Résumés des arrêts, avis consultatifs et ordonnances de la Cour
internationale de Justice
Document non officiel
AFFAIREDU CAMEROUNSEPTENTRIONAL
Arrêd t u 2 décembre1963
L'affaire du Cameroun septentrional (exceptions ration de Nigéria(elle-mêmeindépendante depuis le
préliminaires)entre la Républiquefédéraledu Came- 1" octobre 1960). Le 21 avril 1961, l'Assembléegé-
roun et le Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d'Ir- nérale avait pris acte des résultats des plébiscites et
lande du Nord avait étéintroduite par une requêtedu décidé que l'Accordde tutelle pour le Camerounsous
30 mai 1961dans laquelle le Gouvernement de la Ré- administrationbritanniqueprendrait fin au moment où
publique du Cameroun avait prié la Cour de dire que, les deux parties de ce territoire s'uniraient I'uàla
dans l'application de l'Accord de tutelle pour le ter- Républiquedu Cameroun, l'autre au Nigéria[résolu-
ritoire du Cameroun sous administrationbritannique, tion 1608 (XV)].
le Royaume-Uni n'avait pas, en ce qui concerne le
Cameroun septentrional, respecté certaines obliga- La Républiquedu Cameroun a voté contrecette der-
tions découlant dudit accord. Le Gouvernement du nièrerésolution,après avoircritiquéla manière dont le
Royaume-Uni avait de son côtésoulevédesexceptions Royaume-Uni avait administré le Cameroun septen-
préliminaires. trional et organiséle plébiscite,manière quiaurait mo-
Par 10 voix contre 5, la Cour a dit qu'elle ne peut difiél'évolutionpolitiqueduterritoireet ledéroulement
statuer au fond sur la demande de la Républiquedu normalde laconsultation.Cescritiques ont notamment
Cameroun. étédéveloppées dansun livre blanc auquel les repré-
sentants du Royaume-Uni et du Nigériaont répondu.
MM. Spiropouloset Koretsky, juges, ontjoint àI'ar- Après l'adoption de la résolution. la Républiquedu
rêtdes déclarations de leur dissentiment. M. Jessup, Cameroun a adresséle le'mai 1961au Royaume-Uni
juge, tout en s'associant entièrement aux motifs de une note où elle faisait état d'un différend relatif
l'arrêt.y a égalementjoint une déclaration. à l'application de l'Accord de tutelle et proposait de
M. Wellington Koo, sir Percy Spender, sir Gerald conclure un compromis à l'effet de saisir la Cour. Le
Fitzmauriceet M. Morelli,juges, ont joinà l'arrêt les Royaume-Uni a répondu négativementle 26mai 1961.
exposés de leur opinion individuelle. Quatrejours plus tard, la Républiquedu Cameroun a
MM. Bedawi et Bustamante y Rivero, juges, et déposéun requête devantla Cour.
M. Beb a Don, juge ild hoc, ont jointà l'arrêt les Le Royaume-Uni a alors soulevéun certain nombre
exposés de leur opinion dissidente. d'exceptions préliminaires.La premièreest qu'il n'ya
aucun différendentre luiet laRépubliquedu Cameroun
et que. siun différenda existé la date de la requête,il
s"est agi d'un différendentre la République duCame-
roun et lesNations Unies. La Courconstate à cet égard
Dans son arrêt,laCourrappelleque leCameroun est que les positionsopposées des partiespour ce qui con-
I'une des possessions sur lesquelles l'Allemagne a re- cerne l'interprétation et l'application de l'accord de
noncé à sesdroits envertu duTraitédeVersailleset qui tutelle révèlent l'existenceàla date de la requête d'un
ont étéplacées sous le système des mandats de la différendausens admis par lajurisprudence de laCour.
Société des Nations.Il a étédiviséen deux Mandats,
l'unadministréparla France et l'autre par leRoyaume- Une autre exception préliminairedu Royaume-Uni
Uni. Ce dernier a lui-même diviséson territoire en est fondée sur la prétendue inobservation de l'arti-
Cameroun septentrional. administré comme faisant cle 32, paragraphe2. du Règlement selonlequel, lors-
partie du Nigéria.et en Cameroun méridional,adminis- qu'une affaire est portée devant la Cour, la requête
tré comme une province distincte dans le cadre du doit contenir .autant que possible l'indication précise
Nigéria.Après la création de l'organisation des Na- de l'objet de la demande et un exposédes motifs par
tions Unies. lesMandatssur leCameroun ont été placés lesquels cette demande est prétenduejustifiée.Faisant
sous lerégimeinternationaldetutelle,auxtermesd'ac- sienne l'opinionde.la.Courpermanente deJustice inter-
cords de tutelleapprouvés par l'Assembléegénérale le nationale, la Cour estime que, exerçant unejuridiction
13décembre 1946. internationale, elle n'est pas tenue d'attacherà des
Le territoire sous administration française aaccéàé considérations de forme la mêmeimportancequ'elles
lqindépendance,sous le nom de Républiquedu came- pourraientavoirdans ledroitinterne. Elleconstate que
roun, le 1w janvier 1960et est devenu Membre des la requête étaitsuffisamment conforme à l'article 32.
Nations Unies le 20 septembre 1960. En ce qui con- paragraphe 3,du Règlement et que cette exception
cerne le territoire sous administration britannique, préliminaireest par suite sans
l'Assembléegénérald eesNations Uniesa recommandé
que l'autorité administrante y organise des plébiscites *
afin de déterminer les aspirations des habitants. A la * *
suite de ces plébiscites.le Cameroun méridionals'est La Courdéclarealorsqu'une analysedesfaitstenant
uni le 1"octobre 1961à la Républiquedu Cameroun et compte de certains principes directeurs peutsuffireà
le Cameroun septentrional le 1'1juin 1961 à la Fédé- résoudre les questions qui retiennent son attention.
86 Devenue Membre des Nations Unies. la Re:publique de tutelle était destiné à créer une certaine forme
du Cameroun avait le droit d'introduire une instance de protection judiciaire que tout Membre des Nations
devant la Cour et celle-ci étésaisie par le deipôtde la lJnies avait ledroitd'invoquer dansl'intérêt générall,
requête.Mais la saisie de la Cour est une chose et Courne sauraitadmettrequecetteprotection judiciaire
l'administration de lajustice en est une autre. Mêmesi, ait survécu à l'expiration de l'Accord de tutelle: en
une fois saisie, la Cour estime avoir compétence,elle déposant sa requêtedu 30mai 1961,la Républiquedu
n'est pas toujours contrainte d'exercer cette compé- Cameroun aurait exercé un droit procédural qui lui
tence. Elle exerce une fonctionjudiciaire qui est sou- appartenait. mais, après le 1"juin 1961,elle n'aurait
misi:àdes limitationsinhérentes.Commel'aditlaCour pluseuaucun droitdedemander àlaCourde sepronon-
perrnanente, elle ne peut se départir des règlesessen- cer à ce stadesur des questionstouchant aux droitsdes
tielles qui dirigent son activitéde tribunal. habitants du territoire àtl'intérêgténéraluant aubon
La résolution 1608 (X'V) par laquelle l'Assemblée f'nctionnement du régimede tutelle.
génkaleadécidéquel'Accorddetutelle prendrait finle La Républiquedu Cameroun a soutenu qu'elle de-
1"juin 1961en ce qui concerne le Cameroun septen- inandait uniquement à la Cour de rendre unjugement
déclaratoire énonçant que, avant l'expiration de I'ac-
du Cameroun ne conteste pas qu'un arrêt delaCour aulique cord de tutelle, leRoyaume-Uni avaitcontrevenu àses
dispositions. La Cour observe qu'elle peut, dans des
fond n'infirmerait pasles décisionsde I'Asseiabléegé- cas appropriés, prononcer un jugement déclaratoire
néraleet neferait pas revivre'Accorddetutelle;que le inais qu'un tel arrêtdoit demeurer applicable dans
publique du Cameroun; que son union avec le Nigériaé- l'avenir. Or, en l'espèce, il existe bien un différend
ne serait pas invalidés:et que leRoyaume-Uriin'aurait relatifà l'interprétation eà l'application d'un traité,
ni le:droit ni lepouvoir de prendredesmesurespropres inais ce traitéa pris fin et ne saurait plus fairel'àbjet
à répondreau désirqui ariimela Républiquedu Came- ].'avenird'unacted'interprétationoud'applicationcon-
rouii. Or, laCour rappelle que sa fonction est dedire le l'orme à l'arrêt que rendraitla Cour.
droit, mais que ses arrêtsdoivent pouvoir .avoirdes
conséquences pratiques. Qu'aumoment oùlarequêteaété déposée laCour ait
eu ou non compétence pour trancher le différend,il
A. dater du 1"juin 1961,aucun Membre des Nations i-esteque les circonstances qui sesontproduites depuis
Unies ne pouvait plus réclamerundroit qui aurait pului Iiorsrendent toute décision judiciaire sans objet. La
être octroyéà l'originepar l'Accord de tutelle. Onpeut Cour estime dans ces conditionsque. si elle examinait
soutenir que, si pendant la période de validitéde cet ]!'affaireplus avant, elle ne s'acquitterait pas des de-
acc'ordl'autorité administrante avait étére:sponsable voirs qui sont les siens. La réponse à la question de
d'un acte contrevenant à ses dispositions et entraî- isavoirsi la fonction judiciaire est en jeu peut, dans
nant un préjudiceenversun autre Membre desNations certains cas, exiger d'attendre l'examen aufond. Mais,
Unies ou l'un des ressor1.issants.l'extinctiori de la tu-ans la présente affaire,ilest déjàévidentquela fonc-
tellen'aurait pas mis fànl'actionenréparaticin,maisla rionjudiciaire ne saurait êtreenjeu.
présente requête dela Républiquedu Cameroun vise Pour ces motifs, la Cour ne-secroit pas obligéede se
seulementlaconstatationd'un manquement au droit et :prononcerexpressément sur toutes les conclusions du
ne comporte aucune deniande en réparation. D'autre .Royaume-Uniet dit qu'elle ne peut statuer au fond sur
parit,mêmes'ilétaitcomniunémena tdmisque l'Accord .lademande de la Républiquedu Cameroun.
Résumé de l'arrêt du 2 décembre 1963