Résumé de l'arrêt du 23 mai 2008

Document Number
14506
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Number (Press Release, Order, etc)
2008/1
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COUR INTERNATIONALE DE JUSTICE

Palais de la Paix, Carnegieplein 2, 2517 KJ La Haye, Pays-Bas
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Résumé
Document non officiel

Résumé 2008/1
Le 23 mai 2008

Souveraineté sur Pedra Branca/Pulau Batu Puteh, Middle Rocks et South Ledge

(Malaisie/Singapour)

Résumé de l’arrêt du 23 mai 2008

Historique de la procédure et conclusions des Parties (par. 1-15)

Par lettre conjointe en date du 24 juillet 2003, la Malaisie et Singapour ont notifié au greffier
un compromis entre les deux Etats, signé à Putraj aya le 6février2003 et entré en vigueur le
9mai2003. Dans ce compromis, elles priaient la Cour de déterminer si la souveraineté sur

PedraBranca/Pulau Batu Puteh, Middle Rocks et South Ledge appartena it à la Malaisie ou à
Singapour.

Chacune des Parties a dûment déposé un mémoire, un contre-mémoire et une réplique dans
les délais fixés par la Cour eu égard aux dispositions du compromis relatives aux pièces de

procédure écrites. Le compromis ménageait l’ éventualité du dépôt d’une quatrième pièce de
procédure par chacune des Parties. Toutefois, celles-ci ont, par une lettre conjointe en date du
23 janvier 2006, informé la Cour qu’elles étaien t convenues qu’il n’était pas nécessaire d’échanger
des dupliques.

La Cour ne comptant sur le siège aucun j uge de la nationalité des Parties, chacune
d’elles s’est prévalue du droit que lui confère le paragraphe3 de l’ar ticle31 du Statut de
procéder à la désignation d’un juge adhoc pour siéger en l’affaire. La Malaisie a désigné
M. Christopher John Robert Dugard et Singapour M. Sreenivasa Rao Pemmaraju.

Avant son élection à la présidence de la Cour, le juge Higgins, invoquant le paragraphe 2 de
l’article17 du Statut, s’est récusé en l’inst ance. Il a donc incombé au vice-président,
lejugeAl-Khasawneh, d’exercer la présidence aux fins de l’affaire, conformément aux
paragraphes 1 et 2 de l’article 13 du Règlement de la Cour.

Des audiences publiques ont été tenues entre le 6 et le 23 novembre 2007. - 2 -

Situation géographique, contexte historique général et historique du différend (par. 16-36)

Situation géographique (par. 16-19)

La Cour présente tout d’abord le contexte géographique du différend.

Pedra Branca/Pulau Batu Puteh est une île granitique, d’une longueur de 137 mètres et d’une
largeur moyenne de 60mètres; sa superficie est d’environ 8560mètres carrés à marée basse.
Située à l’entrée est du détroit de Singapour, à l’endroit où celui-ci s’ouvre sur la mer de Chine
méridionale, Pedra Branca/Pulau Batu Puteh a po ur coordonnées 1°19'48" de latitude nord et

104°24'27"de longitude est. Elle se trouve à environ 24milles marins à l’est de Singapour,
7,7milles marins au sud de l’Etat malaisien du Johor et 7,6milles marins au nord de l’île
indonésienne de Bintan. Les noms de Pedra Bran ca et Batu Puteh signifient «pierre blanche»,

respeetivement en portugais et en malais. Un phare, le phare Horsburgh, y a été érigé au milieu du
XIX siècle.

Middle Rocks et South Ledge sont les deux formations maritimes les plus proches de

PedraBranca/Pulau Batu Puteh. Middle Rocks, à0,6mille marin au sud, est constituée de deux
ensembles de petits rochers distants d’environ 250 mètres l’un de l’autre et découverts de manière
permanente; leur élévation est comprise entre 0,6 et1,2mètre. SouthLedge, à 2,2milles marins
au sud-sud-ouest de Pedra Branca/Pulau Batu Puteh, est une formation rocheuse uniquement
o
visible à marée basse. [Voir le croquis n 2.]

Le contexte historique général (par. 20-29)

La Cour donne ensuite une vue d’ensemble du contexte historique complexe du différend
(seules certaines parties sont exposées ci-dessous).

Le Sultanat de Johor fut établi à la suite de la prise de Malacca par les Portugais en1511.
e
Vers le milieu du XVII siècle, les Pays-Bas avaient ravi au Portugal le contrôle sur différentes
zones de la région. En 1795, les Britanniques ét ablirent leur autorité sur plusieurs possessions
néerlandaises de l’archipel malais, mais ils les leur restituèrent en 1814.

En 1819, une «factorerie» (un comptoir) fu t établie par les Britanniques sur l’île de
Singapour (laquelle appartenait au Johor) par la Compagnie des Indes orientales, agent du
Gouvernement britannique dans plusieurs possession s britanniques. Cette situation exacerba les

tensions entre le Royaume-Uni et les Pays-Bas, nées de leurs ambitions coloniales concurrentes
dans la région. Le 17mars1824, les deux puissan ces coloniales signèrent un traité qui eut pour
conséquence qu’une partie du Su ltanat de Johor se trouva placée dans la sphère d’influence
britannique, l’autre dans la sphère d’influence néerlandaise.

Le 2 août 1824, un traité d’amitié et d’allia nce (ci-après dénommé «le traité Crawfurd») fut
signé entre, d’une part, la Compagnie des Indes orientales et, d’autre part, le sultan de Johor et le
temenggong de Johor (un haut fonctionnaire malais) qui prévoyait la cession pleine et entière, à la

Compagnie des Indes orientales, de Singapour et de toutes les îles situées dans un rayon de
10 milles géographiques de celle-ci.

La mort, en 1812, du sultan de Johor, Mahm udIII, avait donné lieu au sein du Sultanat de
Johor à un conflit de succession entre ses deux fils. Alors que le Royaume-Uni avait reconnu
comme héritier l’aîné, Hussein (qui était installé à Singapour), les Pays-Bas considéraient comme
tel le cadet, AbdulRahman (installé à Riau ⎯aujourd’hui Pulau Bintan, en Indonésie).

Le 25 juin 1825, le sultan Abdul Rahman envoya à son frère aîné une lettre aux termes de laquelle
il lui «cédait» les parties de territoire qui, conf ormément au traité anglo-néerlandais de1824,
avaient été attribuées au sultan Hussein. indiquent
istiques

WGS 84
1 :500 000 l
e
Pedra Branca/Pulau Batu Puteh
le a
Croquis No. 2. nn h
ah C
C h
Projection de Mercator (0°Nd t
Situation gØographique di o INDONÉSIE (Pulau Bintan)
M S
Ce croquis a ØtØ Øtabli à fle d’illustration. South Ledge
Middle Rocks et South Ledge nn
ah
physiques ou leur statut gØtgraphique et juridique.
de Pedra Branca/Pulau Batu Puteh, ro
N
uniquement leur localisation, et non leurs caractØr
Les symboles reprØsentant ces formations maritimes

MALAISIE (Johor)

r DØtroit deSingapour
leuve Jo ho
F

INDONÉSIE (Pulau Batam)

MALAISIE (Johor) SINGAPOUR - 4 -

Entre mars 1850 et octobre 1851, un phare fut érigé sur Pedra Branca/Pulau Batu Puteh.

En 1867, les Etablissements des détroits, un regroupement de territoires de la Compagnie des
Indes orientales établi en 1826 et constitué notamment de Penang, Singapour et Malacca, devinrent
une colonie de la Couronne britannique. En 1885, le Gouvernement britannique et l’Etat du Johor
conclurent le traité de Johor, qui reconnaissait au Royaume-Uni des droits de transit et de

commerce terrestres dans l’Etat du Johor, lui conférait la responsabilité des relations extérieures de
ce dernier et lui confiait la tâche de protéger l’intégrité du territoire.

Les Etablissements des détroits furent dissous en 1946. Cette même année fut créée l’Union

malaise, qui comprenait une partie des anciens Etablissements des détroits (à l’exception de
Singapour), les Etats malais fédérés et cinq Etats malais non fédérés (dont le Johor). A partir
de1946, Singapour fut gouvernée comme une colonie de la Couronne britanni que à part entière.
En 1948, l’Union malaise devint la Fédération de Malaya, un groupement de colonies britanniques

et d’Etats malais sous protection britannique. La Fédération de Malaya obtint son indépendance de
la Grande-Bretagne en1957, le Johor constituant l’un des Etats membres de la Fédération.
En1958, Singapour devint une colonie autonome. En1963 fut créée la Fédération de Malaisie,
issue d’une fusion entre la Fédération de Mala ya et les anciennes colonies britanniques de

Singapour, du Sabah et du Sarawak. En 1965, Si ngapour abandonna la Fédération pour devenir un
Etat souverain et indépendant.

Historique du différend (par. 30-36)

La Cour note que, le 21décembre1979, la Malaisie a publié une carte intitulée «Eaux
territoriales et limites du plateau continental de la Malaisie» (dénommée ci-après la «carte
de1979»). La carte situe l’île de Pedra Branca/Pu lau Batu Puteh dans les eaux territoriales de la

Malaisie. Par une note diplomatique dat ée du 14février1980, Singapour a rejeté la
«revendication» de la Malaisie sur Pedra Bran ca/Pulau Batu Puteh et a demandé que la carte
de1979 soit corrigée. Cette note a conduit à un échange de correspondance puis, entre1993
et 1994, à une série de pourparlers entre les deux go uvernements, qui n’ont pas permis de régler la

question. La question de l’appartenance de Middle Rocks et South Ledge a également été soulevée
lors des premiers pourparlers, en février 1993. Pa r suite de l’échec des négociations bilatérales, les
Parties sont convenues de soumettre le différend à la Cour internationale de Justice.

La Cour rappelle que, dans le contexte d’un différend relatif à la souveraineté
sur un territoire, la date à laquelle le différend s’est cristallisé est importante. De l’avis de la
Cour, c’est le 14février1980, date à laquelle Si ngapour a protesté contre la publication par la
Malaisie de la carte de1979, que s’est cris tallisé le différend relatif à la souveraineté sur

Pedra Branca/Pulau Batu Puteh. S’agissant de la souveraineté sur Middle Rocks et South Ledge, la
Cour conclut que le différend s’est cristallisé le 6 février 1993, lorsque Singapour a mentionné ces
formations dans le cadre de ses prétentions su r Pedra Branca/Pulau Batu Puteh, au cours des
discussions bilatérales entre les Parties.

Souveraineté sur Pedra Branca/Pulau Batu Puteh (par. 37-277)

Positions des Parties (par. 37-42)

Dans ses pièces écrites, la Malaisie expose qu’elle

«a sur Pulau Batu Puteh un titre originaire an cien. Pulau Batu Puteh fait partie, et a
toujours fait partie, de l’Etat malaisien du Johor . Il ne s’est rien passé qui ait entraîné
un transfert du titre détenu par la Malaisie. La présence de Singapour sur l’île à seule
fin d’y construire et d’y entretenir un phare ⎯avec l’autorisation du souverain

territorial ⎯ ne suffit pas à lui conférer la souveraineté sur celle-ci.» - 5 -

Elle indique en outre que l’île «n’a à aucun moment pertinent pu être considérée comme
terra nullius ni, en conséquence, comme susceptible d’acquisition par voie d’occupation».

Singapour fait valoir que «le choix, avec l’ autorisation de la Couronne britannique, de
Pedra Branca comme site pour la construction du phare constitua une prise de possession classique

à titre de souverain». Selon elle, le titre fut acquis par la Couronne britannique conformément aux
principes juridiques de l’époque et a, depuis, «été conservé par la C ouronne britannique et son
successeur, la République de Singapour». Tandis que, dans le mémoire et le contre-mémoire de
Singapour, il n’est pas expressément affirmé que PedraBranca/Pulau Batu Puteh aurait été

terra nullius, la Cour relève que Singapour, dans sa ré plique, déclare expressément qu’«[i]l est
évident que, en 1847, Pedra Branca était terra nullius».

Au vu de ce qui précède, la Cour note que la question se limite à savoir si la Malaisie peut

établir son titre originaire à compter de la période qui a précédé les
activités de Singapour entre 1847 et 1851 et si, i nversement, Singapour peut apporter la preuve de
son affirmation selon laquelle il y aurait eu de sa part prise de «possession licite de
PedraBranca/PulauBatu Puteh» à un moment ou à un autre à partir du milieu du XIX e siècle,

époque à laquelle les agents de la Couronne britannique entreprirent la construction du phare.

La question de la charge de la preuve (par. 43-45)

Sur cette question, la Cour réaffirme qu’il est un principe général de droit, confirmé par sa
jurisprudence, selon lequel une partie qui avance un élément de fait à l’appui de sa prétention doit
établir celui-ci.

Statut juridique de Pedra Branca/Pulau Batu Puteh avant les années 1840 (par. 46-117)

⎯ Titre originaire sur Pedra Branca/Pulau Batu Puteh (par. 46-80)

La Cour commence par faire observer qu’il n’est pas contesté que le Sultanat de Johor, après
sa naissance en 1512, se soit constitué en un Etat souverain doté d’un domaine territorial spécifique
dans une partie de l’Asie du Sud-Est. Ayant examiné les arguments des Parties, la Cour note que, à
e e
partir du XVII siècle au moins et jusqu’au début du XIX siècle, il était reconnu que le domaine
terrestre et maritime du royaume de Johor englob ait une portion considér able de la péninsule
malaise, s’étendait de part et d’autre du détroit de Singapour et comprenait des îles et îlots situés
dans la zone du détroit — où se trouve Pedra Branca/Pulau Batu Puteh.

La Cour s’attache ensuite à vérifier si le titre originaire sur Pedra Branca/Pulau Batu Puteh
que revendique la Malaisie est fondé en droit.

Il est révélateur que Pedra Branca/Pulau Batu Puteh ait toujours été considérée comme un
danger pour la navigation dans le détroit de Singapour. L’île n’ était donc pas, à l’évidence,
terra incognita. Un autre facteur d’importance réside en ceci que rien n’atteste que, pendant toute

l’histoire de l’ancien Sultanat de Johor, une reve ndication concurrente ait ja mais été formulée sur
les îles situées dans la région du détroit de Singapour.

La Cour rappelle ce qu’a déclaré la Cour perm anente de Justice internationale (CPJI) dans

son arrêt rendu en l’affaire du Stat ut juridique du Groënland oriental au sujet des conséquences à
tirer d’une absence de prétentions concurrentes. La CPJI nota alors que, tandis que «[d]ans la
plupart des cas comportant des prétentions de souveraineté territoriale…deux prétentions
concurrentes à la souveraineté ont été soumises», dans l’affaire dont avait à connaître la Cour,

«jusqu’en 1931, aucune autre Puissance que le Da nemark n’a[vait] revendiqué la souveraineté sur
le Groënland». La Cour parvint donc à la conclusion que si l’on tient compte de - 6 -

«la nature arctique et inaccessible des régions non colonisées du pays, le roi de
Danemark et de Norvège,…[entre]…172 1[et]1814, manifesta son autorité dans

une mesure qui suffit à conférer à son pays un titre valable de souveraineté, et que ses
droits sur le Groënland n’ont pas été limités à la région colonisée».

La Cour fait observer que cette conclusion s’applique également dans la présente affaire, qui
porte sur une île minuscule inhabitée et inhabita ble, dont aucune autre puissance n’a revendiqué la
souveraineté durant toute la période allant du début du XVI siècle au milieu du XIX siècle. Dans
ce contexte, la Cour note également qu’il n’est pas nécessaire que cette autorité étatique se

manifeste «en fait à tout moment sur tout point du territoire», ainsi qu’exposé dans la sentence
rendue en l’affaire relative à l’Ile de Palmas (Pays-Bas/Etats-Unis d’Amérique).

A partir de ce qui précède, la Cour conclut que le domaine territori al du Sultanat de Johor

englobait en principe l’ensemble des îles et îlots s itués dans le détroit de Singapour et comprenait
donc l’île de PedraBranca/Pulau Batu Puteh. E lle juge que le fait que ces îles aient été en la
possession de l’ancien Sultanat de Johor n’a jama is été contesté par aucune autre puissance de la
région et peut, en tout état de cause, être considéré comme satisfaisant à la condition d’un

«exercice continu et pacifique de la souverainet é territoriale». La Cour conclut ainsi que le
Sultanat de Johor détenait un titre originaire sur Pedra Branca/Pulau Batu Puteh.

Examinant la nature des liens d’allégeance qui existaient entre le Sultanat et les Orang Laut,
«le peuple de la mer», lesquels se livraient à diverses activités comme la pêche et la piraterie dans
les eaux du détroit de Singapour, la Cour juge que les descriptions de la nature et de l’intensité des
liens entre le sultan de Johor et les Orang Laut qui figurent dans des rapports officiels établis à cette

époque par des fonctionnaires britanniques en poste da ns la région confirment le titre originaire
ancien du Sultanat de Johor sur ces îles, dont Pedra Branca/Pulau Batu Puteh.

La Cour se penche ensuite sur la question de savoir si les faits survenus entre 1824 et1840

eurent quelque incidence sur ce titre.

⎯ La portée juridique du traité anglo-néerlandais de 1824 (par. 81-101)

Premièrement, la Cour note que des preuv es documentaires montrent de manière probante
que le Sultanat de Johor a constitué une seule et mê me entité souveraine tout au long de la période
s’étendant de1512 à1824, en dépit des varia tions de l’étendue géographique exacte de son

domaine territorial et des vicissitudes qu’il a connues au fil des ans, et que ces changements et aléas
n’ont pas eu d’incidence sur la situation juridi que en ce qui concerne la région du détroit de
Singapour, qui a toujours relevé du domaine territorial du Sultanat de Johor.

Deuxièmement, la Cour fait observer que les Parties admettent toutes deux que le traité
anglo-néerlandais de1824 a eu pour effet de scinder la région en deux ⎯ la sphère d’influence
néerlandaise (le Sultanat de Riau-Lingga gouverné par AbdulRahman), d’une part, et la sphère

d’influence britannique (le Sultanat de Johor gouv erné par Hussein), d’autre part. Toutefois,
Singapour semble prétendre que le traité laissa de côté l’ensemble du détroit et que,
Pedra Branca/Pulau Batu Puteh était restée terranullius , ou l’était devenue après la scission de
l’«ancien Sultanat de Johor», ouvrant ainsi la voie à une «prise de possession licite» de l’île par les

Britanniques au cours de la période comprise entre 1847 et 1851.

Après avoir analysé avec soin le texte du tra ité anglo-néerlandais de 1824, la Cour conclut
que ce dernier représentait le pendant juridique du règlement politique auquel étaient parvenues les

deux puissances coloniales et consistait à scinder le domaine territorial de l’ancien Sultanat de
Johor en deux sultanats qui relè veraient de leurs sphères d’infl uence respectives. Ce dispositif
excluait ainsi toute possibilité de vide juridique susceptible de laisser une marge de manŒuvre
permettant la prise de possession licite d’une île située entre ces deux sphères d’influence. - 7 -

La référence générale , à l’articleXII du traité, aux «a utres îles situées au sud du
détroit de Sincapore» donne plutôt à penser que t outes les îles et tous les îlots du détroit se sont

trouvés dans la sphère d’infl uence britannique. Cela valait naturellement pour l’île de
Pedra Branca/Pulau Batu Puteh qui relevait toujours du domaine territorial de ce qui continua
d’être appelé le «Sultanat de Johor» après la scission de l’ancien Sultanat.

⎯ La pertinence du traité Crawfurd de 1824 (par. 102-107)

La Cour examine la pertinence, pour le différend, du «traité Crawfu rd» aux termes duquel le
sultan et le temenggong de Johor cédaient l’île de Singapour à la Compagnie des Indes orientales.

La Cour indique qu’une «reconnaissance, par les Britanniques, de la souveraineté qu’avait exercée
auparavant et que continuait d’exercer le Sultanat de Johor sur toutes les autres îles situées dans le
détroit de Singapour et ses environs» ne saurait être déduite du traité Crawfurd, contrairement à ce
que soutient la Malaisie. La Cour note cependant que cette conclusion ne signifie pas non plus

a contrario que les îles du détroit de Singapour ne releva nt pas de l’articleII dudit traité étaient
terrae nullius ni qu’elles pouvaient faire l’objet d’une appropriation par «occupation licite». Ce
dernier point ne peut être apprécié qu’au regard de l’effet juridique qu’eut la scission de l’ancien
Sultanat de Johor sur les îles situées dans le détr oit de Singapour, notamment à la lumière du traité

anglo-néerlandais de 1824 et de la valeur juridique à accorder ou non à la lettre de 1825 dite «lettre
de donation» que le sultan Abdul Rahman de Riau-Lingga adressa à son frère le sultan Hussein de
Johor.

⎯ La portée juridique de la lettre de «donation» de 1825 (par. 108-116)

La Cour examine si la lettre de «donation» adressée par le sultan Abdul Rahman à son frère,

Hussein, eut pour effet juridique de transférer le titr e sur le territoire mentionné dans ladite lettre.
La Cour note que la lettre dite de «donation» ne faisait que confir mer la scission convenue dans le
traité anglo-néerlandais de 1824 et qu’elle était par conséquent dénuée d’effet juridique.

⎯ Conclusion (par. 117)

La Cour conclut que la Mala isie a établi à sa satisfaction qu’à l’époque où les Britanniques
commencèrent leurs préparatifs pour la construc tion du phare sur Pedra Branca/Pulau Batu Puteh

en 1844, cette île était sous la souveraineté du sultan de Johor.

Statut juridique de Pedra Branca/Pulau Batu Puteh après les années 1840 (par. 118-272)

La Cour fait observer que, pour déterminer si la Malaisie a conservé la souveraineté sur

Pedra Branca/Pulau Batu Puteh après 1844 ou si cette souveraineté est ensuite passée à Singapour,
il lui faut apprécier les faits pertinents ⎯ lesquels sont principalement le comportement des Parties
au cours de cette période ⎯ au regard des principes et règles applicables du droit international.

⎯ Droit applicable (par. 118-125)

La Cour note qu’un changement du titulaire de la souveraineté pourrait avoir résulté d’un

accord entre les deux Etats en question, accord qui pourrait avoir pris la forme d’un traité, comme
dans le cas du traité Crawfurd de 1824 ou de l’acco rd de 1927, mentionnés plus haut, ou avoir été
tacite et découler du comportement des Parties. Le droit international n’impose à cet égard aucune
forme particulière. Il met en revanche l’accent su r les intentions des parties. Dans certaines

circonstances, la souveraineté sur un territoire peut passer à un autre Etat en l’absence de réaction
de celui qui la détenait face au comportement de cet autre Etat agissant à titre de souverain ou face
à des manifestations concrètes de l’exercice de la s ouveraineté territoriale de la part de l’autre Etat.

De telles manifestations peuvent appeler une réponse, en l’absence de laquelle elles deviennent
opposables à l’Etat en question. L’absence de ré action peut tout à fait valoir acquiescement.
Autrement dit, un silence peut aussi être éloquent , mais seulement si le comportement de l’autre - 8 -

Etat appelle une réponse. Un point détermin ant pour l’appréciation que fera la Cour du
comportement des Parties tient à l’importance de premier plan que revêtent, en droit international

et dans les relations internationales, la souveraineté étatique sur un territoire ainsi que le caractère
stable et certain de cette souveraineté. De ce fait, tout changement du titu laire de la souveraineté
territoriale, fondé sur le comportement des Parti es, doit se manifester clai rement et de manière
dépourvue d’ambiguïté au travers de ce comportement et des faits pertinents.

⎯ Le processus de sélection de l’emplacement du phare Horsburgh (par. 126-148)

En 1836, des négociants et des navigateurs exprimèrent le souhait de construire un ou

plusieurs phares pour rendre hommage à James Ho rsburgh, hydrographe de la Compagnie des
Indes orientales. En novembre1836, le choix se porta sur «Pedra Branca». Dans une lettre
adressée au Gouverneur de Singapour, le 1 ermars 1842, «Pedra Branca» était le seul emplacement
expressément désigné. La Cour relève que, dans cette première communication officielle, les

milieux d’affaires reconnaissaient qu’il revenait au Gouvernement britannique de donner effet à la
proposition et d’apporter le complément de fonds nécessaire.

Dans la correspondance qui s’ensuivit entre l es souscripteurs et les autorités britanniques,

plusieurs autres emplacements furent envisagés. En octobre1844, l’île de PeakRock était
considérée comme l’emplacement qui convenait le mieux. Fin novembre, W.J.Butterworth, qui
était devenu gouverneur des Etablissements des détroits en1843, reçut des réponses aux lettres
qu’il avait adressées au sultan et au temenggong de Johor. En dépit de recherches approfondies, les

Parties ne sont pas parvenues à retrouver les lettr es du gouverneur, mais elles ont communiqué à la
Cour copie de la traduction des réponses, toutes deux datées du 25 novembre 1844, dans lesquelles
le sultan et le temenggong consentaient à la construction d’un phare dans le détroit de Singapour,

sans mentionner l’emplacement exact.

Sur la question de savoir si le Johor a cédé sa souveraineté sur toute portion de son territoire
où le Royaume-Uni choisirait de construire et d’ exploiter le phare aux fins indiquées ou s’il n’a
accordé que l’autorisation de construire et d’exploiter un phare, la Cour juge que la correspondance

n’est pas concluante.

En raison de l’inexistence d’accord écrit relatif aux modalités de l’entretien du phare et à
l’île sur laquelle celui-ci devait être construit, la Cour estime qu’elle n’est pas en mesure de

répondre à la question portant sur la teneur de ce qui avait pu être convenu en novembre 1844.

⎯ La construction et la mise en service du phare Horsburgh entre 1850 et 1851 (par. 149-163)

La Cour note que JohnThomson, géomètre du gouvernement de Singapour qui avait été
nommé architecte du projet par le gouverneurButter worth, était chargé des préparatifs de la
construction proprement dite. En décembre1849, le géomètre du gouvernement commença à

organiser les travaux. Le 24mai1850, il fut procéd é à la pose de la première pierre. La Cour
prend note du fait que les autorités du Johor n’étaient pas présentes à la cérémonie. Rien n’indique
qu’elles aient même été invitées par le gouverneur à y assister. Cela pourrait donner à penser que
les autorités britanniques et singapouriennes ne jugeaient pas nécessaire d’informer le Johor de

leurs activités sur Pedra Branca/Pulau Batu Puteh. Le temenggong de Johor ne se rendit sur le
rocher qu’une seule fois, neuf jours après la po se de la première pierre, accompagné de trente
membres de sa suite.

Après avoir exposé les modalités de la construction et de la mise en service du phare, la Cour
note qu’elle ne peut en tirer aucune conclusion quant à la souverainet é. Elle considère plutôt que
ces événements sont à prendre en considération pour apprécier l’évolution des vues des autorités au
Johor et à Singapour à propos de la souveraineté sur Pedra Branca/Pulau Batu Puteh. - 9 -

⎯ Le comportement des Parties entre 1852 et 1952 (par. 164-191)

La Cour examine tout d’abord le système des pha res des détroits et la législation britannique
et singapourienne y afférente . Elle note que, en droit, un phare pe ut être construit sur le territoire
d’un Etat et administré par un autre ⎯avec le consentement du premier. L’argumentation de la
Malaisie repose sur l’idée centrale que le phare Hors burgh a été construit sur une île relevant de la

souveraineté du Johor et que, partant, toutes les activités menées sur cette île par les autorités
britanniques et, ultérieurement, par les autorités singapouriennes ne font que s’inscrire dans le
cadre ordinaire de l’exploitation du phare. Si ngapour affirme à l’inverse que certaines de ces

activités ne concernent pas seulement l’exploitatio n du phare mais constituent, en tout ou partie,
des actes à titre de souverain. Singapour fait état de la législation promulguée par elle-même et ses
prédécesseurs qui régissait la prise en charge des coûts d’installation et d’exploitation du phare, son
administration par divers organes gouvernementaux ainsi que les activités des personnes résidant,

séjournant et travaillant sur Pedra Branca/Pulau Batu Puteh. Toutefois, la Cour n’estime pas que
les dispositions invoquées par Singapour démontrent en tant que telles la souveraineté britannique
sur les régions où elles s’appliquaient, car elles concernaient aussi bien les phares
incontestablement situés sur le territoire du Johor que celui qui se trouve sur PedraBranca/Pulau

Batu Puteh et, en outre, ne traitaient pas expressément de la souveraineté.

En ce qui concerne les diffé rents changements constitutionnels invoqués par la Malaisie,
parmi lesquels figure l’accord relatif aux eaux terri toriales des Etablissements des détroits et du

Johor signé en 1927, la Cour estime que leur examen ne lui permet pas de régler la question de la
souveraineté sur Pedra Branca/Pulau Batu Puteh. Elle fait observer que l’accord avait pour but de
«rétrocéder» au Johor certains espaces qui avaient été cédés à la Compagnie des Indes orientales
en1824 et qui se trouvaient tous à moins de 10milles de l’île principale de Singapour. Ceux-ci

n’auraient pas pu englober Pedra Branca/Pulau Batu Puteh, étant donné qu’elle n’était pas couverte
par l’accord.

Quant à l’argument de la Ma laisie selon lequel le temenggong continua de contrôler les

activités de pêche au voisinage de Pedra Branca/Pulau Batu Puteh après la construction du phare,
ainsi qu’il ressort d’un échange de correspondance entre le Johor et les autorités britanniques de
Singapour en1861, la Cour note que l’échange por te sur des événements qui se produisirent dans
un rayon de 10 milles de l’île de Singapour. Rien ne peut donc être inféré du fait que les autorités

singapouriennes n’invoquèrent pas à cette occasi on leur juridiction sur les eaux de Pedra
Branca/Pulau Batu Puteh.

⎯ La correspondance de 1953 (par. 192-230)

La Cour note que, le 12juin1953, le secrétai re colonial de Singapour écrivit au conseiller
britannique du sultan de Johor qu’il avait pour «i nstruction de [lui] demander des renseignements
sur le rocher appelé Pedra Branca qui se trouve à environ 40 milles de Singapour», dans le cadre de

«la détermination des limites des eaux territoriales de la colonie». Reconnais sant que, dans le cas
de Pulau Pisang, «qui se trouve également à l’exté rieur des limites de la colonie établies par le
traité», il n’était, de toute évidence, pas mis «fin à la souveraineté de Johore», le secrétaire

demandait à être informé de l’existence de «documents indiquant que le rocher a fait l’objet d’un
bail ou d’une concession, ou si le Gouvernement de l’Etat du Johore l’a cédé ou en a disposé de
toute autre manière». Plus tard au cours de ce mois, le secrétaire du conseiller britannique du
sultan de Johor informa le secrétaire colonial que le conseiller avait transmis la lettre au secrétaire

d’Etat du Johor, indiquant que celui-ci «souhaitera [it] certainement consulter le commissaire à
l’aménagement du territoire et aux mines, ainsi que le géomètre en chef, et examiner toutes
archives existantes, avant de communiquer l’av is du gouvernement de l’Etat au secrétaire
principal». Dans une lettre datée du 21septembre1953, le secrétaire d’Etat par intérim du Johor

répondit que «le gouvernement du Johore ne revendiqu[ait] pas la propriété de Pedra Branca.» - 10 -

La Cour considère que cette correspondance ai nsi que la manière dont elle est interprétée
sont essentielles pour déterminer comment ont évolué les vues des deux Parties à propos de la

souveraineté sur Pedra Branca/Pulau Batu Puteh.

La Cour note que la lettre de Singapour du 12 juin 1953 vise à obtenir des renseignements ne
concernant pas uniquement le phare mais «le rocher» dans sa totalité, eu égard à la délimitation des

eaux territoriales de la colonie, une question qui dé pend de la souveraineté sur l’île. La Cour note
que la lettre eut pour effet d’avertir les autorit és du Johor que, en 1953, les autorités de Singapour
considéraient, que dans l’esprit de leurs préd écesseurs, Pedra Branca/Pulau Batu Puteh avait été
cédée «à titre gracieux» à la Compagnie des Indes orientales par le sultan et le temenggong . Pour

la Cour, la lettre montre que les autorités singapouriennes n’étaient pas au clair sur des événements
ayant eu lieu plus d’un siècle auparavant et n’ étaient pas certaines de disposer de toutes les
informations s’y rapportant.

Examinant ensuite la réponse du secrétaire d’Etat par intérim du Johor, la Cour rejette
l’affirmation de la Malaisie selon laquelle, en vertu des dispositions de l’accord conclu
relativement au Johor entre la Couronne britannique et le sultan de Johor et de l’accord relatif à la
Fédération de Malaya, signé par la Couronne britanni que et neuf Etats Malais (dont le Johor), le

secrétaire d’Etat par intérim

«n’était absolument pas autorisé à écrire la lettre de1953, et…n’avait pas
juridiquement qualité pour ce faire ; il n’éta it absolument pas autorisé à renoncer à un

titre, à déclarer ne pas revendiquer un titre ou à confirmer un titre sur une partie
quelconque du territoire du Johore».

La Cour estime que l’accord relatif au J ohor n’est pas pertinent car l’échange de

correspondance fut engagé par un représentant du Go uvernement de Sa Majesté britannique ; or, le
Royaume-Uni n’était pas à confondre à l’époque avec un Etat étranger ; en outre, c’est le conseiller
britannique auprès du sultan de Johor qui transmit la lettre initiale au secrétaire d’Etat du Sultanat.
La Cour estime aussi que la Malaisie ne peut tirer argument de l’accord relatif à la Fédération de

Malaya car répondre à une demande de rensei gnements ne constitue pas un «exercice» de
«l’autorité exécutive». En outre, le fait que la Malaisie n’ait invo qué cet argument ni pendant la
période des négociations bilatérales avec Singapour ni avant un stade avancé de la procédure orale
en l’instance vient renforcer la présomption de régularité invoquée par Singapour.

Analysant le contenu de la lettre de 1953, la Cour indique que la réponse du Johor revêt une
signification claire: le Johor ne revendique pas la propriété de Pedra Branca/Pulau Batu Puteh.
Cette réponse concerne l’île dans son intégralité, et pas seulement le phare. Lue dans

le contexte de la demande de renseignements de Singapour concernant le statut de
Pedra Branca/Pulau Batu Puteh, telle qu’examinée ci-dessus, cette lettre vise clairement la question
de la souveraineté sur l’île. La Cour en c onclut que la réponse du Johor montre que, en1953,
celui-ci considérait que la souveraineté sur Pedra Br anca/Pulau Batu Puteh ne lui appartenait pas.

Au vu de cette réponse, les autorités à Singapour n’avaient aucune raison de douter que le
Royaume-Uni détenait la souveraineté sur l’île.

Les mesures prises par les autorités singa pouriennes comme suite à la réponse définitive

n’étaient pas connues des autorités du Johor et ont une importance limitée pour que la Cour
apprécie une éventuelle évolution des vues partagées par les Parties. Le dossier de l’affaire montre
que, dès réception de la réponse du Johor, le secrétaire colonial de Singapour adressa à

l’Attorney-General un mémorandum interne dans lequel il déclarait que, «sur le fondement [de
cette réponse], [il] [était] possible de revendiquer Pedra Branca». L’Attorney-General indiqua qu’il
était du même avis. Les autorités singapouriennes ne prirent, d’après les éléments versés au
dossier, aucune autre mesure. Elles avaient déjà reçu de Londres sur cette question des

communications que la Cour va à présent examiner. - 11 -

⎯ Le comportement des Parties après 1953 (par. 231-272)

La Cour examine tout d’abord l’affirmation de Singapour selon laquelle elle a exercé, ainsi
que ses prédécesseurs, l’autorité souveraine sur Pedra Branca/Pulau Batu Puteh en enquêtant sur les
naufrages survenus dans les eaux territoriales de l’île. Concluant que ce comportement vient étayer
de manière appréciable la thèse de Singapour, la Cour rappelle également que ce n’est

qu’en juin 2003, après que les Parties eurent soum is le différend à la Cour par voie de compromis,
que la Malaisie a protesté contre cette expression du comportement de Singapour.

Après avoir examiné l’argument de Singapour concernant l’exercice de son contrôle exclusif

des visites sur Pedra Branca/Pulau Batu Puteh et de l’utilisation de cette île par des représentants de
Singapour ainsi que d’autres Etats, dont la Mala isie, la Cour indique que nombre de visites
effectuées par du personnel singapourien concernaie nt l’entretien et l’exploitation du phare et
qu’elles ne sont pas pertinentes en l’espèce. Cependant, elle juge que le comportement de

Singapour quant aux autorisations qu’elle a acco rdées ou non à des ressortissants malaisiens qui
souhaitaient réaliser en1978 une étude des eau x environnantes doit être considéré comme un
comportement à titre de souverain et étaye de f açon appréciable sa reve ndication de souveraineté
sur Pedra Branca/Pulau Batu Puteh.

Les deux Parties affirment que les patrouilles et exercices qu’effectuent, depuis leur création,
leurs marines respectives autour de Pedra Branca/ Pulau Batu Puteh constituent des manifestations
de l’exercice de leurs droits souverains sur l’île. La Cour ne considère p as que cette activité pèse

d’un côté ou de l’autre. Elle relève que, pour d es raisons d’ordre géographique, les navires de la
marine patrouillant à partir du port de Singapour passaient souvent à proximité de
Pedra Branca/Pulau Batu Puteh.

Quant à l’argument de Singapour selon lequel le déploiement des pavillons britannique et
singapourien sur le phare Horsburgh, à partir du moment de sa mise en service et jusqu’à ce jour,
est également une manifestation indéniable de s ouveraineté, la Cour indi que que le déploiement
d’un pavillon n’est habituellement pas une telle manifestation. Elle estime qu’un certain poids peut

être néanmoins attribué au fait que la Malaisie n’éleva aucune protestation au sujet du pavillon
hissé sur le phare Horsburgh.

La Cour examine ensuite l’installation d’ une station relais m ilitaire par la marine

singapourienne sur Pedra Branca/Pulau Batu Puteh en mai 1977 pour faire face à des difficultés de
communication. Singapour fait valoir que cette inst allation fut menée au grand jour. La Malaisie
affirme qu’elle s’est déroulée dans le secret et qu’elle n’en a eu connaissance que lorsqu’elle a reçu

le mémoire de Singapour. La Cour n’est pas en mesure d’évaluer la valeur probante des
déclarations faites par les deux Parties sur la question de savoir si la Malaisie avait connaissance ou
non de l’installation de la station relais. Ce comportement n’est pas compatible avec la
reconnaissance par Singapour d’une quelconque limite à sa liberté d’action.

Quant au projet visant à récupérer des terres sur la mer autour de
Pedra Branca/Pulau Batu Puteh, que l’autorité portuaire de Si ngapour étudia à plusieurs reprises
dans les années1970, la Cour fait observer que, bi en qu’il n’ait pas été donné suite à ce projet et

que certains documents n’aient pas été publics, l’appel d’offres le fut et recueillit des soumissions.
De surcroît, le projet, tel que présenté, allait au-d elà d’activités relevant simplement de l’entretien
et de l’exploitation du phare. Il s’agit là d’un comportement qui étaye la thèse de Singapour.

En 1968, le Gouvernement malaisien et la C ontinental Oil Company of Malaysia conclurent
un accord qui autorisait cette société à me ner des activités d’exploration pétrolière dans toute la
zone du plateau continental au large de la côte est de la Malaisie occidentale. Etant donné les
limites territoriales et conditions définies dans la concession, et l’absence de publication des

coordonnées, la Cour considère qu’elle ne peut accorder aucun poids à la concession. - 12 -

En1969, par la voie d’une ordonnan ce, la Malaisie a porté les limites de ses eaux
territoriales de 3à 12milles marins. La Malaisie fait valoir que, par l’effet de cette ordonnance,

«[s]es eaux territoriales…s’étendaient jusqu’à Pedra Branca/Pulau Batu Puteh et au-delà». La
Cour note cependant que ladite ordonnance n’identifie pas, sauf de la manière la plus générale, les
zones auxquelles elle s’applique : elle indique simplement qu’elle est applicable «sur l’ensemble du
territoire malaisien».

La Malaisie invoque plus ieurs accords territoriaux pour étayer sa prétention de souveraineté
sur Pedra Branca/Pulau Batu Puteh: l’accord de 1969 relatif au plateau continental et l’accord
relatif à la mer territoriale de1970 conclus entr e l’Indonésie et la Malaisie, ainsi que l’accord

de1973 entre l’Indonésie et Singapour relatif à la mer territoriale. La Cour n’estime pas qu’un
poids quelconque puisse être attribué à ces accords, s’agissant de la souveraineté sur Pedra
Branca/Pulau Batu Puteh, puisqu’ils ne couvraient pas la question. De même, la Cour ne considère
pas que la coopération, invoquée par Singapour, da ns les détroits de Malacca et de Singapour,

décidée en1971 par l’Indonésie, la Malaisie et Singapour, revête de l’impor tance aux fins de la
procédure.

La Cour rejette également, au motif qu’e lles ne faisaient pas autorité et étaient

essentiellement de nature descriptive, certaines publications officielles du Gouvernement de
Singapour contenant des présentations du territoire de celle-ci qui, selon la Malaisie, se distinguent
par leur absence totale de référence à Pedra Branca/ Pulau Batu Puteh parmi les soixante autres îles
environ qu’elles mentionnent.

Enfin, la Cour examine près de cent cartes officielles soumises par les Parties. La Malaisie
souligne que, de toutes les cartes présentées à la Cour, une seule, publiée par le Gouvernement de
Singapour, représentait Pedra Branca/Pulau Batu Puteh comme appartenant à son territoire ; encore

ne l’a-t-elle été qu’en 1995. La Cour rappelle que jamais avant 1995, Singapour n’a publié de carte
représentant Pedra Branca/Pulau Batu Puteh comme appartenant à son territoire. La Cour estime
cependant que cette abstention revêt une bien moins grande importance que celle qu’il convient
d’accorder aux cartes publiées par la Malaya puis par la Malaisie entre1962 et1975. La Cour

conclut que ces cartes tendent à confirme r que la Malaisie considérait que
Pedra Branca/Pulau Batu Puteh relevait de la souveraineté de Singapour.

Conclusion (par. 273-277)

La Cour est d’avis que les faits pertinents, dont le comportement des Parties, témoignent
d’une évolution convergente des positions de celles-ci concernant le titre sur
PedraBranca/PulauBatu Puteh. La Cour conclut, au vu, notamment, du comportement à titre de

souverain de Singapour et de ses prédécesseurs, considéré conjointement avec celui de la Malaisie
et de ses prédécesseurs, et notamment avec le fait que celle-ci soit demeurée sans réaction face au
comportement de Singapour et de ses préd écesseurs, que, en1980, la souveraineté sur
Pedra Branca/Pulau Batu Puteh était désormais détenue par Singapour.

Pour les raisons qui précèdent, la Cour conclut que la souveraineté sur
Pedra Branca/Pulau Batu Puteh appartient à Singapour.

La souveraineté sur Middle Rocks et South Ledge (par. 278-299)

Argumentation des Parties (par. 278-287)

La Cour note que la position de Singapour est que la souveraineté sur MiddleRocks et
SouthLedge va de pair avec la souveraineté sur Pedra Branca/Pulau Batu Puteh. Ainsi, selon
Singapour, quiconque détient Pedra Branca/Pu lau Batu Puteh détient Middle Rocks et

South Ledge, qui, affirme-t-elle, sont des dépendances de l’île de Pedra Branca/Pulau Batu Puteh et - 13 -

forment avec cette dernière un seul et même groupe. La Malaisie soutient quant à elle que ces
troisformations ne constituent pas un groupe d’ îles identifiable d’un point de vue historique ou

géomorphologique, et ajoute qu’elles ont toujours été considérées comme relevant de la juridiction
du Johor ou de la sienne.

Statut juridique de Middle Rocks (par. 288-290)

La Cour fait tout d’abord observer que la ques tion du statut juridique de Middle Rocks doit
être appréciée dans le cadre de son raisonnement su r la principale question à trancher en l’espèce.

Elle rappelle qu’elle est parvenue à la conclusion que, étant donné les circonstances particulières de
l’espèce, la souveraineté sur Pedra Branca/Pulau Batu Puteh appartenait à Singapour. Or, ces
circonstances n’existent manifestement pas s’agi ssant des formations maritimes voisines de Pedra
Branca/Pulau Batu Puteh, à savoir MiddleRocks et SouthLedge. Aucun des éléments du

comportement des Parties analysé dans la partie précédente de l’arrêt n’est pertinent en ce qui
concerne Middle Rocks.

La Cour juge par conséquent que la Malais ie, en sa qualité de successeur du sultan de Johor,

doit être considérée comme ayant conservé le titre originaire sur cette dernière formation.

Statut juridique de South Ledge (par. 291-299)

S’agissant de SouthLedge, la Cour note cependant que certains problèmes particuliers

doivent être pris en considération, dans la mesure où cette formation présente une caractéristique
géographique particulière, à savoir qu’il s’agit d’un haut-fond découvrant.

La Cour rappelle l’article13 de la convention des NationsUnies sur le droit de la mer et

prend en considération sa jurisprudence, les arguments des Parties ainsi que les éléments de preuve
qui lui ont été soumis.

La Cour observe que SouthLe dge relève des eaux territoriales générées par la Malaisie

continentale, par Pedra Branca/Pulau Batu Pute h et par MiddleRocks, eaux territoriales qui
semblent se chevaucher. Elle rappelle qu’elle a été expressément priée, dans le compromis et dans
les conclusions finales des Parties, de se prononcer sur la question de la souveraineté sur chacune
des trois formations maritimes prises séparément. La Cour fait observer par ailleurs qu’elle n’a pas

reçu pour mandat de tracer la ligne de délimitati on des eaux territoriales de la Malaisie et de
Singapour dans la zone en question.

Dans ces conditions, la Cour conclut que la souveraineté sur SouthLedge, en tant que

haut-fond découvrant, appartient à l’Etat dans les eaux territoriales duquel il est situé.

Dispositif (par. 300)

mcotis,

L A C OUR ,

1) Par douze voix contre quatre,

Dit que la souveraineté sur Pedra Branca/Pulau Batu Puteh appartient à la République de
Singapour ;

POUR : M.Al-Khasawneh, vice-président, faisant fonction de président en l’affaire,
MM.Ranjeva, Shi, Koroma, Buergenthal, Owada, Tomka, Keith, Sepúlveda-Amor,
Bennouna, Skotnikov, juges; M. Sreenivasa Rao, jugead hoc ; - 14 -

CONTRE : MM. Parra-Aranguren, Simma, Abraham, juges; M. Dugard, jugead hoc ;

2) Par quinze voix contre une,

Dit que la souveraineté sur Middle Rocks appartient à la Malaisie.

POUR : M. Al-Khasawneh, vice-président, faisant fonction de président en l’affaire ;
MM.Ranjeva, Shi, Koroma, Parra-Arangur en, Buergenthal, Owada, Simma, Tomka,
Abraham, Keith, Sepúlveda-Amor, Bennouna, Skotnikov, juges; M. Dugard, jugead hoc ;

CONTRE : M. Sreenivasa Rao, jugead hoc ;

3) Par quinze voix contre une,

Dit que la souveraineté sur South Ledge appartie nt à l’Etat dans les eaux territoriales duquel
il est situé.

POUR : M.Al-Khasawneh, vice-président, faisant fonction de président en l’affaire ;

MM. Ranjeva, Shi, Koroma, Buergenthal,Owada, Simma, Tomka, Abraham, Keith,
Sepúlveda-Amor, Bennouna, Skotnikov, juges ; MM. Dugard, Sreenivasa Rao,
juges ad hoc ;

CONTRE : M. Parra-Aranguren, juge.

*

M. le juge Ranjeva joint une déclara tion à l’arrêt ; M. le juge Parra-Arangurenoint à l’arrêt

l’exposé de son opinion individuelle; MM. les j uges Simma et Abraham joignent à l’arrêt
l’exposé de leur opinion dissidente commune; M. le juge Bennouna joint une déclaration
à l’arrêt; M. le juge ad hoc Dugard joint à l’arrêt l’exposé de son opinion dissidente;
M. le juge ad hoc Sreenivasa Rao joint à l’arrêt l’exposé de son opinion individuelle.

___________ Annexe au résumé n 2008/1

Déclaration de M. le juge Ranjeva

Le juge Ranjeva considère que le présent arrêt ne soulève pas d’objection de fond, dans la
mesure où le titre historique immémorial de la Malaisie sur Pedra Branca/Pulau Batu Puteh est

établi tandis que la souveraineté de Singapour sur cette formation à la date de la décision de la Cour
ne peut raisonnablement être mise en cause. Tel n’est pas en revanche le cas de la démonstration à
laquelle la Cour a procédé s’agissant du passage de la souveraineté du Johor vers Singapour. Le

juge Ranjeva fait dès lors observer que l’objet de sa déclaration est de proposer une base alternative
sur laquelle la Cour aurait pu se fonder.

Dans le cas d’espèce, l’arrêt prête au Johor un acquiescement au transfert de son titre de
souveraineté sur Pedra Branca/Pulau Batu Puteh. Selon le juge Ranjeva, le transfert de

souveraineté ne peut résulter que de deux facteurs: soit la survenance d’un acte équivalent
(hypothèse visée au paragraphe 120 de l’arrêt), soit l’introduction d’un titre juridique supérieur. En
l’absence de réalisation de cette seconde hypothèse, le juge se demande comment il a pu avoir été

mis fin au titre du Johor en l’absen ce du consentement de celui-ci. Faute de preuves, l’arrêt se
fonde alors, sur une présomption de consentement pour conclure au transfert de souveraineté, ce
qui est critiquable car non conforme à la réalité des faits.

Le juge Ranjeva estime que l’arrêt a conclu ainsi pour n’avoir pas tenu compte de la
méthode historico-critique lorsqu’il a interprété les faits à la lumière du contexte juridique et
politique qui prévalait. Si les relations entre les puissances coloniales souveraines relevaient du
droit international, il est difficile de soutenir que les relations entre le Royaume-Uni et le Sultanat

de Johor étaient établies sur la base de rappor ts entre sujets souverains et égaux de droit
international. Ainsi, la souve raineté reconnue aux autorités indigènes n’était pas opposable aux
puissances coloniales, les premières ayant comme seule obligation de se soumettre à la volonté des
secondes. Le sultan de Johor ne pouvait, dans ces conditions, exprimer la moindre opposition à

une décision des Britanniques. Le juge Ranjeva estime dès lors que l’on ne peut parler en l’espèce
de transfert international de titre par acquiescement, alors que, selon les règles et la pratique des
puissances coloniales, il s’agit de l’exercice d’un titre colonial territorial. On ne pouvait donc
reprocher à Johor son silence tout au long de la période coloniale. La situation est différente depuis

l’accession des Parties à l’indépendance: la Malaisie ne peut plus opposer son silence face aux
comportements concluant à la souveraineté de Singapour sur Pedra Branca/Pulau Batu Puteh. En
conclusion, Singapour est souveraine sur l’île.

Opinion individuelle de M. le juge Parra-Aranguren

I

1. Le juge Parra-Aranguren considère que l es conclusions énoncées par la Cour dans son
arrêt démontrent qu’il est possible de trouver des raisons juridiques à l’appui de n’importe quelle
décision.

II

2. Le juge Parra-Aranguren a voté contre l’alinéa 1 du paragraphe 300 de l’arrêt au motif que
celui-ci repose essentiellement su r l’interprétation de la corr espondance de1953 exposée dans la

section 5.4.5, ce qu’il ne peut accepter. - 2 -

3. Le 12 juin 1953, Singapour a demandé des renseignements au Johor pour tenter d’éclaircir

la question du statut de Pedra Branca/Pulau Batu Puteh, en raison de l’importance de cette île pour
la détermination des eaux territoriales singapouriennes; elle désirait savoir, en particulier, s’il
existait des documents indiquant que l’île avait fa it l’objet d’un bail ou d’une concession, ou si le
Johor l’avait cédée ou en avait disposé de toute autre manière. Le secrétaire d’Etat par intérim du

Johor a répondu le 21 septembre 1953 en informant Singapour que «le gouvernement du Johore ne
revendiqu[ait] pas la propriété de Pedra Branca» (par. 192 et 196 de l’arrêt).

4. Singapour a affirmé «que, «en indiquant que le Johor ne revendiquait pas Pedra Branca,
[la] lettre [du secrétaire d’Etat par intérim du Johor] a eu pour effet de confirmer le titre
singapourien sur Pedra Branca et l’ab sence de titre, historique ou autre, du Johor sur l’île»». De
plus, Singapour a souligné que son argument ne consistait pas à dire que «en 1953, le Johor a[vait]

abandonné un titre sur Pedra Branca ou y a[vait] renoncé » et que la lettre de 1953 adressée par le
Johor contenait «une déclaration explicite selon laquelle le Johor n’avait pas de revendication de
propriété sur Pedra Branca».

5. A cet égard, le juge Parra-Aranguren rappelle que dans les sections précédentes de l’arrêt,
la Cour a conclu qu’avant1953, Pedra Branca/Pula u Batu Puteh appartenait à la Malaisie et que,
pour cette raison, selon lui, la lettre de 1953 envoyée par le Johor ne pouvait avoir eu pour effet de

confirmer que Singapour détenait le titre sur Pedr a Branca/Pulau Batu Puteh ou que le Johor ne
détenait pas de titre sur cette île, comme le soutient Singapour.

6. Singapour n’a pas affirmé que la lettre de 1953 devait être entendue comme signifiant que

le Johor abandonnait son titre sur Pedra Branca/Pula u Batu Puteh ou y renonçait et, partant, le
juge Parra-Aranguren estime que cet argument n’aurait pas dû être an alysé et invoqué à l’effet de
conclure que Singapour détenait le titre sur Pedra Branca/Pulau Batu Puteh.

7. Comme l’indique le paragraphe 196 de l’arrêt : «Il n’y eut pas d’autre lettre et les autorités
de Singapour ne donnèrent aucune suite officielle à cette réponse.»

8. De l’avis du juge Parra-Aranguren, le fait qu’«il n’y eut pas d’autre lettre» est surprenant,
étant donné que le Johor n’avait pas communiqué les renseignements demandés par Singapour et
qu’en pareil cas, il est d’usage dans les relations internationales de réitérer la demande par écrit et

d’insister. Singapour a choisi de ne pas le faire et n’a pas exposé à la Cour les raisons d’une telle
abstention.

9. En outre, la lettre du Johor datée de 1953 répondait à une question totalement différente de
celle que posait Singapour, indiquant simp lement que «le gouvernement du Johore ne
revendiqu[ait] pas la propriété de Pedra Branca». Au paragraphe 222 de l’a rrêt, la Cour reconnaît
que «la propriété» est en principe distincte de «l a souveraineté» mais ajoute que «[e]n matière de

litiges internationaux, la «propriété» d’un territoire a parfois été employée comme synonyme de
«souveraineté»». Il n’en reste pas moins que le Johor a utilisé le terme de «propriété» et non celui
de «souveraineté». Par conséquent, selon le juge Parra-Aranguren, si Singapour avait compris que
la lettre de1953 signifiait en réalité que le Johor «ne revendiqu[ait] pas la souveraineté sur Pedra

Branca», elle aurait dû, à tout le moins, demander à la Malaisie l’explicitation dont elle avait besoin
pour «clarifier le statut de Pedra Branca», ce qui était l’objet principal de sa lettre du 12 juin 1953. - 3 -

10. L’absence de «suite officielle» donnée par les autorités singapouriennes est plus difficile
à comprendre que le fait qu’«il n’y eut pas d’autre lettre».

11. De l’avis du juge Parra-Aranguren, si Si ngapour considérait en fait que sa souveraineté
sur Pedra Branca/Pulau Batu Puteh avait été rec onnue, nonobstant les termes ambigus de la lettre

du Johor datée de1953, les principes élémentair es de la bonne foi exigeaient de Singapour une
revendication de souveraineté officielle sur Pedra Branca/Pulau Batu Puteh, notamment à la
lumière des faits mentionnés aux paragraphes 196 et 224 de l’arrêt. Or, Singapour ne l’a pas fait et,
par conséquent, le statut de Pedra Branca/Pulau Ba tu Puteh, loin d’être «clarifié», est demeuré

obscur.

12. Par ailleurs, on peut observer que si d es renseignements ont été demandés au sujet de
Pedra Branca/Pulau Batu Puteh, en raison de l’«i mportance [de la question] pour la détermination

des limites des eaux territoriales de la colonie», il n’y eut pas de réaction, comme l’admet la Cour
au paragraphe 225 de l’arrêt.

III

13. Si le juge Parra-Aranguren a voté contre l’alinéa 1 du paragraphe 300 de l’arrêt, c’est
aussi parce qu’il ne souscrit pas à l’examen du «comportement des Parties après 1953» exposé dans

la section 5.4.6.

14. Dans cette section, la Cour déclare que le comportement du Royaume-Uni et de

Singapour se rattachait à l’exploitation du phare Horsburgh, mais que «tel n’était pas toujours le
cas»; par ailleurs, «[s]ans prétendre à l’exhaustiv ité», la Cour rappelle les actes entrepris par
Singapour à titre de souverain. Toutefois, «la plupart» sont postérieurs à 1953, comme indiqué au
paragraphe 274 de l’arrêt, et la Cour a déjà établi dans son arrêt daté du 10 octobre 2002 qu’une

période d’une vingtaine d’années est «trop brève» (Frontière terrestre et maritime entre le
Cameroun et le Nigéria (Cameroun cN . igéria; Guinée équatoriale (intervenant)), arrêt,
C.I.J. Recueil 2002, p.352, par. 65). En l’espèce, la Cour déclare au paragraphe 34 de l’arrêt que
le 14 février 1980 constitue la date critique aux fins du différend relatif à la souveraineté sur Pedra

Branca/Pulau Batu Puteh. Partant, même à supposer que les actes mentionnés dans la section 5.4.6
de l’arrêt aient été accomplis par Singapour à titr e de souverain, la période considérée est «trop
brève» et c’est pourquoi, de l’avis du j uge Parra-Aranguren, ces actes ne suffisent pas à
compromettre le titre historique du Johor sur Pedr a Branca/Pulau Batu Puteh. Les effectivités de

Singapour ne correspondent pas au droit et, comme la Cour l’a répété à plusieurs occasions,
«[d]ans le cas où le fait ne correspond pas au droit, où le territoire objet du différend est administré
effectivement par un Etat autre que celui qui possède le titre juridique, il y a lieu de préférer le

titulaire du titre» (Différend frontalier (Bur kina Faso/République du Mali), arrêt,
C.I.J. Recueil 1986, p. 587, par. 63).

15. Le paragraphe 275 de l’a rrêt indique que «les autorités du Johor et leurs successeurs

n’ont pas mené la moindre activité sur Pedra Branca/Pulau Batu Puteh après juin1850 et ce,
pendant tout un siècle, voire plus». Des déclara tions similaires figurent également dans plusieurs
autres paragraphes de l’arrêt et ont été faites à maintes reprises par Singa pour dans la présente
procédure. Toutefois, selon le juge Parra-Aranguren, les autorités du Johor et leurs successeurs

n’étaient nullement tenus en droit internationa l de réagir, puisque le Johor détenait le titre
historique sur Pedra Branca/Pulau Batu Puteh, ainsi qu’il est admis dans l’arrêt. Au contraire, la
clarification du statut de l’île revêtait une importance cr uciale pour la Grande -Bretagne, en raison

des investissements substantiels de cette derniè re dans la construction et l’entretien du phare - 4 -

Horsburgh. La Grande-Bretagne a cependant gardé le silence pendant toutes ces années et le statut
de Pedra Branca/Pulau Batu Puteh n’était toujours pas clair en1953, comme l’atteste la lettre de

M. J. D. Higham.

IV

16. Le paragraphe 297 de l’arrê t indique que la Cour «retient le principe selon lequel il faut
établir si South Ledge se trouve dans les eaux te rritoriales générées par Pedra Branca/Pulau Batu
Puteh, qui appartient à Singapour, ou dans cell es générées par Middle Rocks, qui appartient à la

Malaisie» ; et «que South Ledge relève des eaux territoriales générées par la Malaisie continentale,
par Pedra Branca/Pulau Batu Puteh et par Middle Rocks, eaux territoriales qui semblent se
chevaucher». La Cour ajoute au paragraphe298 qu’elle «[a] été spécifiquement priée, dans le
compromis et dans les conclusions finales des Pa rties, de se prononcer sur la question de la

souveraineté sur chacune des trois formations ma ritimes prises séparément», mais fait observer
dans le même temps qu’elle «n’a pas reçu pour mandat de tracer la ligne de délimitation des eaux
territoriales de la Malaisie et de Singapour dans la zone en question». Partant, à l’alinéa 3 du
paragraphe 300 de l’arrêt, la C our «[d]it que la souveraineté sur South Ledge appartient à l’Etat

dans les eaux territoriales duquel il est situé».

17. Le juge Parra-Aranguren considère, co mme indiqué ci-dessus, que Pedra Branca/Pulau

Batu Puteh appartient à la Malaisie et il convient que Middle Rocks relève de la souveraineté de la
Malaisie, ainsi qu’il est dit à l’alinéa2 du paragraphe300 de l’arrêt. Par conséquent, selon lui,
South Ledge est située à l’intérieur des eaux territoriales de la Malaisie et, pour cette raison,
appartient à la Malaisie. C’est pourquoi il a voté contre l’alinéa 3 du paragraphe 300 de l’arrêt.

18. Le 23 novembre 2007, la Cour a informé la Malaisie et Singapour qu’elle se retirait pour
délibérer. Les audiences publiques sur le fond de l’ affaire introduite par Djibouti contre la France
ont commencé le 21janvier2008, et la Cour s’est retirée huit jours plus tard pour entamer son

délibéré qui est en cours. Les audiences publiques sur les exceptions préliminaires en l’affaire
relative à l’Application de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide
(Croatie c. erbie-et-Monténégro) , devant se tenir du 2au 30ma2i008, exigent que

l’argumentation écrite et certaines demandes des Parties soient étudiées soigneusement au
préalable.

19. Le juge Parra-Aranguren souhaite donc souligner que les contraintes découlant des délais

fixés par la Cour pour la préparation de cette opinion individuelle l’ont empêché d’expliciter de
manière approfondie son désaccord avec les alinéas 1 et3 du paragraphe300 et que de ce fait, il
n’a exposé que certaines des raisons principales l’ayant amené à voter contre.

Opinion dissidente commune des juges Simma et Abraham

Les juges Simma et Abraham expriment leur désaccord avec le premier point du dispositif de

l’arrêt, qui attribue l’île de Pedra Branca/Pulau Batu Puteh à Singapour.

Ils approuvent le constat, auque l parvient la Cour au terme de la première partie de son
raisonnement, selon lequel en 1844, à la veille de la construction du phare Horsburgh, l’île relevait

de la souveraineté du Sultanat de Johor. - 5 -

En revanche, ils se dissocient de l’arrêt lors que celui-ci indique qu’il s’est produit, entre
1844 et 1980, un transfert de souveraineté au prof it de Singapour, résultant d’un comportement des

Parties témoignant d’une évolution convergente de leurs positions en ce qui concerne le statut de
l’île.

Tout d’abord, les juges Simma et Abraham ob servent que la Cour s’abstient d’indiquer

clairement sur quel fondement juridique elle s’a ppuie pour justifier un tel changement du titulaire
de la souveraineté en l’absence de tout accord expr ès entre les Etats concernés. En effet, l’arrêt
mentionne, dans la présentation abstraite qu’il fait du droit applicable, la possibilité d’un «accord
tacite» comme celle d’un «acquiescement» du souverain originaire, mais il ne choisit pas entre eux

dans la conclusion concrète qu’il tire de l’examen du comportement d es Parties, ni n’indique si et
comment ils pourraient se combiner. En outre, l’ arrêt ne fait pas mention de la notion de
«prescription acquisitive» qui paraît de nature à rendre compte du processus par lequel un Etat
acquiert la souveraineté sur un territoire qui ne lu i appartenait pas origine llement et sans l’accord

exprès du souverain originaire.

Les juges Simma et Abraham considèrent cependant que l’arrêt fait, en substance,
application des critères qu’ils estiment juridiqueme nt corrects pour apprécier le comportement des

Parties, même s’il ne se réfère pas assez clairement aux catégories juridiques pertinentes, ce qui
n’est pas le plus important.

En revanche, les juges Simma et Abraham sont en désaccord avec la manière dont l’arrêt

applique ces critères au cas d’espèce, et, par suite, avec les conclusions qu’il en tire.

En effet, les faits ne font pas apparaître un exercice de la souveraineté étatique sur l’île
suffisamment clair, constant et public de la part de Singapour et son prédécesseur la

Grande-Bretagne, de telle sorte qu’on ne saurait déduire de l’absence de réaction de la Malaisie, et
son prédécesseur le Johor, un quelconque acquiescement au transfert de souveraineté.

Il manque donc, selon les juges Simma et Abraham, au moins deux conditions de la mise en

Œuvre de la prescription acquisitive ⎯ ou de l’accord tacite, ou de l’acquiescement, ces catégories
juridiques n’étant pas séparées les unes des autres de façon étanche ⎯à savoir, d’une part,
l’exercice effectif par l’Etat qui s’en prévaut (ici Singapour) des attr ibuts de la souveraineté joint à

l’intention d’agir comme souverain, d’autre part, la visibilité de cet exercice permettant d’établir
l’acceptation, par l’absence de réaction, du souverain originaire (ici la Malaisie).

Les actes retenus par la Cour comme des manifestations de souveraineté de la part de

Singapour sont mineurs et sporadiques, et leur si gnification était loin d’être claire aux yeux du
Johor et de la Malaisie. La Cour n’aurait donc pas dû conclure que la souveraineté sur l’île avait
été transférée à Singapour. Elle aurait dû l’attri buer à la Malaisie, en tant que successeur indiscuté
du Sultanat de Johor.

Déclaration de M. le juge Bennouna

Le jugeBennouna, qui a voté en faveur du dispositif de l’arrêt, n’est cependant pas

convaincu par l’ensemble du raisonnement que la Cour a déployé pour le motiver. Après avoir
rappelé les hésitations de la C our lorsqu’elle s’est référée, tout au long de sa jurisprudence
précédente, au droit colonial, le jugeBennouna cons idère que, dans la présente affaire, la Cour
aurait dû se fonder essentiellement sur la pra tique des deux Etats après l’indépendance de

Singapour en 1965 par suite de sa séparation avec la Fédération de Malais ie, constituée en 1963.
La Cour aurait ainsi évité, selon le juge Bennouna, de se prononcer à partir des pratiques coloniales
faites essentiellement de la rivalité entre deux puissances européennes pour asseoir leur hégémonie

dans la région. - 6 -

Opinion dissidente de M. le juge ad hoc Dugard

Le jugeDugard est en désaccord en ce qui concerne la question de la souveraineté sur
Pedra Branca/Pulau Batu Puteh, mais s’associe a ux conclusions de la Cour selon lesquelles le titre
territorial sur MiddleRocks est malaisien et Sout hLedge doit être traité conformément au droit
régissant la délimitation territoriale maritime.

Le juge Dugard partage l’avis de la Cour selon lequel la Malaisie détenait le titre originaire
sur Pedra Branca/Pulau Batu Puteh, mais estime que ni le comportement de la Malaisie, ni celui de
Singapour, au cours de la période allant de 1850 à 1980 n’a remis ce titre en question. Il considère

notamment que la correspondance échangée en 1953 entre le Johor et Singapour n’a pas conduit, ni
contribué, à un changement du titulaire de la s ouveraineté en faveur de cette dernière.
LejugeDugard fait valoir que le comportement manifesté par les Partie s entre1953 et1980 est
équivoque et ne saurait être interprété comme té moignant d’un abandon, par la Malaisie, de son

titre sur Pedra Branca/Pulau Batu Puteh ni d’un acquiescement de sa part à la prétention de
Singapour à ce titre.

Le juge Dugard s’inscrit en faux contre le ra isonnement juridique que tient la Cour à l’appui

de sa conclusion selon laquelle la souveraineté est passée du Johor ou de la Malaisie à Singapour.
Selon lui, les notions d’accord tacite découlant du comportement des Parties, d’évolution des vues
partagées par celles-ci et d’acquiescement ne trouvent pas à s’appliquer au regard des faits ni ne
fondent valablement la thèse d’ une souveraineté à l’égard de Pedra Branca/Pulau Batu Puteh qui

serait passée du Johor ou de la Malaisie à Singapour.

Opinion individuelle de M. le juge ad hoc Sreenivasa Rao

Dans son opinion partiellement dissidente, le juge ad hoc Sreenivasa Rao expose les raisons
qui le conduisent à conclure que la souveraineté sur Middle Rocks aurait elle aussi dû être attribuée
à Singapour. Selon lui, la Malaisie n’a pas assumé la charge de la preuve qui lui incombait aux fins

d’établir que le Johor détenait un titre originaire sur PedraBranca/Pulau Batu Puteh et les deux
autres formations maritimes, Middle Rocks et South Ledge. Le juge ad hoc Sreenivasa Rao estime
que la description historique géné rale du royaume malais ne saurait permettre d’attester avec
certitude et de manière convaincante que le Johor ait jamais considéré ces formations maritimes

comme ses possessions. Pour qu’il soit fait droit à une revendication de possession immémoriale,
il doit d’abord être établi qu’il y a eu possession ef fective, ininterrompue et incontestée. Faute
d’élément de preuve attestant une telle possession, le Johor pourrait, au mieux, être considéré
comme ayant détenu une ébauche de titre, fondée sur la découverte des territoires considérés, qu’il

n’a cependant pas parachevée. Pour ce faire, il lui aurait fallu manifester une autorité étatique
pacifique et continue proportionnée à la nature du territoire en question. Les activités des
Orang Laut, pour autant qu’ils soient considérés comme des sujets du Johor, sont d’ordre privé et
ne constituent pas une manifestation de l’autorité étatique de ce dernier. Les activités de piraterie

des Orang Laut sont encore moins recevables en ta nt qu’éléments de preuve aux fins d’établir le
titre originaire du Johor.

Le juge ad hoc Sreenivasa Rao relève en outre que Singapour a, quant à elle, exercé diverses

fonctions étatiques relativement à Pedra Branca/Pulau Batu Puteh ainsi que le contrôle sur ses eaux
environnantes pendant cent trente ans, après avoir pris possession de cette formation en 1847. En
conséquence, même si, à l’époque où la Grande -Bretagne en a pris possession, Pedra Branca/Pulau
Batu Puteh n’était pas terra nullius , la Grande-Bretagne/Singapour, dès lors qu’elle a présenté des

effectivités supérieures se rapportant à une péri ode de plus de centtrenteans, pourrait être
considérée comme ayant manifesté sa souveraineté sur cette formation et ses environs. Singapour a
donc acquis un titre qu’elle a préservé sans interruptio n et sans qu’il soit contesté. La réponse que - 7 -

le Johor lui a faite en 1953 — réponse dans laquelle il déclarait ne pas revendiquer la propriété du
rocher— le confirme. Etant donné qu’elle détie nt la souveraineté sur Pedra Branca/Pulau Batu

Puteh et ses eaux environnantes, Singapour a également souveraineté sur Middle Rocks et
South Ledge, car ces formations maritimes sont situées dans les limites de ses eaux territoriales.

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Résumé de l'arrêt du 23 mai 2008

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