Résumés des arrêts, avis conDocument non officielces de la Cour
internationale de Justice
AFFAIREDESIPÊCHERIES
Arrêd tu 18 décembre 1951
L'affaire des pêcheries a étéintroduite par le sans aboutir. Des chalutiers britanniques en nombre
Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d'Irlande du important furent saisis et condamnés en 1948et 1949.
Nord contre la Norvège. C'est alorsque le Gouvernement du Royaume-Uni sai-
Par décret du 12juillet 1935,le Gouvernement nor- sit la Cour.
végienavait délimitédans la partie septentrionale du
pays (au nord du cerclepolaire) la zonedans laquellela
pêcheétait réservée à ses ressortissants. Le Royaume-
Uni demandait à la Cour de dire si cette délimitation L'arrêt précise d'abord l'objet du différend.La lar-
étaitou non contraire au droit international. Dans son geurde laceinture de merterritoriale norvégiennen'est
arrêt,la Cour ajugé queni la méthode dedélimitation pas en cause : les quatre milles revendiqués par la
employéepar le décretni les lignes mêmes quiy sont Nol'vègesont admis par le Royaume-Uni. Mais ils'agit
fixées ne sont contraires au droit international; la de savoir siles lignesque ledécretde 1935a fixéesaux
premièreconclusionétait adoptée par 10voix contre 2, fins de la délimitationde la zone norvégiennede pêche
et la seconde par 8 voix contre 4. ont ou non ététracées conformémentau droit inter-
Trois juges - MM. Alvarez, Hackworth et Hsu national (ceslignes,dites "lignes debase", sontcellàs
Mo - ontjoint àl'arrêtune déclarationou uneopinion partir desquelles se calcule la ceinture de mer terri-
individuelle énonçant les motifs particuliers pour toriale). Le Royaume-Uni lenie, en invoquant des prin-
lesquels ils se prononcent; deux autres juges - sir cipes qu'ilconsidèrecomme applicables à l'espèce.De
Arnold McNair et M. J. E. Read - y ont joint les son côté,la Norvège, tout en ne contestant pas qu'il
exposésde leur opinion dissidente. y ait des règles, soutient que celles avancées par le
Royaume-Uni ne sont pas applicables; et. d'autre part,
elle se prévautde son propre système de délimitation
qu'elledit êtreen tout conformeauxexigences du droit
international.L'arrêt examinerad'abordl'applicabilité
L'étatde choses qui a donnélieu au différendet les des principes du Royaume-Uni, puis le système nor-
faits qui ont précédla soumission de larequête britan- végien.et, enfin, la conformitéde ce système au droit
nique à la Cour sont rappelés dans l'arrêt. international.
La zone côtière en litige est d'une configuration ca-
ractéristique. A vol d'oiseau, sa longueur dépasse Le premier des principes britanniques est que toute
1500kilomètres. Partout montagneuse, profondément ligne de base devrait suivre la laisse de basse mer. Tel
découpée enfiords et baies, parsemée d'innombrables est en effet le critère généralement adopté parla pra-
îles, îlots et récifs (dont certains forment un archipel tique des Etats. Les parties l'admettent toutes deux,
continuconnu sous lenomdeskjaergaard,"rempart de maisellessontendésaccord sur sonapplication. Or, les
rochers"), elle ne présentepas comme presquepartout réalités géographiquesdécrites plus haut. qui amènent
ailleursdans le monde une lignede séparation nettede forckment à prendre en considération non la lignede la
la terre et de l'eau. Le relief du continent se prolonge terre ferme mais celle du skjaergaard, conduisentaussi
dans la mer, et ce qui constitue vraiment la côte nor- àexclureque lalignede basesuivetoujours la laisse de
végienne,c'est la ligne extérieure de l'ensemble. Le basse mer. Partant de pointsappropriéssurcettelaisse,
longde la zonecôtière se trouvent des hauts-fondstrès s'écartantdans une mesureraisonnable de lalignephy-
poissonneux. De temps immémorial,leshabitants de la sique de la côte, elle ne peut êtreobtenue que par une
terre ferme et des îles les ont exploitésc'est la base construction géométrique. Des lignes droites traver-
essentielle de leur subsistance. seront les baies caractérisées. les courbesmineures de
Dans les siècles passés. des pêcheurs britanniques la côte et les espaces d'eau séparant les îles, îlots et
avaient fait des incursions dans les eaux avoisinant récifs,cequidonnera àlaceinturedes eaux territoriales
les côtes de Norvège. A la suite de plaintes du roi uneformeplus simple. Et ilne s'agit pasd'exceptionà
de Norvège, ils s'abstinrent, partir du débutdu XVII' une règle: c'est tout l'ensemble de cette c6te tourmen-
siècleet pendant 300 ans. Mais, en 1906,des bateaux téequi appelle la méthode des lignes droites de base.
britanniques apparurent à nouveau. Il s'agissait cette ~ait-il, comme le prétendle Royaume-Uni - sauf
fois de chalutiers dotésd'engins perfectionnéset puis- quand il s'agit de la ligne de fermeture d'eaux inté-
sants. La population locale s'émut. et des mesures rieures auxquelles le Royaume-Uni reconnaît que la
furentprisespar la Norvègepourpréciserleslimites en Norvège a droit à titre historique-. que les lignes
deçà desquelles la pêche était interditeaux étrangers. droites aient une longueur maximale ?Sicertains Etats
Des incidentsdeplusen plus nombreux seproduisirent ont adoptéla règledes dix milles pour la ligne de fer-
et, le12juillet 1935,le Gouvernement de la Norvège meture des baies, d'autres s'en tiennentune longueur
délimita pardécretla zone de pêchenorvégienne.Des différente:la règledes dix milles n'a donc pas acquis
négociationsavaient étéentaméesentre les deux gou- l'autorité d'unerèglegénéraledu droit internationalni
vernements;elles se poursuivirent aprèsledécretmais pour les baies ni pour les eaux séparant les îles desarchipels. Au surplus. elle ne saurait êtreopposée à la protestation formelle et bien définie.Et, cependant,
Norvège, qui s'est toujour:~élevéecontre son applica- traditionnellement attentif aux choses de la mer, il ne
tion à la côte norvégienne. pouvait ignorer les manifestations réitéréesde la pra-
Donc, à s'en tenir aux conclusions britanniques, la tique norvégienne quiétait notoire.La tolérance géné-
délirriitationde 1935ne viole pas ledroit interiiational. rale de la communauté internationale montredonc que
Mais une délimitationd'espaces maritimes a toujours la méthodenorvégienne n'étaip tas considérée comme
un aspect international puisqu'elle intéresse lesEtats contraire au droit international.
autresque le riverain; elle inesaurait doncdépendrede Mais, si le décret de 1935s'est bien conformé à
la seule volontéde ce dernier. A cet égard.certaines cette méthode (ceque constate l'arrêt),le Royaume-
considérationsfondamentalesliées à lanature delamer Uni prétendque certaines des lignes droites de base
territoriale conduisentà dkgager les critères suivants, qu'il fixe seraient sans justification comme ne répon-
dont s'inspirera lejuge : la mer territoriale étantétroi- diint pas aux critères rappelésplus haut :elles ne res-
tement dépendante du do:maineterrestre, la ligne de pecteraient pas la direction généralede la côte et ne
base ne peut s'écarterde façon appréciablede ladirec- setraientpas tracées defaçon raisonnable.
tion générale de la côte; certaines eaux sont erirapport
particulièrement intime avec les formations terrestres Après avoir examiné les secteurs ainsi critiqués,
qui letsséparent oules entourent (idéequi doit recevoir l'arrêtconclut que les lignestracéessejustifient. Dans
une llargeapplication en l'espèce, du fait de.la con- ui-ides cas- le Svaerholthavet -. il s'agit bien d'un
figurationde lacôte): ilpeut yavoir lieude tenir compte bassin qui a le caractère d'une baie, même s'isle sub-
de ce:rtainsintérêtséconorniquespropres à Urierégion diviseendeux largesfjords. Dans unautre descas - le
lorsqueleur réalitéet leur iinportance setrouvent attes- Lopphavet -. l'écartentre la ligne et les formations
téespar un long usage. terrestres n'est pas tel qu'il défigurela direction géné-
La Norvègeprésentele décret de 1935com.meI'ap- rale de la côte norvégienne; au surplus, le Gouver-
plication d'un systèmetradiitionnelde délimitationcon- nement norvégienfait valoir là un titre historique net-
forme au droit international, lequel droit tiendrait tement localisé :laconcessionexclusive de pêche etde
compte de la diversitédes situations de fait et admet- cllasse accordée auxviicsiècle àun ressortissant nor-
trait une délimitationadaptéeaux conditions particu- vlsgien,d'où ilrésultequeces eaux étaient considérées
lière!;des diverses régions.L'arrêt constateq~i'eneffet comme relevant exclusivement de la souveraineté nor-
un décret norvégiende 1812ainsi que divers textes vlégienne.Dans un troisièmecas - le Vestfjord -, il
postkrieurs (décrets, rapports, correspondance diplo- s'agit d'une divergence minime :ilfaut laisseràI'Etat
matique) démontrentquelaméthodedes lignesdroites riverain lerèglementde tellesquestions localeset d'im-
de base, imposéepar lagéographie,aété consacréepar portance secondaire.
le système norvégienet consolidée par une pratique Pour ces motifs, I'arrêtconclut que la méthode
constante et suffisamment longue. L'application de ce e:mployéepar le décretde 1935n'est pas contraire au
systkme ne s'est pas heurtée à l'opposition d'autres droitinternational; et que les lignesdebasefixéespar le
Etat!;.Même leRoyaume-1Jnipendant longtenips nel'a décretne sont pas non plus contraires au droit inter-
pascontestée :c'est seulement en 1933qu'ilaiilevéune national.
Résumé de l'arrêt du 18 décembre 1951