Résumés des arrêts, avis consultatifs et ordonnances de la Cour
internationale de Justice
Document non officiel
AFFAIRE RELATIVE A LA SENTENCEA-ITRALE
DIJ31 JUILLET 1'989 (GUINE~E-BISSAC U. SENÉGAL)
Ordonnancedu :2mars 1990
D,ansune ordonnance rendue en l'affairerelativeàla droit dans les relations entre la Rtpublique de Gui-
sentence arbitrale du 31 juillet 1989 (GuiniSe-Bissau née-Bissauet la Républiquedu Sénégal ?
c. Sénégal)la Cour a rejetépar 14voix con1:reune la "2) En cas de réponse négative à la première
demande en indication de:mesures conservatoires dé- question, quel est le tracé dela ligne délimitantles
posc!epar la Républiquede Guinée-Bissau. territoires maritimes qui relèvent respectivement de
La composition de la Cour étaitla suivante : la Républiquede Guinée-Bissauet de la République
M. Ruda, présidertt; M. Mbaye, vice-président; du Séntgal ?"
MM. Lachs, Elias, Oda, Ago, Schwebel, sir Robert
Jeniiings, MM. Ni, Evensen, Tarassov, Guillaume, L'article 9 du compromis stipule que la décisiondu
Shahabuddeen,Pathak, juges; M.Thierry,juge adhoc. Tribunal "doit comprendre le tracéde la lignefrontière
riurune carte".
MM. Evensen et Shahabuddeen,juges, ont joint à Le 31 juillet 1989, le Tribunal arbitral a rendu
l'ordonnance des opinioris individuelles. M. Thierry, par 2 voix (dontcelledu Président du Tribunal)contre
juge:ad hoc, y a joint une opinion dissidente:. ilne, une sentence dont le dispositif est ainsi lib:llt
"Vu les motifs qui ont étéexposés, le Tribunal
décide.. . de répondre à la première question for-
multe dans l'article 2 du compromis arbitral de la
façon suivante : l'accord conclu par un échangede
Clans son ordonnance, la Cour rappelle que, le lettres, le 26avril 1990,et relàtlafrontièreen mer
23août 1989,la Guinée-Bissaua introduit une instance fait droit dans les relations entre la République
contre le Séntgal au sujet d'un differend concernant de Guinée-Bissauet la Républiquedu Sénégae ln ce
l'existence et la validitéde la sentence arbitrztlerendue qui concerne les seuleszones mentionnéesdans cet
le 31juillet 1989par le Tribunal arbitral pou!:la déter- accord, à savoir la mer territoriale, la zone contiguë
mination de la frontièremaritime entre les deux Etats. et le plateau continental. La 'lignedroite orientàe
L,e18janvier 1990,la Guinée-Bissau,au m,otifque la 240"'est une ligne loxodromique."
marine de guerre sénégalaisese seraitlivréeàcertaines
actions dans une zone m.aritimeque la Guinée-Bissau Dans cette sentence, le Tribunal conclut aussi que
considèrecomme une zone en litige entre les Parties, a"'ladeuxièmequestion. ..n'appellepas une réponsede
prié:la Courd'indiquer les mesuresconservatoires sui- !sapart" et qu'il "n'a pas jugé utile, étant donnésa
vantes : décision,dejoindre une carte comprenantletracé de la
ligne frontière"; le Président du Tribunal arbitral a
"Afin de sauvegarder les droits de chacune des annexéune déclarationà la sentence.
Parties, celles-ci'abst.iendrontdansla zone en litige
de tout acte ou action aie quelque nature que ce soit La Guinee-Bissau soutientdans sa requête àla Cour
pendant toute la durée de la proctdure jusqu'à la ~qu"'ainsise trouve nouéun nouveau diffkrendrelatif à
décision rendue par la Cour." :IYapplicabiliéutexte rendu comme sentence le31juil-
:let 1989"; elle prie la Cour, en ce qui concerne la
(décisionduTribunal arbitral, de dire et juge:
"- que cette prétendue dtcision est frappte
d'inexistence par lefait que, des deux arbitres ayant
La Cour rappelle ensuite que la présente instance a constitué en apparence une majoritéen faveur du
pour origine les événemeiitssuivants :le 26a.vri11960, texte de la "sentence", l'un a, par une dtclaration
la France et le Portugal ont, par échangecle lettres, annexe, exprimé une opinion en contradiction avec
conclu unaccord en vue de définirlafrontièremaritime celle apparemment votée;
entre leSenégal(qui à cette époque étaitun IEtatauto- "- subsidiairement,que cette prétenduedtcision
nonie de la Communauté)et la province poriugaise de est frappée de nullité,le Tribunal n'ayant pas rt-
Guinée:après I'accessioridu Sénégae lt de la Guinée- pondu complètement à la doublequestionposée par
Bissau à l'indépendance,un différends'est éIlevtentre
les deux Etats au sujet de la délimitationde leurs ter- que de délimitation dûmentportée surune carte etni-
ritoires maritimes; en1985, les Parties ont conclu un
conipromis d'arbitrage en vue de soumettre: ce diffé- n'ayant pas motivélesrestrictionsainsiabusivement
rend àuntribunalarbitral; àl'article2duditcompromis apportées à sa compétence;
ilétaitdemandéau Triburialdestatuer surlesquestions "- quec'est donc à tort que le Gouvernement du
suivantes : Sénégap lrétend imposer àcelui de la Guinée-Bissau
"1) L'accord conclupar un échangede lettres, le l'application de la prétendue sentence du 31juillet
216avril 1960,et relatifàla frontière en nier, fait-il 1989". La Cour relève que, dans sa demande en indication et qu'ilen va ainsi,que laCour soit saisied'un différend
de mesures conservatoires. la Guinée-Bissau explique principal ou d'un sous-différend, d'un différend de
que celle-ci a étémotivéepar base ou d'un différendde second ordre, à la seule
"des actes de souveraineté [du Sénégal]préjugeant coriditionque ladécisiondelaCoursurlesquestions de
de ladécisionquidoitêtrerendue aufondpar la Cour fond qui luisontposées soitun préalablenécessairedu
et de la délimitation maritimequi interviendra par la règlementdu conflit d'intérêts quelesmesuresconcer-
nerit; que, dans la présente affaire, la Guinée-Bissau
suite entre les Etats". soutient que le différendde base concerne les préten-
La Cour résumeensuite les incidents qui ont eu lieu tions conflictuelles des Parties relatives au contrôle,
et quiconsistent en actionsdes deux Partiescontre des l'exploration et à l'exploitation d'espaces maritimes;
navires de pêcheétrangers. que:lesmesuresdemandéesontpourobjetdepréserver
l'intégritédu territoire maritime concerné et que le
rapport exigible entre les mesures conservatoires de-
mandéespar la Guinée-Bissauet l'affaire justiciable
existe bien.
Ence quiconcernesacompétence, la.Courconsidère
ensuite que. en présence d'une demandeen indication L,aCourrelèveque larequêteintroductived'instance
de mesures conservatoires, elle n'a pas, avant de dé- la prie de dire et juger que la sentence arbitrale de
ciderd'indiquer ou nondetellesmesures, à s'assurer de 1989est "frappéed'inexistence" ou. subsidiairement,
manière définitive qu'ellea compétencequant au fond "frappée de nullité" et que "c'est donc à tort que le
de l'affaire, mais qu'elle ne peut indiquer ces mesures Goiivernement du Sénégap lrétend imposer àceluidela
que si les dispositions invoquées par le demandeur Guinée-Bissaul'application de la prétendue sentence
semblent primafncie constituer une base surlaquellela du 31juillet 1989";elle relève aussi que la requête la
compétencede la Cour pourrait être fondée; la Cour prie:donc de se prononcer sur l'existence et la validité
considèreque lesdeux déclarationsque les Parties ont de la sentence, mais qu'ellene laprie pas de se pronon-
faites conformément à l'Article 36, paragraphe 2, du cer sur les droits respectifs des Parties dans la zone
Statut, et que le demandeur invoque, semblent bien maritime en cause. La Courajoute qu'en conséquence
constituer prima facie une base de compétence. les droits alléguésdont il est demandéqu'ils fassent
La Courrelèveque la décisiondans Xaprésente pro- l'objetde mesuresconservatoires ne sont pas l'objetde
cédurenepréjugeenrienlacompétencedelaCour pour l'instance pendante devant la Cour sur le fond de l'af-
connaître du fond de l'affaire. faire et qu'aucune mesure de ce genre ne saurait être
incorporée dans l'arrêtde la Cour sur le fond.
En outre, une décision de la Cour selon laquelle
la sentence est inexistante ou nulle n'impliquerait en
aucune manièreque la Courdécidequeles prétentions
La Guinée-Bissaua demandé à la Cour d'exercer de la demanderesse en ce qui concerne la délimitation
dans la présente procédurelepouvoirque la Cour tient maritime contestée sont fondées,en tout ou en partie;
de l'Article 41de son Statut "d'indiquer, si elle estime ainsi le différend relatià ces prétentions ne sera pas
que les circonstances l'exigent, quelles mesures con- réglépar l'arrêtde la Cour.
servatoires dudroit dechacundoivent êtreprises àtitre Dispositif
provisoire".
"En conséquence,
La Cour fait observer que l'exercice de ce pouvoir "La Cour,
vise à protéger les "droits en litige devant le juge"
(Plateau continental de la mer Egée, C.Z.J. Recueil "Par quatorze voix contre une,
1976,p. 9. par. 25; Personrtel diplomatique et consul- "Rejette lademande enindicationdemesurescon-
taire des Etats-Unis à Téhéran,C.Z.J. Recueil 1979, servatoires déposéeau Greffe par la Républiquede
p. 19,par. 36),que de telles mesures sontprises àtitre Guinée-Bissau le18janvier 1990."
provisoire et "en attendant l'arrêtdéfinitif(Article 41,
paragraphe 2, du Statut), et que, par suite, il s'agit de Résumédes opinionsjointes à l'ordonnance
mesuresqui.entant quetelles, ne sont plus nécessaires Opinion individuelle de M. Evensen
unefoisqueledifférendau sujetdeces droits aété réglé
par l'arrêt dela Cour sur le fond de l'affaire. Les circonstances de la présenteaffaire ne semblent
pas exiger que la Cour exerce son pouvoir d'indiquer
La Cour note aussi que, dans sa requête, la Guinée- des mesures conservatoires en vertu de l'Article41de
Bissau reconnaît que le différenddont elle a saisi la son Statut.
Cour n'est pas le différend sur la délimitationmari- M:aisla Cour n'a pas, avant de déciderd'indiquer ou
time porté devant le Tribunal arbitral, mais "un nou- non desmesuresconservatoires, às'assurer demanière
veau différend relatifà l'applicabilité du texte rendu définitivequ'elle a compétence quant au fond de l'af-
comme sentence le 31juillet 1989";que la Guinée-Bis- faire. Ace sujet, illieude releverque lacompétence
sau a cependant soutenu que des mesures conserva- de la Cour n'a pas étécontestée jusqu'à présent.
toires peuvent êtredemandées, dans le cadre d'une
procédurejudiciaire relative àun sous-différend,pour Le soucid'éviterun préjudiceirréparablene devrait
protégerdesdroitsencausedans le différendprincipal; pas êtreune condition préalable àl'indication de me-
que le seul lien indispensableàl'admissibilitédes me- sures conservatoires. Il n'est question de "préjudice
sures est le lien entre les mesures envisagées et le irréparable" nià l'Article 41 du Statut de la Cour nà
conflit d'intérêts sous-jacentla question ou aux ques- l'article 73de son Règlement.Les pouvoirsdiscrétion-
tions posées à la Cour - ce conflit d'intérêts étaetn naires de la Cour ne devraient pas êtrelimitésde cette
l'occurrence le conflit sur la délimitation maritime manière. Clansla présenteaffaire:,on peut trouver des indica- cloitêtrecompatible avec l'effet d'une éventuelledt-
tions utilesdans laConvention desNations Uiniessurle cision au principal en faveur de I'Etat qui demande de
droitde lamerdu 10 décembre1982,notammentdansla telles mesures. Dans cette affaire, si la Guinée-Bissau
partie Vrelativeà lazone t'conomiqueexclusi.veet dans obtenait quela Courdéclarequelasentence est frappée
lapartie VIrelative au plateau continental.Le Gouver- cl'inexistanceou d'invalidité,le différend initialserait
nenient de la Guinée-Bissauet le Gouvernement du rouvert et chaque partie serait libre d'agir dans les
Sénégao lnt tous deuxsigiiéet ratifiécette coilvention. limites autorisées par le droit international. Cette li-
berté d'action, découlant d'unedécisionde la Cour en
L'article 74de la conventionde 1982.qui traite de la faveur delaGuinée-Bissau,seraiteffectivementincom-
délijnitationde la zone économique exclu~ive entre patible avec la situation créte par l'indication de me-
Etats côtiersvoisins,dispose à sonparagraphe 1que la sures conservatoires ordonnant aux deux Parties de
délimitationde la zone "est effectuéepar voie d'ac- s'abstenir de se livrerà des activités, au lieu d'être
corti". Des dispositions identiques figurent à l'arti- c:ompatibleavec elle comme il serait normal. En con-
cle 83de la convention, eiace qui concerne la délimita- séquence, M. Shahabuddeen ne pense pas que la con-
tion du plateau continental. La convention n'est pas ceptionavancéeparlaGuinée-Bissaupourraitaboutir à
encore entrée en vigueur. ilne dé,cisiondifférente de celàelaquelle la Cour est
parvenue.
Mais ces articles traduisent des principes essentiels
dudlroitinternational dans cedomaine; ilssignifientque (3piniondissidente de M. H. Thierry,juge ad hoc
lesEtats côtiersdoivent ailbesoin concluredesaccords Dans son opinion dissidente. M. Thierry expose les
sur le volume admissible des captures des .stocksde raisonspourlesquelles iln'apu, àregret, s'associeà la
poissons, larépartitiondescapturesentre Ettitsintéres- dtcision de la Cour. Il estime en effet:
sés,ladélivrancede licences de pêche,lesméthodesde 1. Que les incidences relatées dans l'ordonnance
pêche etles types d'engins, la protection des frayères, exigeaient que des mesures conservatoires fussent
lemaintien des contacts nécessairesentre les autorités indiquéeset qu'elles devaient donc l'être conformé-
nationalescompétentes en matièrede pêche ainsique rnent à l'Article 41 du Statut eà l'article 75, paragra-
d'autres moyens permettant l'exploitation rationnelle phe 2, du Règlementde la Cour;
et pacifique de ces ressoiirces vitales de la rner.
2. Qu'aucun obstacle juridique ne s'opposait en
Opinion individuelle de M. Shaizabuddeerz l'espèce à l'exercice par la Cour de son pouvoir d'in-
Dans son opinion individuelle, M. Shahabuddeen dit diquer des mesures conservatoires dès lors que la dé-
qu'il lui semble que la Guinée-Bissaucherchi: àdéfen- cision que la Cour est appelée àprendre sur le fond,
dre, quant au type de lieriqui devrait exister entre les c'est-à-dire sur la validitéde la sentence arbitrale du
droits qu'on cherche à sauvegarder par des mesures 3;ljuillet 1989,affectera nécessairementles droits des
conservatoires et ceux sur lesquels on voudrait qu'il Parties dans la zone maritime contestée;
soit statué dans l'affaire, une conception p1u.slibérale 3. Que la Couraurait dû engager lesParties ànégo-
que celleadoptéeparlaCour. Mais, àsonavis, unetelle cier, sur labasedesassurancesdonnées à cesujetpar le
position connaît des limites tenant au fait que la situa-Sénégal,afin,dansun premier stade, de prtvenir toute
tion créée par 1'indicatio:nde mesures conse:rvatoires aggravation du différend.
Résumé de l'ordonnance du 2 mars 1990