Résumé de l'arrêt du 27 janvier 2014

Document Number
17958
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Number (Press Release, Order, etc)
2014/1
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COUR INTERNATIONALE DE JUSTICE
Palais de la Paix, Carnegieplein 2, 2517 KJ La Haye, Pays-Bas
Tél : +31 (0)70 302 2323 Télécopie : +31 (0)70 364 9928
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Résumé
Document non officiel

Résumé 2014/1
Le 27 janvier 2014

Différend maritime (Pérou c. Chili)

Résumé de l’arrêt du 27 janvier 2014

Chronologie de la procédure (par. 1-15)

La Cour rappelle que, le 16 janvier 2008, la République du Pérou (dénommée ci-après le
«Pérou») a déposé au Greffe de la Cour une requête introductive d’instance contre la République
du Chili (dénommée ci-après le «Chili») au sujet d’un différend portant, d’une part, sur «la
délimitation de la frontière entre les zones maritimes des deux Etats dans l’océan Pacifique, à partir
d’un point situé sur la côte [et] appelé Concordia, … point terminal de la frontière terrestre telle
qu’établie conformément au traité … du 3 juin 1929», et, d’autre part, sur la reconnaissance de
l’appartenance au Pérou d’une «zone maritime qui, située dans la limite de 200 milles marins de la

côte du Pérou», devrait donc lui revenir, «mais que le Chili considère comme faisant partie de la
haute mer».

I. GÉOGRAPHIE (par. 16)

La zone dans laquelle doit être effectuée la délimitation sollicitée est située dans l’océan
Pacifique. Dans cette région, à partir du point de départ, sur la côte pacifique, de la frontière
terrestre entre les Parties, la côte péruvienne prend la direction du nord-ouest, tandis que la côte
o
chilienne suit généralement une orientation nord-sud. (Voir croquis n 1 : Contexte géographique.)

II. ONTEXTE HISTORIQUE (par. 17-21)

Ayant rappelé succinctement les faits historiques présentant un intérêt en l’espèce, la Cour
fait observer plus particulièrement que la frontière terrestre entre le Pérou et le Chili fut fixée dans
le traité de Lima de 1929. Elle relève également que, en 1947, chacune des Parties proclama
unilatéralement certains droits en mer sur une distance de 200 milles marins depuis ses côtes (les

textes en cause sont ci-après dénommés les «proclamations de 1947»). La Cour rappelle ensuite
que, dans les années qui suivirent, le Chili, l’Equateur et le Pérou négocièrent douze instruments
auxquels les Parties ont fait référence en l’espèce. Quatre d’entre eux, dont la déclaration sur la
zone maritime, dénommée «déclaration de Santiago», furent adoptés en août 1952 au cours de la
conférence sur l’exploitation et la conservation des ressources maritimes du Pacifique Sud.
Six autres, dont la convention complémentaire à la déclaration de Santiago, la convention relative
aux mesures de surveillance et de contrôle dans les espaces maritimes des pays signataires et
l’accord relatif à une zone frontière maritime spéciale, furent adoptés à Lima en décembre 1954. - 2 -

Enfin, deux accords portant sur le fonctionnement de la Commission permanente du Pacifique Sud
furent signés à Quito en mai 1967.

III.P OSITIONS RESPECTIVES DES PARTIES (par. 22-23)

La Cour rappelle que, dans la présente affaire, le Pérou et le Chili ont adopté des positions
diamétralement opposées. Le Pérou soutient qu’il n’existe pas de frontière maritime convenue
entre eux et prie la Cour de procéder à la délimitation en utilisant la méthode de l’équidistance afin
de parvenir à un résultat équitable. Le Chili fait valoir quant à lui que la déclaration de Santiago
de 1952 a établi une frontière maritime internationale suivant sur une distance d’au moins
200 milles marins le parallèle de latitude passant par le point de départ de la frontière terrestre le
o
séparant du Pérou, frontière qu’il prie en conséquence la Cour de confirmer. (Voir croquis n 2 :
Frontières maritimes revendiquées respectivement par le Pérou et le Chili.)

Le Pérou soutient par ailleurs que, au-delà du point terminal de la frontière maritime
commune, il peut prétendre à l’exercice de droits souverains exclusifs sur un espace maritime

s’étendant jusquoà 200 milles marins depuis ses lignes de base. (Cet espace maritime est représenté
sur le croquis n 2 en bleu plus foncé.) Le Chili répond que le Pérou n’a droit à aucun espace
maritime au sud du parallèle de latitude que suit, selon le Chili, la frontière maritime internationale.

IV. Q UESTION DE SAVOIR S ’IL EXISTE UNE FRONTIÈRE

MARITIME CONVENUE (par. 24-151)

Afin de résoudre le différend qui lui est soumis, la Cour doit tout d’abord rechercher si,
comme le soutient le Chili, il existe déjà une frontière maritime convenue.

1. Les proclamations chilienne et péruvienne de 1947 (par. 25-44)

La Cour commence par examiner les proclamations de 1947, par lesquelles le Chili et le
Pérou ont revendiqué unilatéralement certains droits en mer sur une distance de 200 milles marins
depuis leurs côtes respectives. Relevant que les Parties sont d’accord pour considérer que les
proclamations de 1947 n’établissent pas, en elles-mêmes, de frontière maritime internationale, la

Cour ne s’y intéresse que pour rechercher si elles permettent de déterminer si et comment les
Parties envisageaient la délimitation d’une future frontière maritime entre elles. Elle fait remarquer
que le libellé des proclamations de 1947 ainsi que leur caractère provisoire ne permettent pas de les
interpréter comme reflétant une manière commune, de la part des Parties, d’envisager la
délimitation maritime. Elle observe également que les proclamations de 1947 entretiennent
certaines similitudes quant aux droits et à la juridiction respectivement revendiqués par les deux

Etats dans les zones maritimes, ce qui rendait nécessaire d’établir, à l’avenir, les limites latérales de
ces zones.

2. La déclaration de Santiago de 1952 (par. 45-70)

La Cour, s’intéressant ensuite à la déclaration de Santiago de 1952, relève qu’il n’est plus
contesté que celle-ci constitue un traité international. Il lui incombe de rechercher si ladite
déclaration a établi une frontière maritime entre les Parties. Pour cela, elle applique les règles
d’interprétation reconnues en droit international coutumier, tel que reflété dans la convention de
Vienne sur le droit des traités. Elle examine tout d’abord le sens ordinaire à attribuer aux termes de

la déclaration de Santiago de 1952 dans leur contexte. Elle fait observer que le texte de la
déclaration ne contient aucune référence expresse à la délimitation des frontières maritimes entre
les espaces générés par les côtes continentales des Etats parties. Elle observe néanmoins que la
déclaration de Santiago contient certains éléments pertinents pour la question de la délimitation - 3 -

maritime. Après examen des paragraphes de la déclaration qui présentent un intérêt en l’espèce,
elle conclut toutefois que ceux-ci ne font qu’établir l’accord des Parties concernant les limites entre

certaines zones maritimes générées par des îles et celles générées par les côtes continentales qui
sont contiguës à ces zones maritimes insulaires.

La Cour examine ensuite l’objet et le but de la déclaration de Santiago de 1952, relevant que
son préambule est axé sur la conservation et la protection des ressources naturelles des Parties dans
l’intérêt de leur développement économique, par l’extension de leurs espaces maritimes.

La Cour ajoute qu’elle n’a pas, en principe, besoin de recourir à des moyens

complémentaires d’interprétation, tels que les travaux préparatoires de la déclaration de Santiago
de 1952 et les circonstances dans lesquelles elle a été conclue, pour en déterminer le sens.
Cependant, comme dans d’autres affaires, la Cour a examiné les éléments en question, qui
confirment l’interprétation qu’elle a donnée ci-dessus de la déclaration de Santiago de 1952.

La Cour fait toutefois observer que divers facteurs, comme la proposition initialement
présentée par le Chili lors de la conférence de 1952 (qui semblait destinée à opérer une délimitation

générale des zones maritimes suivant des limites latérales) et l’utilisation du parallèle comme limite
de la zone maritime générée par une île appartenant à l’un des Etats parties et située à moins de
200 milles marins de la zone maritime générale d’un autre Etat partie, laissent supposer que les
Etats parties ont pu, dans une certaine mesure, partager une manière commune et plus générale
d’envisager la question de leurs frontières maritimes.

La Cour conclut que, contrairement à ce que soutient le Chili, la déclaration de Santiago
de 1952 n’a pas établi entre ce dernier et le Pérou de frontière maritime latérale suivant, vers le

large, le parallèle passant par le point terminal de leur frontière terrestre.

3. Les divers accords de 1954 (par. 71-95)

La Cour se penche ensuite sur les accords adoptés par le Pérou et le Chili en 1954 et que ce
dernier invoque pour étayer son argument selon lequel le parallèle de latitude constitue la frontière
maritime.

Parmi les accords adoptés en 1954, le Chili signale en particulier la convention
complémentaire à la déclaration de Santiago de 1952, la convention relative aux mesures de
surveillance et de contrôle dans les espaces maritimes des pays signataires et l’accord relatif à une
zone frontière maritime spéciale. De l’avis de la Cour, il est bien établi que le projet de convention
complémentaire était le principal texte auquel s’intéressaient le Chili, l’Equateur et le Pérou à la
veille de la session de la Commission permanente du Pacifique Sud et de la conférence

interétatique de Lima, dans les derniers mois de 1954. Etant donné les protestations élevées par
plusieurs Etats à l’encontre de la déclaration de Santiago de 1952, l’objectif premier de cette
convention consistait, pour le Chili, l’Equateur et le Pérou, à affirmer, en particulier à l’endroit des
principales puissances maritimes, la revendication de souveraineté et de juridiction, sur une
distance minimale de 200 milles marins à partir de leurs côtes, faite conjointement en 1952. Elle
visait également à aider à la préparation d’une défense commune de cette revendication à
l’encontre des protestations de ces Etats. De l’avis de la Cour, il ne s’ensuit pas, toutefois, que
l’«objectif premier» était le seul, et encore moins qu’il ait déterminé le seul résultat des réunions et

de la conférence interétatique de 1954.

Le Chili tente en outre de s’appuyer sur un autre des accords de 1954, à savoir la convention
relative aux mesures de surveillance et de contrôle dans les espaces maritimes des pays signataires.
Toutefois, la Cour conclut que ce texte ne fournit aucune indication quant à l’emplacement ou à la
nature des limites de ces espaces. - 4 -

La Cour examine ensuite l’accord de 1954 relatif à une zone frontière maritime spéciale,
signé par le Chili, l’Equateur et le Pérou, qui crée une zone de tolérance s’étendant à partir d’une

distance de 12 milles marins depuis la côte, sur «une largeur de 10 milles marins de part et d’autre
du parallèle qui constitue la frontière maritime». Cette zone était censée bénéficier aux navires de
petite taille et mal équipés, et visait à éviter les «frictions entre les pays intéressés» en raison des
violations de la frontière maritime commises par inadvertance par ces embarcations. La Cour
observe tout d’abord qu’il n’y a rien dans ledit accord qui pourrait limiter sa portée à la seule
frontière maritime entre l’Equateur et le Pérou. Elle relève en outre que le temps mis par le Chili à
ratifier cet accord puis à le présenter en vue de son enregistrement est sans incidence sur la portée

et les effets de l’accord. Une fois ratifié par le Chili, l’accord est devenu obligatoire à son égard.
Enfin, la Cour signale que, même si les dispositions et l’objectif de l’accord de 1954 relatif à une
zone frontière maritime spéciale étaient étroits et spécifiques, telle n’est pas la question qu’elle doit
examiner à ce stade. Elle doit plutôt s’attacher à un point essentiel, à savoir l’existence d’une
frontière maritime. Et sur ce point, elle observe que la formulation de l’accord de 1954 relatif à
une zone frontière maritime spéciale, en particulier celle de l’article premier, considéré à la lumière
du préambule, est claire : elle reconnaît, dans le cadre d’un accord international contraignant,

qu’une frontière maritime existe déjà.

Toutefois, la Cour relève que l’accord de 1954 relatif à une zone frontière maritime spéciale
n’indique pas quand ni par quels moyens cette frontière a été agréée. Elle considère donc que la
reconnaissance expresse de l’existence d’une frontière maritime par les Parties repose
nécessairement sur un accord tacite intervenu entre elles auparavant. A cet égard, elle rappelle que,
comme elle l’a indiqué précédemment, certains éléments des proclamations de 1947 et de la

déclaration de Santiago de 1952 laissent supposer que la manière dont les Parties envisageaient leur
frontière maritime avait évolué. Dans une affaire précédente, lorsqu’elle a reconnu que
«[l]’établissement d’une frontière maritime permanente est une question de grande importance», la
Cour a souligné que «[l]es éléments de preuve attestant l’existence d’un accord tacite doivent être
convaincants» (Différend territorial et maritime entre le Nicaragua et le Honduras dans la mer des
Caraïbes (Nicaragua c. Honduras), arrêt, C.I.J. Recueil 2007 (II), p. 735, par. 253). En l’espèce, la
Cour a devant elle un accord qui montre clairement qu’il existait déjà entre les Parties une frontière
maritime suivant un parallèle. L’accord de 1954 est un élément décisif à cet égard. Il a pour effet

de consacrer l’accord tacite en question.

La Cour observe en outre que l’accord de 1954 relatif à une zone frontière maritime spéciale
ne donne aucune indication de la nature de la frontière maritime. Il n’en précise pas davantage
l’étendue, mais ses dispositions montrent clairement qu’elle se poursuit au-delà de 12 milles marins
depuis la côte.

La Cour rappelle ensuite que, dans ce contexte, les Parties se sont également référées à l’avis
rédigé en 1964 dans lequel M. Raúl Bazán Dávila, chef du service juridique du ministère chilien
des relations extérieures, abordait la question de savoir s’il existait un accord spécifique sur la
délimitation maritime entre les deux Etats. La Cour ne trouve rien, que ce soit dans l’avis rédigé
par M. Bazán en réponse à une demande de la direction de la délimitation concernant «la
délimitation de la frontière entre les mers territoriales respectives du Chili et du Pérou» ou dans le
fait qu’un tel avis ait été demandé, qui l’incite à revenir sur la conclusion à laquelle elle est

parvenue, à savoir qu’en 1954 les Parties reconnaissaient qu’il existait une frontière maritime
convenue.

4. Les arrangements de 1968-1969 relatifs aux phares (par. 96-99)

La Cour examine ensuite les arrangements que les Parties ont conclus en 1968-1969 et qui
prévoyaient la construction d’un phare par chacune d’elles, «au point où la frontière commune
aboutit en mer, près de la borne numéro un». La Cour estime que l’objectif et la portée

géographique de ces arrangements étaient limités, comme le reconnaissent d’ailleurs les Parties. - 5 -

Elle observe également que la documentation relative au processus ayant conduit à la conclusion

des arrangements et à la construction des phares ne contient aucune référence à un quelconque
traité de limites préexistant. Ce que la Cour juge important, toutefois, c’est que les arrangements
sont fondés sur la préexistence d’une frontière maritime suivant le parallèle au-delà de
12 milles marins. A l’instar de l’accord de 1954 relatif à une zone frontière maritime spéciale, ils
confirment l’existence d’une telle frontière maritime, mais, pas plus que cet accord, ils n’en
indiquent l’étendue ou la nature.

5. La nature de la frontière maritime convenue (par. 100-102)

Ayant conclu que les Parties avaient reconnu l’existence d’une frontière maritime, la Cour
doit en déterminer la nature, à savoir s’il s’agit d’une frontière maritime unique valant pour la
colonne d’eau comme pour les fonds marins et leur sous-sol, ou si elle vaut seulement pour la
colonne d’eau. Elle souligne que l’accord tacite constaté par l’accord de 1954 relatif à une zone

frontière maritime spéciale doit être compris dans le contexte des proclamations de 1947 et de la
déclaration de Santiago de 1952. Elle fait observer que ces textes portaient revendication des fonds
marins, ainsi que des eaux surjacentes et de leurs ressources, et que, à cet égard, aucune distinction
n’était faite par les Parties, à l’époque ou par la suite, entre ces espaces. En conséquence, elle
conclut que la frontière maritime a vocation générale.

6. L’étendue de la frontière maritime convenue (par. 103-151)

La Cour en vient ensuite à la détermination de l’étendue de la frontière maritime convenue.
Pour ce faire, elle examine la pratique suivie par les Parties au début et au milieu des années 1950,
puis le contexte plus large, en particulier l’évolution du droit de la mer à cette époque. Elle
s’intéresse également à d’autres éléments, pour l’essentiel postérieurs à 1954, de la pratique suivie
par les Parties.

Abordant pour commencer le potentiel et l’activité halieutiques, la Cour rappelle que
l’accord de 1954 relatif à une zone frontière maritime spéciale avait un objectif étroit et spécifique :
la frontière maritime existante y est mentionnée à une fin particulière, à savoir l’établissement
d’une zone de tolérance pour les activités de pêche pratiquées au moyen de navires de petite taille.
En conséquence, il faut considérer que la frontière maritime dont il reconnaît l’existence, suivant
un parallèle, s’étend nécessairement au moins jusqu’à la distance de la côte correspondant,

à l’époque considérée, aux activités en question.

Dans ce contexte, la Cour observe que les informations auxquelles les Parties se réfèrent
montrent que les espèces pêchées au début des années 1950 se trouvaient généralement dans un
rayon de 60 milles marins de la côte. Elle prend également note de l’orientation de la côte dans
cette région et de l’emplacement des principaux ports des Parties à l’époque.

La Cour rappelle que l’objet de l’accord de 1954 relatif à une zone frontière maritime
spéciale était d’établir une zone de tolérance le long du parallèle pour les petites embarcations de
pêche ne disposant que d’équipements insuffisants. Les bateaux partant d’Arica (port chilien situé
à 15 km seulement au sud du point terminal de la frontière terrestre) dans une
direction ouest-nord ouest afin de pêcher les espèces susmentionnées dans un rayon de
60 milles marins de la côte — laquelle suit essentiellement une direction nord-sud en cet endroit —

franchiraient le parallèle de latitude en un point situé à une distance maximale
d’environ 57 milles marins du point de départ de la fronosère maritime. Dans cette région, la côte
s’infléchit nettement vers le nord-ouest (voir croquis n 1 et 2), de sorte que, du côté péruvien, les
bateaux de pêche quittant Ilo (port situé à environ 120 km au nord-ouest du point terminal de la
frontière terrestre) et se dirigeant vers le sud-ouest dans le rayon où se trouvent lesdites espèces, - 6 -

franchiraient pour leur part le parallèle de latitude en un point situé à une distance maximale
d’environ 100 milles marins du point de départ de la frontière maritime.

La Cour précise qu’elle n’attache que peu d’importance à la connaissance que les Parties
avaient de l’étendue probable ou éventuelle des ressources marines jusqu’à 200 milles ou à
l’ampleur qu’allait prendre pour elles l’industrie de la pêche au cours des années à venir. Les
données relatives aux captures montrent que les activités halieutiques menées au début des
années 1950 se résumaient principalement à la pêche pratiquée au moyen de navires de petite taille
tels que les embarcations spécifiquement mentionnées dans l’accord de 1954 relatif à une zone

frontière maritime spéciale et censées bénéficier des arrangements de 1968-1969 sur les phares.

La Cour rappelle en outre que, étant donné la vocation générale de la frontière maritime, les
éléments de preuve relatifs aux activités halieutiques ne sauraient, en eux-mêmes, être décisifs en
ce qui concerne l’étendue de cette frontière. Ce nonobstant, ces activités semblent indiquer qu’il
est peu probable que les Parties, à l’époque où elles ont reconnu l’existence d’une frontière
maritime convenue entre elles, envisageaient celle-ci comme s’étendant jusqu’à la limite des
200 milles marins.

Après avoir examiné ce contexte spécifique régional, la Cour aborde le contexte plus large
des années 1950, à l’époque de la reconnaissance par les Parties de l’existence de la frontière
maritime. Ce contexte est formé de la pratique des Etats, des études réalisées par la Commission
du droit international et des réactions des Etats ou groupes d’Etats aux propositions formulées par
celle-ci concernant l’instauration d’espaces maritimes au-delà de la mer territoriale et la
délimitation de ces espaces. La Cour remarque que, pendant la période considérée, la proposition

relative aux droits de l’Etat sur les eaux baignant ses côtes qui a été le plus près d’être
généralement acceptée sur le plan international était celle qui prévoyait une mer territoriale de
six milles marins, à laquelle s’ajoutait une zone de pêche de six milles marins et certaines réserves
concernant les droits de pêche établis. Comme la Cour l’a fait observer précédemment, la notion
de zone économique exclusive de 200 milles marins «allait encore mettre de longues années à
s’imposer» (Délimitation maritime en mer Noire (Roumanie c. Ukraine), arrêt, C.I.J. Recueil 2009,
p. 87, par. 70), et il a fallu attendre environ trente ans avant qu’elle soit acceptée de manière

générale dans la pratique et dans la convention des Nations Unies sur le droit de la mer de 1982
(CNUDM). Par ailleurs, la Cour rappelle que, en réponse à une question d’un membre de la Cour,
les Parties ont toutes deux reconnu que la revendication qu’elles avaient formulée dans la
déclaration de Santiago de 1952 n’était pas conforme au droit international d’alors et ne pouvait
être opposée aux Etats tiers, du moins pas à l’époque.

Eu égard aux activités halieutiques des Parties à l’époque, lesquelles s’exerçaient jusqu’à une
distance d’environ 60 milles marins à partir des principaux ports de la région, ainsi qu’à la pratique

d’autres Etats et aux travaux de la Commission du droit international en matière de droit de la mer,
la Cour estime que les éléments dont elle dispose sont insuffisants pour lui permettre de conclure
que la frontière maritime convenue, qui suivait le parallèle, s’étendait au-delà de 80 milles marins
depuis son point de départ.

A la lumière de cette conclusion provisoire, la Cour examine d’autres éléments de la
pratique, pour l’essentiel postérieurs à 1954, qui sont susceptibles de présenter un intérêt pour la

question de l’étendue de la frontière maritime convenue. Elle aborde pour commencer la pratique
législative des Parties, avant de s’intéresser au protocole d’adhésion de 1955 à la déclaration de
Santiago de 1952 et aux mesures d’exécution concernant les navires d’Etats tiers ainsi que les
situations impliquant le Pérou et le Chili. Elle analyse ensuite les arrangements de 1968-1969
relatifs aux phares et les procès-verbaux des négociations que le Chili a entamées avec la Bolivie
en 1975-1976 à propos d’un projet d’échange de territoires destiné à assurer à celle-ci un «accès à
la mer» et un espace maritime adjacent. Elle s’intéresse également aux positions des Parties au

cours de la troisième conférence des Nations Unies sur le droit de la mer, à un mémorandum
transmis le 23 mai 1986 au ministre chilien des relations extérieures par S. Exc. M. Bákula, - 7 -

ambassadeur du Pérou, qui appelait à «la délimitation officielle et définitive des espaces
maritimes» des deux pays, ainsi qu’à la pratique des Parties postérieure à 1986.

La Cour considère que les éléments qu’elle a examinés ne la conduisent pas à modifier la
conclusion provisoire à laquelle elle est parvenue antérieurement. Par conséquent, après examen

de l’ensemble des éléments de preuve pertinents qui lui ont été présentés, elle conclut que la
frontière maritime convenue entre les Parties s’étendait sur une distance de 80 milles marins le long
du parallèle à partir de son point de départ.

V. L E POINT DE DÉPART DE LA FRONTIÈRE MARITIME CONVENUE (par. 152-176)

Ayant conclu à l’existence d’une frontière maritime entre les Parties, la Cour doit définir
l’emplacement du point de départ de cette frontière. Elle rappelle que les deux Parties
reconnaissent que la frontière terrestre qui les sépare a été établie et délimitée il y a plus de
quatre-vingts ans, conformément à l’article 2 du traité de Lima de 1929, qui précise que «la

frontière entre les territoires du Chili et du Pérou … partira[it] d’un point de la côte qui sera[it]
appelé «Concordia», à une distance de dix kilomètres au nord du pont qui enjambe la Lluta». Elle
rappelle en outre que, conformément à l’article 3 du traité de Lima de 1929, la frontière a été
abornée par une commission mixte, la première borne servant à la démarcation de la frontière
terrestre étant la borne n 1. Les Parties ne s’entendent toutefois pas sur l’emplacement exact du
o
point Concordia. Tandis que le Pérou soutient que la borne n 1 n’était pas destinée à marquer le
point de départ de la frontière terrestre convenue, le Chili avance que cette borne constitue le point
de départ de la frontière terrestre. A cet égard, la Cour fait observer que nombre des arguments
présentés par les Parties concernent une question qui ne lui est manifestement pas posée, à savoir
celle de l’emplacement du point de départ de la frontière terrestre, appelé «Concordia» à l’article 2

du traité de Lima de 1929. Elle rappelle que la tâche qui lui incombe est celle de rechercher si les
Parties sont convenues d’un point de départ pour leur frontière maritime et si sa compétence pour
connaître de la question de la frontière maritime n’est pas contestée.

Afin de déterminer le point de départ de la frontière maritime, la Cour examine la

documentation relative au processus ayant conduit à la conclusion des arrangements de 1968-1969
relatifs aux phares, certains éléments de preuve cartographiques soumis par les Parties ainsi que les
éléments de preuve qui lui ont été soumis concernant la pêche et les autres activités en mer dans la
région. Considérant que les deux derniers éléments ne présentent pas d’intérêt pour la question, la
Cour s’intéresse plus particulièrement aux arrangements de 1968-1969 relatifs aux phares. Elle

considère que la frontière maritime que les Parties entendaient signaler ao moyen de ces
arrangements était constituée par le parallèle passant par la borne n 1 et observe que les deux
Parties ont, par la suite, érigé les phares, comme elles en étaient convenues, et signalé ainsi le
parallèle passant par la borne n 1. Dès lors, les arrangements de 1968-1969 relatifs aux phares
attestent de manière convaincante que la frontière maritime convenue suit le parallèle passant par la
o
borne n 1.

Soulignant qu’elle n’est pas appelée à se prononcer sur l’emplacement du point Concordia,
où commence la frontière terrestre, la Cour relève que ce dernier point pourrait ne pas coïncider
avec le point de départ de la frontière maritime, tel qu’il vient d’être défini. Elle note cependant

qu’une telle situation serait la conséquence des accords intervenus entre les Parties.

La Cour conclut que le point de départ de la frontière maritime entre les Parties est situé à
l’intersection du parallèle de latitude passant par la borne n 1 avec la laisse de basse mer. - 8 -

VI. L E TRACÉ DE LA FRONTIÈRE MARITIME À PARTIR DU POINT A (par. 177-195)

Ayant conclu qu’il existe entre les Parties une frontière maritime unique agréée et que o
celle-ci part de l’intersection entre le parallèle de latitude passant par la borne frontière n 1 et la
laisse de basse mer, pour suivre ce parallèle sur 80 milles marins (jusqu’au point A), la Cour en
vient à déterminer le tracé de la frontière maritime au-delà de cette distance.

La Cour se fonde sur les dispositions du paragraphe 1 des articles 74 et 83 de la CNUDM,
lesquels, comme elle l’a reconnu, reflètent le droit international coutumier (Délimitation maritime
et questions territoriales entre Qatar et Bahreïn (Qatar c. Bahreïn), fond, arrêt, C.I.J. Recueil 2001,
p. 91, par. 167 ; Différend territorial et maritime (Nicaragua c. Colombie), arrêt, C.I.J. Recueil
2012 (II), p. 674, par. 139). Le libellé de ces dispositions est identique, à cette différence près que
l’article 74 concerne la zone économique exclusive et l’article 83, le plateau continental. Elles se

lisent comme suit :

«La délimitation de la zone économique exclusive [du plateau continental] entre
Etats dont les côtes sont adjacentes ou se font face est effectuée par voie d’accord
conformément au droit international tel qu’il est visé à l’article 38 du Statut de la Cour
internationale de Justice, afin d’aboutir à une solution équitable.»

La Cour rappelle que, pour parvenir à une solution équitable, elle a habituellement recours à
une méthode comportant trois étapes. Premièrement, elle trace, sauf raisons impératives contraires,
une ligne d’équidistance provisoire. Dans un deuxième temps, elle examine s’il existe des
circonstances pertinentes pouvant appeler l’ajustement de cette ligne pour parvenir à un résultat
équitable. La troisième étape consiste à rechercher si la ligne, une fois ajustée, a pour effet de créer

une disproportion marquée entre les espaces maritimes attribués à chacune des parties dans la zone
pertinente, par rapport à la longueur de leurs côtes pertinentes (Délimitation maritime en mer Noire
(Roumanie c. Ukraine), arrêt, C.I.J. Recueil 2009, p. 101-103, par. 115-122 ; Différend territorial et
maritime (Nicaragua c. Colombie), arrêt, C.I.J. Recueil 2012 (II), p. 695-696, par. 190-193).

En l’espèce, la délimitation de la zone maritime doit partir du point terminal de la frontière

maritime convenue, laquelle s’étend, ainsi que la Cour l’a dit, sur 80 milles marins (point A).
Faisant référence à sa jurisprudence, la Cour explique que, dans la pratique, un certain nombre de
délimitations ont été opérées à partir d’un point situé, non pas sur la laisse de basse mer, mais au
large, en raison d’un accord préexistant entre les parties. La situation qui se présente à la Cour en
l’espèce est toutefois inhabituelle en ce que le point de départ de la délimitation est beaucoup plus
éloigné du littoral, soit à 80 milles marins du point le plus proche sur la côte chilienne et à environ

45 milles marins du point le plus proche sur la côte péruvienne.

La Cour entreprend ensuite la première étape de la méthode qu’elle applique habituellement
et procède à la construction d’une ligne d’équidistance provisoire à partir du point terminal de la
frontière maritime existante (point A). Pour construire cette ligne, elle doit tout d’abord choisir des
points de base appropriés. Compte tenu de l’emplacement du point A, situé sur le parallèle à une

distance de 80 milles marins de la côte, le point de base initial le plus proche sur la côte chilienne
se trouve près du point de départ de la frontière maritime entre le Chili et le Pérou et, sur la côte
péruvienne, au point où un arc de cercle de 80 milles marins de rayon tracé à partir du point A
croise la côte péruvienne. Pour la construction de la ligne d’équidistance provisoire, seuls les
points de la côte péruvienne qui se trouvent à plus de 80 milles marins du point A peuvent être mis
en rapport avec des points situés à une distance équivalente sur la côte chilienne. L’arc de cercle
o
représenté sur le croquis n 3 sert à déterminer le premier point de base péruvien. Les autres points
de base devant servir à la construction de la ligne d’équidistance provisoire sont ceux qui sont les
plus avancés vers le large parmi les points de la côte «les plus proches de la zone à délimiter»
(Délimitation maritime en mer Noire (Roumanie c. Ukraine), arrêt, C.I.J. Recueil 2009, p. 101,
par. 117). Ces points de base sont situés au nord-ouest du point de base initial sur la côte
péruvienne et au sud du point de base initial sur la côte chilienne. Aucun des points de la côte - 9 -

péruvienne situés au sud-est du point initial sur celle-ci ne peut être mis en rapport avec un point

sur la côto chilienne, puisqu’ils se trouvent à moins de 80 milles marins du point A (voir
croquis n 3 : Construction de la ligne d’équidistance provisoire).

La ligne d’équidistance provisoire ainsi construite est presque droite, reflétant le caractère
régulier des deux côtes, et suit une direction générale sud-ouest, jusqu’à atteindre la limite des
200 milles marins mesurée à partir des lignes de base chiliennes (point B). Au-delà de ce point, les
projections des côtes des Parties sur une distance de 200 milles marins ne se chevauchent plus.

Avant de poursuivre l’application de la méthode habituelle, la Cour rappelle que, au second
point de ses conclusions, le Pérou la prie de dire et juger que, au-delà du point terminal de la
frontière maritime commune, il peut prétendre à l’exercice de droits souverains sur l’espace
maritime s’étendant jusqu’à 200 milles marins depuis ses lignes de base (cette prétention concerne
la zone représentée sur le croquis n 2 en bleu plus foncé). Le Chili répond que la déclaration de
Santiago de 1952 établit une frontière latérale unique pour tous les espaces maritimes, existants ou

à venir, des Etats parties, invoquant à cet égard la référence, au paragraphe II de ladite déclaration,
à une distance de «200 milles marins au moins». La Cour ayant déjà conclu que la ligne frontière
convenue qui suit le parallèle de latitude s’arrête à 80 milles marins des côtes, l’argument du Chili
est dépourvu de fondement. En outre, puisqu’elle a décidé qu’elle délimiterait les espaces
maritimes auxquels les Parties peuvent prétendre dans la zone de chevauchement en traçant une
ligne d’équidistance, le second point des conclusions du Pérou est devenu sans objet et il n’est pas

nécessaire pour la Cour d’y statuer.

Reprenant l’application de sa méthode habituelle, la Cour rappelle que, au large du point B,
les limites des 200 milles marins des espaces auxquels les Parties peuvent prétendre, délimités sur
la base de l’équidistance, ne se chevauchent plus. Elle observe que, à partir du point B, la limite
des 200 milles marins des espaces maritimes auxquels le Chili peut prétendre suit une direction
générale sud. Le dernier segment de la frontière maritime s’étend donc du point B au point C, soit

l’intersection des limites des 200 milles marins des espaces maritimes auxquels les Parties peuvent
prétendre.

Il incombe ensuite à la Cour, à la deuxième étape de sa méthode habituelle, de rechercher s’il
existe des circonstances pertinentes exigeant l’ajustement de la ligne d’équidistance provisoire afin,
comme il y a lieu de le rappeler, de parvenir à un résultat équitable. En l’espèce, la ligne
d’équidistance évite toute amputation excessive des projections en mer de l’un ou l’autre des Etats

et le dossier soumis à la Cour ne révèle aucune circonstance pertinente. Il n’existe donc aucune
raison d’ajuster la ligne d’équidistance provisoire.

La troisième étape consiste à rechercher si la ligne d’équidistance provisoire tracée à partir
du point A produit une disproportion marquée dans le partage de la zone pertinente par rapport à la
longueur des côtes pertinentes, l’objectif étant de vérifier le caractère équitable du résultat.

Comme la Cour l’a relevé précédemment, l’existence d’une frontière convenue suivant le
parallèle de latitude sur une distance de 80 milles marins constitue une situation inhabituelle.
L’existence de cette ligne rendrait difficile, voire impossible, le calcul de la longueur des côtes
pertinentes et de l’étendue de la zone pertinente si la Cour devait, comme elle le fait
habituellement, procéder à un calcul mathématique de proportionnalité. Elle rappelle qu’il lui est
arrivé par le passé, en raison des difficultés pratiques posées par les circonstances particulières de

l’affaire, de ne pas procéder à ce calcul. Elle a observé plus récemment que, à cette dernière étape
du processus de délimitation, le calcul ne vise pas à la précision et reste approximatif, et que
«[l]’objet de la délimitation est de parvenir à un résultat équitable et non à une répartition égale
des espaces maritimes» (Délimitation maritime en mer Noire (Roumanie c. Ukraine), arrêt,
C.I.J. Recueil 2009, p. 100, par. 111). En pareil cas, la Cour procède à une évaluation globale de la
proportionnalité. Les circonstances inhabituelles de l’espèce conduisent la Cour à suivre la même - 10 -

voie et à conclure à l’absence de disproportion marquée évidente qui soit susceptible de remettre en
question le caractère équitable de la ligne d’équidistance provisoire.

La Cour conclut en conséquence que, à partir du point A, la frontière maritime entre les
deux Parties suit la ligne d’équidistance jusqu’au point B, et longe ensuite la limite des 200 milles
o
marins mesurée à partir des lignes de base du Chili jusqu’au point C (voir croquis n 4 : Tracé de la
frontière maritime).

VII. CONCLUSION (par. 196-197)

La Cour conclut que la frontière maritime entre los Parties part du point d’intersection entre
le parallèle de latitude passant par la borne frontière n 1 et la laisse de basse mer, et longe ce
parallèle sur une distance de 80 milles marins jusqu’au point A. A partir de ce point, elle suit la
ligne d’équidistance jusqu’au point B, puis la limite des 200 milles marins mesurée depuis les
lignes de base du Chili, jusqu’au point C.

Etant donné les circonstances de la présente espèce, la Cour a déterminé le tracé de la
frontière maritime entre les Parties sans en préciser les coordonnées géographiques exactes. Les
Parties ne lui ont d’ailleurs pas demandé de le faire dans leurs conclusions finales. La Cour attend
d’elles qu’elles procèdent à la détermination de ces coordonnées conformément au présent arrêt et

dans un esprit de bon voisinage.

VII. DISPOSITIF (par. 198)

L A COUR ,

1) Par quinze voix contre une,

Décide que le point de départ de la frontière maritime unique délimitant les espaces
maritimes respectifs de la République du Pérou et de la République du Chili est situé à
o
l’intersection du parallèle de latitude passant par la borne frontière n 1 avec la laisse de basse mer ;

POUR : M. Tomka, président ; M. Sepúlveda-Amor, vice-président ; MM. Owada, Abraham,
Keith, Bennouna, Skotnikov, Cançado Trindade, Yusuf, Mmes Xue, Donoghue,
Sebutinde, M. Bhandari, juges ; MM. Guillaume, Orrego Vicuña, juges ad hoc ;

CONTRE : M. Gaja, juge ;

2) Par quinze voix contre une,

Décide que le segment initial de la frontière maritime unique suit, en direction de l’ouest, le
o
parallèle de latitude passant par la borne frontière n 1 ;

POUR : M. Tomka, président ; M. Sepúlveda-Amor, vice-président ; MM. Owada, Abraham,
Keith, Bennouna, Skotnikov, Cançado Trindade, Yusuf, Mmes Xue, Donoghue,
MM. Gaja, Bhandari, juges ; MM. Guillaume, Orrego Vicuña, juges ad hoc ;

CONTRE : Mme Sebutinde, juge ; - 11 -

3) Par dix voix contre six,

Décide que ce segment initial s’étend jusqu’à un point (point A) situé à une distance de
80 milles marins du point de départ de la frontière maritime unique ;

POUR : M. Sepúlveda-Amor, vice-président ; MM. Owada, Abraham, Keith, Bennouna,
Skotnikov, Cançado Trindade, Yusuf, Mme Donoghue, juges ; M. Guillaume, juge
ad hoc ;

CONTRE : M. Tomka, président ; Mme Xue, M. Gaja, Mme Sebutinde, M. Bhandari, juges ;

M. Orrego Vicuña, juge ad hoc ;

4) Par dix voix contre six,

Décide que, à partir du point A, la frontière maritime unique se poursuit en direction du
sud-ouest, le long de la ligne équidistante des côtes de la République du Pérou et de la République

du Chili, calculée depuis ce point, jusqu’au point (point B) où elle rencontre la limite
des 200 milles marins calculée depuis les lignes de base à partir desquelles est mesurée la mer
territoriale de la République du Chili. A partir du point B, la frontière maritime unique se poursuit
en direction du sud le long de cette limite jusqu’au point d’intersection (point C) des limites
des 200 milles marins calculées depuis les lignes de base à partir desquelles sont mesurées les mers

territoriales respectives de la République du Pérou et de la République du Chili ;

POUR : M. Sepúlveda-Amor, vice-président ; MM. Owada, Abraham, Keith, Bennouna,
Skotnikov, Cançado Trindade, Yusuf, Mme Donoghue, juges ; M. Guillaume, juge
ad hoc ;

CONTRE : M. Tomka, président ; Mme Xue, M. Gaja, Mme Sebutinde, M. Bhandari, juges ;
M. Orrego Vicuña, juge ad hoc ;

5) Par quinze voix contre une,

Décide que, pour les raisons énoncées au paragraphe 189 [du même arrêt], il n’y a pas lieu
qu’elle se prononce sur le second point des conclusions finales de la République du Pérou.

POUR : M. Tomka, président ; M. Sepúlveda-Amor, vice-président ; MM. Owada, Abraham,
Keith, Bennouna, Skotnikov, Cançado Trindade, Yusuf, Mmes Xue, Donoghue, M. Gaja,

Mme Sebutinde, M. Bhandari, juges ; M. Guillaume, juge ad hoc ;

CONTRE : M. Orrego Vicuña, juge ad hoc.

MM. les juges TOMKA , président, et SEPÚLVEDA -A MOR , vice-président, joignent des

déclarations à l’arrêt ; M. le WADA O joint à l’arrêt l’exposé de son opinion individuelle ; M. le
juge SKOTNIKOV joint une déclaration à l’arrêt ; Mme la jugeUE , MM. les juges G AJA et
BHANDARI ainsi que M. le juge ad hocRREGO VICUÑA joignent à l’arrêt l’exposé de leur opinion
dissidente commune ; Mme la juge D ONOGHUE et M. le juge AJA joignent des déclarations à
l’arrêt ; Mme la juge S EBUTINDE joint à l’arrêt l’exposé de son opinion dissidente ;

M. le juge ad hoc UILLAUME joint une déclaration à l’arrêt ; M. le juge adRREGOOV ICUÑA
joint à l’arrêt l’exposé de son opinion individuelle en partie concordante et en partie dissidente.

___________ Annexe 1 au résumé 2014/1

Déclaration de M. le président Tomka

Le président Tomka souscrit à la conclusion de la Cour selon laquelle la frontière maritime
unique séparant le Pérou et le Chili part du point d’intersection entre le parallèle de latitude passant
par la borne frontière n 1 et la laisse de basse mer. Il est également d’accord pour dire que la
frontière longe ce parallèle. Toutefois, il ne partage pas l’avis de ses dix collègues selon lequel

cette frontière convenue s’arrête à une distance de 80 milles marins à partir de son point de départ.
Il ne peut donc pas souscrire au tracé de la frontière maritime défini de novo par la Cour à partir de
ce point.

Le président Tomka fait tout d’abord observer que, dans l’accord de 1954 relatif à une zone
frontière maritime spéciale, les Parties n’ont pas établi la frontière maritime les séparant mais ont

clairement reconnu qu’une telle frontière existait déjà. Il considère que la pratique des Parties au
regard de cet accord ne présente pas d’intérêt pour déterminer l’étendue de la frontière maritime et
que celle-ci s’étend sur une distance qui correspond à celle des espaces maritimes que les Parties
ont revendiqués, soit 200 milles marins. Dans son arrêt, la Cour limite la zone maritime spéciale
établie au titre de l’accord de 1954 à une distance de 80 milles marins à partir de la côte. Or, si les
Parties avaient précisé les limites orientale, méridionale et septentrionale de cette zone, elles
s’étaient délibérément abstenues d’en fixer la limite occidentale. Le président Tomka conclut que

cette zone était censée s’étendre le long du parallèle vers le large jusqu’à la limite des espaces
revendiqués par les Parties.

D’après le président Tomka, le libellé de la déclaration de Santiago de 1952, l’historique des
négociations dont elle est résultée ainsi que les textes internes par lesquels les Parties ont formulé
leurs revendications maritimes corroborent la conclusion selon laquelle la frontière maritime
convenue s’étendait sur 200 milles marins. Il considère par ailleurs que les discussions tenues au

cours de la conférence de Lima de 1954 permettent de conclure que les Parties entendaient
confirmer que, lorsqu’elles ont adopté la déclaration de Santiago de 1952, elles étaient d’accord
pour considérer que, à partir du point où leur frontière terrestre aboutissait en mer, le parallèle
constituait la ligne séparant les espaces que l’une et l’autre revendiquaient. La formulation et les
travaux préparatoires de l’accord de 1954 relatif à une zone frontière maritime spéciale étayent
l’existence de cette frontière maritime, tandis que la résolution suprême adoptée par le Pérou

en 1955 implique également que la ligne frontière suivait le parallèle.

En conclusion, de l’avis du président Tomka, les Parties estimaient que la déclaration
de 1952 avait réglé les questions afférentes à la délimitation de leurs espaces maritimes. Il
considère la déclaration non pas comme la source juridique véritable de ce règlement, mais comme
un élément attestant la reconnaissance de celui-ci par les Parties. Même si la déclaration n’a pas
expressément fait du parallèle la frontière maritime entre les Parties, le président Tomka estime

que, pour l’interpréter, il y a lieu de prendre en considération le procès-verbal de la conférence de
Lima de 1954 et l’accord relatif à une zone frontière maritime spéciale qui en est résulté. Le
paragraphe IV de la déclaration suppose l’existence d’une frontière maritime générale et les Parties
semblent avoir considéré que la question ne prêtait pas à controverse. Fait important, leurs
représentants se sont accordés à dire que la question de la délimitation latérale des zones
de 200 milles marins qu’ils avaient proclamées était réglée et que l’accord de 1954 relatif à une

zone frontière maritime spéciale confirmait l’existence d’une frontière suivant le parallèle de
latitude.

Le président Tomka ajoute que, selon lui, certains des éléments de preuve auxquels la Cour
fait référence, notamment ceux se rapportant au courant de Humboldt, suggèrent une frontière
s’étendant bien au-delà d’une distance de 80 milles marins. - 2 -

N’adhérant pas à la conclusion de la Cour selon laquelle la frontière convenue s’arrête à une
distance de 80 milles marins depuis son point de départ sur la côte ni, par conséquent, à celles qui

concernent le prolongement de la frontière, le président Tomka précise cependant qu’il n’est pas en
désaccord avec la méthode appliquée par la Cour pour tracer celui-ci, mais plutôt avec la distance à
partir de laquelle celle-ci s’écarte du parallèle.

Enfin, le président Tomka, soulignant que la décision de la Cour doit être respectée, souscrit
à la conclusion de celle-ci selon laquelle elle n’a nul besoin de se prononcer sur la prétention du
Pérou concernant le «triangle extérieur», car cet espace fait partie de la zone économique exclusive

et du plateau continental péruviens. Il est d’avis que tel serait également le cas même dans
l’hypothèse où la frontière maritime convenue s’étendrait sur une distance de 200 milles marins
depuis la côte.

Déclaration de M. le vice-président Sepúlveda-Amor

Dans sa déclaration, le vice-président Sepúlveda-Amor exprime de sérieuses réserves à
l’égard du raisonnement suivi par la Cour pour étayer l’existence d’un accord tacite sur la

délimitation maritime.

Il reconnaît que, dans certaines circonstances, une frontière maritime peut être fondée sur un
accord tacite. Toutefois, il rejette l’idée que l’accord de 1954 relatif à une zone frontière maritime
spéciale (l’accord de 1954) prouve de manière convaincante l’existence d’un tel accord.

Le vice-président Sepúlveda-Amor considère que la recherche de l’existence éventuelle d’un
accord tacite sur la délimitation maritime aurait dû conduire la Cour à entreprendre une analyse

systématique et rigoureuse du comportement des Parties, bien au-delà du seul libellé de l’accord
de 1954, car seul un examen minutieux de la pratique des Etats sur des années peut permettre de
discerner l’existence entre elles d’une frontière maritime convenue. Il regrette que l’analyse du
comportement des Etats demeure au contraire insuffisamment développée et marginale par rapport
aux arguments de la Cour, alors qu’elle devrait être au centre de son raisonnement.

Le vice-président Sepúlveda-Amor craint que la voie suivie par la Cour en l’espèce puisse

être interprétée comme un recul par rapport au critère rigoureux qu’elle a formulé dans l’affaire du
Différend territorial et maritime entre le Nicaragua et le Honduras dans la mer des Caraïbes
(Nicaragua c. Honduras) pour l’établissement d’une frontière maritime permanente.

Ce n’est pourtant pas ainsi qu’il convient d’interpréter l’arrêt car celui-ci ne suppose aucune
rupture par rapport à la jurisprudence antérieure de la Cour.

Opinion individuelle de M. le juge Owada

Dans l’exposé de son opinion individuelle, le juge Owada explique que, même s’il a souscrit
aux différents points du dispositif de l’arrêt, il n’a pas pu s’associer pleinement au raisonnement
qui a conduit la Cour à sa conclusion concernant la délimitation concrète de la frontière maritime
unique entre le Pérou et le Chili.

Le juge Owada approuve le rejet par la Cour tant de la position du Chili, selon laquelle les

espaces maritimes respectifs des Parties ont été intégralement délimités par voie d’accord, que de
celle du Pérou, qui a fait valoir que les espaces maritimes respectifs des Parties n’avaient jamais été
délimités, ni par voie d’accord, ni autrement. Il exprime toutefois de sérieuses réserves à l’égard de
la conclusion de la Cour selon laquelle l’accord de 1954 relatif à une zone frontière maritime
spéciale («l’accord de 1954») démontre que les Parties ont reconnu l’existence entre elles d’un
accord délimitant leurs espaces maritimes respectifs le long du parallèle de latitude passant par la - 3 -

borne frontière n 1. Le juge Owada considère que, pour parvenir à cette conclusion, la Cour devait

établir, dans son arrêt, 1) qu’un fait (action ou omission) inédit et attribuable aux Parties était
survenu qui avait eu pour effet de donner naissance à un tel accord, 2) que la frontière ainsi
délimitée ne s’étendait que sur une distance de 80 milles marins, au-delà de laquelle il n’existait
aucune frontière maritime reconnue par les Parties. Il estime que, dans le présent arrêt, la Cour ne
semble pas, sur ces points, avoir étayé son raisonnement à l’aide d’éléments de preuve
suffisamment convaincants.

Le juge Owada est en désaccord avec la conclusion énoncée dans l’arrêt selon laquelle la
formulation de l’accord de 1954 est «claire» en ce qu’elle reconnaît qu’il existe déjà une frontière
maritime, et ne comprend pas comment les dispositions de l’accord de 1954 peuvent être
considérées comme si «claire[s]» qu’elles justifient cette conclusion. Il fait observer que le passage
essentiel de l’article premier de l’accord de 1954 dispose qu’«[u]ne zone spéciale est créée par le
présent accord … avec une largeur de 10 milles marins de part et d’autre du parallèle qui constitue

la frontière maritime entre les deux pays» (les italiques sont du juge). Selon le juge Owada, ce
libellé, pris dans son sens ordinaire, ne permet pas, en soi et faute de preuve complémentaire, de
conclure à l’existence d’un accord tacite établissant entre les Parties une telle frontière à vocation
générale. Il rappelle que la Cour a précédemment déclaré, dans l’affaire du Différend territorial et
maritime (Nicaragua c. Colombie), que «[l]es éléments de preuve attestant l’existence d’un accord
tacite doivent être convaincants. L’établissement d’une frontière maritime permanente est une
question de grande importance, et un accord ne doit pas être présumé facilement.» (Les italiques

sont du juge.) Le juge Owada est d’avis que ce critère rigoureux n’est pas rempli en l’espèce.

Examinant les travaux préparatoires de l’accord de 1954, le juge Owada observe que ce
dernier tirait son origine d’une proposition soumise conjointement par les représentants de
l’Equateur et du Pérou, où il était question de la création d’une zone neutre de part et d’autre du
«parallèle passant par le point sur la côte qui marque la frontière entre les deux pays». (Les

italiques sont du juge.) Il fait remarquer que ce libellé semble indiquer que les rédacteurs
entendaient ainsi signaler la frontière terrestre entre les pays intéressés. Il relève en outre que, pour
aboutir à sa forme actuelle, le libellé fut modifié, lors de la conférence sur l’exploitation et la
conservation des ressources maritimes du Pacifique Sud, à la demande pressante du représentant de
l’Equateur, qui proposa que soit «intégré à cet article le principe adopté à Santiago, selon lequel le
parallèle passant par le point où aboutit en mer la frontière terrestre de deux pays signataires
constitue la limite entre la zone de juridiction des deux pays». Selon le juge Owada, cela indique

que le libellé de l’article premier de l’accord de 1954 a été rédigé pour traduire la perception du
représentant de l’Equateur, qui considérait que ce qu’il proposait n’ajoutait rien à ce qui avait déjà
été «adopté à Santiago» en 1952. Le juge Owada souligne toutefois que, comme l’a conclu la Cour
à juste titre dans son arrêt, la déclaration de Santiago n’a pas fait du parallèle passant par le point
terminal de la frontière terrestre une frontière maritime.

Le juge Owada ajoute que les arrangements de 1968-1969 relatifs aux phares ne fournissent

pas non plus de preuve «convaincante» de l’existence d’un accord tacite établissant une frontière
maritime à vocation générale. Il estime que ces arrangements ne constituent rien d’autre que la
suite logique de l’accord de 1954 et n’ajoutent rien (ni n’enlèvent quoi que ce soit) à ce que prescrit
(ou non) cet accord s’agissant du rôle du parallèle en tant que ligne de délimitation maritime.

En conséquence, le juge Owada fait observer que, selon lui, l’arrêt ne parvient pas à

démontrer qu’un accord tacite est intervenu entre les Parties sur une frontière maritime à vocation
générale longeant le parallèle, à la faveur de quelque action ou omission de leur part qui serait
postérieure à la déclaration de Santiago de 1952, mais antérieure à l’accord de 1954.

Le juge Owada soulève également la question de la distance sur laquelle devrait s’étendre la
supposée frontière maritime. Il observe que si, comme le suppose l’arrêt, les Parties en étaient
venues à reconnaître le parallèle de latitude comme constituant la frontière maritime définitive à

vocation générale, il n’y aurait alors aucune raison de penser que cette ligne devait s’arrêter à une - 4 -

distance de 80 milles marins à partir du point de départ, plutôt que de s’étendre jusqu’à la limite
des 200 milles marins. Il souligne que, dans son arrêt, la Cour reconnaît que, «étant donné la

vocation générale de la frontière maritime … , les éléments de preuve relatifs aux activités
halieutiques ne sauraient, en eux-mêmes, être décisifs en ce qui concerne l’étendue de cette
frontière».

Si, au contraire, l’on part du postulat que cette frontière devait s’arrêter à un point situé à
moins de 200 milles marins parce que, en réalité, les activités halieutiques n’étaient menées que
dans un rayon limité, alors, selon le juge Owada, il y a lieu de fonder la détermination de cette

distance sur la nature juridique de la ligne, à savoir qu’il s’agit d’une limite établie spécifiquement
pour les besoins de la réglementation des activités halieutiques et non d’une frontière maritime à
vocation générale. Il considère que, tant que l’arrêt est fondé sur l’existence présumée (mais non
démontrée) d’un accord tacite sur la frontière maritime permanente, la Cour ne saurait sortir de
cette impasse résultant de son propre raisonnement.

Le juge Owada écrit que, au lieu d’asseoir son raisonnement concernant l’existence d’une
ligne de délimitation sur la reconnaissance d’un accord tacite concernant une frontière maritime à

vocation générale, la Cour devrait fonder son arrêt sur une analyse légèrement différente qu’il
expose comme suit :

1) La Cour devrait rejeter, comme elle le fait dans son présent arrêt, l’affirmation du Chili selon
laquelle la déclaration de Santiago de 1952 constitue un accord portant reconnaissance et
acceptation d’une frontière maritime suivant le parallèle de latitude.

2) La pratique des Etats exerçant une juridiction nationale en mer, notamment dans le contexte des

activités halieutiques menées par le Chili et le Pérou dans la région, qui s’est développée petit à
petit à partir de la déclaration de Santiago et au cours des années qui ont suivi celle-ci, comme
le reflètent l’accord de 1954 et les arrangements de 1968-1969 relatifs aux phares, démontre
l’émergence progressive d’une reconnaissance tacite, de la part des Parties, de la délimitation de
leurs ressorts maritimes respectifs par rapport au parallèle de latitude, surtout pour la
réglementation des activités de pêche. Le découpage des espaces maritimes s’est ainsi imposé
de facto, précisément en ce qui concerne les limites latérales, en vue de circonscrire les espaces

maritimes revendiqués par les Parties pour leurs activités halieutiques. Ce processus de
reconnaissance tacite par la pratique des Etats a apparemment évolué sans l’intervention de
quelque accord tacite ou exprès entre les Parties et a plutôt pris la forme d’une délimitation
de facto des eaux baignant les côtes du Pérou et du Chili.

3) Il n’est ni possible ni nécessaire de déterminer avec précision quand et comment cette
reconnaissance tacite s’est cristallisée pour devenir une règle normative dont les Parties ont

admis qu’elle opérait la délimitation juridique de leurs espaces maritimes respectifs.

4) L’accord de 1954 ne saurait donc être considéré comme ayant créé de novo une nouvelle
frontière maritime, pas plus qu’il n’était censé reconnaître l’existence d’un accord tacite
concernant la délimitation des espaces maritimes, lequel aurait délimité définitivement et de
manière générale la juridiction maritime de chacune des Parties.

5) L’accord de 1954 a néanmoins eu une importance déterminante dans le processus tendant à

consolider, par la pratique, le titre juridique fondé sur une reconnaissance tacite.

6) La reconnaissance tacite tirant son origine de la pratique suivie à l’époque par les Etats, elle ne
vaut donc que pour la zone où étaient effectivement menées les activités de pêche le long des
côtes des deux Etats intéressés. La distance exacte sur laquelle s’étendent vers le large les
espaces maritimes respectifs des deux Etats doit être déterminée avant tout à la lumière de ces
activités. Si l’on tient compte de la façon dont s’exerçaient, dans l’ensemble, les activités
halieutiques du Pérou et du Chili au cours de la période en cause, la limite géographique de la - 5 -

zone dans laquelle on peut raisonnablement supposer que ces activités ont été menées semble se
trouver à une distance de 50 milles marins depuis les côtes respectives des Parties. Si l’on se

place le long du parallèle de latitude, cette distance calculée à partir de la côte correspond à une
étendue d’environ 80 milles marins à partir du point où la frontière terrestre entre le Pérou et le
Chili aboutit en mer.

Le juge Owada est par conséquent disposé à accepter le chiffre de 80 milles marins pour ce
qui est de l’étendue de la ligne à tracer le long du parallèle de latitude à partir du point où la
frontière terrestre entre les deux pays aboutit en mer, au motif qu’elle reflète le plus fidèlement la

réalité de la pratique des Etats telle qu’elle ressort, pour l’essentiel, des activités halieutiques
menées à l’époque dans la région.

Le juge Owada ajoute que, si l’on opte pour cette analyse, l’argument lié à l’attribution
équitable entre les deux Parties de l’intégralité de l’espace maritime en litige ne devrait pas
intervenir dans l’examen par la Cour du problème de la distance sur laquelle cette ligne devrait
suivre le parallèle de latitude.

Déclaration de M. le juge Skotnikov

Le juge Skotnikov a voté en faveur des différents points du dispositif de l’arrêt. Il est
toutefois en désaccord avec la façon dont la Cour a abordé la question de l’étendue de la frontière
maritime entre le Pérou et le Chili.

Le juge Skotnikov souscrit à la conclusion de la Cour selon laquelle, avant la signature de
l’accord de 1954 relatif à une zone frontière maritime spéciale, il existait entre les Parties un accord

tacite concernant une frontière maritime qui suivait le parallèle passant par le point où aboutissait
en mer leur frontière terrestre. Il est d’accord pour considérer que l’accord de 1954 relatif à une
zone frontière maritime spéciale, tout en consacrant l’existence de cet accord tacite, a laissé
subsister quelque incertitude quant à la longueur exacte de la frontière maritime. A son avis, la
Cour aurait pu aborder cette question de la même manière que celle de savoir si la frontière
maritime avait vocation générale, c’est-à-dire dans le contexte des proclamations de 1947 et de la
déclaration de Santiago de 1952. Il regrette que la Cour ait plutôt choisi d’examiner la question de

l’étendue de la frontière maritime en dehors de ce contexte.

Le juge Skotnikov n’est pas convaincu par le raisonnement que tient la Cour lorsqu’elle
conclut que, étant donné ce qui, dans les années 1950, était généralement considéré comme
acceptable sur le plan international en matière de droits en mer, il est peu probable que les Parties
aient établi une frontière maritime s’étendant sur une distance de 200 milles marins. Selon lui, les
proclamations de 1947 et la déclaration de Santiago de 1952 démontrent que les Parties étaient

disposées à faire valoir des revendications qui, à l’époque, ne bénéficiaient pas de l’acceptation
générale.

Le juge Skotnikov met également en question la valeur déterminante accordée par la Cour,
pour ce qui est de l’étendue de la frontière maritime convenue, à certains éléments de la pratique
des Parties tels que les activités halieutiques et les mesures d’exécution. Il ne s’explique pas
comment l’étendue d’une frontière à vocation générale pourrait être déterminée par la capacité des
Parties d’exploiter les ressources de la mer et de prendre des mesures d’exécution à l’époque de la

signature de l’accord de 1954, lequel n’a fait que reconnaître la frontière maritime existante. - 6 -

Le juge Skotnikov signale que, même en adoptant le raisonnement de la Cour, la décision de
fixer à 80 milles marins la distance sur laquelle s’étend la frontière maritime convenue ne semble

pas étayée par les éléments de preuve que la Cour a jugés pertinents, certains d’entre eux suggérant
en effet une frontière maritime convenue s’étendant sur au moins 100 milles marins.

Quoi qu’il en soit, étant donné que les moyens présentés par les Parties concernant l’étendue
de la frontière maritime convenue ne présentaient pas toute la clarté voulue, le juge Skotnikov a pu
se rallier à la majorité et voter en faveur du point 3 du dispositif.

Opinion dissidente commune de Mme la juge Xue, de MM. les juges Gaja et Bhandari et de
M. le juge ad hoc Orrego Vicuña

Dans leur opinion dissidente commune, Mme la juge Xue, MM. les juges Gaja et Bhandari et
M. le juge ad hoc Orrego Vicuña considèrent que le libellé du paragraphe IV de la déclaration
de 1952 sur la zone maritime (la déclaration de Santiago) laisse entendre que le parallèle qui passe
par le point où la frontière terrestre aboutit en mer constitue la limite latérale entre les zones
maritimes générées par les côtes continentales des Parties. A la lumière des revendications

formulées dans la déclaration de Santiago, cette limite s’étend sur 200 milles marins. Certains
accords conclus ultérieurement entre les Parties confirment cette interprétation de la déclaration
de Santiago ; c’est le cas, notamment, de l’accord de 1954 relatif à une zone frontière maritime
spéciale (l’accord de 1954), du protocole d’adhésion de 1955 à la déclaration sur la «zone
maritime» de Santiago (le protocole de 1955) et de l’accord de 1968 sur la construction de phares
entre le Pérou et le Chili (l’accord de 1968).

Les quatre juges font tout d’abord remarquer que la déclaration de Santiago constitue un
traité reconnu comme tel par les Parties ; ils citent le libellé de son paragraphe IV :

«S’agissant d’un territoire insulaire, la zone de 200 milles marins s’étendra
autour de l’île ou du groupe d’îles. Si une île ou un groupe d’îles appartenant à l’un
des pays signataires de la présente Déclaration se trouve à moins de 200 milles marins
de la zone maritime générale qui se trouve sous la juridiction d’un autre d’entre eux, la
zone maritime de l’île ou du groupe d’îles en question sera limitée par le parallèle

passant par le point où aboutit en mer la frontière terrestre des Etats en cause.»

Les juges font observer que le critère servant à délimiter une zone maritime générale par
rapport à une autre n’est pas expressément énoncé dans ce paragraphe. Toutefois, la référence
faite, au paragraphe IV, à une île ou à un groupe d’îles se trouvant à moins de 200 milles marins de
la zone maritime générale d’un autre Etat suppose l’adoption d’un critère quelconque pour
délimiter cette zone maritime générale, sans quoi il serait impossible de savoir si une île ou un

groupe d’îles se trouve effectivement à moins de 200 milles marins de cette zone.

Rappelant la règle fondamentale de l’interprétation des traités selon laquelle le sens et l’effet
de chacun des termes d’un traité doivent être interprétés à la lumière de l’objet et du but de celui-ci,
les juges soulignent que les passages de ce paragraphe faisant référence à «la zone maritime
générale qui se trouve sous la juridiction d’un autre d’entre eux» et disposant que la zone maritime
des îles «sera limitée par le parallèle passant par le point où aboutit en mer la frontière terrestre des
Etats en cause» ont une incidence directe sur les zones maritimes générées par les îles ainsi que sur

les limites latérales séparant les zones maritimes générales des Parties.

Les juges invoquent également, à l’appui de cette conclusion, le procès-verbal de la réunion
de la commission des affaires juridiques de la conférence de Santiago, où est constaté l’accord des
parties à la déclaration de Santiago selon lequel le parallèle passant par le point où la frontière qui
sépare chacun des pays rencontre ou atteint la mer marquerait la limite latérale entre les zones
maritimes générales respectives des trois Etats. - 7 -

En outre, selon eux, étant donné que les Parties ont chacune proclamé publiquement leur
souveraineté et leur juridiction exclusives sur les eaux baignant leurs côtes continentales

respectives sur une distance minimale de 200 milles marins à partir de celles-ci, et ont prévu
expressément dans la déclaration de Santiago que les îles situées au large de leurs côtes
bénéficieraient de zones maritimes de 200 milles marins, il est difficile de se convaincre qu’elles
aient pu convenir tacitement que leur frontière maritime ne s’étendrait que sur 80 milles marins à
partir du littoral, ce qui est clairement contraire à la position énoncée dans la déclaration
de Santiago.

En ce qui concerne l’argument du Pérou selon lequel son espace maritime aurait été défini à
l’aide de la méthode des «arcs de cercle», les juges examinent les lois internes promulguées par les
Parties à l’époque de la conférence de Santiago et concluent que les deux Etats ont sans doute
employé la méthode du «tracé parallèle» pour déterminer l’étendue de leurs zones maritimes
générales respectives. Ils font remarquer en outre que, même à supposer que le Pérou ait
effectivement eu en tête la méthode des arcs de cercle à l’époque, il aurait immédiatement fait face
au chevauchement des zones maritimes générales auxquelles lui et le Chili pouvaient prétendre.

Or le dossier soumis à la Cour ne contient aucun document montrant que cette question a été
envisagée lors de la conférence de Santiago. Au vu de l’ensemble des éléments de preuve, les
juges font observer que le Pérou n’a pas soulevé la question avant 1986 et n’a appliqué la méthode
des arcs de cercle que dans sa loi sur les lignes de base de 2005.

Les juges reconnaissent que, en 1952, la question de la délimitation entre Etats adjacents n’a
pas reçu autant d’attention que la revendication de la zone de 200 milles marins à l’égard des Etats
qui y étaient hostiles et que, lorsque le Pérou a signé la déclaration de Santiago, il ne pouvait

prévoir que la méthode du tracé parallèle lui deviendrait défavorable en raison de l’évolution
ultérieure du droit de la mer. Cette question constitue toutefois un sujet distinct. Les juges
soulignent que, en l’espèce, il incombe à la Cour de décider si le Pérou et le Chili sont, dans la
déclaration de Santiago, parvenus à un accord sur leur frontière maritime. Ils relèvent en outre que,
même si les revendications des parties à la déclaration de Santiago concernant leur zone maritime
de 200 milles marins pouvaient difficilement s’appuyer sur le droit international coutumier de
l’époque où elles ont été formulées, les trois Etats pouvaient avoir convenu d’une délimitation pour

les espaces qu’ils se croyaient fondés à réclamer, et c’est ce que semble avoir fait la déclaration
de Santiago.

S’agissant des accords ultérieurs, les juges se réfèrent tout d’abord à celui de 1954, qui fait
partie intégrante et complémentaire de la déclaration de Santiago. Les parties à cet accord y ont
établi une zone spéciale de tolérance de part et d’autre de la frontière maritime les séparant, dans
laquelle ne seraient pas sanctionnées les violations de celle-ci commises de manière innocente et

par inadvertance par des bateaux de pêche de petite taille.

Selon les juges, l’existence d’une frontière maritime entre les parties à l’accord constituait
une condition préalable à l’établissement d’une telle zone de tolérance. Pour désigner cette
frontière, le paragraphe premier de l’accord de 1954 fait expressément mention «du parallèle qui
constitue la frontière maritime entre les deux pays». L’article défini «du» qui précède le mot
«parallèle» indique la préexistence d’une ligne convenue entre les parties. Or la déclaration
de Santiago est le seul accord concernant les zones maritimes et présentant un intérêt en l’espèce

qui existait entre elles avant 1954. Compte tenu du contexte de l’accord de 1954, le parallèle
auquel il est fait référence ne peut désigner aucune autre ligne que celle qui passe par le point
terminal de la frontière terrestre, à savoir le parallèle visé par la déclaration de Santiago.

Les juges font observer que l’accord de 1954 a un objectif plutôt limité, ne visant que les
incursions innocentes et par inadvertance des navires de petite taille. Il ne traite pas de la
circulation des navires de plus grande taille de chacun des Etats parties ni des activités halieutiques

qu’ils pouvaient mener. Logiquement, les navires autres que les embarcations auxquelles il est fait
référence dans l’accord pouvaient pratiquer la pêche bien au-delà de la zone spéciale. En outre, les - 8 -

mesures d’exécution prises par les Etats parties n’étaient en aucune manière limitées par la zone de

tolérance. Dans le contexte de la déclaration de Santiago, il n’est pas envisageable que les parties à
l’accord de 1954 aient entendu utiliser les activités halieutiques des navires de petite taille comme
facteur pertinent pour déterminer l’étendue de leur frontière maritime. Si tel avait été le cas, leur
capacité en matière de pêche en aurait été sérieusement restreinte, ce qui aurait rendu vains leurs
efforts visant à préserver les ressources halieutiques dans la zone des 200 milles marins et serait
allé à l’encontre de l’objet et du but mêmes de la déclaration de Santiago.

En conséquence, les juges tiennent pour discutable, compte tenu de l’objet et du but de
l’accord de 1954, la décision de la majorité d’interpréter celui-ci comme limitant la frontière
maritime à la distance sur laquelle étaient menées les activités halieutiques près de la côte (distance
présumée être de 80 milles marins) à partir de 1954. Selon eux, cet accord indique non seulement
que les Etats parties avaient déterminé la limite latérale de leurs zones maritimes respectives
jusqu’à une distance de 200 milles marins, mais qu’ils entendaient également la maintenir ainsi.

En adhérant à l’établissement de la zone spéciale, chaque Etat partie s’est engagé à en respecter la
limite latérale, laquelle a été confirmée et non pas définie dans l’accord de 1954.

Les juges se penchent ensuite sur le protocole de 1955. Ils font observer que, lorsque la
déclaration de Santiago a été ouverte à l’adhésion d’autres Etats d’Amérique latine, les Etats parties
en ont réitéré, dans le protocole, les principes de base sous-jacents, en omettant cependant le
paragraphe IV. Le contenu du protocole montre, selon les juges, que, à l’époque de la conclusion

de la déclaration de Santiago et malgré le fait qu’ils se souciaient principalement de leurs
revendications s’étendant sur 200 milles marins, les Etats parties avaient bien à l’esprit la question
de la délimitation maritime, même s’il s’agissait pour eux d’une question de moindre importance.
Le protocole montre également que les parties n’avaient pas envisagé de règle générale applicable à
la délimitation et que le paragraphe IV constituait une clause liée à un contexte spécifique et
applicable uniquement aux parties à la déclaration de Santiago. Les juges ajoutent que, en tant

qu’acte juridique adopté après l’accord de 1954, et même s’il n’est jamais entré en vigueur, ce
protocole constitue un élément de preuve important qui réfute l’existence de tout accord tacite entre
le Pérou et le Chili selon lequel leur frontière maritime ne longerait que sur 80 et non 200 milles
marins le parallèle passant par le point où leur frontière terrestre aboutit en mer.

Enfin, les juges examinent l’accord de 1968, aux termes duquel le Pérou et le Chili étaient
convenus de construire deux phares sur le littoral pour «matérialiser le parallèle constituant la
o
frontière maritime à partir de la borne frontière numéro un (n 1)». Ils estiment que la construction
des deux phares visait apparemment à assurer le respect de la délimitation maritime entre les
Parties. Même si elle avait un objectif limité, cette mesure vient encore confirmer que le parallèle
passant par le point où la frontière terrestre des Etats visés aboutit en mer constitue la limite latérale
entre le Pérou et le Chili. Les juges considèrent que la frontière matérialisée par les phares devrait
s’étendre sur une distance de 200 milles marins, conformément à la position adoptée par les Parties
à Santiago.

Déclaration de Mme la juge Donoghue

Dans sa déclaration, la juge Donoghue fait remarquer que ni l’une ni l’autre des Parties n’a
su convaincre la Cour. Celle-ci en vient plutôt à la conclusion qu’il existe des
«preuves convaincantes» répondant au critère qu’elle a établi antérieurement en l’affaire du

Différend territorial et maritime entre le Nicaragua et le Honduras dans la mer des Caraïbes
(Nicaragua c. Honduras), quant à l’existence d’un accord tacite selon lequel la frontière maritime
suivrait le parallèle passant par la borne frontière n 1. La juge Donohue signale toutefois que les
Parties n’ont abordé ni l’existence ni le contenu d’un tel accord, ni n’ont présenté d’éléments de
preuve concernant spécifiquement l’étendue qu’aurait la frontière visée. Ni l’une ni l’autre des
Parties n’a évoqué la possibilité que le segment initial de la frontière maritime ait pu être délimité

par voie d’accord entre elles, le prolongement de celle-ci restant à tracer conformément au droit - 9 -

international coutumier. La Cour a donc examiné ces questions sans connaître les vues des Parties.

La présente affaire montre que certaines mesures d’instruction, telles que la possibilité d’inviter les
parties à présenter des moyens ou des éléments de preuve complémentaires ou le prononcé d’une
décision interlocutoire ou partielle, peuvent se révéler avantageuses lorsque des questions
importantes n’ont pas été pleinement abordées par les plaideurs.

Déclaration de M. le juge Gaja

Comme il est expliqué dans l’exposé de l’opinion dissidente commune, la déclaration
de Santiago prévoit que la délimitation maritime entre le Chili et le Pérou suit le parallèle passant
par le point où leur frontière terrestre aboutit en mer. L’article 2 du traité de Lima de 1929 fixe
comme point de départ de la frontière terrestre un point situé sur la côte, à une distance de dix
kilomètres au nord du pont qui enjambe la Lluta. En 1930, la commission mixte bilatérale chargée
de la démarcation de la frontière reçut pour instruction de tracer un arc de cercle de dix kilomètres

de rayon centré sur ce pont et de prendre comme point de départ de la frontière terrestre
l’intersection de cet arc avec le littoral. Même si, pour des raisons d’ordre pratique, les Parties ont
utilisé par la suite une borne placée à proximité de ce point pour marquer leur frontière maritime,
rien ne démontre qu’elles soient jamais parvenues à un accord pour adopter un autre point de départ
que celui auquel il est fait référence dans la déclaration de Santiago.

Opinion dissidente de Mme la juge Sebutinde

Dans l’exposé de son opinion dissidente, la juge Sebutinde se dit en désaccord avec les
conclusions de la Cour concernant le fond du différend, lesquelles sont énoncées aux points 2, 3
et 4 du dispositif de l’arrêt. Elle ne souscrit pas, notamment, à celle selon laquelle il existe déjà
entre les Parties, en vertu d’un accord tacite intervenu entre elles, une frontière maritime à vocation
générale qui suivrait le parallèle de latitude passant par la borne frontière n 1. Selon elle, cette

conclusion n’est pas conforme au critère rigoureux que la Cour a elle-même posé dans l’affaire
Nicaragua c. Honduras concernant l’établissement, en droit international, d’une frontière maritime
permanente sur la base d’un accord tacite. En particulier, la juge Sebutinde ne considère pas que
les éléments de preuve sur lesquels la Cour s’est appuyée pour déduire l’existence d’un accord
tacite entre les Parties soient «convaincants». Elle estime au contraire que les éléments soumis à la
Cour ne permettent pas de conclure avec certitude que les Parties à la déclaration de Santiago

de 1952 ou à l’accord de 1954 avaient l’intention d’établir une telle frontière.

Sur ce point, la juge Sebutinde fait observer que la pratique des Parties (à l’époque des
accords conclus entre 1952 et 1954 et par la suite) indique que, lors de la conclusion des accords
de 1952 et de 1954, leur intention était de réglementer le partage d’une ressource commune et de
protéger celle-ci à l’égard des Etats tiers, et non de procéder à une délimitation maritime.
Reconnaissant que certains documents et événements examinés par la Cour peuvent être considérés

comme reflétant, dans une certaine mesure, une manière commune, de la part des Parties,
d’envisager l’existence d’une «frontière maritime» entre elles le long du parallèle de latitude,
la juge Sebutinde fait remarquer qu’il en existe d’autres dont on pourrait tout aussi bien dire qu’ils
confirment l’absence d’un tel accord. Par ailleurs, même les éléments tendant à «confirmer»
l’existence de cet accord ne démontrent pas que les Parties ont agi (ou se sont abstenues d’agir) en
partant du principe que cette ligne constituait une frontière maritime définitive ayant vocation

générale et délimitant tous les espaces maritimes auxquels elles pouvaient prétendre. - 10 -

Dans le même ordre d’idées, la juge Sebutinde est d’avis que les éléments de preuve soumis

par les Parties n’étayent pas la conclusion de la Cour selon laquelle la «frontière maritime
convenue suivant le parallèle de latitude» s’étend vers le large jusqu’à une distance de
80 milles marins.

En conséquence, elle estime que la Cour aurait dû délimiter de novo l’intégralité de la
frontière maritime unique entre les Parties, en appliquant sa méthode habituelle en trois étapes afin
de parvenir à un résultat équitable.

Déclaration de M. le juge ad hoc Guillaume

1. Le juge ad hoc Guillaume a souscrit à la décision de la Cour et partage dans sa déclaration
l’approche retenue par celle-ci. Il observe en particulier que le Chili n’apporte pas la preuve que la
frontière résultant de l’accord tacite intervenu entre les Parties se prolongeait au-delà de

60 à 80 milles marins des côtes. Ce dernier chiffre marque, pour le juge ad hoc Guillaume,
l’extrême limite de la frontière telle que résultant de l’accord et c’est dans cette perspective qu’il
s’est rallié au paragraphe 3 du dispositif de l’arrêt.

2. Le juge ad hoc Guillaume précise par ailleurs qu’il a également accepté la solution retenue
par la Cour en ce qui concerne le point de départ de la frontière maritime. Il souligne que cette
solution s’imposait, compte tenu de la rédaction des arrangements de 1968-1969. Il ajoute

cependant qu’elle ne préjuge en rien «l’emplacement du point de départ de la frontière terrestre,
appelé «Concordia» à l’article 2 du traité de Lima de 1929», qu’il n’appartenait pas à la Cour de
fixer (arrêt, par. 163). Les Parties divergent en ce qui concerne la localisation de ce point, et le
juge ad hoc Guillaume a tendance pour sa part à penser qu’il se situe non à la borne n 1 qui se
trouve à l’intérieur des terres, mais «à l’intersection entre l’océan Pacifique et un arc de cercle de
dix kilomètres ayant pour centre le pont qui enjambait La Lluta» (voir les «directives conjointes»

des Parties d’avril 1930, arrêt, par. 154). La côte entre le point de départ de la frontière maritime et
le point Concordia relève de ce fait de la souveraineté du Pérou tandis que la mer y relève de la
souveraineté du Chili. Mais cette situation n’est pas sans précédent, comme le Chili l’a souligné au
cours de la procédure orale (CR 2012/31, p. 35 à 38), elle ne concerne que quelques dizaines de
mètres de rivage et l’on peut espérer qu’elle ne sera pas source de difficultés.

Opinion individuelle en partie concordante et en partie dissidente de M. le juge ad hoc
Orrego Vicuña

Outre l’opinion dissidente commune qu’il partage avec Mme la juge Xue et MM. les
juges Gaja et Bhandari, le juge ad hoc Orrego Vicuña joint à l’arrêt l’exposé de son opinion
individuelle, dans laquelle il fait état, d’une part, des aspects de l’arrêt auxquels il adhère et, d’autre
part, des points auxquels il ne souscrit pas. Dans la première catégorie figure tout d’abord le point

de départ de la déoimitation maritime, établi au point d’intersection du parallèle qui passe par la
borne frontière n 1 avec la laisse de basse mer. Une importance égale est accordée à la
reconnaissance du parallèle comme critère pour la délimitation maritime sur une certaine distance.
Dans la partie concordante de son opinion, il signale également l’importance de la reconnaissance
par la Cour de l’existence d’une frontière maritime unique, et attribue une valeur particulière au fait
que la Cour prend note de la déclaration du Pérou selon laquelle son domaine maritime est

conforme à la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer de 1982. Il résulte de cette
déclaration que tous les Etats peuvent à présent bénéficier d’une totale liberté de navigation et de
survol au-delà de la mer territoriale de 12 milles marins reconnue par le droit international. - 11 -

La partie dissidente de l’opinion du juge ad hoc Orrego Vicuña concerne le fait que l’arrêt
limite à 80 milles marins la longueur du segment de la délimitation maritime qui suit le parallèle,

décision qui n’est pas étayée par le droit applicable tel qu’il est énoncé dans les textes présidentiels
de 1947, la déclaration de Santiago de 1952 et l’accord de 1954 relatif à une zone frontière
maritime spéciale, ni par la pratique confirmée du Pérou et du Chili. Le recours à la ligne
d’équidistance que suit la frontière fixée dans l’arrêt à partir du point où elle cesse de longer le
parallèle, conjugué à l’attribution de la zone du «triangle extérieur», se traduit par une répartition
disproportionnée des espaces maritimes en litige. La perspective d’un accès négocié, pour les
navires chiliens, aux ressources de la zone économique exclusive du Pérou qui en découle, comme

cela est envisagé au paragraphe 2 de l’article 62 de la convention sur le droit de la mer, aurait pour
effet d’atténuer le caractère disproportionné de ce résultat. En conclusion, le juge ad hoc
Orrego Vicuña fait également observer que le rôle attribué par la Cour à l’«équité» en matière de
délimitation maritime ne concorde pas avec le sens que donne à ce mot le droit international et qui
est expressément repris dans ladite convention.

___________ Annexe 2 au résumé 2014/1

Croquis n 1 : Contexte géographique

Croquis n 2 : Frontières maritimes revendiquées respectivement par le Pérou et le Chili

o
Croquis n 3 : Construction de la ligne d’équidistance provisoire

o
Croquis n 4 : Tracé de la frontière maritime QUITO
COLOMBIE
ÉQUATEUR

Croquis n° 1:

Contexte gØographique
Ce croquis a ØtØ Øtabli
à seule fin d’illustration.
BRÉSIL
Projection de Mercator (20° S)

WGS 84 PÉROU

LIMA

BOLIVIE

IloTacna

Aria

Iquique

CHILI

OCÉAN

PACIFIQUE

SANTIAGO

ARGENTINE BOLIVIE

CHILI

Arica

Tacna
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F

telle que revendiquØe par le Chili

FrontiŁre maritime suivant le parallŁle,

WGS 84

depuis la côte du Chili

Croquis n° 2:
Ce cà seule fin d’illustration. Limite des 200 milles marins

OCÉAN

PACIFIQUE

Projection de Mercator (18° 20’ S)

FrontiŁres maritimes revendiquØes

respectivement par le PØrou et le Chili depuis la côte du PØrou

Limite des 200 milles marins BOLIVIE

CHILI

Arica
Tacna

PÉROU

Ilo

A

B C

depuis la côte du Chili
WGS 84 Limite des 200 milles marins
OCÉAN
Croquis n° 3: Arde rayon à partir du point A
Ceà seule fin d’illustration. PACIFIQUE
Construction de la
jection de Mercator (18° 20’ S)
Pro
depuis la côte du PØrou
ligne d’Øquidistance provisoire
Limite des 200 milles marins BOLIVIE

CHILI

Arica
Tacna

PÉROU

Ilo

A

B C
ton

depuis la côte du Chili
WGS 84
Limite des 200 milles marins
Croquis n° 4: OCÉAN
Ceà seule fin d’illustration. PACIFIQUE

Projection de Mercator (18° 20’ S) la ligne d’Øquidistance milles marins des Parties)
TracØ de la frontiŁre maritime A:B: poC: point terminal de la frontiŁre maritime (intersec
depuis la côte du PØrou
Limite des 200 milles marins

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Résumé de l'arrêt du 27 janvier 2014

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