Immunités juridictionnelles de l'Etat (Allemagne c. Italie) - Requête à fin d'intervention présentée par la Grèce - La Cour autorise la Grèce à intervenir dans l'instance en tant que non-partie

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16562
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2011/21
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COUR INTERNATIONALE DE JUSTICE

Palais de la Paix, Carnegieplein 2, 2517 KJ La Haye, Pays-Bas
Tél : +31 (0)70 302 2323 Télécopie : +31 (0)70 364 9928
Site Internet : www.icj-cij.org

Communiqué de presse
Non officiel

o
N 2011/21
Le 15 juillet 2011

Immunités juridictionnelles de l’Etat (Allemagne c. Italie)

Requête à fin d’intervention présentée par la Grèce

La Cour autorise la Grèce à intervenir dans l’instance en tant que non-partie

LA HAYE, le 15 juillet 2011. La Cour interna tionale de Justice (CIJ), organe judiciaire

principal des Nations Unies, par une ordonnance en date du 4 juillet 2011, a autorisé la République
hellénique (ci-après la «Grèce») à intervenir en tant que non-partie en l’affaire relative aux
Immunités juridictionnelles de l’Etat (Allemagne c. Italie).

L’Allemagne, tout en appelant l’attention de la Cour sur cer taines considérations tendant à

indiquer que la requête de la Grèce ne satisfaisait pas aux critères énoncés au paragraphe1 de
l’article 62 du Statut de la Cour, avait expresséme nt affirmé ne pas avoir «d’objection formelle» à
ce qu’il y soit fait droit. Pour sa part, l’Italie avait déclaré ne pas émettre d’objection à l’admission
de la requête.

Dans son ordonnance, la Cour a d’abord exposé brièvement le contexte factuel de la requête
à fin d’intervention de la Grèce. Elle a rappelé que, le 10 juin 1944, alors que la Grèce était sous
occupation allemande, les forces armées allemandes avaient perpétré un massacre dans le village
grec de Distomo, tuant de nombreux civils. Elle a relevé que, dans un jugement rendu en 1997, un
tribunal grec de première instance avait condamn é l’Allemagne et accordé des dommages-intérêts

aux parents des victimes de ce massacre, que ce jugement avait été confirmé en l’an2000 par la
Cour de cassation grecque, mais que ces deux décisions n’avaient pas pu être exécutées en Grèce,
le ministre grec de la justice n’ayant pas délivré l’autorisation requise aux fins de l’exécution d’un
jugement contre un Etat étranger. La Cour a aussi mentionné que les requérants en l’affaire

Distomo avaient ensuite introduit une instance contre la Grèce et l’Allemagne devant la Cour
européenne des droits de l’homme, mais que celle-ci avait, en2002, déclaré leur requête
irrecevable, en se référant au principe de l’i mmunité de l’Etat. La Cour a rappelé que les
requérants grecs avaient par la suite cherché à re ndre exécutoires ces décisions de justice grecques
sur le sol italien et que la justice italienne av ait déclaré le premier jugement grec (rendu en 1997)

exécutoire en Italie.

Dans son ordonnance, la Cour a ensuite déclar é que, dans l’arrêt qu’elle rendra en l’affaire
relative aux Immunités juridictionnelles de l’Etat (Allemagne c.Italie) , «elle pourrait estimer
nécessaire, lorsqu’elle se prononcera sur la troisi ème demande formulée dans les conclusions de

l’Allemagne…, d’examiner, à la lumière du principe de l’immunité de l’Etat, les décisions rendues
par la justice grecque en l’affaire Distomo». La Cour en a conclu que cela suffisait à indiquer que - 2 -

la Grèce possédait un intérêt d’ordre juridique auquel l’arrêt qui sera rendu en l’affaire opposant
l’Allemagne et l’Italie est susceptible de porter a tteinte. Il est rappelé que la troisième demande

formulée dans les conclusions de l’Allemagne se lit comme suit : «3) en déclarant exécutoires sur
le sol italien des décisions judiciaires grecques fondées sur des [violations du droit international
humanitaire commises par le Reich allemand au cours de la seconde guerre mondiale], la
République italienne a commis une autre violation de l’immunité de juridiction de l’Allemagne».

La Cour a précisé que, lorsqu’elle autorise une intervention, elle peut en circonscrire la
portée et l’accorder pour l’un des aspects seulement de l’objet de la requête dont elle est saisie.
Compte tenu des conclusions auxquelles elle est parvenue quant à l’intérêt juridique de la Grèce en

l’espèce, elle a estimé que celle-ci pouvait être auto risée à intervenir en tant que non-partie, «dans
la mesure où son intervention se limit[ait] aux déci sions [rendues par la justice grecque en l’affaire
Distomo]», telles qu’évoquées plus haut.

Concrètement, l’intervention de la République hellénique en tant que «non-partie» dans
l’affaire relative aux Immunités juridictionnelles de l’Etat (Allemagne c.Italie) permet à la Grèce
d’avoir accès aux écritures des Parties et d’«informer la Cour de la nature d[e ses] droits et intérêts
d’ordre juridique…auxquels la décision de la Cour pourrait porter atteinte, compte tenu des

demandes présentées par l’Allemagne en l’affair e» principale. A cette fin, par la même
ordonnance, la Cour a fixé au 5août2011 la date d’expiration du délai pour le dépôt d’une
déclaration écrite de la Grèce, et au 5septembre 2011 la date d’expiration du délai pour le dépôt
d’observations écrites de l’Allemagne et de l’Italie sur cette déclaration. La suite de la procédure a

été réservée. L’article 85 du Règlement prévoit not amment que «[l]’Etat intervenant a le droit de
présenter au cours de la procédure orale des observations sur l’objet de l’intervention».

Il est à relever que le statut d’Etat non par tie ne confère pas à la Grèce la possibilité de

revendiquer de droits propres dans le cadre de l’instance principale opposant les Parties
(l’Allemagne et l’Italie), et que l’arrêt que la Cour rendra sur le fond de l’affaire ne sera pas
opposable à la Grèce, alors qu’il aura valeur obligatoire et sera sans appel pour les Parties.

Composition de la Cour

La Cour était composée comme suit: M.Owada, président ; M. Tomka, vice-président ;
MM.Koroma, Al-Khasawneh, Simma, Abraham, Keith, Sepúlveda-Amor, Bennouna, Skotnikov,

CançadoTrindade, Yusuf, Greenwood, Mmes Xue, Donoghue, juges ; M. Gaja, juge adhoc;
M. Couvreur, greffier.

M. le juge CançadoTrindade a joint à l’or donnance l’exposé de son opinion individuelle;

M. le juge ad hoc Gaja a joint une déclaration à l’ordonnance. Le résumé des textes de cette
opinion et de cette déclaration est reproduit ci-dessous, en annexe au présent communiqué.

___________

Note : Les communiqués de presse de la Cour ne constituent pas des documen ts officiels. Le

présent communiqué expose, très succinctement, à seule fin de vulgarisation, l’essentiel de la
décision prise par la Cour.

L’historique de la procédure et un bref ra ppel du contexte factuel de la requête à fin

d’intervention de la Grèce figurent aux paragraph es1 à14 de l’ordonnance, dont on trouvera le
texte intégral à la rubrique «Affaires» du site Internet de la Cour.

___________ - 3 -

La Cour internationale de Justice (CIJ) est l’organe judiciaire principal de l’Organisation des
Nations Unies (ONU). Elle a été instituée en juin 1945 par la Charte des Nations Unies et a débuté

ses activités en avril 1946. La Cour a son siège au Palais de la Paix, à La Haye (Pays-Bas). C’est
le seul des six organes principaux de l’ONU dont le siège n’est pas à New York. La Cour a une
double mission consistant, premièrement, à régler, conformément au droit international, les
différends d’ordre juridique qui lui sont soumis pa r les Etats (ses arrêts ont valeur obligatoire et

sont sans appel pour les parties concernées) et, deuxièmement, à donner des avis consultatifs sur les
questions juridiques qui peuvent lui être posées par les organes de l’ONU et les institutions du
système dûment autorisés à le faire. La Cour est composée de quinze juges qui sont élus pour un
mandat de neuf ans par l’Assemblée générale et le Conseil de sécurité des Nations Unies. Elle est

assistée par un Greffe, son secrétariat international, dont l’activité a, d’une part un aspect judiciaire
et diplomatique, et d’autre part un aspect administratif. Les langues officielles de la Cour sont le
français et l’anglais.

___________

Département de l’information :

M. Andreï Poskakoukhine, premier secrétaire dela Cour, chef du département (+31 (0)70 302 2336)
M. Boris Heim, attaché d’information (+31 (0)70 302 2337)

Mme Joanne Moore, attachée d’information adjointe (+31 (0)70 302 2394)
Mme Genoveva Madurga, assistanteadministrative (+31 (0)70 302 2396) Annexe au communiqué de presse 2011/21

Opinion individuelle de M. le juge Cançado Trindade

1. Dans la première partie de son opinion individuelle, qui en compte cinq,
le juge Cançado Trindade indique que, compte tenu de l’importa nce qu’il attache aux questions
examinées par la Cour dans la présente ordonnance, ainsi qu’à celles qui la sous-tendent, il se sent

tenu d’exposer sa propre réflexion et sa position à l’égard des questions soulevées ⎯ telles qu’il les
perçoit ⎯ dans les sixdocuments communiqués à la Cour relativement à la requête à fin
d’intervention de la Grèce (deux documents ayant été présentés par l’Etat demandant à intervenir,
la Grèce, et deux autres par chacune des Parties à la procédure principale dont est saisie la Cour, à

savoir l’Allemagne et l’Italie (partie I)).

2. Le jugeCançadoTrindade fait ensuite valoir, en ce qui concerne la demande

d’intervention de la Grèce (partie II), que l’Allemagne, bien qu’elle ait indiqué ne pas s’y opposer
formellement, conteste en réalité en substance les fondements invoqués par la Grèce afin
d’intervenir en vertu de l’article62 du Statut de la Cour. L’Italie a, quant à elle, simplement
déclaré ne pas élever d’objection à la demande de la Grèce. Cette dernière a clairement indiqué

qu’elle ne cherchait pas à intervenir dans l’instan ce en tant que partie, et qu’elle ne souhaitait
intervenir qu’en ce qui concernait certains aspects bi en définis de la procédure ayant trait à des
décisions rendues par ses propres juridictions relativement à des demandes se rapportant à des faits
survenus au cours de la seconde guerre mondiale et devant être exécutées par des juridictions

italiennes.

3. La requête à fin d’intervention de la Grèce concerne des décisions rendues par des

juridictions italiennes qui ont, entre autres, perm is l’exécution en Italie de décisions judicaires
grecques par lesquelles l’Allemagne a été condamnée, au civil, à verser des dommages-intérêts à
raison de graves violations des droits de l’homme et du droit international humanitaire commises
par des soldats allemands en Grèce, en particulier dans le village de Distomo, durant la seconde

guerre mondiale. Compte tenu des difficultés renc ontrées dans leur pays, les ressortissants grecs
concernés avaient cherché à obtenir la reconnaissan ce et l’exécution desdites décisions en Italie.
Dans le cadre de la procédure principale, l’ Allemagne souhaite, pour sa part, que la Cour se

prononce sur ce qu’elle estime être une violation, par l’Italie, de son immunité de juridiction.

4. Le juge Cançado Trindade fait observer que le consenteme nt des Parties à la procédure
principale n’était ni à proprement parler ni form ellement en cause dans le cas d’espèce et que leur

consentement ne joue de toute manière aucun rôle dans le cadre de la procédure au terme de
laquelle la Cour se prononcera sur la question de savoir si elle admet ou non la demande
d’intervention (partie III). Il estime que le consen tement des Etats présente certaines limites et que
la Cour ne saurait être absolument liée par celui -ci, qu’il s’agisse de demandes d’intervention ou

d’autres aspects des instances qui lui sont soumises ; la Cour n’est pas un tribunal arbitral.

5. Le juge Cançado Trindade en vient ensuite à la plus importante partie de son opinion

individuelle, laquelle a trait à la coexistence des dreits reconnus a ux Etats et des droits reconnus
aux individus dans le cadre du jus gentium du XXI siècle (partie IV). En ce qui concerne les Etats
en tant que titulaires de droits, il examine tout d’abord les décisions judiciaires grecques invoquées
par l’Allemagne, à savoir: a)le jugement rendu en1997 par le tribunal de première instance de

Livadia en l’affaire du Massacre de Distomo ; b)l’arrêt rendu en2000 pa r la Cour de cassation
(Areios Pagos) en cette même affaire ; et c) l’arrêt rendu en 2002 par le Tribunal supérieur spécial
grec en l’affaire Margellos et autres. - 2 -

6. Il rappelle, à cet égard, qu’en1995, pl us de 250personnes, parents des victimes du
massacre perpétré (en1944) dans le village de Distomo, ont introduit, en Grèce, une instance

contre l’Allemagne, demandant réparation à raison des pertes en vies humaines et des pertes
matérielles subies du fait d’actes perpétrés en juin1944 par les forces d’occupation allemandes
(sous le III Reich) en Grèce. Le 25 septembre 1997, le tribunal de première instance de Livadia a
jugé qu’un Etat ne pouvait se prévaloir de son i mmunité lorsque l’acte qui lui est attribué est

commis en violation de règles du jus cogens , et a déclaré qu’un Etat commettant pareilles
violations renonçait indirectement à son immunité. Le tribunal de Livadia a donc retenu la
responsabilité de l’Allemagne et a condamné celle-c i à verser des dommages-intérêts aux parents
des victimes du massacre de Distomo.

7. Ce jugement a fait l’objet en Italie d’ une procédure en exécution, procédure à laquelle
l’Allemagne s’est référée dans les pièces qu’elle a présentées en l’affaire dont est saisie la Cour.

En ce qui concerne le jus cogens, le tribunal de Livadia s’est expressément référé à la quatrième
Convention de LaHaye du 19octobre1907, à l’article46 du Règlement concernant les lois et
coutumes de la guerre sur terre y annexé, ainsi qu’au droit international coutumier et au principe
général de droit ex injuria jus non oritur. L’Allemagne a par la suite por té l’affaire devant la Cour

de cassation grecque (Areios Pagos), invoquant son immunité de ju ridiction devant les tribunaux
grecs. Dans son arrêt du 4mai2000, la Cour de cassation a déclaré que les juridictions grecques
avaient compétence pour connaître de l’affaire du Massacre de Distomo.

8. En ce qui concerne le droit matériel, la Cour de cassation a tout d’abord dit que la règle de
l’immunité de l’Etat était une rè gle généralement acceptée du droit international et qu’elle faisait
partie de l’ordre juridique grec. Elle a jugé qu’un Etat renonçait tacitement à son immunité dès lors

que les actes en cause étaient commis en violation de règles du jus cogens (se référant une nouvelle
fois à l’article 46 du Règlement concernant les lois et coutumes de la guerre sur terre annexé à la
quatrième convention de La Haye de 1907). En l’ espèce, la Cour de cassation a également estimé
qu’il devrait être fait exception à la règle de l’immunité lorsque l es actes à raison desquels il était

demandé réparation (en particulier s’agissant de crimes contre l’humanité) avaient été commis à
l’encontre d’individus se trouvant en un endroit donné qui n’étaient ni directement ni indirectement
liés aux opérations militaires; cette juridiction a, en outre, estimé qu’il ét ait tacitement renoncé à
l’immunité dès lors que pareils actes étaient, comme indiqué précédemment, commis en violation

du jus cogens.

Un9e. autre instance s’est parallèlement déroulée devant des juridictions grecques dans une

affaire similaire, l’affaireargellos et autres. La Cour de cassation a renvoyé cette affaire devant
le Tribunal supérieur spécial grec, laquelle a, dans sa décision du 17septembre2002, notamment
jugé, à une majorité de six voix contre cinq , qu’en vertu du droit intern ational coutumier, un Etat
étranger bénéficie de son immunité souveraine en ce qui concerne tout acte délictuel commis dans

l’Etat du for, que le comportement en cause soit ou non contraire à des règles du jus cogens ou que
ses forces armées aient ou non pris part à un conflit armé. L’arrêt rendu par le Tribunal supérieur
spécial en l’affaire Margellos a donc essentiellement eu pour effet d’infirmer le jugement du
tribunal de première instance de Livadia octroy ant des dommages-intérêts aux requérants, lequel

avait été confirmé par la Cour de cassation.

10. S’agissant toujours des Etats comme titulaires de droits, le juge Cançado Trindade, ayant

examiné les positions de l’Allemagne et de la Grèce, estime difficilement contestable que la
question de l’exécution de décisions rendues par les autorités judiciaires d’un Etat, qui font partie
intégrante de celui-ci, constitue, aux fins d’une demande tendant à intervenir dans un procès - 3 -

international, un intérêt d’ordre juridique de cet Etat ⎯ et ce, même si les bénéficiaires ultimes de

l’exécution de ces décisions sont des individus, des êtres humains, ressortissants de cet Etat. Un
intérêt relatif à l’exécution (à l’ét ranger) de décisions judiciaires ne peut être qualifié que d’intérêt
d’ordre juridique, et non d’intérêt d’un autre ordre ou de nature distincte.

11. Le juge Cançado Trindade livre ensuite sa réflexion sur la question des individus comme
titulaires de droits ⎯question soulevée en l’instance par l’Allemagne elle-même. A cet égard, il
regrette que la Cour ait (dans son ord onnance du 6 juillt 010) rejeté la demande

reconventionnelle présentée par l’Italie en la présente espèce ⎯ainsi qu’indiqué dans l’opinion
dissidente jointe à ladite ordonnance. Selon lui, les Etats ne sauraient renoncer à des
revendications portant sur des droits qui sont inhérents aux êtres humains (tels que, dans le contexte

de cette demande reconventionnelle, le droit à l’intégrité de la personne, ou celui de ne pas être
astreint à des travaux forcés) du fait d’accords interétatiques; il ne peut y avoir à cet égard de
renonciation tacite ou expresse, dès lors que les droits en jeu ne sont pas les leurs, mais ceux d’êtres
humains.

12. En ce qui concerne la requête à fin d’interv ention de la Grèce, le juge Cançado Trindade
rappelle : a) le legs laissé par la subjectivité individuelle dans le droit des gens ; b) la présence et la

participation de l’individu dans l’ordre juridique international; c)le renouveau de la notion
d’individu en tant que sujet de droit international; et d)l’importance historique de l’individu en
tant que sujet de droit international. Il soutient que les êtres humains possèdent en effet des droits
et obligations émanant directement du droit international , avec lequel ils se trouvent en contact

direct. Il n’est rien dans le droit international qui, intrinsèquement, interdise ou rende impossible
ce contact direct.

13. Pour lui, il est parfaitement possible de concevoir comme sujet de droit international

toute personne ou entité titulaire de droits ou te nue à des obligations découlant directement de
normes du droit international. Le jugeCança doTrindade estime que tel est le cas des êtres
humains, qui ont ainsi cimenté et renforcé leur contact direct ⎯ sans intermédiaire ⎯ avec l’ordre

juridique international. Le déve loppement (rassurant) tant de la personnalité que de la
responsabilité juridiques internationales en est une c onséquence. L’idée d’une souveraineté
absolue de l’Etat ⎯ qui a conduit à la déresponsabilisation et à la prétendue omnipotence de l’Etat,
lequel s’est montré incapable d’empêcher des atroc ités perpétrées contre des êtres humains (tel le

massacre de Distomo, le 10 juin 1944) ⎯ est apparue, avec le temps, dépourvue de tout fondement.

14. Le jugeCançadoTrindade ajoute que la reconnaissance de la personnalité juridique

internationale des individus en tant que catégorie juridique ⎯ qui témoigne du processus historique
d’humanisation du droit international ⎯ répond à l’un des besoins absolus de la communauté
internationale, ressenti avec une grande acuité: celui d’assurer une protection aux êtres humains

qui la composent et, notamment, à ceux qui se trouvent dans un état de vulnérabilité particulier.
Récemment, il est devenu apparent que l’immun ité de l’Etat n’était pas un concept statique,
immuablement lié à ses origines historiques, mais tendait à évoluer dans le contexte du
développement de l’univers conceptuel du jus gentium contemporain.

15. Cette évolution ⎯qui contribue en définitive à la primauté du droit aux niveaux

national et international ⎯ doit être replacée dans un contexte plus large. D’après le
jugeCançadoTrindade, la Cour est ici sai sie d’une affaire portant sur les immunités
juridictionnelles de l’Etat, av ec des répercussions sur l’ensembl e des titulaires de droits, qu’il
s’agisse d’Etats ou d’individus. Il s’agit d’une a ffaire qui a une incidence directe sur l’évolution - 4 -

contemporaine du droit international. Selon le juge, rien ne justifie de continuer à faire grand cas
des droits des Etats mais de n’en faire aucun de ceux des individus. Les uns et les autres sont

aujourd’hui censés se développer en parallèle, en résonance avec des valeurs supérieures
communes. L’immunité de l’Etat et les droits fondamentaux de la personne humaine ne doivent
pas s’exclure mutuellement au risque ⎯ inacceptable ⎯ de faire de l’immunité un synonyme
d’impunité.

16. La cinquième partie de l’opinion individuelle du juge Cançado Trindade est consacrée à
la resurrectio de l’intervention dans le contentieux intern ational contemporain. Le juge relève que,

dans le cadre des circonstances de la présente instance, l’intervention a enfin vu le jour. C’est là un
développement rassurant ⎯ ajoute-t-il ⎯, puisque l’objet du cas d’espèce est en rapport étroit avec
l’évolution actuelle du droit international, revêtant, en définitive, un intérêt pour tous les Etats et la

communauté internationale dans son ensemble, et tendant vers l’avènement d’un véritable droit
international universel. Selon le jugeCançadoTrindade, la décision qu’a prise la Cour, dans la
présente ordonnance, de faire droit à la demande d’ intervention de la Grèce est un juste reflet du
principe de la bonne administration de la justice dans le contexte du cas d’espèce.

17. Le jugeCançadoTrindade conclut que , dans des circonstances comme celles de la
présente espèce (laquelle trouve, en fait, sa source dans de graves violations des droits de l’homme
et du droit international humanitaire), on ne sau rait aborder une questi on telle que celle des

immunités juridictionnelle de l’Etat d’un point de vue purement interétatique. Dans la présente
procédure devant la Cour, il a été dûment tenu co mpte des Etats comme titulaires de droits mais
aussi des individus comme titulaires de droits. La resurrectio de l’intervention dans de telles

circonstances pourrait apporter une réponse aux besoins non seulement des Etats, mais également
des individus concernés et, en définitive, de la communauté internationale dans son ensemble, dans
l’univers conceptuel du nouveau jus gentium contemporain.

Déclaration de M. le juge ad hoc Gaja

Il est fort aisé de comprendre que le G ouvernement grec souhaite prendre part à une
discussion sur l’immunité de juridiction d’Etats étrangers à l’égard de réclamations formulées par

des personnes qui ont été victimes d’atteintes au droit international humanitaire en temps
d’occupation de guerre. Toutefois, la seule possibilité ménagée dans le Statut et le Règlement pour
permettre à un Etat qui n’est pas pa rtie à une instance d’exprimer son point de vue est la procédure
d’intervention. Le Statut exige qu’un intérêt d’ordre juridique soit en cause pour cet Etat. L’intérêt

en question doit exister sous l’angle du droit intern ational. Aucune règle de droit international ne
prescrivant l’exécution des décisions grecques concernées en Italie, la Grèce ne peut être
considérée comme ayant un intérêt d’ordre juridique à ce que les décisions de ses juridictions

soient mises en Œuvre sur le territoire italien. La question de savoir si, en rendant ces décisions
exécutoires sur son sol en vertu de son droit interne, l’Italie a manqué à l’une de ses obligations
envers l’Allemagne est une question qui intéresse ces deux Etats et eux seuls.

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