Résumés des arrêts, avis coDocument non officielnces de la Cour
internationale de Justice
AFFAIRE RELATIVE À DES ACTIONS ARMÉES FRONTALIÈRES ET TRANS-
FRONTALIÈRES (NICARAGUAC. HONDURAS)[COMPÉTENCEET RECEVABI-
LITÉ]
Arrêd fia20 décembre 1988
Dans cet arrêt,rendu sur l'affaire relative à des p:haseactuelle de la procédure est consacrée, confor-
actions armées frontalières ettransfrontalière:~(Nica- mément àl'ordonnance de la Cour du 22octobre 1986,
raguiic. Honduras), la Cour adit,àl'unanimitei,qu'elle u:niquementaux questionsde lacompétencedela Cour
avaitcompétencepour connaître de la requêtedéposée et de la recevabilitéde la requête.
par le Nicaragua et,à I'un#animitéq,ue la requêteétait
recevable. Charge de la preuve (paragraphe 16)
1.- La question de la compétencede la Cour pour
connaître du différend(paragraphes 17 à 48)
Letexte complet dudispositifde l'arrêt delaCourest
reproduit ci-après: A. -Les deux titres de compétence invoqués
"La Cour, (paragraphes 17 à27)
"1) A l'unanimité,
Le Nicaragua se réfère,comme base de la compé-
"Dit qu'elle a compétence,conformément àI'arti- tence de la Cour,
cle:XXXIdu pacte de Elogota,pour connaitre de la "aux dispositionsde l'article XXXIdu pacte de Bo-
requête déposée palre Gouvernement de la Répu- gota et aux déclarationspar lesquelles laRépublique
blique du Nicaragua le128juillet 1986; du Nicaragua et la Républiquedu Honduras respec-
"2) A l'unanimité, tivement ontacceptélajuridictiondela Courdansles
"Dit que la requêtedi1Nicaragua est recevable." conditionsprévues à l'Article 36, paragraphes 1et 2
respectivement, du Statut de la Cour".
L'article XXXI du pacte de Bogota se lit comme
suit :
Lai composition de la Cour était la suivante : "Conformémentauparagraphe 2de l'Article36du
M. Ruda, président; hl. Mbaye, vice-parésident; Statutde laCourinternationale deJustice, lesHautes
MM. Lachs, Elias, Oda, Ago, Schwebel, sir Robert Parties contractantes en ce qui concerne tout autre
Jennings, MM.Redjaoui, PJi,Evensen, Tarassov, Guil- Etat américain déclarent reconnaître comme obli-
1aum.eet Shahabuddeen,juges. gatoire de plein droit. et sans convention spéciale
M. Nagendra Singh, décédé subitemenlte 11décem- tant que leprésenttraitérestera envigueur,ajuridic-
bre 1988, a participé à to,utes les phases de l'affaire dique surgissant entre elles et ayant pour obje:juri-
jusqii'au jour de sa disparition.
"a) L'interprétation d'un traité;
"6)Toute question de droit international;
Oiitétéjointesàl'arrêtune déclarationpar bd.Lachs "c) L'existence de tout fait qui, s'il était établi,
etdes opinions individuelle^ar MM.Oda, Sckiwebelet constituerait la violation engagement interna-
Shahabuddeen. tional;
"4 La nature ou l'étenduede la réparationqui
Dans ces opinions, les juges intéressés ontdéfiniet découle de la rupture d'un engagement inter-
traitks dans l'arrêt.u'ils ont prise sur certains points national.~
Le Nicaragua invoque comme autre base de com-
*
* * obligatoirefaitesparlesPartiesenapplication de1'Arti-
Procédirreet conclusions des parties (paragraphes 1 cjle36du Statut de la Cour. Le Nicaragua s'estime en
à 15) droit de se réclamer de la déclaration de 1960~our
établirlacompétencedelaCour.LeHonduras soutient
La Courpasse en revue,,pour commencer,les diver- quecette déclarationaété modifiéepar une déclaration
ses étapesde la procédure:;elle rappelle1'obji:tdu dif- postérieure, faite le 22 mai 1986, qu'il a remise au
féreridentre le Nicaragua et le Honduras,à savoir les Secrétairegénérad le l'organisation des Nations Unies
activités que des bandes agissant à :partirdu avant l'introduction de la requêtedu Nicaragua.
Honduras dér>loieraien t lafrontièreentre leHonduras
et le ~icaragÛa et sur le territoire nicaraguaye:n.Sur la Comme les relations entre les Etats parties au pacte
proposition du Honduras, .acceptéepar leNica.ragua,la de Bogota sont régiespar ce seulpacte, laCour recher-che d'abord si elle a compétence sur la base de l'arti- d'acceptation de la juridiction obligatoire conformé-
cle XXXI du pacte. ment aux paragraphes 2 et 4de l'Article 36du Statut.
La lectureque la Courfait ainsi del'article XXXI est
B. - Le pacte de Bogota (paragraphes 28 à 47) confortée par les travaux préparatoires de la confé-
rence de Bogotfi. Le texte qui devait devenir l'arti-
Le Honduras expose dans son mémoireque le pacte cle:XXXIfut discutélors dela réuniondu 27avril 1948
ne "fournit aucune base de compétence à la Cour" et de la commission III de la conférence.Il fut admis que
invoque à cet effet deux exceptions. les Etats qui souhaiteraient, dans leurs relations avec
les autres parties au pacte, maintenirles réserves qui
i) L'article XXXIdupacte de Bogota (paragra- figuraientdansleurdéclarationd'acceptation de lajuri-
phes 29 à 41) diction obligatoire de la Cour, devraientles reformuler
Tout d'abord, pour le Honduras, lorsqu'un Etat par- en tant que réserves au pacte. Cette interprétation ne
tie au pacte a fait une déclaration en application du fut pas contestée en séanceplénièreet l'article XXXI
paragraphe 2 de l'Article 36du Statut, l'étendue dela fut adopté par la conférence sans modification sur ce
compétencede la Cour en vertu de l'article XXXI du point. Elle correspond enoutre àla pratique suiviepar
pacte est déterminée par cette déclarationet, le cas les parties au pacte depuis 1948, qui n'ont à aucun
échéant, par toute réserve y figurant. C'est pourquoi moment établi delien entre l'article XXXI et les dé-
toute modification ou tout retrait d'une telle déclara- cla.rationsd'acceptation delajuridiction obligatoirefai-
tion, validepour l'applicationduparagraphe 2del'Arti- tesconformémentauxparagraphes 2et4de l'Article36
cle 36 du Statut, l'est également pourl'application de du Statut.
l'article XXXI.
iDansces conditions, la Cour est amenée à constater
Cependant le Honduras a présentédeux interpré- que l'engagement figurantà l'articleXXXI du pacte est
tations successives de l'article XXXI en soutenant inclépendantdes déclarations d'acceptation de lajuri-
d'abord que celui-ci, pour conférer compétence à la diction obligatoire effectuées par application du para-
Cour, doit êtrecomplété par une déclarationd'accepta- graphe 2de l'Article36du Statut. Dèslors l'argumenta-
tion de lajuridiction obligatoire et ensuitequ'il n'a pastion du Honduras concernant l'effet des réserves à sa
nécessairement à êtreainsi complété,mais qu'il peut déclarationde 1986surl'engagement qu'ilapris àl'arti-
l'être. cle XXXI du pacte ne peut pas êtreacceptée.
La Cour estimeque la première interprétationavan-
céeparle Honduras, selon laquelle l'article XXXI doit ii) L'article XXXIdu pacte deBogota (paragra-
êtrecomptéparune déclaration,est incompatible avec phes 42 à 47)
les termes mêmesde cet article. Quant à la seconde ]Lasecondeexception du Hondurasrelative à lacom-
interprétation qu'a proposée le Honduras, la Cour pétenceest tiréede l'articleXXXII dupacte de Bogota.
observe que deux lectures de l'article XXXI ont été qui se lit comme suit:
présentées par lesparties.Cet article a étéregardésoit
comme une disposition conventionnelledonnant com- "Lorsque la procédure de conciliation établie
pétence àla Cour conformément au paragraphe 1 de précédemment, conformément à ce traitéou par la
l'Article 36du Statut, soit comme une déclarationcol- volonté des parties, n'aboutit pasà une solution et
lectived'acceptation de lajuridiction obligatoireeffec- que ces dites parties n'ont pas convenu d'une pro-
tuéepar application du paragraphe 2 du mêmearticle. cédure arbitrale, l'une quelconqued'entre ellesaura
Pour ce qui est de cette dernière interprétation,ilcon- le droit de porter la question devant la Cour inter-
vient de constater que cette déclaration a étéincor- nationale deJustice de lafaçon établieparl'Article40
poréeaupacte de Bogota,entantqu'article XXXI.Dès de son Statut. La compétence de la Cour restera
lors elle ne saurait êtremodifiéeque selon les règles obligatoire, conformément au paragraphe a [Il de
fixées par le pacte lui-même.Toutefois la Cour re- l'Article 36 du mêmeStatut."
marque quel'article XXXI n'envisage à aucun moment Le Honduras soutient que l'article XXXI et l'ar-
que l'engagement pris par les parties au pacte puisse ticle XXXII sont indissociables. Le premier fixerait
êtreamendé par voie de déclaration unilatéralefaite l'étendue delacompétencedelaCour; le second déter-
ultérieurementpar applicationdu Statut,et la mention minerait les conditionsde sa saisine. Dèslors, selon le
du paragraphe 2 de l'Article 36du Statut ne suffit pas Honduras, la Cour ne pourrait êtresaisie en vertu de
par elle-même à produire un tel effet. l'articleXXXI que si, conformément àl'article XXXII,
le clifférea étépréalablementsoumis àlaconciliation
Ce silence est d'autant plus significatif que le pacte et s'il n'a pas étéconvenu de recourir à l'arbitrage,
fixe avec précisionlesobligations des parties. L'enga- coiiditions qui ne sont pas remplies en l'espèce. Le
gementfigurant àl'article XXXI vaut ratione materiae Nicaragua, pour sa part, estime que l'article XXXI et
pour les différendsénumérés par ce texte.Il concerne l'article XXXII constituent deux dispositions autono-
ratiorzepersonae les Etats américainspartiesau pacte. mes donnant chacune compétence à la Cour dans les
Il demeure valide ratione temporis tant que cet instru- cas qu'ils prévoient.
ment reste lui-mêmeen vigueur entre ces Etats. Cer-
taines dispositions du traitd (articlesV, VI et VII)res- L'interprétation de l'article XXXII avancéepar le
treignentpar ailleurs laportéede l'engagement pris par Honduras se heurte à la lettre de cet article. En effet,
ces parties. L'engagement figurantà l'article XXXI ne celui-ci ne fait pas référence à l'article XXXI. Les
peut êtrelimitéquepar la voiedesréservesaupacte lui- parties tiennent de ce texte, en termes généraux,un
même enapplication de l'article LV du pacte. Il cons- droit de recourirà la Cour en cas de tentative infruc-
titue un engagement autonome indépendant de tout tueuse de conciliation. De plus il ressort nettement du
autre engagement que les parties peuvent par ailleurs pacte queles Etats américains,en élaborantcet instru-
avoirprisouprendreenremettant au Secrétairegénéral ment, ont entendu renforcer leurs engagements mu-
de l'organisation des Nations Unies une déclaration tuels en matièrede règlementjudiciaire. On en trouveaussi confirmationdans les travaux préparata,iresde la de la demande" qui y est formulée et contienneun
conférencede Bogota :larsous-commission,qui avait "exposésuccinctdesfaits et moyens surlesquelscette
tlaboréleprojet, estimaitque "la principaleprocédure demande repose".
de règlementpacifique des différendsentre les Etats
américainsdevaitêtrelaprocédurejudiciaire devantla C'est pourquoi aucune des exceptions de caractère
Cour internationale de Justice". Or1'interpré:tatinu générao lpposées àlarecevabilitéde larequêtene peut
Honduras impliqueraitque l'obligationde pri:meabord donc êtreretenue.
fermeet sans conditionfigurant àl'articlXXXI esten La troisième exceptiondu Honduras (par. 59 à 76)
fait vidéede tout contenu;si.pour une raisoriou pour repose sur l'articledu pacte de Bogoti, ainsirédigé:
uneautre, ledifférendn'estpaSsoumispréalal>lemê nt "Les Hautes Parties contractantes acceptent
conciliation.Une telle solutionseraià1'tvidt:ncecon- l'obligationdertsoudre lesdifférendsinternationaux
traireà l'objet et au but clupacte. à l'aide des procédurespacifiques régionalesavant
derecourirau Conseilde sécuritédesNations Unies.
Endéfinitive,l'articleXXXI et l'articXXXII orga-
nisent deux voies distinctes permettant d'accéder la Enconséquence,aucasoù surgirait,entre deuxou
Cour. La première conce:rneles cas dans lesquels la plusieursEtats signataires,undifférendqui,del'avis
Courpeut êtresaisiedirectement;laseconde ceuxdans de l'une des parties [dansla version anglaisen the
lesquels les parties recourent préalablemenà la con- opinion of the parties],ne pourrait êtrerésoluau
ciliation. En l'espèce, le Nicaragua ainvoqyél'arti- moyen de négociationsdirectes suivantles voies di-
cle XXXI et non l'articlXXXII. plomatiques ordinaires, les parties s'engagent à
employerles procédures établiesdansce traité sous
C.- Conclusion(paragraphe 48) la forme et dans les conditionsprévues aux articles
suivants, ou lesprocédures spécialesqui, leuravis,
L'articleXXXI dupacte deBogotadonnedonc com- leur permettront d'arriveràune solution."
pétence à laCourpourcorinaîtredudifférendquiluiest Les conclusions du Honduras relatives à l'applica-
souinis. De ce fait, il n'est pas nécessaire la Cour tion de l'article sont les suivantes:
des'interrogersurlacompétencequ'elle pourraitéven-
tuellement tenir des déclarations d'acceptation de la "Le Nicaragua n'apas montré que,de l'avis des
juridiction obligatoirefaites par le Nicaragua et le Parties, ledifftrend nepeut pas êtrerégltpar voiede
Honiduras. négociationsdirectes, de sorte que le Nicaragua ne
procédures établies parle pacte de Bogota, parmi
II -. La questionde la recevabilité dela requêtdu lesquelles figure le renvoi des différends devantla
Nicaragua (paragraphes 49 à 97) Cour internationale de Justice."
S'agissantde larecevatjilitt de larequêtedu Nicara- IdeHonduras soutient que le recours aux procédures
gua, quatreexceptions ont étésoulevéesparleHondu- titabliespar lepacte est subordonnénon seulementà la
ras :deuxd'entre ellesont uncaractèregénérae ltdeux condition que les deux parties soient de l'avis que le
sont.tiréesdu pacte de B.ogot6. difftrend n'est pas susceptibled'êtrerésolu au moyen
Selon la première exception d'irrecevabilité du denégociations,maisaussi àlaconditionqu'elles aient
Honduras(par.51 à 54),larequêteduNicaraguaest une "exprimé" un tel avis.
requête"artificielle, d'irispiration politique, dont la LaCourrelèveunedivergenceentre lesquatretextes
Courne sauraitconnaître sanssedépartirde soncarac- (anglais, français, espagnol, portugais) de l'article
tèrejudiciaire". Pour ce quiestde laprétendueinspira- clupacte. Dans le texte français il est fait référànce
tion politiquede l'instance, laCourobservequ'ellen'a l'avisde l'une des parties. Mais la Courprend comme
pas à s'interroger sur les rnotivationsd'ordre politiquetiypothèsedetravaill'interprétationlaplusrigoureuse,
qui peuvent amener un Eltat, à un moment donnéou à:savoir qu'il convient de rechercher si l'"avis" des
dans des circonstances cléterminées , choisir le rè- cleuxParties etait qu'iln'était pas possiblede résoudre
glementjudiciaire. La Cour ne peut davantageretenir le difftrend au moyen de négociations.Pour opérer
l'autre argumentdu Hon,durasqui reproche au Nica- c:etterecherche, la Cour ne s'estime pas tenue par la
ragua de "diviser artificiellementet arbitrairement le simpleaffirmationde l'uneou l'autre Partiequ'elleest
conflitgénéraq luisedérouleenAmériqueceritrale". Il de tel ou telavi:la Cour, dans l'exercice de sa fonc-
est incontestable que les questions soumiseà la Cour tionjudiciaire, doit êtrelibredeporter sapropreappré-
pourraient êtreconsidéréescommedes éltmentsd'un ciationsur cette question, sur labase des preuves dont
problème régional plus large. Mais, commelaCour l'a elle dispose.
fait observer dans l'affaireduersonnel dipbomatique
et consi~lairedes Etats-Unisà Téhéran" ,aucune dis- La date critique à retenir pour déterminer la re-
position du Statut ou du Règlementne lui interdit de cevabilitéd'une requêteest cellede sondépôt(cf.Sud-
se saisir d'un aspect d'un différendpour la simplerai- Ouest africain, exceptions préliminaires,C.I.J. Re-
son que ce différendcomporterait d'autres aspects, si cueil1962,p. 344).En l'occurrenceils'agitdu28juillet
importants soient-ils" ((7.1.5.Recueil 1980, p. 19, 1986.
par. 36). Pour s'assurer de l'avis des parties, la Cour doit
Dlanssa deuxièmeexce,vtiond'irrecevabilité (par.55 analyserlesévénementsquise sont succédédansleurs
et 56),leHonduras conc1u.tquelarequêteest "'vagueet relations diplomatiques. Elle constate qu'en 1981et
que les allégationsqu'elle contient ne sont pas bien 1.982les Parties ont eu des échangesbilatérauàdiffé-
définies". La Cour constate que la requêtedu Nica- rents niveauxet notammentauniveaudeschefs d'Etat.
ragua remplit les conditicinsque posent le Statut et le Il'une manièregénérale,le Nicaragua recherchait un
Règlementde la Cour, quiexigentqu'une requête indi- accord bilattral tandisque leHonduras mettait de plus
que "l'objet du différend'",énonce"la nature précise e:nplusl'accentsurladimensionrégionale duproblème
241et insistait sur une approche multilatérale. Cela con- Idesparties s'accordentà reconnaîtrequela prksente
duisit finalement le Hondurasà prCsenterun plan d'in- procédure devant la Cour est une "procédure paci-
ternationalisationqui,à sontour, amena leNicaragua à fique" au sens du pacte de Bogota et qu'en consé-
formuler sans succèsdes contre-propositions. La Cour quence si une autre "procédure pacifique" prévuepar
examine ensuite les développements de ce qu'il est le pacte, quelle qu'elle soit, a étéentamée et n'estpas
convenud'appeler le processus de Contadora. Elle re- épciisée,la procédure devant la Cour a étéengagée
marque qu'un "accord de Contadorapour la paix et la contrairement à l'article IV et doit de cefait êtrejugée
coopérationen Amériquecentrale" fut.présenté parle irrecevable. La divergence de vues entre les Parties
groupedeContadoraaux Etats d'AmCriquecentraleles porte sur la question de savoir si le processus Con-
12et 13septembre 1985.Aucun des Etats d'Amérique tadora est ou non une procédure envisagée à l'arti-
centrale n'accepta entitrement le projet, mais les né- cle IV.
gociations se poursuivirentpour échouer enjuin 1986. L,aquestion de savoir si le processus de Contadora
peut êtreconsidérécomme une "procédure spéciale"
La Cour doit se prononcer sur la nature de la pro- ou une "procCdure pacifique" au sens des articles II
cCduresuivieetse demander silesnégociationsmenées et IV du pacte n'aurait Cvidemmentpas àêtretranchée
danslecadre duprocessus deContadora pouvaient être si une telle procédure devait êtreconsidkréecomme
regardéescomme des négociationsdirectes suivantles "épuisée" le 28juillet 1986,date dudépôtde la requête
voies diplomatiquesordinaires au sens de l'article II du du Nicaragua.
pacte. Si de nombreusesconsultationset négociations
eurent lieu de 1983 à 1986sous des formes diverses Aux fins de l'article IV du pacte, aucun acte formel
d'une part entre Etats centraméricainset d'autre part n'est requis pour qu'on puisse conclure qu'une pro-
entre ces Etats et ceux appartenant au groupe de Con- cédurepacifique a été "CpuisCe". Cette prockdure ne
tadora, elles furent organisées et poursuivies dans le doit pas nécessairement avoir abouti à un échecdéfi-
cadre mêmede la médiation à laquelle elles étaient nitif pour qu'une nouvelle procédurepuisse êtreenta-
subordonnées.Le processus de Contadora àcette épo- mée.Il suffitque la procédureinitiale se soittrouvéeà
que constituait avant tout une médiationdans laquelle un point mort dans des conditionstellesque ni sa con-
des Etats tiers, agissant de leur propre initiative, ten-tinuation ni sa reprise n'aitéeffectivementenvisagée
taient de rapprocherles points de vuedes Etats concer- à la date où une nouvelle procédureest engagée.
nésen leur faisant des propositions précises. Ehvue d'en déciderdansla présente affaire,la Cour
Dufaitdelaprésenceetdel'actiondecesEtats tiers, repirend maintenant l'examen du processus de Con-
ce processus, que le Honduras avait accepté, se diffé- tadora. Elleparvientà laconclusion queleprocessus de
renciait profondément des "négociations directes sui- Coritadora étaità un point mort à la dateà laquelle le
vant les voies diplomatiques ordinaires". Il n'en- Nicaragua a déposésa requête. La situationest de-
trait donc pas dans les prévisions correspondantes de meuréetellejusqu'à ce que leplanAriasait été présenté
l'article II du pacte deBogota. Par ailleurs, aucune en février1987et que les cinq Etats d'Amériquecen-
autre négociationrépondantaux conditionsfixées par trale aient approuvé les accords d'Esquipulas II, lan-
çant en août 1987la procédure désignéesouventpar le
dépôtde la requêtedu Nicaragua. Par suite, le Hondu-u noni de processus de Contadora-EsquipulasII.
ras ne pouvait soutenir de manière plausible à cette La question se pose dès lors de savoir, aux fins de
date que le différend quil'opposait au Nicaragua, tel l'article IV du pacte, si cette dernière procédure doit
que définidans la requête de ce dernier,pouvait alors êtreregardée comme ayant assuré sans solution de
êtrerésolu aumoyen de négociationsdirectes suivant continuitéla poursuite de la procédure initiale ou si,
les voies diplomatiquesordinaires. le 28juillet 1986,la procédure initiale doit êtrecon-
La Courestimeen conséquence queles dispositions sidéréecomme ayant été"épuisée", uneprocédure de
de l'article II du pacte de Bogota invoquées par le naturedifférenteayantensuite été engagée.Cette ques-
Honduras ne constituent pas un obstacle à la rece- tion est d'une importance capitale car, dans cette der-
vabilitéde la requête duNicaragua. nièrehypothèse, et quelle qu'ait pu êtrela nature du
procxssus initialde Contadora auregard de l'articleIV,
La quatrième exception du Honduras quant à la re- cet article n'aurait pas constitué un obstacle à l'in-
cevabilitéde la requête duNicaragua (par. 77 à 94)est troductiond'une procéduredevantlaCour à cette date.
la suivante :
La Courprend note de la concordance de vues entre
"Le Nicaraguaayant souscrit au processus de né- les partiesà propos de la continuité du processus de
gociation de Contadora en tant que "procédure spé- Contadora, et remarqueque cette concordance de vues
ciale" au sens de l'article II du pacteBogota, illui ne s'étendpas à l'interprétation du terme "épuisé",
est interdit tant par l'article IV du pacte que par desutilisé l'article IV du pacte. Elle considèrecependant
considérations élémentairesde bonne foi d'entamer que le processus de Contadora, tel qu'il avait fonc-
une autre procédure de règlement pacifique, quelle tionnédans la premièrephase, est différentdu proces-
qu'elle soit, tant que le processus de Contadora n'a sus de Contadora-Esquipulas II mis en place dans la
pas étémené à terme; et ce terme n'est pas échu." seconde phase. Il en diffèrevar son obiet, mais surtout
L.article IV du pacte de Bogota, sur lequel se fonde le par sa nature. En effet, et'ainsi qu'i'la étéexpliqué
Honduras, se lit comme suit : ci-dessus, le processus de Contadora constituait ini-
tialement une médiation dans laquelle le groupe de
"Lorsque l'unedes procédurespacifiquesaura été Contadora et le groupe d'appuijouaient un rôle déter-
entamée, soiten vertu d'un accord entre lesparties, minant. En revanche, dans le processus de Contadora-
soit en exécution du présent traité,ou d'un pacte Esquipulas II, les Etats constituant le groupe de Con-
antérieur, il ne pourra êtrerecouru à aucune autre tadora ont joué un rôle fondamentalement différent :
avant l'épuisementde celle déjà entamée." les cinq pays d'Amérique centrale ont mis sur pied un En conclusion, M. Oda souligne l'importance pri-
mécanismede négociationmultilatérale autonomedans mordialede la volontédespartiesd'accepter lajuridic-
lequell'intervention dugroupedeContadora est limitée
aux tâchesfixéesdansla dkclaration dYEsquipiilasII et tiondelaCour, volontéquiest toujoursnécessairepour
a d'ailleurs depuislors étéencore réduite. Par ailleurs, que celle-cipuisse connaîtred'une affaire. Il douteque
il corivient de souligner l'existence d'une solution de la Cour ait accordéà ce point toute l'importance qu'il
continuité de plusieurs mois entre la fin du processus mérite.
initialde Contadoraet lecommencement du processus Opinion individuellede M. Schwebel,juge
de Contadora-Esquipulas II. Or c'est pendant cette
périodeque le Nicaragua a déposé sa requête. M. Schwebel déclare que les principales réserves
La Courconclutque les procédures employtSesdans qu'il aàformuler au sujet de l'arrêt tiennentàla ma-
le processus de Contadora jusqu'au 28 juil11:t1988, nièredont la Cour traite le problèmedes requêtes"en
date ,dudépôt dela requêtedu Nicaragua, avaient été seirie" déposéespar le Nicaragua pour introduiretrois
"épuisées" à cette date au sensdel'article IV tiupacte instancesconnexes, contre les Etats-Unis d'Amérique
de Bogota. Dans ces conirlitions,les conclu~lons du eri 1984et contre le Costa Rica et le Hondurasen 1986.
Hondurasfondéessurl'article IV du pacte doivent être Eii 1984,le Nicaragua a affirméqu'il"n'allégu[ait]le
rejetéesetlaCour n'apas à déterminer,d'une part,sile comportement illégald'aucun autre Etat quelesEtats-
proce:ssus de Contadora constituait une "procédure Unis" et qu'ilne demandait "réparation d'aucun autre
spéciale" ou une "procédure pacifique" aux fins des Etat". Toutefois, lamêmeannée,ilaformulédegraves
articles II et IV du pacte et, d'autre part, si iine telleaccusations non seulementcontre les Etats-Unis, mais
prockdure avait le mêmeol~jetque celle dont 1iCour a aussicontre le Honduras, le Costa Rica et El Salvador.
aujourd'hui à connaître. Pour leur part, les Etats-Unis, qui prétendaient agir
La Courdoitaussi examiner l'argumentduHonduras au titre de la légitimedéfense collective de ces trois
qui prétend que "des con:sidérationsélémentairesde Etats, soutenaient que lesdits Etats étaient des par-
bonne foi" interdisent au Nicaragua d'entamer une ties indispensablesen l'absence desquelles la Cour ne
autre procédurede rbglement pacifique, quelle qu'elle devait pas statuer.
soit, tant que le processus de Contadora n'aura pas été
mené à terme. A ce sujet la Cour estime que les évé- La Cour a rejetéce moyen et rejeta aussi, en con-
nements dejuin-juillet 1986"épuisaient" laprocédure tcadiction avec les termes de son Statut et de son Rb-
initialeà la fois aux fins de l'article IV du pacte et au glement, la déclaration d'intervention d'El Salvador.
L'eHonduras et le Costa Rica n'ont pas manifesté le
cédurequiaurait pu existerindépendammentdupacte.pro- dtJsird'intervenir et ne pouvaient pas avoir étéencou-
ra.géà lefaireeu égardautraitementque laCouravait
En conclusion, à partir des termes utilisésdans le réservéà El Salvador.
préambuledes projets successifs d'accord de:Conta- Néanmoins leNicaragua, qui formulait d'aussi sé-
dora, la Courremarque que:legroupe de Contadora n'a rieuses accusations contre le Honduras et le Costa
pas réclaméde rôle exclusif dans le processus qu'il Rica, aurait pu lesattraire devant la Cour car, en 1984,
avait mis en mouvement. ces deux Etats adhéraient sans réserveà lajuridiction
obligatoire de celle-ci.
Résuméde la déclaraticlnet des opinionsjointes A peine l'arrêtdu 27juin 1986contre les Etats-Unis
à l'arrêtde la Cour avait-il étéprononcé que le Nicaragua s'aperçut
qii'après toutilavait. sur le planjuridique, des griàfs
Déclarationde M. Lachs, juge formuler contre le Honduras et le Costa Rica, con-
Dans sadéclaration,M. 1,achs soulignel'importance triairementà ce qui étaitindiquédans ses écritures de
des décisionsrelatives àdes questionsde procédure et 15184S.i la présenteaffaire atteint la phase sur le fond,
fait observer que, dans la présenteaffaire, les Parties ilfaut s'attendre que le Nicaragua invoque contre le
conserventleurlibertéd'action et toutes possibilitésde Honduras, comme il l'a déjàfait, les constatations de
trouver des solutions. fait et les conclusions de droit consignéesdans l'arrêt
Opinion individuellede M. Oda,juge de la Cour du 27juin 1986.
La Cour, tout en rejetant les objections que le
M. Oda a voté en faveurde l'arrêtde la Cour, mais Honduras en tirait, a, à juste titre, souligné à ce
avec unecertaineréticence. Ilestimequ'en replaçant le propos :
pacte de Bogota dans son contexte, on peut cléfendre "En tout état de cause, il appartient aux parties
une autre interprétation,àsavoirqueles artic1e:sXXXI d'établir danslaprésenteaffairelesfaitscomptetenu
et XXXII sont intimement liéset que la prockdure de des règles habituellesde preuve sans que puisse être
conciliation prévue àl'article XXXII est une condition invoquéela chose jugée dans une autre affaire ne
préalable au recours à la procédurejudiciair,:. C'est mettant pas en cause les mêmesparties (voir 1'Arti-
parce:que le pacte est rédigéen termes ambigiisqu'on cle 59 du Statut)."
peut difficilement êtresûr de bien l'interpréter.
Tenantcompte de tout ce:quia entourélacoriférence Il s'ensuit que si, au stade du fond, une partià la
de Bogota de 1948et de ses travaux préparatoires, présente affaire cherche à se prévaloirdes constata-
M. Odaétablitqu'ilnepeut êtredémontréquelesEtats tions de fait contenues dans l'arrêtdu 27juin 1986,la
américainsqui ont participé à cette conférenceavaient Cour n'acceptera pas qu'elle s'en prévale.Ce n'est là
l'intention de faire du pacte un instrument conférant qiie ce qui est posé à l'Article 59 du Statut, mais il
juridiction obligatoirà la Cour conformément au pa- iniporte que la Cour le dise etil importe encore plus
ragraphe l de l'Article 36du Statut ou d'y inclureune qu'elle mette à exécution ce qu'elle dit.
déclaration collective dlac:ceptation de la juiidiction Pour M. Schwebel, il y a en outre une raison par-
obligatoire en vertu du paragraphe 2 de cet article. ticulibreà cela. Il serait en effet d'autant plus pré-judiciable d'appliquer à la présente affaire certaines Opinion individ~rellede M. Shnhnhuddeen,juge
constatations de fait empruntées à l'arrêtrendu par la M. Shahabuddeen estime que l'arrêt de la Cour
Cour le 27 juin 1986 que plusieurs d'entre elles ne (a.uque1il souscrit) pourrait êtreconforté sur trois
correspondent pas aux faits. Il ne serait pas moins points concernant la compétenceet deuxconcernant la
préjudiciabled'appliquer à laprésenteaffaire certaines recevabilité.II estime aussi que ces aspects se prê-
conclusions de droit auxquelles la Cour est parvenue teraientà une analyse plus détaillée faisantune plus
dans l'arrêt précité que plusieurs d'entre elles sont large place aux publications régionalescitéespar les
erronées. deux parties.
Résumé de l'arrêt du 20 décembre 1988