Observations écrites de la République démocratique du Congo sur la question de la recevabilité des demandes reconventionnelles présentées par l'Ouganda

Document Number
8318
Document Type
Incidental Proceedings
Date of the Document

COURINTERNATIONDEJUSTICE

AFFAIRERELATIVE
AUXACTIVITES ARMEES

SURLETERRITOIRE DUCONGO

(REPUBLIQUEDEMOCRATIQUE DUCONGO cOUGANDA)

OBSERVATIONS ECRITESELA

REPUBLIQUE DEMOCRATIQUDEUCONGO

SURLES DEMANDES PRESENTEECSOMME

DEMANDESRECONVENTIONNELLES PARLA

REPUBLIQUEDEL'OUGANDA

DANS SON CONTRE-MEMOIR EU21AVRIL2001OBSERVATIONS ÉCRITESDELARÉPUBLIQUEDÉMOCRATIQUE

DU CONGO SUR LES DEMANDES PRÉSENTÉES COMME

DEMANDES RECONVENTIONNELLES PAR LARÉPUBLIQUEDE
L'OUGANDADANSSON CONTRE-MÉMOIRE DU 21AVRIL2001

25JUIN2001SOMMAIRE

Introduction

1. Le caractère sommaire et lacunaire des prétentions ougandaises est
incompatible avec les rescrivtions formelles requises var l'article 80
par.2 du Règlement de la CO&

II. La demande relative à la vrétendue agression de la Républiaue
démocratiaue du Con~o. en ce qu'elle concerne la période s'étendant
de mai à août 1998, satisfaità la condition de <<connexité directe»
ar l'article80var1 du Règlementde la Cour

III. La demande relative à la vrétendue agression de la Révubliaue
démocratiaue du Con~o, en ce au'elle concerne la période antérieurà
la création de la Révubliauedémocratiquedu Congo. ne satisfait vas à
la condition de <connexitédirecte >>reauise var l'article 80 var1 du
Règlement de la Cour

IV. Les demandes relatives aux vrétendues attaaues des bâtiments et
du personnel diplomati ues ougandais à Kinshasa ne satisfont pasà la
condition de <connexité directe>>reauise par l'article 80 var.1 du
Règlement de la Cour

V. Les demandes relatives aux prétendues violations des accords de
Lusaka par la Républi ue démocratiaue du Congo ne satisfont pas à la
condition de «connexité directe>>requise par l'article 80 par.1 du
Règlement de la Cour

VI. A titre très subsidiaire,à supposer que toutes les demandes
reconventionnelles ougandaises répondent aux rescriptions des

pyaphes 1et2 de l'article80in'v a vas lieu de les ioindre toutàs
l'instance vrincipale en avvlication de l'article 80 varaeravhe3 du
Règlement de la Cour

VII.En tout étatde cause, une éventuelledécisionde la Cour de ioindre
une ou plusieursdemandes reconventionnelles àl'instance wrincivalene
porte pas atteinte au droit de la Ré ublique démocratiaue du Coneo de
soulever d'éventuellesexcevtions préliminairesdans sa révliaue.

ConclusionsIntroduction

1. Lors de l'audience du 11juin 2001tenue entre les parties sous

l'égidedu Président de la Cour internationale de Justice, la République
démocratique du Congo a contesté la conformité aux conditions

énoncéesdans l'article 80 du Règlement de la Cour des prétentions

présentéescomme demandes reconventiomelles par la Républiquede
l'Ouganda dans son contre-mémoire du 21 avril 2001. Les présentes

observations exposent les raisons de fait et de droit qui motivent cette
contestation. Ces observations portent uniquement sur la recevabilité

de ces demandes en tant que demandes reconventionnelles, et ne
préjugent pas de tous arguments de fond ou de procédure qui

pourraient être soulevés dans la suite de la procédure. Elles ne
sauraient pas davantage être interprétées comme impliquant une

quelconque reconnaissance par la Républiquedémocratique du Congo
de la véracité d'élémentd se fait ou du bien-fondé des points de droit

développéspar l'Ouganda dans son contre-mémoire. La République

démocratique du Congo se réserve par ailleurs le droit de compléter
oralement son argumentation, dans l'hypothèse où la Cour exercerait

son pouvoir discrétionnaire de décider, après réception des pièces
écrites présentées par les parties, qu'elle n'est pas suffisamment

informée et qu'il y a lieu d'entendre les parties dans le cadre d'une
phase oralespécifique.

2. La République démocratique du Congo relève que la

Républiquede l'Ouganda n'apas cruopportun de démontrer, dans son

contre-mémoire («Uganda Counter-Memorial », ci-après UCM),
l'existenced'un lien de connexitéquelconque, qu'ilsoit direct ou même

simplement apparent, entre les demandes présentées comme
reconventiomelles et les demandes principales de la République

démocratique du Congo. Le contre-mémoire ougandais ne contient
absolument aucune indication sur la compatibilité des demandes

présentéesavec les prescriptions du Règlement de la Cour. En réalité,
seul le texte de l'article80 du Règlement de la Cour est reproduit sansautre forme de commentaire sous le sous-titre <<The Availability of
Counter-Claims >>(UCM,par. 377-378,pp. 218-219).Plus généralement,

ilest particulièrement délicatd'identifier avec précision l'objet des
demandes, qui ne se retrouvent nullement énoncées dans les

conclusions (UCM, p. 231)'et qui ne ressortent pas clairement de la

lecture du chapitreXVIII du contre-mémoireougandais. La République
démocratique du Congo ne peut que s'étonner du caractère lacunaire

du contre-mémoire ougandais, en particulier dans la mesure où les
prétentions présentées par l'Ouganda comme des demandes

reconventionnelles sont variées,et n'entretiennent pour la plupart que
des liens extrêmement lâches et ténus avec l'objet de la demande

principale.

3. Il semble en effeà,la lecture des 24pages du chapitre XVIIIdu

contre-mémoire, que l'on soit en présence d'au moins trois catégories
de prétentions radicalement différentes, catégories qui se subdivisent

elles-mêmes enplusieurs aspects distincts.ndistinguera ainsi :
1". Les accusations relatives au soutien apporté par la République

démocratique du Congo aux forces irrégulières ougandaises,

accusations qui concernent elles-mêmes, d'une part, une période
s'étendant de 1994 jusqu'au renversement du régime présidépar le

maréchal Mobutu et, d'autre part, une périodesemblant courir de mai à
août 1998,alors que le pays étaitsous la présidence de Laurent-Désiré

Kabila (UCM,pp. 219-223).
2". Les accusations relatives à des attaques des bâtiments et du

personnel diplomatiques ougandais en territoire congolais, accusations

qui renvoient en réalité à trois incidents distincts, le premier étant
survenu en date du 20 août 1998,le deuxième au cours du mois de

septembre 1998,le troisième le23 novembre de la mêmeannée(UCM,
pp. 224-228).

3". Les accusations relatives à des violations par la République
démocratique du Congo de ses obligations découlant des accords de

Lusaka, accusations qui possèdent trois fondements distincts: le

premier concerne les modalités du dialogue national congolais, le
deuxième les relations entre le gouvernement de la Républiquedémocratique du Congo et la MONUC, le troisième les obligations de
désarmement et de démobilisation des groupes armés opérant en

territoire congolais (UCM,pp. 228-230).

4. De l'avisde la Républiquedémocratique du Congo, iln'existe
dans l'histoire de la Cour aucun précédent dans lequel un Etat aurait

présentécomme demandes reconventionnelles des demandes aussi
variées et, pour certaines d'entre elles, aussi peu liéesl'objet de la

requêtedéposéepar le demandeur. Dansce contexte, le caractère

particulièrement sommaire et lacunaire des prétentions de l'Ouganda
sur ce point se révèle incompatibleavec les prescriptions formelles de

l'article 80 par. du Règlement de la Cour (1). Par ailleurs, et si on
excepte la partie des demandes directement utiliséespar l'Ouganda

pour fonder son argument de légitime défense (II), la condition de
connexité directe requise par l'article 80 par.1 du Règlement n'est

remplie ni pour les prétentions dirigées contre les actions qu'aurait
menées le gouvernement zaïrois dans les années 1994-1997(III), ni

pour celles relatives aux attaques des bâtiments et du personnel
diplomatiques ougandais (IV),ni encore pour celles qui concernent la

mise en Œuvre des accords de Lusaka (V). Iin'y a donc pas lieu de

joindre ces demandes àl'instance principale, d'autant que la jonction
serait incompatible avec la condition d'opportunité qui sous-tend

l'article80par. 3 (VI). En tout étatdecauseiy alieu de rappeler que la
procéduresommaireenvisagéepar l'article80du Règlementne fait pas

obstacleà ceque, le caséchéantl,a Républiquedémocratique du Congo
fasseusage de son droit reconnu à l'artic79 du Règlement de déposer

des exceptions préliminairesportant sur tout ou partie des demandes
reconventionnellesprésentéespar l'Ouganda (VII).1. Le caractère sommaire et lacunaire des prétentions oueandaises est
incomvatible avec les vrescrivtions formelles requises var l'article 80

par. 2 du Règlement de la Cour

5. Les conclusions du contre-mémoire ougandais relatives aux

demandes présentéescomme reconventionnelles sont les suivantes :

<Reserving its rights to supplement or amend its request, the
Republic of Uganda requests the Court :
Tr 1djudge and declare in accordance with international law
1--.J
(C) That the Counter-claims presented in Chapter XVIIIof the
present Counter-Memorial be upheld.
(2)To reserve the issue of reparation in relationto the Counter-
claims for a subsequent stage of the proceedings » (UCM, p.
231).

L'Ouganda ne précisedonc nullement ce qu'il demande à la Cour de
dire et juger; il semble par ailleurs vouloir laisser indéterminée à ce

stade la question de savoir s'il demande une réparation pour les

violations du droit international dont il faitétatet n'indique pas plus sur
quelle(s) demande(s) particulière(s)porterait, le cas échéant,l'obligation

de réparer. Or, l'article80par. 2 du Règlementde la Cour, tel qu'il a été
interprétédans la pratique et dans la jurisprudence, exige que soit

indiqué avec précision l'objet des demandes présentées au stade du

dépôt du contre-mémoire (l),ce qui n'est pas le cas en l'espèce (2).
Aucune considération n'est de nature à empêcherla Cour de déclarer

les prétentions ougandaises incompatibles avec les prescriptions de

l'article80par. 2 (3).1. L'article80 par. 2du Règlementde la Cour exigeque soit indiquéavec
précisionl'objetdes demandes présentées au stade du dépôtdu contre-
mémoire

6. Selonl'article80par. 2 du Règlementde la Cour,

<<La demande reconventionnelle est présentéedans le contre-
mémoire de la partie dont elle émane et figure parmi les
conclusions ».

Cette disposition énonce deux conditions formelles auxquelles est

subordonnée la recevabilité de demandes présentées comme
reconventionnelles :

- d'une part, les demandes doivent êtreprésentéesdans le contre-
mémoire, et ne peuvent dès lors plus être introduites

ultérieurement; ils'agit d'une limitation ratione temporisdu droit

du défendeurde formuler des demandes reconventionnelles ;
- d'autre part, les demandes doivent figurer dans les conclusions,

en vue de délimiter leur objet avec autant de précision que
possible.

Ces deux conditions sont directement liées :un Etat ne saurait, après le
dépôt de son contre-mémoire, tenter d'élargir, d'amender ou de

modifier l'objet des demandes reconventionnelles qui y étaient

initialementcontenues, ce qui suppose bien que cet objet soit d'emblée
clairement défini. Accepter une formulation floue renvoyant à des

déterminations ultérieures reviendrait à vider le paragraphe 2 de son
objetessentiel, qui est d'obliger le &fendeur àprendre attitude au plus

tard à une date précise,qu'ilest tenude respecter en vertu des règlesde
procédure applicables devant la Cour. (v. de façon générale D.

ANZILOTïI, <<La demande reconventionnelle en procédure

internationale »,loc.cit.,p. 875,ainsi que les développementsconsacrés à
cette question infra,par. 21; la limite fixéepar l'article80 par2 ratione

temporisest également mise en évidence par Shabtai ROSENNE, The
LawandProcedureoftheInternationalCourtofJustice, 1997v , ol. III).7. L'obligation de faire figurer les demandes dans les conclusions
du contre-mémoirea toujours été interprétéeavec rigueur, le texte des

conclusions reprenant expressément la ou les demandes présentée(s)
comme demande(s) reconventionnelle(s). La jurisprudence et la

pratique sont systématiques, et ne laissent aucun doute sur cette
exigence particulière.

Dans l'affaire relative à l'Applicationde laconvention sur la

préventionet larépressiondu crimede génocide,le défendeur a formulé
des demandes reconventionnellesclairementidentifiables lors du dépôt

de son contre-mémoire,dans les termessuivants :

«La République fédérative de Yougoslavie prie la Cour
internationale de Justice de dire etjuger: [..]
3. La Bosnie-Herzégovine est responsable des actes de
génocidecommis contre les Serbes en Bosnie-Herzégovineet
d'autres violations des obligationsétabliespar la convention de
1948pour la prévention et la répression du crime de génocide
[..].
4. La Bosnie-Herzégovine a l'obligation de punir les
personnes responsables des actes de génocideet d'autres actes
prohibés par la convention de 1948 pour la prévention et la
répressiondu crime de génocide.
5.La Bosnie-Herzégovineest tenue de prendre les mesures
nécessaires pour que de tels actes ne se reproduisent pas à
l'avenir.
6.La Bosnie-Herzégovineest tenue de supprimer toutes les
conséquences de la violation des obligations crééespar la
convention de 1948 pour la prévention et la répression du
crime de génocideet de verser une juste indemnité»(texte dans
C.I.J.,Recueil1997,pp. 249-251).Une rigueur toute particulière a également été observéepar le

demandeur sur reconvention dans l'affaire des Plate-fomzespétrolières.
Les conclusions du contre-mémoiredes Etats-Unis se lisaient ainsi :

« S'agissant de leur demande reconventionnelle, et
conformément à l'article80du Règlementde la Cour, les Etats-
Unis d'Amériqueprient la Cour de dire etjuger :
1. Qu'en attaquant les navires, en mouillant des mines dans le
Golfe et en menant d'autres actions militaires en 1987 et
1988 qui étaient dangereuses et dommageables pour le
commerce maritime, la République islamique d'Iran a
enfreint ses obligations envers les Etats-Unis au titre de
l'article du traitéde 1955; et
2. Que la République islamique d'Iran est en conséquence
tenue de réparer intégralementle préjudicequ'elle a causé
aux Etats-Unis enviolant letraitéde 1955,selon des formes
et un montant quiseront déterminés par la Cour à un stade
ultérieurde la procédure.
Les Etats-Unis se réservent le droit de soumettre àla Cour, en
temps voulu, une évaluation précisede la réparation due par
l'Iran» (C.I.J.,Recueil1998,p. 193,par.4).

Le mêmesouci se retrouve encore dans la formulation des demandes

reconventionnelles formées par le Nigériadans l'affairede la Frontière
terrestreet maritimeentreleCameroun etleNigéria,aux termes desquelles

la Cour est appelée à déclarerque les incidents dont cette demande fait
état

<<engagent la responsabilité internationale du Cameroun et
donnent lieu à une indemnisation sous forme de dommages et
intérêts qui,à défautd'accord entre les Parties, devront être
fixéspar la Cour, lors d'une phase ultérieure de l'affaire »
(C.I.J.,Ordonnance du 30juin 1999, Recueil1999),

affirmation sur labase duquel le Nigériaprie la Cour

<<de dire et juger que le Cameroun est responsable envers le
Nigériadu chef de ces demandes, le montant de la réparation
due à ce titre devant êtredéterminée par la Cour dans un
nouvelarrêtsiun accord n'intervient pas entre les parties dans
les sixmois suivant la date du prononcé de l'arrêtde la cour >>
(ibid.).

Ces trois précédents récents montrent bien tout le soin qu'apportent les

Etats demandeurs sur reconvention au respect de l'obligation de faire
figurer leursdemandes dans les conclusions de leur contre-mémoire, etainsi d'identifier autantque possible l'objetde leur demande, y compris
sur le plan de la réparation.

8. Un examenplus largede lajurisprudence, que ce soit celle de la

C.I.J.ou cellela C.P.J.I.,mène aux mêmesconclusions. On relèvera en
particulier que:

-1'Etatdemandeur sur reconvention précisesystématiquement dans ses

conclusions ce qu'il demande à la Cour de dire et juger, en mentionnant
les faits litigieux et les obligations internationales qu'ilestime avoir été

méconnues par le demandeur (v. l'affaire de l'Usinede Chorzow(fond),
C.P.J.I.,Sér.A, no 13,p. 36 ;l'affairedes Prises d'eaà la Meuse,C.P.J.I.,

Sér.AB, no 70, pp. 28-29 ; l'affaire du Droit d'asile,C.I.J., Mémoires,
Plaidoiriesetdocuments,vol. 1, p. 164; l'affaire relative aux Droits des

ressortissants des Etats-Unis au Maroc, C.I.J., Mémoires, Plaidoiriee st

documents,vol. 1,pp. 407-408);
- lorsque l'Etat demandeur sur reconvention entend formuler une

demande en réparation, il le précise systématiquement dans ses
conclusions en indiquant avec exactitude pour quels actes cette

réparation est demandée. De telles demandes n'ont pas toujours été

présentées par les Etats demandeurs sur reconvention qui, dans
plusieurs des précédentsdont la Cour a eu à connaître, se sont limitésà

prier la Cour de dire etjuger que le demandeur original avait manqué à
certaines de ses obligations et devait les exécuter (v. les affaires de

l'UsinedeChorzow(fond),des Prises &eau àlaMeuseet du Droitd'asile,loc.
cit.). Cette question fondamentale n'sen tout état de cause jamais été

laisséedans le flou, et aucun Etat demandeur sur reconvention n'a par

le passélaisséentendre qu'elle pourrait êtretranchéedans son principe
à un stade ultérieuret indéterminéde la procédure. Ce constat ressort

de façon particulièrement explicitedes trois précédents récents oùseule
la détermination des modalités et du quantum de la réparation est

renvoyée à une phase ultérieure de la procédure, mais jamais le
principe même d'unetelle réparation (v. les conclusions reproduites au

paragraphe 7 des présentes observations; v. aussi les demandes
reconventionnelles présentéespar les Etats-Unis dans l'affaire relative

aux Droitsdes ressortissantsdes Etats-Unisau Maroc, où la demande derestitution des taxes perçues par la France de façon prétendument

illégale,formulée au paragraphe 2 de la demande, peut s'analyser en
une revendication de réparation des dommages subis par les

ressortissants américains,Ioc.cit.). La pratique confirme donc avec

constance le fait que la présentation dans les conclusions du contre-
mémoire de demandes claires en ce qui concerne une éventuelle

réparation des dommages causés par le demandeur original en
conséquence de manquements à ses obligations internationales

constitueune exigence dont le respect est indispensable pour satisfaire

aux conditions formelles de présentation des demandes
reconventionnelles énoncées dans l'article0par. 2du Règlement.

2. Le contre-mémoire de l'Ouga nedaatisfaitpasaux conditionsrequises

parl'article0par.2duRèglement dle aCour

9. Par comparaison, on peut émettreles plus sérieuxdoutes sur la

conformité du contre-mémoire ougandais aux exigences formelles de
l'article0par. 2 du Règlement de la Cour. On ne peut pas considérer

que les prétentions présentées comme des demandes

reconventionnelles par l'Ouganda «figurent » dans les conclusions du
contre-mémoire. IIest en effet manifeste qu'on ne peut déterminer, à

partir du contre-mémoire, ni ce que la Cour est invitée à dire et

juger (a)ni,par ailleurs, si et dans quelle mesure l'Ouganda formule
une demande en réparation (b).

a) On ne peut déterminer, àpartir du contre-mémoire, ce que la
Cour est invitéeà « dire et juge»

10. Les conclusions ougandaises renvoient aux «demandes

reconventionnellesprésentéesdans le chapitre XVIIIdu présent contre-
mémoire » qui devraient être «confirmées» ou «retenues »

(« upheld »)par la Cour, sansplus de précision. Une première difficulté

consiste tout simplement àidentifier,même grossièrement,quellessont
les <<demandes » dont ilest question. Dansun sous-titre C (The

Counter-Claims, UCM, p. 219), le texte semble circonscrire les
demandes en mentionnant les faits (essentiellement un soutienprésumé auxforces irrégulièresougandaises) et les règles de droits
(essentiellement lenon-recours à la forceet la non-intervention dans les

affaires intérieureset les guerres civiles)pertinents. Le contre-mémoire

contient àce stade une requêteprécise à laquelle on pourraità première
vue considérerque les conclusions renvoient :

« Thus the Court is asked to adjudge and declare that the
Democratic Republic of Congo isresponsible for the following
breaches of its obligations under customary or general
international law.
a) The obligationnot to use forceagainstUganda [..];
b) The obligation not to intervene in the intemal affairs of
Uganda [..];
c) The obligation not to provide assistance to armed groups
carrying out military or paramilitary activitiesin and against
Uganda by training, arming, equipping, financing and
supplying such armed groups» (UCM,pp. 219-220).

La suite du contre-mémoire laisse cependant penser que d'autres

requêtes seraient adressées à la Cour. Après qu'un point ait été

consacré à des exemples visant simplement à illustrer la requête
précitée («D. SpecificExamples of Congolese Aggression »,UCM, pp.

221-223), deux autres parties du chapitre XVIII portent sur des
événements quine présentent en apparence aucun rapport avec ces

requêtes : d'une part, certaines violations présumées des droits du
personnel diplomatique ougandais en République démocratique du

Congo (« E. The Attack On TheUgandan Embassy And The Inhumane

Treatrnent of Ugandan Diplomatic Personnel and Other Ugandan
Nationals », UCM, pp. 224-228) ; d'autre part, certaines violations

présuméesdes accords de Lusaka (« F. The DRC's Violations Of Its
Obligati~ns Under The Lusaka Agreement », UCM, pp. 228-230).

Comme l'indiquent à suffisanceles titres quiviennent d'êtrereproduits,

on ne saurait considérerque ces deux sériesd'événementss'inscrivent
dans le cadre des requêtes détaillées ci-dessus : les faits sont

radicalement distincts, et les règles de droit prétendument violéessont
entièrement différentes. Il s'agit en effet, selon le contre-mémoire

ougandais, de règles protectrices des droits des étrangers (ou plus

généralement des droits de la personne) dans un cas (UCM, p. 228),
d'un traitéparticulier dans l'autre (UCM, p. 230). Il semble donc quel'on soit en présence d'autres demandes, mais pareille hypothèse est
toutefois difficilement conciliable avec la partie du chapitre

explicitement consacrée à l'identification des demandes

reconventionnelles (C.<<The Counter-Claims », UCM, pp. 219-221)qui,
comme on vient de le voir, ne comprennent pas de demandes fondées

sur d'éventuellesviolations des règles de traitement minimal dû aux
étrangersou àleurs biens, ou encore surdes manquements aux accords

de Lusaka. Il est donc extrêmement difficile, pour ne pas dire
impossible, d'identifier avec précision la ou les demandes

reconventionnelles ougandaises. Elles ne figurent pas dans les

conclusions, et ne peuvent non plus être déduitesavec certitude d'une
lecture du texte du contre-mémoireougandais.

11. A supposer mêmeque les prétentions ougandaises couvrent

l'ensemble des événementsquisontprésentésdans le chapitre XVIIIdu
contre-mémoire, on relèvera que l'Ouganda ne demande à aucun

moment àla Cour de « dire et juge» quoi que ce soit. Tout au plus le

défendeur se contente-t-il de mentionner ce qui, selon lui, constituerait
des violations de certaines règles de droit international, en ajoutant

incidemment certaines considérations d'opportunité sur les
conséquencesde ces violations. Dansces conditions, ils'avère en tout

étatde cause impossible de déterminer ce qu'ilest demandé à la Cour
de dire et juger, que ce soit pour la partie du chapitre consacréeaux

prétendues attaques de la mission et du personnel diplomatique

ougandaisoupour cellerelative aux accords de Lusaka.12. Quant aux trois séries d'événements désignéscomme
constituant une «attaque de l'ambassade et un traitement inhumain du

personnel diplomatique et d'autres nationaux ougandais », la partie

pertinente du contre-mémoire de l'Ouganda se termine par les quatre
paragraphes suivants :

« 405. The inhumane treatment and threats to the security and
freedom of nationals of Uganda, detailed in paragraphs 397 to
399 above, constitute a series of breaches of the international
minimum standards relating to the treatment of national
foreigners lawfully on State territory, which standard forms
part of customary or general international law.

406. The confiscations of privately owned cars andother items
of property belonging to Ugandan nationals also constitute
breaches of the international minimum standard.

407. The inhumane treatment described in paragraphs 397 to
399 above also, and in the alternative, constitutes breaches of
the standard of general international law based upon
universally recognised standards of human rights concerning
the security of the human person and the peaceful possession,
use and enjoyment of property.

408. In respect of the seizure of the Embassy of the Republic of
Uganda, the OfficialResidence of the Ambassador, and offiaal
cars of the mission, these actions constitute an unlawful
expropriation of the public property of the Republic of Uganda.
The absence of any provision of compensation constitutes an
additional element ofillegalit»(UCM,p. 228).

On relèvera qu'il s'agit d'affirmations unilatérales, mais qui ne sont
assortiesd'aucune demande particulièreadressée à la Cour. L'Ouganda

demande-t-il implicitementà la Cour de reproduire l'ensemble de ces

paragraphes dans le dispositif de son jugement (le cas échéant enles
complétant dans la mesure où ilsrenvoient eux-mêmes à d'autres

paragraphes du contre-mémoire, en l'occurrence lespar. 397 à 399 -v.
par. 405 et 407) ? Demande-t-il à la Cour de n'en reprendre que

certains (mais alors le(s)quel(s)? Ou encore d'utiliser une formule

synthétique résumant l'ensemble des affirmations (mais alors quelle
formule) ? A vrai dire, la seule conclusion que l'on peut tirer avec

certitude de cette partie du contre-mémoire est qu'aucune demande
n'est explicitementadressée à la Cour. On devrait dès lors considérer

que les conclusions tendant àdemander à la Cour de dire et juger queles« demandes reconventionnelles présentéesdans le chapitre XVIII >>
doivent être « confirmées » ou « retenues » ne s'appliquent pas aux

événements relatés aux paragraphes 397 et suivants du contre-

mémoire. JIest vrai que cette interprétation semble difficilement
conciliable avecles intentionsque l'on peut vraisemblablement prêteà

l'Ouganda mais, d'un autre côté, ilapparaît impossible de préciserle
contenu et l'étenduede cesintentions.

13. Ces conclusions sontafortioriapplicableà la partie du chapitre
XVIIIconsacrée à ce qui est présentécomme des « violations de l'accord

de Lusaka ». Ces prétendues violations concerneraient le processus de
dialogue national congolais (UCM, par. 409, pp. 228-229)' le

déploiementde la MONUC (UCM,par. 410, pp. 229-230)ainsi que les

obligations de désarmement etde démobilisationde groupes armés en
territoirecongolais(UCM,par. 411,p. 230). Le raisonnement se clôture

par le passage suivant

«412. The above-referenced breaches of the Lusaka

preventing the Congolese national dialogue,e Dthe DRC has By

precluded a resolution of the interna1 Congoleseconflict. By
impeding the deployment of MONUC and thereby hindering
the disengagement of foreign troops, the DRC has exacerbated
the external conflid between the DRC and neighbouring
countries, including Uganda. By failing to cooperate in the
disarmament and demobilisation of armed groups on its
territory, the DRC has permitted the continuation of armed
attacks against Uganda as a result owhich Uganda continues
to suffergrievous injur» (UCM,p. 230).

Ni dans ce paragraphe, ni da. les autres parties de cette section

consacrées auxéventuelles violations des accords de Lusaka, il n'est
demandé à la Cour de dire et juger quoi que ce soit.IIest là encore

difficilede présumerque l'Ouganda a implicitement demandé à la Cour
de rendre un jugement reprenant tel ou tel passage du chapitre XVIII

du contre-mémoire ougandais. S'agirait-ilde demander à la Cour de

formuler des énoncésen opportunité, selon lesquels la République
démocratique du Congo «exacerbe » le confli? Peut-on au contraire

dégager de cette partie du contre-mémoire une demande aux termes
de laquelle la Cour serait invitéeà dire et juger que les accords deLusaka ont étéviolés ? Dans ce cas, la demande s'étend-elleà tous les
événementsrelatés, y compris ceux pour lesquels l'Ouganda semble

admettre qu'il ne subit aucune lésion (puisqu'ils ont, selon les termes

mêmes du contre-mémoire ougandais, plutôt trait à un problème
interne congolais) ? Quels sont, toujours dans cette hypothèse, les

dispositions spécifiquesdes accords qui auraient étéenfreintes Faut-il
plutôt considérer que les conclusions, en renvoyant aux «demandes

présentéesdans le chapitre XVIII»,ne s'étendent pas àcette partie de la

problématique ? Autant de questions que l'on ne peut résoudre à la
lecture du contre-mémoiroeugandais, et dont la réponse ne peut dèslors

êtreprésumée.

b) On ne peut déterminer, à partir du contre-mémoire, si et
dans quelle mesure l'Ouganda formule une demande en
réparation

14. La Cour n'aura pas manquéde relever, àla lecture des écritures
ougandaises,qu'aucune demande en réparationn'est formulée, ni dans

le chapitreXVIII.du contre-mémoire, ni dans les conclusions. La seule
indication sur ce point résulte du paragraphe 2 des conclusions, par

lequel l'Ouganda demande àla Cour de « réserver la question de la

réparation [the issue of reparation] relative aux demandes
reconventionnelles à un stade ultérieur de la procédure». Cet énoncé

ne précisecependant pas la position de l'Ouganda au stade particulier
du dépôt du contre-mémoire, qui est le seul pertinent aux fins de

l'application de l'articlear. 2 du Règlementde la Cour.

15. Une première option est de considérer qu'une demande en

réparation est d'ores et déjà implicitement formulée, seules les
modalitésayant essentiellement trait àl'évaluationdu dommage étant

réservées.Cetteinterprétation seheurte cependant au texte mêmedes

conclusions ougandaises, qui évoque non les modalités mais la
question, le principe ou le problème(« the issue»)de la réparation. li

suffità cet égard de relire les conclusions généralementformulées par
les Etats dans le contexte de demandes reconventionnelles portées

devant la Cour pour constater que, d'une part, une demande deréparation est systématiquement formulée dans son principe même
lorsqu'ily a lieu et que, d'autre part, la question des modalités dla

réparation est parfois réservée,mais dans des termes dépourvus de

toute ambiguïté (v. ci-dessus, par.7). Par ailleursà supposer même
que l'on présume que l'Ouganda a formulé une demande en

réparation, il s'avère totalement impossible de déterminer quels
seraient les types de dommages concernés. Faut-il par exemple

considérer qu'une demande en réparation est présentée pour les
prétendues violations par la Républiquedémocratique du Congo des

dispositions des accords de Lusaka consacrées aux modalités du

dialogue national congolais ? La demande en réparation présumée
s'étend-ellepar ailleursaux difficultésque la MONUC a provisoirement

rencontrées pour assurer son déploiement en territoire congolais ?
Une fois encore, on se trouve devant une série d'interrogations que

rien dans le texte du contre-mémoireougandais ne permet de lever.

16. Une deuxième option consiste dès lors à considérer qu'aucune

demande en réparation n'a été formulée parl'Ouganda à ce stade.
Aucune demande en ce sens ne figure dans les conclusions :l'Ouganda

y affirme expressémentréserver la question, ce qui montre a contrario
qu'elle n'a pas encore ététranchée dans son principe même par le

demandeur sur reconvention. Le texte même du chapitre XVIII du
contre-mémoirene modifie pas cette conclusion :non seulement on n'y

retrouve aucune demande de réparation, mais encore iln'y est pas

clairement fait mention de dommages matériels dont l'Ouganda
prétendrait avoir étéla victime, àl'exception des accusations portant

sur le soutienapporté par la Républiquedémocratique du Congo à des
forces arméesirrégulièresopérant à partir du territoire congolais, dont

il résulteraitun grievous injury» (UCM,par. 412,p. 230).

17. Pour sa part, la Républiquedémocratique du Congo considère

que la première optionne peut en tout état de cause êtreretenue, dam
la mesure où elle reviendrait à présumer une demande qui ne figure

pas dans les conclusions du demandeur sur reconvention,
contrairement aux termes clairs de l'article par. 2 du Règlement. Ilresteraità opter pour la seconde, qui n'apparaît toutefois pas plus
compatible avecles exigencesformuléesdans cette disposition. Il est en

effet inconcevable que la question dea réparation soit tranchée, dans
sonprincipe même,et non dans ses modalités, àun «stade ultérieurde

la procédure », selon la formule du paragraphe 2 des conclusions

ougandaises. Comme indiquéci-dessus, l'article80par. 2 a précisément
pour but de fixer un délai au-delà duquel plus aucune demande

reconventionnelle ne peut êtreformulée. L'Ouganda ne pourrait donc
plus, après que son contre-mémoire aitétédéposé,prétendre formuler

une ou plusieurs demandes reconventiomelles, en présentant des
réclamations en matière de réparation. Dansces conditions, on est

amené soit à présumer une demande qui ne figure pas dansles

conclusions, soit écartercesdernièrescomme irrégulières.

18. En conclusion, les ambiguïtés, voire les incohérences, qui
caractérisent les écritures ougandaises sont difficilement compatibles

avec les prescrits du Règlement de la Cour, qui renvoient notamment
aux conditions de forme énoncéesen son article 80 par. 2. Ils'avère

impossible, à la lecture du contre-mémoire ougandais, de déterminer

les demandes reconventionnelles qui seraientprésentées,que ce soit en
ce qui concerne une éventuelleréparationou mêmepour ce qui est des

demandes adressées à la Cour de seprononcer dans LUI sens déterminé
et en des termes précis sur les situations dont fait état le contre-

mémoire.3. Aucune considération n'estdenature à empêche lr Courde déclarer les
« demandes » ougandaises incompatibles avec les prescripd eol'articl80
par.2 duRèglement delaCour

19. Dans ces conditions, aucune considération n'est susceptible
d'empêcher la Cour de déclarer les «demandes » ougandaises

incompatibles avec lesprescriptions de l'article80par.2 du Règlement.
Ilest vrai qu'il n'existeaucun précédenten ce sens mais, précisément,la

République démocratique du Congo a déjà montré que le contre-

mémoire ougandais présentait un caractère tout à fait inhabituel par
rapport à la pratique des Etats demandeurs sur reconvention, et ce

depuis les débuts de l'activité de la C.P.J.I. L'Ouganda pourrait
cependant rétorquer que l'argumentation de la République

démocratique du Congo se révèle excessivement formaliste, et qu'il
faudrait en réalitéinterprétecette disposition de manière très souple,

l'instar de la pratique qui prévaut pour l'introduction d'une nouvelle

instance, et de permettre ainsi que des aménagements soient apportés
aux demandes présentées comme reconventionnelles à un stade

ultérieur de la procédure. Cette défense ne saurait cependant être
retenue :leRèglementde la Cour doit êtreappliquétel quel.

20. D'abord, on ne saurait se soustraire au prescrit de l'article 80
par. 2 en invoquant par analogie l'article38 du Règlement de la Cour,

selonlequel

(<La requêteindiqueautantquepossibleles moyens de droit sur
lesquels le demandeur prétend fonder la compétence de la

Cour ;elle indique en outre la nature précisede la demande et
contient un exposé succinct des faits et moyens sur lesquels
cette demande repose » (souligné par la République
démocratiquedu Congo).

Si cette disposition concerne l'introduction d'une requête, on peut
raisonnablement l'appliquer à un contre-mémoire introduisant des

demandesprésentéescomme reconventionnelles. Iiest vrai également
que l'expression soulignée peut êtreconsidérée comme s'appliquant

également à l'indicationde la<<nature précisede la demande » (C.I.J.,

Affaire de laFrontière terrestet maritimeentreleCamerounet leNigeria,
Recueil1998,par. 99,p. 318 ;Affaire du Camerounseptentrional,Recueil1963,p. 28). Comme on l'aura relevé à lalecture du contre-mémoire

ougandais, ilest cependant rigoureusement impossible de déterminer
la « nature précise » de la ou des demandes présentée(s)comme

reconventionnelle(s) par l'Ouganda. On ne peut considérer que ces

demandes ont été précisées <(autant que possible ». Il aurait été
parfaitement possible d'identifier les énoncésque le demandeur sur

reconvention souhaitait que la Cour juge ou dise, comme il était
parfaitement possible de déterminer si et dans quelle mesure une

réparationétaitdemandéepour les violations du droit international qui

auraient étécommises par la Républiquedémocratique du Congo, tout
en réservant éventuellement la question de la détermination des

modalités de semblable réparation pour un stade ultérieur de la

procédure. On ne se trouve toutefois pas icidans une situation où des
demandes généralesauraient étéprésentées,qu'il suffirait de préciser

ultérieurement; le texte du contre-mémoire ne se prononce tout

simplement pas sur l'identification et sur la «nature précise » de
prétentions qu'on ne peut en réalité qualifier de « demandes ».

Finalement, on nepeut en aucune manièredéterminer à ce stade l'objet

exact du ou des différend(s) additionnel(s) que le demandeur sur
reconvention souhaitesoumettre àla Cour.21. Dans ces conditions, l'on ne saurait se prévaloir d'une

<<interprétation souple» de l'article80 par. 2 du Règlement de la Cour
pour échapper purement et simplement à l'application de cette

disposition. L'Ouganda ne pourrait par exemple apporter des

modifications au texte de son contre-mémoire dans les observations
écrites qu'il est invité à produire en réponse à la présente

argumentation. L'objetmêmede l'article 80 par. 2 est de fixer un délai
au-delà duquel des demandes reconventionnelles ne peuvent plus être

formulées,et de prévoir à cet effet une identification de ces demandes

dans le contre-mémoire,comme le relevait déjàle professeur Anzilotti,
pour qui :

<<la non présentation de la demande reconventio~uielledans le
contre-mémoire exclut la possibilitéde l'introduire plus tard
dans le même procès : ellepourra seulement faire l'objet d'une
instance propre >> («La demande reconventionnelle en
procédureinternationale >>loc.cit.,p. 875).

Certains auteurs ont même évoquéla «nullité» de la demande

reconventionnelle qui n'aurait pas étéformuléd eans le contre-mémoire
du défendeur (v. Raoul GENET, Les demandes reconventionnelles et

la procédure de la Cour permanente de Justiceinternationale »,loc.cit.,

p. 170 ;plus récemment, voy. encore Peter H.F. BEKKER, <New ICJ
jurisprudence on Counterclaims »,A.J.I.L.,1998, p. 514). Celui-ci est

donc le seul documentpertinent aux fin se l'identificationde la nature

précisede ces demandes. Ceci resso'4 d'une jurisprudence constante,
tant de la C.P.J.I. (Affaire de l'Usinede Chorzow(fon;)Sér.A, no 13, p.

38) que de la C.I.J. (Affaires desPlate-forrnespétrolières, C.I., ecueil
1998, par. 32, p. 203 et de la Frontière terrestre et maritime entre le

Camerounet leNigéria,C.I.J.,Ordonnance du 30juin 1999, Recueil1999).

Il ne saurait donc être question pour l'Ouganda de déposer
ultérieurement une demande en réparation portant sur tout ou partie

des griefs qu'ilformule à l'encontre de la Républiquedémocratiquedu
Congo. Iilui est en revanche parfaitement loisiblede déposer une ou

plusieurs requêtesdistinctes contenant les précisionsnécessaires à cet

effet. Contrairement à la procédure incidente des demandes
reconventionnelles,aucun délaiparticulier n'estrequis àcet égard.22. En définitive, accepter, même sur le seul plan formel, la
formulation vague que l'Ouganda a choisi d'adopter dans le texte de

son contre-mémoirereviendrait à vider de sa substance l'article80 par.
2. Ilsuffirait désormais aux Etats défendeurs de faire une mention

généralede l'existence de demandes reconventionnelles dans leur
contre-mémoire, et de les identifier avec précisionun stade ultérieur,

et indéterminé, dela procédure. L'Etatdemandeur se trouverait ainsi
dans une position délicate,où il devrait êtretenu de pouvoir répondàe

tout moment à une nouvelle demande, sans pouvoir bénéficierdes

garanties qu'offrent le Statut et le Règlement en cas d'introduction
d'une nouvelle requête. L'article0 dans son ensemble a précisément

pour but d'éviter pareillesituation.1 doit donc êtreinterprétéde la
seule manière qui luidonne un effet utile, interprétatqui conduit en

l'occurrence à déclarer irrecevables les prétentions présentées par
l'Ouganda comme des demandes reconventionnelles.23. La République démocratique du Congo envisagera dans les

lignes qui suivent l'hypothèse où tout ou partie des demandes
présentées comme reconventionnelles par l'Ouganda serai(en)t

néanmoins considérée(s)comme compatible(s) avec les prescrits de
l'article 80 par.. Cette argumentation est donc développée à titre

subsidiaire, mais aussi hypothétique puisqu'il sera évidemment
extrêmementdifficilede seprononcer sur des demandes qui ne sont ni

identifiéesni précisées. La République démocratique du Congo

présumera, aux fins de la démonstration,que les demandes portent sur
l'ensemble (indéterminé) des faits qui sont relatés dans le chapitre

XVIII,sans toutefois qu'on puisse les étendre àdes réparations qui n'y
sont pas sollicitées. Elle distingueraà cet effet les quatre catégories

d'allégationssuivantes :
- la demande relative à la prétendue agression de la République

démocratiquedu Congo, en ce qu'elleconcerne la période commençant

en 1998 ;
- la demande relative à la prétendue agression de la République

démocratique du Congo, en ce qu'elleconcerne la période antérieure à
la créationde la Républiquedémocratiquedu Congo

-les demandes relatives am prétendues attaques des bâtiments et du
personnel diplomatiquesougandais àKinshasa ;

- les demandes relatives aux prétendues violations des accords de

Lusakapar la Républiquedémocratiquedu Congo.
Le terme de « demande » est utilisépar facilitédans la suite des

présentes observations mêmesi, pour les raisons exposées plus haut, il
ne convient certainement pas pour désigner les prétentions

ougandaises. La Républiquedémocratique du Congo démontrera en
tout étatde cause que, àl'exceptionde la première d'entre elles, aucune

de ces demandes ne satisfait à la condition de « connexité directe>>

requise par l'article 80par1du Règlementde la CourII. La demande relative à la prétendue aoression de la République
démocratiquedu Congo, en ce u'elle concerne la période s'étendant

de mai à août 1998, satisfaità la condition de « connexité directe »

requise par l'articl80 par. 1du Rè~lementde la Cour

24. La présente section ne concerne que la demande de l'Ouganda
relative à une prétendue agression perpétrée par la République

démocratiquedu Congo àson encontre entre les mois de mai et d'août

1998. Après avoir circonscrit cette demande autant que possible (l),la
République démocratique du Congo rappellera la définition juridique

que l'on peut donner à la condition de <connexitédirecte »requise par
l'article80par.1 du Règlement de la Cour (2)pour constater que cette

condition est remplie pour cet aspect particulier de la demande

ougandaise (3).

1. La demandede l'Ougandarelative à la périodes'étendantde mi à août
1998

25. Dansson contre-mémoire, l'Ouganda justifie son occupation

d'une partie du territoire congolais en se prévalant d'une situation de

«légitime défense ». Selon le défendeur, cette légitime défense
répondrait à une agression préalable dont ilaurait étéla victime de la

part de la République démocratique du Congo. Cette prétendue
agression aurait commencéen 1994, à une époque où l'Etat congolais

connaissait une autre dénomination (le Zaïre), et était gouvernéepar

un autre chef d'Etat, dans le cadre d'un autre régime politique; elle
aurait connu une interruption entre mai 1997 et mai 1998, et aurait

repris ensuite. L'Ouganda ne prétend cependant pas réagir aux
attaques qui auraient été perpétrés à son encontre durant toutes ces

périodes. Toujours selon l'argumentation du défendeur, ilconvient en

effet de distinguer soigneusement trois périodes distinctes (« three
separate periods ») aux fins de déterminer les<<actes d'agression » qui

auraient motivé l'action ougandaise en « légitime défense », seule la
troisième et dernière période identifiéeétant pertinente pour justifier

l'argument.Etant donnél'importance de cette distinction pour la suite des présentes

observations, les extraits pertinents du contre-mémoire ougandais
méritentd'être citéisntégralementici :

« 360. For present purposes, that is the application of the
provisions of Article 51 of the Charter to the facts, it is
necessary to analyse military and political developments in
relation to three sevarate veriods.

361. In the first of these veriods, from earlv 1994 to
avvroximatelv Mav 1997, the Governement of the Congo
provided military and logistical support to anti-Uganda
insurgents [...but Ugandan troops were not operating within
the Congo. In other words no external action was taken bv
wav of self defence or othenvise.

362. In the period Mav 1997onwards, Ugandan armed forces
were operating with the DRC with the consent of the
govenunent and this CO-operationcontinued until at least
August 1998 1..l.At this staee also there was no auestion of
reliance uvon Article 51 ; although the operations within the
Congo were clearly motivated by the imperative of self-
defence against insurgentsoperating out of the DRC, the leeal
basis forsuch overationswas the consent of the DRC.

363. In the 3 a series of important
changes occured [...].~resides Kabila of the DRC effected a
major realignment in his alliances. In particular, he made a
military alliance with the Government of Sudan in May 1998
[...].An imrnediate consequence of thisrealignment was the
recrudescence of military assistance and logistical support to
the anti-Ugandaarmed groups in theperiod June 1998 [..].

366. There can be no question, in the circumstances, that the
activities of the Government of the DRC in collaboration with
the Govenunent of Sudan and the anti-Unanda insureents
based in Coneolese territorv constituted an 'armed attack'
aeainstUeanda for vumoses of avvlvine Article 51 » (UCM, pp.
211-213,soulignépar la Républiquedémocratiquedu Congo).

La Républiquedémocratique du Congo ne souhaite pas reprendre ici

une à une les allégations ougandaises qui, sur le fond, ne résistent
évidemmentpas àl'analyse, et auxquelles elle répliqueraen temps utile.

Au stade préliminaire de l'examen de la recevabilité des demandes
présentéescomme reconventionnelles, elle tient cependant à insistersur la logique du raisonnement exposé dans le contre-mémoire
ougandais qui, à cet endroit comme dansd'autres (v. en particulier

UCM, par. 52-54, pp. 40-43), consisteà invoquer la légitimedéfense

pour justifier son occupation du territoire congolaispartir du mois
d'août 1998, et ceci en réaction une prétendue agression qui aurait

commencé en mai de la mêmeannée. A contrario,l'Ouganda ne se
fonde pas sur les faits intervenus pendant les deux premières périodes

qu'il mentionnepour appuyer son argument de légitimedéfense ;celui-
cine concerne que la troisièmede ces périodes.

26. On retrouve la même distinction dans le cadre de la
présentation par l'Ouganda de demandes qualifiées de

reconventionnelles. Lorsqu'il demande àla Cour dedire etjuger que la
Républiquedémocratiquedu Congo a violé le principedu non-recours

à la force ou de la non-intervention dans les affaires intérieures,
l'Ouganda vise principalement le prétendu soutien congolais aux

rebelles ougandais ainsi qu'à 1'Etatsoudanais en 1998 (UCM, par. 380-
381, p. 219). A l'exception de l'un d'entre eux, tous les prétendus

<<Specific Examples of Congolese Aggresion » (UCM, pp. 221-223)

visent des événements survenus après le mois de mai 1998.
L'argumentation de l'Ouganda consiste essentiellement à prétendre

qu'iln'a fait que réagiren août 1998à une agression de la République
démocratique du Congo alors en cours et que, par conséquent, non

seulement le défendeur ne pourrait voir sa responsabilité engagée,
mais c'estle demandeur, défendeur sur reconvention, quiaurait violéle

droit international.2. Ladéfinitionjuridique quel'onpeut donner àla conditionde « connexité
directe»requisepar l'article80par1 du Règlement de laCour

27. C'est dam ce contexte factuel et juridique bien particulier qu'il
convient d'envisager les conditions que l'on peut déduire de l'article80

du Règlement de la Cour pour qu'une «connexité directe » puisse être
établie entre la demande reconventionnelle et l'objet de la demande

initiale. La vérification de cette exigence de «connexité directe »

apparaît en fait comme un élément particulièrement important du
<<contrôle attentif» que la Cour est appelée à exercer sur semblable

demande (les termes sont ceux de Charles de VISSCHER, Aspects
récents du droit procéduralde la Cour internationale de Justice,Paris,

Pedone, 1966, p. 116), afin d'éviter l'extension abusive de l'instance

initiale par le biais d'une procédure aussi manifestement dérogatoire
aux règles normales d'introduction d'instance (v. le rappel effectuépar

la Cour sur ce point dans l'ordonnance rendue le 17 décembre 1997
dans l'affaire de l'Applicationde la conventionpour Ia préventionet Za

répressiondu génocideC, .I.J.,Recueil1997,p. 257,par. 30 et 31, aimi que
l'opinion individuelledu juge Oda, jointe à ordoma man c eendue par la

Cour dans affaire des Plates-formespétrolières, .I.J.,Recueil1998,p. 215,

par. 8).

28. Airisique la Cour a eu l'occasion de le rappeler à plusieurs
reprises, la notion de connexité directe n'est pas définie par le

Règlement, et c'est donc à la Cour elle-même qu'il revient de

déterminer dans chaque cas si les liens qui unissent la demande
reconventionnelle à la demande principale sont suffisamment étroits

pour que la demande reconventionnellepuisse êtredéclaréerecevable
(affaire relativeà l'Applicationdela conventionpour lapréventionet la

répressiondu crimedegénocideC , .I.J.,Recueil199p. 258,par. 33 ;affaire

des Plates-formespétrolières, C.IR.,ecueil1998,p. 204,par. 37). Mêmesi
l'on a souvent insistésur la grande latitude dont la Cour disposait dans

cette évaluation (v. sp. Shabtai ROÇENNE, The Law and Practice ofthe
InternationalCourt,1997,vol.III,p. 1276),sa jurisprudence récente en la

matièrepermet toutefois de dégagerles critères sur lesquels la Cour se
fonde pour attester de cette connexité. Dans les décisionsqu'elle arendues ces dernières années sur la recevabilité de demandes
reconventionnelles, la Cour a ainsi mis un accent tout particulier sur

l'exigencede liens factuels et juridiques suffisamment étroits entre les
demandes reconventionnelles et principales (a), de même que sur

l'articulation qui doit exister entre la demande reconventionnelle et les
moyens de défense avancéspar 1'Etatdéfendeur à l'encontre de la

demande principale (b). Comme on le verra, les critères dégagés à ces
occasions par la Cour systématisent bien souvent des éléments qui

ressortent, quoique de façon plu dispersée,de la jurisprudence plus
ancienne. Un bref rappel de ces critères s'imposetout particulièrement

à ce stade, puisqu'ils seront systématiquementutiliséspar la République

démocratique du Congo dans la suitedesprésentes observations.

a) L'établissementde liens factuelsetjuridiques étroits

29. Dans les affairesoù elle a récemment eu à se prononcer sur la
recevabilité de demandes reconventionnelles, la Cour a

particulièrement mis l'accentsur les rapports de fait et de droit entre
semblables demandes et les prétentions initiales du demandeur. Ces

élémentssont bien souvent imbriqués, et font dans une certaine
mesure l'objet d'une appréciationconjointe. Ceci est logique, dès lors

que la parenté des faits qui se trouventàla base de l'une et de l'autre

des demandes va commanderl'application de règlesde droit identiques
ou voisines. Une lecture attentiveiesdécisionsrendues par la Cour en

cette matière permet toutefois de distinguer dans ces élémentsde lien
entre les deux demandes des facteurs qui marquent plus

spécifiquement une connexité factuelle, d'une part, et juridique, de
l'autre.30. La connexité factuelle a été apprécié pear la Cour sur la base

de plusieurs éléments, quipeuvent globalement êtresynthétisésdans
l'exigence d'une unité de lieu, d'action et de temps (v. l'opinion

dissidente jointe par le juge adhocRigaux à l'ordonnance rendue par la

Cour dans l'affaire des Plates-formespétrolières, C.I.J.R, ecueil 1998, p.
235). La Cour a ainsi relevédans l'affairerelative à l'Applicationde la

conventionpour lapréventionet la répressiondu crimedegénocideque les
demandes respectives des parties

« reposent sur des faits de mêmenature; qu'elles s'inscrivent
dans le même ensemblefactuel complexe, puisque ces faits sont
réputés avoir tous eu lieu sur le territoire de la Bosnie-
Herzégovine et au cours de la mêmepériode » (C.I.J., Recueil
1997,p. 258,par. 34).

De même,dans l'affaire des Plates-formespétrolières, lCour a observé

qu'il ressortait « des conclusions des Parties que leurs demandes

reposent sur des faits de mêmenature », et a relevé que «les faits
invoqués [..]sont réputésavoir eu lieu [...]au cours de la même

période » (C.I.J.,Recueil1998,p. 205,par. 38 ;v. encore dans le même
sens l'ordonnance du 30 juin1999dans l'affairede la Frontièreterrestre

et maritimeentre le Camerounet leNigéria, C.I.J.,Ordonnance du 30 juin

1999, Recueil1999). Le fait de reposer sur des faits «identiques ou
voisins à ceux de la demande initiale » constitue ainsi l'une des

conditions de recevabilité des demandes reconventionnelles (Yves

NOUVEL, « La recevabilitédes demandes reconventionnelles devant la
Cour internationale de Justice à la lumière de deux ordonnances

récentes »,A.F.D.I.,1998,p. 331).

31. Cette exigence possède en réalitédes racines anciennes. Au

cours des discussions portant sur les modifications qu'il était projeté
d'apporter au Règlementinitial de la C.P.J.I., M. Fromageot a ainsi fait

valoirque la meilleure définitiondes demandes reconventionnellesétait

: « une demande dépendant directement des faits de la demande
principale ». En conséquence,ajoutait-il, «on devrait en écarter toute

demande n'ayant pas un lien direct avec les faits qui ont été la cause de
l'action principale » (Procès-verbaux des séances consacrées à lapréparation du Règlementde 1936,C.P.J.I., SérD . 3e"eaddendum au no
2,13* séance,28 mai 1934,p. 112). Lemême élément a jouéun rôle

central dans la décision de la Cour d'accepter la demande
reconventionnelleformulée par le Péroudans l'affairedu Droitd'asile:

«Il ressort clairement de l'argumentation des Parties que la
deuxièmeconclusion du Gouvernement de la Colombie, relative à
l'exigenced'un sauf-conduit, s'appuie largement sur la régularité
prétendue de l'asile,régularitéquiprécisémentest contestée par la
demande reconventionnelle. La connexité est si directe que
certaines conditions requises pour l'exigence d'un sauf-conduit
dépendent précisément de faits qui sont mis en jeu par la
demande reconventionnelle. La connexité directe étant ainsi
clairement établie, la seule exception opposéeà la recevabilitéde
la demande reconventionnelle dans sa forme primitive se trouve
écartée »(affaire du Droitd'asile,C.I.J., Recl950,pp. 280-281).

Ainsi qu'on le constate à la lecture de cet extrait, et comme il a été

indiqué plus tôt, pareille connexité factuelle, lorsqu'elle est établie,
s'accompagne de façon quasiment automatique d'une connexité

juridique entre les objets respectifs des demandesreconventionnelle(s)

etprincipale(s).

32. La notion de connexité juridiquepeut apparaître un peu plus
délicateà appréhenderque cellede connexitéfactuelle. Elle suppose, de

façon générale, que l'objet juridique des deux demandes
(reconventionnelle et principale) soit identique. a pu écrireau sujet

de la jurisprudence récente dela Cour en la matière,que cette connexité

juridique se manifeste par le fait que « [l]a chose demandée est
symétrique, elle donne lieu à des conclusions en 'miroir' qui,pour la

Cour, manifestent la connexité » (YvesNOUVEL, «La recevabilitédes
demandes reconventionnelles devant la Cour internationale de Justice à

la lumière de deux ordonnances récentes », Ioc.cit.,p. 332)Il faut
entendre par là que les conclusions de l'une des parties constituent le

« négatif» exact de cellesde l'autre, en visanà y répliquer trait pour

trait. Ce constat est fondé sur une observation attentive de la
motivation développéepar la Cour sur ce point. Ainsi, dans l'affaire

relativeà l'Applicationde laconventionpourlapréventioet lareression ducrimedegénocidel,a Cour a fondéla connexitéjuridique entre demandes

reconventionnelle et principale sur le fait que

« les deux Parties, par leurs demandes respectives, poursuivent
le même but juridique, à savoir l'établissement d'une
responsabilitéjuridique en raison de violations de la convention
sur le génocide» (C.I.J.,Recueil1997,p. 258,par. 35).

La formule est quasiment identique dans l'affaire des Plates-fomzes

pétrolières,où la Cour a relevé, pour établir la connexité entre la

demande reconventionnelle et les prétentions initialement formulées
par IIIran,que

<<les deux Parties, par leurs demandes respectives, poursuivent
le même but juridique, à savoir l'établissement d'une
responsabilité juridique en raison de violations du traité de
1955 » qui liait les deux Etats et qui fondait la compétence la
Cour (C.I.J.,Recueil1998,p. 205,par. 38).

Ilressort clairement de ces deux extraits que la connexité juridique

entre une demande reconventionnelle et la demande principale n'est
présenteque lorsque c'est laviolation du ou desmême(s)instrument(s)

juridique(s) ou des mêmes règlesde droit qui est mise en cause dans
l'une et l'autre de ces demandes. A ce titre, une demande

reconventionnelle qui ne viserait pas àfaire constater par la Cour la
violation par le demandeur de normes juridiques identiques ou

clairement apparentées à celles dont le non respect était initialement

alléguépar le demandeur devrait donc également être déclarée
irrecevable.Dansle prolongement de cette exigence d'une relation

juridique entre les objets des demandes respectives, l'existence d'une
connexité directe, telle que la requiert l'article 80 du Règlement, a

égalementété avéré par la Cour sur la base de l'articulation, du nexus,

des arguments développés dans la demande reconventionnelle avec
ceux avancéspar 1'Etatdéfendeur pour repousser tout ou partie des

prétentionsinitiales du demandeur. b) Lacondition de l'articulation de la demande avec la défense

33. Outre l'établissementd'une relation factuelle et juridique entre

les demandes, la pratique montre que la connexité directe entre
demandes reconventionnelle et principale doit également résulter du

fait que les arguments avancés par le demandeur sur reconvention
doivent à la foisfonder la demande reconventionnelle et êtrepertinents

pour réfuterla demande principale. Ainsi que la Cour a eu l'occasionde
le mettre en évidence à plusieurs reprises, la demande

reconventionnelle, en cequ'elle viseà mettre en cause la responsabilité

du demandeur pour certains faitsdirectementliés àceux qui font l'objet
de l'instanceinitiale,poursuitdes avantages autres que le simple rejet

de la prétention du demandeur à l'actio» et,à ce titre, elle«se
distingued'un moyen de défenseau fond » (affaire de l'Applicationdla

convention pourla préventionet la répressiondu génocide,C.I.J., Recueil

1997, p. 256,par.27).Le fait que semblables demandes ne poursuivent
pas un objectif uniquement défensifn'empêchecependant nullement

qu'elles doivent s'articuler clairement avec les moyens de défense
invoquéspar l'Etatdéfendeur. En effet, la demande reconventionnelle

a étéconque de façon constante comme ne constituant certes pas

exclusivementun moyen de défense,mais comme consistant en tout cas
nécessairemene tn un argument défensif. Cette constatation est opérée

de manière unanime, dès les premiers débats relatifs aux dispositions
qui ont précédé l'article0du Règlementactuel de la Cour.En témoigne par exemple l'intervention de Lord Finlay au cours des
débatsqui ont entouré l'élaborationde l'article 40 du Règlement de la

C.P.J.I.,en 1922,où l'intervenant opère une distinction claire entre les

caractéristiques qui doivent conduire à qualifier (et accepter) une
demande comme <<reconventiomelle », et les situations où semblable

qualification est impossible

<<Il pourraity avoir une demande reconventionnelle qui, tout en

se présentant sous la forme d'une demande, serait en réalité une
défenseau fond ; elle pourrait êtresi étroitement liéeau fond que
la Cour commettrait une véritable injustice en s'occupant de la
demande principale sans s'occuper en même temps de la
demande reconventionnelle. D'autre part, il pourrait y avoir des
cas où un sujet entièrement nouveau serait introduit,un sujet que
les parties n'étaientpas d'accord pour soumettre à la Cour ; c'est
contre ce danger qu'il faut se protéger [...]>>(citéin Procès-
verbaux des séancesconsacrées à la préparation du Règlement de
1936,C.P.J.I., SérD, 3""addendum au no 2, 13""'séance,28 mai
1934, p. 108; voy. e.a. dans le même sens les propos de M.
Negulesco, prononcés en son nom propre et au nom de MM.
Wang, Schücking et Fromageot, ibid.,p. 111).

34. On retrouve le constat d'un tel lien entre demande

reconventionnelle et arguments en défense de façon presque
systématique dans les commentaires consacrés par la doctrine aux

décisionsdans lesquellesla C.P.J.I.et la C.I.J.ont àuconnaître de telles
demandes incidentes. A propos de l'affaire des Prises d'eà laMeuse, il

a ainsi étérelevé que la demande reconventionnelle formulée par la

Belgique était «nettement caractésiséedans ses éléments essentiels
puisqu'on se trouvait devant une action tendant à neutraliser la

demande principale, constituant un merveilleux moyen de défense »
(Raoul GENET, « Les demandes reconventionnelles et la procédure de

la Cour permanente de Justice internationale »,loc.cif.,p. 169).Aucune exception ne peut êtreobservée àcet égard :

« [i]n allof these cases, the defendant, by submitting a counter-

claim, essentially aimed at 'countering' the principal claim,
reducing or neutralizing it, alleging a counter-debt (Chorzow
Factory case), contending the existence of a fact alleged by the
applicant inits claim (Asylumcase ;U.S.Nationalsin Moroccocase),
alleging termination of a treaty (River Meusecase), and so forth.
[...] The same may be said of the counter-claim raised by the
Government of the United States in the OilPlatfomzscase » (Olivia
LOPES PEGNA, « Counter-claims and Obligations Erga Omnes
before the International Court of Justice »,E.J.I.L.,1998, p. 728.
Cette analyse de la jurisprudence des deux Cours est loin d'être
isolée; voy. e.a. Yves NOUVEL, « La recevabilitédes demandes
reconventionnelles devant la Cour internationale de Justice à la
lumière de deux ordonnances récentes »,loc.cit.,p. 328).

35. Les ordonnances rendues plus récemment par la Cour sur la
recevabilité de demandes reconventionnelles accordent une place de

choix à cecritèredans l'établissementdu lien de connexitédirecte entre

demandes reconventionnelles et principales. Ainsi, dans l'affaire relative
à l'Applicationde laconventionpour lapréventionet la répressiondu crime

de génocide,la Cour indique sur un plan théorique et généralqu'une

demande reconventionnelle doit àla fois avoir pour effet de soumettre
une prétention nouvelle au juge, et constituer une «riposte à la

demande initiale >>(C.I.J.,Recueil1997,p. 256, par. 27). De la même
façon, la Cour a accordé un poids tout particulier à ce facteur dans

l'affaire des Plates-fomzespétrolières,en s'appuyant, pour établir la

connexité directe liant la demande reconventionnelle à la demande
originale, sur le fait que le défendeur a indiqué qu'il entendait «se

prévaloir des mêmesfaits et circonstances à la fois pour repousser les

allégations[du demandeur]et pour obtenir condamnation de celui-ci »
(C.I.J.,Recueil1998,p. 205,par. 38). Les ordonnances de 1997 et 1998

font donc de ce double caractère de demande nouvelle et d'argument
de défense <<un trait essentiel de la demande reconventionnelle [car]

c'estseulement quand la réclamation du défendeur fait pièce à la

demande rivale qu'elle a un caractère reconventionnel» (Yves
NOUVEL, « La recevabilitédes demandes reconventionnelles devant la

Cour internationale de Justice à la lumière de deux ordonnances
récentes »,loc.cit.,p. 328). La conséquencelogique de cette exigence estdèslors qul« [a]u sens des ordonnances, si le défendeur ne tire aucun
moyen de défensede sa contre-prétention, elle est irrecevable au titre

de la reconvention » (ibid.).

36. En résumé, il ressort de la pratique que l'exigence de

« connexitédirecte » édictéepar l'article 80 du Règlement de la Cour
pour qu'une demande reconventionnelle puisse êtreacceptéeen tant

que telle suppose, d'une part, que cette demande nouvelle présente
une connexité tant factuelle que juridique avec les prétentions

initialement formulées par le défendeur et, d'autre part, que les
arguments avancéspar le demandeur sur reconvention fondent à la

fois la demande reconventionnelle et permettent au défendeur de

repousser tout ou partie des demandes principales initialementdirigées
contre lui. Ce n'est donc que lorsque l'ensemble de ces conditions sont

réunies qu'une demande présentée comme reconventionnelle pourra
êtredéclarére ecevable par la Cour.

3.Lacondition de connexitédirecteest rempliepourcetaspectparticulier de
lademande ougandaise

37. Il ne fait guèrede doute que, au contraire des autres qui seront

analysésplus bas, cet aspectbien particulier de la demande ougandaise
remplit la condition de connexitérequise par l'article 80, et ce pour ce

qui concerne tant l'existence de liens factuels et juridiques que
l'articulation de la demande avec les moyens de défensedéveloppés à

titreprincipal.

38. Quant àl'existencede liens de connexité,elleest bien établie,en

fait comme en droit :
-En fait, on est icien présence d'actionsdu mêmetype. La demande de

la République démocratique du Congo, comme celle de l'Ouganda,
visent essentiellement des actions militaires et paramilitaires menées

par des armées régulières,ainsi que le soutien apporté à des groupes
armésopérant àl'encontre des forces gouvernementales. L'ensemble

de cesactes auraient eu lieu pendant la mêmepériode,l'Ouganda ayant

bien pris soin de désignerle laps de temps pertinent pendant lequel seserait déroulée1' « agression » à laquelle ilprétend répondre, laps de
temps qui précèderait directement sa prétendue légitimedéfense. On

se trouve donc bien dans une situation d'unité temporelle,
conformément à la jurisprudence citéeci-dessus.

- En droit, les deux parties invoquent les mêmes principesjuridiques
(essentiellement le non-recours àla force, lanon-intervention, ..),et les

mêmessources de droit international(Charte des Nations unies, droit

international coutumier, ..). Pour reprendre la terminologie utilisée
par la Cour, elles poursuivent le « mêmeobjectif juridique », à savoir

faire constater la violation de ces principes et règles clairement
identifiés. La circonstance que, au contraire de la République

démocratique du Congo, l'Ouganda ne présente pas de demande en

réparation,ne saurait certainement entraîner de conséquencedécisive à
cet égard.

39. Quant à l'articulation entre demande reconventiomelle et

moyen de défense principal, condition essentielle qui confère son
caractère direct au lien de connexité, ellepeut également être établie

sansaucundoute. On rappellera en effet que la prétendue agression de

la République démocratique du Congo, qui aurait été perpétrée au
cours de la périodes'étendantde mai à août 1998,est un argument qui

fonde à la fois la défense de l'Ouganda et sa demande
reconventionnelle. On se trouve indéniablement devant une

alternative juridique dont les deux termes sont les suivants : soit
Ouganda parvient à démontrer qu'il a étévictime d'une agression

préalable,et son moyen de défensecomme sa demande doivent être

retenus ; soitiln'y parvient pas, et il sera condamné au principal, sa
demande étant du même coup écartée. L'alternative présente

évidemment un caractère purement théorique, dans la mesure où la
prétendue agression congolaise n'a jamais eu lieu. Force est en tout

étatde cause de constater qu'il existeune solidaritétotale entre le sort la
défenseau principal et celui de la demande sur reconvention.40. La Cour ne peut d'ailleurs, qu'il existe une demande
reconventionnelle portant sur ce point particulier ou non, éviterde se

prononcer sur cet aspect décisifdu litige: la République démocratique
du Congo s'est-elle livrée à une agression à l'encontre de l'Ouganda

préalablement aux actions militaires engagées par celui-ci ? Cette

question ne conditionne évidemment pas la réponse à tous les aspects
du litige: on voit mal par exemple en quoi une agression congolaise

antérieure, même avérée, justifierait les pillages de ressources
naturelles et lesexactions commises à l'encontre des populations civiles

qui sont imputables aux forces ougandaises. Pour ce qui concerne la
possibilité même d'invoquer l'argument de légitime défense, la

question qui fait l'objet de cette partie des demandes

reconventionnelles ougandaises est cependant décisive. Un lien de
connexitédirecte existeindéniablemententre cette partie et l'objet de la

demande initialde laRépubliquedémocratique du Congo. Tel n'est
cependant pas le cas pour tous les autres aspects des prétentions

ougandaisesprésentéescomme des demandes reconventionnelles.III.La demande relative à la prétendue agression de la République
démocratiquedu Con O, en ce qu'elle concerne la période antérieure

à la création de la Révubliaue démocratique du Congo. ne satisfait

pas à la condition de « connexitédirecte » re uise par l'article80 par.
1 du Règlement dela Cour

41. Mêmesi c'estde manière visiblement très incidente, l'Ouganda

semble appuyer ses demandes reconventionnelles sur certains actes qui
auraient étéaccomplis par l'Etat congolais antérieurement à 1998,

pendant ce qu'ila lui-mêmedésignécomme une «première période >>
s'étendant « from early 1994to approximately May 1997 » (UCM, par.

361, p. 211). On peut relever deux passages du chapitre XVIII du
contre-mémoire ougandais en ce sens. D'abord, le défendeur prétend

de manière générale,sous le titre « (c) The obligation not to provide

assistance to armed groups carrying out military or paramilitary
activities in and against Uganda by training, arming, equipping,

financing and supplying such armed groups », que

« 382. Since at least 1994, the Democratic Republic of Congo
has harbored and assisted armed groups staging major assaults
in and against Uganda.

383. In the months following the Rwandan civilwar, President
Mobutu permitted the ex-FAR and Interahamwe to use the
refugee camps in eastern Congo as bases to conduct military
training activities and stockpile arms [..] President Mobutu
provided anti-Uganda insurgents with am, ammunition,
training and logistical support, coordinated their military
activities and launched joint operations against Uganda.
President Mobutu also cultivated a military alliance with the
Govenunent of Sudan, pursuant to which the Sudanese army
occupied airfields in northeastern Congo for the purpose of
delivering arms, supplies and troops to the anti-Uganda rebels
[...]>(UCM,p. 220).Ensuite, sous le titre «D.SpecificExamples of Congolese Aggression »,
l'Ouganda avance une illustration de cesprétentions, selonlaquelle

« 388. On 13 November 1996,more than 800 heavely-armed
ADF insurgents, under the command and control of the
Congolese and Sudanese govemments, launched a massive
assault on the Ugandan customs post [..]» (UCM,p. 221).

L'argumentation de l'Ouganda est particulièrement ambiguë : les

actions du Zaïre paraissent êtrequalifiéed'agression, mais elles ne sont
auparavant mentionnées que comme des violations de l'obligation de

ne pas fournir d'assistance à des groupes armés irréguliers, et non

comme des violations de l'interdiction du recoursà la force en tant que
telle(UCM,p. 219). On est, encore une fois, bien en mal d'identifier

avec précision la portée de ces prétentions. Quoi qu'il en soit, à
supposer même que l'on soit bien en présence d'une demande

présentéedans le contre-mémoire au sens de l'article 80 par. 2 du

Règlement de la Cour, ilest indéniableque la condition de <connexité
directe» énoncée à l'article80par.1 n'est pas remplie en l'espèce. La

conclusion s'impose au regard desdeux critèresdégagés plus haut, tant
en ce qui concerne l'existence d'un lien factuel et juridique entre la

demande reconventionnelle et l'objet de la requête de la République
démocratique du Congo (1)'que l'établissement d'une articulation

entre demande reconventionnelle et défenseau fond (2).

2. L'absencede lienétroitentre lademande reconventionnelleet l'objetde la
requêtd eelaRépublique démocratiqud eu Congo

42. En fait comme en droit, cet aspect des demandes
reconventionnelles ougandaises entretient indéniablement certaines

relations avec l'objet de la requêtede la Républiquedémocratique du

Congo. Ils'agit en effet, dans les deux cas, de se prononcer sur des
actions militaires etparamilitairesd'un Etat l'encontre d'un autre Etat,

et de confronter ces comportements aux même règles de droit
international général (non-recours à la force, non-intervention dans les

affairesintérieures,essentiellement). La circonstance que la requêtede

la Républiquedémocratiquedu Congo s'étende à d'autres aspects plus
spécifiques,comme l'exploitation illicitedes ressources naturelles oulaviolation des droits de la personne, n'est pas de naturà modifier cet
état de fait. L'élémentdécisifqui permet d'affirmer qu'il n'existe

néanmoins pas de lien de connexitédirecte au sens de l'article 80 du
Règlement de la Cour résulte d'un autre aspect, fondamental en

l'espèce:les événementsquiconcernent respectivement les prétentions
ougandaises et la requêtedu Congo ne se sont pas déroulés pendan lt

mêmepériode,loin s'en faut. C'est dès lors en application d'une
jurisprudence constante qu'il a lieu d'écartercet aspect de la demande

comme irrecevable en tant que demande reconventionnelle.

43. Comme on l'aura relevé àla lecture des extraits pertinents du

contre-mémoire ougandais reproduits ci-dessus, cet aspect des
prétentions vise exclusivement les agissements des anciens dirigeants

de 1'Etat congolais. Ces dirigeants, au premier rang desquels le
Maréchal Mobutu, exerçaient leur autorité dans un contexte

institutionnel qui a radicalement changé avec l'arrivéeau pouvoir du
régime dirigé par le Président Laurent-Désiré Kabila, la révolution

sociale et politique de 1997 s'étant notamment traduite par le
changement de nom qui a marqué la naissance de la République

démocratique du Congo. Les nouvelles autorités congolaises ont
marqué leur volonté de rupture par rapport à l'ordre ancien dans

divers domaines, dont celui de la politique étrangère. Il est

fondamental à cet égardde relever les changements radicaux qui sont
intervenus dans les relationsentrales deux Etats partiesà la présente

instance. L'Ouganda et la nouvelle République démocratique du
Congo ont, dans un premier temps, développé une politique de

coopérationaccrue dans divers domaines, y compris militaire. C'est en
étroitecollaboration que les deux Etats ont notamment assuré,dans la

mesure du possible, la sécurittout au long de leur frontière commune.
Cette collaboration accrue a été formalisédans plusieurs instruments,

dont un accord de formation par l'Ouganda de la police de la
Républiquedémocratique du Congo (UCM, annexe 16)'et surtout un

Protocolbetweenthe Democratic RepublicofCongoand Republicof Uganda

on Security alongthe CommonBorder(UCM,annexe 19), conclu en avril
1998 et cité à plusieurs reprises par la partie ougandaise dans sesécritures(v.p. UCM, par. 31, pp. 22-23).On peut donc diviser l'histoire
récentedes relations entre les deux pays en trois périodes successives ;

la première caractériséepar les tensions (périodede la findu régimede
M.Mobutu), la deuxième par une collaboration (période des débutsde

la République démocratique du Congo), la troisième par un conflit

ouvert (période qui commence avec l'agression ougandaise d'août
1998). L'objet de la requêtede la Républiquedémocratique du Congo

concerne exclusivement la dernière de ces périodes, celui des
prétentions ougandaises dont il est question dans la présente section

vise en l'occurrence la première d'entre elles.

44. Cette séparation des événementsen différentes périodes n'a

évidemmentpaspour objet de remettre en cause le principebien établi
de la continuitéde l'Etat:la Républiquedémocratique du Congo reste

en principe responsable des actes qui peuvent êtreimputés à l'Etaty
compris lorsque celui-ci connaissait une autre dénomination. Cette

distinction a seulement pour effet d'empêcherque puissent en l'espèce

êtreétablidses liens de« connexitédirecte » au sens de l'article 80 pa1.
du Règlement de la Cour. Comme la République démocratique du

Congo l'a déjàsignalé,la jurisprudence est constante à cet égard : la
connexitésuppose que les événementsconcernés se soient produits

pendant la même «période ».Leprincipe de l'unitéde temps peut ainsi
être observédans tous les précédents portés devantla C.P.J.I.,puis la

C.I.J.(v.ci-dessus, par. 30). On rappellera en particulier que, dans deux

affaires récentes où 1'Etatdemandeur sur reconvention reprochait au
demandeur au principal des actions armées auxquelles il prétendait

réagir, l'action armée initiale comme la réaction s'étaientdéroulées
pendant la mêmepériode (C.I.J,Affaires des Plates-formespétrolièreet

de la Frontière terrestre et maritime entre le Cameroun et le Nigéria,
précitées).De même,dans l'affairede l'Applicatiodela conventionsur la

préventionet la répressiondu crime de génocide,les exactions formant

l'objet de la demande reconventionnelle, si elles sont en partie
présentéescomme précédant celles qui font l'objet de la requête

principale, se sont déroulées pendant une même période factuelle.
Queile que soit l'interprétation que 1'on peut donner à ces différentesaffaires, aucune d'entre elles ne se caractérise par l'existence d'une
période intermédiairede collaboration accrue entre le demandeur et le

défendeur, qui aurait historiquement séparé la période ayant donné

lieu aux événementsqui fondent la demande reconventionnelle, de
cellequi a constituél'objetde la demande principale.

45. La Cour n'aura à cesujet pas manquéde relever que l'Ouganda

lui-même admet cette séparation en différentes périodes. La

RépubliquedémocratiqueduCongoa déjàinsistésur cepoint, en citant
l'extrait du contre-mémoire ougandais dans lequel on distingue

explicitement <<three separate periods >>(UCM, par. 360 ;citation supra,
par. 25 des présentes observations). D'autres passages des écritures

ougandaises confirment l'accorddes parties sur ce point particulier. Le
défendeurinsisteainsi tant et plus sur l'invitation qui lui aurait étéfaite

de déployer ses forces en territoire congolais dès le mois d'août 1997,

dans un contexte caractérisépar la collaboration, par exemple lorsqu'il
préciseque

<<[..] the new congolese army, under the leadership of Col.
Kabarebe and other RPA officers, not only broke off
collaboration with the anti-Uganda insurgents groups but
helped Uganda by hunting them down >>(UCM,par. 30,p. 22).

Dans la mêmeperspective, lorsqu'il prétendque

<<[...with the exceptionofa brie pferiodafter he took power in
Congo, President Laurent Kabila renewed his predecessor's
alliances with the anti-Uganda insurgents, the ex-FAR and
Interahamwe, and the Govenunent of Sudan >>(UCM,par. 384,
p. 220 ;soulignéparla Républiquedémocratiquedu Congo),

l'Ouganda admet de la sorte clairement la rupture qui a caractériséle

changement de régimeau Congo. Au-delà des divergences subsistant
sur la qualification de certains faits et sur l'interprétation de certaines

règlesetprincipes juridiques, la Républiquedémocratique du Congo et
l'Ouganda sont donc d'accord sur un point: la distinction en trois

périodes qui caractérisel'évolution récentd ee leurs relations.46. LaCour n'a donc plus qu'à tirer les conséquencesjuridiques de
cet accord circonstancié:sa jurisprudence constante lui dicte d'écarter

comme non recevable une demande qui, quoique formellement

présentéecomme reconventionnelle, a pour objet des événements qui
se sont dérouléslors d'une période distincte de celle au cours de

laquelle sontsurvenus les faits qui forment la base de la requêteinitiale
de 1'Etatdemandeur. La conclusion est d'autant plus inéluctableque

l'Ouganda ne prétend mêmepas mobiliser cet aspect particulier de ses
prétentions pour fonder son argumentation en défense contre les

demandes initiales de la Républiquedémocratiquedu Congo.

2. L'absence d'articulation cohéreenterela demandereconventionnelleet
lesmoyensde défense avancp éour réfiterla demandede la République
démocratiqu deuCongo

47. Sil'Ouganda faitincidemment référence à la période antérieure
à août 1997 pour appuyer ce qu'il présente comme des demandes

reconventionnelles, ilse garde bien de tirer la moindre conséquence
juridique de ces élémentsdans le cadre de sa réfutation de la demande

de la République démocratique du Congo. La prétendue légitime

défensede l'Ouganda ne s'est,selon l'argumentation développée dans
le contre-mémoire,développéequ'enréactionaux attaques menéespar

la République démocratique du Congo pendant la troisième des
périodes identifiées auxparagraphes 360 et suivants, dans le passage

citéci-dessus.A contrariol,'Ouganda ne prétend pas réagiraux attaques
menées par les autoritészaïroises avant la création de la République

démocratique du Congo . Le contre-mémoire précise même

explicitement que

« In the first of these [three separate] periods, from early 1994
to approximately May 1997 [...no external action was taken
by way of self-defenceor othenvise »(UCM,par. 361,p. 211).

Par ailleurs, et bien entendu, l'Ouganda ne prétend tirer aucune

conséquencejuridique particulière desprétendues actionsarméesqui se
sont dérouléespendant cette périodepour rencontrer les accusations de

la République démocratiquedu Congo qui concernent le pillage de sesressources naturelles ou les exactions commises à I'encontre de sa
population.

48. Pourtant, et comme la Républiquedémocratique du Congo l'a

souligné plus haut, la jurisprudence et la doctrine insistent tout

particulièrement sur la nécessitde relier la demande reconventionnelle
à la défense au principal pour pouvoir remplir la condition de

« connexitédirecte » au sens de l'article 80 par1 du Règlement de la
Cour (supra, par. 33-35).Iln'existe aucun précédentoù la Cour aurait

déclaré recevableune demande présentée comme reconventionnelle
qui ne répondait pas à cette exigence, et ce pour la bonne et simple

raison que l'Etat défendeur, demandeur sur reconvention, a toujours

pris soin de développer une argumentationqui y étaitconforme. Ainsi,
dans l'affairerelativà l'Applicatiode laconventionpour lapréventionet

la répressiondu crime de génocide,la Yougoslavie met en évidence la
connexitédirecte entre sa demande reconventionnelle et la demande

initiale, en soulignant le fait que les moyens invoquésà l'appui de sa
demande représentent dans le même temps autant d'arguments de

défense contre les prétentions émisespar la Bosnie-Herzégovine dans

sa demande initiale, et en seréférantdans sesobservations écriteà

« certains faits identiqu[..]présentés à la foisà l'appui d'un
rejet des allégationsdu demandeur dont celui-ciestime qu'elles
sont pertinentes pour l'imputation des faits allégués au
défendeur et à l'appui de la demande reconventionnelle » (cité
dans l'ordonnance du 17décembre 1997, C.I.J.,Recueil1997,p.
255,par. 20).

Ilne s'agissait certes pas pour la Yougoslavie de prétendre qu'un

génocide antérieurement commis à l'encontre des Serbes était
susceptible de justifier un autre génocide commis à l'encontre des

auteurs du premier ; l'Etatdéfendeur prétendait plutôt que l'accusation

de génocide qui constituait l'objet de sa demande reconventionnelle
était susceptible d'expliquer, dans les faits, certaines réactions des

Serbes de Bosnie, ce facteur explicatif s'opposant à la thèse de
l'imputation de cesréactionsà 1'Etatyougoslave. Sansse prononcer sur

lebien-fondéde cette argumentation particulière,la Cour a accordé uneimportance manifeste au principe de l'articulation entre demande et
moyen de défenseau principal dans sa décision,lorsqu'elle anotéque

«laYougoslavie expose en outre qu'elle entend se prévaloir de
certains faits identiqueà la fois pour repousser les allégations
de la Bosnie-Herzégovine et pour obtenir condamnation de
celle-c>>(ibid.,p. 258,par34).

De la même manière,dans l'affairedes Plateformespétrolièresl,es Etats-

Unis eux-mêmesont tout particulièrement mis l'accentsur cet élément
pour établir la connexité directe unissant leur demande

reconventionnelle à la demande principale, en soulignant que

« les faitset circonstances qui lesont amenésà ouvrir le feu sur
des plates-formes pétrolières del'Iran -à savoir les attaques et
les menaces de l'Iran contre des navires marchands, y compris
des navires etdes ressortissants des Etats-Unis- sont au cŒurdes
moyens de défensequ'ils avancent à l'encontre des demandes
iraniennes» (C.I.J.,Recueil1998,p. 201, par. 24 et 25 ;souligné
par la Républiquedémocratiquedu Congo),

dès lors que ces faits justifient les mesures prises par les Etats-Unis au

titre de la légitimedéfense.Comme la République démocratique du
Congo l'adéjàsignalé(ci-dessus,par. 35)'la Cour a accordéun poids

tout particulierà cette prétention, comme la République démocratique
du Congo l'adéjàrappelé(ci-dessus,par. 35). Enfin, dans l'affairedela

Frontière terrestre et maritime entre le Cameroun et le Nigeria, on

remarquera que la demande reconventionnelle du Nigéria portait sur
une prétendue agressionpréalable du Cameroun, agressionqui était en

outre invoquée pour fonder l'argument de légitimedéfenseavancépar
le Nigeria comme moyen de défense principal par rapport à la

demande initiale (C.I.J.Ordonnance du 30juin 1999, Recueil1999).

49. Le contraste avec l'argumentation de l'Ouganda dans la

présenteespèceestmanifeste :aucune articulation n'a étéétabliepar le
défendeur entre la demande qu'il présentecomme reconventionnelle et

1'un quelconque de ses moyens de défense. Iiest donc juridiquement

impossible de dégager l'existenceen l'espèced'unlien de «connexité
directe »ausens de l'article80par. 1 du Règlementde la Cour.50. 11faut encore relever que IfOuganda ne pourrait plus, à un
stade ultérieur de la procédure, modifier son argumentation en

prétendant soudain que les activitésmilitairesqu'il a poursuivies depuis
1998sur le territoire du Congo constitueraient finalementune réaction

à l'ensemble des prétendues actions armées que le Congo aurait
menées à son encontre depuis 1994. Cette modification soudaine et

radicale de l'argumentation se heurterait en effet au principe de bonne
foiqui, sur leplan procédural,se traduit notamment par l'institution de

la forclusion.n rappellera à cet égard que le texte du projet d'articles
sur la responsabilité des Etats pour fait internationalement illicite

adopté par le Comité de rédaction de la Commission du droit

international en deuxième lecture prévoit pareille impossibilité
d'invoquer la responsabilitéd'un Etat en certaines circonstances

«Article 46. Renonciation au droit d'invoquer la responsabilité.

La responsabilitéd'un Étatnepeut pas êtreinvoquéesi :

a) é ét étséa valablement renoncé àla demande;

b) é ét é sédoite,nraison de son comportement, être
considérécomme ayant valablement acquiescé à l'abandon de
la demande » (A/CN.4/L.602,25 mai 2001).

Dansle cas d'espèce, ilest évidentque l'Ouganda doit êtreconsidéré
comme ayant renoncé à demander réparation ou à tirer de

quelconques conséquencesjuridiques des événements antérieurs à la
révolutionsocialeet politique de 1997. La collaboration accrue entre les

autorités ougandaises et les nouvelles autorités congolaises, qui s'est
notamment traduite par la conclusion d'accords en matière militaire et

de sécurité(v.ci-dessus, par.3),marque clairement une renonciation à
formuler d'éventuelles réclamationsen responsabilitéportant sur une

période antérieure désormaisconsidérée comme révolue. La forclusion

constitueun élémentquiconfirme encore la nette rupture qui a marqué
les différentespériodes qui ont jalonné l'histoirerécente des relations

entre les deuxpays. Elleillustre plus généralementl'absence manifeste
de connexitéentre cet aspectdes demandes ougandaises et l'objet de la

requêtede la République démocratiquedu Congo.IV. Les demandes relatives aux prétendues attaaues des bâtiments et
du personnel divlomatiaues ouvandais à Kinshasa ne satisfont pas à

la condition de «connexitédirecte >>reauise var l'articl80 par. 1 du

Règlement de la Cour

51. Dans son contre-mémoire,l'Ouganda fait étatde trois incidents

distincts survenus au cours de la seconde moitié de l'année 1998, au

cours desquels les locaux de l'ambassade d'Ouganda à Kinshasa
auraient été envahis par des soldats des Forces armées congolaises,

divers types de biens auraient étésaisis, et des membres du personnel
diplomatique ougandais, ainsi que d'autres ressortissants ougandais,

auraient été maltraitéset spoliés(UCM, par. 397 et ss.). L'Ouganda

allègue de la non conformité de ces diverses actions aux règles
internationalesqui définissentle standardminimum de traitement que

tout Etat doit accorder aux étrangers présents sur son territoire, de
même qu'aux standards de protection des droits de la personne

reconnus sur le plan universel (UCM, par. 405-408). A supposer que

l'onpuisse voir dans cesaffirmations de véritablesdemandes formulées
à l'encontre de la République démocratique du Congo (voy. sur ce

point les arguments développésdans la première partie des présentes
observations), elles ne seraient en tout état de cause pas recevables en

tant que demandes reconventionnelles au sens de l'article 80 du

Règlementde la Cour, à défautde satisfaireà l'exigencede <connexité
directe» énoncéedans cette disposition. Cette absence de connexité

résulteà la fois de l'inexistencede lien suffisant entre la demande qui
serait présentée comme reconventionnelle et la requête de la

Républiquedémocratique du Congo (1) et de l'absence d'articulation

entre cette demande et les moyens de défense avancéspar l'Ouganda
pour repousser les prétentions initiales de la Républiquedémocratique

du Congo (2).1. L'absencedelien étroitntrelademande ougandaise relaa tive incidents
concernanl tamissionet lepersonneldiplomatique ougandais Kinshasaet la
requête d leRépubliqud eémocratiqu duCongo

52. Les atteintes aux locaux et aux biens de la mission

diplomatique, ainsi qu'aux membres du personnel diplomatique

ougandais à Kinshasa, dont il est fait état dans le contre-mémoire de
l'Ouganda, ne pourraient faire l'objet de demandes reconventionnelles,

car ces événementssont dépourvus de tout rapport de connexité,tant
juridique que factuelle, avec l'objet des prétentions initialement

formuléespar la Républiquedémocratiquedu Congo.

53. Mêmes'ilss'inscrivent indubitablement dans la mêmepériode

que celle concernée par les demandes principales de la République
démocratique du Congo, ces incidents ne présentent pas de rapport

factuel étroitavec la situation qui constitue la toilede fond de la requête
initiale.n voit mal, en effet, comment les atteintes aux locaux, aux

biens etau personneldiplomatiqueougandais à Kinshasa, d'une part, et
l'agression subie par la République démocratique du Congo,

l'occupation continue d'une partie de son territoire, l'exploitation

illégalede ses ressources naturelles et la violation massive des droits
fondamentaux d'une partie de sa population, d'autre part, pourraient

être considéréscomme constituant des «faits de même nature »
(affaires de l'Applicatide laconventionsur laprévention e lt répression

du crime degénocideR ,ecueil1997, p. 258, par. 34 et des Plates-formes
pétrolières, Recueil98,p. 205,par. 38)ou encore des <<faits identiques

ou voisins » (Yves NOUVEL, «La recevabilité des demandes

reconventionnelles devant la Cour internationale de Justice la lumière
de deuxordonnances récentes »,loc.cit, . 331).

54. Cette absence de correspondance entre l'objet de celles des

demandes qui seraient présentéescomme reconventionnelles dont il est
question ici, et l'objet des demandes initiales de la République

démocratique du Congo, se manifeste de façon tout aussi claire en ce

qui concerne les règlesde droit internationalapplicables aux unes et aux
autres. Alors que ce sont des violations des règles relatives autraitement des étrangers ou aux droits individuels qui sont avancées
par l'Ouganda, la requête de laRépubliquedémocratique du Congo se

fonde quant àelle sur des manquements aux principes du non-recours
à la force, de non-intervention, de souverainetédes Etatycompris sur

leurs ressources naturelles et aux règles relatives la protection des
droits fondamentaux de la personne, y compris en période de conflit

armé. Les instruments juridiques, tout comme les règleset principes de

droit international, invoqués de part et d'autre, sont totalement
différents.Ilparaît manifestement impossible, iciaussi, de conclure que

les parties «poursuivent le même but juridique » (affaires de
l'Applicationde laconventionsur lapréventionet la répressiondu crimede

génocide,Recueil 1997, p. 258, par. 35 et des Plates-formespétrolières,
Recueil1998,p. 205,par. 38)'dès lors que les demandes de l'Ouganda

relatives aux événements survenus à Kinshasa au cours de la seconde
moitiéde l'année1998ne pourraientenaucune facon aboutir au constat

par la Cour d'un manquement par la République démocratique du
Congo aux mêmes règles etprincipes que ceux dont la violation est

alléguée dans lademande principale. L'élémend te connexitéjuridique

faitdonc lui aussidéfaut.

55. En réalité,'estenvain que l'oncherchera dans la jurisprudence
de la Cour un quelconqueprécédentdans lequel un défendeura soumis

par la voie reconventionnelle une demande portant sur un problème
aussi radicalement étranger à la demande principale. On est par

exemple bien loin de retrouver icides situations aussi intrinsèquement
liéesen termes juridiques et factuels que celles dont la Cour a eu à

connaître dans l'affairede l'Applicatde laconventionpour laprévention
et la répressiondu crime de génocideou dans celle des Plates-formes

pétrolières. Dans l'un et l'autre de ces cas, tant les faits en cause

(incitations et perpétration de massacres dans la première affaire,
utilisation de la force armée contre des entités impliquéesdansdes

activitésde nature commerciale dans la seconde) que les instruments et
principes juridiques applicables (uneseule et mêmeconvention dans les

deux cas, auxquelles s'ajoutent les règles du droit de la responsabilité
internationale pertinentes pour établir la violation des instrumentsjuridiques invoqués et déterminer les conséquences de semblable
violation)secaractérisaientpar une remarquable unité. C'est ce facteur

quia joué un rôle déterminant pour conduire la Cour à conclure, dans
lesdeux instances,àl'existenced'une connexitédirecte entre demandes

reconventionnelles et principale. Le même constatpourrait encore être

opéré à l'égardde l'affairedu Droitd'asile,par exemple, où la conclusion
de la demande reconventiomelle présentéepar le Pérou apparaissait,

trait pour trait, comme lenégatif» (en termes photographiques) de la
demande initiale formuléepar la Colombie. Le contraste entre l'aspect

des demandes présentées comme reconventionnelles par l'Ouganda
dont ilest question ici et les situations précédemment soumises à la

Cour par la même voie est donc particulièrement frappant, et atteste

au-delà de tout doute que cette demande est dépourvue de toute
connexité,factuelle comme juridique, avec l'objet de la requêteinitiale.

Cette absence de connexitése manifeste d'ailleurs d'une autre manière
encore, puisque cet aspect des demandes présentées comme

reconventionnelle ne s'articule aucunement avec les moyens de défense
avancés par l'Ouganda pour repousser les demandes de la République

démocratiquedu Congo.

2. L'absenced'articulationcohérenteentre la demande présentéecomme
reconventionnellet lesmoyensdedgenseavancés pour réfuterles demandes
de laRépublique démocratiqd ue Congo

56. Ilest frappant de constater que l'Ouganda ne tire absolument

aucune conséquence,dans le cadre de son argumentation en défense
contre les prétentions initiales de la République démocratique du

Congo, des allégations faites dans son contre-mémoire en ce qui

concerne les incidents qui seraient survenus Kinshasa au cours de la
seconde moitiéde l'année 1998. L'Ouganda n'invoque à aucun moment

ces événements à titre de justification ou de défense contre les griefs
formulés à son encontre par la Républiquedémocratique du Congo,

que ce soit en relation avec les violations du principe du non recours
la force, ou avec les manquements aux autres règles et prhcipes du

droit international dont se plaint la République démocratique du
Congo.57. Le constat n'est guère surprenant dès lors que, comme ilvient

d'être démontré, il n'existe aucun lien de nature factuellenijuridique
entre cette partie des demandes présentées comme reconventionnelles

et lesprétentionsinitiales de la Républiquedémocratique du Congo. A

partir du moment où ces prétentions respectives s'inscrivent dans des
sphères juridiques totalement différentes et étrangères l'une à l'autre,

l'on ne voit guère, en effet, comment des atteintes aux règles relatives
au traitementdesétrangers ou à la protection des personnes pourraient

d'une façon quelconque justifier, que ce soit au titre de la légitime
défense, de contre-mesures, de rupture du lien d'imputabilité ou de

toute autre façon encore, les violations des principes de non recours la

force, de non intervention, de souveraineté de l'Etat sur ses ressources
naturelles et des autres règles invoquées par la République

démocratique du Congo. Justifier les manquements à ces dernières
règles par la violation antérieure ou concomitante des normes

évoquées danscette partie du contre-mémoire ougandais constitue en
effet une impossibilité logique, en l'absence de toute connexion entre

l'un et l'autre ensemble de normes.

58. Cette absence de toute référence auxévénements dont ilest

question ici à titre de défense contre les demandes formulées
initialement par la République démocratique du Congo fait elle aussi

clairement obstacle à la recevabilité de cette partie des demandes
ougandaisesentant que demandes reconventionnelles. Comme il a été

exposéplus tôt dansles présentes observations, la Cour a de façon

constante exigé des prétentions formulées par un Etat défendeur
qu'elles présententun double caractèrepour pouvoir êtrequalifiéesde

demandes reconventionnelles : elles doivent non seulement avoir pour
objectif de mettre en cause la responsabilité du demandeur pour des

situationsétroitement liées à la demande principale, mais doivent aussi
--et avant tout- constituer des moyens de défense contre les

prétentionsinitiales du demandeur (v. les référenceset les extraits cités

supra, par.33-35 ).C'est en ce sens égalementque les unes et les autres
doivent présenter une connexitédirecte, comme l'exige l'article 80 duRèglement. La présence de ce <<point d'intersection entre les
demandes, qui fait que l'une exerce une influence sur les conséquences

judiciaires de l'autre (pour reprendre les termes du juge
Weeramantry dans son opinion dissidente jointe à l'ordonnance du 17

décembre 1997 dans l'affaire de l'Applicatiode la conventionpour la
prévention elt répressionu crimedegénocideC , .I.J.,Recue1997,p. 289)

a étéconstatée de manière systématique par la Cour dans toutes les

affaires où elle a admis les demandes reconventionnelles présentées par
un Etat défendeur. Le fait que l'on se trouve ici confronté à une

« demande qui est autonome et qui n'a aucun effet sur la décision
concernant la demande initiale» a pour conséquence que cette

prétention «ne remplit pas lesconditions requises pour êtreconsidérée

comme une demande reconventionnelle »(ibid.p. 291),et doit, partant,
êtrerejetéepar la Cour.

59. Ententant d'inclure ces nouveaux éléments,dépourvus de tout

rapport de connexité avec l'instance initiale, l'Ouganda contourne
manifestement la procédure habituelle qui consisterait à déposer une

nouvellerequêteportant sur les événementsdont il est question ici.V. Les demandes relatives aux prétendues violations des accords de
Lusaka par la République démocratique du Congo ne satisfont pas à

la condition de <<connexitédirecte » reauise var l'articl80 par.1 du

Rè~lement de la Cour

60. La République démocratique du Congo a déjàinsistésur le
caractère particulièrement vague des prétentions présentées comme

des demandes reconventionnelles par l'Ouganda. Dansun passage de

son contre-mémoire qui compte en tout et pour tout moins de deux
pages, le défendeur accuse le Congo d'avoir enfreint des obligations

découlantdes accords de Lusaka aussi différentesque cellesrelatives au
dialogue national, au déploiement de la MONUC, et au désarmement

des groupes armés. Aucune disposition juridique précisen'est citée à
l'appui de la demande, dont le contenu n'est au demeurant pas précisé,

ni dans le corps du chapitre,ni dans les conclusions. Ils'avère tout

particulièrement difficilede répondredans pareil contextà ce qui peut
difficilement êtrequalifiéde<<demandes » au sens du Règlement de la

Cour. A supposer mêmeque les prétentions ougandaises puissent être
considérées commetelles, il est en tout état de cause impossible de

considérerque la condition de connexitédirecte est remplie en l'espèce.

Comme pour les deux précédents aspects qui viennent d'être
envisagés,aucun lien étroit(1)ni surtout aucune articulation cohérente

(2) ne peuvent être établis entre la (ou les) demande(s)
reconventionnelle(s) et l'objet de la requête de la République

démocratique du Congo.1. L'absencede lienétroitentre la demande reconventionnelleet la
requêtdeelaRépublique démocratiq dueCongo

61. On relèvera d'embléeque l'essentiel des faits que l'Ouganda

invoque à l'appui de sesprétentions sont radicalement distincts de ceux
portéspar la Républiquedémocratique du Congo devant la Cour dans

sa requête. Le Congo a saisi la Cour d'une demande tendant à

condamner le principe et les modalités d'une agression et d'une
occupation militaires menéeparl'Ouganda à son encontre. Sil'on peut

concevoir, surun plan théorique, que le défendeur centre le débat sur
de prétendus actes d'agression dont il aurait préalablement été la

victime de la part de l'Etatdemandeur (v. ci-dessus, II et III), il paraît
pour le moins curieux d'élargir le débat à des questions qui ne

présentent pas ou peu de rapport avec cette problématique. Il en est

tout particulièrementainsi du problèmedu dialogue national congolais,
qui implique des acteurs et qui met en jeu des questions propres au

régimepolitiqueinterne de la Républiquedémocratique du Congo et à
son fonctionnement. De même, les péripéties et les difficultés

provisoires qui ont émaillé les relations entre la République
démocratique du Congo et la MONUC, qui s'expliquent en partie par

les circonstances historiques particulières qui ont entouré l'accession

l'indépendancedu Congo ilya plus de 40 ans, n'ont rieà voir avec le
conflit actuel qui oppose le demandeur et le défendeur à la présente

instance. Mêmesi l'on peut toujwrs, ce dont l'Ouganda ne se prive
pas, établircertains liens entre cesquestions particulièreset le problème

de l'agression et de l'occupation de la République démocratique du
Congo, il est plus que douteux que 1'on se trouve là, pour reprendre

l'expression qui ressort de façon constante de la jurisprudence de la

Cour, devant desfaits «de mêmenature » (v.ci-dessus, par. 30-31).62. On relèvera à cet égard que les catégories d'événements
précitéesrenvoient toutes à des règles juridiques qui, elles aussi, sont

radicalement différentes de cellesqui sontà la base de la requêtede la

Républiquedémocratiquedu Congo. Celle-cise fonde essentiellement
sur les grands principes conventionnels et coutumiers que constituent

l'interdictiondu recoursà la force, la non-intervention dans les affaires
intérieures,le respect de la souveraineté permanente des Etats et des

peuples sur leurs ressources naturelles, et l'obligation généralede

respecter et de fairerespecter les droits de la personne. Cette partie des
prétentions ougandaises s'appuie en revanche exclusivement sur un

instrument spécifiqueet particulier, désigné commel'accord de Lusaka,
qui constitue selon les termes mêmes utilisés par l'Ouganda un

<<comprehensive system of public order » (v. not.la plaidoirie deM.

Reichler28 juin 2000,CR 2000123). Dans ces conditions, il va de soi que
les deux parties ne poursuivent nullement le « même objectif

juridique »(ci-dessus,par. 32):la Républiquedémocratique du Congo
vise à faire constater la violation des grands principes de droit

international précités l'Ouganda demande à la Cour de se prononcer

sur l'interprétation etl'applicationun instrument juridique spécifique
etparticulier.On se trouve ainsi dans une situation différentede celles

quiont caractérisélesprécédentsdéjàexaminésci-dessusqui, comme la
République démocratique du Congo l'a déjàsignalé,se caractérisent

par la circonstance que les parties demandaient toutes deux à la Cour

de juger de la violation des mêmesrègles et instruments juridiques
(supra, par. 32). On ajoutera à ce stade que le demandeur sur

reconvention tente en l'occurrence de joindreà l'instance des questions
concernant des protagonistes différents :autorités gouvernementales

congolaises et opposition politique intérieure dans un cas, Etat

congolais et ONU dans un autre, Républiquedémocratique du Congo
et Ouganda dans un troisième. Dans tous les autres cas jugéspar la

Cour, les demandes principales et reconventionnelles visaient des
catégoriesfactuelles et des règles juridiques similairesqui s'inscrivaient

dans le cadre de relations qui restaient strictementbilatérales.63. Enfin, on ne peut estimer remplie la condition de l'unitéde
temps, selon laquelle les événementà la base de la requêtecomme des

demandes présentées comme reconventionnelles se sont déroulés
pendant la «mêmepériode » (v. ci-dessus, par. 30 et les références

indiquées). En l'occurrence, la requête dela République démocratique

du Congo vise essentiellement l'agression ougandaise qui a commencé
en août 1998. Cetterequêtea été déposéele 23juin 1999,avant même

que les accords de Lusaka n'aient étéconclus. Cette dernière date
marque le débutd'une nouvelle périodequi, mêmesi c'est à un rythme

extrêmement lent, s'est caractériséepar 1'établissement progressif de
conditions favorables àla pacification du conflit. Cette distinction se

retrouve d'ailleurs dans le contre-mémoire ougandais, qui évoque

explicitement une «period september 1998onwards » (UCM, par. 374,
p. 217), et peut donc êtreconsidéréecomme reflétant un accord des

parties.Ily a donc lieu d'en tirer toutes les conséquencessur le plan de
l'irrecevabilité de cette partie des demandes ougandaises: la

jurisprudence exige bien une unitéde périodequine se retrouve pas ici.
A cet égard, on rappellera que les termes mêmes de l'article 80 du

Règlement de la Cour indiquent que la connexitédoit s'entendre par
rapport à l'objetde la demande principale (v. aussi les affaires de

l'Applicationde laConventionpourlapréventionetlarépressiondu crimede

génocideR, ecueil1997,pp. 257-258,par. 31 et des Plates-formespétrolières,
Recueil 1998,pp. 203-204, par. 33). Or, ils'avère non seulement

factuellementerroné mais aussi logiquement impossible de prétendre
que l'objet de la demande de la Républiquedémocratique du Congo

pouvait s'étendre, mêmede manière indirecte et lointaine, à un
contexte factuel etjuridique qui n'existait mêmepas au moment de son

dépôt.64. C'estfinalement de façon entièrement artificielle que l'Ouganda
tente d'étendre le différendporté par la Républiquedémocratique du

Congo devant la Cour dans le cadre de la présente instance, en

contournant la voie normale du dépôt d'une nouvelle requête précédée
d'une identification précisedu différendqui l'opposerait sur ce point

aux nouvelles autorités de la Républiquedémocratique du Congo. La
conclusion est d'autant plus évidente que la connexité de ces

prétentions avec les demandes initialesde la Républiquedémocratique

du Congo ne ressort nullement de l'articulation cohérente entre les
arguments invoqués àl'appui de la demande reconventionnelle et les

moyens de défenseavancéspour réfuterla demandeinitiale.

2.L'absenced'articulaticohérenteentrelademande reconventionnele lt les
moyens de dyense avancéspour réfuter Za demande de la République
démocratiqud eu Congo

65. L'Ouganda ne tire que très peu de conséquences de ces
accusations relativesaux accords de Lusaka dans le cadre de sa défense

au principal. En premier lieu, ilne prétend pas que les prétendues
violations dont se serait rendue coupable la République démocratique

du Congo (violationsqui dateraient au plus tôt du mois de juillet99)

l'exonèrentl'Ouganda de la responsabilitéqu'ilencourt pour le recours
à la force qui a débutéaumois d'août 1998.A les supposer avérées,ces

violations n'entraîneraient donc, même en suivant l'argumentation
ougandaise, aucune conséquencesur la situation juridique de l'Ouganda

dans le présentlitige. L'Ouganda appuie sa défensesur des arguments

entièrement indépendants des accords de Lusaka, tel l'existence d'un
prétendu consentement du gouvernement à sa présence en

Républiquedémocratiquedu Congo, ainsi qu'une <<légitimedéfense >)
répondant à une « agression »du Congo dans les mois précédent la

date critique d'août 1998(v. UCM,chapitres XVIet XVII). L'Ouganda

ne prétend pas non plus que la prétendue violation des accords de
Lusaka puisse avoir une quelconque conséquence juridique sur les

autres violations du droit international énoncéesdans la requêtede la
République démocratique du Congo (intervention dans les affairesintérieures,souverainetésur lesressourcesnaturelles, respect des droits
de la personne, ..).

66. 11est vrai que, pour sa défense, l'Ouganda attache certaines

conséquenceslimitées à son accusation, mais aux seules fins de justifier
le principe (et non les modalités) de sa présence sur le territoire

congolais aprèsla signature des accords. Cette circonstance ne suffit

cependant pas à démontrerune connexitédirecte » au sens de l'article
80 du Règlement. La présente affaire se distingue une fois encore

radicalement de cellesque la Cour a eues a connaître, dans lesquelles le
demandeur sur reconvention se fondait sur les mêmes arguments pour

appuyer sa demande incidente comme pour fonder l'essentiel de sa
défenseprincipale. Dans l'affairede l'Applicationde Zaconventionsur la

prhention et la r@ressiondu crimedegénocideo ,n relèvera par exemple

que l'argumentation yougoslave consistait à prétendre que le génocide
dont auraient étévictimes les Serbes de Bosnie faisait obstacle à

l'imputation du génocidedont la Yougoslavie étaitelle-mêmeaccusée.
Cet argument ne portait pas sur un point incident mais représentait,

toujours selon l'argumentation yougoslave, l'essence même de la
défense au fond (C.I.J., Recueil1997p. 255, par. 20). Dans la même

perspective, la demande reconventionnelle des Etats-Unis, ou encore

celle du Nigéria, constituent en même temps l'argument essentiel par
lequel ces Etats entendent faire rejeter les allégationsdes demandeurs

dans ces deux instances, et ce dans la mesure où il s'agit dans les deux
cas d'invoquer la légitime défense comme réaction à une prétendue

agression préalable (C.I.J., Recueil 1998, p. 201, par. 25 et C.I.J.,
Ordonnance du 30juin 1999, Recueil1999,respectivement).Teln'est pas le

cas dans la présente espèce, où l'Ouganda n'invoque nullement les

accords de Lusaka pour étayerson argument de défenseprincipal, basé
sur l'article51 de la Charte. D'ailleurs, les accords de Lusaka ne

peuvent, logiquement eten aucune manière, justifierrétroactivementle
recours à la force de l'Ouganda entamé en août 1998,tout comme ilne

peut justifier les exactions et pillages imputables aux autorités
ougandaises : l'Ouganda ne le prétend pas, et ilest objectivement etrigoureusement impossible d'ébaucher un quelconque raisonnement
en ce sens.

67. Une autre particularité de la présente espèce mérite encore

d'êtresignalée.Dans tous lesprécédents pertinents, la Cour était,qu' il
y ait eu ou non formulation de demandes reconventionnelles,

logiquementobligédee trancher les allégationà la base de ces demandes
pour trancher le différend tel que définidans la requêteinitiale, et ce

précisément dans la mesure où la demande reconventionnelle et

l'argument essentiel développéen défense reposaient sur les mêmes
fondements. Iien est particulièrement ainsi dans les cas précitésoù

l'Etatdemandeur sur reconvention invoque la légitimedéfense,ce qui
suppose en tout état de cause (c'est-à-dire qu'il y ait ou non

présentation formelle d'une demande en application de l'article 80 du
Règlement) de se prononcer sur l'existence d'une agression préalable.

Dansnotre cas, la Cour n'est en revanche nullement tenue de traiter les
multiples problèmes factuels et juridiques complexes entraînés par la

violation éventuelle des accords de Lusaka pour répondre àla requête
présentéepar la République démocratique du Congo. Le constat,

incontournable dans son principe, est également valable pour la

période qui commence avec la signature des accords. Pour cette
période particulière,iva de soi, et le Congo ne le conteste pas, que la

Cour sera amenée àdéterminer si les accords de Lusaka constituent un
titre juridique susceptible de justifier, si pas les modalités (pillages des

ressourcesnaturelles, exactions, usage excessifet disproportionné de la
force), le principe même de la présence ougandaise en territoire

congolais. L'interprétation de ces accords n'implique cependant
nullement de se prononcer sur la question d'une éventuelle violation

préalable de ces même accords par la République démocratique du
Congo :considérer que c'est la violation des accords qui ouvrirait un

droit àl'occupation militaire reviendraià admetire celle-cicomme une

sanction ou une contre-mesure légitimes en droit international'
raisonnement qui se révèletotalement incompatible avec le caractère

impératif du non-recours à la force dont il s'agit en l'occurrence de
vérifierle respect. L'Ouganda ne peut, en toute logique, justifier sonactionmilitaire qu'en invoquant la légitime défense, ne autorisationdu
Conseil de sécurité ou un consentement du gouvernement congolais.

Seule cette dernière voie est susceptible d'êtreexplorée à partir des
accords de Lusaka, ce qui implique certes d'interpréter ces accords en

vue de déterminer l'existence et la portée éventuelles de ce
consentement (en particulier sur la base du calendrier qui y est

contenu), mais nullement de se prononcer sur leur violati paornla
Républiquedémocratiquedu Congo, ou par une quelconquedes autres

parties concernées.

68. En conclusion, cette partie des demandes reconventionnelles

ougandaises concerne une périodedistincte de cellequi est à la base de
la requêtede la Républiquedémocratique du Congo, vise un objectif

juridique différent, et ne constitue pas en mêmetemps un argument
essentiel de défense,conformément aux exigences de l'article 80 par.1

du Règlement telles que précisées par la jurisprudence de la Cour. La
Républiquedémocratiquedu Congo ne déniepas à l'Ouganda le droit

de porter devant la Cour un différend portant sur la violation
éventuelle des accords de Lusaka, ni celui de la Cour de se prononcer

sur cette violation. Ce différenddevrait toutefois êtreporté devant la

Cour par la voie habituelle, et non par le biais exceptionnel de la
procédure en demande reconventionnelle, qui se voit en l'occurrence

manifestementdétournée de sesfinalitéspropres.VI. A titre très subsidiaire,à sup oser que toutes les demandes
reconventionnelles oueandaises répondent aux prescriptions des

paragraphes 1 et2 de l'artic80. iln'y a pas lieu de les joindre toutes
à l'instance vrincivale en application de l'artic80 aragraphe 3 du

Rèclement de la Cour

69. Rappelons que, selon la Républiquedémocratique du Congo,

l'ensemble des prétentions présentées comme des demandes
reconventionnelles par l'Ouganda doivent êtredéclarées irrecevables

parce qu'ellesne remplissent pas les conditions de forme requises par
l'article 80 par. 2 du Règlement de la Cour (v. ci-dessus,1). A titre

subsidiaire, la République démocratique du Congo considère que, à
l'exception de celle qui porte spécifiquement sur les prétendus actes

d'agression dont l'Ouganda aurait étéla victime en 1998, chacune des

demandes de l'Etatdéfendeurdoit êtreécartéecomme irrecevable en
raison de l'absence de lien de connexité directe avec les demandes

principales de la Républiquedémocratiquedu Congo au sensde l'article
80 par. 1 du Règlement. La République démocratique du Congo

démontrera à présent, à titre très subsidiaire, que l'application de
l'article80 par. devrait en tout état de cause mener la Courà ne pas

joindre lesdemandes ougandaises à l'instanceprincipale, et ce en raison

de considérations d'opportunité qui s'avèrent particulièrement
décisivesdansle cas d'espèce.

70. Aux termes de l'article80par.3 du Règlement,

«[...la Cour, après avoir entendu les parties, décis'iy a lieu
ou non de joindre cette demande à l'instance principale»
(soulignépar la Républiquedémocratiquedu Congo).

L'expression soulignée montre bien l'étendue du pouvoir

discrétionnairede la Cour en la matière. Ilest évident que ce pouvoir
s'exercera d'abord dans le sens d'une vérification de la réunion des

conditions posées aux paragraphes 1 et 2 de l'article80 du Règlement,
qu'il s'agisse de prescriptions formelles (par. 2) ou de la condition de

<<connexité directe» (par. 1). Au-delà de cette vérification d'ordre
technique, la Cour peut cependant prendre en compte desconsidérations qui relèvent de l'opportunité et qui se rattachent aux
exigences d'une bonne administration de lajustice. L'accentsur ce type

de considérationsavait déjàété mis par lePrésident Anzilotti :

<(Ily a [...]des cas dans lesquels la demande du défendeur est
tellement connexe avec celle du demandeur principal qu['] il
importe, comme une véritable raisonde justice, que le
demandeur n'obtienne ce qu'il prétend lui êtredû qu'à moins
d'êtreen mêmetemps obligé d'exécuter l'obligationqu'il a
envers le défendeur » (D. ANZILOTTI, «La demande
reconventionnelleen procédure internationale >>loc.cit.,p. 87;
soulignépar la Républiquedémocratiquedu Congo).

Cette préoccupation se retrouve dans toute la jurisprudence des deux

Cours. Ainsi, des observationsde la C.P.J.I.dans l'affaire de l'Usinede
Chorzow, <apparaît clairement la notion d'une connexitéentre les deux

demandes, de telle nature qu'iln'aurait éténi opportun ni équitablede

statuer sur la demande de l'Allemagne sans statuer en même temps sur
la demande de la Pologne » (ibid.p. 872 ;soulignépar la République

démocratique du Congo). Plus récemment, la Cour a rappelé dans

l'affaire relativà l'Applicationde la conventionpour la prévention etla
répressiondu crimedegénocide que l'objectifde cette procédure incidente

consiste essentiellement dans laréalisationd'

« une économiede procès tout en permettant au juge d'avoir
une vue d'ensemble des prétentions respectives des parties et
destatuer defaçonplus cohérente »,

en insistant sur le fait que « la recevabilité des demandes
reconventiomelles est nécessairement fonction des buts ainsi

poursuivis » (C.I.J., Recueil 1997, p. 257, par. 30; souligné par la
Républiquedémocratiquedu Congo).71. En l'occurrence, età supposer mêmeque la Cour considère
qu'une ou plusieurs des demandes précitéesremplissent formellement

lesconditions de l'article80par.1et 2, iexiste de sérieuses raisons qui
s'opposent à une jonction à l'instance principale de l'ensemble des

demandes présentées par l'Ouganda. Cettejonction amènerait la Cour
comme les parties àenvisager sous un même ensemble des questions

radicalement distinctes, mettant en jeu des règles juridiques très

différentes, et renvoient à des faits qui sont survenus durant des
périodes parfois éloignéesles unes des autres. On peut pour le moins

douter que l'examen de standard minimum de traitement dû aux
étrangers, de respect du dialogue national congolais, ou de relations

entre la République démocratique du Congo et l'organisation des

Nations Unies dans le cadre du déploiement de la MONUC, soient de
nature à atteindre l'objectif fondamental de simplification de la

procédure. Les exigences de cohérence et de simplification dictent
plutôt de s'en tenir aux questions directement liées à l'objet de la

requêteinitiale de la République démocratique du Congo, qui porte
essentiellement sur le principe et les modalitésdes actions militaires et

paramilitaires de l'Ouganda en territoire congolais. Dans cette

perspective,iln'estni utilni opportun de se prononcer sur la question
de l'intervention éventuelledu Zaïre dans les affaires intérieures de

l'Ouganda qui a eu lieuà une époque révolue,sur celledes prétendues
attaques contre lesbâtiments et le personnel diplomatiquesougandais à

Kinshasa, ou encore sur le problème délicatde la violation éventuelle
des accords de Lusaka par l'un ou l'autre des parties.A cet égard,on rappellera que :

- 1". l'examen, probablement fastidieux, de ces problématiques

n'entraînera absolument aucun avantage pour le traitement de la
question portée à la Cour par la République démocratique du

Congo : àsupposer mêmeque ses prétentions soient retenues,
l'Ouganda ne pourrait se voir exonéréde sa responsabilité ni par

une éventuelle agression dont il aurait été victime pendant la
période antérieure à mai 1997,ni par les éventuelles violations du

droit international commises par les autorités congolaises à
l'encontre de son personnel diplomatique, ni par une prétendue

violation des accords de Lusaka qui aurait eu lieu au moins un an
aprèsle débutde l'agression ougandaise ;

- 2".cet alourdissement considérablede la procédure se révèlerait

d'autant plus excessifet disproportionné qu'ilne pourrait aboutir,
toujours par hypothèse, qu'à des prononcés purement

déclaratoires, l'Ouganda ne demandant pas réparation des
dommages qui auraient éventuellement résulté des prétendues

violations du droit international dont il auraiété la victime (v.ci-
dessus, 1,sp.par. 14-18);

- 3". admettre la recevabilitéde semblables demandes porterait
atteinte au droit de la Républiquedémocratiquedu Congo de voir

la question qu'ila poséetraitéele plus rapidement possible par la
Cour, dans la mesure où la jonction au principal des demandes

présentée par l'Ouganda ne pourrait se traduire que par un

allongement considérable des délais à chacune des étapes de la
procédure ;

- 4". le caractèreirrecevable à ce stade des demandes présentées
par l'Ouganda n'empêche nullement ce dernier d'introduire

ultérieurementune requêteintroductive d'instance portant sur ces
différentescatégoriesd'événementsa ,vec toutes les garanties que

celapeut présenternotamment en termes de définition précisede
l'objetdu différendet de la nature de la demande.72. Il existe me dernière raison, qui dépasse de loin les
particularités du cas d'espèce, pour laquelle il serait inopportun de

déclarerrecevables les prétentionsougandaises. Comme la République
démocratique du Congo l'adéjà signalé,il n'existe aucun précédent

dans l'histoire de la C.I.J. comme de la C.P.J.I. dans lequel un Etat

défendeur auraitprésenté au titre de demandes reconventionnelles des
prétentionsaussi vagues et indéterminées,que ce soit par rapport à ce

qu'il est demandé à la Cour de dire et juger ouà la question essentielle
de la réparation (ci-dessus, par.7). De même,il n'existe assurément

aucun précédent où des demandes incidentes présentant aussi peu de
rapports avec l'objet de la requête principale aient introduites (ci-

dessus, IIIIV etV). Dans ces circonstances, la présente affaire acquiert

une valeur décisiveet fondamentale de précédent.Ellepose la question
de p~cipe des limites des droits du défendeur d'utiliser une procédure

qui devrait théoriquement rester exceptionnelle et incidente. Trancher
sans partage en faveur des prétentions ougandaisesreviendrait dans ce

contexte àdonner un signal clairà tous les Etats attraits devant la Cour,
qui ne pourraient percevoir cette acceptation que comme une

ouverture sans limites au droit d'user et d'abuser de la possibilitéde

présenterdes «demandes reconventionnelles ». Ilva de soi que ce type
de dérives ne pourrait, à maints égards, qu'entraver gravement les

exigences d'une bonne administration de la justice.73. Pour tous ces motifs, ilserait particulièrement opportun que la

Cour se limite à ce qui constitue l'objet mêmedu différend entre la
Républiquedémocratique du Congo et l'Ouganda :déterminer qui est

l'agresseur, et qui est en situation de légitimedéfense. C'est en toute
confiance et en toute sérénitéque la République démocratique du

Congo soumet à la Cour son argumentation, et lui demande de

prendre une décisionqui, quel que soit son contenu, fera date dans
l'histoire de la jurisprudence internationale.l ne s'agit rien moins que

de confirmer, ou d'infirmer le principe selon lequel « la demande
reconventionnelle n'est etne peut être qu'uneexception à la règle» qui

veut que les demandes sont présentées devant la Cour par voie de

requête (D.ANZILOTTI, « La demande reconventionnelle en procédure
internationale», loc.cif.,p. 8;v. aussipp. 868et 870).VI1 . En tout état de cause, une éventuelle décision de la Cour de
joindre une ou vlusieurs demandes reconventionnelles à l'instance

ale ne vorte vas atteinte au droit de la Révublique
démocratique du Con O de soulever d'éventuelles exceptions

préliminaires dans sa ré~liaue.

74. La décision à laquelle la Cour arriverait éventuellement, en

application de l'article80 par. 3du Règlement,de joindre tout ou partie
des demandes reconventionnelles formulées par l'Ouganda

emporterait des conséquences procéduralesparticulières. En pareille
hypothèse, en effet, la partie du contre-mémoire du défendeur dans

laquelle sont développées les demandes reconventionnelles est
assimiléeà une nouvelle requête. Ils'en suit logiquement que l'article

79 du Règlement s'applique alors mutafis mutandis, et permet au

défendeur sur demande reconventionnelle de soulever des exceptions
préliminairesà l'encontre des demandes dirigéescontre lui. L'examen

des demandes reconventionnelles auquel la Cour est appelée à se livrer
en application de l'article 80 se limite en effet une analyse de la

recevabilité prima facie de ces demandes en fanf que demandes
reconventionnelles.La décisionque la Cour est invitée à prendre sur

cette question particulière ne peut avoir d'autre portée, et n'a donc

aucunement pour effet, de trancher la question de la recevabilitéde ces
demandes au sens de l'article79 du Règlement et encore moins -c'est

l'évidencemême- cellede leur bien-fondé. Comme la Cour a pris le
soin de le précisersystématiquement dans sa jurisprudence récente en

la matière,

«une décision rendue sur la recevabilité d'une demande
reconventionnelle compte tenu des exigences formulées à l'article
80du Règlementne saurait préjugeraucune questiondont la Cour
auraità connaître dans la suite de la procédur>(affairerelativeà
l'Applicationdela convention pourla préventionet larépressiondu
crime de génocide,C.I.J., Recueil1997,p. 259, par. 3;affaire des
Plates-formespétrolière,.I.J.,Recueil1998,p. 205,par41 ;souligné
par la République démocratiquedu Congo).

Cette portée limitée des décisionspar lesquelles la Cour décide de
joindreà l'instance une ou plusieurs demande@) reconventionnelle(s) ad'ailleurs très tôt étémise en évidence par la doctrine. Dès 1930,
Anzilotti attirait ainsil'attention sur le fait que

<<[d]u principe posé que la demande reconventionnelle est une
action autonome du défendeurcontre le demandeur, il résulteque
celui-ci peut se comporter vis-à-vis de la demande
reconventionnelle, bien que proposée dans le contre-mémoire,
comme 1'Etatappelé en justice sur requête unilatérale peut se
comporter vis-à-vis de celle-ci. Ilpeut, par exemple,soulever les
exceptionspréliminaires[..]. Iidemeure entendu que l'exception
doit êtresoulevée dans le délaifixépour la présentation de la
répliqueet donnera lieu à la procédure incidente prévue par ledit
article, l'instance principale se trouvant suspendue pendant ce
temps » (D. ANZILOTT'I, « La demande reconventionnelle en
procédure internationale », loc.cit., pp. 875-876, souligné par la
Républiquedémocratiquedu Congo ; v. e.a. dans le mêmesens
RaoulGENET,loc.cit.,p. 171).

75. L'hypothèse inverse serait évidemment particulièrement

défavorable au demandeur original, puisque la Cour trancherait alors
de manière sommaire des questions décisives,sans qu'il ait été procédé

à un échangeapprofondi d'écritures,et, éventuellement (comme ce fut
systématiquement le cas jusqu'ici),sans procédure orale (v. e.a.à ce

sujet les observations formulées par le juge Oda dans son opinion

individuellejointeà l'ordonnance du 10mars 1998rendue par la Cour
dans l'affairedes Plates-formpétrolières,.I.J., Recueil98,p. 215,par.

9).

76. Dans les présentes observations, la République démocratique
du Congo a évoquéplusieurs questions touchant à la recevabilité de

certaines des demandes présentées comme reconventionnelles par

l'Ouganda (en cequi a trait, par exemple,àla forclusion), sans toutefois
les approfondir à ce stade. La Républiquedémocratique du Congo se

réserveévidemmentle droit de soulever en tant que de besoin dans sa
réplique toute exception préliminairepertinente à l'encontre de la ou

des demande(s) que la Cour aurait éventuellement décidé de joindre à
l'instance.Conclusions

75. En conclusion, pour tous les motifs de fait et de droit énoncés

dans les présentesobservations, la Républiquedémocratique du Congo
prie la Cour de dire etjuger que les prétentions avancéespar l'Ouganda

dans son contre-mémoire sont irrecevables en tant que demandes

reconventionnelles :

-parce qu'ellesne remplissent pas les conditions de forme requises par
l'article80par.2 du Règlementde la Cour ;

- subsidiairement, pour les prétentions concernant respectivement la

prétendue agression perpétrée parl'Etatcongolais avant mai 1997,les

prétendues attaques à l'encontre des bâtiments et du personnel
diplomatique ougandais à Kinshasa, et les prétendues violations des

accords de Lusaka, parce qu'elles ne remplissent pas la condition de
<<connexitédirecte » requise par l'article80 par. 1 du Règlement de la

Cour ;

-trèssubsidiairement, et en tout étatde cause, parce qu'il n'ya pas lieu

d'opérerlajonction au fond de l'ensemble des prétentions ougandaises
en application de l'article80par.3 du Règlement de la Cour, en raisons

de considérations d'opportunité liées aux impératifs d'une bonne
administration de lajustice.

Le 25 juin 2001

Michel Lion,

Agent de la Républiquedémocratiquedu Congo

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Observations écrites de la République démocratique du Congo sur la question de la recevabilité des demandes reconventionnelles présentées par l'Ouganda

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