Chasse à la baleine dans l'Antarctique (Australie c. Japon ; Nouvelle-Zélande (intervenant)) - La Cour dit que le programme japonais de chasse à la baleine dans l'Antarctique (JARPA II) n'est pas conf

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18162
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2014/14
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COUR INTERNATIONALE DE JUSTICE
Palais de la Paix, Carnegieplein 2, 2517 KJ La Haye, Pays-Bas
Tél : +31 (0)70 302 2323 Télécopie : +31 (0)70 364 9928
Site Internet : www.icj-cij.org

Communiqué de presse
Non officiel

N 2014/14
Le 31 mars 2014

Chasse à la baleine dans l’Antarctique (Australie c. Japon ; Nouvelle-Zélande (intervenant))

La Cour dit que le programme japonais de chasse à la baleine dans l’Antarctique (JARPA II)
n’est pas conforme à trois dispositions du règlement annexé à la convention
internationale pour la réglementation de la chasse à la baleine

LA HAYE, le 31 mars 2014. La Cour internationale de Justice (CIJ), organe judiciaire
principal de l’Organisation des Nations Unies, a rendu ce jour son arrêt en l’affaire relative à la
Chasse à la baleine dans l’Antarctique (Australie c. Japon ; Nouvelle-Zélande (intervenant)).

Dans son arrêt, lequel est définitif, sans appel et obligatoire pour les Parties, la Cour

1) Dit, à l’unanimité, qu’elle a compétence pour connaître de la requête déposée par l’Australie le
31 mai 2010 ;

2) Dit, par douze voix contre quatre, que les permis spéciaux délivrés par le Japon dans le cadre
de JARPA II n’entrent pas dans les prévisions du paragraphe 1 de l’article VIII de la

convention internationale pour la réglementation de la chasse à la baleine ;

3) Dit, par douze voix contre quatre, qu’en délivrant des permis spéciaux autorisant la mise à
mort, la capture et le traitement de rorquals communs, de baleines à bosse et de petits rorquals
de l’Antarctique dans le cadre de JARPA II, le Japon n’a pas agi en conformité avec ses
obligations au titre du paragraphe 10 e) du règlement annexé à la convention internationale
pour la réglementation de la chasse à la baleine ;

4) Dit, par douze voix contre quatre, que le Japon n’a pas agi en conformité avec ses obligations
au titre du paragraphe 10 d) du règlement annexé à la convention internationale pour la

réglementation de la chasse à la baleine pour ce qui est de la mise à mort, de la capture et du
traitement de rorquals communs dans le cadre de JARPA II ;

5) Dit, par douze voix contre quatre, que le Japon n’a pas agi en conformité avec ses obligations
au titre du paragraphe 7 b) du règlement annexé à la convention internationale pour la
réglementation de la chasse à la baleine pour ce qui est de la mise à mort, de la capture et du
traitement de rorquals communs dans le «sanctuaire de l’océan Austral» dans le cadre de
JARPA II ; - 2 -

6) Dit, par treize voix contre trois, que le Japon a respecté ses obligations au titre du

paragraphe 30 du règlement annexé à la convention internationale pour la réglementation de la
chasse à la baleine dans le cadre de JARPA II ;

7) Décide, par douze voix contre quatre, que le Japon doit révoquer tout permis, autorisation ou
licence déjà délivré dans le cadre de JARPA II et s’abstenir d’accorder tout nouveau permis au
titre de ce programme.

C OMPÉTENCE DE LA COUR

La Cour note que, pour fonder sa compétence, l’Australie invoque les déclarations faites par
les deux Parties en vertu du paragraphe 2 de l’article 36 de son Statut. Le Japon conteste la
compétence de la Cour pour connaître du différend dont l’a saisie l’Australie au motif qu’il relève

du champ d’application de la réserve énoncée à l’alinéa b) de la déclaration australienne, qui fait
référence aux différends relatifs à la «délimitation de zones maritimes» ou «découlant de
l’exploitation de toute zone objet d’un différend adjacente à une telle zone maritime en attente de
délimitation ou en faisant partie, concernant une telle exploitation ou en rapport avec celle-ci». La
Cour considère que l’applicabilité de la réserve est subordonnée à l’existence d’un différend relatif

à la délimitation maritime entre les Parties en litige. Dès lors qu’il n’existe aucun différend en
matière de délimitation maritime entre les Parties dans l’océan Antarctique et que le présent
différend se limite à la question de savoir si les activités de chasse du Japon sont ou non
compatibles avec les obligations qui incombent à celui-ci au titre de la convention, la Cour conclut
que l’exception d’incompétence du Japon ne peut être retenue.

II. NTERPRÉTATION DU PARAGRAPHE 1 DE L’ARTICLE VIII DE LA CONVENTION
INTERNATIONALE POUR LA RÉGLEMENTATION DE LA CHASSE À LA BALEINE

L’interprétation et l’application de l’article VIII de la convention sont au cœur de la présente
espèce. De l’avis de la Cour, si cet article confère à un Etat partie à la convention le pouvoir
discrétionnaire de rejeter une demande de permis spécial ou de préciser les conditions de l’octroi

d’un tel permis, la réponse à la question de savoir si la mise à mort, la capture et le traitement de
baleines en vertu du permis spécial demandé poursuivent des fins de recherche scientifique ne
saurait dépendre simplement de la perception qu’en a cet Etat.

La Cour en vient ensuite au sens de l’expression «en vue de recherches scientifiques»
figurant à l’article VIII de la convention. Elle est d’avis que les deux éléments de cette expression

sont cumulatifs. Dès lors, même si la recherche scientifique est l’une des composantes d’un
programme de chasse à la baleine, la mise à mort, la capture et le traitement des cétacés auxquels il
aura été procédé dans ce cadre ne relèveront des prévisions de l’article VIII que si ces activités sont
menées «en vue de» recherches scientifiques. La Cour ne juge donc pas nécessaire de proposer une
définition générale de la notion de «recherches scientifiques» et concentre son analyse sur le sens
de la locution «en vue de».

Pour déterminer, en particulier, si c’est à des fins de recherche scientifique qu’un programme
recourt à des méthodes létales, la Cour examine si les éléments de sa conception et de sa mise en
œuvre sont raisonnables au regard des objectifs de recherche annoncés. Ainsi qu’il ressort des
arguments des Parties, peuvent notamment figurer parmi ces éléments : les décisions relatives au
recours à des méthodes létales, l’ampleur du recours à l’échantillonnage létal dans le cadre de ce

programme, les méthodes appliquées pour déterminer la taille des échantillons, la comparaison
entre la taille des échantillons à prélever et celle des prises effectives, le calendrier associé au
programme, les résultats scientifiques de celui-ci et le degré de coordination entre les activités qui
en relèvent et des projets de recherche connexes. - 3 -

III. APPLICATION DU PARAGRAPHE 1 DE L ARTICLE VIII À JARPA II

La Cour estime que JARPA II peut globalement être qualifié de programme de «recherche
scientifique». Elle se penche ensuite sur la question de savoir si sa conception et sa mise en œuvre
sont raisonnables au regard de ses objectifs de recherche annoncés.

S’agissant des décisions du Japon relatives au recours à des méthodes létales, la Cour ne
trouve aucune trace d’études relatives au caractère scientifiquement ou pratiquement réalisable des

méthodes non létales, que ce soit avant la détermination de la taille des échantillons de JARPA II
ou dans les années qui ont suivi, au cours desquelles les objectifs de capture sont demeurés
inchangés. Elle ne trouve pas davantage d’éléments indiquant que le Japon aurait recherché s’il
était possible de combiner une réduction des prises létales et une augmentation des échantillons non
létaux en vue d’atteindre les objectifs de recherche de JARPA II.

Quant à l’ampleur du recours aux méthodes létales dans le cadre de JARPA II, la Cour note

qu’une comparaison entre les plans de recherche de JARPA II et de JARPA — le programme
précédent — révèle davantage de ressemblances que de différences entre les sujets d’étude, les
objectifs et les méthodes des deux programmes. Pour la Cour, ces similitudes jettent un doute sur
l’argument invoqué par le Japon selon lequel les objectifs de JARPA II relatifs au suivi de
l’écosystème et à la concurrence entre espèces constitueraient des objectifs propres à ce programme
requérant d’augmenter sensiblement la taille de l’échantillon de petits rorquals et d’étendre les

prélèvements à deux autres espèces. Elle note également que le Japon a lancé JARPA II sans
attendre les résultats de l’évaluation finale de JARPA réalisée par le comité scientifique (organe
institué par la commission baleinière internationale, créée en vertu de la convention), qui analyse
les résultats des recherches conduites au titre de permis spéciaux, et examine et commente ces
permis avant qu’ils ne soient délivrés par les Etats parties. La Cour estime que ces faiblesses de
l’explication avancée par le Japon pour justifier sa décision de lancer JARPA II en y intégrant de
nouveaux objectifs de capture avant que les résultats de JARPA n’aient fait l’objet d’une évaluation

finale tendent à conforter l’idée que le choix des tailles d’échantillon et de la date de lancement de
JARPA II n’obéissait pas à des considérations purement scientifiques.

Après avoir examiné en détail la manière dont le Japon avait déterminé les tailles
d’échantillon propres à chacune des trois espèces, la Cour relève que les éléments de preuve relatifs
à JARPA II n’offrent guère d’explications ni de justifications quant aux décisions ayant présidé au
choix de l’objectif de capture global, ce qui constitue une raison supplémentaire de douter que la

conception du programme soit raisonnable au regard de ses objectifs de recherche annoncés.

La Cour constate également une différence importante entre les objectifs de capture de
JARPA II et le nombre de baleines effectivement capturées. De l’avis de la Cour, l’écart qui existe
entre les tailles d’échantillon prévues pour le rorqual commun et la baleine à bosse dans le plan de
recherche de JARPA II et le nombre de spécimens de ces deux espèces effectivement prélevés

affaiblit l’argument du Japon selon lequel les objectifs relatifs au suivi de l’écosystème et à la
concurrence entre espèces justifient, pour le petit rorqual, l’augmentation de la taille de
l’échantillon par rapport à celle retenue dans le cadre de JARPA.

Selon la Cour, trois autres aspects de JARPA II incitent également à douter que celui-ci
réponde aux critères d’un programme conduit en vue de recherches scientifiques : son caractère
illimité dans le temps, sa faible contribution scientifique à ce jour et le manque de coopération

entre ce programme et d’autres programmes de recherche nationaux et internationaux dans l’océan
Antarctique.

La Cour estime que, si JARPA II, pris dans son ensemble, comporte des activités
susceptibles d’être globalement qualifiées de recherches scientifiques, «les éléments de preuve dont
elle dispose ne permettent pas d’établir que la conception et la mise en œuvre de ce programme
sont raisonnables au regard de ses objectifs annoncés». Elle conclut que les permis spéciaux au - 4 -

titre desquels le Japon autorise la mise à mort, la capture et le traitement de baleines dans le cadre

de JARPA II ne sont pas délivrés «en vue de recherches scientifiques» au sens du paragraphe 1 de
l’article VIII de la convention.

IV. EXAMEN DES ALLÉGATIONS DE VIOLATION DES DISPOSITIONS DU RÈGLEMENT

La Cour se penche ensuite sur les conséquences de cette conclusion, à la lumière de
l’affirmation de l’Australie selon laquelle le Japon a violé plusieurs dispositions du règlement.
S’agissant des paragraphes 7 b), 10 d) et 10e), elle considère que, malgré les différences de
formulation, toutes les activités de chasse à la baleine qui n’entrent pas dans les prévisions de
l’article VIII de la convention (hormis la chasse aborigène de subsistance) tombent sous le coup de
ces trois dispositions. La Cour en conclut que le Japon a violé : i) le moratoire sur la chasse

commerciale pour chacune des années au cours desquelles il a fixé des limites de capture
supérieures à zéro pour les petits rorquals, les rorquals communs et les baleines à bosse dans le
cadre de JARPA II ; ii) le moratoire sur les usines flottantes pour chacune des saisons au cours
desquelles ont été capturés, mis à mort et traités des rorquals communs dans le cadre de JARPA II ;
et iii) l’interdiction de la chasse commerciale dans le sanctuaire de l’océan Austral pour chacune
des saisons au cours desquelles ont été capturés des rorquals communs dans le cadre de JARPA II.

La Cour examine ensuite l’allégation de l’Australie selon laquelle le Japon a violé le
paragraphe 30 du règlement, en vertu duquel tout Etat contractant est tenu de soumettre au
secrétaire de la commission baleinière internationale les permis en instance de délivrance, dans un
délai suffisant pour permettre au comité scientifique de les examiner et de les commenter. A cet
égard, elle note que le Japon a soumis le plan de recherche de JARPA II à l’examen du comité

scientifique avant de délivrer le premier permis au titre de ce programme, et que tous les permis
suivants ont, eux aussi, été soumis à l’examen du comité. Elle considère également que le plan de
recherche de JARPA II fournit toutes les informations requises par cette disposition. En
conséquence, la Cour estime que le Japon a satisfait aux exigences du paragraphe 30 en ce qui
concerne JARPA II.

V. REMÈDES

La Cour constate que JARPA II est toujours en cours et que, dans ces circonstances, des
mesures allant au-delà d’un jugement déclaratoire s’imposent. Elle ordonne donc au Japon de
révoquer tout permis, autorisation ou licence déjà délivré pour mettre à mort, capturer ou traiter des
baleines dans le cadre de JARPA II, et de s’abstenir d’accorder tout nouveau permis en vertu du

paragraphe 1 de l’article VIII de la convention au titre de ce programme. Elle ne juge pas
nécessaire d’ordonner l’autre remède sollicité par l’Australie, qui exigerait du Japon qu’il
s’abstienne d’autoriser ou de pratiquer la moindre activité de chasse à la baleine au titre d’un
permis spécial qui ne serait pas menée en vue de recherches scientifiques au sens de l’article VIII,
puisque tous les Etats parties sont déjà soumis à cette obligation.

Composition de la Cour

La Cour était composée comme suit : M. Tomka, président ; M. Sepúlveda-Amor,
vice-président ; MM. Owada, Abraham, Keith, Bennouna, Skotnikov, CançadoTrindade, Yusuf,
Greenwood, Mmes Xue, Donoghue , M. Gaja, Mme Sebutinde, M. Bhandari, juges ;
Mme Charlesworth,juge ad hoc ; M. Couvreur, greffier.

MM. les juges O WADA et A BRAHAM joignent à l’arrêt les exposés de leur opinion
dissidente ; M. le jugeEITH joint une déclaration à l’arrêt ; M. le juENNOUNA joint à l’arrêt
l’exposé de son opinion dissidente ; M. le jugANÇADO T RINDADE joint à l’arrêt l’exposé de son - 5 -

opinion individuelle ; M. le juge YUSUF joint à l’arrêt l’exposé de son opinion dissidente ; M. le

juge G REENWOOD , Mmes les juges X UE et SEBUTINDE ainsi que M. le juge BHANDARI joignent à
l’arrêt les exposés de leur opinion individuelle ; Mme la juge ad hoHARLESWORTH joint à l’arrêt
l’exposé de son opinion individuelle.

*

Un résumé de l’arrêt figure dans le document intitulé «Résumé 2014/3». Le présent
communiqué de presse, le résumé de l’arrêt, ainsi que le texte intégral de celui-ci figurent
également sur le site Internet de la Cour (www.icj-cij.org), sous la rubrique «Affaires».

___________

Note : Les communiqués de presse de la Cour sont rédigés par le Greffe uniquement à titre
d’information et ne constituent pas des documents officiels.

___________

La Cour internationale de Justice (CIJ) est l’organe judiciaire principal de l’Organisation des

Nations Unies (ONU). Elle a été instituée en juin 1945 par la Charte des Nations Unies et a entamé
ses activités en avril 1946. La Cour a son siège au Palais de la Paix, à La Haye (Pays-Bas). C’est
le seul des six organes principaux de l’ONU dont le siège ne soit pas à New York. La Cour a une
double mission, consistant, d’une part, à régler conformément au droit international les différends
d’ordre juridique qui lui sont soumis par les Etats (par des arrêts qui ont force obligatoire et sont
sans appel pour les parties concernées) et, d’autre part, à donner des avis consultatifs sur les

questions juridiques qui peuvent lui être soumises par les organes de l’ONU et les institutions du
système dûment autorisées à le faire. La Cour est composée de quinze juges, élus pour un mandat
de neuf ans par l’Assemblée générale et le Conseil de sécurité des Nations Unies. Indépendante du
Secrétariat des Nations Unies, elle est assistée par un Greffe, son propre secrétariat international,
dont l’activité revêt un aspect judiciaire et diplomatique et un aspect administratif. Les langues
officielles de la Cour sont le français et l’anglais. Aussi appelée «Cour mondiale», elle est la seule

juridiction universelle à compétence générale.

Il convient de ne pas confondre la CIJ, juridiction uniquement ouverte aux Etats (pour la
procédure contentieuse) et à certains organes et institutions du système des Nations Unies (pour la
procédure consultative), avec les autres institutions judiciaires, pénales pour la plupart, établies à
La Haye et dans sa proche banlieue, comme le Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie

(ou TPIY, juridiction ad hoc créée par le Conseil de sécurité), la Cour pénale internationale (ou
CPI, la première juridiction pénale internationale permanente, créée par traité, qui n’appartient pas
au système des Nations Unies), le Tribunal spécial pour le Liban (ou TSL, organe judiciaire
indépendant composé de juges libanais et internationaux qui ne relève pas des Nations Unies ni du
système judiciaire libanais), ou encore la Cour permanente d’arbitrage (ou CPA, institution
indépendante permettant de constituer des tribunaux arbitraux dont elle facilite le fonctionnement,

conformément à la Convention de La Haye de 1899).

___________ - 6 -

Département de l’information :

M. Andreï Poskakoukhine, premier secrétaire de la Cour, chef du département (+31 (0)70 302 2336)
M. Boris Heim, attaché d’information (+31 (0)70 302 2337)
Mme Joanne Moore, attachée d’information adjointe (+31 (0)70 302 2394)
Mme Genoveva Madurga, assistante administrative (+31 (0)70 302 2396)

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