Résumés des arrêts, avis consultatifs et ordonnances de la Cour
internationale de Justice
Document non officiel
AFF.AIREDU DROITDE PASS.AGESUR TERRITOIREINDIEN
(EXCEI~TIONS PRIÉLIMINAIRES)
Arr:ê dtu 26 novembre 1957
L'affaire relative au droit de passage sur territoire labase de la réciprocité,de la condition inclusedans la
indien (exceptions préliminaires),entre le Portugal et déclarationportugaise permettant d'exclure de la com-
I'Inde, avait étéintroduite par requêtedu Gouverne- pétencede la Cour le différend qui faisait I'objetde la
me:ntportugais quiavait priélaCourde direel:juger que requête.
le Portugal étaittitulaire ou bénéficiaid'un droit de
passage entre son territoire de Damao (Daniao du lit- La troisiènree,rceptionpréliiniiroireinvoquait I'ab-
toral). ses territoires enclavésde Dadra et deNagar- sence de négociations diplomatiquespréalablesau dé-
Avi:li et entre ceux-ci et que ce droit cornprend la pôt de la requête,et qui auraient permis de définir
facultéde transit vour lesversonnes et vour les bienv, l'objetde la demande.
compris les forcés armées. sans restÎ-ictioriou difii- La cinquièmee-rceptionprélirriirioirsefondait surla
culté,et de la manière etdans la mesure requise par réserveque comporte la déclaration d'acceptation de
l'exercice effectifde la souverainetéportugai:sesur ces I'Inde et qui exclut de la juridiction de la Cour les
territoires, etque l'Inde, ayant empêchet continuantà différends relatifàdes questions qui, d'après ledroit
em:pêcherl'exercice de ce droit, attentait à la sou- international, relèvent exclusivement de lajuridiction
veraineté portugaisesur les enclaves et violait ses obli-de I'Inde. Le Gouvernement de I'Inde affirmaitque les
gations internationales, et de déciderquel'Inde devait Faitset les considérationsde droit soumisàla Cour ne
imrnédiatementmettre fin à cette situation en permet- permettaient pas de conclure à l'existence d'un argu-
tant au Portugal d'exercer le droit de pasisage ainsi ment raisonnablemeilt soutenable à l'appui de la thèse
réclamé.La requêtevisait expressémentl'Article 36, que l'objet du différenest endehors de sacompétence
paragraphe 2, du Statut ainsi que lesdéclarationsd'ac- nationale.
ceptation de lajuridiction obligatoirede la Cour dépo-
séespar le Portugal et l'Inde. Enfin, dans la sixième exception préliminaire, le
Desoncôté,leGouveri~ementdeI'Inde avaitsoulevé Gouvernement de I'Inde soutenait que la Cour était
des exceptions ~rélimin~aire s la compétence de la sans compétence pour le motif que la déclaration
Cour. Ces exceptions au nombrede sixétaientfondées indienne d'acceptation se limitait aux "différendsnés
sur les motifs suivants. La première tendait à faire aprèsle5février1930concernant des situations ou des
déclarer qu'unecondition incluse dans la déclaration Faitspostérieursà ladite date". Le Gouvernement de
par laquelle le Portugal a acceptéla juridiction de la I'Indeprétendait :1)que ledifférendsousmis àlaCour
Coilrle 19décembre1955,réservantàce gouvernement par le Portugal n'étaitpas néaprèsle 5février1930;et
le tiroit "d'exclure du champ d'applicatiori de cette 2)qu'en toutcas ilconcernait des situations etdes faits
déclaration,à tout moment au coursde sa validité, une antérieursà cette date.
ou plusieurs catégoriescléterminées de diffkrends, en
adressant au Secrétairegénérad l es Nations Uniesune Dans ses conclusions, le Gouvernement du Portugal
notification prenant effetà la date où elle aurait été avait ajouté l'énoncé d'une demande tendant à obtenir
dorinée",était incompatibleavec l'objet et11b: ut de la de la Cour qu'elle rappelle aux parties le principe uni-
disposition facultative, ce qui entraînait la niillitéde larsellement admis d'après lequel elles doivent faci-
déc:larationd'acceptation. liter I'accomplissement de la mission de la Cour en
s'abstenant de toutes mesures pouvant exercer une
1-adeu.rièmee-rceptionprélinlitlairesefondait sur la influencepréjudiciablesur l'exécutiondeses décisions
thèse d'après laquelle 1;irequête introductive d'ins- ouentraîner soit une aggravation. soit uneextension du
tance déposée parle Portugal le 22 décemibre1955, différend.La Courn'apasjugé à propos dedonner suite
ayant étédéposéeavantque copie de ladécla.rationpar àcette demande duGouvernement du Portugaldans les
laquelle le Portugal acceptait la juridiction obligatoire.circonstances de l'affaire actuelle.
de la Cour ait pu êtretransmise aux autres parties au
Statut par le Secrétaire généraldes Nations Unies, 'deuxièmeexception par 14voix contre 3, la troisième
agissant enapplication de:l'Article 36,paragraphe4,du par 16voixcontre 1et laquatrièmepar 15voixcontre 2;
Statut, ledépôtdecette requêteavait enfreintl'égalité, 8elajoint aufondlacinquièmepar13voixcontre 4etla
la inutualitéet la réciprocité auxquelles1'1.ndeavait sixièmepar 15voix contre 2; enfin, elle a déclarére-
droit en vertu de laispclsitionfacultative, et en vertu prendre la procéduresur le fond et a fixé comme suit
delaconditionexpressede réciprocité contenuedans la l'expiration des délais pourle dépôtdes pièces de la
décrlarationdu 28 févrieir1940par laquelle elle avait procédure; pourlecontre-mémoirede I'Inde,25février
acceptélajuridiction de la Cour. 1958:pour la répliqueduPortugal, 25mai 1958:pour la
La quatrièmee-rceptionprélitninoiretendait àfaire
dirt:que,fauted'avoir connu ladéclarationdi1Portugal 'dupliquede I'Inde, 25juillet 1958.
ava.nt le dépôtde la requêteintroductive d'instance,
I'In.deavait étdans l'impossibilitéde se prévaloir, sur M. Kojevnikov,juge, a déclaréne pouvoir se rallier Au surplus, de l'avis de la Cour, il n'y a pas de
ni aux motifs ni au dispositif de l'arrêt parceque, se- différencefondamentale quant au degréde certitude
lon son avis. la Cour aurait dû, dès à présent, retenir entre la situation qui résulte du droit de dénonciation
une ou même plusieursdes exceptions préliminaires. totale et celle qui résultede la condition de la déclara-
M. Badawi, vice-président, et M. Klaestad, juge, ont tion portugaise qui donne ouverture à une dénonciation
jointà l'arrêtles exposésde leurs opinions dissidentes, partielle. La Cour a déclaré qu'onne pouvait non plus
M. Fernandes, juge ad hoc, se ralliant à l'opinion de accepter comme élémentde distinction pertinent lefait
M. Klaestad. M. Chagla,juge (id Iioc, ajoint à l'arrêt quedans le casde dénonciation totale 1'Etatdénonçant
l'exposéde son opinion dissidente. ne peut plus invoquer de droits résultant de sadéclara-
tioii. alorsque dans celui de dénonciationpartielle dans
le cadre de la déclaration portugaise ce pays pourrait
continuer à d'autres égards à bénéficierde sa déclara-
tion. Le principe de réciprocité permettra eneffet aux
Dans son arrêt, à propos de la première exception autres Etats, l'Inde y comprise, d'invoquer contre lui
préliminaire, alléguantla nullitéde la déclaration por- tous les droits dont ilpourrait continuer se prévaloir.
tugaise en raison de la condition qui permet à tout IIavait étésoutenu comme troisième motif de nullité
moment d'exclure du champ d'application de cette dé- de la condition portugaise qu'elle était contraire au
claration une ou plusieurs catégoriesde différends.par priiicipe fondamental de réciprocitéqui està la base de
simplenotification au Secrétaire générall,a Courcons- ladisposition facultative, ence qu'elle revendique pour
tate qu'interprétésdans leur sens ordinaire les termes le F'ortugalun droit refusé enfait aux autres signataires
de la condition signifient simplement qu'une notifica- dorit la déclarationn'est pas assortied'une telle condi-
tion faite en vertu de cette condition s'applique seule- tiori. La Cour n'a pas accepté cette thèse. Elle a cons-
ment auxdifférendssoumis à laCour aprèsladatede la tatéque si la position des parties quantà l'exercice de
notification. On ne saurait donc attribuer à cette noti- leurs droits est affectée enquoi que ce soit par le délai
fication un effet rétroactif. A ce propos, la Cour a inévitable quis'écouleentre la réception par le Secré-
rappelé le principe énoncé parelle en l'affaire Not- taire généradle lanotification appropriéeet laréception
tebohin de la manière suivante : "Un fait extérieur de cette notification par les autres signataires, ce délai
tel que la caducité ultérieure de la déclaration par joue égalementpour ou contretous les signataires de la
échéancedu terme ou par dénonciation ne saurait re- disposition facultative.
tirer à la Cour une compétence déjà établie."Elle a
ajoutéque ce principe s'appliquait tant à la dénoncia- L,aCour n'a pas admis non plus lepoint de vue selon
tion totale qu'à ladénonciation partielle prévuedans la lequel la condition de ladéclarationportugaise enfrein-
clause litigieuse de la déclaration portugaise. drait le principe de réciprocitéparce que rendant inef-
fica.celapartiedu paragraphe 2de l'Article 36du Statut
L'Inde ayant soutenu que cette clauseavaitintroduit qui seréfère àl'acceptation de la disposition facultative
dans ladéclarationun certain degréd'incertitude quant à l'égarddes Etats acceptant "la mêmeobligation7'.Il
aux droits et obligations réciproques,privant l'accepta- n'est pas nécessaire que "la même obligation" soit
tion de lajuridiction de laCour de toute valeur pratique, définiede façon irrévocable au moment de l'accepta-
laCouraréponduque lesdéclarationsfaitesen applica- tion et pour toute la duréedecelle-ci:cette expression
tion de l'Article36. ainsi que leurs modifications, de- signifie simplement que, dans les rapports entre Etats
vant êtredéposées entreles mains du Secrétairegéné- qui adhèrent à la disposition facultative. tous et chacun
ral, il s'ensuit que, quant une affaire est soumiseà la sont liéspar lesobligations identiquesquipeuvent exis-
Cour, il est toujours possible de déterminer quelles ter à tout moment tant que l'acceptation les lie réci-
sont, à ce moment, les obligations réciproquesdes Par- proquement.
ties en vertu de leurs obligations respectives. S'il est
vrai que, pendant la périodequi s'écouleentre la date Eistimantque lacondition incluse dans la déclaration
d'une notification au Secrétairegénéralet sa réception portugaise n'était pas incompatible avec le Statut, la
par les Parties au Statut, il peut y avoir un élément Cour n'a pas eu à examiner si, dans le cas ou cette
d'incertitude, cette incertitude est inhérente au fonc- condition serait nulle, cette nullitéfrapperaitladéclara-
tionnement du systèmede la disvosition facultative et tion fout entière.
n'affecte pas lavaliditéde lacondition Cnoncéedans la
déclarationportugaise. La Coura constatéque la situa-
tion était fondamentalement la même,au point de vue
de l'incertitude résultant du droit pour le Portugal d'in- Passant à l'examen de la deuxième exceptioil pré-
voquer à tout moment la condition mise àson accepta- limii~airequi se fonde sur la thèse d'après laquelle la
tion, que celle qui résulte du droit pour de nombreux requêteayant étédéposée avant quel'acceptation par
signataires de la disposition facultative,'Inde y com- le Portugal de la compétence de la Cour n'ait pu être
prise, de mettre finàleurdéclaration d'acceptation par notifiéepar le Secrétairegénéraa lux autres signataires,
simple notification sans préavisobligatoire. Ellea rap- ce clépôtest contraire à l'égalitéà la mutualitéet à la
peléque c'est ce que fit l'Inde le 7janvier 1956lors- réciprocitéque ladispositionfacultative et la condition
qu'elleanotifiéauSecrétairegénéralladénonciationde expresse de réciprocitécontenue dans sa déclaration
sa déclaration du 28 février 1940(invoquée dans la confèrent à l'Inde. La Cour a constaté qu'elle devait
requête portugaise), à laquelle elle avait substitué en examiner deux questions :1)en déposant sarequêtele
mêmetemps une nouvelle déclaration comportant des lendemain du jour où il avait déposésa déclaration
réserves qui n'existaient pas dans la précédentedé- d'acceptation, le Portugal avait-il enfreint une disposi-
claration. Ce faisant, l'Inde avait atteint, au fond, l'ob-tion du Statut?; 2)sinon, avait-ilen agissant de lasorte
jectif envisagé par la condition de la déclaration por- violéun droit que l'Inde tiendrait du Statut ou de sa
tugaise. déclaration ? L'Inde prétendait qu'avant de déposer sarequête au tantedeséchangesde vues intervenusavant ledépôtde
Greffe de la Cour le Portugal aurait dû laissers'écouler la requête concernaitla question de l'accès aux encla-
le délaiqui aurait raisonn;iblement permis aux autres ves que la correspondance et les notes présentées à la
Etats signataires de la di:sposition facultative de re- Courrévélaientlesplaintesréitérée dsu Portugaà I'oc-
cevoir du Secrétairegénéralnotification de la déclara- casion du refus des facilitésde transit, et que l'examen
tion portugaise. de la correspondance montrait que les négociations
étaient arrivéesà une impasse. A supposer que 1'Arti-
La Cour a dit ne pouvoir accepter cette tlièse. Le cle 36, paragraphe 2, du Statut, qui vise les diffé-
rapport contractuel entre les parties et la juridiction rc:ndsd'ordre juridique, exige que le différend aitété
obligatoire de la Cour qui en découle sont éta.blis"de dkfinipar voiede négociations,cette conditionavait été
pleindroitet sans conventi~~nspéciale"dufait,dudépôt remplie.
deladéclaration.Un Etat qluiaccepte lacompétencede
la Cour doit prévoirqu'uiiierequêtepuisse êtreiiitro-
duite contre lui devant la Cour par un nouvel Etat
déclarantlejour même oùcelui-cidépose son accepta-
tion entre les mains du Secrétaire général. Dans sa cinquième exception préliminaire, l'Inde,
L'Inde soutenaitque 1'ac:ceptationde la conipétence irivoquant une réservede sa propre déclaration d'ac-
de la Cour n'entrait en vigueur que quand le Secrétaire ceptation qui exclut de la juridiction de la Cour des
géneralavait communiquéaux parties copie de la dé- d.ifférendsrelatifà des questions qui, d'après le droit
claration. La Cour a répondu que seul le dkpôt aux international, relèvent exclusivement de lajuridiction
mains du Secrétaire général concernait1'Et;itdécla- de l'Inde, affirmaitquelesfaitset lesconsidérationsde
rant, qui n'avait s'occuper ni du devoir du Secrétaire droit soumisà laCour nepermettaient pas deconclure à
géné:ranli de la manièredont ce devoirétait rempli. La l'existence d'un argument raisonnablementsoutenable
Cour adéclaréne pouvoirintroduiredans ladisposition pour dire que l'objet du différendest en dehors de la
facultative la condition d'un intervalle après le dépôt compétence nationale de l'Inde.
de la déclaration d'acceptation. Toute condition de ce La Cour a constaté que les faits invoqués par le
genrr:introduiraitdans lejeu du systèmede la disposi- Gouvernement de I'lnde en sesconclusions,et contes-
tion :facultativeun élément d'incertitude. t6s par le Portugal, auraient nécessité, pour êtreélu-
L'Inde n'ayant pas spécifié quelsétaient les droitsà cidéset en tirer les conséquencesjuridiques, I'examen
ellec:onférépsar le Statut et lesdéclarationsquiavaient de la pratique des autorités britanniques. indiennes et
étéeffectivement violéspar lamanièredont ledépôtde portugaises àproposdudroit de passage, enparticulier
la requêteavait étéfait, la Cour n'a pu constater quel pour voir si cette pratique montrait que les parties
droit avait ainsi étévioléen fait. avaientenvisagéce droit comme une question relevant
exclusivement, selon le droit international, de la com-
Etant arrivé à la conclusionque la requête avaitété pétence nationale du souverain territorial. L'examen
déposée d'unemanière quin'étaitni contraire au Sta- de ces questions et d'autres analogues n'étaient pas
tut ni en violation d'un droit de I'lnde, la Cour a rejetépossibleau stade préliminairesans préjugerlefond. La
la deuxièmeexception preiliminaire. Cloura donc décidédejoindre la cinquièmeexception
au fond.
La.Cour a ensuite abordé I'examen de la qitutriètne
exce,~tiotzprélinlinairequi avait trait, elle aussà,la
manièredont le dépôtde la requête avaitétéfait. Enfin, àpropos delasixièmeexceptiott, quiinvoquait
L'Inde prétendait que la manière dont la requête 1;iréserveratione temporis de la déclaration indienne,
avait.étédéposéel'avait e:mpêchédee se prévaloirpar limitant celle-ci aux différends nés aprèsle 5 février
voie de réciprocitéde la condition portugaise, et 1930,concernant des situations ou desfaitspostérieurs
d'exclure de la compétencede la Cour le diffiirendqui à cette date, la Cour a constaté que,pour déterminerà
faisait l'objet de la requête. La Cour s'est bornée à quelle date était néle différend,il fallait examiner si
rappeler ce qu'elle avait dità propos de la deuxième celui-ci étaitou non la suite d'un différend au sujet
exception :que leStatut ni:prescritaucun dé1oe.intre le du droit de passage, antérieur à 1930.Les allégations
dépôt d'une déclaration d'acceptationet celui d'une touchant la nature du passage pratiqué autrefois étant
requête. opposées, la Cour a déclaré n'êtrp eas en mesure de
déterminerces deux questions à ce stade.
La Cour n'avait pasdavantaged'éléments suffisants
pour luipermettre destatuersur laquestion de savoir si
Suirla troisièmeexceptionpréliminairequi invoquait le différendconcernait des situations ou des faits anté-
l'absence de négociationsdiplomatiques préalablesau rieursà 1930.En conséquence, elle a joint au fond la
dépe~d te la requête,la Coiir a dit qu'une parti.eimpor- sixièmeexception.
Résumé de l'arrêt du 26 novembre 1957