Résumés des arrêts, avis consultatifs et ordonnances de la Cour
internationale de Justice
Document non officiel
AFFAIREDU PLATEAUCONTINENTAL
(TUNISIEIJAMAHIRIYA ARABELIBYENNE)[REQUÊTE À FIN D'INTERVENTION]
Arrêt du 14 avril 1981
Dans son arrêtsur la requête à fin d'intervention et les parties sur la question de savoir si la requêtede
présentée parle Gouvernement de Malte en vertu de Malte àfind'intervention devait êtreadmise ourejetée.
l'Article62du Statut dans l'affairedu plateau continen- Dispositions du Statut et du Règlement de la Cour
tal entre la Tunisie et la Libye, la Cour adit,unani- régissant l'interventionparagraphe 11)
mit6 que la requêtede Malte à fin d'intervention ne
pouvait êtreadmise. L'Article 62 du Statut invoqué par Malte dispose :
"1. Lorsqu'un Etat estime que, dans un diffé-
rend, un intCrêtd'ordre juridique est pour lui en
cause, il peut adresserà la Cour une requête,à fin
La Cour était composCe comme suit : sir Hum- d'intervention.
phrey Waldock, président; M. Elias, vice-président;
MM. Gros, Lachs, Morozov, Nagendra Singh,Ruda, "2. La Cour décide."
Mosler, Oda, Ago, El-Erian, Sette-Camara, El-Khani,
Schwebel, juges; MM. Evensen, JiménezdeArCchaga, Aux termes de l'article 81, paragraphe 2, du Rè-
juges ad hoc. glement, une requête à fin d'intervention fondée sur
l'Article 62du Statut doit préciser l'affaire qu'elle con-
Desopinions individuellesontétCjointesà l'arrêt par cerne et spécifier:
MM. Morozov, Oda et Schwebel. "a) L'intérêt d'ordre juridique qui, selon 1'Etat
Les juges intéressésdefinissent et expliquent dans
ces opinions la position qu'ils prennent sur certains demandant àintervenir, est pour lui en cause;
points traités dans les motifs de l'arrêt. "6) L'objet précisde l'intervention;
Procéduredevant la Cour (paragraphes 1 à 10) "c) Toute base de compétence qui, selon 1'Etat
demandant à intervenir, existerait entre lui et les
Dans son arrêt,la Cour rappelle que le Gouverne- parties. "
ment tunisien et le Gouvernement libyen ont respec-
tivement notifié à la Cour le 1" décembre 1978et le Exposédes thèses de Malte et des deux parties (para-
19février1979uncompromisconclu entre laTunisie et graphes 12 à 16)
la Jamahiriya arabe libyenne leIOjuin 1977en vue de I,a Courrésumel'argumentationprésentéepar Malte
soumettre à laCour undifférendconcernant ladélimita- dans sa requêteet ses plaidoiries et par les deux Parties
tion du plateau continental entre ces deux Etats. dans leurs observations écrites sur la requêtemaltaise
La procédure s'est poursuivie conformCment au et les plaidoiries de leurs conseils.
Statut et au Règlement compte tenu du compromis
conclu entre lesdeux Etats. Lesmemoires de l'un etde Problèmesjuridiques soulevéspar la requêtede Malte
l'autre ontCtédéposéset échangésle 30mai 1980et les ù $n d'intervention (paragraphes 17 à27)
contre-mémoires, deposésrespectivement le 1"décem-
bre 1980par la Tunisie et le 2février1981par laJama- IdaCourconstate que des objections, correspondant
hiriya arabe libyenne,ont étCéchangés àcette dernière aux trois alinéasde l'Article 81, paragraphe 2, ont été
date. soulevées par les deux parties contre la requêtemal-
taise,àsavoirque Malte n'a pasétablil'existenced'un
La Cour ne comptant sur le siège aucun juge de "intérêtd'ordre juridique" qui soit pour elle "en
nationalité tunisienne ou libyenne, chacune des Par- cause", que l'objet de cette requêteest tout à fait
ties s'est prévaluedu droit que lui confère l'Article 31Ctranger au mode d'intervention visé à l'Article 62 et
du Statut de désignerun juge ad hoc pour siégeren qui: Malte n'a pas établi l'existence d'un lien juridic-
l'affaire. La Jamahiriya arabe libyenne a nommé tionnel entre elle et les Partàel'instance. Si la Cour
M. E. JimCnezde Aréchagaet laTunisieM.J. Evensen. venait à conclure que l'une quelconque de ces objec-
tioilsest fondée,illui serait impossible de donner suite
Le 30janvier 1981, leGouvernement de Malte a dé- à la demande d'intervention.
posé une requête à fin d'intervention aux termes de
l'Article 62du Statut. Les Gouvernements de la Tuni- Avant d'examiner ces objections, la Cour fait un
sie et de la Jamahiriya arabe libyenne ont soumis des historique des dispositions du Statut et du Règlement
observationsécritessurcette requêtele26février1981, applicables en matièred'intervention, d'où elleconclut
dans ledélaiquileuravait étéimparti àceteffet. Objec- qua:,dèsl'origine,ila étconvenu de ne pasessayer de
tion ayant étéfaite à la demande d'intervention de rCsoudre dans le Règlementles questions qui avaient
Malte, la Cour a tenu conformément à l'article 84 du CtésoulevCes et de se réserver de les trancher sur la
Règlement, des audiences publiques entre le 19et le base du Statut et eu égard aux circonstances parti-
23mars 1981pour entendre 1'Etatdésireuxd'intervenir culières de l'espèce.Intérêd t'ordrejuridique et objet de I'interverition(pa- d'appliquerdescritères qu'elleaurait pu sanscelajuger
ragraphes 28 à 35) appropriésaux fins de la délimitationdu plateau conti-
La Cour examine si l'intérêd t'ordre juridique invo- nental entre la Libye et la Tunisie. Autoriser une telle
quépar Malteet l'objet déclaré desoninterven.tionsont intervention dans les circonstances de l'espèce lais-
de nature àjustifier l'autc~risationd'intervenir. sixait les Parties dans l'incertitude sur le point de sa-
L'intérêtd'ordre juridique de Malte tient, selon voir si, et dans quelle mesure, elles devraient con-
Malte, à ce que toute conc:lusionde la Cour sur l'iden- sidérer leurs propres intérêts juridiquesvis-à-vis de
tité etla pertinence de facteursgéographique:$ ou géo- hlalte comme faisant partie en réalitéde l'objet de
l'instance. De l'avis de la Cour, un Etat cherchant à
morl3hologiques,aux fins de la délimitationdi1plateau interveniren vertu de l'Article62du Statut n'amanifes-
continental entre la Libye.et la Tunisie ainsi que tout tement pas le droit de mettre les Parties à l'instance
prononcé portant par exemple sur l'incidence de cir- dans cette situation.
constances spéciales ou l'application de principes La Cour comprend les préoccupations de Malte au
équitables dans cette délimitationpeuvent srvoirdes sujet des effetséventuels pour ses propres intérêts des
répercussions sur les droits et intérêts juridiquesde constatations et prononcés de la Cour sur des aspects
Malte dans un règlement futur relatif aux limites du particuliers de l'affaire entre la Tunisie et la Libye. Il
plateau continental maltais avec la Libye et la Tunisie. n'empêcheque, pour les motifs énoncésplus haut, la
Malte souligne que des é:léments de ce genre consti- demande d'intervention n'est pas de celles auxquelles
tuent le seul objet de sainande et qu'elle ne .sepréoc- la Cour puisse accéder en vertu de l'Article62.
cupe:ni du choix de la ligne de délimitationentre ces
deux pays nide l'énoncé par laCourdeprincipes géné- Lienjuridictionnel (paragraphe 36)
raux applicables entre eux. Etantdéjàparvenue àlaconclusionqu'elle nesaurait
De ceque la demande de Malte a trait à des éléments accéder à la requêteà fin d'intervention présentée par
particuliers de l'affaire entre la Tunisie et la Libye, ilMalte, la Cour n'estime pas nécessairede décider en
ressort que l'intérêt juridique dontelle se preurautpor- l'espèce si l'existence d'un lien juridictionnel valable
terait sur des questions qui sontou peuvent êtredirec- entre1'Etatdésireux d'intervenir et les Partieà l'ins-
tement enjeu entre lesParties enl'affaire Tuni,~ielLibye tance constitue une condition essentielle pour qu'un
et qui, sous la formeoù Malte les présente,fcintpartie E:tatpuisse êtreadmis à intervenir en vertu de 1'Arti-
del'objetmêmedecette affaire.Pourtant Malteprécise cle 62 du Statut.
en mêmetempsqu'elle ne cherche pas à soumettreson
propre intérêt dansces questions à une déciS.ionentre
elle et la Libye ou entre el.leet la Tunisie, sot1objectif
n'étantpas d'obtenir une décision quelconque de la
Cour au sujetdeslimites de sonplateau continentalpar Par ces motifs, la Cour dit que la requêtede Malteà
rapport à ces deux pays ou à l'un d'eux. fin d'intervention dans l'instance sur la base de 1'Arti-
cle 62 du Statut ne peut êtreadmise (paragraphe 37).
S':iln'est pas douteux que, comme elle le soutient,
Malte possède quant à la nnanièredont la Courtraitera Résumésdes opinionsjointes à l'arrêt
les facteurs physiques et les considérations jiiridiques
concernant la délimitation1du plateau continental des M. Morozov a voté pourle dispositif de la décision
Et& dans la régionde 1.aMéditerranéecentrale un niais pour le motifsuivant:ilconsidèreque la Cour ne
certain intérêstensiblemeilt plus spécifiqueet plus di- peut connaîtred'une requête à find'intervention que si
rectque celuides Etats étrangersà larégion,iliresteque elleacompétence,sousuneformeousousune autre, en
cet intérêt n'est pas parnature différentdes intérêts vertu du chapitre II du Statut. Le principe consacrépar
d'auitresEtats de la région.Ce que Malte doit établir c,e chapitre est que la Cour ne peut connaître d'un
pour être autoriséeà intervenir en vertu de l'Article 62 différend sans le consentement de tous les Etats par-
du S,tatut, c'est un intérêt d'ordrejuridique pouvant tiesà ce différend.Les dispositionsfondamentales du
êtreaffecté par la décisiclnde la Cour dans l'affaire chapitre II doivent êtrerespectees aussi avant qu'une
entre la Tunisie et la Libye. demanded'intervention vrésentéeauxtermesde 1'Arti-
Erivertu du compromis entre lesdeux Etats, la Cour cle 62puisse êtreautoriSée.D'où la nécessitédu con-
est a.ppeléeà décider des principes et règlesdu droit s1:ntementquis'applique à lademandede Maltecomme
internationalapplicables àla délimitationdes .zonesdu àla demande de tout autre Etat désireux d'intervenir
p1ate.a~continental relevanitdelaLibyeet delaTunisie. sur la base de l'Article 62.
Les deux Etats mettent donc en jeu leurs prc!tentions Malte a reconnuqu'un tel consentementn'existe pas
pour ce qui est des questions visees dans le co:mpromis .entre elle et la Libye et la Tunisie, qui l'une et l'autre
et, ailx termes de l'Article 59du Statut, la déci.sionque ont invoqué l'incompétence de la Cour. Là est par
la Cour rendra les lierà c.etégard.De son cettéMalte principe laquestiondéterminanteque laCouraurait dû
demande à exposer ses vues en faisant cette réserve examiner d'abord.
expresse que son intervention ne doit pas avoir pour
effet de mettre en jeu ses]propresprétentions par rap-
port à la Libye età la Tunisie. Le caractère ~nêmd ee
l'intervention demandéepiirMaltemontre que l'intérêt
d'ordre juridique invoqué par elle ne peut 6:trecon- M. Oda a votéen faveurde l'arrêt parce quela Cour
sidéré comme susceptible d'être en cause en l'espèce est habilitéedécider s'il convient d'admettre ou non
au sens de l'Article 62 du Statut. l'intervention d'un Etat en vertu de l'Article62du Sta-
tilt. Ce pouvoir est cependant interprété d'une façon
Ce:que Malte recherche en réalité,c'est que l'oc- trop restrictive dans l'arrêt carilest loin d'être certain
casion lui soit offerte de plaider en faveur d'une dé- qu'un Etat intervenantdoitdans tous les cas mettre en
cision danslaquelle la Cours'abstiendrait d'adopter ou jeu sesintérêtscommelefait unepartie à l'instance. LaCouraaussi, selonM.Oda, imposéuncritèretrop strict cependant pas l'avis d'après lequel Malte n'a pas
pour déterminer si un inttrêtd'ordre juridique est en prouvé l'existence d'un intérêt d'ordre juridiquequi
causepour Malte. En ce quiconcerne lepoint de savoir "peiit" simplement être"affecté" parla décisionen
si un lienjuridictionnel doit exister entre l'intervenantl'affaire. M. Schwebel considère que, vu la situation
et les parties originairespour qu'une intervention soit géographiquede Malte, de la Libye et de la Tunisie
autorisée, M. Oda est d'avis que cela dépend entre - E:tatsquiselon Maltepartagent un plateau continen-
autres de laquestion de savoir si1'Etattiers invoque un tal unique -. l'important n'est pas l'objet de l'affaire
droit directement liéà l'objet de l'affaire. mais les sujets de l'affaire, tels que la Courles traitera
passages de l'arrêtque la Cour rendra dans l'instance
principale, pourraient bien affecter les intérêtsjun-
diquesdeMalte. M. Schwebelajouteque laCour s'est à
M. Schwebel s'est prononcé pour l'arrêtde la Cour juste: titre abstenue de se prononcer sur le point de
selon lequel l'intervention de Malte n'est pas, vu son savoir si un Etat désireux d'intervenir doit prouver
objet, une intervention au sens de l'Articl62 du Sta- l'existence d'un lien juridictionnel avec les Partiesà
tut. A son avis, la Cour peut raisonnablementdécider l'instance principale, mais il estime quant à lui que
d'exclure la requête de Malte à fin d'intervention l'Article 62 du Statut suffià fournir la base de com-
comme étantcelle d'une "non-partie". Il ne partage pétencevoulue.
Résumé de l'arrêt 14 Avril 1981