Résumés des arrêts, avis consultatifs et ordonnances de la Cour internationale de Justice
Document non officiel
AFFAIRE RELATIVE AU MANDAT D’ARRÊT DU 11 AVRIL 2000
(RÉPUBLIQUE DÉMOCRATIQUE DU CONGO c. BELGIQUE)
(MESURES PROVISOIRES)
Ordonnance du 8 décembre 2000
Dans l’affaire relative au Mandat d’arrêt du 11 avril entre autre prié la Cour de faire ordonner la mainlevée
2000 (République démocratique du Congo c. Belgique), la immédiate du mandat d’arrêt litigieux.
Cour a rejeté à l’unanimité la demande de la Belgique La Cour était composée comme suit : M. Guillaume,
tendant à ce que l’affaire soit rayée du rôle. Elle a dit pPrésident; M. Shi, Vice-Président; MM. Oda, Bedjaoui,
quinze voix contre deux que les circonstances, telles
qu’elles se présentaient actuellement à la Cour, n’étaient pasjeva, Herczegh, Fleischhauer, Koroma, Vereshchetin,
Mme Higgins, MM. Parra-Aranguren, Kooijmans, Rezeme
de nature à exiger l’exercice de son pouvoir d’indiquer desAl-Khasawneh, Buergenthal, juges; M. Bula-Bula, M Van
mesures conservatoires, comme le souhaitait la République den Wyngaert, juges ad hoc; M. Couvreur, Greffier.
démocratique du Congo.
Le fond du différend a trait à un mandat d’arrêt *
international décerné le 11 avril2000 par un juge * *
d’instruction belge contre M. Yerodia Abdoulaye Ndombasi Le texte complet du dispositif est le suivant :
– à l’époque Ministre des affaires étrangères de la
République démocratique du Congo, puis Ministre de « 78. Par ces motifs,
l’éducation nationale – en vue de son arrestation provisoire LA COUR,
préalablement à une demande d’extradition vers la 1) À l’unanimité,
Belgique, pour « violations graves du droit international
Rejettela demande du Royaume de Belgique tendant
humanitaire ». Dans sa demande en indication de mesures à ce que l’affaire soit rayée du rôle;
conservatoires, la République démocratique du Congo avait 2) Par quinze voix contre deux,
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165 Dit que les circonstances, telles qu’elles se Cour ne saurait prendre en considération, à ce stade de la
présentent actuellement à la Cour, ne sont pas de nature procédure, les déclarations reconnaissant sa juridiction
à exiger l’exercice de son pouvoir d’indiquer, en vertu obligatoire faites par les Parties, ces déclarations n’ayant été
de l’Article 41 du Statut, des mesures conservatoires. invoquées par le Congo que tardivement. La Cour relève
POUR: M.Guillaume, Président; M.Shi, Vice- que les déclarations en question sont connues tant d’elle-
Président; MM.Oda, Bedjao ui, Ranjeva, Herczegh, même que des Parties à l’affaire et que la Belgique ne
me pouvait pas ne pas s’attendre à ce que lesdites déclarations
Fleischhauer, Koroma, Vereshchetin, M Higgins,
MM. Parra-Aranguren, meooijmans, Al-Khasawneh, entrent en ligne de compte pour fonder la compétence de la
Buergenthal, juges; M Van den Wyngaert, juge Cour en l’espèce. La Belgique avait également fait observer
ad hoc; que sa déclaration excluait la juridiction obligatoire de la
CONTRE : M. Rezek, juge; M. Bula-Bula, juge Cour dans le cas «où les parties auraient convenu ou
conviendraient d’avoir recours à un autre mode de
ad hoc. » règlement pacifiqu»eet qu’en l’occurrence des
négociations au plus haut niveau concernant le mandat
*
* * d’arrêt étaient en cours au moment où le Congo avait saisi la
Cour.
MM. Oda et Ranjeva, juges, ont joint à l’ordonnance des La Cour indique que la Belgique ne lui a fourni aucune
déclarations. MM.Koroma et Parra-Aranguren, juges, ont autre précision quant à ces négociations ou aux
joint à l’ordonnance les exposés de leur opinion
individuelle. M.Rezek, juge, et M.Bula-Bula, juge ad hoc, conséquences qu’elle entendait tirer de la tenue de celles-ci
au regard de la compétence de la Cour, en particulier pour
ont joint à l’medonnance les exposés de leur opinion indiquer des mesures conservatoires. La Cour conclut que
dissidente. M Van den Wyngaert, juge ad hoc, a joint à les déclarations faites par les Parties constituent prima facie
l’ordonnance une déclaration. une base sur laquelle sa compétence pourrait être fondée en
l’espèce.
*
* * Après avoir rappelé que le pouvoir d’indiquer des
mesures conservatoires «a pour objet de sauvegarder le
La Cour commence par rappeler qu’au cours des droit de chacune des Parties en attendant qu’elle rende sa
audiences, elle a été inform ée par la Belgique que, le décision », qu’il « présuppose qu’un préjudice irréparable ne
20novembre 2000, un rema niement ministériel était doit pas être causé aux droits en litige» et que «de telles
mesures ne sont justifiées que s’il y a urgence», la Cour
intervenu au Congo, à l’issue duquel M.Yerodia Ndombasi
avait cessé d’exercer les fonctions de ministre des affaires indique qu’à la suite du remaniement ministériel du
étrangères de la République démocratique du Congo et 20novembre 2000, « MY . erodia Ndombasi a cessé
s’était vu confier celles de ministre de l’éducation nationale; d’exercer les fonctions de ministre des affaires étrangères et
et que cette information a été confirmée par le Congo. s’est vu confier celles de ministre de l’éducation nationale,
moins exposées à des déplacements fréquents à l’étranger ».
La Belgique avait fait valoir que, du fait de ce Elle en conclut qu’«il n’est pas établi qu’un préjudice
remaniement ministériel, la requête du Congo avait été
privée d’objet et devait par suite être rayée du rôle. À cet irréparable pourrait être causé dans l’immédiat aux droits du
égard, la Cour relève que le mandat d’arrêt délivré contre Congo et que le degré d’urgence soit tel qu’il y ait lieu de
M.Yerodia Ndombasi «n’a pas, à ce jour, été rapporté et protéger ces droits par l’indication de mesures
qu’il vise toujours la même personne, nonobstant les conservatoires ».
La Cour ajoute que «si les Parties apparaissent
nouvelles fonctions ministérielles qu’elle exerce, et qu’au
cours des audiences le Congo a maintenu sa demande au disposées à envisager de régler le différend qui les oppose à
fond ». Elle en conclut que « la requête du Congo n’a pas, à l’amiable, les positions qu’elles ont exposées devant [elle]
l’heure actuelle, été privée d’objet» et qu’elle «ne saurait quant à leurs droits respectifs demeurent fort éloignées».
dès lors accéder à la demande de la Belgique tendant à ce Elle note que «si toute négociation bilatérale en vue de
que l’affaire soit rayée du rôle à ce stade de la procédure ». parvenir à un règlement direct et amiable demeure la
bienvenue, l’issue d’une telle négociation ne saurait être
Quant à la demande en indication de mesures
conservatoires, la Cour estime qu’elle n’a pas davantage été préjugée»; qu’il estsouhaitable que les questions
privée d’objet du fait du remaniement ministériel dès lors soumises à la Cour soient tr anchées aussitôt que possible»
notamment que lm e andat d’arrêt vise nommément et que «dès lors, il convient de parvenir à une décision sur
M.Yerodia Ndombasi et que le Congo soutient que ce la requête du Congo dans les plus brefs délais». La Cour
indique encore que l’or donnance qu’elle a rendue
dernier continue à jouir d’immunités rendant illicite le aujourd’hui ne préjuge en rien sa compétence pour connaître
mandat d’arrêt.
La Cour aborde ensuite la question de sa compétence. du fond de l’affaire, ni aucune question relative à la
Au cours des audiences, la Belgique avait soutenu que la recevabilité de la requête de la République démocratique du
Congo ou au fond lui-même.
166 Déclaration du juge Oda « il est souhaitable que les questions soumises à la Cour
soient tranchées aussitôt que possible; que dès lors, il
1. Je souscris à la décision de la Cour de rejeter la demande
en indication de mesure conservatoire que le Congo a convient de parvenir à une décision sur la requête du
présentée le 17 octobre 2000 en même temps que sa requête, Congo dans les plus brefs délais » (ordonnance, par. 76).
encore que j’estime qu’il aurait fallu libeller l’alinéa 2 du Je ne vois pas pourquoi la Cour devrait être aussi pressée de
parvenir à une conclusion sur l’interprétation de certains
paragraphe 78 du dispositif de l’ordonnance de la Cour en principes généraux de droit in ternational; peut-être s’agit-il
des termes marquant plus clairement le rejet de la demande
en l’espèce. d’un compromis destiné à contrebalancer le rejet de la
2. À mon avis, la requête déposée par le Congo était, dès demande en indication de mesure conservatoire du Congo. Il
l’origine, sans objet, que M. Yerodia Ndombasi fût Ministre me semble que la Cour a mal compris l’intention de la
Belgique, pour qui, en fait, il n’existe pas de différend à
des affaires étrangères (comme il l’était jusqu’au plaider devant la Cour.
20 novembre 2000) ou Ministre de l’éducation nationale (ce La Belgique souhaitait simplement que les difficultés
qu’il est maintenant). Quoi qu’il en soit, aucun «préjudice
irréparable» n’a selon moi été causé au Congo ni ne auxquelles la région du Congo est en proie ne s’aggravent
« pourrait être causé dans l’immédiat aux droits du Congo » pas et qu’un règlement du «différend» en général soit
du fait du mandat d’arrêt litigieux (voir le paragraphe 72 de recherché conformément, en pa rticulier, aux résolutions
l’ordonnance). Il est à noter que M. Yerodia Ndombasi était 1234 (1999) et 1291 (2000) du Conseil de sécurité,
lesquelles visaient à faire cesser les hostilités et à obtenir un
présent à l’Assemblée générale des Nations Unies à cessez-le-feu.
New York en septembre de l’année en cours.
La Cour semble être amenée à conclure le contraire, à * *
savoir que « la requête du Congo n’a pas, à l’heure actuelle,
été privée d’objet» (ordonnan ce, par.57) et que «la 6. C’est ce raisonnement qui sous-tend la position que j’ai
adoptée sur l’alinéa 1 du paragraphe 78 de l’ordonnance de
demande en indication de mesures conservatoires du Congo
n’a pas été privée d’objet du fait de la nomination de la Cour. J’ai voté en faveur de l’alinéa1 du paragraphe78
M.Yerodia Ndombasi comme Ministre de l’éducation du dispositif de l’ordonnance de la Cour avec beaucoup de
nationale le 20 novembre 2000 » (ordonnance, par. 60), bien réticence et uniquement par esprit de solidarité judiciaire.
qu’elle ne semble pas fournir dans l’ordonnance Mais je persiste à croire qu’il aurait fallu rayer la présente
suffisamment d’explications pour justifier ces conclusions. affaire du rôle général car, à mon sens, il n’y a pas en
l’espèce de différend d’ordre juridique susceptible de
3. Dans la présente ordonnance, la Cour s’abstient de se relever de la juridiction de la Cour.
prononcer sur l’argumentation de la Belgique selon laquelle
«la mesure [conservatoire] tendant à la mainlevée du 7. Dans sa requête du 17octobre 2000, le Congo n’a
mandat d’arrêt que le Congo demande à titre conservatoire indiqué aucun titre de compétence en l’espèce. Il n’a évoqué
serait identique à celle que le Congo réclame au fond» le titre de compétence que le 22novembre 2000, lors du
(ordonnance, par. 73), alors que je crois que ce motif eût été second tour de plaidoiries (CR2000/34, p.17). À ce que
l’on comprend, par ce moyen tardivement invoqué, le
en soi suffisant pour que la Cour rejette la demande en Congo semble se fonder sur la clause facultative –à savoir
indication de mesure conservatoire.
4. La Cour déclare que « les Parties apparaissent disposées le paragraphe 2 de l’Article 36 du Statut de la Cour
à envisager de régler le différend qui les oppose à – lorsqu’il cite une violation du «principe selon lequel un
l’amiable » (ordonnance, par. 76, les italiques sont de nous), État ne peut exercer son pouvoir sur le territoire d’un autre
tandis qu’en fait ce que la Belgique a laissé entendre, c’était État» et du «principe de l’égalité souveraine entre tous les
Membres de l’Organisation des Nations Unies, proclamé par
qu’elle ne verrait pas d’objection à ce que la Cour indique le paragraphe 1 de l’Article 2 de la Charte des Nations
«des mesures conservatoires appelant les Parties à
examiner ensemble, de bonne foi, les difficultés causées Unies». Il semble aussi se fonder sur le protocole de
par la délivrance du mandat d’arrêt, en vue de trouver signature facultative concernant le règlement obligatoire des
une solution au différend qui soit compatible avec leurs différends de 1961, dès lors qu’il fait grief à la Belgique
d’une prétendue violation de l’immunité diplomatique
obligations découlant du droit international, y compris prévue par la Convention de Vienne sur les relations
les résolutions 1234 (1999) et 1291 (2000) du Conseil de diplomatiques de 1961.
sécurité » (CR 2000/33, p. 60; CR 2000/35, p. 18; voir
CR 2000/35, p. 23). 8. Je ne suis pas sûr que, lors du dépôt de la requête du
En fait, la Belgique demande plutôt «à la Cour de rayer du 17octobre 2000, il existait véritablement entre le Congo et
rôle [la présente] affaire … introduite par [le] Congo contre la Belgique «[un] … [différend] d’ordre juridique ayant
pour objet: a)l’interprétation d’un traité, b)tout point de
la Belgique par requête en date du 17octobre 2000» droit international; [etc.]» (Statut de la Cour, Art.36,
(conclusions finales de la Belgique datées du 23 novembre par.2) ou un différend relatif «à l’interprétation ou à
2000). l’application de la Convention [de Vienne sur les relations
5. Je ne peux partager l’avis de la Cour selon lequel
diplomatiques»] (Protocole de signature facultative
167concernant le règlement obligatoire des différends, article La question de l’existence d’un «différend d’ordre
premier). De surcroît, pour qu’un différend ou un différend juridiqu» ou d’un « différend» de ce genre doit,
d’ordre juridique de cette nature existe, il faut que l’une des théoriquement, être réglée avant que la Cour ne se prononce
Parties fasse valoir des demandes d’ordre juridique au titre sur sa compétence. Il est vrai qu’elle peut être généralement
d’une violation par la Partie adverse de ses droits et intérêts, tranchée au stade de l’examen de la compétence une fois
et que cette dernière conteste ces demandes. l’instance introduite devant la Cour (voir «Exceptions
9. Dans sa requête du 17octobre 2000, le Congo n’a pas préliminaires», à la section D (Procédures incidentes) du
Règlement de la Cour).
exposé ses conclusions et, part ant, n’a pas qualifié, suivant
l’une ou l’autre des catégories que j’ai rappelées ci-dessus, 12.Mais s’il advient (comme ce fut le cas dans certaines
le différend qui l’opposerait à la Belgique. affaires récentes) que la Cour soit en mesure de traiter cette
Le Congo a tout simplement dit qu’il pensait, à tort selon question bien plus tôt, c’est-à-dire avant la phase de
moi, que M.Yerodia Ndombasi, Ministre des affaires l’examen de la compétence, elle ne doit pas hésiter à le
étrangères, serait arrêté à cause du mandat décerné par le faire. Les dispositions relatives aux mesures conservatoires
(sect.D (Procédures incidentes ) du Règlement de la Cour)
magistrat belge. Avoir le sentiment ou le pressentiment
d’inconvénients possibles ou potentiels ne saurait, à mon offrent l’occasion idéale de régler cette question en tant que
avis, valoir réclamation au sens juridique du terme et ne question «prépréliminaire». La Cour peut décider de rayer
saurait constituer une base juridique fondant la compétence une affaire du rôle général dès ce stade ou de demeurer
de la Cour. Vers la fin de la procédure orale, le conseil du saisie de l’affaire, après av oir recherché s’il existe un
Congo a déclaré ce qui suit : « différend d’ordre juridique » ou un « différend ».
«[Le] Congo demande à la Cour d’ordonner à la Si la Cour devait attendre le stade de l’examen de la
Belgique de se conformer au droit international; de compétence avant de régler la question de savoir s’il existe
cesser et de s’abstenir de tout comportement de nature à ou non effectivement un différend justiciable, elle serait
accentuer le différend avec [le] Congo; en particulier, de saisie d’un nombre excessif d’affaires analogues au seul
procéder à la mainlevée du mandat d’arrêt international motif qu’un État estimerait qu’un autre État a agi au mépris
délivré contre le Ministre Yerodia» (CR2000/34, du droit international. Je crains que de nombreux États ne
retirent alors leur déclaration d’acceptation de la juridiction
p. 23);
et l’agent du Congo a demandé à la Cour «de dire le obligatoire de la Cour pour éviter que d’autres États ne
droit… et [de] persuad[er]… le juge belge Vandermeersch soumettent abusivement des affaires à celle-ci par de telles
de retirer son mandat qu’il a lancé sur le plan international » voies.
(ibid., p. 27). Je répète que le Congo n’a pas mis au jour un
Déclaration du juge Ranjeva
différend d’ordre juridique l’opposant à la Belgique et n’a
pas non plus précisé les droits et intérêts que la Belgique J’ai voté en faveur du dispositif de l’ordonnance en
aurait violés. Le Congo souhaitait tout simplement avoir raison du paragraphe 76: un règlement définitif de toutes
confirmation de certains principes de droit international les questions soumises à la Cour, qui intervient dans les plus
touchant l’exercice de la compétence étatique.
10.Les questions concernant le champ et l’étendue de la brefs délais et dont la conduite de la procédure bénéficie, à
cette fin, de la pleine coopération des Parties, est la plus
compétence étatique sont assurément des questions appropriée des mesures conservatoires.
majeures du droit international général, mais la Cour ne
saurait les traiter à moins qu’elles ne fassent l’ objet d’un Opinion individuelle du juge Koroma
différend dont elle serait saisie.
J’ai voté en faveur de la présente ordonnance, non sans
* quelques doutes et hésitations, tenant aux prolongements de
l’affaire elle-même et aux pr incipes juridiques en jeu.
11.On peut soutenir que, dans une affaire donnée, la
question de savoir s’il existe un différend –un différend L’affaire implique des principes fondamentaux du droit, des
d’ordre juridique au sens du paragraphe 2 de l’Article 36 du intérêts d’ordre national et de plus vaste portée, à quoi
Statut de la Cour, ou un différend au sens du Protocole de s’ajoutent les circonstances no uvelles, survenues après que
la Cour eut été saisie de la demande en indication de
signature facultative de 1961 – est une question qui doit être mesures conservatoires.
tranchée par la Cour au st ade de l’examen de sa
compétence. Je crois cepend ant que cette question est Compte tenu des principes juridiques qui s’opposent et
différente de celle qui se pose lorsqu’un État défendeur des circonstances actuelles, la demande en indication de
soulève une exception préliminaire dans le cadre d’une mesure conservatoire soumise pa r la Partie requérante pour
affaire introduite par voie de requête unilatérale, et qui est préserver ses droits ne peut être jugée comme étant sans
de savoir si un État peut être obligé à se présenter devant la fondement, et moins encore sans portée ou sans objet, voire
comme futile. Des questions graves sont en jeu, qui
Cour du fait qu’il a accepté volontairement et à l’avance sa devraient être tranchées au ca s où l’affaire serait examinée
juridiction, dans des circonstances où, en principe, le
consentement des parties est essentiel. au fond.
168 Conformément à son Statut et à sa jurisprudence, la l’objet de la requête n’a pas disparu, tout autant que sa
Cour fait droit à une demande en indication de mesure décision d’examiner l’affaire dans les plus brefs délais sont
conservatoire s’il existe un différend et s’il est établi qu’il y à la fois judicieuses et appr opriées dans les circonstances
a urgence et qu’il s’avère probable qu’un préjudice présentes.
irréparable en résultera pour les droits ou les intérêts des
parties. En d’autres termes, la Cour indique des mesures Opinion individuelle du juge Parra-Aranguren
conservatoires lorsqu’un différend oppose les parties et que
l’urgence et le risque de préjudice irréversible existent de 1.Bien qu’ayant voté en faveur du dispositif de
façon bien réelle. l’ordonnance, j’estime devoir formuler les observations
suivantes.
Selon la requête, tant l’existence du mandat d’arrêt
international que son exécution –objet du différend 2. Dans sa requête, la République démocratique du Congo
– auraient non seulement pour effet d’entraver l’exercice invoque, pour fonder la comp étence de la Cour, le fait que
par M.Yerodia Ndombasi de ses fonctions de ministre des «la Belgique a accepté la juridiction de la Cour et, [qu’]en
affaires étrangères mais enco re porteraient un préjudice tant que de besoin, la présente requête vaut acceptation de
cette juridiction par la République démocratique du Congo »
irréparable à ses droits. À mon avis, on ne saurait prétendre (ordonnance, par. 2).
que ce risque n’existait pas. Mais, indépendamment du
risque en question, le portefeuille de ministre des affaires 3.La République démocratique du Congo, dans sa
étrangères a cessé d’être confié à M.Ndombasi à la suite demande en indication de mesures conservatoires, n’a
d’un remaniement ministériel à Kinshasa. Cette donnée ne invoqué aucune autrebase de compétence.
pouvait manquer d’être prise en compte par la Cour pour 4. À l’audience du 22novembre 2000, lors de son second
décider s’il y avait lieu ou non de faire droit à la demande en
tour de plaidoiries, la République démocratique du Congo a
indication de mesure conservatoire en ce qui concernait indiqué que :
M.Ndombasi. La Cour, à mon avis à juste titre, a constaté « Prima facie, la compétence de la Cour ne peut être
ce fait, lequel s’inscrivait dans l’argumentation défendue par contestée. Elle découle cl airement des déclarations
la République démocratique du Congo, selon laquelle facultatives de reconnaissance de la juridiction
l’existence du mandat d’arrêt empêchait M.Ndombasi obligatoire de la Cour faites par le Royaume de Belgique
d’exercer ses fonctions de ministre des affaires étrangères,
ce qui, partant, risquait de compromettre les droits de la et la République démocratique du Congo,
respectivement le 3 avril 1958 et le 8 février 1989, et qui
République démocratique du Congo dans la conduite de sa se trouvent en annexe de cette intervention. Et qui,
politique étrangère. La Cour a conclu que, M.Ndombasi apparemment, sont sans réserve». (Ordonnance,
n’occupant plus le poste de ministre des affaires étrangères, par. 42.)
l’urgence invoquée au titre de ses fonctions en tant que tel
s’était trouvée quelque peu atténuée ou amoindrie. Certes, il 5. Le 23novembre 2000, la Belgique s’est opposée «à ce
n’est pas déraisonnable de parvenir à cette conclusion en ce qu’un chef de compétence soit invoqué au stade du second
tour de plaidoiries», en s’appuyant pour cela sur la
qui concerne M.Ndombasi, mais je me demande si la jurisprudence de la Cour (ordonnance, par. 45, 62).
réponse est appropriée s’agissant des droits souverains dont 6. Comme la Belgique l’a rapp elé, la Cour a déclaré le
le Congo est investi en tant qu’État souverain. Je nourris par 2 juin 1999 :
ailleurs quelques doutes quant à l’ampleur du préjudice qui
aurait pu être causé aux intérêts de la République «42. Considérant que la Yougoslavie, après le dépôt
démocratique du Congo par l’émission de ce mandat d’arrêt de sa requête, a en outre invoqué, pour fonder la
et aussi quant à la responsabilité internationale du Royaume compétence de la Cour en l’espèce, l’article 4 de la
Convention de conciliation, de règlement judiciaire et
de Belgique à ce titre. d’arbitrage entre la Belgique et le Royaume de
Enfin, l’ordonnance reconnaît par ailleurs la volonté des
Parties d’examiner de bonne foi les difficultés causées par la Yougoslavie, signée à Belgrade le 23mars 1930; que le
délivrance du mandat d’arrêt, en vue de parvenir à un “complément à la requête” de la Yougoslavie, dans
règlement du différend, si la Cour les y engageait. À mon lequel celle-ci s’est prévalue de cette nouvelle base de
avis, la Cour aurait dû faire une demande en ce sens dans le juridiction, a été soumis à la Cour lors du second tour de
plaidoiries (voir par1.4 ci-dessus); et que la
cadre de la présente ordonnance. On trouve dans sa Yougoslavie n’a pas fourni d’explication sur les raisons
jurisprudence, ainsi que dans celle de sa devancière, la Cour qui l’avaient amenée à déposer ce document à ce stade
permanente, des appels exhortant les parties à ne prendre
aucune mesure susceptible de préjuger des droits réclamés de la procédure;
ou d’aggraver le différend soumis à la Cour ( Compagnie 43C. onsidérant que la Belgique, se référant au
d’électricité de Sofia et de Bulgarie, ordonnance, 1939, paragraphe 2 de l’article 38 du Règlement, expose ce qui
o79, p.199). Je crois qu’un appel en ce suit :
C.P.J.I. série A/B n
sens aurait été utile et conforme aux attributions judiciaires “Il s’en déduit clairement qu’il est inadmissible,
de la Cour. comme en l’espèce, de co mpléter, sur un point
Cela étant et compte tenu de l’importance des questions essentiel, l’argumentation relative à la compétence
juridiques en jeu, la conclusion de la Cour selon laquelle prima facie de [la] Cour, par un nouveau moyen
169 proposé inextremis. D’ailleurs, l’on peut se demandeur qui a commis dans un acte de procédure une
demander pourquoi la République fédérale de erreur qu’il peut facilement réparer”;
Yougoslavie, qui est censé e connaître les traités 43.Considérant que les Pays-Bas font objection à la
auxquels elle prétend auj ourd’hui avoir succédé, n’a présentation tardive par la Yougoslavie de ce chef de
pas cru devoir, comme l’ex igeaient le principe de compétence; qu’ils soutie nnent que le Traité de
bonne administration de la justice et l’article38 règlement judiciaire, d’arbitrage et de conciliation du
précité, formuler ce moyen au stade de l’introduction 11 mars 1931 n’est plus en vigueur entre les Pays-Bas et
de sa requête”;
la Yougoslavie; que les Pays-Bas font observer qu’ils ne
et qu’elle prie dès lors la Cour, “ en ordre principal , sont pas partie à la Convention de Vienne de 1978 sur la
d’écarter ce moyen des débats”; considérant que la succession d’États en matière de traités et que,
Belgique soutient “[e]n ordre subsidiaire ” “que la contrairement à ce qu’il en est pour un certain nombre
Convention de 1930 donne compétence, non à [la] Cour, d’autres traités bilatéraux conclus avec l’ancienne
mais à la Cour permanente de Justice internationale”, et République fédérative socialiste de Yougoslavie, il n’a
qu’elle fait valoir que l’ar ticle 37 est inopérant en pas été passé d’accord provis oire sur le maintien en
l’espèce; et considérant que la Belgique soutient “ [e]n vigueur du Traité de 1931; et que les Pays-Bas font en
ordre tout à fait subsidiaire …qu’aux termes de [la] outre valoir que la Yougoslavie n’a pas respecté les
Convention [de 1930] le recours à la Cour permanente prescriptions de procédure indiquées à l’article4 du
de Justice internationale est subsidiaire” et qu’elle Traité, notamment le préavis d’un mois;
observe que la Yougoslavie “n’a pas épuisé les voies 44.Considérant que l’invocation par une partie d’une
procédurales préalables dont seul l’épuisement peut
donner lieu à une saisine de la Cour permanente de nouvelle base de juridiction au stade du second tour de
plaidoiries sur une demande en indication de mesures
Justice internationale”; conservatoires est sans précédent dans la pratique de la
44.Considérant que l’invocation par une partie d’une Cour; qu’une démarche aussi tardive, lorsqu’elle n’est
nouvelle base de juridiction au stade du second tour de pas acceptée par l’autre partie, met gravement en péril le
plaidoiries sur une demande en indication de mesures principe du contradictoire et la bonne administration de
conservatoires est sans précédent dans la pratique de la la justice; et que, par suite, la Cour ne saurait, aux fins
Cour; qu’une démarche aussi tardive, lorsqu’elle n’est de décider si elle peut ou non indiquer des mesures
pas acceptée par l’autre partie, met gravement en péril le conservatoires dans le cas d’espèce, prendre en
principe du contradictoire et la bonne administration de considération le nouveau ch ef de compétence dont la
la justice; et que, par suite, la Cour ne saurait, aux fins Yougoslavie a entendu se prévaloir le 12mai 1999.»
de décider si elle peut ou non indiquer des mesures (Licéité de l’emploi de la force (Yougoslavie
conservatoires dans le cas d’espèce, prendre en c.Pays-Bas), mesures conservatoires, ordonnance du
considération le nouveau ch ef de compétence dont la 2 juin 1999; C.I.J. Recueil 1999, par. 42 à 44.)
Yougoslavie a entendu se prévaloir le 12mai 1999.» 8.Nonobstant les décisions susmentionnées, la Cour
(Licéité de l’emploi de la force (Yougoslavie adopte en l’espèce une position différente et soutient que
c. Belgique), mesures conservatoires, ordonnance du l’invocation par le Congo, lors du second tour de
2 juin 1999, C.I.J. Recueil 1999, par. 42 à 44.) plaidoiries, des déclarations d’ acceptation de la juridiction
7. Dans une autre ordonnance, rendue ce même jour, le obligatoire de la Cour ne sauraient avoir été de nature à
2 juin 1999, la Cour a confirmé qu’elle ne saurait prendre en mettre gravement en péril le principe du contradictoire et la
considération le nouveau titre de compétence invoqué lors bonne administration de la jus tice (ordonnance, par. 63 et
du second tour de plaidoiries. Elle a dit : 64).
«42. Considérant que la Yougoslavie, après le dépôt 9. À l’appui de sa nouvelle position, la Cour rappelle
de sa requête, a en outre invoqué, pour fonder la d’abord qu’aux termes du paragraphe 2 de l’article 38 de
compétence de la Cour en l’es pèce, l’article 4 du Traité son règlement «la requête indique autant que possible les
de règlement judiciaire, d’arbitrage et de conciliation moyens de droit sur lesquels le demandeur prétend fonder la
entre les Pays-Bas et le Ro yaume de Yougoslavie, signé compétence de la Cour» (les italiques sont de la Cour).
à LaHaye le 11mars 1931; que le “complément à la Toutefois, d’après moi, le motif avancé n’est pas
requête” de la Yougoslavie, dans lequel celle-ci s’est satisfaisant, car cette disposition était en vigueur en juin
prévalue de cette nouvelle base de juridiction, a été 1999 et n’a pas empêché la Cour de parvenir à une
soumis à la Cour lors du second tour de plaidoiries (voir conclusion différente dans les affaires précédemment
par.14 ci-dessus); que la Yougoslavie n’a pas fourni évoquées.
d’explication sur les raisons qui l’avaient amenée à 10.En deuxième lieu, il est dit au paragraphe 63 de
déposer ce document à ce stade de la procédure; et l’ordonnance «qu’il appartient en tout état de cause à la
qu’elle fait valoir que, même si la procédure prévue à Cour de rechercher dans chaque cas si elle a compétence»;
l’article 4 du Traité de 1931 n’a pas été strictement mais, à mon avis, cette tâche, conférée à la Cour, diffère de
suivie, “la Cour, comme sa devancière, la Cour celle qui consiste à rechercher elle-même d’éventuels chefs
permanente de Justice internationale, a toujours appliqué
le principe suivant lequel il ne faut pas pénaliser le de compétence que les parties n’ont pas invoqués.
17011.Troisièmement, la Cour affirme que les déclarations au n’est pas sans disposer d’un e certaine orientation en la
titre de la clause facultative faites par la Belgique et la matière, qui n’est pas seulement celle de sa propre
République démocratique du Congo sont «connues tant de jurisprudence.
la Cour que des Parties», attendu qu’elles ont été dûment 2. Il est question à ce stade non des effets, mais des
déposées auprès du Secrétaire général de l’Organisation des fondements. Ils constituent le bonus fumus juris – le bien-
Nations Unies, lequel en a transmis copie à la Cour ainsi fondé, à première vue, de la thèse que le demandeur invoque
qu’à tous les États parties au Statut et que ces déclarations à l’appui de sa prétention; et le péril en la demeure – les
ont été reproduites dans l’Annuaire de la Cour. Il n’empêche
qu’à mon avis, ni la possibilité d’avoir connaissance des risques liés au retard, le danger qu’il ne soit finalement pas
fait droit à sa prétention comme il convient, au cas où il
déclarations des Parties, ni leur reproduction dans aurait raison, la Cour ne lui ayant pas accordé par
l’Annuaire de la Cour n’ont pour résultat de faire desdites anticipation, ne serait-ce que partiellement, le bénéfice des
déclarations des éléments de la requête déposée par la mesures qu’il demande.
République démocratique du Congo contre la Belgique. 3. Le bien-fondé de la demande déposée par la République
12. Enfin, la Cour fait observer que :
démocratique du Congo est ici apparent. C’est la première
« compte tenu de la présentation adoptée dans la requête fois qu’un État s’adresse à la Cour pour dire qu’un membre
et des conclusions présentées par le Congo, la Belgique de son gouvernement fait l’objet d’un mandat d’arrêt délivré
ne pouvait pas ne pas s’attendre à ce que les déclarations par une juridiction d’un autre État, et que le gouvernement
faites par les deux Parties entrent en ligne de compte de ce dernier apporte un soutien à ce mandat d’arrêt en le
pour fonder la compétence de la Cour en l’espèce» faisant parvenir à l’ensemble de la communauté
(ordonnance, par. 63); internationale.
la Belgique a dès lors été en mesure de concevoir et de faire 4. Indépendamment de la qualité de la personne visée et
valoir toute argumentation qu’elle eût estimé appropriée à tout à fait en marge de la question des privilèges dont
cet égard; et que, partant, la Belgique n’a pas été lésée par le certains agents de l’État jouissent sur le plan international,
fait que la République démocratique du Congo ait invoqué c’est bien la première fois aussi que la Cour se voit saisie du
sa déclaration d’acceptation de la juridiction obligatoire de problème que soulève un acte de juridiction local censé se
la Cour au second tour de plaidoiries. À mon avis, de telles fonder sur le seul principe de la justice universelle –sans
considérations ne doivent êt re prises que comme l’énoncé avoir égard à la territorialité de l’infraction, ni à la défense
de vŒux pieux, nullement étayés par le dossier. de biens et de valeurs essentiels de l’État du for, ni à la
13.Au demeurant, la République démocratique du Congo a nationalité de l’agent ou à celle des victimes – et sans que la
fondé la compétence de la Cour sur sa déclaration personne accusée se trouve sur le territoire de l’État du for.
Prima facie, je considère comme valable la thèse qu’il y a là
d’acceptation de la juridiction obligatoire de la Cour dans atteinte à la règle fondamentale de l’égalité souveraine des
trois requêtes distinctes déposées au Greffe le 23juin 1999
[affaires relatives aux Activités armées sur le territoire du États.
Congo (République démocratique du Congo c. Ouganda) 5. Pour ce qui est de l’urgence, je considère que la situation
(République démocratique du Congo c. Burundi) décrite dans la demande, c’est-à-dire la validité du mandat
(République démocratique du Congo c. Rwanda)]. Elle n’a d’arrêt décerné contre un membre du Gouvernement
pas procédé en l’espèce de la même manière et n’a pas congolais et l’aide que le Gouvernement belge apporte à son
expliqué pourquoi elle n’a invoqué sa déclaration au titre de exécution, constitue une restriction continue et permanente
la clause facultative pour fond er la compétence de la Cour au plein exercice de la fonction publique de la personne en
que lors du second tour de plaidoiries. Par conséquent, cause, ainsi qu’une atteinte vexatoire, elle aussi continue et
j’estime que la Cour ne peut pas prendre en considération permanente, à la souveraineté de l’État demandeur.
cet élément. 6. Quel est le degré d’importan ce du préjudice, et donc le
14.Pour toutes ces raisons, je crois que la Cour ne saurait degré d’urgence? Il ne s’agit pas de savoir si le maintien en
tenir compte du fait que la République démocratique du vigueur du mandat d’arrêt contre le Ministre congolais
Congo ait invoqué sa propre d éclaration d’acceptation de la cause un préjudice irréversible –peu de choses à part la
juridiction obligatoire de la Cour au second tour de mort sont irréversibles– , mais si le prononcé de la mesure
plaidoiries en tant que nouveau fondement de la compétence conservatoire serait de nature à causer, lui aussi, un
de la Cour. préjudice non moins grave que celui que l’on voudrait faire
cesser à titre provisoire. Pour ma part, je ne vois aucun
Opinion dissidente du juge Rezek inconvénient majeur à suspendre les effets du mandat
1. La plupart des systèmes de droit contemporains nous d’arrêt décerné par un juge d’instruction de Bruxelles, ou
plutôt le caractère international que le Gouvernement belge
enseignent, d’une manière assez uniforme, ce qu’est une lui a donné, jusqu’à ce que la Cour statue définitivement sur
mesure conservatoire, et notamment quels en sont les cette question juridique dont l’importance etl’actualité sont
fondements et les effets. Malgré le silence du Statut et du incontestables.
Règlement de la Cour internationale de Justice qui
n’énoncent àce sujet que des règles de procédure, la Cour 7. À cet effet, et contrairement à la majorité, j’aurais fait
droit à la demande de mesure conservatoire.
171 Opinion dissidente de M. Bula-Bula, respectives des Parties rela tives à l’acceptation de la
juge ad hoc juridiction obligatoire (voir par.61 et 64 de l’ordonnance).
Mais le demandeur n’a pas mentionné avec une précision
Table des matières mathématique le fondement de la compétence de la Cour. Je
souscris aussi à la conclusion contenue dans l’ordonnance
Introduction jugeant que «la demande en indication de mesures
I. Lesconvergences conservatoires du Congo n’a pas été privée d’objet du fait
de la nomination de M. Yerodia Ndombasi comme Ministre
II. Lesdivergences de l’éducation nationale le 20novembre 2000» (par.60 de
A. L’urgence
l’ordonnance). J’ai enfin voté avec la majorité de la Cour en
B. Le préjudice irréparable faveur du premier paragraphe du dispositif de l’ordonnance.
C. La préservation des droits À bon droit, la Cour « Rejette la demande du Royaume de
III. Conclusion Belgique tendant à ce que l’affaire soit rayée du rôle».
Cette demande, peut-être légitime pour le défendeur, se
Introduction situe dans la droite ligne de sa prétention exorbitante de
1. J’ai voté avec regret contre le dispositif principal de compétence universelle, telle qu’il la conçoit. Le juge
l’ordonnance du 8 décembre 2000 en indication de mesures international entend l’examiner au fond dans « les plus brefs
conservatoires. Je comprends que la question ait délais» (par.6 de l’ordonnance). Point capital du
compromis judiciaire déci sif conclu, qui limite les
profondément divisé la Cour. Il est ainsi apparu sage de conséquences inéquitables du rejet poli de la demande du
rechercher un compromis entre les membres de la Cour. Congo.
2. Semblable raison peut êt re acceptable. D’autant plus
qu’on se trouve, en la présente affaire, à une étape purement 7. Aussi, je n’aborderai point la question très importante,
procédurale qui ne préjuge des droits d’aucune des Parties. en cette phase de la procédure, de l’articulation juridique
entre la compétence universelle et les immunités d’État.
3. C’est précisément le caract ère de jugement avant-dire
droit qui m’incline à croire que le compromis final auquel a II. Lesdivergences
abouti la Cour est déséquilibré. D’où mon opinion selon
laquelle l’organe judiciaire aurait dû clairement indiquer une 8. Je vais à présent justifier la mesure conservatoire
mesure conservatoire minimale qui me paraît justifiée au minimale que la Cour aurait dû prescrire à mon sens. À cette
regard des circonstances. Sans nécessairement suivre les fin, je dois montrer que le s conditions énoncées par la
jurisprudence, de manière plus ou moins constante, qui
termes de la demande, la Cour aurait pu prescrire d’office subordonnent la prise d’une telle mesure, à savoir l’urgence,
cette mesure comme son Statut (Art. 41) et son règlement
(art. 75) le lui permettent. le caractère irréparable du préj udice et la préservation des
4. Je suis d’avis que la haute juridiction devrait apporter droits des parties, ont été et demeurent remplies (pour la
une réponse certaine, nette et précise, qu’elle soit positive doctrine, voir notamment P.M.Martin, «Renouveau des
mesures conservatoires: les ordonnances récentes de la
ou négative, à la sollicitation du Congo. En d’autres mots, Cour internationale de Justice », JDI, vol. 102, 1975, p. 45 à
elle devrait, soit la rejeter, soit l’accepter. La formule selon 59; J. Peter A. Bernhard, « The Provisional Measures
laquelle «les circonstances, telles qu’elles se présentent Procedure of the International Court of Justice through U.S.
actuellement à la Cour, ne sont pas de nature à exiger
l’exercice de son pouvoir, en vertu de l’Article 41 du Statut, Staff in Tehran: Fiat Justitia, Pereat Curio» , Virginia
des mesures conservatoires» (par. 2 du dispositif de Journal of International Law , vol.20, n 3, 1980, p.592 à
l’ordonnance) ne paraît pas, à première vue, exempte 602).
d’ambiguïté. On était habitué aux circonlocutions d’un AL.’urgence
organe politique principal de l’Organisation des Nations
Unies appelé à prendre des décisions difficiles. On doit à 9. Je suis d’avis que l’urge nce s’apprécie en fonction du
présent s’accoutumer avec des formules proches de l’organe domaine d’activité humaine concernée. On peut l’entendre
judiciaire principal de l’Organisation. L’enseignement, au comme l’état qui vise un traitement rapide du dossier. À
sens large, de la jurisprudence y gagne-t-il? l’intérieur de ce secteur, il est susceptible de degrés, de sorte
qu’il est possible d’établir une hiérarchie parmi les
5. C’est l’une des raisons principales de mon dissentiment situations urgentes: extrême urgence, grande urgence,
[I]. Mais il est vrai que je suis d’accord avec la majorité de
la Cour sur certains points [II]. En définitive, je présente la urgence (voir l’ordonnance du 3mars 1999 en l’affaire
solution adéquate à mon sens [III]. LaGrand «la plus grande urgence» ( C.I.J. Recueil 1999,
par. 9). Dans les divers cas, il y a toujours urgence.
I. Lesconvergences 10.Je réaffirme donc que l’urgence qui s’impose dans cette
affaire présente des particularités. Il ne s’agit ni de l’urgence
6. Je vais signaler brièvement trois points examinés par la
Cour qui rencontrent mon assentiment. Comme la majorité au sens médical du mot, ni de l’urgence dans l’acception
des juges, j’estime que la Cour est prima facie compétente directement humanitaire du terme. C’est une urgence au
(voir par.68 de l’ordonnance) en raison des déclarations sens juridique général du vocable. Elle ne saurait être
172appréciée, ni de manière absolue, ni à la lumière des B. Le préjudice irréparable
précédents singuliers. L’étalon temps dans l’espèce en
15. Je serais enclin à croire que le Congo a subi un préjudice
examen se mesure à l’aune des événements tragiques que irréparable, directement sur le plan moral et, indirectement
subit le Congo et au rythme accéléré des conférences
internationales organisées sur le pays. La Cour a déjà eu sur le plan matériel, physique et humain, du fait de l’acte
connaissance des faits au sujet desquels elle a ordonné des unilatéral de la Belgique à l’encontre du Ministre des
mesures conservatoires (affaire des Activités armées sur le affaires étrangères congolais. Semblable critère est réaffirmé
territoire du Congo, ordonnance du 1 erjuillet 2000). dans la jurisprudence abondante de la Cour, notamment:
affaires des Essais nucléaires (Australie c. France)
11S. i les allégations du Congo, incontestées par la (C.I.J. Recueil 1973, p.103); Personnel diplomatique et
Belgique, d’après lesquelles «plus de la moitié du consulaire des États-Unis à Téhéran (États-Unis
Gouvernement congolais pourra être poursuivie et faire
l’objet d’un mandat d’arrêt international, ainsi que d’une d’Amérique c. Iran) (C.I.J. Recueil 1979, p. 19); Application
demande d’extradition, y compris le Président de la de la Convention pour la pr évention et la répression du
République lui-même» (voir plaidoirie de M.Ntumba crime de génocide [Bosnie-Herzégovine c. Yougoslavie
(Serbie-et-Monténégro)] ( C.I.J. Recueil 1993 , p.9 );
Luaba Lumu, compte-rendu de l’audience publique du Bréard ( C.I.J. Recueil 1998,6p);. LaGrand
22novembre 2000, CR2000/34, p. 20), étaient fondées (C.I.J. Recueil 1999, p1.5); Activités armées sur le
ainsi que les assertions du Congo selon lesquelles « un parti territoire du Congo (République démocratique du Congo
politique d’opposition au Gouvernement congolais
fonctionnant sur le territoire belge» figurerait parmi les c. Ouganda) (C.I.J. Recueil 2000, par.39). Mais il demeure
«plaignants » ou que des «raisons de sécurité » empêchent vrai pour le demandeur que actori incumbit probatio. Je ne
le conseil de la Belgique de révéler l’identité des plaignants conteste pas non plus que depuis que M. Yerodia Ndombasi
est passé du Ministère des affaires étrangères au Ministère
de nationalité congolaise (voir plaidoirie de M.EricDavid, de l’éducation nationale, l’ampleur du préjudice que subit le
compte rendu de l’audience publique du 21 novembre 2000, Congo a changé. C’est dire, en d’autres mots, que cet État
CR2000/33, p.23) à l’origine du mandat du 11 avril 2000, continue de subir des dommages mais dans des proportions
n’y aurait-il pas urgence à statuer à titre conservatoire? N’y
va-t-il pas de la sauvegarde de l’utilité de l’office du juge relativement inférieures à celle s connues précédemment du
international d’éviter, dans cette affaire pendante devant lui, point de vue des relations internationales.
la survenance éventuelle d’une situation analogue? 16.Je pense précisément que le mandat d’arrêt du 11avril
2000 a causé un préjudice à la diplomatie congolaise dans la
12.Je suis davantage amené à réfléchir sur cette situation mesure où son chef, qui s’est néanmoins beaucoup déplacé à
lorsque je me réfère aux propos de l’un des conseils du
Congo, membre du gouvernement de ce pays, M.Ntumba l’étranger, dans l’hémisphère Sud, n’a plus été en mesure
Luaba Lumu, qui n’a pas suscité de contestation de la part pendant plusieurs mois de participer à toutes les réunions
de la partie belge. L’orateur s’est posé la question de savoir internationales organisées de par le monde où la question
des activités armées étrangères sur le territoire du Congo
si le remaniement de l’équipe gouvernementale congolaise était utilement examinée. L’État congolais a ainsi pu souffrir
intervenu le 20 novembre 2000 ne répondait pas à la volonté de l’inobservance de la règle de préséance diplomatique
de la Belgique en ces termes : lorsqu’il s’est trouvé représenté à un échelon inférieur dans
« On peut se demander si à travers ce mandat on n’a
pas voulu contraindre les autorités légitimes de la des rencontres des ministres des affaires étrangères. Il en est
République démocratique du Congo à procéder à résulté que la substance des pourparlers, spécialement des
entretiens tendant à mettre unterme au conflit armé, a été
certains réaménagements politiques que la Belgique affectée. Les prérogatives deso uveraineté internationale du
souhaitait et qui ont été du re ste salués.» (Voir compte Congo en ont donc souffert. Il y a là, me semble-t-il, un type
rendu de l’audience publique du 22novembre 2000, de préjudicierréparable (voir EwSatanislawa Alicja
CR 2000/34, p. 10.) Salkiewicz : Les mesures conservatoires dans la procédure
13.Sans que je puisse établir de manière sûre un lien de
des deux Cours de La Haye, Genève, IUHEI, 1984, p. 69 sur
causalité entre certains faits, je peux aussi légitimement «le dommage non susceptible de quelque réparation»).
m’interroger sur le caractère simultané de la visite le Sans que malheureusement une preuve irréfutable ait été
18novembre 2000 d’un memb re du Gouvernement belge à rapportée, une telle situation peut avoir eu des conséquences
Kinshasa, du remaniement du Gouvernement congolais le indirectes sur la vie des populations civiles victimes du
20novembre 2000 et de l’ouv erture des audiences actuelles conflit armé en cours (selon l’International Rescue
à la Cour le 20novembre 2000. Est-ce un pur hasard, cette
coïncidence des calendriers? Committee (États-Unis), Mortality Study Eastern
Democratic Republic of Congo , « of the 1,7 million excess
14. Je suis donc d’avis qu’il y a urgence, quoique atténuée, à deaths, 200000 were attribuable to acts of violence»
édicter des mesures conservatoires. D’autant plus que je (sources : <www.theirc.org/ mortality.htm>).
crains une chose : le règlement judiciaire au fond ne devrait 17.D’autre part, je soutiens que le comportement de la
intervenir, quelle que soit la bonne volonté de la Cour, Belgique a jeté et continue de jeter le discrédit sur le
qu’après un long délai durant lequel l’affaire pourrait courir
Gouvernement du Congo, par ailleurs affaibli par le conflit
le risque d’être rayée du rôle. Sauf imprévu. armé en cours. Il tend à accabl er, a priori, par un jugement
173sommaire, l’une des Parties au conflit d’accusations pour des faits commis au Congo postérieurement à
infamantes au sein de la communauté internationale, de Nuremberg, période de l’apparition de ce nouveau droit
présenter l’agressé comme l’ag resseur (voir la résolution selon le conseil belge. Car, assure Antonio Cassese, la
1234 du 9avril 1999 et la résolution1304 du 16juin 2000 colonisation européenne a causé «la destruction d’ethnies
du Conseil de sécurité). Puisque la Belgique a diffusé, via entières » (Antonio CasseseL ,a«communauté
Interpol, le contenu de son mandat aux États membres de internationale et le génocide», Le droit international au
cette institution, la recherche de solution pacifique au conflit service de la paix, de la justice et du développement ,
armé international ne s’en trouve-t-elle pas ainsi Mélanges Virally, Paris, Pedone, 1991, p. 183).
compliquée? Par là, j’estime que les droits du Congo à la
21N. éanmoins, depuis la nomination de MY . erodia
notoriété internationale ont été atteints. Il s’agit des droits Ndombasi au portefeuille de l’éducation nationale le
extrapatrimoniaux à l’honneur, à la dignité du peuple 20novembre 2000, je suis d’avis que le préjudice
congolais représenté par son État. irréparable subi par le Congo a diminué d’ampleur, puisque
18. Au total, les agissements de la Belgique ont entraîné des l’intéressé se voit attribuer, pour l’heure, les fonctions de
dommages, d’une part, aux droits de souveraineté du peuple ministre de l’éducation nationale dont le volume majeur des
congolais organisé en État indépendant: «la privation de activités se déroule sur le territoire national. Il demeure que
souveraineté subie par l’État ... est une preuve certaine du la portion mineure de cette charge, entendue au sens
caractère irréparable du préj udice » (El-Kosheri, op. classique de la division du travail, dans un monde où de plus
dissidente dans l’affaire relative à des Questions en plus de matières s’internationalisent, intéresse les
d’interprétation et d’application de la Convention de relations internationales. Est-il admissible que cette fraction,
Montréal de 1971 résultant de l’incident aérien de parce que réduite, subisse de telles limitations?
Lockerbie (Jamahiriya arabe libyenne c. Royaume-Uni),
22.D’autre part, l’autonomie constitutionnelle que le droit
C.I.J. Recueil 1992 , p.215). Selon M.S.Oda, l’objet des international reconnaît aux États permet à ces derniers de
mesures conservatoires est de «sauvegarder les droits des désigner librement, sans entrave, ni injonction extérieure, tel
États exposés à un risque imminent de violation ou tel membre du gouvernement, sans égard à ses fonctions
irréparable» (opinion dissidente dans l’affaire LaGrand, nominales, pour des missions à l’étranger. La pratique
C.I.J. Recueil 1999, p. 19, par. 5). D’autre part, il a été porté congolaise, entre autres, paraît abondante en la matière.
atteinte aux droits à la dignité et à l’honneur dudit peuple au
sein de la société internationale, y compris, très D’autant plus que le conflit armé auquel est confronté le
Congo exige la participation, individuelle et collective, des
indirectement sous forme d’au tres préjudices, fussent-ils membres du gouvernement aux négociations bilatérales et
collatéraux. multilatérales tendant à mettre un terme à la guerre. Il est
19.Je ne conteste cependant pas que l’évaluation précise donc possible que le Congo subisse une privation de fait
des dommages causés au Congo n’est guère aisée. Mais dans l’exercice de ses prérogatives souveraines au plan
c’est là une difficulté qui peut surgir dans l’application international si M.Yerodia Ndombasi, en raison de son
pratique du principe. Je souligne encore que l’absence du expérience récente dans ce dom aine ou pour toute autre
chef de la diplomatie congolaise à certaines rencontres raison, ne peut accomplir librement, au nom de son
internationales organisées dans les capitales des pays qui gouvernement, une mission dans certains pays étrangers.
forment le centre du monde, à la différence de ceux de la 23.En dernière analyse, il me semble que la situation de
périphérie du globe, pendant plusieurs mois, a pu entraîner, l’ancien Ministre des affaires étrangères du Congo n’a pas
vraisemblablement, des dommages indirects sur les totalement bouleversé les circonstances ayant dicté la
personnes et les biens congolais se trouvant actuellement en
demande en indication de mesures conservatoires, tant que
territoires théâtres des hostilités. La présence personnelle du l’intéressé demeure membre du Gouvernement congolais. Je
Ministre congolais des affaires étrangères aux rencontres ne nie pas pour autant la différence importante entre les
précitées aurait puépargner des vies humaines. Le Ministre fonctions d’un ministre des affaires étrangères et les charges
en question aurait pu argumenter valablement en vue d’un ministre de l’éducation nationale ainsi que les
d’amener les autres parties au conflit armé à respecter le fondements juridiques différents des immunités attachées à
droit international humanitaire et les droits de l’homme
(voir les déclarations de M.S.Oda dans les affaires Bréard l’un et l’autre postes gouvernementaux.
C. La préservation des droits respectifs des Parties
et LaGrand, sur la nécessité de « tenir compte des droits des
victimes d’actes de violence (aspect qui a souvent été 24.On a épilogué sur les droits respectifs des Parties qu’il
négligé) » (C.I.J Recueil 1999, par. 2 et p. 18, par. 2).
20. Quant au préjudice moral, j’estime qu’il est encore plus convient de préserver. On a ainsi allégué l’identité des
difficile à évaluer avec exactitude. Il n’en est pas pour prétentions du Congo tant en demande de mesures
conservatoires qu’en requête re lative au fond. La Cour n’a
autant bien réel. La Cour pourra, au moment de l’examen de heureusement pas suivi cette argumentation. Je continue de
l’affaire au fond, s’en apercevoi r. Le seul fait d’émettre un croire que les droits de souveraineté du demandeur et ses
mandat d’arrêt contre l’organe d’un État étranger, en l’état droits à l’honneur et à la dignité doivent être sauvegardés
actuel du droit international, est plus que discutable. de manière équilibrée avec les droits du défendeur en
Imaginons la situation inverse où des juges congolais
émettraient des mandats similaires contre des organes belges attendant le jugement au fond. Il y a, dans les circonstances
174actuelles, un déséquilibre entre les uns et les autres. C’est un entrant dans le cadre du présent différend juridique.
risque réel que l’un des États continue à subir la volonté de Ces droits commandent d’être préservés au risque de
l’autre. voir l’une des Parties imposer son ordre politique et
25.Dès lors que le défendeur justifie son comportement juridique à l’autre rendant ainsi sans objet l’examen de
insolite en ces termes : l’affaire au fond (voir ci-dessus, l’indication d’une «liste
d’attent» du mandat d’arrêt de plusieurs ministres
«33. Bien au contraire, la délivrance de ce mandat
d’arrêt est un moyen d’aider le Congo à exercer un droit congolais chez le juge belge et l’allusion du conseil
qui, faut-il le rappeler, est aussi une obligation pour le congolais, membre du Gouvernement congolais, sur les
Congo, à savoir arrêter et poursuivre M.Yerodia souhaits de la Belgique relativement au remaniement
Ndombasi devant les juridictions congolaises pour les ministériel, la simultanéité de certains faits...).
faits qui lui sont imputés.» (Voir plaidoirie de M.Eric 27.Les droits à sauvegarder consistent aussi dans la
David, CR 2000/33, p. 31 et 32.) perrogative souveraine (voir par.40 de l’ordonnance du
J’interprète cette conception comme «l’invocation par 1 juillet 2000 en l’affaire des Activités armées sur le
un État d’un droit nouveau ou d’une exception sans territoire du Congo (République démocratique du Congo
précédent au principe» [de non-intervention] qui «si elle c. Ouganda): «[les] droits à la souveraineté... doivent
était partagée par d’autres États» tendrait «à modifier le retenir l’attention de la Cour dans son examen de la présente
demande en indication de mesures conservatoires »)
droit international coutumie» r (affaire des Activités
militaires et paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci reconnue à chaque État d’ex ercer la plénitude de ses
(Nicaragua c. États-Unis d’Amérique), fond, arrêt, C.I.J. compétences en matière législa tive, exécutive et judiciaire
Recueil 1986, p.109, par. 207). L’un des effets d’un droit sans ingérence extérieure. Nul État ne saurait enjoindre à un
subjectif n’est-il pas l’exclus ion des prétentions tierces ou autre État par des mesures coercitives qu’elles soient
l’obligation des tiers de respecter le droit d’autrui? administratives, judiciaires ou autres, la manière de conduire
les affaires nationales sur son territoire (voir M.Bedjaoui,
En d’autres mots, poursuit le conseil de la Belgique,
«[c]’est dire si le mandat d’arrêt décerné par l’autorité affaire des Questions d’interprétation et d’application de la
judiciaire belge, bien loin de porter atteinte aux droits du Convention de Montréal de 1971 résultant de l’incident
Congo, aide au contraire ce dernier à les exercer» (ibid., aérien de Lockerbie (Jamahiriya arabe libyenne c. États-
p.2). S’agit-il là des conséquences de la vivacité Unis d’Amérique), C.I.J. Recueil 1992 , p1.48, et
S.A.El-Kosheri, ibid., p.215). L’allégation de tout fait qui
éventuelle des souvenirs sur les liens juridiques historiques engagerait éventuellement la responsabilité d’un État doit
qui permettaient d’édicter depuis la métropole des actes être communiquée, par les canaux diplomatiques appropriés,
juridiques produisant des effets outre-mer?
On se trouve ainsi en présence d’une revendication de à ce dernier. Puisque «le droit international exige aussi le
l’idée d’« ingérence judiciaire » (voir Mario Bettati, Le droit respect de l’intégrité politique» (affaire des Activités
militaires et paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci
d’ingérence –-Mutation de l’ordre international, Paris, (Nicaragua c. États-Unis d’Amérique (fond), C.I.J. Recueil
éditions Odile Jacob, 1996, contra S. Bula-Bula, «L’idée 1986, p. 106, par. 202).
d’ingérence à la lumière du Nouvel Ordre Mondial », Revue
africaine de droit international et comparé, t. IV, n o1, mars 28.Il faut souhaiter qu’il n’y ait aucune aggravation ni
1994, «La doctrine d’ingérence humanitaire revisitée», aucune extension du différend entre les deux États, du
ibid., vol. 9, n3, septembre 1997). moment que l’Ambassadeur du Congo accrédité à Bruxelles
a regagné son poste à la fin de novembre 2000 au terme de
Et la Belgique va jusqu’à affirmer que: «Dans ces son rappel consécutif à l’émission du mandat contesté en
conditions, indiquer les mesures conservatoires réclamées avril 2000. Néanmoins, les relations belgo-congolaises,
par le Congo dans la présen te espèce serait constitutif
d’atteinte aux droits conférés à la Belgique par le droit traditionnellement marquées par des hauts et des bas, et ce,
international lui-même. » (Ibid., p. 35.) dès le lendemain de la décolonisation, auraient pu gagner en
qualité si la Cour avait été moins pusillanime.
26.Je persiste à croire que l’analyse développée aux points
A et B ci-dessus a permis de constater l’ urgence relative à III. Conclusion
ordonner des mesures conservatoires. Elle a aussi montré le
préjudice irréparable subi et que continue à subir un État 29.En définitive, je juge opportun et légitime une mesure
décolonisé, de la part de l’ancienne puissance coloniale conservatoire aux termes de laquelle la Cour aurait ordonné
la suspension du mandat du 11avril 2000 en attendant de
convaincue –diraient certains– de sa «mission sacrée de rendre sa décision au fond, dans les plus brefs délais eu
civilisation». Le demandeur ne revendique pas un «droit
fantasmatique » (plaidoirie de M. Eric David, ibid., p. 35). Il égard à l’importance de l’affaire.
apparaît que les reproches articulés par le Congo dans cette 30. Je trouve donc la demande du défendeur relative au rejet
affaire contre la Belgique et implicitement admises par cette de toute mesure conservatoire tout à fait excessive. D’autre
dernière, comme montré ci-dessus, portent bien sur la part, je ne partage pas l’analyse de la Cour sur les
circonstances actuelles qui ne lui commanderaient pas
violation de la souveraineté et de l’indépendance politique
du Congo par la Belgique. Je pense qu’il y a là des droits d’user de son pouvoir tel que défini à l’Article 41 du Statut.
17531. À défaut d’ordonner la mesure conservatoire minimale propres à l’institution, ne soit pas perçue par certains
ci-dessus, la Cour aurait pu insérer dans le dispositif du plaideurs, au premier chef le demandeur dans l’actuelle
projet d’ordonnance mon amendement ainsi conçu : instance, comme un déni de justice. Il y va de la promotion
2. a) Dit que le Royaume de Belgique, qui est du règne du droit. Car, ainsi que l’a dit Lacordaire, entre le
informé de la nature de la revendication de la faible et le fort, c’est la liberté qui opprime et la loi qui
République démocratique du Congo, doit envisager protège. La liberté de négocier entre l’ancienne puissance
l’incidence qu’un arrêt faisant droit à cette revendication coloniale devenue pays industr ialisé et l’ancienne colonie
affaiblie ne s’apparente-t-elle pas à cette situation?
pourrait avoir sur l’exécution du mandat du11avril
2000 et décider si et dans quelle mesure il lui faudrait en 36. ncore que le demandeur ne semble pas avoir
conséquence réexaminer son mandat; administré la preuve de parfaite cohérence devant le
b ) Dit que la République démocratique du Congo, prétoire. Il n’est pas douteux que le plaideur qui intente une
qui est informée de la nature de la revendication du action judiciaire s’oblige, en droit procédural, à suivre un
Royaume de Belgique, d’envisager l’incidence qu’un comportement de nature à maximiser les chances
d’aboutissement heureux de sa cause, fût-ce dans les délais
arrêt faisant droit à cette revendication pourrait avoir sur
l’exécution du mandat d’arrêt du 11avril 2000 et de relativement brefs de la procédure incidente.
décider si et, dans quelle mesure, il lui faudrait en 37. ’autre part, nul n’ignore le rôle de l’opinion
conséquence réexaminer sa position. » principalement ces temps derniers. Mais il importe parfois
Comme M. Oda le rappelle : de contrôler objectivement les «jugements hâtifs de
l’opinion ou des mass media » (opinion dissidente de
«il est établi dans la jurisprudence constante de la Cour
que lorsque celle-ci apparaît prima facie comme étant MB. edjaoui, dans l’affaire relative à des Questions
compétente elle peut (si elle le juge bon) indiquer des d’interprétation et d’application de la Convention de
mesures conservatoires, et cette règle a toujours été Montréal de 1971 résultant de l’incident aérien de
interprétée de façon très libérale en faveur du Lockerbie (Jamahiriya arabe libyenne c. États-Unis
demandeur, de crainte qu’un refus ne soit, sans d’Amérique), C.I.J. Recueil 1992, p. 148).
nécessité, préjudiciable à la poursuite de l’affaire. Par me
conséquent, la possibilité d’indiquer des mesures Déclaration de M Van den Wyngaert,
conservatoires ne peut être refusée in limine que dans juge ad hoc
une affaire où l’absence de compétence est si manifeste
qu’il n’y a pas lieu de s’interroger plus avant sur 1. J’appuie pleinement la décision de la Cour d’écarter la
l’existence de la comp étence lors d’une phase demande en indication de mesure conservatoire de l’État
requérant. Aucun préjudice i rréparable n’a été porté aux
ultérieur»e. (Déclaration deO.da jointe à droits qui font l’objet du différend, et les mesures
l’ordonnance du 14avril 1992 relative aux mesures demandées (mainlevée immédi ate du mandat d’arrêt
conservatoires en l’affaire des Questions litigieux) ne sont pas justifiées par l’urgence.
d’interprétation et d’application de la Convention de
Montréal de 1971 résultant de l’incident aérien de 2. Je tiens à préciser d’emblée que le mandat d’arrêt
Lockerbie (Jamahiriya arabe libyenne c. États-Unis litigieux est un mandat d’arrêt national, et non un «mandat
d’Amérique), C.I.J. Recueil 1992, p. 130). d’arrêt internationl pouvant être mis à exécution
automatiquement dans les pays tiers. Une validation, par les
33.La doctrine s’accorde gé néralement pour reconnaître autorités de l’État où la personne nommée dans le mandat
que le pouvoir de la Cour d’indiquer des mesures d’arrêt a été trouvée, est toujours nécessaire, même dans le
conservatoires vise à «évite r que des décisions soient cas où une notice rouge a été publiée par Interpol, ce qui n’a
privées d’effet utile» (. itzmaurice, The Law and
Procedure of the International Court of Justice , vol.II, pas été le cas pour M. Yerodia Ndombasi.
p. 42, 1986, cité par MA. jibola dans son opinion 3. Je souscris à la déclaratio n qui figure au paragraphe 76
de l’ordonnance et selon laquelle il convient de parvenir à
dissidente en l’affaire des Questions d’interprétation et une décision sur la requête du Congo dans les plus brefs
d’application de la Convention de Montréal de 1971 délais. Le différend entre les deux pays concerne une
résultant de l’incident aérien de Lockerbie (Jamahiriya
arabe libyenne c. États-Unis d’Amériq ue), C.I.J. Recueil question importante qui peut être cruciale pour le
1992, p. 194). développement du droit pénal international moderne. La
question fondamentale qu’il soulève est celle de savoir
34.Puis-je considérer dans l’ espèce en examen que la Cour jusqu’où il est permis (ou jusqu’où il est fait obligation) aux
a interprété la demande de manière libérale? Peut-on États d’aller pour mettre en Œuvre et pour exécuter les
affirmer que la crainte de voir l’affaire rayée du rôle de la normes du droit pénal intern ational. Avec l’accroissement
Cour est exclue? Y a-t-il des doutes sur l’importance de du nombre des États qui adoptent une législation à cet effet,
premier ordre de cette affaire au fond? Pourtant, la
compétence, prima facie , de la Cour en cette affaire est des problèmes analogues à ceux qui ont donné naissance au
admise par une très large majorité des juges. différend entre le Congo et la Belgique risquent de se poser
à l’avenir.
35.Il faut souhaiter que l’attitude de la Cour, dictée La4.communauté internationale souscrit
apparemment par des préoccupations de politique judiciaire incontestablement au principe selon lequel les crimes les
176plus graves au regard du droit pénal international ( core 8. Toutefois, l’incertitude continue de régner quant à ce
crimes), à savoir les crimes de guerre, le génocide et les que cela implique s’agissant de poursuivre des personnes
crimes contre l’humanité, ne doivent pas demeurer impunis. soupçonnées de crimes les plus graves au regard du droit
Toutefois la manière dont cela devrait se concrétiser en international (core crimes) devant les juridictions internes.
pratique donne encore lieu à beaucoup de discussions et de Notamment, la question se pose de savoir si les principes
débats. décrits ci-dessus s’applique nt aux poursuites engagées
5. Idéalement, de tels crimes devraient donner lieu à des devant les juridictions internes aussi bien que devant les
juridictions internationales. Les victimes ou les
poursuites devant des juridictions pénales internationales organisations non gouvernementales représentant ces
permanentes telles que la Cour pénale internationale créée à
Rome par le Statut de la Cour pénale internationale en 1998 victimes font de plus en plus souvent appel à des États tiers
ou les tribunaux internationaux pénaux ad hoc (Tribunal pour poursuivre des personnes soupçonnées des crimes
pénal international pour l’ex-Y ougoslavie (1993), Tribunal internationaux les plus graves ( core crimes) parce que les
pénal international pour le Rwanda (1994) ou le (futur) États sur le territoire desquels ces crimes ont été commis
tribunal spécial pour la Sierra Leone). Il est toutefois clair n’ont pas la volonté ou sont dans l’incapacité d’engager de
telles poursuites. Certaines législations internes (par
que ce ne sont pas toutes les affaires qui relèveront de ces
juridictions. Le principe de la complémentarité inscrit dans exemple celles qui connaissent la notion de partie civile)
le Statut de Rome confère aux États, et non à la Cour pénale permettent en fait à des victimes d’engager des poursuites
internationale, la responsabilité première de poursuivre les pénales sans faire, à cet égard, de distinction sur le point de
core crimes, sauf dans le cas où les États n’ont pas la savoir si la victime est un national de l’État du for ou un
volonté ou sont dans l’incapacité de mener à bien les étranger. Souvent, ces victimes revendiquent le statut de
poursuites (art1.7). De plus, cette juridiction n’a réfugié dans l’État où elles intentent leur action. Dans
certains cas, elles acquièrent la nationalité de l’État où elles
compétence qu’à l’égard des crimes commis après l’entrée
en vigueur du Statut (art. 11). se sont réfugiées. On peut s’attendre à une multiplication
6. Faute de mécanismes de mise en Œuvre supranationaux, d’affaires de cette nature.
le seul moyen de faire respecter le droit pénal international 9. Les États qui engagent des poursuites pénales devant
est celui pour les États de traduire les personnes leurs juridictions internes, de même que les États qui sont
appelés à coopérer avec eux dans des procédures
soupçonnées de crimes internationaux devant les d’extradition, sont tenus d’appliquer les normes du droit
juridictions pénales internes. Les États sont tenus d’une
obligation non seulement morale, mais aussi juridique, au pénal international. De plus en plus souvent, les juridictions
regard du droit international, de faire en sorte qu’ils soient internes doivent aborder des notions techniques délicates de
en mesure de poursuivre les auteurs présumés de crimes droit international public, telles que le jus cogens , les
internationaux devant leurs juridictions internes. Cette obligations erga omnes et la question de savoir quelles sont
obligation découle de toute une série de conventions qui les normes qui font partie du droit international (pénal)
coutumier. Les différentes décision s rendues dans l’affaire
consacrent le principe aut dedere aut judicare. Pinochet (en Espagne, en Belgique, en France et au
7. L’idée que les restrictions traditionnelles aux poursuites
pénales (compétence territoriale, immunités) ne sauraient Royaume-Uni) et l’affaire Bouterse aux Pays-Bas offrent
s’appliquer aux crimes les plus graves au regard du droit des exemples pris parmi les décisions judiciaires nationales,
international (core crimes) fait de plus en plus d’adeptes. De de plus en plus nombreuses, qui traitent (de différents
nombreux instruments internationaux en matière pénale aspects) des questions de droit pénal international dont la
Cour internationale de Justice est aujourd’hui saisie.
(depuis les principes de Nuremberg, en passant par les
diverses codifications ultérieures du droit pénal international 10. L’affaire relative au Mandat d’arrêt du 11avril 2000
jusqu’au Statut de la Cour pénale internationale adopté à (République démocratique du Congo c. Belgique) est la
Rome en 1998) ont consacré de diverses manières les première affaire moderne qui oppose deux États sur les
principes de la compétence universelle, de la problèmes de compétence extrat erritoriale et d’immunité
non-applicabilité des immunités classiques et de découlant de l’application d’une loi nationale mettant en
Œuvre la répression des crimes internationaux les plus
l’imprescriptibilité de ces crimes. Une partie croissante de la graves ( core crimes) devant les juridictions internes. Les
doctrine soutient la thèse selon laquelle ces principes sont
applicables aux crimes les plus graves au regard du droit temps ont changé depuis que la Cour permanente de Justice
international (core crimes) dans les cas où les crimes en internationale a statué dans l’affaire du « Lotus» en 1927.
question sont maintenant prévus et punis par le droit Le droit international exige désormais des États qu’ils
international coutumier. Certains font valoir qu’il existe un poursuivent et répriment les core crimes . Toutefois, une
droit et même un devoir pour les États de traduire en justice incertitude demeure quant à ce qu’implique cette exigence
en pratique, s’agissant de l’application , au plan interne, des
les personnes soupçonnées de tels crimes. Plusieurs lois nationales réprimant ces crimes. Dans un souci de
décisions des tribunaux pénaux internationaux ad hoc
confirment cette façon de voir. certitude juridique, il importe que la Cour internationale de
Justice se prononce sur le fond de l’affaire dont elle est
saisie dans les plus brefs délais.
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Résumé de l'ordonnance du 8 décembre 2000