iranian Oil Co., le Royaume-Uni contestait la loi iranienne sur la
nationalisation du pétrole de 1951. Le titre de compétence invoqué par le demandeur était une
déclaration iranienne d'acceptation de la compétence obligatoire de la Cour permanente de
Justice internationale, signée en 1930 et ratifiée en 1932, portant sur les différends -
«qui s'élèveraient après la ratification de la présente déclaration, au sujet de
situations ou de faits ayant directement ou indirectement trait à l'application
des traités ou conventions acceptés par la Perse et postérieurs à la ratification
de cette déclaration ...89»
Comme le Royaume-Uni appuyait sa réclamation sur des traités antérieurs à la déclaration, la
question principale était de déterminer si l'expression «postérieurs à la ratification de cette
déclaration» renvoyait aux «traités ou conventions acceptés par la Perse» ou plutôt aux
«situations ou faits» donnant lieu au différend.
56. La Cour a conclu qu'elle n'avait pas compétence. Elle a estimé que le texte faisait autorité,
observant que la «déclaration doit être interprétée telle qu'elle se présente, en tenant compte
des mots effectivement employés90». Mais le texte était ambigu91, et la Cour a retenu
l'interprétation conforme à l'intention de l'Iran—qui était d'attribuer compétence à la Cour
uniquement à l'égard des traités postérieurs à la ratification de la déclaration.
57. Cette intention a été confirmée à la lumière des circonstances historiques et de la politique
du Gouvernement de l'Iran au moment du dépôt de la déclaration, notamment de sa volonté de
mettre fin au régime des «capitulations»et aux traités s'y rapportant92. Elle a été corroborée
par les dispositions d'une loi adoptée par l'Iran en 1931 et approuvant le texte de la
déclaration, dans laquelle la Cour a vu «une confirmation décisive de l'intention du
Gouvernement de l'Iran93».
58. La Cour a statué que les objectifs d'ordre politique du Gouvernement de l'Iran étaient
décisifs. S'agissant des conventions capitulaires antérieures à la déclaration, elle a affirmé
dans son arrêt : «Dans ces conditions, il est peu probable que le Gouvernement de l'Iran ait été
disposé, de sa propre initiative, à accepter de soumettre à une cour
internationale de justice les différends relatifs à ces traités, en vertu d'une
clause générale de la déclaration.
On peut donc raisonnablement admettre que, quand le Gouvernement de l'Iran se disposait à
accepter la compétence obligatoire de la Cour, il entendait exclure de cette compétence tous
les différends pouvant se rapporter à l'application des conventions capitulaires; la déclaration
a été rédigée sur la base de cette intention94.»
Bref, la Cour n'était pas prête à approuver une interprétation qui aurait établi une
inconséquence manifeste entre l'effet de la déclaration et l'intention qui animait l'Etat
déclarant au moment pertinent.
59. Dans son arrêt, la Cour a noté que la «déclaration de l'Iran n'est pas un texte contractuel
résultant de négociations», mais plutôt qu'elle «résulte d'une rédaction unilatérale»95. Bien
évidemment, la Cour n'excluait pas ainsi les principes fondamentaux découlant du droit des
traités. L'idée était plutôt qu'il fallait appliquer les grands principes d'interprétation des traités
en tenant dûment compte du caractère spécial des déclarations en vertu de la clause
facultative, et en particulier de leur rédaction unilatérale.
60. La Cour concevait la tâche d'interprétation comme une recherche de l'intention de l'Etat
déclarant. Commentant l'arrêt dans l'affaire de l'Anglo-Iranian Oil Co., Fitzmaurice a écrit :
«la Cour, tout en appliquant généralement les principes ordinaires
d'interprétation des traités, semble avoir été d'avis que le caractère volontaire
et unilatéral de ces déclarations leur conférait une position particulière,
exigeant qu'il soit tenu spécialement compte des intentions connues,
apparentes ou probables de l'Etat déclarant, notamment quant à toute
condition ou limitation dont ledit Etat avait assorti la portée de l'obligation qu'il
assumait ...96»
De même, Rosenne note que, comme une déclaration est «l'expression d'un acte unilatéral de
politique générale» et qu'elle est «marquée par sa qualité particulière d'acte unilatéral, produit
d'une rédaction unilatérale», «la Cour cherchera à déterminer l'intention sous-jacente de l'Etat
déclarant»97. Il ajoute :
«C'est aussi ce qui explique pourquoi, dans plusieurs affaires, la Cour a pris si
grand soin d'explorer les raisons qui ont conduit l'Etat déclarant à insérer des
réserves spéciales dans sa déclaration, et de leur donner effet98.»
La situation a été récemment résumée comme suit :
«Le caractère unilatéral des déclarations et la procédure unilatérale pour leur
entrée en vigueur font qu'il est très important pour la Cour de clarifier et
d'établir la portée et la teneur véritables du consentement de l'Etat déclarant,
c'est-à-dire la portée de la compétence que celui-ci entendait attribuer à la
Cour99.»Dans le cas d'un instrument négocié, l'intention peut être difficile à cerner. Mais lorsqu'il s'agit
de «l'expression d'un acte unilatéral de politique générale100», le libellé témoigne d'un
objectif unique, non pas d'objectifs concurrents ramenés à leur plus petit commun
dénominateur ou de formules conçues pour masquer l'absence d'une communauté réelle
d'objectifs.
61. L'importance particulière attachée à l'intention sous-jacente a été mise en évidence dès
l'affaire des Phosphates du Maroc, où il a été statué que l'interprétation d'une déclaration en
vertu de la clause facultative ne doit pas «dépasser l'expression de la volonté des États qui
l'ont [la déclaration] souscrite101». Cette importance découle du caractère unilatéral des
déclarations, mais elle est aussi le corollaire d'un élément beaucoup plus fondamental : le
principe du consentement.
62. Si l'intention de l'Etat déclarant est d'une importance critique, celui-ci ne jouit pas pour
autant d'un statut privilégié lorsqu'il s'agit d'interpréter sa déclaration. Ce rôle revient à la
Cour en vertu de l'article 36, paragraphe 6, de son Statut. L'intention pertinente n'est pas
l'intention intéressée, telle qu'elle pourrait être affirmée ex post facto, après la saisine de la
Cour, mais l'intention à l'époque du dépôt de la déclaration, qui doit être déterminée
objectivement à l'examen du texte et de toutes les circonstances ayant entouré le dépôt.
Contrairement aux admonestations de l'Espagne102, l'accent nécessairement mis sur
l'intention ne risque ni d'enlever son objectivité au processus, ni de donner le caractère de
réserves «automatiques» à des exclusions objectivement définies. Le spectre agité par
l'Espagne d'un avantage injustifié accordé à l'Etat déclarant ne peut relever que d'une
compréhension erronée des principes fondamentaux.
63. A l'examen des grands arrêts, on constate que la Cour n'interprète pas les réserves de
façon restrictive, mais est fidèle aux termes employés et à l'intention de leurs auteurs. L'affaire
de l'Anglo-Iranian Oil Co. suffit à elle seule à le démontrer. L'affaire du Plateau continental
de la mer Egée103 en apporte une confirmation supplémentaire. Si, dans ce dernier cas, l'arrêt
portait sur une réserve à l'article 17 de l'Acte général de 1928 plutôt que sur la clause
facultative, la situation était néanmoins analogue puisqu'il s'agissait d'une large acceptation de
juridiction donnée «en termes généraux et à l'avance104».
64. Dans l'affaire du Plateau continental de la mer Egée, la question était de savoir si une
réserve de la Grèce relative au «statut territorial» avait pour effet d'exclure la compétence de
la Cour eu égard à la délimitation du plateau continental. La Grèce, Etat demandeur, cherchait
à établir le fondement de cette compétence et plaidait donc en faveur d'une interprétation
restrictive de sa propre réserve. Entre autres arguments, elle soutenait que «la notion même de
plateau continental» était inconnue au moment de la formulation de la réserve105. La Cour a
préféré une interprétation générique et évolutive. Elle a appliqué la réserve concernant le
«statut territorial» au plateau continental, qui pourtant n'existait pas en tant qu'institution
juridique à l'époque du dépôt de la réserve et qui, en soi, ne fait pas intervenir la notion de
territoire. Elle en a ainsi décidé parce que le plateau continental est une émanation de la
souveraineté territoriale et qu'il en est juridiquement inséparable. Il s'agit donc d'une question
«relative» au statut territorial entrant dans le cadre de la réserve grecque106.
65. L'affaire du Plateau continental de la mer Egée montre que les réserves formulées en
termes génériques englobent tout ce qui, en droit ou en fait, est inextricablement lié à leur
objet. De plus, dans son interprétation, la Cour a dûment pris en compte les circonstances
historiques et les «préoccupations» qui avaient motivé au premier chef la formulation de laréserve grecque, tout en refusant de limiter la réserve à ces seules préoccupations. Les
circonstances historiques, et l'intention qu'elles révélaient, ont amené la Cour à rejeter une
interprétation restrictive de la réserve107. Citant l'affaire de l'Anglo-Iranian Oil Co. ainsi que
celles des Droits de minorités en Haute-Silésie et des Phosphates du Maroc, la Cour a
affirmé :
«De fait, il ressort clairement de cette jurisprudence que, pour interpréter la
réserve b), il convient de prendre en considération l'intention du Gouvernement
de la Grèce à l'époque où celui-ci a déposé son instrument d'adhésion à l'Acte
général ...108»
66. Une interprétation étroite des réserves en vertu de la clause facultative est indéfendable au
vu des arrêts de la Cour dans les affaires de l'Anglo-Iranian Oil Co. et du Plateau continental
de la mer Egée, qui font autorité en matière d'interprétation des réserves de fond concernant la
compétence.
4. L'interprétation devrait être guidée par le principe de la bonne foi
67. La bonne foi joue un rôle capital dans l'interprétation des déclarations en vertu de la
clause facultative. Il est aujourd'hui généralement admis que ces déclarations ne sont pas des
traités, mais des instruments d'un caractère sui generis—constituant un «réseau
d'engagements» entre Etats participants109. C'est donc vers «l'exigence de bonne foi» que la
Cour s'est tournée pour justifier l'application du droit des traités «par analogie» à la
dénonciation de ces déclarations110. Cette conclusion rappelle un autre prononcé de la Cour,
celui-là plus général, dans les affaires des Essais nucléaires. Parlant de tous les types
d'obligations juridiques et notamment de celles assumées unilatéralement, la Cour y déclarait :
«L'un des principes de base qui président à la création et à l'exécution
d'obligations juridiques, quelle qu'en soit la source, est celui de la bonne
foi111.»
68. Lorsqu'il s'agit d'interpréter des déclarations en vertu de la clause facultative, la bonne foi
joue donc un rôle primordial. Dans le contexte du droit des traités (où il s'agit à la fois d'un
principe d'interprétation et d'un principe d'exécution112), on a dit de la bonne foi qu'elle
exclut toute interprétation manifestement déraisonnable ou absurde113. La bonne foi
commande de rechercher consciencieusement l'intention véritable de l'Etat déclarant. Elle
exige un authentique respect de la «manière naturelle et raisonnable114» de lire le texte et
discrédite toute tentative visant à attribuer aux mots une signification étroite ou technique qui
serait contraire à leur sens courant. Mais surtout, elle suppose le rejet de toute casuistique qui
serait incompatible avec une recherche consciencieuse de l'intention véritable de l'Etat
déclarant et la nécessité de donner effet à cette intention.
5. L'interprétation devrait donner un effet réel et substantiel à l'objet et au but de la
déclaration et de ses réserves
69. A l'évidence, une déclaration doit être interprétée de manière à avoir l'effet recherché. La
Commission du droit international a associé le principe de l'effet utile, exprimé par la maxime
ut res magis valeat quam pereat, au principe de la bonne foi et à la nécessité de respecter
l'objet et le but de tout instrument115. Comme l'a remarqué la Cour dans l'affaire de
l'Interprétation des traités de paix conclus avec la Bulgarie, la Hongrie et la Roumanie,deuxième phase116, le principe de l'effet utile n'autorise pas à faire abstraction des termes
utilisés, mais, cette limite étant posée, il commande une interprétation qui permette à une
disposition d'avoir ce que la Commission a appelé «les effets voulus117». Dans son analyse
de la jurisprudence récente de la Cour, Thirlway cerne ce concept avec justesse lorsqu'il écrit
qu'«une interprétation qui empêcherait le texte d'atteindre l'objet visé est ... a priori suspecte»
et qu'«une interprétation qui n'en ferait qu'un acte vide de sens doit, pour cette raison, être
considérée comme étant d'une validité douteuse ...»118
70. La doctrine de l'effet utile n'autorise pas à lire dans le texte ce qui n'y est pas. En
revanche, elle permet de contrer toute tentative visant à gommer ce qui y figure. C'est
pourquoi, face aux efforts de l'Espagne pour vider de sa substance la réserve du Canada et la
priver de toute signification pratique, elle mérite qu'on s'y arrête.
71. Qui dit effet utile dit effet réel et non pas symbolique. Une interprétation qui banalise le
texte ou lui donne un sens marginal, qui méconnaît son objet et son but véritables, n'est qu'une
parodie du principe de l'effet utile et n'en constitue pas un succédané acceptable.
6. Les réserves à une déclaration en vertu de la clause facultative en font partie
intégrante; elles n'y dérogent pas
72. Les déclarations en vertu de la clause facultative sont d'un caractère sui generis; elles ne
créent un lien juridictionnel que dans la mesure où le différend concerne des aspects
communs aux déclarations des deux parties au moment de la saisine de la Cour119. Il doit y
avoir chevauchement des deux déclarations sur le fond et le différend doit se situer dans la
zone de chevauchement120. Pour qu'il y ait compétence, il faut donc d'abord établir que
l'objet du différend n'est pas visé par une réserve limitative figurant dans la déclaration de
l'une des parties. Toutes ces considérations sont bien connues et l'Espagne en tient compte,
jusqu'à un certain point, dans son mémoire. Elles demandent que l'opération interprétative se
concentre sur les réserves figurant dans les déclarations des deux parties.
73. Une déclaration en vertu de la clause facultative constitue, avec ses réserves, un
instrument juridique unique, et elle doit être interprétée comme telle121. L'acceptation et les
réserves définissent ensemble les limites exactes du consentement à la compétence obligatoire
donné par un Etat et ce, dans un seul et même instrument, qui prend généralement la forme
d'une seule longue phrase. Ce serait aller à l'encontre du caractère unifié de cet instrument que
d'interpréter l'attribution de compétence selon certains principes, et ses limitations, selon
d'autres.
74. Le terme «réserves» est couramment employé pour désigner les exclusions et limitations
qui figurent dans une déclaration en vertu de la clause facultative, mais cet usage peut prêter à
une certaine confusion. En effet, ces «réserves» ne sont, ni dans les faits ni par analogie,
assimilables aux réserves conventionnelles. Crawford a fait observer qu'une réserve à un traité
est «à la fois conceptuellement et temporellement consécutive ... au traité auquel elle déroge»,
mais que -
«dans le cas de la clause facultative, comme il est établi que des réserves
peuvent être librement formulées, il n'y a tout simplement pas d'accord
préalable : la réserve est partie intégrante de l'acte qui constitue l'accord»122.Il conclut que «les règles relatives aux réserves conventionnelles ne sont pas directement
pertinentes en l'espèce123». Le regretté Jiménez de Aréchaga, ancien Président de la Cour, a
noté que les réserves aux déclarations en vertu de la clause facultative diffèrent des réserves
aux traités en ce sens que les autres parties ne sont pas libres de les accepter ou de les rejeter,
et que le principe du consentement tacite n'intervient pas :
«Les soi-disant réserves aux déclarations en vertu de la clause facultative se
fondent sur un principe juridique différent : `in plus stat minus'. Si une partie
au Statut est en droit de rester tout à fait en dehors du système de la clause
facultative, alors elle doit aussi être en droit de n'accepter que partiellement la
compétence de la Cour en subordonnant son acceptation à certaines conditions
ou limitations.
Il résulte de ce principe que le régime des `réserves' autorisées dans le cadre de
la clause facultative doit, par son essence même, être plus libéral et moins
restrictif que les règles applicables aux réserves pouvant être agréées par les
parties à un traité qui prévoit la compétence obligatoire de la Cour124.»
Dans son mémoire, l'Espagne parle du «jeu de l'interprétation des réserves aux traités125»,
faisant allusion à une possible analogie mais sans aller jusqu'à en tirer des conclusions fermes.
Pour les motifs qui viennent d'être exposés, toute analogie de ce genre serait trompeuse et
dépourvue de fondement.
75. Deux caractéristiques essentielles sont donc à prendre en compte lorsqu'il s'agit
d'interpréter les réserves aux déclarations en vertu de la clause facultative : d'une part, loin de
déroger à ces déclarations, les réserves en font partie intégrante; d'autre part, elles constituent
des manifestations de la liberté absolue des Etats d'accepter ou de limiter la compétence
obligatoire de la Cour. Ces caractéristiques excluent une analyse étroitement sémantique, qui
ne tiendrait compte ni de la pleine signification des termes utilisés ni de l'intention sous-
jacente de l'Etat déclarant.
7. Il n'y a pas de charge de la preuve, mais un critère de preuve rigoureux s'applique au
consentement
76. L'Espagne soutient qu'il incombe au Canada de prouver que la Cour n'est pas
compétente126. Cette conception erronée est sans nul doute à l'origine des craintes
qu'entretient l'Espagne quant à l'ordre de présentation des écritures fixé par le Président de la
Cour dans son ordonnance du 2 mai 1995127-ordre qu'elle avait pourtant initialement
approuvé128, et qui reflète la pratique normale de la Cour.
77. L'Espagne affirme que la simple existence d'une déclaration en vertu de la clause
facultative crée une présomption favorable à la compétence, même s'il existe une réserve qui
est manifestement applicable. («Comme Etat déclarant, il (sic) doit s'en tenir à la validité et la
vigueur (sic) de sa propre déclaration conformément à l'article 36, paragraphe 2, du Statut de
la Cour, et attirer l'attention sur l'existence d'une déclaration du défendeur en se basant sur le
même précept (sic) qui, apparemment valable et en vigueur, implique prima facie le
consentement du demandeur et du défendeur de (sic) la juridiction obligatoire de la Cour dans
leurs relations réciproques129.») Cette affirmation est fausse. Si, par exemple, il existe une
réserve concernant les questions de délimitation maritime, comment pourrait-il y avoir une
compétence prima facie au regard de tout différend relatif à ces questions? Si les différendssurvenus avant une date spécifiée sont exclus, comment pourrait-il y avoir une compétence
prima facie au regard d'un incident survenu avant cette date?
78. Le consentement ne saurait être présumé. La Cour elle-même doit être convaincue que
celui-ci a bien été donné pour que l'affaire puisse être entendue130. Il est donc incorrect de
laisser entendre qu'il existe une charge de la preuve qui incomberait à la partie qui conteste la
compétence. Le prononcé décisif de la Cour à cet égard se trouve dans son arrêt en l'affaire
des Actions armées frontalières et transfrontalières (Nicaragua c. Honduras), compétence et
recevabilité; l'existence de la compétence y est décrite non pas comme une question de fait
(ce qui aurait pu donner un semblant de pertinence à la notion de charge de la preuve), mais
comme «une question de droit qui doit être tranchée à la lumière des faits pertinents131».
Comme dans la présente affaire, les faits essentiels intéressant la compétence n'étaient pas
contestés. La Cour a cité le passage de l'affaire de l'Usine de Chorzów, compétence, qui
conclut :
«C'est toujours l'existence d'une volonté des Parties de conférer juridiction à
la Cour, qui fait l'objet de l'examen de la question de savoir s'il y a compétence
ou non132.»
La Cour a ensuite récapitulé la situation comme suit :
«La Cour va donc devoir rechercher, dans la présente affaire, si la force des
raisons militant en faveur de sa compétence est prépondérante et s'il existe
«une volonté des Parties de [lui] conférer juridiction133.»
79. Dans ses ouvrages fondateurs sur la jurisprudence de la Cour, Fitzmaurice note qu'«une
stricte preuve du consentement134» est requise. Avec la clarté qui le caractérise, il écrit :
«Comme la compétence a pour fondement, et pour seul fondement, le
consentement, elle n'existe tout simplement pas hors du cadre du consentement
donné. En conséquence, la compétence ne saurait être assumée, à tout le moins
dans les affaires où on pourrait sérieusement douter que le consentement ait été
donné et qu'il s'applique au différend»
et
«à strictement parler, la compétence ne saurait être assumée que s'il est tout à
fait clair que les parties sont convenues de son exercice à l'égard du différend
soumis au tribunal ...135»
Comme l'a indiqué le juge Jennings dans l'affaire des Activités militaires et paramilitaires au
Nicaragua et contre celui-ci, fond :
«en application de l'article 36, paragraphe 6, de son Statut, lequel précise sa
compétence pour trancher une contestation sur sa juridiction, la Cour doit
toujours vérifier qu'un consentement a bien été donné ...136»
80. Dans son opinion dissidente jointe à l'arrêt rendu par la Cour dans l'affaire de Qatar et
Bahreïn, le juge Shahabuddeen fait un tour d'horizon instructif de la jurisprudence de la Cour
en ce qui concerne non pas la charge de la preuve, qui est sans pertinence, mais plutôt lecritère de la preuve, qui consiste à préciser ce qui avait été établi en termes généraux dans
l'affaire de l'Usine de Chorzów137. Le juge Shahabuddeen cite l'opinion individuelle du juge
Lauterpacht dans l'affaire relative à Certains emprunts norvégiens : «la Cour ne se déclare pas
compétente à moins que l'intention de lui conférer compétence n'ait été établie sans aucun
doute raisonnable138». Comme la Cour le réaffirme dans l'affaire relative à l'Application de
la convention sur le génocide, l'intention doit être «non équivoque» et elle doit être
«volontaire, indiscutable»139. Le consentement ne saurait être supposé à la légère. Le
fondement de la compétence doit être clair.
81. Ainsi donc, il n'y a pas de charge de la preuve, car la Cour doit être convaincue que le
consentement a été donné avant d'exercer sa compétence, mais il y a un «critère» de la preuve.
Comme le montrent la jurisprudence et les auteurs, ce critère est très rigoureux. Il incombe
aux deux parties d'aider la Cour à déterminer si le consentement requis a effectivement été
donné, et le Canada entend bien, pour sa part, contribuer à cette tâche au mieux de ses
compétences.
B. La signification et l'effet de la nouvelle réserve à la déclaration du Canada
82. Comme l'Espagne n'a allégué en l'espèce qu'un seul titre de compétence, à savoir la
déclaration en vertu de la clause facultative déposée par le Canada le 10 mai 1994, la présente
affaire se limite à déterminer si cette déclaration confère compétence à la Cour, compte tenu
de la réserve formulée en son paragraphe 2, alinéa d). La déclaration du Canada vise :
«les différends qui s'élèveraient après la date de la présente déclaration, au
sujet de situations ou de faits postérieurs à ladite déclaration, autres que (gras
ajouté) :
...
d) les différends auxquels pourraient donner lieu les mesures de gestion et de
conservation adoptées par le Canada pour les navires pêchant dans la zone de
réglementation de l'OPAN [OPANO], telle que définie dans la convention sur
la future coopération multilatérale dans les pêches de l'Atlantique Nord-Ouest,
1978, et l'exécution de telles mesures».
Il est difficile d'imaginer une exclusion de compétence qui cible plus exactement ou plus
soigneusement «de[s] situations ou de[s] faits» du genre de ceux qui ont donné lieu à la
présente procédure.
83. Il sera démontré que la lettre et l'esprit de la réserve du Canada se marient parfaitement.
Celle-ci délimite précisément son objet et exclut tout ce qui concerne cet objet de la
compétence de la Cour.
1. La portée géographique de la réserve est délimitée avec précision
84. Le champ d'application géographique de la réserve ne saurait être défini de façon plus
précise. Comme l'interdiction prévue dans la loi C-29 porte sur la zone de réglementation de
l'OPANO, une formulation identique a été utilisée dans la réserve. Il y est donc question de
«navires pêchant dans la zone de réglementation de l'OPAN [OPANO], telle que définie dansla convention sur la future coopération multilatérale dans les pêches de l'Atlantique Nord-
Ouest, 1978».
85. A l'article premier, paragraphe 2, de la convention de l'OPANO, la zone de réglementation
est définie comme «la partie de la Zone de la Convention qui s'étend au delà des régions dans
lesquelles les États côtiers exercent leur juridiction en matière de pêche». Elle est donc
entièrement située au-delà de la limite de 200 milles, «en haute mer» comme le dit la loi C-29
(figure 1)140.
2. Le dispositif est englobant et clair
86. L'objet de la réserve est défini en termes à la fois englobants et clairs : la réserve porte sur
la pêche dans la zone de réglementation de l'OPANO, ou plus spécifiquement sur les «navires
pêchant» dans cette zone. L'expression «mesures de gestion et de conservation» doit être
interprétée dans ce contexte; le but recherché est la gestion et la conservation des ressources
halieutiques ou, pour reprendre les termes de la Convention des Nations Unies sur le droit de
la mer, des «ressources biologiques» de la mer141. Enfin, la réserve est limitée aux mesures
«adoptées par le Canada». Sa portée se restreint donc aux mesures unilatérales prises par
l'Etat déclarant, à l'exclusion des mesures prises uniquement par les organisations
internationales ou les Etats du pavillon, par exemple. Il n'y pas de restrictions quant aux
catégories de bateaux visés; la réserve s'applique à tous les «navires pêchant» dans la zone
désignée. La formulation est claire et on voit mal pourquoi l'une ou l'autre des expressions
utilisées devrait soulever la moindre difficulté.
87. A des fins de commodité, le libellé de la réserve peut être analysé selon les éléments
suivants :
· le membre de phrase introductif : «auxquels pourraient donner lieu», qui
décrit la nature des différends exclus;
· l'objet de la réserve : des mesures de gestion et de conservation et leur
exécution; et
· l'objet des mesures : tous les navires pêchant dans la zone de réglementation
de l'OPANO.
88. Lorsqu'on lit le membre de phrase introductif de la réserve canadienne, c'est d'abord son
ampleur qui saute aux yeux. L'emploi de l'expression «auxquels pourraient donner lieu»
dénote l'intention de saisir l'objet visé dans tous ses aspects afin d'exclure aussi bien son
essence même que tout ce qui lui est directement associé (ce que l'Espagne appelle sa «sphère
nucléaire142» et sa «sphère marginale143»), bref, d'exclure tout ce qui est lié de près au sujet
défini. Cette formulation met l'accent à la fois sur les origines et sur l'objet du différend, et
souligne la volonté de donner à la réserve la portée la plus large possible.
89. Les mots qui suivent définissent l'objet de la réserve comme étant «les mesures de gestion
et de conservation adoptées par le Canada à l'égard des navires pêchant dans la zone de
réglementation de l'OPAN [OPANO] ... et l'exécution de telles mesures». Les mesures
doivent être des mesures de gestion et de conservation. Elles doivent être adoptées par le
Canada. Elles doivent viser les bateaux pêchant dans la zone de réglementation de l'OPANO.
L'exécution de telles mesures est exclue de la compétence de la Cour, comme le sont lesmesures elles-mêmes. Hormis ces conditions, il n'y a ni qualification, ni limitation. A
l'intérieur de son champ d'application précisément délimité, la réserve est aussi englobante
que pouvaient la rendre ses rédacteurs.
90. L'expression «gestion et conservation» recouvre toutes les mesures prises par les Etats
relativement aux ressources biologiques de la mer. C'est en raison de son caractère englobant
qu'elle a été utilisée dans des instruments internationaux comme la convention sur le droit de
la mer de 1982 et le nouvel accord des Nations Unies sur les stocks chevauchants et grands
migrateurs144. Elle englobe aussi bien la protection de la ressource—l'élément
«conservation» en soi—que la «gestion» de la pêche. Il n'y a aucun besoin de tracer une ligne
de démarcation entre la «conservation» et la «gestion», et, dans bien des cas, les deux
catégories se recoupent. L'important est que l'emploi conjugué de ces deux mots véhicule une
intention de couvrir la gamme de mesures la plus large possible, des contrôles réglementaires
les plus traditionnels aux mesures n'ayant pas encore été essayées ni même conçues.
L'expression n'implique aucune restriction particulière, si ce n'est que la mesure doit bien
évidemment viser les ressources halieutiques et leur exploitation.
91. L'Espagne cite un certain nombre de conventions internationales en vue de montrer que
les mesures prises par le Canada ne sont pas des «mesures», ou à tout le moins ne sont pas des
«mesures de gestion et de conservation», parce qu'elles constituent un précédent dans leur
application unilatérale à la haute mer. L'Espagne sous-entend ici (elle ne l'explique pas) que
l'expression est limitée aux seules mesures qui font déjà l'objet d'un consensus international.
C'est là une distorsion du sens ordinaire des mots. Une catégorie générique n'est jamais
limitée aux exemples connus qu'elle renferme. Il ne viendrait à l'esprit de personne de dire à
un naturaliste qu'un spécimen d'une nouvelle espèce animale n'est pas un mammifère, un
poisson ou un insecte parce que cette espèce était auparavant inconnue. Il serait tout aussi
absurde de suggérer que de nouvelles politiques économiques ne sont pas des «politiques
économiques» parce qu'elles n'ont jamais été essayées ni même proposées auparavant, ou
encore qu'une politique prétendument illégale (on peut penser à des exemples dans le domaine
des nationalisations) n'est pas une «politique économique» uniquement en raison de sa
prétendue illégalité. Une mesure est une «mesure de gestion et de conservation» si elle
constitue un «acte, une démarche ou une façon d'agir145» visant des fins de conservation et
de gestion. Qu'une telle mesure corresponde à une structure existante en droit ou dans la
pratique des Etats, particulièrement dans un domaine en rapide évolution, est sans pertinence.
92. L'arrêt dans l'affaire du Plateau continental de la mer Egée ne laisse aucun doute sur ce
point : une réserve formulée en termes génériques doit être interprétée de façon générique, et
sa portée s'étend même à des éléments qu'on n'aurait pu concevoir au moment de son
dépôt146. Une interdiction ou un «moratoire» portant sur la pêche d'un stock déterminé
constitue, de toute façon, une mesure de gestion et de conservation des plus courantes, et
qu'elle soit appliquée en haute mer ou ailleurs n'y change rien.
93. Est-il besoin d'ajouter que l'expression «gestion et conservation» est descriptive et non
pas normative? Elle s'applique aux mesures, qu'elles soient légales ou illégales; bonnes ou
mauvaises; efficaces ou inefficaces; modérées ou draconiennes; traditionnelles ou
innovatrices. L'expression désigne un objet et rien d'autre. Elle est strictement neutre. Il n'y a
pas de qualificatif, et ce serait abuser des mots que d'interpréter le texte comme s'il y en avait.
94. Il est difficile d'imaginer un terme plus souple que «mesure». Dans son mémoire,
l'Espagne en donne une définition basée sur celle du Webster, soit «un acte ou unedisposition, une démarche ou le cours d'une action, conçue (sic) dans un but précis147».
Autrement dit, il s'agit d'un acte délibéré, visant un but ou un objectif précis. Cette définition
couvre certainement tous les actes posés par l'Etat au service d'une politique nationale
supérieure, qu'ils prennent une forme juridique, matérielle, économique ou administrative.
L'Espagne a raison d'affirmer dans son mémoire que c'est un «mot abstrait148», ce qui veut
dire que c'est un terme générique. Il est totalement neutre quant à la nature des actes qu'il
désigne.
95. Le mot «mesure» est utilisé dans des conventions internationales dans le sens le plus large
possible, englobant lois, règlements et actes administratifs. Les articles 61 et 62 de la
convention sur le droit de la mer de 1982 emploient presque indifféremment les expressions
«mesures de conservation et de gestion» et «lois et règlements ... en matière de conservation
et de gestion». Le contexte montre sans l'ombre d'un doute que ces «mesures» englobent les
mesures législatives sous forme de lois et de règlements. Les articles 207 et 208 sur la
pollution marine renvoient d'abord à des «lois et règlements», et, plus loin, à «toutes autres
mesures», ce qui indique clairement que les lois et règlements ne sont jamais que l'une des
nombreuses formes que peuvent prendre les «mesures» adoptées par les Etats.
96. Le caractère englobant de l'expression ressort nettement à l'examen de conventions portant
sur d'autres domaines du droit international. En son article 2, paragraphe 2, le Pacte
international relatif aux droits civils et politiques149 fait mention de «mesures d'ordre
législatif ou autre». L'Espagne elle-même a utilisé l'expression «mesures législatives» dans
ses rapports présentés aux termes du Pacte150. On peut trouver des formulations telles que
«mesures d'ordre législatif, judiciaire, administratif ou autre151», «toutes les mesures
appropriées, y compris des dispositions législatives152» et «toutes les mesures législatives et
administratives appropriées153» dans les conventions sur les droits de la personne, y compris
la Convention internationale sur l'élimination de toutes les formes de discrimination raciale,
la Convention sur l'élimination de toutes les formes de discrimination à l'égard des femmes et
la Convention relative aux droits de l'enfant. Les divers accords faisant partie de l'Accord
instituant l'Organisation mondiale du commerce définissent le terme «mesure» comme «toute
mesure prise par un Membre, que ce soit sous forme de loi, de réglementation, de règle, de
procédure, de décision, de décision administrative, ou sous toute autre forme154» et «toutes
lois, tous décrets, toutes réglementations, toutes prescriptions et toutes procédures pertinents
...155». L'Accord de libre-échange nord-américain inclut pour sa part dans sa définition de
«mesure» «toute législation, réglementation, procédure, prescription ou pratique156». Les
exemples sont presque illimités, etils sont conséquents : dans la pratique internationale, le
terme «mesure» est le plus large qui soit pour décrire les actions gouvernementales et il est le
plus couramment utilisé dans le contexte de mesures législatives.
97. D'ailleurs, la Cour elle-même a utilisé récemment le mot «mesure» pour décrire une loi
nationale dans l'affaire relative à l'Applicabilité de l'obligation d'arbitrage en vertu de la
section 21 de l'accord du 26 juin 1947 relatif au siège de l'Organisation des Nations
Unies157. L'avis consultatif rendu dans cette affaire portait sur une loi des Etats-Unis, la loi
contre le terrorisme. La Cour a fait état des «mesures adoptées par les Etats-Unis158» et des
«diverses mesures envisagées, puis prises, par le Congrès et l'Administration des Etats-
Unis159». Dans son emploi du terme, la Cour semble inclure toute la gamme des actions
gouvernementales, y compris la loi elle-même (qui, bien entendu, est la seule «mesure» prise
par le Congrès, mentionné expressément par la Cour dans ce passage).98. Enfin, l'objet des mesures, ce sont les «navires pêchant» dans la zone de réglementation
de l'OPANO. Il n'y a aucune restriction quant aux catégories de navires visées par la réserve.
Celle-ci s'applique à tout navire pêchant dans la zone de réglementation de l'OPANO, qu'il
soit sans nationalité ou dûment immatriculé, qu'il soit immatriculé dans un Etat membre ou
non membre de l'OPANO, et que cet Etat pratique la «libre immatriculation» ou soit l'un des
principaux Etats maritimes. Toute assertion contraire ferait échec au sens courant des mots.
99. L'objet de la loi C-29, et de toute décision prise sous son empire ou s'y rapportant, apparaît
à l'évidence à la lecture du texte : il s'agit de la gestion et de la conservation des pêches. Du
reste, le chapitre I du présent contre-mémoire a démontré que le seul objectif de cette loi était
de répondre à la crise de la conservation des ressources halieutiques dans l'Atlantique Nord-
Ouest. Comment peut-on soutenir que les mesures dont il s'agit ici ne sont pas des «mesures
de gestion et de conservation» au sens de la réserve canadienne?
100. Aux termes du règlement du 3 mars 1995, le Canada a appliqué et exécuté ses mesures
de gestion et de conservation dans la zone de réglementation de l'OPANO, et c'est ainsi que le
différend est né. Ce scénario est précisément celui qui est envisagé au paragraphe 2, alinéa d).
Il ne s'agit pas d'un de ces cas où «[les] situations ou [les] faits» s'éloignent, si peu soit-il, de
ceux qui avaient motivé à l'origine le dépôt de la réserve. Ce qui est arrivé correspond
exactement au genre de situation qui avait été prévu quand la réserve a été déposée. Il y a bel
et bien coïncidence entre ce qui avait été prévu et ce qui s'est produit—entre le motif,
l'intention et le libellé de la réserve.
101. On peut, dans le cas de développements imprévus, concevoir un doute légitime quant à
l'applicabilité d'une réserve formulée antérieurement en termes généraux. Mais il ne peut y
avoir aucun doute quand la situation à l'origine du litige est celle-là même que visait la réserve
au point de départ. Il y a deux traits distinctifs en l'espèce : a) la réserve est formulée en des
termes qui envisagent spécifiquement la prise de mesures dans une zone déterminée de la
haute mer à l'égard de navires étrangers; et b) la présente instance est directement liée à la
question même qui a motivé la réserve, c'est-à-dire l'adoption de la loi en mai 1994, et son
application en mars 1995.
102. Cette correspondance exacte entre la question en litige et ce qu'envisageait la réserve ne
peut mener qu'à une seule conclusion : la Cour n'est pas compétente. Tout autre résultat serait
incompatible avec le principe qu'il doit y avoir consentement et que ce consentement doit être
réel.
3. Les circonstances confirment l'intention que le Canada attribue à la réserve
103. Dans l'affaire de l'Anglo-Iranian Oil Co., comme dans d'autres affaires juridictionnelles,
la Cour a examiné de près les circonstances historiques dans lesquelles la déclaration avait été
faite à l'origine, de façon à déterminer son objet et son but et, par voie de conséquence,
l'intention de l'Etat déclarant. Dans cette affaire, l'objectif était de mettre fin au régime des
capitulations et aux conventions s'y rapportant, et donc d'empêcher toute procédure judiciaire
relative à des traités antérieurs. La Cour a attribué à la déclaration un sens qui était conforme
à cet objectif, passant outre à une interprétation contraire qui aurait été grammaticalement
possible.
104. Il n'y a pas d'ambiguïté semblable dans la présente affaire, mais les circonstances
confirment bien qu'il n'y a qu'une seule «manière naturelle et raisonnable de lire le texte160».La loi C-29 a été déposée à la Chambre des communes le 10 mai 1994. Le même jour, le
Canada a retiré sa déclaration antérieure pour lui substituer une nouvelle déclaration,
renfermant la réserve énoncée au paragraphe 2, alinéa d). Bien évidemment, cette substitution
n'avait d'autre but que d'ajouter la réserve du paragraphe 2, alinéa d). On a donc pris soin de
faire coïncider exactement l'insertion de la réserve avec l'introduction du projet de loi.
105. Ce même 10 mai 1994, la Chambre des communes a adopté la loi, en deuxième et
troisième lectures. La loi a été votée par le Sénat et a reçu la sanction royale (la dernière étape
du processus législatif) le 12 mai 1994. Le règlement initial a été adopté un peu plus tard le
même mois.
106. Le dépôt simultané de la loi et de la réserve suffit à démontrer que la réserve a été
conçue afin de soustraire à la contestation judiciaire tout ce sur quoi porte la loi C-29, c'est-à-
dire la loi elle-même et toute décision prise sous son empire ou s'y rapportant. S'il avait visé
un objectif différent ou plus restreint, le Canada n'aurait pas été si soucieux de veiller à ce que
la nouvelle réserve soit en place le jour même du dépôt de la loi, avant l'adoption de celle-ci
par le Parlement, avant la tenue de toute consultation internationale, et avant la prise de tout
règlement, sans parler de son exécution.
107. Le 10 mai 1994, soit le jour même de l'introduction de la loi C-29 et du dépôt de la
nouvelle déclaration renfermant la réserve du paragraphe 2, alinéa d), le gouvernement du
Canada a publié un communiqué de presse faisant état de ces initiatives. Après une
explication du projet de loi, le communiqué affirme ce qui suit :
«Aujourd'hui, le Canada a modifié son acceptation de la compétence
obligatoire de la Cour internationale de Justice à La Haye afin d'empêcher
toute situation qui pourrait anéantir les efforts du Canada pour protéger ses
stocks. C'est là une mesure temporaire en réaction à une situation
d'urgence161.»
108. Le but déclaré de la réserve était donc «d'empêcher toute situation qui pourrait anéantir
les efforts du Canada pour protéger ses stocks». Ce but englobe tout ce sur quoi porte la loi C-
29, et donc nécessairement la loi elle-même, fondement des «efforts du Canada pour protéger
ses stocks» au-delà de la zone de 200 milles. De toute évidence, la réserve cherchait à éviter
que soient contestées, non pas des mesures courantes, non controversées et inattaquables,
mais bien des mesures extraordinaires, justifiées par la crise de la conservation et l'absence de
«solution au problème ... sur le plan international», pour reprendre les termes de la loi C-29.
109. Le 12 mai 1994, lors du débat sur le projet de loi au Sénat, le ministre des Affaires
étrangères expliquait ainsi la démarche du Canada :
«Afin de protéger l'intégrité de cette loi, nous avons présenté une réserve ...
auprès de la Cour internationale de justice, alléguant que, évidemment, cette
réserve serait temporaire, qu'elle ne s'appliquerait que pour la période de temps
que nous jugeons nécessaire d'exercer des représailles contre ceux qui
s'adonnent à la surpêche162.»
L'explication ne saurait être plus claire : le but de la réserve était de protéger «l'intégrité de
cette loi»—tout autant la loi elle-même que le règlement et les mesures d'exécution qu'elle
autorise. On ne saurait davantage y voir une intention de protéger des mesures d'une portéemoins étendue que le libellé de la loi elle-même, qui vise tous les navires et toutes les formes
de mesures de conservation et de gestion des pêches, sans aucune des restrictions que cherche
à y insérer l'Espagne.
110. Cette déclaration du ministre des Affaires étrangères, qui fait autorité et qui est
contemporaine du dépôt de la réserve, est incompatible avec les interprétations proposées par
l'Espagne dans son mémoire. En fait, elle leur porte un coup fatal, et l'Espagne aurait dû se
rendre à l'évidence. Celle-ci demande plutôt comment la réserve a pu être si mal rédigée163.
Devant les implications manifestes de la déclaration du ministre, l'Espagne cherche
maladroitement à se dérober. Lorsque l'interprétation que l'on fait d'un texte est directement
contredite par une déclaration qui fait autorité quant à son intention, on se demande
généralement ce qui ne va pas avec l'interprétation, non ce qui ne va pas avec le texte—et ce,
d'autant plus que l'interprétation est si éloignée du libellé du texte lui-même.
111. Dans l'affaire du Plateau continental de la mer Egée, la Cour a indiqué qu'une
explication de la réserve fournie par le gouvernement de la Grèce à l'assemblée législative
nationale, la Chambre des députés, «l[evait] les doutes164» quant à l'intention de ce
gouvernement. L'explication avait été donnée par écrit sous la forme d'un exposé des motifs
joint au projet de loi autorisant la ratification. Du fait de leur caractère officiel, les
déclarations ministérielles et le communiqué de presse ont dans la présente affaire la même
pertinence et la même valeur probante.
112. Ces déclarations expliquent aussi ce qui a motivé la nouvelle réserve canadienne. Il
s'agissait d'une «mesure temporaire» dans une «situation d'urgence». Le gouvernement du
Canada estimait, pour les raisons présentées au chapitre I, que l'urgence de la situation
commandait une action immédiate. Le Canada ne voulait pas s'exposer à une contestation
judiciaire, y compris la possibilité de mesures conservatoires, qui aurait pu retarder la mise en
oeuvre de la législation pendant que s'achevait la destruction des stocks. On pourrait contester
le bien-fondé de cette crainte, mais certainement pas la légitimité et la bonne foi de la décision
du Canada de formuler une réserve limitant la compétence de la Cour face à ce qu'il jugeait
être une situation d'urgence.
113. Le communiqué de presse, soigneusement rédigé, et la réponse spontanée du ministre
des Affaires étrangères sont identiques sur le fond. Ni l'un ni l'autre ne laissent le moindre
doute sur l'intention du Canada, laquelle, de toute façon, ressort clairement de la réserve elle-
même.
Conclusion
114. Le Canada aurait pu élargir inutilement la portée de sa réserve et exclure de façon
générale les différends en matière maritime ou halieutique. Il ne l'a pas fait. Au contraire, il a
défini avec précision la zone géographique dans laquelle sa réserve s'appliquerait, et il l'a
limitée aux mesures de gestion et de conservation applicables aux navires pêchant dans cette
zone. Mais, l'ayant ainsi circonscrite à une zone et à un objet définis, il ne l'en a pas moins
formulée de la façon la plus englobante possible. Sans nul doute, l'objectif de la réserve était
d'exclure de la compétence de la Cour, et ce, de façon effective et complète, l'adoption et
l'exécution de «mesures de gestion et de conservation» dans la zone de réglementation de
l'OPANO, et notamment l'initiative canadienne reflétée dans la loi C-29. Il n'en reste pas
moins que le Canada a aussi fait preuve de retenue, tout à fait délibérément, en limitant sa
réserve au seul objet visé.115. L'Espagne cite une longue série de déclarations et propose des formulations de rechange
afin d'illustrer la façon dont le Canada aurait dû concrétiser son intention déclarée165. En fait,
le libellé soigneusement établi par le Canada est parfaitement clair, et d'ailleurs plus concret et
précis que les formulations proposées par l'Espagne. Celles-ci auraient été mal adaptées
puisque, comme l'ont expliqué les ministres, le Canada n'établissait pas une nouvelle zone de
juridiction canadienne; il prenait des mesures d'urgence à titre provisoire. Les propositions de
l'Espagne auraient, dans la pratique, un effet pernicieux : elles sont beaucoup plus larges qu'il
n'était nécessaire, faisant généralement état de zones de juridiction maritime sans restriction
fonctionnelle ni limite géographique. Il n'est pas de bonne politique, lorsqu'on rédige une
réserve en vertu de la clause facultative, de limiter plus que de besoin la compétence de la
Cour. Au scalpel dont s'est servi le Canada, l'Espagne aurait substitué une hache.
116. Le paragraphe 2, alinéa d), préserve un intérêt national vital du Canada tout en lui
permettant de maintenir une acceptation générale de la compétence obligatoire en vertu de
l'article 36, paragraphe 2, du Statut. Cet objectif doit être respecté en reconnaissant au libellé
et à l'intention sous-jacente l'effet voulu, non seulement en raison du bon sens et de principes
juridiques solidement établis, mais aussi pour des motifs impérieux de politique générale.
L'existence d'un consentement véritable fait partie intégrante du système de la clause
facultative. Une conception de l'interprétation qui respecte «la portée prévue du consentement
donné par les parties166» et qui cherche à attribuer fidèlement leur plein effet aux réserves
qu'elles ont formulées sert le mieux les intérêts de ce système, ainsi que l'objectif d'une large
acceptation de la compétence obligatoire.
117. Il n'y a jamais eu de véritable doute quant à la portée et à l'effet de la réserve du Canada.
Il n'y en a pas plus aujourd'hui. La réserve couvre tous les aspects de la requête espagnole et
établit de façon concluante que le consentement sur lequel la compétence doit toujours se
fonder fait absolument défaut dans la présente affaire.
CHAPITRE III
LES TENTATIVES DE L'ESPAGNE POUR CONTOURNER LA DÉCLARATION DU
CANADA
Introduction
118. La tâche du Canada est frustrante : il doit réfuter un argument qui se contredit à tout
instant, un argument aux multiples tours et détours mais sans direction précise, une cible
mouvante qui change de forme à chaque nouveau volet de l'argumentation de l'Espagne.
Celle-ci ne propose pas une interprétation unique de la réserve du Canada, mais une variété
d'interprétations, sans position définie. L'argumentation est insaisissable, changeante et
obscure. Il faut néanmoins y répondre.
119. Le présent chapitre portera sur les diverses interprétations suggérées par l'Espagne de la
réserve figurant au paragraphe 2, alinéa d), de la déclaration du Canada. On peut en distinguerau moins trois. Selon la première et principale interprétation de l'Espagne, la réserve ne
s'appliquerait qu'aux mesures incontestablement légales. Selon la deuxième, elle ne viserait
que les bateaux apatrides et leurs équivalents. Selon la troisième, enfin, elle engloberait les
mesures prises par voie de règlements en vertu de la loi, mais non la loi elle-même.
A. Les diverses interprétations de l'Espagne
1. Interprétation n 1 : La réserve ne s'applique qu'aux «mesures» manifestement
conformes au droit international
a. Cet argument occupe une place centrale dans le mémoire de l'Espagne
120. Le chapitre IV du mémoire de l'Espagne s'intitule «Interprétation de la réserve contenue
dans la lettre d) du paragraphe 2 de la déclaration du Canada167». L'Espagne y soutient que
l'expression «mesures de gestion et de conservation» dans la réserve canadienne est limitée
aux mesures conformes au droit international - une interprétation qui subordonne la
compétence à une décision préalable sur le fond.
121. Un examen attentif du chapitre IV confirme hors de tout doute que cette thèse est au
cŒur de l'argument espagnol. L'Espagne procède dans un premier temps à une analyse point
par point de la réserve du Canada sous la rubrique «Signification courante168». La façon dont
la réserve opère, selon l'Espagne, est décrite en détail plus loin sous la rubrique «Signification
et effet de la réserve canadienne169». Dans cette section du chapitre IV, l'Espagne fait une
distinction quant à l'effet de la réserve en ce qui concerne les navires OPANO (c'est-à-dire les
navires immatriculés dans des Etats membres de l'OPANO), les navires non-OPANO et les
navires apatrides et leurs équivalents. Cette distinction laisse perplexe : elle ne figure
aucunement dans la réserve, qui porte sur tous les «navires pêchant» dans la zone désignée,
sans restriction.
122. S'agissant des navires OPANO, les «mesures» pertinentes sont censées inclure
«l'inspection et la correction170» effectuées en conformité avec la convention de
l'OPANO171 parce que de telles mesures, qui sont expressément autorisées par traité, «ne
seraient pas contraires au droit international172». De même, les mesures de «notification et
plainte173» «ne seraient pas contraires au droit international174», et seraient donc comprises
dans le champ de la réserve. S'agissant de l'arraisonnement et de la saisie, en revanche,
l'Espagne affirme que :
«ces actions seraient contraires au droit international et probablement à
l'Accord OPAN [OPANO] ... Le Canada ne serait donc pas protégé par sa
réserve puisque ces actions iraient au delà de ce que des "mesures de gestion et
de conservation" devraient être, et qu'il ne s'agirait donc plus de "mesures de
gestion et de conservation" tombant dans le cadre de sa réserve175.»
Ainsi, l'applicabilité de la réserve dépendrait de sa conformité avec le droit international, et
les «mesures» seraient limitées à «ce que des "mesures de gestion et de conservation"
devraient être176».
123. Selon l'Espagne, l'arraisonnement et la saisie de bateaux non-OPANO seraient aussi
contraires au droit international, et donc extérieurs au cadre de la réserve. Ces actes
relèveraient de la compétence de la Cour-«puisque ces démarches vont au-delà de ce que des"mesures d'exécution" appropriées devraient être177»; «ces actions seraient contraires au
droit international178». En revanche, les «[mesures d']inspection et [de] correction179» prises
à l'égard de bateaux non-OPANO seraient couvertes par la réserve—mais uniquement parce
que l'Espagne les considère «incontestablement valables dans la zone spécifiée180». Dans
tous ces cas, selon le raisonnement de l'Espagne, l'applicabilité de la réserve du Canada et,
partant, la compétence de la Cour dépendent de la réponse à une seule et même question : les
mesures en cause étaient-elles conformes au droit international?
124. Selon l'argument espagnol, la réserve ne produit tous ses effets que lorsqu'elle s'applique
aux navires apatrides ou leurs équivalents. Toutes mesures prises contre ces navires seraient
couvertes par la réserve, et donc en dehors de la compétence de la Cour, parce qu'elles
seraient conformes au droit international—elles seraient «indiscutablement valables181»; «il
ne s'agirait pas d'une violation du droit international182». Là encore, selon l'Espagne,
l'applicabilité de la réserve est fonction de la légalité des mesures.
125. S'il restait un doute quant à la nature véritable de l'argument espagnol, il serait vite
dissipé par une analyse du reste du chapitre IV. Dès le début de ce chapitre, l'Espagne
affirme :
«Cependant, il est évident que des "mesures de gestion et de conservation" ne
peuvent être considérées comme telles que quand il s'agit de mesures adoptées
dans des zones où l'État côtier peut réellement assumer la gestion et la
conservation. "Les mesures" qui sont conçues pour être appliquées autre part,
comme par exemple en haute mer, ne sont pas des "mesures de gestion et de
conservation" en tant que telles183.»
Et plus loin :
«les mesures adoptées par le Canada concernant "l'Estai", même si autrement
elles auraient été des "mesures de gestion et de conservation" si elles avaient
été prises dans les 200 milles nautiques des côtes canadiennes ... ne peuvent
être considérées comme de telles "mesures"184».
Et encore plus loin :
«il s'agit seulement d'actions qui sont raisonnables et pertinentes qui peuvent
être considérées comme une "exécution" réelle des mesures de gestion et de
conservation, et partant en dehors de la compétence de la Cour en vertu de la
réserve canadienne de 1994185».
126. La thèse centrale de l'argumentation de l'Espagne exposée dans le chapitre IV peut se
résumer comme suit : la réserve du Canada s'applique exclusivement aux mesures qui sont
non seulement légales mais dénuées de controverse et qui, dans la réalité, n'entraîneraient
jamais de contestation devant la Cour. Voilà une thèse tellement bizarre qu'on serait tenté de
l'écarter sans autre examen si elle n'était au cŒur même du mémoire de l'Espagne. Cela étant,
elle joue un rôle prépondérant, et il nous faudra donc en discuter en détail.
b. L'interprétation de l'Espagne place le fond avant la compétence127. L'interprétation de l'Espagne mène à un résultat inédit : l'applicabilité de la réserve serait
subordonnée à une décision préalable sur le fond. La Cour devrait se prononcer dans un
premier temps sur la légalité des mesures contestées du défendeur. Si ces mesures étaient
jugées illégales, la Cour se déclarerait alors compétente—mais, en fait, la décision sur le fond
aurait déjà été rendue. Si les mesures étaient jugées légales, la réserve s'appliquerait et la Cour
n'aurait pas compétence—mais, là encore, une décision de facto aurait été rendue sur le fond.
128. En résumé, cette interprétation met systématiquement la charrue avant les bŒufs. L'ordre
logique du processus décisionnel serait inversé, invariablement et automatiquement, de sorte
que, dans chaque cas,
· une décision de facto sur le fond devrait précéder la décision sur la
compétence;
· la compétence ne serait jamais une question préliminaire, mais une question à
trancher in fine litis; et
· la décision formelle sur le fond, le cas échéant, découlerait automatiquement
de la décision sur la compétence.
129. Cela aurait pour conséquence de garantir que la réserve ne produise jamais l'effet
recherché, c'est-à-dire mettre un terme à la procédure dès le début de l'affaire, in limine litis.
Un examen complet au fond serait toujours nécessaire, ce qui priverait la réserve de sa raison
d'être. La Cour serait forcée d'examiner l'affaire au fond, ce que la réserve était précisément
censée l'empêcher de faire. Voilà pourquoi on pourrait correctement décrire l'interprétation
de l'Espagne comme «manifestement déraisonnable ou absurde».
130. Cette interprétation comporte aussi un autre paradoxe. Si le défendeur est débouté sur
l'exclusion de la compétence, il perd automatiquement sur toute la ligne : les mesures auront
été jugées illégales avant même que la procédure sur le fond n'ait commencé. Par contre, si le
défendeur gagne sur la compétence, le demandeur aura tout simplement évité une défaite sur
le fond. Cet aspect du raisonnement de l'Espagne peut se résumer comme suit : «pile, je
gagne, face, tu perds».
131. Ce volet de l'argumentation espagnole se caractérise donc par sa circularité. Toute la
thèse de l'Espagne commence et se termine sur les mêmes affirmations : le Canada est
coupable; la conduite canadienne était manifestement illégale; la crise de la conservation, la
détérioration de la coopération internationale, la surpêche de longue date et son impact direct
sur les ressources de la zone canadienne, le refus des flottes de pêche lointaine de respecter les
normes établies dans la convention sur le droit de la mer de 1982 et l'abus de droit constant
sont autant d'éléments dont il n'est aucun besoin de tenir compte. Ces prémisses sont fausses,
et de toute façon sans rapport avec la question liminaire de la compétence.
132. Cette circularité ne fait pas qu'imprégner le mémoire dans son ensemble; elle est aussi au
cŒur de la tentative de l'Espagne visant à confondre le fond et la compétence en restreignant
le champ de la réserve aux mesures «légales».L'argument présume ce qui doit être prouvé et
qui, par définition, ne saurait être prouvé au stade juridictionnel.133. Il est dans la nature même d'une réserve ratione materiae d'éviter de préjuger la question
au fond. Une exclusion de compétence qui serait subordonnée au fond est une absurdité, une
disposition intrinsèquement inapte à remplir sa fonction.
c. L'interprétation de l'Espagne ne respecte pas le sens ordinaire des mots
134. Dans son interprétation, l'Espagne s'applique à lire dans la réserve des mots qui brillent
par leur absence. Le libellé de la réserve couvre toutes les mesures de gestion et de
conservation, qu'elles soient ou non «légales» ou «appropriées». On ne peut légitimement lire
en filigrane dans le texte des qualificatifs ou des adjectifs limitatifs. Procéder ainsi revient à
modifier le texte sous couvert d'interprétation.
135. Au fil de son argumentation, l'Espagne concède pratiquement que son interprétation ne
correspond pas au libellé de la réserve en ajoutant des termes limitatifs chaque fois qu'elle
«paraphrase» le paragraphe 2, alinéa d). Son qualificatif préféré est «approprié186»—les
mesures doivent être «appropriées»; «ce que des "mesures de gestion et de conservation"
appropriées devraient être187». Ou encore, les mesures doivent être «légitimes188»; elles
doivent avoir une «portée raisonnable189»; elles doivent être «raisonnables et
pertinentes190»; ou simplement «raisonnables191»; ou au moins «normales»192.
L'interpolation de qualificatifs ou de limitations implicites n'est pas une «manière naturelle et
raisonnable193» de lire le texte. Rien de tel ne figure au paragraphe 2, alinéa d). Et tout cela
suppose une décision préalable sur le fond—en fait, un jugement favorable à l'Etat
déclarant—avant que l'applicabilité de la réserve puisse être établie.
136. Il y a une réponse simple et courte à l'interprétation de l'Espagne : la légalité n'est pas
une propriété inhérente à une «mesure». Si une mesure prise par un Etat est contraire au droit
international, elle est illégale et, à ce titre, elle engage la responsabilité internationale de cet
Etat. Elle n'en reste pas moins une«mesure». Le terme lui-même est neutre; il englobe tout
«acte, démarche ou façon d'agir194», légal ou non.
d. La conformité avec les accords internationaux n'est pas un critère pertinent
137. Un leitmotiv du mémoire de l'Espagne est que la loi C-29 ainsi que le règlement et les
actes d'exécution qui en découlent ne sont pas des mesures du genre de celles qu'autoriseraient
des instruments internationaux comme la convention de l'OPANO, la convention sur le droit
de la mer de 1982 ou le nouvel accord des Nations Unies sur les stocks chevauchants et
grands migrateurs (qui n'avait pas été élaboré, et encore moins signé et ratifié à l'époque
pertinente). En réalité, il n'y a aucun rapport entre la conformité de l'objet de la réserve avec
les accords internationaux et l'application de celle-ci. Une mesure non autorisée par l'accord
des Nations Unies sur les stocks chevauchants et grands migrateurs, par exemple, peut ne pas
être une «mesure de gestion et de conservation» au sens et pour les fins de cet accord, mais
c'est tout ce qu'il est permis d'en inférer. Le fait qu'un certain nombre de «mesures» soient
autorisées par un instrument juridique donné ne peut restreindre la portée de l'expression dans
un instrument juridique tout autre, comme une déclaration en vertu de la clause facultative.
138. La convention sur le droit de la mer de 1982 illustre la distinction évidente entre les
mesures en général et les mesures conformes à la convention. Ainsi, l'article 62, paragraphe 4,
prescrit que les ressortissants de tous les Etats doivent se conformer aux «mesures de
conservation et aux autres modalités et conditions fixées par les lois et règlements de l'Etat
côtier». Il précise ensuite que les lois et règlements établissant ces «mesures» doivent êtrecompatibles avec la convention. Il s'ensuit logiquement qu'une mesure peut être incompatible
avec la convention et être quand même une «mesure». L'incompatibilité d'une telle mesure a
pour conséquence que les ressortissants d'autres Etats ne sont pas tenus de s'y conformer, mais
certainement pas que la mesure en cause ne puisse être considérée comme une «mesure» au
sens de la convention.
139. Il semble inconcevable que les complexités du droit communautaire européen aient une
quelconque pertinence ici, et pourtant l'Espagne les fait intervenir à propos d'un argument
fondé sur le compte rendu concerté du 20 avril 1995 entre la Communauté européenne et le
Canada195. Il s'agit d'un argument pour le moins étrange. S'appuyant sur une formule non
préjudicielle libellée en termes très généraux, l'Espagne soutient que l'accord intervenu
constitue «une acceptation tacite196» par le Canada du fait que le différend n'est pas couvert
par la réserve.
140. La formule non préjudicielle en question ne fait pas plus mention de règlement judiciaire
que de la Cour internationale de Justice et, de ce fait, elle ne touche ni de près ni de loin à la
question de la compétence. L'idée que pareille clause puisse être interprétée comme une
acceptation ou une reconnaissance de la compétence d'une cour dont elle ne fait même pas
mention va à l'encontre de son but intrinsèque. La fonction d'une clause non-préjudicielle est
précisément l'opposé.
141. En tout état de cause, l'argument est pratiquement insaisissable. Le raisonnement sous-
jacent semble être qu'on ait voulu faire correspondre en tous points la portée de la réserve
avec celle de la compétence de la Communauté au titre de la politique commune de la pêche.
Une telle coïncidence serait extraordinaire. Pourquoi la réserve du Canada aurait-elle été
formulée en fonction des arrangements constitutionnels internes d'une organisation
supranationale étrangère? La politique commune de la pêche est issue du traité de Rome, de la
jurisprudence de la Cour de justice des Communautés européennes et des négociations entre
les Etats membres. Elle n'a rien à voir avec le Canada, et rien à voir avec la réserve
canadienne.
e. Une interprétation qui respecte le libellé du texte et l'intention de son auteur ne peut
jamais être «anti-statutaire»
142. Par sa théorie novatrice des interprétations «anti-statutaires»197, l'Espagne cherche à
convaincre la Cour de ne pas tenir compte de «la manière naturelle et raisonnable de lire le
texte198». C'est aussi un artifice grâce auquel elle espère avoir le beurre et l'argent du beurre,
autrement dit contester en vertu du Statut la substance de la réserve sans mettre en cause la
validité de la déclaration sur laquelle repose son argumentation. Mais la tentative espagnole
échoue pour diverses raisons, la plus importante étant qu'une interprétation qui donne plein
effet à la réserve du Canada, et qui exclut la compétence de la Cour à l'égard de la présente
affaire, est parfaitement conforme à son Statut.
143. Nulle part l'Espagne ne met de l'avant une quelconque disposition du Statut qui serait
violée par la signification et l'effet que le Canada attribue à sa réserve. Elle se borne à affirmer
qu'une interprétation excluant de la compétence de la Cour un comportement prétendument
illégal serait incompatible avec «la bonne foi et la nature même de la fonction judiciaire199».
L'Espagne présume que le Canada a violé le droit international et qu'il serait contraire au
Statut d'interpréter la réserve de manière à soustraire son comportement à la compétence de la
Cour. Cette théorie souffre précisément de la même circularité que l'interprétation qu'elletente de justifier : elle procède de la prémisse que la réclamation de l'Espagne est fondée et
que le Canada n'a aucun moyen à faire valoir quant au fond. Or, rien n'a été prouvé, et rien ne
saurait être présumé. Au demeurant, tout cela concerne le fond, non pas la compétence.
Encore une fois, cette théorie subordonne la question de la compétence à une décision
préalable sur le fond.
144. Cette circularité est évidente dans le ton excessif de la dénonciation qui introduit
l'argument. Dans une interrogation de pure forme, l'Espagne décrit la loi canadienne et son
règlement d'application comme «une politique de violation systématique des libertés
fondamentales de la haute mer et des relations pacifiques entre les nations, d'utilisation de la
force et du manque de toute considération envers la vie humaine, l'intégrité physique, la
sécurité des personnes... un plan unilatéral d'élargissement des espaces marins qui est conçu et
exécuté avec le plus scandaleux et surprenant mépris200», et ainsi de suite. Ce passage
extraordinaire fait ressortir les vices de logique de la thèse espagnole. Un argument en faveur
de la compétence qui s'ouvre par une condamnation morale incendiaire et par une
présomption a priori d'acte illicite est vicié à la base, car il tient pour acquis ce qui devrait
être prouvé à terme, lors de l'examen du fond, si la compétence pouvait être établie.
145. L'Espagne concède expressément la validité de la réserve201, mais donne ensuite à
entendre que le sens ordinaire de son libellé entrerait de quelque façon en conflit avec le
Statut et qu'elle doit être rejetée. Ces positions sont contradictoires. La suggestion voulant que
les règles normales d'interprétation soient écartées, de sorte que la réserve ne couvre plus
qu'une partie réduite, et au surplus sans grande pertinence, de ce qu'elle était censée couvrir,
est incompatible avec la concession initiale de l'Espagne selon laquelle la réserve est
parfaitement valide. Si c'est le cas, il faut lui donner tout l'effet voulu.
146. L'Espagne cite l'extrait de l'affaire du Droit de passage sur territoire indien où il est dit
que «[c]'est une règle d'interprétation qu'un texte émanant d'un Gouvernement doit, en
principe, être interprété comme produisant et étant destiné à produire des effets conformes et
non pas contraires au droit existant202». Une disposition limitative de la compétence
obligatoire de la Cour, quels que soient l'objet exclu et les raisons de l'exclusion, produit
incontestablement des effets«conformes et non pas contraires au droit existant203». Cet
extrait ne sert donc aucunement la thèse de l'Espagne.
147. La théorie des interprétations anti-statutaires aurait pour résultat pratique que les Etats ne
pourraient exclure de la compétence de la Cour que des comportements dont la légalité aurait
d'abord été démontrée. Elle irait donc à l'encontre de la liberté des Etats de limiter leur
acceptation de la compétence comme bon leur semble. Un tel résultat ne serait pas compatible
avec le principe in plus stat minus, examiné au chapitre II204, et selon lequel la prérogative
de ne pas accepter la compétence obligatoire implique la liberté totale d'exclure n'importe
quel objet de cette compétence, de façon inconditionnelle et absolue.
148. L'Espagne laisse entendre que, si le motif de la réserve est illégitime (reflétant ce qu'elle
qualifie d'«attitude dolosive205» du Canada), alors la Cour devrait l'interpréter de façon à
contrecarrer la volonté de l'Etat déclarant d'exclure l'objet en question de la compétence de la
Cour. Le Canada rejette les intentions malhonnêtes qui lui sont prêtées par l'Espagne et il
s'élève contre le ton sur lequel ces accusations sont portées. Mais ce qu'il faut surtout retenir,
c'est que l'argument tout entier, dont l'objectif avoué est de faire échec à la volonté de l'Etat
déclarant, est incompatible a) avec la jurisprudence de la Cour relative au caractère primordialde l'intention de l'Etat déclarant, b) avec la liberté absolue des Etats de limiter la compétence
de la Cour et c) avec le principe du consentement.
2. Interprétation n o 2 : La réserve ne s'applique qu'aux bateaux apatrides et leurs
équivalents
149. Au mépris de la portée globale du texte de la réserve, l'Espagne soutient que le
gouvernement du Canada, lorsqu'il l'a formulée, n'avait pas réellement l'intention de viser
tous les bateaux pêchant dans la zone de réglementation de l'OPANO. Elle allègue qu'il avait
plutôt l'intention en 1994 de ne cibler que les bateaux apatrides et leurs équivalents :
«l'intention du Gouvernement Canadien en 1994 était de forcer les bateaux apatrides et leurs
équivalents à respecter les mesures de conservation canadiennes206». L'Espagne voudrait que
l'on interprète la réserve comme si elle était effectivement restreinte à cette catégorie étroite
de navires, mais elle se garde bien de formuler clairement cette conclusion—sans doute parce
qu'elle contredirait carrément le libellé de la réserve et serait donc dépourvue de tout
fondement juridique.
a. L'argument n'est pas fondé en fait
150. Dans cette partie de son mémoire, l'Espagne porte l'art de la citation sélective à de
nouveaux sommets. Elle a épluché les débats du Parlement du Canada à la recherche de
citations à utiliser hors contexte pour donner l'impression que le gouvernement du Canada,
lorsqu'il a promulgué la loi C-29, n'avait pas l'intention de couvrir toutes les catégories de
navires. Or, à la lecture des annexes mêmes du mémoire de l'Espagne, et une fois ces citations
replacées dans leur contexte, l'intention du Canada apparaît à l'évidence aussi large et
englobante que le libellé de la réserve : celui-ci entendait viser tous les «navires pêchant»
dans la zone de réglementation de l'OPANO, quels que soient leur nationalité ou leur statut.
151. Ce volet de l'argumentation espagnole brille par son ambiguïté : l'Espagne discute-t-elle
de l'intention sous-jacente à la loi ou à la réserve? Les débats sur lesquels elle s'appuie et
qu'elle cite concernent presque uniquement la loi, mais c'est de la réserve qu'il s'agit ici. L'une
et l'autre sont liées, bien évidemment, mais ce sont deux instruments juridiques distincts.
Même si la loi C-29 avait été limitée à des catégories étroites de navires, soit par son libellé,
soit par son objet (ce qui n'était très certainement pas le cas), cela n'aurait pas eu d'incidence
sur la portée générale de la réserve.
152. Le point le plus important est celui-ci : l'intention du Canada n'est pas celle que lui prête
l'Espagne. Dès le départ, elle était d'appliquer la loi et la réserve à toutes les catégories de
navires sans restriction. Cela est à la fois clair et incontestable, que l'on se fonde sur les
termes employés, sur les débats parlementaires ou, dans une certaine mesure, sur le mémoire
de l'Espagne.
153. Une partie des discussions en mai 1994 concernait effectivement les bateaux apatrides et
leurs équivalents. C'est pourquoi le sénateur Petten, qui a parrainé le projet de loi au Sénat au
nom du gouvernement, a indiqué que l'idée était d'utiliser «avec modération» le pouvoir
conféré par la loi et son règlement d'application, et que la «première cible» allait être les
bateaux sans nationalité207. La notion de «première cible» implique qu'il y en aura
vraisemblablement d'autres plus tard. Une seule distinction avait été établie pour les bateaux
sans nationalité, à savoir que des mesures d'exécution seraient certainement prises à leur égard
et cela, «sans tarder208», selon les mots du sénateur Petten. De là à suggérer que les bateauxapatrides et leurs équivalents devaient être les seules cibles de la loi ou de la réserve, il y a un
monde.
154. Pareille inférence est rendue d'autant moins plausible par les termes de la réserve et de la
loi C-29. Cette dernière autorise la désignation de toute classe de navire, et elle est
évidemment le fondement à partir duquel les bateaux espagnols ont par la suite été assujettis à
la législation canadienne. Le ministre des Pêches ne pouvait être plus explicite quant au
caractère illimité de son champ d'application. Il affirmait devant le comité du Parlement :
«Le projet de loi donne au Parlement le pouvoir de désigner n'importe quelle
classe de bateaux de pêche, aux fins des mesures de conservation. On ne
précise pas contre qui ces dispositions seraient appliquées. On dit clairement
cependant que tout bateau de pêche qui ne respecte pas les bonnes règles de
conservation généralement reconnues, comme celles de l'OPAN [OPANO],
par exemple, pourrait, aux termes des pouvoirs accordés par ce projet de loi,
s'exposer à des mesures de la part du Canada. Il n'y a pas d'exception209.»
Comment l'Espagne peut-elle affirmer, face à cette preuve tirée des annexes de son propre
mémoire, qu'«[e]n fait, la loi canadienne de 1994 visait uniquement les bateaux apatrides ou
"pirates"210»?
155. A la lumière de ces déclarations, et du libellé de la loi et de la réserve, la thèse de
l'Espagne est indéfendable. Dans certaines parties de son mémoire, l'Espagne le concède
pratiquement; ainsi, dans son chapitre sur les faits, elle admet que :
«à la fin du débat Monsieur le ministre Tobin avait laissé tomber l'idée de
départ d'application de la loi à des bateaux "pirates" ... c'est-à-dire aux bateaux
sans pavillon ou battant pavillon de complaisance, pour l'étendre à tout navire
étranger en infraction211».
Mais, une fois faite, cette concession est rapidement retirée puisque l'Espagne ajoute que le
ministre n'est jamais allé jusqu'à affirmer que la loi pourrait s'appliquer aux bateaux
OPANO212. Ce qui est évidemment faux. Nous venons de voir que c'est bien ce qu'il a fait. Il
n'a laissé planer aucun doute quant au fait que la loi serait appliquée au besoin à «tout bateau
de pêche ... Il n'y a pas d'exception213.»
156. Ce n'est pas le seul cas où l'argument de l'Espagne relatif à l'intention du Canada est
réfuté par son propre mémoire. L'Espagne indique aussi que «[l]a possibilité d'appliquer la
législation canadienne à tout bateau de pêche étranger pêchant ou se disposant à le faire en
haute mer, est donc clairement établie214.» Cet énoncé contredit manifestement toute
suggestion selon laquelle la loi et son règlement étaient censés s'appliquer exclusivement à
une catégorie limitée de bateaux.
157. En fait, ce volet de l'argumentation du mémoire de l'Espagne est truffé de contradictions
et noyé dans la confusion. L'Espagne affirme que les mesures prises en haute mer contre des
bateaux apatrides et leurs équivalents ne sont pas en soi illégales et que la portée de la loi C-
29 était limitée à ces bateaux. Comment alors expliquer sa condamnation sans appel, ailleurs
dans le mémoire, de cette même loi, qu'elle qualifie de contraire au droit international215?
L'incertitude est totale quant à la position véritable de l'Espagne : estime-t-elle que
l'application de la loi C-29 est limitée aux bateaux apatrides et leurs équivalents et qu'elle estdonc légale, ou au contraire que la loi s'applique potentiellement (comme c'est évidemment le
cas) à toutes les classes de navires et qu'elle serait donc illégale?
158. A plusieurs reprises, l'Espagne cite la description que fait le ministre des Pêches du
fonctionnement du système de l'OPANO, avec son programme conjoint d'application, lorsque
les membres de l'organisation coopèrent et respectent les dispositions de la convention216.
On se souviendra que l'OPANO semblait bien fonctionner en mai 1994, la coopération ayant
succédé aux affrontements qui avaient marqué la période du milieu des années 1980 jusqu'en
1992 (ce n'est qu'à l'automne de 1994 que la détente a commencé à se fissurer). L'Espagne
s'autorise de la description d'une relation généralement satisfaisante en mai 1994 pour
conclure que le Canada n'a jamais eu l'intention d'assujettir les membres de l'OPANO à la loi
et à son règlement d'application. Il n'y a aucun lien logique entre cette conclusion et sa
prémisse.
159. Le ministre a indiqué très clairement qu'en décrivant le système de coopération au sein
de l'OPANO, il faisait part de ses «espoirs», de ses «convictions» et de ses «attentes». Il
décrivait le système; il ne prenait pas un engagement :
«[N]ous espérons pouvoir compter sur la volonté et les mesures nécessaires au
sein de l'OPAN [OPANO] pour que l'organisation prenne les mesures qui
s'imposent, notamment à l'égard des bateaux de pêche de ses pays membres.
Nous sommes un État membre de l'OPAN [OPANO]. Nous croyons que le
Canada est en mesure de contrôler les bateaux canadiens et que tous les autres
États membres peuvent et doivent faire de même. C'est là notre attente217.»
160. Comment peut-on confondre cette déclaration avec une intention de limiter la portée de
la loi et de son règlement d'application ou celle de la réserve? Le ministre venait tout juste
d'indiquer que «nous le ferions [mettre un terme à la surpêche étrangère] d'un commun accord
lorsque c'est possible et en prenant des mesures unilatérales au besoin218» et, dans un
passage déjà cité, que tout bateau «sans exception219» pourrait être assujetti à la loi et à son
règlement d'application.
161. Il y a bien sûr une façon encore plus simple de répondre à l'argument espagnol
concernant l'intention du Canada : si l'intention sous-jacente à la loi et à son règlement
d'application ou à la réserve avait été de limiter leur application aux bateaux apatrides et leurs
équivalents, rien n'aurait été plus facile que de consigner une telle limitation dans le texte. Ici
comme ailleurs, tout l'argument de l'Espagne repose sur une occultation systématique du sens
ordinaire des termes effectivement employés.
b. L'argument méconnaît le libellé général de la réserve
162. Il n'est guère besoin d'ajouter quoi que ce soit à propos d'un argument qui n'est pas fondé
en fait; mais, même si tout ce que dit l'Espagne au sujet de l'intention présumée du
gouvernement du Canada en mai 1994 était vrai, son argument resterait non fondé en droit.
Certes, l'intention est une considération importante, voire déterminante; il ne s'ensuit pas pour
autant que l'intention sous-jacente à une réserve formulée en termes généraux puisse être
réduite à l'ensemble des circonstances immédiates qui ont motivé sa formulation. Dès lors,
quand bien même le Canada aurait uniquement visé au départ les navires apatrides et leurs
équivalents, comme l'affirme erronément l'Espagne220, le libellé général de la réserve ne
saurait être limité à cette seule question.163. Ce principe est au centre du raisonnement dans l'affaire du Plateau continental de la mer
Egée. Dans son analyse de la réserve de la Grèce relative au statut territorial, la Cour a admis
que les données historiques pourraient démontrer que :
«le motif qui a incité les Etats à inclure dans leurs conventions des dispositions
concernant le statut territorial était en général le désir de se protéger contre des
tentatives éventuelles de modification des règlements territoriaux établis par
les traités de paix221».
Il ne s'ensuivait pas, à son avis, que l'expression «statut territorial» devrait être pour autant
confinée à ces questions; en fait, l'Etat auteur de la réserve «entendait qu'elle fût de caractère
très général222». Ainsi, la Cour a rejeté le «sens spécial et restrictif que la Grèce voudrait
[lui] attribuer» et maintenu que l'expression «statut territorial» était utilisée «dans son sens
naturel et générique», ce qui a évidemment mené à la conclusion que la délimitation du
plateau continental était exclue de sa compétence, bien que cette question n'ait manifestement
pas été envisagée lorsque la réserve avait été déposée en 1931223.
164. La Cour a donc établi une nette distinction entre le motif et la portée d'une réserve. Il faut
toujours supposer qu'une réserve s'applique à la question particulière qui a motivé son dépôt;
mais l'affaire du Plateau continental de la mer Egée autorise à conclure de façon décisive
qu'une réserve ne saurait être confinée à la question immédiate en cause.
165. Les fondements théoriques de l'argumentation de l'Espagne sont donc erronés, mais bien
moins que les suppositions qu'elle avance quant aux faits. Car, contrairement à celui dans
l'affaire du Plateau continental de la mer Egée, le type de différend survenu en l'espèce était
précisément celui qu'envisageait le gouvernement du Canada lorsqu'il a déposé sa nouvelle
réserve.
3. Interprétation n 3 : Seul le règlement, et non la loi, appartient à la catégorie des
«mesures de gestion et de conservation»
166. Dans sa requête, l'Espagne avait donné un certain relief à la thèse voulant que seul le
règlement, et non la loi, soit une «mesure de gestion et de conservation». Elle lui accorde une
importance moindre dans son mémoire. Cet argument se voit relégué au chapitre II, qui porte
sur les faits, et il en est à peine fait mention dans le chapitre IV sur l'interprétation de la
réserve canadienne. Pourtant, même s'il est moins en vue, l'argument est servi avec
suffisamment de vigueur pour mériter une réplique en bonne et due forme.
167. Au Canada, la réglementation des pêches est faite d'un enchaînement de mesures
interdépendantes—une loi; des règlements; l'exécution au moyen d'inspections, de fouilles, de
saisies et d'arrestations; des poursuites judiciaires; des amendes et confiscations sur
déclaration de culpabilité. L'idée maîtresse de l'argument espagnol, examiné ci-après, est
essentiellement que le terme «mesures» dans la réserve canadienne n'englobe pas tous les
maillons de cette chaîne—en d'autres termes, que la réserve est intrinsèquement défectueuse.
Cette idée ferait de la réserve une absurdité, parce qu'elle présenterait toujours une «brèche»
donnant accès à la compétence.
168. On ne sait pas toujours très bien où l'Espagne propose de tracer la ligne entre ce qui est
une «mesure» et ce qui ne l'est pas dans le système normatif224. Dans la plupart des cas,toutefois, elle semble suggérer que le règlement est une mesure mais que la loi n'en est pas
une225; et c'est sur cette base que l'argument sera examiné.
a. Une mesure législative visant la gestion et la conservation des pêches est, par
définition, une mesure de gestion et de conservation
169. Les auteurs du mémoire de l'Espagne cherchent à justifier leur argument selon lequel la
loi n'est pas une mesure de gestion et de conservation en se fondant sur des sources diverses—
les débats parlementaires et une note diplomatique de l'Union européenne. Or, aucun de ces
documents ne vient étayer cet argument. Prenons, par exemple, les débats parlementaires :
dans les comptes rendus annexés au mémoire de l'Espagne, on peut lire que le ministre des
Pêches et des Océans a présenté la loi C-29 en ces termes : «Nous proposons aujourd'hui un
projet de loi qui nous habilitera à appliquer les mesures de conservation nécessaires pour
protéger les espèces menacées d'extinction et qui vaudra non seulement pour nous-mêmes,
mais aussi pour le monde entier226.» En présentant la loi au Sénat en tant que parrain, le
sénateur Petten a dit : «[C]e projet de loi est une initiative nationale provisoire qui permet de
prendre les mesures d'urgence nécessaires en attendant l'adoption d'une solution internationale
permanente pour contrôler efficacement la pêche hauturière227». De même, l'Espagne cite la
traduction française d'une des interventions du ministre, où le projet de loi est qualifié de
«mesure habilitante228».
170. L'expression «mesure législative» est bien connue. Parmi les sens du mot «mesure», le
Concise Oxford Dictionary recense «texte législatif229». L'Oxford English Dictionary, quant
à lui, donne «disposition législative proposée ou adoptée230». Une fois admis que la loi peut
être correctement qualifiée de «mesure», on en vient inévitablement à la conclusion que la loi
C-29 est une «mesure de gestion et de conservation». Tel que démontré au chapitre I, son
objet, sa fonction et son but concernent exclusivement la gestion et la conservation des
pêches. On voit mal comment une mesure législative visant strictement la gestion et la
conservation des pêches peut ne pas être une «mesure de gestion et de conservation»; en fait,
c'est là une vérité d'évidence. Toute suggestion voulant que le Parlement, en adoptant la loi C-
29, ne promulguait pas une mesure de gestion et de conservation aurait été accueillie avec
étonnement et incrédulité par l'ensemble des députés et sénateurs.
171. Comme le langage courant et le bon sens ne lui sont d'aucun secours, l'Espagne en est
réduite à l'improvisation. Le paragraphe 17 de son mémoire est constitué de plus de dix pages
(pages 30 à 42) de citations des débats parlementaires, à la Chambre des communes et au
Sénat. Plusieurs conclusions sont tirées de ces extraits, à la page 41, la première étant que les
parlementaires eux-mêmes ont fait une «distinction claire et nette231» entre la loi, en tant que
cadre et fondement juridique du règlement, et «les mesures concrètes232» adoptées par voie
réglementaire en vertu de la loi. Or, une analyse attentive de toutes les citations des pages
précédentes ne fait ressortir aucune distinction du genre, qu'il s'agisse des déclarations de
MM. Bernier et Cummins à la Chambre des communes, de celles des sénateurs St. Germain,
Jessiman et Comeau au Sénat ou encore de celles des ministres Tobin et Ouellet au nom du
gouvernement. Que le lecteur se méfie : l'Espagne improvise lorsque les faits lui sont
contraires. Rien ne vient appuyer la distinction artificielle qu'elle tente d'établir dans les
débats parlementaires.
172. Une note diplomatique de l'Union européenne peut difficilement constituer une «preuve»
opposable au Canada; mais, là encore, les déductions que l'Espagne en tire233 lui font prendre
ses désirs pour la réalité. L'Union européenne mentionne effectivement «la loi et sonapplication» et «la loi et son règlement d'application» dans sa note. Il n'y a rien à redire à cette
description. Il existe en effet une loi et un règlement adopté en vertu de cette loi qui,
ensemble, établissent la norme juridique applicable. Mais l'Union européenne ne suggère
nulle part dans sa note que ces éléments sont séparables, ou que l'un d'eux constitue une
«mesure» et pas l'autre.
173. L'Espagne cite le nouvel article 5.2 de la loi, qui interdit de pêcher en violation des
mesures de gestion et de conservation prescrites dans le règlement, comme preuve que la loi
n'est pas elle-même une mesure de gestion et de conservation234. Cela fait ressortir la
conception fondamentalement erronée véhiculée par ce volet de l'argumentation espagnole, à
savoir que la désignation«mesures de gestion et de conservation» ne peut s'appliquer à la fois
à la loi et au règlement. La logique n'y trouve pas son compte. L'Espagne oublie que
«mesures» est un terme générique235 et que, en tant que tel, il s'applique tout autant au cadre
juridique, à savoir la loi, qu'aux modalités d'application détaillées, à savoir le règlement. Dans
leur présentation officielle de la loi C-29, le ministre des Pêches236 et le sénateur Petten237
ont utilisé le terme «measure» pour désigner à la fois la loi et le règlement. La loi et le
règlement visent exactement le même but, soit la gestion et la conservation des pêches, et
celui-ci ne peut être atteint que par leur action combinée. En conséquence, l'un et l'autre sont
correctement décrits, selon les termes de la réserve, comme des «mesures de gestion et de
conservation».
174. L'Espagne demande à plusieurs reprises pourquoi la réserve ne fait pas expressément
mention de la «législation» comme telle238. La réponse est que sa rédaction est fonctionnelle
plutôt que formelle. La réserve décrit la substance et le contenu de la loi et de son règlement
d'application—la fonction—et non la forme des instruments juridiques utilisés. Dans la
réserve formulée par le Canada en 1970 relativement à la protection de l'environnement marin
dans l'Arctique, il n'y avait aucune mention de la «législation»; pourtant, même nos
adversaires les plus acharnés n'ont jamais douté du fait que cette réserve excluait
effectivement de la compétence de la Cour la Loi sur la prévention de la pollution des eaux
arctiques239, laquelle a été à l'origine de l'article 234 de la convention sur le droit de la mer
de 1982240. Toute exclusion de compétence relative à un objet clairement désigné s'étend à
toute loi et à tout règlement visant ledit objet. Il n'existe pas de libellé obligé lorsqu'il s'agit de
rédiger une réserve. Ce qui importe, c'est d'être clair quant à l'objet à exclure, ce que la
réserve canadienne fait sans ambiguïté, ni équivoque possible.
b. L'interprétation de l'Espagne repose sur une distinction sans pertinence
175. La loi C-29 est conçue selon un modèle courant dans la pratique législative du Canada et
de nombreux autres pays241. Elle établit le cadre général en prévoyant notamment les
sanctions, les pouvoirs et les procédures nécessaires pour donner effet à la législation, tandis
que le règlement adopté en vertu de la loi fixe les modalités d'application détaillées. Comme
c'est le cas en ce qui concerne la loi C-29, le règlement est normalement édicté par le
gouverneur en conseil (un comité ad hoc du Cabinet). Cette façon de procéder (parfois
appelée «législation déléguée») permet de changer facilement et rapidement les règles
techniques sans avoir à modifier la loi242.
176. L'argumentation de l'Espagne part de la notion erronée selon laquelle la loi et son
règlement d'application peuvent de quelque façon être dissociés. Cette dissociation n'est pas
seulement artificielle; elle est carrément incorrecte dans le contexte du système législatif du
Canada et de la common law. En l'absence de règlement, la loi reste une enveloppe videdépourvue d'effet juridique; c'est le règlement qui l'anime. Réciproquement, le règlement n'a
pas d'existence juridique sans la loi : en vertu de la doctrine de l'ultra vires, il s'agit d'une
nullité absolue, sauf dans la mesure où la loi lui donne force exécutoire. C'est donc un non-
sens juridique que de parler du règlement d'une part et de la loi de l'autre, ou vice versa.
Séparément, ils n'ont aucun effet en droit. L'un sans l'autre, ils ne sauraient constituer un
instrument juridique opérant. Ils sont tout à fait indissociables. Il est donc illogique de
présumer l'intention d'exclure l'un mais non l'autre. L'interprétation de l'Espagne repose sur
une distinction sans pertinence juridique.
177. Pour vérifier cette affirmation, il suffit d'examiner attentivement la loi C-29 et le
règlement pris sous son empire. Les dispositions du règlement prennent la forme d'«articles»
dans des «tableaux»—de simples listes. La disposition pertinente en l'espèce, soit
l'interdiction de pêcher le flétan du Groenland, figure dans une telle liste243. Comme pour les
autres articles de la même liste, elle ne prend pas la forme d'une phrase complète. La fonction
juridique, la forme et même la structure grammaticale de cette disposition montrent qu'elle n'a
jamais été conçue comme une règle «indépendante» ayant la moindre autonomie. Elle est un
complément de la loi.
178. Il ressort clairement de sa formulation que la loi n'a pour seul objet que la conservation et
la gestion. La déclaration de principes au nouvel article 5.1 identifie le problème comme étant
celui des bateaux étrangers pêchant «d'une manière qui compromet l'efficacité... [des] mesures
[valables de conservation et de gestion]». Toute la loi vise ce problème. Elle établit le cadre
pour l'application des règles détaillées, le libellé qui commande le respect de la loi, les
sanctions en cas d'infraction à l'ensemble des règles et les pouvoirs d'exécution. De fait, la loi
C-29 ne renferme rien qui ne concerne directement les mesures de conservation et de gestion
dans la zone de réglementation de l'OPANO.
179. Même si la loi devait être artificiellement dissociée du règlement, l'Espagne n'aurait
toujours pas expliqué pourquoi un différend au sujet d'une loi ayant pour seul objet
l'application de mesures de conservation et de gestion ne serait pas un différend auquel ont
«donné lieu» l'adoption et l'exécution de telles mesures. Et comment, dès lors, pourrait-il être
exclu du champ de la réserve du Canada?
c. L'interprétation n'est pas conforme à l'intention reconnue de la réserve
180. L'Espagne elle-même montre à maintes reprises dans son mémoire qu'une interprétation
limitant la portée de la réserve au règlement par opposition à la loi n'est pas conforme à
l'intention qu'avait le gouvernement du Canada lorsqu'il a formulé sa réserve. Elle reconnaît
que «le Canada ne voulait pas que la Cour se prononce sur la compatibilité de sa réforme
légale avec le droit international244». De la même façon, elle admet que «le but de la réserve
était clairement lié à l'application de cette législation245». Quelques lignes plus loin, elle cite
le ministre des Affaires étrangères : «Afin de protéger l'intégrité de cette loi, nous avons
présenté une réserve ... auprès de la Cour internationale de justice246.» Dans la mesure où
l'interprétation des réserves doit toujours respecter l'intention de l'Etat déclarant, ces
concessions sont fatales à l'argument espagnol.
d. L'interprétation repose sur une conception erronée de la loi
181. L'Espagne soutient que la loi constitue le «titre juridique essentiel247» qui permet aux
autorités canadiennes d'agir au-delà de la limite de 200 milles, et qu'«elle garantit lacompétence interne pour agir dans les eaux internationales248». C'est réduire la loi C-29 à
un mécanisme législatif interne, à une délégation d'autorité du pouvoir législatif au pouvoir
exécutif du gouvernement du Canada, et donc à une question de «régie interne» dans le
système constitutionnel canadien. Il est difficile de concilier cette description avec la
dénonciation retentissante de la loi à laquelle se livre ailleurs l'Espagne, la qualifiant d'affront
aux normes fondamentales du droit international. L'Espagne devrait se décider. Ou la loi est
une «mesure de gestion et de conservation» en raison de sa teneur et de son but, ou alors elle
constitue strictement un mécanisme législatif interne. Dans le premier cas, la Cour n'est pas
compétente en raison de la réserve du paragraphe 2, alinéa d). Dans le second, la loi échappe à
la compétence de la Cour tant en raison de la portée spécifiquement internationale de
l'article 36, paragraphe 2, du Statut qu'en vertu de l'exclusion des questions purement internes
au paragraphe 2, alinéa c), de la déclaration du Canada249. En tout état de cause, et de
quelque point de vue que l'on se place, la loi n'est pas du ressort de la Cour.
B. Les diverses interprétations de l'Espagne priveraient la réserve du Canada de tout
effet pratique
182. Prises individuellement ou collectivement, les interprétations de l'Espagne se heurtent à
un argument décisif : elles privent la réserve de son effet pratique et tournent en dérision le
principe de l'effet utile.
183. Le principe de l'effet utile a été invoqué pour protéger les instruments attributifs de
compétence contre des détails techniques ou des interprétations artificiellement
restrictives250; il a aussi été utilisé pour faire en sorte que les limitations de compétence,
exprimées par voie de réserves ou autrement, reçoivent l'effet voulu. Pour étayer ce point de
vue, il suffit de se reporter à l'affaire de l'Anglo-Iranian Oil Co.
184. L'Espagne elle-même est préoccupée par ce principe puisqu'elle s'évertue, sur une
douzaine de pages, à montrer que les interprétations qu'elle avance sont conformes à la
nécessité d'un effet utile251. Mais ses efforts restent vains. Comme on l'a vu au
chapitre II252, l'effet utile doit être réel et non symbolique. Les interprétations de l'Espagne
sont bien loin de répondre à ce critère. Comment pourrait-il en être autrement, puisqu'elles
visent précisément à priver la réserve du Canada de tout effet pratique et à l'empêcher
d'atteindre son objectif manifeste, à savoir exclure toute contestation des mesures prises à
l'égard de navires pêchant dans la zone de réglementation de l'OPANO?
185. Prenons, par exemple, la thèse selon laquelle la loi ne serait pas une «mesure» et se
trouverait dès lors susceptible de contestation judiciaire. Le ministre des Affaires étrangères a
dit très clairement que le but recherché était de protéger l'intégrité de la loi—celle-là même
dont l'Espagne prétend maintenant qu'elle n'est pas couverte par la réserve. Le communiqué
de presse officiel publié à l'occasion du dépôt de la loi C-29 affirmait que l'intention était
«d'empêcher toute situation qui pourrait anéantir les efforts du Canada pour protéger ses
stocks253». Un élément essentiel de l'objet et du but de la réserve était d'empêcher que la loi
puisse être contestée devant la Cour. L'interprétation de l'Espagne ferait échec à cet objet et à
ce but.
186. Au surplus, la loi constitue le fondement juridique de toute l'entreprise. Si la loi tombe,
toute l'entreprise s'effondre-le règlement, l'exécution, toute la structure. Une interprétation
selon laquelle le règlement serait, de quelque façon, soustrait à la compétence de la Cour alors
que la loi ne le serait pas, est donc absurde. Avec un tel raisonnement, la réserve pourrait êtrecontournée avec la plus grande facilité, simplement en faisant abstraction du règlement et en
attaquant le fondement juridique sans lequel le règlement cesse nécessairement d'exister. Un
simple changement de cap, et ce serait comme si la réserve n'avait jamais existé.
187. Aucun gouvernement sensé n'aurait envisagé un tel résultat. Cela reviendrait à assurer les
étages supérieurs d'une maison tout en laissant les fondations sans protection, ou à
délibérément construire une forteresse sur du sable. Lorsqu'il est admis que toutes les
manifestations concrètes d'une loi ou d'une politique sont soustraites à la compétence, l'idée
que la loi ou la politique elle-même demeure susceptible de contestation judiciaire enlève tout
son sens au principe de l'effet utile et à la réserve elle-même.
188. Les autres interprétations de l'Espagne ne résistent pas mieux au test de l'effet utile. Le
seul effet pratique que l'Espagne reconnaît à la réserve en ce qui concerne les bateaux
OPANO (y compris ses propres bateaux) est qu'elle exclut de la compétence de la Cour les
mesures d'«inspection et [de] correction254» et les mesures de «notification et plainte255»,
prises en conformité avec les procédures détaillées adoptées en vertu de la convention de
l'OPANO256. On ne voit guère pourquoi le Canada aurait, en 1994, formulé une réserve pour
se prémunir contre toute contestation résultant de ces procédures conventionnelles non
controversées, depuis longtemps en vigueur et n'ayant jamais suscité de difficultés sérieuses.
En outre, pourquoi le Canada—ou n'importe quel autre Etat—aurait-il réservé ses droits quant
à des mesures d'exécution prises «par le biais de l'État du pavillon257» ou à l'égard de
bateaux apatrides ou leurs équivalents comme le suggère l'Espagne? Contrairement à ce
qu'elle prétend258, ni l'un ni l'autre de ces cas ne saurait mener à une contestation devant la
Cour internationale de Justice. Aucun Etat ne déposerait une réserve aux seules fins d'exclure
des contestations purement hypothétiques de la compétence de la Cour.
189. Bref, l'effet utile que l'Espagne prétend accorder à la réserve dans le cadre des
interprétations qu'elle propose n'est qu'un faux-semblant. Par exemple, l'Espagne avance
l'argument suivant :
«Il est plausible de considérer la réserve canadienne comme ayant été conçue
pour éviter des affaires "dérangeantes" dans des instances où les activités
d'exécution de routine, étaient contestées par d'autres Etats membres de
l'OPAN [OPANO] concernant des bateaux battant leur pavillon259.»
N'en déplaise à l'Espagne, cette thèse n'est pas «plausible». Elle est même tout à fait
invraisemblable. En restreignant la réserve à des activités d'exécution de routine, à des
questions banales et non controversées, l'Espagne la dissocie du contexte de la loi C-29, ce
qui bien sûr était le but premier de l'opération, et cherche à exclure de son champ
d'application l'objet même qui en est la raison d'être.
C. Il n'y a pas de doctrine d'interprétation restrictive des réserves aux déclarations en
vertu de la clause facultative
190. Les interprétations proposées par l'Espagne ont ceci de commun qu'elles sont toutes très
restrictives—elles limitent le sens naturel des mots et ce, de façon draconienne. Dans son
mémoire, l'Espagne affirme à juste titre que «les critères d'interprétation ne sont pas en eux-
mêmes ni restrictifs ni expansifs260». Elle se contredit systématiquement par la suite, en
proposant l'équivalent d'une théorie de l'interprétation restrictive des réserves aux déclarations
en vertu de la clause facultative.191. L'Espagne met de l'avant une présomption favorable à la compétence dans les termes
suivants :
«la présomption qu'en formulant des réserves, les déclarants prétendent saper
les bases de la juridiction qu'ils disent accepter sous la forme la plus limitée
permise par leur interprétation conformément aux règles générales qui
inspirent l'opération exégétique261».
En réalité, il n'existe pas de telle présomption, et il ne peut en exister si l'on tient à respecter
les principes fondamentaux. Pour qu'il y ait compétence, il faut qu'il y ait consentement, et le
consentement ne saurait être présumé. Pour toutes les raisons exposées dans le chapitre II du
présent contre-mémoire262, le consentement doit toujours être prouvé hors de tout doute; la
Cour exige d'ailleurs une «manifestation non équivoque» de la volonté d'accepter sa
compétence «de manière volontaire, indiscutable»263. La simple présomption n'est pas de
mise. Le droit commande une preuve positive du consentement.
192. Cette prétendue présomption selon laquelle les réserves viseraient à restreindre la
compétence de la Cour à «la forme la plus limitée permise264» équivaut à une doctrine
d'interprétation restrictive des réserves aux déclarations en vertu de la clause facultative.
L'Espagne évite d'utiliser l'expression «interprétation restrictive», mais le passage cité ne
trompe pas. Ce volet de l'argumentation espagnole appelle deux réponses. D'une part, il
n'existe pas de telle doctrine en droit. D'autre part, même l'approche la plus restrictive ne
saurait justifier les conclusions de l'Espagne, qui ne sont d'ailleurs pas des interprétations de la
réserve mais, encore une fois, des modifications présentées sous couvert d'interprétations.
193. Au début de l'examen qu'elle fait des principes d'interprétation dans son mémoire,
l'Espagne invoque l'autorité du juge Read, qui, dans son opinion dissidente en l'affaire de
l'Anglo-Iranian Oil Co., rejette dans les termes les plus catégoriques toute théorie
d'interprétation restrictive des déclarations en vertu de la clause facultative265. Il affirme que
celles-ci doivent être :
«interprét[ées] de manière à donner effet à l'intention de l'Etat telle qu'elle se
dégage des termes employés et non par une méthode restrictive, ayant pour
objet de mettre à néant l'intention de l'Etat qui a exercé ce pouvoir
souverain266».
On ne peut qu'applaudir à un tel énoncé, qui est loin de constituer un point de départ
prometteur pour qui veut justifier l'interprétation restrictive de l'une ou l'autre composante
d'une telle déclaration.
194. Ce que propose l'Espagne, c'est bien sûr une interprétation restrictive non pas de
l'instrument dans son ensemble, mais seulement des réserves qui limitent l'attribution de
compétence à la Cour. Il en résulte exactement l'opposé d'une interprétation restrictive d'une
clause juridictionnelle comme telle—une approche qui a au moins le mérite d'être familière
même si elle n'est pas universellement acceptée267. La thèse de l'Espagne va à l'encontre de
la jurisprudence et de la doctrine. De surcroît, elle est illogique, car elle fait appel à deux
approches contradictoires de l'interprétation : restrictive en ce qui concerne les limitations
figurant dans une clause juridictionnelle et libérale en ce qui concerne le reste de la clause.195. L'application de deux théories opposées d'interprétation à un seul et même instrument
juridictionnel serait inconséquente et ferait fi du caractère juridique unifié de l'instrument en
question. Dans l'affaire des Phosphates du Maroc, la Cour permanente de Justice
internationale exprimait en ces termes la règle fondamentale qui doit présider à l'interprétation
de toute composante d'une déclaration en vertu de la clause facultative : «il faut toutefois
toujours garder présente à l'esprit la volonté de l'Etat qui [n'a] accepté la juridiction
obligatoire que dans certaines limites ...268» Comme on l'a déjà montré, la réserve fait partie
intégrante de la déclaration. Si une interprétation restrictive ne convient pas pour la
déclaration en vertu de la clause facultative dans son ensemble, elle ne peut davantage
convenir pour une partie quelconque de cette déclaration, y compris les réserves qu'elle
renferme269. Le juge Jennings a insisté sur ce point dans l'affaire des Activités militaires et
paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci, fond :
«la Cour doit tenir compte du fait que le consentement exprimé dans la
déclaration visée à l'article 36, paragraphe 2-la « clause facultative »-, n'est
requis d'aucun Etat, et que fort peu d'Etats l'ont donné à ce jour. Dès lors,
chaque réserve apportée à un tel consentement requiert tout spécialement
prudence et respect270.»
196. Dans la même veine, l'Espagne invoque la doctrine contra proferentem, tirée du droit des
contrats et selon laquelle les textes ambigus jouent contre leurs auteurs. La seule source citée
vient non pas d'un arrêt ou de la doctrine, mais des pièces de procédure de la partie déboutée
dans l'affaire de l'Anglo-Iranian Oil Co.271. Ici, l'Espagne a négligé deux points importants, à
savoir : a) la Cour a refusé d'appliquer la doctrine contra proferentem dans cette affaire même
si on l'avait exhortée à le faire, et b) l'Espagne n'a pas démontré la prétendue ambiguïté de la
réserve du Canada. En outre, cette doctrine ne trouve pas d'application logique lorsque le
document, à la différence d'un contrat ou d'un traité, est un texte unilatéral rédigé par un seul
auteur.
197. Non seulement des concepts comme contra proferentem ne trouvent appui ni en doctrine
ni en jurisprudence, mais ils n'ont guère d'application à l'égard des déclarations en vertu de la
clause facultative, vu l'existence de règles spéciales de réciprocité. Si une réserve peut jouer à
l'avantage de l'Etat déclarant lorsqu'il est le défendeur, il en est de même pour d'autres Etats
lorsqu'ils se retrouvent dans cette position272. Il n'y a pas de raison que ces autres Etats aient
à subir les conséquences d'une ambiguïté qui n'est pas de leur fait273.
198. Comme le montrent les deux grandes affaires de l'Anglo-Iranian Oil Co. et du Plateau
continental de la mer Egée, un point est à la fois incontestable et capital : les limitations
posées à la compétence de la Cour par un Etat déclarant n'ont jamais été interprétées de façon
restrictive. L'interprétation qui en a été faite reflète pleinement les termes utilisés et l'intention
sous-jacente. Il est donc clair qu'il n'est nul besoin de faire intervenir de nouvelles subtilités
sous forme de présomptions juridiques ou de règles d'interprétation d'un caractère spécialisé.
Il suffit de suivre la démarche pragmatique et empirique adoptée dans l'affaire de l'Anglo-
Iranian Oil Co.—une «manière naturelle et raisonnable de lire le texte», eu égard à l'intention
de l'Etat déclarant274. Les approches préconisées par l'Espagne ne sont pas seulement
erronées au plan juridique; si elles étaient retenues, elles encourageraient les Etats à rédiger
leurs réserves en des termes beaucoup plus généraux qu'il ne le serait autrement nécessaire et,
par conséquent, nuiraient à l'objectif ultime, qui est de renforcer le système de la clause
facultative.199. Fitzmaurice a mis en garde ses lecteurs contre les dangers d'une interprétation soit
«libérale», soit «restrictive», des déclarations en vertu de la clause facultative, et tout
particulièrement contre la tentation d'une approche qui équivaudrait à une présomption
favorable à la compétence, ainsi que le préconise l'Espagne :
«Pourtant, il devrait être évident que ni une interprétation délibérément libérale
ni une interprétation délibérément restrictive de telles clauses ne saurait se
justifier ... Mais, si aucune de ces interprétations n'est justifiée, on peut sans
risque dire que la première, même si elle semble de prime abord promouvoir
l'idéal d'un élargissement de la compétence arbitrale et judiciaire
internationale, comporte de loin le plus de danger à long terme pour le statut et
le prestige de cette juridiction—puisque rien ne mine aussi rapidement et
totalement la confiance dans le processus judiciaire international que l'idée que
les tribunaux internationaux pourraient se déclarer compétents à l'égard de
questions qui ne sont pas réellement couvertes par la portée que les parties
voulaient donner à leur consentement275.»
200. Les réserves ne devraient jamais, implicitement ou explicitement, être considérées
comme une atteinte au système de la clause facultative—une limitation indésirable de la
compétence, qu'il faut combattre par des interprétations restrictives. Au contraire, elles
peuvent contribuer de façon positive au système, comme le signale l'auteur d'une récente
monographie sur le sujet lorsqu'il affirme :
«les réserves dans les déclarations unilatérales ne contribuent pas au déclin de
la clause facultative. De fait, les réserves assurent la souplesse que de
nombreux Etats estiment essentielle pour accepter la compétence obligatoire de
la Cour internationale de Justice. Par conséquent, le droit d'inclure dans les
déclarations unilatérales une variété de réserves est en fait susceptible de
favoriser une acceptation plus large de la compétence obligatoire276».
201. La démarche à suivre est simple. Il faut accorder leur plein effet tant à l'acceptation de
compétence dans la déclaration qu'aux réserves qui limitent cette acceptation277, parce que
ces deux éléments délimitent ensemble la compétence de la Cour et constituent les
composantes intégrales et essentielles d'un instrument juridique unique. L'interprétation doit
être empirique et s'attacher à comprendre les mots dans leur contexte, et non viser un résultat
prédéterminé à l'aide de règles a priori ou de présomptions. Elle doit aussi être libre de tout
engagement doctrinal en faveur de principes «libéraux» ou «restrictifs», évitant ainsi le
double piège d'un résultat qui dépasserait «l'expression de la volonté des Etats qui l'ont [la
déclaration] souscrite278» ou qui ne donnerait pas ses «effets utiles279» à l'attribution de
compétence.
Conclusion
202. Dans son mémoire, l'Espagne prête au Canada l'intention de «dévast[er] les normes, les
règles et les conventions du langage ... 280». Il est tentant de rétorquer à l'Espagne que cette
description lui va comme un gant et qu'elle le sait bien. L'Espagne dit aussi prévoir que le
Canada, à l'instar de Humpty Dumpty, réclamera un privilège d'auteur et maintiendra que les
mots ont la signification qu'il leur donne, «rien de plus, rien de moins281». Le Canada ne
réclame rien de tel. Il soutient simplement qu'il faut respecter le sens ordinaire des mots et
l'intention qu'ils expriment.203. Trouvant peu à son goût les termes courants qu'emploie le Canada dans sa déclaration,
l'Espagne cherche à les noyer dans une masse inextricable de qualificatifs qui ne figurent
aucunement dans le texte. Elle prétend que les mesures doivent être légales, raisonnables et
appropriées; que les navires qui y sont assujettis doivent être apatrides ou équivalents; ou
encore que les mesures doivent être prises en conformité avec la convention de l'OPANO ou
par le biais de l'Etat du pavillon, et qu'elles ne sauraient inclure l'arrestation et la saisie, ni
aucun acte non conforme au droit international. Mais, dans cette cascade d'assertions confuses
et contradictoires, où se trouve le consentement des parties, source véritable de la compétence
de la Cour? Le Canada a exclu de la compétence de la
Cour «les différends auxquels pourraient donner lieu les mesures de gestion et de
conservation adoptées par le Canada pour les navires pêchant dans la zone de réglementation
de l'OPAN [OPANO] ... et l'exécution de telles mesures». Les sophismes auxquels se livre
l'Espagne sont impuissants à occulter la signification de la réserve canadienne. Les
interprétations espagnoles ne tiennent pas compte des termes effectivement employés dans
son libellé; elles nient expressément les intentions déclarées du gouvernement du Canada au
moment de son dépôt; et elles la privent de toute utilité pratique. Elles violent donc en tous
points les principes fondamentaux d'interprétation et ne sauraient être retenues.
CHAPITRE IV
LE DIFFÉREND A ÉTÉ RÉGLÉ
Introduction
204. S'il est vrai que la réserve figurant au paragraphe 2, alinéa d), de la déclaration
canadienne du 10 mai 1994 suffit pour disposer de la requête de l'Espagne, le Canada estime
devoir attirer l'attention de la Cour sur une autre considération. Dans la présente affaire, «les
circonstances qui se sont produites depuis [le dépôt de la requête] rendent toute décision
judiciaire sans objet282». Les événements survenus depuis le 28 mars 1995 ont en effet
radicalement modifié la situation. Or, comme elle l'a elle-même déclaré, la Cour «doit tenir
compte de toute situation dans laquelle le différend a disparu parce que l'objet de la demande
a été atteint d'une autre manière283».
205. L'existence (et donc la persistance) d'un différend d'ordre juridique est la condition sine
qua non de la compétence de la Cour. Cette exigence ressort clairement de la déclaration
canadienne d'acceptation de la compétence obligatoire de la Cour, de l'article 36 du Statut et
d'une jurisprudence constante.
206. Dans sa déclaration du 10 mai 1994, le Canada confère juridiction à la Cour pour :
«tous les différends (italique ajouté) ... autres que :
... d) les différends auxquels pourraient donner lieu les mesures de gestion et de
conservation adoptées par le Canada pour les navires pêchant dans la zone de
réglementation de l'OPAN [OPANO] ... et l'exécution de telles mesures.»
Le Canada n'accepte donc la juridiction de la Cour que dans la mesure où il existe un
différend entre les parties.
207. La position du Canada à cet égard est fondée sur l'article 36, paragraphe 2, du Statut, qui
fait état de «la juridiction de la Cour sur tous les différends d'ordre juridique ayant pour objet
...» (italique ajouté), ce membre de phrase étant suivi d'une indication des quatre catégories de
différends qui peuvent être visés par une déclaration d'acceptation de la compétence
obligatoire. Il ressort de l'article 36, paragraphe 2, que l'existence d'un différend d'ordre
juridique est essentielle pour que la Cour soit compétente.
208. Dans les affaires des Essais nucléaires, la Cour a souligné qu'un différend doit exister
pour qu'elle puisse exercer sa fonction judiciaire :
«La Cour, comme organe juridictionnel, a pour tâche de résoudre des
différends existant entre Etats. L'existence d'un différend est donc la condition
première de l'exercice de sa fonction judiciaire; on ne peut se contenter à cet
égard des affirmations d'une partie ... Le différend dont la Cour a été saisie doit
donc persister au moment où elle statue284.»
Aux yeux de la Cour, le lien entre l'existence (et la persistance) d'un différend et l'existence de
la compétence est si fondamental qu'il constitue la «condition première» de l'exercice de sa
fonction judiciaire, et une question «essentiellement préliminaire285». Par conséquent, si le
différend a été réglé par d'autres moyens avant que la Cour n'ait rendu sa décision, celle-ci ne
peut statuer sur la requête.
A. Le différend a été réglé depuis le dépôt de la requête
209. Le 28 mars 1995, l'Espagne instituait la présente procédure devant la Cour. Toutefois,
bien avant le dépôt de la requête espagnole, des discussions s'étaient engagées entre le Canada
et l'Union européenne en vue de régler le différend. Ces discussions se sont poursuivies
jusqu'à ce qu'un accord soit paraphé le 16 avril 1995. Cet accord, signé le 20 avril, a résolu
tous les aspects du différend dont l'Espagne avait saisi la Cour : l'application de la loi C-29
aux navires espagnols et portugais pêchant dans la zone de réglementation de l'OPANO,
l'absence de contrôle effectif à l'égard de ces navires qui y avait conduit, et la saisie de l'Estai.
210. L'accord entre le Canada et la Communauté européenne comprend plusieurs documents
étroitement liés286. Le principal est le compte rendu concerté, aux termes duquel le Canada
devait abroger les dispositions du règlement du 3 mars 1995 qui assujettissaient les navires
espagnols et portugais à la loi C-29. En conséquence, le 1 ermai 1995, le Canada rayait les
noms de l'Espagne et du Portugal du tableau IV de ce règlement. La législation canadienne ne
s'applique donc plus aux navires espagnols et portugais pêchant dans la zone de
réglementation de l'OPANO287.
211. De plus, le compte rendu concerté renferme dans son annexe I des «Propositions
d'amélioration des mesures de contrôle de la pêche et de leur application288», visant à assurer
un contrôle efficace des navires pêchant dans la zone de réglementation de l'OPANO. Dans lecompte rendu concerté, le Canada et l'Union européenne convenaient en outre de soumettre à
la Commission des pêches de l'OPANO un document conjoint, fondé sur les propositions de
l'annexe I. Ils s'engageaient enfin à obtenir des autres Parties contractantes qu'elles appuient
ces propositions en vue de leur adoption. Comme l'envisageait le compte rendu concerté, les
propositions conjointes du Canada et de l'Union européenne ont été adoptées par l'OPANO à
sa réunion annuelle de septembre 1995, sous forme de modifications aux Conservation and
Enforcement Measures289. En vertu de l'article XII, paragraphe 1, de la convention
del'OPANO, ces propositions sont devenues des mesures exécutoires pour toutes les Parties
contractantes à partir du 29 novembre 1995290.
er
212. Dans la déclaration accompagnant la modification apportée au règlement le 1 mai 1995,
il est expliqué que, si le différend portant sur l'application de la loi C-29 aux navires
espagnols et portugais a pu être résolu, c'est grâce à la solution du litige concernant le contrôle
de ces navires dans la zone de réglementation de l'OPANO :
«Le 20 avril 1995, le Canada et l'Union Européenne (UE) ont réglé leur
différend concernant la surveillance efficace des bateaux espagnols et
portugais pêchant le flétan noir et d'autres espèces inscrites sur la liste des
stocks chevauchants dans la zone réglementée par l'OPANO. Le Canada peut
maintenant retrancher l'Espagne et le Portugal de la liste de bateaux de pêche
faisant l'objet d'une surveillance particulière291.»
213. L'accord entre le Canada et la Communauté européenne a également réglé le différend
relatif à la saisie de l'Estai292. Conformément à l'accord293, les poursuites contre l'Estai et
son capitaine ont été abandonnées le 18 avril 1995 sur ordre du procureur général du Canada,
et les cautions, remises avec intérêt le 19 avril; la partie des captures qui avait été confisquée a
également été restituée par la suite294.
214. L'accord entre le Canada et la Communauté européenne a donc réglé tous les aspects du
différend, jetant les bases d'une coopération plus étroite entre les parties et contribuant à la
prévention des différends à l'avenir. Lors de la conclusion de l'accord, le ministre canadien
des Affaires étrangères était donc en mesure de déclarer : «Nous pouvons maintenant oublier
ce différend, sachant que nous avons une entente juste, faisable et sensée295.»
B. Les conclusions de l'Espagne sont désormais sans objet
215. Au vu des conclusions espagnoles et des faits énoncés ci-dessus, il apparaît à l'évidence
que, selon les termes déjà employés par la Cour, «[l]a présente affaire est l'une de celles dans
lesquelles «les circonstances qui se sont produites ... rendent toute décision judiciaire sans
objet296» et qu'il n'y a donc «pas de raison de laisser se poursuivre une procédure qu'elle sait
condamnée à rester stérile297».
216. Les conclusions de l'Espagne sont examinées ci-après selon l'ordre dans lequel celle-ci
les a présentées :
«A) que la Cour déclare que la législation canadienne, dans la mesure où elle
prétend exercer une juridiction sur les navires battant pavillon étranger en
haute mer, au-delà de la zone économique exclusive du Canada, est
inopposable au Royaume d'Espagne; B) que la Cour dise et juge que le Canada doit s'abstenir de réitérer les actes
dénoncés, ainsi qu'offrir au Royaume d'Espagne la réparation due, concrétisée
en une indemnisation dont le montant doit couvrir tous les dommages et
préjudices occasionnés; et,
C) que, en conséquence, la Cour déclare aussi que l'arraisonnement en haute
mer, le 9 mars 1995, du navire sous pavillon espagnol Estai et les mesures de
coercition et l'exercice de la juridiction sur celui-ci et sur son capitaine,
constitue (sic) une violation concrète des principes et normes de Droit
International ci-dessus indiqués298».
217. Dans son mémoire, l'Espagne prétend qu'un différend persiste entre elle et le Canada sur
la question de l'opposabilité de la législation canadienne à son égard299. Il a été démontré
plus haut que cette prétention, comme les autres figurant dans ses conclusions, a été dépassée
par les événements. Conformément à l'accord du 20 avril 1995 entre le Canada et la
Communauté européenne, les noms de l'Espagne et du Portugal ont été rayés du règlement
énumérant les Etats dont les navires sont visés par la loi C-29. Il s'ensuit que la législation
canadienne ne s'applique plus à l'Espagne, et que la conclusion A) de la requête espagnole est
manifestement sans objet.
218. Le règlement de cette question n'arrête pas l'Espagne. Rien, soutient-elle, ne garantit que
le Canada ne la remettra pas sur la liste du Règlement sur la protection des pêcheries côtières
et n'appliquera pas la Loi sur la protection des pêches côtières et son Règlement aux navires
espagnols à l'avenir. Elle demande donc à la Cour de la protéger contre une telle
éventualité300.
219. La persistance d'un différend relève toutefois d'une détermination objective, en fonction
des circonstances du moment. Actuellement, l'Espagne n'est pas visée par les mesures
d'exécution du Canada. Ce qui est à venir est du domaine de la spéculation. La Cour ne saurait
se prononcer sur des événements purement hypothétiques.
220. De plus, on l'a déjà vu, les nouvelles mesures de contrôle et d'application de l'OPANO
issues de l'accord entre le Canada et la Communauté européenne sont exécutoires pour
l'Union européenne et le Canada aux termes de la convention de l'OPANO301. En sa qualité
d'Etat membre de l'Union européenne, l'Espagne est juridiquement tenue de veiller à ce que
ses navires se conforment à ces mesures302. Celles-ci prévoient notamment la présence
d'observateurs sur tous les navires et l'amélioration des inspections en mer et des vérifications
à quai. Il devient ainsi très difficile pour les navires de pêche d'enfreindre les règles de
l'OPANO sans être découverts. L'objectif des nouvelles mesures de contrôle et d'application
est atteint. Leur simple existence constitue un solide argument dissuasif contre la surpêche.
221. Bien sûr, rien ne garantit que les navires espagnols s'abstiendront à l'avenir de violer les
règles de l'OPANO et d'épuiser les stocks chevauchants. Toutefois, aux termes du nouveau
régime, l'Espagne est elle-même tenue de prendre des mesures d'application contre ceux de
ses navires qui enfreindraient ces règles303. Si elle omettait de le faire, elle contreviendrait à
ses obligations juridiques, éventualité qu'elle ne voudrait vraisemblablement pas voir la Cour
envisager.
222. La demande de cessation faite par l'Espagne dans sa conclusion B) («que le Canada doit
s'abstenir de réitérer les actes dénoncés») est également sans objet. Comme l'Espagne nefigure plus sur la liste du Règlement sur la protection des pêcheries côtières, aucune mesure
d'exécution ne peut être prise en vertu du droit canadien à l'égard des navires espagnols
pêchant dans la zone de réglementation de l'OPANO. Et, dans les faits, aucune mesure de
cette nature n'a été prise par le Canada à l'égard des navires espagnols, ni d'ailleurs d'autres
navires, dans la zone de réglementation depuis le règlement du différend.
223. Comme on l'a vu, les navires espagnols sont désormais assujettis aux nouvelles mesures
de contrôle et d'application convenues entre le Canada et l'Union européenne, puis adoptées
par l'OPANO. Ni une injonction ni une ordonnance de cessation n'auraient de conséquence
pratique, puisque les mesures d'exécution prises par le Canada à l'égard des navires espagnols
pêchant dans la zone de réglementation ont cessé. On se souviendra que, dans des affaires
antérieures, la Cour a refusé de rendre jugement lorsque sa décision n'aurait eu aucune
conséquence pratique. Dans l'affaire du Cameroun septentrional, elle a observé que :
«La fonction de la Cour est de dire le droit, mais elle ne peut rendre des arrêts
qu'à l'occasion de cas concrets dans lesquels il existe, au moment du jugement,
un litige réel impliquant un conflit d'intérêts juridique entre les parties. L'arrêt
de la Cour doit avoir des conséquences pratiques304...
...
[Le Cameroun] a soutenu qu'il demandait simplement un énoncé du droit qui
«constituerait ... un témoignage vital pour le peuple camerounais» ... Mais un
tribunal n'a pas simplement pour fonction de fournir une base d'action politique
alors qu'aucune question juridique concernant des droits effectifs n'est en
jeu305.»
224. La conclusion B) de l'Espagne comporte également une demande d'indemnisation.
Comme on l'a déjà vu, la requête espagnole a été présentée avant la conclusion de l'accord
entre le Canada et la Communauté européenne, et avant que celui-ci ne porte ses fruits, y
compris : i) l'abandon des poursuites contre l'Estai et son capitaine; ii) le remboursement des
cautions, avec intérêt; et iii) la restitution de la partie confisquée des captures. La Cour se
souviendra qu'une action au civil a été intentée contre le gouvernement du Canada par
l'armateur et le capitaine de l'Estai devant la Cour fédérale du Canada306, ce qui constitue
une voie de recours interne non encore épuisée. On peut se demander ce que l'Espagne
pourrait espérer au-delà des mesures déjà prises par le Canada, et quelles réparations elle
pourrait exiger en sus des dommages et intérêts déjà réclamés dans le cadre de l'affaire en
instance au civil.
225. S'agissant de la conclusion C), par laquelle l'Espagne demande à la Cour de déclarer que
la saisie de l'Estai constituait une violation du droit international, il a été démontré ci-dessus
qu'un jugement déclaratoire comme celui demandé par l'Espagne n'aurait aucune conséquence
pratique. En effet, le différend concernant les mesures de gestion et de conservation adoptées
par le Canada pour les navires espagnols pêchant dans la zone de réglementation de
l'OPANO, et l'exécution de telles mesures, y compris les questions relatives à la saisie de
l'Estai, a été réglé par d'autres moyens. Comme dans l'affaire du Cameroun septentrional, la
décision recherchée par l'Etat demandeur ne serait d'aucune utilité, et elle serait incompatible
avec la fonction judiciaire de la Cour307.
Conclusion226. Les circonstances ont fondamentalement changé depuis le dépôt de la requête espagnole.
Il n'y a plus de différend entre l'Espagne et le Canada, et les conclusions espagnoles sont
désormais sans objet. La Cour ne saurait avoir compétence en l'absence d'un différend.
227. Le but du règlement judiciaire en vertu du Statut n'est pas de permettre la continuation
des différends par d'autres moyens. La procédure devant la Cour est un moyen parmi d'autres
de régler les différends que les parties ne sont pas parvenues à régler elles-mêmes. Dans les
affaires des Essais nucléaires, la Cour elle-même a reconnu les limites du règlement
judiciaire :
«Si le règlement judiciaire peut ouvrir la voie de l'harmonie internationale
lorsqu'il existe un conflit, il n'est pas moins vrai que la vaine poursuite d'un
procès compromet cette harmonie308.»
Il serait dommage aujourd'hui que la poursuite d'une instance stérile complique un
rapprochement bien amorcé entre deux pays ayant une longue tradition d'amitié.
RÉSUMÉ DES PRINCIPAUX ARGUMENTS
228. Le mémoire de l'Espagne appelle la Cour, de façon à peine voilée, à faire fi du principe
suprême qui fonde sa compétence : le principe du consentement. L'Espagne demande à la
Cour d'imputer le consentement à qui ne l'a manifestement pas donné.
229. Comme le révèle la requête même de l'Espagne, ce sont les mesures de gestion et de
conservation adoptées par le Canada pour les navires espagnols pêchant dans la zone de
réglementation de l'OPANO, et l'exécution de telles mesures, qui ont donné lieu à la présente
affaire. Ce différend correspondait donc en tous points au libellé de la réserve figurant au
paragraphe 2, alinéa d), de la déclaration déposée par le Canada le 10 mai 1994, qui exclut de
la compétence de la Cour :
«les différends auxquels pourraient donner lieu les mesures de gestion et de
conservation adoptées par le Canada pour les navires pêchant dans la zone de
réglementation de l'OPAN [OPANO], telle que définie dans la convention sur
la future coopération multilatérale dans les pêches de l'Atlantique Nord-Ouest,
1978, et l'exécution de telles mesures».
L'intention du Canada exprimée par ce texte est confirmée par toutes les circonstances qui ont
présidé à sa formulation. La réserve a été déposée le jour même de la présentation de la loi C-
29 au Parlement et, selon les termes d'une déclaration faite à cette même occasion par le
ministre canadien des Affaires étrangères, elle avait pour but essentiel de «protéger l'intégrité
de cette loi309». Le différend à l'origine de la présente affaire était au cŒur même de ce que
le Canada entendait exclure de la compétence de la Cour, et qu'il a effectivement exclu par le
libellé précis et sans équivoque de sa réserve.
230. Les questions en litige entre le Canada et l'Espagne ont été réglées. L'Espagne n'est plus
visée par la loi canadienne et son règlement; les poursuites à l'encontre de l'Estai et de son
capitaine ont été abandonnées; et les parties sont juridiquement liées par un régime decontrôle et d'application efficace qui a éliminé les causes profondes du différend. La requête
de l'Espagne est maintenant sans objet.
CONCLUSION
Plaise à la Cour dire et juger qu'elle n'est pas compétente pour statuer sur la requête déposée
par l'Espagne le 28 mars 1995.
L'Agent du Gouvernement du Canada
Philippe Kirsch, c.r.
Le 29 février 1996
__________
LISTE DES ANNEXES*
Page
Annex 1 / Annexe 1 1
Fisheries Jurisdiction Case (Spain v. Canada), Order of 2 May
1995, I.C.J. Reports 1995, p. 87.
Compétence en matière de pêcheries (Espagne c. Canada), 3
ordonnance du 2 mai 1995, C.I.J. Recueil 1995, p. 87.
Annex 2 / Annexe 2 7
Canadian Declaration of 10 May 1994. 9
Déclaration canadienne du 10 mai 1994. 11
Annex 3 / Annexe 3 13
Coastal Fisheries Protection Act, R.C.S., 1985, c. C-33. 15
Loi sur la protection des pêches côtières, L.R.C. (1985), 15
chap. C-33.
Annex 4 / Annexe 4 29 Letter from the European Commission of 11 February 1994. 31
Annex 5 / Annexe 5 33
Coastal Fisheries Protection Regulations, amendment, 35
SOR/95-222, 1 May 1995.
Règlement sur la protection des pêcheries côtières — 35
Modification, DORS/95-222, 1 mai 1995.
Annex 6 / Annexe 6 37
Stocks under moratoria. 39
Stocks faisant l'objet d'un moratoire. 41
Annex 7 / Annexe 7 43
Northwest Atlantic Fisheries Center, Report on the Status of 45
Canadian Managed Groundfish Stocks of the Newfoundland
Region, St. John's, Newfoundland, Department of Fisheries and
Oceans, 1995 (extracts).
Centre des Pêches de l'Atlantique du Nord-Ouest, Rapport sur 53
l'état des stocks de poissons de fond gérés par le Canada dans
la Région de Terre-Neuve, St. John's, Terre-Neuve, Ministère
des Pêches et des Océans, 1995 (extraits).
Annex 8 / Annexe 8 63
Northwest Atlantic Fisheries Organization, Summary of Status 65
of Proposals and Resolutions of NAFO, NAFO/FC Doc. 95/8
(extracts).
Annex 9 / Annexe 9 79
FAO, World Review of Highly Migratory Species and 81
Straddling Stocks, Fisheries Technical Paper 337 (extracts).
Annex 10 / Annexe 10 87
Northwest Atlantic Fisheries Organization, Conservation and 89
Enforcement Measures, NAFO/FC Doc. 96/1 (extracts).
Annex 11 / Annexe 11 103
Treaty between the Kingdom of Belgium, the Kingdom of 105
Denmark, the Federal Republic of Germany, the Hellenic
Republic, the French Republic, Ireland, the Italian Republic,
the Grand Duchy of Luxembourg, the Kingdom of the Netherlands, the United Kingdom of Great Britain and
Northern Ireland (Member States of the European
Communities) and the Kingdom of Spain, the Portuguese
Republic, concerning the accession of the Kingdom of Spain
and the Portuguese Republic to the European Economic
Community and to the European Atomic Energy Community,
Official Journal of the European Communities, L302, Vol. 28,
15 November 1985 (extracts).
Traité entre le royaume de Belgique, le royaume de Danemark, 111
la république fédérale d'Allemagne, la République hellénique,
la République française, l'Irlande, la République italienne, le
grand-duché de Luxembourg, le royaume des Pays-Bas, le
Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d'Irlande du Nord (États
membres des Communautés européennes) et le royaume
d'Espagne et la République portugaise, relatif à l'adhésion du
royaume d'Espagne et de la République portugaise à la
Communauté économique européenne et à la Communauté
européenne de l'énergie atomique, Journal officiel des
Communautés européennes, L302, Vol. 28, 15 novembre 1985
(extraits).
Annex 12 / Annexe 12 117
European Union Use of the NAFO Objection Procedure (1985- 119
1991).
Recours par l'Union Européenne à la procédure d'objection de 121
l'OPANO (1985-1991).
Annex 13 / Annexe 13 141
Northwest Atlantic Fisheries Organization, Statistical Bulletin143
Supplementary Issue, Fishery Statistics for 1960-90,
Dartmouth, Canada, 1995 (extracts).
Annex 14 / Annexe 14 149
Northwest Atlantic Fisheries Organization, Meetings and 151
Decisions, 1979-1992, Dartmouth, Canada, Northwest Atlantic
Fisheries Organization, 1993 (extracts).
Northwest Atlantic Fisheries Organization, Report of the 159
General Council, NAFO/GC Doc. 88/7 (Revised) (extracts).
Northwest Atlantic Fisheries Organization, Report of the 167
General Council, NAFO/GC Doc. 89/4 (Revised) (extracts).
Annex 15/ Annexe 15 173 Northwest Atlantic Fisheries Organization, Meeting of the 175
Standing Committee on Fishing Activities of Non-Contracting
Parties in the NAFO Regulatory Area (STACFAC), NAFO/GC
Doc. 94/7 (extracts).
Annex 16 / Annexe 16 177
Northwest Atlantic Fisheries Organization, Report of the 179
Scientific Council, NAFO SCS 92/23 (extracts).
Annex 17 / Annexe 17 191
Northwest Atlantic Fisheries Organization, Statistical Bullet193
Vol. 42, Fishery Statistics for 1992, Dartmouth, Canada, 1995.
Annex 18 / Annexe 18 201
Northwest Atlantic Fisheries Organization, Provisional 203
Nominal Catches in the Northwest Atlantic, 1993, NAFO SCS
Doc. 94/24 (extracts).
Annex 19 / Annexe 19 207
Northwest Atlantic Fisheries Organization, Provisional Catch 209
Statistics, 1994.
Annex 20 / Annexe 20 211
Northwest Atlantic Fisheries Organization, Summary of 213
Inspection Information for 1994, NAFO FC Doc. 95/25
(extracts).
Annex 21 / Annexe 21 217
Northwest Atlantic Fisheries Organization, Summary of 219
Inspection Information for 1993 According to the Fisheries
Commission Decision (on Presentation by STACTIC),
FC Doc. 93/18, Part II.2, NAFO/FC Doc. 94/12 (extracts).
Annex 22 / Annexe 22 223
Aide-Mémoire, 25 October 1994. 225
Annex 23 / Annexe 23 233
Commission of the European Communities, Report on 235
Monitoring Implementation of the Common Fisheries Policy,
SEC(92) 394 final, Brussels, 6 March 1992 (extracts).
Commission des Communautés européennes, Rapport sur le 267 contrôle de l'application de la politique commune de la pêche,
SEC(92) 394 final, Bruxelles, 6 mars 1992 (extraits).
Annex 24 / Annexe 24 299
Fisheries Resource Conservation Council, A Report to the 301
Minister of Fisheries and Oceans on Greenland halibut
(Turbot) in NAFO Sub-areas 0, 1, 2 and 3, 20 June 1994,
Ottawa.
Conseil pour la conservation des ressources halieutiques, 317
Rapport au ministre des Pêches et des Océans sur le flétan du
Groenland dans les sous-zones 0, 1, 2 et 3, 20 juin 1994,
Ottawa.
Annex 25 / Annexe 25 333
Northwest Atlantic Fisheries Organization, Scientific Council 335
Report, 1994, NAFO SCS Doc. 94/19 (extracts).
Annex 26 / Annexe 26 351
Department of Fisheries and Oceans, Atlantic Groundfish 353
Management Plan, Ottawa, Department of Fisheries and
Oceans, 1995 (extracts).
Ministère des Pêches et des Océans, Plan de gestion du poisson353
de fond de l'Atlantique, Ottawa, Ministère des Pêches et des
Océans, 1995 (extraits).
Annex 27 / Annexe 27 359
Department of Fisheries and Oceans, News Release No. NR- 361
HQ-94-72E, 20 July 1994.
Ministère des Pêches et des Océans, Communiqué No. C-AC- 363
94-72F, 20 juillet 1994.
Annex 28 / Annexe 28 365
Northwest Atlantic Fisheries Organization, Report of the 367
Fisheries Commission, NAFO/FC Doc. 94/13 (extracts).
Annex 29 / Annexe 29 373
Northwest Atlantic Fisheries Organization, Report of the 375
Fisheries Commission, NAFO/FC Doc. 95/2 (extracts).
Annex 30 / Annexe 30 381 Letter from Minister Tobin to Commissioner Bonino, 6 383
February 1995.
Annex 31 / Annexe 31 385
Letter from the European Commission to the Executive 387
Secretary of the Northwest Atlantic Fisheries Organization, 3
March 1995.
Annex 32 / Annexe 32 389
Broadcasted message. 391
Annex 33 / Annexe 33 393
Information. 395
Annex 34 / Annexe 34 397
Letter from the Registrar of the International Court of Just399 to
the Ambassador of Canada to the Netherlands, 9 June 1995.
Annex 35 / Annexe 35 401
Government of Canada, News Release No. NR-HQ-94-30E, 403
10 May 1994.
Gouvernement du Canada, Communiqué No. C-AC-94-30F, 405
10 mai 1994.
Annex 36 / Annexe 36 407
HOGG, Constitutional Law of Canada, 3rd Ed., Toronto,
Carswell, 1992 (extracts).
Annex 37 / Annexe 37 415
Canada-European Community Agreement. 417
Annex 38 / Annexe 38 435
Northwest Atlantic Fisheries Organization, Report of the 437
Fisheries Commission, NAFO/FC Doc. 95/23.
Annex 39 / Annexe 39 485
Letter from the Executive Secretary of NAFO, 1 December 487
1995.
Annex 40 / Annexe 40 489 Government of Canada, News Release No. NR-HQ-95-36E, 491
15 April 1995.
Gouvernement du Canada, Communiqué C-AC-95-36F, 15 493
avril 1995.
Annex 41 / Annexe 41 495
Council Regulations (EC) Nos. 3067/95, 3068/95, 3069/95 and 497
3070/95, Official Journal of the European Communities,
L329/1, 21 December 1995.
Certification / Attestation 511
__________
1 Requête de l'Espagne, p. 7-8.
2 Lettre du 21 avril 1995, p. 1.
3 Compétence en matière de pêcheries (Espagne c. Canada), ordonnance du 2 mai 1995, C.I.J. Recueil 1995,
p. 87 (ordonnance du 2 mai 1995). Annexe 1.
4 La déclaration du Canada est reproduite dans son intégralité à l'annexe 2.
5 Lois du Canada, 1994, ch. 14. Mémoire de l'Espagne, Annexes, Vol. I, annexe 14. Pour la codification de cette
loi, voir l'annexe 3.
6 Voir la figure 1, p. 8.
7 Mémoire de l'Espagne, p. 42, par. 18. Règlement sur la protection des pêcheries côtières - Modification,
DORS/94-362, 25 mai 1994, Gazette du Canada Partie II, Vol. 128 , N 12, 15/6/94. Mémoire de l'Espagne,
Annexes, Vol. I, annexe 17. Le règlement en question se présente sous la forme suivante : les divers stocks de
poissons protégés par la loi figurent sous la rubrique «articles» aux tableaux I et II; et les Etats du pavillon dont
les navires sont visés par la loi, au tableau III. Les navires sans nationalité sont définis séparément à la nouvelle
section 21(1) du règlement. Tous ces éléments doivent être lus en conjonction avec les interdictions prévues par
la loi C-29.
8 Mémoire de l'Espagne, p. 45, par. 20. Règlement sur la protection des pêcheries côtières - Modification,
DORS/95-136, 3 mars 1995, Gazette du Canada Partie II, Vol. 129, N 6, 22/3/95. Mémoire de
l'Espagne,Annexes, Vol. I, annexe 19. Un nouveau tableau IV a été ajouté au règlement, sur lequel figurent les
noms de l'Espagne et du Portugal. Les navires espagnols etportugais ont été assujettis à un nouvel ensemble de
mesures de conservation décrites au nouveau tableau V.
9 Débats du Sénat, Compte rendu officiel (Hansard), 1 sess., 35 législature, vol. 135, n 26, 12 mai 1994,
p. 463. Mémoire de l'Espagne, Annexes, Vol. I, annexe 16.
10 L'Union européenne a été officiellement instituée par leTraité sur l'Union européenne (Traité de Maastricht)
en tant qu'entité politique fondée sur les Communautéseuropéennes existantes, mais englobant aussi unecoopération en matière de politique étrangère et de sécurité, ainsi que dans les domaines de la justice et des
affaires intérieures. Conformément à l'article G du Traité, les termes «Communauté économique européenne»
ont été remplacés par les termes «Communauté européenne». La Communauté européenne possède la
personnalité juridique internationale et est responsablede la politique commune de la pêche. La Commission
européenne a négocié, au nom de la Communautéeuropéenne, l'accord intervenu entre cette dernière et le
Canada, dont il est question au chapitre IV du présent contre-mémoire. Le 11 février 1994, la Commission
européenne a avisé le secrétaire exécutif de l'OPANO que les termes «Union européenne» devaient désormais
être employés pour désigner l'Europe communautaire en tant que Partie contractante de l'OPANO. Pour la
commodité du lecteur, les termes «Union européenne» seront généralement employés dans le présent contre-
mémoire pour désigner l'entité qui, selon les époques et les contextes, devrait être appelée «Communauté
économique européenne», «Communauté européenne» ou «Union européenne». Traité sur l'Union européenne,
Journal officiel des Communautés européennes, C224/01 (1992), fait à Maastricht le 7 février 1992, entré en
vigueur le 1 novembre 1993, reproduit dans 31 I.L.M. 247. Pour la lettre à l'OPANO, voir l'annexe 4.
er
11 Règlement sur la protection des pêcheries côtières - Modification, DORS/95-222, 1 mai 1995, Gazette du
Canada Partie II, Vol. 129, N 10, 17/5/95. Annexe 5.
12 Mémoire de l'Espagne, p. 6, par. 5. Annexe 2.
13 Id., p. 6, par. 4; p. 26, par. 16. Annexe 3.
14 Règlement sur la protection des pêcheries côtières, 25 mai 1994, supra, note 7. Mémoire de l'Espagne,
Annexes, Vol. I, annexe 17.
15 Règlement sur la protection des pêcheries côtières, 3 mars 1995, supra, note 8. Mémoire de l'Espagne,
Annexes, Vol. I, annexe 19.
16 Mémoire de l'Espagne, p. 17, par. 13.
17 L'expression «poisson de fond» désigne collectivement les poissons qui se nourrissent près du fond de
l'océan. Le terme «stock» désigne des populations relativement distinctes dans l'aire de répartition d'une espèce
de poisson.
18 La liste de ces stocks figure à l'annexe 6.
19 Centre des pêches de l'Atlantique du Nord-Ouest, Rapport sur l'état des stocks de poissons de fond gérés par
le Canada dans la Région de Terre-Neuve, St. John's, Terre-Neuve, Ministère des Pêches et des Océans, 1995,
p. 3 (gras dans l'original). Annexe 7.
20 La zone de la convention de l'OPANO (infra, par. 21) comporte des sous-zones numérotées, elles-mêmes
composées de divisions identifiées par des lettres. Les stocks dans la zone de la convention sont généralement
désignés selon les sous-zones et les divisions dans lesquelles ils se trouvent.
21 Organisation des pêches de l'Atlantique Nord-Ouest, Summary of Status of Proposals and Resolutions of
NAFO, NAFO/FC Doc. 95/8, p. 25 et 33. Annexe 8.
22 Ibid. Annexe 8.
23 Cette figure représente le déclin global des TAC applicables aux stocks chevauchants de poisson de fond
gérés par l'OPANO. Le flétan du Groenland n'est pas inclus dans cet agrégat puisque le stock n'était pas géré par
l'OPANO avant 1995. OPANO, Summary of Status of Proposals and Resolutions of NAFO, supra, note 21.
Annexe 8.
24 Id., p. 34. Annexe 8.
25 Toutefois, comme on le verra aux par. 32-44, infra, le stock de flétan du Groenland a lui aussi connu un
déclin rapide, ce qui a nécessité la prise de mesures de conservation et de gestion immédiates et rigoureuses.26 Voir la figure 1. Le «Nez» et la «Queue» sont les noms courants des deux parties du Grand Banc qui
s'étendent au-delà de la limite de 200 milles. Le Bonnet flamand, un autre banc situé plus au large, est distinct du
Grand Banc et abrite plusieurs stocks qui ne chevauchent pas la limite, ainsi que le stock de flétan du Groenland,
qui la chevauche.
27 Organisation des Nations Unies pour l'alimentation et l'agriculture,World Review of Highly Migratory
Species and Straddling Stocks, Fisheries Technical Paper 337, p. 7-10. Annexe 9. Quatre grands schémas de
comportement peuvent être observés chez les stocks chevauchants, et un ou plusieurs de ces schémas peuvent
l'être chez un même stock. Dans le premier, le stock est réparti de part et d'autre de la limite, et le poisson ne se
déplace pas beaucoup, que ce soit en groupe ou individuellement. Dans le deuxième, le groupe reste plus ou
moins dans le même secteur, mais chaque individu peut se déplacer sur une bonne distance et traverser assez
régulièrement la limite. Dans le troisième, les poissons peuvent frayer et les poissons immatures se rassembler
d'un côté de la frontière, mais, une fois adultes, vivre de l'autre côté. La pêche incontrôlée des stocks
chevauchants au-delà de la zone de 200 milles peut avoir un effet particulièrement destructeur lorsque la zone de
frai ou la nourricerie se trouve en haute mer. Enfin, certains stocks chevauchants traversent la limite sur une base
saisonnière, passant par exemple l'été près du rivage et l'hiver au-delà de la zone de 200 milles. Dans ce cas, le
stock peut être en bonne partie détruit par la surpêche pendant qu'il passe l'hiver en haute mer, même si la pêche
est strictement contrôlée en deçà de la limite de 200 milles. Compte tenu de ces différents schémas de
comportement, la pêche pratiquée juste au-delà de la limite de 200 milles pourrait donc, à terme, épuiser
l'ensemble du stock, tout comme l'extraction de pétrole d'une partie d'un gisement chevauchant une frontière
épuisera l'ensemble du gisement. Le stock de flétan du Groenland suit les trois derniers schémas de
comportement, de sorte qu'il est tout entier vulnérable à la surpêche pratiquée au-delà de la zone de 200 milles.
28 Faite à Washington, D.C., 8 février 1949, 157R.T.N.U. 157; R.T.C. 1950/10.
29 Faite à Ottawa, 24 octobre 1978,R.T.C. 1979/11. Mémoire de l'Espagne, Annexes, Vol. I, annexe 21.
30 Les 16 membres actuels de l'OPANO sont le Canada, l'Union européenne, la Bulgarie, Cuba, le Danemark
(pour les îles Féroé et le Groenland), l'Islande, le Japon,la république de Corée, la Norvège, la Pologne, la
Roumanie, la Russie, l'Estonie, la Lettonie, la Lituanie et, depuis le 29 novembre 1995, les Etats-Unis.
31 Aux termes de la convention dont elle est issue, l'OPANO peut uniquement réglementer les parties des stocks
de l'Atlantique Nord-Ouest qui se trouvent dans sa zone de réglementation. Le Canada a toutefois permis à
l'OPANO d'établir les TAC pour des stocks chevauchants dans leur ensemble, c'est-à-dire pour les parties de ces
stocks qui se trouvent tant en deçà qu'au-delà de sa zone de 200 milles.
32 Convention de l'OPANO,supra, note 29, art. XI et XII. Mémoire de l'Espagne, Annexes, Vol. I, annexe 21.
33 Id., art. XVIII et XXIII. Mémoire de l'Espagne, Annexes, Vol. I, annexe 21.
34 Les mesures de conservation et de gestion et les règlements relatifs au programme d'application sont publiés
dans Conservation and Enforcement Measures, un document de l'OPANO contenant toutes les décisions prises à
la réunion annuelle de septembre ainsi qu'à toute réunion extraordinaire. On trouvera la version 1996 de ce
document à l'annexe 10. L'accord entre le Canada et la Communauté européenne qui a réglé le différend à
l'origine de la présente affaire a aussi permis d'apporter d'importantes améliorations à la version 1994. Ces
améliorations seront décrites au chapitre IV du présent contre-mémoire. Par suite d'une décision de l'OPANO
prise en septembre 1995, les nouvelles dispositions sont devenues exécutoires pour toutes les Parties
contractantes.
35 Traité (signé le 12 juin 1985) entre le royaume de Belgique, le royaume de Danemark, la république fédérale
d'Allemagne, la République hellénique, la République française, l'Irlande, la République italienne, le grand-
duché de Luxembourg, le royaume des Pays-Bas, le Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d'Irlande du Nord
(États membres des Communautés européennes) et le royaume d'Espagne et la République portugaise relatif à
l'adhésion du royaume d'Espagne et de la République portugaise, à la Communauté économique européenne et
à la Communauté européenne de l'énergie atomique,Journal officiel des Communautés européennes, L302,
volume 28, 15 novembre 1985, p. 9. Les sections I et II du chapitre 4 («Pêche») de ce traité sont reproduites à
l'annexe 11.36 Un résumé de ces objections se trouve à l'annexe 12.
37 OPANO, Summary of Status of Proposals and Resolutions of NAFO, supra, note 21, p. 25. Annexe 8.
38 Organisation des pêches de l'Atlantique Nord-Ouest, Statistical Bulletin, Supplementary Issue, Fishery
Statistics for 1960-90, Dartmouth, Canada, Organisation des pêches de l'Atlantique Nord-Ouest, 1995, p. 22.
Annexe 13.
39 OPANO, Summary of Status of Proposals and Resolutions of NAFO, supra, note 21, p. 25. Annexe 8.
40 OPANO, Statistical Bulletin, Supplementary Issue, Fishery Statistics for 1960-90, supra, note 38, p. 52.
Annexe 13.
41 Texte original comme suit : «Calls on all Contracting Parties to avoid excessive or inappropriate use of the
objection procedure»; «Calls on all Contracting Parties for compliance with the NAFO management framework
in place since 1979, and compliance with NAFO decisions in order to provide for conservation and maintain the
traditional spirit of co-operation and mutual understanding in the Organization». Les textes des deux résolutions
se trouvent dans Meetings and Decisions, 1979-1992, Dartmouth, Canada, Organisation des pêches de
l'Atlantique Nord-Ouest, 1993, p. 346-347, et le compte rendu des votes, dans Organisation des pêches de
l'Atlantique Nord-Ouest, Report of the General Council, NAFO/GC Doc. 88/7 (Révisé), p. 5-6, et Organisation
des pêches de l'Atlantique Nord-Ouest, Report of the General Council, NAFO/GC Doc. 89/4 (Révisé), p. 4-5,
annexe 14. Tous les membres de l'OPANO, hormis l'Union européenne, ont voté en faveur des deux résolutions.
En 1988, l'Union européenne a voté contre; en 1989, elle s'est abstenue.
42 Dans le but de prévenir tout autre recours excessif à la procédure d'objection, le Canada a déposé à la même
réunion une proposition visant à établir des critères à cet égard et à soumettre les objections à une tierce partie
qui en évaluerait la validité. La discussion de cette proposition a été remise indéfiniment.
43 OPANO, Summary of Status of Proposals and Resolutions, supra, note 21. Annexe 8. Tous les stocks
chevauchants gérés par l'OPANO ont été soumis à moratoire, à l'exception d'un petit stock de sébaste du 3LN
dont le quota a été ramené à 14 000 tonnes.
44 En vertu du droit international général, les parties non contractantes sont bien sûr tenues de coopérer à la
conservation et à la gestion des stocks chevauchants avec l'Etat côtier et les autres Etats qui pêchent ces stocks en
haute mer, et de prendre des mesures applicables à leursressortissants à cette fin.
45 En 1992 et 1993, les prises des navires non-OPANO représentaient une part importante des prises totales dans
la zone de réglementation de l'OPANO. Organisation des pêches de l'Atlantique Nord-Ouest, Meeting of the
Standing Committee on Fishing Activities of Non-Contracting Parties in the NAFO Regulatory Area
(STACFAC), NAFO/GC Doc. 94/7, Dartmouth, Canada, Organisation des pêches de l'Atlantique Nord-Ouest,
p. 6. Annexe 15.
46 Supra, note 5. Mémoire de l'Espagne, Annexes, Vol. I, annexe 14. La loi C-29 a été adoptée après trois jours
de débats seulement et avec l'appui unanime de tous les partis.
47 Bien que le projet de Loi concernant les océans du Canada(Mémoire de l'Espagne, Annexes, Vol. I,
annexe 26) soit sans rapport avec la présente affaire, l'Espagne prétend, à la page 54 de son mémoire, qu'il
prévoit une extension de la juridiction canadienne en matière de pêches. Le projet de loi incorpore simplement
les dispositions existantes d'autres lois, et établit une zone économique exclusive et une zone contiguë. Il couvre
également diverses questions d'ordre interne. Les préoccupations de l'Espagne concernant ce projet de loi
laissent donc perplexe.
48 Débats de la Chambre des communes, Compte rendu officiel (Hansard), vol. 133, n 68, 1 sess., re
35 législature, 11 mai 1994, p. 4213. Mémoire de l'Espagne, Annexes, Vol. I, annexe 15.
49 Le nouvel article 5.2 de la loi C-29 se lit comme suit : «Il est interdit aux personnes se trouvant à bord d'un
bateau de pêche étranger d'une classe réglementaire de pêcher, ou de se préparer à pêcher, dans la zone deréglementation de l'OPANO, des stocks chevauchants en contravention avec les mesures de conservation et de
gestion prévues par les règlements.» Mémoire de l'Espagne, Annexes, Volume I, annexe 14.
50 Débats de la Chambre des communes, 11 mai 1994, supra, note 48, p. 4216. Mémoire de l'Espagne, Annexes,
Vol. I, annexe 15.
51 Règlement sur la protection des pêcheries côtières, 25 mai 1994, supra, note 7. Mémoire de l'Espagne,
Annexes, Vol. I, annexe 17.
52 Le règlement ajoute à la loi la liste des stocks de poisson et des Etats visés, ainsi que les conditions strictes
touchant le recours à la force. Il est donc tout à fait clair que le règlement ne fait qu'énoncer les détails
nécessaires au fonctionnement de l'article 5.2.
53 L'Espagne prétend que la loi C-29 autorise le recours irresponsable à la force à l'égard des navires de classe
réglementaire. Mémoire de l'Espagne, p. 30, par. 168. Dans les faits, l'article 8.1 de la loi et le règlement pris
sous son empire limitent strictement ce recours aux seules situations qui l'exigent, en dernier ressort, pour
l'exécution des mesures de conservation et de gestion prescrites.
54 Organisation des pêches de l'Atlantique Nord-Ouest, Report of the NAFO Scientific Council, NAFO
SCS 92/23, p. 84-85. Annexe 16.
55 OPANO, Statistical Bulletin, Supplementary Issue, Fishery Statistics for 1960-1990, supra, note 38, p. 106.
Annexe 13.
56 Organisation des pêches de l'Atlantique Nord-Ouest, Statistical Bulletin, Vol. 42, Fishery Statistics for 1992,
Dartmouth, Canada, Organisation des pêches de l'Atlantique Nord-Ouest, 1995, p. 44. Annexe 17.
57 Organisation des pêches de l'Atlantique Nord-Ouest, Provisional Nominal Catches in the Northwest Atlantic,
1993, NAFO SCS Doc. 94/24, p. 14. Annexe 18.
58 Organisation des pêches de l'Atlantique Nord-Ouest, Provisional Catch Statistics, 1994. Annexe 19.
59 Organisation des pêches de l'Atlantique Nord-Ouest, Summary of Inspection Information for 1994, NAFO FC
Doc. 95/25. Annexe 20.
60 Organisation des pêches de l'Atlantique Nord-Ouest, Summary of Inspection Information for 1993, According
to the Fisheries Commission Decision (on Presentation by STACTIC), FC Doc. 93/18, Part II. 2, NAFO FC
Doc. 94/12. Annexe 21.
61 En octobre, le ministre canadien des Pêches a saisi les ambassadeurs de l'Union européenne du problème et
leur a présenté un aide-mémoire sur la question, auquel était annexée la liste des navires contrevenants.
Annexe 22. L'Union européenne était très consciente des lacunes de son régime d'application. Voir Commission
des Communautés européennes, Rapport sur le contrôle de l'application de la politique commune de la pêche,
SEC (92)394 final, Bruxelles, 6 mars 1992. Annexe 23.
62 Conseil pour la conservation des ressources halieutiques,Rapport au ministre des Pêches et des Océans sur le
flétan du Groenland dans les sous-zones 0, 1, 2 et 3, 20 juin 1994, Ottawa, p. 11. Annexe 24.
63 Organisation des pêches de l'Atlantique Nord-Ouest, Scientific Council Report, 1994, NAFO SCS Doc.
94/19, p. 88. Annexe 25.
64 Ministère des Pêches et des Océans, Plan de gestion du poisson de fond de l'Atlantique, Ottawa, Ministère des
Pêches et des Océans, 1995, p. 88 et 90. Annexe 26.
o
65 Ministère des Pêches et des Océans, Communiqué n C-AC-94-72F, 20 juillet 1994. Annexe 27.66 Organisation des pêches de l'Atlantique Nord-Ouest, Report of the Fisheries Commission, NAFO/FC
Doc. 94/13, p. 16. Annexe 28.
67 L'allocation de 60,37 % du TAC au Canada se fondaitsur la part canadienne traditionnelle du stock, sur la
dépendance spéciale de sescollectivités riveraines à l'égard de la pêche (tel que prescrit par l'article XI(4) de la
convention de l'OPANO), ainsi que sur la contribution du Canada à la recherche scientifique. L'habitat du flétan
du Groenland se trouve à 78 % dans les eaux canadiennes. Entre 1977 et 1993, 73 % des prises totales ont été
effectuées dans ces eaux. Les captures canadiennes ont sensiblement baissé entre 1992 et 1994 par suite des
mesures de conservation adoptées sur la foi des avis scientifiques, notamment la réduction des quotas et un
contrôle rigoureux de l'effort de pêche. L'Union européenne avait réclamé 75 % du TAC ou 20 250 tonnes, sur la
base de son pourcentage des prises des trois années précédentes. La plupart des Parties contractantes de
l'OPANO étaient toutefois d'avis que ces dernières prises étaient anormales. En effet, ces prises, excessivement
élevées et contraires aux avis scientifiques, avaient contribué au déclin précipité du stock, alors que les prises de
ce même stock attribuables à l'Union européenne avant 1991 avaient été minimes. Organisation des pêches de
l'Atlantique Nord-Ouest, Report of the Fisheries Commission, NAFO/FC Doc. 95/2, p. 15-16. Annexe 29.
68 A la fin de la réunion extraordinaire de l'OPANO de 1995, ainsi que par la suite, le Canada a offert de céder à
l'Union européenne, à titre de mesure transitoire, une partie de son allocation de flétan du Groenland pour 1995.
Voir à l'annexe 30 la lettre du 6 février 1995.
69 La lettre de l'Union européenne à l'OPANO est reproduite à l'annexe 31.
70 Règlement sur la protection des pêcheries côtières, 3 mars 1995, supra, note 8. Mémoire de l'Espagne,
Annexes, Vol. I, annexe 19. Comme on l'a vu à la note 8, un nouveau tableau IV a été ajouté au règlement, sur
lequel figuraient l'Espagne et le Portugal. Les navires espagnols et portugais étaient assujettis à un nouvel
ensemble de mesures de conservation décrit au nouveau tableau V.
71 «Résumé de l'étude d'impact de la réglementation», dans Règlement sur la protection des pêcheries côtières,
3 mars 1995, supra, note 8. Mémoire de l'Espagne, Annexes, Vol. I, annexe 19. La phrase entre crochets est une
traduction libre de la phrase de la version anglaisedu résumé qui se lit comme suit : «As an additional and
significant problem, Spanish and Portuguese vessels have, starting in 1994, significantly increased the rate at
which they are violating NAFO regulations.»
72 Le 4 mars, des messages ont été diffusés-en anglais, en français, en espagnol et en portugais-aux navires dans
la zone de réglementation de l'OPANO pour les informer des changements apportés au règlement. Annexe 32.
73 Statement of Claim, Cour fédérale du Canada, p. 3. Mémoire de l'Espagne, Annexes, Vol. II, annexe 31.
74 La dénonciation visant l'Estai et son capitaine est reproduite à l'annexe 33.
75 Les poursuites intentées contre l'Estai et son capitaine ont été abandonnées par la suite en raison de l'accord
intervenu le 16 avril 1995 entre la Communauté européenne et le Canada.Cet accord est examiné au chapitre IV
du présent contre-mémoire.
76 Mémoire de l'Espagne, p. 70, par. 40.
77 Présentant la loi C-29 à la Chambre des communes, le ministre des Pêches a fait la déclaration suivante :
«Vraiment, nous ne pouvons faire plus que ce que nous avons fait pour la conservation. Nous estimons,
toutefois, madame la Présidente, que les pêcheurs étrangers qui viennent pêcher au large de nos côtes doivent en
faire autant.» Débats de la Chambre des communes, 11 mai 1995, supra, note 48, p. 4213. Mémoire de
l'Espagne, Annexes, Vol. I, annexe 15.
78 Arrêt, C.I.J. Rocueil 1995, p. 12, par. 26, ot les affaires qui y sont citées. Dans Concessions Mavrommatis en
Palestine, arrêt n 2, 1924, C.P.J.I. série A n 2, p. 16, il a été statué que la compétence de la Cour «ne saurait
subsister en dehors des limites dans lesquelles ce consentement a été donné». DansPhosphates du Maroc, arrêt,
1938, C.P.J.I. série A/B n 74, p. 23, il a été pareillement affirmé que la compétence «n'existe que dans les
termes où elle a été acceptée». Voir aussi Droits de minorités en Haute-Silésie (écoles minoritaires), arrêt n 12,o1928, C.P.J.I. série A n 15, p. 22, et Interprétation des traités de paix conclus avec la Bulgarie, la Hongrie et la
Roumanie, première phase, avis consultatif, C.I.J. Recueil 1950, p. 71.
79 L'art. 33, par. 1, de la Charte reconnaît aux Etats le droit de régler leurs différends par tous «moyens
pacifiques de leur choix», y compris la négociation ou la médiation. Le deuxième principe énoncé dans la
Déclaration relative aux principes du droit international touchant les relations amicales et la coopération entre
e
les Etats conformément à la Charte des Nations Unies, Rés. AGNU 2625/25, Doc. off. A.G., 25 session, Doc.
NU A/8082 (1970), reconnaît le «principe du libre choix des moyens». Le libellé de laDéclaration de Manille
sur le règlement pacifique des différends internationaux, Rés. AGNU 37/10, Doc. off. A.G., 37 session, Doc.
NU A/37/51 (1982), est pratiquement identique.
80 Activités militaires et paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci (Nicaragua c. Etats-Unis d'Amérique),
compétence et recevabilité, arrêt, C.I.J. Recueil 1984, p. 418, par. 59.
o
81 Zones franches de la Haute-Savoie et du Pays de Gex, ordonnance du 19 août 1929, C.P.J.I. série A n 22,
p. 13. Cette formulation a été reprise par la Chambre dans Différend frontalier, arrêt, C.I.J. Recueil 1986, p. 577,
par. 46.
82 Voir, par exemple, le rapport du sous-comité chargé d'examiner la rédaction de la clause facultative :
Conférence des Nations Unies sur l'Organisation internationale, vol. XIII, p. 554. Voir aussi lemémoire de
l'Espagne, p. 68, par. 38.
83 Arrêt, C.I.J. Recueil 1952, p. 116. Voir aussi l'opinion individuelle du juge Lauterpacht dans Certains
emprunts norvégiens, arrêt, C.I.J. Recueil 1957, p. 46 :
«En acceptant la juridiction de la Cour, les Gouvernements sont libres de la limiter de façon radicale. Il peut en
résulter que le champ d'application de l'acceptation de la juridiction de la Cour soit réduit à peu de choses. Les
Gouvernements ont, en tant que dépositaires des intérêts qui leur sont confiés, pleinement le droit d'agir de cette
manière. Leur droit de formuler desréserves non incompatibles avec le Statut n'est plus en doute.»
84 Application de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide, mesures
conservatoires, ordonnance du 13 septembre 1993, C.I.J. Recueil 1993(Application de la convention sur le
génocide), p. 342, par. 34.
85 Supra, note 78, p. 24.
86 Exception préliminaire, arrêt, 1948, C.I.J. Recueil 1947-1948,p. 15.
87 Voir Incident aérien du 27 juillet 1955 (Israëlc. Bulgarie), arrêt, C.I.J. Recueil 1959, p. 142.
88 Supra, note 83, p. 104.
89 Id., p. 103 (italique ajouté).
90 Id., p. 105.
91 Id., p. 104 : «Si l'on envisage la déclaration au point de vue purement grammatical, on peut considérer que les
deux thèses sont compatibles avec le texte.»
92 L'Iran avait adopté une politique visant à mettre un terme au régime des capitulations à la fin des années
1920, peu avant la déclaration de 1930. La Cour a retenu une interprétation propre à donner plein effet à cet
objectif : elle a non seulement admis que sa compétence ne s'étendait pas directement aux traités entre l'Iran et le
Royaume-Uni antérieurs à la déclaration, mais aussi qu'elle ne pouvait assumer cette compétence à l'égard de
traités postérieurs conclus entre l'Iran et des Etats tiers, et devenus indirectement applicables au Royaume-
Uni par des clauses de la nation la plus favorisée figurant dans des traités intervenus entre l'Iran et le Royaume-
Uni avant la déclaration. Id., p. 105.93 Id., p. 107.
94 Id., p. 105.
95 Ibid.
96 FITZMAURICE, The Law and Procedure of the International Court of Justice, Vol. II, Cambridge, Grotius
Publications Limited, 1986, p. 503 (italique ajouté). Texte original comme suit : «the Court, while in general
applying ordinary principles of treaty interpretation, seems to have felt that the voluntary and unilateral character
of these declarations put them in a special position, in which it was necessary to have particular regard to the
known, apparent or probable intentions of the State making the declaration, particularly with reference to any
conditions or limitations which that State had placed on the extent of the obligation it was assuming».
97 ROSENNE, The Law and Practice of the International Court, Dordrecht, Martinus Nijhoff Publishers, 2 éd., e
1985, p. 406. Texte original comme suit : «the expression of a unilateral act of policy»; «stamped by the
particular quality of the declaration as a unilateral act,the product of unilateral drafting»; «the Court will seek
out the underlying intention of the State making the declaration».
98 Id., p. 406-407. Texte original comme suit : «That alsoexplains why in several cases the Court has been so
careful to explore the reasons which led the declarant government to insert special reservations into its
declaration, and to give effect to them.»
99 ALEXANDROV, Reservations in Unilateral Declarations Accepting the Compulsory Jurisdiction of the
International Court of Justice, Dordrecht, Martinus Nijhoff Publishers, 1995, p. 13. Texte original comme suit :
«The unilateral character of the declarations and the unilateral procedure of their entry into force make it very
important for the Court to clarify and establish the actual scope and contents of the consent of the declaring
State, i.e., the scope of the jurisdictionit intended to confer upon the Court.»
100 ROSENNE, supra, note 97, p. 406. Texte original comme suit : «the expression of a unilateral act of
policy».
101 Supra, note 78, p. 24. En 1995, la Cour a de nouveau confirmé que sa compétence «ne peut être établie qu'en
recherchant la volonté des Parties, telle qu'elle résulte des textes pertinents», dansDélimitation maritime et
questions territoriales entre Qatar et Bahreïn (Qatar c. Bahreïn), compétence et recevabilité, arrêt, C.I.J.
Recueil 1995 (Qatar et Bahreïn), p. 23, par. 43.
102 Voir, par exemple, le mémoire de l'Espagne, p. 61, par. 33; p. 71-72, par. 43.
103 Arrêt, C.I.J. Recueil 1978, p. 3.
104 FITZMAURICE, supra, note 96, p. 496. Texte original comme suit : «generally and in advance».
105 Supra, note 103, p. 32, par. 77.
106 Id., p. 36, par. 86.
107 La Cour a examiné un grand nombre de facteurs historiques, qui sont venus confirmer son interprétation : les
conseils fournis à la Grèce par M. Politis, rapporteur de l'Acte général (Id., p. 26-27, par. 63-64); le libellé d'une
déclaration antérieure faite en vertu de la clause facultative (Id., p. 24, par. 58); et l'explication donnée par le
Gouvernement de la Grèce à la Chambre des députés pour justifier la ratification (Id., p. 27-28, par. 66).
108 Supra, note 103, p. 29, par. 69.
109 Activités militaires et paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci, supra, note 80, p. 418, par. 60.
S'agissant du caractère sui generis des déclarations en vertu de la clause facultative, voir l'opinion individuelle
du juge Jennings dans cette affaire, p. 546, et WALDOCK, «Decline of the Optional Clause», (1955-56) 32B.Y.B.I.L. 254. Dans Droit de passage sur territoire indien, exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 1957,
p. 146, la Cour a parlé du «lien consensuel» commeétant à la base du système de la clause facultative.
110 Activités militaires et paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci, supra, note 80, p. 420, par. 63.
111 (Australie c. France), arrêt, C.I.J. Recueil 1974, p. 268, par. 46, et (Nouvelle Zélande c. France), arrêt,
C.I.J. Recueil 1974, p. 473, par. 49.
112 Voir les articles 26 (Pacta sunt servanda) et 31 (Règle générale d'interprétation) de la Convention de Vienne
sur le droit des traités, Doc. NU A/CONF. 39/27 (1969), R.T.C. 1980/37, qui font tous deux mention du principe
de la bonne foi.
1e3 SINCLAIR, The Vienna Convention on the Law of Treaties, Manchester, Manchester University Press,
2 éd., 1984, p. 120.
114 Anglo-Iranian Oil Co., supra, note 83, p. 104.
115 Annuaire de la Commission du droit international, 1966, vol. II, p. 239.
116 Avis consultatif, C.I.J. Recueil 1950, p. 229.
117 Annuaire de la Commission du droit international, supra, note 115. Voir aussi Zones franches de la Haute-
Savoie et du Pays de Gex, supra, note 81, p. 13.
118 THIRLWAY, «The Law and Procedure of the International Court of Justice: 1960-1989 (Part Three)»,
(1991) 62 B.Y.B.I.L. 44. Texte original comme suit : «an interpretation which would make the text ineffective to
achieve the object in view is ... prima facie suspect»; «an interpretation which would make it no more than an
empty gesture must for that reason be regarded as of dubious validity ...»
119 Dans Différend frontalier terrestre, insulaire et maritime (El Salvador/Honduras; Nicaragua (intervenant)),
arrêt, C.I.J. Recueil 1992, p. 585, par. 378, la Chambre a observé que «c'est seulement de la rencontre des
volontés sur ce point [l'objet de la compétence] que naît la compétence». Il s'agissait alors d'interpréter un
compromis, mais le principe s'applique tout autant dans les cas où la compétence est alléguée sur la base d'un
chevauchement des déclarations en vertu de la clause facultative.
120 FITZMAURICE, supra, note 96, p. 501 : «Pour attribuer compétence à la Cour, les déclarations en cause
doivent converger et s'imbriquer ...» («To confer jurisdiction on the Court, the declarations concerned must meet
and interlock ...»); elles doivent «se chevaucher en ce qui a trait à l'objet du différend de telle sorte que celui-ci
se situe dans la zone de chevauchement ...» («overlap in relation to the subject-matter of the dispute in such a
way that the dispute falls within the field of the overlap ...»). Dans l'affaire Anglo-Iranian Oil Co., supra,
note 83, à la p. 103, la Cour exprime la même idée en faisant valoir que la plusrestreinte des deux déclarations
est déterminante : «La déclaration de l'Iran étant de portée plus limitée que celle du Royaume-Uni, c'est sur la
déclaration de l'Iran que la Cour doit se fonder.» Voir aussi ALEXANDROV,supra, note 99, p. 39 : «la volonté
commune des Parties est délimitée par la déclaration qui accepte la compétence de la Cour à l'intérieur de limites
plus étroites ...» («the common will of the Parties is delimited by the declaration which accepts the Court's
jurisdiction within narrower limits ...»).
121 Dans son arrêt dans l'affaire du Plateau continental de la mer Egée(supra, note 103, p. 33, par. 79), la Cour
fait état du «lien étroit et nécessaire qui existe toujours entre une clause juridictionnelle et les réserves dont elle
fait l'objet».
122 CRAWFORD, «The Legal Effect of Automatic Reservations to the Jurisdiction of the International Court»,
(1979) 50 B.Y.B.I.L. 77 (italique ajouté). Texte original comme suit : «both conceptually and temporally
subsequent to ... the treaty from which it derogates»; «in the case of the Optional Clause, since it is established
that reservations can be freely made, there is simply no prior agreement: the reservation is an integral part of the
act which constitutes the agreement».123 Id., p. 79. Texte original comme suit : «treaty reservation rules are not directly relevant here».
124 JIMÉNEZ DE ARÉCHAGA, «International Law in the Past Third of a Century» dans Académie de Droit
International, Recueil des Cours, 1978, vol. 159, p. 154. Texte original comme suit : «The so-called reservations
to the optional clause are based on a different legal principle : `in plus stat minus'. If any party to the Statute is
allowed to remain totally apart from the system of the optional clause, then a party must be permitted to accept
only partially the Court's jurisdiction by subordinating its acceptance to certain conditions or limitations. It
results from this principle that the régime of `reservations' allowed under the optional clause has to be by its very
nature more liberal and less restrictive that the discipline of reservations which may be agreed by the parties to a
treaty providing for compulsory jurisdiction of the Court.» Rosenne (supra, note 97, p. 389-390) établit aussi une
nette distinction entre les deux types de réserves, en des termes qui ne laissent aucun doute quant au caractère
indissociable des réserves et des déclarations en vertu de la clause facultative dont elles font partie :
«Les réserves apportées aux déclarations ne peuvent avoir pour fonction d'exclure ou de modifier l'effet juridique
d'une quelconque disposition existante par rapport à l'Etat déclarant : au contraire, leur fonction, et celle de la
déclaration elle-même, consiste à définir les conditions de l'acceptation unilatérale de la compétence obligatoire,
à indiquer quels différends sont inclus dans cette acceptation, pour reprendre les termes de l'affaire du Droit de
passage (fond).» («The function of reservations to declarations cannot be to exclude or vary the legal effect of
some existing provision in relation to the declarant State:on the contrary, their function, together with that of the
declaration itself, is to define the terms on which the compulsory jurisdiction is unilaterally accepted, to indicate
the disputes which are included within that acceptance, in the language of the Right of Passage case (merits).»)
125 Mémoire de l'Espagne, p. 60, par. 32.
126 Id., p. 57, par. 26 : «Cependant, pour se soustraire à la juridiction obligatoire de la Cour, il ne suffit pas
d'affirmer que celle-ci est manifestement incompétente. Il faut le démontrer et cela incombe à celui qui
l'allègue»; p. 58, par. 28 : «c'est le Canada qui doit, non seulement alléguer mais prouver aussi que ... la
réserve ... comprend le différend faisant l'objet de la requête espagnole»; p. 67, par. 37 : «les exceptions à la
juridiction doivent être prouvées de manière incontestable par celui qui les allègue».
127 Id., p. 74-75, par. 47-50; Ordonnance du 2 mai 1995, supra, note 3, p. 87.
128 Réunion du 27 avril 1995, mentionnée dans le mémoire de l'Espagne, p. 56, par. 26. Ordonnance du
2 mai 1995, supra, note 3, p. 87-88. L'Espagne admet qu'elle n'a pas, durant cette réunion, exprimé d'objection à
présenter son mémoire la première : mémoire de l'Espagne, p. 75, par. 50. Voir aussi la lettre adressée par le
Greffier de la Cour internationale de Justice à l'ambassadeur du Canada aux Pays-Bas. Annexe 34.
129 Mémoire de l'Espagne, p. 57, par. 27.
130 C'est pourquoi la Cour peut soulever des questions de compétence proprio motu. Voir LAUTERPACHT,
The Development of International Law by the International Court, Londres, Stevens and Sons Limited, 1958,
p. 102-103.
131 Arrêt, C.I.J. Recueil 1988, p. 76, par. 16.
o o
132 Arrêt n 8, 1927, C.P.J.I. série A n 9, p. 32 (italique ajouté), tel que cité dans Actions armées frontalières et
transfrontalières, supra, note 131, p. 76, par. 16.
133 Ibid.
134 FITZMAURICE, supra, note 96, p. 514 (italique dans l'original). Texte original comme suit : «strict proof
of consent».
135 Ibid. Texte original comme suit : «Just because consent is the basis, and the sole basis of it, the jurisdiction
simply does not exist outside the scope of the consent given. Consequently, jurisdiction ought at the very least
not to be assumed in cases in which there is room for any serious doubt as to whether consent was given, and
whether it covers the dispute»; «strictly, jurisdiction oughtonly to be assumed if it is quite clear that the parties
have agreed to its exercise in relation to the dispute before the tribunal ...»136 Activités militaires et paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci (Nicaragua c. Etats-Unis d'Amérique),
fond, arrêt, C.I.J. Recueil 1986, p. 529. Il s'agissait dans ce cas d'une opinion dissidente, mais ce passage traite
de la question de la réserve relative aux traités multilatéraux, question de compétence sur laquelle le juge
Jennings s'est rallié à l'opinion de la majorité.
137 Supra, note 101, p. 51.
138 Supra, note 83, p. 58, tel que cité dans l'opinion dissidente du juge Shahabuddeen dans Qatar et Bahreïn,
supra, note 101, p. 64. Voir aussi les termes employés par le juge Shahabuddeen dans son opinion jointe à la
deuxième ordonnance sur les mesures conservatoires dans Application de la convention sur le génocide, supra,
note 84, p. 355. Il y parle de «l'exigence absolue d'une preuve claire de consentement».
139 Supra, note 84, p. 342, par. 34.
140 Voir p. 8.
141 Doc. NU A/CONF. 62/122 et Corr. 1 à 11, faite à Montego Bay, Jamaïque, 10 décembre 1982, (convention
sur le droit de la mer de 1982). Voir, par exemple, les art. 61, 62 et 117-119.
142 Mémoire de l'Espagne, p. 71, par. 43.
143 Ibid.
144 Accord aux fins de l'application des dispositions de la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer
du 10 décembre 1982 relatives à la conservation et à la gestion des stocks de poissons dont les déplacements
s'effectuent tant à l'intérieur qu'au-delà de zones économiques exclusives (stocks chevauchants) et des stocks de
poissons grands migrateurs (accord des Nations Unies sur les stocks chevauchants et grands migrateurs), Doc.
NU A/CONF. 164/37, 8 septembre 1995, adopté le 4 août 1995.
e
1o5 Webster's New Twentieth Century Dictionary of the English Language (unabridged), 2 éd., 1979, p. 1115,
n 10. Texte original comme suit : «an act, step or proceeding designed for the accomplishment of an object». Le
mémoire de l'Espagne cite la même définition aux p. 80-81, par. 70.
146 Supra, note 103, p. 32, par. 77.
147 Mémoire de l'Espagne, p. 80, par. 70.
148 Ibid.
149 999 R.T.N.U. 171; R.T.C. 1976/47, fait à New York, 16 décembre 1966.
150 Aux termes de l'art. 40 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, les Etats doivent faire
rapport au Comité des droits de l'homme au sujet des «mesures qu'ils auront arrêtées et qui donnent effet aux
droits reconnus» dans le pacte. En exécution de cette obligation, l'Espagne a fait les commentaires suivants dans
son premier rapport national :
Version française :
«Dans le processus d'adaptation de l'ordre juridique à lalégalité démocratique qui s'instaurait, on a distingué
trois phases successives... Cette première phase a supposé l'adoption des mesures législatives suivantes : [suit
une liste d'actes législatifs]» (Doc. NU CCPR/C/4/Add.1, 8 septembre 1978, p. 3,italique ajouté).
Texte original :«En el proceso de adaptación del ordenamiento jurídico a la legalidad democrática que se instauraba se
distinguen tres fases sucesivas... Esta primera fase supuso la adopción de las siguientes medidas legislativas : ...»
(italique ajouté).
et
Version française :
«Un train de mesures législatives a été adopté pour institutionnaliser l'autonomie des diverses régions historiques
qui composent l'Etat espagnol» (Doc. NU CCPR/C/4/Add.1, 8 septembre 1978, p. 6, italique ajouté).
Texte original :
«Se ha puesto en marcha un programa de medidas legislativas para institucionalizar la organización autonómica
de las diversas regiones históricas que integran el Estado español ...» (italique ajouté).
151 Voir l'art. 9 de la Convention internationale sur l'élimination de toutes les formes de discrimination raciale,
660 R.T.N.U. 195, R.T.C. 1970/28, faite à New York, 7 mars 1966.
152 Voir l'art. 3 de la Convention sur l'élimination de touteerles formes de discrimination à l'égard des femmes,
Rés. AGNU 34/180, R.T.C. 1982/31, faite à New York, 1 mars 1980.
153 Voir l'art. 3, par. 2, de la Convention relative aux droits de l'enfant, Rés. AGNU 44/25, R.T.C. 1992/3, faite
à New York, 20 novembre 1989. Voir aussi l'art. 4, qui utilise l'expression «mesures législatives, administratives
et autres», et l'art. 33, qui parle de «toutes les mesures appropriées, y compris des mesures législatives,
administratives, sociales et éducatives».
154 Accord général sur le commerce des services, art. XXVIII, par. a), (annexe 1b de l'Accord instituant
l'Organisation mondiale du commerce, fait à Marrakech, 15 avril 1994).
155 Accord sur l'application des mesures sanitaires et phytosanitaires, annexe A, art. 1 (annexe 1a de l'Accord
instituant l'Organisation mondiale du commerce).
156 Accord de libre-échange nord-américain entre le gouvernement du Canada, le Gouvernement des Etats-
Unis d'Amérique et le Gouvernement des Etats-Unis du Mexique, fait à Ottawa le 17 décembre 1992, art. 201.
Les «mesures» requises en vertu des conventions environnementales multilatérales sont normalement prises par
voie législative. Voir l'art. 4, par. 4, de la Convention de Bâle sur le contrôle des mouvements transfrontières de
déchets dangereux et de leur élimination, faite à Bâle, 22 mars 1989, UN Doc. UNEP/WG. 190/4, qui utilise
l'expression «y compris les mesures voulues pour prévenir et réprimer» et dont la mise en _uvre au Canada est
prévue par l'article 113, alinéa j) et l'article 116 de la Loi canadienne sur la protection de l'environnement,
e
L.R.C. 1985, ch. 16 (4 suppl.). Quant à l'art. 4, par. 2, de cette convention, qui exige des Etats qu'ils «pren[nent]
les dispositions voulues» («take the appropriate measures»), son application est assurée, en Australie, par la
Hazardous Waste Actde 1989, en Autriche, par la Loi fédérale sur la prévention de la pollution et le traitement
des déchets du 6 juin 1990, en Finlande, par la Loi sur la gestion des déchets n 673 du 31 août 1978, en France,
par la Loi no 75-633 du 15 juillet 1975 relative à l'élimination des déchets et à la récupération des matériaux, et
aux Etats-Unis d'Amérique, par la Hazardous and Additional Waste Export and Import Actdu15 mai 1991
(Compilation of the Provisions of National Legislation Related to the Control of Transboundary Movements of
Hazardous Wastes and Their Disposal and to the Environmentally Sound Management of Hazardous Wastes,
Secrétariat de la convention de Bâle, Genève, 1994). L'art. VII de la Convention sur la prévention de la pollution
des mers résultant de l'immersion de déchets et autres matières, faite à Londres, 29 décembre 1972,
327 R.T.N.U. 3, R.T.C. 1979/36, en vertu duquel les Etats sont tenus d'«applique[r] les mesures requises», est
mis en _uvre au Canada par le biais des art. 66 à 69 de la Loi canadienne sur la protection de l'environnement.
157 Avis consultatif, C.I.J. Recueil 1988, p. 12.
158 Id., p. 26, par. 33 (italique ajouté).159 Id., p. 31, par. 46 (italique ajouté).
160 Supra, note 83, p. 104.
161 Gouvernement du Canada, Communiqué n C-AC-94-30F, 10 mai 1994. Annexe 35.
162 Débats du Sénat, 12 mai 1994, supra, note 9, p. 463. Mémoire de l'Espagne, Annexes, Vol. I, annexe 16.
163 Voir, par exemple, le mémoire de l'Espagne, p. 37-38, par. 17.
164 Supra, note 103, p. 27, par. 66.
165 Mémoire de l'Espagne, p. 102-107, par. 130-146.
166 FITZMAURICE, supra, note 96, p. 514. Texte original comme suit : «the intended scope of the consents
given by the parties».
167 Mémoire de l'Espagne, p. 73.
168 Id., p. 79-93, par. 66-103.
169 Id., p. 109-112, par. 152-162.
170 Id., p. 109, par. 153.
171 Il est aussi donné à entendre que la réserve s'appliquerait si les mesures concernant «l'inspection et la
correction» étaient appliquées en conformité avec l'accord des Nations Unies sur les stocks chevauchants et
grands migrateurs. Id., p. 109, par. 153.
172 Ibid.
173 Id., p. 110, par. 155.
174 Ibid.
175 Id., p. 109, par. 154 (italique ajouté).
176 Ibid. (italique ajouté).
177 Id., p. 111, par. 157.
178 Ibid.
179 Id., p. 110, par. 156.
180 Ibid. (italique ajouté). Il y a dans ce passage une contradiction flagrante : après avoir affirmé dans un
premier temps que les mesures consistant en l'inspection et la correction appliquées à l'égard des bateaux d'un
Etat non-membre de l'OPANO seraient «techniquement contraires au droit international», l'Espagne déclare par
la suite que ces mesures seraient «incontestablementvalables dans la zone spécifiée». On en est réduit à
supposer que, malgré cette contradiction, l'Espagne n'entend pas s'écarter de sa thèse fondamentale selon laquelle
l'applicabilité de la réserve serait subordonnée à la légalitédes mesures, celles-ci devant être «incontestablement
valables» pour que soit exclue la compétence de la Cour.
181 Id., p. 111, par. 158.182 Ibid.
183 Id., p. 84, par. 76.
184 Id., p. 85, par. 79 (italique ajouté).
185 Id., p. 93, par. 103 (italique ajouté).
186 Mémoire de l'Espagne, p. 89, par. 90; p. 110, par. 155; p. 110, par. 156.
187 Id., p. 110, par. 156.
188 Id., p. 91, par. 97.
189 Id., p. 90, par. 94.
190 Id., p. 93, par. 103.
191 Id., p. 99, par. 120.
192 Id., p. 107, par. 145.
193 Anglo-Iranian Oil Co., supra, note 83, p. 104.
194 Mémoire de l'Espagne, p. 80, par. 70. Texte original comme suit : «act, step or proceeding».
195 Annexe 37.
196 Mémoire de l'Espagne, p. 51, par. 22.
197 Id., p. 68-70, par. 38-41.
198 Anglo-Iranian Oil Co., supra, note 83, p. 104.
199 Mémoire de l'Espagne, p. 70, par. 41.
200 Id., p. 70, par. 40.
201 Id., p. 69, par. 39.
202 Supra, note 109, p. 142. Mémoire de l'Espagne, p. 71, par. 42.
203 Ibid.
204 P. 26, par. 50, et p. 36, par. 74.
205 Mémoire de l'Espagne, p. 70, par. 40.
206 Id., p. 99, par. 119.
207 Débats du Sénat, 12 mai 1994, supra, note 9, p. 458 (italique ajouté). Mémoire de l'Espagne, Annexes,
Vol. I, annexe 16.
208 Ibid.209 Débats de la Chambre des communes, 11 mai 1994, supra, note 48, p. 4216 (italique ajouté). Mémoire de
l'Espagne, Annexes, Vol. I, annexe 15.
210 Mémoire de l'Espagne, p. 92, par. 100.
211 Id., p. 35, par. 17.
212 Id., p. 35-36, par. 17.
213 Débats de la Chambre des communes, 11 mai 1994, supra, note 48, p. 4216. Mémoire de l'Espagne,
Annexes, Vol. I, annexe 15.
214 Mémoire de l'Espagne, p. 27, par. 16.
215 Voir, par exemple, Id., p. 116, par. 171 : «une législation interne absolument incompatible avec les principes
les plus enracinés du droit international»; p. 119, par. 175 : «la loi... dont l'illégalité internationale est dénoncée
par le Royaume d'Espagne».
216 Id., p. 88, par. 88; p. 91, par. 98.
217 Débats de la Chambre des communes, 11 mai 1994, supra, note 48, p. 4216 (italique ajouté). Mémoire de
l'Espagne, Annexes, Vol. I, annexe 15.
218 Ibid. (italique ajouté).
219 Ibid. (italique ajouté).
220 Mémoire de l'Espagne, p. 99, par. 119.
221 Supra, note 103, p. 30, par. 73 (italique dans l'original).
222 Ibid.
223 Id., p. 31, par. 74.
224 Voir, par exemple, Mémoire de l'Espagne, p. 113, par. 163-164, où l'Espagne considère la loi et le règlement
(«la promulgation de la législation et la promulgation des règlements») comme essentiellement équivalents et
contraires au droit international dans la mesure où ils s'appliquent à tous les Etats en haute mer.
225 Voir, par exemple, Id., p. 41, par. 17, où l'Espagne écrit qu'il y a une «distinction claire et nette que députés
et sénateurs faisaient entre la Loi elle même (sic) ... source de compétence pour agir» et «les mesures concrètes
... dont les éléments concrets et les plus spécifiques devaient être adoptés par voie réglementaire».
226 Débats de la Chambre des communes, 11 mai 1994, supra, note 48, p. 4213 (traduction de la Chambre des
communes). Mémoire de l'Espagne, Annexes, Vol. I, annexe 15. Le ministre s'exprimait en anglais. Texte
original comme suit : «We propose ameasure today to give us the ability to enforce the conservation measures
necessary to protect endangered species not just for ourselves but for the world» (italique ajouté).
227 Débats du Sénat, 12 mai 1994, supra, note 9, p. 458 (traduction du Sénat). Mémoire de l'Espagne, Annexes,
Vol. I, annexe 16. Le sénateur s'exprimait en anglais. Texte original comme suit : «This legislation ... is an
interim national measure to deal with an emergency pending development of a permanent international measure
to effectively control high seas fisheries» (italique ajouté).
228 Mémoire de l'Espagne, p. 42, par. 17 (traduction de la Chambre des communes). Le ministre s'exprimait en
anglais. Texte original comme suit : «enabling measure».229 The Concise Oxford Dictionary of Current English, 8 éd., Oxford, Oxford University Press, 1990, p. 736,
n 9. Texte original comme suit : «measure»; «legislative enactment».
230 The Oxford English Dictionary, 2 éd., Vol. IX, Oxford University Press, 1989, p. 529, n 22a. Texte
original comme suit : «A legislative enactment proposed or adopted.» D'après leNouveau Petit Robert, Paris,
1993, une «mesure» est un «acte officiel visant à un effet», tandis que, dans le Diccionario de la lengua
española de la Real Academia española, Madrid, 1992, le terme «mesure» («medida») est donné comme
synonyme de «disposition» («disposición»), qui signifie «précepte juridique ou réglementaire, délibération, ordre
et mandat de l'autorité» («precepto legal o reglamentario, deliberación, orden y mandato de la autoridad»).
231 Mémoire de l'Espagne, p. 41, par. 17.
232 Ibid.
233 Id., p. 45, par. 19 : «la distinction entre la Loi de 1994 et ses mesures d'application est clairement établie».
234 Id., p. 26, par. 16.
235 Chapitre II, p. 44, par. 94.
236 Débats de la Chambre des communes, 11 mai 1994, supra, note 48, p. 4213. Mémoire de l'Espagne,
Annexes, Vol. I, annexe 15.
237 Débats du Sénat, 12 mai 1994, supra, note 9, p. 452. Mémoire de l'Espagne, Annexes, Vol. I, annexe 16.
238 Voir, par exemple, le mémoire de l'Espagne, p. 6, par. 5, et p. 37, par. 17.
239 L.R.C. 1985, ch. A-12.
240 Voir l'analyse dans l'opinion individuelle du juge Jennings dans Activités militaires et paramilitaires au
Nicaragua et contre celui-ci, supra, note 80, p. 551-552. Celui-ci observe que, dans bien des cas, des Etats ont
notifié des modifications ou des dénonciations de déclarations «avec effet immédiat et dans l'intention
manifeste - comme c'est le cas en l'espèce - de prévenir l'ouverture d'une instance, ou d'une catégorie d'instances
particulière». Parmi les exemples qu'il cite à cet égard figure la réserve canadienne de 1970 (aujourd'hui
caduque) qui était «expressément destinée à éviter toute requête pouvant mettre en cause la légitimité des textes
législatifs de 1970 par lesquels le Canada avait instauré dans les eaux arctiques une zone anti-pollution de
juridiction canadienne s'étendant à 100 millesde sa côte septentrionale». Et il ajoute :
«Dans aucun de ces cas il n'y a eu de protestation formelle mettant en cause le droit de faire une modification
restrictive avec effet immédiat et en l'absence d'une réserve expresse du droit de modification. Dans le cas du
Canada, les Etats-Unis ont énergiquement contestéla légitimité de la législation canadienne. Pourtant, loin de
nier au Canada le droit de modifier son adhésion à la clause facultative, les Etats-Unis en ont accepté l'effet.»
241 Il semble que le système législatif de l'Espagne comporte lui aussi des techniques de législation par pouvoir
délégué sous forme de «reglamentos» et de «decretos legislativos».
242 D'après le professeur Peter Hogg, «[i]l est impossible pour le Parlement fédéral ou pour une assemblée
législative provinciale d'adopter toutes les lois nécessaires dans sa juridiction aux fins du gouvernement au cours
d'une année donnée. Lorsqu'un programme législatif est établi, le Parlement ou l'assemblée législative
[provinciale] n'en adoptera d'ordinaire que les grandes lignes, et déléguera à un organe subsidiaire le pouvoir de
faire des lois sur les questions de détail. L'organe subsidiaire (ou délégué) auquel ce pouvoir a été conféré est le
plus souvent le gouverneur en conseil ou le lieutenant-gouverneur [provincial] en conseil; dans la pratique,
chacun de ces organes est le cabinet du gouvernement concerné.» («It is impossible for the federal Parliament or
any provincial Legislature to enact all of the laws that are needed in its jurisdiction for the purpose of
government in any given year. When a legislative scheme is established, the Parliament or [Provincial]
Legislature will usually enact the scheme in outline only, and will delegate to a subordinate body the power to
make laws on matters of detail. The subordinate body (ordelegate) to which this law-making power is delegatedis most commonly the Governor in Council or the [Provincial] Lieutenant Governor in Council; each of these
bodies is in practice the cabinet of the government concerned.») HOGG, Constitutional Law of Canada, 3 éd., e
Toronto, Carswell, 1992, p. 339-340. Annexe 36.
243 L'article 1 du tableau V («Mesures de conservation et de gestion») du règlement du 3 mars 1995 se lit
comme suit : «Interdiction de pêcher ou de prendre et de garder du flétan du Groenland dans la division 3L, la
division 3M, la division 3N et la division 3O pendant la période commençant le 3 mars et se terminant le
31 décembre de chaque année.» Mémoire de l'Espagne, Annexes, Vol. I, annexe 19.
244 Mémoire de l'Espagne, p. 6, par. 5.
245 Id., p. 95, par. 107.
246 Id., p. 95, par. 109.
247 Id., p. 42, par. 17.
248 Ibid. (italique et gras dans l'original).
249 Le paragraphe 2, alinéa c), de la déclaration du Canada exclut de l'acceptation de la compétence obligatoire
de la Cour «les différends relatifs à des questions qui, d'après le droit international, relèvent exclusivement de la
juridiction du Canada». Dans son Mémoire (p. 15-16, par. 12), l'Espagne fait valoir que même en omettant
l'alinéa c), la compétence de la Cour serait «circonscrite aux différends juridiques internationaux».
250 LAUTERPACHT, supra, note 130, p. 245, citant Certains intérêts allemands en Haute-Silésie polonaise,
fond, arrêt n 7, 1926, C.P.J.I. série A n 7; Zones franches de la Haute-Savoie et du Pays de Gex, supra,
note 81, p. 13.
251 Mémoire de l'Espagne, chapitre IV, section IV, sous-section C («L'EFFET UTILE»), p. 100-112, par. 124-
162.
252 P. 34-35, par. 69-71.
253 Gouvernement du Canada, Communiqué n A-AC-94-30F, 10 mai 1994. Annexe 35.
254 Mémoire de l'Espagne, p. 109, par. 153.
255 Id., p. 110, par. 115.
256 Id., p. 109-110, par. 153-155. Il est également suggéré que les mesures prises en vertu de l'accord des
Nations Unies sur les stocks chevauchants et grands migrateurs pourraient aussi être couvertes à terme, mais cet
accord n'est pas encore en vigueur.
257 Id., p. 93, par. 102.
258 Id., p. 101, par. 125. S'agissant des bateaux apatrides, qui n'ont aucun droit à la protection diplomatique et ne
peuvent réclamer l'immunité de juridiction de quelque Etat que ce soit, l'idée d'une contestation devant la Cour
serait pratiquement inconcevable.
259 Ibid.
260 Id., p. 67, par. 37.
261 Id., p. 71, par. 42 (italique ajouté).
262 P. 37-40, par. 76-81.263 Application de la convention sur le génocide, supra, note 84, p. 341-342, par. 34.
264 Mémoire de l'Espagne, p. 71, par. 42.
265 Id., p. 66, par. 37.
266 Anglo-Iranian Oil Co., supra, note 83, p. 143 (italique ajouté).
267 LAUTERPACHT, supra, note 130, p. 344-347.
268 Phosphates du Maroc, supra, note 78, p. 4.
269 Dès l'affaire des Phosphates du Maroc, Id., p. 23-24, la devancière de la Cour confirmait que, lorsqu'elles
sont libellées en termes clairs, les réserves aux déclarations en vertu de la clause facultative ne doivent pas être
interprétées de façon restrictive.
270 Supra, note 136, p. 529. Le juge Jennings a voté avec la majorité sur la question dont il s'agit ici (la réserve
relative aux traités multilatéraux), bien que dans l'ensemble son opinion soit dissidente.
271 Mémoire de l'Espagne, p. 64, par. 36, citant les écritures du Royaume-Uni, C.I.J. Mémoires, Anglo-Iranian
Oil Co., p. 525.
272 Plateau continental de la mer Egée, supra, note 103, et Certains emprunts norvégiens, supra, note 83, sont
tous deux des exemples d'affaires où la réserve déposée par le demandeur a été appliquée, sur la base de la
réciprocité, en faveur du défendeur.
273 Dans son traité classique, Fitzmaurice (supra, note 96, p. 514) a examiné l'argument selon lequel il
incomberait aux Etats déclarants de s'assurer que leurs consentements soient «libellés de telle sorte que leurs
limites ne fassent aucun doute» («so framed that their limits are unmistakable»), approche qu'il a décrite comme
«une sorte de principe de caveant proferentes» («a sort of principle of caveant proferentes»). S'il est plausible,
écrit Fitzmaurice, cet argument est «néanmoins contestable parce qu'il fait abstraction du fait que les Etats ne
seraient aucunement assujettis à la juridiction internationale si ce n'était de leur propre consentement»
(«nevertheless questionable, because it overlooks the fact that States would not be subject to international
jurisdiction at all but for their own consent»).
274 Anglo-Iranian Oil Co., supra, note 83, p. 104.
275 Supra, note 96, p. 513-514. Texte original comme suit : «Yet it should be evident that neither a deliberately
liberal nor a deliberately restrictive interpretation of such clauses can be justified ... But while neither is justified,
it is safe to say that the first, though it may appear superficially to promote the ideal of an enlargement of
international arbitral and judicial jurisdiction, involvesby far the greater long-term dangers for the standing and
prestige of this jurisdiction-since nothing undermines confidence in the process of international adjudication so
quickly and completely as the feeling that international tribunals may assume jurisdiction in cases not really
covered by the intended scope of the consents given by the parties.» De même, le juge Hackworth, dans son
opinion dissidente dans Anglo-Iranian Oil Co., supra, note 83, p. 140, a traité de la question en des termes que la
majorité aurait sûrement approuvés :
«Il ne rentre pas dans les fonctions de la Cour d'attribuer à une telle déclaration une signification plus large ou
plus restrictive que celle que l'Etat lui-même a jugé approprié de lui donner. Notre tâche consiste à rechercher le
sens ordinaire et raisonnable qui correspond le plus étroitement aux intentions de l'Etat telles qu'elles sont
traduites par la terminologie qu'il a lui-même employée.»
276 ALEXANDROV, supra, note 99, Introduction, p. x. Texte original comme suit : «reservations in unilateral
declarations do not contribute to the decline of the Optional Clause. In fact, reservations provide for the
flexibility which many States consider essential in accepting the compulsory jurisdiction of the International
Court of Justice. Thus, the right to include in unilateraldeclarations a variety of reservations may in fact
contribute to the wider acceptance of compulsory jurisdiction.»277 DE VISSCHER, Problèmes d'interprétation judiciaire en droit international public, Paris, Editions
A. Pedone, 1963, p. 201 : «Le juge international respecte une volonté qui se restreint; il est sans complaisance
pour une souveraineté qui se dérobe.» Ce passage est cité par l'Espagne dans son mémoire, à la p. 66, note 102.
278 Phosphates du Maroc, supra, note 78, p. 24.
279 Zones franches de la Haute-Savoie et du Pays de Gex, supra, note 81, p. 13.
280 Mémoire de l'Espagne, p. 72, par. 43.
281 Ibid. Texte original comme suit : «neither more nor less».
282 Cameroun septentrional, arrêt, C.I.J. Recueil 1963, p. 38.
283 Essais nucléaires (Australie c. France), supra, note 111, p. 271, par. 55; Essais nucléaires (Nouvelle-
Zélande c. France), supra, note 111, p. 476, par. 58.
284 Ibid. (italique ajouté). Voir également l'opinion individuelle du juge Fitzmaurice dans l'affaire du Cameroun
septentrional, supra, note 282, p. 104.
285
«[L]a Cour doit examiner d'abord une question qu'elle estime essentiellement préliminaire, à savoir l'existence
d'un différend, car que la Cour ait ou non compétence en l'espèce, la solution de cette question pourrait exercer
une influence décisive sur la suite de l'instance. Il lui incombe donc d'analyser de façon précise la demande que
l'Australie [ou la Nouvelle-Zélande] lui adresse dans sa requête. »Essais nucléaires (Australie c. France), supra,
note 111, p. 260, par. 24;Essais nucléaires (Nouvelle-Zélande c. France), supra, note 111, p. 463, par. 24.
286 Annexe 37.
er
287 Le Règlement sur la protection des pêcheries côtières, 1 mai 1995, supra, note 111, dit : «Les articles 1 et
2 du tableau IV de l'article 21 du Règlement sur la protection des pêcheries côtières sont abrogés.» Annexe 5. Il
est à remarquer que l'Espagne n'a pas reproduit cette modification en tant qu'annexe à son mémoire.
288 Ces propositions ont permis d'établir un ensemble renforcé de règles pour la surveillance des activités de
pêche, ainsi qu'un système plus efficace de dissuasion, de détection et de sanction des infractions. Elles
comportaient à la fois des mesures de contrôle et des mesures destinées à améliorer la transparence et l'échange
d'information. Parmi les plus importantes, il faut noter l'obligation pour tous les navires d'avoir à bord un
observateur impartial, et l'obligation de prendre des sanctions efficaces. Même si la saisie de l'Estai avait pour
but immédiat de protéger le stock de flétan du Groenland, ces propositions visaient tous les stocks de la zone de
réglementation gérés par l'OPANO.
289 Pour amener l'Union européenne à accepter que les propositions conjointes soient incluses dans les règles de
conservation et d'application de l'OPANO, le Canada a pris les mesures suivantes. Dans l'annexe II de l'accord
du 20 avril 1995, intitulée «Quotas pour le flétan du Groenland», il a convenu que ses captures pour 1995 ne
dépasseraient pas 10 000 tonnes, cédant ainsi en pratique à l'Union européenne 6 300 tonnes du quota de
16 300 tonnes que lui avait accordé l'OPANO. En septembre 1995, à la réunion de l'OPANO, le Canada a
accepté de réduire encore sa part en deçà de ce qui était prévu à l'annexe II, et il a persuadé les autres Parties
contractantes de céder une partie de leur quota de flétan du Groenland à l'Union européenne, permettant de la
sorte à celle-ci d'atteindre son objectif de 11 070 tonnes pour 1996 dans le 3LMNO, soit 55,35 % du TAC.
Organisation des pêches de l'Atlantique Nord-Ouest, Report ofthe Fisheries Commission, NAFO/FC Doc. 95/23.
Annexe 38.
290 Lettre du secrétaire exécutif de l'OPANO. Annexe 39.
er
291 Règlement sur la protection des pêcheries côtières, 1 mai 1995, supra, note 11. Annexe 5. Le «flétan noir»
est un autre nom du flétan du Groenland.292 On a vu au chapitre I, p. 22, par. 43, que l'équipage a été relâché immédiatement après l'arrivée de l'Estai à
St. John's. Le capitaine et le navire ont été inculpés pour infractions à laLoi sur la protection des pêches
côtières, telle que modifiée (loi C-29), et relâchés sur paiement d'une caution. Le navire, l'équipage et le
capitaine sont alors rentrés en Espagne, une nouvelle comparution en justice devant avoir lieu plus tard.
293 L'accord comportait une lettre du Canada informant l'Union européenne que le procureur général du Canada
prendrait en considération l'intérêt public dans sa décision quant aux poursuites intentées contre le navire et son
capitaine et que, si celles-ci étaient abandonnées, les cautions et les captures ou le produit de leur vente seraient
restitués au capitaine du navire. (Le Canada ne pouvaitprendre d'engagement à cet égard car, en droit canadien,
le procureur général a toute discrétion pour décider si l'abandon des poursuites est dans l'intérêt public.) La lettre
en réponse signalait que, pour la Communauté européenne, l'abandon des poursuites à l'encontre de l'Estai et de
son capitaine était essentiel pour assurer l'applicationdu compte rendu concerté, et que les cautions et les
captures ou leur valeur devaient être restituées au capitaine à la date de sa signature. Annexe 37.
294 Statement of Claim, supra, note 73, par. 29. Mémoire de l'Espagne, Annexes, Vol. II, annexe 31.
295 Gouvernement du Canada, Communiqué n C-AC-95-36F, 15 avril 1995. Annexe 40. Le bien-fondé de cette
déclaration s'est d'ailleurs vérifié par la suite : conformément à l'accord du 20 avril 1995, le Canada et la
Communauté européenne ont appliqué avec succès entre eux, à titre provisoire jusqu'au 31 décembre 1995, une
série de mesures de contrôle et d'application, qui ont été remplacées depuis par des modifications aux mesures de
conservation et d'application de l'OPANO.
296 Cameroun septentrional, supra, note 282, p. 38, cité par la Cour dans Essais nucléaires (Australie c.
France), supra, note 111, p. 271, par. 58; Essais nucléaires (Nouvelle-Zélande c. France), supra, note 111,
p. 477, par. 61.
297 Essais nucléaires (Australie c. France), supra, note 111, p. 271, par. 58; Essais nucléaires (Nouvelle-
Zélande c. France), supra, note 111, p. 477, par. 61.
298 Requête de l'Espagne, supra, note 1, p. 7-8. Ces conclusions sont reprises dans le mémoire de l'Espagne,
p. 113-114, par. 165-167.
299 Mémoire de l'Espagne, p. 113, par. 165.
300 Id., p. 118-119, par. 175.
301 Ces mesures s'inscrivent dans une vaste tendance, en droit international et dans la pratique des Etats, à
reconnaître la nécessité de promouvoir à l'échelle multilatérale la conservation et la gestion des stocks
halieutiques en haute mer et d'adopter à cette fin des mécanismes d'exécution efficaces. Les principaux éléments
de ce régime juridique international en développement sont l'accord des Nations Unies sur les stocks
chevauchants et grands migrateurs, supra, note 144, et l'Accord visant à favoriser le respect par les navires de
pêche en haute mer des mesuresinternationales de conservation et de gestion de l'Organisation des Nations
Unies pour l'alimentation et l'agriculture (FAO), fait àRome, 24 novembre 1993. Le premier de ces accords
établit des obligations claires et détaillées concernant la conservation et la gestion des stocks chevauchants. Il
comble aussi une lacune du droit, car il renferme diverses dispositions prévoyant l'exécution en haute mer des
mesures de conservation et de gestion tant par les Etatsdu pavillon que par les autres Etats. Le second impose
des obligations juridiques rigoureuses aux Etats du pavillon, qui doivent soit contrôler les activités de leurs
navires pêchant en haute mer, soit s'abstenir de leur accorder un permis à cette fin. Ces accords ne sont pas
encore en vigueur, mais le Canada, chef de file au moment de leur négociation, s'efforce d'en promouvoir
l'acceptation universelle.
302 L'Espagne est liée par les mesures de l'OPANO car celles-ci ont été adoptées (à l'unanimité) par le Conseil
européen, dont l'Espagne est membre, et incorporées au droit communautaire par les Règlements du Conseil
(CE) n 3067/95, 3068/95, 3069/95 et 3070/95, Journal officiel des Communautés européennes, L329/1,
21 décembre 1995. Annexe 41.
303 Le premier navire à avoir enfreint les nouvelles mesures convenues par le Canada et la Communauté
européenne était un navire espagnol, inspecté par un patrouilleur canadien. Un inspecteur de l'Union européennea confirmé le rapport d'inspection et des poursuites ont été engagées aux termes du droit espagnol lorsque le
navire est rentré au port en Espagne. C'est exactement de cette façon que les nouvelles mesures de contrôle et
d'application de l'OPANO sont censées être mises en _uvre.
304 Cameroun septentrional, supra, note 282, p. 33-34.
305 Id., p. 37.
306 Mémoire de l'Espagne, p. 124, par. 181, et Annexes, Vol. II, annexe 31.
307 Cameroun septentrional, supra, note 282, p. 33-34.
308 Essais nucléaires (Australie c. France), supra, note 111, p. 271, par. 58; Essais nucléaires (Nouvelle-
Zélande c. France), supra, note 111, p. 477, par. 61.
309 Débats du Sénat, 12 mai 1994, supra, note 9, p. 463. Mémoire de l'Espagne, Annexes, Vol. I, annexe 16.
* Les numéros de page indiqués dans cette liste sont ceux des Annexes de ce contre-mémoire.
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Contre-mémoire du Canada