COUR INTERNATIONALE DE JUSTICE
MÉMOIRES, PLAIDOIRIESET DOCUMENTS
AFFAIRE DU DROIT
D'ASILE
(COLOMBIE 1PÉROU)
ARRÊTDES 20ET27NOVEMBRE 1950
VOLUME II
Procédure ora-eDocuments.- Correspondance INTERNATIONAL COURT OF JUSTICE
PLEADINGS, ORAL ARGUMENTS, DOCUMENTS
ASYLUM .CASE
(COLOMBIA ,PERU) .
JUDG>IENTS OF NOVEhfBERANDt27th, 1950
VOLUME II
Oral proceedings.-Documents.-Correspondence DEUXIÈME PARTIE
PROCÉDURE ORALE . .
A.- SÉANCES PUBLIQUES
tenues a,u Palais de la Paix, La fiaye,
du 26 septembre au 27 novembre1950.
sous la présidencede M. Basdevaftt, Présiddnt
PART II
ORAL PROCEEDINGS
A.-PUBLIC SITTINGS
held ut the Peace ~alacc; The Hague,
/rom September 26th to ~Vov27th, 19jo.
the PresideM.,Rasdevant, presiding PROCES-VERBAL DES SEANCES TENUES
DU 26 SEPTEMBRE AU 27 NOVEMBRE 1950
DIX-SEPTIÈME SÉANCE PUBLIQUE1 (26 lx 50. II h.)
Présents: M. BASDEVANTP ,résident; MM. ALVAREZH , ACK\VORTH,
\\'INIARSKIZORI~ICD, E VISSCHERS,ir ARNOLDMCNAIR,hf.KLAESTAD,
BADA~I PACHA,1 KRYLOV.READ, HSU MO, AZEVEDOj,uges;
MM.CAICEDO CASTILL(AColombie),ALAYZA Y PAZSOLDAN (Pérou),juges
ad hoc ;M. GARNIER-COIGNEG T,efier adjoint; M. J. M. YEPES,agent
dtl Gouveruemenlde la Colombie;Me AlfredoVASQUEZa ,vocatdu Gou-
vernement de la Colombie; hl. Carlos SAYANALVAREa.gendrrGouver-
nementdu Pérou, assistéde MM.Felipe TUDELA Y BARREDAF ,ernando
MORALES I~ACEDO R. et Juan José CALLE Y CALLE; MM. Georges
SCELLE. Julio L~PEZOLIVAN.conseils du Gouvernementdu Pérou.
Le PRÉSIDENTo,uvrant l'audience, déclareque la Cour se réunit pour
examiner le différendqui a surgi entre la République de Colombie et
la République du Pérouà l'occasion de la demande de l'ambassade de
Colombie à Lima tendant à obtenir la délivrance d'un sauf-condàit
M. Victor Raul Haya de la Torre, auquel asile a étédonnédans ladite
ambassade.
Cette affaire a étéintroduite par une requêtedu Gouvernement de
la Colombie, déposéeau Greffe leoctobre 1949, conformément àun
accord signéà,Lima le 31août 194par les plénipotentiaires du Gouver-
nement de la Colombie et du Gouvernement du Pérou,accord dont
des copies certifiéesconformes ont étédéposéesau Grefàela même
date que la requête, tant par le représentant du Gouvernement de la
Colombie que par le représentant du Gouvernement du Pérou.
Le Président prie le Greffieradjoint de donner lecture de la traduction
en fransais des quatre paragraphes de l'Acte de Lima du 31août 1949,
ainsi que des conclusions énonçant les prétentions respectives des
Parties. telles qu'elles figurent dans les deux derniéress de la
procédure écrite.
Le GREFFIER ADJOINT procéde à cette lecture.
Le PRÉSIDENT annonce que AI.le Vice-Président Guerrero se trouve
empêchép , ar I'étatde sa santé, de siàgla présente audience, mais
qu'il prendra son siégeaux audiences prochaines, con@rmémenà la
décision prisepar la Cour avec l'assentiment des Parties.
Soixante-quatrieme séanclaCour MINUTES OF THE SITTINGS HELD FROM
SEPTEMBER 26th TO NOVEMBER 27th, 1950
YEAR 1950
SEVENTEENTH PUBLIC SITTING' (26 IS 50, IIam.)
Present: Plesident BASDEVANT:Jullgcs ALVAREZ.HACKIYORTH.
WINIARSKI,ZORI~C,DE VISSCHERS , ir Arnold MCNAIR,KLAESTAD,
BADAWIPASHA,KRYLOV,READ, HSU 1\10. AZEVEDO ; hl.CAICEDO
CASTILLA (Colomhia), M.ALAYZA Y PAZSOLDAN (Peru), Judges ad ho;
hl. GARNIER-COIGNED T,puty-Registrar;M. J. M. YEPES, Agent for
the Governmentof Colombia; Maître Alfredo VASQUEZA , duocatefor the
Government of Colombia; M. Carlos SAYANALVAREZ,Agent for the
Government of Perzl, assisted hyMM. Felipe TUDELA Y BARREDA,
Fernando MORALESMACEDOR. and Juan José CALLE Y CALLE;
h Georges SCELLE,Julio LOPEZOLIVAN,Cozdtsselfor the Goue7nment
of Perzr.
The PRESIDENT declared the sitting open and said that the Court had
met on that day to examine the dispute which had arisen hetween the
Republic of Colombia and the.Republic of Peru following a request hy
the Colombian Embassy in Lima for delivery of a safe-conduct for
XI. Victor Ra61 Haya de la Torre, to whom asylum had been granted in
the said Emhassy.
Proceedings in this case had been institutedy application of the
Government of Colomhia,which wasfiledin the Registry onOctoberth,
1949.in pursuance of an agreement signed at Lima-on August 31st. 1949.
by the plenipotentiaries of the Government of Colombia and the Govern-
ment of Peru ;certified true copies of that agreement had been filed in
the Registry, on theame date as the application, both by the represen-
tative of the Government of Colombia and the representative of the
Government of Pem.
The president called on the Deputy-Registrar to read the French
translation of the four paragraphs of the Act ofLimaof August 31st, 1949,
and the submissions stating the respective claims of the Parties as
fomulated in the last two documents of thepleadings.
The DEPUTY-REGISTRA Rad the documents in question.
The PRESIDENT stated that Vice-President Guerrero was prevented
for reasons of health from being present at the sitting. The Agents of
the Parties had indicated that they agreed, nevertheless, that Vice-
President Guerrero should continue to sit in the present case, and the
Court had decided accordingly.
'Sixty-fourth meeting of the Court, Le Président déclare ensuite que, la Cour ne comptaiit pas sur le
siège de juge de la nationalité des Parties en cause, les deus Gouver-
nements intéressésont fait usage du droit que leur réservel'article 31
du Statut de la Cour et qu'en.conséqnence,
M.Luis Alayza y Paz Soldan, docteur en jurisprudence et en sciences
politiques, ambassadeur, ancien ministre de la Justice et du Travail,
et M. J. J. Caicedo Castilla, docteur en droit, ambassadeur, ancien
président du Sénat de Colombie,
ont étédésignés,en qualité de juges ad hoc, par les Gouvernements du
Pérou et de Colombie respectivement.
Le Président prie MM. Alayza y Paz Soldan et Caicedo Castilla de
prendre l'engagement solennel que prescrit l'article 20 du Statut de
la Cour.
MM.ALAYZA Y PAZSOLDAN et CAICEDO CASTILLA font la déclaration
prévue à l'article 5 du Règlement de la Cour.
Le PRÉSIDENT leur donne acte de l'engagement qu'ils ont pris et les
déclare installésdans leurs fonctions de jugesadhocaux fins du présent
procès.
Le Président annonce que les Parties sont représentées :
Le Gouzlernementde la Colombie par:
Son agent, if. J. hl. Yepes, professeur, ministre plénipotentiaire,
jurisconsulte au ministére des Affaires étrangères,
assisté comme avocat par :
Mc Alfredo Vasquez, ministre plénipotentiaire, secrétaire généraldu
ministère des Affaires étrangères ;
Le Gozruernemend t u Pkozc par:
Son agent, If. Carlos Sayin Alvarez, avocat, ancien ministre, ancien
président de la Chambre des Députés du Pérou,
assisté de :
M.Felipe Tudela y Barreda, avocat, professeur de droit constitutionnel
à Lima,
M. Fernando Morales hfacedo R., interpdte parlementaire,
M. Juan José Calle y Calle, secrétaire d'ambassade.
ainsi que de :
M. Georges Scelle, professeur honoraire de l'Université de Paris,
et M. Julio L6pez Oiivin, ambassadeur,
comme conseils.
et constate la présencedevant la Cour de MM. les agents ainsi que de
leurs conseils.
Le Président donne la parole à l'agent du Gouvernement de la
République de Colombie.
M. YEPESprononce l'exposé reproduit à l'annexe1. A la fin de son
exposé,il prie le Président de bien vouloir donner la paroàeMe Alfredo
Vasquez.
'Voir pp. 19-21. SITTING OF SEPTEMBER 26th, 1950
9
The President thenstated that, as the Court did not include upon the
Bench any judge of the nationality of the Parties in this case, the two
Governments concerned had availed themselves of the right conferred
on them by Article 31 of the Court's Statute, and that, in consequence,
M. Luis Alayza y Paz Soldan, Doctor of Jurisprudence and Political
Science, Ambassador, former Minister of Justice and Labour,
- and M. J. J. Caicedo Castilla, Doctor of Law, Ambassador, former
President of the Colombian Senate,
had been designated as ju~.es ad lzocby the Governments of Peru and
Colombia,respectively.
The President called upon 1\1&1. layza y Paz Soldan and Caicedo
Castilla to make the solemn declaration provided for in.Article 20 of the
Court's Statute;
MM. ALAYZA Y PAZSOLDAN and CAICEDO CASTILLm Aade the declar-
ation provided for in Article 5 of the Kules of Court.
The PRESIDENpT laced on record the declarations which they had thus
made and declared them duly installed in their functions as judges
ad hoc for the purpose of the present case.
The President further announced that the Parties were represented
as follows :
The Governmentof Colombiaby :
its Agent, M. J. M. Yepes, Professor, Minister Plenipotentiary, Legal
Adviser to the Alinistry for Foreign Affairs,
assisted by :
Maître Alfredo Vasquez, illinister Plenipotentiary, Secretary-General
of the Ministry for Foreign Affairs, as Advocate;
The Governmentof Peru by :
its Agent, hl.Carlos Sayin Alvarez, Advocate, former Minister, former
President ofthe Pemvian Chamber of Deputies,
assisted by :
hl. Felipe Tudela v Barreda, Advocate, Professor of Constitutional
Law at I-lma,
M.Fernando MoralesMacedo R.. Parliamentary Interpreter,
M.Juan JoséCalle y Calle, Secretary of Embassy,
and by :
hl. Georges Scelle,Honorary Professorat the University of Pans,
and M.Julio L6pez Olivin, Ambassador,
as Counsel,
and noted that the Agents and their Counsel were present in Court.
The President called upon the Agent of the Government of Colombia.
M. YEPESmade the statement which is reproduced in the Annex'.
Having concluded his statement, he requested the President to cal1upon
Maître Alfredo Vasquez to address the Court.
1 See pp. 19-21.10 SEANCE DU 27 SEPTEMBRE 1950
Le PRÉSIDENTdonne la parole à Me Vasquez.
Mc VASQUEZ commence l'exposé reproduit à l'annexe'.
(L'audience, interrompueà 12 h.55, est repriseà 16 heures.)
Mc VASQUEZ reprend la suite de son exposéa. Au cours de sa plai-
doirie, il donne lecture de documents qui n'ont pas étéproduits au
cours de la procédure écrite.
Le PRÉSIDENTrappelle que, selon l'article 48 du Règlement, en
principe, les documents invoqués doivent êtreprésentésau cours de la
procédure écrite.11espere qu'à l'avenir, il ne sera fait usage, au cours
des débatsoraux, d'aucun document qui n'ait étépréalablement déposé,
ou - comme la Cour a la facultéd'accepter ou de ne pas accepter le
dépôt de documents après la clôture de la prockdyre écrite - sur la
recevabilité duquel la Cour n'aura pas étéappelée à se prononcer.
La suite de la plaidoirie, interrompue par la clôture de l'audience,
est renvoyée par le Président au mercredi 27 septembre, à IO h. 30.
L'audience est levéeà 17 h. 55.
Le Président de la Cour,
(Signé) BASDEVANT.
Le Greffier adjoint de la Cour,
(Signé) GARNIER-COIGNET.
Présents: [Voir dix-septième séance.]
Le PRÉSIDEXTdéclare l'audience ouverte. II donne la parole à
31.Vasquez.
Mc VASQUEZ reprend sa plaidoirie (annexe4).
(L'audience, interrompue à 12 h. 50, est repriseà 16 heures.)
Mo VASQUEZ poursuit sa plaidoirie" dont la suite est renvoyée par
le Président au jeudi 28 septembre, à IO h. 30.
L'audience est levée à 18 h. 5.
[Signalzrres.]
Voir pp.22-43.
" p. 3?,
3Soixante-cinquikreéance de la Cour.
Voirpp. 43-59.
= ' 59-73. SITTING OF SEPTEIIBER ~7th~ 1950 IO
The PRESIDENT called upon Maître Vaquez.
Maître VASQUEZ began the statement which is reproduced in the
Annex '..
(The sitting, which was suspended at 12.55 p.m., was resumed at
4 p.m.)
Maître VASQUEc Zontinued his statements. In the course of his address
he read certain documents which had not been submitted during the
written proceedings.
The PRESIDENT pointed out that, according to Article 48 ofthe Rules
of Court, documents which were referred to must, in principle, be sub-
mitted during the written proceedings. He hoped that in future no
document would be invoked during the oral debates which had not been
previously filed or in regard to the admissibility of which the Court had
not given a decision-seeing that the Court was entitled to permit, or
refuse to permit, the production of documents after the closure of the
written proceedings. .
The remainder of Maître Vasquez's statement, which was interrupted
by the closure of the sitting, was adjourned by the President till
10.30 a.m. on Weduesday, 27th September.
The Court rose at 5.55p.m.
(Signed) BASDEVANT,
President,
(Signed) GARNIER-COIGSET,
Deputy-Registrar.
EIGHTEENTH PUBLIC SITTINGa (27 IX 50, 10.30 a.m.)
Presenl: [See seventeenth sitting.]
The P~~s~~~x~declaredthesitting open and called on Maître I'asquez
to address the Court.
Maître VASQUEr Zesumed his statement (Annexa).
(Thesitting, which was suspended at 12.50p.m., wasresumedat 4p.m.)
Maître VASQUEZ continued his statement6, the end of which was
postponed by the President to Tliursday, 28th Septe~nber, at 10.30a.m.
The Court rose at 6.5 p.m.
[Signatzires.]II SÉANCES DES 28 ET 29 SEPTEMBRE 1950
DIX-NEUVIÈME ÇÉANCE PUBLIQUE 1 (28 IX 50, IO h. 30)
Présents: [Voir dix-septième séance ;est égalementprésent (le matin
seulement) M. GUERREROV , ice-Président.]
Le PRÉSIDENT,après avoir déclaré l'audience ouverte, invite
Me Vasquez à poursuivre sa plaidoirie.
&le VASQUEZ reprend son exposé, qu'il termine (annexe 9).
Le PRÉSIDENT donne la parole à M. Yepes, agent du Gouvernement
de la République de Colombie.
M. YEPES prononce l'exposéreproduit en annexe (annexea).
(L'audience, interrompue à 12 h. 50, est reprise z316 heures).
M. YEPESpoursuit sa plaidoirie4.
Le PRÉSIDENTrenvoie la suite de la plaidoirie au vendredi zg sep-
tembre, i 10 h. 30.
L'audience est levée à 18 h. IO.
[Signatures.]
VINGTIÈME SÉANCE PUBLIQUE (zg IX 50, IO h. 30)
Présents: [Voir dix-septième séance ;est égalementprésent M. GUER-
RERO,Vice-Président.]
Le PRÉSIDENTa ,près avoir déclaré l'audience ouverte, invite l'agent
du Gouvernement de la Colombie à poursuivre son exposé.
M. YEPESreprend sa plaidoirie qu'il termine6 en énonçantles conclu-
sions du Gouvernement de la Colombie (annexe ').
Le PRÉÇIDENTdemande à l'agent du Gouvernement du Pérous'il est
disposé à prendre la parole immédiatement.
M. SAYANALVAREZ déclare qu'en raison de l'ampleur des plaidoiries
de la Partie adverse. il serait désireuxde commencer sa plaidoirie seule-
ment le lundi z octobre, dans l'après-midi.
Le PRÉÇIDENTc ,onformémentau désirainsi exprimé, fixela prochaine
audience au lundi z octobre, à 16 heures.
L'audience est levée à II h. IO.
[Signatures.]
1Soixante-sixieme seance de lCour.
Voir pp. 73-78.
2 D 79-90.
n r go-Io+.
6Soixante-septieme seance de la Cour
Voir pp. 104-107.
D p. 107. SIïTINGS OF SEPTENBER28th AND zgth, 1950 II
NINETEENTH PUBLIC SITTING ' (28 IX 50, 10.30 a.m.)
~resent : [See seventeenth sitting ; aiso present (in the morning
only) Vice-President GUERRERO.]
The PRESIDENTdeclared the Sitting open and caUed upou Maître
Vasquez to continue his statement.
hlaître VASQUEZ continued and concluded his statement (Annex =).
The PRESIDENT caiied upon M. Yepes, Agent for the Government of
the Colombian Republic, to address the Court.
hf,YEPESmade the statement reproduced inthe Annex '.
(The sitting, whichwassuspended at 12.50 p.m., wasresumedat 4p.m.)
M. YEPEScontinued his statement *.
The PRESIDENT adjourned the remainder of the speech to 10.30 a.m.
on Friday, September 29th.
(The Court rose at 6.10 p.m.)
[Signatures.!
TWENTIETH PUBLIC SITTING6 (29 XI 50, 10.30 a.m.)
Present : [See seventeenth sitting; aiso present Vice-President
GUERRERO.]
The PIIESIDENTa ,fter having declared the sitting open, called upon
the Agent of the Colombian Government to continue his address.
M. YEPEScontinued his address' and ended by putting forward the
conclusions of the Colombian Government (Annex ').
The PRE~IDENT asked the Agent of the Peruvian Government if he
desired to speak immediately.
M.SAYAN ALVAREs Zaid that owing to the length of the address of the
opposing Party he would prefer to begin his address in the afternoon of
hlonday, 2nd October.
In accordance with the desire of the Pemvian Agent, the PRESIDENT
fixed the next sitting for hlonday, 2nd October, at 4 p.m.
The Court rose at 11.10 a.m.
[Signatures.]
Sixty-sixthmecting of the Court.
Sec pp. 73-78
., .. 79-90,
' ., ,, '30-104.
Sixty-seventh meeting of the Court.
a Seo pp. 104-107.
' ,, P 107.12 SÉANCES DES 2 ET 3 OCTOBRE1950
VINGT-ET-UNIÈME SÉANCE PUBLIQUE 1 (2 x 50. 16 h.)
Présents: [Voir vingtiPme séance.]
Le PRÉSIDENTa ,près avoir déclaréla séanceouverte, donne la parole
à M.Sayin Alvarez, agent du Gouvernement de la République du Pérou.
M. SAYANALVAREZr,enonçant à l'intention préalablement exprimée
par lui de demander à la Cour l'autorisation de prendre la parole en
espagnol, informe la Cour qu'il compte charger hl. Fernando Morales
Macedo de donner lecture de sa plaidoirie en langue française.
M. MORALEp Srocède à cette lecture (annexe ').
Le PRÉSIDENT lève l'audience, dont la suite est renvoyée au mardi
3 octobre, à IO h. 30.
L'audience est levéeà 17 h. 50.
[Signatures.]
Présenls: [Voir vingtième séance.]
Le PRÉSIDENT,ouvrant l'audience, donne la parole à AI. Georges
Scelle, représentant du Gouvernement de la République du Pérou.
Le professeur SCELLEprononce la plaidoirie rapportée l'annexe'.
(L'audience, interrompue à 13 heures, est repriseà 16 heures.)
Le professeur SCELLEtermine sa plaidoirie en exposant les conclu-
sions du Gouvernement péruvien.
Le PRÉSIDENT prie l'agent du Gouvernement péruvien de bien vouloir
déposerau Greffele texte de sesconclusions,tellesqu'il enadonnélecture,
afin que le Greffe puisse communiquer ce texte à la Partie adverse le
plus tôt possible.
Le Président demande à l'agent du Gouvernement de la Colombie à
quel moment il compte pouvoir présenter sa réplique.
III.YEPESrépondqu'eu raison de la richesse d'argumentation présentée
par la Partie adverse, il souhaite disposer d'un délai dequarante-huit
heures pour préparer sa réponse.11précise néanmoinsqu:il compte étre
très bref et que sa réplique nedurera que deux séances,soit une journée.
Le PRESIDENTdéclare donc la prochaine audience fixéeau vendredi
6 octobre, à IO h. 30.
L'audience est levée à 18 h. 15:
[Signatures.]
1Soixante-huitihrnséancede la Cour.
'Voir pp. 108-ig.
Soixante-neuviernséance de la Cour
Voir pp. 120-14s.
6 a n 735.143. SITTI~GS OF OCTOBER 2nd ASD 3rdi 1950 12
TIVENTY-FIRST PUBLIC SITTING '(2 r:50, 4 P.fli.)
Present :[See twentieth sitting.]
The PRESIDENT,after having declared the sitting open, called on
M. Sayin Alvarez, Agent of the Government of the Peruvian Kepublic,
to address the Court.
M. SAYANALVAREZ stated that he had abandoned his previously
expressed intention of requestiiig permission from the Court to speak in
Spanish, and that he wished to entrust the reading of Iiis nddress in
French to M. Fernando Morales hlacedo.
11.MORALErSead the address (Annexz).
The PRESIDENT suspended the sitting and said that the Court would
meet again on Tuesday, 3rd October, at 10.30am.
The Court rose at 5.50 p.m.
[Sigi&atrires.]
TWENTY-SECOND PUBLIC SITTING9 (3 x jo, 10.30 a.m.)
Preselz: [See twentieth sitting.]
The PRESIDEKT,having declared the sitting open, called upon
RZ. Georges Scelle, Represeritative of the Government of the Peruvian
Kepublic, to address the Court.
Professor SCELLE gave the address which is reproduced in the Annexa.
(Thesitting, which was suspended at i p.m., was resumed at 4 p.m.)
Professor SCELLEfinished his addressj by putting forward the conclu-
sions of the Peruvian Government.
The PRESIDESTasked the Agent of the Pemvian Government to be
good enough to deposit the text of his conclusions, in the form in wliich
he had read them, with the Kegistry, so that the latter migh' communi-
cate the text tothe opposing Party as'soon as possible.
The President'asked the Agent of the Colombian Government when
lie would be ready to present his reply.
M. YEPESreylied that, because of the wealth of arguments produced
by the opposing Party, he would be glad if the Court would grant Iiim
that he would be very brief, and that his reply would take only twowever,
sittings, or one whole day.
The PRESIDENTtherefore declared that the next sitting would take
place on Friday, 6th October, at 10.30a.m.
The Court rose nt 6.15 p.m.
[Stgitaltires.]
--
1 See pp. 103-119.ing of the Court.
"ixty-ninth meeting of the Court.
4 See pp. 120-148.
' .... 135-148.I3 SEANCES DES 6 ET 9 OCTOBRE 1950
VINGT-TROISIÈME SÉANCE PUBLIQUE1 (6 x 50, IO h. 30)
Pvésents :[Voir vingtjeme séance.]
Le PRÉSIDENTo ,uvrant l'audience, prie M. l'agent du Gouvernement
de la Colombie de présenter sa réplique.
M. YEPESprononce l'exposéreproduit à l'annexea.
Il expose, en terminant, les conclusions du Gouvernement colombien
relatives aux demandes reconventionnelles présentéespar le Gouverne-
ment du Pérou, le 21 mars 1950et le 3 octobre 1950.
Le PRÉSIDENp Trie M.Yepes de déposerau Greffele texte des conclu-
sions dont il vient de donner lecture.
M. YEPESdemande au Président de bien vouloir donner la parole à
Me Vaquez, chargéde présenterla suitede la répliquedu Gouvernement
de la Colombie.
Mo VASQUEZ prononce la plaidoirie reproduiteà l'annexe
[L'audience, interrompue à 13 heures, est reprisà 16 heures.)
Mo VASQUEZ reprend, sur l'iiivitation du PRÉSIDENTl,a suite de son
exposé 4!qu'il termine.
Le PRÉSIDENT demande à M. l'agent du Gouvemement du Pérous'il
désire,par lui-mémeou par un de ses conseils,répliqueraux observations
présentéespar la Partie adverse.
M.le professeur SCELLEr,épondant au nom de M.l'agent du Gonverne-
ment du Pérou, déclareque ce.Gouvernement compte en effet répliquer
aux observations présentéespar la Colombie, mais qu'il ne sera vraisem-
blablement pas en mesure de le faire avant le lundi g octobre.
Le PRÉSIDEN Téclare que, dans ces conditions, la Cour tiendra
audience le lundi g octobre, à IO h. 30, pour entendre l'agent ou le
conseil du Gouvernement de la République du Pérou.
L'audience est levée à 17 h. 40.
[Signatures.]
VINGT-QUATRIPME SÉANCE PUBLIQUE 5 (gx 50, IO h. 30)
Présents: [Voir vingtième séance.]
Le PRÉSIDENT,ouvrant l'audience, donne la parole au conseil du
Gouvernement péruvien, le professeur Georges Scelle, pour prononcer-
sa duplique au nom de ce Gouvemement.
Le professeur Georges SCELLE prononce l'exposéreproduit en annexe '
et rappelle les conclusious du Gouvernement du Pérou.
' Soixante-douzièmseeancedela Cour.
Voirpp. 149.157.
3 » n 158-166.
6 Soixante-quatorzièmeance de laCour.
Vairpp. r78-192. TIVENTY-THIRD PUBLIC SITTING1 (6 x 50, 10.30 a.?%.)
Present: [Çee twentieth sitting.]
The PRESIDFNT declared the sitting open and called upon the Agent
ofthe Colombian Govemment to present his reply.
RI.YEPESmade the statement as reproduced in the Annex '.
He concluded his statement by presenting the submissions of the
Colombian Government regarding the counter-claims which had been
put forward by the Pemvian Government on March ~1st. 1950, and
October 3rd. 1950.
The PRESIDZNT asked M.Yepes to deposit the text of the submissions
he had just read with the Registry.
M. YEPESasked the President to be good enough.to cal1on Maître
Vasquez, who was to present the remaiiider of the Colombian Govern-
ment's reply.
Maître.VAs~uEzmade the address reproduced in the Annexa.
(The sitting, which was suspended at Ip.m., was resumed at 4 p.m.)
Maitre VASQUEZu ,pon the request of the PRESIDENTr ,esumed his
address' and finished it.
The PRESIDENTasked the Agent of the Peruvian Government if
he desired to reply, either personally or through one of his Counsel,
to the observations presented by the opposing Party.
Professor SCELLE,replying on behalf of the Agent of the Peruvian
Government, stated that that Govemment did, in fact, intend to reply
to the observations put fonvard by Colombia, but that it was unlikely
to be in a position to do so before Monday, gth October.
The PRESIDENT said that, in these circumstances, the Court would
sit on Monday, gth October, at 10.30 am., tohear the Agent or the
Counsel of the Government of the Peruvian Republic.
The Court rose at 5.40 p.m.
[Signatures.]
T\n7ENTYTFOURTHPUBLIC SITTING (gx 50. 10.30 a.m.
Present : [Çee twentieth sitting.]
The PRESIDENT declared the sitting open, and called on Professor
Georges Scelle, Counsel for the Pemvian Government, to present the
rejoinder, on behalf of that Government.
Professor Georges SCELLEmade the statement which is reproduced
in the Annexa and drew attention to the submissions of the Peruvian
Government.
' Seventy-second meeting of the Court
S,.p,,1158-166.
' ., .. 166-177.
Seventy-fourth meeting of the Court.
Sce pp.178-192. Le PRESIDENTdéclare que, conformément à l'article 54 du Statut,
la Cour doit se retirer en chambre du conseil pour délibéreret que les
agents des Parties seront informésde la date à laquelle la Cour rendra
son arrêt.
Le Président prononce la clàture des débats, en réservant toutefois
i la Cour la facultéde les rouvrir si ellelejugeaàpropos pour demander
aux Parties telles précisionsqui lui paraîtraient utiles.
L'audience est levéei 12 h. 50.
[Sig?ratz<res.]
Présents: [Voir vingtième séance; sont également présents Mhl.
Eduardo Zuleta ANGELet Francisco URRUTIAc,othseilsdu Gormernement
de la Colombie.]
Le PRÉSIDENT,ouvrant l'audience, indique que la Cour se réunit
aux fins du prononcé del'arrêtrendu par elle dans l'affaire relative au
droit d'asile, entre le Gouvernement de la République de la Colombie
et le Gouvemement de la République du Pérou. Cette affaire a été
introduite par une requêtedéposéeau Greffe de la Cour, le 15 octobre
1949, au nom du Gouvemement de la Colombie.
Les agents des Parties ont étédûment prévenus qu'il serait donné
lecture de l'arrêtau cours de la présente séancepublique. Les expédi-
tions officiellesde l'arrêtvont êtreremises entre leurs mains.
Le Président signale que la Cour, en vertu de l'article 39 du Statut,
a désignéle teste qui fera foi, en l'espècele teste fraiiçnis. C'est de ce
texte qu'il va donner lecture.
La lecture terminée, le Président ajoute que hl. Alvarez, Badawi
Pacha, MM.Read et Azeredo, juges, et hl.Caicedo,juge adhoc,déclarant
ne pouvoir, sur certains points, se rallierl'arrêt dela Cour et se préva-
lant du droit que leur confère l'article 57 du Statut, ont joint audit
arrêtles exposésde leur opinion dissidente.
M. ZoriCiC,juge, tout en se déclarant d'accord sur les trois premiers
points du dispositif et sur les motifs afférents,a déclarciie pouvoir se
rallier au dernier point du dispositif, vu qu'il considère que l'asile,a été
octroyé conformément à l'article2;paragraphe 2,de laconvention de
La Havane. Il partage à ce sujet les rues exprimées clans l'opinion
dissidente du juge Read.
Les opinions dissidentes ainsi énoncéessont jointes au teste de l'arrêt.
Le Président invite le GREFFIER ADJOINT à donner lecture en anglais
du dispositif de l'arrêt.
A la suite de cette lecture, le PRESIDESTprononce 1- clôture de
l'audience.
L'audience est levée à IO h. Ij.
[Sigttatrrres.]
--
Quatre-vingt-onzikrne séance de la Cour. The PRESIDENTsaid that, according to Article 54 of the Statute,
the Court must deliberate in private, and that the Agents of theparties
would be informed of the date on which the Court would deliver ~ ~
judgment.
The President declared the closnre of the oral debates, but reserved
the right of the Court to reopen them, if it saw fit, in order to ask the
Parties for any explanations which it might desire.
The Court rose at 12.50 p.m.
[Signatures.]
T\t7ENTY-PIFTH PUBLIC SITTINGL (20 XI 50, g am.)
Present: [See twentieth sitting ;also present MM. Eduardo Zuleta
ANGELand Francisco URRUTIAC , ounselfor theGovernmentofColombia.]
The PRESIDENT opeued the hearing and stated that the Court had met
to deliver its judgment in the asylum case between the Government of
the Republic of Colombia and the Govemment of the Republic of Pem.
This.case \vas brought before the Court by the Govemment of Colombia O
by an Application filed in the Registry of the Court on October qth,
19I'he Agents of the Parties had been duly notified that the judgment
would be read at the present public sitting. He noted that officialcopies
of the judgment would be handed to them.
Under Article 39 of the Statute, the Court had decided that the French
text of the judgment would be the authoritative text ;he would read
the judgment in that language.
The President read the judgment in the French text, after which he
added that Judges Alvarez, Badawi Pasha, Read and Azevedo and
M. Caicedo, Judge ad hoc,declaring that they were unable to concur in
certain points of the judgment ofthe Court andavailing themselvesof the
right conferredupon them by Article 57of the Statute, had appended to
the judgment statements of their dissenting opinions.
Judge ZoriEiC,whilst accepting the first three points of the operative
part of the judgment and the reasons given in support, declared that he
was unable to agree with the last point of the operative part, as he
considered that asylum was granted in conformity with Article z, para-
graph z, of the Havana Convention, On this point he shared the views
expressed by Judge Readin his dissenting opinion.
These dissenting opinions had been appended to the text of the
judgment.
The ~resident called upon the DEPUTY-REGISTRA toRread the opera-
tive part of the judgment in the English text.
After this had been done, the PRESIDENT declared that the hearing
was closed.
The Court rose at 10.15 a.m.
[Signatures.]
' Ninety-first meeting of the Court. Présents: hf. BASDEVANT P,résident; hf. GUERREROV ,ice-Présidel;t
MM. ALVAREZ,HACKWORTH ~,VINIARSKID , E VISSCHER,Sir Arnold
MCNAIR, MM. KLAESTAD,KRYLOV,READ, HSU hlo, juges; MM.
CAICEDO CASTILLA (Colombie), ALAYZA Y PAZSOLDAN(Pérou), juges
ad hoc ; hl.HAMBROG , refier: MJ. M. YEPES,agentdu Gouvernement
de la Colombie: Mc Alfredo VASQUEZa ,vocat du Gozcvernementde la
Colombie; M.Carlos SAYAN ALVAREZ a,gentdu GouvernementdicPérou;
M. Julio LOPEZOLIVAN.conseil du Gouvernementdu Pérozc.
Le PR~SIDENTo,uvrant l'audience, signale que la Cour se réunit pour
connaître d'une demande, introduite à la date du 20 novembre 1950,
par le Gouvernement de la République de la Colombie. Cette demande
vise àobtenir l'interprétation de l'arrêt, rendule même jourpar la Cour,
dans l'affaire relative au droit d'asile entre la Colombie et le Pérou.
Il prie le Greffier de donner lecture de la demande du Gouvernement
de la Colombie.
Le GREFFIERdonne lecture du texte suivant :
0 a PLAISE A LA COUR,
Conformémentaux articles 60 du Statut et 79 et 80 du Règlement.
de répondre aux questions suivantes :
Premièrement. - L'Arrêtdu 20 novembre 1950 doit-il êtreinter-
prété dansle sens que la qualification faite par l'ambassadeur de
Colombie du délit imputé à M. Haya de la Torre fut correcte et
que, par conséquent, il y a lieu de reconnaître des effets juridiques
la qualification susmentionnée, en tant qu'elle a étéconfirmée
par la Cour ?
Deuxièmement. - L'Arrêtdu 20 novembre 1950doit-il étreinter-
prétédans le sens que le Gouvernement du Pérou n'a pas le droit
d'exiger la remise du réfugiépolitique M. Haya de la Torre et que,
par conséquent, le Gouvernement de la Colombie n'a pas L'obliga-
tion de le remettre mêmedans le cas où cette remise lui serait
demandée ?
Troisièmement.- Ou, au contraire, la décision prisepar la Cour
sur la demande reconventionnelle du Pérou implique-t-elle pour la
Colombie l'obligation de remettre le réfugiéVictor Rahl Haya de
la Torre aux autorités péruviennes, même sicelles-ci ne l'exigent
pas et ceci malgréle fait qu'il s'agit d'un délinquant politique et
non pas d'un criminel de droit commun et que la seule convention.
applicable dans le présent cas n'ordonne pas la remise des délin-
quants politiques? u
Le PRÉSIDENT indique que la demande du Gouvemement de la
Colombie a étédûment portée à la connaissance du Gouvemement du
Pérou,
Les deux Gouvernements ont respectivement désignécomme agents :
la République de Colombie: M. J. M. Yepes, professeur, ministre pléni-
potentiaire, jurisconsulte au ministèredesAffairesétrangeresdeColombie,
'Quatre-vingt-dix-neuvieseance de la Cour. SITTING OF NOVEIIBER 23rd, 1950 15
TWENTY-SIXTH PUBLIC SITTING l(23 XI 50, 4 $.m.)
Present : President BASDEVAN ;TVice-President GUERRERO ; Judges
ALVAREZH , ACKWORTH W,INIARSKID , E VISSCHERS ,ir Arnold MCNAIR,
KLAESTAD K,RYLOVR ,EBD,HSUMO;MM.CAICEDO CASTILL(A Colombia),
ALAYZA Y PAZ SOLDAN(Peru), Judges ad hoc; Registrar HAMBRO;
M. J. M. YEPES,Agent for the Government of Colombia; Maître Alfrerlo
VASQUEZA , dvocate for the Governmentof Colombia : M. Carlos SAYAN
ALVAREZA , gent for the Governmentof Peru ; M. Julio L~PEZ OLIVAN,
Counselfor the Governmentof Peru.
The PRESIDENT declared the hearing open and said that the Court had
met to hear a request presented on November 20th. 19j0, by the Govern-
ment of Colombia. This request aimed at obtaining an interpretation
of the judgment delivered the same day by the Court in the asylum case
between Colombia and Peru.
The President called npon the Registrar to read the request of the
Government of Colombia.
The RECrsTRARread the foliowing text :
"MAY IT PLEASE THE COURT.
In accordancewith Articles 60 of the Statute and 79 and 80 of the
Rules of Court, to answer the followi.g.question:
First.-Must the Judgment of Novembpr zoth, 19jo. be inter-
preted in the sense that the qualification niade by the Colombian
Ambassador of the offence attribnted tohl.Haya de la Torre, was
correct, and that, consequently, it isneceswry to recognize that
the above-mentioned qualification, in so fa..it has been confirmed
by the Court, has legal effects?
Second.-Must the Judgment of November zoth, rqjo, be inter-
pretedin the sense that the Government of Peru is not entitled to
demand the surrender of the political refugee M. Haya de la Torre,
and that, consequently, the Government of Colombiaisnot bound to
surrender him even in the event of this surrender being reqneste?
ThGd.-Or, on the contrary, does the Court's decision on the
counter-claim of Peru imply that Colombia is bound to surrender
the refugee Victor Ra61Haya dela Torre to the Peruviananthorities,
even if the latter do not so demand, in spite of the fact that he
isa political offender and not a common criminal, and that the
only convention applicable to the present case does not order the
surrender of political offenders
The PRESIDENT said that the request had been notified to the Goveru-
ment of Peru.
Both Governments had designated as their respective Agents :for
the Repnblic of Colombia, M. J. M. Yepes, Professor, Minister Pleni-
potentiary, Legal Adviser to the Ministry of Foreign Affairsof Colombia,
' Ninety-ninthmeeting of the Court.ancien sénateur ; la République du Pérou : bI. Carlos Sayin Alvarez,
avocat, ambassadeur, ancien ministre, ancien président de la Chambre
des Députésdu Pérou.
La Cour ne comptant sur le siège aucun juge de la nationalité des
Parties, chacune d'elles a usédu droit prévu à l'articl31,paragraphe 3,
du Statut. Ont étéainsi désignésen qualité de juges ad hoc: par le
Gouvernement de la Colombie,M.JoséJoaquin Caicedo Castilla, docteur
en droit, professeur, ancien députéet ancien président du Sénat, ambas-
sadeur ; par le Gouvernement du Pérou, M. Luis Alayza y Paz Soldin,
docteur en droit, professeur, ancien ministre, ambassadeur.
Le Président prie les juges ainsi désignéaux fins de la présenteaffaire
de bien vouloir prendre l'engagement solennel prévu à l'article20 du
Statut et à l'article 5 du Règlement.
AIAIC . AICEDO CASTILLA et ALAYZA Y PAZSOLDAN avant successive-
ment fait la déclaration ci-dessus mentionnée, le PR~SIDENT leur en
donne acte et les déclare installésdans leurs fonctions de.u.es aux fins
de la présente affaire.
Il prononce ensuite la clàture de l'audience.
L'aiidience est levée à 16 h. IO.
Le Président de la Cour,
(Signé) BASDEVANT.
Le Greffier de la Cour,
(Signé) E. HAMBRO.
VIXGT-SEI'TIÈ~\IE SÉAXCE PUBLIQUE (27 XI 50, g h. 30)
Présents: [Voir vingt-sixième séance, à l'exception de Me Alfredo
Vasquez, absent.]
Le PR~SIDENTo ,uvrant l'audience, indique que l'objet de celle-ci est
le prononcé de l'arrêrtendu par la Cour sur la demande en interprétation
de l'arrêtdu 20 novembre, dans l'affaire relative au droit d'asile, entre
la Colombie et le Pérou. Cette demande a étéintroduite, à la date du
20 novembre, par le Gouvernement de la Colombie.
Le Président rappelle que, conformément aux dispositions de l'arti-
cle 56du Statut, les agents des Parties ont étédûment prévenus qu'il
serait donné lecture de l'arrêtau cours de la présente séance publique.
Les expéditions officielles de l'arrêt vont être remises entre leurs
mains. La Cour ayant, en vertu de l'article 39 du Statut, désignéle texte
qui ferait foi, en l'espècele texte français, c'est de ce texte que le Prési-
dent donne lecture.
Cette lecriirc terniinCeilprie l(;KEFFIEH <ledonner lecture en anzllis
du dijpo5itif dé I'nrrCt.
Cent troisihne seance de la Cour. SITTIXG OF IYOVEIIBER ~7th~ 1950 16
former Senator ;for the Republic of Peru, M. Carlos Sayin Alvarez,
Barrister, Ambassador, former Minister, former President of the Peru-
vian Chamber of Deputies.
As the Court did not include upon the Bench any Judge of the nation-
ality of the Parties, the latter had availed themselves of the right con-
ferred upon them by Article 31, paragraph 3, oi the Statute. M. José
Joaquin Caicedo Castilla, Doctor of Law, Professor,former Deputy and
former President of the Senate, Ambassador, had been designated as
Judge ad hoc hy the Government of Colombia. 15.Luis Alayza y Paz
Soldan, Doctor of Law, Professor, former Minister, Ambassador, had
been designated as Judgead hoc hy the Government of Peru.
The President called upon the Judges sa designated in the present
case to make the solemn declaration required by Article zo of the Statute
and Article 5of the Rules of Court.
MM. CAICEDO CASTILLA and ALAYZA Y PAZSOLDAN having succes-
sively made this declaration, the PRESIDENT placed the fact on record
and declared them duly installed in their functions as Judges nd hoc,
for the purposes of the present case.
He then declared the hearing to be closed.
The Court rose at 4.10 p.m.
(Signed) BASDEVANT,
President.
(Signed) E. HAMBRO,
Registrar.
TWENTY-SEVENTH PUBLIC SITTING1 (27 XI 50, 9.30 a.m.)
Puesant : [Çee twenty-sixth Sitting, with the exception of Maître
.4lfredo Vasquez, absent.]
The PRESIDENd Teclared the hearing opened and said that its purpose
was ta deliver the judgment of the Court on the request for an inter-
pretation of the Judgmerit of November zoth, in the asylum case between
Colombia and Peru. This request was presented on Novemher 20th by
the Colombian Government.
The President mentioned that, under Article 58 of the Statute, the
Agents of the Parties had been duly notified that the judgment would
be read during the hearing.
The officia1copies of the judgment will be handed to them, and the
Court having, in conformity with Article 39 of the Statute, indicated
the French text as authoritative, the President read the French text
of the judgment.
He then called upon the REGISTRAR ta read the operative part of
the judgment.
1 Hundred and thirdmeeting of the Court.juge ad hoc,déclare n'avoir pu seralliernàol'arrêt dela Cour parce qu'à
son avis, l'article 60 du Statut est susceptible d'une plus large interpré-
tation, ainsi qu'il a étéétabli par la Cour permanente de Justice inter-
nationale à l'occasion de l'affaire de l'usine de Chorzôw. Il reconnaît,
néanmoins, que la voie reste ouverte aux Parties pour un nouvel appel
à la Cour au cas où serait soumise celle-ci une divergence de vues
réunissant les conditions de précision exigéespar cet arrêt.
Le Président prononce la clôture de l'audience.
L'audience est levée à h. 45.
[Signatures.] SI~TING OF NOVEMBER z7th, 1950 17
had declared that he was uuable to concur in the judgment of the Court
because, in his opinion, Article 60 of the Statute could be interpreted
more liberally, as shown by thePermanent Court of International Justice
in the Chorzdw factory case. He recognized, however, that it was open
to the Parties to come before the Court if a divergence of views satis-
fy.ing the precise conditions required by this judgment were to be sub-
mitted to it.
The President declared the hearing to be closed.
The Court rose at 9.45 a.m.
[Signatures.] ANNEXE AUX PROCÈS-VERBAUX
ANNEX TO THE MINUTES
1. PLAIDOIRIE DE M. LE PROFESSEUR J. 1\1Y .EPES
(AGENT DU GOUVERNEMENT DE LA COLOMBIE)
A LA SÉANCE PUBLIQUE DU 26 SEPTEMBKE 1950, MATIN
Monsieur le Président, Messieurs de la Cour,
C'est un grand honneur pour la Colombie de se présenter devant le
plus haut tribunal du monde pour défendre une cause dans laquelle
moi1 pays n'a aucun intérêtnational égoïste.
Personnellement, pour Me Vasquez et pour moi-même, c'est un
vrivilèee aue de vouvoir vlaider. au nom de la Colombie devant la Cour
InternitiÔnale dé Justic;.
Pourla première fois, deux pays du Xouveau Nonde font appel à votre
autorité pour réglerun différendjuridique survenu entre eux. De ce point
de vue, il s'agit donc d'une journée historique pour la Cour, car c'est
aujourd'hui que sa juridiction. devient pleinement universelle du fait
qu'une question de droit international américain se trouve soumise à
son jugement. Cela est dans la tradition des républiques de l'Amérique
latine, qui ont toujours préconisél'arbitrage et le recoursà la juridiction
internationale vour trancher les différends entre Etats. Toutefois. .our
iiiiir.,iîriil uti l;uiir iiiic autr~ii'.ivilit ;;tiii:.,ii]i.,r.~vsciiinij
Unrr,lltlit +tilcllt,.'1.t'ulir inI~~rn:iti>ntic,lii5tic1.ci52 riY:#II{Gr,,
la Cour permanente de Justice internationale.
Lorsque l'actuel différendentre la Colombie et le Pérou a surgi, l'opi-
nion publique américaine s'est émue.Mais lorsque la Colombie a proposé
au Pérou de vous soumettre cette affaire, cette même opinionpublique
s'est apaisée, car elle a compris que le différend actuel serait soumis à
votre esprit de justice, à votre sagesse, au caractère humain de vos
décisionset à votre impartialité bien connue.
Ce rie sont pas, à vrai dire, la Colombie et le Pérou qui comparaissent
aujourd'hui devant vous : c'est plutôt un grand principe de droit inter-
national américain aui demande à êtreintervrété et reconnu var vous
comme norme oblibtoire entre les Etats dr l'hémisphère o&identall
C'est le droit internationalaméricain lui-mêmequi comparaît ici, fort de
la reconnaissance comme l'un des grands svstènies iuridioues du monde
qui est le véritable enjéu des débats qui s'ouvrent aujourd'hui. Car lei
nations américaines sont arrivées à la conclusion que, si la Cour inter-
nationale de Justice méconnaît, dans le cas d'espècequi lui a étésoumis
par la Colombie et le Pérou, l'obligation de respecter l'asile, ce droit, qui
est l'une des prérogatives essentielles de la personne humaine, inscrit
comme tel dans laDéclaration américaine desdroits et devoirs de l'homme
adoptée par la IXmo Conférence panaméricaine, ce droit, dis-je, cesseraitd'exister. Le découragement que ce fait produirait n'est pas prévisible.
Vous pouvez donc mesurer la portée historique de votre décision, qui,
moralement aumoins. auraun ciractèreoblieafoireuour tout uncontinè~it.
,411seuil clecc5cl<.b:itj,d'1~I11.111s~~n~ficatioiji~lridiqi~eel h~in~:ainc:
jc ticns i:~tlïnncrq11ela Colombic a une f~iinCl>r~nl;il>lJeniij In jiistiiz
dr ln c;iiisr.<iii'eIIi:suiitirnr devant \,«II.<.i'uicc13:iidéii~dit. ii<jus
n'avons, dan; cette affaire, aucun intérêtexclusif: Noqs né défendons
qu'une thèse de droit international américain. C'est pourquoi nous
pouvons êtresùrs que la Cour n'hésitera pas à apposer le sceau de son
autorité sur un principe qui correspond essentiellement aux nécessités
sociales et politiques de l'époqueque nous vivons.
La Colombie s'honore d'être ici le porte-parole des républiques
latino-américaines, qui considèrent toutes le droit d'asile comme une
partie précieuse de leur patrimoine spirituel. Elle maintient ainsi une
tradition constante de son histoire. , A ,touiours et dans toutes les
circonstances, l'a amenée ,àrespecter loyalement les cas d'asile qui se
sont urésentésdans les missions diplomatiques accréditéesen Colombie
et à ouvrir les portes de ses ambassades êt de ses légations pour les
persécutés politiques qui demandaient la protection du drapeau
colombien.
Il est de bon augure pour les défenseursdu droit d'asile que ces débats
se déroulent dans un pays comme la Hollande, qui a toujours étéune
terre classique de refuge pour les persécutés politiqueset qui a toujours
su imposer le respect du droit d'asile, depuis les Huguenots et les
philosophes français du xvIIIme siècle, qui trouvèrent ici un refuge
généreux. Descartes disait qu'il avait choisi la Hollande comme lieu
d'asile parce que ec'est un pays où l'atmosphère est propice àla lucidité
de l'esprit1,.
Les faits qui ont donnélieu au cas qui se trouve aujourd'hui devant
la Cour sont bien connus de tous.
Le 3 janvier 1949 l'ambassade de Colombie à Lima accorda l'asile à
un chef politique populaire et de grand prestige, M.Victor Raiil Haya de
la Torre, qui se présenta pour demander protection contre des persécu-
tions qui menaçaient sa liberté et sa vie même.L'ambassadeur de
Colombie, après avoir rempli toutes les formalités prévues par les
conventions en vigueur entre la Colombie et le Pérou,denianda un sauf-
conduit pour que M. Haya de la Torre pût quitter librement le pays,
« l'inviolabilité de sa personne étant respectée II.Le Gouvernement
péruvien refusa catégoriquement les garanties demandées par la
Colombie. Une longue correspondance diplomatique entre les deux
Gouvernements s'ensuivit, laquelle ne fit que mettre en relief leurspoints
de vue opposés, la Colombie aussi bien que le Pérou.invoquant des
raisons contradictoires pour justifier leur attitude. Le Gouvernement
colombien. sûr de son bon droit. urouosa au Gouvernement uéruvien de
choisir entre divers moyens juridiiuei de solution pacifique et mentionna
expressément le recours à la Cour internationale de Justice. C'est dans
ces conditions que cette affaire se trouve auiourd'hui soumise à votre
haute décision. *
Au nom du Gouvernement qui a pris l'initiative de soumettre à la
Cour ce différend,je déclare que, quel que soit le résultat de vos délibé-
rations. la sentence de la Cour sera resuectéedans toute son intéer-lité
par 1;1R;piihlilnc <leColombir.
Cette nfidircpriscnte rlcux;ispects (quiszconditionncnr rCsiproiluemçnt. PLAIDOIRIE DE x. YEPES (COLOMBIE) - 26 IX 50 21
Il y a d'abord l'étude des conditions juridiques et matérielles dans
lesquelles l'asile fut accordé par l'ambassadeur de Colombie à Lima à
M. Victor Paul Haya de la Torre. Il y a, en outre, le problème de la
qualification unilatérale .et impérative exercée par 1'Etat accordant
l'asile. Tout cela comporte une critique des faitsayant donnélieu à ce
litige entre la Colombie et le Pérou.
Cette tâche appartiendra à mon éminentcollègue Me Vasquez, membre
du barreau de Bogota et secrétaire généraldu ministkre des Affaires
étrangkres de Colombie. Il examinera devant vous les circonstances de
l'asileaccordéà M. Haya de la Torre et démontrera les raisons d'urgence
qui l'ont justifié.Il mettra en relief les motifs que la Colombie a eus pour
qualifierhl.Haya de la Torre comme réfugiépolitique et nos raisons pour
faire unilatéralement cette qualification. Ce droit à la qualification
. unilatérale et impérative de la nature du délitimputé au réfugiéest l'un
des points capitaux de cette controverse. Quand la Cour aura entendu
l'exposéde Me Vasquez, elle aura les élémentsde fait nécessairespour
juger cette affaire en connaissance de cause.
Aussi me permettrai-je, avec la permission de la Cour, de céder la
parole à MeVasquez lorsque j'aurai teminé cette introduction prélimi-
naire.
Mais cette affaire comporte égalementun aspect nettement juridique,
à savoir: l'étude des obligations en vigueur entre les Parties- soit
l'Accord bolivarien de 1911 etla Convention sur l'asile de 1928ainsi que
les règlesdu droit coutumier américain - et l'examen del'institution de
l'asile selon les principes du droit international américain.audrafaire
également une analyse de la coutume comme source d'obligations pour
la Etats, tant du point de vue du droit international général qu'en ce
qui concerne le droit particulier aux Etats du Nouveau Monde.
J'aurai l'honneur de vous présenter moi-mêmecette partie de l'argu-
mentation colombienne lorsque MeVasquez aura fini sa plaidoirie.
J'ai donc l'honneur de demander à Monsieur le Président de bien
vouloir donner la paroleàMe Vasquez pour son expasé. 2. PLAIDOIRIE DE 31. ALFRED0 \'ASQUEZ
(AVOCAT DU GOUVERSE~IEST DE LA COLOIIBIE)
AUX SÉAXCES PUBLIQUES DES 26, 27 ET ZS SEPTEMBRE xgjo
Monsieur le Président, Messieurs de la Cour,
J'ai l'honneur de parler comme avocat de la République de Colom-
bie. En m'adressant pour la première fois à la Cour, j'aià pcine besoin
de lui dire, surtout après la déclaration de mon éminent confrèrele
professeur Yepes, combien mon pays. soucieux de respecter ses engage-
mciits internationaux, se sent lié dèsmaintenant par la décisionque
\,eus allez rendre et, je le déclare entoute sincérité,combien la mission
de la Cour est l'objet de l'attention la plus vive de la part des nations
américaines.
Ilans peu d'occasions en effet une masse d'hommes plus nombreuse
et plus vaste ii'a étéen mesure de vous écouter et d'apprécierla valeur
scientifique de votre jurisprudence. Ce ne sont pas, assurément, les
I'arties;ce ne sont pas les deux Gouvernements ici représentés quise
trouvent intéressés à la façon dont la Cour devra déterminer certaines
modalités fondamentales touchant l'exercice du droit d'asile interne.
\'eus chercheriez vainement d'un bout à l'autre de ce coiitinent une
nation latino-américaine pour laquelle la matière de ce procès ne serait
qu'une question liminaire. Il s'agit si bien d'un problème éminent du
droit international américain quevotre jurisprudeÏice liera ce continent
tout extier. Rien, Alessieurs,n'est donc plus décisifque cette procédure
pour l'avenir du droit d'asile américain.
Pourquoi cet état d'émotion ? Sans doute, cette anxiététient-elle
pour une grande part à la nature intrjnsèque de l'affaire. Le procès qui
vous est soumis met aux prises deus Etats américainssur des questions
constituant I'essenfe mêmedu droit d'asile interne, autrement dit asile
diplomatique tel qu'il est reconnu et pratiqué en AmErique latine. Mais
il y a plus. Ce procès a encore une autre signification: il y a un côtk
humain de l'affaire qui ne doit pas vous échapper et sur lequel je dois
attirer votre attention. A Lima, il y a un lionime qui, surveillénuit et
jour par la police, est depuis de longs mois à l'ambassade de Colombie
dans la condition d'un détenu.
Notre débat ne sera pas, et pour cause, purement académ.ique.Le
Gouvernement colombien a des raisons de croire que les conclusions qu'il
\rous a présentéessur le droit d'asile interne ne sont en réalitéque l'ap-
plication du droit conventionnel en vigueur entre les Parties. Le
Gouvernement colombien estime. Dar..illeurs. oue .a thèse est fondée
siir Indoctrinc ]iiri(liquc :.insi(111c~iiIresusiI'cn~itiiniddt.~iiniions
arnc'ricïiriet.t[u'ellcardigne, p3r CÇ motif, <Icrcccvolr t.utr<'approb:i-
tit>r:t cl'ètresanciiuiiii~:el;iC'uiir.1.eCinu\~crii~m~ii:tauiioni dii<iiiel 1
j'ai l'honneur de parler ettirne, d'autre part, que le critérium que Gous
allez choisir pour l'exercice du droit d'asile iiiterne, déciderade la vie ou
de la mort du réfugié à l'ambassade de Colombie àLima, hl. Victor Haya
de la Torre. La Républiquede Colombieest prête àrendre à laRépublique
du Péroula personne du réfugié, s'ie ln est ainsi décidépar la Cour. Mais,dans ce cas, nous rendrions un homme dépourvu de garanties de tout
genre pour conserver, je ne dirai pas sa liberté,mais sa vie, et dont on ne
peut savoir si le tombeau ne serait pas alors inévitablement creusé.
Aussi. cet avertissement solennel doit-il vous Dermettre de mesurer et la
gravité et l'étendue de votre tâche.
Les peuples d'Amérique le savent : hormis le sort d'une institution,
il v a dans cerocè èlse sort d'un homme. sa liberté. la iouissance du droit
à ia vie, droii à l'intégritéde sa personné, droit à l'lkneur, toutes les
garanties essentielles du citoyen que la haine des ennemis politiques de
M. Victor Raul Haya de la Torre lui ont refusé d'obtenir dans son pays
et que la natureavant toute constitution doit lui reconnaître à l'étranger.
Certes, la noii-intervention est la base de nos systèmes politiques, mais
on a toujours penséqu'un caveau de cimetière ou une prison seraient des
espaces trop réduits pour une intelligence aussi large.
J'ai, quant à moi, une double mission à remplir: vous exposer tout
d'abord les conditions 'juridiques dans lesquelles le Gouvernement
colombien a accueilli dans son ambassade M. Victor Raul Haya de la
Torre, en qualité de réfugié.politique : vous démontrer ensuite que la
sortie deM. Victor Raul Haya de la Torre du territoire péruvienconstitue
la seule interprétation logique du droit international américain et la
seule issue de ce proc&s.
Ma plaidoirie vous montrera les grandeurs et les misères de la vie
d'un grand chef politique, M. Victor Kahl Haya de la Torre, en même
temps que les obligations juridiques en matière d'asile que le Gouver-
nement du Pérou est en demeure d'exécuter.
Je fais appel uniquement à votre esprit de justice bien plus qu'à
vos sentiments ;je fais appel à votre sagesse et à votre conscience de
magistrats pour qu'il en soit ainsi reconnu et décidépar vous.
hlessieiirs, puisque la clarté est la forme la meilleure de l'éloquence
judiciaire, je vous promets d'êtreclair et net. Mon exposécomportera
deux parties bien distinctes. J'examinerai tout d'abord les faits ; j'abor-
derai ensuite certaines questions de droit se rattachant à la situation
juridique de M. Victor Kadl Haya de la Torre pour vous démontrer
par cet ensemble d'arguments le bien-fondé des conclusions du Gouver-
nement de la République de Colombie au nom duquel j'ai l'honneur
de parler.
Le 3 janvier 1949 ,ersg heures du soir, un homme dont nul ne pouvait
soupçonner les intentions s'est présenté à l'avenue Arequipa, au siège
de l'ambassade de Colombie à Lima. L'heure, le lieu, la personne qui
accomplissait cette démarche, l'ensemble des circonstances qui entou-
rèrent cette visite, ont ému l'opinion américaine.
Je dirai tout desuiteque cet homme, à l'heure que je viens d'indiquer,
n'était l'objet d'aucune accusation ou condamnation pour un délit de
droit commun. C'était un homme d'honneur, un écrivain de race. 11
s'agissait d'un citoyen éminent de la République du Pérou :intellectuel
connu dans l'Amérique latine ; chef d'un parti politique, et, comme
toujours pour les grands apôtres, parfois vaincu, décrié,méconnu,
parfois aussi acclamé,pris pour un symbole des espérances de son pays,
théoricien qui doit à son labeur autant qu'à la force de sa doctrine
3 24 PLAIDOIRIE DE 51. VASQUEZ (COLO.\IBIE) - 26 II( 56
d'exercer sur l'opinion une influence certaine. Xlessieun, j'ai désigné
les qualités de celui dont le nom sera constamment prononcéau cours
de ces audiences, 31. Victor Kaul Haya de la Torre.
Quelle pouvait bien êtrela cause d'une telle visite, en ce lieu, à cette
heure ? Les juristes connaissent bien en quoi consistent <l'état de
nécessité »,la fforce majeure i, et la iicontrainte morale I) ainsi que
toute une gamme de situations dans lesquelles l'individu se trouve
obligéde choisir une qualité juridique devant une circoiistance excep-
tionnelle, imprévue, irrésistible et indépendante de la volonté, qui a
déterminé l'actecommis. M. Victor Raul Haya de la Torre en s~ibissait
le besoin et il agit en conséquence : il choisit le refuge dans une ambas-
sade, devant la certitude de comparaître pour cause de délit dont la
culpabilité lui était imputée par avance par une justice à caractère
politique, et dans des conditions qui auraient pu le coriduire à un
<iassassinat judiciaireii.
C'est sans doute devant ce danger, que hl. Victor Raul Haya de la
Torre considérait comme imminent pour sa personne et pour sa vie,
qu'il avait dû prendre une de ces décisions suprêmes que seule la
proximité de la mort, ou l'impuissance pour l'écarter par des moyens
normaux, rend parfois nécessaires. Il voulut, en effet, bénéficierde
l'asile.Celui-cilui fut accordé.sans délai,par l'ambassadeur de Colombie,
en tenant compte non seulement de l'imminence et de la gravité de
ce danger, mais aussi, mais surtout de la faculté reconnue à I'Etat
colombien, c'est-à-dire à ses représentants diplomatiques à l'étranger,
de concéder le droit d'asile dans ses légations, par cet ensemble de
coutumes, de principes et de traités qui constituent le droit international
américain. L'ambassadeur de Colombie. d'autre Dart. * .ait narfaite-
ment que, mêmeen faisant abstraction de ces principes généraux,les
traités en vigueur entre la Colombie et le Pérou iustifiaient une mesure
de ce genre,-qui rentre dans les rapports diplomatiques normaux des
pays du continent américain.
Les questions dont nous avons maintenant à nous occuper ne décou-
lent pas, ne peuvent pas résulter de l'exercice de ce droit parfaitement
légitime, de lapart de l'État colombien, mais de son corollaire immédiat,
à savoir : la demande adresséepar l'ambassadeur de Colombie à Lima,
31. Carlos Echeverri Cortes, au ministre des Relations extérieures et
du Culte de la République du Pérou, M. le contre-amiral Federico
Diaz Dulanto, en vue d'obtenir les garanties nécessaires pour que le
réfugiésorte du pays, l'inviolabilité desa personne étant respectée,
conformément aus dispositions de l'article z, paragraphe 3, de la
Convention sur l'asile, approuvée par la VIme Conférenceinternationale
américaine, tenue à La Havane du 16 janvier au 20 février 1928. Le
refus du Gouvernement du Pérou d'accéder à cette demande, refus
que nous estimons contraire à la loi des Parties, a donné lieu, par la
. suite, à une controverse soutenue par la voie diplomati<lue d'abord ;
ensuite, à la signature d'un procés-verbal pour déterminer certaines
modalités de la procédure judiciaire devant la Cour internationale de
Justice, choisie par les Parties pour régler le différendet, en dernier
lieu, à la requêteque nous avons présentéeau Greffede la Cour le
Ij octobre 1949.
Vous connaissez les thésesjuridiques défendues par les Parties dans
les divers documents de la procédure écrite.Le Gouvernement colom-
bien a soutenu et prouvé,notamment : a) Que le droit d'asile, tel qu'il est établi et pratiqué en .Amérique
latine, comporte pour 1'Etat accordant l'asile la faculté de qualifier la
nature du délitimputable au réfugie ;
b),Que cette faculté,qui est la base meme de l'institution américaine
de 1asile, deviendrait inopérante si I'Etat territorial pouvait faire
obstacle à son exercice, etla sécuritédu réfugié seraitpar là compromise ;
c) Que l'histoire diplomatique du Péroua enregistré de nombreux cas
dans lesquels ce pays a appliqué au sens actif, ou subi au sens passif,
ladite règle, soit comme Etat accordant l'asile, soit comme État terri-
torial; -
d) Que le Gouvernement de la République du Pérou a notamment
admis la validité de la règle à l'occasion de plusieurs cas d'asile survenus
à l'ambassade de Colombie à Lima et ayant immédiatement précédé
celui de JI. Victor Rad Haya de la Torre ;
e) Qu'il n'y a pas de raison pour écarter l'application de la règlede la
qualification du délitimputable au réfugiédans le cas concret matière
du litige ;
/) Que, dans le cas de l'asile de M. Victor Rad1 Haya de la Torre. les
~>rCcC'ien~ tslil>lorii:iti~luensirisi que la ciicuiist:iiict: <Iuccettc mesiire III!
ait ?ti conc;dCc d;<iis,les coiiditiuiis ~i:irfnitcin~itL.giili2rc;.coiistitucnt
<les;lémrrits qui ili~ivcntduiiiicr lie.)iI;i;ortic du rcfii~ic.
Jamais le Gouvernement de la République de Colombie n'a voulu
modifier sa position juridique. Jamais, il n'a mis en doute la valeur
intrinsèaue de ces arguments. Par contre. nos adversaires ont défendu
plusieur& thèses et iaintenu une ligne élastique qui va jusqu'à la
dénégationdudroit d'asilelui-même.II va, en effet,une position juridique
uéru\.ienne dans la corresvondance échaneéevar<,a .oie divl6matiâue
éntre les deux ~ouvt.riie~eiits : cette pihition. m;illieureu~ein~n~.est
autre ciiieccllc(IIII CtC espriniie d:iii;1,Contrr-\l~:in<iireet 13 1)uvlioue
dé~oséS au nomdu Gouvernement vémvien.Vous comorendrez. dans Ees ~ -
coRditionç, que je souffre quelqueémbarras à prévoi; la these qui sera
soutenue par les avocats de la Partie défenderesse. le crains fort.
, hlessieurs ;le la Cour, que nous ne nous trouvions devantkne iitroisième
position », puisque le nom et la chose sont à la mode.
Quelle que soit la position de nos adversaires, le jugement que vous
aurez à rendre devra porter sur deux questions que vous trouverez in
fine dans notre requéte du 15 octobre 1949 :
n Premièreqî~eslion -. Dans le cadre des obligations qui découlent,
en particulier, de l'Accord bolivarieii sur l'extradition du 18juillet
19x1 et de la Convention sur l'asile du 20 février1928. tous deux
en vigueur entre la Colombie et le Pérou, et, d'une façon générale,
du droit international américain, appartient-il ou non à la Colombie,
en tant que pays accordant l'asile, de qualifier la nature du délit
aux fins du susdit asile ? .
Deirxièmeqrreslion. Dans le cas concret matière du litige, le
Pérou.en sa aualitéd'Etat territorial. est3 ou non oblieé d'accorder
les garanties Récessairespour que le iéfugiésorte du I8invioia-
bilitéde sa personne étant respectée ? >,
Sur ces deux questions, nous demandons respectueusement à la Cour
de bien vouloir répondre par l'affirmative, ainsi que l'expriment les26 PLAIDOIRIE DE M. VASQUEZ (COLO~IB'IE) - 26 IX jO
conclusions que l'agent du Gouvernement colombien a déposéesau
Greffe, en dates du IO janvier et du 20 avril 1950.
Voila, Messieurs, les élémentsessentiels du procès.
II
tout en demandant les garanties nécessairespour sasortie du pays, porte
la datedu 4 janvier 1949. La réponse est venue le 12 février seulement.
Quel long délai, pour avoir à communiquer un refus, si l'on tient compte
de cette circonstance très particulière, sur laquelle je fournirai des
éclaircissements abondants à la Cour, que dans les semaines précédentes
le Gouvernement du Pérou avait admis la qualification unilatérale et
autorisé la sortie de réfugiésmalgréle fait que tous avaient été,ainsi que
RI. Victor Raul Haya de la Torre, « cités»,antérieurement à l'asile, dans
un mêmeprocès pour <irébellionmilitaire ».
Vous serez surpris, Messieurs, si je vous déclare, comme je suis en
mesure de le faire, quependant ce délaide trente-huit jours l'ambassadeur
de Colombie eut plusieurs conversations officielles arec le ministre des
Relations extérieures du Pérou et que celui-ci, par un motif quelconque
d'habileté diplomatique, laissa entendre que, dans le cas de If. Victor
Rad1 Haya de la Torre, la a Junte militaire de gouvernement 1,allait
procéder tout comme dans les deux situations identiques de MM. Javier
Pulgar Vidal et Julio Cesar Villegas, réfugiésà l'ambassade de Colombie
et à l'égard desquels l'asile fut reconnu, en admettant, sans réserve, la
qualification unilatérale qui avait été exercéeE. nfin, je ne puis omettre
une circonstance encore. Le 17 février, après le refus ainsi donné à
l'ambassadeur deColombie àLima, la « Junte militaire de gouvernement 11
accepta la qualification unilatérale et permit la sortie deMM. Gutierrez
Aliaga et Luis Rodriguez: réfugiésdans l'ambassade de l'Uruguay à
Lima, « citésa tout comme hl.Victor Raul Haya de la Torre dans un
mêmeprocès pour rébellionmilitaire.
Il nous semble donc exister une thèse du Gouvernement du Pérou
en matière d'asile,, spécialepour le cas de AI. Victor Raul Haya de la
Torre et qui nous semble constituer une exception, si l'on considère
l'attitude de cet Etat à l'égard de tous les gouvernements, y compris
la Colombie, lorsqu'il s'agissait de réfugiés inclusdans le mêmeprocès
que II.Victor Raul Haya de la Torre. Pourquoi cette habileté diploma-
tique envers l'ambassadeur de Colombie ?Pourquoi cette exception pour
le cas de M. Victor Raul Haya de la Torre ?
III
Messieurs, c'est un fait que, sans la forte personnalité de M. Victor
Raul Haya de la Torre, ce procès serait incompréhensible. Voulez-vous
savoir les traits marquants de la personnalité, je dirais plutat de la vie
orageuse et infiniment respectable de cet homme ?
Victor Raul Haya de la Torre naquit à Trujillo, dans la République
du Pérou, le 22 février 1595. Après des études universitaires, il passa
dans les centres intellectuels les plus renommésde l'Ancien etdu Nouveau
EIonde, et notamment à Oxford, Paris, Berlin, Columbia, pour y obtenir une formaiioii véritable d'humaniste. A l'àge de 28 ans, pendant la
présidence de hl. Augusta B. Leguia, il est déjà un exilé politique. A
l'àge de 30 ails, eii 1925, il est, à Paris, l'inspirateur d'un mouvemeiit
réforiiiiste préoccupé de l'évolution politiqueet sociale de l'Amérique
latine ; c'est iin idéologue qui s'ahreuve coinnie tant d'autres de l'at-
mosphère iiitellectuelle de Paris. l'lus tard dans sa vie, oii lui reprochera
ce détail ; on lui dira, ce qui est parfaitemeiit inexact,que son parti,fut
fondé à Paris, alors qu'il convoqua sa première réunionpublique h Lima
le 23 juillet 1931. Blais supposons que le parti soit né à Paris, de cette
sorte de veilléed'armes d'intellectuels .ni. dans l'exil. font touiours le
rii~~iicr[le visioiiiini;n,liiieituiï<:<Iiitni1,:nc criiis 1m 11iicla '1clCg;i-
tic>i~>Criivii:iinieci iirkcnti., ~c.11,.<:rois1i:issii~III11.It: I>LO~~SS(.UI
I l I I rror 1 11. \iitor I<;iiilinva il,: la 'l'urrr.les oriciiies (le
sa cul&re. 0°C il a étéun de ces étudiaritg pauvres, exaltés etparfois
romantiques, qui conçoivent un idéalde liberté à Paris. Mais avec quel
orgueil il aurait le droit de le ranneler !
eue s'était-il foiidéà Paris ?ÛAe bande d'anarcliistes ou une associa-
tion de malf:iiteurs, peut-être ? Xon. tout simplement un mouvement
plus sociologique c1ue~politiqueautour des quatie points suivants :
ro action collective despeupleslatiiio-américains contre l'impérialisme :
2" l'unité de I'Amérioue latine :
:j'11 ~l:itldnalic;~lio~pl;oxrcjsivc (le 1;ipro<liicriiiiid: txisc
4" l;i soli<l~ririecou; In ~i~ciiplcspl>ririi;s dii iiiuii~lr.
Aucun de nous, 31essieurs. ne cherchera à juger, approuver ou
condamner le programme de ce parti politi<lue. Ce qu'il importe de
souligner, c'est le caractère élevéde ces postulats et la vie tourmentée
de l'hommeaujourd'hui réfugiéàl'ambassade de ColombieàLima. Disons
seulement qu'il serait vain de méconiiaitre l'influence du parti de
hl. Victor Rahl Haya de la Torre daiis la vie politique de ce pays,
poisqu'il comptait, en 1948, 43 %, des députésinscrits à la Chambre des
Députés du Pérou et qu'il décida de l'élection de M. José Luis
Bustamante y Rivero, Président constitutionnel pour la période
de 194j.
BI. Victor 1Zaul Haya de la Torre revint de l'exil le rj août 1931
et fut accueilli dans la capitale du Pérou par une foule compacte.
C'était un jeune homme dans la Beur <-le1'Bgeet pourtant déjà mir,
qui traçait le programme d'un nou\.eau parti. Dès 1931, c'est-à-dire
depuis bientôt vingt ans, il n'acesséde partager le sort du parti dont
il est le chef et de donner, eii outre, toute la mesure de sa capacité
intellectuelle par une activité doctriiinle intense. C'est assez dire pour
faire compreiidre à la Cour qu'elle se trouve devant une des figures
intellectuellcs ct politiques les plus discutées et les plus éminentes
du Pérou.
Son bilan personnel, le voici :
Un parti ;
Une doctrine politique ;
Quinze mois de prison sans procès - du Gmai 1932 jusqu'au g août
1933 - pour des faits politiques.
Voilà l'homme, tel qu'il est dans la réalité.
II y a encore uii souvenir dails la vie de AI. Victor Raul Haya de la
Torre, que je dois rappeler à la Cour. En 1932 et 1933, lors de cesquirize mois d'épreuve, M. Victor Raul Hava de la Torre, parce qu'il
était un intellectuel et que l'intelligence a tout de mêmedroit à ne
pas étre enfermée dans la prison, a eu le rare prigilège de réussir à
mobiliser par son silence l'opinion internationale autour de lui.
L'Europe et l'Amériqueconnurent ces formes spontanées de protes-
tation qui ne se font que dans de rares occasions. Ce fut non seulement
la oLigue pour la défense des droits de l'homme 11à Pans, mais les
parlements de la République argentine, du Chili, de l'Uruguay, de la
Colombie et d'autres pays, qui demandèrent sa liberté. Pou: la même
cause sont intervenus, outre des membres du Congrès des Etats-Unis,
l'université d'Oxford, les Cortésd'Espagne ;des hommes d'une renom-
mée mondiale, tels que Miguel de Unamuno, Romain Rolland, Gregorio
Marafion, José Ortega y Gasset, le professeur Dewey. Il y eut un
message émouvant d'un homme qui a droit de cité dans l'humanité
tout entière. C'était d'AlbertEinstein, et un autre signépar AI. George
Lansbury, leader du Parti travailliste à la Chambre des Communes
de Grande-Bretagne.
Tout récemment encore, alors que M. Victor Raul Haya de la Torre
était réfugiéà notre ambassade, la «Ligue pour la défensedes droits
de l'homme »le désigna en qualité de représentant auprès du Conseil
économique et social des Nations Unies. Cette association voulait, de
la sorte, lui reconnaître un statut international qui lui permît de se
rendre à l'étranger. Xotre ambassade communiqua cette désignation
au Gouvernement du Pérou, qui passa outre et ne tint aucun compte
de la force morale représentéepar cette association.
Voilà la renommée internationale de hl. Victor Raul Haya de la
Torre à l'heure actuelle.
Cela étant, Messieurs, la question nous apparaît dans son cadre
naturel et véridique.
Le Gouvernement de S. Exc. le généralOdna a occupéle pouvoir
par une révolution le 27 octobre 1949, et il étaità peine élémentaire
qu'il ait désiréprendre des mesures pour que M. Victor Raul Haya
deC'est par ce motif, c'estàbcause de cette personnalité, que sa position
juridique devait changer d'orientation. Les objections du Gouver-
nement que préside S. Exc. le généralOdria n'ont pas étéprésentées
à l'égard des réfugiéspolitiques qui pouvaient étre jugés comme des
hommes d'importance secondaire. Mais lorsqu'il s'agira du chef, le
chef incontestable du parti le plus nombreux au Pérou ;lorsqu'il s'agira
de I'h,ommequi avait conçu un programme pour réformer la structure
de 1'Etat péruvien, alors le Gouvernement du Pérou va recourir aux
hommes de science les plus éminents de l'Europe pour nous opposer
des obiections iuridiaues.
Les bbjectiois, les doutes, les scrupules du Gouvérnement du Pérou
sur la nature iuridique de l'asile ne sont nés,par conséquent, qu'après.
Après le refuge d'un chef qu'on veut supprimer - ou-tout au moins
tenir à l'écart - de la scène politique.
IV
Dans l'ensemble, il est sans doute inutile de se réfkrer à nouveau
et dans tous ses détailsà l'historique des faits, qui a étéprésentéavec
des ~xplications si complèteset si aboiidantes dans les diverses pha~esde PLAIDOIRIE DE RI. VASQUEZ (COLOMBIE) - 26 II: 50 zg
la procédure écrite.hfais cette clarté dont je parlais tout à l'heure doit
s'appliquer, avant tout, à établir la véritésur certains aspects de la
situation ayant donnélieu à l'asile de M. Victor Raiil Haya de la Torre.
M..l'agent du Gouvernement du Pérou entend plaider àvotre barre -
si nous lisons attentivement les conclusions de son Contre-filémoireet de
sa Duplique - le système de défenseque voici.
Il y a, dira-t-il, un premier paragraphe de l'article premier de la
Convention sur 1,'asilesignée à La Havane en 1928,selon «lequel il n'est
pas permis aux Etats de donner asile dans les légations ...aux personnes
accuséesde délitsde droit commun, ni aux déserteursde terre ou de mer D.
De ce chef, M. Victor Raul Haya de la Torre sera accuséavec force
d'être,je ne dirai pas un déserteurde terre ou demer, puisque la preuve
que le réfugiéait exercé un commandement militaire ne pourra sans
doute pas êtreapportée, mais un délinquant de droit commun.
Il y a, d'autre part, un autre paragraphe premier R l'article2 du même
instrument, où il est prescrit ce qui siii:« L'asile ne pourra êtreaccordé
sauf dans les cas d'urgence et pour le temps strictement indispensable
pour que le réfugiése mette en sûretéd'une antre manike. n
Ici encore, le nomméVictor Raiil Haya de la Torre n'a pas de motif
valable, d'après nos adversaires, pour se soustraire à l'action de la justice
péruvieiine, d'une jiistice qui voussera présentéecomme n'ayant jamais
eu de visées politiques.Donc, conclura-t-on, le Gouvernement colombien
est en faute, juridiquement en faute ; il est responsable d'une violation
doublement consentie par lui de la loi commune des Parties.
En somme. BI.l'aeenu du Gouvernement du Pérou aintroduit. si i'ose.~ , -
(lireiiiiiii>ii\.r.:iii~>riicisi c;,t> <IcI'insrniicr p:ir 16 iunc1~sdenson
Contrc-\leinoire cr CI?s:i I)iil,liqu,101itIc biit esde faire t:oiisiaier par
I:Colir iiiiti~rFteii<li\iolalion du <Ir.>iiriitrrii;iriori:.ldont lc Goiivc.riie-
ment colombien serait coupable,comme suite à l'octroi de l'asile à
31. Victor Raiil Haya de la Torre.
Ces conclusions. à vrai dire. nous ont auelaue Deu suroris. Elles ont
voulu déplacer lanature du débat, un dkbat'esséntiellement juridique
portant sur des questions ayant trait à certaines modalités d'application
de l'asile, pour formuler, tfop habilement à notre avis, une accusation
contre un ambassadeur de Colombiesur la base d'une prétendueviolation
de la règle de droit en vigueur entre les Parties. Or, non seulement la
correspondance diplomatique échangéeentre elles avait limitéle débat
au point très précis de la qualification unilatérale et impérative en
matière d'asile, mais il n'avait jamais étéquestion dans cette corres-
ond dancede la validité de l'asile et encore moins de la conduite d'un
igertt rlip18,iiintiiluecolonibiciiCLS coiicl~isionsnous ont iloiic surpris.
itnnr doiini. aussi I'csiirit<l':iinictide c~~rnpr~lii:iisini1I'ri,c<.s-\'crb:tl
(Acla) sisné à Lima ie 71 août IQAQ. et étànt donnésurtout la facoii.
barfaiteGent courtoise, mesurée &&e, avec laquelle la requêteej le
hlémoirecolombiens avaient introduit cette instance. La correspondance
diplomatique constituera ainsi la premihre position du Goui~érnement
péruvien ; le Contre-hlémoireet la Duplique en seront la seconde. Nous
eii prenons acte.
Il y a plus. Le hfémoiredu Gouvernement colombien a voulu écarter
de cette contro\.erse les questions purement politiques, les explications
sur les motifs qui auraient obligé hl.Raiil Haya de la Torre à chercher
asile dans des conditions difficiles,je dirais mgme douloureuses pour son
pays, sur la base d'une distinction des élémentsdu procèsqualifiéspar luicomme subjectifs des situations juridiques objectives, générales et
imuersonnelles.
f.a Cour trou\.cra <V<ICI~SVIISint;.i;:Ircle\,cr les ~xi';igr:tlc~lt:~42,
pages31 ct 32 cl1\Iimoiicl, oiiI'tiitrouve ces dGsirscl:~ir~iiieiitcs~~riri~t;;.
La Cour me permettra aussi de lui donner un témoignagepeÏsoiiriel.
En ma qualitédesecrétairegénéraldu ministère des Relations estérieures
de Colombie, il me fut donné de prendre part aux délibérationsdes
exDerispour auprouver les bases des conclusions et des areuments de\.ant
êtÎesoitenus-dans la période de la procédure écrite.Ëntre plusieurs
possibilités,la formela plus cordiale etla plus impersonnelle futapprouvée,
afin de bien montrer notre attachement &lavolitique de non-iritë&ention.
Or, ce qui était prudence naturelle de' notic part, calcul délibéré
de ne pas entrer dans l'analyse des situations politi<liies subjectives
touchant des actes du Gouvernement du Pérou ?I l'éeard dcs réfugiés.
savez-voiis comment ce sentiment a étéconsidéré-dans le contre:
Mémoire ? Ce sentiment d'abstention dé1ibéri.efut considérécomme
une faiblesse.
Bien plus encore :M. l'agent du Gouveriiemerit du Pérou, sans rien
comprendre à la situation amicale que nous suggérions et à nos possi-
bilités d'argumentation sur ce terrain, accuse, lui, le Gou\~eriiement
colombien de vouloir, avec ce simple mot de «subjectifs », dénaturer
les faits (Contre-hfémoire, p. jr %),et formule en outre, à titre recon-
ventionnel, les conclusions que vous connaissez sur la violation, par
notre ambassadeur à Lima, du droit international et sur le caractère
a hàtif et intempestif u de l'asile.
La page 3zJ du Némoire du Gouvernement colombien, à laquelle je
viens de faire allusion, est ainsi rédigée :
iiIl est toutefois évident que les simples opinions ayant un
caractére subjectif doivent être considéréesseparement de la
situation objective dans laquelle était le réfugiéle 3 janvier 1949.
Le Gouvernement du Péroua tout naturellement le droit d'émettre
son avis quant à la nature des activités et des programmes pour-
suivis par M. Victor Raiil Haya de la Torre. Il s'agit, en l'espèce,
d'une simple opinion, qui ne constitue pas, en elle-même, unacte
juridique pouvant qualifier l'infraction pour la<luelle M. Victor
Kaul Haya de la Torre serait poursuivi par-devant une juridiction
spéciale,le juge d'instruction de laMarine, pour cause de «rébel-
lion »ou irséditi u.n
Nous ne voudrions pas, par conséquent, nous arrêter à l'examen
de l'opinion du Gouvernement du Pérou à l'égard de M. Victor
Raiil Haya de la Torre, dont l'activité politique peut évidemment
êtreconsidéréesous les points de vue les plus divers. En outre,
le Gouvernement de Colombie, fidèle a sa politique traditionnelle
de non-intervention dans les affaires intérieures des autres Etats,
ce uui. D.r ailleurs. a été adootécomme nonne du droit inter-
nati'onal américain' par plus&urs conférences panaméricaines,
s'abstient délibérementde commenter dans ce hlémoireles circons-
tances politiques intérieures du Pérou, ainsi que les rapports qui
ont pu exister entre le «Parti du Peuple »,dont hl. I'ictor Raiil
Haya de la Torre est le chef, et les di\.ers gouvernements qui se
sont succédéau pouvoir dan's la République du Pérou. 1,
-
' Voir vol.1, pp. 41 et 42.
= " Us p. '57.
J 8 " n, , 42. Les conclusions de M. l'agent du Gouvernement du Pérou sont ainsi
rédigées :
«Plaise à la Cour
Rejeter les conclusions 1 et II <lu >lémoire colombien ;
Dire et juger :
à titre reconventionnel, aux termes de l'article 63 du Règlement
de la Cour, et par un seul et mêmearrêt, que l'octroi de. l'asile
par l'ambassadeur de Colombie à Lima à Victor Rahl Haya de
la Torre, a étéfait en violation de l'article I, paragrapbe I, et de
l'article2, paragraphe 2, premierement (inciso primera), de la
Convention sur l'asile signée à La Havane en 1928. n
Je cite encore cette phrase de M. l'agent du Gouvernement du Pérou,
à la page 56' de son Contre-Mémoire :
c Le Gouvernement du Pérou estime de son devoir de défendre
l'ordre juridique, social et constitutionnel interne, et de respecter
l'opinion publique générale,qui voit en l'asile, interprétéet appliqué
comme prétend le faire le Gouvernement de Colombie, le manteau
de l'impunité jeté sur tant de délits que la justice interne doit
éclairciri>
Que pouvons-nous faire si un réfugiépolitique vient frapper à notre
porte ?
Eh bien ! Eu égard à ces conclusions, la Colombie vous apporte,
Messieurs, une réplique définitive.
La Colombie a aussi toute une tradition d'honneur derrière elle dans
l'observation de ses engagements internationaux.
Ainsi, mon premier devoir sera d'examiner avec vous les circons-
tances de fait parmi lesquelles la République du Pérou a vécupendant
les mois antérieurs à la date de l'asile, et ce sera aussi l'occasion de
montrer à la Cour la qualité non seulement juridique, mais avant tout
morale, du délit de rébellion militaireiiqu'on a imputé au réfugié.
Nous verrons bien quelle est la nature de ce délit et comment, par
quelle étrange procédure, M. Victor Kadl Haya de la Torre aurait pu
êtrecondamné à mort, effectivement condamné à mort avec la rapidité
de l'éclair.
Je foai cette analyse avec tout le respect que je dois aux institutions
d'un Etat souverain, d'une nation amie, d'une nation sŒur. La Cour
comprendra néanmoins sans difficulté que le Gouvernement colombien
ne veuille pas passer sous silence une accusation formulée contre lui,
effectivement formulée, et non pas d'une façon vague et sous-entendue,
dans les conclusions déposéespar M. l'agent du Gouvernement du Pérou.
Ce n'était point notre intention d'ouvrir ce débat, je vous l'assure.
AI. l'agent du Gouvernement du Pérou a cependant voulu qu'il s'ouvrît,
il nous a mêmeforcés à entrer dans des détails qui constitueront une
mise au point nécessaire des conclusions par lui formulées et qui nous
semblent, du reste, êtreen contradiction avec le fait précis de la situation
personnelle de hl. Victor Raul Haya de la Torre.
Tout le débat se ramène, pour le moment, à la question suivante :
dans quelles conditions, aussi bien juridiques que matérielles, le réfugié
a-t-il obtenu le bénéficede l'asile à.l'ambassade de Colombie à Lima
le.3 janvier 1949 ?
' Voir vol. 1,p.162. PLAIDOIRIE DE 31. VASQUEZ (COLO~IBIE) - 26 IS 50
32
[Seance publique du 26 seplewibrergjo, aprèc-niidi]
v
Ivlonsieurle Président, 3Iessieurs de la Cour,
A l'audience de ce matin, j'ai expliquéà la Cour les circonstances dans
lesquelles un différend s'estproduit entre le Gouvernement de la Colom-
bie et le Gouvernement du Pérou au sujet de l'asile de M. Haya de la
Torre. Deux choses nous sont apparues : le Gouvernement du Pérou a
adnoté à l'érard de ce chef ~olitiaue une attitude tout autre nue celle
déji prise eGvers certaines personnalités péruviennes.Mais ce'qui est
encore plus important, le Contre-Mémoiredu Gouvernement du Pérou,
sans tenir compte de notre attitude amicale, nous place dans la situation
d'un pays qui veut absolument empêcherque l'action de la justice
puisse se poursuivre. C'est donc dans cette siiuation que nous sommes
tenus d'expliquer àla Cour les circonstances qui ont précédé l'asile de
M. Haya de la Torre. Une question se pose: Dans quelles conditions,
aussi bien juridiques que matérielles, le réfugiéa-t-ilhteiiu le bénéfice
de l'asileàl'ambassade de Colombie àLima, le 3 janvier r949 ?
Je ne m'arrêterai pas cependant à faire l'analyse des conditions
politiques et sociales dans lesquelles les révolutionséclatenten Amérique
latine nià vous présenterle niveau de vie des différentes classes sociales
de ce continent.
Il est certain qu'il y a une différenceet parfois une séparation radicale
entre la théorieet la pratique de l'organisation sociale. Des constitutions
inspirées de la philosophie de Jean-Jacques Rousseau, parfaites pour
une nation de l'Europe, ont dû êtreappliquéesdès le xIxn1esiècle, dans
une société composéd e'élémentshétérogènes,où le degréde culture des
citoyens ne le permettait pas. C'est la lutte entiiles faits et les cod»s
que les juristes et les sociologiiesconnaissent bien, et qui n'a pas manqué
de préoccuper les penseurs de l'Amériquelatine. L'Argentin Alberdi,
tout comme le Colombien Rafael Nufiez, et une légiond'écrivains après
eux, se sont attachés à établir les causes de ce phénomène social des
révolutionspolitiques en Amériquelatine. 11ne faudra pas s'étonnerde
l'existence du même phénomène dans des républiques de ce continent.
Un écrivain bien connu du Pérou, M. Francisco Garcia Calderon, a
laissé une Œuvre définitive sur cet aspect particulier de notre
histoire, et cetteŒuvre, qui porte unepréfacede l'éminenthomme d'Etat
français. Raymond Poincaré, citéedans notre Mémoire(p. 14'), a bien
montré la succession dans ce continent de régimes animéstour à tour
d'un esprit militaire oucivil. Il est vrai que cent ans de Républiquesont
peu de chose pour assurer le fondement d'une organisation politique. En
tout cas, des problèmes de structure dans l'organisation de l'Etat, que
d'autres peuples ont résolusdéjà par des formules définitives,sont encore
en Amériquelatine des sujets de discussion. L'équilibreentre la liberté
et l'autorité, par exemple,atoujours étédifficileàétablir. Centralisation
et fédérationont marqué les formes opposéesde l'organisation p~litique,
et on a rarement réussi àcombiner ces deux tendarices. Ajoutez à cela la
géographiequi, à l'encontre de ce qui est en Europe, là-bas a tout divisé.
Ajoutez enfin que le progrès de l'économiese hearte aux obstacles des
climats et des lieux, séparésles uns des autres par des distances formi-
' Voirvol. 1. P.24. PLAIDOIRIE DE M. VASQUEZ (COLOYBIE) - 26 IX 50
33
dables et que, par conséquent, le développement de notre économiese
trouve réduit à certaines zones où le trafic des biens est poçsible. Aussi
avons-nous conservé plusieiirs types parallèles de civilisations. Faut-il
s'étonner que, dans ce continent hétérogène, le pouvoir politiqueet la
sociéténe puissent pas coïncider et marcher sans révolutions ?
Cequi est important pour notre cas ce ne sont pas les causes profondes,
sociologiques ou autres, des révolutions : ce sont leurs effets, ce sont
leun conséquences ; chaque révolution apporte de nourelles promesses
mais aussi suspend l'application des garanties constitutionnelles de la
liberté individuelle di1 citoyen. Temporairement, si l'on veut, et pour
autant que le nouveau gouvernement n'a pas, dans une périodetransi-
toire de consolidation du pouvoir, assuré la tranquillité et l'ordre. Mais
elle les suspend tout de même.Et c'est cette fissure dans la constitution
de I'Etat, c'est cet interrègne de la légalitéqui a rendu bien souvent
précairela vie des hommes dans ce continent. S'ils sont par hasard ,des
ennemis de celui aui devient soudainement le hérosnational, la situation,
~priinirctiii'Fll(tnit poiir ciil, tourncr~ :IItrngiiluç rriIIIICti~5\.iciisç
arrcnrc d'iiii r.liitiiiiînr iiiCiitnhl1.e.citi~rniisdc.; r;\.ulutions iic sont
pas alors des citoyens comme les autres :ce sont des sous-hommes.
L'asile di lomatique dans les légations en est dans ce pays la consé-
quence. ~oiri la trame, l'argument du procès.
VI
Nous sommes en juillet 1948. C'est le mois où, au dire de certains
sociologues et criminologistes, les passions collectives s'échauffent.C'est
le Thermidor du calendrier républicain qui a vu se succéderla plupart
des guerres et des révolutions enregistrées par l'Histoire et qui devait
signaler le début d'une sériede soulèvements armésdans la République
du Pérou.
Lisez les documents soumis par le Gouvernement du Pérou dans l'a
procédure écrite.Aussibien dans leContre-Mémoireque dans la Duplique,
il ne sera question que de la responsabilité de M.17ictorRaul Haya de la
Torre pour le délitde rébellionmilitaire, en raison bien entendu des faits
survenus dans le port du Callao, le 3 octobre 1948
Il semblerait donc qu'en cette année1948 une seule révolution aurait
éclaté ; un seul parti politique et un seul chef seraient partisans de la
«manière forte » dont parlait Casimir Périer. Pourquoi veut-on couper
l'Histoire en morceaux ?Pourquoi examiner un seul de cessoulèvements
tandis qu'on semble jeter un épaisrideau defuméesur les autres ! Est-ce
ainsi que l'Histoire s'est déroulée ?
En réalité. trois révolutions sesont succédé :
celle du 5 juillet 1948, conduite par un officierde l'armée péruvienne,
le lieutenant-colonel Alfonso Llosa, que, mal& sa défaite temporaire
et son exil, nous retrouverons plus taÎd victorireux ;
celle du 3 octobre 1948,survenue dans le port du Callao, la seule qu'on
voudrait rappeler et dont on accusera M. Victor Raiil Haya de la Torre
d'êtreresoonsable : c'est la révolution oui déclenche une imulacabie
persécuti& d'État Eontre ce chef politiqué ;
enfin, celle du 27 octobre 1948, conduite par S. Exc. le généralOdria
et le lieutenant-colonel Alfonso Llosa, celui-là même qui, revenu de
l'exil, devient ministre des Travaux publics. Révolution heureuse,
trio~nuhante celle-là, et qui permet l'instauration d'un nouveau xouver- La Cour s'apercevra, par la suite de ma plaidoirie, que l'aiialyse de ce
chapitre d'histoire est iiécessaire.Elle s'apercevra aussi que j'ai puisé
la plupart de mes informations dans le joiirnal officielde la République
du Pérou, El Per~rano,afin de suivre les événemeiitsdans cette source
authentique.
j juillet 1948. Uii soiilèvenieiit armé éclate dans les garnisons de
Puno et luliaca. Ces deux ~etites villes de ~rovince deviennent le centre
J'uiic prciiiii.rL.r~\~ol~i~ioii.'tcirn une ter;tntivc in:iii.luLcpcur la piiw
<lupoi~voirioiidl~ite p:ir le li~~~iteiiiiii~-coIo\lfr>ii;~,1.Ios.i.1Oc juilli:t,
ln rïvulutioii s'est tr;insforiii<eii ii\.<ilturc. ICC jo~ir,Ir~j~u~n:~ 0Ii1i:ieI
El llcri<oiiopublia 1.1noiivellcili: cl;i:iit;eus la fsriii<I'iiiciiniiiiiiniqui)
du iiiiiii.it~dcïl'liitcrieurct de 11I'olict:<loiirvuici Ic teste.
n1. Le soulèvement des troupes des garnisons de Puno et Juliaca
est restéconfinédans cette zoiie. Ainsi qu'il a été aiinoncédans un
commuiiiqué précédent,les forces de la IIIlnoDivision (Arequipa,
hloquegua, Tacna) et celles de la 1V-neDivision (Cuzco, Pomata,
Ilave) sont demeurbes loyales au gouvernement constitutionnel.
z. Les forces restantes du territoire obéissent, comme il est de
leiir devoir, aux ordres de l'autorité militaire.
3. En dehors de la zone du soultvement l'ordre public est
maintenu sans interruption.
4. Un camion dans lequel \.oyageaient un officier et neuf soldats
de Juliaca à Sicuani, portant une proclaination des insurgés,a été
arrêté,ses occupants détenus.
j. Des escadrilles des forces aériennessont arrivéesdans les villes
de Cuzco et Arequipa et elles ont étéplacées sous les ordres des
commandants générauxrespectifs. » (El Perriaiio,no 2248, 6 juillet
'948.)
r\ première vue, il semblerait que cette échauffouréemilitaire, qui a
été,je le répète, une révolution manqiiée dès son début, ne pouvait
donner lieu à des mesures plus graves de la part du Gouvernement du
Pérou. Esistait-il, malgréle sang-froid dont faisait preuve lecommuniqué,
unelame de fond qui soulevait le pays ? Il serait %cile de l'affirmer, et,
d'ailleurs, il ne m'appartient pas de dire autre chose que les faits. Tou-
jours est-il qu'un décret suprêmeportant la date du j juillet 1946 fut
insérédans le journal officieldu 6 juillet, signépar le Président constitu-
tionnel et contresigné par le ministre de l'Intérieur et de la Police. Ce
décret, qui fut approuvé en conseil des ministres, prescrit, ne l'oublions
pas, lu szrspension,dans l'eirsembledzrterritoiredela Réprrblique etd partir
dela date de la promrrlgatioir,des garanties cons(itzilionite1lesmenlionnées
arrxarticles56, 61. 62, 67 el 68 dela ChartedeL'Etatpérziuien.
Donc, à partir du j juillet 1948. il y avait une certaine fissure dans
la légalité. C'estle fruit de la première révolution. Xous arrivons au
rEcit <lela seconde.
3 octobre rg4S. Une mutinerie de la flotte de guerre péruvienne
mouilléedaiis le port du Callao a eu lieu sous les ordres et la responsa-
bilité directe du capitaine de frégate Enrique Aguila Pardo, appuyé
par le capitaine de corvette José Rfosto, le premier lieutenant Victor
Komero, le second lieutenant Juan Manuel Ontaneda et le sous-officier
maître Hector Tirado. Vous trouverez les noms, prénorns et grades
des officiers compromis dans le mouvement du 3 octobre 1948 et que PLAIDOIRIE DE 31. VASQUE2 (COLOJIBIE) - 26 IX 50 35
je viens de citer,à la page 13b1,annexe 40, du Contre-blémoiredu Gou-
vernement de la République du Pérou.
Les faits, actes, ainsi que les pièces judiciaires et la correspondance,
formant un ensemble assez volumineux de documents soumis à la
Cour par le Gouvernement péruvien, me permettront, j'en suis sûr,
de vous épargnerun récit détailléde cette nouvelle tentative manquée
de révolution.
Je puis cependant satisfaire cette sorte de curiosité très vive que
11. l'Agent du Gouvernement du Pérou attache à ce chapitre.- mais
rien qu'à ce chapitre - de l'histoire de son pays en lui disant que, si
nos informations sont exactes, toute une escadre de la flotte a pris
part à ce mouvement, escadre forméepar les croiseurs Almirante Grau,
Coronel Bolog~eesi, Villar, Ferréet Pulacios, honnis les chasseurs de
sous-marins 1, III, IV, V et VI. Effort inutile, incertain, désespéré.
Enfin, la révolution échoue.
Vous savez, Messieurs, que cette seconde crise s'est produite au mois
d'octobre 1948 Vous savez le reste. Le poids immense de l'autorité
gouvernementale tombe tout entier sur un homme qui n'avait assisté
que de loin aux événementsdu Callao, qui était mêmeen désaccord
avec les élémentsde son parti favorables au coup de force politique ;
qui avait contribué avec de larges masses populaires à l'élection du
Président de la République en exercice, M..José Luis Bustamante y
Rivero ; qui était en butte aux attaques des membres les plus exaltés
de son parti, pour avoir ainsi tenté l'emploi de méthodes conduisant
vers un certain équilibre politique. Tout cela s'est dissipé enl'espace
d'un matin lorsque, le 4 octobre 1948, le Président de la République,
à la tête de son Gouvernement unanime, édicta un décret suprême
qui, après avoir ordonné la mise hors la loi de r l'Alliance populaire
révolutionnaire américaine,A. P. R. A. ou Parti du Peuple »,prescrivait
que les dirigeants du parti déjà mentionnésfussent soumis à la justice
nationale comme fauteurs et instigateurs des tristes événementsdu
3 octobre. C'était en quelque sorte le bannissement de la vie politique
prononcé par la voie gouvernementale contre M. Victor Raul Haya
de la Torre.
Notez, Messieurs de la Cour, que le décret suprêmeauquel je viens
de faire allusion porte la date du 4 octobre 1948.La veille, cependant.
l'ouverture d'une enquête judiciaire avait étédécidéepar le capitaine
de vaisseau Rodriguez, chef de la zone judiciaire de la Marine. agissant
en qualité de juge d'instruction, ainsi qu'il ressort de l'annexe 38 du
Contre-Mémoire péruvien.
Notez encore, Messieurs, toute la différencequi va de l'une à l'autre
de ces deux mesures. Celle du Gouvernenient porte déjà la mention
des coupables : «que les dirigeants du parti ....- nous savons lequel -
....soient soumis à la justice nationale comme fauteurs et instigateurs
des tristes Evénements du 3 octobreii. Tandis que l'ordonnance du
juge d'instruction, sans vouloir en rien préjuger les résultats de son
enquête,avait dit simplement : «Il est résoluque le juge d'instruction
permanent de la Marine se transporte, dèsque possible, sur les lieux où
il est nécessairede procéderaux enquêtesquin'admettent point deretard
et qui peuvent produire des effets pour l'éclaircissement postérieur
des faits ; et qu'il en soit rendu compte. » (Contre-Mémoire,p. 1341.)
' Voir vol.1, p. zqr.
2 ,, " '> ,, 23').36 PLAIDOIRIE DE.^. VASQUEZ (COLOMBIE) - 26 IX jo
Les deux textes que je viens de lire sont en eux-mémes de nature
à révélerque 1'Etat péruviena deus opinions émanant de deux pouvoirs
différents et qui, à premiere vue, semblent se contredire. Le Gourer-
nement, lui, voulait un châtiment personnel. Le juge désirait la recherche
de la véritétout entière, comme c'était son devoir, une véritésans
coulevr politique. Laquelle de ces pensées, laquelle de ces intentions
de 1'Etat péruvien aurait une emprise sur l'autre? Est-ce la justice
impartiale ou la justice politique ?
Nous sommes au début du drame qui a conduit notre réfugié à
l'ambassade de Colombie à Lima et nous commençons à toucher du
doigt ce qui forme un des buts de ma plaidoirie :vous démontrer que
hl. Victor Raul Hava de la Torre se trouvait en danger d..ant l'exis-
tei~cc (l'tintjustice gou\~cri~einciitnlepGruviennc qui n'attendnir pas
le: rGsult:its cl'iinc insrructit~ii. intme somiii:iirc. pour proiioiicIIII<:
sanction sur des faits que la iustice devait éclairCir.
Le 4 octobre, il y acait donc au Pérou deux textes, deux esprits,
deux méthodes, deux justices.
Cela, Alessieurs, est déjà inquiétant. Voici qui l'est davantage.
VI1
Que s'est-il passé,du 4 au j octobre 1948 ? Dans tonte situation
psychologique complexe il n'y a pas que les jours ; les heures ou les
minutes peuvent apporter des changements décisifs.Mue par l'impulsion
vive de la passion bien plus que de la raison, l'action humaine comporte
en certaines circonstances un moment qui peut tout décider. C'est là
qu'il faut amver ;c'est un acte de ce genre que le juge s'efforced'établir
dans le procès criminel et c'est à un moment pareil où nous sommes
arrivésdans ce procès.
Dans la suite des événementsayant compromis la liberté et la vie du
1948gest d'une importance capitale. Alors il s'est produit une intervention
du ministre de l'Intérieur et de la Police du Pérou dans l'enquête
judiciaire qui avait étéouverte quarante-huit heures auparavant par le
juge d'instruction de la Marine. De cette intervention, nous avons la
preuve, une preuve éclatante. absolue et irrécusable, dans une des pièces
soumises à la Cour par le Gouvernement du Pérou, sous le no 41 des
annexes du Contre-Mémoire.
Je vous épargnerai la lecture intégrale de son texte, bien qu'il mérite '
d'êtreexaminéattentivement par la Cour. Je me bornerai néanmoins à
vous signaler (p. 138 ' du Contre-Mémoire)un passage où ce membre du
Gouvernement fait le métier d'un procureur de la République pour
demander i'ouverture d'une instruction criminelle contre hl. Victor
Raul Haya de la Torre, dans les conditions que voici :
n Par ordre de la loi, il faut les priver des instruments du délitet
rendre leur responsabilité civile effective aux fins d'indemniser
i'Etat, les victimes et les membres de leur famille, s'il y a lieu, des
dommages et préjudices matériels et moraux qu'ils ont subis. -
Cette responsabilitéretombe tant sur les individus qui ont participé
au délit que sur les organisations qui les ont aidés à le perpétrer,
selon les articles 70 et71 du Code pénalet 1144du Code civil. -
En conséqueiice,les biens des inculpés, ceuxde I'Alliaiicepopulaire
' Voir vol. 1. p243. révolutionnaire américaineA. P. R. A., ou Parti du Peuple comme
organisation-mère, ceux de la maison d'édition La Tribuna S.A.,
où se publiaient La Tributta, La Tarde et Politica. Radio Alegria,
Fotograbado Peruana S. A. et la maison d'édition ccEl Callao »,
movens dont se servait l'A. P. K.A. nour faire sa . .-aeande
pr&aratoire, pour exciter les basses pasSions, pour semer la haine
et fomenter la lutte des classes et pour uré~areret inciter au soul8ve-
ment contre 1e.Gouuernement. et les kucres in~t~-m-nts servant à
la mêmefin, doivent êtreséquéstrélse jour mêmeet retenus à titre
de caution, pour rendre la responsabilité dont il s'agit effective-
Ainsi disposent les articles 204, 205, 206, 207, 633 et 635 (seconde
partie) du Code de justice militaire, 72 du Code pénalet IOO du Code
de procédurepénale. - 11appartient à votre Service,conformément
à l'article4jS du Code de justice militaire déjàmentionné, deporter
ces faits à la connaissance dela zone navale afin qu'elle inclue dans
l'instruction de ce flumant délitles Dersonnesdont il s'agit -t dont
la liste est ci-jointe. -A mesure que progresseront les enquètes, je
\,eus enverrai la liste des autres personnes compromises. n
Ce texte figure à la page 138 'du Contre-Mémoire.
J'ai l'impressiontrèsnette, Alessieursde la Cour,quela lettre distinguée
par le chiffre MN. 16j, du 5 octobre 1948, adresséepar le ministre de
l'Intérieur et de la Police du Pérou à son collèguede la Marine, insérée
comme une des piècesjustificatives du Contre-Mémoirepéruvien, cette
lettre-là va entrer désormaisdans l'Histoire. Le paradoxe, c'est que nous
puissions invoquer un document de la Partie adverse ; mais ce sera aussi
son mérite. Elle reviendra à la mémoirechaque fois qu'il sera question
de ce procèset on en parlera toujours comme d'un cas typique d'inter-
vention .du pouvoir exécutifdans une affaire judiciaire. C'est elle qui a
déclenchécontre 31. L7ictorRaul Haya de la Torre un mécanisme de
sanctions ; elle qui lui a posécette alternative de l'asile sans lequel il
devait se rendre à une justice éminemment politique.
Oh !Je sais que al. L'Agent du Gou\~eriiementdu Pérou a tenté de
renrendre cet aveu. AI.L'Aeeut..u Gou\~ernemeutdu Pérou s'estrendu
com1)tequ'il nous cil :i\.:lit fourni iiiie preu\*eeliln ilicrc~li~iiiie es~)iic:i-
tion. I.isuni ~itteiitiveinerit I;IDuplique
, II s'agit ~iri~ylemenr(le la ctdéiionci;itiun iiIaitc, pnr .iuturitL:
(leI:iloi,<Ie\.;rntI'auti>ritCjtidicinire ii,mpGtcntt., des faits d;.lictueus
iiiiiiluiv~~nittie ic:l:iirciset sailcti~iiinisen \.uCde l'i,u\.i.rtiirt1.1e
procédure judiciaire. En exposant les faits qui sont la matière de
l'infraction, en indiquant les noms des auteurs présuméset en
mentionnant les différentes dispositions légalesqui pourraient être
appliquées,le ministre a donc agi conformément aux articles perti-
nents du Code de justice militaire (annexe no 1). Il y a lieu de
souli..ner Que l'un des articles citésétablit aue le dénonciateur ne
prciiil niiciiii* p;irt aux eii<lti&tesnioti\,éçsy;ir s;i dénonciation. et
ilfatit ot)scr\zr ciicorc~UC c<:lle-ci11cpeut étrcaciiivillie y~irIc juge
<iii~si clle cst ..)i.ii\...cnar le t)roc~ireur.en I'csp6ii.I'niirlittlçI;i
ilaririe. et 'II;ilorss~~~ilt?menst''ou\.re I>r~~riïi..otites ces~~I~ISL'S
se soiil ili.roiil&s Ir:galeineiitriinsi qu'il apperdes :inneses 30 i 41 La Cour appréciera.
Je dois signaler cependant deux choses qui détruisent complètement
l'explication qui en a étédonnée par M. l'Agent du Gou~.ernement du
Pérou : la première, qu'il ne s'agit pas, au sens strict du mot, d'une
« dénonciation n mais d'une « accusutio~z> ,ar son contenu, qui est du
ressort du ministère public lorsoue le procès est en cours :la seconde.
<III?"~11' ( I~;~UII;I.~LIUI,i SIII,I,USCi~~~'~ nII ~IIcg.c,iracr;.ic. .CtC
faite cil i,iol.~tinlc I',,r~ic$;,j du Sud,? il? jiisricr i~iilit:<luI1<:roii.
JI. I':\~ciit du Ci~u\~~~rn~~~ ~~cl'ii111 c'~,st~IOIJC..~IYII.\I;.~rIn~rl-
bution-à la thèse colombienne - nous a fourni ce texte à l'annexe I,
page 50 ',de la Duplique. Il est ainsi rédigé:
aArt. 463. -La dénonciation devra contenir :
I" la narration des faits matière de l'infraction, avec toutes les
circonstances connues ;
2" le nom de l'infracteur, son emploi ou sa fonction ou ses signes
particuliers, dans le cas où son nom serait ignoré :
3' les raisons que l'on a pour présumer ou affirmer que l'infraction
a étécommise ;
4" la liste des témoins ou leurs signes particuliers si leurs noms
n'étaient pas connus, ou la déclaration disant qu'il n'y a pas de
témoins.
Le dénonciateur n'a aucune participation dans l'enquête causée
par sa dénonciation, et il n'encourt aucune responsabilité sauf celle
provenant d'une imputation fausse ou malicieuse. »
Vous voyez que l'article 463 énumère limitativement les éléments
d'une dénonciation. Vous notez que cet article est incompatible avec la
lettre du ministre de l'Intérieur et de la Police. Où donc est-il. déclaré,
par l'article 463, que la idénonciation IIpuisse contenir les modalités
de l'accusation et de la sentence ? La Cour comprendra que cette lettre
est davantage qu'une adénonciation ii: c'est le fait d'un fonctionnaire
du pouvoir politique qui saisit l'occasion d'un acte élémentaire de
procédure - la dénonciation - pour dicter au juge les éléments de
l'accusation et de la sentence. Aussi la lettre fut-elle un acte grave du
pouvoir politique.
S'il s'agissait simplement de faire une iidénonciation iidans l'esprit
des articles 458 et 466 du Code de justice militaire péruvien, si M. le
Ministre de l'Intérieur et de la Police s'était borné à dire que M. Victor
Raul Haya de la Torre avait été vu à tel endroit, à telle heure en rade du
Callao, faisant des préparatifs pour la mutinerie du 3 octobre précédent ;
si, en un mot, il avait traiismis à la justice, d'une manière impartiale, des
élémentspermettant de conduire l'enquêteà sa fin, il n'aurait pas tenu
ce raisonnement : les enquêtes faites par mon service confirment sans
aucun doute que le mouvement séditieux du 3 octobre 1948 a étépréparé,
inspiré et dirigé par a l'Alliance populaire révolutionnaire, A. P. R. A.,
ou Parti du Peuple » ; ce groupement est à son tour dirigépar un homme
et cet homme doit supporter une responsabilité civile et criminelle.
Responsabilité doublement affinnéedans cette lettre, alors que la justice
ne s'était pas prononcée d'une manière quelconque. «Par ordre de la
loi iidit le miiiistre, considérant qu'il lui appartient de prononcer des
sanctions et à la justice simplement de les appliquer, iil faut le punirin.
La Duplique ne contredit pas, ne peut pas contester l'existence, la
certitude de cette lettre hIl\l.16j du 5 octobre 194% Elle cherche seule-
--
' VOL~vol. 1, p. 444. ment à l'expliquer dans le passage que j'ai citétout à l'heure, en disant
qu'il s'agissait non pas d'une saccusation », mais d'une adénonciation v
(p. 2g1)O.r, M. l'Agent du Gouvernement du Pérou n'a pas sans doute
remarqué qu'un autre passage avait trahi sa pensée, puisque dans le
Contre-Mémoire,page 4S2,in fine, il avait appeléce document « accusa-
tion», comme l'interprète le Gouvernement colombien.
La Cour se trouve en face d'une double thèse :
Le Coutre-Mémoire(p.4S2) déclare :«l'accusationportéepar le mitzistre
de l'Intérieur,etc.....IItandis que la Duplique, devant la force de nos
arguments, cherche à simplifierle problème et dit (p. 29%) : cil s'agit
simplement de la délzonciation,etc.».
Entre ces deux explications, nous avons, quant à nous, préféréla
première.
VI11
Avons-nous des preuves que la pression obstinée du ministre de
l'Intérieur et de la Policà l'égarddu juge contre M. Victor Rad1 Haya
de la Torre, pression qui s'est manifestée dans une lettre officielle,
produisit ses effets ?
Trois documents, tous présentés à la Cour par le Gouvernement du
Pérou, sont à ce sujet des preuves irréfutables :
1) L'arrêtdu 6 octobre 1948r. endu par le juge suppléant d'instruction
Morante, publié à la page 13g3du Contre-Mémoirepéruvien. C'est la
reproduction presque intégralede la lettre duministre et ilfaut remarquer
que RI. l'Agent du Gouvernement du Pérou a tenu à l'insérerà la suite
de la lettre pour bien montrer qu'elle. enest la conséquence.D'ailleurs
le juge lui-même, <!ans le corps de son texte, n'a pas hésitépour
l'accepter telle quelle, point par point.1en arrive à lui concéderautorité
et à en faire une mention expresse pour donner suite à I'accusatioii
dans les ternes et pour les fins sollicités.Vous le verrez vous-mêmes
par la lecture de son texte et on ne peut pas imaginer une coïncidence
plus extraordinaire entre les désirs expriméspar un ministre et la
décisionimmédiate d'un juge.
2) L'ordonnance du II novembre 1948, rendue également par le
juge suppléant d'instruction Morante, publiée àla page 141~ du Contre-
Mémoire péruvien. C'estl'ordonnance de séquestre de tous les biens,
meubles et immeubles, de AI.Victor Raiil Haya de la Torre, ainsi que
de ceux des soixante-dix autres personnes contre lesquelles une ins-
truction avait été ouvertepour le délit de rébellionmilitaire qui leur
était imputé dans la dénonciation (Contre-Mémoire,p. 14s~) .e sont
des lignes qu'il faut lire avec une profonde attention pour bien com-
prendre la liaison, qui continueà êtrevisible, entre les désirsdu ministre
et ses résultats iudiciaires. L'instruction s'ouvre et déià on assume la
responsabilité dé décréterdes mesures que le ministie, certes, avait
demandées, mais que la justice accueille sans réserves.
Je tiens à ne rien exagérer et c'est pourquoi je me permets de vous
donner lecture du document qui figure àla page 141~ du Contre-Mémoire
péruvien :
«Lima, le onze octobre mil neuf cent quarante-huit. - La pièce
ci-dessus reçue ;en exécutionde ce que dispose l'autorité judiciaire
' Vair vol. 1,p.423.
2 . . \>,n 154.
3 3 il >>,n 244.
>» 8 n, n 246.40 PLAIDOIRIEDE M. VASQUEZ (COLOMBIE) - 26 IX 50
en son arrêtdu dix octobre mil neuf cent quarante-huit : Qu'une
instruction soit ouverte contre les personnes suivantes : Victor
Raul Haya de la Torre, Hilda Gadea Acosta, Luis Rodriguez
Vildosola ....(suit une liste d'environ 70 noms) ....pour le délit
de rébellion militaire qui leur est imputé dans la dénonciation ;
oue l'on exécute les dis~ositions de la loi :aue l'on ~rocède aux
~omparutions et à toute; les autres mesure4 iécessair& à l'établis-
sement du délit; et, prenant en considération la responsabilité
civile qui incombe aussi aux inculpés pour les dommages que le
délit a occasionnés à 1'Etat; attendu les dispositions des articles
six cent trente-trois et suivants du Code de justice militaire et
comme mesure de précaution pour garantir ladite responsabilité
civile: Que le séquestre soit mis sur les biens meubles, immeubles,
automobiles, droits et actions appartenant aux inculpésmentionnés,
séquestre doit êtreexécutéde p;eque l'on informe, en outre, le jour
même,la direction générale des Registres publicspour qu'elle fasse
immédiatement inscrire le séquestre dans les compartiments
correspondant aux biens des personnes indiquées dans les registres
de la propriété immobilière de toute la République ; que l'ou
notifie aux banques commerciales et caisses d'épargnede la capitale
et des provinces de retenir, sur l'ordre de ce tribunal, les fonds et
valeurs qu'y possèdent, à quelque titre que ce soit, les personnes
indiquées en cet arrêt, tant aux sièges principaux que dans les
succursales et agences ; que l'on invite la direction généraledu
Trafic à inscrire cette mesure dans les registres correspondants
dont elle a la charge, en ce qui concerne les véhiculesappartenant
aux personnes mentionnées en cet arrêt, et à ordonner la saisie
de ces véhicules.- (Signé)S. MORANTE -. e Capitainesecrétaire :
(Signé)E. LLOSA .1
3) La sommation uubliée dans le iournal officiel El Pertcano du
7 novembre 1948parAlaquelle le juge Suppléant d'instruction, Amerigo
Vargas, adressait une convocation à M. Victor Raul Haya de la Torre,
en particulier, mais aussi aux personnes mentionnées, signaléespar le
ministre aux fins de ai'instruction menée contre eux pour délit de
rébellionmilitaireilLe texte de ce dernier document figure à lapage 144~
du Contre-Mémoirepéruvien. C'estcefte piècedu dossier qui semblerait
constituer I'accusation préalable au refuge de ce chef politique. C'est
elle qui nous donnerait tort dans ce procès puisque l'article premier
de la Convention de La Havane de 1928 sur l'asile exige, pour la
validité de celui-ci, que la personne primo ne soit pas pou~suivie pour
délitde droit commun ;secundoqu'elle ne soit ni accuséeni condamnee.
A la vérité,hlessieurs de la Cour, cette analyse nous a montre la
physionomie très particulière et très nouvelle de ce procès.Unministre
formule, disons une «accusation » pour employer le terme exact ,du
Contre-Mémoire ;cette accusation est acceptéepar le juge d'instruction
dans des termes et pour des fins que le ministre avait sollicités,avec ce
résultat que les buts politiques du Gouvernement du Pérou à l'égardde
M. Victor Raul Haya de la Torresont atteints:Voilàun premier :ait. En
voici un autre :le juge édicte une ordonnance pour l'ouverture d'une
instruction et, toujours se référantà ce chef politique, publie une ordon-
1Voir vol. 1,p. 249. nance eu vue de sa simple compan~tion.Et c'est sur cette base fragile,
c'est sur ce terrain mouvant de sablequ'on prétend trois choses : d'abord
one la iustice du Pérou n'a iamais eu de viséesoolitiaues :ensuite aue
Icsfornics de In ~>rciiC~lua re.:iiit iuiidiiit iciileiiiciit ~iisIius'niiiinijuii
clil16ii~~vcmbrc 19.1 5~it61: ~~arf:iitritit:iitrGgt111krr.t.1,#:i(l,:r~~i~licti,
que ii<iiissoinnies <ici.aiitf'i~c~~t~.~I< i~I,.i~iti ~>.irIe1':irticl~pri.iclcII
Cunvcntion CI,:1.n Il;i\.;iiic sur I'nsile.
1.t:(;oii~~crncr~iei ]II ,,mis IUI-II~?II II:m<~iivenieiitI':~ctioiip~iI>li(~iic
i);ir l'intervcnriiii.I'iiiilc ssi iiiiiiistrcs, ciu:I~loiiii<SL~S0rilrt:ia11 IULC
pour punir le réfugiédans un certain sen;, qui signale les articles de ïa
loi pénaledevant lui êtreappliqués : qui, en somme,prend la justice dans
sa main pour la conduire vers un but politique, voudrait donner i ces
actes une portée' beaucoup plus haute que celle de l'ordre juridique
interne du Pérou : la sanction de l'ordre juridique international.
Après cette analyse aucun doute ne subsiste : AI. Victor Raiil Haya
de la Torre était bien, après la rCvolution du 3 octobre 1948, l'objet de
représailles politiques de la part du Gouvernement. Aucun doute noii
~lus : c'est bien le ministre de l'Intérieur et de la Police <luia déclenché
iaprocédure conduisant la justice à prendre des sanctions sans procès.
Aucun doute enfin :le délit imputé au réfn~iéest bien celui de rébellion
militaire.
A-t-on mesure, lorsqu'on adressait au juge la lettre hIAf. 165 du
5 octobre 1948, que celle-ciconstituait une \,iolation des articles 57 et 59
de la Constitution de 1'Etat oéruvienoui ont trait aux earanties-indivi-
~liicll?(lcI'hrihn<s cc.ri>r<'c.\-t-i>iiriti;,clii niiçsi.lurs<les re]>r;sent3nts
(Iii~Jutlvoirpi,litiiliic 11rcp:irüieritcctte sort< CILr,;quisitoire iiirrudiic~if
<I'inït;ince.fiii'ili>oui.:iir v :i\oir iiiïoni~;itibilit> entre cette attitiiilr.
d'une part, 'et la garantie dont il est' question à l'article220 de 1;
Constitution du Pérou, d'autre part, selon lequel nul ne sera jugé ou
condamnéque par les fonctionnaires compétents du pouvoir judiciaire ?
A-t-on penséenfin qu'il pouvait y avoir erreur d'appréciation quant à
la responsabilité qui incombe réellement à M. Victor Raul Haya de la
Torre dans les événements du 3 octobre ?
J'aborde ici un ordre d'idées - la responsabilité de AI.Victor Kaul
Haya de la Torre dans le mouvement du 3 octobre - sur lequel j'ai
donnédes assurances à la Cour Quant à l'attitude parfaitement courtoise
et loyale des rcl>rAentaiits CIL l. (:oloriil)ieici I)~.?se;i.i1cc qiii cnnccriie
I:11.i~i:ntiriie <lesp:irlis politiilJtisI'Cioii.1):inscet esprit. jeinc 1)crnicii
dc rigiinl~irit I:i Coiir iir,~Ivttrc i>iivcrtcpiibli&cp:ir 1:ire!.tic de I.iin:i
l't111no 14. dii I.+ uctobrc r(j.19.Cette Iéttrc1)orteII (I:~te(lu 3 octobre
194' )t, ile13 sorte, s(,s:iutcurs mit i.utilu Ccrirc:I'liisroireiiitiriic.<lecette
revolution manquée.
La conclusion logique que l'on peut tirer de ce document est que
M. Victor Rad1 Haya de la Torre ne prit personnellement aucune part
dans la mutinerie de la flotte survenue le 3 octobre. On sait, en outre,
qu'il y avait des dissensions au sein du parti dont il est le chef. AI. Victor
Kaul Haya de la Torre, en effet, avait non seulement déterminél'élection
du-Président constitutionnel en exercice, AI.José Luis Hustamante y
Rivero, mais censuré, comme c'était logique, dans le journal du parti
.Ln.Tribuiia, le mouvement séditieux du j juillet 1949, le premier que
nous avons vu, dirigécontre ce chef d'État, ainsi qu'il résulte d'ailleursdes numéros correspondant aux j, 6, 7, g juillet et jours suivants de la
mémeannée.
Le numérodu j est une éditionextraordinaire qui publie en première
page, sous le titrea Uiie pénible leçon », l'avertissement que voici :
« Un inouvement subversif a éclatédans le sud de la République.
Son auteur, le commaiidant Alfonso Llosa Gonzalez Pavon, est le
responsable du grave préjudicefait au pays et à son prestige. C'est
11.Llosa celui qui, il y a un mois, a attaqué cejournalà main armée,
en état d'ébriété.Alors, les sanctions disciplinaires dont il était
passible ne furent pas appliquées. Les conséquences sont devant
nous. L'homme qui a attaqué un journal démocratique prétend, à
l'heure actuelle, attaquer le pouvoir. Heureusement, la patrie a
atteint sa maturité politique et ces sortes d'aventures sont condam-
nées à l'échec.
La soliditéde notre démocratie a été à l'épreuveet elle a montré
sa résistance. Avec une sévère dignité,les grands corps militaires
qui sont cantonnés à Cuzco, Arequipa et Tacna, ont repoussé les
invitations faites par les séditieuxet ils maintiennent leur décision
de défendrela constitution et l'ordre légalementétabli.
Les autres garnisons de la République soutiennent également
le gouvernement.Tous les citoyens ont reçu la nouvelle avec stupeur
d'abord et indignation ensuite. Réduite à un noyau sans importance,
ayant échouédans son but d'expansion, l'aventure subversive n'a
que quelques heures devant elle et elle devra s'éteindresans peine
ni gloire.»
Apres cette citation, voici une opinion qui est contenue dans le même
organe :
« Mais le tort causé à la patrie luia ouvert une blessure ail cŒur.
Aussi grandes que soient les différencespolitiques entre les Péru\:iens
et aussi forte qiie soit la passion avec laquelle ils s'expriment, il y a
un trésorqu'il faut sau\-egarder :le rythme des institutions fonda-
mentales de ladémocratie.Le Pérou n'est pas une petite république
dans laquelle le pou\-oir puisse être à la merci des aventuriers qui
l'attaquent. Pour cesmotifs, des \.ois énergiquh, descondamnations
pour les rebelles doiveiit partir de tous les coins. Eu ce moment,
nous exprimons la nôtre d'une façon franche, catégorique et sans
ambages. ii
Et plus loin on ajoute :
ccCe journal. fondé pour servir la démocratie, condamne le
mouvement et exprime sa ferme volonté de défendre le régime
légalement établi. 1,
J'en ai fini avec ces citations. Je ne m'arrêteraipas i la lecture des
autres numérosde La Tribuna,afin de ne pas abuser de la bienveillance
de la Cour. Je signale tout simplement que l'édition extraordinaire du
6 juillet comporte, outre des informationsen première page, un éditorial
à la page 3intitulé:ciUne honte pour lepays »,dont la tendancecontraire
à la révolution est manifeste ; que l'éditionordiriaire du 6 reproduit le
mêmeéditorial et continue à publier des informations favorables au
gouvernement constitutionnel ;que l'éditiondu 7sur le mêmesujet suit
la mêmetendance ;que le numérodu g publie, encore pour censurer la PLAIDOIRIE DE 11. VASQUE2 (COLO\IBIE) - 27 IX jO 43
révolution, uniIlanifeste àla Xation 1signépar les députésàla Chambre
du Pérou affiliés auparti dM. Victor Raiil Haya de la Torre ; enfin, que
le dernier numéro formule des critiques à l'égarddes journaux de Lima
n'ayant pas pris partà la défensedu régimeconstitutionnel.
11était donc dans la ligne de coiiduite de ce chef politique de s'abstenir
lors d'un autremouvement séditieux. C'était logique. A tel point que la
révolution manquée du 3 octobre, cette absurde mutinerie de la flotte
mouillée dans la rade du Callao, n'est explicable que par l'absence d'un
cerveau directeur. C'est donc en réalité,et c'est ma conviction person-
nelle, une révolution sans chef qui a éclat6 au Callao. La révolution ?
Elle est un état-major en mouvement. Croyez-moi, M. Victor Raid Haya
de la Torre est trop intelligent et trop averti des choses de la politique,
lui qui a consacré sa vie à l'étude des mouvements populaires, pour
avoir conduit cette caricature de révolution.
Voilà pourquoi il n'a jamais étédit, dans les documents officiels du
Gouvernement du Pérou, pourquoi et de quelle manière AI.Victor Raul
Haya de la Torre a, lui, personnellement, pris part à la révolution du
3 octobre.
Les documents soumis Dar le Gouvernement du Pérou à la Cour ont
toujours, sur ce point, gaÎdé le silence.
La Cour appréciera.
Le PKÉSIDENT : Je voudrais poser une question à $1. l'Agent du
Gouvernement de la Colombie. Il vient d'ètre donnélecture de quelques
déclarations ou articles publiés dans la presse du Pérou. Les textes dont
il s'agit ont-ils étéproduits dans la procédure écrite
hl. YEPES: C~S documents, ces coupures de journaux sont à la disposi-
tion de la Cour. Xous ne les avons pas présentés commeune preuve de
faits, mais simplement pour l'information de la Cour.
Le PRÉSIDENT : Si je comprends bien la réponse de If. l'Agent du
Gouvernement de la Colombie, ces documents n'on pas étéinclus dans
les pièces de la procédure écrite. Je dois lui rappeler à cet égard que,
selon l'article4S du Règlement, en principe, les documents invoqués
doivent l'être pendant la procédure écrite. J'espère qu'à l'avenir il ne
sera pas invoqué en plaidoirie de documents qui n'aient étépréalable-
ment déposésou, comme la Cour a la faculté d'accepter ou de ne pas
accepter le dépôt de documents après la clôture de la procédure écrite,
avant que la Cour iie se soit prononcée sur la recevabilité de ces docu-
ments nouveaux.
[Sdilnce @iibliqzc(lu27 septembuergjo, matilz]
1Ionsieur le Président, hlessieurs de la Cour,
Hier j'ai fourni des indications détailléesà la Cour sur des événe-
ments et dvs situations des hommes et des choses de la politique du
Pérou et elles m'ont permis de lui signaler que, dans les documents
officiels présentéspar le Gouvernement du Pérou, pendant la période
de la procédure écrite, il n'y a pas de preuves sur la participation de
hi.Victor Raiil Hayû de la Torre dans la révolution du 3 octobre 194%
Il y a certes dans les documents avec lesquels on prétend nous accabler,
des afiirmations dont l'origine se trouve dans la lettre que le ministrede l'Intérieur et de la Police a adressée à son collègue de Ia Marine et
dont le texte est inséréà la Daee 128' du Contre-Mémoire du Gouverne-
ment péruvien. Cette preuvé dz l'intervention du pouvoir politique dans
une affaire judiciaire me paraEt irréfutable. On ne Dourra sans doute
contester qie cette lettre eut des conséquences puisiue l'annexe 42 du
Contre-hlémoire péruvien nous donne, avec l'autorité qu'il faut attacher
à ce document, une sériede référencesd'où l'on dégagecette conclusion
très précise et très claire que le juge chargé de l'instruction contre
M. Victor Raul Haya de la Torre avait sur son bureau une liste, la liste
établie par le ministre de l'Intérieur et de la Police.
La lettre MM. 16j du ministre de l'Intérieur et de la Police eut en tout
cas des effets. Elle porte la date du j octobre 1948 et, si l'on examine
les documents de l'annexe 42 du Contre-Mémoire, page 14oZ,on voit
que le même jour elle produisit ce résultat que M. Victor Raiil Haya
de la Torre avait un juge d'instruction contre lui ; le g octobre, l'action
publique était en mouvement ; le IO, l'instruction était ouverte ; le II,
le séquestre de ses biens était déclaré.La lettre eut donc des effets
redoutables et décisifs. Elle modifia complètement les données de
l'instruction jusqu'alors poursuivie ilz rem autour des circonstances
du 3 octobre et depuis ce moment conduite ad hominem, c'est-à-dire
avec l'intention très précise d'atteindre et de punir un chef politique
déterminé,un parti, un homme. Ceci est d'une évidence telle qu'il est
à peine besoin d'insister sur les pièces présentéesaux annexes 41 et 42,
pages 137~ et suivantes, du Contre-Mémoire péruvien.
II nous serait facile de nous étendre sur ce sujet capital. Il nous
serait possible de donner à la Cour des références de la législation
péruvienne pour lui montrer les étapes nomales de l'instruction et
du procès. Mais il nous suffira de lui dire qu'il est, de toute évidence,
anomal, à notre avis, que le juge d'instruction, dans un procès criminel,
soit tenu de diriger ses recherches contre une seule personne parce
que le procès nqminatif, dans l'étape de l'instruction, enlève au juge
la faculté de l'étendre à d'autres qu'il peut soupçonner d'avoir commis
l'infractioii. Voilà donc M. Victor Raul Haya de la Torre placé dans
la situation d'un coupable avant mêmel'ouverture du procès.
Cette constatation - car ce n'est qu'une cqnstatation - pourrait
nous suffire à démontrer la nécessitéet l'urgence de l'asile de M. Victor
Rad1 Haya de la Torre à l'ambassade de Colombie à Lima. Le Contre-
Mémoire péruvien, pour avoir voulu être trop habile, a détruit la
conclusion formuléedansla procédure avec les documents des pages 140
et 141 dont il sera difficile pour notre adversaire de contester la valeur.
Ce n'est pas la qualification de l'ambassadeur qui aurait été «hâtive »
et ainjustifiée i,mais plutôt la procédure suivie à l'égard du réfugié.
Pour accepter cette conclusion de la page ~7~ du Contre-Mémoire, il
faudra oublier les documents des pages 137~ et suivantes du même
document. La conclusion de la procédure, d'une part, et la façon dont
la justice a étédirigée par le pouvoir politique, d'autre part, sont deux
choses incompatibles. Le Contre-Mémoire du Gouvernement du Pérou
présente donc cet avantage pour nous qu'il .se détruit de lui-même.
Mais si l'on veut encore des preuves sur l'urgence et la nécessité
de l'asile de M. Victor Raul Haya de la Torre et sur le point de savoir
si la justice péruvienne a eu des visées politiques à son égard, nous
'Voir vol. 1. p. 243.
n Pi 8, >i 245.
n 1 31,i 242.
n 2, pp. 245 et246.
,I D U, p. 163. PLAIDOIRIE DE M. VASQUE2 (COLOIIIBIE) - 27 IX 50 45
avons l'histoire de la révolution du 27 octobre 1948 C'est la Troisième
Révolution. Elle eut lieu comme toutes les autres, selon le modèle
classique de l'arméequi se met en mouvement contre le pouvoir établi.
II n'y a donc pas lieu de s'attarder dans des détails, mais de fixer ses
résultats: c'est le remplacement du régime constitutionnel par un
autre dont fer+,partie le lieutenant-colonel Llosa.
Or, le détaila'son importance pour apprécier les mesures que la« Junte
militaire de gouvernement »-c'est son titre officiel-, instituéeofficielle-
ment le 2 novembre 1948, adopta le jour de la constitution du nouveau
ministère. Le premier de ces faits historiques fut la suspension définitive
des procès pour rébellionmilitaire engagéspar le régime constitutionnel
contre les fauteurs et complices de la révolution de Juliaca du 5 juillet
1948. Le second des faits historiques avait trait à la mise hors la loi du
parti dont M. Victor Raul Haya de la Torre est le chef. Mais, savez-vous
quelle fut la cause de cette décision radicale ? C'est d'êtreresté à l'écart
de cette révolution militaire. Je n'irai pas jusqu'à dire que les auteurs
de cette révolution triomphante du 27 octobre 1948 n'avaient pas le droit
de suspendre eux-mêmes les instructions judiciaires qui avaient ét4
auvertes contre eux comme suite à l'échauffouréemilitaire du 5 juillet
1948 Je ne voudrais pas non plus qualifier le fait historique d'un ministre
qui, par un décret-loi, devait suspendre lui-même sou procès. Je ne
conteste pas la légalitéde cette procédure employéedans la République
du Pérou.
Dans notre cas, il importe de souligner le contraste : la révolution du
27 octobre 1948 trouva le réfugiédans la situation bien précaire d'un
homme poursuivi, traqué par la police ; qui voit son parti politique
dissous et le journal du parti, cet instrument nécessaire de tout chef
politique, fermé; il a tous ses biens mis sous séquestre, des perquisitions
sont faites à son domicile. Il est, en outre,l'objet d'une inculpation plutôt
d'ordre gouvernemental que judiciaire pour délit de rébellion militaire,
ainqi que d'un mandat de comparution délivrépar le juge d'instruction
suppléant de la hlarine, Rlorarite.
Vous noterez, Messieurs, par la lecture des annexes 41et 42 du Contre-
Mémoire péruvien l'exactitude de tous ces détails. Ainsi, la situation
juridique de M. Victor Raiil Haya de la Torre est la suivante : il est
l'objet d'un mandat de comparution de lapart du juge d'instruction pour
dél;tde rébellionmilitaire. Ce mandat est pour ainsi dire confirmépar un
décret-loisur la base de la non-intervention de. Victor Raul Haya de la
Torre devant un autre mouvement séditieux, de sorte que, tout en étant
accusé par le juge du délit de rébellion militaire, il l'est aussi par le
gouvernement pour n'avoir pas soutenu une révolution armée.
Je sais que la logique n'a rienà voir avec cet incident, mais avouons
qu'il est pour le moins d'une ironie mordante. Comme dans la comédie
classique, le prévenu est à la fois accusé de faire et de ne pas faire le
mêmeacte, de consentir et d'éviter un délitde rébellionmilitaire.
La question de la responsabilité de M. Victor Raul Haya de la Torre
dans la révolution du 3 octobre 1948 ne doit pas êtresi claire, si bien
définie et si catégorique, puisqu'il a étéjusqu'ici impossible à nos
adversaires de nous dire comment lui, Haya de la Torre, a dirigé les
opérations de la flotte du Callao. Nous ne savons pas s'il était ou non
eu rade du Callao en ce jour et à cette heure. Et je ne doute pas que
si le Gouvernement du Pérou avait cette preuve il vous l'aurait déjàapportée.Il y a quel ue chose qu'il faut apporter à un tribunal de justice
quand on fait une ahmation : c'est la preuve.
J'en conviens. les pièces de procédure qui figurent à l'annexe 42
du Contre-Mémoirepéruvien, pages 140et 141 1comportent l'inculpation,
pour II. Victor Raiil Haya de la Torre, du délit de rébellion militaire.
Mais si cette inculpation existe - et c'est le point capital que j'ai voulu
démontrer à la Cour - c'est parce que le pouvoir politiqiie en a pris
l'initiative et a transmis des ordres afin que la liste dont j'ai parlétout à
l'heure ne reste pas sans effet.
Je ne m'attarderai plus à considérer qu'il n'ya pas de preuve quant
à la participation de RI.Haya de la Torre dans la révolutiondu 3 octobre
194s. Il me sera permis de souligner que la lettre du j octobre 1q4S.la
suite qui lui a étédonnéepar le ministre de la Marine, ainsi qu'il ressort
(le l'annexe 41 du Contre-Mémoire péruvien, et les effets immédiats
qu'el!e produisit constituent des preuves de l'intervention du pouvoir
politique dans une affaire judiciaire.
Faut-il démontrer davantage pour établir le caractère politique des
mesures dont AI. Victor Rad Haya de la Torre fut l'objet ? Je n'insiste
plus sur le caractère de cette procédure,
Ce qu'il me faut examiner sans délai,c'est la qualité, du point de vue
moral, du délit de rébellionmilitaire imputé au réfugié,puisque le délit,
avant d'êtreune transgression de la loi positive, l'est tout d'abord de la
morale connue et observéedans une sociétéd ,onnée.Le délit,ce choc de
la volontéd'un homme contre des lois de l'Etat, est plus ou moins grave,
plus ou moins explicable et peut offrir des caractères de férocité plusou
moins répulsifsselon le milieu social ou il s'exécute.En effet, l'étudedu
milieu est une des préoccupationsde la sciencecriminelle. L'Ecolepositive
italienne en a fait un motif de g-oire et vous savez combien. au.ou,d'hui.
leshiinimesdesciencc, socio1i)giirs.~~liilosopliesj,uriscoiisiiltcs.s'attachcnt
i déterminer ln ~.;iiisesprofoiides rlésr.111porrssoci;iiis; coinbien, dniis
toute enouite criniinclle, (1c0tC (les faits <luifrai>peiitIcs \.eiixil1.a Ic
milieu so'cialqu'un examen plus attentif j>emei .seul d'apprécier.'
Aussi, le délit de rébellion militaire ne doit-il pas êtreconsidéré
seulement en lui-même, maisen relation avec un milieu social donné.
Dans notre cas, l'examen des faits nous a pemis de saisir le phénomène
de la fréquence des révolutions dans la République du Pérou, si bien
qu'il y en a trois qui se succèdent l'une après l'autre. Le lieutenant-
colonel Alfonso 1.losa est l'auteur reconnu de la première ;le capitaine
de frégateEnrique Aguila Pardo est l'auteur malheureux de la seconde ;
S. Bxc. le général Odria aétél'auteurvictorieux de la troisième. M. Vic-
tor Raul Haya de la Torre, sans avoir pris part à aucune de ces
révolutions, est néanmoins accusédu délit de rébellionmilitaire. C'est
bien. Yais avouez, Messieurs de la Cour, que, à supposer qu'il aurait
exécutéun acte quelconque avec les marins de la flotte mutinés en rade
du Callao, il n'aurait pas étéle seul à avoir commis ce délit.Je propose
donc à M. l':\gent du Gouvernement du Pérou de choisir devant ce
dilenime : ou bien les trois chefs qui ont pris part, effectivement pris
part, àces trois révolutions,sont coupables du délitde rébellion militaire,
et dans ce cas M. Victor Rad Hava de la Torre ne serait pas le seul
coup:<ble, uu bien il 1. ~iir:iit zii dciis coup3bles et iui li~iiiinc saiis
rcsl~)rts:ibilitC.cr d;iiis ce il!,aurait i!cii.vcritero.:Ic prcmivr piir IV
chef d iiiir;\.olittir>iitrit,inr~li:iIcscc.>ii<l oii: I'tiuinniz;ictiicllriiici.t
réfugie à notre ambassade. '
' Voir vol. 1.pp. 245 et z46. PLAIDOlRlE DE JI. lrASQLTEZ (COLO>IBIE ) 27 1X 50 47
>lais si tout cela n'était pas encore suffisant pour établir les raisons
d'urgence et la nécessité de l'asile deAI. Victor RaUl Haya de la Torre
à l'ambassade de Colombie à Lima, il y a le décretsur la peine capitale
pour les responsables des ré\-olutionspolitiques. Vous savez qu'en vertu
d'un autre décret-loi du 4 novembre 19@, dont nous avons donné le
teste dans I'aniiese 2 de la Réplique et qui a étépubliédans le journal
officieldela Républiquedu Pérou du5 noi.embre ~gqS,une Cour martiale
a été instituéepour juger sommairement et appliquer une échellede
veines allaiit iusiu'à la Gort aus auteurs. cornnli$s et autres resoonsables
des délits dé rLbelliou militaire, sédition Ou mutinerie. &fin, vous
connaissez l'écoiiomiede ce décret-loi.La Rédiaue colombienne \,eusen
a fourni le teste (annexe 2,p.82'). Édictépa;un'gouvernemeiit qui a pris
le pouvoir par les armes, il est piquant de lire, parmi les considérants
qui le précédent,ceux qui cherchent à éliminer l'emploide la force en
tant que moyen d'occuper le pouvoir. C'est du droit ,constitutionnel
orthodoxe.
Voici le teste du décret-loi no 4 :
La Junte militaire de gouvernement, considérant :
Qu'ilest UIIdevoir primordial du gouvernement qui s'est constitué
d'assurer l'ordre public et de défendreles institutions démocratiques
du pays ;
Qu'il est nécessairedans ce but que les délitsqui portent atteinte
à ces objectifssoient jugésdans un court délaiet punis avec sévérité
immédiatement, de façon à ce que la peine ait sa plus grande
efficacité;
En esercice des pouvoirs qui lui sont conférés,édictele décret-loi
qui suit :....u
Vient alors mie séried'articles dont je me permettrai de vous donner
le résumé :
Les auteurs et complices des délitsde rébellion, séditionou émeute,
seront jugéssommairement par des Cours martiales vingt-quatre heures
aprés l'exécution du délit (articles I et 2);
Le Gouvernement désignera lesmembres de la Cour martiale ainsi
que le juge, qui devra terminer son instruction dans les trois jours
(article 5):
Le ministere public adressera son réquisitoire dans les six jours
(article6) et la Cour martiale décidera à sa discrétion (article 7) si elle
acceptera un ou plusieurs défenseurs nomméspar les accusésou si elle
les désignera elle-même (mémaerticle).
Enfin, pour couronner ce calvaire, le neuvieme jour de la procédure,
la Cour, en vue de punir les délits qu'elle est appelée à juger, pourra
appliquer la peine de mort (article S) ;
Et (article IO) contre la sentence qui applique la peine capitale,
l'appel à une autre juridiction est interdit.
Vous vous apercevez, Messieurs de la Cour, que nous sommes en
face d'une mesure bien calculée pour effrayer l'opposition. C'est un
peu du Grand-Guignol juridique. Avouez cependant qu'il était de
nature à effrayer l'homme le plus sûr de son tempérament et à justifier
le refuge dans une ambassade.
' Voir vol. 1,p. 395 La seule objection que AI. l'Agent du Gouvernement du Pérou nous
ait présentée contreles affinnations de la République de Colombie à
ce süjet, c'est celle qui est contenue au deusièhe alinéade la page 37'
de la Duplique, lorsqu'il nous paraît regarder froidement le décret-
loi et ses conséquences pour nous dire - je reprends les termes de la
Duplique: aet personne au Pérou n'aurait jamais songé à l'iitiliser
pour juger le cas auquel la défense colombienne fait maladroitement
allusion, puisque le principe selon lequel les lois n'ont pas d'effets
rétroactifs. siirtout en matière ~énale. v est lareement reconnu. »
(Duplique, p. 371.) . , ~~ -~~" ~ ~
Ainsi, le décret-loi du 4 novembre 1948 n'aurait pas étéapplicable
à notre réfugié.On lui dit cela maintenant. Est-ce au'il le savait
lorsque, recherché par la police, avant le 3 janvier 1~~9,il devait se
mettre en siireté n'importe où et n'importe comment ? Est-ce qu'on
a dit à M. Victor Raul Haya de la Torre qu'il n'avait qu'h rester dans
la tranquillité de son foyer parce que le décret-loi ne lui était pas
destiné ? Oui ou non ce décret-loi fut-il publié pourchâtier les coupables ?
Et quant aux scrupules juridiques de la Junte militaire de gou\~ernement,
quant à son respect pour la non-rétroactivité des lois, peut-on vraiment
les considérer comme des arguments sérieux après l'autre mesure
historique sur l'annulation rétroactive des procès ?
Je crois que maintenant l'occasion m'est fournie de vous dire que
ce n'étaient pas précisémentles auteurs du Code civil français de 1804
qui tenaient les rênes du pouvoir au Pérou en 1948 : c'étaient des
membres d'une junte militaire révolutionnaire dont faisaient partie de
distingués spécialistes de la rétroactivité des lois.
II me semble qu'il ne reste pas grand-chose de cette considératioii
hasardeuse que contient la Duplique à la page 36* :
«En aucuncasl'action de lajustice nesaurait constituerunemenace
ni contre la vie ni contre l'intégrité physiqued'une personne, et
bien moins encore pourrait-elle constituer un danger pouvant
justifier l'intervention d'un diplomate et le jeu des immunités dont
bénéficiel'hôtel de son ambassade. n
Je suis porté à penser que mon analyse des faits a déjà détruit cette
affirmation de la Duplique :
uSur ce point, la Réplique colombienne revét une importance
extraordinaire pour la défense péruvienne. Elle n'affirme pas, et
elle nesaurait le faire sans aller contre la réalitédes faits, que Haya
de la Torre s'est présenté à l'ambassade de Colombie à Lima alors
qu'il étaitpoursui\ri ou menacépar desgroupes populaires déchaînés,
ce qui aurait ustifiél'asile pour le sauver d'un danger immédiat.
De la sorte, le houvernement de la Colombiea reconnu l'affirmation
du Gouvernement du Pérou, en ce sens que l'asile fut accordésans
l'existence des circoirstances de tolérancehumailitaire, de danger et
d'urgence esigCes par ladite Convention de 1928. »
Cela n'est qu'une supposition. A vrai dire, lei auteurs de la Duplique
ont crééune objection pour avoir le plaisir bien naturel de la rejeter
eux-mêmes.Jamais la thèse colombiennen'a été appuyée sur unesuppo-
sition pareille, puisque c'est une simple supposition de nous attribuer
que hl.Victor Kahl Haya de la Torre aurait été potrrstriviozrmeilacépar
des grorrpespopz~lairesdéchni~~ » Duplique,p.36?. Il ne fautpas étreun
' Voir \ml. 1.p. 431.
' D 8 .,. 430. expert en sociologie pour apprécier que le danger pour ce chef populaire
ne venait pas desgroupespopulaires déchaînés; le danger, c'étaitcet état
d'incertitude quant à la notion du droit en vigueur, cet état d'esprit
vindicatif deshommes au pouvoir, cette facilitéavec 1aquelleleGouveme-
ment a pu donner des ordres à un juge, cette période où il y avait des
fissures dans la légalité.
XII
J'arrive maintenant à un point qui touche de beaucoup plus près à la
nature de ce procès. Xous avons en effet à nous demander, après la
question de l'urgence et de la nécessitédu refuge, si le réfugiAI. Victor
Raul Haya de la Torre était le 3 janvier 1949 un * acczcsén ou un
acondamné » pour un délit de droit commun aux fins de l'article premier
de la Convention de La Havane de 1928 sur l'asile, et dont le texte est
le suivant :
a Article $rentier: II n'est pas permis aux États de donner asile
dans les légations. navires de euerre. camnements ou aéronefs
militaires, Lx pe'rsonnes accu2es ou conhamnées pour délits
commuris, ni aux déserteurs de terre ou de mer.
Les versonnes accusées ou condamnées Dour délits communs aui
se réfigient dans l'un des endroits signalés dans le pragra;he
précédentdevront êtreremises aussitbt que l'exigera le gouverne-
-
ment local.
Si les susdites personnes se réfugient sur le territoire étranger,
leirr remise sera faite par voie d'extradition, et seulement dans les
cas et dans la forme éiablis Dar les traités et conventions resvectifs
ou par la constitution et leilois du pays de refuge. »
Le Gouvernement colombien a toujours soutenu, aussi bien dans la
correspondance diplomatique échangbe entre son ambassadeur à Lima
et le ministre des Relations extérieures du Pérou, que dans les documents
soumis à la Cour pendant la procédure écrite, que M. Victor Raul Haya
de la Torre était simplement l'objet d'une «citation», c'est le terme
exact employé dans la premikre note péruvienne du 22 février 1949
(Contre-Mémoire,p. 149') e, que, par conséquent, le stade de cette procé-
dure ne pouvait pas constituer 1'«accusation iiou la condam?zation a
auxtluelles se rapporte l'article premier de cet instrument. Voilà claire-
ment résuméenotre thèse.
Ici, il nous fautr,ettre en relief certaines notions fondamentales.
La premikre, c'est que les auteurs de la Convention de La Havane ont
envisagé des situations j~iridiques très précises et très nettes. 11n'y a
aucuri doute, comme le veut une règle universelle d'intervrétation
juridique, que les termes techniques dani les conventions internationales
doiveiit Etre pris dans leur sens exact, et il me serait facile de m'appuyer,
Ih-dessus, sur la iuris~riidence de la Cour Permanente de Tustice SteÏna-
tioriale, votre Illust're devancière. huisi les termes" uaccusé ii ou
« condamné 1,que l'on trouve dans l'article premier de la Convention
de La Havane iie sont pas des expressions plus ou moins vagues ; ce sont
l'une et l'autre des situations iuridiaues~arfaitement déterminéesdans
uri procès criminel. A .
Les auteurs de la Coiireiition de 1.a Havane ont voulu, en somme, que
les versoniiesavant droità l'asile ne soient vas l'obiet d'unaccusation ii PLAIDOIRIE DE 21. V-GQUEZ (COLO~IBIE) - 27 1':50
50
ou d'une cicondamnation >d,e la part d'un tribunal compétent pour un
délitde droit commun. Les auteurs de la Convention de La Havane ont
prévu qu'il pourrait y avoir des actes judiciaires faisant partie de
u I'instmction préparatoire n,préalable à « l'accusation »dans le procès
criminel, et ils'ont pas dit ccompris », «inclusu dansun procès; ils ont,
à dessein, employéles mots iaccusation », «condamnation ».Pourquoi ?
Parce que ces simples mandats de comparutioii pour se présenter au
cabinet d'un juge d'instruction, ces simples iicitations o, comme
l'exprime la note péruvienne à l'égard du réfugié,tout honnête homme
peut les recevoir.
La seconde de ces idées fondamentales avant trait à l'interorétation
de l'article premier de la Convention deLa ~ivane, c'est que la ;égularité
des situations juridiques comportant une « accusation uou une ocondam-
nation » doit être prouvée. '
L'idée d'expiation en droit criminel, c'est-à-dire tout le régime des
délitset des peines, est intimement liéeà un système très précisd'organi-
sation judiciaire de compétence et de division du procès en étapes
successi\res, afin que la situation du prévenu soit l'objet d'une revision
constante depuis les premiers actes de l'instruction jusqu'i la sentence.
Ce système peut varier avec les pays.
Mais si l'on admet le principe de la légalitédes délits et des peines,
il faut admettre le priricipe correspondant de la régularitédes formes du
procès.
Il est vrai que, dans certains pays, on a tendance à rompre cet
équilibre par l'adoption de mesures de sûreté correspondant à la
« pericolositasocialeadont parlait le maître italien Enrico I'erri (Principi
di Dirilto criminale). Nous avons connu dans cet ordre d'idée le code
pénal italien promulguépar l'Italie fasciste, lequel comportait le principe
qu'un homme pouvait êtredélinquant par tendance sans qu'il y ait
infraction à la loi pénale. Tout de même. onn'est pas encore arrivé à
combiner cette notion nouvelle de mesures de sûreté avec la liberté
individuellefondéesur la légalitédes délitset des peines et la régularité
des formes du procès.
Entre ces deux principes la liaison est donc inséparable. Si cet équilibre
disparaît, si l'on supprime l'échelledes peines pour la laissàrl'arbitraire
du juge, ou si l'on permet que la proccdure pénale puisse s'écarter du
régimestrict de la compétence du juge naturel, on arrivera certes à
l'institution de la justice politique. Et voilà où nous en sommes dans ce
nrnrds
Penser que cil'accusation» dont parle l'article premier de la Convention
de La Havane peut tout aussi bien se référer à l'accusation d'un ministre
qu'à celle d'un juge, c'est confondre les pouvoirs d'un magistrat avec
ceux d'un agent de police. Heureusement, pour ce qui est du droit inter-
national américain, nous n'en sommes pas encore là. Alaisle Gouverne-
ment du Pérouvoudrait prendre une accusation matérielle, faitepar lui,
et qui au point de vue juridique n'est tout au plus qu'une dénonciation,
pour exclure le réfugiédubénéfice de l'asile. C'est lààn'en pas douter,
une situation que lesauteursde la Convention deLaHavane, en rédigeant
l'article dont je vous ai donné lecture,n'avaient pas prévue.Leur pensée,
c'étaitbien autre chose que de donner entité à des accusations gouver-
nementales contre un chef politique. La Convention de La Havane vise
<il'accusation rau sens technique du mot dans un procès. Par contre, nous sommes en droit de signaler à la Cour le fait irrégulier
dont M. Victor Rad Haya de la Torre fut l'objet : l'intervention du
ministre de l'Intérieur et de la Police dans une instruction iudiciaire.
cette K dénonciation » que la Duplique considère commeétant <;légitimée
par l'autorité de la loi II(p. 309, alors qu'elle est en opposition avec
l'article463 du Code de justice militaire, et qui détermina l'ouverture
d'un procès criminelpour le délitde rébellionmilitaire et donna lieu à des
sanctions d'ordre civil de la part du juge d'instmction de la Marine.
II me faut dire encore, pour l'application du texte de l'article premier
de la Convention de La Havane dans le présent cas, que M. Victor Kadl
Haya de la Torre n'a jamais étél'objet que des mesures préliminaires de
l'instruction, qui n'ont pas abouti au premier interrogatoire et moins
encore à une caccusation D au sens de ce mêmearticle. M. Victor Raul
Haya de la Torre, xaccusé 1)par le Gouvernement du Pérou, ne l'a pas
étépar la justice de ce pays, ni pour ce quiest de la irébellionmilitaire ii,
qui est un délitessentiellement politique, ni pour cause de délitde droit
commun.
Le Contre-Mémoirelui-même nous offrecestroisvéritésfondamentales :
I" L'accusation dont parle leContre-iWémoire est d'origine gouverne-
mentaleet ne constituepas un actedu procès:
«L'accusation- dit le texte du Contre-Mémoire à la pageq8'-
portée par le ministère de l'Intérieur, en date du 3 octobre, précise
les différentes responsabilités qui pèsent sur lui [le réfugié]et
demande qu'il soit jugé conformément à l'article roo du Code
pénal. ii
Voilà l'équivoque :on prend une accusation gouvernementale comme
l'accusation iudiciaire à laauelle fait allusion l'article uremier de la
Convention de La Ha\ane.
2' L'e~zquétjeudiciaire oirvertecontre M. 17ictor Raril Hayn de la
Torre n'avait pas abouti le 3 janvier 1949 n des conclusions jirdiciaires
d'arrczcnesorte ence qui concernela commissro~ipar leréftrgié d'zozdélit
commun :
« Sila responsabilité-dit le texte ducontre-b1émoire à lapageqgS
- pourinstigation ou pour commissiondeces délitsde droit commun
n'a pas étédéfinitivement établiedans le cas de Haya de la Torre,
cela est dû au fait que celui-ci a étésoustrait à l'action de la justice
péruvienne, du fait de l'asilequelui a.accordéla Colombie. ,,
3' C'est le Gorrvernementdu Pérotcel non pas la justice q~cia impztté
nzrréfugié desdélitsde droit commrcn :
icLe Gouvernement du Pérou - dit-on à la page 5x4 du Contre-
Mémoire - n'a jamais cesséde soutenir que, dans le procès de
rébellion, il a aussi accusé ccl'asilu des délits communs préparés
et accomplis en mêmetemps que la rébellionet que ce procès, pour
êtrecomplet, doit aller jusqu'au jugement. »
' Voir vol.1, p.433.
D I '. n '54.
a ", 155.
4 ,, '. 157. J'ai réjervépour la fin de cette analyse des faits la question des
attaques personnelles dont hl. Victor Raiil Haya de la Torre a étvictime
dans les documents présentéspar le Gouvernement du Pérou.
Al. Victor Raul Haya de laTorre, parcequ'il est chef d'un parti, a subi,
au cours de sa vie, les attaques les plus cruelles de la part de ses ennemis
politiques. Vous me direz que ceci est le sort habituel des hommes
politiques, et j'en coiiviens. Il ne faut pas s'4toniier que M. Victor Raul
Haya de la Torre ait connu de ce fait de vives polémiques qui sont les
premiers échelonsde la gloire.
Mais quelqu'un s'est montré particuli&rement cruel à son égard :
c'est le Gouvernement du Pérou.Dans les documents qu'il a présentés à
la Cour, surtout dans le Contre-hlémoire, ila glissé desinformations,
rappelédes événementset suggérédes choses qui sont destinés, non pas
à éclaircirl'interprétation du droit international américain,mais à faire
comprendre, sans le dire tout haut, parce qu'on ne peut pas le faire, que
At.Victor Raul Haya de la Torre serait: primo impliquédans des affaires
de trafic de drogues ;secundo coupable de la mort violente de M.Fran-
cisco Grafia Garland ; tertio le chef d'une de ces associations de
malfaiteurs dont on trouve tant d'exemples dans lalittérature policière
contemporaine.
Je ne me crois pas, Monsieur le Président, obligéd'aller jusqu'au fond
de toute cette boue, de toute cette matière obscure avec laquelle on veut
ternir la réputation d'un homme. Je ne le feraipas, parunsentiment de
respect très profond pour la Cour, d'abord, et parce que cela n'a aucun
du Gouvernementavec lecolombien. Je dois cependant fournir quelquesuête
éclaircissements à la Cour puisque hl.Victor Rafil Haya de la Torre,
attaqué, n'aura pas l'occasion de se défendre.Ce sera aussi l'occasion de
montrer pourquoi nous considéronsaue tous cesfaits. dont vous trouverez
les détaifsex&ts à la page 561du C'ontre-hlémoirepéruvien,n'ont aucun
rapport avec la matière de l'interprétation unilatérale en droit inter-
national américain.
De quoi s'agit-il dans le cas dont il est questàola page 58' ducontre-
Alémoirepémvien ? D'une histoire un peu rocambolesque de trafic de
stupéfiants dans laquelle le réfugiéserait impliqué. Je vous prie d'en
suivre les détails. On pourrait la résumer ainsi :quatre personnes inter-
viennent dans cette histoire :Eduardo Balarezo, un marin de I'Ante7ican
Exporl Lines, sa femme Carmen, dont le nom correspond tr&sbien à une
affaire de contrebande, Edmundo et l'ictor Raul Haya de la Torre. Le
Gouvernement péruvien a voulu prouver plusieurs choses :hl. Balarezo,
accusé aux Etats-Unis de se livrer au trafic de stu~éfiants, au mois
d'octobre 1949, a étésoi-disant en rapport avec les frères Haya de la
Torre et surtout avec Victor lorsque celui-ci aurait fait un voyage aux
États-Unis à bord d'un navire de guerre péruvien. RI.Victor Ra61 Haya
de la Torre fut, parait-il, l'objet de réceptions somptueuseschez le marin.
qui devait étre de la sorte un marin milliardaire. Lorsque le navire
repart, Il. Victor Kaiil Haya de la Torre s'enva avec trente-huit caisses.
Tout cela est très bien lié, à une condition cependant : que les quatre
personnages se soient rencontrés à New-York. Et voilà le moment où
l'histoire s'évanoui: ces quatre personnages n'ont jamais étéensemble
'Voir vol. 1, p.164. PLAIDOIRIE DE M. VASQUE2 (COLOMBIE) - 27 IX 50 53
en 1948. à New-York. Le Gouvernement du Pérou sait que iious avons
des preuves.
Il v a aussi dans le Contre-Mémoire. à la fin des documents annexés.
les ddtails d'une campagne de presse q"i se déroulaà New-York, au moi;
d'aoùt 1949, par lesquels le Gouvernement du Pérou a cru peut-être
pouvoir vous impressionner. Des copies photographiques des journaux
américain; vous ont étéprésentéesparmi les nombreuses annexes du
Contre-Mémoire. Vous verrez vous-mêmes que ces publications n'ont
mis en cause le réfugiéque par suite de la présence aux Etats-Unis du
chef du département péruvien d'Investigations, le capitaine Alfonso de
Rfier Teran.
IIy a erisuitc le i:r,riiptf:ren~IJ pro0 squi s'cct dirciul; ,le\.an,t In
C:uiiriliidistrict dt, Sc!v.\'<~rrt ~1;iri~Q 111c,1l1. i;:il:irtjtuini~~11~~11~~
puur tr;,t?cII<,tiii>i~i?i.ts:11.\Ïctnr 1Z:ihIllav:~ 12 Torr<.n'a riciii ~ir
avec ce procès. Mais le contre-Mémoire a tenu tout de mêmeà vous
donner cette impression que, peut-être, par la suite il aurait pu y avoir
des conséquences graves, des complicités mieux établies pour M. Victor
Raiil Haya de la Torre dans le trafic des stupéfiants. Or, cela n'est pas vrai.
Ce sont des témoins qui parlent au juge américain d'un certain Victor
Raul Hava de la Torre iusau'au moment où le iuee américain. lui-même.
nement péruvien, page 1221 :irDe telle sorte qu'à partir de maintenant
nous allons complètement éliminer de l'affaire tout ce qui touche à la
révolution péruvienne, imaginaire ou réelle,tout ce qui concerne le Parti
apriste, et tout ce qui se rapporte à la Torre, et en généralsur toute la
situation, parce que je ne vois pas que ces preuves puissenf avoir une
importance quelconque pour le sujet matière principale de ce cas. »
Je me demande, et la Cour le fera certainement avec moi, pourquoi
et dans quel but le Contre-Mémoire fait allusion au lien qui unissait
I'asilé, Haya de la Torre, à Eduardo Baiarezo, accuséaux Etats-Unis
de trafic clandestin de stupéfiants. Est-ce que ce fait a un rapport
quelconque avec le refuge de M. Victor Raul Haya de la Torre à l'am-
bassade de Colombie àLima ?Je ne le crois pas.
Pour ce qui a trait à l'assassinat de M. Francisco Grafia Garland, je
m'étonne encore que le Contre-Mémoire,à la page 54% ,it estimé utile de
signaler à la Cour lac présomption r- car ce n'est qu'une présomption -
qui retomberait sur Victor Raul Haya de la Torre. Encore faut-il dire,
et le Contre-Mémoireoublie de lerappeler, qu'au moment où cet assassinat
se produisit, tous les ministres appartenant au parti de M. Victor Kaul
Haya de la Torre ont démissionné afinde ne pas influencer, sous un
rapport quelconque, le juge chargé de l'enquête,et le détail n'a pas été
rappelé. En tout cas, la mort de cet homme, il ne nous auDartient pas de
lajÙger ; les causes plus ou moins profondes qui ont pu ia*produirin'ont
rien à voir avec ce procès ; le Gouvernement colombien, pour sa part, lie
faitsur ce sujet aucun commentaire.
Que le Gouvernement du Pérou s'adresse aux tribunaux de son pays
pour obtenir justice s'il le désire, nous sommes devant une Cour inter-
nationale de Justice, et, représentant moi-mêmed'un gouvernement
auprès d'elle, je ne me crois pas qualifié pour répondre, au nom de
M.Victor Raul Haya de la Torre, de toutes les fautes plus ou moins réelles
ou imaginaires dont sou Gouvernement voudrait charger ses épaules.
' Voir vol.1, p.227.
a ii ii ., r 160.54 PLAIDOIRIE DE ar.VASQUEZ (COLO~~BIE) - 27 IX jo
Je lie sois ici que pour défendresa qualitéde réfugiépolitique et pour
expliquer les causes qui l'ont conduit à se placer sous la protection du
drapeau colombien.
Je crois l'avoir fait devant la Cour. Je ne me préoccuperai plus des
Iiommes et des choses du Pérou; je tourne cette page et je passe à
l'examen des questions juridiques.
J'aborde donc maintenant, Messieurs, avec votre assentiment, la
partie juridique de ma plaidoirie.
Il faudra avant tout nous entendre et nous mettre d'accord sur une
question de temiiiologie et sur le slatrrsjrrris entre la Colombie et le
Pérou.
A notre avis, il s'agit de I'asile,mais de I'asileinterne, qui s'opposà
les publicistes français La Pradelle et Xiboyet. Je puis même vous Lamas et
donner la référencedu Rébertaireile droit i~rtertmtioiial:tome II.Paris.
19D'aprèsces publicistes - et le nom de M. de La Pradelle me suffirait
-, l'asile, en général, estle<iprivilège qui est accordé à certains lieux
oii édifices deservir de refugeà ceux qui s'y sont rendus pour échapper
aux poursuites qui les menacent ».
Dans cet asile eénéral.il convient d'ailleurs de distineuer deux formes
partisuliéres: l'iryile1111Cr)eU.IC~)rivil;.pede crrt;iiiis iieus tels quc les
arnbass3des. In ~invircsde guerrc n. ct i'asrls rerrrlorral.o« ~>ri\.ili.x~
d'un individu aui s'est réfuei'edans un Davsétraneer Dourne oiux-oir ëu
êtreextradéq;e dans certHns cas ». *. -
Voila quelque chose qui est net.
Le Gouvernement colombien a \-oulu, par sa requete du ~j octobre
1949. viser un certain slalrisjzrris qui nous semble êtreobligatoire pour
les Parties. C'est ce statrrsjziris qu'il faut bien définiret préciser, afinde
ne pas nous égarer dans des discussions inutiles sur des modalités
Iiistoriques ouparticulieres de I'asile.
Je dirai le fond de ma pensée enfaisantcette déclaration, parce que,
h la lecturc du Contre-Mémoire, où l'on\-oit très bien par momeiits du
talent et de l'ingéniositédialectique, on se rend compte que ces pages,
remplies d'arguments sur le rôle de la coutume, sont de nature à donner
l'impression à la Cour qu'il existe un système d'obligations pour la
Colombie et le Pérou, un rapport de droit qui n'est pas le nôtre.
La coutume, certes, a beaucoup d'importance pour le développement
ultérieur de I'asile:elle a étéà l'orieine mêmede cette institution. La
coutume est cette Source inépuisable de la vie juridique qui transmet
lesbesoins réelsauxquels toute institution doit s'adapter. Maislacoutume,
quelle que soit son importaiice pour la théorie du'droit, n'est pas tout
dans ce procès ;elle ne doit figurer qu'après la connaissance de nos
obligations converitiounelles du moment que la litis contestatio s'est
établie entre deus fitats souverains. A notre avis, c'est une méthode
erroiiéed'envisager tout problème de droit soumis à une voie de recours
juridictionnelle comme quelque cliose d'irréel et d'abstrait, alors que
notre tàclie est d'éclairerla conscience de la Cour sur la nature ù'unrapport juridique devant produiredes conséquencespour deux situations
corrélatives, d'une part celle de la Colombie comme Etat accordant
l'asileà M. Victor Raul Haya de la Torre, et d'autre part celle du Pérou
en qualité d'Etat territorial.
Ce système d'obligations pour la Colombie et le Pérou doit être
d'abord connu et précisé. Eii voici son résumé - et je ne fais qiie lire
le paragraphe 16 de la requéte reproduit au paragraphe 13 du Mémoire :
cLes fondements de droit oiit étéprésentésdans la requ6te du
Gouvernement colombien, laquelle se base expressément :
A. - Sur les obligations généraleset spécialesqui découlent
pour lesGouvernements du Pérouet de la Colombiedes instrurneiits
cités ci-après :
na) I'Accord bolivarien sur l'extradition du 18 juillet 1911 :
Cb) la Convention sur l'asile, approuvée et signée à la I'I~ne
Conférenceinternationale am&ricaiuede 1928.
B. - Sur la nature juridique particulière de l'institution
américainede l'asile reconnue par le droit positif américainet par
la pratique des États d'Amérique depuis lesiècledernier.
r C. - En général,sur les normes du droit international positif
et coutumier américain. » »
Chacune de ces sources d'obligations, dont l'ensemble constitue le
stntus juris entre la Colombie et le Pérou,devra êtreappliquéedans le
présent cas.
Est-ce que le (;ouvernement dii Phu :icceptc cesl:rlt<s jt~ou veiit-il
liiiiirer le débatnus obliantions, i';illnisd;,il\:irriclesd21;Coiii,enrion
de La Havane ? -
J'ai un peu l'impression que, si le Gouvernement du Pérou pouvait ,
répondre à cette question par oui ou par non, notre débatserait gtande-
ment avancé. Mais je crains fort, hfessieurs de la Cour, qu'une ri:poiise
dans un sens ou dans l'autre ne soit pas faite dans les termes absolus que
nous désirons.
Du point de vue juridiquc, ce procès présentecette particularité peu
commune que la thèse de l'une des Parties, celle du Gouvernement du
Pérou, a subi des métamorphoses. Elle s'est développée sousla forme
d'une tactique de vagues d'assaut successives au fur et B mesure des
circonstances et de ses possibilités.
On voit très bien, par exemple, quel pouvait étrel'embarras du contre-
amiral Diaz Dulanto, ministre des Relations extérieures du Peau, qui
reçut la notification du 4 janvier 1949sur la présencedu réfugie à notre
ambassade, pour donner une réponse juridique sur la conduite qui allait
êtreobservée parson Gouvernement dans cette conjoncture. Du 41nnvier
1949au 22 févrierde la même annéep ,lus de trente jours sesont écoulés.
Long délai,lfessieurs, mais délainécessairesi l'on pensequ'une nouvelle
théorie sur l'exercice du droit d'asile devait étreconçue et présentéeau
Gouvernement colombien.
Le Gouvernement du Pérou. après la révolution du 3 octobre 1948,
avait fixéson attitudesur le droit d'asile dans le cas de plusieurs gouver-
556 PLAIDOIRIE DE 31. YASQUEZ (COLOMBIE -) 27 IX 50
nements qui avaient esercé le droit' à la qualification unilatérale et
obtenu les garanties nécessairespour la sortie des réfugiésdont nous
avons donnéles noms aux pages 29 et suivantes1 de notre Mémoire :
Manuel Seoane, homme de lettres, mêmeparti que M. Victor Raiil
Haya de la Torre, méme procès pour « rébellionmilitaire » ;réfugié à
I'ambassade du Ilrésil Lima, obtint le sauf-conduit le 12 octobre 1948 ;
Luis Alberto Çanchez, recteur de l'Université de Sari Marcos, même
parti que M. Haya de laTorre, mêmeprocès pour rébellionmilitaire ;
réfugié à l'ambassade du Paraguay à Lima, obtint le sauf-conduit le
14 octobre 1948 ;
Javier l'ulgar Vidal, député la Chambre. mêmeparti que AI.Victor
Raiil Hayn de la Torre, mémeprocès pour rébellionmilitaire; réfugié à
l'ambassade de Colombie, obtint le sauf-conduit le 2 décembre 1946 ;
Andres 'l'o\vsend,journaliste, mêmeparti que RI.Victor Raiil Haya de
la Torre, même procèspour rébellionmilitaire; r&fugié à l'ambassade du
Venezuela, obtint le sauf-conduit le 24 décemhre1948.
D'autres cas vous ont étésignalésdans le Alémoiredu Gouvernement
colombien, paragraphe 40, pages 29 et suivantes l.Ceus que je riens de
citer sont les plus caractéristiques.
Lisez attentivement, Messieurs de la Cour, les deux communiqués
officielsdu Gorivernement du Pérou eii date des 12 et 26 octobre 1948,
dont le teste vous riétéfourni aux pagesqet 282du Mémoirecolombien,
et vous verrez que leur esprit n'était autre que celui d'énoncerd'une
manière autheiltique, on ne peut plus authentique, la doctrine officielle
sur les modalités du droit d'asile interne. Mais fondéesur quoi ?
Permettez-moi de vous lire les paragraphes du communiqué auquel je
viens de faire allusion :
ccL'asile diplomatique, qui n'était, il y a encore quelques années,
qu'une pratique internationale acceptée pleiiieinent par les uns età
titre conditionnel par les autres, a acquisà notre époqueles caracté-
ristiques d'une véritableinstitutiondu droit international américain,
qui se trouve délimitéeet régiepar des normes inscrites dans des
conventions en vigueur ayant force obligatoire pour les pays
participants. 11
Donc, il y avait uiie pratiqueinternationale d'une part et une véritable
institution du droit international américaind'autre »art. Rien n'est nlus
exact.
Je poursuis la lecture de ce communiqué, qui, je le répète,est inséré
aux pages 27 et 28 a du Mémoirecolombien :
iLa législation internationale américaine concernant cette
matihre est inséréedans le Traité sur le droit pénal international
approuvé à Alontevideo en 1889, dans l'Accord de Caracas de 1911,
dans la Coiivention signé à La Havane eii 1926et dans la Conven-
tion sur l'asilepolitique concluà hloiitevideo en 1933.Cesdocuments
ne furent pas souscrits et ratifiés par tous les États participants,
mais ils sont en vigueur pour ceus qui ont procédé à leur signature
et à leur reification. Le Pérou ratifia le Traité sur le droit pénal
international de Montevideo et la Convention de La Havane, .
instruments qui sont pour lui d'une exécution obligatoire. ,,
Voir vol.1. pp. 39 et ss.
u B D. D 37 et38. Je lis un texte officiel de la République du Pérou. C'est pourquoi j'ai
plaisir à citer les trois paragraphes suivants de ce communiqué, dont la
valeur pour la tlièse juridique de la Colombie est capitale.
Le premier se rapporte à l'asile comme prérogative normale d'une
mission diplomatique. Le voici :
pénétrer,mêmeau cas où un accus! ou inculpé de-droit commun
s'y trouverait réfugié,sans avoir obtenu l'autorisation du chef de la
mission respective. En pareil cas, le diplomate est dans l'obligation
de remettre ce réfugiéaux autorités, qu'il ait étéou non demandé
par le ministère des Relations extérieures. >,
Le second extrait est relatif à la faculté d'exiger les garanties néces-
saires pour que le réfugiésorte du pays. C'est là une partie vitale de la
requête colombienne :
CISi l'asile a eu lieu eriraison d'un délitpolitique, le chef demission
qui l'aurait accordé est tenu de donner avis de ce fait au ministère
des Relations extérieures, et il a la faculté d'exiger les garanties
nécessaires pour que le réfugiésorte du pays, l'inviolabilité de sa
personne étant respectée ....II
Retenez bien cette phrase : c....il a la faculté d'exiger les garanties
nicessaires....n.C'est le Gouvernement du Péroiiqui le dit lui-même.Et
il conclut ainsi: n Ce droit du représenlaiztdiplomatiqzce 918pmt étre
méconnu. »
Je vous prie encore, Messieurs de la Cour, de retenir cette phrase :
« Cedroitdu représentnnd t iplomatiqzbe?zepeut êtreméconnu. »
Enfin, le troisième de ces paragraphes concerne le droit à la qualifica-
tion unilatérale et impérative en matière d'asile. Plus tard, dans la
controverse juridique engagée entre les Parties, on pourra supposer, sans
avoir lu ce communiqué, que c'était nous, que c'était la Colombie qui
avait imaginé une théorie nouvelle polir justifier une situation de fait,
alors que la nature du droit dont je parle a étkreconnue d'une façon
explicite, on ne peut plus explicite, par le Gouvernement di1 Pérou
lui-même,dans les ternes que voici et qui figurent dans le communiqué,
page 28' : '
« Conformément aus conventions internationales en vigueur dont
il s'agit- c'est-à-dire celles qui sont citées au début du comniii-
niqué -, il appartient à 1'Etat accordant l'asile de qualifier le fait
qui a donnélieu à celui-ci, soit de décider s'ils'agit d'un délitde droit
commun ou d'un délit politique. Le Pérou, pour sa part, a déjà
soutenu auparavant qu'au cas où un représentant diplomatique ne
livrerait pas un « asilé> ,ar le fait qu'il ne le considère pas comme
un accuséde droit commun, il ne sera procédéà l'octroi de l'estra-
dition qu'une fois que le réfugiéaura quitté le pays et en conformité
des procédures établies par les conventions internationales réglant
la matière. Cette thèse est acceptCe et reconnue par tous les pays
d'Amérique. »
Enfin, pour apaiser cette fois-ci l'opinion intérieure, le communiqué
officiela tenu à exA-iquer -oiirquoi l'asile devait êtrerespectédans le cas
Voir vol.1. p. 38.58 PLAIDOIRIE DE M. VASQUE2 (COLOMBIE) - 27 IX 50
des réfugiésaffiliés auparti de M. Victor Raul Haya de la Torre et cités
comme lui dans le mêmeprocès pour rébellionmilitaire. C'est le dernier
alinéa du communiqué, figurant à la page 2g ' du Mémoirecolombien :
« ...le Gouveriiement, sans perdre de vue la nécessitéde veiller à
ce que les instigateurs de la rébellion militaire du 3 courant ne
demeurent pas impunis, a réglésa conduite sur les conveiitions en
vieueur ci-haut ~ ~ ~~~nées. II a de la sorte res~ecté la narole
~.2
engagéedans celles-ci, tout en faisant réserveexpresse de soi droit
de demander l'extradition en vertu des préro-atives de la iuridiction
nationale. »
Vous voyez bien qu'il y avait une doctrine officielledans la République
du Pérou sur l'asile américain ; que cette doctrine fut publiée dan! le
journal officiel qui publie les actes de ce Gouvernement :que !a doctriiie
couvre tous les aspects de cette institution, v compris ceux de la sortie
des réfugiis et cet autre de la qualification unilatérale et impérative par
1'Etat accordant l'asile. Vous vous apercevez maintenant du changement
radical d'opinion des auteiirs de cette doctrine lorsqii'ils ont dû, par
suite de circonstances politiques que j'ai exposées à la Cour, tout effacer
de leurs idées jurid?ques pour créer une doctrine nouvelle, applicable
cette fois à M. Victor Rahl Haya de la Torre.
C'est ainsi qu'il faut lire la note du 22 février 1949 adressée par le
ministre des Relations extérieures du Pérouà l'ambassadeur de Colombie
à Lima et dont le texte se trouve aussi bien dans le Mémoirecolombien
que dans le Contre-Mémoirepéruvien :
cLa qualification du réfugiécomme délinquant politique ou
délinauant de droit commun est matière par elle-mêmetrès crave,
et coistitue le point essentiel qu'on doit ex'aminerafin d'octroyer ou
de refuser l'asile. Cette matière est laissée au jugement des deux
Gouvernements. d'après les faits et les documents qui reflètent la
réalité objective dans le cadre du régime juridique du Traité de
1928. r
On ne dirait pas que c'était le mêmeGouvernement qui avait écrit
les deux textes : le communiqué etla note adresséeau Gouvernement de
la République de Colombie. La doctrine officielle change, malgré cette
circonstance que l'ambassadeur de Colombie avait exercé,au préalable,
le droit la qualification et obtenu la sortie des réfugiésJavier Pulgar
Vidal et Julio Cesar Villegas ; malgré aussi les cas répétésd'asile dans
d'autres ambassades ; malgré surtout les termes si catégoriques du
communiqué du 26 octobre 1948. Il est vrai que les auteurs de cette
doctrine l'ont écrite sans penser qu'un jour M. Julio Cesar Villegas,
auteur lui-mêmede la lettre que l'on sait, ministre de l'Intérieur et de la
Police, ainsi que la Réplique du Gouvernement colombien le fait
ressortir, devait en bénéficiercomme réfugiépolitique à l'ambassade de
Colombie ; sans penser à M. Victor Raul Haya de la Torre.
Si ce point de notre argumentation est accepté, comme il doit l'être,
à mon avis, par la Cour, celle-ci se trouvera donc en face d'urie s+rie
de notions juridiques nouvelles invoquées dans les notes successives
adressées à l'ambassadeur. de Colombie à Lima. J'ai l'impression que le
Gouvernement du Pérou a voulu, pour ainsi dire, justifier a $osteriori la
mesure prise pour des raisons politiques à l'égard de hl. Victor Raul
Haya de la Torre.
' Voir vol.1. p.39. L'essentiel est de savoir si le Gouvernement du Pérou restera fidèle
aux principes qui sont énoncésdans un clocument officiel dont je viens
de faire l'analyse, et de connaître très exactement sa décisionquant au
statzdsjtiris applicable dans le présent cas.
[Séni~cp ciibliqzcedu 27 scptembrc rgjo, après-midi]
Monsieur le Président, Xessieurs de la Cour,
Dans mon exposéjuridique, j'ai pris comme point de départ,ce matin,
la distinction entre l'asile interne et l'asile diplomatique, et j'ai fixé le
contenu du slatusjiiris entre la Colombieet le Pérou.Aussi je suis amené
à poser la question suivante.
III
Quelle est la matière qui est sub judicc, actuellement, dans ce procès ?
C'estcelle qui découlede la controverse diolomatique aui s'est déroulée
entre les PaÎties et dont la substance p&t êtreÎaménéeaux points
suivants :
1' Le Gouvernement du Pérou a changéune ligne de conduite observée
à l'égardde plusieurs gouvernements et constatée dans un document
-..---.. el^
2" Le Gouvernement du Pérou arefuséla qualification unilatérale au
Gouvernement colombien et toujours, dans le cas de hl.Victor Raiil Haya
de la Torre, refusé qu'ilpuisse sortir du pays.
3' Le Gouvernement colombien prétend qu'ilest dans son droit pour
exercer cette faculté et obtenir les garanties nécessairespour la sortie du
réfugiél,'inviolabilitéde sa personne étantrespectée.
Pour résoudre ce problèmede droit, nous avons fourni à la Cour, aussi
bien dans le Mémoi~e~ ~ ~ ~s la Réolioue.des esolications suffisantes ~ ~
sur les règlesde droit in vigueur entie lésParties. ie système d'obliga-
tions Quele Gouvernement de la Reoubliaue de Colombievous a présenté
a, en eremier lieu, cette a ppur base deux instkments
égalementsignéset ratifiéspar les Parties : àsavoir l'Accord bolivarien
sur l'extradition du 1.j8uillet 1911 et la Convention sur l'asile approuvée
par la Vlme Conférenceinternationale américainetenue à La Havane en
1928. Mais ce système fait appel à d'autres sources d'obligations, telles
que les normes du droit international américain. Notre système est
cohérent. Il tient compte aussi de cette caractéristique de l'article 38
du Statut de la Cour qu'en dehors des stipulations deç traités, en dehors
de la volontédes parties, il y a des règlesobjectives de l'ordre juridique
international.
De sorte que, pour nous, la Colombie et le Pérouont réellementvoulu
quelque chose. Mais personne ne pourra s'étonner si, en dehors de ces
obligation^,nous constatons, nous aussi, l'existence d'un droit objectif
de la communauté internationale des États américains, si nous ne
voulons pas écarter de ce procès la notion de udroit commiin inter-
national a à laquelle un arrêt de la Cour permanente de Justice
internationale a donné droit de cité.
Toutefois, ce système d'obligations nous conduit à un résultat que
nous estimons êtrele seul applicable dans le présent cas : puisque l'asile
interne, disons-nous, est accepté eu égardaux individus non accusés ou60 PLAIDOIRIEDE M. VASQUEZ (COLODIBIE) - 27 IX 50
condamnés pour délitsde droit commun ;puisque l'asileest en lui-m&me
une institution juridique par laquelle un État accorde h un individu sa
protection pour le soustraire h un danger dont celui-ci serait victme et
puisque, selon l'adage ancien. icelui qui possèdele droit possède les
moyens a, il appartient à l'État accordant l'asile de déterminer, d'abord,
s'il accueilleou non un individu en qualitéde réfugié,ensuite, s'il désire
que celui-cipuisse serendre en territoireétranger. L'asile interne ou asile
diplomatique cqmporte selon nous des obligations dont le respect, soit
de la part de l'Etat temtorial, soit de la part de l'État accordant l'asile,
constitue une condition fondamentale de son efficacité,et parmi ces
obligations il faut inclure, pour le premier de ces Etats, celle qui a trait
à la qualification unilatérale et impérative et à ses conséqueiice;.
Voyez-vous, Messieurs de la Cour, en faisant l'analyse de l'Accord
bolivarien sur l'extradition tout aussi bien que de la Convention de
La Havane sur l'asile. nous demandons au Gouvernement du Pérou
le iic 13" (ldl)oi~illcrcca iiistriiinciitil< Icur: cffcts pratiqiics. scluii la
jurisprudciice dc la Cuur p,,nii;inciite de Jiisricr; internatioiiale (I;ii,st>ii
aviq consii1t;irif il" 7 lurs<iu'elIenmrin:iit tiu'uiii: x iiitcrur;tatibii qui
dépouillerait le trait'éd'une grande part de sa valeur né saurait êire
adntise ». Actus ilzterfiretaridzrsest -- disaient les Anciens - fioliztsz~t
valeat qunm fft@ereat. Peut-on trouver vraiment iiiie solution pour le
conflit de souveraineté qui oppose L'Etat territorial i l'l?tat accordant
I'asilequi iie soit pas celle que le Gouvernement de Colombie a soutenue
et que je m'efforced'expliquer h la Cour ? Si cette solutionexiste, nous ne
demandons qu'une chose : la clarté, la lumière.
Jusqu'ici, ce n'est pas précisémentavec la méthode cartésienneque
nos adversaires ont discutéce noiiit d'argumentation. mais ulutbt avec
uiie prise dc pojitioii sur Içs;igcnts fi>nii;itt:iirsde 1;icoutuiiic. ;iiix p:i:ts
12 ït siiivnn1i.s' ililCoiitrc~\li.inoire, qui a 16 ciiiiit)leincoii~<:nicidi:iic
pas coïncider avec des doctrines publcéespar d'éminents jurisconsultes
et d'offrir l'aspect d'une digression. La question que nous adressons au
Gouvernement du Pérou est la suivante : nous le prioris de nous dire
comment sera résolule conflit de souveraineté une fois admis le principe
de la validité de l'asile ; de nous dire si, par contre, c'est le principe
institutionnel de l'asile qu'il veut attaquer ; de nous dire enfin s'il désire
laisser la Cour danscette situation impossible :deux gouvernements sont
aux prises ;aucun n'a une prééminencesur l'autre; le réfugiéne pourra
pas sortir du pays, il faut que cela dure, que l'asile de M. Victor Raiil
Haya de la Torre continue. C'est aussi une interprétation.
Par coiitre, nous avons cherché à établirquel est le rapport de droit ;
celui-ci une fois déterminé,nous indiquons la règle de son application.
C'était en somme la méthode analytique de Savigny lorsque le grand
jurisconsultevoulut briser lesvieux cadres du « statut récl iet du <statut
personnel D,en droit com~aré.et ~roposa ces deux choses : une méthode
~I';iii;ilys.our cliai~iit,r;i[;porcliilroitet un systt!iiic pruprc dc s~luri~iiis.
Jc iii'appliqiicr~i pnrI:i>iiireii vous sigii;.l<~r:iiiiiruri?de ces i.lriiic~i:s
Faisons tout d'abord l'analyse du rapport de droit'qui doit régirla
matière de l'asileentre la Colombieet le Pérou.
Voir vol. 1. pp. 118 et ss. L'un et l'autre de ces États se trouvent liéspar deux instruments
dont nous avons fourni le texte à la Cour dans notre Mémoire :l'Accord
bolivarien sur l'extradition, signé à Caracas le 18 juillet 1911, ainsi que
la Convention sur l'asileapprouvéepar la VIitieConférenceinternationale
américaine, tenue à La Kavane en-1928.
C'est du droit écrit, du droit conventionnel, et il ne peut y avoir de
doute là-dessus. Toutefois, le Gouvernement du Pérou, qui avait citéle
vremier de ces instruments-dans le communiaué du 26 octobre 1448. sur
a soutenu-une thèse diamétralement o~uoséedans le ré sentcas
Je ne puis m'empécher,afin de bien '&ciser certaices contradictions
juridiques de nos adversaires, de vous citer les deux opinions que voici :
iCet accord, effectivement en vigueur, est ztntruit aé'extradition,
et n'a rien àvoir avec la réglementation juridique de l'asileinterne. »
(Contre-Mémoire,p. 29l.)
De son côté, lecommuniqué du 26 octobre avait dit :
«L'asile diplomatique, qui n'était, il y a encore quelques années,
qu'une pratique internationale acceptéepleinement par les uns et à
titre conditionnel par les autres, a acquis à notre époqueles carac-
téristiques d'une véritableinstitution du droit international améri-
cain, qui se trouve délimitéeet régiepar des normes inscrites dans
des conventions en vigueur ayant force obligatoire pour les pays
participants. II(Mémoire,pp. 27-28 1.)
Suit une énumérationdes traités parmi lesquels se trouve l'accord en
question.
Nous avons, par conséquent, le droit d'attirer l'attention de la Cour
sur cette contradiction. d'autant DIUSaue la thèse du Contre-Mémoire
<En dehors desstiprilations du présent accord,lesÉtats signataires
reconnaissent l'institution de l'asile conformément aux principes
du droit international. »
Ainsi,à suivre la thèse ducontre-Mémoire, il semble que la portée d'un
article ainsi rédigéest nulle. Nous affirmons. var contre. aue cet article
a une portée réelïeet trèsbien définie pourle'césent litige..
L'Accord bolivarien, en premier lieu, a étésouscrit dans des conditions
historiques que je dois rappeler à la Cour.
L'année 1911 marqua le centenaire de l'indépendance duVenezuela,
et le Gouvernement de ce pays voulut renouveler les conférencesentre
pays dits « bolivariens », c'est-à-dire les cinq républiques libéréespar
Simon Bolivar, et ce projet devait se poursuivre, selon le plan tracé
en 1826,par la Conférencede Panama.
Les, plénipotentiaires du Venezuela, du Pérou, de la Colombie et
de I'Equateur furent convoqués à cet effet à Caracas pour rédiger le
Protocole du 27 janvier 1911 qui avait pour but de réaffirmerles idées
bolivariennes sur l'organisation continentale. On a mêmevoulu aller trop
vite dans l'aspiration d'établirune confédé-tion de cinq républiqueset
' V>'r vUl.>,,pp.1'33-134.62 PLAIDOIRIE DE M. VASQUE2 (COLOMBIE) - 27 IX 50
il était impossible de refaire par un protocole ce que l'histoire du x~xlnc
siècle avait déjà divisé. Toujours est-il que la Conférencede Caracas
fut en mesure d'approuver certains accordssur des matières d'actualité
.politique pour ces cinq pays sud-américains qui traversaient alors une
période fiévreusede révolutions.
L'Accord bolivarien du 18 juillet 1911 n'est pas un acte isolé ; il fait
partie d'un ensemble de textes destinés à régler leseffets juridiques de la
guerre civile sur le plan international. A défaut d'unanimité autour des
grands principes de confédération,d'arbitrage, d'union monétaire, on a
pris comme ordre du jour de la conférencela guerre civile, l'extradition
et l'asile. Certes, sur le plan de la théorie pure du droit, comme sujet
d'enseignement dans une faculté, il est nécessaire de distinguer entre
l'extradition et l'asile. Dans la circonstance historique à laquelle je fais
allusion, la distinction est impossible parce que la réalitédes faits le
défend ;c'était contrela volonté desmembres de cette conférence.
Je répète quesur le plan de la théoriepure,extradition et asile ne sont
pas des institutions identiques. Il n'en reste pas moins que l'extradition
et l'asile constitueront des buts positifs de la Conférenceentre pays
bolivariens tenueà Caracas en 1911.L'une et l'autre de ces deuxmatières
avaient un vif intéret Dourchacun de cesEtats aui é~rouvaieotle besoin
de perfectionner la réglementation internationale.'La Conférence de
Caracas voulait. c'était son obiet principal, embrasser tous les aspects
découlant des&erres civiles, et c'est pourquoi on a approuvé à la même
occasion un accord sur les guerres civiles et la neutralité.
Au sujet de cet instrument, deux questions vont se poser :
I" Que signifiele texte de l'article 18 de l'Accord bolivarien?
Que L'asileinterne, ou asile politique, serait tout d'abord reconnu
comme une institution du droit international américain ; que l'asile,
d'autre part, serait appliquéselon les modalitéset d'après les principes
de ce droit.
2" Quel sera son effet pratique dans le présent cas ?
Celuide Aerm- - ~ ~ ~ ~ - ~r dei,eur la matièrede l'as~le ~n conformité
de l'ensemble des règlesinternationales reconnues en cette matière, à un
moment donné et dans une sociétéparticulière. de l'ordre juridique
américain. Cela ne veut Das dire aue'dans le ré sen cas nouç n'avons
pas denotions plus pour d&erminer les;apports <ledroit exiitant
entre les Parties. Cela vise seulementà conférer àl'article 18 de l'Accord
bolivarien une signification juridique dans ce procès.
Pour confirmer cet argument, et pour réfutercelui de nos adversaires
quant à la prétendue nullitéde l'article 18 de cet accord, reportons-nous
àl'année1912, par exemple, période postérieure à l'Accordbolivarien et
antérieureà laConvention deLaHavane de 1928 sur l'asile.Je pense que,
s'agissant d'un cas d'asile dans un pays bolivarien, l'accord en question
aurait permis d'apprécier la validitéde l'asile, interne ou externe, qui
aurait dû êtreaccordé rselon les principes du droit international».
C'est ainsi, tout au moins, que l'avaient compris les auteurs de
l'Accord bolivarien. Il faut d'ailleurs se ra~~eler au'ils ont édictéla
norme de l'article 18 à un moment où il pouvait 'sembler prématuré
d'adopter des notions plus réc ci sesns le droit conventionnel sur une
matièÎe dont la prati<ue éiait entièrement nouvelle, à un moment où
il y avait dans l'ordre juridique américain un défaut d'institutions
susceptibles d'adopter des actes-règles sous la forme de traités ou de
conventions. PLAIDOIRIE DE hl. VASQUE2 (COLOXBIE) - 27 IX 50 63
Cette circonstance ne donne lieu ou'à une ébauche de solution du
problème généralde I'asile, mais soiution tout de mame puisque la
référenceaux principes du droit international n'est pas et ne peut pas
êtreconsidéréepar nos adversaires comme une nuée-philosophique. '
Je demande par conséquent à la Cour de bien vouloir dans sa sagesse
retenir cette interprétation de l'article 16de l'Accord bolivarien du
18juillet 1911.
Xous arrivons maintenant au deuxième des instruments en vigueur
entre les Parties, la Convention de La Havane de 1928 sur l'asile.
Ici, il me parait nécessaired'attirer l'attention de la Cour sur l'effort
de nos adversaires pour réduire A néant la substance juridique de la
convention. Je vous prie de vous reporter à la page IO' de laDuplique,
et vous lirez en somme ce raisonnement :
La Convention de La Havane a cherchétout à la fois l'établissement
d'une liglte de cmldtrite minimiint et d'une ligne de condrritefiiiiforme.
Ces expressions trop peu précisesdans le langage juridique ne m'appar-
tiennent pas, je ne faisque les rappeler. Sans doute, la ligne de conduite
minimum pourrait, à première vue, ètre considérée commela moins
importante. Car en réalitéles travaux de la Conférence deLa Havane
dont faisaient partiedes diplomates éminents de la Républiquedu Pérou
n'ont pas pu s'arrêterdevant si peu de chose pour ce qui est de I'asile
et conclure par la simple adoption d'une ligne de conduite minimum. La
logique voudrait que ce fût la ligne de conduite uniforme qui soit le
principe fondamental du droit d'asile américain.
Mais pas du tout, llessieurs. Si la logique nous fait ainci raisonner,
l'interprétation péruvienne nous signale que les fondements de I'asile
ne sont pas constitués par !a ligne la plus forte, mais par un certain
pouvoir discrétionnaire des Etats de se conformer au critère indiquépar
leur propre législation.Il est infiniment plus simple et plus rationnel, dit
la Duplique seréférant à notre argumentation dela Réplique,deconsidérer
que la conventioii a voulu tenir ce langage. Je cite mot à mot :
<Vous pouvez adopter la politiqued'asile qui vous plaira, nous ne
pouvons pas vous en imposer une, mais au minimum faut-il encore
qu'ellesoit conforme à votre propresystèmejuridique, et constante. u
(Duplique, p. IO'.)
II s'ensuit, d'après l'interprétation péruvienne, que la Convention de
La Havane établit une liene de conduite uniforme. si faible ciu'ellearrive
même à ètre remplacéepar une notion, ilfaut 1; dire, anarchique, de
l'asile. Donc, l'interprétation de nos adversaires tient en ces quelques
mots adressésaux Etats :
cFaites comme il vous plaira, nous sommes incapables de vous tracer
uni ligne de conduite; quand vous l':iurez décidé, avertissez-nous :
comment avez-vous fait ~our l'octroi de l'asile ? n
~ ~ ~
En fait d'inrérpr<tatior;jiiridi<liie.c'e1.ligne(Ir.1:muin0rc r;sistai~c~,.
C'e~t iliii~i~itus I>OU~ CliitlrIc..cunsci(liien,:t.sd'iiii traité.si hic11calciil;.
~our conserver uiiél~~-~~é~'action lein net entière. lorsou'il s'arit d'un
. Etat territorial et en vue de refuser i'accomplisseme"t de Certain& règles,
que cette interprétation devient un spécimen d'habileté juridique.
Seulement l'interprétation dont je parle a cet inconvénieiitqu'elle a l'air ,
de tout oublier et de nerien comprendre.
' Voir vol. 1.p. 404.64 PLAIDOIRIEDE hl. VASQUEZ (COLOMBIE) - 27 IX 50
Nous serons plus réflécliisque nos adversaires pour vous exposer
l'interprétation de cet instrument. La Conventioii de La Havane est une
réaffinnation de l'Accord bolivarien, en ce sens que vasile interne ou
di~iomatioue est reconnu comme un droit Dour les Etats américains.
&it qui,'à n'en p,as douter, comporte de p'art et d'autre, et de l'État
territorial et de 1'Etat accordant l'asile, l'accomplissement de certains
devoirs ainsi aue le res~ect de certaines oblirat'ion -s.
Le Mémoireet la ~Pi~li~uedu Gouvernement colombien ont mis très
exactement en lumière les données fondamentales de cet équilibre sans
leauel la convention est vidée de sa substance. En l'esnèce. droits et
deboirs sont corrélatifs. Nous estimons qu'aucune des dispisitions de cet
instrument ne pourrait avoir ses effets sans que l'un ou l'autre des.Etats
en présence accomplisse son devoir, c'est la coiid'itionessentielle pour la
réussite de la Convention de La Havane. Voilà une première idée
fondamentale.
En voici une seconde :honnis lesrèelesrelatives aux DersonnesDouvant
sc pr'\.;iloir ile l'aiilc ~lonilest <Iiiction ?i1';irticlc.prcniier. l';riic2v
:i tr:ici: les r;bglcl111pouv:iiC'llticinbirr les plu, ii1illort;iiitr'scil ty2s
ilour les Ictnts cii iii:itiirc J':isilc. Or ct cilcni>ir;ili>oiirI'intïlli~encc
he l'article zde la Convention de L; Havane, dan; ce tkxte on trouve, en
mêmetemps qu'un principe géiiéral, - celui du premier alinéa: rL'asile
des criminels politiques dans les légations, sur les navires de guerre, dans
les campements ou sur les aéronefs militaires, sera respecte dans la
mesure tlaiis laauelle. comme un droit ou Dar tolérance humanitaire,
I'stlmettr..isiit k;coutuiiic. Ic.;cunv~.iitioi~suu'li:s(lesp.iyjdi:rcliig,?..
-csrt:tincs:il>~~ uii<clC\.éir,p>sztnL~ritsinhe piiiicil>c.I.'essciititl.
cSt.srle nriiic.ix. c'estIciiiurnic. ICllefoiiriiit le critcri>c,iiI'Ctudr'1lr.5
niinilnlii;~J':il~plicnti,~nincorl)i)rdniis les scpt parngrnplics qiit suiveiit
Voilà lastructurï luridiq~icde I':trticlç 2de InCoiivciiti,m <le1.3 I.lnv:iiic
de 19zS sur l'asile.
Plus tard dans ma plaidoirie, j'aurai l'occasion de montrer A la Cour
que, si le priiicipe fondamental est restéle mlme, ses modalités d'alq~lica-
tion ont éti développéespar la Coiivention de Montevideo de 1933 sur
l'asile. l'our le moment, il me faut dire que des causes profondes,
historiques et autres, avaient rendu nécessairel'adoption d'une certaine
règle sur l'asile, et, toujours par le défaut d'institutions susceptibles
d'adopter des actes-règles, on ne pouvait cliercher par une décision
soudaine et brusque qui aurait pu étrehâtive et intempestive, à codifier
en une conféreiiceen 1428 tout le droit.
Alors on s'est pennicde déclarer, ce qui paraît constituer unc vbritable
hérésieiuridique pour nos adversaires, que la législation et la coutume
devaient subcste? comme deux normesparallèlés, ainsi que les juris-
consultes de Caracas l'avaient décidé pour la rédaction de l'article IS
de l'.Accordbolivarien. A notreavis, c'est la mCmepenséede la codification
graduelle et progressive du droit international américain qui se trouve :L
l'origine de l'un et l'autre des textes en question.
Si telle est la structure de l'article2 de la Convention de La Havane,
le rapport de droit qui en découle pour les parties est le suivant : le
principe généralde l'article entraine la reconiiaissanceexplicite de l'asile
des criminels politiques dans les lieux qui y sont indiqués et - voici
notre point capital - d'après la détermination qui sera prise par le pays
de refuge. Ceserait une erreur de croire, comme l'ont fait nos adversaires,
que cette détermination étatique de volonté pourrait êtreen quelque
sorte capricieuse, se limitant elle-meme et voyant dans les rapports entre PLAIDOIRIE DE RI. VASQUEZ (COLOMBIE) - 27 IX 50 65
l'État et le droit international'expression d'un ordre étatique transposé
sur le plan de l'ordre international. La détermination de I'Etat qui
accorde l'asile et qui le fait dans la mesure où ses propres lois,les pratiques
qu'il a l'habitude d'observer, c'est-à-diciusos x,pour employer le terme
exact du texte espagnol de la convention, et les conventions qu'il aurait
signées le permettent, cette détermination étatique, pour êtrevalable,
doit puiser, selon nous, sa forceobligatoire dans la convention elle-même,
dans une règle plus élevéeet plus haute que celle de l'ordre juridique
interne.
Il y a donc dans cet article une règle de droit internationalaméricain
selon laquelle I'gtat accordant l'asile joue un double rôle. II est d'une
part investi d'une compétence par la loi internationale et celle-ci lui
permet de le faire dans la mesure et pour autant que son propre droit
national le lui permet.
Est-ce une application nouvelle de la théorie du « dédoublement
fonctionnel 2que la doctrine du-droit des gens a tracée ?
Sans doute, et je n'ose pas me prononcer d'une façon catégorique
parce que la paternité de cette théorie ne m'appartient pas. Toujours
est-ilque I'Etat, selon l'articzede la Convention de La Havane, possède
à la fois sa propre compétence et celle qui lui est reconnue par le droit
internationad américain.
Voilà la source de ce principe si contesté par nos adversaires, le droit
h la qualification unilatérale de i'Etat accordant l'asile. Ce droit est le
résultat d'une compétence internationale qui vient s'ajouter à la
compétence qui, de par son droit national, lui seraitdéjà reconnue en
matière d'asile.
entre les parties ; compétence exclusive, c'est-à-dire qui'exclut toute
autre qui pourrait lui faire obstacle, mais compétence limitée par les
dispositions de l'article premier et des paragraphes I à 7 qui suivent le
premier alinéa de l'articlez de la Convention de La Havane.
C'est pourquoi la Réplique a pu vous dire que le droit à la qualification
unilatérale et impérative est impliqué dans l'article auquel je viens de
faire allusion.
Nos adversaires pourront sans doute nous rétorquer que les mots
< ,ualification unilatérale et impérative i>ne se trouvent pas dans le
texte de l'article z de la Convention de La Havane. Ils suivent sur ce
point la méthode exégétiquequi se bornait à confiner le droit, tout le droit
dans la lettre du texte, sans se préoccuper de cette conséquenceque l'on
arrive, par cette rigueur excessive,à conserver le texte pour tuer l'esprit.
Dans la suite de nos débats, nos adversaires viendront à votre barre
soutenir cette thèse, tandis que le Gouvernement colombien, ainsi que
sa Réplique vous l'a montré, s'attache surtout la détermination de la
ratio legisou, en d'autres termes, à comprendre qu.elle est la volonté
réelle desparties. Si la compétence ain~iconféréeà l'Etat est expresse, la
qualification est nécessairement une clause tacite, c'est-à-dire qui n'est
pas dans les mots, mais dans l'esprit du texte. Eliminer la qualification
unilatérale, ce serait anéantir l'aspect international de cette compétence.
Alors nous sommes obligésde poser ce dilemme : ou bien le respect de
la compétence internationale de 1'Etat accordant l'asile est assuré, et
alors la qualification unilatérale constitue l'instrument nécessaire pour
l'exercice de cette compétence, ou bien on enlève à 1'Etat accordant66 PLAIDOIRIE DE 31. VASQUE2 (COLO>IBIE) - 27 IX 50
l'asile et sa compétenceet son droit de qualification. Le dilemme, pour
nous, est résolu d'avance, et la Cour comprendra sans doute que la
solution pourra difficilement ètreimaginée iirmedias res.
La Cour s'apercevra par mes paroles que le Gouvernement de la
RépcbliqoedeColombie a demandéqu'il luisoit reconnu tout simplement
sa compétence cl'apr8sla loi internationale, applicable dans le présentcas.
Je me pennets de lui faire remarquer, en outre, que l'exercice de cette
compétence ne peut se faire eu égard à la personne de M. Victor RatIl
Haya de la Torre, pour autant que le Gouvernement de la République
ne soit pas sanctionné par la Cour. que ce rapport de droit,dont je parle
Pour ce qui est desautres nonnes, desnormes faisant partie du système
d'obligations que le Gouvernement colombien vous propose d'accepter,
à savoir : les matières comprises sous B et C du paragraphe 13de notre
Némoireet du paragraphe 15 de la requête,la narirr?.juridique particu-
lière de l'asile, les normes du droit international positif et coutumier
américain, nous estimons que l'article 36 du Statut de la Cour nous
autorise à le faire et que ce texte prescrità ce haut tribunal la mission
a de réglerconformément au droit international les différends qui lui
sont soumis a. Par conséquent, la Cour ne se trouve pas limitéepour
l'exercice desa propre compétence par les règlesdu droit conventionnel
en vigueur entre les Parties. J'aà peine besoin de rappeler que le Gouver-
nement colombien demande à la Cour, par sa requête,qu'elle veuille
bien appliquer l'ensemble desprincipes du droit international américain,
et notamment:
a) les conventions internationales, soit générales, soit spéciales,
établissant des règle expressément reconnues par les Etats en litige ;
b) la coutume internationale comme preuve d'une pratique générale
acceptée comme étant de droit ;
c) les vrinc.ves eénérausde droit reconnus var les nations civilisées:
<i)sous réserve dela disposition de l'articl59 le,décisions judiciaire*
et la doctrine des oublicistes les vlus oualifiésdes différentes nations
comme moyen ausikaire de détemiinatiôn des règlesde droit.
Rien ne pourra ètre plus instructif pour décider cepoint de nos débats
que de suivre la doctrine d'un des publicistes les plus hautement
qualifiéssur l'article 38 du Statut de la Cour permanente de Justice
internaticnale, qui est mutatis mutandis l'article 38 du Statut en vigueur,
lorsqii'il écrivai:
B Le Statut de la Cour permanente de lustice internationale. dans
son article 38, -énoncesiccessirement Ïes règles juridiques que la
Cour doit appliquer, et place en premier lieu les conventions inter-
nationales. en second lieu la coutume internationale, puis les
principes générauxde droit reconnus par les nations civilisées.On
pourrait critiquer l'ordre de ces énonciations, car la coutume et les
principes générauxdu droit sont des expressions plus directes du
droit des cens obiectif et olus oroches de lui aire les trait&. Mais il
farit ad~iicttrr>q;c Ics lr~~isco~siilirsiiioiit ';.l:ibor~Ic Statut unr
. sim~)lenient\.uiilii dit,<,.Icidruit conventii~nir~lgt:iri>rlii sl,i:c~.~l
i..xr)rimede la fncr~i1;ii>liiaiscc !iiirterurr'tcli.(1~~liiiiitnti;ile
compétence des gouverkants étatiques, ét qu'il est logique que le
juge cherche d'abord à s'éclairerpar eux. Mais il va de soi que le
Statut ne peut pas vouloir dire que. le juge international peut PLAIDOIRIE DE ar. VASQUEZ (COLOMBIE) - 27 IX 50 67
considérer qu'uii traité l'emporte sur une règlede droit objectif ou
coutumier indiscutablement établie.
En considéraiit les principes générauxde droit reconnus par les
nations civiliséescomme unesource formelle du droit international,
le Statut de la Cour vise les vrincives iuridioues foiidamentaux nés
spontanément dans les divéis systèmes j;ridiilues interiies. On
pourrait les qualifier de nomes nécessaires IINous ne croyons pas
âue le Statut ait voulu viser uniauement des nrinci~es de droit
&terne, et par là inciter le juge à réaliserune so;te de'iiréception »
de ce droit interne par le droit international. Ce serait une adhésion
à la concevtion dualiste du droit. On veut internréter la dis~osition
en ce sens'que ces règles,spontanémint dégagéeset unanimement
acceptées, doivent êtreconsidéréescomme des principes de droit
univér~e~. autrement dit du droit des eens. mdme si la nratioue
cc,utunii&c oii Ici stipiil;lti~,nscon\~eriti~iiiiellesdei Ki>iii.cr;ieriie;its
n'ont p:ls eu I'occ:,siuiide les fumiiiler. 1.c jiigc est ;>lorsautoris;
:, 1,faire sous foniie (Ic clri)iiir;toricn. Cette oi~iiiioiiiioiis stiiihle
c~rrobort?~11;lrIc dernier p:ir:igr.lplic (Ic 1':irticlcqui dwn~ivnii juqc
le droit <le?'iiispircr, iiiniscette 101;ititrti siibii~ii:iiresr.iil<-ni. IL,
la jurisprudence et des écrits des jurisconsultes les plus qualifiés.
C'est la reconnaissance du fait que la fomiilatioii du droit objectif
n'est le monopole d'aucune autorité publique. 1(Précis du Droit des
Gens, par M. le professeur Scelle, 110 Partie - I'aris, 1932, p. j3.)
Le Gouvernement colombien demande à la Cour d'accepter cette
doctrine à l'appui de la thèseque nous soutenons dans le cas de 3f. Victor
Raul Haya de la Torre.
A l'égard de ce système de droit régissant les rapports juridiques
entre la Colombie et le P~~ou en matière d'asile. ilos adversaires nous
font tiiir11rcin1L'u wbjectioii .l:icoiiciinit:.
II ~,w.'it '11ie1's/,U~rs,I<IICprGicnti' ,i 1.Cdiir pnr Ir.C~oliv~~riiciii~iit
columbi~ IIil;,iij le p:tr:igr;~1.3<IFsoi1\I~~iii~-~ Crc(1311lse p.~r.~gr:ipl16
dç xi rcqii;te, n le gr,lve d~iiut (le pcnnrttrc In cucsistc.~icede la riorme
coiitumi>re i cbt; tlu clri~itécritpositif IIparait que I<r c~%lilir<rri:~l,rrl:d
les co~tlrtnres.:iiii.<iu'ilest ailinii; i I:I .-ac i-' du Coiitrc-\lciiioiie
péruvien. II'parait énfin que la pratique latino-américaine de l'asile
(p. 19 du Contre-llémoire) n'atteindrait pas le niveau d'une coutume
parce qu'elle serait dépourvue de l'@inio jiiris sive necessifatis et que,
par conséquent, le Gouvernement du Pérou ne serait pas liépar une
obligation juridique coutumière en matière d'asile interne.
Ainsi, la compétence que nous demandons à la Cour de reconnaître
au Gouvernement colombien selon la loi internationale, c'est-à-dire,
d'aprèsl'article z de la Convention de La Havane sur l'asileet les règles
issues du droit international américain, serait une fiction si toutes ses
modalitésne sont pas exactement définiespar le droit écritpositif.
Quelle rigueur dans les principes, Illessieurs ! Quelle sévérité pour
~a.o.écierl'existence d'une norme iuridiaue seulement d'avrès le texte
d'lin tr;iitc iiitcni:itioi!Qiit.1uiil)lide cerrnints (liictriircjsuIci;ii.~ctCrc
obli-c:itoire ile toute nonne iiitcrriatioi~;ilçpoiir Ics Etats, siiI:icr>lit~iine
' Voir vol. 1.p. 131.
. . S.. 12568 PLAIDOIRIE DE ar.VASQUEZ (COLOMBIE) - 27 rx 50
et la législation comme expression constante du droit international
positif et pour ainsi dire parallèles dans leur exécution ! Quel retour
à d'autres doctrines du xxme siècleque I'onavait considérées comme de
vieux souvenirs !
Expliquons-nous, Messieurs, sur cette affirmation du Contre-1IIémoire
suivant laquelle la codificationabro~eles coutumes. Il serait important
pour le Gorivernemeiit colombien, il serait intéressant aussi pour la Cour
d'avoir soit Urieconfirmation, soit une rectification du Gouvernement du
Pérou sur ce point de sa doctrine. M. l'Agent du Gouvernement du
Pérou sera d'accord avec moi pour penser que cette plirase, et surtout
la doctrine qui est provoquéepar cette phrase, n'a pasde sens juridique.
Jamais les lois n'ont pu abroger les coutumes, parce que ce serait tarir
une des sources fomelles du droit international positif. « La coutume et
les traités législatifs (droit conventionnel), lit-on dans le même précis
que je citais tout à l'heure, ayant la mêmefonction juridique, ont la
mrme nature intrinsèque. »
«Les codifications, lit-on à la page 7 du mémeouvrage,sitôt achevées,
sentent déjà la désuétude. n Et vous savez que cette affirmation n'est
pas une phrase isolée,détachée capricieusement(le son contexte. Elle
correspond àune pensée juridique suivant laquelle il n'y aqu'une source
du droit :le fait.social lui-mêmeou la solidarité.
Je ne puis pas m'empgcher, puisque le Gouvernement de la République
de Colombie veut soutenir ces conclusions avec l'appui des jurisconsultes
les plus bminents, de demander à la Cour qu'elle veuille bien tenir
compte, parmi les doctrines que nous àéfeni-Ions,de l'opinion suivante :
e Ide~ililéioncièredes coulumeset de Iizlé"islatioit.Cette identité
:ipl>:~raitnoil seiilcriient tlan.; le fi~ndcitommun (11I :txirvalidit;.,
inais Jniis I'ideritiiL:;le I<-ur:,cliSII~I'O~<IUI~~~:IIICjC uiIIIi~ite.
iillrs orgaiii,ciit I'uiiei!t 1';tiitreilcj situntioiis jiiridiqucs <il,jestiv~s
<luiit l'~pI~crioii i:siri I'iiit~.r\~eiitiùii(I'.tstcs oii <le f;iits-
coiidirioii. I'llzs d~t~rmiii~~iiItc ri~leinciit <les corii~>i:te..; 1.a
coutume et la loi rése ententtoutes deux le caractèÎe léeislatif au
sens large. Nulle autant quedans le droit des gens, précisément
parce qu'il s'agit d'un ordre juridique iiitersocial, il n'est essentiel
de rejeter les critères formels. L'acte-règle nese distingue ni par sa
forme ni par la personnalité qui le fait, mais uniquement par sa
nature intriiisèque. Si I'on persiste à se laisser influencer par le
critère extérieur. on ne découvrira nulle oart l'acte léeislatif ~~ns
des milieux sociaux où les institutions s'oiit rudimenyaires et les
fonctions peu spécialisées. r(&Erneprécisde M.le professeur Scelle,
P. 298.)
Mais, nous dira-t-on, il reste à prouver qu'il existe une coutume
américaine spécifiquesur l'asile ;il resteà prouver aussi qu'elle réunitles
conditions de validitéexigéespar le droit internatioiial. Je nem'occuperai
pas de plaider la première partie, puisque mon éminent confrère, le
professeur Yepes, dont la Cour connaît la compétence si qualifiéepour
traiter les uroblèmesde droit international américain.aura l'occasionde
vous esposer I:itliésedu (;ou\.ernr.riiriir colonibien i cc siijet. II in? reste
seulciiient i pr;ci.;er Ics ;l~nicrits iiiricli<(uc.(;Icv:,ni pcriii-:ttrc 8l';i:artcr
l'obiection du Gouvernement du Pérou:
Akn que la penséede nos adversaires soit rappelée dans ses propres
termes, je nie permets de citer le paragraphe du Contre-Mémoire où
il est dit cequi suit : nSi l'on se plaçait à un point de vue purement doctrinal et
théorique, il y aurait lieu de se demander s'il existe un droit inter-
national américain spécifique. On l'a nié,et tout récemment encore
(v. Savelberg, avocat à la Haute Cour des Pays-Bas, Le problèmedu
droit international américain,étudiéspécialement 2 la lumière des
Conventionspanaméricainesde La Havane, La Haye, Stols, 1946);
et s'il en était ainsi. cela suffiraàtrésoudre la deuxikme auestion
que nous nous sommes posée.En admettant que ce droit cdntioen-
ta1 existe et qu'il puissy avoir des coutumes spécifiquement améri-
caines, cependant; une téllecoutume n'existe pas en matière d'asile.
S'il est vrai que la pratique en est plus fréquente sur le continent
occidental et que l'élémentrépétition ysoit plus dense qu'en Europe,
le fondement en est le mêmeet résulte d'un souci d'humanité et de
justice quitrouve plus fréquemment l'occasion de s'exercer, mais non
pas de la présence du second élémentcoutumier, c'est-à-dire de
l'opzlzioiz~rissive necessitntis.Là encore, nous nous trouvons en
présence d'un usage ou, si l'on veut, d'une pratique qui est parfois
iustiiiée. mais non pas en rése en cd'un véritable droit d'asile tel
tue les intéressésp6urraie~t.le requérir ou les représentants diplo-
matiques l'accorder sans conteste. » (Contre-Mémoire,pp. 18-19 1.)
De quoi s'agit-il en l'esphce ?
L'existence du droit international américain ne peut pas êtremise en
doute par nos adversaires. Le Gouvernement du Pérou ne peut pas
sérieusement prétendre, après un siècle d'tvolution historique dans
le continent américain, qu'il ne se soit rien passé depuis la première
Conférence continentale de Panama de 1926, depuis l'organisation
juridique des Etats américains consacrée dans la Charte de Bogota,
depuis ces premiers travaux avec lesquels d'éminents magistrats de la
Cour, tels que >I\.Ial. lejandro Alvarez et José Gustavo Guerrero, ont
enrichi la science du droit contemporain. Il suffirait, pour réfuter cette
considération de nos adversaires, de rappeler que ce fut à la VIII~11e
Conférence internationale américaine. tenue à Lima. que les États
Ùne argumentation vraiment sérieuse, il convient de fixer la nature de
cette objection.
Celle-ci ne conteste pas qu'il se soit produit des actes d'asile sur le
continent américain, puisque ce fait est incontestable. Elle vise d'une
façon spécifique l'opinio necessitatis ou la conscience de l'obligation
d'agir 1de la part des Etats américains. On nous demande par conséquent
la preuve de la concordance bien plus que de la répétition des actes
générateurs d'une coutume spéciale du continent américain sur l'asile.
Nais l'objection ainsi poséen'est que la thèse volontariste de la coutume
implicitement conventionnelle.
Est-ce que l'accumulation des actes générateurs de la coutume, la
concordance de ces faits doivent, pour être constitutives d'une règle
juridique, &tre voulues, consenties par chacun des Etats ? Oui ou non.
1 Voir vol.1, pp. 124-125. PLAIDOIRIE DE II. VASQUEZ (COLOMBIE) - 27 IX 50
70
le corpus etl'anintus de la règle coutumière ont-ils besoin d'êtreacceptés
à la manière d'une convention par des actes de la volonté des Etats ?
Messieurs de la Cour, s'il en est ainsi, comme le voudrait la thèse
exposée dans le Contre-Némoire, l'ensemble du droit international
général,et non seulement le droit américain sur l'asile, disparaîtrait.
S'il en est ainsi, l'article 38 du Statut de la Cour serait une notion
anti-juridique et le corps entierde la doctrine despublicistes disparaîtrait.
Il resterait peu de règles de conduite obligatoire pour les États, puisque
même la maxime des anciens jurisconsultes, pncta sunt seruaiada,rebt~s
sic stantibtrsne se trouve pas consacréedans un traité en vigueur pour la
communauté internationale des États.
L'opinio necessitatisest une notion bien difficile à délimiter dans son
application juridique, car, depuis que le Hollandais Hugo Grotius s'appli-
quait à l'étude de notre science, les auteurs ne sont pas encore arrivés
à se mettre d'accord sur cet élémentformateur de la coutume. A partir
du mxme siècle, trois écolespour le moins se partagent la définition de
l'opinio necessitatissans compter les variétés dela doctrine de chacun
des auteurs. Nos adversaires ne prétendront pas nous conduire à l'examen
détailléde ce point juridique, à partir de sir William Blackstone ou
John Austin en Angleterre jusqu'à l'École de Vienne de M. Kelsen par
exemple. Ce serait vraiment demander une tâche surhumaine de notre
part. Mais ce qu'il convient néanmoins de dire, ce sont les rectifications
que la presque-unanimité de la doctrine a faites à i'Ecoie positive.
Je ne suis pas de ceux qui négligent les enseignements de i'Ecoie
positive. Les positivistes, qui s'attachaient d'une manière exclusive à
la lettre plutôt qu'à l'esprit des textes, avaient une idéetrès précise du
droit. Seulement, ils avaient ce défaut principal d'écarter toute discus-
sion sur les données métajuridiques ainsi que sur toute une série de
phénomènes extra-étatiques qui ne se trouvent pas subordonnés à la
volonté des États. Tout le mouvement scientifiaue des ~ublicistes
contemporains a cherché la revision de certains poStulats de'la théorie
que cette écoleavait engendrés sur les droits fondamentaux des États
êtselon laauelle l'oreaniiation de la communauté internationale restait
confinée a; niveau Secondaire d'une délégationde la volonté étatique,
empêchant par surcroît l'analyse scientifique du droit international.
Faudra-t-il rappeler les changements qui se sont produits dans la
doctrine depuis le xIxnie siècle? Et cependant le Contre-Mémoire nous
semble, sur ce point comme sur tant d'autres, vouloir faire un retour en
arrière pour nous rappeler une de ces idées nouvelles du temps de
l'abbé Grégoire ou des premiers travaux de Frédéric Martens, une de
ces idéesdu temps où l'on enseignait la possibilité d'interpréter les obli-
gations légales par des conventions tacites, alors qu'on ignorait la
distinction des situations juridiques objectives et subjectives, à savoir
que la répétitiondes actes formateurs de la coutume soit faite c le pas
dans le pas 1)ou qu'elle soita unilinéaire».
Si l'on consulte leManne1de Droit internationalpnblic de hl. le profes-
seur Scelle (Paris,1934 ,. 398),on lira ce quisuit :
« La prenve. Le premier élémentest la répétition desmêmesactes.
Combien en faut-il ? Xul ne le sait. Cela dépend du rapport social
dont ils'aeit et de l'imoortance du ~récédent.de son retentissement
et des réakons qu'il engendrée< Une seile chose est certaine :
un acte isoléne suffit pas à fonder la coutume. » PLAIDOIRIE DE M. VASQUEZ (COLOMBIE) - 27 IX 50 71
C'est la même idéequia étéexprimée à la page 304 du Précis du
Broit des Gensauquel je me suis déjàréféré :..
iiLa répétitionet la concordance'des mêmesactes successifsd'où
se dégagera la coutume sont indispensables. Un acte juridique
isoléne suffit point à établir la règlede droit coutumière. La ques-
tion de savoir si quelques actes sont suffisants ou s'il en faut un
grand nombre est une question de fait qui varie selon les circons-
tances et dépendra de l'appréciation du juge. i,
Je ne vois pas jusqu'ici la notion de la coutume r à sens unique »
ou aunilinéaire i>La Cour pourra le constater elle-même,et le n'ai pas
besoin de continuer ces citations. La Cour s'apercevra que, tandis que
le Contre-Némoire déniel'existence d'une règle coutumière en matière
d'asile parce qu'elle n'aurait pas été voulue, consentie, approuvée
par tous les gouvernements, la doctrine des auteurs les plus autorisés se
prononce contre la thèse volontariste, contre la nécessitédu consente-
ment tacite des Rtats pour la validité de la règlecoutumière. <iElles-
c'est-à-dire les coutumes - sont d'autant ulus orobantes. selon la
doctrine du mêmeauteur, qu'elles sont involohtairêsou instinctives et
que les actes constitutifs restent distinctsles uns des autres.n
C'est tout le contraire de la coutume «unilinéaire».
Je demande, par conséquent, à M. l'Agent du Gouvernement du
Péroula preuve qu'en matière d'asile seulement il faut que la répétition
et la concordance des actes constitutifs de la règle coutumière soient
« unilinéairesrn.
Pour autant que cette preuve n'est pas donnée àla Cour d'une manière
définitiveet concluante, le Gouvernement colombien invoque la doctrine
déjà exposée à l'appui de sa thèse, c'est-à-dire, que la règlecoutumière
sur l'asile américain n'apas besoin du consentement exprès ou tacite
de tous les Etats pour êtrevalable au sens de l'alinéa b)de l'article 38
du Statut de la Cour.
Le Gouvernement colombien, en outre, demande sur ce pojnt à la
Cour de bien vouloir nrendre comme base de sa sentence l'opinion d'un
des créateurs du driit international américain, membre de la Cour,
M. Aleiandro Alvarez, lorsque, dans son livre La Codificationdu Droit
internaiional (Paris, 1912, p. 144)~il écrivait :
« Il faut considérerune question importante :sila coutume tire
sa force de la volonté des Etats, faut-il, pour qu'elle existe, le
consentement de tous ? La négative est généralement, admise.
On se fonde s- ce fait qu'un État est liépartous les principes dont
la pratique commune a établi la nécessitéou l'utilité. »
Il y a encore une objection formuléepar le Gouvernement du Pérou à
l'égardde ce système normatif que le Gouvernement colombien,vous a
proposéde sanctionner en matière d'asile :cette objection est tirée du
principe américainde non-intervention.
L'argumentation suivie par le Gouvernement du Péroqest lasuivante :
II ne peut y avoir d'opinio necessitatisde la part des Etats américains
en matière d'asile si l'on tient compte, outre les objections juridiques
dont j'ai parlé précédemmens tur les élémentsformateurs de la coutume,
6 72 PLAIDOIRIE DE hl. VASQUE2(COLO>IBIE ) 27 IX 50
que nl'un desdogmesessentiels du continent ibéro-américainestle dogme
de non-intervention n.(Contre-hlémoire,p. 19 1.)Or, dit-on, a l'octroi de
l'asile est une intervention B.(Contre-Blémoire,p. 19 1.)
Voilà la premiere partie de l'objection. Il y en a une seconde. Elle
est di.rigéecontre le principe de la qualification unilatérale et impérative
de 1'Etat accordant l'asile. La Cour connaît déjà notre opinion sur ce
point juridique. Je crois l'avoir montré, ce principe n'est que l'exercice
d'une compétence reconnue àun État par la loi internationale et j'ajoute
que, s'agissant d'une compétence, elle doit êtreexclusive. C'est à cet
égardque le Gouvernement du Pérourappelle, à la page 37 du Contre-
Mémoire,le « principe de l'égalité juridiquedes États » et celui de la
«non-intervention réciproque dans les affaires intérieures II.
La Cour se trouve, par conséquent,devant un principe - celui de la
non-intervention - et deux conséauences : la uremière nour ce aui est
I'opi~iioiieccssifiilis.In securi(lelioiir cliiiconcrriie In ~lualincaiiori
tiiiil;ithalr. ct iinpCrati\.e. Je (<iiiir pri!icil~c1l;irscqiir le deiisièiiic
~U'OII a invoque. I'égnlitl'jiiridi<liicçiiire Etats. ri'a rieh vuir daris Ic
r;iisoniiernent que j'csaniiiie. I.'igalit6 j!iridiqiic puurnlit étre \.iolce bi,
p:ir hypntli<se. le goiiverneriieiit d'iin I?tnt ;ifirmnit I'esiiterice d'une
oh1i;arion ;?I'.'g;irl'uii aiitre tantclii'ine I'acccl>tepas Iiii-infiiie. .\l;iis
jrrCpcte<lut:,(1;insiiotre cas. ceci est nbsurdt!. piiis(lucIr Gou\,erriemcnt
ci~lvnibienn':~iamais cticrchE ;?eliidcr scj rcs~~onsnliilirt!isiiiern:itioiinles
. et a aussi consenti à ce oue d'autres États Üuissentexercer à son éeard
le priiicipc de Inqiinlificatiun iiiii1;it~~lct iiiip~.r;itivc.
Kcsr.: ii:itur~:llciiicntIc priiicili.ct iion pas Ic dogtiie ..(le Is iiuii-
int<:r\.critioiI..,Cuiir s;tit qiic, d-iii Ic dCi.~li)l>pcriii,iiIriistori<ilii
ci,rirint:nt niii;ric;iiii, cc 11riiisipi::Ii,iiii~plscc cliic,isiis es:igcrcr,
je ilii;llili\.rnis ~I'CminciiIj$s l'origine. c'rst-ii-dird tICsles prciiii2rcs
;lniit:dç iiotrc iiidCl~cii<lnii~oes. Iioinmcsd 1:r;it ont luttC cn fdveur dii
priiicipe iIen~n-iiittrvçntion. 1.;I<c:puhliqii~dc Coli,mbic, pliis(liictoiitt:
aiitre. euth suiiffrir des interi.riitiuns t;ti.îiixl:rej siir soli territoire. :\insi
le Gouvernement colombien se trouve danCune ~osition à la fois divlo-
matique et juridique pour ne pas duder l'appli/ation du principe & la
non-intervention.
D'ailleurs. cet areument est-il valable ? Peut-on tirer une conséuuence
quelconque contre ?opi~iio~iecessilnlis et contrela qualificationunilatérale
et impérative du principe américain de non-intervention ? La Cour
aura à relever cette constatation histonaue ouisemblea\.oir échaonéà..s
adversaires : ce sont les mêmeshommes, l& mêmesauteurs des instru-
ments internationaux sur l'asileaméricainqui ont, aux mémesoccasions,
délibérés,ur ce point. à la Conférencede La Havqe ct approuvE la
Convention de Montevideo siirles droits et devoirsdesEtats. Croyez-\rous,
Illessieurs de la Cour, que des jurisconsultes de toutes les nat'ions
américaines.dont faisaient uartie les vlé.iootent.aires dela Kéuubliaue
dit PFruii. puiseiit :i\.oii I'c5prir trllcnit-iit 1rfic.r.uiic iiiC~~uiiii3iisaiic<:
t~~ll~.niciitnil)lr'tetlr.Il tccliiii,lucjuridi~liic,qu'ilscr~i~\~i<ilt';icccl~tcr
A ilriix coiif;rc!riceideus pr1iicil)ejdi:iriittrnlt:incnr opp81?;I.'i,bjecrion
aiiisi rcsiiiii;sc <I2triiit d'elle-inCnic.
Jc îignii;0':tiitre p.ir.lla Cotir11111sur le plnri rliér,riqueet jiiri(liilue.
la ducrrinc dii droit iiitrrnatioiial :imericairia Jéii rcl:iirci la difi~reiice
qui existe entre l'intervention individuelle et l'cntervention collective.
dont la première seule serait illégaledans l'état actuel de notre droit.
1 Voir val. 1,p. 125.
* " '". "43. PLAIDOIRIE DE M. VASQUEZ (COLOMBIE) - 28 IX 50
73
lorsqu'elle s'accomplii en dehors de toute faculté, de toute obligation.
La Cour aura avantage à consulter à ce sujet le rapport que le secrétaire
générad lel'organisation desEtats américains,hl. Alberto LlerasCamargo,
soumit au Conseilde cet organisme sur les résultatsde la IXmeConférence
internationale américaine réunie à Bogota en 1948.
Sur le plan théorique et juridique encore, l'asile ne peut pas consti-
tuer un cas d'intervention individuelle, du moment qu'une convention
expresse, àpart les règlesdu droit coutumier, a prévuet autorisél'exer-
cice du droit d'asile, sous la forme de la compétence à laquelle j'ai fait
allusion. Si l'objection du Gouvernement du Pérou était valable, il
faudrait conclure que non seulement la Convention de La Havane, mais
aussi celle de Montevideo de ~a?? sur l'asile. sont toutes deux des
instriinieiits coiitrnires au rlroit';;~çriiationnl iiniéricaindurit ellr.5funt
pnrtic 1nt;yr;iiiri.. Suus rvtroii\.uns ciicore une luis le principe de contra-
diction: deux conférences panaméricaines ont à ia même occasion
approuvé le droit d'asile interne et dérogé .ice droit pour le continent
américain.
Le Gouvernement colombien demande par conséquent .i la Cour de
débouter le Gouvernement du Péroude cette nouvelle objection.
[Séancepublique du 28 seplembre1950, malin]
Monsieur le Président, Messieurs de la Cour,
Cette plaidoirie déjàlongue touche àsa fin.Jem'en voudrais deretenir
ulus lonetemus votre attention et d'abuser de la bienveillance aveclaauelle
ia courua biénvoulu m'écouter.Je vous ai promis une méthoded'andyse :
je crois avoir tenu ma promesse. Elle nous a permis de saisir le statut
juridique entre les Parties ; elle nous a permis aussi d'entrer dans le
détail de l'article18 de l'Accord bolivarien sur l'extradition du 18juillet
1911 et de l'article 2, alinéa I, de la Corivention sur l'asile, approuvée
en 1928 par la VIme Conférenceinternationale américaine.
Dans la position juridique [le nos adversaires, cette méthode nous
permit d'observer les points faibles,si bien que l'on sait déjànotre pensée
sur la citation d'un auteur, faite à la page 18' du Contre-Mémoire.
afin de - et je prends les mots tels quels dans ce document - use
demander s'ilexiste undroit international américainspécifique n.Citation
malheureuse de la part d'un Etat américain,car, quel qye soit le talent
du citoyen hollandais auquel un fait allusion, sans mettre en doute
pour ma part sa capacitéscientifique, un fait est certain :ce droit inter-
national s~écifiaueexiste. On a oubliéoue les thèses iuridiaues d'un seul
auteur, d'iirinuÎr.~irqui ii'nl~l~~rticras A notre co~tinenr, iie pourrunt
iiulleriiciit faire a~it<)011C:Lt~ublicl'in~meiist:bih1io~ral)liie~mïric;iiiie
sur un droit au'un État américain comme le Pérou ni Deut vas. méme
par hypothè&, contester.
Dans la position juridique de ilos adversaires, la notion de la coutume
n unilinéaireiicontredit des doctrines très réc ci se dsc hI. le urofesseur
Scelle que j'ai tenuà apporter à la Cour. Il nous est apparu q;e, si dans
la théoriepure du droit, on nous signale u qu'il faut êtretrès ferme »sur
ces uoints de vue. afin de e ne faire aucune concession à la théoriede la
coutume, seulement parce' que les États américains n'auraient pas
exprimé leur consentement d'une façon unilinéaire.
Voir vol. 1,p. 124.74 PLAIDOIRIE DE JI. VASQUE2 (COLO.IIBIE) - 28 IX 50
. Vous savez, par conséquent, que le Gouvernement colombien a des
raisons profondes pour réclamer un droit particulièrement reconnu en
matière d'asile, droit auquel le Gouvernement de la République du Pérou
s'oppose. Et ce droit n'est autre que l'exercice d'une compétenceinter-
nationale qui vient s'ajouter à la compétence conférée à nos agents
diplomatiques par le droit international. Tout le problèmede la qualifica-
tion unilatérale et impérative tient en ce phénomène de la double
compétence ou du dédoublement fonctionnel, si l'on veut, qui permet.
à l'Etat de remplir une fonction internationale en matière d'asile et
d'apprécier la condition juridique du réfugié eu égard à son droit
.national.
Notre but juridique dans ce procès n'est pas d'intervenir d'une façon
quelconque dans la souveraineté du Pérou. Nous voulons seulement
qu'on nous dise si la compétence internationale dont nous sommes
investis pourra êtremise en échecpar la volontéd'un Etat. Et c'est cela
qui pourrait êtregpve pour l'avenir du droit d'asile américain.Du jour
où la volonté d'un Etat suspendrait l'exercice d'une compétenceobtenue
jure gentizcm, nous n'aurions pas d'ordre international, nous aurions
reculéde plus d'un siècleen arrière, où il y avait un ordre seulement
politique et où la loi du plus fort étaitlailleure.
S'ilen est ainsi, l'interprétation juridique de l'ar2ide la Convention
de La Havane de 1928sur l'asile, que le Gouvernement colombien vous
propose, a les caractéristiques suivantes: elle élimine,par une attribu-
tion de compétenceen faveur de l'Etat accordant l'asile, un conflit de
souveraineté qui, autrement, deviendrait insoluble ; elle adopte à la
foisle critèredela loiinternationaleou?la limitation decette compétence
lorsqu'eiie est exercée à l'égardde l'Etat territorial et celui du droit
national pour ne pas faire de l'octroi de l'asile une obligation mais
seulemeni une fa$lté ; elle tient compte de ce fait histozque que la
par des nations dont les systèmes politiques ainsi que la structuie de
l'ordre juridique interne, comme c'est le cas des Etats-Unis d'Amérique,
sont loin d'êtreuniformes ; elle est par conséquent suffisamment précise
et suffisamment large, précise-quant à la limitation de la compétence
internationale reconnue à.1'Etat accordant l'asile, large quant n la
faculté qui est laisséeaux Etats d'adopter vis-à-vis de l'asileinterneune
attitude favolable ou défavorablesuivant leur droit national. D'aprèsce
système, un Etat américainpeut très bien décider.eu égardaux disposi-
tions de son droit national, qu'il neveut pas bénéficierde sa compétence
internationale pour l'octroi de l'asile. II peut très bien se soustraire aux
avantages que cette compétenceentraine s'il n'a pas l'intention de subir '
les obligations qui en sont la conséquencenaturelle. Il peut se placer dans
cette situation logique que, sans exercer le droit d'asile dans d'autres
Etats, il refuse que ce droit ait une application quelconque sur son
propre temtoire, car, encore une fpis, cette attribution de compétence
dont je parle est facultative pour 1'Etat et non pas obligatoire.
En droit international, la compétence à laquelle je fais allusion montre
d'autres exemples, et jeme borne à citer le régime desmandats du Pacte
de la Société desNations ou, à l'heure actuelle, les dispositions du cha-
pitre XI de la Charte des Nations Unies. Conformément àl'article 73de
cette Charte, il appartient à l'Etat de décider s'ildoit assumer ou non la
«responsabilité d'administrer des territoires dont les populations ne
s'administrent pas encore complètement elles-mêmes B.Si l'Etat accepte cette resoonsabilité. et dans ce cas seulement. l'article 72 lui vrescrit:
au nom 'de la communauté internationale, de remplir' ;ne <:missioi
sacrée » afin de veiller au salut des populations, d'assurer, dans toute la
mesiire dii possible. leur pruspCritc &ns lc cadre (lu systcmc dc 1i:iiset
<lest~ciirit6inrc.rn;itioiiîles, niilsique tl':iccoriiplird'ai~tresul~lig;itioiisque
la loi internationale lui a fixées.
Que dirait-on, Messieurs,que dira sans doute M.le professeur Georges
Scelle, lui qui a si bien défendu le principe de la prééminencedu droit
international sur le droit interne, si un État acceptela compétenceprévue
à l'article,< ~ ~la Cliarte et. .out à la fois. refuse d'accomolir les
obligations qui en sont la conséquence? L'0rganisation des Gations
Unies lui dira qu'il est tenu de remplir une fonction sociale internationale
selon le droi~~nominatif internatib~ ~ ~u~d'abandonner la comoétence
pour n'avoir pas à subir ces obligations.
C'est dans une conjoncture semblable que le Gouvernement du Pérou
nous varait se trouver. II a ratifé la Convention de La Havane de 1428
sur l'&de. 11a bien accepté que ses agentsdiplomatiques à l'étranger
puissent iouir d'une compétence internationale bien définie. Il a même
exercéle.droit à la quali.fication unilatérale et impérative dans les cas
que le Afémoirecolombien a pu vous signaler. A l'égarddu droit national,
un communiqué officiel publiépar le journal officiel de la République
du Pérou à l'occasion de cas nombreux d'asile qui suivirent une révo-
lution politique, est venu apporter les indications nécessaires quant à
la conformité de ce droit avec la loi internationale.
liieii ne mnnqiie polir (lue le Gr,ii\~ernénientpt;ru\,ii.n se trou\.e obligL:
(le respecter In loi inrernation:ile. Ja dirai dn\.antiige: Ic<;oti\~erneinent
du I'éroiia invoou6 i);irdeus fais la Con\~eiitioride \Iont<:\.i<le<d )e 1933
sur i'asile, en vu; de'rendre plus efficaceet plus sûre sa compétence p6Ür
exercer la qualification unilatérale. Le zo octobre 1944, par exemple,
lorsaue trois réfuei-.volitioues ont étéaccueillis Dar la Iéeation d.,
1'ér;ii:tu Giiateninla. il fut déin;tii;tu(;oiivt.rncriiei;t dc cII:L~K p::" la
16ç;iriondont je p:irle. d'accorrler la sortie des refugics ii dcsrination du
.\lesioiietidans le cadre des disuositions des Con\.eiitioiis de \lontevidco
et deia Havane sur le droit d'asile ».Copie de cette note dûment léga-
liséese trouve parmi les annexes de notre Mémoire. Un cas identique
se vroduisit. le 27 octobre 1448. comme résultat d'une démarche de
l2a~bassade;r du'Pérou, dan; ia'~é~ubli~ue de Panama, et ici encore
le Mémoirecolombien a pu vous donner la copie, dîiment certifiée con-
forme, de la note diplomatique y relative. -
En vérité,rien ne manque pour que notre capacité juridique iious
permettant d'exercer le droit d'asile dans la République du Pérou soit
parfaite. Si ce n'était à cause de la personnaljté politique de hl. Victor
Raul Haya de la Torre, le Gouvernement du Pérou aurait agi tout
comme dans les cas de MM.Manuel Seoaiic, Luis Alberto Sanchez, Hugo
Otero Latorre, Andres Towsend, Luis Carnero, Manuel Gutiérrez Aliaga ;
tout comme ce fut le cas de hIAf.Javier Pulgar Vidal et Julio Cesar
Villegas, réfugiés à notre ambassade après le 3 octobre 1948, auxquels
on a délivrédes sauf-conduits pour la sortie du Pérou.Nous le savons,
c'est un chef politique, c'est hl. Victor Raul Haya de la Torre qui a
rendu possible ce procès.
Je me demande dans cette situation pourquoi le Gouvernement du
Pérou nedit pas que la cause qu'il défendest politique et non pas juri-
dique. Ce serait, certes, plus difficile à avouer devant la Cour inter- PLAIDOIRIE DE hl.VASQUE2 (COLOJIEIE) - 28 IS 50
76
nationale de Tustice. mais cette déclaration rendrait le vrocès ~lus
facile à comprëndre ;elle nous épargnerait la réfutation de; arguments
iuridiques qu'on nous a présentés sous l'empired'une nécessitéqui
consiste à donner à une cauie politiqueune fausseapparence scientifique :
elle nous épargnerait de prouver que la souverairieté de I'Etat ne peut
pas se considérer comme incompatible avec la loi internationale qui
reconnaît une compétence définie et exclusive à un autre Etat, par
exemple.
La souveraineté absolue de l'État est le dernier bastion de la thèse
pCruviennc. L'on voit trt'j bieii rliic Icrïstc de l'argiiiiiziitntionii'citlus
tris solide lor~quc,poiir cspliqiicr In politirluc par des iiiuyeiis luriiliqiies,
oii sciiil>lciii>iisiioseun i)robl;.mcclr'iiiriitnirr1.x souvcrîiiictc' :il~~oluc
de l'État, avecAlequel on prétcnd nous confondre, est une question
de droit élémentaire.
Le Contre-hlémoire,en maints passages et par deux fois d'une maiiière
carac~ ~ ~tia2e. . aait s'ene2ee.>dans le niveau le dus,él-~é de la science
t:n formiilsnt l'objcctioii doiit je parIf:.I'ardcux fois.aii:~11;igrsioct 44 '.
ilprr'tcndiioiis imposer ces).stiinr : icescr;iit poiir un I:t;iiinc vCritlil>lc
Iiinititri<iiidc s;i souvcrniiict2 que (1sevt>iroblig6 d':iutorisq.r.contr.iirc-
ment :soli poirit de \.iieI:sortie, de soli territoire(I'iiide scs iinti~riniix
sur I'esigriicc d'iiii rei)rdeiitniit di~>loiii:~ti.ld'iiiic :,utrc I'uiis~iic3.
Cornbiende fois avon&nous vu ce problè~ned'actualitépour 1789,
alors qu'on pruclamait le principe de la sogverairicté~iationale absolue,
du pouvoir :rbsolu et incontrôlable des Etats ?
J'ai le plaisir de rappeler à mes éminents contradicteurs ce chef-
d'Œuvre de la science juridique dû au taleiit de 31. r\'icolas Politis : .
Les $iouvellesTendaiicesdu Droit i?iternatio~falp ,ublié à Paris en 1927.
Politis,parmi beaucoup rl'autres, nous signale que «la transformationde
la vie internationale a amené, comme c'étaitnaturel et inévitable, celle
du droit qui la régit ». Des re les nouvelles ont t'técréées.Le pouvoir
absolu et incontestable des &ats a vu fléchir sa prééminence,et la
liberté des États s'est vue remplacéepar une certaine compétencepour
agir, à l'instar des individus, dans les limites d'un droit normatif de la
communauté internationale.
Le Gouvernement du Pérou est dans son droit de ne pas vouloir
que d'autres vuissent exercer chez lui une fonction internationale dont
fa nature est'en opposition avec le concept absolu de la souveraineté
nationale. Nous respectons ce point de vue juridique. A ilne condition,
ceoendant : de ne Üas donner-des instructions des vléniuotentiaires
pÔur délibérerdaik des conférences internationales Sur dés matières
qui comportent des restrictions à la liberté de I'ctat, de ne pas signer
et ratifier des conventions internationales ; de ne pas s'engager envers
lui-mêmeet envers les autres par des instruments qui peuvent sembler
onéreux à accomplir dans certaines circonstances politiques ; àcondition,
Messieurs de la Cour, de ne pas avoir ratifié, pour notre cas, la Conven-
tion de La Havane. C'est vrai !Le Gouvernement du Pérou a raison.
Peut-rtre cette convention comporte-t-elle une limitation à la souve-
raineté nationale. Il aurait fallu ne pas la signer et, l'ayant signée, ne
pas l'avoir ratifiée. II aurait fallu faire des réserves pour le cas où un
chef politique désirerait bénéficierde l'asile dans certaines conditions.
Maintenant c'est trop tard. Il est trop tard pour renier ses engage-
ments internationaux et revenir en arrière.
'Voir vol. 1,pp. iqGet rgo. PLAIDOIRIE DE RI. VASQUEZ (COLOAIBIE) - 28 IX 50 77
Monsieur le Président, Messieurs de la Cour, j'ai fini. Je crois avoir
accompli la tâche qui m'avait étéassignéepar le Gouvernement de la
Colombie dans ce procès.
Je crois qu'il n'y a pas de doute dans vos esprits sur l'urgence et la
nécessitéde l'asile pour M. Victor Raul Haya de la Torre. Je vous ai
démontré queM. Victor Raul Haya de la Torre est le chef d'un parti
politique du Pérou, qui a decidéde l'électionprésidentielle de Af.José
Luis Bustamante y Rivero en 1945. En 1948, au moment où s'est déroulé
un premier soulèvement armé,ce chef politique accorda son soutien au
Président constitutionnel.
Après la crise du 5 juillet 1948, on aurait pu croire que la vie du
pays deviendrait normale. Mais le décret presidentiel du mêmejour a
suspendu les garanties constitutionnelles. Deux révolutionssurviennent.
~a'~remière,~le 3 octobre 1948 ;la seconde, le 27 du même mois.La
proximitédes dates est telle qu'on pourrait croire quetoutes deux se sont
préparéesd'une façon simultanée:
C'est alors que hl. Victor Raul Haya de la Torre fut l'objet d'un
mandat de comparution qui, dans l'état de la procédiire, ne cons-
tituait pas, ne pouvait pas constituer l'accusation dont parle l'article
premier de la Convention de La Havane sur l'asile de 1928, mais qui
donna lieu néanmoins au séquestre de tous ses biens et à la
fprucicliirc c.ni.itijr<.riniiii~:llc,siiiir cii<n+?~l'iirie',011sic'\.irlciirr
c,iiiini.5iiiti;ila prt3ssit?not~stiii;~d'uii iiiiiiictrc :iiiprjo<el.tiicl~icl
<IV<11rtirc5ont 616trdiisn~i; ilans uii ct>it:j1ris{II'<&ird cl^ ?1.1'i:ttgr
Raul Haya de la Torre. -
A notre avis, les circonstances de l'intervention d'un ministre dans une
enquêtejudiciaire suffiraient pour démontrer le bien-fondéde nos conclu-
sions. L'asileinterne est une mesure de clémencequel'agent diplomatique
d'un Etat accorde à un homme lorsque celui-ci se trouve en danger.
Crovez-vous aue l'accusation d'un ministre de l'Intérieur. le fait de la
de ce ministre d'avoir communiqué àun juge d'instruction une liste
des coupables, et le fait pour un homme d'être l'objet du séquestre de
tous se; biens sans procès, ne soient pas des motiis de danger ,et de
crainte ? Croyez-vous que le décret sur la peine capitale ne soit pas
une mesure pouvant justifier le refuge ? Si l'asile pour lui était une
alternative. la Cour martiale instituée selon le décret du 4 novembre
1948 en était une antre. Ah ! nous connaissons l'argument de la Partie
défenderesse,ce décret-loin'avait pas de caractère rétroactif. Mais cette
déclaration dite froidement en ~gjo n'arriva jamais en 1948 aux oreilles
de M.Victor Rab1Haya de la Torre.
En tout cas, M. Victor Raiil Haya de la Torre, maître de lui,
responsable de ses actes, conscient du danger qui l'attendait - ces neuf
jours de procédure en Cour martiale depuis l'instruction jusqu'à la
sentence - l'a compris ainsi. Pouvions-nous faire quelque chose pour
empêcherce sentiment subjectif de sa part? Nous ne pouvions pas
empêcherqu'il ait le désirde Guver sa vie par un des moyens que la loi
internationale reconnaît aux Etats de l'.4mériquelatine. Le Gouverne-
ment du Pérouaura l'opinion qu'il voudra surla personne de M. Victor
Ra61 Haya de la Torre et sur les motifs qui l'ont conduit à se réfugier
dans notre ambassade. Kotre thèse est qu'il n'appartenait qu'à lui-
même,Haya de la Torre, de décider s'ilse trouvait on non eu danger, et
au Gouvernement colombien de le qualifier comme réfugié politique. ('e serait iiiirrliL'scbicn ciiriciise qiic ccllr rlc 1)r;rcndrc tIf.iI:in;er
rliir;:fu~il dair itrc *ppr$ciG,iv;ilii? en iliiclqiic st~rr, 1r Ir Guiivcrnc-
nient riiii12i><iiirsiii.Isrrn ~iffi~~-~d~.i>roii\.erccttv 1hi.s~SCIOIlI droit
international américain.
Voilà, Messieurs de la Cour, ce que j'avais à dire.
Vous avez apprécié,j'en suis sûr, la situation de M.Victor Raul Haya
de la Torre comme réfugiépolitique à notre ambassade. Vous avez de la
sorte compris quenotre ~rotection à cecitoyen du Péroun'étaitnullement
hâtive etAintempestive.*
Je n'insiste plus sur les méthodes qui ont étéemployées à son égard
par le Gouvernement de son pays et qui ont abouti à cette situation
paradoxale :citédans un procès comme coupable du délit de rébellion
militaire, il l'est aussi dans un décret-loigouvernemental pour n'avoir
pas soutenu la Troisième Révolution. Ainsi, le Gouvernement qui
accomplit la Troisième Révolution le sanctionne tout à la fois et pour
avoir échouédans la Seconde et pour n'avoir pas participé àla Troisième.
Entouré par une contradiction si évidente sur sa responsabilité dans
les révolutions politiques de son pays, M. Victor RaUl Haya de la Torre
sera tentéderépéterdans sa retraite la tirade de Beaumarchais, lorsqu'il
faisait direà Figaro :~iLouépar ceux-ci, blâmépar ceux-là, me moquant
des sots, bravant les méchants, je m'empresse de rire de tout de peur
d'êtreobligéd'en pleurer. »
Messieursde la Cour, nous avons confiance. Le Gouvernement colom-
bien a confiance dans votre impartialité et votre esprit de justice.
Il a déposéentre vos mains une cause dont lanature n'est autre que de
décider si le Gouvernement colombien peut exercer une compétence
internationale fermement établie.
11revendique pour lui l'application de la loi internationale et il a la
conviction que, de votre décision,dépendra le maintien d'un grand
principe américain: le droit d'asile interne. Je vous remercie. 3. PLAIDOIRIE DE hl. LE PROFESSEUR J. M. YEPES
(AGENT DU GOUVERNEMENT DE LA COLOMBIE)
' AUX SÉANCES PUBLIQUES DES 28 ET 29 SEPTEMBRE ~gjo
[Séancepubliqtcedn 28 septembre 1950, matin]
Monsieur le Président, Messieurs de la Cour,
Malgré la sérénité augustedecette salle, véritableprétoire dumonde,
et malgré la réserve que m'impose ma qualité d'agent du Gouverne-
ment colombien auprès de la Cour internationale de Justice, j'ai pu
me rendre compte de l'impression profonde causée par les explications
faites par mon confrère, Jfe Vasquez, sur les origines réelles et les
dessous de l'affaire colombo-péruvienne relative à l'asile accordé à
JI. Victor Raul Haya de la Torre par l'ambassade de Colombie à Lima.
Il ne s'agit donc Das. comme d'aucuns voudraient le faire croire.
d'une simp& manceu;re'dSun gouvernement intéressé, on ne sait pou;
quels motifs, à soustraire un criminel à ses juges naturels. Il ne s'agit
donc pas d'un asile de complaisance accord6 à-un personnage que l'<n
voudrait protrger contre la justice de son pays. .
Il s'agit, en réalité,de tout le problèmede la liberté de l'homme, de
la liberté de penser, de la liberté de ses croyances, c'est-à-direde cet
ensemble de prérogatives de la personne que la Charte des Nations
* Unies considère comme essentielles pour !a paix Icrsq~i'elle proclame
la foi des peuples dans les droits fondamentaux de l'homme et dans la
digniti: et la valeur de la personne humaine D,et lorsqu'elle ordonne
«le resgect universel et effectif des droits de l'homme et des libertés
fondamentalespour tous, sans'distinction de race, de sexe, de langue ou
de religionilIl y a bien devant vous un problème concret poséenprincipe
sur le plan continental américain,mais qui va bien au delà du cas d'espèce
entre la Colombie et le Pérou,car il touche de très près à l'une des plus
graves questions internationales de notre temps : la liberté, qui est ce
qui donne un sens à la vie.
Non confrère vous a exposé le côtéhumain de cette affaire, les circons-
tances de fait dans lesquelles s'est produit l'asile de M. Haya de la
Torre et les motifs de notre qualificationunilatérale.
Mais, comme je vous l'ai déjà dit, cette affaire comporte encore un
aspect nettement juridique, à savoir : les raisons légalesde la Colombie
pour accorder l'asile et lecaracthre juridique de l'institution américaine
de l'asile. selon le droit international conventionnel et coutumier. ,
J'ai,à mon tour,l'honneur de vous présenter les arguments exclusive-
ment juridiques que la Colombie invoque en faveur de ses thtses.
Du domaine deia politique, où vous avez pu apprrcier les ravages que
la libido dominandi, dont parlait Pascal, produit en Amérique latine -
comme partout ailleurs -, nous allons passer maintenant aux régions
sereines du droit pur et de la philosophie juridique.
Dans notre requête introductive d'instance et dans les autres pièces
de la procédure écrite, nous avons clairement posé les fondements
juridiques de la demande colombienne. Je vous rappelle quels sont, en
synthèse, les piliers sur lesquels elle repose: D'abord les obligations généraleset spécialesqui découlent pour les
Gouvernements du Pérou et de la Colombie des instruments suivants :
l'Accord bolivarien sur l'extradition du 18 juillet 1911 ;la Convention
sur l'asile, approuvéeet signée àla VImeConférencepanaméricaine de Ln
Havane en 1928.
Ensuite, la nature juridique particulière de l'institution américainede
l'asile, reconnue par le droit positif américain et par la pratique des
États de l'Amériquelatine depuis le siècle dernier.
Enfin, les normes généralesdu droit international conventionnel et
coutumier américain.
Je m'efforcerai de mettre en relief l'importance,' du point de vue
exclusivement iuridinue. de ces divers élémentsDour vous démontrer
'que la Colomb& n'a fait'qu'exercer les pouvoirs jiridiques qu'elle tient .
du droit international amiricain conventionnel et coutumier et que, en
revanche, le Pérouest en demeure de remplir les obligations convèntion-
nelles qui le lient dans ses relations avec la Colombie.
L'ACCORD BOLIVARIEN DE 1911
Le premier des instrumeiits mentionnés est l'Accord bolivarien sur
l'extradition signé en 1911, à Caracas, entre la Bolivie, la Colombie,
l'Equateur, le Pérouet le Venezuela. Monconfrèrevous a dit les origines
latines de ce congrès ;il m'appartient d'en préciserla portée juridique.
Cecongrès,qui, vous le savez déjà,a réuniles cinq républiquesfondées
par le héros et libérateur Bolivar, a eu pour objet primordial de jeter
les bases pour une plus grande solidarité entre elles et pour une poli-
tique de bon voisinage. Aussi s'occupa-t-il de problèmes tels que l'extra-
dition et la neutralité à l'égard des guerresciviles, si fréquentes à cette
époque-là. Parmi ces questions se trouve aussi celle de l'asile, qui était
entré dans la coutume des pays latino-américains mais qui n'avait pas
encore étéréglementé.L'article 18de l'Accord bolivarien sur l'extradi-
tion reconnaît l'institution de l'asile conformément au droit inter-
national.
Remarquez bien que les membres du Congrhs bolivarien de lgrr
n'ont pas tenu à établir un accord spécialsur l'asile, qu'ils ne considé-
raient pas encore mûr vour la codification. Ils ont vlutOt décidé d'incor-
porer dans l'accord Gr l'extradition un article 'sur l'institution de
l'asile.Celan'estpas l'Œuvre du hasard. Sans nullement vouloir confondre
les deux phénomènesjuridiques nommés asile et extradition, ils ont
voulu bien marquer leur volonté de faire que toutes les modalités de
l'extradition prévuesdans l'Accord de 1911, qui ne seraient pas incom-
patibles avec l'institution de l'asile, lui seraient ipso facto applicables.
Et voilà comment les dispositions de l'Accord de 1911 sur l'extradition,
que vous trouverez dansnotre Mémoire(annexe zo, p.69'), sont valables
auReconnaître l'existence de i'asile en Amérique et considérer celui-ci
comme étant une institution régie conformément aux principes du
droit international, c'est au fond constater l'existence d'une règle de
droit coutumier préalablement établie par les précédents fournispar
une pratique générale vieillede plusieurs dizaines d'années.
Nous avons démontrédans notre Mémoireet dans notre Révlioue.
par Ir.I.LIIIId'une ri^ ~n~pï~iii\iii~li~~< ltecil-~\'ajil~\I:.IItuiité,lei
r~yubli~lii~~IIj=l'-\mr'ii.~I.,riiiaux iliii>r,>iitcs~.vo<,ud: leur l,i.tuir?
. A
'Voir vol. 1, p. 78. PLAIDOIRIE DE M. YEPES (COLOUBIE) - 28 IX 50
81
qu'en 1911 déjà il existait une conscience latino-américaine en cette
matière. Les exemples que nous avons rassemblés dans notre Réplique
montrent qu'à cette époque la pratique de l'asile réunissait les carac-
tères de généralitéet d'obligation conceptuelle - si l'on me permet
cette expression pour signifier la conviction chez les Etats intéressésdu
caractère oblieatoirede l'asile- aue le droit international exiee nour
de l'A~cordAbolivarie~de 14x1 ne peut signifier rien d'autpe que l'ensem-
ble des normes juridiques, conventionnelles et coutumières en vigueur
e-~~~---~~nations américaines. Or. nous avons abondamment nrouvé
que le droit de donner asile aux délinquants politiques figure pairni ces
nrinciues de droit international américain que les signataires de l'Accord
de 1gÎ1 ont reconnus comme devant gou;erner 1';nstitution de l'asile
et que, sans aucun doute, ils avaient dans leur esprit lorsqu'ils ont
rédigél'article 18 de cet accord.
Mais ce ne sont pas seulement les principes du droit coutumier que
l'Accord de I~II a voulu consacrer en relation avec la reconnaissance
de l'institution américaine de l'asile. Il existait alors certaines disposi-
tions conventionnelles qui, forcément, doivent être comprises dans
l'expression de principes de droit international applicables à l'asile.
C'est ainsi que le Traité d'extradition signéà Lima le 27 mars 1879 et
le Traité de droit pénal international approuvé en 1S8y à Montevideo,
au Congrès international sud-américain, avaient reconnu des principes
générauxsur l'asile diplomatique aux réfugiéspolitiques en Amérique
latine.
Plus tard, le mouvement en faveur de l'asile diplomatique continua
de s'étendre. En 1907,les républiques de l'Amériquecentrale sont conve-
nues d'admettre certaines règles sur l'asile dans le traité de paix et
d'amitié signépar elles.
Il est évident aue ces différents traités n'obli~eaiunt nue leurs
signataires. Mais ils n'en avaient pas moins pour les autres la valeur
d'une preuve complémentaire de l'existence de la coutume, Et, de ce fait,
ils l'oit comvris dans l'ex~ression de orincives ~énérauxdu droit inter-
national do; parle l'.4cc&d bolivarie;~ de Îg11;
En I~II aussi, le jurisconsulte brésilien M. Epitacio Pessôa avait
inclus dans son Proietde CodedeDroit internationalbublic lchanitre XII.
livre IV) des dispositions concernant l'asile comme p;incibe de la
communauté juridique des Etats américains.
Dans son projet, M. Pessôa s'est bornéà présenter sons forme d'articles
d'un code les principes de politique et de droit qui étaient déjà admis
dans la pratique des nations latino-américaines. Or, ce projet contient
un article selon leauel l'asile des délinauants uolitiaues accordé dans
les territoires, les iégations, les navires de guerre, les campements ou
aéronefsmilitaires, sera respecté ».Encore une fois, ce code n'a évidem-
ment aucune force obligatoi;e, mais il est une autre des preuve:, d'ailleurs
très autorisées, de la coutume existant en Amérique latine aumoment
de la signature de l'Accord de 1~x1.
L'Accord bolivarien de 10x1 n'entraîna Das la création ex novo d'une
faculté pour l'État d'accord& l'asile aux rlfugiés politiques. Il constitua
simplement la reconnaissance d'une norme de droit coutumier établie
par-les précédentset l'expériencedes pays signataires82
PLAIDOIRIE DE AI. YEPES (COLO~IBIE) - 28 IX 50
Vu sous cette lumière, l'Accord bolivarien permet d'appliquer à
l'asilede hl. Haya de laTorre tous lesprincipes sedégageantdes pratiques
latino-américaines en cette matière et du droit international général
coiitemporain à l'époque.
LA COXVEXTIO'I DE LA HAVANE DE 1928
La Convention sur l'asile signée à la VImoConférencepanaméricaine
(La Havane. 1028)~ar la Colombie et le Pé~o~ ~t ratifiéeDar les Aeu~ -~-
Pays est u"' &tri des instruments juridiques invoqués par la Colombie
pour étayersesthèsesdanscette affaire. C'estle document capitalen cette
fontrovërse. Le Pérou n'en conteste pas le caracth obligatoire à son
égard. Examinons-le de plus près. Cet examen amèiic à certaines conclu-
sions que je me permettrai d'exposer devant vous :
1' J-orsque l'article premier de cette convention interdit l'asile des
délinauants de droit commun. il autorise a contrario semu l'asile des
déliniuants politiques dans les ambassades, légations, navires de guerre,
aéronefs ou campements militaires d'un pays de l'Amérique latine.
Mêmesans les diipositions expresses de cetteconventioiiet bien avant
elle, le droit d'accorder l'asile qui est un droit de tout Etat souverain
- existait en Amériquelatine. C'est un droit coutumier établi par une
longue pratique dans toutes les nations de ce coiitinent-là, y compris
notamment le Péroii ; mais la Convention de 1928 - qui peut être
considérée commele premier essai de codificatioii du droit d'asile sur un
plan continental - a voulu inscrire expressément cette faculté pour
donner un caractère contractuel à un droit qui, jusqu'alors, n'était que
coutumier.
Je voudrais, des maintenant, faire remarquer àce haut tribunal que la.
codification du droitinternational public sefait en Amériquepetit à petit
et par étapes successives, sans jamais aller d'un trait jusqu'au bout,
c'est-à-dire sans iamais codifier intée.,lement une matière déterminée.
SCI~~I ICS I>rar;,l~ir~~ntt~ni~ll~~lliiilc~IS.\in~riiliic latine, f:,it de
coditicr l)nrlicll~nieiiiiiiciiis~itiiti~~ijiiiriili<l!ieo~i p~,liritcl,lc, par
cxcnii~l~?o,tic I'asilt:l:irrsi~uii~;~t~iIi~~1t:.slCt;irs, l':crbiir.i~~:.etc., nc
signif;e nuîlement q"e le driit coutumier préexisti~itsoit cokblèt&ent
remplacépar le droit conventionnel. Il n'est doiic pas exact de dire -
comme le.fait la Duplique du Gouvernement péruvien - que la législa-
tion, c'est-i-dire le traité, abolit le droit coutumier. Bien au contraire,
elle laisse subsister les principes du droit coutumier dans toute l'étendue
où ils n'ont pas étécom~risdans la codification sans la contredire.
1.e~pcul>lt:s<leI'Aiii6ri<lii;~tiii~. ci>mprendr:~ieiitjaiiwis qiie. par le
ftiit dc c#incliireuiit: (:onwilti<in ciir <~iielques-clesasl~cctsjuri<liiliiej
ou ~olitiaues d'un ~roblèmeinternational: disparussent foutesies mida-
litci coiir;imi&rc.I~~~rxistaritt dii(11tI)ri,hlh~~~IIest ~~~i~de iIIC rout~i
les modnlitCi iricomp:inblcs ;ive<:le stririir coii~cntioiinel adopte dislssrsî-
tront ; mais celles quile conditionnent, ou qui en sont les parties ëssen-
tielles, subsisteront indiscutablement. II faut connaître de près la
mentalité de l'Amérique latine pour saisir cette manière si nuancée
d'envisaaer la vie internationale et la vie tout court. C'est là une des
raisons de reconnaître l'existence d'un droit international américain,
d'un droit international particulier au Nouveau Blonde, et de réclamer 1 FLAIUOIRIE DE 'hl. YEPES (COLOX~BIE) - 28 IX 50 83
aux peuples d'Amérique. Parmi ces problèmes, l'institution de l'asile
'occupe une place de tout premier plan.
La Colombie ne demande pas à la Cour de prendre une décisionsur le
plan universel. Nous posons cette question sur un plan çxclusiveme~it
latino-américain et nous attendons qu'il soit tenu compte, pour In
trancher, de la mentalité, de la manière de penser et d'agir, du droit
conventionnel et de la coutume des peuples de l'Amérique latine.
Je tiens à dire que la Convention de La Ilavane de 1928. dont la force
obligatoire pour la Colombie et le l'érou ne peut pas êtrediscutée, a
formulé pour la première fois sous les espècesd'un trait6 continental les
principes gouvernant l'asile dans tous les pays du Nouveait Monde. Mais
elle ne pouvait pas aspirer à épuiser la codification de toutes les règles
concernaiit l'institution de l'asile. Elle a donné uncaractkre coiitractuel,
comme je l'ai déjà dit, à certains principes de droit coutiimier qui
existaient déià bien avant 1028, mais de ce fait elle a laissécil vi"ueur
lei niirrcs~~riilci~~t'~ci~iitiii~~rci:xi.il:ii:i~ni~i:iril:\.cccj cl,,iiscs.
.\lCmcsi cvrtc cuiivi.ntiuriii';i\:j:im;iiiLI; sigi!Ce, lesI'i:,t(Ic l':\in;-
ri(ii1cI.lrinil'~~~IlIr~ic~n5 111ni1i!s<:,lrnit (~',t~:cnri~c1r':i:iIcI~iirs
ambassades et légations à'tous les persécutéspour des délits politiques.
z0 L'article premier; paragraphe 2, de ln Convention de 1928 concerne
les criminels de droit commun. II dit :irLes personnes accusées ou
condamnées pour des délits communs qui se réfugient dans l'un des
endroik ~neiitionnésdans le paragraphe précédeiitdevront être remises
aussitbt que l'exigera le gouvernement local. > ,isons plus attentivement
cet article. Il constitue la consécration d'un principe du droit latino-
américain : les délinquaiits de droit commun n'ont point droit ?Ll'asile
et, s'ils se réfugient dans l'hôtel d'une mission diplomatique, le chef de
celle-ci doit les remettre aussitôt que les autorités locales !'exigent.
C'est là le principe. Mais examinons les choses de plus pr+s encore. De
quels criminels de droit commun s'agit-il ? l'as de tous assurément, mais
seulement de ceux qui sont diiment u accusés uou icondamnés iipar un
tribunal de justice au moment où ils se réfugient. Xotez la forme pré-
cise dans laquelle cet article de La Havane a été rédigé. u Accu?,'s,,ou
u condamnés 1)- participe passé - indiquent qu'au moment du refuge
CIl'accusation > ,u la «condamnation » de la personne demandant asile
doit êtrechose déjà accomplie avec toutes les formalités légales. 11
ne saurait donc s'agir d'un projet d'accusation ou de condamna t' 1011.
La personne en question doit etre déjà formellement a accusée i, ou
r condamnée n,c'est-à-dire ce que l'on appelle accusé oucondamné dans
toutes Leslégislations pénales du monde, soit une mise forrnelle en état
d'accusation ou une sentence passée en autorité de chose jugée. Une
rumeur populaire accusant quelqu'un d'avoir commis un crime ou mème
la mention qu'une autorité plus ou moins partiale ou impartiale fait du
nom d'une personne pour signaler cette dernière commc responsable
d'un crime ne suffit pas. Il faut que la personne iiicrimiufe ait étélégale-
ment accusée ou condamnée.
Et remarquons encore l'emploi qui a étéfait dans la même convention
du présent de l'indicatif: «Les personnes accusées ou condamnées
(participe passé) pour des délits communs qui se réfugient (présent
de l'indicatif), etc.> ,ue signifie tout cela ? Que les personnes doivent
être,accusées ou condamnées au moment où elles se réfugient et non
quelque temps après. Ceci n'est pas un simple jeu de mots grammatical,84 PLAIDOIRIE DE hl. YEPES (COLOMBIE) - 28 IX 50
bien au contraire. Le fond mêmede ce principe du droit coutumier,
devenu aujourd'hui droit conventionnel, réside en ceci qu'il empêche
qu'un gouvernement instaure en-post facto une action contre un réfugié
politique pour le faire apparaître comme accusé 1pour un délitde droit
commun et frustrer ainsi l'asile accordépar une ambassade ou légation.
Il serait très tentant et très facile pour un gouvernement d'organiser une
mise en accusation ou mêmeune condamnation ex-post facto contre un
adversaire politique qui aurait eu recours à l'asile dans une léeation
étrangère.C'est pour êmpêchelres gouvernements de succomber cette
tentation qu'il a été clairement établi, tant par le droit coutumier que
var le droit conventionnel, que l'accusation ou la condamnation doivent
&trerevêtuesde toutes les fbrmalités requises avant mêmeque le persé-
cuté politique ne se soit réfugié.
Or, eii ce qui concerne XI. Haya de la Torre. il est évident qu'il n'a
à Lima. La seule inculvation indirecte contre lui - oui n'est nas une
ment subversif-du " octobre 104,..Et encore ! car cette incul~ation ne
rv,jt,rt <]IICil.'iiiir si~riiiii;iriuiiou cit.it:Iicoiiip;irairre ile\.anr Ir.]U&C
~~'ii~~trli~~li~11iili1.llr:~??111-us1~ 1~r~cCisril1~li)lrl<.l~n(lre,sur la blsc<lc
cette c sommation » ou <;citation » Dour un défit éminemment nolitioue
comme la rébellionmilitaire ilou rmouvement subversif in,queh. ~&a
de la Torre a été formellement iiaccusé B ou iicondamné i>pour un délit
de droit commun ?La preuve que le Gouvernement pérutien lui-même
se rend compte de la faiblesse de sa position juridique, c'est qu'à aucun
moment - je dis bien à aucun moment - ce Gouvernement n'a jugé
opportun de demander la remise du réfugié,comme il aurait parfaite-
ment eu~ledroit de le faire conformément à la Convention de La Havane,
s'il s'était agi d'un délinquant de droit commun. N'oublions pas que.
l'article premier. alinéa 2. de cette convention - aue ie vous ai déiàlu -
. ,
(III ~IIIC12% ~?~rsniiii~s.~~r~i;~c; <,II,oiiil.iiiiiiirliuiirclci <lilitjde droit
coniniiln .IIIIsc r;tii<ir.rir (I:,n; iiiic .ari~l~~î<,III;;.LII<~II<lini!.c~it:trc>
rt:ill:;c; a11;5i1OtIII?l'c~izt-lc ?~,II~~~~~II~~~II~,,:~l l<jl.il~~r,,~:~~ntil,~lil~!
que si le gouvernement ?ocal~c'est-à-dire le Gouvernement du Pérou,
avait eu la moindre preuve pour démontrer que, le 3 janvier 1949,
M. Haya de la Torre était légalement accusé ou condamné pour uri
délit de droit commun, est-il vraisemblable, disje, que ce Gouverne-
ment, fort du droit que lui reconnaît la Convention de 1928, n'ait
pas exigé à cor et à cri que le Gouvernement colombien lui remette
inmmédiatement ce criminel vulgaire qui se cachait dans l'hôtel de
l'ambassade de Colombie à Lima ? Si tel avait étéle cas, c'est-à-
dire si le Gouvernement colombien s'était trouvé devant une ~ ~ ~~ ~~ ~ ~ ~~~-~~--
tion 1,ou une a condamnation 1,par un tribunal de justice, il n'aurait
jamais hésitéà remettre AI. Hava de la Torre aux autorités locales. Et
au cas ou il s'y serait refusé, noÜsserions aujourd'hui devant vous pour
répondre d'une attitude négative dans l'accomplissement d'une obliga-
tion imposée à la Colombie par le droit international. Au contraire,
nous sonirnes ici Dour deniarider oue le Pérou dorine suite à l'article z PLAIDOIRIE DE .\I. YEPES (~0~0.11~1~) - 28 IX 50 85
Je laisse très respectueusement à la Cour le soin de tirer les conclu-
sions légaleset logiques de cette argumentation.
En troisième lieu, la Convention de 1928 précise lecritère à appliquer
pour trancher le conflit de compétence qui se présente forcémententre
l'État de refuge et l'État territorial, lorsqu'il s'agit de décider tout
point relatif à la régularitéde l'asile accordépar une ambassade ou
une légation étrangère i un ressortissant du pays où elle est accréditée.
La convention n'aurait pas pu disposer que ce soit une loi de ce dernier
que les autorités localesion- dechargées d'interpréter et d'appliquer les
lois de l'État territorial - auraient grand intérêt à empêcher l'asile
d'un adversaire politique et qu'elles feraient tout leur possible pour
démontrerque l'asilen'a pasétéaccordédans desconditionsIérales. Sous
I'empirr de i;p:ission p~liti<~iieI.cgouvernéiiieiitI<gcnritpourrait doiiiier
tGiites les g:irnritit.stl'imp:irtiriliti iir:c~cC.'cst pourquoi les aiiteiirs
dc 1:Con\.entir,ii de rq?S se sont dit oii'ilII~f:illliD:ISmettrc eii coriflit
la conscience et l'intérét,car, bien souvent, c'est ia première qui doit
céder.Ilsont établi que ceserait une autoritéimpartiale entre lesdiverses
factions en lutte, un représentant étranger qui, par définition,doit être
ersona grataauprèsde tous les partis et qui nesaurait se mêleraux ques-
tions de politique interne, c'est-i-dire l'agent diplomatique qui accorde
l'asile et, en dernier ressort, l'État qu'il représente, qui devrait décider
de la régularitéde l'asile. Et ce, par l'application de lois édictéeset de
coutumes établies bien avant l'asiledont ils'agit.C'étaitla sagessememe.
En effet, l'article2de cette convention a la teneur suivante :
u L'asile des délinquants ~olitiaues dans les léeatioiis. sur les
navires de guerre, dais les camps & à bord des aéronefsmilitaires
sera respecté dans la mesure où les usaEes, les conventions oii les
lois du pays de refugel'admettraient comme un droit ou par tolé-
rance humanitaire, et conformément aux dispositions suivantes. »
Ce serait donc les usages, les conventions ou les loisdu pays de refuge,
en I'espkcela Colombie,qui décideraientde toutes les modalitésde l'asile
accordé à 31. Haya de la Torre. Ces usages, lois et conventionsdiront si
l'asile a étéou non régulièrement accordé, si le caractère du délitimputé
au réfugié est politiqueou de droit commun, si I'asile doit êtreou non
respecté par les autorités locales. Ce sont toujours les usages, lois et
conventions du pays de refugc qui diront quelles sont les garanties que
les autorités locales devront octroyer pour que le réfugié puissequitter
librement le pays, «l'inviolabilitéde sa perçonne étant respectée n.
Tous les efforts de dialectique qu'a déployésle Gouvernement péruvien
dans sa Duplique du 15juin 1950 (p. IS ')pour tâcher de démontrerque
le principe adoptépar la Convention de 1928est contraire à la technique
juridique et que ce serait la lez lori - la loi péruvienne - qui devrait
s'appliquer en ce cas, sont en réalité inutiles parce qu'ils contredisent
ouvertement et la lettre et l'esprit de la Convention de 1928,laquelle dit
expressément le contraire.
La thèse de la Duplique péruvienne est une vue de l'esprit, d'ailleurs
très respectable comme tout effort intellectuel ;mais ses auteurs ont
oubliéque la Cour ne peut appliquer un principe de legeferendaet qu'elle
--it accepter strictement les termes expressément employés ilans la
Voir vol. 1, p.412.86 PLAIDOIRIE DE M. YEPES (COLOMBIE) - 28 IX 50
convention, termes selon lesquels- je le répète- ce sont les usages,
les lois et les conventions de la Colombie, comme pays de refuge, qui
détermineront toutes les conditions de l'asile de M. Victor Raul Haya
de la Torre.
Les auteurs de la ~upli~ue'péruvienne s'apitoyent sur la responsabilité
immense, soi-disant supérieure à toutes les forces humaines, que la
Convention de 1928 a fait peser sur les épaules du chef d'une mission
diplomatique. Selon la Duplique, «l'agent diplomatique qui accorde
l'asile, sous la pression de circonstances dramatiques, ou de considéra-
tions humanitaires, a généralement autre chose à faire qu'à consulter le
recueil des lois, coutumes et conventions de son pays ».Ceci peut être
exact au point de vue des personnes qui n'ont pas étudiéla mentalité et
l'histoire de l'Amérique latine, car la pratique de l'asile est tellement
enracinée dans la coutume de toutes ces réoubliaues l'asile v a été
qui ne lélaisseront pas hésiter un'seul instant sur ses devoirs iorsqu'une
victime des persécutions politiques se présente à l'ambassade pour
demander asile.
Les auteurs de la Duplique péruvienne nous donnent eux-mêmesla
solution qu'il faut adopter lorsqu'un diplomate rencontre des difficultés
dans l'exercice du droit d'asile : « ce sera vraisemblablement - dit la
Duplique - à son gouvernement qu'il incombera ultérieurement, si
l'asile est contesté par le gouvernement territorial,de vérifier qu'il a été
accordé conformément aux dispositions de son droit interne n.-
C'est précisémentce qu'a fait le Gouvernement colombien dans le cas
soumis aujourd'hui à la Cour. Dès que les autorités locales eurent fait la
moindre opposition à l'attitude prise par notre ambassadeur à Lima, à
l'égard de M. Haya de la Torre, le ministère colombien des Affaires
étrangères à Bogota a vérifié« que l'asile avait étéaccordé conformément
aux dispositions du droit colombien iipour me servir des termes mêmes
employés dans la Duplique.
Nous avons donc anticipésur la réalisation de la pensée du Gouverne-
ment uéruvien. avant la lettre. c'est-à-dire avant de urévoir Que ce
Gouv&nement'conseillerait, dais sa Duplique, la ligneade condùite à
suivre dans cette affaire par le ministère des Affaires étrangères de
Colombie. La preuve en estque nous sommes ici pour demander 2 la Cour
de dire et juger que l'asile de JI. Haya de la Torre a étéaccordé non
seulement en conformité des dispositions du droit colombien - comme
le veut la Duplique du Pérou - mais encore conformément à la Conven-
tion de 1928, qui ordonne l'application des usages, lois et conventions du
pays de refuge.
Les auteurs de la Convention de 1428 savaient très bien ce au'ils
faisaient. Ils n'ont pas eu en vue u~é~ualification faite ihâtiveient
et émotivement »comme le prétend à tort la Duplique du Gouvernement
du Pérou. C'est là une accusation injuste contre les diplomates représen-
tant tous les pays de l'AmériqueIatine àlaVImeConférencepanaméricaine
Ces diplomates réunis en conférence à La Havane connaissaient bien la
psychologie de I'Amérique latine ; ils savaient que, dans le tourbillon
d'un coup d'État, d'un soulèvement militaire ou d'une guerre civile, il
est très dangereux de laisser aux autorités locales, directement et
personnellement intéressées,le soin de décider des modalités de l'asile
accordé dans une ambassade ou une légation aux personnes cherchant PLAIDOIRIE DE 31. YEPES (COLOJIBIE) - 28 IX jO
87
une ~rotection efficace contre des ~ersécutions ~olitioues iiiiustes. C'est
pourquoi ces diplomates et juristes de la ConférencedeLaHavane - car
dans cette assemblée il v avait des iuristes de tout ~remier ordre. dont
quelques-uns, cinq au moins, représentant cinq pays différents, sont
parvenus aux plus grands honneurs pouvaiit échoir aujourd'hui à un
jurisconsulte -, c'est pourquoi, je le répète, ces jurisconsultes et ces
diplomates ont jugé nécessairede disposer que ce sont les usages, les lois
et les conveiitions du pays de refuge qui regleront les modalités de l'asile
accordé dans une ambassade ou une légation étrangère.
convention.
On compreiid que les auteurs de la I)upli<lue péruvienne souffrent
d'une lacune daiis leur connaissance de l'histoire diplomatique de
l'Amérique latine, car, autrement, ils ne devraient pas ignorer que le
Pérou était représenté à la Conférence de La Havane, qui a adopté la
Convention de 1928, par l'un de ses meilleurs juristes et diplomates. En
signant cette convention et en la faisant ratifier immédiatement après,
les juristes péruviens de 1928 ne pouvaient pas prévoir qu'elle s'appli-
ouerait au cas (IUC la Cour a auiourdlhui devant elle et ils pouvaient
crict,ic nir,irij I>r&.oirqiie Ic. :tiiti iirï 11c1111LICl>~ri~vii.lilic. lt;.jit
Icj iiiriclilcr:iiciit ji s;\.;ri.iiieiit pciur iivuir sii;ii; uii iiij~iiiiiSCiit qui
tuuriiv :iii]<iurcl'liuisùiitrt: Ics tli;st7s oiiicit.lles rlu 1'Croii.
I).io~111'111:îoil. ln C'on\~cnrl~.<Ir 1.126ii'<:i<:itp:ts iiioii111iiijtrii-
inriir cliiiiIc c;irnct<'rcr~liligni~irepoiir 1,:I1éroiicr poiiI;(:oliinihic <lt:
mémeque pour tous les autres signataires, ne sauratt ttre mis eu doute.
La Colombie est eii droit de demander à la Cour que la Convention de
1928 soit rigoureusement appliquée et dans sa lettre et dans son esprit.
Il m'appartient de dire maintenant quels sont les lois, conventions et
usages de la Colombie que la Cour doit appliquer, selon l'article 2 de la
Convention de 1928, pour déterminer les reglcs relatives àl'asile accordé
à M. Haya de la Torre.
Parmi nos lois, il y a d'abord la loi no 15 de 1g3G,par laquelle le
Parlement colombien a approuvé, en la reproduisant intégralement, la
Convention sur l'asile politique adoptée par la VI I~ilConférencepanamé-
ricaine de Montevideo en 1933, dpnt l'article z stipule que la qualification
de délitpolitique appartient à 1'Etat qui prêtel'asile.
Ensuite, le Code périalcolonibieri (loino 95 de 1936) considère le délit
de rébellion. qui est celui que le Gouvernement péruvieii impute à
M. Haya de la Torre, comme délit rrcontre le régimeconstitutioniiel et la
sécuritéde l'État n(chapitre Ier,articles 130 à I~I), ce qui revient à dire
qu'il s'a$ d'un délit éminemmentpolitique.
Je n'ai paç besoin de vous dire que, d'après nos conceptions juridiques,
la criminalité ~olitioiie n'est uas à confondreavec la criminalité de droit
commun. ~lut'ôt qie de dél;ts politiques, on devrait parler d'erreurs
politiques, dont les auteurs ne pourraient pas êtrecorisidérésconime des
aélinquants vulgaires et ordinaires, mais Conime des citoyens ayant agi
sous l'inspiration des idéaux et des motifs les plus nobles et les plus
élevés.Rien de plus fragile que les jugements politiques. Des hommes
politiques poursuivis par le gouvernement du jour comine des criminels
de droit commun - que l'on songe seulement à Lénine, à Eamon de
Valera, à Charleç de Gaulle, pour ne citer qiie des cas contemporains -
788 PLAIDOIRIE DE AI.YEPES (COLOJIBIE) - 28 IX jO
ont étéporte plus tard par leurs peuples aux plus grandes dignités de
I'Etat.
Xous pouvons donc conclure qu'en accordarit asile à hl. Hava de la
Torre dans lcs circonstances quc i'un cuiiii:iit, I';iiiibawa~leiircoioriibien
;i3~i confoniicriient i I:iICgisl;itii)ii~:olnnibicivn la nintiCrc. Icigislatin~~
I I Ans cc cas, rCpCton5-le.est uiie riornie de droit international
:ii~i>li<:nb;iissi11ii:eii Coloiiibi~~iii';iI'2ioii,?Ivcrtu <leI:IConi.eiiiion
de' 192s.
Ensuite. la Colombie est partie aux trois conveiitions internationales
sur l'asile: l'Accord holivarien de Igrr, selon lequel l'iiistitution améri-
caine de l'asileserégitcoiifurmémentaux principes dudroit international;
la Convention sur l'asile signée à la Vlmc Conférence panaméricainede
-.a --vane en 102~, s~.on laauelle tous les Etats sou~e~ains ont le droit ~
d'accorder &le aux d61inquints politiques et selon laquelle également
toutes les modalités de l'asile devront se soumettre aux usages, lois et
conventions de I'Etat de refuge ; et enfin la Convention sur l'asile
politique signée à la VIIinc Conférence panaméricainede Montevideo, en
1933, laquelle confirme le droit d'accorder l'asile aux délinquants poli-
tiques et dispose notamment, comme je vievs de le rappeler, que la
qualification de délit politique appartient à 1'Etat qui préte asile. Il est
à peine besoin de dire que,dans le cassoumis à la Cour, la Colombiea agi
strictement en conformitédes conventions mentioniiées.
Enfin, en ce qui concerne les usages et coutumes de la Colombie,
nous avons suivi une ligne de conduite invariable. D'un cOté,nos
ambassades ct légationsdans les pays de l'Amériquelatine ont toujoiirs
étéeénéreusemek ouvertes aui Üersécutés~diticiues. sans au.une ,
discrimination pour leurs idées politiques ou >eligieuses. Nous avons
touiours réclaméet fait accepter notre droit de qualifier le délitpolitique
des. personnes oui demandiieiit notre ~rotect:on di~lomatiaüe. Nous
n3av8nsjamais prétenduque l'idéologie des r&ugiésc&responde
à notre propre idéoloke. Il nous a touiours suffi de savoir qu'il s'agit
d'un hommè politiquë victime de periécutions pour ses idées. A Ce
propos, je dois rappeler encore une fois que, dans le cas soumis &laCour.
l'idéologiedu Gouvernement colombien qui a accordél'asile est coinplè-
tement éloignée desdoctrines politiques soutenues par M. Haoa de la
Torre et son parti. Cela nous donne plus d'autorité polir réclamer le
respect des lois internationales à l'égardde hl. Haya dc la Torre.
D'un autre cbté.iious avons reconnu les cas d'asile ~olitiouc dans les
:irnh:~sid~:s ct lesI~~:iiic~ii6tr;ingbrt:?II Cr,I~~iiibit!nolis;~VOIISincct:l~t<,
sniis OIECIISS~1 iIIiiiil~ilcifitiI~dclit pc,liti,,~itfaite par Ics~lil,loni;itcs
accordant l'asile. ct. mêmedans des cas où iiv avait un i)roc?Len cours
pour des délits communs contre la personne rlfngiée,nous nous sommes
inclinésdevant la qualification de délitpolitique faitc par le diplomate
étranger.
Ce sont là des faits. Lorsque, au cours des années, un perskcutépoli-
tique a demandé protection dans une ambassade oulégatioiicolombieniie,
l'asile lui a toujours étéoctroyé et I'Etat colombien a exercé sondroit
à qualifier la nature du délit. De méme,chaque foisqu'en Colombieun
ressortissant du pays a reçu asile dans une ambassade ou Iégatioii
étrangère,cet asile a étéinvariablement respecté.II n'y a pas un seiil cas
où cette ligne de conduite ait étéabandonnéepar la Colombie. Cesont là,
je l'ai dit, des faits qui serviront à la Cour pour connaitre les usages dela Colombie en matière d'asile et,partant, le droit applicable dans le cas
d'espèce que vous devez juger.
Toutefois, comme la Duplique du Gouvernement péruvien persiste
dans son affirmation que l'attitude du Gouvernement colombien de 1885
impliquerait une méconnaissance du droit d'asile diplomatique, il faut
souligner une derniére fois le fait que l'affirmation du Pérou estbasée
sur Üne erreur historique et sur l'oubli "olontaire de la circulaire colom-
bienne du 27 février 1885 au corps diplomatique accrédité à Bogota.
Or, cette circulair- elle figurà notre Réplique, page 55' -,qui précise
et définit la politique colombienne sur l'asile à cette époque, donne
expressément I'assuraiice que n l'inviolabilité des immunités diploma-
tiques sera respectée d'une manière absolue par mon Gouvernement et
que, mêmedans le cas,moralement impossible, où lapropre existenceetla
stabilité de ce Gouvernement seraient menacées en raison de cette invio-
labilité, il ferait appel pour se défendre à des procédésqui ne l'amène-
raient sûrement pas à passer outre à ce privilège diplomatique ». En tout
cela, il s'agit simplement d'un malentendu. Car quelques personnes
prétendaient chercher asile dans les légations étrangères pour se sous-
traire au paiement de certains impats, ce qui, évidemment, n'est pas
couvert par le droit d'asile diplomatique. Celui-ci, en effet, ne s'applique
ou'aux uersécutés~olitiaues dont la vie ou la liberté seraient menacées.
c'attitide du ~oivernement colombien de 1885 n'est donc nullement
contraire au droit d'asile diplomatique, car cette institution ne saurait
jamais servir à protéger ceux qui fraudent le fisc.
Pour ce qui a trait à la note adressée le 18 mars 1892 par LI.Marco
Fidel Suarez, ministre des Affaires étrangères de Colombie, au chargé.
d'affaires de France à Bogota, il faut rappeler que A{.,Suarez lui-même
dit que cette lettre représente exclusivement son opinion personnelle,.
mais non pas l'avis définitif du Gouvernement colombien. En outre, la
lettre de M. Suarez contient des idées très avancées et intéressantes
sur l'exercice du droit d'asile diplomatique. Ces idees font honneur à la
clairvoyance de cet illustre homme d'État, car il ne faut pas oublier
qu'à cette époque - dernière décade du xIxme sikle - le droit d'asile
n'avait pas fait l'objet d'un accord de caractère continental, et le droit
international américain lui-mêmeen était encore à l'état embryonnaire
et pratiquement n'existait pas. L'attitude de M. Suarez, loin de prouver
quelque chose contre le droit d'asile, comme le prétend la Duplique du
Pérou, met en relief l'intérêt queles hommes d'État colombiens ont
touiours uortt à cette institution et la svm~athie dont ils l'ont entourée.
19~6~1~39,sans toutefois signaler Ùn seul cas & l'asile ait étéAFefusar
les diplomates colombiens en Espagne. Je répète: sans toutefois signaler
un seul cas où l'asile ait ét4 refusé Dar les di~lomates colombiens en
Espagne.
Il s'agit encore d'un malentendu. D'abord, le rapport d'une commis-
sion consultative d'un ministère n'est qu'une simple opinion sans aucune
force obligatoire. Ce rapport, sur lequel la Duplique péruvienne base
toute son argumentation, ne représente pas l'avis officiel du Gouverne-
ment colombien et, de ce fait, il ne peut pas êtreinvoqué contre la
Colombie. D'autre part, la légation de Colombie à Madrid a accordé.
--
' Voir val.1.p. 368.largement l'asile à tous les Espagnols de l'un ou de l'autre parti qui
l'ont demandé. Ce sont là des faits. Notre légation s'est associéeà toutes
les démarches faites par le corps diplomatique pour imposer le respect
du droit d'asile. Elle s'associa particulièrement aux protestatioélevées
en 1937 par le ministre du Pérou en Espagne contre certaines violations
de l'asile commises par les autorites espagnoles.
On ne saurait donc affirmer de bonne foi que la Colombie se soit
écartéeà cette occasion de sa conduite traditionnelle en faveur de l'asile
diplomatique.
historiques ou surdes opinions privéesde tel ou tel personnage colombien
que l'on peut engager la responsabilité du Goiivernement.
[Séaticepzbbliqz~dz, 28 septembre 1950, après-midi]
hlonsieur le Président, Messieurs de la Cour,
Dans mon exposé de ce matin, je crois avoir démontré que, selon les
principes du droit international américain tels qu'ils sont codifiésdans
la Convention de La Havane de 1928, c'est-à-dire selon le droit
positif écrit en vigueur, ce sont les usages, les lois et les conventions du
pays de refuge qui déterminent toutes les modalités de l'asile accordé
par une ambassade à un ressortissant du pays de l'Amérique latine où
elle est accréditée.
Ce matin, j'ai eu l'honneur de vous expliquer quelles sont les lois et
conventions de la Colombie en matière d'asile, lois et conventions qui,
selon la Convention de 1928, constituent le droit applicable pour toutes
les modalités de l'asile accordà M. Haya de la Torrepar I'ambaisade de
Colombie àLima.
J'ai commencéà vous expliquer les usages et coutumes de la Colombie
en matière d'asile. J'espère vous avoirdémontréque mon pays a toujours
suivi, dans toutes les circonstances de son histoire, une ligne de conduite
invariable en faveur de l'asile, tant celui que nos ambassades et légations
ont accordé dans des pays d'Amérique latine et en Espagne que celui
qui a été donnéà des ressortissants colombiens par les missions diploma-
tiques latino-américaines accréditéesen Colombie. Ce sont là des faits,
disais-je ce matin, mais des faits qui montrent quels sont les usages et
coutumes que la Colombie pratique en matière d'asile..Or,ces usages et
coutumes colombiens constituent, par mandat de la Convention de 1928,
le droit applicable par la Cour en tout ce qui concerne I'asile M. Haya
de la Torre.
Aux cas historiques que j'ai rappelés ce matin. j'en voudrais ajouter
quelques autresd'unedate plus récente.
Pendant une période de presque un demi-siècle, la Colombie a joui des
bienfaits d'une paix parfaite. Aucun Colombien ne s'est vu obligé de
chercher protection sous un drapeau étranger.
Mais les émeutes terroristes d'origine encore obscure qui survinrent
en avril 1948, au moment où siégeait à Bogota la IXme Conférencepana-
méricaine, ont donné lieu à l'asile dans l'ambassade du Venezuela de
M. Joaquim Tiberio Galvis et de M. Hernando Vega Escobar, qui étaient PLAIDOIRIE DE 31. YEPES (COLO>~BIE) - 28 IX 50 9I
rCcI:tiii<> les ;iiitoritCs ]iid~c~:iirwinmt. r~~~{~c~ii~: ~l,I(l.',li<le
clruit coiniiiiiii. .\I.,I~ri:ccttc îitcuiis[:iiiIc,i;ou\.r.rii,iiicrit iuli~riibieii
:I:icceiit<In iiiinli~ic:~lidc (I<;liiiriii;ir~oliri~iitofsitv uiiil;it;r;tleiiieiit
par l'&basside du Venezuela et 'a accoLdél& sauf-conduits respectifs
aux deux réfugiés.
Au débiit décette année1950, il y a eu quelques cas d'asile dans les
ambassades accréditéesen Colombie ;je vais les mentionner très briève-
ment :
Le 24 février.AI.Hernando Zaoata s'est réfueiédans l'ambassade du
\:cncziicl:i;i I{i,gi,t:i.si: ~>r~tc~iid~iirjCcuil: ?II raison de se-.:,~:rivir;!c
poIiti(~i~rs.Il 1111qiinIifiG(le ~I>liiiq~~:iiir~~~IitIqi]lirnr l'n~~iI>a.;,~i~IrII
\'eiicziieln. Lc Guit\~eriicniciitcolonibitii. SL. coiifomliint nul i>rnri<i2ir.~
]iiriiliqties qili, eii iii:iti2rc <l'asile,oiit in\~~ri~hlorii,iitc lc~~l~t~hiii-
nations (IIIiiiinist+rï rlcï :\fkiirt:s &tr;iiig>rtic C<8li~riibisr.'est :~l~steriu
tic (lisciitcr le loiid~:iiiirlel'a-il,.;,c,.orii.il. Zapata. En coiii;~~u~iice.
la Coloriibien uffcrt clcdt!lii,rcr iiiiiiic:<ii:it~:lt s;tiif-ci,n<luitdciiilridi.
LI 1111te !~t~lo~it:tIrcIV 1'111r;res~ t rt!iici~iniltilc 1,: ~:t~~i-coi~(Iir~tti
par l'ambassadeur du Venezuela.
Le 13avril, M. Luis Guiilenno Clavijo Jimenez s'est réfugiédans
I'ambassade du Venezuela. Qualifiéde délinquant politique par l'ambas-
sadeur vénézuélieni.l a .U a.itter librement I'ambassade le 27 avril
parce qiie, eiitrc tcnil,s.iln\.nit éti acqiiittc'cii cc qui concernc 11.di.lit,
pour Ics<litcl~ilCrnit poursui\,i liir les :iiitoririj îul<~rnl>ieniics.
1.c 12 :l\'riI.I'ambaisnilc <III\'éncziirlaaccortln 1'x;iiie :\lfoii;o 1Ierrcr:i
et \Villiam au, lesquels étaient légalement accusésd'assassinat et de
séquestration, en dehors de certains crimes contre la sécurité publique.
Néanmoins,l'ambassade du Venezuela les qualifia de délinquants politi-
ques et le minist6re des Affaires étrangèresde Colombie leur accorda,
le 19 mai, des sauf-conduits pour quitter le pays sous la protection du
drapeau vénézuélien.
Le G mai 1950, l'ambassade du Mexique accorda l'asile à Jesus A.
Parrado, quise prétendait victime de persécutions politiques de la part
des autorités colombiennes. Le cas ayant étéétudiépar le Gouvernement
colombien, il a étédbmontréque, dèsle 3 avril précédent, le juge d'instruc-
tion criminelle avait délivréun mandat d'arrêtcontre Parrado pour délit
d'homicide. D'autre part, aucune accusation pour des délits politiques
n'avait étéformulée contre lui. Malgré cescirconstances, l'ambassade
du Mexique persista à qualifier l'arrado de délinquant politique. Le
minist6re des Affaires étrangères décida d'accepter cette qualificat'ion
et delivra le sauf-conduit destiné à Parrado sous la réserve, néaninoins,
que le Gouvernement colombien était en droit d'estimer que, dans ce
cas, il n'y a aucun élément susceptible d'exonérerParrado de l'incul-
pation d'être undélinquant typique de droit commun in.
Le 5 et le 6 juin 1950, l'ambassade du Venezuela accorda asile respec-
tivement à M. ToséMaria Montova Os~ina et à M. Camilo Cruz Pcrdono
et les qualifia-de délinquants Glitiq;es. Le Gouvernement colombien
délivrales sauf-conduitscorrespondants les 21 ct 22 iuin. *
La mêmeambassade du Venezuela accorda asile, le 12 juin et le
7 juillet, respectivement, aux épouxNifio Ruiz et à M. Alfredo Lopez
Velasquez, les qualifiant de délinquants politiques. Le Gouvernement
colombien informa l'ambassade qu'il n'y avait aucune accusation contre
ces personnes et qu'elles étaient autorisées à quitter librement le pays
avec les garanties dont jouissent tous les citoyens colombiens. Les cas que je viens de citer montreront à la Cour. mieux que toutes
les affirmations de la Du~lioue du Pérou.auelle est la véritable tradition
- irl'usage » pour employer l'expression de la Convention de 1928 - de
la Colombie en matière d'asile. Nous sommes donc en droit de demander
à la Cour d'adopter ces usages de la Colombie comme critères i suivre
pour rendre sa décision. Nousy avons montré une telle continuité poli-
tique que la Cour ne pourra avoir la moindre hésitation pour dire le droit
applicable selon les usages, les lois et les conventions de la Colombie.
Te dois examiner immédiatement les autres ~rincines vos(.s Dar la
convention de 1928afinde mettre la Cour àmêmed8apiré?iErla maiiière
dont la Colombie a fidèlement ada~té saconduite aux termes de cette
convention, qui est le principal lien juridique entre la Colombie et le
Pérou pour tout ce qui concerne l'asile de M. Haya de la Torre. Cet
examen vous fera voir combien téméraireest la demande reconven-
tionnelle du Pérou lorsqu'elle prétend que la Colombie aurait violé
ladite Convention de 1928.
Selon le premier principe, nl'asile nepourra êtreaccord6 que dans les
cas d'urc..ce et ~our le temDs strictement indis~ensable Dour aile le
rr'fugicsr mette e;i siirete d'il& autrt, niarii;reb.kuus ;itfirAi<iii(iiir I:,
Cnlornbii. s'est riguureuseiiiei~t coiifunnr:~ i cette nonne. .\leVasqucz
\.oiis;Ifait voir hier les circonstanc+iiiiiioiit cn~ourél'asile (IÇ11.H;~va
de la Torre. Sa liberté et sa vie étaient sérieusement menacées ; traqué
par la police, pourchassé comme un bandit, ne pouvant faire usage de
:es biek oui aGaient étéconfis~uésDarl'État. sani ouv voic rominunT<~uer
ni avec sa famille ni avec ses 'ami;, il savait par ivance le sort lui
était réservé sipar hasard il tombait entre les mains du Gouveriiement.
D'où I'extrême~urcenceoour lui de se olacer sous la ~rotection d'un
~~:ivillon6tr;inger. Sier ~'itr~cnccde I'a?ilr a~<:iir(l. ar l'ambassade de
Colc~mbie 11.H:iya de IRTorre CC seriil[ fern?crIC!.t:ilvolont:iiremeiit
a la rialit; dé 13 vie iiolit.<iu.vcruvii.iiiir ice moment draii~nti~iu~a.le
son histoire.
La deuxième règle établie par la Convention de 1928 ordonne que
a le diplomate accordant l'asile à un réfugié politique communique
immédiatement le fait au ministère des Affaires étrangères de l'État
territoriala. C'est ce que l'ambassadeur. de Colombie a fait quelques
heures après avoir reçu M. Haya de la Torre dans I'hatel de notre
ambassade à Lima.
La troisième règle est iique le gouvernement de l'État territorial
- le Pérou en ce cas - pourra exiger que le réfugiésoit mis hors du
territoire natioiial dans le plus bref délai possible II.Le Gouvernement
péruvienslest abstenu, et pour cause, de demander à la Colombie que le
saval1 faitla demande, la Colombie n'aurait pas hésité uninstantu lui ànfaire
sortir du Pérou M. Haya de la Torre. Le Pérou s'est abstenu de faire
usaae de ce droit ou'il tient de la Convention de 1az8Darce au'il savait
pariaitement bien ;]ue sa demande devait êtreaccompagnée'd'un sauf-
conduit permettant à 1\1Haga de la Torre de quitter librement le Pérou
sous la protection du drapeCu colombien.
La quatrième règle poséepar la Convention de 1928est de la teneur
que voici : r l'agent diplomatique du pays qui aurait accordé l'asile
pouna à son tour exiger les garanties nécessaires pour que le réfugié
sorte du pays, l'inviolabilité de sa personne étant respectée 1). PI.AIDOIRIE DE 3%. YEPES (COLOMBIE) - 28 IX 50 93 , .
Cette règle de la Convention de 1928 n'est au fond que l'homolo-
eation et la transformation en urinci~e de droit conventionnel. d'une
coutume pratiquée dans tous les pays'de l2Am&riquelatine. ~èi qu'un
cas d'asilese présentedans un de ces pays, le premier souci du diplomate
aui a recu lêréfugiéest d'obtenir ies garanties nécessaires ~our aue
de se soumettre à une obligatTon juridGue, finit presque toujours par
accorder les garanties demandées par le diplomate étranger. Le cas
n'est pas rare d'un gouvernement qui s'empresse de donner et même
d'offrir ces garanties pour se débarrasser d'un adversaire gênant.
Immédiatement après avoir accordé i'asile à M. Haya de la Torre,
l'ambassadeur colombien. suivant des instructions du Gouvernement
le 1 0:i Loi-nit.lli.riivnt1i.i qirnnriei in~liilieiis,il)lci pour
que le r?fiigi6 piil ~]iiittlt, l't~r~ii,[>rntc.g;.par riutri dr:111t-.):tns
la u;irt: Iiist<iriiiIt-L.C~[Ct>Iill~~irit~.~io:i\,nil~~xnli~iil~~5 i~li50ns
sp&ieuses dont 'le Pérou s'ést ~ervi'~our refuser Gstematiquement
les garanties demandées par l'ambassadeur colombien: les raisons
invoquéespar le Gouvernement du Pérousont des sophismes inadmis-
sibles, comme il a déjàétédémontré.C'est parce que le Gouvernement
péruvien ne s'est pas soumis à cette règle évidente de droit conven-
tionnel et coutumier, que la Colombie s'est vue obligéede faire appel
à la Cour internationale de Justice afin qu'elle dise et juge que le
Pérou est dans l'obligation inéluctable de conformer sa conduite aux
dispositions de la Convention de 1928, qu'il a signéeet dament ratifiée.
La cinquième règle formuléepar la Convention de 1928 s'énonce
de cette façon : r Les réfugiés nepourront êtredébarquésdans aucun
port du territoire national, ni dans un endroit trop rapproché de
celui-ciii.Cette règle n'a besoin d'aucun commentaire et il est inutile
de dire que la Colombie n'a pas eu, dans ce cas, l'obligation de s'y
conformer.
La convention porte encore la règle que voici : IPendant que dure
l'asile il ne sera pas permis aux réfugiésde faire des actes contraires
à la tranquillité publique. 11
La Colombie a mis un soin scrupuleux à conformer sa conduite à
cette obligation imposéepar la Convention de 1928. Dès que M. Haya
de la Torre a été accueilli, le 3janvier 1949,à l'ambassade de Colombie
à Lima, il a été pratiquement isolédu reste du monde. Son asile est
plus sévère qu'une prison, car les prisonniers peuvent quelquefois
correspondre avec le dehors et recevoir des visites. M. Haya de la
Torre ne peut ni recevoir ses amis, ni correspondre avec eux; il ne
peut se servir du téléphone ni - lui, journaliste de profession -
publier une seule ligne dans un journal. Homme politique et chef
d'un grand parti, il est condamné à une inactivité absolue. Des journa-
listes étrangers qui ont fait expressément le voyage à Lima pour
l'interviewer ont dû repartir sans le voir parce que les portes de l'am-
bassade de Colombie sont absolument fermées à tous ceux qui, pour
une raison ou pour une autre, désireraient communiquer avec ce
véritable prisonnier d'Etat que la haine politique retient derrière les
grilles d'une ambassade étrangère.
Le Gouvcrnement colombien aurait pu s'en tenir à la lettre de la
Convention de 1928 selon laquelle la seule chose interdite aux réfugiés PLAIDOIRIE DE M. YEPES (COLOXBIE) - 28 IX 50
91
dans une ambassade ou légation sont «les actes contraires à la tran-
quillité publique i>Blais mon Gouvernement a penséque la convention
laisse en vigueur d'autres principes coutumiers qui interdisent toute
communication du réfugiéavecl'extérieur. Et il a préféré se voir critiqué
par les amis de M. Haya de la Torre comme étant trop sévèreà l'égard
de celui-ci, plutôt que de s'exposer aux reproches de ne pas remplir
strictement ses obligations internationales.
La Convention de 1928 pose une dernitire règle qui, pour la Colombie,
n'a aucune importance puisque nous nous sommes engagés dans cette
affaire pour défendre un grand. principe de droit international améri-
cain et non pour soigner nos propres intérèts. Néanmoins, pour Ctre
complet, voici le texte de la dernière règle de la Convention.de 1928 :
r Les Etats ne sont pas obligésde payer les dépenses faites pour celui
auquel ils accordent l'asile. 1)
Ce rappel que je viens de faire de la Convention de 1928 démontrera
à la Cour la bonne foi que la Colombie a déployéepour y conformer
sa conduite. Il n'y a pas la moindre ligne de cette convention qui n'ait
fait l'objet du plus grand respect de la part du Gouvernement colombien.
Par contre, le Gouvernement du Pérou est en demeure de remplir quel-
ques-unes de ses clauses essentielles. Plus encore. Afin de faire oublier
reconventionnelle du Pérou n'est pas fondée en drÔit et que, partant,
elle est téméraire.
Je dois maintenant examiner une autre convetition sur l'asile signée
par la Colombie et le Pérou, mais ratifiée seulement par la Colombie.
C'est la Convention sur l'asile uolitioue ado~tée Dar la VIIme Confé-
rence panaméricaine.de hlontev'îdeo en décekbre ;933.
Cette convention porte seulement deux articles essentiels, que je . ~
voudrais mentionner- brièvement.
D'abord, l'article premier précise encore davantage le sens du principe
codifié.déjà dans la Convention de 1928. En effet, cet article dispose
que, pour que les inculpés de délits de droit commun ne puissent pas
bénéficier de l'asile,ils doivent avoir étépoursuivis en due forme, c'est-
à-dire avec toutes les formalités de la procédure légale.
En ce qui concerne les condamnés pour les délits de droit commun,
l'article dispose qu'il doit s'agir d'une condamnation prononcée par
destribunailx ordinaires.
Ces deux importantes précisions mettent encore plus en relief l'esprit
du droit international américain d'opposer une barrière infranchissable
à l'arbitraire des gouvernements qui prétendraient frustrer l'asile
moyennant un simulacre d'accusation ou une sentence prononcée par
des tribunaux d'exception. Pour qu'une accusation ou qu'une condam-
nation pour des délitsde droit commun puisse êtrevalablement invoquée
contre l'asile, il faut qu'elle soit revêtue de toutes les solennités prévues
par la législation ordinaire. Ce principe de droit international américain
était implicitement contenu déji dans les conventions de 1928, mais il
gagne à êtreexplicité davantage. PLAIDOIRIE DE 31. YEPES (COLO~IBIE) - 28 IX jo
9j
L'autre principe essentiel codifié dans la Convention de 1933 se lit
comme suit : iiLa qualification de délit politique appartient :I l'État
qui prête asile. 1,
Aprèsla plaidoirie prononcée devant ce haut tribunal par mon confrère
?deVasquez, il n'est plus nécessairede démontrer que le droit,pour l'État
accordant l'asile, de qualifier lui-méme le caractère du délit imputé
à un réfugié estde la nature mêmede l'institution américaine de l'asile.
Tous les États de l'Amérique latine, sans aucune exception, l'ont ainsi
entendu. Car, autrement, l'asile serait une institution dérisoire et il
vaudrait mieux ne pas s'en occuper. Or, les républiques américaines
ont toujoursattaché une importance primordiale 2 l'exercice du droit
d'asile. Les nombreux cas d'asile cités dans notre Réplique, pages 44
à 54'. démontrcnt la fréquence de l'asile en Amérique latine et démon-
trent également que c'est.le pays de l'asile qui qualifie le délit politique.
Il s'agit donc d'une véritable' coutume, c'est-à-dire d'une habitude
continue d'accomplir certaines actions parce qu'on est convaincu de
leur nécessitéet de leur justice légale.
Je ne ni'attarde pas à analyser le principe de la qualification unilatérale
par 1'Etat accordant l'asile, codifiédans la Conventinri de 1933, parce
que Mc Vasquez l'a déjà fait avec l'autorité et l'expériencequ'il possède
en cette matière. La reconnaissance de ce principe constitue une partie
substantielle de notre demande.
II ne me reste qu'à me remettre aux arguments que mon confrère
vous a présentés pourétablir l'opportunité et l'urgence de la qualification
de délinquant politique faite par la Colombie. Vous y trouverez une
exéeèse decette rèele sans laouelle le droit d'asile ne salirait exister.
tion iuridiaue ~réexistante. Mêmesans la Convention de 1477, ces
norinés sera'ientAobligatoiresparce qu'elles sont essentielles à ];nature
même de l'institution américaine de l'asile.
Le Pérou prétend qu'il n'est pas tenu de respecter cette Convention
de 1933 parce qu'il ne l'a pas ratifiée d'accord avec ces normes constitu-
tionnelles. La Colombie reconnaît que le Pérou n'a pas ratifié expressé-
ment ladite Convention de 1933. Mais, à notre avis, le caractère obli-
gatoire des principes codifiés dans cette convention est indiscutable
pour le Pérou dans ses relations avec la Colombie. II n'est pas nécessaire
d'insister davantage sur l'idéeque la Convention de 1933 n'a fait que
codifier des principes déjàreconnus par la coutume latino-américaine et
que, de ce fait, ces principes s'imposent par eux-mêmessans qu'il soit
besoin de convention s~éciale. Mêmesans la Convention de 14.....les
pri11ripc.5<IIIt.11~. OII~~C~ .IuIr,$irliII~L,f,r,.(~OIOII&,IL ~IIilt. r;l>ti-
bl~<lu~s cl,:I':\ri~~ri.~iIJIIIIC:.I)ir,>q~tf.IC.~,~III~L.I]>u~~..,cr;s 1v.ir1:1<Iite
c:i,ri\<.riti11% steiir ~,,,i~.,l.,blI,.,iiuii I:r.itil.'.ti.riii1.11r:,i-:~rirl1.i
nv~i-r.irint.;~tio,le I:I1;;irrlc ut:dcriiitr, cr.,t ;.liiiiiiirr irl,itr.iirr~ii~:ritI:,
or ri1111: 1: I I Ir ilruit irit<~rniti<ii.-,il 'I.I:II~.~~ :t
s11ppri11i~ <iI'IIs,:til tr:,~IIISLier~~i.~~rc-~~ii~~r 1,uiix\-<,I,IV%1miicipcs
lu rot II~~IIIII.I~ r t rtilir 'c sr 1 l~IICQ.I 1.t t.1,.
i~i~~~rii~~ti~~ ii1IeI'?~i.irclii~l.a plu, cotiipli~~~c,:IV .lrt,il itucrtIid~i:tl
est avant tout un droit coutumiêr,et si vous écartez la coutume comme
source de ce droit, vous enlevez le fondement mêmedu droit international
tout entier.
' Voir vol. 1, pp. 357 à 36;. PLA~DOIRIE DE M. YEPES (COLOMBIE) - 28 IX 50
96
Assurément, la Convention de 1933ne peut pas êtreinvoquée contre
le Pérou entant que convention, ce pays ne l'ayant pas encore ratifiée.
Mais cette convention est valable à l'égarddu Péroului-même comme
preuve de l'existence du droit coutumier. En effet, selon les publicistes
les pliis autorisés et selon la pratique des tribunaux internationaux, un
traité mriltilatéral- et tel est le caractère de la Convention de 1933 -
ratifié par un nombre considérabled'Etats signataires, mais non encore
ratifiépar qiielques-uns d'entre eux, est valable pour ces derniers en tant
que moyen d'établirla coutume. Celle-ci est la véritable doctrine scien-
tifique. La Commission de droit international des Nations Unies, qui
vient de siéger à Genève soiis la haute direction du professeur Georges
Scelle, s'est ralliéà cette doctrine qu'elle a cousignéedans un rapport
envoyé à l'Aisemhlée généraledes Nations Unies.
Tene veux Das étaver cette doctrine - oue d'aucuns seraient tentés
qui, dans un'cours Publiél'annéedernière, a écritce qui s"it :
a Il y a des traités qui ont pour objet de consacrer une règle pré-
existante. Dans ces traités, on trouve une expression très nette de
cette règle, c'est 1:expression d'une coutume qui vaudra peut-
être à l'encontre d'Etats non signataires du traité. >,
« Dans la pratique - ajoute ce mêmeauteur - on ne se préocqupe
pas de savciir si,, pour appliquer une règle coutumière à un Etat
déterminé,cet Etat a reconnu l'existence de cette règle. II(Mme S.
Bastid, Coaosde Droit international public, Paris, 1949, pp. 92-94,)
Je vais citer encore un autre auteur, également de grande autorité
scieiitifique, dont la mort a étéunanimement regrettée : je veux nommer
, Nicolas Politis.
«L'effet relatif des traités - enseigne Politis - n'a trait qu'a
la forme et non au fond des règlespar eux établies. Si ces règles ne
sont pas opposables aux tiers en leur forme nouvelle, elles sont
obligatoires pour eux comme règlescoutumières on comme principes
générauxde droit. La non-ratification d'un traité - ajoutePolitis -
n'empêchepas de valoir la règle antérieure par lui constatée. >i
(N. Politis, Les nouvelles Tendances du Droit international, p. 50.)
Nous pouvons donc conclure, d'accord en cela avec l'opinion dei plus
grands internationalistes contemporains, que la Convention de 1933,
malgré le fait évident de sa non-ratification expresse par le Pérou, est
valable à l'égard de ce dernier pays comme évidence d'une coutume
internationale latino-américaine obligatoire pour le Pérou en tant que
membre de la communauté internationale constituée par l'ensemble des
pays de l'Amériquelatine.
Il y a plus encore :la Convention de 1933est valable également pour
le Péroueu sa qualité de partie intégrante de ce complexe d'usages, de
conventions et de lois du pays de refuge, que la Convention de 1928 -
que nous avons étudiéeprécédemmentet qui, celle-ci, a été dûment
ratifiéepar le Pérou - a établicomme le droit qui doit gouverner toutes
les modalités du droit d'asile. La Convention de 1933ayant été ratifiée
par la Colombie et constituant la partie essentielle de la loi colombienne II'rj ile1936.~11 ~jtde ce lait ollieatuirc pour Ir I'6ruii. puisqii'crjt
unr loi er iinc ciin\.t:ntioii du p.iy: (le ri,lu:e, ct,nimc Ir tliîpow I2srricle
de In Corivcnrir,ri <Ir1025,doiir Ic I'froii n'.i i.im.<isrnl'i~iIçrar-ic-
tère obligatoire. , .
Il est parfaitement vrai que le Pérou n'a pas ratifié expressément
la Convention de 1933 . ais il a priàl'égarddecet instrument diploma-
tique des attitudes qui ne le dégagent pas de toute responsabilité. On a
beau dire et proclamer qu'on, ne reconnaît pas les effets d'un traité
international ; mais quand un Etat a invoquéen sa faveur cet instrument
si décrié,il ne peut pas ne pasl'accepter si un autre État l'invoque à son
tour.
Te ne veux vas avancer ici la théorie de la ratification imvlicite des
trGtés internafionaux, squtenue par quelques auteurs ; mais, eh présence
de certaines circonstances, on serait tenté de penser qu'ils n'ont pas
complètement tort. Je déclare néanmoins que je ne pa;tage pas cette
t.~~rie
Des actes officiels du Gouvernement du Pérou, actes auxquels je me
référeraidans un instant, font penser que si ce gouvernement n'a pas
ratifié la Convention de 1933, ce fait n'est pas dh à une opposition
méditée aux idées qu'elle contient, mais plutôt à des circonstances
étrangères à la volonté du pays. En effet, entre 1933 et 1948, le Congrès
péruvien - qui est I'autorité constitutionnelle qualifiéepour la ratifica-
tion des traités internationaux - a siégétrès irrégulièrement. pour des
raisons que nous n'avons pas à examiner ici. Le fait est que, pendant
plusieurs années, le Congrès péruvien n'a pas pu se réunir ou, s'il y
parvenait, il était forcément obligéde donner la priorité des affaires de
politique intérieure d'une extrême urgence. Dans ces circonstances, il
aurait été pour le moins étrange d'exiger qu'il gaspillât son temps à
discuter une convention internationale sur I'asile qui, à ce moment-là,
n'était vas d'une brûlante actualité. Ce sont eut-être ces faits aui
Par Contre. dès out: l~ ~ ~sion s'en estrése entéel. Gouvernëment du
Pérou n'apasmanqué de mettre en relief l'intérétq;'il porteaux principes
consacrés par ladite convention. Il y a au moins deux documents officiels
oéruviens aui démontrent amnlement l'attachement doctrinal du Pérou
a la Conv&tion de 1933. ~e; deux documents que je vais citer sont
incorporés dans notre klémoire.
Le premier de ces documents est la note officielle que la légation du
Pérou au Guatemala a adressée, le 20 octobre 1944, à I'r Junte révolu-
tionnaire pour lui faire part de l'asile accordé à plusieurs citoyens du
Guatemala qui i'avaient demandé. Voici la note officielle de la légation
du Pérou au Guatemala:
RGuatemala, le zo octobre 1944
MM. les HH. Membres de la Junte révolutionnaire,
J'ai l'honneur de communiquer à VV. SS. qu'aujourd'hui à
6 heures p. m. se sont présentésà cette légation M. José B. Linares,
M. le Lic. Humberto Solis Gallardo et M. Raul Rodad M. et ont
demandé qu'en leur qualité d'c asilésx on leur accorde la protection
dont il est question dans les Conventions de hlontevideo et de La
Havanesur le droit d'asile.g8 1'LAII)OIRIIiDE M. YEPES (~01.0~~1~) - 28 IX 50
En conformitéavec Icsdispositioiis de ces conventions, je demande
à mon tour au Gouvernement de la Junte que VV. SS.forment, de
bien vouloir octroyer les garaiities stipultes dans lesdites conven-
tions, en prenant les dispositions nécessaires pour qu'ils puissent
sortirà destination du &lexique,sous la protection de cette légation.
Veuillez agréer, etc.
l'our le Ministre du Pérou,
(Sigrté)AIAS DE LA FUPNTPLOCKEK,
Premier Secrétaire.
A Alal. les HH. Membres
de la Junte révolutionnaire. »
Et voici le deuxiÇme de ces documents, datéde quatre ans plus tard,
du zS octobre 1948, date à laquelle le Gouvernement du Pérou qui a
refuséle sauf-conduit réclamépour 31. Haya de la Torre était déjàau
pouvoir à Lima :
ccNo 5-20-51/34.
Panama, le îS octobre 1948.
Alonsieur le Rlinistre,
En confirmation de la conversation que j'ai eue hier soir avec
Votre Excellence, je me permets de mettre au courant le Gouverne-
ment de Votre Excellence qu'à IO heures 45 hier soir, le citoyen
panaméen RI.Luis Ricardo Franceschi s'est présenté à mon ambas-
sade et m'a demandéde lui accorder asile politique.
De conformitéavec les accords internationaux contenus dans les
Conventions de La Havane et hlontevideo, je prie Votre Exceilence
de bien vouloir accorder à Al.Franceschi le sauf-conduit nécessaire
pour qu'il puisse quitter le pays.
Veuillez agréer, etc.
(Sizllé)Ehll~10ORT~Z DE ZEVALLOS,
Jlinistre du Pérou. a
Comme je l'ni déjà dit, ces deux documents, dûment traduits et
iégalis6s, ont étéversés par la Colombie dans les dossiers de cette
affaire.
Un troisifinie document que nous voudrions citer pour étayer notre
argumentatiori est un commuiiiqué officiel aussi du Gouvernement
péruvien. publié en rg3Gi l'occasion de la guerre civile espagnole.
Ce document se trouve publii- dans notre Réplique (p. 53 1).
En voici le texte officiel:
x Le Gouvernement du Pérou a réuondu favorablement à la
consultarioii rel:itivc1 uiic csprcjjian dc suli<lariri: cles CII:LII.
cellerici <ILI.':\III;~~(p'r riipport :ILIdroit <I':tsilér il I':ifait
eii i);irfaitc ~~orninuii;d'id<'c;:I\.c'Lles tliC5cid5fcii<l5i\I;~<lrid
les représentants diplomatiques de la République argentine,
du Chili et d'autres pays .... 1.e ministre des Affairesétrangères
du Pérou, se coniormant aux instruclioris du Présideni de la
IZfpublique, s'esl aclresîédirectement au ministre d'Etat i Xadrid,
' Voir vol. 1p. 366. PLAIDOIRIE DE M. YEPES (COLOJIBIE) - 28 IX 50 99
pour affirmer la validité de,l'asile diplomatique, lequel correspond
à des principes humanitaires s'appliquant au statut juridique
des légations ;il invoque, en outre, le fait que le Pérou a reconnu
traditionnellement un large droit d'asile i la légation d'Espagne
à Lima, laquelle en a fait usage en plusieurs occasions, et il dit
enfin que, l'asile étant une doctrine contractuelle en Amérique,
l'Espagne n'y peut pas êtreconsidérée commeétrangère. »
Pour bien saisir l'importance de ce dernier document, il faut savoir
qu'il s'agissait des discussions auxquelles avait donnélieu l'asile accordé
à Madrid par toutes les légations et ambassades de l'Amérique latine
et quelques-unes d'autres continents. Ces discussions avaient pour
objet l'application des principes contenus dans les Conventions pan-
américaines de 1928 et de 1933, que nous avons ?IIaly~éeS.
Qu'il me soit permis de détacher quelques conclusions du communiqué
officiel du Gouvernement péruvien que je viens de rappeler:
I" Le Gouvernement du Pérou s'est déclaré solidaire i>des autres
Gouvernements de l'Amérique latine par rapport au droit d'asile.
2- Le Gouvernement péruvien s'est déclarénon seulement solidaire,
mais ien parfaite communauté d'idées avec les thèses défendues à
Madrid par les représentants diplomatiquesde la République argentine,
du Chili et d'autres pays i>Or, les thèses défendues par ces pays étaient
précisément la légalitéde l'asile dans les ambassades et lfgations et
mêmequelquefois dans les consulats, pour tous persécutéspolitiques ;
le droit de I'ctat accordant l'asile dc irualifier la délinqnence » des
personnes réfugiées ;l'obligation pour 1'2tat territorial - l'Espagne
dans le cas d'espèce - de donner toutes les sécuritésnécessaires pour
que les réfugiéspuissent quitter librement le pays : l'extension des
immunités diplomatiques mêmeaux annexes de l'hôtel sptcial de la
respective mission, annexes qu'on a étéobligéde prendre précisément
pour loger les milliers de persorines qui ont demandé l'asile à l'occasion
de la dernière guerre.civile espagnole.
3" cLa chancellerie du Pcrou a été l'unedes premieres à défendre
le droit d'asile dans sa conception la plus large. o
4" cLa validité de l'asile diplomatique correspond à des principes
humanitaires s'appliquant au statut juridique des légations. n
5" Le Pérou soutient qu'i son égardle droit d'asile est une institution
« traditionnellen, et
6" Le Gouvernement du ~érou affirme enfin que le respect du droit
d'asile oblige même les pays - l'Espagne en ce cas - qui n'ont pas
signé les conventions américaines sur l'asile politique.
Le Péiou a bien fait d'invoquer en sa faveur la Convention de 1933.
car cette convention renferme des principes de droit international
américain que le I'érou. en tant que membre important de l'organi-
sation des Etats am6ricaiiis, a le droit d'appliquer.
D'autre part, le I'érou, malgré sa non-ratification involontaire de
la Convention de 1933, ne l'a jamais désavouée, bien au contraire.
Outre cela, il est évident que la délégationdu Pérou à la VIIm Confé-
rence panaméricaine (Montevideo, 1933). composée d'illustres diplo-
mates qui jouissaient alors et ont continué à jouir par la suite de la
pleine confiance du Gouvernement péruvien, a signé la Conventionsur l'asile politique sans & moindre réserve. D'autres délégations,
comme celledes Etats-unis, qui n'étaient pas d'accord avec la conven-
tion, ne l'ont pas signée ou bien oiit fait à son sulet des réserves
expresses. Rien de tout cela n'a étéfait par la délégationdu Pérou :
ceile-ci l'a signie sans réserve d'aucune sorte, et, d'autre part, le Gou-
vernement péruvien a appliqué.-adi-e convention lorsqu'il était dans
son intérrt de le faire.
EII présencedc tous ces faits troublants, on est en droit de sedemander
si un gouvernement qui a signé sans aucune réserve une convention
plurilatérale ratifiée, par la suite, par un grand nombre de ses co-signa-
taires, qui l'a appliquée dans ses relations avec les autres Etats parties
à ladite convention et qui a réclaméen termes épergiques le bénéfice
de la convention mgme dans ses relations avec des Etats non'signûtaires,
on est en droit de se demander, dis-je, si un tel Ctat peut légaïement se
refuser à reconnaître les effetsde cet instrument internetional lorsqu'un
autre des États signataires l'invoque à son tour.
Pour répondre à cette question, la Cour devra faire appel à l'article 2,
paragraphe 2, de la Charte des Nations Unies, article qui a fait de la
bonne foi le principe normatif de toute la vie internationale des Etats
Membres desNations Unies. Ce principe de la bonne foi,qui, avant 1945,
pouvait 6tre considérécomme uii simple postulat de caractère moral,
possède aujourd'hui, grâce à la Charte des Nations Gnies, une valeur
juridique cert?.iiie, qui lui donne force obligatoire. On ,a peut-être trop
qubliéque la bonne foi est devenue une norme impérative pour tous les
Etats, un principc de droit positif que la Cour internationale de Jiistice a
le doit ct le devoir d'appliquer et de san~tioniier. Et la boiirie foi oblige
un Etat à reconnaître envers les autres Etats les mémrs priiicipes qu'il
irn.oque cil sa propre faveur. Le principe de la bonne foi enseigne qu'il
doit y avoir un minimuin de moralité international, que tout État doit
respecter sou peine de se mettre an ban de la civilisation.
Vous savez déjà, Monsieur le Président, Messieurs les klembres de la
Cour. aue la demande du Gouveriiement colombien se fonde aussi sur
la natire particuliPre de l'institution am4ricaiqe de l'asile.,reconnue par
le droit positif américain et par la pratique des Etats de I'Amériqiielatine
depuis leur indépendance. -
Qu'est-il donc ce droit d'asile ? Pour quelle raisoii est-il devenu urie
véritable institution juridique dans les pays de l'Amériquelatine ?
Pour réuondrc à ces auestions. il rious faudra faire appel à certaines
d i r i l 5 r . .
u t i l r i 'Ir ~)iiil~iiuliliiiluc
t r i i I I nt it~;uliiiiirii~ ~i;c~iiticllcsIiuiI~iiiicrinipr<.iiclrç
la nature ibridkue de l'institution américaine de l'asile. Te demande
rrt'.i ii.slxcn~~~~~t.;~~l~'in<liil:~>~~ >i~In p3tieiicr: CI? 1;iCour pour rnr.
jiiivr. ci:t.i<.einisuniii.iiicii~.I.:llcy tr<>u<i:iI., 1>ri:iiiicl?; cuiicliiji~iiis
,JI.(i .itir;I'liorir.riii1r Iiiir;.iciitcr iI:riii4. ii;ii~l.~i.luiric.
ri asile ,ans le sens le large, est la qu'un État apporte
à un individu fuyant des persécutions injustes qui cherche abri sur son
territoire ou dans un endroit soumis à son autorité, en deliors de son .
territoire. C'est là au fond la définition acceptée par l'Institut de Droit
iiiternational à sa session de Rmxelies de 1948. PLAIDOIRIE DE M. YEPES (COLOMBIE) - 28 IX 50 IO1
Cette définition de l'Institut de Droit international s'applique aussi
b~~ii à l'asile interne~~u'à ~'.~i~e externe. c'est-Qdire le refuee territorial
et l'asile diplomatique proprement dit;, lesquels ne sorit~pas opposés
mais simplement différents par certaines de leursmodalités. L'étvmologie
mêmedû mot en dit assez-sur le caractère.de i'asile. Ce mot kient en
effet du grec &ouho< ; 6, particule prirative, auhov, droit de saisie, c'est-
à-dire-commente Littré - «cequi ne peutêtrepillé,cequi est inviolable:
un lieu d'où personne ne peut &trearraché par la force ilC'est pourquoi
la mythologie s'est servie de ce mot pour désignerun lieu sacréde refuge.
Tacite raconte dans les Aqznales que. lorsque Roinuliis décidade fonder
I<oIII~ !, I;II~itit iiitoiir %IItt~ritliiqt~'iI.ris'ait,-misicr;.AU clicii .A,\,l;cus
puur attirer :titisi Ivsdriis \.ers crc cn Ir.,it iniio!:ible et sacré.
Il ne faut oas croire aue l'asile est une ~ratiaue exclusivement latino-
, . . '
privilege reconnu, en vertu &une coutume millénaire, à certaines loca-
litésde servir de lieu inviolable de refuge aux personnes persécutéesFr
les autorités locales. lesnuelles ne Ioeuvent ~énétrerdans ces endroits
Ctai~ rCs,ivt:c ;;IIX S;IIIS dL~1iiiq~~,~ ~itjtir#-,IIronlniilii, c.~~i.lisLIU.,Ir
~~I~II.~II:IpIu Il~i~1<11 1~~~~~~~i\apt3 ts VII I,;,~iC.ti,:i.\\,cc lcj prt3gr& clt.,
iciLt:>(Ic I~lkrrq.,5urtutit cI,insIf,.~B;I\,ilc l'l:u~~~~o ~~t!:citl~~i~t~lIC ;.V.J~II-
IIOII ,'<31 ~~ru~llilt~t.1,-CII,In!.~r;c. 1A.s l:ilin du x~III~~.~:i;cIv l:tp13ti<]uc
,'(,t ~CII a pt~i ~'t~thltt,I';,ct.ur~l~rl'cxt~~~l~t~u iilir l<,s~I;.lilcl? dr8~1t
commun et de réserver l'asile exclusivement aux-délinquants oolitiques.
(:c cli:,rigem~~nt;I':itritii<lvt.it ilii surtout ;!ils<ioctiini.; <lei ~>l.ili~~t~yl.t~s
JI. <.*-ttcc.l)i,~iiici,eloii Ics<lur.llls ~ir:tciidii.icriiiirGU ilelit, poliiirlucj
portent bien-souvent en eux-même; un sentiment noble et patriotique.
C'est quelquefois le désir très justifié de vouloir délivrer le pays d'une
dictature ou de l'anarchie ; c'est parfois l'intention d'opérer dans les
institutions nationales une transformatioii les rendant olus à mêmede
respectifs.
Quoi qu'il en soit, dans les prétendus délits politiques on ne trouve
que très rarement, presque jamais, la volonté criminelle qui est caracté-
ristique de .la criminalité de droit commun. Il ne s'agit pas ici d'un
véritable délinquant au sens technique de cette exoression : ales délits
politiques supp'osent plus d'audace que de perversiié, plus d'inquiétude
d'esprit que de corruption de cŒur, plus de fanatisme que de vice ».
C'est Üour cela encore aue des ~ërsonnes considérées comme des
délinquants dangereux dansÙn pays déterminé,à cause de leurs activités
politiques, ne constituent aucun danger dans un pays étrange- ~ dont ils
ne peuvent pas menacer les institutions.
La philosophie qui est à la base de ces rEAexions a donné origine à
l'asile territorial ou plutôt refuge pour les délinquants politiques fuyant
leur pays pour échapper aux persécutions et aux représailles de leurs
adversaires victorieux. Ce sont ces idées qui ont donné naissance à la
pratique du refuge pour les délinquants politiques en Europe. C'est ce 102 PLAIDOIRIE DE ni. YEPES (COLO\IBIE) - 28 IX jo
qu'expriinait, au milieu de xismc siècle,lord Palmerston par ces paroles :
u s'ilest actuellement une règlequi, plus que touteautre, ait étéobservée
dans les temps modernes par tous les Etats indépendants, grands et
petits, c'est la règle de ne pas livrer les réfugiés politiques à moins d'y
êtrecontraint par les stipulations positives d'un traité o.
Lorsque les républiques de l'Amérique latinc se sont constituées en
nations indépendantes dans le ~remier tiers du xIxm siècle. elles ont
I r cl: l'lru IIIIII cctte pliilosopltit. iculr iir I;i
ilCliiiili~cnc~>oliticl~i1..I;iIiittc poiir Ic ~>ou\.uiiayniir [>riiii;,r;ictl)rc
de L'~.III:vi:li~iicc.cle~I>~?~SLCIII CIOdIIS rt.i)r<:snillciiiulir dc; ni~tiis
pol%iques furent la suite inévitable des pertes civiles Gui dfchirèrent
les jeunes démocraties latines du Nouveau Monde pendant presque tout
le s~xroe siècle. La lutte entre la liberté et la dictature fut à certains
moments dramatique. Les distalices énormes et le manque de voies de
communication rendaient impossible aux vaincus d'une guerre civile
de se réfugier à l'étranger comme c'était le cas en Europe lors dei persé-
cutions politiques et religieuses. C'est alors que les hommes politiques
et les révolutionnaires vaiiicus et traqués par leurs adversaires ont
commencé à demander la protection des missions diplomatiques étraii-
gères pour chercher uii asile efficace contre des persécutions politiques.
Cet usaee de l'aile di~iomati<iue s'est ravidement éteiidu de vavs
:i1):iysjiiiilii'tlrveiiir iiiie \.c:ritnblc coiituiiie ilniis tr~ii.:les pays Intinu-
ainéricnins iaviiflis plr les gu<:rrcsci!,iles. 1.e.ipartis vicroririix respec-
t;iit:i1':iiil~lii~l~niinti~iieeI~:iirj:idvers~ireini~l ioiiecrlcnii~siit
par un sentimint d2h&anité, mais aussi par uiie espèce d'instiiict de
conservation qui leur faisait prévoir l'utilité de l'asile pour eux-mêmes
si un revirement de la fortune politique les chassait à leur tour du
gouvernement. De cette façon, ont étéépargnéesdes milliers et des
milliers de vies humaines, qui, sans la pratique humanitaire de l'asile
diplomatique, auraient été impitoyablement sacrifiéesau Moloch de la
guerre civile. Il s'agissait de la vie de chefs politiques, d'intellectuels,
de révolutionnaires idéalistes, d'liommes qui, par dévouemerit à uiie
doctrine ou à un principe - l'autorité ou la liberté -. n'hésitaient vas à
SC jt-ter corps<.t.i;iic d;;13 Iuttt: p011rle poil\ oir. \.~iiicCIii~i~)ui&:~~i~s
cli,:rc!ier refuge 3 I'Ctraiigcr coinine 1,: f:iis:iiciit IC.-,r.:\~<~liitiuiin;,ir~s
eurol>;~.iis.ils ~lciiinii~l:iiciit:irili: (1;ins des li.ç.îtii>ris<)trqui. eiis
vertii d~.1.?tli;<jric de I'cxterrirurililitc 31019cn\.iç11r,tnieiit cniiji<lCrCc~
coinnic uiie pruluii~;itioii du territoire dit p:iyj titrnii~cr rcpiL:icntc I>nr
. . -
le diplomate accordant l'asile.
Ce fut donc un pur accident géographique qui fit remplacer en
Amérique latine le refuge territorial par l'asile diplomatique. Mais le
refuee et l'asile sont deux asDects du même hén no mèn social : l'obl-ea-
tionude protéger la humaine contré des persécutions injustes.
On ne peut pas se faire le défenseur du refuge territorial, uui est
aujourd'hui acceptécomme un devoir sacrépar toures les iiations ciïilisécs
du monde, et condamner en mêmetemps l'asile diplomatique tel qu'il
est pratiqué en .4mérique latine. Car, comme je l'ai déjà expliqué, les
deux institutions sont les deux faces d'une même médaille,les deux
aspects du mêmephériomèriesocial. Plus encore, l'asile diploniatiq~ue
n'est bien souvent que l'étape préliminaire du refuge territorial, car le
premier mène généralement - l'histoire diplomatique ne le prouve que
trop - au refuge territorial dans le pays ayant accordé l'asile. PL,AIDOIRIE DE M. YEPES (COLOAIBIE) - 28 IX 50 103
I.':i-ilc .Iipli,iiinti,i~iiien r..i>oii rit-iiriiiiisi.tnics ~Cc~:i:il~l.iiti
poliriliics 8.1I.i>t~ri~ii~s~C~IIOIIII~~~S. pris iiiir~ld;\.i~lr,ppcm~iit(Inris
routes Icj r~~vtibl iiii!; I':\II~IIII ~ I I ;r.iit d<'i.;coiii,ii iliris
l'histoire de i'~u&e. En effet, a l'époque de l'établissement des
ambassades permanentes, au xvIImesiècle,certainspays - les républiques
italiennes, les Etats du Pape, le roi de France, d'Espagne- acceptèrent
et respectèrent l'asile dans les missions diplomatiques. Il existe même
une ordonnance decharles-Quint, empereur d'Allemagneet roid'Espagne,
disant ceci :tQue les maisons des ambassadeursservent d'asileinviolable
comme autrefois les temples des dieux, et qu'il ne soit permis à personne
de violer cet asile sous ou.lau..urétexte oue ce ~uisse être. »Mais l'asile
<Ii,iiton 1):irliit :ilor-,t't,>itr;si.r\.r'. c<,ircl;igc territuri:i:<iisieuli
d~liii]ii:liitiJcdr,,~~CUIII~~IIlI..':l>iltdipIti~ii~i~i~,leiir ltxsperjGciitLs
i,<,lititiucirst biciiiiiiiiiiritiit~nii (I'~ri<iiicI;iiinu-.,iii;ric:iin?.
Au =début, l'asile diplomatique pou;ait être considérécomme une
simple institution humanitaire et chrétienne sans aucune force obliga-
toire. Cela n'est plus possible aujourd'hui en présencede la Charte des
Nations Unies qui, dans son préambule, proclame ila foi dans les droits
fondamentaux de i'homme et dans la dignité et la valeur de la personne
humaine » comme l'une desconditions essentielles de la paix - et aui
rl.tiiplusieurs de 5csaiticles nitinlit., coinrne uiir uliligation solennelle;le
rou~les \If.iiihres dtj S~tiuiis I.nicj. Ic rc>!>ecriinivcr3el et t7iiccrifdes
droirs di. I'huiiiiiieet de, libcrr;~ f~iiid;imeiitalcs[mur r<iiijsalis <listiiic-
tion de race, de sexe, de langue ou de religion ".'C'est ainsi que le droit
d'asile est devenu aujourd'hui une institution nettement juridique dont
la violation peut entraîner des sanctions pour les respoiisahles.
Le droit d'asjle n'est pas une création artificielle et capriciei~?e.c'est
un droit de l'Etat et de la personne humaine elle-même.L'Etat, en
vertu de sa propre personnalité juridique, a le droit d'accorder l'asile
à quiconque il jugerait injustement persécuté.L'individu de son côté,
en vertu du droit de légitime défense,qui est l'un de$attributs essentiels,
a le droit de chercher un refuge pour échapper aux persécutions dont
il est victime. La Déclaration des droits de la personne humaine, adoptée
à l'Assembléegénéraledes Nations Unies, à Paris, en 1948, et la Décla-
ration des droits et devoirs internationaux de l'homme, approuvée
par la IXmeConférencepanaméricaine réunie à Bogota en 1948.incluent
le droit à l'asile comme l'un des droits fondamentaux de l'homme, de
tout homme. Ces deux déclarations, celle surtout de Bogota, sont très
explicites à cet égard. Cette dernière, article XXVII, dit : « 'Toute
personne a le droit de chercher et de recevoir asile en territoire étranger,
. en cas de persécution, non motivée par des délits de droit commun et
conformément à la législation de chaque pays et aux accords inter-
nationaux. »
D'autre part, I'article pertinent de la Déclaration universelle des
droits de i'homme, adoptéepar l'Assembléegénéraledes Nations Unies.
est de la teneur que voici :
irArticle 14. 1) Devant la persécution, toute personne a le droit
de chercher asile et de bénéficierde l'asile en d'autres pavs.
2) Ce droit ne peut êtreinvoquédans le cas de pouriuiies reelle-
ment fondéessur un crime de droit commun ou sur des agissements
contraires auxbuts et aux principes des Nations Unies. n-
Je dois dire, entre parenthèses, que le Péroufigure parmi les États
signataires de ces deux déclarations des droits humains.
8104 l'LAlVOIRIE DE M. YEPES (COLOAIBIE) - 29 IX 50
1-a Colombie, par conséquent, en défendant devant ce haut tribunal
le droit d'asile, s'honore elle-mïme et se lait le porte-parole de l'une
des aspirations les plus nobles de l'humanité, aspiration dont les Nations
Unies et l'organisation des États américains ont fait l'une de leurs
normes constitiitionnelles.
[Séailce$trbliquc dtc?g septembre Igjû, matin]
Moiisieur le l'résident, Messieurs de la Cour,
Je vais m'efforcer d'être extrêmement bref et présenter plutôt des
conclusions en ma qualité d'agent de la République de Colombie
auprés de la Cour internationale de Justice.
Dans ma plaidoirie, je crois avoir largement établi les points suivants,
eii dehors d'autres non moins importants pour la résolution de cette
affaire :
Premièrement, qu'il existe en Amérique latine une coutume sur le
droit d'asile diplomatique. Cette coutume trouva son origine dans la
nécessitéde chercher Uiie protection efficace contre les persécutions
et représailles qui sont la suite inévitable des guerres civiles. Cette
conception de l'asile contre les persécutions politiques est devenue
une coutume internationale dans le sens oue l'article 08 du Statut
de la Cour intcriititioiiale (le Jiisticc donne {t'lacuutiiinï summ' source
<lu droit interii:ition;iL'asile est <le\.c.iiiiuiic Ii~l>iiii<lcci>i~st.riit~c
Amérique latine pendant plus d'un siècle. Dès qu'un mouvement
révolutionnaire ou un coup de force militaire manquaient leur but,
qui était toujours de renverser le gouvernemeiit du jour, leurs auteurs
ou leurs promoteurs demandaient asile aux missions diplomatiques
et quelquefois méme aux missions consulaires. Celles-ci s'empressaient
d'accorder I',îsile, non pas dans un but charitable, loin de là, mai:;
plutôt pour se soumettre à une obligation juridique. De même, les
persécutés politiques qui cherchaieiit asile avaient, eux aussi, la
conviction qu'ils exerçaient un droit que la mission diplomatique en
question ne pouvait pas refuser arbitrairement. Des dizaines de cas
d'asile daiis tous les pays de l'Amérique latine démontrent que la
pratique de l'asile a étérespectée et exercée par tous. Dans notre
Alémoire et surtout dans notre Réplique préseiités au cours de la
procédure bcrite, nous avons relevé une liste imposante de cas histo-
riques d'asile politique. II paraît inutile de revenir aujourd'hui sur
cette liste, que la Cour connaît amplemeiit. Celle-ci pourra y voir,
comme le soutient le Gouvernement colombien, qu'il s'agit d'une
véritable coutume internationale de caractère obligatoire.
Deuxièmement, la codification du droit international américain n'a
jamais étéfaite d'une façon soudaine. Aii contraire, elle a toujours
étégraduelle et progressive et elle a obéià la iiécessitéde tenir compte
de I'espérierice. C'est pourquoi les traités panaméricains ii'ont jamais
éliminéla rfglementation coutumière. II en est ainsi de l'asile et des
autres institutions de droit international américain. 11 n'y a pas
d'exemple d'urie seule institution américaine ayant éti: complètement
organisée d'embléeet dès le début. Mais le fait que l'on suit le rythme
mgnie de la nature, laquelle ne fait jamais des sauts (ttatair(rnon fcicit
sallrrs). ne signifie nullement que lorsque, en Amérique, on organise PLAIDOIRIE DE M. YflPES (COLO&IBIE) - Zg IX 50
105
une institution juridique, on agisse dans le vide et sans épauler forte-
ment la construction qu'on est en train de bâtir. Bien au contraire,
eii organisant uiie institution on a le soin de laisser subsister à côté
d'elle les principes et les pratiques qu'on riecroit pas nécessaired'incor-
porer immédiatemeiit daris la nouvelle institution et qui garderont,
en attendant, toute la force qu'ils possèdent par eux-mêmes. C'est
dire que le droit coutumier subsiste a côté du droit conventionnel en
tout ce qui ne le contredit pas expressément.
C'est de cette façon que se sont constituées lentement toutes les
grandes institutions juridiques du droit international américain. Je
n'en citerai que deux, en dehors de l'asile :
C'est d'abord l'organisation internationale des États américains,
ou Union panainéricaine. Établie modestement en 18qo, elle a grandi
oeu à oeu hsou'i devenir. au bout de soixante ans. la eiande instzution
de ~o<~éra'tioh internationale et de paix qu'elle est'aujourd'hui. Pendant
cette lente évolution, elle a étérégieDar la coutume et simultanément
Dar les résolution~ ~dootées au i;r èt ~ ~ à mes~~e Dar les Confé~enc~s
panaméricaiiies.
II eii a étéde méme pour lesystème de la consultation comme moyen
oacifia.e v.ur la solution des conflits internationaux. Le ~rincioe de
I;ii<iiiiultarion;ICienpprou\,; en g;:iicral CI S:IIIaucune rrg1nini:ntntion
i ki i'uiifL:rci~ccde 15ucrios-i\ir~~s (le 16. lis lurs. jus(lu'5 In
1S1ht: Corif~rcircer>rirr;iiiic'risnrili:I3ueota dc 1068. le ¶r.s[;niidc Iii
consultation a étd régiÏen même temps par I/ 'coutume et par les
principes votés dans plusieurs Conférences pariaméricaines.
C'est ce systèmede codification graduelle et progressive qui a 4tésuivi
pour le droit d'asile. Le Congrès régional sud-américainde 1888-1889.
qui s'était réuni à Montevideo et que \,eus connaissez bien, a codifié,
exclusivement dans le cadre régional, certaines règles que la coiitiime
avait déjà consacréeset qui, par la suite, ont été reconnues, non pas
seulement par les cinq États signataires du Traité de hIontevideo de
1889,mais encore par toutes les autres républiquesde l'Amériquelatine.
Ensuite, le Congrèsde Caracas de, rgrr, que vous connaissez aussi, où
n'étaient représentésque les cinq Etats bolivariens, dont le Pérou et la
Colombie, approiiva l'accord reconnaissant simplement l'asile comme
une institution régiepar les principes générauxdi1 droit international.
Le Traité de 1889 et l'Accord de 1911 sont restés limités à un nombre
restreint de signataires. Mais il est intéressant de faire remarquer que
le Pérou figure comme l'un des plus fidèles partisaris du droit d'asile,
puisque c'est le seul Etat signataire de ces deux accords régionaux qui
ont commencéI'institutionalisation de l'asile en Amérique.
Ce n'est qu'à In VlmeConférencepanaméricainedeLa Havane en 1928
qu'on a franchement entrepris la codification, sur un plan continental,
des règlesconcernant la pratique de l'asile, qui %rait depuis longtemps
déjàcomme I'uii <leschapitres les plus importants du droit international
américain. La Convention de 1928 est donc le premier essai visant à
donner uii statut de droit écrit à la regle coutumière de l'asile pour les
persécutés politiques. Mais, fidèleen cela à la tradition bien assise du
droit international américain (le faire une codification graduelle et pro-
gressive, la Convention de 1928 n'a pas épuiséla matière à codifier et
elle a laissésubsister quelqiies règlesen tant que normes du droit coutu-
mier, qui s'appliquent parallèlement aux règles du droit conven-
tionnel. Il était réservé à In VIIme Conférencepananiéricaine réunie à Monte-
video en 1933le privilège de préciser les règlesadoptées par la Confé-
rence de La Havane. La Convention de hfontevideo de 1933reste jusqu'à
nrésent le dernier effort réalisésur le ~lan continental Dour codifier
ie droit d'asileen Amérique. Maisl'évolu~ionn'est pas encbre terminée.
le cycle n'est pas encore clos. Crr il reste encore d'autres rèclesdu droit
couiumier. telies. nar exemde. aue la ~ratioue de délivreruuiauf-conduit
pour les ré&iés,fa prohibi'tiohde toite cohuunication des réfugiés dans
une ambassade avec le dehors, etc., qui attendent toujours d'êtrecodi-
fiees par une future conférencepanaméricaine, mais qui, entre temps,
n'en ont pas moiiis un caractère obligatoire en tant que droit coutumier
latino-américain.
C'est pour tout cela qu'on a sijustement dit que le droit international
américain est une création continue, où les apports .coordoiinésde la
coutume et du droit conveiitionnel se fondent Yeu à Deu dans la lente
puiissCçilcsg6nc'r:itionssticsesji\.es 1~881coiistriiirc il'iinc f:i$on~riiduclle
et progressi\.r?ililcorfitrsli,rls, réscrv6en principe aux sciiies ii.ttiuiis du
Niuvéau Monde, maiçqui néanmoins porte- en soi une puissante
vo~-~~~~ ~ ~l'un-versalité.
II était nécessaire de rappeler ces caractéristiques du droit interna-
tional américain pour bien mettre en relief le fait aue la Cour doit aop!i-
quer non seuleméntles articles expressément in~o;~orésdans la Co&ti-
tion de 1928. mais aussi les principes générauxproclamés par le droit
international ambricain. Car, lorsque l'article 38, paragraphe c),du Statut
de la Cour internationale de Justice dispose que celle-ci applique iiles
principes générauxde droit reconnus par les nations civilisées »,le Statut
a imnlicitement ordonné sue, dans le cas où la Cour devrait trancher une
que&ioii d'ordre contiue<talou régional - comme celle qui est souniise
aujourd'hui à sa décision-, elle doit obligatoirement appliquer les
principes généraux.de droit reconnus par l'ensemble des Xations qui
constituent le groupement régional oùle différend s'estprésenté. Dece
point de vue, les principes générauxdu droit international américain
ont le mêmetitre à êtrea~v..qué.pour la solution d'une controverse
régionaleciitre <leiixou plusieiirs $:lits anirricains, que les priiisipes <III
<Iruit interiiaiional .éiiérnIlursqc'il s'agit (le r6-lçr une (lurstion d'ordre
universel.
Par analogie avec les dispositions de l'article j2, paragraphe 3. de la
Cliarte des Nations Unies, on peut même affirmerque ces différends
r;gi~,ii:iiis dt,i!.ciit Ctrc réçli'sdc prt:f;icnc[).îrI';~~~~;lic;itcliiis piin.
cipes <luilroit r6gioii;il.c'est-idire, d;inj IL,c;issicl,jrilii~. le ilroit iiitxr-
n:toi :intriii 1.2CIi:irtt!<Ir>S:itiuiis Ciiicj cirezonnii. (I.iiisE<>II
chapitre VIII, articles 52 .254, une certaine autonomie des accords ou
.organismes (lestinésA régler les affairesqui, touchant au maintien de
la paix et de la sécurité internationales, se prêtent h une action de
.caractire régional. La mêmeCharte a disposé que les Membres des
Natioiis Unies qui concluent des accords régionaux ou constituent des
,organismes régionaux doivent fairetous leurs efforts pour réglerd'une
manière pacitique, par le moyen desdits accords ou organismes, les
,différendsd'ordre local. avant de les soumettre aux instancesdesNations
I:iiies En statuant ainsi, la Cli;irtt:des S;itioiij [:nitsii':fait qii'iitiposer
imi~licitementI'obliyatioii (le rc-ler les coriilits -i:ciuii:iiiz v..r iipvlication
du'droit régional. - PLAIDOIRIE DE 11. YEPES (COLOJIBIE) - 29 IX jO 107
C'est pour cela que j'ai dit hier que la Charte des Nations Unies a
donné deslettres de citoyenneté au droit international américain.
Se basant sur tous les raisonnements présentés devant la Cour par
Me Vasquez et par moi-meme, et sous réserve des autres arguments
qui pourraient étre encore produits, la Colombie demande a la Cour de
voriloir bien décider, conformément aux conclusions formulées par le
Gouvernement de la République de Colombie dans la requéte intro-
ductived'instance présentée àla Cour le 15octobre 1949,dans le AIémoire
du IO janvier 1950et dans la Répliquedu zo avril 1950,et conformément
aussi aux argumentations exposées pendant les débats'oraux des 26, .
27, 28 et 29 septembre 1950 par l'agent et l'avocat de la Colombie
auprès de laCour internationalede Justice, et rejetant toutes conclusions
contraires:
I" Que la République de Colombie a le droit, en tant que pays accor-
dant l'asile, de qualifier la nature du délitaux fins du susdit asile, dans
le cadredesobligations qui découlent enparticulier del'Accordbolivarien
sur l'extradition du 18 juillet 1911 et de la Convention de La Havane
sur l'asile du 20 février 1928, et, d'une façon générale,du droit inter.
national américain ;
z" Que la République du Pérou, en sa qualité d'Etat territorial, est
obligée,dans le cas concret matière du litige, d'accorder les garanties
nécessaires pour que M. Victor Raul Haya de la Torre sorte du pays,
l'inviolabilité de sa personne étant respectée ;
3' Que la demande reconventionnelle du Pérou présentée à la Cour
le 21 mars 1950 n'est pas fondée en droit.
Monsieur le Président, Messieurs de la Cour, je vais terminer ma
plaidoirie.
A l'entrée de ce Palais, que la munificence d'AndréCarnegie érigea
pour êtrele temple de la Paix, on peut admirer une statue de la Justice
dont l'originalité est'remarquable.
Ce n'est pas la Justice que, traditionnellement, nous sommes habitués
à contempler tenant d'une main le fléaride la balance et, de l'autre,
l'épéesymbolique, ayant les yeux fermés pour ne pas savoir de quel
côtépenche le fléauni qui elle doit frapper de ses rigueurs.
La statue que nous voyons ici, au contraire, s'avance les yeux grands
ouverts et le regard tendu vers un horizon en marche. C'est là le vrai
symbole de la justice, surtout de la justice internationale :une divinité
qui voit ce qu'elle fait, qui voit les hommes qu'elle doit punir ou
récompenseret qui prend conscience de ses propres responsabilités.
C'est,ce que nous attendons de la sagesse de la Cour internationale
deJustice :qu'elleouvre les yeux à laréalité, qu'elleexamineleshommes,
ainsi que lesfaits et les arguments juridiques que nous lui avonsprésentés,
et qu'elle dise le droit en regardant bien en face le fléau dela balanie
pour le Tairepencher du côtéde la véritéet de la liberté.
Votre jugement aura une portée historique. Il ira bien au delà de
l'actuelle controverse. C'est le droit d'asile lui-mêmeque vous pourrez
consacrer comme bouclier contre les persécutions politiques ou que,
en revanche, vous pourrez condamner à disparaître dès l'instant que
vous prononcerez une sentence défavorable à la cause soutenue ici par
la Colombie.
Grave et redoutable responsabilité que la vôtre, Monsieur le Président
et hfessieurs de la Cour ! 4. PLAIDOIRIE DE N. CARLOS SAY.&NALVAREZ
(AGEST DU GOUVERNE~~EST DU PÉKOU)
A LA SEANCE 1,UBLIQUE DU 2 OCTOBRE 1950
Alonsieurle l'résident de la Cour, hfessieurs les Juges,
Le Gouvernement du I'érouéprouva uneprofonde satisfaction lorsque,
sur son initiative, il fut décidede soumettre à la Cour internationale de
Justice le règlement du désaccord survenu avec la Républi<lue(le
Colombie, au sujet de l'asile octroyé par son ambassade à Lima à
hl.Victor Raul Haya de la Torre. Tout aussi profonde fut ma satisfaction
personnelle et professioiinelle d'êtredésignépar mon Gou\.ernemeiit
pour le représenter dans cette affaire. C'est pour moi égalementun grand
honneur d'êtreson défenseurdevant le plus haut tribunal de justice qui
soit au monde.
En oualitéd'agent du Gouvernementdu Pérou. ie me coiisidèrecomme
tenu, ie fùt-ce que pour des raisons de courtoiiié, d'exposer devant la
Cour, dans le cadre de cette procédure orale,les circonstances de l'affaire;
de retracer d'une facon aussi brève aue concrète les fondements de fait
cette Controverse. Le Gouvérriemënt du I>éroueatoujours désiréporter
son difftrend avec la Colombie sur le terrain du droit. II a tenu spbciale-
ment à s'assurer la collaboration, pour la défense, d'une personnalité
suscentible de ioindre à sa comoétence un esnrit de totale obiectivité.
Georges Scelle a bien voulu accepter cette mission. -
de Colombie l'oàtrLima et dont j'ai rapporté largement les antécédents'assade
lric'eI;I%ii\.erjiece 1)oints(Ic vile rntrc Ic~oii\~eriiciiieiitdu I1>rouetsie
(;ou\~~~iie~iiriillela C~lonibie.Ces (Iivt.rgciiccsfiircnt c~posCe;aii Ivil~
d'uri Cctiaiig?<le iiotcs ~Iiploni;itiquî, <la~~Iitsqiicllis slinqiit: I'artic a
in:iiiit~iise, 18uiiitsilc vueS~IIIj),ir\.i.i:iauciin :tccor<I.I'oury Irrettrc
tiii,1i.<leiix(;<iii\~crriemcntssuiit c~iiivciiuspir 1':\2tr.d1.iiii;sien6 le
-ZL :wiit I~~JO.(Ir ,ounlettrelc di11Cr1.11id12 dCcisic-,rle12 COII~ 1iitcrn.t-
tionale dé'justice.
Cedocument constate que les Parties n'ont pu se mettre d'accord pour
orkciser I'obiet de la controverse et soumettre conioiiitement à la Cour
ceia zonstitue un acte inamical-envers l'autre. Conformément au teste
[IL.c I~I;.IIilciciinieiit.le Guu\~c'rii~m~dtt l;(:i,lomhic fitjn\,oir:Icclui
du I'Croii<lt~'ielxwcer~~tce tlrc.Ic I5 uct#,hrecl-Iliiiiine :<~iiiet.<L$j>osi
s:t r~iiiiirc dc:v:iiilI:ICo:\.la in2111e:trt,. I"ac,:iirdi1Goiivcriifmentilii
~éro; remit ses lettres de créances à la Cour et présenta une copie
légaliséede l'Acte de Lima aux fins de la procédure.
Dans sa requêteet dansson Mémoire,le Gouvernement de la Colombie
demande à la Cour de déclarerqu'en tant que pays qui octroie l',asile,il a le droit de qualifier définitivement et sans contestation possible le
délinquant et le délit; que le Gouvernement du Pérou est oblig6
d'accepter cette qualification et d'octroyer les garanties nécessaires
nour aue le réfueiésorte de son territoire. La Colombie base sa demande
;ur leA~raitéd'extradition, signé à Caracas en 1911, sur la Convention
del'asile, signée à La Havane en 1928, et sur la coutume considérée
comme nonie du droit international américain
La défense affirme que le droit de qualification - avec l'étendue et
les conséquences que la Colombie lui attribue dans ce cas concret -
n'est stiuülé dans aucun des traités en vigueur entre les Parties et n'est
l'objet d'aucune règle applicable eu droyt international ; qu'en outre,
la sortie du réfugiéhors du territoire dépend d'une décisiondiscrétion-
naire de I'gtat territorial, conformément à la disposition correspondante
de la Convention de 1928.
Le Gouvernement de la Colombie, en invoquant le Traité d'extradition
de 1911, a deux buts. Le premier, c'est d'affirmer que les réglesde la
qualification du délit etdu délinquant qui y sont établies expressément,
mais pour les seuls cas d'extradition, sont applicables aux cas d'asile.
Le deuxième, c'est d'alléguer que l'article 18 du mêm~traité, qui dit
que : «en dehors des stipulations du présent accord, leshtats signataires
reconnaissent l'institution de l'asile, conformément aux principes du
droit international ii.a incornoré l'asile. tel au'il existait alors. au droit
~~,i~~cnfii,nn~l .I en r<'siiltckit ~liicI'.ljili>:;;!ilr,<i pdr 1, iiiiitiiiiitVI
que If,droit [>O:IIII~i~i~tirii.lr.iIcj r;:l<,i<Ir ,011:ipl~lii:.irit?n.!. i.nmpris
IV rlriji(1~iiii.iliiiriI.iiile,?ils Cr .ivec I':~iiii>liiA .ti,r~:tciiIiii<l~)iiiicr
à présent 1; Gouvernement de la C~lombie.~
Sur le premier point, il est élémentaire qu'on ne saurait confondre et
assimilcr des institutions iuridiaues totalement différentes l'une de
1';iiirrVI ,,!IVI',,inc II~III-~l.pli<l~i<1ri icgIts coii\~ciitiuiiiicllo stipul;+s
eii 11 111uLit:l hivii ii~rr:riiiiii;uiic.iiiiiiturit~ii .tu111 niirri ii.iIurr.
Sur ce uoint. ie me bornerai à dire aue dans les cas d'extradition le
réfugiéSetroube dans les frontières di pays de refuge et sous sa pleine
souveraineté, alors que dans le cas d'asile la iuridiction de l'État terri-
torial entre en conflii avec les immunités auei'on reconnaît aux ambas-
sades et léga t'ions.
Quant au deuxième point, selon lequel l'article 18 du Traité d'extradi-
tion de rorr incornorait le droit coutumier de l'asile au droit conven-
tionnel, il'est nécessaire de rappeler que, bien avant cette date, l'ceuvre
de codification avait étécommencée en Amérique. Elle avait déii pris
corps, pour le moins en ce qui concerne le Périu, dans le traité intema-
tional, conclu en 1889, au Congrès de Montevideo. Dans ce traité signé
et ratifié par l'Argentine, la Bolivie, le Paraguay, 1'Uruguq et le Phou,
et qui fut conclu plus de vingt ans avant celui d'extradition de 1911,
l'asile fut incorporE au droit positif américain. Cette incorpor t' a ion
n'établit aucunement le droit de qualifier, et s'exprime en termes qui
' furent reproduits quarante ans plus tard par la Convention sur l'asile de
La Havane de 1928. Par conséquent, c'est en 1889 que l'asile a étéintro-
duit dans le droit conventionnel américain, et non en 1911, comnie
l'affirme la thèse colombienne. Il s'ensuit que tout ce que l'on peut
accorder à l'article 18 du Traité d'extradition de 1911 c'est que, s'il a
reconnu l'existence de l'asile selon les principes du droit iriternational, il
l'a fait en se rapportant aux règles concrètes établies dans le Pacte du
Congrès de AIontevideo de 1889. Étant donné ces antécédents, l'interprétation purement subjective de
la Colombie selon laquelle le droit de qualification irréfragable serait en
vigueur sur la base de l'article 18du Traitéde1911,n'a aucun fondement.
C'est ce que reconnaît l'éminent juriste colombien, feu hf. Urrutia, qui
fut membre de cette Cour, dans son ouvrage intitulé : 1.eConti+te%t
américainet le Droit international, lorsqu'à la page 331, il écri: «La
Convention de La Havane sur l'asile est, sauf certaines restrictions, la
américains lors du Congrèsde Montevideo de adop1889.a» plusieurs États
La demande colombienne affirmeéealement aue le droit de aualifica-
à l'asile ni d& cond;itions ou'ellêreauiert Dour consfituer des normes
juridiquement obligatoires. je traite;ai seufement de la preuve de son
existence en ce qui concerne le genre de qualification invoqué par la
Colombie.
. Il n'est pas douteux que la seule bonne démonstration de cette
soi-disant coutume consisterait à énumérerplusieurs précédentsrésolus
de cette manière, or, malgré les nombreux exemples d'asile citésdans
les documents de la procédure écrite, la thèse colombienne n'en a
présenté aucunqui réunisse - en ce qui concerne le droit de qualifier
- des caractéristiques aussi singulières que celles qu'elle invoque
dans le cas concret soumis à la décision de la Cour. II n'y en a pas
un seul où ait étédémontréel'existence d'un procès préalable devant
les juges nationaux pour les délits communs, plusieurs mois avant
que l'asile ne fût octroyé et que la qualification n'intervînt. 11 n'y
en a pas un seul où l'Etat territorial se soit opposé aussi fermement
aux fondements de la qualification et où l'Etat «asilantn ait prétendu
l'imposer. Il n'y en a pas un seul où celui-ci se soit refusé même à
discuter la question et à prendre connaissance des raisons invoquées
par l'autre Etat. Il n'y en a pas un seul enfin où il ait déclaréque
et d'octroyer le sauf-conduit.de s'incliner devant cette qualification
Prenons maintenant la Convention de La Havane de 1 28, troisième
fondement concret des conclusions de la requêtede la 2 olomb'ie.
Je déclare tout d'abord que cette convention constitue pour le
Gouvernement du Pérou l'unique instrument légal obligatoire qui le
lie à la Colombie en matière d'asile.
Si on l'étudie en fonction du droit de qualifier, on peut affirmer
qu'il ne contient aucune disposition sur ce point. Son examen par
la Cour confirmera entièrement l'exactitude de cette affirmation. Il
n'est pas possible de confondre la qualification provisoire - et que
l'on veut croire improvisée de bonne foi par un fonctionnaire diplo-
matique, dans des circonstances qui peuvent être dramatiques et sans
lesquelles le fait mêmede l'asile serait illégal- avec la qualification
définitive, indiscutable et impérative telie que la Colombie prétend
l'imposer.
Le Gouvernement colombien ne se borne pas à vouloir justifier sa
théorie de la qualification : il re-erche une solution méconnaissant
les droits du Pérou en tant qii'Etat territorial tel que le Traité de
1928 lui-même lesreconnaît.
Il n'est pas possible noil plus de transformer par un acte unilatéral
cette qualification improvisée en une qualification définitive et obli- ...
PLAIDOIRIE DE 11. S.~VAK ALVAREZ (PÉROU) - 2 x 50 III
gatoire, alors que l'autre État la conteste et la repousse en invoquant
des situations légales et précises qui détrnisent, selon ce mêmetraité,
le bien-fondé de cette qualification.
La Colombie s'est efforcée, dans son &lémoireet dans sa Réplique,
d'édifier une argumentation compliquée en vue d'interpréter ledit
traité dans un sens qui lui conférerait le droit absolu de qualification.
Sur ce point comme sur tous autres, la défense du Gouvernement du
Pérou maintient fermement l'argumentation présentéeau cours de la
procédure écrite. L'interprétation de la Convention de La Havane
de 1928 et son application constituent le problème fondamental que la
Cour doit résoudre pour se prononcer sur le droit de qualifier et sur
les aspects du présent litige.
La thèse de la Colombie tend à obtenir une interprétation très exten-
sive de ce traité. C'est ~our cela. bien aue ladite convention ne contienne
ricii siir Ic ilroit de lualiricr. qii'elxcrccuiir.;j.ilcs nrgiimcnrs niirlscit.iix
i (Ics ~loctriiici riiqutL,\ qii'cll~~.:tnhlit d?s priiicip,s s.iiii n%i-i-: jiiii-
~II~III~ ~1~11'~lclrl~vicli~t~l,,? ;imiIttiid~-?oii II n'y a.pas, <lii'\~llt Jt:s
:iiiit~~i,r il<:.ni;tl.<i<lstl'itit~~rl~r~t:~tiit1.~niiii<,Iille f.iiiii5:igcLl'uiii.
di:~Iicii~~~i~~~~,111~iI~1:,t~irf:iiic (Iir;XIItr:!ll: c+ qli<.,es :11it~uis 11'~lnI
ccrtnincin~iir i~isiiri15; IIIvoiilu Iiiif:iirt Jire. Ctttc cli:tli.riiirahoiitit
à une véritabîe diformation de l'asile et du droit-de qualifie;, an point
de les transformer en un instrument par lequel 1'Etat qui octroie l'asile
~ourrait imnoser ses Dronres lois à 1'Etat territorial au moven d'une
1 -r-~- ~ ~ -
hitable iniervention.
La défense du Pérou croit que le présent litige doit se résoudre par
l'application du droit conventionnel qui l'oblige en tant qu'Etat, et
que le Traité de 1928 sera interprhté par la Cour dans les limites permises
par la nature mêmeet les fins humanitaires de l'asile. Les gouvernements
ne Deuvent être oblieés. dans l'ordre int-r~ ~ional. surtout lorsau'il
~u ~.
s'agit de pactes qui limitent leur souveraineté, que par ceux que leurs
organismes constitutionnels, Exécutif et Parlement, ont acceptés en
pleine connaissance de cause.
Quant à la sortie de 1'«asilé rpour l'étranger, deuxième demande de
la requêtecolombienne, je dirai simpleme,nt que la décisionsur ce point
a~nartient de facon discretionnaire à l'Etat territorial. en conformité
L A ~-~~
avec l'article 2, alinéa 3, de la convention que je viens de commenter,
et que l'octroi de garanties à cet effet est expressément subordonné à
la décisionque le mêmeÉtat adoptera sur ce point.
Ayant ainsi démontré que la demande de la Colonibie n'est pas fondée,
j'aborde la question de la reconvention.
On a déjà-dit que l'Acte de Lima déclare que les Parties ne sont pas
parvenues à se mettre d'accord pour délimiter la matière de la contro-
verse et la soumettre coniointement à la Cour au moven d'un compromis,
points qu'elle considère coke étant les plus solides pour assurer s?
position. Mais la défensedu Pérou a jugébon, pour l'appréciation inte-
grale du problème par la Cour, d'en présenter tous les aspects depuis
ses origines, en contestant la légalitéde l'asile octroyéet de son maintien
et en exposant les véritables raisons qui en motivèrent l'octroi. Confor-
mément à la procédure fixéepar l'Acte de Lima, le Pérou conserve son
droit d'élargir les limites de la controverse par une demande reconven-112 PLAIDOIRIE DE ar. SAYAS ALVAREZ (PÉROU) - 2 x 50
tionnelle, en s'en tenant uniuuement aux termes de l'article 63 du Rède-
ment de la Cour ence qui concerne sa connexité avecla demande initiale.
La demande reconventionnelle formulée dans le Contre-Mémoire
est fondéesur l'article premier etsur l'article 2, paragraphe z, première-
ment (ilicisoprimera),de la Convention de La Havane sur l'asile.Le pre-
mier article déclare illicite l'octroi de l'asileà des personnes accuséesou
condamnées oour des délits communs. Le deuxième établit uue l'asile
ne pourra ê&eoctroyé au délinquant politique que pour dés raisons
humanitaires, dans des cas d'urgence et pour le temps strictement indis-
pensable pour que le réfugiéFe mette-en sûreté d'une autre manière.
En contestant la régularité de l'asile octroyé par l'ambassade de
Colombie,la défensedu Péroule fait d'un point de vue objectif, en tenant
compte de la réalitédes faits matérielset iudiciaires. Elle considèreaue
crs ~li\,çrgenc,?;nvec la rciliirtc dc.InColon;bie sont ILr.Csiilratde I'npl!rt;-
ci;itiaii erronéect iiict~iiiyl&te<leï,:llc-ci siir ics incmcs f;iits 3l:tis cllc
regrcrte que le Couvcrneinzrit de In Culombie SC soit reftis6, lorjiiuc Ic
(;t,iivi:riiemcnt (lu I'érou It:1111proposn iIms les nutes diplomltiqrics
écli;iii~L:es,lesesniniiier obit~ctiv~nirnta11 CUUT)>~'UII~~~I~SIISSIO~directe,
franchéet amicale. Elle regrette encore plus qu'au cours de la procédure
écrite la Colombie ait maintenu une thèse adoptée à la légèredans la
phase iiiitiale du désaccord, et accentué son attitude première par des
interorétations et des ao~réciations p as si on néedes faits. des documents
et d& preuves par iicii~résentés. A
Quant au premier poiiit de la demande reconventionnelle, la défense
du Pérou a i~rouvéaue le réfueiéétait imnliou,da,ls un rocè èo suvert
trois iii<~is\.niit l'octroi de l'.ts~l~I..'ciiqii~tii]iiclisi:iire:iv:.ir poiii biit (le
aICt~miiiierses respoiis.il~ilitt~p;oii111rl2lit<ILr.il)clliuii et poiir 1r.s(l,ilits
commuiis préparéset commis-en mème temps. La déleoie du Pérou a
démontréégalement que l'autorité judiciaire l'avait sommépublique-
ment et par édits à comparaître et à se défendredes accusations portées
contre lui. Elle a affirméQuesi Hava de la Torre avait demandé asile.
cc ne iiit puint pour ccli;ipper:iiiritpoursuite nrhitrnirc (1orilr<:[~uliriqiie,
pas pliis ~ii':tiiiiçfoule dicl.;iirii.c~.iiinis pour se soiistr;i:iIn jiistisr.
L'eZstenie de délits coInmuns. l'ouvertüre du orocès olusieuis mois
~olomb;e sont dûment prouvés la présentatiori de copies légalisées
des divers documents originaux du procès.
II serait en véritéiiiadmissible, étant donné I'cxistence d'un procès
ouvert pour délits communs conformément aux lois en vigueur, qu'un
gouvernement étranger prétendit entraver le libre exercice de la juridic-
tion nationale. L'affirmation de la Colombie ou'il n'existe au'un délit
~,oliri(lticii'nniiciiiie vnlziir p:i<~IILI:L<liinliti;atioiide Iii;iriirdt.cc,
dt'lirs iorrcspond çiidcriiicr r<,ssur5 InCoiir suprcnie (IIIl1<:ioii(loiit1s
]uritliitioii est e~itra\~t;c I';isil~.r,ctro!<i?I'a~iibnssxi~:de t:oluriibie,
L.n <I;pit du fait qiir.1'cseri:icidc Injiiridiction territori:ilc est iiiie p:irtie
iiitt!~raiite et inali;ii.<blr.dIix~,,iiverainett L:t:~tique.
existence du procèspour délits communs, préilable à l'asile, montre
non seulement que la qualification du Gouvernement colombien a tout
ignoré du développement réel des faits, mais que l'asile mêmea été
octroyé en marge des conditions exigéespar la Convention de 1928. PLAIDOIRIE DE 11. SAYAS AI.\'AREZ (PÉROU) - 2 X 50 113
Si, dans les premiers moments, l'ambassade de Colombie a pu ignorer
~la v~ritable situation Iéealedu réfueié.cette ignorance ne lteitime ilas un
acte contraire à la susmte conventron'.~etteygnorance ne Peut no'nplus
engendrer des droits au béiiélice de 1'Etat qui octroie l'asile, et beaucoup
moins encore des obligations pour l'État territorial comme le prCtend
la Colombie.
Le deuxième point de la demande reconventionnelle est également
fondé. Les conditions que la Convention de 1928 exigeait pour que
l'asile d'hommes politiques soit fondé n'existaient pas lorsqu'il fut
accordé par l'ambassade de Colombie. Pas plus l'intégrité physique
que la vie du réfugién'étaient en danger, parce qu'il n'était pas l'objet
de poursuites ni de menaces par des foules déchaînéeset qu'il n'était
pas menacé de poursuites arbitraires par représailles politiques. Il ne
s'agissait pas alors d'un cas d'urgence pour raisons humanitaires. Il
se réfugia à l'ambassade de Colombie parce qu'il,était poursuivi par
la iustice et au'il voulait éviter oue l'on éclaircisseles im~utations
qui' pesaient sûr lui.
Dans son hlémoire, la Colombie n'invoque poiiit l'existence des
conditions ci-dessus comme motif immédiat et urgent d'octrover l'asile.
Ëlle se borne à dire que le réfugiéle sollicita affirmant c1uésa vie et
sa liberté étaient en danger. Mais, lorsque la défense du Pérou eut
établi dans son Contre-Mémoire l'illégalité del'asile, la Colombie a
cherché à justifier son attitude en affinnant que la menace proveiiait
de la justice interne du Pérou. Dans la Duplique, cette iiouvelle position
de la défense de la Colombie a étélargement réfutee et nous nous
bornerons à dire de façon généralequ'au& traité, pas plus qu'aucune
doctrine, n'admet ni ne justifie l'asile comme moyen d'échapper.- à
l'action de la justice.
Cependant, afin de défendre la soi-disant attitude Iiumanitaire qui
aurait justifié l'asile, on affirme que le réfugiéfaisait l'objet d'une
procédure arbitraire et qu'il allait comparaître devant des jiiges qui
n'offraient pas de garanties d'impartialité, au cours d'un procès som-
maire, et qu'on lui aurait appliqué deslois promulguéespostérieurement
aux faits. La défense du Pérou adéclaré à ce propos ce qu'il convenait
d'en faire savoir, et elle a apporté des preuves suffisantes pour détruire
ces affirmations arbitraires. Maintenant, elle affirme avec le sérieux
qu'on doit apporter dans un procès devant la Cour interiiatioiiale de
Justice - afin d'apaiser l'inquiétude que pourrait avoir la Colombie
au sujet du sort de son réfugié - que les lois qui soiit en cours d'appli-
cation dans le procèsouvert à la suite des événements du3octobre 1948
sont des lois antérieures aux faits délictueux ; que ces mêineslois
instituent des juges et des tribunaux compétents pour les juger ; qu'on
a recours à des dispositions légales pour qualifier les délits et fixer
les peines correspondantes et que ces lois sont esclusi\,ement celles
du Code pénal en vigueur au Pérou depuis 1924 et celles du Code de
justice militaire en vigueur depuis 1939. Xous pouvons ajouter que
la sentence rendue, et reproduite dans la Duplique comine preuve,
a étéprononcée un an et demi aprhs l'ouverture du procès et qu'elle
est maintenant sur le point d'êtreexaminée par la Cour suprême du
Pérou, qui a compétence pour se prononcer définitivement sur elle.
Cette sentence rendue contre les CO-accusén se porte pas sur les respon-
sabilitésqui peuvent incomber au réfugié,parce que, selon la procédure
en vigueur, le proc&scontre lui ri étésuspeiidu jusqu'à ce qu'il puisse114 Pl.AlDOlRIF. DE 11. SAY~S ALVAREZ (PÉROU) - 2 X jO
comparaître pour se défendre. Il n'existe pas, en effet, dans la loi
péruvienne, de condamnation par contumace.
Afin de compléter le tableau que la Colombie a voulu brosser du
présent droit d'asile, elle a employé des arguments que la défensedu
Pérou a déjà relevéset critiqués afin de les ramener à leurs véritables
proportions. Cherchant à impressioiiner la Cour et l'opinion publique.
elle a présentédes considérations d'ordre divers que je dois démentir
une fois de plus.
Elle affirme que, si la Cour ne résout pas le problème dans te sens
qu'elle demande, l'asile n'aura plus cours en Amérique. II n'est guère
permis de concevoir une affirmation aussi risquéeni de poser un dilemme
aux fondements aussi douteux.
Le Gouvernement du Pérou ne méconnaît pas l'utilité de l'asile, pas
plus qu'il ne se refuse à le pratiquer et ile respecter. II exige seulement
qu'il en soit fait un usage conforme aux dispositions des traités en
vigueur ; que l'on n'abuse point des immunités reconnues aux locaux
diplomatiques et que l'on ne prétende pas faire découler son octroi,
dans le cas actiiel indû, des obligations qui n'ont pas étécontractées
par 1'Etat territorial. La défense du Pérou ne discute pas l'asile en
tant qu'institution existante du droit international ; ce qu'elle discute,
c'est son utilisation par la Colombie, parce que son Gouvernement
n'a pas réglésa conduite sur les dispositions du traité qui règle la
matière. Et ce qu'il demande précisément,c'est que la justice inter- .
nationale délimite clairement les droits et les obligations réciproques
qui, dans le cas en discussion, correspondent à chaque Etat. Le Pérou
défendles droits intangibles de sa souveraineté, qu'il considère comme
atteints par la mani&re dont la 'Colombie prétend exercer l'asile. 11
en réclamela coordination avec cet exercice: conformément à la juste
subordination juridique qui doit exister entre la juridiction temtonale
souveraine et l'exception qu'y peuvent seules apporter des raisons
humanita~r~~~.
Le Gouvernement du Pérou considèreégalementnécessairede défendre
ses droits dans l'ordre international. en raison des conséauences aue le
cds peiit :&voirdiins l'ordre iiitcrirur. 1.' I'lirourtialise dc{iiis I~~ri~terii~is
iiiieifvrt progressif liuur h;irnioiiiser sn vie ci\.iqiie >\.ccjqn orgniiisatiori
~li~iiiocr:iti<li~niirliesiir ses 1,rincipcscoiistitiitii~ii~ielset <I':iccurdavec
1esprit de I:i gr:,nclc 1ii;ijoritiil? idn ~ieul~lc II t:st il:tiis I'ubliy;ition
1I';jitt:r <luil sc proii~iiscCIIClui <lcviolentes cni~viilsit~ii;<Irc,tr~ctt.rc
criminel.'suscentibles de contrarier son nroerès et sa culture. C'est
il s'esc'gaiement refusé à exerce;soz des sanctions politiques,
soit des représailles.13ienau contraire. depuis le premier instant. il a fait
en sorte ale la seule iustice..im~.rtiale ef sereine mais austère et ferme.
s'opposàt' à laisser i'irnpunité encourager ceux qui croient pouvoi;
continuer à user de méthodes terroristes pour leurs fins politiques.
Les événementsdu 7 octobre 1oj,.ne furent point dei énisodesd'une
simple rél>ellion mi1it:iirc. Ils ct~riiriii~iicn~t rl'assassin;i; iriutilt*.mais
froidement pr6par6, 1111c:ipit;iiiie d'un t>atc:iii<le Crs c'vc'iiements
avaieiit potir lins I:i <I6sorgnriiintit>iiet II destruction Eii ~rliiii~:iirj
ïridroits de Lim;i et dii Callao, <les t>ombc.scsplosivcs. des bombcs
iiicendiaires niiisi qiic des ;imcs l)laii~.lies-- d'ailleurs utilisi:es ilaiis
q~ielq~i~c j:i- sc troii\.iiciit ~i~trr~~ust's.rctcs;isériit:rIn p:iiiiiluz et
la tt.rrciir e:il>crl)':trt:r1':iij:isjinat de ci\.ils I'iii~~I'Cilific~.ublics
cl de iii:iisuiis priv<:cs Ces friits dc'lictueus, prL'parcsoii s<iiiiinij, .airisi que le plan générald'excèsou de violences, sont prouvéspar les copies
légalisées desdocuments originaux du procèset prisentees comme pièces
à 'Sourccci permrr de se rendre ct,iiiptc dcs p~iissnn~esr:iisons qu':~ciizs
le Goii\~crn~-ni~:rt I'Lroiipolir dcfciiilre :,\.cc tIniit-droits iI:insIc
casd'asile qui nousoccupe, et nous permet d'espérerque ce haut tribunal,
enprononçant sa décision,tiendra compte de tous lesaspects que présente
l'affaire.
La défense'de la Colombie affirme qu'il n'v a Das d'asile sans droit
de qualifier pour celui qui l'octroic, déla façon dont elle l'entend, et
sans droit d'exiger lesalif-conduit. Elle essaie de présenterle Gouverne-
mentdu PérouCommeayant manqué à ses obligafions et comme un pays
d'Amériquequi ne reconnait pas le droit d'asile.
La véritédes faits et le droit en vigueur démontrent qu'il y a là une
re-rettable confusion. Il faut distineuer dans l'asiledeux é. .es~arfaite-
mciit disriiictes I'ocrri,i(lel'nsilcttniitqii';ictcclci>rurccti<~:iiiccoin~ili
par un rcyrc:sentaiit diplorn:itirl;IIsir'gedç I'.<iiib;isj:~t, cii ;,~iond
lia:iIn liiile cïtrc silu;irion. c'csL.:i-(liIessarioiil( l'asile st,Ii,iiILS
r~~iesde droit qui y correspondent. Hien qu'il ne reconnaisse pas les
conséquencesque la Colombie veut en faire découler,le Gouvernement
du Pérou a respectéet respecte encore le fait de l'asile accordé par
l'ambassade de Colombie ALima, ainsi qu'il est démontrépar sa propre
durée qui dépasse largement un an. Cela constitue un témoignage
éloquent de la véritable position qu'il a adoptée.Ce qu'il n'accepte pas,
c'est la manière de mettre fin àl'asilechoisie par le Gouvernement de la
sance sufisante des faits et sans que l'asile ait étédûment octrové. Les-
Gouvernement de la Colombie pré&nd,en outre, obtenir un sauf-conduit
dont l'octroi appartient au Pérou. à qui revient la décisiond'exi~er ou
non la sortie d;'réfugié pour I'étrangér. -
La manière de mettre fin à l'asile ne peut êtreimposée à l'État terri-
torial;la finalitéhumanitaire de celui-ci l'obligeà le respecter dans la
mesure où il a étérégulièrement octroyé.c'est-à-dire qu'il s'agit desauver
le réfugiéd'un danger grave et immédiat. Ce danger supposén'existant
plus, le droit et les circonstances particulièresà chaque cas prévoient
différentes façons d'y mettre fin.
Monsieur le Président, hlessieurs les Juges, c'est ici qu'aurait pris
fin normalement cette brève exposition du cas soumis à votre décision,
si la plus grande partie de la plaidoirie de Me Vasquez ne s'était
attaquée à la politique péruvienne, avec des concepts et dans des
ternes qui n'ont probablement jamais étéprononcésdans cette salle,
pour porter atteinte aux institutions d'un État souverain. Cherchant
à s'excuser devant la Cour d'un procédé aussi insolite, Me Vasquez a
essayéde démontrer que ce fut moi, l'agent du Gouvernement du Pérou,
qui, par mon attitude, l'ait poussé à un tel comportemerit. .
Je suis persuadé que la Cour voudra bien comprendre que je ne puis
manquer, bien qu'en peu de mots et sans rien faireperdre à ce débatde
faits.sphhe sereine de la justice et du droit, de rétablir la vérité des
Mo Vasquez accuse la défense du Pérou d'avoir interprété ce qu'il
qualifie comme «un sentiment d'abstention délibéré nde la part de la116 PLAIDOIRIEDE JI. SAYAN ALVAREZ (PÉROU) - 2 X 50
Colombie, comme une faiblesse, et de n'avoir pas compris son attitude
amicale.
En ma qualité de membre de la Commission consultative du ministère
des Affaires étrangères du Pérou, j'ai connu et partagé les soucis du
Gouvernement et de cette commission, pour kviter que le problème ne
dépasse ses propres limites et puisse nuire aux relations entre les deux
pays. De là tous nos efforts pour tâcher que la Colombie le considère
sous un point de vue réel et objectif. MalgrC cela, on me reproche à
urésent un manaue de courtoisie Darce aue - sans nous en tenir aux
conclusions de ia demande colokbienne - nous avons formulé la
demande reconventionnelle dans des ternes Que l'agent de la Colombie
considère comme offensants.
En ma qualité d'agent du Gouvernement du Pérou, je puis assurer à
la Cour que cette affirmation est inexacte et que ce fut le Gouvernement
colombiën - ainsi qu'il est prouvé dans la coÎrespondance diplomatique
échangée - qui refusa obstinément l'invitation du Gouvernement du
Pérou d'éclaircir l'affaire au cours d'une discussion franche et amicale,
à la lueur obiective des faits. Devant cette attitude. la défen~edu Pérou
qui,ont dictéla'demaflde reconventionnelle. '
Etant donné la manière dont la défensede la Colombie a réagi dans
la urocédure orale contre la demande reconventionnelle. on comurend
clairement a présent pourquoi il ne fut pas possible, lors des négociitions
de l'Acte de Lima,de fixer, d'uii commun accord, la matière de la contro-
verse.
11:.11.SC I<~.l,liqtilc ~~U~YL~~IILI~LIIC<lela ~'aI~m1~1 S'C~I Ctoi~n; (IIIC:
Ic Curiric-JI<iii. ir<IlI'Cioiitr;iii.tilrif.tit;ivcc bc~:,ucoul>pl~ij<I',\:rcii-
si011 <ilIrticI'.~vlitl.ii1 1.~i>luiiibicil.lii.ail \Irini.ir~ct. ni.iint~ii;iiit.
dans ia procédure orale, c'est la défense de la Colo*bie.ëlle-même qui
consacre à ces faits la plus grande partie de sa plaidoirie. Dans ces
conditions, il est logique de se demander si la défense de la Colombie,
en traitant de ce qu'elle appelle le côtéhumain de l'affaire, n'a pas voulu,
ou bien modifier sa stratégie - rqu'ellea fréquemment donnée comme
l'exposéd'une tlièse de droit international américain, - ou bien utiliser
cette tribune pour donner plus de résonnance ou d'effet à ses paroles
qu'elles n'en pouvaient avoir daus la procédure écrite.Je ii'ai pas l'inten-
tion de la suivresur ce terrain. La défensedu Pérou ne cherche à impres-
sionner ni le tribunal ni i'opinion publique. Certaine de la justice de sa
cause elle a soumis au tribunal les arguments et les preuves qui ont une
relation directe avec le fond du procès. Je me bornerai donc à présent
à réfuter brièvement les graves accusations formulées par LI? Vasquez
dans sa plaidoirie.
Quant à la personne du réfugié - dont je préfère nepas prononcer
le nom pour ne plus en fatiguer vos oreilles -, je dirai que le Gouverne-
ment de la Colombie peut professer sur lui et sur son parti les opinions
qu'il voudra. Cependant, je rappellerai ce qui est dit à la page 32 ' du
Mémoirecolombieii :ciII est toutefois évident que les simples opinions
ayant un caractère subjectif doivent étre considérées séparément de la
situation objective dans laquelle était le réfugiéle 3 janvier 1949 .
A l'inverse de ce quel'avocat de la Colombie appelle cle bilan personnel
du réfugié », je pourrais en présenter un autre où seraient énumérés les
1Voir 1.01. 1.p. 42,assassinats, les actes de terrorisme, les délits de droit commun de tout
genre et les entraves au développement démocratique de mon pays,
perpétréspendant de nombreuses années par le parti, organisé, dirigé
et inspiré par lui. J'attire l'attention de la Cour sur le contenu de la
note diplomatique péruvienne qui figure à l'annexe 49, page 14j', du
Contre-Mémoire.
Par respect envers la Cour, je considère qu'il m'est inutile d'évoquer
ici en détail une série de faits criminels qui endeuillèrent beaucoup de
foyers péruviens et troublèrent profondément la vie du pays.
je ni peux pourtant passer sous silence deux questions qui touchent
respectivement aux relations de l'casiléiiavec l'affaire du trafic inter-
national de stugéfiants, le procès qui lui a ét6intenté en tant qu'au-
teur intellectuel orésuméde l'assassinat de Francisco Grafia Garland,
tli~r,h:ur LIII<~II~~;,I/.V/I'Ir~~~~s~~.~:cj~l~~~~xo ~it C~rr~.G,IIJ~C~p.,r I:I
d;.lriiic<IIIi'.'niu ,~iiiirle c.nib.~trr~ l'~iit<niirlii ~~.~II~~~II~IIdi.Ili
Colombiedeorésenter i'icasilé n exclusivement comme une figure ~olitiaue.
En ce qu;concerne le procès pour le trafic de cocaïne,ia d'efense'du
Pému s'est bornéeà présenter les copies des documents originaux sans
ajouter aucun commentaire. Dans ces documents on trquverales rapports
du ministère des Finances, Bureau des narcotiques des Etats-Unis d'Amé-
rique, ainsi que le procès contre Eduardo K?larezo, chef d'une bande
pour le trafic des stupéfiants, inculpé par 1'Etat américain devant la
Cour du District sud de New-York. Ces documentssont présentéscomme
annexes dans le Contre-Mémoire. Pami eux se trouve une photographie
qui fut présentéedevant la Cour du District sud de New-York comme
preuve II" 6, par le Gouvernement des Etats-Unis. Sur cette photographie
apparaissent trois personnes : Eduardo Balarezo, chef de la bande inter-
nationale pour le trafic des stupéfiants, Enrique Aguila Pardo, chef
militaire du soulèvement, Victor Raul Haya de la Torre, chef de l'Apra,
« asilé» aujourd'hui dans l'ambassade de Colombie. Il est donc faux de
prétendre qu'il n'y a aucune relation entre M. Balarezo et Victor Kaul
Haya de la Torre.
En se rapportant à l'assassinat de Francisco Grafia Garland, la défense
de la Colombie a passé commesur des charbons ardents, elle se borne à
dire que la responsabilité de 1'0asilé x n'est qu'une présomption d'ordre
généralà laquelle elle ne reconnaît pas de fondement. Ce crime, pefpétré
le 7 janvier 1947. émut profondément l'opinion publique péruvienne.
La sentence qui condamne les responsables a nettement établi que ce
fut là un assassinat politique, préparé par les élémentsdirigeants .du
Parti apriste et exécutépar les membres de ce meme parti. L'instruction
contre Victor Raul Haya de la Torre, considéréauteur intellectuel de ce
délit, fut ouverte d'office (annexe no 60 du Contre-Mémoire péruvien).
Cette sentence a déjà étéexaminée et confirmée par la Cour suprême
du Pérou et revêtun caractère définitif. Les preuves présentées par la
défense du Pérou, au cours de la procédure écrite, sont suffisamment
éloquentes.
Devons-nous croire que Haya de la Torre fait maintenant un acte
de contrition lorsque, par la voix de Me Vasquez, il déclare (p. 47 du
compte rendu de la séance du 26 septembre1) : i<qu'il était mêmeen
désaccord avec les élémentsde son parti favorables au coup d~ force
politique il?
1 \loirvol. Tip. 250.
Pagc ~g <le cctte publication. 118 PLAIDOIRIE DE ar. SAYAN ALVAREZ' (PÉROU) - 2 x 50
J'en viens maintenant à la partie la plus grave de la plaidoirie de
Mc Vasquez, secrétaire généraldu ministère des Affaires étrangeres de
Colombie, celle où il affirm- manquant au respect élémentaireque l'on
doit aux institutions d'un Etat souverain avec lequel celui qu'il repré-
sente maintient des relations cordiales- que le Pouvoir exécutif du
Pérou est intervenu directement dans les tribunaux de justice pour
donner lieu à ce que Me Vasquez qualifie ad'assassinat judiciair»,allant
jusqu'à assurer que, si la Cour décidaitque le réfugiésoit remis au Gouver-
nement du Pérou, non seulement sa liberté serait en danger mais encore
sa propre vie.
Le tribunal voudra bien me permettre d'exprimer ici, dans les termes
les plus respectueux mais à la fois les plus énergiques, nia protestation
en tant qu'agent du Gouvernement du Pérou.
Pour affirmerqu'il y avait un danger immédiat lorsque l'asile fut
octroyé, la défense de la Colombie s'appuie surtout sur la dénonciation
faite par le ministre de l'Intérieur.
La Réplique déclare,aux pages 6 et7', que ce document était inconnu
de la Colombie jusqu'au moment où la défense du Pérou le soumit
comme preuve à la Cour dans le Contre-Mémoire présenté lezr mars
rgjo, c'est-à-dire plus d'un an après que l'asile eut été accordé.Il serait
donc évident que, lorsque celui-ci fut octroyé, lejanvier 1949, le docu-
ment en ouestion était totalement ienoré Dar l'ambassadeur de Colombie
- -
au moment d8octr6yër l'asile.
II est important de signaler que la défense de la Colombie a omis de
dire que le document mentionné eut ses origines sous le gouvernement
de hl. Bustamante. Sous les gouvernements suivants le procès n'a fait
que suivre son cours normal.
Quant à l'affirmation prétendant que i'on applique, pour juger le cas,
un décret-loiayant un effet rétroactif, je me borneràirépéterla phrase
que l'on trouve à la page 37a de la Duplique :iSi l'affirmation lancée en
ce sens Dar le Gouvernement de la Colombie avait étévraie, iamais le
m ou verne dumPéenou ne seserait permis desoumettre le cask la Cour
internationale de Justice. »
Toutes les hypothèses formulées par la défense de la Colombie, tous
les documents qu'elle mentionne à présent et dont plusieurs - selon
sa propre confession - lui étaient inconnus au moment où l'asile fut
octioyé ; toute la compétence et la sagesse qu'elle attribue aux agents
diplomatiques dans la réglementation de l'asile ; toutes les thèses juri-
diques qui, dans quelques instants, serontréfutéespar mon éminent colla-
borateur M. Georges Scelle, avaient pour but de semer la confusion sur
un cas pourtant bien clair et bien simple. Qu'il me soit permis de le
résumer ainsi :
Un parti qui, par des procédés terroristes, cherche à renverser un
gouvernement constitutionnel ; un homme, le chef responsable, qui, la
conscience chargéede ces actes présents et passés,craint de voir retomber
sur lui le bras de la justice: un diplomate qui, en quelques instants,
doit décider sur la légitimitéou l'illégitimitéde l'asile et qui, selon la
thèse colombienne, doit le faire d'une manière définitive et sans appe;
un gouvernement qui, pour appuyer son représentant, maintient son
acte sans même. vouloir examiner postérieurement et d'une manière
amicale les caractéristiques des faits : tels sont les élémentsdu litige.
1Voir vol.1, pp.319 et 320.
a Y >3 U. p. 431. PLAIDOIRIE DE ai.SAYAS IILV.AREZ (PÉROU) - 2 x 50 119
Monsieur le Président, hlessieurs les Membres de la Cour, je ne veux
pas retenir plus longtemps votre attention. Dans les documents de la
~~r~~ci.rliir'ecri<-d:,ns les preii\.eles ;iscoiiip3yit;1iit,InCou~~OU\.CL;L
I'csposr <ur~iy)lctu chi Iitigiéuxairisi <lii'unrrriri;.re jirjriri~.dei1103
~UI~IIS \Ion Zc~u\.eriic.ment:ttteiid :,\.cc<:onii;ilici.otre dc:cisitiii,
qu~iaura à la foisune importance historique et transcendantale pour tout
ce qui a trait au fonctionnement de l'asile et pour tout ce qui concerne
l'exercice des droits souverains des Gtats de l'Amériquelatine.
Je demande maintenant au Pr6sident de la Cour de bien vouloir
donner la parole au professeur Scelle.5, PLAIDOIRIE DE hf. LE PROFESSEUR GEORGESSCELLE
(CONSEIL DU GOUVSRXEMEST DU PÉROU)
A LA SEANCE PUBLIQUE DU 3 OCTOBRE 1950
[Séance$ubliqrre llz3 octobre~gjo, matin]
ifonsieur le Président, hfessieurs les Juges,
Sans vouloir minimiser l'importance des débats oraux, je dois dire
que mon opinion est que les avocats doivent observer une certaine
modestie, en ce sens que la véritablegarantie des plaideurs ne résidepas
dans l'éloquence oules subtilités de la défense,mais bien dans l'examen
extrêmement attentif et circonstancié que chacun des juges fait des
documents qui lui sont présentés,et surtout dans les examensen chambre
du conseil, où mêmedes plaidoiries finissent par s'apparenter d'une façon
assez étroiteà une procédureécrite,puisque les comptes rendus de ces
audiences sont établis et commuiiiqués.
lcdois cepcnilniit \,oii; c~l>rii, csiirillliirtcr. lincvrr:iin~toiin:nieiit
celuidç voir combien. nprcs Ir-prcstigicuscs p1.11doiri.ile=re})r;scntniits
d~.la Colombie, Iclitici<lui\.oiisétaitsuiirnisvdr Ir<-iiii;coloriil>iciiiie
a changé d'aspect. -.
Telle qu'elle est présentée par la requête, la double demande
colombienne a l'aspect d'une demandepurement impersonnelle, abstraite
et anonyme. On vous demande de dire si, dans le droit de l'asile, il y a
pour 1'Etat qui accorde l'asile un droit de qualification définitif et
irréfragable, et si, par suite nous verrons que les deux choses sont
intimement liées -, lorsque ce droit s'est exercé,l'État territorial est
tenu, sans plus, de délivrerun sauf-conduit pour que 1'«asilé»sorte du
pays, s'il plaîà l'a«silantx de le faire sortir.
Je répète que c'est là une thèse purement abstraite et juridique,
dans laquelle il semblemème que le nom de M.Victor Raul Haya de la
Torre n'ait mèmepas eu besoin d'êtreprononcé.
Au lieu de cela, qu'avons-nous vu ? Xous avons vu que l'on a traité
la question de la culpabilité ou de la non-culpabilité de l'accusé.Xous
avons vu que l'on a fait de lui une apologie, qu'il est parfaitement
légitime à ceux qui lui ont donnéasile de vouloir faire, mais que l'on n'a
pas hésité à pousser à un tel point qu'on nous a dit que l'éducation
juridico-politique qu'il avait pu recevoir à l'université de Paris était
pour quelque chose dans son attitude intellectuelle et politique actuelle.
Nessieurs, j'ai pris cela pour un hommage, étant donné l'opinion
sineulièrement haute aue nos adversaires avaient de la ~ersonnalitédu
sieÜrHaya de la ~orre.'Afaisje ne peux pas m'empêcherde constater que
mime les personnalités les plus éminentes et les plus exceptionrielles
euv ven dëvenir. ~ousséesDar les circonstances ou Üar leur cirriére. des
criminels de d;&t .commun, des criminels polidques ou même'des
terroristes. L'histoire ancienne et moderne nous en fournit évidemment 1
de trésnombreux exemples.
Les représentants du Pérou, comme vous l'a indiqué if. l'Agent de
la République péruvienne, veulent ramener l'affaire sur son véritable
terrain, sur son terrain originel, c'est-à-dire sur le terrain juridique. PLAIDOIRIE DE II.SCELLE (PÉROU) - 3 x jo 121
II s'agit de savoir si la qualification d'un agent diplomatiquequi donne
l'asile et qui est corroborée par son gouvernement est une qualification
définitive, irréfragable, autoritaire.Et il s'agit de savoir si, en même
temps, le gouvernement territorial est obligé de délivrer des garanties,
des sauf-conduits, lorsque l'ciasilanti,lui demande de faire sortir
l'ccasilén du pays.
Voilà ma première observa t' ioii.
Une seconde observation que je ne puis pas m'empêcherde présenter,
c'est que cette transposition du litige semble avoir eu pour but de
modifier complètement le riile de la Cour et mêmeses responsabilités.
On a plaidé ici une affaire comme on l'aurait plaidée devant une cour
d'assises chargéede se prononcer sur la culpabilité d'un accusé.Or, Dieu
merci, nous ne sommes pas devant une cour d'assises et on ne demande
pas, on n'a jamais demandé à la Cour de se prononcer sur les faits qui
sont reprochés au sieur Haya de la Torre. J'y insiste. parce qu'il y a lh,
je le répète,un déplacemeiit des responsabilitts. On vous a dit, presque
en propres termes : o Vous ttes responsables de la vie ou de la mort de
Haya de la Torre. C'est votre jugement qui en décidera. >,
Pas du tout ! En aucune façoii ! Le litige n'est pas porté devant
vous à cette fin, et je dirai mCme que non seulement vous ne pouvez
pas, mais que vous ne vous laisserez pas aller à remplacer le sentiment
de l'appréciation du droit par une sorte de mouvement de sensibilité.
En rÉalité, la question ne se pose mcme pas. Quel que soit votre arrêt,
quelle que soit l'issue des débats, la vie de Haya de la Torre n'est
certainement pas en danger. L'affaire a eu un tel retentissement qu'il
n'y a aucun doute possible sur la régularitédes procédures qui pourront
êtreéventuellement intentées contre lui. Par conséquent, l'hypothèse,
complètement gratuite, d'un meurtre judiciaire, qui ne s'est jamais
posée, comme vous l'a dit hl'.l'Agent de la République du Pérou, ne
peut aujourd'hui absolument pas ètre envisagée. Je n'y insiste pas
pour le simple plaisir de remettre les choses au point. J'y insiste parce
qu'il y a là une tentative de sophistiquer l'atmosphère du débat, devant
laquelle nous ne pouvions pas rester indifférents.
Voici enfin le dernier point. II est dans le méme ordre d'idées.
On a beaucoup reproché au Gouvernement du Pérou d'avoir eu
une attitude extrtmement diverse en ce qui concerne certains des
CO-accusésde Victor Raul Haya de la Torre, qui ont reçu des sauf-
conduits et vis-à-vis desquels on a montré une indulgence particulière.
Nous verrons tout à l'heure que les circonstances - on vous l'a
dit déjà - n'étaient pas dii tout les mêmesen ce qui les concerne et
en ce qui concerne X. de la Torre. Mais je dirai en outre qu'il appartient
au gouvernement territorial,et au gouvernement territorial seul, de
juger de la nocivit6 des crimes qui ont été commis sur son territoire
et, par conséquent, dc l'attitude différentielle qu'il peut observer vis-
à-vis de tel ou tel CO-accus&.
Cela dit, j'en arrive immédiatementi l'objet du litige, et, pour
déblayer, je passerai complètement sur les faits. ,Ces faits ont été
analysés hier par l'agent de la Képublique péruvienne ; ils ont été
exposés devant vous, avec un grand luxe de détail, par les avocats
de la Colombie. Vous ne vous étonnerez pas, bien entendu, que notre
interprétation des faits soit différente de celle de nos adversaires.
Toutes les pièces vous ont étéfournies: notre Contre-Mémoire et notre122 PLAIDOIRIE DE Y. SCELLE (PÉROU) - 3 X 50
Duplique sont entre vos mains. Nous nous bornons à maintenir notre
position dans sou intégralité.
La seule chose à souligner, c'est que la situation est vraiment anormale.
Les textes sur l'asile disposent tous que l'asile doit durer le temps
nécessaire. Or, si je ne me trompe, voilà vingt et un mois que dure
l'asile de Raul Haya de la Torre. II y a là vraiment quelque chose
d'anomal. Vous savez d'ailleurs que cette anomalie a étéjugée très
différemment selon les points de vue. Des journalistes s'en sont quel-
quefois amusés. Nos adversaires ont insiste sur le point qu'il s'agissait
d'une véritable prison et mêmed'une mise au secret. Mais ces journa-
listes ont parlé de large hospitalité, ils ont mêmeparlé de palace.
Tout cela, évidemment, est un peu ridicule. Ce n'est pas de cela.
qu'il s'agit, et la situation matérielle de l'ccasilé » n'a rien à voir dans
cette affaire. Mais le caractère d'anomalie de la durée de l'asile est
bien senti par les deux Parties. En effet, si les deux Parties sont venues
devant vous d'un commun accord, c'est bien parce qu'elles ont senti
toutes les deux qu'il fallait que cette situatioii eût un terme. Sur ce
point, la Colombie et le Pérou sont d'accord.
Je passe donc directement aux questions de droit, puisque ce sont
celles que le Gouvernement du Pérou a bien voulu me faire l'honneur
de me confier.
*
Messieurs, j'ai quelque hésitation, je l'avoue, à invoquer devant vous
une fois de plus l'article 38 de votre Statut. Vous le connaissez mieux
que personne et je doute qu'il y ait une seule affaire contentieuse où cet
article ne joue son rôle. Je ne l'utiliserai donc que pour servir de canevas
à mes explications.
Nous avons soutenu maintes fois avec force. à l'encontre de la reauête
colombienne, que l'institution de l'asile n'avait pas pour fondement la
coutume et que, mêmeen Amérique, l'institution de l'asile n'avait pas
pour fonderient une coutume sp'ecifiquement américaine. Je sais fort
bien comme vous qu'il est extrêmement difficile de savoir quand il existe
une coutume ou quand elle n'existe pas ou quand elle a cesséd'exister.
Mais il ne suffit pas, en tout cas, pour qu'ii,y ait une coutume, qu'un
grand nombre ou même l'unanimité des Etats soit d'accord sur un
principe générald'équitéou d'utilité sociale.
Ainsi, par exemple, en matière successorale, tous les États pourraient
être d'accord sur la nécessite de maintenir une quotité disponible. Cela
ne voudrait pas dire qu'il y ait une coutume de la quotité disponible.
II faudrait pour cela que l'on sache quelle est l'importance de cette
quotité disponible, à qui elle doit êtredistribuée, de quelle façon,dans
quels cas, etc.
C'est cela que nous avons appelé,d'un terme qui a pu étonner quelque
peu, mais qui est bien simple : la direction unilinéaire de la coutume.
Une coutume chaotique, qui s'exerce danstous les sens et qui construit
des règlesjuridiques différentesles unes des autres et souvent contradic-
toires, tout en se basant sur le même principe essentiel au début, n'est
pas une coutume. C'est tout au plus une pratique, c'est tout au
~lus un usare. Et l'on a~n.e,d aux étudiants de ~rerniéreannée aue la
gr.i~iili.~lititr~ii;, ciI'ii.:~~ctI:i~uutiiiiicC'PSI 1'11,;tgit'r~~~;nclri.
1~1s tI'uhli<.iiiiinsjiiriiliili:~ii<l.lurI:tc.n~tu~ili.rn c.>riilii,Ilsiit'iit,
it ~~<,tr.VIS, CIL ,onsid<'rtr 1~pr.iri~~i~~I, ls:isiIc, non l~jjtUI~IIIVI1I1~ PLAIDOIRIE DE 31. SCELLE (P~~ROU) - 3 X 50 123
pratique universelle, mais je dirai surtout la pratique américaine, pour
voir que, s'ily a une pratique, un usage, il ne peut pas y avoir de coutume.
L'institution de l'asile a étéemployéeà beaucoup de fins (nous y revien-
drons) ; elle a étéemployée de façon cxtrêmemcnt différente par les
divers Etats et elle a étéemployée par les mêmes Etats de façon contra-
dictoire. On nous a fait grief, asscï vivement, de l'autre côtéde la barre,
d'avoir varié. au Pérou. eu ce nui concerne l'utilisation du droit d'asile.
ll;,i.iitiii~,~,iii~ir,isit i iii<<;r,iiii iiuiiil>ic<I'i.zi.iiiiII;ci15 in\.cr.i,
s':,~,p!i,~uinr118)~ IMS 1~~itiiiili;.r~~iii~i1.ii~>l?iiil,iiili:ii,,iii'iinpi>rt<
oi~,-l Ilt.,t :.ni;,~i, L>.~ri<iiiCI;,s~,ii~iii,i~,.ir..iiinit .l d.,11:Ii ilru<-t
un pied dans la politique: varie mallieureusemerit' selon les circons-
tances politiques qui peuyent interférer avec les règles juridiques.
-ous -vons mêmevu des Etats américains - tout ceci est dans notre
procédure écrite - ne pas hésiter à déclarer que jusqu'ici ils avaient
acce~tél'asile. mais une dorénavant ils ne l'acce~teraient lus. ou dans
tell& ou telles condiiions, etc.
Il manque donc, pour qu'il y ait une coutume, ce que nous avons
appelé le consensus genevulis, c'est-à-dire un accord sur la nkcessité
d'admettre telles ou telles règles particulières de droit pour mettre en
jeu un principe général.Et ceci est si vrai que nous avons utilisé dans
notre procédure écrite ce fait que, parmi les jurisconsultes les plus
réputés de la Colombie, en particulier I'un d'eux qui a siégépendant
longtemps ici, le juriste don José Urrutia, d'autres encore et I'un d'eux,
non des moindres, mon éminent collègue M. Yepes, ont soutenu avec
un renfort d'arguments rxtrêmement puissant qu'il n'y avait pas de
fondement juridique à la coutume et qu'il y avait simplement un fonde-
ment d'humanité. Je m'excuse auprès de M. Yepes de ces allusions
personnelles, mais en ma qualité de collègueje ne peux pas m'empêcher
de trouver que la thèse de M. Yepes était parfaitement exacte à cette
époque, et d'en appeler de M. Yepes moins bien informé aujourd'hiii.
à M. Yepes mieux informé alors.
Ceci dit sur la base de la coutume, il en ressort, à mon avis, qu'il ne
peut véritablement y avoir d'obligation juridique proprement &te que
lorsque cette espèce de magma indistinct que sont les pratiques coutu-
mières s'est transformée en véritable corpusiuris, c'est-à-dire s'est incor-
poréedans des traités. Sur ce point, j'invoque l'avis conforme de deux
juristes éminents, M. Bourquin, dans son cours de La Haye de 1937 sur
les crimes et délits contre la sécurité desEtats étrangers (tome 1 de 1937.
p. 147). et sir Cecil Hurst, dans son cours sur les immunités diploma-
tiques, à La Haye également (1936, zillcvolume, p. 217).
Est-ce à dire quc nous allions aussi loin que les auteurs colombiens
que nous venons de citer et qui refusaient à 1:asiletoute espècede fonde-
ment juridique ?Non. J'y ai bien réfléchiet je crois que l'asile a en effet
un fondement de droit, mais qu'il faut préciser et chercher à côtéde la
coutume et à côté des traités.
L'asile est une institution juridique. Quand on a dit cela, on n'a pas
dit grand-chose. Quelle institution juridique ?
Cette institution juridique est de celles qui, dans le Statut de la Cour,
ont un nnm. Elle s'appelle zllaprittcipe généralde droit. Qu'est-ce qu'un
principe généralde droit ? Encore un point sur lequel on a beaucoup124 PLAIDOIRIE DE M. SCELLE (PÉROU) - 3 X 50
discuté.Le i principe général dedroit P.il faut le chercherà la base de la
techniquede l'immense majorité des systèmes de droit des peuples
civilisés. Lesuns ont voulu en faire un principe de droit naturel. Il y a
là quelque chose de trop élastique pour que nous puissions y accéder.
D'autres ont dit que c'est une coutume très générale.Nous venons de
dire que ce n'est pas encore à proprement parler une coutume. Mais
c'est quelque chose qui ressemble à une coutume. Par principe général
de droit, je crois qu'il faut entendre une règle de technique juridique
commune à des ordres juridiques ou des systèmes de droit particuliers,
et grâce à laquelle ces systèmes de droit peuvent se réaliseret devenir
vraiment effectifs.
En droit international, la question est plus difficile et plus délicate
que nulle part ailleurs, précisémentparce que la technique du droit
international est en évolution.
. .
soient, se doivent réciproquement leur entr'aide et leur concours pour
amener à effet le respect de l'ordre public international, c'est-à-dire
pour concourir à ce que les criminalistes ont appelé :la répressionpénale
uniuerselle.
Le point est le suivant : l'ordre public interne a manifestement une
répercussionsur l'ordre public international, ou, pour mieux dire, dans
l'état actuel de solidarité internatioiiale, l'ordre public interne et l'ordre
public international ne font qu'un. Tout trouble dans l'ordre public
interne peut immédiatement engendrer des troubles dans l'ordre public
international. Il importe donc que la répression des crimeset des délits
cesse d'être une affaire d'ordre purement interne ou territorial, pour
devenir une affaire d'e~tr~ ~de entre tous les Etats.
hlessieurs, cette idée,que certains juristes ont donnéecomme nouvelle,
ne l'est pas. Lorsqu'on lit ceux qu'on est convenu d'appeler les <iprécur-
seurs » du droit international. on s'a~ercoit souvent aue de rét tendues
découvertesmodernes ne sont en réakté'quela repris<dridéeç'ancienneç.
Les précurseurs avaient souvent le sens international, le réflexeinter-
national beaucoup plus développéque quantité d'auteurs classiques et
même modernes.Cette règle,que je considère commeun principe de droit
universel et indispensable dans la communauté internationale, je la
retrouve formuléede façon lapidaire dans Grotius qui, parlant du droit
international, a dit en quatre mots : nau1 dedere aut punire,~. C'est le
principe de la répression universelle. Il prescrit à chaque Etat :vous
punirez les crimes, même ceuxqui ont étécommis à l'étranger.ou bien
vous livrerez le coupable celui qui est spécialement compétent pour le
juger, c'est-à-dire au juge territorial.Il n'y a plus de crime impuni. Oh
que le crime ait étécommis, le criminel sera appréhendéet le crime sera
puni ;si ce n'est pas par celui qui est compétent temtorialement, c'est
par celui qui est compétent de fait parce qu'il a le criminel en son pou-
voir : le jzcdexapprehensionis. Voilà la règle.
Cette règlequi, à mon avis, est zcnprincipe général de droit, a donné
première,c'est le refuge et l'extradition ;dla seconde, c'est l'intervention
d'humanité ; la troisième, c'est l'asile. Voilà les implications de cette
règle : trois institutions parfaitement vivantes, et de droit positif, le PLAIDOIRIE DE JI. SCELLE (PÉROU) - 3 x 50 IZ j
refuge et l'extradition, l'intervention d'humanité proprement dite,
l'asile. Par ces trois institutions, la règlepeut êtreeffective.
Mais ces trois institutions, si elles sont parentes, sont loin d'être
similaires.
*
Je parlerai trèspeu de l'extradition ;mais là, le cas est topique. Dans
l'extradition. l'Etat territorial dans les frontières duoue. s.est réfurié u
Ic cuiipnhl,~,IC prGvcnu, 1':i~~ciiî;t.lnit c'est uiidrvoir -.saiif cas
e.xcepriniinc.ls,rcniettrrIc r&fiiqi;.l son p;iys ri'origiiiç qui, puss&dant
I:,coiiiv!trii~.ererritt~riai~,csdc I~enucuuii Ir iilicuu :~nilr'uuiir klaircir
l'affairé et pour juger. Il peut aussi le &der, le retenir, hais à quelle
condition ?A la condition qu'il estime que la compétence territoriale
ne pourra pas s'exercer d'une façon parfaite, et il lui appartient de
contrôler chaque cas. L'extradition est donc à la fois une institution
d'entr'aide qui s'accompagne, comme vous le savez, de commissions
rogatoires, etc., et ulze institutiode contrôle:une institution de contrôle
pour s'assurer que la justice territoriale sera effectivement et bien
.........
Ji. \.uiij prir: ,le rc2m.irrlucr,\Irs;iridt.I;iCour. '111tCcttc il~~tii~&l
ci,iitri,lc ii'eir iiiillcn~i.iiren s<,riti~~lic,tio.ni\.cc cellc d'lium;ii:luï. 'foiir
rontr.<irt7,Irrlr.ii\ii~ti,ii>? cuni~il+tviitrdr II11'1 <:rni~n~iiI1,.IIIS~I'CC
qu'unejustice humaine et, du pointde vue international. ou ne peutconsi-
dérer que la justice a étévraiment bien rendue que lorsqu'elle l'a été
humainement. Voilà donc la base de l'extradition, je n'y insiste pas.
Mais j'ai dit que ce mêmeprincipe de droit international général,
c'est-à-dire l'entr'aide pour la répression des troubles à l'ordre public
qui peuvent provenir des actes criminels, engendrait deux autres
institutions : l'intervention d'humanité et l'asile. Ici, le rôle de contrôle
va s'accentuer d'une façon considérable, mais avec des différences
très profondes s'il s'agit de l'une ou de l'autre de ces deux institutions.
S'agit-il de l'intervention d'humanité ? C'est un contrôle direct, un
contrble unilatéral. C'est un contrôle qui peut être extr&mement.dan-
gereux, qui peut, dans certains cas, s'exercer dans des conditions
tout à fait légitimes, qui peut, en d'autres cas, êtrele voile de l'im-
périalisme, et je n'ai pas besoin de vous rappeler les différentsépisodes
de l'histoire diplomatique où, sous prétexte de contrôle d'humanité,
en Turquie ou ailleurs, c'est l'intervention impérialiste qui s'est mani-
festée.
Le contrble d'humanité, qui est alléjusqu'à l'intervention militaire,
tend de plus en plus à disparaître. Mais il est remplacé par l'autre,
par !'asile. Et qu'est-ce que l'asile si ce n'est aussi un contrôle d'hu-
manité ? Mais un contrôle reglementé, un contrôle encore dangereux,
mais beaucoup moins, qui ne peut en tout cas entraîner les implications
de l'autre, mais qui reste un contrôle. Car enfin, quel est le fondement
de l'asile ? Le fondement profond de l'asile, c'est, comme onl'adit,
et ce n'est pas douteux, le fondement d'humanité, mais un fondement
d'humanité limitépar ce fait que celui qui exerce l'asile et qui l'accorde
doit s'assurer que la justice vis-à-vis de l'lasilé» menaçait de n'ètre
pas une justice' régulière ou bienne pouvait pas réellement s'exercer.
C'est donc un contrôle,et l'on a bien voulu, de l'autre côtéde la barre,
faire ici allusion à la «théorie du dédoublement fonctionnel 11.126 PLAIDOIRIE DE I\I..SCELLE (PÉROU) - 3 x 50
Qu'est-ce que cette théorie du dédoublement fonctionnel ? Elle a
pris ces derniers temps une certaine ampleur. A la dernière session
de l'Académie de Droit international, l'lin des professeurs, dont le
cours portait sur le contrale, M. Kopelmanas, a baséune grande partie
de ses développements sur le jeu du dédoublement fonctionnel.
Qu'est-ce que le dédoublement fonctionucl ? Oh ! l'idéeest extrême-
ment simple et je répète qu'elle est déjà chez les précurseurs. C'est
le fait qu'en l'absence d'une organisation super-étatique (de contrôle,
en l'espèce), chaque Etat a le droit et le devoird'exercer son contrôle
sur tous les autres pour s'assurer de la bonne application des règles
de l'ordre juridique international. Voilà ce qu'est le dédoublement
fonctionnel. C'est un succédané, à beaucoup de points de vue, inférieur
et fâcheux, de ce que serait le contrôle super-étatique ou le contrôle
collectif.,En l'absence de celui-ci, il faut bien qu'il y ait un contrôle
sur les Etats, et à qui le donnerait-on si ce n,'est à ceux qui ont la
puissance de l'exercer, c'est-à-dire à chaque Etat ? On nous a dit :
<rIl n'y a pas là de contrôle, parce que tout le monde le possède. 1)Je
ne saisis pas. Il y a contrôle, mais il y a contrôle récifiroque .'est une
compétence a, comme l'a dit Mo Vasquez. C'est une compétence
universelle. Mais cette compétence universelle est en train de s'affaiblir
à mesure qu'elle tend à êtreremplacée par une compétence générale
et commune, c'est-à-dire une compétence qui, sans êtreencore super-
étatique, est tout de mêmeun acheminement vers un remède collectif
au dédoublement fonctionnel.
*
Jlessieurs, nous venons de voir que la base juridique de l'asile est
une « compétence de contrôle réciproque des États les uns sur les autres in,
pour obtenir que la justice soit bien rendue et que l'humanité soit
respectée.
Le seul fait qu'il y a un contrôle est prouvé par la répugnance que
l'on a marquée en droit classique pour cette intervention épisodique.
C'est pour cela que l'on avait inventé la fameuse fiction d'exterrito-
rialité, car nous sommes évidemment en présence d'un principe général
qui se heurte à un autre principe général, c'est-à-dire au principe de
la souveraineté et de l'égalité desEtats. Nous savons bien que les soi-
disant droits des différentsEtats ne sont pas absolus et se conditionnent
les uns les autres. La seule chose à laquelle on puisse prétendre c'est à
une harmonie ou à un équilibre entre l'exercice de ces différents droits.
Cette fiction d'exterritorialité est aujourd'hui totalement abandonnée.
Mais il reste encore ceci :c'est que l'on a voulu rapprocher l'institution
de l'asile de l'institution de l'extradition,parce que L'extradition est
infiniment moins dangereuse. Kous assistons alors continuellement à
des tentatives - d'ailleurs toutà fait faussées dans leur base - pour
identifier l'asile avec l'extradition.J'ai dit que les deux institutions
étaient parentes. Je proteste absolument contre la thèse qui veut les
identifier. Elles sont parentes, mais elles sont très différentes. Elles
sont même,à certains points de vue, complètement opposbes. L'institu-
tion de l'extradition soulève beaucoup moins de résistance. Pourquoi ?
Parce qu'elle donile la préférence, qu'elle applique le principe de la
souveraineté territoriale qui, vous le savez, tient tellement à cŒur,
qui est au fond non seulement de la psychologie des gouvernements, PLAIDOIRIE DE M. SCELLE (PÉROO) - 3 X 50 127
mais de celle des peuples. On dira sans doute que, dans un cas comme
dans l'autre. on aboutit à une entrave momentanée ou ~rovisoire à
I I 1 1 ~ I I i.r~riIc 51 I I riiai, <I:iiiIV cas cIc
1~.\~r.~~Iiti~~~ii.,'c~III~,~?n,~:<[i~,.npctr,f:~~~vinc~nit~~~rt.llt,~iic11~CIIIV
~:III.Ic c;i ilc I :t-iCIIC:,~iiicliiii:lidsc ~l'~~~~urioiiiicl il<\orhir.,ii~.
Dans le cas de l'extradithn, te principe de lasouveraineté territoriale
est entièrement respecté, car l'individu, dont il s'agit de savoir s'il sera
extradé ou s'il ne le sera pas, se trouve sur le ter:itoire de l'Gtat qui
va êtrechargé de prendre la déEision.Quant à 1'Ltat sur le territoire
duquel le délit a étécommis, cet État ne peut plus prétendre à une
compétence quelconque au delà de ses frontières. Par conséquent, en
ce qui concerne l'extradition, l'esprit international le plus classique ne
se trouve pas choqué par les conséquences qu'elle entraîne. II est extrê-
mement mal à l'aise, au contraire, lorsqu'il se trouve en face d'un agent
d'un gouvernement dt~unger qui, sur le propre territoire de l'État dont
l'accusé est le ressortissant, veut user d'une prérogative qui empêche
la justice locale, au moins provisoirement, de fonctionner. Voila l'oppo-
sition ; elle est totale. Et si j'insiste, c'est parce qu'elle est un des points
capitaux sur lesquels porte ce débat.
La différence est donc essentielle. Tous les auteurs classiques, y com-
pris sir Cecil Hurst, ont bien vu que le fondement du droit d'asile se
rattachait exclusivement aux immunités diplomatiques et qu'il était
assez difficile de mettre exactement sur le mêmeuied les immunités
diplomatiques et la souveraineté territoriale. Si don; nous étions tentes
de faire une échelle des valeurs entre les droits. comme l'a fait le profes-
seur Pillet. dans une étude célèbresur les droits fondamentaux des
II, I I r i I I l ri ilt:iiiI :lp{,li.l~.crIn.luiJi1 ni.iiiidrc
:cri. r u II:11 1. Sr 1 1 n r - inJ;r;L dt.sdcilx
LL.~IS- OIIIcl~ill.enit,or~t:5\11l tutrc :F.:I<ILlelIS~IL~O I'.L.,tIrrri~uri.tl,
c'est vers'lSÉtat territorial que doit pencher la balance. Cette idée du
professeur Pillet se trouve ici corroborée toutes les fois qu'il s'agit de
l'asile. C'est l'internrétation minimum. l'intemrétation restrictive aui
devra l'emporter, et'jamais l'interprétation extekive. Ceci est en corréfa-
tion directe avec un des traits de votre iurisprudence constante. Les
traités oui comuortent un abandon de souveraineté doivent s'inter~réter
restrictivement.
Cette idée est exprimée par le juge Manley Hudson dans son livre
bien connu sur la Cour permanente de Justice. Je pense que cette
affirmation ne s'est pas depuis affaiblie. Jamais nous ne trouvons dans
la jurisprudence de la Cour un exemple d'interprétation extensive
d'un traité dans lequel il y a une diminution quelconque des droits
inhérents de l'Etat. Tous les traités, toutes les règles de droit relatifs
à l'asile doivent s'interpréter restrictivement.
Il le faut d'autaiit plus, Messieurs, que c'est une chose universellement
connue que celle des dangers, des périls,de l'asile pour la paix universelle
et les rapports pacifiques entre les Etats. Je vous le disais tout à
l'heure : un principe généralde droit n'a pas une telle rigidité normative
que l'on puisse savoir, dans un cas déterminé, comment il devra s'ap-
pliquer. Nous sommes en face d'un principe général de droit, c'est-à-
dire d'une nonne juridique extrêmement large. Nous sommes aussi
en face d'un système de contrôle, c'est-à-dire d'une compétence
administrative internationale. Or, nous savons bien que le domaine
des compétences administratives est le lieu de prédilection des excès128 PLAIDOIRIE DE M. SCELLE (PÉROU) - 3 X 50
de pouvoir et des abus de pouvoir. L'asile est, lui aussi, le lieu de
prédilection de l'excèsde pouvoir et de I'abus de pouvoir :d'uri.cexces
de pouvoir i,,c'est-à-dire d'un dépassement de compétence par l'Etat.
ou par le diplomate qui octroie l'asile ;d'un cabus de pouvoir ii--
ce qui est plus grave -, car il s'agit dudétoz~rtzemen le la compétence
dans un but autre que celui pour lequel cette compétencea étéconfiée
à l'agent diplomatique. Le double but, nous le connaissons :humanité,
régularitéde la justice ;deux buts qui n'en font qu'un et qui souvent
sont utilisés par l'asile pour des fins politiques.
Je ne fais aucune allusion à un cas particulier. Mais il est de notoriété
que, dans les pays où l'asile est le plus fréquent, il sert sonr.ent de
moyen pour intervenir dans la politique intérieure d'un Etat et même
pour favoriser certains partis, pour gêner telle ou telle action d'un
gouvernement voisin, et non pour assurer la régularitéde la justice.
C'est une constatation d'évidence. Je répète que je demande qu'on
ne voie dans cette constatation aucune allusion quelconque à un fait
particulier.
Voilà, Messieurs, les inconvénients, les dangers de l'asile. Je pense
que c'est à cela que nos honorables contradicteurs -ont voulu faire
allusion lorsqu'ils ont parlé desouvrages de 31.Politis. Je pense surtout
à son cours de l'Académie deDroit international de La Haye, sur la
limitation de la souveraineté. S'il est un domaine où sa théorie de
l'abus de droit s'applique, c'est bien celui-ci.
Le danger, que je viens de signaler, d'excèsde pouvoir et de détourne-
ment de compétence en ce qui concerne l'usage de l'asile, tend non pas
à diminuer, mais à s'accroître. En effet, il existe un mouvement pour
étendre le droit d'accorder l'asile non pas seulement aux agents diplo-
matiques, non pas seulement aux chefs d'unitésnavales qui se trouvent
dans les ports, etc., mais aux co?zsulsCe mouvement a pris corps défini-
tivement, au moins en ce qui concerne la doctrine, dans les résolutions
qui ont étévotées par l'Institut de Droit international à Bath tout
dernièrement et qui confirment essentiellement celles qui avaient été
votéesantérieurement àla session de Bruxelles.
Alors, regardons froidement le résultat. Je suis nettement partisan
de l'extension de la possibilitéd'octroyer l'asilà d'autres agents qu'aux
diplomates. Car un cas ,d'asile, un cas humanitaire, peut se produire
n'importe où dans un Etat déterminéet non pas seulement dans la
capitale, et il sera peut-être d'autant plus exacerbéque l'accuséaura à
comparaitre devant des autorités locales et des tribunaux locaux. Cette
extension est donc naturelle. Mais si cette extension est souhaitable,
mesurons le danger qu'il y a à faire de l'octroi de l'asile une faculté
arbitraire,et de la qualification une qualification irréfragable et défini-
tive. Décisiondéfinitive non pas seulement d'un agent diplomatique de
haut rang, mais d'un consul, d'un vice-consul, d'un agent consulaire.
Après quoi, nous verrons le prurit du point d'honneur se développerdans
le pays del'agent qui a accordé l'asileet nous arriverons au deadlock
qui s'est présentédans le cas présent, c'est-à-dire à l'exacerbation des
deux thèses des gouvernements affrontés.
Voilà, pratiquement, ce que peut devenir la situation.
Mais, sur ce point, j'entends la réplique de nos adversaires : c'est
précisémentpour cela qu'il faut qu'à ce deadloch,qu'a cette impasse, il
y ait une sortie quelconque. Si vous n'assimilez pas l'asilà l'extradition,
si vous n'acceptez pas le méme principe, si vous ne donnez pas au pays PLAIDOIRIE DE M. SCELLE (PEROU) - 3 X 50
129
de l'agent qui a octroyé l'asile les mêmes possibilitésde déterminer
définitivement la qualification et d'en finir. vous êtesindéfinimentdans
l'impasse, non pas-pour vingt et un mois. mais peut-êtreéternellement.
La réponse est extrêmement facile. La solution qui s'impose est la
solution iuridictionnelle, c'est-à-dire celle aui consiste à demander à
une autonté impartialede trancher la questiôn. Cette autoritéimpartiale
est un arbitre, cette autorité impartiale est la Cour. Cette autorité
ii1il~:trtilpvut ;XII~~I un' c~lntnl~~tonpr':~fin.:tirii~~ ~:II1o11t C~S,le
wu1 f.11tclu'il!. :lit<d~,lJ/~:hII?pr~>llvI?1.i~I.tI1Cai de n~s3~iv~rs:,irrs,
cI';i1it;'si1.11u~lla soluri~ri rit.p..uri.iitCric ~UIIIICC ~IM p.~r I'IIIIiles
p;irtit.s.
(:.Ir,rtllil13 <(u:iIifici~t~irt;lrig ~blt.,<I~.riniliCL jc<Iir.,i~ir~s<lu--
rlii'<)riie p:i,iclé iiiot- ~t~rl~l~~riu/cl'est~>:a~III~~.~lu~ion~II'<~I1,111~s~
envisager,-et ce n'est surtout pas la solutlon qu'on peut envisager eu
Amérique,où lesgouvernements et lespeuples sont à bon droitsi chatonil-
leux sur leur liberté et sur leur égalité.La solution de la qualification
irréfragable est une solution d'inégalité flagrante,c'est une solution qui
donne tous les droits à l'une des parties et qui les refuse tous à l'autre.
Etant donné les dangers de l'asile, il faut que la qualification puisse
êtrediscutée et jugée. Cela encore, c'est la solution qui a étédonnée à
Bruxelles et à Bath par l'Institut de Droit international. Mais j'irai
plus loin. Ce n'est pas seulement la solution d'un aréopage de juristes
particulièrement qualifiés,c'est la solution naturelledu géniede l'insti-
tution.
Le projet de résolutionde Bath s'exprime ainsi :a Au c+soù le gouver-
nement local conteste le droit, pour l'organe d'un autre Etat, d'accorder
l'asile ou ne l'admet que sous certaines conditions, il doit présenter sa
réclamation à 1'Etat dont dépend l'organe en question et ne peut pas
mettre fin à l'asilepar des moyens de coercition. »
C'est entendu : pas d'usage de la force, surtout depuis la Charte de
San-Francisco. Mais - article IO -: a Tout différendqui viendrait à
surgir au sujet de l'interprétation ou de l'application des règles ci-dessus
énoncéeset qui n'aurait pas étéréglé,soit par la voie diplomatique, soit
par une procédure arbitrale ou autre, relevera de la compétence obliga-
toire de la Cour internationale de Tustice. conformément à sou Statut. ,,
présentée.En effet. a-t-on pu vous demander de déclarerqÛevous étiez
incompétents sur ce point et que vous le seriez indéfiniment ? On aurait
dû déclarerde la façon la plus nette et la plus catégorique :lorsqu'il y a
discussion sur le point essentiellement juridique qu'est la régularitéde
l'octroi de l'asile,la solution nécessaireet la plus simple c'est de s'adresser
à des juges.
Voilà, Messieurs, ce que, à mon avis, il y avait d'essentiel à dire dès
le début pour repousser cette prétention de la qualification irréfragable
qui n'est qu'une prétention à une décisionarbitraire et unilatérale.
II faut maintenant eu venir aux traités.
Je crois que les deux Partiessont d'accord, au moins en principe,,pour
déclarer que les traités actiiellement en vigueur entre les deux Etats130 PL.IIDOIRIE DE 11. SCELLE (FEROU) - 3 x jO
sont :le Traitéde droit pénalde Xontevideo de 1889, I'ticcord bolivarien
de 1911 et le Traité de La Havane de 1926.
On vous a aussi beaucoup parlé desTraités de Ilontevideo de 1933 et
de 1939. C'est un point très délicat. Immédiatement je prendrai le
taureau par les cornes.
Les seuls traités - je ne dirai pas américains, nous verrons tout à
l'heure pourquoi -, mais les seuls traités passésen .4mérique et où il
soit.peut-&tre question de la qualification définitive, unilatérale, irréfra-
gable, sont les Traitésde 1933et de 1939.On a analyséle Traitéde 1933 ;
on ne vous a rien dit de celui de 1939.Est-ce une omission, volontaire ou
non ? En tout cas, j'ai l'intention de\,eus eri parler.
Le Traitéde 1933 n'a pas été ratifiépar le Pérou. On a prétendu que
c'étaitpar inadvertance ou parce que le Parlement péruvienavait autre
chose à faire. Je pense qu'il est tout aussi naturel de soutenir que le
Gon\.ernement du Pérou n'a pas jugé à propos de ratifier ce traiténi de
1e soumettre à son Parlement, parce qu'il coiisidéraitque cet instrument
offrait de multiples dangers et qu'il était préférablede s'abstenir.
Ce Traité de 1933 stipule, dacs son article 2 :<<Laqualification des
délits politiques appartient à 1'Etat qui octroie l'asile.i,
S'agit-il de qualification provisoire ou de qualification définitive, c'est-
à-dire s'a-it-il d'une aualification aue i'ou ~uisse contester devant un
organe impartial, quci qu'il soit, hotarnmeit devant un tribunal, ou
d'une qualificatioii contre laquelle aucune objection ne puisse être
présentée ?
Malgréles affinnations de nos adversaires, soit dans leur procédure
écrite, soit dails leurs plaidoiries, on pourrait parfaitement soutenir
au'il s'aeissait seulement d'une aualification ~rovisoire. car l'article4
de ce traité dispose :ccQuand on demandera le'retrait d'un agent diplo:
matique à cause des discussions auxquelles a donné lieu un cas d'asile
p~lit<~ue.l'agent diplomatique devra'être remplacé par son gouverne-
ment sans que cela pisse déterminer l'interruption des relations diplo-
matiques des deux Etats. »
Quand il s'agira de «discussions auxquelles a donné lieu un cas d'asile
politique....iiVoilà un article qui suppose évidemment qu'il y aura des
discussions apres le cas d'asile, par conséquent, que la qualification ne
sera pas péremptoire. Et il s'agit de discussions extrêmement âpres,
puisqu'on suppose qu'elles vont aller jusqu'à 13 demande de retrait de
l'agent diplomatique. Est-ce que cela suppose vraiment que 1'Etat terri-
torial est obligb de s'incliner, sans plus, devant la façon de voir de 1'Etat
qui accorde l'asile ?
En outre. si noiis avions le loisir de consulter de plus prèsles travaux
préparatoires, nous verrions qu'il n'est pas du tout sûr que les juristes
américains, dans leur ensemble, aient pensé h introduire l'idée de la
qualification définitive et péremptoire. En voici un indice. Parmi les
jÛrisconsultes américains consulfés, il y avait nécessairement ceux de
l'Institut de Droit international américain. Or, l'Institut de Droit
international américain avait proposé un texte ainsi conçu : «La
qualificatiori di1 délit politique appartient à l'État qui fournit l'asile.
S'il y a des objections de la part de l'État territorial. on les soumettra
à la Commission permanente de \fTashington ou à celle dc Montevideo
constituées par la Convention du 23 mai 1923, ou à toute autre corn-
mission acceptée par les parties. n (Voir le premier volume des ceuvies
de AI. Victor Xlaurtua, Pnjivans diploniatictisp. j?, Ilma, 1940.) PL.~IDOIRIE DE SI. SCELLE (PÉROU) - 3 x jO 131
.4insi, non seulement l'Institut américain n'avait pas pensé à une
qualification définitive et irréfragable, mais il avait pensé à l'inter-
vention d'un arbitre impartial. Et cet arbitre impartial auquel il avait
pensé, comme le Gouvernement colombien y pensa également avant
de saisir votre Cour, c'était un organisme américain.
(Je ferai remarquer en passant que c'est le I'éroiiqui a demandé
à la Colombie, laquelle d'ailleurs s'y est prEtEe de très bonne grâce,
que ce soit la Cour internationale de Justice qui soit saisie, et non
pas un organisme américain, parce que cela permettait d'avoir, si
l'on peut dire, non seulement un arr&t de droit américain, mais un
arrêt de droit Œcuménique, et, sur ce point, .nous ne pouvons que
féliciter la Colombie d'avoir accepté cette façon de voir.)
Néanmoins. ie ré~èteoue l'Institut de Droit américain envisaeewit
une discussion,' et ;on du tout une qualification irréfragable, et
qu'il préconisait de porter l'affaire devant un oreane impartial, devant
Ùn organe arbitral ou quasi arbitral.
Et c'est alors qu'intervient ici le Traité de 1939 ? A première vue,
le Traité de 1939 semble reprendre à peu près textuellement - mais
pas tout a fait- l'article du Traité de 1933 que je viens de vous lire.
Il dispose que «l'agent diplomatique qui accorde l'asile pourra
qualifier les causes qui ont donné lieu B l'asil».
Je ferai déjàremarquer qu'une qualification des causes, c'est beaucoup
plus large qu'une qualification des délits ou des inculpations. C'est
une qualification aui s'étend à tous les élémentsde la circonstance
dans iaquelle I'asiléa étéoctroyé.Si c'est une qualification aussi large,
il est difficile de penser que cette qualification puissetre définitive,
irréfragable, indiscutable.-
Mais il y a plus. Il y a, dans ce Traité de 1939, un article 16 dans
lequel il est dit Toute divergence suscitéepar l'application du présent
traité sera résolue par voie diplomatique ou, à son défaut, soumise
à l'arbitrage ou à la décision judiciaire»
Cet article 16 n'est pas écrit pour un article du traité plutôt que
pour un autre : il est fait pour tout le traité. 11est donc fait aussi
pour l'article 3, c'est-à-dire pour la qualification. Et si la qualification
peut ètre discutée par voie diplomatique ou, à son défaut, soumise
à l'arbitrage ou à la décision judiciaire, nous n'en demandons pas
davantage. Cela prouve que le Traité de 1939 ne peut pas êtreinvoqué
comme comportaiit la qualification unilatérale, irréfragable, définitive,
indiscutable. Et alors. comme le Traité de 1939 paraît avoir étéconçu
comme la reproduction du Traité de 1933, au moins dans son esprit
général,est-ce qu'on ne peut pas en induire qu'il ne s'est pas produit
tout au moins uii certain fléchissement dans les idées, une certaine
indécision sur le point de savoir quel était le genre de qualification
dont il s'agissait?
Est-ce Dour cela qu'on ne nous a Das citéle Traité de 1<-a. OU bien
ne serait-'cepas pluiôt pour une auire raison ?
Entre 1933 et 1939, il s'est écoulésix années.Six ans, c'est le temps
de la réflexion,et il semble bien qu'on ait réfléchi. Car, enfin,le Traité
de 1933 comporte onze ratifications : le Traité de 1939 ne comporte
que cinq ou six signataires et deta ratifications. Deux ratification!
Alors. ie me demande d'abord si l'on eut vraiment accoler l'é~ithète
d'américiin à un traité qui n'est accompagnéque de deux ratifications.
Je me demande ensuite si, entre 1933 et 1939, la penséeaméricaine ne PLAIDOIRIE DE JI. SCELLE (PÉROU) - 3 X 50
132
s'est pas mûrie et si les diplomates et les hommes d'État qui étaient j.
Montevideo n'avaient pas vu qu'ils avaient fait fausse route. Il semble
qu'entre 1933et 1939il y ait une énormedifférencedans les conceptions
et que l'on puissedire que le Traitéde 1933étaituntraité malvenu, une
incidence à laquelle la pensée juridique américainea compris qu'il était
préférablede ne pas s'attacher plus longtemps.
J:en suis d'autant plus persuadé que la solution imaginéeen 1933est
vraiment une solution déplorable. Je vois très bien quelle est l'origine
de ce Traité de Iq??. Un texte aui.fim-e dans notre Contre-IIémoire
sotis le nuni610 io-dës nnnews. ct aiiqtiel je nie rLif6rer:iis<iu\.eiir.nous
csl?nscI:irloctrinc de In Coniriiis~ioiirlc droit iriternatioii;iI du miiiistire
cles :\flaires ;trnn~eres clc Colombie. Cctrc iloctri~ie est ctrtrncrnciit
intkressante et, pour notre part, nous sommes décidés à nous y rallier.
Or, ce texte explique l'existence des Traités de 1933et 1939. Il nous
explique que ce qui a frappé l'esprit des juristes américains, c'était
cette crainte d'entrer dans une impasse où avl'opposition des conceptionse
de deux Etats intéressésdans un asile déterminédeviendrait tout à fait
inconciliable. Et alors, les juristes américainsse sont dit11faut trouver
une issue. Et, ou nesaurait leur en faireun bien gros grief, ils ont cherche
cette issue dans quelque chose d'analogue à celle qu'on trouve dans
des traités d'extradition. Et c'est cela qui les a sans doute poussés à
rédigercet article 2 du Traité de 1933. Puis ils se sont aperçusque cette
assimilation était toutà fait impossible, que l'espèced'hésitation qu'ils
avaient manifestée en 1933durait de plus en plus. Et c'est ainsi qu'en
1939deux d'entre eus seulement sontrestés fideles à cette tentative de
chercher l'issue de l'impasse dans un sens qui n'est pas acceptable, parce
qu'il est contraire au géniede l'institution eà l'égalitédes Etats. Je ne
cesserai de le répéter.
*a
&Ionsieur le Président, Megieurs, les différents traités dont il a été
fait mention entre les deux Etats n'ont Das tous le mêmeintérêt.et .e ,
passerai trèsbrièvement sur certains d'eitre eux.
En ce qui concerne la Convention sur la procédure pénalede 1889e ,lle
est certainement en rapport direct avec l'asile. Mais nous constaferoiis
qu'elle se divise en deùcparties très distinctes, dont la premiere a trait
h l'extradition, dont In seconde a trait à l'asile, et que par conséquent
la discrimination que nous avons faite entre les deux Fiistitutions s'y
trouve nettement confirmée. Inutile de s'y arrêter.
On fait, au contraire, grand cas du Traité de 1911, c'est-à-dire de
l'Accord bolivarien, accord américain, sansdoute, mais dont je signale
qu'il n'a que cinq signataires, le Pérou, la Colombie, I'Equateur, la
Bolivie et le Venezuela. On fait surtout état de son article 18qui aurait
' incorporéau droit positif la législationde l'asile. Nous ne contesterons
pas qu'à cette époquei'asile fut une institution américaine, mais nous
croyons que cet article 18n'a nullement la portée que l'on a cherché à lui
attribuer de l'autre côtéde la barre. Il est ainsi conç:
<En dehors des stipulations du présent accord, les États signa-
taires reconnaissent l'institution de l'asile, conformément aux
principes du droit international. n Tel est le texte. On pourrait discuter, on a discuté sur les termes, sur
le mot tuera (en dehors de). Cela veut-il dire que la question de l'asile
reste en dehors du traité, d'après ses signataires ?Cela veut-il dire qu'au
contraire ils mentionnent la question parce qu'elle est en rapport, en
concordance avec la question de l'extradition ? Je n'insisterai pas
davantage sur cette discussion de mots, qui n'a pas d'importance. Je
vous ferai seulement remarquer que, pour pouvoir donner une portée
suffisante, une portée matérielle à cet article 16, qui n'est qu'une simple
reconnaissance de fait. on a étéamené. de l'autre côté de la barre, à
con.5truirc toiirc iinc tl.Coric. ocil111 cxtrénlénlcnt ing~nlciiac..
:ttt:irlini~te. qiic nous sdin1ni.j rt:c:t.iiii;ii:I'.î\.~cat clI:ICuloriibic
<l'n\.r,irédiiil'c.mn(iiinbourit :irt!ci ciu'\! :iiir:iir ir?llt?iuntinuir6
entre ces difféients ttaités que tout ce Qui ;'est pas dit dans les traités
postérieurs doit êtreconsidérécomme y étant, parce que c'est clans le
sens de l'évolution sociologique. Je répèteque c'est très ingénieux, mais
qu'une pareille conclusion, qui tend à tirer des conclusions implicites
de textes qui n'en disent pas un mot, est extrêmement difficile à accepter
du point de vue de l'exégèsedu droit positif.
*
Xous arrivons ainsi au Traité de 192s. Le Traité de 1928 a été
critiqué par les Américains, en particulier par les juristes colombiens,
dans le document que je vous ai déjà cité, comme étant d'applica-
tion difficile et comme nécessitant des retouches. En particulier, on
lui a reproché de ne pas donner de solution directe en cas de conflit
de qualification. En réalité, comme nous l'avons déjà montré, ce
n'est pas le Traité de 1928 qui doit être responsable de ce vaciririn
-jrrris, c'est l'institution elle-même, parce que cette institution est
baséesur le principe classique de la souveraineté et de l'égalitédes Etats.
Ce n'est pas, grand Dieu ! le seul cas où il n'y a pas de solution
directe des conflits entre les États! C'est ainsi dans tous les domaines
où il n'y a pas d'obligations particulières.
Dans so!i article premier, le traité le dit :n Il n'est pas permis aux
Etats de donner asile dans les légations ...aux personnes «accusées »....ii
- c'est un point sur lequel nous aurons à revenir cet après-midi -
c....accusées ou condamnées pour délits communs, ni aux déserteurs
de terre ou de mer.
c<Les personnes accusées ou condamnées pour délits communs qui
se réfugient dans l'un des endroits signales dans le paragraphe précédent
devront être remises aussitôt que l'exigera le gouvernement local. i,
<<Devrost étreren?isesaussit6tque l'exagerale got~vcr?aenze iil al»,
si nous entretenions la méme mentalité que nos adversaires, nous
dirions que voilà le type de la qualification définitive, unilatérale et
irréfragable !
Voilh en efiet un traité qui nous dit que les personnes accusées ou
condamnées pour délit commun devront être remises aussitôt que
l'exigera le gouvernement local. Alors, le gouvernement local a vraiment
le droit de qualification ? De dire : Ceci est un délit commun et j'exige
In rrirrise. Xous pourrioiis aussi bien le conclure de ce texte que les
adversaires concluent des autres traités le droit de clualification pour
celui qui accorde l'asile. Xous ne le faisons pas, nous constatons qu'il
y a simplement là un autre cas de conflit possible de qualificatioii qui
doit ètre soumis à une autorité arbitrale ou à une autorité judiciaire.I34 PLAIDOIRIE DE 11. SCELLE (PÉROU) - 3 S 50
Vient ensuite l'article 2. Il pose une autre règle :cL'asile des criminels
politiques dails les légatioiis .... sera respecté ...» - Y. I'tigent du
Gouvernement péruvien vous a dit hier combien nous l'avons respecté
pendant vingt et un mois, et nous le respectons toujours - c .... dans
la mesure dans laquelle, comme un droit, ou par tolérance huma-
nitaire, l'admettraient la coutume, les conventions ou les lois du pays
de refuge et d'accord avec les dispositions suivantes. ii
iComme un droit et par tolérance humanitaire », s'il y avait une
critique à faire à la Convention de 1928. on pourrait la faire ici. Le
libellé est vraiment un peu incertain. Est-ce un droit ? Est-ce une
tolérance humanitaire ? Cela peut êtrel'un ou l'autre. Ce libellé laisse
une grande latitude aux Etats signataires. Passons !
M& voici un autre point et capytal ;c'est l'interprétation du dernier
membre de phrase : a dans la mesure où l'admettraient la coutume,
les conventiiiis ou les lois du pays de refuge 8.
La coutume, les traités, les lois du pays de refuge doivent donc
entrer en ligne de compte pour juger de la régularité de l'octroi de
l'asile, ce n'est pas douteux. En ce qui concerne les conventions, aucune.
observation à faire. En ce qui concerne la coutume, vous savez déjà
que nous ne l'admettons pas. Mais le point délicat est celui de i'inter-
prétation des lois du pays de refuge.
Sur ce point, j'ai étéquelque peu étonnéde voir nos adversaires main-
tenir la thPse hardie, je dirais même incroyablement audacieuse, qui
n'a étéutiliséepar eux que pour faire croire que le Pérouétait tout de
même tenu par les traités croupions, si je puis m'exprimer ainsi, de
1933-193a9 u.xquels il a refusésa ratification.
Le raisonnement est le suivant :les lois du pays de refuge, au même
titre que la coutume et que les traités, deviennent du droit internatiqnal,
et tout ce qui est incorporé dans l'ordre juridique interne de 1'Etat
<rasilant »devient du droit international en matière d'asile. On applique
ici la fameuse règle sisujette à contestation :« international1awis a part
of-the natioital law o (le droit international est une partie du droit de
l'Etat), ce qui ne veut pas dire que les droits des Etats soient une partie
du droit international. hIais on veut nous faire croire que c'est là le sens
de la Convention de 1928 et que, par conséquei~t,elle incorpore le Traité
de 1933par une esp&e d'endosmose contfe laquelle ne peut
rien et qui fait de ce traité partie intégrante de la Convention de 1928.
bien entendu alors que ses rédacteuis n'avaient jamais pu y penser
puisqu'elle est antérieure de cinq ans au premier de ces deux traités.
Je dis qu'il s'agit là d'une thèseaudacieuse, d'autant plus que l'iiiter-
prétation de l'article du Traité de 1928 que je viens dc vous lire, l'inter-
prétation la plus'naturelle ct la plus simple, est des plus facilà admettre.
Pourquoi les rédacteurs de la Convention de 192sont-ils fait cette
allusion à la coutume, aux traités et aux lois du pays qui accorde l'asile ?
Pour une raison bien simple. C'est qu'en 1928ils cherchaient à codifier
l'asile et qu'ils s'étaient aperçus que cette codification avait surtout
pour but d'empêcher quel'onse serve de l'asile à des finsautres que celles
pour lesquelles il a étéinstitué, pour des raisons autres que l'humanité
ou la sauvegarde de la justice locale. Ils voulaient parer au détouriieinent
de pouvoir. Alors, ils ont tenté d'établir unepremière barrière. Barrière
encore un peu fragile. Elle vaudra ce qu'elle vaudra, mais c'est une
barrière utile pour empêcherles fantaisies et les caprices de 1'Etat N asi-
lant II.011 lui dit : i'ous accorderez l'asile quand vous jugerez devoir PLAIDOIRIE DE Y. SCELLE (PÉROU) - 3 x jo 135
l'accorder, mais il y a des limites que vous ne devez pas dépasser :ce
sont les limites qui vous sont fixéespar les traités et par la coutume,
mais ce sont aussi des limites qui vous sont fixéespar votre propre ordre
juridique, par vos lois, car il est inadmissible que vous accordiez l'asile
sans vous soucier de votre propre législation. Cela va sans dire, mais
cela va encore mieux en le disant, étant donnéla pratique politique de
l'asile.
Il y avait des États qui, auparavant, avaient déclaré : Oui, nous
accordions l'asile, c'était notre pratique, notre coutume, notre insti-
tution ; maintenant nous n'en voulons plus. On leur dit :Non, vous
pouvez continuer ou non à accorder l'asile, mais il y a au moins quelque
chose par quoi vous êtestenus :c'est par les propres règles que vous
vous étesimposées à vous-mêmes,c'est par votre propre ordre juridique.
Voilà ce que signifie l'articl2 de la Convention de 1926. Il n'est pas
possible de lui faire dire qu'il incorpore, sans l'avoir voulu, la pensée
des Traités de 1933-1939 qui lui sont postérieurs. Il vept dire simple-
ment qu'il y a au moins une règlequi s'impose à chaque Etat, c'est celle
qu'il s'est imposée à lui-même. Voilàl'interprétation simple de l'article
dont on a voulu se servir de l'autre côtéde la barre.
[Séaizcepubliqttedu 3 octobrerggo, après-midi]
Monsieur le Président. Rfessieurs de la Cour,
Je voudrais en terminer aussi rapidement que possible avec cette
eségèsedu Traité de 1gz6.
Xous avons vu ce matin qu'il est impossible de trouver dans le droit
positif en vigueur entre les pays intéressésau présent litige un principe
quelconque qui permette de soutenir le principe de la qualification
unilatérale et définitive.Je dois cepetidant rappeler que, de l'autre côté
de la barre, on a voulu soutenir que le Gouvernement péruvien a, lui-
cas où, peut-être,en effei, le Gouvernement péruvien, pour des raisons
d'ordre diplomatique. a voulu se montrer particulièrement conciliant.
Il y a cependant certains de ces cas où il est difficile de donner .cette
interprétation. Dans deux cas au moins, citéspar M. Yepes, il s'agissait
de pays ayant ratifiéla Convention de 1933ou celle de 1939 ;par conse-
quent, il pouvait paraître assez naturel que le Péroucousidéràtces pays
comme pouvant se conformer à une attitude déjàprise auparavant. Mais
'out ceci est secondaire.
On fait aussi beaucoup de cas d'un document, de communiqués
officiels qui, à deux reprises différentes, ont paru dans le journal
officieldu Pérou, les.12 et 16 octobre 1948, et qui ont trait en effet aus
asiles obtenus à Lima par diverses personnalités à l'occasion destroubles
du 3 octobre, et pour lesquelles le Péroun'a fait aucune objection, soit
à l'asile, soià la faculté pour ces accusésde quitter le pays.
Je comprends parfaitement que l'on utilise ces documents péruviens.
Kous utiliseroiis bien des documents qui sont des documents officiels,et
en particulier celui dont j'ai parléce matin :l'avis de la Commission du
ministère des Affaires étrangeres de la Colombie, en ce qui concerne la
doctrine de l'asile.
IO136 PLAIDOIRIE DE ar. SCELLE (PÉROU) - 3 x jO
Je voudrais cependant rappeler que ces communiilués d'El Perzcarzo
n'eurent peut.ètre pas toute l'importance qu'on veut leur donner. Dansce
document, on lit : « En ce qui conceyne les dirigeants de l'Alliance popu-
laire révolutionnaire américaine, auxquels l'asile a étéaccordé dans des
ambassades de pays amis, le Gouvernement, sans perdre de vue la
nécessitéde veiller à ce que les instigateurs de la rébellion militaire du
3 courant ne demeurent pas impunis, a réglésa conduite sur les conven-
tions en vigueur ci-dessus nommées. 11a, de la sorte, respectéla parole
engagée dans celles-ci, tout en faisant réserve expresse de son droit de
demander l'extradition en vertu des prérogatives de la juridiction
nationale. ii
11 semble bien en effet que le Gouvernement péruvien ait cru que,
puisqu'il s'agissait d'accusés politiques qui avaient reçu asile, il ne
pouvait leur refuser de sauf-conduits. Mais le document qui nous occupe
n'a pas toute la portée qu'on veut lui donner. II faut tenir compte des
circonstances dans lesquelles il s'est produit. Les journaux dont il s'agit
sont des 13 et 26 octobre 1gq6, c'est-à-dire d'un moment où l'on était
encore sous le coup de la rébellionmanquée. II y avait un certain trouble
politique dans l'atmosphère. En outre, ce document contient des erreurs.
Celle que je viens de citer est catégorique. J'aurai l'occasion de vous
redire que, mêmelorsqu'il s'agit de délinquants politiques, I'asile n'est
pas de droit, et, qu'en tout cas, la délivrance d'un sauf-conduit n'est
certainement Das obligatoire.
Si Ic goii\.eriiciiiciir rl':ilr,rs (lu I'crnuI':cri! - le g(>uverneiiiciit (1~
I'ipoqiie n'L'tait pas Ic iii;iiic <lu?cïliii ~l'au]uiirrl'liui-, il se trum1i.tit
II il'!a pas sri~lrnient ilcs errc:iirs. il!.;irlvsc(iritr:i<liclions.1.ctioiiver.
nemeiit peruvien cl;cl:irc qu'il conipte rcpreiiilrc I'nctiun 'iiiliciairi,.iiiais
il dit cri niCiiic ieiiips<lii'ildoit (Irrii;~ii<leI't!srr:~(litioii (!oiiiineii[,riil.
il se promettre dc reprcndr~: I'actioii jiiiliciairc alors qii'il ii'rsl iiiilleiiieiit
siir (I'<it)reiiirI'<-xtr;i<liri'ii1n'y nur:iit au m:iximii~nda~is~~ttc:ittit~idc .,
ilii C<riii.eriitriicrir ~~;riii.icii<[u'iiiiedc ces ~Iuctu~rion; ~LI~~]UC .I<C~~
dcji fait ;illusiuii ct qui pruiivciir qii'il n'v 11;~s (le cniitiniir tI<~tiiiiri\.c.
31.11s 11y :tsurtout IVtIc:sir~l'rx~~l~q~idevr\,.itlt l npininii une ii~(l~iIg~iicc
peut-Ctre CX~~;SI\.LC I.itte ~>l>lecti<~ litdiriliir :7 I:IIIIICIIIC. II<,vuiili~iî
pas me dérober, je la considère comme -n'appor&nt akune espèce
d'affaiblissement à la thèse juridique que nous avons soutenue aupara-
vant.
Je viens maintenant à la deuxième prétention de la requéte colom-
bienne, c'est-à-dire à l'argument de la délivrance obligatoire de garanties.
Le'-paragraphe 3 de l'article 2 s'exprime ainsi : «Le gouvernement
de 1'Etat [territorial] pourra exiger que le réfugie soit mis hors du
territoire national dans le plus bref délai possible. » Voila le texte. Où
peut-on trouver dans ce texte une obligation pour I'Etat territorial de
délivrer des garanties ? C~ tex~e est concu exactement dans le sens
inverse, du poynt de vue de la logique gra&aticale. 11dit que le gouver-
nement territmial bourra erri~erla sortie du temtoire. L'initiative, par
c~nsé~ ~nt. revient ici nécessairement au eouvernement ~ temtorkl:
r'esi Iiiilui peut csi~(cr.CC. IIest pas le fiou\cr~i~iiieiit i1111 il iliiiil'asile.
Soiis iic i:iisuiis 11.1criri ,,II(~u~~vcrri~i~i~c~uiliuml~ieii<!'.i\.oird??~i~i~i.li
des garanties la Sortie, mais noiis lui faisons grief de prétendre qu'il PLAIDOIRIE DE SI. SCELLE (PÉROU) - 3 x 50 137
avait le droit de les exiger. C'est renverser la phrase. C'est le gouverne-
ment territorial qui a le droitd'exiger la sortieet, alors, s'ilexige la sortie,
le gouvernement qui a accordé l'asile peut, à son tour, demander des
garanties. Mais, je répète,il ne faut pas renverser les rôles.
En outre, il existe ici un argument toutà fait topique. Le droit d'exiger
des garanties existerait en effet s'il y avait un droit de qualification
irréfragable. Si le gouvernement qui accorde l'asile était le maître de
déclarer quand l'asile est dû, il serait naturellement aussi le maître de ses
conséquences et pourrait dire: «Puisque l'asile est dù \,eus devez aussi
donner des garanties. ilLa liaison entre les garanties et Ia qualification
irréfragable est évidente. Mais elle est évidente dans les deux sens : si
1'Etat qui accorde l'asile ne peut qualifier définitivement le délit, il ne
' peut non plus demander les garanties ou tout au moins les exiger. S'il
pouvait exiger les garanties, il aurait non seulement jugé, mais exécuté
son arrêt et réglé l'affaire définitivemeiit.Celui qui a reçu l'asile serait
hors des atteintes de la juridiction locale ; il ne resterait plus que la
question d'extradition dont tout gouvernement est maître. Je répète,
par conséquent, que nous pouvons disposer de la seconde demande de la
Colombie à la lumière de la première.
Si la Colombie ne peut pas exiger de faire une qualification définitive,
, elle ne peut non plus, en aucune façon, exiger des garanties qui
renverseraient la situation et qui transformeraientl'asile enrefugeexterne.
C'est touiours la confusion entre les deux institutions. et il n'v a vas lieu
. .,
encore\ne.ou deux observations à présenter du point de vue purement
juridique.
*
Voici. Messieursde la Cour. ma vremière observation,
La ~olombie demande à la'cou; de rendre un arrêtde droit américain.
Cette demande est particulièrement importante devant un tribunal où
ie vois siéeerse.t ,-êesaméricains
commeil l'a notifiéà plusieurs reprises, le Pérou n'a jamais contesté
l'existence d'un droit américain, auquel il a d'ailleurs contribué autant
aue tout autre État américain. Te-dirai mêmeaue le Pérou accevte
ricain oÛ nlusieurs droits américains ? Ne veut-on vas soutenir et ne
&me dans les États-Unis dJAmériqneet dans le Canada, dans lesËtats
de l'Amhique centrale et dans ceux de l'Amérique du Sud.
Voilà dans quelles limites nous devons d'abord comprendre l'existence
d'un droit américain. Mais il y aplus. L'existenced'undroit américainmet
en jeu un principe bien connu de tous les juristes internationaux : le
principe de la hiérarchie des ordres juridiques, d'après lequel il existe,
entre les différentsordres juridiques et selon leur échelondegrandeur,une
gradation. D'après cette hiérarchie, les systèmes juridiques des entités
composantes sont subordonnas au droit de l'entité composée, qui leur PLAIDOIRIE DE nr. SCELLE (PÉROU) - 3 x 50
138
est nécessairement supérieur, sans quoi l'on ne pourrait mêmepas conce-
voir son existence et son efficacité.Cette hiérarchie est analome à celle
que nous rencontrons dans un État où il y a hiérarchie entreYles ordres
juridiques des communautés particulières ou locales et celui de la commu-
nauté étatique globale. Le droit continental, le droit régional jouent,
par rapport au droit international global, le même rale que la loi ordi-
naire joue vis-à-vis de la loi constitutionnelle, ou la loi régionale vis-à-vis
de la loi nationale. C'est un principe aujourd'hui accepté d'une façon
courante, et je veux rappeler que ce principe a étéadmis par la Law
Commission. par la Commission de droit international de l'Organisation
des Nations Unies, dont, vous le savez, j'ai l'honneur de faire partie en
mémetemps que mon collègueet ami Al.Yepes. Cette ommicsion, lors-
qu'elle a voté la Déclaration des droits et devoirs desEtats. a consacré
le principe de la hiérarchie des ordres juridiques d'une façon formelle,
dans son article 14, qui proclame la suprématie du droit international
sur le droit interne. Et je suis heureus d'avoir l'occasion de rendre
homma~e à mon collème et ami AI.Yeves. car c'est vour beaucouo erice.-
à lui nous avonsUpu faire triomp6er 'ce contre lequel cer-
taines objections avaient été produites.
Mais si ce orinci~e esiste~en ce oui concerne le ravuor,.des droits
iiitcrnes ci dii'droir '~iiteri~siio,Ir;isic c~\acr,-riir(IL1;irii2inc t;<\.ori
en ce (lui concerne les ordres iuri<li<~uerjC:ioii;iui \is-&vis iles cuiitiiieii-
taux, et en ce qui concerne ies ordies juGdiques continentaux vis-à-vis
du droit international Œcuménique.
Le droit américain existe, c'est indiscutable. Le droit américain peut
jouer vis-à-vis du droit international oscuménique le rôle que joue, par
exemple,un règlement vis-à-vis de la loi dansun système de droit interne,
mais il ne peulpas le contredire, soseine d'élreiizternatioitdementillécal.
Nous ne prétendons pas du tout que les traités sur l'asile ne seraient
pas conformes au droit international Œcuménique. Xous soutenons que
l'interprétation que l'on veut donner de l'autre côtéde la barre à ceux
qui nous lient, serait internationalement illégale vis-à-vis de l'institution
Œcuménique de la nonnativité généralede l'asile. Mais nous sommes
heureux qu'il y ait ici une Cour internationale de Justice qui puisse, une
fois de plus, appliquer ce principe de la hiérarchie des ordres et dire que
le droit américain de l'asile doit être nécessairement conforme au droit
Œcuméniquede l'asile. Et personne ne dira que, dans le droit Œcuménique
de l'asile, iy ait une possibilité de qualification irréfragable ni une obli-
gation pour 1'Etat territorial de délivrer des garanties.
Voilà le point que je voulais vous signaler. C'est un point de technique.
Je ne prétcnds pas connaître le droit américain aussi bien que mes
contradicteurs, mais, sur le terrain de la technique, je réclame l'égalité.
Ily a un autre point que je voudrais signaler et qui m'a étésuggéré
également par la plaidoirie du professeur Yepes.
Le professeur Yepes'a invoqué le chapitre VIII, articles 52 et suivants,
de la Charte des Nations Unies, et il a dit avec raison aue c'est là
que les organismes régionaux avaient trouvé leur naissance et leur
introduction dans le droit international.
C'est parfaitement vrai. Ilais le vrofesseur i'eves n'a Das eu le temvs
de vous-lire ces articles. Xous allons les lire, parce que, Rous le verron's, PLAIDOIRIE DE ar.SCELLE (PÉROU) - 3 x 50 139
ils sont précisémentune confirmation de ln thkse de la hiérarchie des
ordres juridiques que je viens de soutenir devant vous.
On sait avec quelle prudence, je dirai mêmeavec quelle réticence
la Sociétédes Nations avait accueilli la notion d'ententes régionales,
et vous savez que, dans le Pacte de la Société desNations, on avait
mélangécette notion d'eiitentes régionales avec toutes sortes d'autres
institutions, y compris la doctrine de Monroe et même les traités
d'arbitrage, ce qui en faisait un tout extrêmement hétérogène.
L'article 52 de la Chartc des Nations Unies, lui, est beaucoup plus
net et précis: Le voici :
«Aucune disposition de la présente Charte ne s'oppose à
l'existence d'accords ou d'organismes rbgionaux destinés à régler
les affaires qui, touchantau maintien de la paix et de la sécurité
internationales, se prêtent à une action de caractère régional,
pourvu que ces accordsoz6ces organismes et leur activitésoient com-
patibles avec les buts et les fivincifies des Natiop~s Unies11
Voilà, Messieurs, de la façon 1a.plus nette, la thèse de la hiérarchie
des ordres juridiques. C'est la hiérarchie normative. Des accords
régionaux ? Parfaitement, pourvu que ces accords ou ces organismes
et leurs activités soient compatibles avec les buts et les principes des
Nations Unies.
J'ai donc le droit de dire que la Charte, contrairement au Pacte
de la Société desNations, a fait un grand pas, mais qu'elle n'a pas
abandonné toutes nrécautions. L'une de ces ~récautioiis. c'est d'affirmer
que, hiérarchiquement, les accords régionaux doivent être conformes
aux buts et principes des Nations Unies, c'est-à-dire à l'ordre inter-
national Œcuméniqùe.
Voilà pour la hiérarchie normative. 11 y a plus, il y a ensuite
hiérarchie organique. Le paragraphe 4 de l'article 52 dispose :iiLe
présent article n'affecte en rien l'application des articles. 34 et 35 ID,
c'est-à-dire le droit d'intervention du Conseil de Sécurité.
Ce n'est plus là seulement de la hiérarchie normative et théorique,
c'est de la hiérarchie organique. Kon seulement il ne.doit pas y avoir
d'incompatibilité entre le droit régional ou continental et le droit
Œcuménique, mais il y a un organe pour garantir qu'il n'y aura pas
d'incomoatibilité. et cet oreane c'est le Conseil de SécuritP. Voilà
dire du dédoublement fonctionnel, nous allions doucement vers la
substitution à cet inter-co~itrôle d'un super-contrôle. Je ne dis pas
qu'il soit réalisé il est amorcé dans le chapitre VIII, dans les artic52s
et suivants, de la Charte. Et je suis trks reconnaissant au professeur
Yepes de m'avoir fourni l'occasion de faire cette démonstration et de
me convaincre moi-mêmedavantage, s'il en était besoin, de la réalité
et de la nécessitéde la hiérarchie des ordres juridiques.
J'en ai fini, Messieurs, avec la réfutation des deux points de la
défensecolombienne. Mais je ne peux pas m'empêcherd'ajouter encore
un mot sur le terrain pratique.140 Pl~AlDOIRIE DE 11. SCELLE (PÉROU) - 3 X 50
J'avoue que, lorsque je l'ai lue pour la première fois, la requéte
colombienne m'a beaucoup étonné.Comment peut-on soutenir, comment
peut-on vous dcmander de dire et juger que la Colombie, en tant que
pays izccordantl'asile,a le droit de qualifier la nature du délit et que
la République du Pérou, en sa qualitéd'Etat territorial,est obligée de
délivrpr dcs sauf-conduits, c'est-à-dire de s'incliner définitivement
devant le jugement de l'affaire par un autre Etat égal en droits et
avec lequr! elle est cii litige ? Cela revierih dire lion seulement que
cet autre Etat serait se111souverain, mais qu'eii matière d'asile il ne
perrtpas y azoir de juges.
L'raimeiit je ne peux pas m'empêcherd'insister sur ce point auquel
j'ai déjà fait ce matin une allusion rapide. La Cour, certainement, a
déià réaliséce oue la Colombie vous demande. Ce aue la Colombie vous
demande, .\lessiéursde la Cour, c'est votre di.missioi. Elle vous demande
de dire qu'en matière d'asile -vous n'aurez plus désonnais jamais rien à
dire. Elle vous demande ~lus: elle vous demande dedire aue ni vous. ni
un tribunal arbitral, ni une commission arbitrale, ni uni organisation
juridique internationale quelle qu'elle soit,n'nirrajamais rie?,à dire eli
matière d'osile.II n'y aurait plus qu'une seule personne qui aurait la
parole en matière d'asile : 1'Etat ayant donné l'asile.
Voilà, du point dc vue pratique, vers quoi la requète colombienne
voudrait vous orienter.
Il me reste maintenant, l\fessieurs, à voiis dire pourquoi, devant
une prétention si exorbitante, le Gouvernement du Pérou a jugé qu'il
était de son devoir de présenter une demaiide reconventionnelle.
*
Xous voici arrivés au point de la reconvention.
En ce qui concerne la connexité de notre demande conformément à
l'articl63 du Règlement de la Cour, je vois avec plaisir que tout litige
semble écartéentre les Parties et j'enregistre cet accord. Alais AI. le
professeur Yepes nous a dit que notre demande était téméraire.l'oyons
donc si cela est vrai et sur quels motifs elle se fonde.
aux personnes accusées ou condamnées pou; tléiitsde droit commun ....B
1.e Gouvernement péruvien soutient que l'accusation porte sur des
délits de droit commun en méme temps que sur des délits politiques.
L'on pourrait mCme soutenir que ces délits politiques sont dépolitisés
car il s'agit de faits de terrorisme et yla, depuis loiigtemps, depuis les
travaux de 1.a Haye, depuis le projet de traité de 1937, etc., un mouve-
ment tr6s net pour retirer le privilège de délitspolitiqiies à toutes sortes
d'actes qui sont commis contre la sûreté des ctats, des chefs d'État,et
qui font appel h des moyens que l'humanité tic peut plus tolérer. C'est
ce que l'on a appelé la«dépolitisationu des délitspolitiques. Sur ce point,
les documents écritssont abondants. II n'entre pas dans ma penséede les .
analyser. La Cour jugera.
Le seconcl foiidement de la demande reconventionnelle, c'est une
violation alleguée<-lel'article z, paragraphe 1": «L'asile ne pourra étre
accordé sauf dans les cas d'urgence et pour le terirpsslriclerr~enitndis-
bensable nour aue le réfugiése mette en stiretéd'uiie autre manière. » PLAIDOIRIE DE II. SCELLE (PÉROU) - 3 X 50 *41
me parait traduire le point où le droit positif en est arrivé dans cette
matière encore assez difficile et confuse.
L'Institut dit :
«L'asile peut êtreaccordé à tout individu menacé dans sa vie,
son intégrité corporelle ou sa liberté, par des violences contre
lesquelles les autorités locales sont manifestement insuffisantes à
le défendre ou mêmeles tolèrent ou les provoquent. Ces dispositions
s'appliquent dans les mêmesconditions lorsque de telles menaces
sont le résultat de la lutte armée de certaines factions.
Au cas où le fonctionnement des vouvoirs vublics se trouve
désorganiséon maîtrisé par une facti&i au point de ne plus offrir
aux particuliers des garanties suffisantespour la sécuritéde leur vie,
les aients divlomatFaues ...peuvent accorder ou niaintenir l'asile.
mêmëà I'enc'ontredis poursiites des autorités locales. »
Cette rédaction est longue et explicite. Elle distingue soigneusement
les deux cas de l'octroi et du maintien de l'asile, les deux cas étant
d'ailleurs légitiméspar les mêmess conditiorisde fait.
Ces conditions de fait, en gros, c'est un danger immédiat et certain
pour l'individu accus6 ou inculpé. Quelle espècede danger ?Sur ce point,
il est riécessaireque nous nous expliquions clairenient, car il peuty avoir
des confusions. Le danger pour la vie, pour la sécurité, pour la liberté,
danger qui peut être provoqué soit par une foule déchaînée,a riot
comme on dit en anglais, soit par I'impiiissance du gouvernement local
à assurer la reddition de la justice, soit par une volonté apparente du
gouvernement local de ne pas rendre la justice, mais de poursuivre une
vengeance politique-, ce danger, c'est un danger immédiat,matériel, mais
qui ne doit pas êtreconfondu avec la possibilité pour l'inculpé d'rtre un
jour condamné régulièrement par la justice. Le danger dont on veut
préserver l'inculpé, ce n'est pas le danger d'êtremis en jugement et
condamné. Ce danger-là, il s'y est exposé lui-même,il l'a couru volon-
tairement, et l'asile n'est pas fait pour soustraire les délinquants à la
justice répressive. Je vous ai dit ce matin qu'il y avait un devoir
d'entr'aide dans la justice répressive, parce que l'ordre public iriterna-
tional est intéressé comme l'ordre public interne à ce que la justice se
fasse. L'asile n'a pas pour but d'assurer l'impunité, l'asile a pour but
d'assurer une justice effective, conforme aux lois du pays et conforme à
l'ordre public international.
Le danger pour l'accusé n'est en aucun cas le danger d'êtrejugé et
condamné. Ce peut êtrele danger d'êtremal juge et condamné ;mais, je
le répète,l'asile n'a paç pour but d'assurer l'impunité; tout criminel doit
ètre condamné. C'est un principe généralde droit interne et interna-
tional, c'est un «principe général de droit ii.
Le danger dont il s'agit, je le répète, doitêtrecaractérisépar un certain
nombre de circonstancesmatérielles et de circonstances de temps. Il peut
durer plus ou moins longtemps, mais il ne subsiste plus lorsque les
circonstances ont changé. Ce danger obéit de la façon la plus nette à
la fameuse clause rebus sic stantibus.
*
Deuxième point sur lequel il ne faut pas qu'il y ait de confusion.
Quels soiit les criminels qui doivent être protégéscontre ce danger parti-
culier et transitoire ? Il n'est pas permis d'accorder l'asile aux criminels PLAIDOIRIE DE 11.SCELLE (PÉROU) - 3 X 50
142
de droit commun. Nais on fait très souvent, sur ce point, une autre
confusion. On croit que les criminels politiques, contrairement aux
criminels de droit commun, ont droit à l'asile.
C'est entièrement faux. Personne n'a droit à i'asile. Les criminels
politiques n'ont pas plus droià l'asileque les criminels de droit commun,
à moins qu'ils ne se trousent dans les mêmescirconstances de fait dont
je vous ai parlé tout à l'heure. L'asile n'a pas plus pour but d'assurer
l'impuiiité au criminel politique qu'aux criminels de droit commun ;
mais, tandis qu'on ne peut l'accorder au criminel de droit commun, on
peut l'accorder au criminel politique. A quelles conditions ? Que ce
danger de nature très spécialeque je viens de définirexiste en réalité,
c'est-à-direà condition qu'il y ait, soit des troubles qui empêchentle
gouvernement local de rendre la justice, soit des émeutesqui mettent en
danger la vie du criminel politique, soit une intention délibéréet prou-
véed'avoir recours à une justice qui n'a de justice que le nom, qui est
une justice de vengeance, une justice extraordinaire,
Voilà ce qu'ilimportait demettre en lumière, ce que met parfaitement
en lumière le passage de la résolution del'Institut que je vous ai lu, et
voilà pourquoi nous disons que si les circonstances de fait qui doivent
créer undaneer actuel et matériel. et non uas un daneer iurid'iaue d'être
condamné é;entuellement, n'existaient au moment 0ù l'a& a été
octroyé, l'asile ne devait pas êtreaccordé :et nous verrons aussi qu'il
ne doit pas non plus Etrëmaintenu, si ces circonstances disparaissent.
11semble que nos adversaires aient complètement perdu de vue cette
façon de préciser cequ'est le droit d'asile. et que confirme le Traité de
1gi5'.
Les arguments de la Colombie pour affirmer la-régularité de l'asile
portent sur deux chefs principaux. L'avocat de la Colombie a critiqué,
d'une part, la régularitéde la procédure suivie à l'égardde Haya de
la Torre et, d'autrepart, il a affirméque cette procédure ne correspondait
pas aux termes de la Convention de 1928 parce qu'il ne s'agissait pas
d'un véritable accusé..Voilà les deux points sur lesquels il nous reste
à nous expliquer.
En ce qui concerne la régularité,je vous.demanderai la permission
de suivre d'un peu plus près mes notes, parce qu'il s'agit d'une question
de droit véritablement technique de procédure péruvienne.
Conformément au droit péruvien, la procédure a suivi exactement
les phases prévues par le Code de justice militaire péruvien en vigueur
depuis 1939. Comme l'a fait remarquer le Contre-Mémoire, onne peut
donc parler à aucun point de vue de législation ad hoc. (Voir notre
Contre-Mémoire, pageg l,et annexe 38.)
Le Code dr procédure criminelle péruvien confie aux mêmes tri-
bunaux la pou~siiite des délits de rébellion et la poursuite des délits
de droit commun, connexes ou consécutifs à la rébellion. Le délit de
rébellion est du ressort des autorités locales, des autorités de la zone
où il a étécommis. Dès le 3 octobre 1946, c'est-à-dire le jour même
de la rébellion,le procès a été ouvertpar le chef judiciaire de la hlaririe
au moyen de ce que le Code péruvien appelle un auto deenjuiciamiento,
c'est-à-dire au moyen d'un acte ouvrant la procédure judiciaire et
que nous pourrions appeler en droit français aordre d'informer II,
désignant le juge d'instruction chargé de suivre la procédure.
A ce moment, Haya de la Torre n'est pas encore accusé.Mais vient
ensuite la adénonciation r autour de laquelle on a. beaucoup discuté
Voir vol. 1,p.115. PLAIDOIRIE DE 51. SCELLE (PÉROU) - 3 X 50 I43
pour savoir quelle était exactement sa nature. Cette dénonciation
peut émaner soit d'un particulier, soit de l'autorité politique. Les
articles 461 et 462 du Code pénal péruvien, Code de justice militaire.
font à l'autorité politique un devoir d'agir. Ceci d'ailleurs n'est que
très naturel.
Je voudrais bien savoir s'il existe un pays quelconque, notamment
en Europe occidentale, où l'autorité politique puisse se désintéresser
d'une rébellion menaçant de tourner en révolution. et si ce n'est Das
le devoir essentiel de'toute espèce de gouvernement d'intervenir abec
toute son autorité pour que l'appareil judiciaire soit mis en jeu aussi
vite et aussi rapidement que possible ?
Quant aux élémentsde la dénonciation, l'article 463 n'en fait pas,
comme on l'a prétendu de l'autre côté de la barre, une énumération
limitative. Cet article prescrit que certaines mentions doivent nécessai-
rement être contenues dans la dénonciation émanant des autorités
politiques, mais, bien entendu, il n'interdit pas de les compléter par
d'autres précisions qui peuvent êtreutiles a la poursuite de l'affaire.
En fait, une dénonciation est, au sens large, une véritable accusation.
Je ne peux m'empêcher de rappeler qu'au moment de l'affaire Dreyfus,
le fameux manifeste de Zola s'est intitulé J'accuse et non pas «Je
dénonce». Les deux termes, au sens large du mot, sont équivalents.
Il faut savoir si les termes du Traité de 1928 doivent être pris dans
un sens large ou dans un seris technique. A mon avis, c'est le sens
large qui s'impose, car il serait impossible de faire une application
du traité dans un sens plus technique et plus précis.
Mais revenons aux dénonciations. En réalité. il v en a eu trois.
1%i~ii;,rcn~ir,ccllc LIIclivl *l't:ta~-niJjorCI,I;IJl~ii~i~,jl(~t.io,h194b.
u O urt ~Iir d pl.iiiir< ioiiIrc iiicoi1.ir,iril1.e <IUIIIIC
encore le nom d'aucun accus6 il ne les a pas, mais il demande au
ministère de l'Intérieur de les lui fournir. Jusqu'ici rien que de par-
faitement naturel.
Deuxièmement, intervention du ministre de l'Intérieur, dénonciation
au ministre de la Marine en vue de le prier de faire ouvrir l'information
par les autorités compétentes de la zone navale judiciaire et de leur
communiquer une liste de noms qu'il possède et aussi afin de leur
permettre de mettre en jeu la procédure de flagralit délit. Cette fois,
un nouvel auto de enluiciamiento, c'est-à-dire la mise en action de la
procédure pénale dans le district local compétent, suit cette seconde
dénonciation.
Troisièmement, dénonciatiori, dénonciation ampliatoire ; elle est du
g octobre. Le ministre de laMarine l'adresse au chef de la Zone judi-
ciaire. Cette dénonciation est suivie d'un avis favorable del'auditeur,
et, ce qui est important, d'une ordonnance du RFiscal » - le Fiscal en
l'es~èce.c'est le iure d'instruction. Cette ordonnance est re~roiuite à la
1& l du ContFe-Mémoireque vous avez sous les yeux.A
Cette fois, le sieur de la Torre est visénominativement en têted'une
liste de soixante-dix autres co-accusés.
Toutes ces procédures sont parfaitement régulières. IIn'y a aucune ,
intervention abusive ou arbitraire du ministre de l'Intérieur. II y a
certes, de la part du ministre de l'Intérieur, la mise en jeu d'une procé-
dure, par une voie régulière, vis-à-vis des ministres et des autorités
judiciaires compétentes.
Je crois donc que l'accusation d'irrégularitédoit être éloignée.
1 Voir vol. 1,p. 246.I44 PLAIDOIRIE DE hl. SCELLE (PÉROU) - 3 X 50
Voyons maintenant si l'on peut dire que cette procédure constitue, à
propremeiit parler, une Iaccusation rret que iious nous trouvons et1face
asun accusé..
*
Les dénonciations sont faites, la procédure est ouverte nominalemeiit
contre le sieur de la Torreen tant que chef de I'Apra, c'est-à-dire d'auteur
iiitellectuel ou de comulice de toute une sériede criines de droit conlmun.
Iles mesures de séq;,estre sont prises. On a insisté sur ces mesures de
séquestrc. Elles sont parfaitement iiaturelles. Il faut bien se mettre en
possession de l'objet du délit pour faire une instruction sérieuse: il faut
Sviter, autant quépossible, qÙe les accusésdans leur ensemble aient la
disposition des instruments de leurs délits, de leurs crimes. Un séquestre
n'est nullemeiit un abusde pouvoir :c'est unemesure nécessaire à prendre
au début de toutes les procédures de ce genre.
Ce n'est pas tout. Le 2j octobre, un ordre d'arrestation est lancé par
le juge, par le Fiscal. L'accusé est parti. Il a trouvé refuge.Des perquisi-
tions sont faites qui amknent la saisie de documents intéressants. Alai:
comme l'accuséreste toujours introuvable, un second ordred'arrestation
est lancé.
Toutes ces procédures sont reproduites à l'annese 3 de la Duplique.
Elles s'inspireiit des réflexions suivantes : En ce qui concerne les co-
accusésde Haya de la Torre. il ne paraît prisdouteus que la qualification
d'accusés est fondée. Si ces individus sont réellement des accusés, com-
ment Hayn de la Torre ne le serait-il pas ? Quelle différence y a-t-il
entre la situation de Haya de la Torre et celle de ses CO-accusés? Une
différencede droit ? Pas du tout. ljne différencede fait : la justice a pu
mettre la main sur les CO-accusés,mais elle n'a pas pu la mettre sur le
sieur de la Torre. Elle n'a DU mettre la main sur le sieur de la Torre
parce qu'il n Clé sii~isariiiii~iit <liligciit, qu'il a lrou\.C <Ir!sSUIII~IICIIL~~
îuNisniités poiir tlisy:ir;iitrc. ICI pniirqiioiiiiiinois ci demi ni1ri.s. In
procé(liire sein-t-cili eiicore au m;ine i~oini ' C'csr p:ircc que 1;s coni-
plicitcs dont il avait béntlticise sont ilianç;cs eii nsile ii I'~inbassadc dr:
ioloinbie. \lais les nuiorités pCrti\,ieni1esüiit fait tuut ce qiii Ct:iit in.116-
riellement possible de faire-pour pousser la procédure jusqu'où elles
pouvaient la pousser. Ce n'est pas leur faute si le code de procédure
péruvieii n'admet pas la procédure de contumace, c'est-à-dire qu'il ne
peut prendre uii arrct contre des accusés qui n'ont pas comparu. I'our
le faire comparaître. il y avait encore un acte de procédure qui était le
deriiier que 1'011piit faire, c'est-8-dire un« sommation de comparaitre »
publiée daiis tous les journaux. sommation que personne ne pouvait
ignorer - qu'en particulier l'ambassadeur de Colombie ne pouvait
ignorer -, puisque depuis six semaines les journaux du Pérouenétaient
pleins. Là où la procédure de contumace n'existe pas,riousnous trouvons
devant une imvoss.~-~ité m~térielle et s'il n'v a v,s un. acciisation~~ ~
véritable.~régulière, i quoi alloiis-rio& réduire la procédure de la justice
criminelle ? Sous allons la réduire iiune course contre la montre entre
l'accuséet l'autorité publique. Ce sera le plus diligent qui aura raison.
Si l'autorité publique arrive à temps, ce sera bien ; si elle n'arrive pas à
temps, suf%-t-il que I'accusé soit assez agile pour se soustraireà la
police, pour qu'il ait la possibilitb d'entraver la procédure?
011 dira peut-étre que cette interprétation du mot «accusé », qui est
une interprétation large et commune, est une interprétation trop large. PI.AIDOIRIE DE M. SCELLE (PÉROU) - 3 X 50 I45
Je ne le crois pas. Je ne le crois pas parce que je trouve daiis nos fameux
Traitésde 1933 et de 1939 quelque chose qui corrobore l'interprétation
que je viens de \,eusdonner.
DansleTraitrde 1933.il n'est plus question d'«accusé r :il est question
d'«inculpé de délit commun qui aurait été poursuivi en due forme u.
Je crois avoir démontréque la poursuite avait étéfaite a en due fonne n
et pousséejusqii'i la dernière possibilitéque la loi péruvienne permette.
Dans la Convention de 1939.où l'on parle de délitspolitiques. il est dit :
<des d4lits politiques qui auraient étépréalablement soumis à procès n,
disons « poursuivis en justice ». Je crois que nous ne pouvons qu'en-
reeistrer ces vossibilitésde la nrocédurevénale~éruvienneet oue nous ne
p~uvous aller au delà. '
J'ai cherchés'il n'était paspossible d'obtenir dans le texte mEme des
traités qui nous sont soumis un peu plus de clarté.Le Trait6 de 1928est
rédigé enquatre langues différentesqui toutes font foi. Nous avoiis pu
constater malheureusement que le Eontexte comparé des difiérenies
langues ne donnait aucun éclaircissement. Tous sont une traduction
littérale du texte castillan, que je persiste à considérer comme une
traduction vulgaire et \,oulue à dessein. L'anglais dit : a It is not permis-
sible to grant asylrrin iit legations to persons accused or condemiied /or
comitioit crimes. n Le teste portugais dit : c PessGas accusadas ozr
coi~demiradas i,Le texte français dit : epersonnes accusées ou condam-
nées n.C'est de la traduction en termes courants de l'espagnol. Il faut
donc abandonner la possibilité de trouver des éclaircissements sur ce
point, et nous devons en conclure que le but du Traitéde 1928n'étaitpas
du tout d'employer les termes « accusé a ou u accusation n, en ce sens
qu'ils auraient pour but de faire allusion à une institution technique
particulière, ce quieiitétéune espècede synthétisation de toiitesles procé-
dures des pays signataires, mais qu'il a voulu simplement employer le
mot iraccusé »dails le sens le plus large, le plus naturel. Cette synthéti-
sation des différentesconceptions de l'accusation dans les différents pays
était parfaitement impossible. Lorsque l'on voit les vingt et quelques
signatures qui sorit à la suite du Traité dc 1928, on s'aperçoit qu'il
aurait étéchimérique de vouloir essayer de faire de l'accusation une
institution commune aux pays de langue anglaise, aux pays de langue
française. aux p-ys~de langue espag.ol., etc.; cela aurait étéune tâche
impossible.
Si donc le traité veut signifier quelque chose - et il signifie ccrtaine-
ment quelque chose -, c'est que l'accusation se rapporte à la procédure
du pays où la justice territoriale s'exerce et que ce pays a faittout ce qui
était en son pouvoir et tout ce qu'il était de son devoir de faire quand il
a suivi la procédure d'accusatiori telle que son p~.pre code lui permet de
le faire. -
I'oila pourquoi nous disons que Haya de la Torre était un <accusé n.
Kous ajoutons qu'il était un accus4 à la foispolitique et [ledroit commun,
et c'est pourquoi nous avoiis présenténotre dernaiide de recon\rention,
sur laquelle j'ai encorequelques observations à ajouter.
Xoiis avons critiqué l'asile eii ce qui concerne la légalitéde soi1octroi.
II nous reste h le critiquer cn ce qui concerne la légalitéde sa durée. PLAIDOIRIE DE 31. SCELLE (PBROU - ) 3 x 50
146
Si,iis :i\,oni\.IIrltle Ic priijct de r;i;l~rneril CI<l:irtisetl(1,.I{;~rli
n\..iiJéiiiiiIrsc-.,prkcii oii Ici ;tgciiti il~r,lum~ritiii~sr~cu!.ent :iiiunler
ou maintenir l'asilë ». Nous souCrrnonsie mot <<-maintenir » Darce au;
l'irrégularitéjuridique peut aussr bien se trouver dans la persistance
et le maintien de,l'asile que dans son octroi.
Le Daraera~he 2 de l'article2 de la Convention de 1428 disuose aue
nl'asiie nëpÔurra êtreaccordé que pour le temps st&tem&t indis-
pensable pour que le réfugiése mette en sûreté d'une autre manière B.
Ce qui signifie, dans ce texte comme dans les textes de l'Institut, que,
lorsque les circonstances ont changé et que l'asile n'est plus justifié,
celui-ci doit cesser. J'insiste sur ce point parce que c'est le génie même
de l'institution et parce que c'est conforme à la technique généraledu
droit. Un acte qui auiait pu sembler légitime au moment où il a été
conclu cesse en tout cas d'êtrelégal à partir du moment où les raisons
qui l'auraient justifié ont cesséde s'appliquer.
L'asile, dit le texte, doit cesser lorsque les circonstances qui seules
ont motivé l'asile ont cesséd'exister. Or, le Gouvernement péruvien
a montré que les circonstances de danger, qui seules sont à la base de
l'asile, n'existaient pas, mêmeau moment où il a étéoctroyé. Mais
maintenant, même s'ilpouvait y avoir un doute sur le premier point, il
n'y en a pas sur le second. Ces circonstances. comme je vous le disais
au début dema plaidoirie, se sont certainement évanouies.La régularité
de la justice pémvienne, qui n'a jamais cessé,est évidemment indiscu-
table, et il n'y a plus aucun danger immédiat, résultant soit de la foule,
une justice partiale. Aucun danger immédiat ne peut être invoquéde rendre
aujourd'hui.
L'accusé se trouve aujourd'hui en sûreté ad'une autre maniere II;
comme dit le traité. Il se trouve en sûreté d'une autre manière parce
que, j'y insiste, les conditions de péril de péril matérielet actuel, non
pas le danger d'un jugement auquel il ne saurait se soustraire, mais les
conditions de péril matériel, les conditions du trouble, les conditions
d'un mouvement de foule, les conditions d'un arrêtde vengeance - sont
exclues. Comme je vous le disais en commençant, l'affaire, dans l'état
où elle est. et après êtrevenue devant vous, a complètement changé, et
les circonstances sont autres.
*
Il me reste à vous donner quelques explications supplémentaires sur
les raisons pour lesquelles la demande reconventionnelle a étéintroduite.
Ce n'est pas seulement du point de vue logique qu'elle a étéprésentée,
mais du point de vue de la nécessité d'en finiravec une situation qui
n'a que trop duré.
Lorsque, Messieurs, comme nous n'en doutons pas, vous aurez rejeté
les deux demandes de la requête colombienne, lorsque vous aurez dit
qu'il nepeut pas y avoir de qualification définitiveet que, par conséquent,
il ne peut y avoir d'obligation pour 1'Etat territorial de délivrer des
garanties tant que l'affaire n'aura pas étéjugée au fond, la situation
juridique se sera singulièrement améliorée,mais la situation politique
ou diplomatique n'aura pas fait un pas. Rien n'empèchera le Gouverne-
ment colombien de garder l'asilé,car vous n'aurez statué que sur une
règle abstraite. Rien n'empêchera leGouvernement péruvien de dire :
e Gardez-le si vous le voulez, mais je ne vous donne pas de sauf-conduit,.
car la Cour ne i'a pas ordonné. u PLAIDOIRIE DE RI. SCELLE (PÉROU) - 3 x 50 147
Oh ! En fait, il y aura tout de mêmeun changement :la Cour ayant
dit qu'il n'y a pas de qualification définitive et, par conséquent, pas
d'obligation de délivrer un sauf-conduit, le terrain sera mieux préparé
pour une entente diplomatique. Mais il n'est jamais absolument sûr
pourquoi nous avons voulu crever l'abcès et vous demander de dire ! Cque,
u quc suit \.aire opiiiion. que In rcqu2te tic. \.eudemniide p:is,
sur Is vnliditt?de l'ocrruidc 1':i-ilqiti, puur nous. ii'étnpis lustiti--
cr m;ittc: si I'uii ~>~~\.aisrotitcnir rixr estr:iorditiairc clt:$\nitL;t&
justement accordé,cet asile ne peut pas êtrelégalementmaintenu parce
que les circonstances qui auraient pu le justifier n'existeiit certainement
plus.
C'est pourquoi, Alessieun, nous n'avons pas hésité A ajouter à notre
demande reconventionnelle originaire quelques mots qui, à proprement
parler, ne constituent pas un changement, mais qui sont explicatifs.
Notre demande originaire était ainsi libellée :
« Dire et juger ....que l'octroi de l'asile par l'ambassadeur de
Colombie à Lima à Victor Raul Haya de la Torre a étéfait en vio-
paragraphe z, premièrementr, p(inciso $rimera),,de la Convention sur
l'asile signéà La Havane en 1928. >,
Nous ajoutons aujourd'hui, et je suis ici le porte-parole dehl. l'Agent
de la République péruvienne : <....et qu'en tout cas le maintien de
l'asile constitue une violation actuelledudit traité 1).
. Voilà, très franchement et très nettement, l'explication que je devais
vous donner.
Nous ajouterons maintenant, et il està peine besoin de le dire, que
le Gouvernement péruvien attend votre décisionavec confiance, mais
avec sérénité, enmêmetemps qu'avec le désirabsolii de s'y confomer,
parce qu'il la considérera à la fois comme l'expression du droit et aussi
comme celle de la sagesse.
J'en ai terminé. Je veux simplement résumer en quelques mots les
différentsarguments que je vous ai présent& :
Premièrement. Le Gouvernement péruvien n'est lié, en matière
américain. II est liépar des traités conformes au droit international
Œcuménique.
Deuxièmement. L'assimilation de l'extradition à l'asile est anti-
juridique et les règlescontenues dans les traitésd'extradition ne peuvent
êtreici valablement invoquées. Le Pérou n'est pas' lié par le Traité
de Montevideo de 1933. qui, d'ailleurs, n'a peut-étre pas le sens qu'on
a voulu lui donner. Il n'est lié que par les obligations qui résultent
pour lui de la Convention de La Havane de 1928.
Troisièmement. La qualification définitive et irréfragable ne figure
pas dans la Convention de La Havane et est incompatible avec le
droit universel de l'asile et le gén,iede l'institution.
Quatrièmement. La Convention de La Havane ne contient aucune
stipulation obligeant le gouvernement territorial à accorder un sauf-
conduit pour I'nasiléii.sauf dans le cas où ce gouvernement exigerait
sa sortie du pays, ce que le Gouvernement de Lima n'était pas obligé
de faire. PL..~IDOIRIE DE AI. SCELLE (PÉROU) - 3 x 50
14s
Cinquièmement. D'après les stipulations de la Convention de La
Havane, le sieur de la Torre était inculpéà la fois d'un délitde rébellion
et de délits de droit commun, en raison d'une procédure régulière
ouverte longtemps avant le fait de l'asile, et par conséquent n'aurait
pas. dii-être aasilé n.Cette procédure était aussi injustifiée parce que
l'accusé necourait aucun péril d'ordre matériel immédiat, aucun des
périls qui justifierit l'asile. La qualification provisoired'nasilén par
l'ambassadeur de Colombie était donc au moins hàtive.
Sixièmement. Si les conditions de l'octroi de l'asile n'existaient pas
à la date du 3 janvier 1949, elles esistpnt encore bien moins vingt
et un mois après, et l'état de fait illégal que constitue l'asile doit
évidemment cesser.
Sur la base de cet ensemble de constatations, le Gouvernement
péruvien demande à la Cour :
«Plaise à la Cour :
n Rejeter leç conclusions I et II du Alemoire colombien ;
c Dire et juger à titre reconventionnel, aus ternes de l'article 63
du Règlement de la Cour, et par un seul et mêmearrêt,que l'octroi
de l'asile par l'ambassadeur de Colombie à Lima à Victor liafil Haya
de la Torre a étéfait en violation de l'article premier, paragraphe
premier, et de l'article2, paragraphe 2, premièrement (iitcisprime~o),
de la Convention sur l'asile signéeen 1928et qu'en tout cas le maintien
de l'asile constitue actuellement uiie violation dudit traité.1,
hfonsieur le Président, hfessieurs, j'ai terminé et je vous remercie.
Le PRÉSIDBNTJ :e prie M. l'Agent du Gouvernement pkruvien de
bien vouloir déposer au Greffe le texte de ses conclusions, tel qu'il
en a étédonné lecture, afin que le Greffe puisse communiquer ce teste
à la Partie adverse le plus tôt possible. 6. REPLIQUE DE M. LE PROFESSEUR J. M. YEPES
(AGENT DU GOUVERNEMEKT DE LA COLOMBIE)
h LA SEAKCE PUBLIQUE DU 6 OCTOBRE 1950, XATIN
hlonsieur le Président, hfessieiirs de la Cour,
Dans cette dernière phase de la procédure orale, ]'ai l'intentioii de
m'occuper esclusivement de l'un des problèmes - le plus important sails
doute - soulevés dans la plaidoirie de Al. Georges Scelle, conseil du
Go~vern~me~ ~du Pérou. A son tour. mon collèeue.,Al.~~sauez. .ura
I',,cr:asiviidc f:iirc. (Inn5cc 1li;rnc.ielis iiilc;il1poinr i1;cesj;tlrç siir
il'ai~t~ïs<Iiiestir>ni<lefait el iIe doclriri1;i)lnirloiricdc~iroîacl\~erinircs.
Mais ~ ~ ~~d'e~ ~ ~ en matière. ,l est utiie de rectifier l'erreur histo-
rique qui s'est glisséedans l'exposéde l'éminentagent du Gouvernement
péruvien. mon ami personnel AI.l'ambassadeur Sayin Alvarez, et dans
celui de AI. Georges Scelle.
Il est dit, en effet, que l'initiative de soumetthela Cour internationale
de Justice l'affaire colombo-péruvienne sur le droit d'asile appartient au
Pérou. C'est un malentendu qu'il est néanmoins nécessaire d'éclaircir.
Comme je l'ai clairement dit, dans ma première intervention devant la
Cour. cette initiative. aui est tout à notre honneur. revient au Gouver-
neniént colombieii, ainsi qu'il est aiséde le constater parla simplelecture
de la correspondance échangée en mars-avril 1949 en. . la Colombie et
le Pérou.
Dans la note du zS mars 1949 de l'ambassadeur colombien à Lima
au ministre des Relations extérieures et du Culte du Pérou, la Colombie
proposait au Pérou de choisir, comme moyen de solution pacifique de la
controverse, entre les méthodes suivantes : la conciliation, l'arbitrage,
la consultation, le recours à la Cour internationale de Justice. Ce ne fut
que par la note du 6 avril suivant que le Gouvernement du Pérou fit le
chois proposé par le Gouvernement colombien et accepta le recours h
la Cour internationale de Justice.
Ce sont là des faits historiques faciles à prouver, mais il fallait les
mettre en relief pour dissiper le malentendu dont je viens de pafler.
Ceci est très important pour nous, car nous attachons un grand pris à
l'honneur d'avoir étéles promoteurs de cette solution qui a consacré le
caractère d'universalité de la juridiction de la Cour internationale de
Justice, et qui a permis pour la première fois d'invoquer le droit inter-
national américain devant le plus Iiaut tribunal du monde.
Le vrofesseur Scelle - aui n'avait Das étésvécialement bienveillant
pour 'le ouv verne m coeon tien 1 nous réservéune véritable
surprise - irrcutddaueraenrrm - presque à la dernière lime de la derniere
vaëe de sa vlaidoirie. C'est seülemënt vour ce motiiaue nous avons
'z
kemandé un'délai de quarante-huit heuréspour présent& notre réponse.
Sans cette surprise de la dernière minute, nous aurions pu répondre
immédiatement et les débats seraient déjà finis comme nous le désirons
vivement. En effet, le professeur Scellea ajoutéun point nouveau aux conclusions
aue le Gouvernement uéruvien avait déià ~rCse,ti,s daiis son Contre-
<.:'inoirc(III21 ni;iiiii)ju ct il;tiS.,IJiipliqiieiliirj juin 195 ) i:i puii~t
iioiivt::iuconsisic:Xa]outér5 SA d.:inandc ici<iii\.<:iiti<i~~~une qucsliuii
siiiir>lccii :~i>i>;ircie.:iiriuirc.iilériiir~l~sCI,;nientutr+sési)l~~~ifsoici
le the de [:demande reconventionnelle telle qu'elle avait éié précédem-
ment fomtulée :
NDire et juger, à titre reconventionnel, aux termes de l'article 63
de l'asilepar l'ambassadeur de Colombiel et àêLimarCà.Victor Rad Haya
de la Torre a étéfait en violation de l'article 1, paragraphe 1, et de
l'article 2, paragraphe 2, premièrement (inciso @riri~ero)d ,e la
Convention sur l'asile signée à La Havane en 1928. ,,
I'ncoiirnge ~iciit.;tre par le fait que, dansle dr'b:iloral. iioua n':ivions
p?s eiicort*fair <lerif<reiiccniis irrL:gul;irit;sriecrttr demandérccori~cii-
iionnelle - que nous estimions et ontinuons à estimer sans connexité
directe avec notre requète principale -, le Gouvernement péruvien a
consid616 opportun d'y ajouter une nouvelle phrase qui implique un
changement complet dans ce procès. La phrase en question demande à
la Cour de dire et juger iiqu'en tout cas le mni+>tie,d ie l'asile constitue
actuellement une violation dudit traité ». (Ils'agit de la Convention sur
l'asile signéeALa Havane en 1926.)
Dans la lettre que j'ai eu l'honneur d'adresser hier à la Cour, immédia-
tement après avoir reçu communication officielle de cette attitude
extraordinaire du Gouvernement péruvien, je me suis considéré obligé de
lui faire savoir que la Colombie ne saurait en aucun cas accepter la dis-
cussion, dans ce procès, de la nouvelle demande reconventionnelle du
Pérou,laquelle, bien à notre regret, jette le trouble et la confusion dans un
proc&squi, jusqu'ici, s'est déroulé nofmalement. Cette attitude inatten-
due de nos adversaires, avec laquelle ils n'arriveront qu'à retarder de
quelques jours la clôture des débats, nous fait voir clairement qu'ils
n'ont plus la foi dans la cause qu'ils défendent. Car, s'ils étaient sûrs
de la justice de leur cause, ils ne feraient pas appel à des moyens de
procédure dont les sophismes égalent la faiblesse. Je regrette d'être
obligé de m'exprimer ainsi, mais il me semble qiie les circonstances
l'excgent. \'oyons pourquoi :
L'article 63 du Règlement de la Cour dit : cLorsque l'instance a
étéintroduite par requéte, une demande reconventionnelle peut étre
présentée dans-les conclusions du contre-mémoire, pourvu que cette
demande soit en connexité directe avec l'objet de la requéte et qu'elle
rentre dans la compétencede la Cour. D
Trois conditions, l'une de forme et les deux autres de fond, sont donc
exigées pourqu'une reconvention puisse prospérer.
Voyons d'abord la condition de tome : la demande reconventionnelle
doit êtreprésentéedans les conclusions du contre-mémoire. Le Règle-
noue véritablement que dèsla remise du contre-mémoire, puisquec'estties ne seà
moment que la Cour possèdeles éléments essentielsde tout litige, c'est- à ce
à-dire une demande et une réponse à cette demande. C'est donc à ce
moment, et à ce moment seulement, que l'on peut pronoiicer le tradi-
tionnel lisi~~choat astC'est alorsque les prétentions de la partie deman- REPLIQUE DE 111.YEPES (COLOMBIE) - 6 x 50 151
deresse sont fixéeset aue la ~artie défenderessepréciseses intentions.
1x3positiorissont donc brises l.'niiciincsurprise ilnaritni1foiid(leI'aïfnirc
n'cst plii; powib!~. C'est pnr iiiisouci (le buniil foi d~nî Icî rjppurts
iuridiaiics entre Erars - I>oiiiicioi riui est uliis riéccis.lirc&in3les i>ruc:.i
~iitr>rn:ction;~llIItrCdes É1:tts ~011v;r;~il;]u? d~ns llr<)~:.1ev:;liu11
rribuii.~liintional .quc I'xrticlr 0.3<lu K?;lemerit dc 11 c:our 3 établi
crrtc espCcc de de.r.lli~repr~urI:I prijc.nt:itioii d'unc dcmiindr rccoiiv,:ii-
tionncllc. CL. ddni unc fois l:cuulc. In dznianJc rccoii\~ciitii~iincll~ii:'cit
pliii reccv;~l>let IcCùur cli~itIL.diclnrer ~inji. \?ucllc.sraisona pli avi~ir
ie Gouvernement ~éruvien.aui iouit cependant du conseil de véritables
sommités jundiq&s, pour pÎéseAter, à fa dernièreminute, une demande
au'il savait certainement que la Cour ne pourrait accepter ?Il ne pouvait
pas supposer que le Goucernement colombien ne repousserait pas une
prétention qui viole toute la jurisprudence internationale et tous les
précédentsdevant la Cour internationale de Justice.
Les auteurs aui ont étudiele problèmedela demande reconventionnelle
sont nnanimetpour affirmer iu'elle doit êtreprésentéedans le contre-
mémoire :c'est là une condition sine quanon, sa méconnaissance devant
entraîner nécessairement l'inefficaciié de l'action reconventionnelle.
Les délais établis pour la présentation d'une reconvention ne sont
pas chose capricieuse et arbitraire. Bien au contraire, ils sont un gage
di1 ~ ~ - - de la procédure et une earantie contre des demandes sans
preuves et proprement téméraires.
Pour bien saisir la portée des garanties dont on entoure la présenta-
tion d'une demande reconventionnelle, ilfaut se rappeler qu'une demande
de cette nature opère une transformation totale de l'action devant
la justice.A elle pourrait s'appliquer ce que les anciens juristes disaient
sur l'exception :reus in excibiendo it actor.c'est-à-dire aue le demandeur
initial deScend au rôle de difende& et unnouveau litiie s'instaure dans
leauel les parties sont touiours les mêmesmais leurs rôles respectifs sont
cohplètenient renversés.c'est pour tout cela que la jurisprudence inter-
nationale a toujours étéextrémement discrète pour l'admission des
demandes reconventionnelles, Dans toute l'histoire de la Cour inter-
nationale de Justice et de sa devancière, la Cour permanente, c'est.&-
dire en presque trente ans de fonctionnement, deux cas à peine - en
dehors du cas actuel - sesont présentés.C'estdire qu'il y a là un moyen
à employer cumgranosalis. Parcontre, dans le procèiquenous souteions
contre le Pérou, deux demandes reconventionnelles ont déjàété présen-
tées.C'est un progrès,mais pas dans la bonne direction.
Il est très important de rappeler ici que l'Institut de ~roit inter-
national, dont l'autorité scientifique est universellement reconnue, s'est
prononcécontre la pratique desdemandes reconventionnelles. II voudrait
les limiter à celles qui sont préalablement admises par les deux parties
en cause, de façon à évitertoute surprise pendant la procédure.En effet,
dans l'une de ses séances, tenue à La Haye, l'Institut a approuvé,
à l'unanimité, un projet de règlement pour des tribunaux arbitraux
internationaux, lequel contient un article 17 ainsi libellé :
a Article 17. Les demandes reconventionnelles ne peuvent être
portées devant le tribunal arbitral qu'en tant qu'elles lui sont
déférées par le compromis, ou que les deux parties et le tribunal
sont d'accord pour les admettre. r (Tableau généralde l'organisa-
tion des travaux etdu personnel de l'Institut de Droit international.
Paris, 1893, p. 129.) Xous pouvons donc conclure que, pour ce qui concerne la condition
de forme, la nouvelle demande reconventionnefie du Pérou n'est pas
recevable conformément à l'article 63duRèglement delaCour internatio-
nale de Justice. Et la Colombie demande à la Cour de bien vouloir le
déclarer ainsi. *
*
J'ai déjà dit que, conformément à l'article 63 du Règlement de la
Cour. toute demande reconventionnelle doit remplir deux coiiditions de
fond; à savoir :prinro,qu'elle cirentre dans la compétencede la Cour »,et
secundo, c qu'elle soit en connexité directe avec l'objet de la requétei,,
Je vais vous démontrer que la reconvention présentée par le l'érouA
-~ ~ant-de~~ière minute de la orocédure orale. non seulement ne remolit
pas les conditions réglementaLes de forme, mais encore au point de bue
du fond elle est d'une carence lamentable. Xous allons le voir immédia-
tement.
En premier lieu, la nouvelle demande reconventionnelle du Pérou ne
rentre pas dans la compétence de la Cour comme l'exige l'article 63 du
.Règlement. En effet, que voyons-nous dans le cas siib jzidice? D'où
vient la compétence de la Cour pour connaître du différend entre la
Colombie et le Pérou à l'occasion de l'asile accordépar l'ambassade de
Cplombie à Lima à AI.Victor Raiil Haya de la Torre ? Évidemmeiit, cette
compétence puise sa source immédiate dans le Procès-verbal (Acte) de
Lima, signk le 31 août rgqg entre les plénipotentiaires de la Colombie
et du Pérou. A l'article premier de cet acte, les deux plénipotentiaires
déclarent cqu'ils ont examiné, dans un esprit comprélieiisif,la contro-
verse existante, qu'ils ont convenu de soumettre, en vertu de l'accord
intervenu entre les deux Gouvernements, à la décisionde la Cour inter-
nationale de Justice a.Je viens de lirela traduction officiellecolombienne
de l'Acte de Lima <luevous trouverez à la Dage 87 1 de notre Mémoire
coïncide en cette partie avec la traduction colombienne. . -
Dans la traduction de ce document que hlonsieur le Président a lue
devant la Cour le jour del'ouverture de ces débats,le 26 septembre 1950.
le mot c controverse D a étéremplacé par adifférend ii.Alais, soit qu'il
s'agisse d'un R différend nou d'une acontroverse y, l'objet du litige a été
clairement défini dans l'article premier de l'Acte de Lima. II s'agit de
lao controverse existante 1ou. sivous le ~référezd .u « différendexistant in.
II faudra doiic définiret p;~ciser ce Queles Parties ont voulu signifier
par controverse ou différend existant. Il y a là une matii.re précise.
Ûarfaitemeiit délimitéeet circonscrite dans l'es~ace et dans le-tem~s.
Le 31 aoiit 1949, une controverse ou un diffhd existait entre'la
Colombie et le Pérou, c'est evident. De quoi s'agissait-il? De circons-
tances dans lesquelles l'ambassadeur de Colombie à Lima avait accordé
l'asile à hl. Victor Raul Haya de la Torre, le 3 janvier 1949. Voilà
ce litige bien précisé.-Asileaccordé à Lima le 3 janvier 1949 :il s'agit
bien de l'octroi de l'asile.
La discussion s'est engagée par la voie diplomatique parce que la
Colombie soutenait que l'asile avait été régulièrement accordé le
3 janvier 1949, tandis que, de l'avis du Pérou, l'octroi de l'asile -
j'ai dit l'octroi de l'asil- avait eu lieu dans des conditions contrî 'ires
' Vorr vo.. y.u170.. RÉPLIQUE DE 21. YEPES (COLOZIBIE) - 6 x 50
153
au droit en vigueur entre la Colombie et le Pérou. Voilà ce qu'on doit
entendre par controverse ou différend existant. Tout ce qui s'écarte
de cette définition donnée par l'Acte de Lima tombe hors de la
K juridiction reconnue de la Couru, pour me servir de l'expression
employée dans la traduction de l'Acte de Lima faite par le Greffe de
la Cour. Les Parties ont donc reconnu la juridiction de la Cour pour
une controverse ou un différend qui existait à un moment déterminé
sur l'interprétation des faits survenus à Lima le 3 janvier 1949.
Or, que voyons-nous dans la nouvelle demande reconventionnelle ?
Le Péroudemande à la Cour de adire et juger qu'en tout cas le maintien
de l'asile constitue actuellement une violation dudit traité rn(Il s'agit
toujours de la Convention de 1928 sur l'asile.)
Deux faits et deux dates vous démontreront éloquemment le chan-
gement radical,que le Pérou a essayé d'introduire dans le procès qui
se déroule actuellement devant la Cour internationale de Justice.
Octroi de I'asile, maintien de I'asile : deux phénomènes juridiques
absolument différents. L'octroi est une chose instantanée. Il a lieu
au moment où un persécuté politique, dont la vie ou la liberté est
menacée. fra~oe aux nortes d'une ambassade et demande la ~rotection
diplornatiqué Contre ces dangers qui le menacent. A ce momént mème,
ni avant, ni aprhs, le chef de la mission diplomatique accorde oii refuse
l'asile, selon les circonstances. Quelques heuresAsuffisent donc pour
que l'octroi de I'asile soit une chose parfaite au point de vue juridique,
car l'octroi de l'asile ne se discute pas. On accorde I'asile ou on le
refuse. Il n'y a paç de solution moyenne. L'octroi de I'asile est donc,
comme je l'ai déjà dit, instantané, et c'est ce point que la Colombie
a soumis à la Cour.
Maintien de l'asile :c'est un phénomène juridiquetout à fait different
de l'octroi de l'asile. Le maintien s'accomplit peu à peu, par étapes
successives et en un laps de temps plus ou moins long. Il n'y a rien
de commun entre l'octroi et le maintien de l'asile. L'octroi s'est opéré
à une date précise, le 3 janvier 1949. Le maintien est, si vous me
permettez une métaphore, une création continue. La deinande recon-
ventionnelle dit : uLe maintien de I'asile constitue actuellement une
violation du traité. u nActuellement », cela signifie le 3 octobre igjo,
c'est-à-dire vingt et un mois, jour pour jour, depuis la date de l'octroi
de I'asile.
~gjo, suffit pour démontrer B la Cour dat-s s'il était nécessaire-ctqu'il
s'agit de deux clioses radicalement différentes.
Dans l'article premier de l'Acte deLinia, les deux Parties ont convenu
de soumettre à la décisionde la Cour le difiérendexistant alors, c'est-à-
dire les circonstances dans lesquelles I'asile a étéaccordé à AI. Haya
de la Torre. A aucun moment de la procédure écrite, ni pendant les
débats oraux, il n'a étéquestion de la légalitédu naintien de I'asile.
Le Pérou, au contraire, semblait ravi de voir que 31.Haya de la Torre
continuait à jouir indéfiniment du droit d'asile. La preuve, c'est qu'à
aucun moment - je dis bienà aucun moment - le Péroun'a demandé,
mêmeindirectement. la cessation de l'~~ile Dar la remise du réfueié
aux autorités locales.
Si la Cour acceptait de discuter la nouvelle demande reconveritionnelle
du Pérou, elle délibéreraitsur une qiiestion qui n'a pas Ctéportée
régulièrement à sa connaissance. La Colombie n'a pas eu l'occasion
d'examiner les allégations du Pérou sur ce problème parce que cettequestioii n'a pas fait l'objet du litige et n'a pas étémentionnée dans la
volumineuse correspondance échangéeentre les deux pays. Elle ne se
trouve mêmepas amorcéedans l'Acte deLima, quiest l'instrument dont
la Cour tire sa com~étenceimmédiateDourconnaîtrede cette affaire. La
Colombie affinne q6'il n'est jamais ent;é dans ses intentions de soumettre
à la Cour la question du maintien de l'asile de M. Hava de la Torre.
La Coiir~ekanente de Tusticeinternationale. votréillustre devancière.
a établi jufsprudence à &t égard.Dans l'avis'c~~sultatif no 5 relatifà
la Carélieorientale. eue insiste sur le fait que les Etatj ne sauraient être
teiiiis, de <liielqurfacon que cefiiten matkre de régleiiieiitpncifiq~icdes
diif6rcrids.si re n'est par leur consentement cxprh et librement esprimi..
Voici les exprcjsions mcines contenues dans I'a\.is consiiltatif no - du
23 juiiiet 1gL3 :
Il est bien établien droit international- ditla Cour- ou'aucun
l?t.ine saurait Ctreohligf de sourncttre sescliffércndsavec 1;sautres
Ltats, soit 3 la médiatioii. soit ;iI'~rl>itr;i~e.soit riifin i n'iniportc
quel procédéde solution pacifique, sani son consentemeni. Ce
conseiitement peut être donnéune fois pour toutes sous la forme
d'une obligation librement acceptée ;il peut, par contre. êtredonné
dans un cas déterminé,en dehors de toute obligation préexistante. a
(Cf.Recueil des Avis consultatifs, SérieR, no5. p. 27.)
Dans l'arrêt no 17, elle dit que la Cour ne saurait se substituer aux
parties pour prendre des décisionsque celles-ci, dans leur souveraineté,
auraient DU nrendre.
Pareille liberté, contraireà la fonction propre de la Cour, ne pourrait,
en tout cas. lui aupartenir aue si elle résultait d'une stipulation ~ositive
et claire qui nc &'trotive pk dans le compr~i~~ij.(Arrit no 17, i).153.)
(Citc dails le I'rLIcis<leJurisprudciice de la C.P.J.I. <le\I. 1730iil(;eiiC.t,
pp. 18-19.) -.
C'est justement ce que le l'érou vous demande : de vous substituer
mais qu'elle n'a jamais prises. Aucunesouveistipulation positive et claire o
au sujet du maintien de l'asile ne se trouvant dans l'Acte de Lima, il
s'ensuit que la Cour n'a pas compétence pour réglerune question que les
Parties nelui ont Dassoumise. Sila Cour admettait. dans cescirconstances.
la nouvelle demande reconventionnelle du Pérou; ellepourrait créerun
précédentdan~ereux qui ouvrirait « la voieà des contestations indéfinies
et imprévisiblës ».
Vous-mêmes,Monsieur le Président, Messieurs de la Cour, dans i'avis
consultatif que vous avez émis le 30mars 1950 SUI l'interprétation des
traités de paix avec la Bulgarie, la Hougriéet la Roumanie, vous avez
apposéle sceau de votre autorité à la doctrine que je viens d'expqser,
au nom du Gouvernement colombien, sur l'impossibilitépour un Etat
d'êtresoumis à une iuridiction qu'il n'a pas ex~ressémentacce~tée.
Voici vos propres paroles : uLe couse&emeui des États par&es à un
différendest le fondement de la juridiction de la Cour en matière conten-
tieuse. »(Avisconsultatif du 30 mars ~gjo, p. 71.)
Se fondant sur cette doctrine, la Colombie considere qu'elle n'est pas
tenue d'accepter la nouvelle demande reconventionnelle présentée à
la dernière minute par le Pérou.
Un juriste d'une autorité exceptionnelle en cette matière, l'ancien
Président de la Cour permanente de Justice internationale, M. Dionizio :lnzilotti,professeur de droit intcrii:~tiona.2I'Ciii\~cr.iiIt-Rome et le
\,brit.ible aiitciir de l';.rti~.li:(,3 clc1':~ctuclI<>(Iri1.Cr~ur. ;Ikrit
à ce propos une page devenue classique pour~l'interprétation de tout ce
qui concerne la question des demandes reconventionnelles. Avec la
permission de la Cour, je prends la libertédevous lire un bref paragraphe
de l'étude du Président Anzilotti :
iNous avons déjà dit qu'une correcte interprétation du Statut
porte à considérer que la demande reconventionnelle ne peut
ètre admise qu'exceptionnellement, dans le cas où cette demande
se trouve en rapport spécial avec la dcmande principale. II est,
en effet, absurde que 1'Ëtat qui introduit une demande puisse se
trouver esposd à voir avancer contre lui, dans la mêmeinstance,
n'importe quelles prétentions, de telle sorte que toute requête
unilatérale ~uisse ouvrir la voie à des contestations indéfinieset
imprévisiblês . (Cf. D. Anzilotti, u La demande reconventionnelle
en procédure internationale u lorcrnal de Droit international,
'Paris, Clunet. Tome 57, p. 87o.j
11 y a une autre considération, alonsieur le Président, Messieurs
de la Cour. dont la Cour devra s'inspirer pour prendre une décision
sur la nour~elle demande reconventionnelle présentéepar le l'érou.
Si - ce que j'estime juridiquement impossible - la Cour décidait
de se considérer compétente pour examiner kt question posée sur le
maintien actuel de l'asile de M. Haya de la Torre, elle se trouverait
obligée d'étudier toutes les péripéties et vicissitudes de la politique
intérieure péruvienne depuis le 3 janvier 1949 jusqu'au jour de l'arrêt
final. C'est seulement alors qu'elle pourrait décider, en pleine cbn-
naissance de cause, si le maintien de l'asile se justifie actuellement
OU non.
Je me permets de vous demander très respectueusement : Avez-
vous les moyens, quelqu'un a-t-il les moyens de savoir, d'une façon
précise,ce qui s'est passénon seulement au Pérou,mais dans n'importe
quel pays du monde, depuis le 3 janvier 1949 ? Poser cette question,
c'est y répondre par la négative. Et sans une information absolument
minutieuse sur les événementsdu Pérou, vous ne seriez jamais à même
de rendre une décision.d'une facon certaine. sur la ouestion terrible-
meRt explosive que vous a posée1; nouvelle demande rêconventionnelle
du Pérou. Si j'avais la puissance d'imagination que nous avons décon-
verte mardi en mon admirable' maître. collèeue et ami. le ~rofesseur
Scelle, je vous dirais que ce que le Pérou cherche avec sa nouvelle
demande reconventionnelle est bien pire que cette prétendue démission
fantaisiste dont il parlait eu des termes si éloquents.
Si le Pérou désire vraiment que la Cour examine la question du
maintien actuel de l'asile de M. Haya de la Torre, il peut facilement
proposer un nouveau procès devant la Cour internationale de Justice.
Il lui suffirait d'invoquer l'article 7 du Protocole colombo-péruvien
signé à Rio-de-Janeiro le 24 mai 1934. En vertu de ce protocole, les
deux pays ont convenu de soumettre obligatoirement à la Cour per-
manente de Justice internationale tous les différends,quelles que soient
leur origine on leur nature, qui surgiraient entre eus et qu'il n'a pas
étépossible de régler par des négociations directes. Ce protocole est
un véritable traité public entre les deux pays. dûment enregistrb au
Secrétariat de la Sociétédes Nations et publié par celui-ci dans le RÉPLIQUE DE M. YEPES (COLO~IBIE) - 6 x 50
156
Reczceil des Trailés. La force obligatoire de ce protocole a étémise
en valeur par l'échangede notes entre les plénipotentiaires colombiens
et péruviens le jour même de la signature de l'Acte de Lima, le
31 aoùt 1949. Ce que la Colombie ne saurait accepter en aucun cas,
c'est que l'on @tende, par un moyen détourné, soumettre à la Cour
une nouvelle question qui n'était comprise ni implicitement ni expli-
citement dans l'Acte de Lima, l'un des instruments qui a donné com-
pktence h la Cour pour connaître du litige colombo-péruviensur l'octroi
de l'asile à AI. Victor Raul Haya de la Torre.
Par ces motifs, le Gouvernement colombien reconnaît donc au
Gouvernement péruvien le droit de soulever, dans un nouveau procès,
la réalitéde tout fait postérieur au 3 janvier 1949 qui, u s'il est établi,
constituerait la violation d'un engagement internationaln (Statut de
la Cour international de Justice, article 36c). Mais cette nouvelle
instance devrait en tout cas êtreengagéedevant la Cour par le Gou-
vernement péruvien dans le cadre de l'article 36 di1Statut en x'g '1ueur
entre les deux États, en vertu du Protocole de Rio-de-Janeiro.
* * :
Il mereste à démontrerle manquede connexitéentre les deux demandes
reconventionnelles du Pérou et la requêtedu Gouvernement colombien.
Pour ce qui concerne la première demande reconventionnelle du
zr mars 1950, la seule qui ait étéprésentéeen temps opportun, nous
réaffirmonsce que nous avons dit à son sujet aux pages 67' et suivantes
de notre Répliquedu 20 avril 1950.
En ce qui concerne la nouvelle demande reconventionnelle, présentée
le3 octobre 1950et dont l'irrecevabilitéest indiscutable, ellen'a, ellenon
plus, aucune connexité directe avec la requête de la Colombie. Leurs
objets sont différents.La requêtedemande à la Cour de dire et juger :
IO que la Colombie en tant quepaysaccordant l'asilea le droit de qualifier
la nature du délitimputé au réfugié ;2" que dans le cas concret matière
du litige, c'est-à-dire Gel'asile accoràéIl.Victor Kaul Haya de la Torre
le 3 janvier 1949, 1'Etat territorial est obligéde donner les garanties
nécessaires pour que le réfugiépuisse quitter le pays, l'inviolabilité de sa
personne étant respectée.La demande reconventionnelle ne dit rien a ce
sujet. Son objet est complètement différent. Car, tandis que, par la
requêtecolombienne, il est établi que la matiere du litige doit se référer
au différend existant entre les Parties le 3 janvier 1949, la demande
reconventionnelle du Pérou se rapporte à des faits postArieurs à cette
dernière date. Le manque de connexité est donc évident ; il saute aux
yeux.
Et la connexité directe avec la requêteest absolument nécessaire pour
que la Cour puisse accepter une demande reconventionnelle. La juns-
prudence sur ce point est concluante. Dans les deux seuls cas que la Cour
ait jamais eu trancher surcette matière, la doctrine constante a étéque
la connexité est la première condition de fond pour qu'une demande
reconventionnelle soit recevable.
Dans l'affaire sur les entreprises de Chorzbw entre l'Allemagne et
la Pologne, la Cour dit dans son arrêtc que la demande reconventionnelle
est basée sur l'article 256 du Traité de Versailles, qui constitue le
-ondement de l'exception soulevéepar la Partie défenderesse et que,
' Voir vol. 1,pp. 380 et ss. REPLIQUE DE M. YEPES (COI.O~IBIE -) 6 x 50 157
vartant. elle se trouve an r..ifiortde connaxitéinridique avec la demande
j>rincipaleB.
D'autre pait, dans l'arrêtdu 28juin 1937, SUI l'affaireentre la Belgique
et laHollande concernant lesprises d'eaii de la Meuse,la Cour a constaté
que la demande reconventionnelle belge, étanten connexité directe avec
Zademandeprincipale,avait pu êtreprésentéepar voie ducontre-Mémoire.
oConnexité juridique »dans le premier cas, econnexitédirecte > ,ans
l'autre, la jurisprudence delaCour est invariahle.
Monsieur le Président, Messieurs de la Cour, me basant sur toutes
ces considérations, j'ai l'honneur de proposer à la Cour, en ma qualité
d'agent du Gouvernement colombien, ce qiiisuit:
u Plaiseà la Cour dedire et juger :
I.Que la demande reconventionrielle présentéepar le Gouvernement
du Péroule zr mars 1950n'est pas recevable par sonmanquede connexité
directe avec la requêtedu Gouvernement colombien ;
2.Que la nouvelle demande reconventionnelle, indûment présentée
le 3 octobre 1950 sous forme de conclusion aux allégationsdu débatoral,
n'est pas recevable parce que :
a) Elle a étéprésentéeen violation de l'article 63 du Reglement de la
Cour ;
b) La Cour n'est pas compétente pour en connaître ;
c) Ellemanque de connexité directeavec la requêtedu Gouvernement
c~lombien. I)
J'en ai terminé. hlonsieur le Président. Je prends la liberte de vous
demander respectueusement de donner la parole Mc Vasquez pour
son exposé.
Le PR~SIDENTJ :e vous demanderai, comme je l'ai faità votre collègue
pémvien,de vouloir bien déposerau Greffe le texte des conclusions dont
vous venez de donner lecture.
M. YEPES:Ce sera fait avec grand plaisir, Monsieur le Président. 7. RÉPLIQUE DE MC ALFREDO VASQUEZ
(AVOCAT DU GOUYERSE31ENT DE LA COLOMBIE)
A LA SÉANCE PUBLIQUE DU 6 OCTOBRE 19j0
[Séancepublique du 6 octobre1950, matin]
Monsieur le Président, Messieurs de la Cour,
Je me rends compte que nos adversaires voudraient, plus vite que je
ne le croyais, adopter une troisième position. Il y a donc une première
position juridique dans la correspondance diplomatique échangéeentre
les Parties ;puis une deuxième et une troisième position résultant des
deux demandes reconventionnelles soumises à la Cour. M. le professeur
Yepes vous a déjà parlé dela troisième ;je m'occuperai de la première
et de la seconde.
1
Je serai extrêmement bref dans mes observations concernant les
faits, car cette partie du litige nous paraîtétre liquidée et j'ose dire
abandonnée par nos adversaires.
11y a cependant une méprise, une fâcheuse méprise, qu'il me faut
avant tout dissiper :le Gouvernement de la Répiiblique de Colombie
-s'étaitabstenu délibérémend t ans sa requêteintroductive d'instance et
dans son Mémoiredu IO janvier 1950,ainsi que je l'ai fait ressortir dans
ma plaidoirie, de tout commentaire concernant les faits, c'est-à-dire les
circonstances politiques et autres par lesquellesM. Victor RaUl Haya
de la Torre a cherchérefuee à notre ambassade à Lima.
L':~ttitii<Ici.olonil~iGrnit<.li.icetti ~~ircoiist:iil:ticiioirsi1':ivons
nuciin iiit2rEà I'Cgar~l u linrti politiqiie do\1 Yiztur KniilI4;iy;ide
la Torreest le chcf Soi15l'avons iiccuc~llitout comme s'il s'ncissaif d'un
citoyen qui porterait un autre nom, tout comme le mêmeambassadeur
de Colombie, quelques semaines auparavant, accueillit l'ancien ministre
de l'Intérieur et d!aPolice qui l'avait persécutà,savoir 31.Julio Cesar
Villegas, auteur connu de la lettre que l'on sait. Ce fait seul d'avoir
accueilli successivement et le persécuteur et le persécutéest de naturà
mettre au point les choses età vous démontrer l'attitude impersonnelle,
parfaitement loyale à l'égard des tendances les plus opposées de la
politique péruvienne, avec laquelle le Gouvernemeiit colombien avait,
dès l'abord, envisa éce problème.
Par la suite, leEouvernement de la République de Colombie a été
engagédans ce débat oral à discuter une demande reconventionnelle du
Gouvernement de InRépubliquedu l'érou,présentéeau Greffele zr mars I
1950 et dont le texte se trouveà la page 58 1 du Contre-Mémoireet à la
page 4S2 de la Duplique. Il n'a pas dépendu de lui que cette demande
fût soumise. Il n'a pas dépendu de lui qu'elle fût rédigéeen des termes
qui comportent la négation de l'urgence et de la nécessitéde l'asile de
hl.L7ictorKaUlHaya de la Torre à l'ambassade de Colombie à Lima.
Peut-on nous reprocher, par des allusions au rale de l'avocat en cour
d'assises, d'avoir dépasséle cadre de votre compétence ? Est-ce que
1Voir vol. 1. p. 164
= "D"442.l'analyse des faits que j'ai présentée à la Cour n'a, par hasard, aucun
rapport avec la matière du litige ?Messieurs de la Cour, ce serait nous
faire injure que de faire croireà notre intention de dévier,de dénaturer
un problème de droit international américainpar une apologie d'un chef
politique. La responsabilité, l'initiative de ce débat appartiennent à nos
adversaires. Ils ont formulé des doutes quant aux conditions matérielles
de l'octroi de l'asile, et nous avons donné la réponse. A qui la faute si
d~~ ~éri- ~ ~~- Deu rudes ont dû êtreénonc~ ~? ~
Quand on engage l'adversaire sur un terrain, M.l'agent du Gouverne.
ment du Péroudoit le savoir, ce n'est pas pour s'étonnerd'entendre les
choses que l'on a demandées ;ce n'est pas pourformulerdesprotestations
parce que l'on a la réponse que l'on a voulue. Mais je comprends son
etonnement : ilignorait sans doute que les preuves qu'il avait présentées
à la Cour dans son Contre-Mémoirepouvaient se retourner contre lui;
il ignorait surtout que l'examen des preuves serait fait par un avocat
habitué.comme ie le suis. à accepter. dans les luttes iudiciaires. le terrain
de disckssion q;e l'adve'rsaire a choisi. Il y a des &casions dans la vie
où il faut agir avec prudence si l'on ne veut pas répéterl'histoire de
l'apprenti sorcier. -
Voilà donc, une fois pour toutes, expliquée l'ampleur que l'avocat
du Gouvernement colombien a donnée à l'analyse des faits. D'ailleurs,
la Cour se rendra compte elle-même de l'utilitk de cette analyse pour
l'appréciation juridique de la requête du. 15 octobre 1949ainsi que
des conclusions 1 et II de notre Mémoireet de la Réplique, en date
des IO janvier et 30 avril 1950.
Il est naturel que nos adversaires veuillent entourer d'un épais
brouillard les événements que vous connaissez et dont l'exposé a
constitué un des buts de ma plaidoirie. Par contre, nous cherchons,
non par un intérêt quelconque, car la Cour est informée du désinté-
ressement de la République de Colombie dans ce litige, mais parce
que la demande reconventionnelle du Pérou a mis en doute la légalité
de.l'asile,à ouvrir au grand jour le dossier de M. Victor Rad1 Haya
de la Torre et à proclamer tout haut certaines vérités que l'Amérique
connaît déjàsur les motifs de l'asile de ce chef politique à l'ambassade
de Colombie à Lima, sur la persécution dont, au préalable, il fut l'objet
de la part du Gouvernement du Pérou, sur l'intervention du pouvoir
politique dans une enquête judiciaire, avec ce résultat que la décision
du juge d'instruction de l'inclure dans un procès pour rébellionmilitaire
fut obtenue tout aussi bien que le séquestre dc ses biens, la dissolution
de son parti et la fermeture de son journal, dont l'échopouvait être
une voix d'opposition dans le pays tout entier. Nous voulons dire
cela afin d'apporter la vérité à la Cour sur les motifs qui ont conduit
le réfugié à l'ambassade à Lima, et il està peine naturel que M. l'agent
du Gouvernement du Pérou ne veuille rien entendre de tout cela.
Il a les oreilles closes, les yeux complètement fermés à la lumière
de faits dont l'exactitude peut êtremesuréeavec les documents mêmes
présentésdans ce litige. Il ne semble pas, en cela tout au moins, être
d'accord avec le philosophe genevois qui avait pris pour devise Vztam
imfienderevero. Je tiens donc à le rassurer. Il peut avoir la certitude
que mes efforts dialectiques ne vont pas, dorénavant, s'adresser à lui,.que je n'ai pas l'espoir de faire accepter. au gouvernement actuel du
Pérou une thèse différentede la sienne sur M. Victor Ra61 Haya de la
Torre. Ce serait trop d'ingénuitéde ma part. Mais. sans vouloir en
rien modifier l'opinion de hl. l'agent du Gouvernement du Pérou; je
m'adresse respectueusement à la Cour pour lui dire : tout ce que nous
avons dit est vrai ; les faits rapportés dans ma plaidoirie sont exacts
et n'ont pas pu être contestés; notre position est inébraiilable, elle
est lumineuse, parce qiie nous avons la vérité avecnoos.
III
Pour ce qui est de la partie juridique, nous regrettons, de ce côtéde la
barre. de ne pas savoir exactement si nous devons nons adresser à If. le
professeur Scelle ou à hl. l'avocat Scelle pour répondre à certaines
affirmations sur la politique internationale de la Républiquede Colombie
qu'il serait difficilede prouver devant la Cour internationale de Justice.
Personne ne peut mettre en doute notre profond respect pour la Cour.
Or, 31.le professeur Scelle est sorti vraiment de cette sérénité inébran-
lable qui, l'imagine, est le trait dominant de l'homme de science, pour
suuLUrer «ue «la Colombie vous demande. Messieurs de la Cour. votre
d6mission r (p 44 dii compte rciitlii st6iirigr:iphicli1). i<EIIc vous
deinîn<lc - dit-i?I I;iiiéincpage - dc clirequ'cn innti>re (l'asil\.eus
aircz nu . ricii 5 Jirtu L'est <lela IittCr:ttiir~..\lesjiviits. c(11.
l'imagination.
«Elle vous demande - lit-on encore - de dire que ni vous, ni un
tribunal arbitral, niune commission arbitrale. ni une organisation juri-
dique internatioiiale quelle qu'elle soit, n'aura jamais rien à dire en
matière d'asile. n C'est une énormité.
l'lus loin, dans sa plaidoirie, dans une phrase qui n'est pas très claire,
II. le professeur SceUea parlé des c complicités oqui auraient permis à
M. Victor liaul Haya de la Torre de chercher refuge à l'ambassade de
Colombie à Lima. Le mot est évidemment de trop. Le Gouvernement du
Pérou a naturellement le droit de contester certains aspects juridiques
de la question, et c'est pour ce motif que le Gouvernement colombien
avait suggéré le recours judiciairepour trancher le différend. Mais ce
serait aller un peu loin dans la défensed'une cause que de supposer de
prétendues actions de complicité de notre part.
J'ose espérer qu'il nes'agit la que d'une phrase incidente, due au feu
de son éloquence,sans un rapport juridique quelconque avec la matière
du procès. Si,par contre, AI.le professeur Scelle veut s'engager dans un
débat contre l'attitude de notre agent diplomatique à Lima, nons lui
demandons tout simplement d'apporter la preuve de ses affirmations.
Dans la partie juridique, il nous est difficile de suivre la méthode
exégétiquede 11. le professeur Scelle pour l'interprétation des traités.
Car, s'il prend parfois le parti de l'interprétation restrictive, pour la
compétence de 1'Etat accordant l'asile (p. 16 du compte rendu sténo-
graphique '), il cherche tout à 1s foisl'interprétation extensive et la plus
large, Messieurs, en faveur de 1'Etat territorial, pour nous dire que le mot
uaccusation u signifie toute imputation (p. 58 du compte rendu sténo-
'Voir p. rqo du présent volume.
r .1?7. . . .graphique 1).Il est vrai qu'i! plaide la cause d'un État territorial. Mais,
du point de vue juridique, cette contradiction, non pas apparente mais
réelle,ne nous semble pas avoir des assises très solides dans les profon-
deurs de la science.
Dans la partie juridique, enfin, je fais remarquer à la Cour combien
M. le professeur Scelle prend une certaine liberté pour nous dire que,
«sans doute »,les auteurs de la Convention de Montevideo de 1933
sur l'asile ont puisé lesélémentsde la qualification unilatérale dans les
traités d'extradition, mais a qu'il semble » que ce Traité de 1933 « était
un traitémalvenu, une incidence à laquelle la penséejuridique américaine
a compris qu'il était préférablede ne pas s'attarder plus longtemps II.
C'est une affirmation ex cathedra ;nous pouvons, nous, dire le contraire.
J'ai choisi ces exemples, entre beaucoup d'autres, pour bien montrer
combien est étroite et peu sûre la voie qui permet à notre éminent
adversaire d'arriver à ces conclusions. Conclusions hasardeuses, conclu-
sions politiques.
1v
La requêtedu Gouvernement colombien comporte, comme vous le
savez, deux questions, dont la première peut se ramener à ceci :Appar-
tient-il ou non à la République de Colombie, en tant que pays accordant
l'asile, de qualifier la nature du délit du réfugié?
Je montrerai tout d'abord pourquoi, à uotre avis, cette question
devrait être tranchée affirmativement par la Cour. Je le ferai à l'aide
des arguments suivants :
Primo :Il est dans la nature de l'institution de l'asile interne qu'il en
en soit ainsi décidépar la Cour ;
Sectrido : L'article2 de la Convention de La Havane de 1925autorise
cette conclusion ;
Tertio: Cette interprétation se trouve corroborée par une analyse
scientifique de tous les traités américains sur l'asile.
La Cour se rendra compte que je ne prétends pas suivre M. l'agent du
Gouvernement du Péroudans les tén&bresd'une argumentation confuse,
ni hl. le professeur Scelle avec ses arguments d'autorité. .
Dans cet ordre, je présentema démonstration à la Cour.
Premier argument :
L'asile, au sens large, c'est-à-dire aussi bien l'asile interne que l'asile
territorial,selon la définition des publicistes français de La Pradelle et
Niboyet que j'ai rappeléedans ma plaidoirie et qui se trouve à la page 21
du compte rendu sténographique est «le privilège qui est accordé à
certains lieux ou édificesde servir de refuge à ceux qui s'y sont rendus
pour échapper aux poursuites qui les menacent 1).
Cette définition est exacte. mais vous vovez bien au'elle contredit
totalcineiit les .îrgi,rnciiide' 11.1%I:>rofessr:urScelle ;ur Ic ci~rnct2re
prEteii<liiineiit<l;lictucuu dc I'iiiter\~entiuiid'iiiic ariikleis:iiIc liirsilii'elle
permet à un individu «d'échapper aux poursuites qui le menacent »
1 V~ir p. 145 du prrsent volume.
2 . -34' . D . &f.le professeur Scelle fera grand cas de notre intervention en faveur
du asieur de la Torre a, et tout sou effort dialectique a tendu à vous
impressionner par le fait que l'asile, tel que nous l'entendons, ne serait
qu'un moyen de soustraire les criminels à l'action de la justice, run abus
d';iiitoritciu, qile sais-je, uuidCtourneriieiit de cuinpCteiice in.
Qiicllc erreur. \lessiciirs! I.':isile. c:t.st bicii autrc clinse; c'eit iiii
moyen de prutectiun luridique qu'un Etnt ~ccor<leB uii indi\,idu pour
lui ~l>emct<rc i~l'éclin~~~n)ucxr I>uiirsuitc;qui lc ni,-ii;icciir.
11.le profrssciir Sccllc,;i\ec IrIiniitrnutoriiti .icicntifi.~qii'il p~j.;idc.
pourr;i axiis ilniitc modifier la dciinition il? l':,siI~.et ei. .lruposer iiiie
iutre. Aussi longteiiip qu'ellc ne seraif p:isaccrl~tre comme iine doctrine
nu sens de 1':irticle3s du Stniiit ilcInCuur, la forcc ~iiridiilue et scieiiti-
fiqiie de Ind?finitiun de 11.iI.de 1.a Pr:idellr et Siboyet restc intacte.
il est vrai que M. le professeur Scelle, page 6 du compte rendu
sténographique l, a essayé de nous en donner une autre. La voici :
n L'asile est une institution juridique. Quand on dit cela, on n'a pas
dit grand-chose. u Ce (jui est évidemment exact, et je fais observer à
la Cour que c'est le professeur Scelle lui-mêmequi en fait la remarque.
a Quelle institution ? Cette institution est de celles qui, dans le Statut
de la Cour, ont un nom. Elle s'appelle un principe généralde droit. n
Et 3f. le professeur Scelle de nous dire par la suite qu'un iiprincipe
généralde droit », c'est <une technique juridique ».Et une <technique
juridique II?
Cette définition de mon éminent contradicteur, que j'appellerai
«à échelons I,, aurait pu continuer indéfiniment. Car, à son tour, la
« technique juridique » est un «moyen juridique » et ceiix-ci donnent
lieu à la naissance des <iactes juridiques B. Heureusement, la définition
s'arréte avec ce postulat (page II du compte rendu sténographique 8):
l'extradition. i'intervention d'humanité et l'asile -~coul~nt du même
principe généralde i'entr'aide pour la répression pénaleinternationale.
En fait de définition, ce n'est qu'une description, un signalement ;
mais nous aurons tout de mème besoin de l'avoir en vue four I'inter-
prétation du droit conventionnel américain, où l'extradition et l'asile
ont des rapports communs.
J'ajoute, et c'est une observation qui ne doit pas tarder davantage
à se produire : I'asile comporte pour sa réalisation comme phénomène
juridique le concours de deux volontés. D'une part, l'intention de
l'individu qui cherche le refuge ; d'autre part, le fait pour un Etat
d'accepter a dans certains lieuxou édifices»l'individu qu'il veut protéger.
Lorsque ces deux volontks se rencontrent, une institution juridique
existe :l'asile.
Est-ce que la volonté, de la part d'un individu, de chercher refuge
dans une ambassade selon le droit international est une intention
délictueuse? On le dirait B entendre I'étonnemeiit, une certaine indigna-
tion de nos adversaires devant l'asile d'un chef politique qui, pour
ce faire, n'a pas demandé l'autorisation au g-ouvernement qui le pour-
suivait, alors qu'en réalité. le droit international américain a déjà
établicomme une réglejuridique que l'individu a droit. un droit siibjectif
et qui ne dépend que de lui, de chercher la protection de I'asile.
'Voir p. 123 du prbsent volume.
".. rzg. . 1 . Je me permets dans ce sens d'attirer l'attention de la Cour sur
l'article XXVII de la Déclaration américaine des droits et devoirs de
l'homme, qui est ainsi rédigé :
« Article XX'VII. Toute personne a droit de chercher et de
recevoir asile en territoire &ranger, en cas de persécution non
motivée par des délits de droit commun et conformément à la
législation de chaque pays et aux accords internationaux.
Cet article, par ailleurs, correspond à la doctrine du droit subjectif
de l'asile contenue à l'article 14 de la Déclaration universelle des droits
de l'homme, dont le texte est le suivant:
ccI. Devant la persécution, toute personne a le droit de chercher
asile et de bénéficierde l'asile en d'autres pays.
2. Ce droit ne peut êtreinvoqué dans le cas de poursuites réel-
lement fondéessur un crime de droit commun ou sur des agissements
contraires aux principes et aux buts des Nations Unies. r
11 y a donc un droit subjectif de l'asile pour l'individu. Et c'est
un droit qui a besoin pour sa réalisation d'un acte ou fait-condition :
et lui donne sa protection. Protection pourproprequoip?tDans quel butille?
La notion de l'asile selon MM.de La Pradelle et Niboyet nous l'a déjà
indiqué ;il y a un phénomènede protection à l'égardd'un autre État
qui, par définition, poursuit le réfugié.
Ce qui veut dire, en d'autres mots, que le principe de la territorialité
du droit pénal d'un des Etats se suspend. M. le professeur Scelle avait
parfaitement raison d'assimiler l'asile et l'extradition, car dans les deux
cas il y a une exception au principe dont il s'agit. Mêmesi, par hypothèse,
l'exterritorialité n'est pas la base de l'asil;même si,selon la doctrine
moderne, le droit de légation n'est pas attaché à une partie du sol où
il s'exerce, c'est un fait certain, absolu et irréfragable, que l'individu
dans l'extradition et l'asile se trouve sous la protection juridique d'un
autre Etat.
Aux infractions commises sur le territoire on appliquera le
status loci .'est sans doute le principe général enniatihre pénale. N'y
aura-t-il pas lieu quelquefois de faire exception au statut de la ,cité,
lorsque, s'agissant d'un mêmeEtat, ou dans les rapports entre Etats
souverains, on appliquera le statusdomicilii? Le principe dela compétence
territoriale de l'État n'est pas absolu.
A tel point qu'un maître de lascience juridique française, M.Donnedieu
de Vahres, a pu nous signaler que la notion de la loi territoriale eut son
épanouissement avec la fameuse ordonnance de 1670 qui, du temps du
roi Louis XIV, avait fixéla procédurecriminelle, la procédure inquisitoire
de l'Ancien Régime. A tel point, aussi, que M. Weiss, juge à la Cour
permanente de Justice internationale, dans son opinion dissidente sur
l'affaire du Lotus (SérieA, no IO, paragraphe g), déclare ce qui suit :
«La territorialité du droit pénal n'est donc pas un principe de droit
international et ne se confond aucunement avec la souveraineté
territoriale.D
C'est la première partiedel'argument :il y a à la base de l'asile un
concours de volontés, un concours légitime,de volontés qui suspend la
territorialité de la loi pénaledans un autre Etat. Cela étant, 3essieurs. nous soutenons que la compétenceinternationale
reconnue à l'Etat accordant l'asile doit avoir un double caractère :être
efficace pour atteindre son but juridique qui est celui de soustraire un
individu aux persécutions dont il serait victime, d'abord. Nous n'imagi-
nons pas que le droit conventionnel octroie une faculté dépourvue de
moyens juridiques pour sa réalisation.
Voici le deuxième caractère :êtreexclusive de l'intervention de l'État
qui {lollr~~iilt.r&fiigit',inr iiuiiistinl<!iisqlic 1:icoiiip&t~~iiicle I'l:tat
;,ccor(laiit 1':is;iuii si:iitr;; l>rL.ci;l ir?s(:l:ai~iiicst irliii(lerlunncr
une protection juridique à un individu dans un nitre État.
Sans cette deuxième condition, l'asile pourrait devenir un contrat
d'une espèce nouvellepar lequel deux Etats règlent lesort d'un homme ;
mais elle serait aussi une institution fantôme.
Voilà notre premier argument.
Deuxième areument :
Sous chtiinons (liic 1;icomp6tcncc (Ic I'l?t;inccor<laiit l'asile iloit
;rrc:rccoiiiiiienii Coiiverncnit~riti.t>lomhieneii coiifoniiiirn\.s11':irticl2
dr l;i(:on\~~-iltiu(Ic 1.a 11:iv:1iiE.nsuite. ~.tCL.SCraI'vbi<,tdl1troiii?nic
argument, il y aura la question de savoir s'il y a uhe concordance
entre le principe de compétence que nous soulignons à l'articlez de
la Convention de La Havane, d'une part, et les autres instruments
du droit international américain, d'autre part.
Deux méthodes, avons-nous observé. L'interprétation d'un traité
peut étre faite, en premier lieu, à l'aide d'éléments fournispar le texte
lui-même.
Nos adversaires se sont donné beaucoup trop de peine pour inter-
préter, soit l'Accord bolivarien du 18 juillet 1911, soit la Convention
de La Havane de xgzS sur l'asile, en s'attachant exclusivement au
sens de certains mots. tels que «en dehors » ou Rà son tour n. C'est
l'interprétation étymologiqué : in werbortrmsensu i~iwesligando.Xos
adversaires ont eu recours au dictionnaire pour prouver que ces expres-
sions avaient un sens ~articulier. Les observations one le Gouvernement
colombieii a fournies dans sa Réplique. aux parag;aplies 37et 55,mon-
treront à la Cour l'inutilité de cet effort. On a fait un certain nombre
de citations de dictionnaire. Nous en avons d'autres.
Le sens des mots n'est en réalité uneméthode d'interprétation que
pour Ics expressions techniques du droit ou de la science. Par exemple,
les mots «accusé » ou «condamné » de l'article premier de la Convention
de La Havaiic. S'agissant de mots auxquels soit la grammaire soit
l'usage populaire doiinent plusieurs significations, cette méthode
d'interprétation est absurde. Vattel, qui fut un maître en interprétation
juridique, nous a laissédans son ouvrage Le Droit des Gens,otrPrinci9es
de ln Loi naltrrelle,la notion qu'on doit toujours donner aux expressions
«le sens le plus convenable au sujet ou à la matière dont il s'agit,
de ceux qui parlent, des contractants dansrecte, uii traité". Or, on doite
présumer, ajoute-t-il, ccque celui qui emploie un mot susceptible de
plusieurs significations l'a pris dans celle qui convient au sujet n.
Le Gouvernement du Pérou, par conséquent, n'a fait que prouver
la stérilité deln méthode d'interprétation étymologiquepour les expres-
sions dépourvues de sens technique. Verbn i~~telligenda,disaient les
anciens, secundum substractum malerire. II faut recourir au contexte, REPLIQUE DE DI. VASQUEZ (COLOMBIE) - 6 x jo 165
d'abord, pour interpréter la Convention de La Havane de 1928sur
l'asile, et la tache de la Cour, dans notre procès, nous semble celle de
la Cour permanente de Justice internationale dans son avis consultatif
no 12 :
e La tâche en présence de laquelle la Cour se trouve est celle
de l'interprétation du texte d'un traité.... C'est donc dans ce
texte mêmeque la Cour doit en premier lieu rechercher quelle
a étéla volonté des parties contractantes, quitte à examiner plus
tard si.- et le cas échéantdans quelle mesure - des éléments
autres que le texte du traité devraient entrer en ligne de compte
dans ce but. n
Le recours au contexte, c'est-à-dire l'interprétation d'un traité par
la teneur de l'instrument tout entier, est, à notre avis, le premier acte
d'analyse qu'il faut accomplir dans notre cas. La doctrine moderne
représentée par Anzilotti dans son Cottrs de Droit international, de
mêmeque par Grandall dans Trenlies, their Makitrg aird Euforcement,
et par Oppenheim dans Internatioiral Law, nous autorise à l'employer.
C'est sur la base de ces principes que le Mémoireet la Réplique du
Gouvernement colombien ont pu vous présenter une thèse qu'il est à
peine besoin de rappeler. L'article 2 de la Convention de La Havane
comporte un ccrtain nombre de dispositions qui forment un >out
inséparable. Le point de départ du système est le fait, pour un Etat,
de vouloir accorder sa protection à un réfugié politique. S'ilen est
ainsi, l'Etat devient ipso facto un sujet de droit investi de la compé-
tence à laquelle il est fait allusion à l'alinéa premier de cet article :
.L'asile des criminels politiques .... sera 'respect....» Voilà la source
de notre compétence internationale vraiment établie.
Toutefois, le respect de cette compétence n'est pas laisséau hasard.
L'article dit :x sera respecté, dans la mesure dans laquelle, comme un
droit ou par tolé~ance humanitaire. I'adniettraientla coutume,les conveir-
lionsotrleslois dlrpays derefnge u.Cela,veut dire que, pour fixer l'étendue
de la compétence internationale d'un Etat qui veut accorder l'asile à un
réfugiépolitique, on prendra le critère que cet Etat aura lui-même
adopté. Mesure de pmdence, Messjeurs, par suite de la diversité des
systèmes juridiques nationaux des Etats américains.Mesure qui permet
aux uns de considérer l'asilecomme un droit, à d'auties comme un cas
d'intervention d'humanité. On écartait par Ià des discussions un peu
byzantines sur la nature juridiqve de l'asile.
Quel que soit le critère que 1'Etat lui-mêmeait choisi, quelle que soit
son interprétation particuli&re de la nature de l'asile, qu'il soit partisan
de l'asile entendu comme un droit, ainsi que le Gouvernement colom-
bien le fait, ou de l'assimilatiànune cause d'humanité, comme d'autres
gouvernements pourraient le faire, l'essentiel est que l'État désire
s'engager à accorder sa protection au réfugié. Dèsce moment, nla
coutrrme («rrsos»dans le texte espagnol), les conuenliottset leslois du pays
de refirgeu,vont déterminer la condition juridique du réfugie.Le texte
de l'alinéa I de l'articlez est en lui-mêmeassez clair et précis,il serait
impossible de lui donner le sens que le Gouvernement du Pérou a pré-
tendu faire prévaloir dans ce procès :il n'y a pas de compétenceexclusive
pour l'Etat accordant l'asile ; il n'y a pas de qualification unilatérale ;
c'est une matière qui doit êtredéterminireau moyen d'une sorte de do
nt des diplomatique. Le sort du réfugiéserait un contrat. Nos adversaires saYent parfaitement deux choses : il ne s'agit pas
d'un droit, plus ou moins théorique, mais de la loi positive ;on ne peut
.pas, en outre, donner à un texte une interprétation qui serait de nature
à lui donner des effets différentsde ceux qui constituent la volontéréeUe
des parties. Car il ne faut pas perdre de vue que, si l'interprétation
pémvienne du contrat - tacite ou sous-entendu - devait prévaloir,
non seulement cet alinéa nremier. mais le reste de l'article 2 et la
convention tout entière sepaient dépourvus de signification juridique.
Aioutez, si vous le voulez, les considérations d'o~portunité que nos
adversaires aiment à ra~~eler sur cet article. Le fait'lui-même.'l'inter-
prétation que je viens dédonner àla Cour, la façon dont il faut intendre
l'exercice d'une compétence internationale par 1'Etat accordant l'asile,
sont incontestables. ia preuve qu'il en est ainsi, c'est que l'article z,
alinéaI, de la Convention de La Havane de 1928sur l'asile, fut interprété
par une autre convention, approuvée lors de la VIImeConférenceinter-
nationale américaineconvoquée à nlontevideo en 1933.
Nous sommes ainsi engagés dans la deuxième mkthode d'interpré-
tation juridique de l'alinéaIde l'articl2 de la Convention de La Havane
ment dans le texte, mais aussi hors du texte. Ce sera l'objet de notree-
troisième argument.
[Séancepublique du 6 octobre 1950, après-midi]
Monsieur le Président, Messieurs de la Cour,
Dans l'examen de la premièrequestion de la requêtedu Gouvernement
de la Colombie, notre réplique à la plaidoirie de hl. le professeur Scelle
comporte trois sortes d'arguments :
D'abord la nature du lien juridique qui est àla base de l'asile. Sur ce
point, il y a lieu de conclure que N. Victor Rad Haya de la Torre est
dans une situation parfaitement régulière l'ambassade de Colombie
à Lima. Il avait le droit de chercher la protection juridique de notre
ambassade, et nous avons la faculté de le recevoir en qualité deréfugié
politique.
Ensuite, j'ai ekaminé le contexte de l'article z de la Convention de
La Havane de 1928 sur l'asile, pour vous démontrer que la compétence
internationale dont le Gouvernement colombien est investi, doit lui
permettre d'exercer les facultés reconnues à 1'Etat accordant l'asile,
parmi lesquelles se trouve notamment celle qui a trait A la sortie du
réfugié.Nos adversaires veulent, par une fantaisie juridique. chercher
dans la disposition de l'article z la base d'un contrat. Nous nous en
tenons an texte pour demander son application rigoureuse à la Cour.
J'arrive au troisième argument :
La Cour sait parfaitement que la recherche de la voloiitédes parties
non pas daris le texte mais hors du texte est une méthode iuridiaue bien
connue dans la jurisprudence internationale. Trois procédéscaktéris-
tiques sont : l'étudedes travaux préparatoires ; la recherche historique
des faits créateurs du litige; et l'étude comparativede différentstextes.
La méthode d'interprétation des traités à l'aide du procédé compa-
ratif a été notamment appliquée dans la sentence d'arbitrage rendue RÉPLIQUE DE AI.VASQUE2 (COLOJIBIE) - 6 X 50 167
en 1S7j, au sujet du différendsurgi entre le Chili et le Pérou relativement
à leurs dettes de guerre ;appliquéeaussi par la Cour permanente d'Arbi-
trage en 19oj dans l'affaire desn Baux perpétuels du Japon » ;en 1905
également, dans l'affaire u Boutres de Mascate » ;en 1910 dans l'affaire
des aPêcheries des côtes se~tentrionaies de l'Atlantique B. Enfin.
de 1919Sur le travail denuit des femmes, sont les plus caractéristiques.
C'est sur cette base scientifique que nous voulons signaler à la Cour
l'identité desystèmeexistant, en premier lieu. entre l'alinéa I de l'arti-
cle2 de la Convention de La Havanesur l'asileet l'article 2 de la Conven-
tion de Montevideo de 1933sur l'asile.La dernièrede ces conventions eut
pour objet d'interpréter, en particulier, le point spécialde la compétence
internationale de l'État accordant l'asile, et la Conférence décida
d'ajouter un article ainsi rédigé :
« La qualification du délit politique appartient à l'État accordant
l'asile.)
Je trouve une indication très précisede cette concordance entre les
deux conventions dans le rapport de la deuxième commission de la
Conférencede Montevideo approuvé à la séanceplénièredu 22 décembre
1933. Le rapport contient l'affirmation que voici :
« Considérant que la Convention sur l'asile, signée à La Havane
le 22 février 1928,n'établit pas azec une précision sufisante
qtcelqzces-unedes bases fondamentales stcr lesquelles cetteinstitution
humanitaire est appzcyéeet que, par conséquent, il est nécessairede
pourvoir aux nécessités exigéep sar la protection de la vie et de
violences ou de perturbationlitiqrévolutionnaire.c»nstances de
Il est vrai que M. le professeur Scelle,page 23 du compte rendu sté-
nographique', se référant aux délibérations de l'Institut de Droit
international américain, et sur la base des opinions du jurisconsulte
péruvienM. Victor Maurtua, nous dit qu'il est probable - car il n'en est
pas du tout sûr- que les auteurs de la Convention de Montevideo n'ont
pas pensé à introduire danscette institution le principe de la qualification
définitive et péremptoire.
L'interprétation des traités ne peut pas se faire, je crois, à l'aide
du calcul des probabilités. Quelle que soit l'importance des opinions
d'un jurisconsulte péruvien ou d'une institution internationale très
respectable. certes, mais n'ayant pas de participation directe dans une
conférence internationale, le rapport dont je viens de donner lecture ne
peut pas être plus explicite sur l'intention des auteurs de la Conven-
tion de Montevideo d'adopter en cette occasion non pas un principe
nouveau de droit international américain, mais le développement d'une
norme déjAétablie sous la forme d'une convention complémentaire sur
l'asile politique.
Le Gouvernemeiit du Pérou pourra-t-il méconnaitre que, dans la
deuxième commission de la Conférence de Montevideo qui étudia ce
point de vue juridique, siégeaient ses représentants autorisés. qui eux
'Voir p. 130 du present volume.
12168 RÉPLIQUE DE ar. VASQUEZ (COLOMBIE ) 6 x 50
ont engagé la responsabilité internationale d'un Etat souverain ? Le
Gouvernement du Pérou pourra-t-il nous présenter les objections que
ces déléguésformulèrent à cette commission ? Oui ou non, le Pérou
vota-t-il le principe de la qualification unilatérale et impérative à la
Convention de hlontevideo ? Les procès-verbaux de la conférencesont
là pour nous le dire.
Il y a, par ailleurs, des preuves sur le conseritement exprimé par
les délégués péruviensI.I y a mêmela signature de trois délégués du
Pérou, agissant en qualité de plénipotentiaires, JIM. Alfredo Solf y
hluro, Felipe Karreda Laos et Luis Fernan Cisneros, et ceux-ci ont
tout de m6me engagéla responsabilitéinternationalede i'Etat péruvien.
M. le professeur Scelle pourra, tout naturellement, nous dire d'un
cŒur légerque, dans ce cas aussi, les représentants du Pérou se sont
trompés ; qu'ils ont fait erreur.
C'est facile à dire et c'est une excuse qui a étéinvoquée pour les
deux communiqués officiels du Gouvernement du Pérou en date des
12 et 26 octobre IWS, que nous avons reproduits ri la page 27' de notre
hfémoire. Mais c'est une excuse qui présente le danger de vouloir
admettre l'irresponsabilité deI'Etat péruvien sur le plan international ;
c'est une excuse que nous voudrions voir tout effacéede la plaidoirie
de notre éminent contradicteur. car elle ne fait pas l'élogedu caractère
sérieux de la politique internationale d'un Etat, le Pérou, qui a joui
par le passé d'une renommée certaine en Amérique, par la formation
tres solide de ses grands jurisconsultes. MAI.Ulloa, Alahrtua, Belahnde.
hl. le professeur Scelle a peut-ètre l'excuse d'avoir ignoré cela.
Mais l'identité foncière dont je parle, entre l'article2 de la Conven-
tion de La Havane de 1928 sur l'asile et le principe de la compétence
reconnue àun ktat accordant l'asile, par l'article 2 de la Convention
de Montevideo de 1933 sur l'asile, identité non pas de mots, mais de
s stème de base, d'ordonnancement juridique de la compétence d'un
&at, se trouve dans tous les traités du continent américainsur l'extra-
dition et l'asile.
M. le professeur Scelle avait parfaitement raison de signaler ri la
Cour une communauté d'origine existant entre I'extradition et l'asile.
Nous voyons en cela une rectification des 'thèses soutenues ensens
contraire par le Gouvernement du Pérou dans la correspondance diplo-
matique échangéeavec le Gouvernement colombien, rectification parfai-
tement admissible puisque l'erreur ferait partie de la politique inter-
nationale du Pérou. Toutefois, nous sommes heureux deconstater qu'en
dehors de la théorie du dédoublement fonctionnel dont l'application
dans le présent cas a étéadmise par M. le professeur Scelle, il y a ici,
dans l'assimilation des origines de l'extradition et de l'asile, un principe
réclaméau bénéficede sa doctrine Dar le Gouvernement colombien.
L;iqualificatioii iinilatéralécrini:itic'red'a5,truii\.d;iiis l'cnsçniblc
cies tr;litk ;intiTieurj i lr,2~. faijaiil ~idrtic du droit con\~critionnel
américain :
Traité d'extradition approuvé le 27 mars 1879. à Lima, par le Congrès
américain des jurisconsultes, article 7 ;
Traité de droit pénal international approuvé le 23 janvier 1889, à
hlontevideo, par le Congrèsinternational sud-américain,articles 15 à 17 ;
et
Accord bolivarien sur 1'e:itradition du 18 juillet rgrr, article 18.
' \loirvol.1,p. 37. RÉPLIQUE DE Ai. VASQUEZ (COLO>IBIE) - 6 X 50 169
La qualification unilatéraleet impérativen'a pas ét6seulement approu-
véedans les traités antérieursà1928 . e principe se trouve dans le Code
de droit international privéapprouvé àla VImoConférenceinternationale
américainetenue à La Havane en 1928 ; dans le projet de la Commission
internationale des jurisconsiiltes de Rio-de-Janeiro de1937. En cette
annéeégalement, leministre des Relations extérieuresde la République
argentine, hl.Carlos Saavedra Lamas, en vue d'élaborer une nouvelle
qui était inspirédu mêmeprincipe, et qui donna lieuériàala Conventionojet
sur le droit d'asile adoptée par la Conférenceinternationale des juris-
consultes américains, convoquée à Montevideo en 1939.
Voilà notre troisi6me argument.
Il me reste donc, pour que la première question de notre requête soit
prouvéeen droit, à bien précisercertaines notions du troisieme argument.
En premier lieu, pourquoi y a-t-il, dans les traités am&ricains, une
identité de base? La cause de cette identité est simple et claire. Depuis
1879 ,t l'on voit que les origines de la Convention de 1ne sont pas si
rapprochées de notre temps, les Etats américainsont à la fois appliqué
la doctrine de l'Europe sur le refuge territorial et pris de cette source la
notion de respect de l'asile des délinquants politiques.
Extradition et asile interne, en droit américain tout au moins, ont
un rapport si direct et certain qu'il est impossible de les séparer.el
point, disons-nous, qu'il est fréquen- et la Cour pourra le constater
elle-même - le cas de traités d'extradition qui comportent, dans ce
continent, puisque je ne parle pas du droit cecnménique, des clauses
d'asile. Deuxinstitutions, disons encore, liéespar ce fait que l'asileinterne
fut un succédanéde l'extradition.
M. le professeur Scelle le voit si bien qu'aldii accepter la force de
nos arguments. L'extradition, naturellement, confirmée comme elle
l'était vers la moitié du xixme siècledans le droit de l'Europe, n'avait
qu'à êtreappliquée.Mais dèsles premiers travaux législatifs,c'est-à-dire
des la signature du Traité du27mars 1879 ,pprouvé à Lima, on trouve
des clauses sur l'asile dans un traité d'extradition.
L'article7 de cet instrument, dont le texte a étéinséréà l'annexe18
du Mémoire colombien,est le suivant :
ciArticle7.- Les délitspolitiques ne sont Dascomvris dans les
(lispositions du prcseiit triiitt'.
Il npparricnt mi $ou\.crnemc~iit(le la rCpubli<liii:de l'asile <le
iiii.îliI:cLinrtir<Irruiit&lit (Ic cc ccnrv. c1.iii'accurilt:iris
l'extradition même s'ilapparaît qu'ili étécommis en conueGon
avec un crime ou délit qui pourrait la motiver.
Les. réfugiésqui auront étélivrés pour des délits communs ne
pourront êtrejugésni punis pour des délitspolitiques commis avant
l'extradition.n
Messieurs de la Cour, l'importance de ce teste est indiscutable, puisque
dans un traité sur l'extradition l'an trouv: brimo: la notion du délit
politique même connexe à un délit commun donnant lieu à l'asil;
sectc~zdola qualification de 1'Etat accordant I'asile.170 RÉPLIQUE DE M. VASQUEZ (COLOMBIE) - 6 x 50
On ne pourra pas dire qu'il n'y a pas de coutume sur l'asile, puisqu'il
y a davantage : une nonne de droit conventionnel. Ceci est d'autant
plus évident que si I'on passe à l'examen du Traité de droit pénal
international signé à Montevideo le 23janvier 1889, on voit la même
couclusion. II me semble inutile de vous lire les articles 15 à 17de
cet instrumeiit, dont le texte a étéfourni à la Cour dans le Mémoire
colombien, annexe 19.Ici, I'on voit trois articles essentiels. L'article 15
interne ou diplomatiqueori;ll'article 16 énonce la règle du respect dee
i'asile,applicable aux deux institutions. Et, ici encore, la compétence
de 1'Etat accordant l'asile pour exercer la qualification unilatérale
est certaine.
Et si I'on tient compte de ce fait qu'il y a, en outre, une identité
grammaticale, presque mot à mot, entre I'article 17 auquel je viens
de faire allusion et l'articlz de la Convention de La Havane ; si l'on
se rappelle que l'article 18de l'Accord bolivarien a reconnu l'existence
de l'institution de l'asile selon les principes du droit international, la
conclusion certaine, la conclusion irréfragable en est l'existence d'une
doctrine américaine touchant le respect du refuge concédéaux delin-
quants politiques et la qualification unilatérale du délit par 1'Etat
accordant l'asile.
Je pourrais terminer ma démonstration sur la continuité de la
doctrine américaine sur l'asile, si un autre argument d'autorité de
hf. le ~rofesseur Scelle ne m'obligeaità dire à la Cour que cette conti-
nuité àont je parle s'est prolongéedans le temps aprèS1928 - c'est-
à-dire jusqu'au Traité de 1939.
M. le professeur Scelle a fait, au sujet de ce traité, une interprétation
dont la fantaisieest si grande que I'on ne peut qu'admirer l'imagination
de son auteur. Tout d'abord - et je me rapporte à la page 2s du
comnte rendu sténozra..i.ue . -. ii nous fa savoir q. .üeut-être.
rntrr 1933 et 1939. I:iductrint nrn6ric:iiiicsin la i~iialincat:icliaiigé.
list-cc qu'iy a une bn;e çci,~iiti. .eour Cn<iiiccruiic r.:lle atlirmati?ii
Pourquoi ?
Je pose la question parce que, s'agissant de l'interprétation de
traités, il faut. je crois, ne pas faire des hypotheses plus ou moins
réelles. Or, sans êtreabsolument sûr, M.le professeur Scelle se demande
(p. 25 du compte rendu sténographique ') :«si, entre 1933et 1939.
la penséeaméricainene s'est pas mûrie et si les diplomates et leshommes
d'État qui étaient à Montevideo n'avaient pas vu qu'ils avaient fait
fausse route a.
Voici I'o~iniondu ministre des Relations extérieures de la Ré~ubliaue
ay.eritiiie tiaris I'es~ios~des mptifs qui riccoiiipngnait le projet dc'convhn-
Lion eii\,o)S eii 1937 niis litnts ;irnïric:iiiis. ct qfut l'antic6dent
en faire les autorités locales oui sont l~récisémentcelles contret
lesquelles est dirigé lemouvement séditjeux. Se basant sur cette
circonstance - ajoute le mêmeauteur -, on attribue la faculté
d'interpréter la nature du délit politique et de fixer ses caractéris-
tiques concernant le sujet qui se réfugie dans une légation, au
Voir p.131 du préçent volume. RÉPLIQUE DE al. V.ASQUEZ (COLO\IBIE) - 6 i:jo
171
chef mêmede la mission qui apporte la protection dans l'encejnte
de celle-ci, car c'est sous sa responsabilité et sous celle de 1'Etat
qu'il représente qu'il accorde la protection que lui demande l'in-
dividu qui, dans son opinion, n'a pas commis de transgressions
d'ordre commun, mais a participé à 'des activités séditieuses qui
sont considérées comme tellesen présenced'une ambiance anormale
d'émotioii et d'excitation publiques.
Dans ce sens, l'asile se présente à nous avec les caractères
typiques d'un IIdroit indiscutable r,pour l'agent diplomatique
avec l'obligation corrélative d'êtrerespecté par les autorités du
pays de résidence. ii
C'étaitl'o~inion du ministre des Relations extérieures de la Réou-
hlique argen'tine.
Est-ce que ce texte officielne veut pas dire que la penséedes hommes
d'Etat américains pour ce qui est de la qualification unilatérale en '
matière d'asile s'est confirmée et nullement modifiée entre 1933 et
1939 ?
La Cour comprendra, par les explications abondantes que je lui ai
données,jusqu'à qucl point le Gouverucment colombieri est en mesure
de lui signaler l'uniformité dans la doctrine, et uniformité aussi dans
le droit conventionnel amcricain, sur la question de la cqmpétence
de 1'Etat accordant l'asile, compétence qu'il appartient à 1'Etat terri-
torial de respecter.
J'aborde ici l'examen de la deuxième question de la requête du
Gouvernement de la Colombie en date du 15 octobre 1949. Elle a trait,
comme vous le savez, à la sortie du réfugié, l'inviolabilide sa personne
&tant r-~.r ~ - ~ ~ ~
Notre thèse est la suivante :
Mêmesi l'on fait abstraction du ~rinci~e de la aualification de la
nature du délit par l'État accordan; l'asiie, cette mesure, pour avoir
étéconcédéedans des conditions parfaitement régulières, doitdonner
lieu à la sortie du réfugié. Nousi'avons démontré à la Cour dans le
Mémoire et la Réplique. Il est de toute évidence que l'asile interne
ou diplomatique n'a d'autre but que de mettre en siireté l'homme
qui doit se troiiver hors de l'atteinte de ses persécuteurs ;et il est de
toute évidence aussi que, sans la garantie exigéede 1'Etat territorial,
l'asile interne deviendrait en quelque sorte le régime de la prison
diplomatique.
Or, nous avons dit ndans le cas concret matihre du litige" parce
que nous estimons que la Cour doit apprécier les faits tels qu'ils se
sont produits dans la réalité, à une date donnée - 3 janvier 1949 -
et à la lumiere aussi des dispositions de la Convention de La Havane
de 1928 sur I'asile. Et, pour ce faire, je suis l'ordre des articles de cette
convention.
L'article premier, alinéa 1,de cette convention oblige l'État colombien
à ne pas accorder l'asile aux personnes accusées ou condamnées fiou7
délits-de droit commun172 RÉPLIQUE DE nr. VASQUE2 (COLOJIBIE) - 6 X 50
M. l'agent du Gouvernement du Pérou (p. 13 du compte rendu
sténographique') affirme l'existence du procès pour délits communs
préalable à i'asil» dans le cas de M. Victor Raul Haya de la Torre.
M. le professeur Scelle a repris la même suppositiondans ses conclusions
de plaidoirie (p. 65 du compte rendu sténographique').
La Cour doit savoir une fois de plus que cette affirmation est inexacte
et ne correspond pas à la réalitédes faits, parce que :
1' L'ordonnance par laquelle le chef de la zone judiciaire, M.Rodriguez
(annexe 42 du Contre-Mémoire,p. 140). à la date du IO octobre 1948,
ouvre une instruction contre le réfugii, dit absolument le contraire,
et on lit :
R VUles ternes de la dénonciationampliativede M.le ministre de
la Manne qui précède ; et en conformitéde l'opinion de l'auditeur,
en l'avis dont les fondements sont reproduits: Que l'instruction qui
se poursuit devant cette zone pour le délit de rébellion militaire
résultant des événements du 3courant soit étendue aux civils qui
préc6dent. »
z0 Le document e) de l'annexe 42 du Contre-Mémoire, c'est-à-dire
l'ordonnance de séquestre des biens meubles et immeubles du réfugié,
dit encore :
N Pour le délit de rébellionmilitaire qui leur est imputé dans la
dénonciation. »
3" La sommation publiéedans lejournal officielduPérou du 16octnbre
1948, invitant les accusés à comparaître en justice, inséréesous l'an-
nexe 47 du Contre-Mémoire péruvienet qui a étéle dernier acte de
procédure effectué avant la date du refuge, c'est-à-dire le 3 janvier
1949, contient encore une affirmation contraire. En voici le texte :
e Lima, le mardi 16 novembre 1948.
Juitice militaire. - Zone de la Manne. - Amerigo Vargas V.,
commandant C. A. P. et juge d'instruction suppléant de la Marine.
En confornité des dispositions des articles 695 et suivants du
Code de justice militaire, au moyen de cette sommation publique
unique qui paraîtra trois fois dans les quotidiens de la capitale, je
cite, convoque et assigne les accusésdéfaillants :
Victor Raul Haya de la Torre.
Luis Rodriguez Vildosola.
Armando Villanueva del Campo.
...(suivent 57 autres noms) ....
à se présenter au cabinet du juge suppléant soiissigné, sis au
no 740 Soldado Desconocido, pour se défendre contre les charges
qui pèsent sur eux à la suite de l'instmction menéecontre eux pour
d6lit de rébellionmilitaire; les inculpéssont avisésqu'an cas où ils
ne déféreraientpas à cette injonction le procès sera poursuivi en
leur absence. - Lima, le 13 novembre 1948 - Amengo Vargas
V., commandant C. A. P., juge d'instruction suppléant de la Marine
- Emilio Llosa R., capitaine secrétaire. o
Voir p. rrz du présent volume.
* n rr48n r
a vol.1, p.24s. RÉPLIQUE DE M. VASQUE2 (COLO.VBIE) - 6 X 50
173
La Cour se trouve donc en face d'une affirmation faite sans preuve
par nos adversaires, quant à l'existence d'un procèsintenté pour délit
de droit commun, avant l'asile, contre hl. Victor Raiil Haya de la Torre.
Dans la partie juridique, M. le professeur Scelle a voulu s'intéresser
à la procédure criminelle de la République du Pérou. Toutefois, il y
aurait eu avantage à ce que cette matière fût développéepar un des
nombreux jurisconsultes de la République péruvienne ici présents, car
notre éminent contradicteur, dans une matière un peu nouvelle pour lui,
a avancé des notions dont il n'est pas difficile d'apprécier le caractère
erroné. Par exemple, page 55 du compte rendu sténographique 1,hl. le
professeur Scelle nous dit, en parlant du «fiscal$3,lec fiscal, en l'espèce,
c'est le juge d'instruction a,ce qui est contredit par les dispositions du
Code militaire du Pérou. Si le titre II de la section 1 a trait aux juges
d'instruction, le titre IV de la même sectionprévoitun ministère public
qui ne se confond pas avec le juge d'instruction. Or, 16 détail a son
importance, car si le juge d'instruction était en mêmetemps le « fiscal»,
les ordonnances du juge qui a citéle réfugié dans un procès pour rébellion
militaire auraient un caractère entièrement différent.
Il y a donc des lacunes très graves pour l'appréciation des faits ayant
donné lieu à ce litige, non seulement dans l'exposé sommaire de
M. l'agent du Gouvernement du Pérou, mais aussi dans la plaidoirie de
M. le professeur Scelle lorsqu'il a parlé du irsieur de la Torre ». Je
m'étonne. Dar exemvle. aue notre éminent adversaire trouve la liberté
d'esprit siiffis:lrilajiicontester <liiuIcstcrnicc , n,-CU&)et . coiicliiiiiii5
puissciit 11,1x1sawir uri.;cristr.'tiniqii,:<!ansI;~Coni~ciitic1cl.aH;ti.ane.
31.Ic rirofcssciir 5ccllc..il est \.rn,iclicrcli&iiiurileiiicnt des c'lL:riients
favorabîes à sa doctrine par une comparaison des textes de cette conven-
tion dansles diverses langues où elle fut approuvée, et, un peu désabusé,
il nous dit (p. 57 du compte rendu sténographique 1): « II faut aban-
donner la possibilité des éclaircissementssur ce point ....»Des éclaircisse-
ments, et on devrait lire des acontradictions B, cela ne l'empêchepas de
conclure : aet nous devons - dit-il- conclure aue le but du Traité
de rgz8 n'étaitpas du tout d'employer les termes «accusé a,ou caccu:a-
tion 3,encesens au'ilsauraient pour but defaire allusion àune institution
technique particÛli$re ». ~vidimment, avec la méthode ex crithedru
d'envisager les problèmesde droit, la jurisprudence n'est qu'un rêve.
II y a certainement une thèse que la Cour ne pourrait accueillir sans
changer. ie ne dis Das le sens de l'article oremier de la Convention de
La Kav'aAe,mais fa doctrine unive&elle Sur 1;s droits de l'homme et
le respect de la liberté. RI. le professeur Scelle. en effet, voudrait que
touteA«dénonciation u - mêmeémanant d'unjournaliste - soit Üne
accusation. La pensée de notre éminent contradicteur est si grave,
elle modifie à un tel point la notion de l'habeas corpus que je me per-
mettrai de souligner le teste de la page 54 du compte rendu sténo-
graphique ' :
NEn fait - dit-il -, une dénonciation est, au sens large, une
véritable accusation. Je ne peux m'empêcherde rappeler qu'au
moment de l'affaire Dreyfus, le fameux manifeste de Zola s'est
intitulé J'accuse et non pas «Je dénonce >ILes deux termes au
' Voir p. 145 du présent volume.
' n ~143~ > D . RÉPLIQUE DE M. VASQUE2 (COLO>IBIE) - 6 X 50
174
sens large du mot sont équivalents. 11 faut savoir si les termes
du Traité de 1928 doivent êtrepris dans un sens large ou dans
un sens technique. A mon avis, c'est le sens large qui s'impose,
car il serait impossible de faire une application du traité dans
un sens plus technique et plus précis. ii
Alors nous voici ramenéspar $1.le professeur Scelle à cette situation
que l'homme libre, l'homme sans peur et sans tache, qui se voit nommé
dans un sens ou dans un autre par un journal, est déjà un <raccusé n.
C'est une doctrine qui avait une certaine vogue avant la proclamation
des Droits de l'homme en 1789,mais nous ne savions pas qu'elle pourrait
êtrerappelée après. Sur ce point, M. le professeur Scelle ne peut pas
' nous convaincre, car le droit américain ne la connaît pas.
D'autant plus que le droit péruvien ne la connaît pas non plus.
L'habeas corpus est une notion qui fait partie de la législation de ce
pays, et dans ce sens je me borne à citer l'article premier du Code de
procédure pénale du Pérou, selon lequel le procès se déroule en deux
étapes :l'instruction et le jugement ;l'article 72 du même code,d'après
lequel l'instruction a pour objet d'assembler les preuves contre le
orévenu :enfin. l'article la6 de ce même code.oui,n.é- Ltle moment
0ù l'instk~tion'~ourra êtredéclaréeterminée. Où donc peut-on trouver
cette doctrine ? Tecrains fort qu'elle ne soit oas la doctrine de l'homme
libre, mais de l'homme enchafnk !
Je ne sais pas si, peut-être,la thèse péruviennesur la culpabilité de
M. Victor Ra61 Haya de la Torre se trouve fondéesur la soi-disant com-
plicitédu réfugiédans un trafic de cocaïne ;M.l'agent du Gouvernement
du Pérou, page 23 du compte rendu sténographique 1, a rappelé cette
accusation imaginaire pour nous signaler l'existence d'une photographie
où trois personnes apparaissent : Eduardo Balarezo, « chef »,dit-il,u de
la bande internationale pour trafic de stupéfiants » ;Enrique Aguila
Pardo, a chef du soulèvement »,dit-il encore, et Victor Raul Haya de la
Torre. Je n'ai pas l'intention d'engager un débat devant la Cour interna-
tionale de Justice sur le caractère probatoire d'une photographie.
Par contre, il est demon devoir de lire deux documents que nous avons
déposésau Greffe et quidétruisent l'hypothèsedela complicitédu réf51gié
dans un trafic semblable. Ils portent la signature du secrétaire d'I.3tat
adjoint des Etats-Unis et - fait important à relever- ce fut une confé-
dération ouvrière de ce pays, I'American Federation O/ Labor, qui prit
la défense du réfugié.
Le premier document est une lettre adresséepar M. Romualdo Serafino,
de 1'American Federation of Labor au secrétaire d'État adjoint des
Etats-Unis. En voici le texte :
tWashington, II avril 1950.
Cher Monsieur Miller,
J'ai été dûment informé que Ultima Hora du 3 février 1950
et El Conzerciodu 9 février 1950, tous deux de Lima, ont publiéce
qui était des prétendues lettres des 27 mai et 30 août 1949 de
M. Garland \I'illiams, superviseur des stupéfiants dans le distqct de
New-York, adressées àM.N. J. Anslinger, le commissaire des Etats-
Unis pour les stupéfiants. Ces lettres contenaient des déclarations
1Vair p. rr7 du présent volume.sui\.;int Ic~qiiellrsE<liiiiiiHnyn Je Inforrr a\.;iit t;t6iintimenieiit
3ssix:ié» nt1tr;ific pl'nivicn (lc In cocaiit:t<:llciiiipli<luai~iitnussi
<iiic\ ictor I(nuI Iln\,a clc13 Torre Y 6t;iit ir.ilemc.iit comiiromis. le
remarque certaines ;riexactitudes ividentei dans ces 1e:ttres. ~>r
exemple, Victor Raul Haya de la Torre n'a pas n visitéles Etats-Unis
à bord d'un bateau de guerre péruvien nonidentifié iimais il est
arrivé et parti par la Pan-American lVorld Aimays et la Perlcuian
I?zlernutionul Aimays, comme il pourra être facilement vérifié.
Par conséuuent.ail siiiet du contenu de ces lettres. il va évidence
q~i'*;ll~:cioiiti~iiiit-lit 11,; il~:il:iritiIn fuis incx.t;t~.ii:r iioii
\'c:rifiCi.sl.n ilt:liori de; I'cru\.iciis iiiciiti.,iin6..dani Ii.; l~ttrcs. qiii
oiitit<:trniluit> et con(lamiit:scIe\.;iritles rril~iiii1c.I::rars-Unis,
elles contiennent par contre [les accusations malveillantes et
inexactes à l'égard de la réputation de Péruviens éminents avec
lesauels laFédérationaméricainedu'rravail a noursuivi des relations
cordiales et efficacespendant un certain nombre d'années.
Afin que la réputation d'éminentsamispéruviensde la Fédération
américaine duATravail ne soit nas iniustement atteinte Dar la
publication des lettres susmentipn&es, je voudrais savoir si i'inter-
prétation que j'ai donnée à ces lettres telle qu'eue a étéprécédem-
ment expriméeest substantiellement exacte.
Bien sincèrement à vous.
(Signé) SERAFINO ROMUALDI,
Délégué pour l'Amériquelatine,
American Federation of Labor.
M. Edward G. Miller, Jr.,
Secrétaire d'État adjoint,
Département d'État.
Washington, D. C. a
Voici la réponse :
«Département d'État,
{Vashington.
Le xer mai 1950.
Cher hfonsieur Romualdi,
Nous avons considérétrès attentivement votre lettredu II avril
1950 concernant les lettres publiées dans la presse de Lima et
qui semblent impliquer des l'éruviens éminents dans le trafic
international de cocaïne.
Je suis informé que l'interprétation de la situation, telle qu'elle
a étédonnée dans votre lettre, est substantiellement exacte.
Bien à vous,
(Signé)EDWARD G. ~IILLER,JI.,
Secrétaire adjoint.
hl. Serafino Romualdi,
Délégué pour L'Amériquelatine,
American Federation of Labor.
gor, Massachusetts Avenue, N. IV.,
Washington, D. C. u Nous avons aussi présentéau Greffela copie du passeport de M.Victor
Raul Haya de la Torre. Je me bornerai tout simplement à dire que ce
passeport était en vigueur A ce moment. M. Victor Raul Haya de la
Torre se serait trouvé à New-York à deux reprises, aux mois de janvier
et mars 1948. Il s'y serait rendu par la voie des airs, c'est-à-dire au
moyen de la Pan-American 1Vorld Ainniays et de la Peruvian Inter-
national Aivways, ce qui confirme entièrement la version de M.Serafino
Romualdi et celle de l'honorable M. hliller, secrétaire d'Etat adjoint.
Je dirai un mot sur l'assassinat de M. Francisco Grafia Garland.
J'ai dit dans ma plaidoirie que le Gouvernement colombien ne peut
pas se prononcer sur ce fait. Je le répèteencore une fois, et je m'étonne
que M. l'agent du Gouvernement du Pérou ait voulu souligner que
(ila défensede la Colombie a passécomme sur des charbons ardents ,,
(p 24 du compte rendu sténographique'). Je m'étonne encore qu'il
ait avancé cette phrase que ala défensecoloinbienne se borne à dire
que la responsabilité de l'asile n'est qu'une présomption d'ordre général
à laquelle elle ne reconnaît pas de fondement ».
Ten'ai iamais urononcécette affirmation. et ie doisfaire remarauer A
de ne Daschaneer le fond-de ma ~enséê.
Hien ,1111inl1x,rl;ilt<SIl.,tl~rt~sticl?no; ol)Iigatini~intt-r11.ilio~1.îles
rCjl>cctivcs.1.c~iiii\~crilcnleritci~i~iiliticprct :;icinlillliir sr; cirvoirs
ai& aue les oblieations aue la Cour Dourra bien lui sienâler en matière
d'asile. Le ouv verne m de nt'n piYs ne désirequ'une'chose :que la
Cour nous fixe très clairement nos droits et devoirs respectifs. Je
remarque dans les thèses du Gouvernement du Pérou une tendance à
le cas de M. Victor RatIl Haya de la Torre.n pouvoir discrétionnaire dans
Et c'est de la sorte qu'il nous appartient de savoir si le Gouvernement
de la République du Pérou, qui reconnaît avoir ratifié la Convention de
La Havanede 1928sur l'asile,et qui a accepté,de ce fait, une compétence
internationale en faveurde ses agents diplomatiques à l'étranger,entend
refuser ou non aux agents diplomatiques d'un pays souverain de jouir
d'une compétence semblable.
Monsieur le Président, Messieurs de la Cour, le proces devant la Cour
internationale de Justice a un sens très préciset très net. Le Gouverne-
ment colombien vous demande de dire si, selon le droit conventionnel
en vigueur entre les Parties; selon les principes de l'asile et ceux du droit
international américain, il a le droit d'exercer une compétence pour
qualifier la nature du délitdu réfugié,M. Victor Raiil Haya de la Torre.
Le Gouvernement colombien vous demande, en outre, de reconnaître
que adans le cas matière du litige ,l'asile de M.Victor Raul Haya de la
Torre à l'ambassade de Colombie ALima. Dour avoir étéaccordédans
des conditions parfaitement réguliitres,d&i donner lieu à la sortie du
réfurié,l'inviolabilité de sa personne étant respectée. Voilàle procès,
voila la cause que vous avei à juger.
Nos adversaires, à plusieurs reprises, ont voulu prolonger la durée
de nos débats, et c'est en ce sens qu'il faut considérer la nouvelle
' Voix p. 117 du présent volume. RÉPLIQUE DE hl. VASQUEZ (COLOMBIE) t 6 x 50
177
demande reconventionnelle formulée par le Gouvernement du Pérou.
M. le professeur Yepes, en sa qualité d'agent du Gouvernement colom-
bien, a exposé ce matin à la Cour les motifs juridiques par lesquels
cette nouvelle demande est irrecevable. Je n'ai rien à ajouter à la
démonstration de mon éminent confrère, mais je dois souligner un
point :
Avez-vous remarqué que la demande reconventionnelle du Gouver-
nement du Pérou vise l'article z,premièrement (inciso @rimera),de la
Convention de La Havane sur l'asile de 1928 ? Je me permettrai de
vous rappeler ce texte :
«Premièrement. L'asile ne pourra être accordé sauf dans des
cas d'urgence et pour le temps strictement indispensable pour que
le réfugiése mette en sûreté d'une autre manière. »
Je tiens tout simplement à attirer l'attention de la Cour sur le fait,
pour le Gouvernement du Pérou, de se placer par sa demande dans
cette situation contradictoire : il nous refuse les garanties nécessaires
pour la sortie du réfugiéet nous accuse de prolonger le refuge. Il nous
ferme ainsi la porte de notre ambassade et nous demande de l'ouvrir.
Voilà, en quelques mots, cette erreur monumentale, ce bout de phrase
que l'on a ajouté à la demande reconventionnelle.,
J'aurais scrupule à exprimer d'autres considérations sur la marche
du procès si, malgré la solennité de cette audience et la majesté dont
votre haute juridiction est entourée,je n'éprouvaisde la surprise devant
l'attitude de M. le professeur Scelle, prenant position dans un débat
contre le n sieur de la Torre i,.
Ceci, évidemment, n'est pas pour faire griefà 3f. le professeur Scelle,
mais cette attitude, nous ne l'attendions pas de lui. Il y a cependant
un cotéhumain de l'affaire sans lequel ce procèsserait incompréhensible.
M. le professeur Scelle sait parfaitement qu'Émile Zola, dont il a
pourtant rappeléle nom danssa plaidoirie, n'aurait jamais étéinsensible
à la fermeture d'un journal politique, au séquestre de tous les biens
d'un chef politique, au châtiment d'un homme comme Haya de la
Torre, qui aime passionnément la liberté. Emile Zola ne parlait jamais
du «sieur Dreyfus » ;il disait plutôt<ile capitaine Dreyfus in.
Monsieur le Président, Messieurs de la Cour, nous vous demandons
de statuer sur un grand principe de droit international américain,
l'asile interne. Il se fait que de ce principe dépendra le sort d'un homme
actuellement réfugié ?Lnotre ambassade à Lima.
Nous sommes certains que ce principe correspond à une nécessité
juridique du continent américain, et sa reconnaissance ne peut pas
être plus explicite dans les traités qui sont la loi entre les Parties.
Nous croyons en outre que ce principe ne peut êtrerendu applicable
sans l'exercice de la compétencede l'Qat accordant l'asile pour qualifier
la nature du délit du réfugié.
Nous savons par ailleurs que le réfugiése trouvait dans des conditions
parfaitement régulières, selon les règlesjuridiques, lorsqu'il chercha
le refuge à l'ambassade de Colombie à Lima. Il doit donc avoir des
garanties pour sortir du pays.
Parmi les idées les ~lus belles et les lus hautes aue la civilisation
ait engendrées, nous ;oyons l'idéede justice.
Nous attendons votre justice. la sentence d6îiiiitive de la justice
internationale8. DUPLIQUE DE M. LE PROFESSEUR GEORGES SCELLE
(COSSEIL DU GOUVERSE>IEST DU PEROU)
I\ LA SÉAPICE PUBLIQUE DU 9 OCTOBRE 1950, AlATlN
Alonsieur le Président, .\lessieurs les Juges,
,Je répondrai aujourd'hui presque exclusivement i l'argumentation
préciseet courtoise du professeur Yepes sur le point de la reconvention.
Nous voici arrivés en effet à l'un des points les plus intéressants de
cette affaire, si fertile en controverses juridiques d'un grand intérêt.
Le professeur Yepes noiiç a dit qu'il contestait notre demande recon-
ventionnelle sur trois chefs:D'abord, du point de vue formel, en ce sens
que, telle qu'elle se présente aujourd'hui, elle diffère de la façon dont
elle avait étéexprimée dans notre Contre-Mémoireaprhs lequel, selon
la théorie du professeur Yepes, notre demande reconventionnelle ne
pourrait plus êtremodifiée.En second lieu et au fond, parce que la Cour
n'aurait pas compétence pour décider decette demande reconvention-
nelle. En troisième lieu, parce que cette demande ne présenterait pas
avec la demande principale le lien de connexité directe qui est exigé
par l'article63 du Règlement de la Cour.
Xous répondrons sur ces trois points.
Le professeur Yepes nous a dit qu'il avait pour lui tous les auteurs.
Je serais presque tenté de lui demander amicalement, lesquels ? Car il
ne nous en a cité qu'un, d'une grande valeur, ilest vrai, puisqu'il s'agit
du Président Anzilotti. Mais il a extrait d'un article du Président
Anzilotti un passage particulier sans le rattacher au contexte, ce qui me
parait êtreassez contraire à la règled'interprétation que lui-mfme a le
plus souvent défendue. Relisons donc, si vous le voulez bien, l'article 63
du Règlement :
iiLorsque l'instance a étéintroduite par requtte. une demande
reconventionnelle peut être présentée dans les conclusions du
contre-mémoire, pourvu que'cette, demande soit en coiinexité
directe avecl'objet de la requête etqu'ellerentre dans la comp6teuce
de la Cour. Si le rapport de connexité entre la demande présentée
comme demande reconventionnelle et I'objet dela requète n'est pas
apparent, la Cour, aprèsexamen. décide s'ily a lieu ounon de joindre
cette demande à l'instance primitive.II
Voilà le texte. L'institution de la reconvention n'apparaît pas exacte-
ment sous le même éclairageen droit interne et en droit international.
Cela tient simplement, comme toujours, à ce que les institutions ne sont
pas au mêmestade de développement dans les deux ordres juridiques.
L'institution de la reconvention est certainement comprise d'une façon
plus stricte dans le droit international que dans le droit interne, mais
l'interprétation la plus stricte de la notion de reconvention suffit complè-
tement à la défense de notre thèse.
Le fondement de l'institution est d'ailleurs le mêmeaussi bien en
droit interne qu'en droit international. 11s'agit d'abord de procurer au
défendeurun moyen de défenseautre que celui qui consiste à combattre DUPLIQUE DE M. SCELLE (PÉROU) - 9 X 50
'79
<Iirccrrm~.iitc3 reji:rer les c~~iicl~i;iue I':id\.cri;iirc. Ln rccniiv~!iition
a uiic:t~iti,iii~liruI>rt.>Ur1:iiliiellc10Ici .iulciir- noiis le vsrrons-
insistent. Il s'ad ensuite non uas seulement de procurer au défendeur
iinavÿiitngc l>.;rticiiliL.ret II.i~iiliciIcorCcli.lîsur~r 18iiitér;.t(13
justice et <lel'ordre ~~iil>liecn ;\,irant uiic poisil>: c coiitr3riCtéciirrr
deus jugements et en faisant l'économiede ces deux instancesauxquelles
le professeur Yepes, vendredi dernier, nous a invités si généreusement.
En ce qui concerne le fondement interne de l'institution, je renverrai,
sans autre, au grand traité de procédure civile de Glasson et Tissier
(volume 1, chapitre 12, section z, pp. 601 et suivantes. et 3me partie,
chapitre 4, pp. 722 et suivantes). On y lit :
«Il n'est pas suffisant de dire, comme on le fait souvent, que la
demande reconventionnellea icipour but d'anéantirou de restreindre
les effets de l'action intentée Dar le demandeur. Cette formule ne
va pas assez loin. Il faut diré que la demande reconventionnelle
tend, non seulement àanéantir ou restreindre la demande principale,
mais encore à procurer au défendeur un avantage distinct et
indépendant du rejet de cette demande ....>, (P. 608.) C'est la
théorie de l'autonomie.
Plus loin,à la page 610, on lit:
«Il rbsulte de là que le défendeur aussi bien que le demandeur
peut former une demande connexe à la demande primitive dirigée
contre lui et laporter devant le mêmetribunal afin que les deux
demandes soient instmites et jugées ensemble, dans un seul et
mêmearrêt. 1)
En droit international, la notion est exactement la même.Je me
réfèresur ce point à l'article du Président Anzilotti, où on lit:
cL'élément communaux diverses législations - j'insiste, c'est
l'analyse de l'institution dans son ensemble, en droit comparé -
qui accueillent la notion de demande reconventionnelle est que par
cette demande le défendeur tend à obtenir en sa propre faveur,
dans le méme procèsintenté par le demandeur, quelque chose de
plus que le rejet des prétentions du demandeur, de plus, par
conséquent, quel'affirmation juridique sur laquelle se base le rejet. u
Ce sont presque les mêmestermes, chose curieuse, que dans le grand
traité de procédurecivile de Glasson et Tissier :
n Telle est sans doute la demaiide reconventionnelle dont ~arle
l'article 40 de la Cour permanente [article 63 de la Cour internatio-
nale de lusticel. La Cour, dans son arrêtno 13 (affaire de Chorzdw),
a relevé:dans [es conclusions Dar lesouelles le Gouvernement ~olo-
nais demandait la remise des &ions he la Société~berschles~che,
une demande reconventionnelle, car elle tend à condamner la partie
demanderesse à une prestation envers la défenderesse. i,(Ce texte
est repris d'un article du Président Anzilottidans la Rivista generale
di Diritto internazionale, 1929, p. 309.)
Par ailleurs. le l'résident Anzilotti insiste sur l'autonomie de la
demande re~o~vciitionnelle vis-à-vis dc la demande principale. Voir sur
ce point aus pages 875 et 876 du mêmearticle.180 DUPLIQUE DE 11. SCELLE (PÉROU) - 9 X 50
Witenberg, dans le livre capital que nous connaissons bien sur la
procédure et la sentence internationale, est tout aussi clair et précis :
IIPar la reconvention, le défendeurtend à obtenir plus que le rejet
de la demande diride ..ntre lui. Il attend un avantaee Dosi-.f du
jugcnii.nt... 1.3reconvcntiiiii cst-clle ;iilini?c.cil droit int~:rii;it?oii;il
\ICrigiil,ac s'vst pro~ioiicc d~5j:ipuUr I':~ilirniati\~~.II invo<]u~
I'6oiiitE.I'iiitt-ntion nrob;it>lt.des u;irtiesil di-acc uiic v6rit:~ble
obfigation morale, ... doncun @n'de temps, de<oÜmettre les deux
affaires aux mêmesarbitres. »
II cite ensuite, page 124. un grand nombre de précédentssur lesquels
je n'ai pas le loisir de m'étendre.
Les mémesopinions sont expriméesdans l'ouvrage du juge Hudson,
aux pages 500 et 574, car il en parle deux fois : il en parle à propos de
la l~a~ ~n de laDrocédureet il en oazle é~Ulement .roD,sde la modifi-
cation éverituelledts conclu~ioiis.i'oiln, ji ]C puis emplo!.er I'csprcssioii
de mon collPgiieet :ilni \1. i'i:l~?s,de gr:iridcj autoritCs qui si>nttoutes
<I:iiile mCmc seris cn cz qui concerne Ic fondcniciit dc l'institution.
vabilité, nous verrons quesonlà aussi il y a une grande similitude, quoiquee-
moins apparente, entre le droit international et le droit interne.
En droit interne, la jurisprudence - tout au moins la jurispmdence
française - admet pour le juge la plus grande latitude en cequiconcerne
la recevabilité. Pourquoi ? Parce qu'elle considère que la connexité ou
la non-connexité sont des questions de fait : par conséquent, le juge en
dispose librement.
En droit international, la question se présente différemment. Le
précieuxarticle de M. Anzilotti nous renseigne sur les conditions dans
lesquelles l'institution s'est introduite en droit international, c'est-à-dire
dans le Règlement de la Cour. Nous savons que le Président Anzilotti y
joua le rBle capital. Il s'inspira d'ailleurs du Code de procédure civile
italien, quiest plus restrictif, et il admit en principe qu'il ne peuty avoir
de demande reconventionnelle lorsque la Cour est saisie en vertu d'un
compromis. Cette disposition, qu'il avait fait introduire dans l'article 40,
se retrouve textuellement dans l'article 63. L'explication en est facile.
Tousles auteursadmettent que, s'il existe,un compromis, par hypothèse
les parties ont strictement définil'objet du litige, et la Cour est obligée
de s'v tenir. C'est eut-être contestable. On pourrait tout aussi bien
adméttre la notion i'nverseet déclarerque si le compromis n'a rien prévu
en matière de demande reconventionnelle, c'est qu'il l'admet implicite-
ment. Mais nous n'avons pas à savoir ce qui serait logique ou ce-qui ne
serait pas logique. L'article 63 n'admet pas la demande reconvention-
nelle lorsque l'affaire a étéintroduite sur la base d'un compromis. Pour-
quoi ? C'est parce qu'en droit international, la juridiction proprement
dite n'est pas aussi évoluée qu'endroit interne et que I'on considère
qu'il y a dans l'introduction d'une affaire par compromis quelque chose
d'assez voisin de l'arbitrage. Or, si Mérignhac,qui s'est conduit, comme
dans beaucoup de cas, comme un véritable précurseur, admettait la
demande reconventionnelle en matière d'arbitrage, nous devons recon-
naitre qu'il était dans la minorité. Le professeur Yepes nous a cité DUPLIQUE DE al. SCELLE (PÉROU) - 9 X 50 181
l'opinion de l'Institut de Droit international qui repousse également,
en matière d'arbitrage, la reconvention. Mais il a oublié de nous dire
que cela se passait à la première réunionde l'Institut de Droit interna-
tional, c'est-à-dire en 1875, que l'on a fait depuis quelques progrès et
que, d'ailleurs, nous avons un texte, l'article 63 du Règlement, devant
leauel il n'v a au'à s'incliner. Il v a auiourd'hui des auteurs aui sont
b&ucoup moins'stricts. Le juge Hudson: à la page 500 de son Golume,
écrit :rrLorsqu'une affaire est introduite devant la Cour par compromis,
les questions~soumises énoncent en général, sinondans tous les cas, les
demandes de toutes les parties ;le problème desdemandes reconvention-
nelle ne se présentera donc que rarement dans ces cas. D Vous voyez
que Hudson n'admet pas, d'une façon décisive, qu'il nepeut jamais y
avoir de demande reconventionnelle lorsque l'affaire est introduite sur
la base d'un compromis. Mais enfin, ie.,épète.ue ceci n'est pas utile à
riotre cniije et qiÎe nous nous en triions .2l'article 63 (lu R&l6mrnt, qui
est fonirel :lorsque I'insttince;iAi. introduite par rcqu6te. uiir.dem;in(le
reconventionnelie peut êtreprésentée.
Si nous passons maintenant aux autres considérations relatives à
la recevabilité, il en est une formelle, je veux dire de forme, sur laquelle
M. le professeur Yepes a beaucoup insisté : selon l'article 63, il faut
que la demande soit présentée dans les conclusions du contre-mémoire.
Le texte dit ipeut »et non s doit iiiiLorsque l'instance a étéintro-
duite par requète, une demande reconventionnelle peut êtreprésentée
dans les conclusions du contre-mémoire ...,,
On pourrait faire ici une chicane de mots. Je vous en fais grâce.
Mais nous remarquerons que l'article du professeur Anzilotti ne semble
pas attacher à cette condition de forme une importance aussi considé-
rable qu'on voudrait nous le faire croire. Traitant de l'autonomie de
la demande reconventionnelle. le ~rofesseur Anzilotti dit : oDans ce
cd<.le contre-mhoire t.5eii nii,niet&mps urincte introiluctif d'irrstaii1,.
et l'on sait que les actes iritrodiictifs d'iristnnce sont de iiaturcs diverses
et que la procédure n'est pas généralement formaliste à leur égard et
les admet d'une façon très liberale à n'importe quel moment. Suivant
le Président Anzilotti, dans ce cas le contre-mémoire est donc en même
temps un acte introductif d'instance. Il ajoute plus loin :
n On peut se demander si le moyen prévu par le Reglement,
pour introduire la demande reconventionnelle, est obligatoire ou
simplement facultatif pour le défendeur. A cet effet, il faut dis-
linmer. La dis~osition est. sans nul doute. oblieatoire dans le
se& que la non-'présentationde la demande reconvëntionnelle dans
le contre-mémoire exclut la possibilité de l'introduire plus tard
dans le même ~rocès.elle uouria seulement faire alors l'obiet d'une
instance prop;e. ~a; confre, il ne semble pas que le ~'eglement
doive être interprété dans le sens de l'impossibilité d'introduire
la demande reconventionnelle par acte séparé, antérieurementau
délai fixépour la présentation du contre-mémoire, pourvu que la
cause principale soit déjà pendante ...»
On voit d'après ces paroles que le Président Anzilotti était loin de
poser en principe la rigiditéd'interprétation littérale que M.le professeur
Yepes nous a proposée. Mais s'il nous propose cette interprétation
rigide, c'est parce qu'il prétend que le dernier membre de phrase de
notre reconvention, qui a étéajouté, constitue une seconde demandereconventionnelle et que celle-ci n'aurait pas figuré dans le Contre-
hlémoire. Xous reviendrons plus à loisir sur ce point.
Mais passons à la troisième condition de recevabilité selonl'article 63.
C'est que la demande reconventionnelle rentre dans la compétence de
la Cour. Selon notre honorable contradicteur, la Cour ne serait pas
compétente sur la demande recoiiventionnelle parce que sa compétence
a étéfixéepar I'article I de l'Accord de Lima.
lieportons nous à cet Accord de Lima. L'article I dit que les pléni-
potentiaires respectifs se sont rEunis n pour négocieret pour souscr/re
les termes du document compromissoire par lequel devra êtresoumise
i la Cour internationale de Justice la controverse qui a surgià l'occasion
de la demande de l'ambassade de Colombie i Lima tendant à obtenir
l'expéditiond'un sauf-conduit pour hf. Victor Raul Haya de la Torre r.
Mais où est le compromis ? L'Acte de Lima constate ensuite, malheu-
reusement : «qu'en raison du fait qu'il n'a pas étépossible aux pléni-
~otentiaires du Pérou et de la Colombie de ~arvenir à un accord au
Sujet des termes dans lesquels ils pourraient :oumettre conjointement
à la Cour internationale de Tusticele cas en discussion ....ii(autrement
dit en l'absence d'avoir pu Céaliserun compromis) «....ils conviennent
que la procédure .... pourra êtreengagée à la demande de n'importe
laquelle des deux Parties ...n
II résulte de ce texte que la compétence de la Cour ne dépend pas
uniquement ni mêmeprincipalement de l'Accord de Lima. Elle résulte
de la requête, puisque le prétendu acte compromissoire n'a jamais pu
intervenir.
Ca compétence de la Cour résulte de la requête, et, si nous lisons
l'article 63 du Règlement, nous verrons qu'il y est stipulé par deux
fois que la liaison de la demande reconventionnelle avec la demande
principale doit etre basée sur les termes de la requ6te :
<iArticle!63. - Lorsque l'instance a tté introduite par requête,
une demande reconventionnelle peut être présentée dans les
conclusions du contre-mémoire, pourvu que cette demande soit
en connexité directe avec l'objetde lnreqa~ê te qu'elle rentre dans
la compétence de la Cour. Si le rapport de connexité entre la
demande présentée comme demande reconventionnelle et l'objet
de In reqziêt e'est pas apparent. la Cour ...o
Voilà ce que dit l'article 63 et voilà ce que signifie l'Acte de Lima.
Au surplus, sur cette question de la compétence, voici comment s'expri-
mait le Président Anzilotti :
R La question qui se pose est la suivante: la compétence de
la Cour pour statuer sur la demande reconventionnelle doit-elle
être basée sur le titre mêmeservant de base à la compétence
pour statuer sur la demande principale, ou peut-elle êtrefondée
aussi sur un titre différent ?
Bans l'arrêt no 13, la Cour a retenu que sa compétence peut
êtrebasée sur un titre autre que celui en vertu duquel elle est
compétente pour statuer sur la demande principale :lacompé-
tence Dour statuer sur la demande d'indemnité du Gouvernement
allemand se fondait, en effet, sur l'article 23 de la Convention
qu'elle pouvait statuer surr Iridemandi en remise dés actionsnous, DUPLIQUE DE AI.SCELLE (PÉROU) - 9 x 50 183
introduites par le Gouvernement polonais en vertu du consente-
ment des parties. u
Je continue à citer le Président Anzilotti, car vraiment, à l'ombre
de qui pourrions-nous nous réfugier d'une façon plus siire ?
cLa thése selon laquelle la Cour devrait être compétente en
vertu du mêmetitre que celui pour lequel elle est compétente
pour statuer sur la demande principale ne trouve aucun appui
dans les termes mtmes de la disposition. Elle ne pourrait se
justifier qu'en vue d'établir une connexion plus étroite entre la
demande principale et la demande reconvent~onnelle ....Mais si
l'on examine ce motif de plus près, l'unitédu titre de compétence
ne garantit pas du tout cette connexion. a
Glasson et Tissier, pour en revenir au droit interne, disaient de
même, à la page 609 :
«Une demande reconventionnelle est toujours recevable si elle
est un moyen de défense à la demande principale. Peu importe
qu'elle ne procède pas de la mêmecause ou qu'il n'y ait pas de
connexité...J)
(Nous n'allons pas si loin.)
«Eile peut êtrebasée sur un autre contrat que celui invoqué
par le demandeur. C'est ce qu'on appelait jadis la reconvention
ex disfiari causa. Elle a pour objet de rendre la condamnation
demandée impossible ou de la faire réduire, elle est recevable. u
Sur ce point. je crois qu'il est parfaitement démontré que le droit
interne et le droit international sont entièrement d'accord.
*
Nous voici, au contraire, Messieurs, en présence d'une divergence
du droit interne et du droit international, je veux parler de ce qui
concerne la connexité.
Nous venons de voir qu'en droit interne une demande reconvention-
nelle peut être admise mêmeen l'absence de connexité, tout au moins
le lien de connexité peut êtreextrêmement lâche.
Le professeur Morel, que nous avons cité dans notre Duplique,
page 33 ',dit :
«A la différence de la litispendance, la connexité ne suppose
pas la réunion de conditions précises. C'estaux juges qu'il appar-
tient d'apprécier souverainement dans quel cas il y a intérêt
soumettre les deux affaires aux mêmes juges. »
C'est que l'auteur français se place surtout dans l'intérêtde la '
reddition d'une bonne justice. tandis qu'en droit international la Cour
se placera surtout dans la contemplation de la volonté des parties.
Le professeur Morel continue :
nIl y a certainement connexité lorsque deux demandes ont
un ou plusieurs élémentscommuns, l'objet etla cause luridiques,
OU llun desdezlxser~lemen.t...mais les auteurs et les arrèts entendent
la connexité dans un sens tr&slarge. Les demandes sont traitées
' Voir vol. 1, p427.
13 1~4 DUPLIQUE DE M. SCELLE (PÉROU) - 9 X 50
comme connexes lorsqu'elles sont liéesentre elles par un rapport
si étroit qu'il y a intérêt à les instruire et juger ensemble. 11
Le droit international exige davantage. Cependant, l'article 63 ne
va pas jusqu'à exiger l'indivisibilitk des deux demandes. L'indivisibilité
est une connexité renforcéequi rend non seulement utile. mais néces-
saire, inévitable, de juger les deux prétentions ensemble. Ce n'est
pas le cas.
La Cour - nous y reviendrons - aurait pu juger la question de
droit abstrait qui lui a 6té soumise : y a-t-il ou non qualification
définitive,etc. ? sans se prononcer sur la légalitéde l'octroi de l'asile
et son maintien. Alais l'article 63 exige iine connexité directe, et, selon
le juge lfanley Hudson :
iiIl faut entendre par demandes recoiiventionnelles directes
celles qui naissent des faitset négociationssur lesquels se fondent
les revendications du demandeur. ii
Or. il n'est Das douteux orie le fond du litiee uel ou'il a. à notre avis.
évolié,non d'après laréquêtem , ais en fait, aujourd'hui sur la
validité ou la non-validité de l'octroide l'asile.
La connexité est d'une évideiicetelle qu'il me paraît presque oiseux
d'yinsister. C'est bien certainement la même affaireque les deux Parties
ont voulu faire juçer, c'est-à-dire la régularitéde l'octroi et du maintien
de l'asile accordéau sieur de la Torre.
La Réplique colombienne et la plaidoirie du professeur Yepes, en
contestant cette connexité évidente. poursuivent un but bien déterminé.
Ils soutiennent aue. dans sa rédac6on actuelle. notre demande recon-
de la détermination de botre cornpé'tence.Nous croyons, nous, que C'est
la Cour qui est maîtresse de sa compétence en ce qui concerne notre
demande reconventionnelle.
Je dis inotre », et non pas «nos 8, demande reconventionnelle, car,
en réalité,il n'y en a qu'une. M. Yepes a parléde notre demande recon-
ventionnelle de mars ~gjo et de celle du 3 octobre 1950. Les quelques
mots que nous avonsajoutés :. ....et qu'en tout cas le maintien de l'asile
constitue actuellement une violation dudit traité iisont une incidente
explicative et non pas une adjonction.
Nous nous sommes suffisamment étendus siir ce point que l'asile est
un tout. Il n'y a pas, conime on le dit de l'autre côtéde la barre, une
création continue, àmoins de prétendre que l'asilese renouvelle à chaque
minute du jour et de la nuit. L'asile du 3 janvier 1949 et l'asi!e du
9 octobre 1950 sont exactement le même asile. C'est le mêmf eait qui
continue. Les textes que nous avons cités parlent concurremment et
cons~~~ ~ ~ ~ ~ -~~~roi et du ma~n~ ~ --- l'~sile. Si l'on voulait
absolument que nous parlions latin, nous dirions :errare humanum est,
fierseverarediabolicum, ce qui veut dire, en l'espèce,que l'asileconstituait DUPLIQUE DE 11.SCELLE (PEROU) - 9 X 50 185
une erreur au moment de son octroi, mais que son maintien est devenu
un entêtement pervers. C'est ce que nous avons voulu souligner par le
mot Nactuel ».
Nous ajouterons que, même s'il y avait une modification de l'asile
- ce que nous nions -, notre demande reconventionnelle n'en serait
Das moins recevable. C'est un uoint acauis. en effet. aue les conclusions
des parties peuvent être modifiées juGu'à la clôt"re de la procédure
orale. Or, ces conclusions fontpartie de la procédure orale et les demandes
reconventionnelles font partie des conclusions.
Sur ce point, nous nous coiitenterons de renvoyer à l'article extrême-
ment intéressant de M. A. H. l'eller, membre du Bureau de l'lnleri~ational
Research de l'université de Harvard etl'un des directeurs de la Division
juridique de l'organisation des Nations Unies, article paru dans l'Amer-
icait Jozrrtzal (volume 25, 1931. pp. 490 et s.).
A la page 493. sous le titre cAmendment of conclusions n, l'auteur
fait une analyse serréede la jurisprudence de la Cour, que je ne prétends
pas à mon tour analyser, ce qui alourdirait inutilement les débats. Je me
contenterai de renvoyer aux conclusions, à la constatation finale de
l'article selon laquelle c'est sur lesoiiclusions des parties que se fonde
la Cour dans son examen de l'affaire et qu'elle ne statue que sur les
points de divergence qui y sont énoncés.Ce que la Cour exige avant de
statuer - et c'est infiniment légitime-, c'est que chacune des parties
ait été à mêmede prendre connaissance complète des conclusions de
l'autre et en situation d'y répondre. II est évident que ces conditions
sont actuellement remplies.
Sur ce chef, la doctrine deM. Feller- et nous ne nous en étonnerons
pas - est entièrement corroboréepar celle du juge Hudson dans l'ouvrage
que nous avons cité, où on lit:
N La mesure dans laquelle il est loisible d'amender ou de modifier
Dar la suite des conclusions. une fois celles-ci déoosées.Deut soulever
;ne question complexe. ïjans l'affaire des iitérèts'allemands en
Haute-Silésie polonaise, les conclusions formuléesdaiis les requètes
du Gouvernement allemand furent modifiées au cours de la irocé-
Cette manière de procéder étéconservée par la suite, bien que la
Course soit réservéle droit d'indiquer aux parties les formes et
délais dans lesquels elles devraient finalement conclure ...»,
ce qui n'est pas le cas dans la présente affaire.
Le juge Hudson poursuit ainsi :
«Dans l'affaire relative à la dénonciation du traité sino-belrre. le
demandeur fut autorisé à modifier ses conclusions primitives avant
l'expiration du délaiqui avait étéimparti au défendeur pour le dépbt
de ion contre-mémoire.
Dans l'affaire de l'usine de Cliorz6w. le demandeur présenta dans
son mémoire des conclusions destinées à remplacer celles qui avaient
été formuléesdans la requête ....,etc. Dans cette affaire également,
la Cour a admis la facultépour les parties de modifier, conformément
aux précédents établis, leursconclusions primitives, non seulement
dans les mémoires et contre-mémoires, mais aussi dans les pièces
iiltérieures de la procédure écrite et dans les déclarations qu'elles
pourraient faire au cours des débats oraux.. ..», etc.186 DUPLIQUE DE SI. SCELLE (PÉROU) - 9 x 50
On voit ce qui reste de l'argumentation de la Partie adverse sur le
caractkre tardif de notre incidente explicative. Mêmes'il s'agissait d'une
adjonction - ce que nous nions -, ces affirmations ne pourraient pas
êtreretenues.
*
Un dernier point, hfessieurs de la Cour, sur lequel je voudrais revenir,
bien que je l'aie déjà touché :c'est la raison d'êtrede notre demande
reconventionrielle.
1.e Gouverrieriient dii I'Croii;iur;iit p;irf;iitement pu scontenter dc
dcm:iirder le reiet iles <Ir:uspr;teiitions contenues d:inI:Ircqiii.teci)lorii-
bienne.
La requêtecolombienne, en effet, se présente sousune forme piirement
abstraite. On demande à la Cour dedire sila qualificationest péremptoire
ou définitive. 11s'agissait, bien entendu, d'une qualification d'un agent
diplomatique du pays «asilant o.La qualification était-elle provisoire ?
S'ilen étaitainsi, il n'y aurait mêmepas de question !Un agent qui accor-
derait l'asile sans se préoccuper de savoir quelle est la nature du délit
et quelles sont les circonstances de l'affaire, se comporterait - si j'ose
dire - d'une façon elle-même c inqiialifiabl1).
Mais ce n'est pas li la prétention de la Colombie. La prétention de la
Colomhie. c'est que la Cour déclarequ'une fois cette qualification faite,
et pour autant qu'elle est soutenue par le gouvernement dont dépend
l'agent di~lomatiaue. cette qualification est définitive et au'aucune
contestatiôn ne p&t 'êtreéle;éecontre elle par le tern-
tonal ;.par conséquent,qu'aucune décisionarbitrale ou judiciaire ne peut
intervenir à son suiet. -
Sous prétendons,'nous, que cette qualification est toujuiirs provisi>irr
ou. comme on le dit en espagnol. pr6sumpti\.e. et que Ic gou\erncmcnt
temtorial. sous oeine de devenir in gouvernement vassal'du gouverne-
ment qiii accord; l'asile.a toujours ~edroit de Id cuntester et drrt'clarner
uii jugement. C'est pourqtioi, je \~us l'ai dit. la prétention colombiciiiie
n'éanrvaut à rien moins &'à COU Semander de Üroclamer votre incom-
pétêncedans ce domaine'et à proclamer en mémétemps l'incompétence
de Voilà ce aue ie dis. ce aue ie maintiens. le considère uu'il n'v a là
aucune « énÔrmiié »et'que ia &ose est extrêmement facile comp;endre
si l'on veut la comprendre. On a cherché à vous é~areren vous disant
que la Colombie ni demandait la reconnaissance daucune comdtence
<xclusive. Alors, je me demande ce que peut êtrela compétencêexclu-
sive, si ce n'est pas le droit de trancher une question litigieuse d'une
façon péremptoire et irréfragable l C'est une compétence eiclusive que
l'on vous demande de reconnaître, et je crois que l'évolution actuelle
du droit international et de la jurisprudence de l'O. N. U. n'est pas
favorable à l'extension des compétences exclusives.
A vrai dire, Messieurs, le Gouvernement du Pérou - je le répète -
n'aurait pas eu besoin de présenter de demande reconventionnelle,
n'était le désirde clarté aui l'anime. le désir d'enfinir avec un litige aui
empoisonne les relntioiis des ileux 1::lats.h'ouslurions pu ii(iirsroiitt:iitcr
de repousser les deus pr.\teiitiuris (Ir I:rïquetc colombic.iiiir. 1.- jirur
I-Ixpa(le la 'ïorre biiriiit pii rcstcr ind6iiiiimciit I'hUtedii (;iiii\.erncment
colombien saris qiic le (;ou\~crncmeiit piruvicii. rt-jpc-ctueusiIc.cc;i.iilç.
songcit A troubler ccttc villl:gi;iture. DUPLIQUE DE M. SCELLE (PÉROU) - 9 X 50 1~7
Mais un souci de clarté a animé le Gouvernement péruvien. Il veut
en finir avec ce petit jeu de cache-cache quidure depuis le début decette
procédure autour de la requéte.
La Colombie avait poséd'abord deux questions de droit pur, après
quoi elle a plaidéune pure question de fait: celle de la culpabilité ou de
la non-culpabilité du sieur Haya de la Torre. C'étaiten fait la véritable
question qu'on voulait faire juger. Les termes de la requêten'ont été
que le paravent. Si nous n'avions paç fait de demande reconvention-
ndéclarer incompétents pour juger de la culpabilité ou de l'innocence de
l'accusé,et mêmeaussi pour juger du caractère criminel des faits pour
leqouels M. Hava de la Torre est inculné.
-Le motif es&nliel pour lequel la démande reconventionnelle a été
faite. c'est pour vous faire déclarerqu'au moment où l'asilea étéoctroyé,
il n'y avaic pas pour l'accuséce danger matériel et passager qui résilte
des déchaînements de la foule, des troubles sociaux, de l'impuissance
du gouvernement ou mêmede la constitution d'un tribunal extra-
ordinaire, d'un tribunal de vengeance. C'est là le fondement essentiel
de notre demande reconventionnelle. Si ce danger n'existait pas, si ce
danger ne persistait pas, a fortiori, il n'y avait pas de raison d'êtrepour
l'asile. Par conséquent, c'est touàfait subsidiairement et en second lieu
que nous avons étéamenés à parler du point de savoir s'il y avait délit
de droit commun ou délit de droit politique, s'il y avait culpabilité du
sieur Haya de la Torre ou non. Cepoint est complètement, presque com-
plètement en dehors des débats. Nous aurions pu soutenir que vous
n'avez pas compétencepour le trancher.et que la seule question que nous
vous posions était celle de savoir si, au moment où l'asile a étéaccordé,
et à l'heure actuelle, il y a un danger de sécuritépoul' «sil» et si, par
conséquent, l'asile est ou non légitime.
Mais les débatsont pris une telle orientation que nous laissons entière-
ment à la Cour le soin de décidersur quel point elle veut ou non porter
sa décision,
*
Sur un point encore je voudrais me borner àéclaircirce que j'ai déjà
dit. C'estsur le point de savoir si oui ou nl' «siléipeut êtreconsidéré
comme un accuséau sens précisdu mot. Le Traité de 1928,je le répète,
ne peut pas avoir voulu exiger que la notion d'accusation fût considérée
comme une notion-type ou comme une notion-standard applicable à
tous les signataires du traité. On nousa parléde l'habeas cor$us. Nous
admirons plus que personne cette procédure de la vieille Angleterre.
Mais peut-on exiger qu'il n'y ait d'accusés,au sens précisdu mot, que
dans les pays où fonctionne la procédurede l'habeascor$zcs? Eu France,
au sens technique et étroit de la procédurecriminelle, il n'y a d'accusés
criminels que lorsqu'est intervenue la décisionde la Chambre des mises
en accusation. Messieurs, peut-on exiger que la procédure des Mises en
accusation française soit applicable dans des pays où on ne connaît pas
la Chambre des mises en accusation ?Voilà la question. J'en conclus que
la seule façon d'interpréter logiquement la Convention de 1928, c'est
de dire qu'il s'agit d'un accusétoutes les fois que la procédurerégulière
et en vieueur dans le uavs territorial a éténousséeiusau'au point où
elle pou';ait êtrepnusçéé,jusqu'au moment'où le p;oc&s criminel est
lié.Je crois qu'il est impossible de nier que cela a étéle cas en fait en ce
qui Concerne le litige ciont nous nous occupons.188 DUPLIQUE DE M. SCEI.LE (PÉROU)- 9 X 50
Je n'ai cité le fameux manifeste de Zola que pour montrer qu'il y
avait des cas où le mot iaccusé >devait ètre pris dans un sens large.
On m'a reproché cesujet d'avoir qualifiéHaya de la Torre de « sieur».
Je l'ai fait, je le fais encore aujourd'hui, parce que «sieur », dans la
procédure française, a une signification bien nette et qui n'est nullement
péjorative. Dans notre langage judiciaire, n sieur» veut dire plaideur
dans une affaire déterminée.Je n'aurais pas pu, bien entendu, qualifier
le sieur Haya de la Torre de capitaine ; j'ignore quel est son grade
dans l'active ou dans la réserve péruvienne.Mais il y a un autre terme
que j'aurais pu employer à bon escient :celui de rgénéralen chef in,
car c'est lui qui étaità la têtede la cohorte révolutionnaire qui a été
à l'origine des bvénements du 3 octobre.
J'en ai terminé avec la question de la reconvention.
II n'entre pas dans moi1 projet de reprendre ici la discussion de
l'affaire au fond. Elle a déjà duré de longues heures, et, s'il fallait en
refaire l'liistoire en détail, elle durerait encore très longtemps.
En ce qui concerne les discussions sur la coutume et les traités, je
n'insisterai pas davantage. Notre Contre-Alémoire s'est longuement
étendu sur les divergences des doctrines et des pratiques américaines
dans le domaine de l'asile. Je me borne à renvoyer aux pages 20' et
suivantes du Contre-Mémoire, où voustrouverez esposésnon seulement
les vues originaires de la Colombie, le fameux document 50 auquel
je me suis référé plilsieurs fois et qui contenait la doctrine officielle de
la Commission du ministère des Affaires étrangères colombien, mais
aussi les points de vue du Brésil,de l'Uruguay et du Chili. Je répète
qu'une plaidoirie n'a pas pour but de relire les documents écrits.
En ce qui concerne l'évolution des traités, nous n'avons pas nié
qu'il y ait eu pendant une certaine période une tendance des Etats
américains à assimiler l'asile interne au refuge externe. Mais nous
avons déclaré à maiiites reprises que le remède serait pire que le mal,
parce qu'il donnerait à tout État américain ledroit d'intervenir constam-
ment et d'une façon péremptoire dans la politique de ses voisins.
Mais on a jouéde l'équivoque.On a plusieurs foisprétendu assimiler
les deux catégories de refuge, et l'on nous a citB une phrase, une seule
phrase liminaire d'ailleurs, du répertoire de Niboyet et de La Pradelle,
qui ne prouve absolument rien, pour cette bonne raison qu'elle couvre
la fois le refuge territorial et le refuge extraterritorial, c'est-&dire
qu'elle n'établit aucune espèce de preuve de l'assimilation des deus
choses.
On nous a également, à plusieurs reprises, analysé de multiples
traités; mais plusieurs de ces traités étaient des traités d'extradition
et non Das dei traités d'asile,
Si maintenant nous en venons rapidement aux faits, c'est-à-dire à
la culpabilité, sous le chef de complicité,du sieur Haya de la Torre, on
en peut trouver LaDreuve éealement dans toute la suite de document:j
que'contient notre'contre-&moire et, en particulier, dans une lettre
fort intéressante du commandant Aguila' Pardo (folio 624 du cahier
IO/B du procèspour délitde rébellionet autres délits),dans laquelle cet
officier déclare attendre les ordres et le signal du sieur de la Torre en
tant que chef incontesté de la rébellion. (Voir l'annexe 35.)
'Vair vol. 1, pp.126 et ss. DUPLIQUE DE 31. SCELLE (PÉROU) - 9 X 50 189
J'en ai ici la teneur. Je ne veux pas vous en imposer la lecture. Je
citerai seulement ces dernières phrases adressées à Haya de la Torre:
ccJe me permets de vous suggérer que vous devez êtreprésent
au vavs Dour mettre la dernière main aux Dians finals et donner
desAo;dre'spour que tous les membres du Parti reconnaissent un
seul chef du mouvement et qu'il n'yait pas de confusions qui puissent
faire obstacle au succès'du mouvement. Pour ma pari, soyez
assuré....x
On vourrait soutenir que la rébellionmilitaire. dans son sens le vlus
g<ii>r:d,,'ils';igit ~I'uIn:~iirrc~ti~mcmtrc UII cilcf ~iiilit~~irouuin711~~~1
ioiitre le poiivoir civii~iii<,sIt clicf (II'.iiitiliiriii1ir;iirc<I:rulisIcs
vavs démocratiaues. veut être considéréecomme un délit de droit
coinmiin. La légklatioi pénale péruvienneest sur ce point particulière-
ment précise.Elle défère lecrime de rébellionmilitaire et tous les crimes
commis à l'occasionde la rébellionmilitaire aux mêmesiuee,-.aux mêmes
tribunaux, et elle les juge comme des crimes de droit commun. Sur ce
point encore. notre Contre-Mémoire, àla page 133',mérited'êtresouligné.
Je vous citerai notamment l'annexe 37 de notre Contre-Mémoire.qui
reproduit des articles du Code de justice militaire, loi no 8991 du
16 octobre 1939.
Voici notamment l'article 248 :
«Le.: délits de droit commun commis pendant le cours et à
l'occasion de la rébellion. seront unis en conformité des lois.
igire;t les rebelles, seront punis Comme tels. »
L'article IOO du Code pénal (loino 4868 du IO janvier 1924)dit à son
tour :
cSeront punis comme auteurs de délitsceux qui prendront part
à I'ext5cution.ou ceux qui intentionnellement décideraient un autre.
à le commettre, ou ceu; qui aideront intentionnellement avec leur
apport ou coopération, sans lesquels les délits n'auraient pu se
perpétrer. u
Ces articles semblent avoir étéécrits pour le cas du sieur Victor Raul
Haya de la Torre. Mais nous soulignons qu'ils l'ont étéen 1924 ou en
'939.
En outre. ,~ section VI1 du mêmeCode ~é-als'occu~edes incendies
volontaires, explosions provoquées, détention d'explosif~.fabrication de
bombes, utilisation de bombes contre les demeures varticulières, inter-
ruption descommunications ou des transports, provo&tions à lapanique,
meurtres, pillages, incendies, excitation à la perpétration de ces crimes,
etc., tous délitsqui sont incontestablement des délits de droit commun
et qui ont tous étéretenus dans l'accusation contre Rad1 Haya de la
Torre.
Enfin, jc répéterai à nouveau, pour me placer sur le terrain du droit
international, quetous ces faits se qualifient d'un seul mot :cela s'appelle
le « terrorisme u. Ce terrorisme tend de plus en plus à êtredépolitisé,
1 Voir "01. 1,p. 238.IgO DUPLIQUE DE 11.SCELLE (PÉROU) - 9 X 50
c'est-à-direà devenir un crime de droit commun, parce qu'il y a là ce
que les anciens auteurs appelaient, d'un mot typique, des moyens
ttatrocesa et qui ne peuvent trouver de légitimation ni surtout d'excuse
absolutoire dans le but politique en vue duquel ils ont étécommis.
Je ne peux pas retracer ici en détail l'évolution de la penséede la
politique internationale en cette matihe du terrorisme, ni reprendre
l'examen des travaux de la Sociétédes Nations qui ont abouti au projet
de traité de 193% Mais vous en trouverez L'analysedans le Contre-
Mémoire,au paragraphe 3 de l'annexe 49 (p. 167 '),qui expose sur ce
point dans les plus grands détails et avec une grande précisionla thèse
du ministre des Affaires étrangères du Pérou, dans une lettre de ce
ministre, 81.Diaz Dulanto, à l'ambassadeur colombien à Lima.
*
J'ai dit que je ne recommencerais pas ma plaidoirie. S'il faliait réfuter
point par point toutes les argutiesqui nous ont étéopposées,il y faudrait
plusieurs heures. Nous n'avons pas non pliis, bien entendu, à discuter
ici de thèses doctrinales, plus ou moins bien assimilées,qui nous condui-
raient à l'infini ou au zénith de la science du droit des gens. Je ne suis
pas venu devant vous pour faire résonner monnom sur les voûtes de ce
prétoire. Mais à certains moments, j'ai pu me demander quel était
vraiment l'accusé :le sieur Raiil Haya de la Torre ou certain professeur
de droit international ?Si'l'onvoulait s'amuser à un petit jeu de palma-
rès, on pourrait essayer de compter quel est celui des deux dont le nom
a étéprononcéle plus souvent. Je pense qu'il est possible que vous en
ayez étéexcédéset je vous en ferais mes excuses si j'étaispour quelque
chose dans cette petite erreur de politique.
Mais puisqu'on a mis définitivement l'affaire sur le terrain de l'huma-
nité, je dois bien aussi eu due quelques mots. ul'humanité n,c'est un
grand mot qu'on ne devrait pas prendre à la légère nisurtout détourner
de son sens fondamental.
Je n'ai pas pu m'empêcherde penser, puisque nous sommes ici dans
un milieu hispanisant, au point de savoir si, lorsqu'un matador descend
dans l'arène etcherche à tuer le taureau, c'est-à-dire se met, comme un
criminel politique, dans une situation de danger où il tenait à lui de ne
vas se mettre. il n'est vas exvosé à recevoir auelaues bons couvs de
cornes. Evidehment, Îe matador est extrtmément sympathi&e et
l'humanité de la foule s'émeut. Mais il arrive parfois aussi que la foule
crie: nBravo, Toro !u
Car enfin un gouvernement constitutionnel a le droit de se défendre.
Est-ce que l'asile est fait uniquement pour procurer aux délinquants
politiqiies une sauvegarde à peu près certaine les mettant à l'abri des
dangers auxquels ils se sont exposéseux-mêmes ? L'asile n'est pas fait
pour donner l'impunité,je I'ai dit et je le répète,mème à des criminels
politiques. Il n'est fait que pour les défendremomentanément contre un
périlpassager et qui peut cesser du jour au lendemain.
Je n'avais pas voulu parler de la Déclaration des droits et des devoirs
mais je dois tout de mêmeen dire aussi quelques mots.
Les Déclarations des droits et des devoirs sont basées essentiellement
sur la notion de sûreté ;mais elles le sont aussi sur les notions d'égalité
et mêmede fraternité. Où est ici la fraternité ?'Les Déclarations des
droits, en tout cas, ne sont pas faites pour assurer le monopole de l'asile
' Voir vol.1, p.272. DUPLIQUE DE BI. SCELLE (PÉROU) - 9 X 50 I9I
à des politiciens lorsque leur action violente devient upratique endé-
mioue. S'ilétaitcela. l'asile serait une institution'iniuste. aui ~rocurerait
la protection des comportements politiques, mimé 10rs'~Ùeieur consé-
quence est de multiplier les victimes innocentes. Est-ce que lesunples
citoyens qui sont assassinés. dont les maisons sont pillées, brûlées,
reçoivent des bombes, etc., est-ce que les victimes d'une rébellion poli-
tique n'ont pas aussi droitla protection des droitsde l'homme ?
Où est l'égalité,dans ce sens-l?Les victimes, elles, sont des victimes
complétement. Et les politiciens, eux - et j'emploie ce mot dans son
sens péjoratif, c'est-à-dire les gens qui fonterde recourir au,bcsoin
à la violence pour satisfaire leur pmrit de pouvoir et de dominatio-,
seraient toujours assurésde l'impunité sousle prétexte que leurs crimes
àorecevoir les coups de revolver qui peuvent les atteindre dans la nuquet
ou les bombes qui peuvent détruire leur maison.
Dans ma plaidoirie, jusqu'ici, j'avais voulu rester sur le terrain de la
sérénitéjuridique. J'ai employélesmots d'«abus de droit »ou da détour-
nement de pouvoirs n pour vous faire toucher du doigt jusqu'oû la
théoriede I'asilepolitique, quand elleest exagéréeet étenduà n'importe
quel cas, peut faire dériver une institution apparemment bienfaisante.
Mais «abus de droit a,«détournement de pouvoirs »,ce sont des euphé-
mismes iuridiaues. Au fond. lorsau'on invoauede cette facon l'humanité
sans en'préciSer le sens et san; en montÎer les aboutiisements, c'est
d'une fiction qu'il s'agit,serais presque tenté de dire d'une hypocrisie.
Les progrhs du droit-international consisteraientà mon avis; non pas
à faire de l'asile une institution passe-partout et derrière laquelle puisse
se réfugier n'importe quel criminel politique, mais à refuser l'asileà
ceux oui au lieu de lutter avec des armes Iéealeset constitutionnelles.
.font t,rsfématiquement appel~à la vio~ence.~l,e droit international a
condamné laviolence dans les rapports internationaux. Mais, dans l'état
actuel de la solidarité internationale, entre la violence interne et la
violence internationale il n'y a pas de fossé,et la violence, dans tous les
cas, n'est jamais laégitimation d'aucun acte
Voilà, Monsieur le Président, 31essieurs les Juges, ce que j'avais à
dire pour éclaircir les idéesdans cette afiaire. II me reste maintenant,
avec la permission de al. l'agent du Gouvernement du Pérou, à vous
énoncer nos concliisionsdéfinitives :
I'laiseà la Cour,
Rejeter les co~iclusions1 et II du blémoire colombien.
Rejeter les conclusions présentéespar M. l'agent du Gouvernement
colombien à la fin de sa plaidoirie du 6 octobre 1950 au sujet de la
demande reconventionnelle du Gouvernement du Pérou et renouvelées
dans sa lettre du 7 octobre 1950.
Dire et juger,
A titre' reconventionnel, aux termes de l'article 63 du Rhg!ement
de la Cour et par un seul et mêmearrêt, que l'octroi de l'asilpear
l'ambassadeur de Colombie à Lima à Victor Raul Haya de la Sorre192 DUPLIQUE DE hl. SCELLE (PEROU) - g x 50
a été faiten violation de l'article premier. paragraphe premier, et de
l'article, paragraphe z, premièrement (inciso prinbero)de la Convention
sur l'asile signée en1928,t qu'en tout cas le maintien de l'asile constitue
actuellement une violation dudit traité.
Monsieur le Président, Messicurs de la Cour, nous avons terminé.
et je vous remercie.
Procès-verbaux des séances publiques tenues au Palais de la Paix, La Haye du 26 septembre au 27 novembre 1950 sous la présidence de M. Basdevant, président