Résumé de l'arrêt du 6 avril 1955

Résumés des arrêts, avis consultatifs et ordonnances de la Cour
internationale de Justice
Document non officiel

AFFAIRENOTTEBOHIM (DEUXIÈME PHASE)

Amêt du 6 avril 1955

L'affaire Nottebohm avait étéintroduite #devantla séquence de la naturalisation; qu'il aura eu domicile
Cour, par requête dela Ilrincipauté de Liechtenstein l'igal dans la Principauté depuis au moins trois ans,
contre la République du Guatemala. cette condition pouvant toutefoisn'êtrepas exigéedans
cles cas particulièrement dignes d'intérêtet à titre
Le Liechtensteindemandaitredressement ~:trépara- e:xceptionnel; qu'il aura conclu une convention fiscale
tion pour des mesures coiitraires au droitinte:rnational s,vec les autorités compétentes et payé une taxe de
que le Guatemala aurait prises contre M. Friedrich riaturalisation. La loifaitapparaître lapréoccupationde
Nottebohm. ressortissant du Liechtenstein. De son ri'accorder la naturalisationqu'à bon escient, ajoutant
côte:,le Guatemala souteriait que la demande étaitirre- qu'elle est exclue si elle peut faire craindre des incon-
ceviibleetcela à plusieurs titres, l'und'eux se référaàt vénientspour le Liechtenstein. Quant à la procédure à
la nationalitéde Nottebolim pour la protection duquel suivre, le Gouvernement examine la demande, prend
le L.iechtenstein avait saisi la Cour. (lesrenseignements sur le candidat, soumet la demande
Dans son arrêt.la Cour retient ce dernier rnoyen, et $la Dièteet, en cas d'acceptation, présente une propo-
en conséquence déclare irrecevable la demande du sition au Prince régnant,seul compétentpour conférer
Liechtenstein. la nationalité.
L'arrêtaétérendu par 11voix contre 3. MIM.Klaes-
tad et Read,juges, et M. Guggenheim, juge ad hoc, ont Dans la demandede naturalisation qu'il a présentée,
joint àl'arrêtles exposés de leur opinion dissidente. I\Jottebohm sollicite en mêmetemps l'admission préa-
lableà la bourgeoisie de Mauren, commune de Liech-
tenstein;ildemanded'être dispensédela condition de
domicile préalablependant trois ans, sans énoncer de
c:irconstances exceptionnellesjustificatives; il prend
Dans son arrêt,la Cotir constate 1'impori:ancepri- l'engagement de payer(enfrancssuisses) 25 000francs
mordiale du moyen d'irrecevabilité mentionné plus r'la commune, 12500francs à I'Etat, les frais de pro-
haut. En avançantce moyen. le Guatemala se réfèreau cédure, 1000 francs d'impôt annuel de naturalisation
principe bien établi selon1lequel seul le lien de natio- -- sous la réserve que le paiement de ces taxes sera
nalitéentre 1'Etat et l'individu donneà I'Etiit le droit déduitdes impôts ordinaires s'il fixait sa résidence au
de protection diplomatique. Quant au Liechtenstein, il 1,iechtenstein- et de fournir une garantie financière
estime avoir agi conformeiment à ce principe et allègue de 30 000 francs. Un document du 15 octobre 1939
que Nottebohm est bien son ressortissant en vertu de la certifie qu'à cette date la bourgeoisie de Mauren lui a
naturalisation qui lui a étéconférée. tltéaccordée. Un certificat du 17octobre constate le
La Cour examine ensui.teles faits. Nottebohm, né à paiement des taxes requises. Le 20 octobre, Notte-
Hambourg, était encore .Allemand au moment où, en bohm prête serment civique,et le 23octobre un arran-
octobre 1939,il a demanclésa naturalisation au Liech- gement fiscal est conclu. II a étéproduit également un
tenstein. En 1905,il se rend au Guatemala oii il établit certificatattestant que Nottebohm avait éténaturalisé
le centre de ses affaires qui deviennent importantes par décision suprême du Prince du 13 octobre 1939.
et prospères. Il fait parfois des voyages d'affaires en lrlottebohm obtient ensuite un passeport liechtenstei-
Allemagneou end'autres payspourdes vacances ainsi iiois. IIle fait viser par le Consulgénéraldu Guatemala
que quelques visites au Liechtenstein. où lin de ses liZurich le 1"décembre 1939et retourne au Guatemala
frères réside depuis 193 1;mais il reste doiniciliéau iiudébut de 1940.Il y reprend ses affaires antérieures.
Guatemalajusqu'en 1943,c'est-à-dire jusqu'aux évé- Tels étantles faits, la Cour recherche sila naturalisa-
nements qui sont àla base du présentlitige. En 1939,il tion ainsi intervenue peut êtrevalablement invoquée
quitte le Guatemala environ fin mars; il semble s'être contre le Guatemala, si elle donne au Liechtenstein un
rendu à Hambourg et avoir fait quelques brefs séjours titre suffisant pourexercer laprotectiondeNottebohm,
au I,iechtenstein, où il se retrouve au début d'octobre vis-à-vis du Guatemala, et en conséquence pour saisir
1939.C'est alors que, le 9 octobre 1939,un peu plus la Cour. La Courn'entend pas sortirde ce cadre limité.
d'uinmois aprèsl'ouvertuirede la seconde gu.erremon-
diale marquée par l'attaque de la Pologne par l'Al- Pour établir que la recevabilité de la requête devait
lemagne, ildemande sanaturalisation au Liechtenstein. trtre admise, le Liechtenstein a fait valoir que le Gua-
temala avait reconnu antérieurement ce qu'il conteste
Les conditions requises pour la naturalisation des iiujourd'hui. Examinantl'attitude du Guatemalaenvers
étra.ngersau Liechtenstein sont déterminéespar la loi :Vottebob.mdepuis sa naturalisation, laCourestimeque
liechtensteinoise du 4 janvier 1934. Elle exige entre cet Etat n'a pas reconnu le titre du Liechtenstein à
autres :que lecandidatprouveque labourgeoisie d'une l'exercice de la protection de Nottebohm. Elle recher-
commune du Liechtenstein lui est promise pour le cas che ensuite si l'octroi de la nationalité par leiech-
où il viendraità acquérir la nationalite lieshtenstei- i:ensteinentraîne directement l'obligation pour le Gua-
noise: que. sauf dispense sous certaines conditions, il temala d'en reconnaître l'effet; en d'autres termes,si
proluve qu'il perdra son ancienne nationalit'e en con- l'acte émanantdu Liechtenstein seul est opposable auGuatemala en ce qui concerne l'exercice de la protec- nationalitéoctroyéepar luiavec un rattachement effec-
tion. La Cour traitera cette question sans examiner tif de l'individu.
celle de la validitéde la naturalisation de Nottebohm
selon la loi du Liechtenstein. Selon la pratique des Etats. la nationalité est
l'expression juridique du fait qu'un individu est plus
La nationalitérentredans lacompétencenationale de étroitement rattaché à la population d'un Etat déter-
1'Etatqui règle, par sa propre législation,l'acquisition miné.Conféréepar un Etat. elle ne lui donne titre à
de sa nationalité.Maisla question à résoudrene sesitue pr.otection que si elle est la traduction efi termes juri-
pas dans l'ordre juridique du Liechteristein: exercer la diques del'attachement del'intéressé àcet Etat. Qu'en
protection. c'est se placer sur le plan du droit inter- est-il dans le cas de Nottebohm ? Au moment de sa
nütional. Or, la pratique internationalefournit maints naturalisation,Nottebohmapparaît-il comme plus atta-
exemplesd'actes accomplis par un Etat dans I'exercice chépar satradition,sonétablissement,sesintérêts, son
de sa compétence nationale qui n'ont pas de plein droit activité, ses liens de famille et ses intentions dans un
effet international.Lorsque deux Etats ontconféréleur futur proche au Liechtenstein qu'à tout autre Etat ?
nationalité àune mêmepersonneet que cette situation Acetégard,la Cour, relevant les faitsessentielsde la
se trouve placéenon plus dans l'ordre juridique propre cause. constate que Nottebohm a toujours entretenu
à chacun d'eux, mais sur le terrain international, l'ar- desrapportsde famille et d'affairesavec l'Allemagneet
bitre international ou lejuge de 1'Etattiers qui auraià que rien ne fait apparaître que sa demande de ilatura-
en traiter laisserait subsister la contradiction s'il s'en lisation au Liechtenstein ne paraît pas motivéepar un
tenaità l'idéeqLiela nationalitérelève uniquement de la désirdesedésolidariserdu Gouvernement de son pays.
compétence natioiiale. Pour pouvoir au contraire tran- D'autre part. il est établi depuis trente quatre ans au
cher le conflit.il recherche si la nationalitéa étécon- Gliatemala, qui est le centre de ses intérêts et de ses
férée dansdes conditions telles qu'il en résulte pour affaires.Il y resterajusqu'à ce que, en 1943,il en soit
1'Etat défendeur l'obligation de reconnaître l'effet de éloignéparmesure de guerreet fait grief au Guatemala
cette nationalité. Pour en décider, il dégagedes cri- de ne pas l'yréadmettre. La famillede Nottebohm avait
tères. IIfait prévaloirla nationalitéeffective:celle qui d'ailleurs affirmé sondésir d'y passer ses vieux jours.
concordeavec la situationdefait, qui reposesur unlien A l'opposéde cela, ses liens de fait avec le Liechten-
de fait supérieurentre l'intéressé etl'undes Etats dont stein sont extrêmement ténus. S'il s'est rendu dans ce
la nationalitéest en cause. Les élémeritsqu'il prend en pays en 1946,c'est en conséquence du refus du Gua-
considérationsontdiverset leurimportance varie d'un telnala de l'accueillir. Il y a donc absence de tout lien
cas à l'autre:ilya ledomicile del'intéressé,mais aussi de rattachement avec le Liechtenstein, mais existence
le siègedeses intérêts, sesliens de famille, saparticipa- d'un lien ancien et étroit avec le Guatemala, lien que la
tion àlaviepublique. l'attachement à unpays manifesté naturalisation n'a pas affaibli. Cette naturalisation ne
par l'éducation des enfants. etc. repose pas sur unattachement réelau Liechtenstein qui
lui soitantérieur et elle n'a rien changéau genre de vie
La mêmetendance domine dans la doctrine. Et la de celui à qui elle a étéconférée dans des conditions
pratique de certains Etats, qui s'abstiennent d'exercer exceptionnelles de rapidité et de bienveillance. Sous
la protection au profit d'un naturalisélorsque celui-ci a ces deux aspects. ellemanque de la sincéritéqu'on doit
de fait rompu son rattachement avec ce qui n'est plus attendre d'un acte aussi grave pour qu'il s'impose au
pour lui qu'une patrie nominale, manifeste la convic- respect d'un Etat se trouvant dans la situation duGua-
tion que, pour êtreinvoquéecontre un autre Etat, la ternala. Elle a étéoctroyée sans égard à l'idéeque l'on
nationalité doit correspondre à une situation de fait. se fait, dans les rapports internationaux, de la natio-
Lecaractère ainsireconnudans l'ordre international nalité. Plutôt que demandéepour obtenir la consécra-
à la nationalitén'est pas contreditpar lefait que le droit tion en droit de l'appartenance enfait de Nottebohm à
international laisseà chaque Etat le soin de réglerl'at- la population du Liechtenstein, cette naturalisation a
tribution de sa propre nationalité.Car s'il en est ainsi, étér.echerchéeparlui pour luipermettre de substituer à
c'està défautd'accord généralsurlesrèglesconcernant sa qualitéde sujet d'un Etat bellig6rant la qualitéde
la nationalité. On a estimé que le meilleur moyen de sujet d'un Etat neutre, dans le but unique de passer
faireconcorderces règlesavec les conditionsdémogra- ainsi sous la protection du Liechtenstein et non d'en
phiques existant ici età était de laisserleurdétermina- épouser les traditions, les intérêts,le genre de vie,
tion à la compétence de chaque Etat. Mais, corréla- d'assumer les obligations - autres que fiscales - et
tivement, unEtat ne sauraitprétendreque lesrèglespar d'exercer les droits attachésà la qualitéainsi acquise.
lui établies soient reconnues par un autre Etat s'il ne
l?ar ces motifs, la Cour déclare irrecevable la de-
s'est conformé à ce but général de faire concorder la ma.ndedu Liechtenstein.