Arrêt du 2 février 1973

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056-19730202-JUD-01-00-EN
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COUR INTERNATIONALE DE JUSTICE

ANNÉE 1973 1973
2 février
Rôleno 56ral
2 février1973

AFFAIREDE LA COMPÉTENCE

EN MATIÈRE DE PÊCHERIES

(RÉPUBLIQUE FÉDÉRALE D'ALLEMAGNE c. ISLANDE)

COMPÉTENCE DE LA COUR

Composition de la Cour -Accès à la Courd'un Etat nonpartie au Statu-
Résolution duConseil de sécuritéen date du 15 octobre 1946 -Pertinencede la
date du dépôt dela déclarationd'acceptation de lajuridiction Compétencede
la Cour - Applicabilitéd'une clause compromissoire prévoyant lapossibilité
de saisir la Coursi un événement déterminé seproduit Défautde comparution
d'une desparties- Examen d'officepar la Cour de la question de sa compétence
- Article 53 du Statut- Clause compromissoire de l'échange denotes -

Article 36, paragraphe 1, du Statu- Déterminationde la portéeet du but de
l'accord- Pertinence des travaux préparatoire- Validitéinitiale de la clause
- Question de la contrainte- Duréed'application de la clause -La mise en
jeu de la clauseétaitsoumisà une condition- Changement de circonstances en
fait et en droit invoquécomme cause d'extinction de l'accord - Conditions
d'application de la théorie du changement fondamental de circonstances -
Efet du changement de circonstances en ce qui concerne la clause compromis-
soire.

Présents: Sir Muhammad ZAFRULLA KHAN, Président; M. AMMOUNV , ice-
Président;sir Gerald FITZMAURICEM , M. PADILLN AERVO,FORSTER,
GROS,BENGZON, PETRÉN,LACHS,ONYEAMAD , ILLARD, IGNACIO-
PINTO, DE CASTROM , OROZOV,JIMÉNEZ DE ARÉCHAGAju , ges; M.
AQUARONE G,reffier. En l'affaire dela compétenceen matièrede pêcheries,
entre

la République fédéraled'Allemagne,

représentéepar
M. G. Jaenicke, professeur de droit international à l'université de Franc-
fort-sur-le-Main,

comme agent et conseil,
assistépar
M. D. von Schenck, jurisconsulte au ministère des Affaires étrangères,

MmeS. Vollmar, ministère des Affaires étrangères,
M. R. Hilger, ministère des Affaires étrangères,
M. D. Booss, ministèredel'alimentation, del'agriculture et des forêts,
comme conseillers,

la République d'Islande,

ainsï composée,

rend l'arrêtsuivant:

1. Par lettre du 26 mai 1972 reçue au Greffe de la Cour le 5juin 1972, le
secrétaire d'Etat aux Affaires étrangères de la République fédéraled'Alle-
magne a transmis au Greffier une requête introduisant une instance contre la
République d'Islande au sujet d'un différendportant sur l'extension de la
compétence isiandaise en matière de pêcheries à laquelle le Gouvernement
islandais se proposait de procéder. Pour établir la compétencede la Cour, la
requête invoque l'article 36, paragraphe 1, du Statut de la Cour, un échange
de notes entre le Gouvernement de la République fédérale et le Gouverne-
ment islandais en date du 19juillet 1961et une déclaration que la République
fédéraled'Allemagne a faite le 29 octobre 1971conformément àla résolution
du Conseil de sécuritédu 15 octobre 1946, et qui a été déposéaeu Greffe le
22 novembre 1971.
2. Conformément à l'article 40, paragraphe 2, du Statut, la requêtea été
immédiatement communiauée au Gouvernement islandais. Conformément

au paragraphe 3 du même&ticle, lesautresEtats admis à ester devantla Cour
ont étéinformés de la requête.
3. Parlettre du 27juin 1972reçueau Greffele 4juillet 1972,le ministre des
Affaires étrangères d'Islandea fait notamment savoir à la Cour que le Gou-
vernementislandaisn'était pas disposé à lui attribuer compétence et ne dési-
gnerait pas d'agent.
4. Le 21juillet 1972,l'agent de la République fédéraled'Allemagne a dé-
poséau Greffe une demande en indication de mesures conservatoires en vertu
del'article 41 du Statut et del'article 61 du Règlement de la Cour adopté le
6 mai 1946. Par ordonnance du 17 août 1972, la Cour a indiqué certaines
mesures conservatoires en l'affaire.
5. Par ordonnance du 18 août 1972, la Cour, considérant qu'il étaitnéces-saire de régler en premier lieu la question de sa compétence en l'affaire, a
décidéque les premières piècesécritesporteraient sur la question de la com-
pétence de la Cour pour connaître du différendet a fixéla date d'expiration
des délaispour le dépôt du mémoire du Gouvernement de la République
fédéraled'Allemagne et du contre-mémoire du Gouvernement islandais. Le
mémoire du Gouvernement de la République fédéralea été déposé dans le
délaiprescrit et il a étécommuniquéau Gouvernement islandais. Le Gouver-
nement islandais n'a pas déposéde contre-mémoire et, la procédure écrite
étant ainsi terminée, l'affaire s'esttrouvée en état le 9 décembre 1972, c'est-à-
dire le lendemain du jour où expirait le délaifixépour le dépôt du contre-
mémoiredu Gouvernement islandais.
6. Les Gouvernements du Royaume-Uni et du Sénégalont demandé que

les pièces de la procédure écriteen l'affaire soient tenuesà leur disposition
conformément àI'article 44, paragraphe 2, du Règlement. Les Parties ayant
indiqué qu'elles ne s'y opposaient pas, il a étédécidéde faire droità ces de-
mandes. En application de l'article44, paragraphe 3, du Règlement, les pièces
de la procédure écriteont, avec l'assentiment des Parties, été renduesacces-
sibles au publicà dater de l'ouverture de la procédure orale.

7. La République fédéraled'Allemagne, invoquant l'article 31, paragraphe
3, du Statut, a notifià la Cour le nom de la personne qu'elle choisissait pour
siégercomme juge ad hoc en l'affaire. Le Gouvernement islandais n'a pas
soulevé d'objection dans le délai qui lui avait étéfixé, conformément à
l'article 3 du Règlement, pour faire connaître son opinionàce sujet. La Cour,
tenant compte de l'instance introduite par le Royaume-Uni contre l'Islande le
14 avril 1972 dans l'affaire de la Compétenceen matière depêcheries,ainsi que

de la composition de la Cour en la présente affaire où siègeun juge ayant la
nationalité du Royaume-Uni, a néanmoins décidé,par huit voix contre cinq,
qu'en la présente phase relative à la compétence de la Cour les deux Parties
faisaient cause commune au sens de I'article 31, paragraphe 5, du Statut, ce
qui justifiait le rejet de la demande de la République fédéraled'Allemagne
concernant la désignation d'un juge ad hoc.
8. Les Parties ayant été dûment averties, une audience publique a été
tenue le 8 ianvier 1973. durant laauelle la Cour a entendu M. G. Jaenicke
plaider le ~ouverhement de fa République fédéraled'Allemagne sur la
auestion de la com~étence de la Cour. Le Gouvernement islandais n'était
pas représenté à l'audience.
9. Dans la procédure écrite, les conclusions ci-après ont étédéposéesau
nom du Gouvernement de la République fédéraled'Allemagne:

dans la requête:
«La République fédéraled'Allemagne demande qu'il plaise à la Cour
dire et juger:

a) que l'élargissement unilatéral par l'Islande de sa zone de compétence
exclusive sur les pêcheriesjusqu'à 50 milles marinsà partir des lignes
de base actuelles, et cela dater du ler septembre 1972 - élargisse-
ment décidépar le Parlement (Althing) et le Gouvernement islandais
et notifiépar le ministre des Affaires étrangères d'Islande la Répu-
blique fédérale d'Allemagne dans un aide-mémoire remis à son
ambassadeur à Reykjavik le 24 février 1972 - serait dépourvu de fondement en droit international et n'est donc pas opposable à la
Républiquefédéraled'Allemagne et àses navires de pêche;
b) que si l'Islande, en tant qu'Etat riverain essentiellement tributaire des
pêcheriescôtières, établit que des mesures spécialesde conservation
des pêcheriessont nécessaires dans les eaux adjacentes à ses côtes
mais au-delà de la zone exclusive de pêche prévuedans l'échangede
notes de 1961, de telles mesures de conservation, pour autant qu'elles
portent atteinte aux pêcheriesde la Républiquefédéraled'Allemagne,
ne peuvent être prises, en droit international, au moyen d'un élar-
gissement décidé unilatéralementpar l'Islande de sa compétence en

matière de pêcherieset doivent l'êtreau moyen d'un accord conclu
sur le plan bilatéral ou dansun cadre multilatéral entre la République
fédérale d'Allemagneet l'Islande.»

dans le mémoire:
«La République fédéraled'Allemagne prie respectueusement la Cour
de dire et juger:

Que la Cour a pleine compétence pour connaître dela requêtesoumise
à la Cour par la République fédérale d'Allemagnele 5juin 1972 et pour
traiter l'affaire au fond.»

A l'audience publique du 8 janvier 1973, l'agent de la République fédérale
d'Allemagne a présentéla conclusion suivante:

«Au nom du Gouvernement de la République fédéraled'Allemagne,
je prie respectueusement la Courde dire et juger:

Que la Cour a pleine compétence pour connaître dela requêtesoumise
par la République fédéraled'Allemagne le 5 juin 1972 et pour traiter
l'affaire au fond.»

10. Aucune pièceécriten'a été déposéepar le Gouvernement islandais, qui
n'étaitpas non plus représenté à la procédure orale, et aucune conclusion n'a
donc étéprise en son nom. Toutefoisl'attitude du Gouvernement islandais en
ce qui concerne la question de la compétence de la Cour a étédéfiniedans la
lettre précitéedu ministre des Affaires étrangères d'Islande en date du 27juin
1972.Aprèsavoir appelél'attention sur certainsdocuments, la lettre déclarait:

«Ces documents concernent l'historique de l'accord consigné dans
l'échange de notes du 19 juillet 1961, la caducité de ce! accord et le
changement de circonstances résultant de l'exploitation toujours crois-
sante des ressources de la pêchedans les mers entourant l'Islande.»

La lettre concluait dans les termes suivants:

((L'accord consigné dans l'échange de notes de 1961 ayant pris fin, la
Cour ne pouvait se fonder sur son Statut le 5 juin 1972 pour exercer sa
compétence dans l'affaire viséepar la République fédéraled'Allemagne.

Considérant que les intérêts vitauxdu peuple islandais sont en jeu, le
Gouvernement islandais porte respectueusement à la connaissance de la
Cour qu'il n'est pas disposé à lui attribuer compétence dans une affaire
qui concernerait l'étendue despêcheriesislandaises, en particulier dans l'instance que le Gouvernement de la République fédéraled'Allemagne a
voulu introduirele 5juin 1972.
Etant donnéce qui précède,il ne sera pas désigné d'agentpour repré-
senter le Gouvernement islandais.»

Dans un télégrammeadressé à la Cour le 4 décembre 1972, le ministre des
Affaires étrangères d'Islande a déclaréque l'attitude du Gouvernement islan-
daisrestait inchangée.

11. Dans un télégramme adressé àla Cour le 28juillet 1972 par le ministre
des Affaires étrangèresd'Islande, il était dit en outre:

«la République fédéraled'Allemagne n'a accepté la compétence de la
Cour que par sa déclaration du 29 octobre 1971, transmise au Greffier
le 22 novembre 1971, après que le Gouvernement islandais eut notifié
dans son aide-mémoire du 31 août 1971 que la disposition qui prévoit le
recours au règlement judiciaire pour certaines matières avait entière-
ment atteint son but et son objet».

Par cette mention, le ministre des Affaires étrangères d'Islande paraît laisser
entendre que le moment auquel a été faitela déclaration de la République
fédérale d'Allemagnedu 29 octobre 1971, déposéeau Greffe le 22 novembre
1971, n'est peut-être pas sans effet sur la force obligatoire de l'accord
constitué par l'échange de notes du 19juillet 1961 ou sur le droit dela Répu-
blique fédéraled'Allemagne d'ester devant la Cour. En ce qui concerne le
premier point, il est clair que la force obligatoire de l'accord conclu entre les
deux gouvernements, qui sera examinée dans. le présent arrêt, n'a aucun
rapport avec la date à laquelle la déclaration requise par la résolution du

Conseil de sécuritédu 15 octobre 1946 a étédéposéeau Greffe: l'accord a
pour but d'établir lacompétence de la Cour àl'égardd'une catégorieparticu-
lière de différends; la déclaration concerne l'accèsà la Cour d'Etats qui ne
sont pas parties au Statut.Pour ce qui est du second point,savoir la question
du droit de la République fédéraled'ester devant la Cour, on doitnoter qu'en
application de la résolution du Conseil de sécuritétout Etat qui n'est pas
partie au Statut doit déposer une déclaration, laquelle peut avoir soit un
caractère particulier soit un caractère général,avant d'ester devant la Cour.
Cela a étéfait. L'article 36 du Règlementdispose:

«Lorsqu7un Etat qui n'est pas partie au Statut a été admispar le
Conseil de sécurité,conformément à l'article 35 du Statuà,ester devant
la Cour, ledit Etat doit justifier la satisfaction de la Cour qu'il s'est
conformé aux conditions auxquelles aurait étésubordonnée cette ad-
mission: l'acte apportant cette justification doit êtredéposéau Greffe en
mêmetempsquela notification de la désignation de l'agent.»

La désignation de l'agent de la République fédéraled'Allemagne a éténotifiée
par lettre du 26 mai 1972 reçue au Greffe le 5juin 1972, la déclaration de la
République fédéraleayant étédéposéepréalablement le 22 novembre 1971. 12. La présente affaireporte sur un différend survenuentre le Gou-
vernement de la Républiquefédérale d'Allemagne elte Gouvernement
islandais à propos de la prétention élevéepar celui-ci d'étendrejusqu'à
50millesmarins sa zone de compétenceexclusivesur lespêcheriesautour
de l'Islande. En la phase actuelle, elleconcerne la compétencede la Cour
pour trancher le différend. La question étant ainsi limitée, la Cour
s'abstiendra non seulement d'exprimer une opinion sur des points de
fond, mais aussi de se prononcer d'une manièrequi pourrait préjugerou
paraître préjugertoute décisionqu'ellepourrait rendre sur le fond.
13. Il est regrettable que le Gouvernement islandais ne se soit pas
présentépour exposer les objections que lui inspirerait, d'après ce que
l'on sait, la compétencede la Cour. Celle-ci n'en doit pas moins, con-

formément à son Statut et à sa jurisprudence constante, examiner
d'officela question de sa propre compétencepour connaître dela requête
de la République fédérale d'Allemagne. En outre, dans la présente
affaire, le devoir qu'a la Cour de procéder à cet examen de sa propre
initiative est confirmépar l'article 53 du Statut. Aux termes de cette
disposition, lorsqu'une des parties ne se présentepas ou s'abstient de
faire valoir sesmoyens, la Cour doit s'assurer qu'ellea compétenceavant
de statuer sur le fond.l résultede la non-comparution de l'Islande dans
la présente phase de l'affairequ'ellene s'estpas conforméeà l'article 62,
paragraphe 2, du Règlement, lequel exige notamment que 1'Etat qui
soulève une exception d'incompétence présente ((l'exposé d feit et de
droit sur lequel l'exception est fondée)),ses conclusionsce sujet et les
moyens de preuve qu'il désire éventuellement employerN . éanmoins la
Cour, en examinant sa propre compétence, considérerales objections
qui peuvent, àson avis, êtresoulevéescontre celle-ci.

14. Pour établirla compétencede la Cour dans l'affaire,le demandeur
se fonde sur l'article 36, paragraphe 1, du Statut qui dispose: ((Lacom-
pétence de la Cours'étend ..à tous lescas spécialementprévus ..dans les
traitéset conventions envigueur)),sur leparagraphe 5(ci-aprèsdénommé
la clause compromissoire) de l'échangede notes entre le Gouvernement
de la Républiquefédérale d'Allemagne et le Gouvernement islandais en
date du 19juillet 1961(ci-aprèsdénommél'échangede notes de 1961),
qui stipule:

((Le Gouvernement islandais continuera de s'employer à mettre
en Œuvrela résolutionde 1'Althingen date du 5 mai 1959relative
àl'élargissement'delajuridiction sur lespêcheriesautour del'Islande
mais notifiera sixmoisàl'avanceau Gouvernement dela République
fédérale d'Allemagnetoute mesure en ce sens; au cas où surgirait
un différend enla matière,la question sera portée,à la demande de
l'une ou l'autre partie, devant la Cour internationale de Justice));

et sur la déclaration que la Républiquefédérale d'Allemagnea faite le29 octobre 1971,conformément àla résolutiondu Conseil de sécuritédu
15octobre 1946,et qui a été déposé ae Greffele22novembre 1971.Dans
sa résolutiondu 5 mai 1959,1'Althing(Parlement islandais) a proclamé
qu'il considérait:

«que l'Islande a incontestablement le droit de fixer les limites des
pêcheries à une distance de 12 milles, que le droit de l'Islande sur
toute la zone du plateau continental doit êtrereconnu conformément
àla politique consacréepar la loi de 1948concernant la conservation
scientifique des pêcheriesdu plateau continental et qu'il n'est pas
question de fixerles limites des pêcheriesne distance de moins de
12milles des lignes de base tracéesautour del'Islande».

15. Le sens des termes ((élargissementdela juridiction sur les pêche-
ries» qui figurent au paragraphe 5 de l'échangede notes de 1961 doit
êtrerecherchédans le contexte de cette résolution de l'Althing et du
libellé complet de l'échange de notes de 1961 où les deux parties con-
tractantes, après s'êtreréféréeasux conversations qu'elles avaient eues
peu avant, se sont déclarées disposées conclure l'arrangement ci-après:
La Républiquefédérale d'Allemagne pour sa part ((n'élèveraas d'objec-
tion à l'avenir contre une zone de pêches'étendantautour de l'Islande
sur une largeur de 12 milles)) (paragraphe 1 des notes échangées) à

partir de certaines lignes de base définiespour la délimitationde ladite
zone (paragraphe 2). Elle a également accepté une période transitoire
prenant fin le 10 mars 1964 pendant laquelle les navires immatriculés
dansla Républiquefédérale pourraient selivreràla pêchedans les 6milles
extérieursde la zone de 12 milles, saufà certaines époquesdéterminées
et dans certaines zones définies(paragraphes 3 et 4). Elle a en outre
admis le fait que le Gouvernement islandais ((continuera de s'employer
à mettre en Œuvre la résolution delYAlthingen date du 5 mai 1959))
relativeà l'élargissement de lajuridictionsur les pêcheries. LeGouverne-
ment islandais, de son côté, aaccepté de notifiersixmois l'avancetoute
mesure en ce senset il a admis aussi qu'(tau cas où surgirait un différend
en la matière, la question sera portée, la demande de l'une ou l'autre
partie, devant la Cour internationale de Justice))(paragraphe 5).

16. Dans un aide-mémoiredu 31août 1971,leGouvernement islandais
a fait savoir au Gouvernement de la Républiquefédérale d'Allemagne
au'il considérait ((maintenant comme essentiel d'étendre sa zone de
compétenceexclusive sur les pêcheriesautour des côtes de manière à
inclure les espaces maritimes recouvrant le plateau continental)) et qu'il
envisageait ((quela nouvelle délimitation,dont le tracéexact sera précisé
à une date ultérieure, entre en vigueur le 1.r septembre 1972 au plus
tard)). En réponse à cette communication, le Gouvernement de la
Républiquefédérale d'Allemagne a priéle 27 septembre 1971 le Gouver-
nement islandais de noter au'à son avis ((ledroit international n'admet
pas qu'un Etat riverain s'arroge unilatéralement unpouvoir souverain
sur des zones de la hautemer)).Il a également réservétous les droits que
lui donne l'échangede notes de 1961, «en particulier celui de porter lesdifférendsdevant la Cour internationale de Justice)).
17. Il ne fait pas de doute en l'espèceque la République fédérale
d'Allemagnea exécuté les obligations que l'accord consacrépar l'échange
de notes de 1961mettait à sa charge en ce qui concerne la reconnaissance
d'une zone de pêche s'étendana tutour de l'Islande sur une largeur de 12
milles et le retrait, échelonnésur moins de trois ans, des navires imma-
triculésdans la Républiquefédérale pratiquantla pêchedans cette zone.
Il n'est pas douteux non plus qu'un différend s'estéleventre les parties
et qu'ilpersiste malgrélesnégociationsqui ont eu lieu en 1971et en 1972.
Ce différenda manifestement trait à l'élargissementpar l'Islande de sa
compétence en matièrede pêcheriesau-delà de la limite de 12milles dans
les eaux recouvrant son plateau continental, élargissement qui était
envisagédansla résolutionde 1'Althng du 5 mai 1959.

18. De mêmeil est hors de doute que l'Islande a donnà la République
fédérale d'Allemagne le préavisqui étaitprévuen cas de nouvel élargisse-
ment. En conséquence,la Républiquefédéraleayant contestéla validité,
non pas du préavis mais de l'élargissementl,a seule question dont la
Cour soit à présent saisie consistà déterminersi le différendqui en est
résulté estde ceux que la Cour est appelée à trancher en vertu de la
clause compromissoire figurant dans l'échangedenotesde 1961.Puisque à
première vuele différend ainsi soumis àla Cour sur requêtede la Répu-
blique fédérale d'Allemagnecorrespond exactement aux termes de la
clause,il seraitnormal que la Cour applique le principe qu'ellea réaffirmé
dans son avis consultatif de 1950 sur la Compétencede l'Assemblée
généralpeour l'admissiond'un Etat aux Nations Uniesselon lequel il n'y a
pas lieu de recourir aux travaux préparatoires siletexte d'une convention

est en lui-mêmesuffisammentclair. Toutefois, euégard aux particularités
de la présenteprocédure,signaléesau paragraphe 13ci-dessus, et afin de
bien préciserla portéeet le but de l'échangede notes de 1961,la Cour se
propose àprésent d'examiner brièvemenlte déroulement des négociations
qui ont abouti àcet échange denotes.

19. Il ressort du compte rendu de ces négociations présenté par le
demandeur àla Cour ainsi que de certains documents échangés entre les
deux gouvernements que la Républiquefédérale d'Allemagne a protesté
dèsle mois de juin 1958,dans une note verbale du 9 remise au ministre
des Affaires étrangèresle 16,contre l'intention annoncéepar le Gouver-
nement islandais d'étendre à 12 milles marins les limites de sa zone de
pêcheexclusive à dater du lerseptembre 1958.Dans une note verbale du
16juillet 1958ellea renouvelésa protestation dans lestermes suivants:

((Le Gouvernement fédéral regrette vivement cetteprocédure
unilatérale etse trouve contraint de dire combien il est déçuque le
Gouvernement islandais ait pris les mesures unilatérales susmen-
tionnéessans avoir accepté la suggestiondu Gouvernement fédéral tendant à ce qu'un accord sur la pêcheau large des côtes d'Islande
soit recherchépar des négociations amiables avecle Gouvernement
fédéral eltes autres nations intéressées.))

La note exprimait l'espoir que le Gouvernement islandais serait disposé
entamer des négociations multilatérales etindiquait expressémentque
ces négociations devraient avoir pour but d'aboutir à un accord qui
tienne compte des ((principes du droit international)) et des ((intérêts
historiques de toutes les nations en cause)).
20. Dans une note verbale du 5 août 1959 adresséeau ministre des
Affaires étrangères dela Républiquefédéraled'Allemagne, l'ambassade
d'Islande à Bonn a rappeléla proposition faite par l'Islande à la confé-

rence de Genève de 1958 sur le droit de la mer tendant à ce que soit
réglépar l'arbitrage tout désaccord éventuelsur l'extension de droits
exclusifs en matière de pêche.La position de la délégation islandaise à
cette conférence estréaffirméeen cestermes :
((1convient que 1'Etatriverain puisse inclure unilatéralementdans

sa zone de pêcheune zone adjacente, sous réserved'un arbitrage en
cas de désaccord.))
Dans sa réponsedu 7 octobre 1959, le Gouvernement de la République

fédérale d'Allemagnes'est élevé contre l'opinion selon laquelle un Etat
riverain pourrait inclure unilatéralementdans sa zone de pêche une zone
adjacente, sous réserved'un arbitrage en cas de désaccord. II apparaît
que les négociations directesentre les parties ont été suspenduesjusqu'à
la conclusion des longs pourparlers qui étaient alors en cours entre le
Gouvernement du Royaume-Uni et le Gouver~~vmenitslandais et qui ont
abouti à l'échange denotes anglo-islandais du 11 mars 1961.Les négo-
ciationsentre le Gouvernement de la République fédéraleet le Gouverne-
ment islandais ont repris immédiatementaprès.
21. Le 13 mars 1961 le ministre des Affaires étrangères d'Islande a
transmis à l'ambassade dela République fédérale d'Allemagne copidee
l'échange denotes anglo-islandais et luia enoutre signalélesmodifications

apportées à certaines lignes de base. Le Gouvernement de la République
fédérale d'Allemagnea alors proposé au Gouvernement islandais de
reprendre les négociations.Dans un aide-mémoiredu 12 avril 1961, il
a notéavec intérêlt'échangede notes anglo-islandais et proposé d'ouvrir
des pourparlers en vue de la conclusion d'un accord entre l'Islande et la
RépubliquefédéraleL . es négociations quiont suivi ont portéessentielle-
ment sur diverses questions économiques soulevéep sar le Gouvernement
islandais ainsi que sur la date laquelle la périodetransitoire prendrait
fin, que le Gouvernement islandais souhaitait identique à celle qui était
prévuedans l'échange de notes anglo-islandais,nonobstant ledécalagede
temps entre celui-ci et l'échangede notes envisagé avecla République
fédérale d'Allemagne.
22. Il est significatif qu'au cours de ces négociations la délégation

islandaise ait essayéde persuader le Gouvernement de la Républiquefédérale d'Allemagnede ne pas inclure de disposition prévoyant le
règlement judiciaire. Dans son aide-mémoire du 20 juin 1961, où il
définissaitson attitude au débutdes négociations entamées cette année-là,
le Gouvernement. islandais a tenté d'exclure toute clause de règlement
judiciaire, soutenant qu'elle serait superflue en raison de l'échangede
notes qui avait eu lieu avec le Gouvernement du Royaume-Uni le 11
mars 1961. Après avoir traité des lignes de base et de la durée de la
périoded'adaptation, l'aide-mémoire déclarait expressément:

«Compétencede la Cour internationale deJustice. Il n'est quejuste
de souligner que la Républiquefédérale nedevrait pas avoir besoin
d'insister sur ce point pour la raison évidenteque si l'Islande devait
reporter les limites au-delà de 12 milles le Gouvernement du
Royaume-Uni saisirait certainement la Cour desapropre initiative. ))

Selon le mémoirede la République fédérale, cettteentative a rencontré
de l'opposition: la délégation allemandea insistépour que soit incluse la
même dispositionque dans l'échangede notes anglo-islandais du 11
mars 1961 qui, tenant compte de la possibilité d'uneaction devant la
Cour et des termes de l'article 102 de la Charte des Nations Unies,
prévoyait que l'échangede notes serait enregistré au Secrétariat de
l'organisation des Nations Unies. A la date du 6 juillet 1961,l'accord
étaitréalisésur le texte des notesàéchanger,y compris celui de la clause
à l'enregistrement,et l'échan-
compromissoire et dela disposition relative
ge a eu lieu le 19juillet 1961; le Gouvernement islandais a enregistré
l'accord ainsi concluau Secrétariatde l'organisation des Nations Unies
le 27 septembre 1961.
23. Cet historique des négociations renforce la thèse selon laquelle la
Cour est compétenteen l'espèceet fait ressortir que l'intention véritable
des parties étaitde donner au Gouvernement de la Républiquefédérale
d'Allemagnelesmêmes assurancesque celles qui avaient étéfournies au
Royaume-Uni, notamment ledroit de contesterdevant laCour la validité
de tout nouvel élargissementde la compétencede l'Islande en matièrede
pêcheriesdans les eaux recouvrant son plateau continental au-delà
de la limite de 12 milles. En conséquencel'exercicepar la Cour de sa

compétencepour connaître de la présenterequête entreraitdans le cadre
de la clause compromissoire et répondrait exactement à ce qu'étaientles
intentions et l'attente des deuxparties lorsqu'elles ont discuté et accepté
cette clause.Il ressort ainsi du libelléde la clausecompromissoire, replacé
dans le contexte de l'échangede notes de 1961et interprété compte tenu
de l'historique des négociations,quela Cour est compétente.On a cepen-
dant soutenu que l'accord était nul dès l'origine ou qu'ila cesséd'être
applicable depuis lors. La Cour va examiner cesthèses.

24. La lettre adresséele 27 juin 1972 au Greffier par le ministre des

Affaires étrangères d'Islandecontient l'affirmation suivante: «L'échangede notes de 1961est intervenu dans des circonstances extrêmement dif-
ficiles1)Dans son mémoire, laRépubliquefédérale d'Allemagne a inter-
prétécette affirmation comme mettant en cause la validité initiale de

l'accord dans la mesure où elle semblait ((laisserentendre que c'est sous
l'effetde quelque pression, et non de son plein gré,que le Gouvernement
islandais a accepté l'accordde 1961 ».Il n'y a guèrede doute que, comme
cela ressort implicitement de la Charte des Nations Unies et comme le
reconnaît l'article 52de la convention de Vienne sur le droit des traités,
un accord dont la conclusion a étéobtenue par la menace ou l'emploi
dela force est nul en droit international contemporain. Il est non moins
clair qu'un tribunal ne peut pas prendre en considérationune accusation
aussi grave sur la base d'une allégation généraleet vague qu'aucune
preuve ne vient étayer. Ledéroulement desnégociationsqui ont abouti

à l'échangede notes de 1961montre que cesinstruments ont été librement
négociéspar les parties intéresséessur la base d'une parfaite égalité et
d'une pleine libertéde décision. Il n'a étésignaléà l'attention de la Cour
aucun fait qui laisserait planer le moindre doute sur cepoint.

25. Dans sa lettre du 27juin 1972au Greffier,le ministre des Affaires
étrangères d'Islande afait valoir que l'accord de 1961 ((n'avaitpas un

caractère permanent » et il a ajouté:
«En particulier on ne saurait considérer commepermanent un
engagement de se soumettre au règlementjudiciaire. Rien dans cette
situation ni dans une règlegénéraledu droit international contem-

porain nejustifierait une autre manièrede voir. ))
Cette observation, dont l'objet est de nier la compétencede la Cour,
semble se fonder sur le raisonnement suivant: 1) la clause compromis-
soire ne contenant aucune disposition relative à son extinction, on

pourrait lui attribuer un caractère permanent; 2) mais une clause com-
promissoire ne saurait avoir un caractère permanent; 3) il doit donc
êtrepossible d'y mettre fin moyennant un préavis adéquat. C'est ce
raisonnement qui paraît être à la base de l'observation figurant dans
l'aide-mémoiredu Gouvernement islandais du 31août 1971selon laquelle :

a De l'avis du Gouvernement islandais ...la disposition sur le
recours au règlementjudiciaire en certaines matières envisagédans le
passage cité [à savoir la clause compromissoire] a entièrement
atteint son but et son objet.)

26. La Cour estime que, bien quela clause compromissoire de l'échan-
ge de notes de 1961ne contienne aucune disposition expresse concernant
sa durée,l'obligation qu'elle prévoit comporte un facteur temporel in-
trinsèque qui en conditionne l'application. 11serait donc inexact de dire
qu'elle possèdeun caractère permanent ou qu'elle lie les parties à per-
pétuité. Cela résulte à l'évidenced'un examen de l'objet de cette clausereplacéedans le contextede l'échangede notes.
27. L'échangede notes de 1961ne fixait pas de délai précisdans lequel
le Gouvernement islandais pourrait prétendre mettre en Œuvre la
résolutionde 1'Althing.Il s'ensuit qu'aucune limite de temps ne pouvait
êtrespécifiéepour le droit correspondant de la République fédérale
d'Allemagnede contester toute prétentionde l'Islande à un élargissement
de la zone de pêche et d'invoquer-la juridiction de la Cour dans le cas
où, aucun accord n'étant conclu, le différendpersisterait. Ce droit de la
République fédérale devaitdurer aussi longtemps que l'Islande pourrait
chercher àmettre en Œuvrela résolutionde l'Althing. Cela ne dépendait
évidemmentque du Gouvernement islandais qui, en 1971, soit dix ans
aprèsl'échangede notes, a revendiquédes droits exclusifsen matière de

pêcheriessur toute la zone du plateau continental entourant son terri-
toire, faisant ainsi automatiquement jouer le droit de la République
fédérale de saisirla Cour.
28. Dans ces conditions, la clause compromissoire formulée dans
l'échangede notes de 1961pourrait êtredéfiniecomme un accord pré-
voyant de soumettre àla Cour, sur requêteunilatéralede l'une ou l'autre
des parties, un genre particulier de différendenvisagéet prévupar celles-
ci. Ledroit d'invoquer la compétencede la Cour ne devait donc êtremis
en Œuvre qu'au moment où surviendraientcertains événements futurs et
bien définiset, partant, étaitsoumis à une condition suspensive. Autre-
ment dit, il étaitsubordonné à une condition qui pouvait àtout moment
se réaliser- l'affirmation par l'Islande d'une prétentioà un élargisse-
ment de sa zone de pêche - et le droit d'agir devant la Cour ne pouvait

être invoqué que danscette éventualité.
29. Ces observations suffisent faire justice d'une objection éventuelle
s'appuyant sur l'opinion de certaines autorités d'après lesquelles les
traités de règlement judiciaire ou les déclarations d'acceptation de la
juridiction obligatoire de la Cour sont au nombre des dispositions
conventionnelles qui, par nature, peuvent êtredénoncées unilatéralement
lorsqueaucunedisposition expressene régitleur durée ou leur extinction.
Etant donné que cette thèse n'est pasapplicable en l'espèce,la Cour n'a
pas à examiner le principe en question ni à se prononcer à ce sujet. Il
suffit de souligner que cette conception ne vise que lesinstruments par
lesquels les parties acceptent l'obligation généralede soumettre au
règlement judiciaire tous les différends,ou certaines catégoriesde diffé-

rends,pouvant survenirentre ellesdansun avenirimprévisible.L'échange
de notes de 1961ne contient pas un accord de cette nature. Il comporte
une clause compromissoire préciseétablissant la compétencede la Cour
pour connaître d'une catégorie déterminéede différends, prévue et
spécialementenvisagéepar les parties. En conséquence,lorsque surgit un
différendqui entre précisémentdans la catégorie envisagéeet qui est
porté devantlaCour, on ne sauraitadmettrequela clausecompromissoire
soit caduque ou qu'ilpuisse yêtremis fin. 30. Dans ia déclaration qu'il a faite Ie 9 novembre 1971 devant
l'Althing, le premier ministre d'Islande a évoquénon seulement un
prétendu changement de circonstances en ce qui concerne la pêcheet
les techniques de pêche (voir ci-après) mais encore des changements
intervenus dans ((l'opinion des juristes sur la compétence en matièrede
pPcheries». On ne voit pas l'intérêt de cettebservation à l'égard dela
clause compromissoire car tout différend éventuel relatif à de tels
changements relèveraitde cette clause et pourrait êtreconsidérécomme
une question touchant au fond. On pourrait en revanche tenir cette
observation pour pertinente si l'on acceptait une notion bien connue
dans le droit de certains Etats, celled'absence decontrepartie.e titre,

elle se rattacheàl'affirmation selon laquelle l'accord, ayant atteint son
objet et son but, ne lie plusIslande.
31. Il convient de noter, pour commencer, que la clause compromis-
soire a un caractère bilatéral, chacunedesparties étantendroit d'invoquer
la compétence de laCour; il est clair que, dans certaines hypothèses,
l'Islande aurait intérêt agir devant la Cour. L'argument de l'Islande
paraît êtrenéanmoins celui-ci:vu le sens généraldans lequel le droit
international a évoluéces dix dernières années ence qui concerne les
limites des pêcheries,un nombre toujours plus grand d'Etats, y compris
1'Etat demandeur, ont reconnu et réclaméle droit à une compétence
exclusive en matière de pêchejusqu'à une distance de 12milles à partir
des lignes de base de la mer territoriale. On soutient donc, semble-t-il,
que la clause compromissoire est le prix que l'Islande a payépour que

son cocontractant admette à l'époquela limite de 12millesen matièrede
pêcheries.On allègue en conséquence que, la zonede pêchede 12milles
étant généralement reconnueaujourd'hui, on se trouverait dans un cas
où la contrepartie aurait disparu et que ce changement de circonstances
d'ordre juridique libérerait'Islande de son engagement. C'est ainsi qu'il
est possible d'interpréter la déclaration faite par le premier ministre
devant I'Althing, le 9 novembre 1971,et selon laquelle l'accord n'aurait
probablement pas été conclusi le Gouvernement islandais avait su
comment les choses allaient évoluer.
32. Certes des changements survenus dans le droit peuvent, dans
certaines conditions, justifier que soit invoqué un changement de cir-
constances influant sur la durée d'un traité, mais la thèse islandaise

n'est pas pertinente en l'occurrence. se peut que le motif ayant amené
l'Islandeà conclure l'échangede notes de 1961tienne à ce qu'elle avait
intérêtàobtenir la reconnaissance immédiatede sa compétenceexclusive
en matière de pêcheries jusqu'à une distancede 12 milles dans les eaux
entourant son territoire. Il se peut aussi que cet intérêtait disparu
depuis lors, puisque son cocontractant affirmeà présent que sapropre
compétences'exercedans une zone de 12milles. Mais en l'espèce l'objet
et le but de l'échangede notes de 1961, et par suite les circonstances
qui constituaient une base essentielledu consentement des parties être
liéespar l'accord qu'ilcontenait, avaientune portée beaucoup plus large.
Il s'agissait non seulement de trancher la prétention du Gouvernement

16islandais d'étendre sa compétenceen matièrede pêcheries à une distance

de 12 milles mais encore de fournir un moyen permettant aux parties
de réglerentre ellesla question dela validité detoute prétentionultérieure.
Cela résultenon seulement du texte de l'accord mais ausside l'historique
des négociations,autrement dit de l'ensembledes circonstances que l'on
doit prendre en considérationpour déterminerce qui a amenéles deux
partiesà conclure l'échange denotes de 1961.
33. Une analyse de l'accord, eu égardà son but età son objet, montre
qu'il prévoyait deux catégoriesd'obligations:

a) Les obligations d'un caractère transitoire énoncéesaux paragraphes
3 et 4 en vertu desquelles les navires de pêche del'autre partie con-
trâctante étaientautorisés à pêcherpendant une périodetransitoire
dans certaines régions situéesdans les 6 milles extérieursde la zone
de pêchede 12 milles. Ces dispositions ont évidemmentatteint leur
objet et peuvent êtreconsidérées commeayant pris fin le 10 mars
1964.
b) Les autres obligations, énoncéesaux paragraphes 1, 2 et 5, qui n'ont
pas un caractèretransitoire, étantdonné quelesparties, contrairement
à ce qui étaitprévuaux paragraphes 3 et 4, ne leur avaient assigné
aucune limite de temps.

34. Il se peut que l'Islande estime actuellement que certains des
motifs qui l'ont poussée à accepter l'échangede notes de 1961 n'ont
plus autant de force ou qu'ils ont entièrement disparu. Mais ce n'est
pas une raison pour en exclure les dispositions dont le but et l'objet
demeurent inchangés.L'Islande a retiré certains avantages des dispo-
sitions de l'accord qui ont été exécutéeps,r exemple, la reconnaissance
par la Républiquefédérale d'Allemagne depuis1961de sa compétence
exclusive sur une zone de pêchede 12 milles, l'acceptation par la Ré-
publique fédérale d'Allemagnede lignes de base définiespar l'Islande
et la renonciation après une période de moins detrois ans à la pêche
traditionnellement pratiquée par des navires immatriculés dans la

République fédérale d'Allemagne. Il est donc évident que l'Islande
doit à son tour remplir les obligations qui lui incombent en contrepartie
et qui consistentà accepter l'examen par la Cour de la validitéde ses
nouvellesprétentionsconcernant l'extension de sajuridiction. Au surplus
dans le cas où un traitéest partiellement exécutet partiellement exécu-
toire et où l'une desparties a déjàbenéficié des dispositions exécutées,
il serait particulièrement inadmissible d'autoriser cette partiemettre
fin à des obligations qu'elle a acceptées envertu du traité etqui cons-
tituent la contrepartie des dispositions que l'autre a déjàexécutées.

35. Dans sa lettre du 27juin 1972au Greffier,le ministre des Affaires
étrangères d'Islande a mentionné ((le changement de circonstances

résultantde l'exploitation toujours croissante des ressources de la pêchedans les mers entourant l'Islande». Il convient aussi de prendre note
des autres déclarations faiteà ce sujet dans les documents que l'Islande
a portés à l'attention de la Cour. Ainsi, dans la résolutionadoptéepar
1'Althingle 15février 1972,il étaitdit qu'en raison ((duchangement des
circonstances, les notes échangées en1961 sur les limites des pêcheries
ne sont plus applicables)).
36. Dans ces déclarations, le Gouvernement islandais se fonde sur
le principe selon lequel un changement de circonstances entraînerait
la caducitéd'un traité.Le droit international admet que, si un change-
ment fondamental des circonstances qui ont incité lesparties à accepter

un traité transforme radicalement la portée des obligations imposées
par celui-ci, la partie léséede ce fait peut,à certaines conditions, en
prendre argument pour invoquer la caducitéou la suspension du traité.
Ce principe et les conditions exceptionnelles auxquelles il est soumis
ont été énoncés à l'article 62 de la convention de Vienne sur le droit
des traités qui peut,àbien des égards, être considérc éomme une codi-
fication du droit coutumier existant en ce qui concerne la cessation des
relations conventionnelles enraison d'un changement de circonstances.
37. L'une des conditions essentielles requises par cet article est que
le changement de circonstances ait étéfondamental. A ce sujet, le
Gouvernement islandais, dans une publication officielleintituléeFislzeries
JurisdictioninIceland,jointeà la lettre du ministre des Affairesétrangères
du 27 juin 1972, a fait état, en ce qui concerne les progrès intervenus

dans les techniques de pêche,de l'exploitation croissante des ressources
dela pêchedans les mers entourant l'Islande et du danger d'une exploita-
tion encore plus pousséeen raison de l'accroissement de la capacité de
capture des flottilles de pêche.Dans ses déclarations, l'Islande arappelé
qu'elle étaitexceptionnellement tributaire de la pêchepour son existence
et son développementéconomique. Le ministre a indiquédans sa lettre
du 27juin 1972:

((Considérantque les intérêts vitauxdu peuple islandais sont en
jeu, le Gouvernement islandais porte respectueusement à la con-
naissance de la Cour qu'il n'estpas disposé à lui attribuer compé-
tence dans une affaire qui concernerait l'étendue des pêcheries
islandaises..»

Sur le mêmesujet, on trouve dans la résolution de1'Althingdu 15février
1972le paragraphe suivant:
((Les Gouvernements du Royaume-Uni et de la République
fédéraled'Allemagne seront de nouveau informés que, en raison
des intérêts vitaux dela nation et du changement des circonstances,

les notes échangées en 1961 sur les limites des pêcheriesne sont
pius applicables et que leurs dispositions ne sont pas obligatoires
pour l'Islande.»
38. Le fait que l'Islande invoque ses ((intérêtsvitaux)) alors qu'ils
n'étaientpas l'objet d'une réserve expresse l'acceptation de l'obligationjuridictionnelle prévue dans l'échange de notes de1961 - doit être
interprété,eu égard au changement de circonstances allégué, comme
l'indication par l'Islande du motif pour lequel elle considère comme
fondamentaux les changements intervenus à son avis par rapport aux
techniques de pêche antérieures. Cette interprétation correspondrait à
l'idéetraditionnelle que les changements de circonstances qui doivent
êtreconsidérés comme fondamentaux ou vitaux sont ceux qui mettent en
périll'existenceprésente ou l'avenir del'une des parties.
39. Pour sa part le demandeur a soutenu devant la Cour que ((le
danger d'une surexploitation des pêcheriesne s'estpas encore concrétisé))
et il a précisé,dans sa plaidoirie, qu'on ne devait pas présumer qu'il
tenait pour exacte l'allégation de l'Islande selon laquellele progrès
technique du matériel de pêche etles méthodes modernes de pêche
rendaient plus urgente qu'auparavant la nécessitéd'adopter des mesures
de conservation afin d'empêcherles prises excessivesde poisson dans les
eaux entourant l'Islande.

40. Au stade actuel de la procédure, la Cour n'a pas à se prononcer
sur cette question de faità propos de laquelle une divergence de vues
paraît exister entre les deux gouvernements. Si, comme l'Islande le sou-
tient, des changements fondamentaux sont intervenus en ce qui concerne
lestechniques depêchedans leseaux entourant l'Islande, ceschangements
ne pourraient avoir d'intérêqtu'aux fins de la décision relativeau fond
du différendet c'est au stade du fond que la Cour pourrait avoir à
examiner cette thèse, commetous autres arguments quel'Islande pourrait
invoquer à l'appui de la légitimitéde l'extension de sajuridiction en
matière de pêcheries au-delà des dispositions de l'échangd ee notes de
1961. Mais de tels changements ne sauraient modifier en quoi que ce
soit l'obligation d'accepter la compétence de la Cour, seule question
qui se pose en la présentephase de l'instance.l s'ensuit que les dangers
que les transformations des techniques de pêcheferaient courir aux
intérêtsvitaux de l'Islande ne sauraient constituer un changement
fondamental pour ce qui est du maintien en vigueur ou de la caducité

de la clause compromissiore établissantla compétence dela Cour.
41. Il convient de relever à ce propos que l'importance particulière
que présentela pêche côtièrepour l'économie islandaise est expressément
reconnue dans l'échange denotes de 1961et que, dans son ordonnance
du 17 août 1972,la Cour a dit: ((ilfaut également nepas oublier l'im-
portance particulière que présente la pêche côtièrepour l'économie
islandaise, ainsi que la République fédérale l'areconnu dans la note
adresséele 19juillet 1961au ministre des Affaires étrangères d'Islande».
La Cour a ajouté que ((de ce point de vue, il faut tenir compte de la
nécessitéde la conservation des stocks de poisson dans la région de
l'Islande» (C.I.J. Recueil 1972, p. 34). Ce point est acquis.
42. Il faut égalementtenir compte de ce que le demandeur a indiqué,
dans ses thèses présentéesà la Cour, que si l'Islande, en tant qu'Etat
riverain essentiellement tributaire des pêcheries côtièrespour sa sub-
sistance ou son développement économique,fait valoir la nécessité d'un régime spécialde conservation des pêcherics(notamment un régime
lui conférant des droits prioritaires) dans les ealix adjacenàeses côtes
mais situéesau-delà de la zone exclusive de pêcheprévuedans l'échange
de notes de 1961, elle peut légitimementpoursuivre cet objectif par voie
de collaboration et d'entente avec les autres pays intéresséset non pas
en s'attribuant unilatéraIement des droits exclusifs dans lesdites eaux.
Le fait que l'Islande est exceptionnellement tributaire de ses pêcheries

et le principe de la conservation des stocks depoisson ayant été reconnus,
il reste le point de savoir si l'Islande a la compétence voulue pour
s'attribuer unilatéralement une juridiction exciusive en matière de pêche-
ries au-delà de 12 milles. En la présente phase de l'instance la Cour
n'aà se prononcer que sur sa compétencepour trancher ce point.

43. Au surplus, pour que l'on puisse invoquer un changement de
circonstances en vue de mettre fin à un traité, ce changement doit avoir
entraîné une transformatioil radicale de la portée des obligations qui
restentà exécuter.Il doit avoir rendu plus lourdes ces obligations, de
sorte que leur exécution devienne essentiellement différentede celle à

laquelle on s'était engagprimitivement. En ce qui concerne l'obligation
dont la Cour s'occupe à présent, cettecondition n'est nullement remplie;
on ne saurait dire que le changement decirconstances allégupar l'lsiande
ait transformé radicalement la portée de l'obligation juridictionnelle
qu'impose l'échangede notes de 1961. La clause compron~issoire auto-
risait l'une ou l'autre partieà porter devant la Cour tout différendqui
surviendrait entre elles au sujet d'un élargissement de la juridiction de
l'Islande sur ies pêcheriesdans les eaux recouvrant le plateau continental
au-delà de la limite de 12 milles. Le différendactuel est exac~ement du
genre de ceux que la clause compromissoire de l'échange de notes
envisageait. Non seulement l'obligation juridictionnelle ne s'est pas
radicalement transformée dans sa portée mais encore elle est restée
précisémentce qu'elle étaiten 1961.

44. Le demandeur a soutenu dans sa plaidoirie que Pefait d'alléguer
un changement de circonstances ne libère pas ipsofacto 1'Etat qui
l'invoque de son obligation conventionnelle,à moins qu'il n'ait ététabli,
soit avec le consentement del'autre partie, soit par un règlementjudiciaire
ou autre entre les parties, que le changement de circonstances est tel qu'il
justifie que les parties soient relevées desobligations conventionnelles
existantes.
45. Hlse trouve qu'en l'espècela disposition procéduraie complétant
Pa théorie du changement de circonstances est prévue dans l'échange
de notes de 1961 qui stipule que les parties porteront devant la Cour

tout dintérendrelatif à l'élargissementpar l'Islande de sa juridiction enmatière de pêcheries. Enoutre, s'il se posait une question quant à la
compétencede la Cour, en raison d'une prétendue caducité résultant
d'un changement de circonstances, on pourrait la résoudrepar applica-
tion du principejudiciaire reconnu qui est consacréà l'article 36, para-
graphe 6, du Statut, lequel dispose: ((Encas de contestation sur le point
de savoir si la Cour est compétente,la Cour décide)).En l'espèceune
contestation de ce genre existe manifestement, comme le montrent les
communications adresséespar l'Islande à la Cour età la Partie adverse,
même sil'Islande a choisi de ne pas désignerd'agent, de ne pas déposer
de contre-mémoireet de ne pas présenter d'exceptions préliminaires à

la compétencedela Cour; l'article 53 du Statut donne à la Cour le droit
et, dans la présente affaire,lui impose l'obligation de se prononcer sur
le problème de sa compétence. C'estce qu'elle fait par une décision
ayant l'autorité de la chose jugée.

46. Par ces motifs,

par quatorze voix contre une,
dit qu'elle a compétencepour connaître de la requête déposée par le
Gouvernement de la République fédérale d'Allemagne le 5 juin 1972et

statuer sur le fond du différend.

Fait en frailçais et en anglais, le texte anglais faisant foi, au palais de
la Paix,à La Haye, le deux févriermil neuf cent soixante-treize, en trois
exemplaires, dont l'un restera déposaux archives de la Cour en dont les
autres seronttransmis respectivement au Gouvernementdela République
fédéraled'Allemagneet au Gouvernement de la République d'Islande.

Le Président,

(Signé) ZAFRULLK AHAN.
Le Greffier,

(Signé) S. AQUARONE.

Sir Muhammad ZAFRULLA KHAN, Président, fait la déclaration
suivante:

Je souscrisentièrement à l'arrêtde la Cour. J'estime cependant néces-

saire de lui adjoindre la brèvedéclaration qui suit. La seule question dont la Cour soit saisie dans la phase actuelle de

la présente instance est celle de savoir si, vu la clause compromissoire
de l'échange denotes du 19 juillet 1961 entre la République fédérale
d'Allemagne et le Gouvernement islandais et compte tenu de l'article 36,
paragraphe 1, de son Statut, la Cour est compétentepour se prononcer
sur la validitéde l'acte unilatéral par lequel l'Islande a étendu sa juri-
diction exclusive en matière de pêcheriesde 12 millàs50 milles marins
à partir des lignes de base convenues par les parties en 1961. Toutes
les considérations militant pour ou contre la validité de cet acte de
l'Islande sont, au stade actuel, entièrement dépourvues de pertinence.
Invoquer quelque considération de ce genre pour déterminer l'étendue
de la compétence de la Cour, ce ne serait pas seulement préjuger la
question mais bel et bien mettre la charrue devant les bŒufset une telle
façon de faire doit êtreformellement désapprouvée.

Sir Gerald FITZMAURI jgEe,,joinà l'arrêtun exposéde son opinion
individuelle.

M. PADILLA NERVOj,uge, joint à l'arrêtun exposéde son opinion
dissidente.

(Paraphé)Z.K.

(Paraphé)S.A.

ICJ document subtitle

Compétence de la Cour

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Arrêt du 2 février 1973

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