COUR INTERNATIONALE DE JUSTICE
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Communiqué de presse
Non officiel
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N 2008/35
Le 15 octobre 2008
Application de la convention internationale sur l’élimination de toutes les formes
de discrimination raciale (Géorgie c. Fédération de Russie)
Mesures conservatoires
La Cour dit notamment que les deux Parties doivent s’abstenir de tous actes de discrimination
raciale et doivent s’abstenir d’encourager, de défendre ou d’appuyer de tels actes ;
qu’elles doivent faciliter l’apport d’aide humanitaire ; et qu’elles doivent
s’abstenir de tout acte risquant de porter atteinte aux droits respectifs
des Parties ou qui risquerait d’aggraver ou d’étendre le différend
LA HAYE, le 15 octobre 2008. La Cour interna tionale de Justice (CIJ), organe judiciaire
principal des Nations Unies, a rendu aujourd’hui son ordonnance sur la demande en indication de
mesures conservatoires présentée par la Géorgie en l’affaire relative à l’ Application de la
convention internationale sur l’élimination de t outes les formes de discrimination raciale (Géorgie
c. Fédération de Russie).
Dans son ordonnance, la Cour
«rappelant aux Parties leurs obligations découlant de la convention internationale sur l’élimination
de toutes les formes de discrimination raciale,
Indique à titre provisoire les mesures conservatoires suivantes :
A. Par huit voix contre sept,
Les deux Parties devront, en Ossétie du Sud, en Abkhazie et dans les régions géorgiennes
adjacentes,
1) s’abstenir de tous actes de discrimination raciale contre des personnes, des groupes de
personnes ou des institutions ;
2) s’abstenir d’encourager, de défendre ou d’ap puyer toute discrimination raciale pratiquée par
une personne ou une organisation quelconque ;
3) faire tout ce qui est en leur pouvoir, chaqufois que, et partout où, cela est possible, afin de
garantir, sans distinction d’origine nationale ou ethnique, - 2 -
i) la sûreté des personnes ;
ii) le droit de chacun de circuler librement et de choisir sa résidence à l’intérieur d’un Etat ;
iii) la protection des biens des personnes déplacées et des réfugiés ;
4) faire tout ce qui est en leur pouvoir afin de garantir que les autorités et les institutions publiques
se trouvant sous leur contrôle ou sous leur influence ne se livrent pas à des actes de
discrimination raciale à l’encontre de pers onnes, groupes de personnes ou institutions ;
B. Par huit voix contre sept,
Les deux Parties faciliteront, et s’abstiendront d’entraver d’une quelconque façon, l’aide
humanitaire apportée au soutien des droits dont peut se prévaloir la population locale en vertu de la
convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale ;
C. Par huit voix contre sept,
Chaque Partie s’abstiendra de tout acte qui ris querait de porter atteinte aux droits de l’autre
Partie au regard de tout arrêt que la Cour pourrait rendre en l’affaire, ou qui risquerait d’aggraver
ou d’étendre le différend porté devant elle ou d’en rendre la solution plus difficile ;
D. Par huit voix contre sept,
Chaque Partie informera la Cour de la manière dont elle assure l’exécution des mesures
conservatoires ci-dessus indiquées.»
Historique de la procédure
Le 12 août 2008, la Géorgie a déposé une requête introductive d’instance contre la
Fédération de Russie pour violations de la convention internationale sur l’élimination de toutes les
formes de discrimination raciale (ci-après la «C IEDR»). Le 14 août 2008 , la Géorgie, invoquant
l’article 41 du Statut de la Cour et les articl es 73, 74 et 75 du Règlement, a présenté une demande
en indication de mesures conservatoires à l’effet de sauvegarder les droits qu’elle tient de la
CIEDR «s’agissant de protéger ses ressortissants d es violences à caractère discriminatoire que leur
infligent les forces armées russes opérant de concert avec des milices séparatistes et des
mercenaires étrangers». Le 25 août 2008, la Géorgie, invoquant «l’é volution rapide de la situation
en Abkhazie et en Ossétie du Sud», a soumis une demande en indication de mesures conservatoires
modifiée. Des audiences publiques se sont tenues du8 au 10septembre2008 en présence des
deux Parties.
Raisonnement de la Cour
⎯ Compétence de la Cour
La Cour relève que la Géorgie entend, au stade actuel de la procédure, fonder sa compétence
exclusivement sur la clause compromissoire contenue à l’article 22 de la CIEDR qui dispose que
«[t]out différend entre deux ou plusieurs Et ats parties touchant l’interprétation ou
l’application de la présente convention qui n’aura pas été réglé par voie de négociation
ou au moyen des procédures expressément pr évues par ladite convention sera porté, à
la requête de toute partie au différend, deva nt la Cour internationale de Justice pour
qu’elle statue à son sujet, à moins que l es parties au différend ne conviennent d’un
autre mode de règlement». - 3 -
La Cour cherche à établir si cette disposition semble prima facie constituer une base sur
laquelle sa compétence pourrait être fondée pour lui permettre, si les circonstances l’exigent,
d’indiquer des mesures conservatoires. Point n’ est en effet besoin pour elle, avant d’indiquer ou
non de telles mesures, de s’assurer de manière dé finitive qu’elle a compétence quant au fond de
l’affaire.
La Cour constate, en premier lieu, que tant la Géorgie que la Fédération de Russie sont
parties à la CIEDR, sans réserve.
La Cour note, en second lieu, que les Parties sont en désaccord sur le champ d’application
territorial des obligations incombant aux Etats par ties en vertu de la CIEDR. Elle fait observer à
cet égard que «la CIEDR ne prévoit aucune limitation générale de s on champ d’application
territorial» et que, en particulier, «ni l’article2 ni l’article5 de la[c onvention], dont la Géorgie
invoque la violation, ne contienne nt de limitation territoriale spécifi que». Elle en conclut que ces
dispositions «paraissent généralement applicables aux actes d’un Etat partie lorsque celui-ci agit en
dehors de son territoire».
La Cour relève, en troisième lieu, que les Parties expriment des points de vue divergents
quant à la question de savoir si le différend qui l es oppose entre dans les prévisions de l’article 22
de la CIEDR, c’est-à-dire s’il concerne l’interprétation et l’applica tion de la CIEDR. La Géorgie
soutient que «les éléments de preuve qu’elle a so umis à la Cour démontrent que les événements
survenus en Ossétie du Sud et en Abkhazie se sont accompagnés d’actes de discrimination raciale à
l’encontre des habitants de souche géorgienne de ces régions et relèvent par conséquent des
dispositions des articles 2 et 5 de la CIEDR». La Fédération de Russie estime en revanche que «les
faits en cause touchent exclusivement au recours à la force, au droit humanitaire et à l’intégrité
territoriale et, partant, ne relèvent pas du champ d’application de la conventi on». La Cour constate
que «les Parties sont en désaccord sur l’applicabilité des articles2 et 5 de la CIEDR dans le
contexte des événements d’Ossétie du Sud et d’ Abkhazie» et que, en conséquence, «un différend
paraît exister entre [elles] quant à l’interprétation et à l’application de la CIEDR». La Cour ajoute
que «les actes allégués par la Géorgie paraissent pou voir porter atteinte à des droits conférés par la
CIEDR, même si certains de ces actes pourraient également être couverts par d’autres règles de
droit international, notamment de droit humanitaire». La Cour conclut que «ces éléments suffisent,
à ce stade, à établir l’existence, entre les Parties, d’un différend pouvant relever des dispositions
de
la CIEDR, condition nécessaire à [sa] compétence prima facie au titre de l’article22 de la
convention».
La Cour, ayant établi l’existence d’un différend au sens de l’article22 de la CIEDR,
recherche enfin si les conditions procédurales posées par cet article sont réunies. Celui-ci prévoit
qu’un différend touchant l’interprétation ou l’applic ation de la CIEDR peut être porté devant la
Cour s’il n’a pas «été réglé par voie de négociation ou au moyen de procédures expressément
prévues par ladite convention». La Cour estime que cette formule «ne donne pas à penser que la
tenue de négociations formelles au titre de la c onvention ou le recours aux procédures visées [par
celle-ci] constituent des conditions préalables auxque lles il doit être satisfait avant toute saisine de
la Cour». Elle considère que cette formule donne en revanche à penser que les Parties doivent
avoir «tenté d’engager…des discussions sur des questions pouvant relever de la CIEDR».
LaCour déduit de l’examen du dossier de l’affa ire que «de telles questions ont été soulevées à
l’occasion de contacts bilatéraux entre les Parties et qu’elles n’ont manifestement pas été résolues
par voie de négociation avant le dépôt de la requê te». La Cour fait observer au surplus que les
questions en litige n’ont pas été portées à l’attention du Comité pour l’élimination de la
discrimination raciale auxquelles les «procédures expressément prévues» par la convention
mentionnées à l’article22 se rapportent. En conclu sion de tout ce qui précède, la Cour estime
avoir prima facie compétence en vertu de l’article22 de la CIEDR pour connaître de l’affaire et
examiner la demande en indications de mesures conservatoires présentée par la Géorgie. - 4 -
⎯ Lien entre les droits allégués à protéger et l’objet de l’instance pendante sur le fond
La Cour rappelle que le pouvoir d’indiquer des mesures conservatoires qu’elle tient de
l’article 41 de son Statut «a pour objet de sauvegarder le droit de chacune des parties en attendant
qu’elle rende sa décision, afin qu’un préjudice irréparable ne soit pas causé aux droits en litige dans
une procédure judiciaire». Elle fait observer qu’elle doit «se préoccuper de sauvegarder par de
telles mesures les droits que l’arrêt qu’elle aura ultérieurement à rendre pourrait éventuellement
reconnaître, soit au demandeur, soit au défendeur». La Cour doit donc au préalable s’assurer de
l’existence d’un lien entre «les droits allégués que les mesures conservatoires sollicitées visent à
protéger et l’objet de l’instance pendante devant la Cour sur le fond de l’affaire». Après examen
des arguments des Parties, la Cour note que les articles 2 et 5 de la CIEDR obligent les Etats parties
à prendre certaines mesures spécifiques afin de pr otéger les individus contre la discrimination
raciale, d’une part, et confèrent aux Etats parties le droit d’exiger d’un Etat partie l’exécution des
obligations qui lui incombent au titre des dispositions susvisées, d’autre part. La Cour en déduit
qu’«il existe un rapport de corrélation entre le re spect des droits des individus, les obligations
incombant aux Etats parties en vertu de la CIEDR et le droit des Etats parties à demander
l’exécution de ces obligations». Elle en conclut que «les droits que la Géorgie invoque dans sa
demande en indication de mesures conservatoires et qu’elle cherche à protéger en présentant
celle-ci possèdent un lien suffisant, aux fins de la présente procédure, avec le fond de l’affaire
introduite par elle». Elle déclare en conséque nce devoir porter son attention sur les droits en
question dans son examen de la demande en indi cation de mesures conservatoires présentée par la
Géorgie.
⎯ Risque de préjudice irréparable et urgence
La Cour rappelle que le pouvoir d’indiquer des mesures conservatoires qu’elle tient de
l’article 41 de son Statut «présuppose qu’un préjudi ce irréparable ne doit pas être causé aux droits
en litige dans une procédure judiciaire». Elle précise que ce
pouvoir ne sera exercé «que s’il y a
urgence, c’est-à-dire s’il existe un réel risque qu ’une action préjudiciable aux droits de l’une ou
l’autre Partie soit commise avant que la Cour n’ait rendu sa décision définitive».
La Cour fait observer qu’elle n’est pas appelée, à ce stade de la procédure, «à établir
l’existence de violations de la CIEDR, mais à déterminer si les circonstances exigent l’indication
de mesures conservatoires à l’effet de protéger d es droits conférés par [ce tte convention]». Elle
considère que les droits en cause en l’espèce, en particulier le droit à la sûreté des personnes, le
droit à la protection de l’Etat contre les voies de fait ou les sévices (article 5, alinéa b)) et le droit de
circuler librement et de choisir sa résidence à l’intérieur d’un Etat (article5, alinéa d)i)), sont de
nature telle que le préjudice qui leur serait porté pourrait être irréparable.
La Cour se dit «consciente du caractère excep tionnel et complexe de la situation sur le
terrain en Ossétie du Sud, en Abkhazie et dans les régions adjacentes, et prend note des incertitudes
qui demeurent quant à la question de savoir qui y détient l’autorité». Elle poursuit en indiquant
que, «sur la foi des informations versées au dos sier de l’affaire,…la population de souche
géorgienne qui se trouve dans les régions touch ées par le récent conflit demeure vulnérable». La
Cour ajoute que «la situation en Ossétie du Sud, en Abkhazie et dans les régions adjacentes de
Géorgie est instable et pourrait changer rapidement [et] que, étant donné les tensions actuelles et
l’absence d’un règlement global du conflit dans cette zone, … les popul ations de souche ossète et
abkhaze demeurent également vulnérables». La Cour considère enfin que, «s’il a été entrepris d’y
remédier, les problèmes des réfugiés et des personnes déplacées dans cette zone n’ont pas encore
été résolus dans leur totalité».
A la lumière de ce qui précède, la Cour considère qu’ «il existe, s’agissant des groupes
ethniques susvisés, un risque imminent que les droits en cause…subissent un préjudice
irréparable». - 5 -
Mesures conservatoires indiquées
La Cour se dit «convaincue que des mesures conservatoires doivent être indiquées afin de
protéger les droits conférés par la CIEDR qui c onstituent l’objet du différend». Elle précise que,
«lorsqu’une demande en indication de mesures conservatoires lui a été présentée, [elle] a le
pouvoir, en vertu de son Statut, d’indiquer des mesures totalement ou partiellement différentes de
celles qui sont sollicitées, ou des mesures qui s’adressent à la partie même dont émane la
demande». La Cour «n’estime pas que, dans les circonstances de l’espèce, les mesures à indiquer
doivent être identiques à celles demandées par la Géorgie». Ayant examiné les éléments qui lui ont
été soumis, la Cour «juge opportun d’indiquer des mesures à l’intention des deux Parties».
La Cour rappelle que les mesures conser vatoires qu’elle indique «ont un caractère
obligatoire» et «créent donc des obligations ju ridiques que les deux Parties sont tenues de
respecter». Elle précise enfin que sa décision ne préjuge en rien la question de sa compétence pour
connaître du fond de l’affaire, ni aucune question relative à la receva bilité de la requête ou au fond
lui-même, et qu’elle «laisse intact le droit des G ouvernements de la Géorgie et de la Fédération de
Russie de faire valoir leurs moyens en ces matières».
*
Composition de la Cour
La Cour était composée comme suit: Mme Higgins, président ; M. Al-Khasawneh,
vice-président; MM.Ranjeva, Shi, Koroma, Buerge nthal, Owada, Simma, Tomka, Abraham,
Keith, Sepúlveda-Amor, Bennouna, Skotnikov, juges ; M. Gaja, juge ad hoc; M. Couvreur,
greffier.
M. le juge Al-Khasawneh, vice-président, et MM. les juges Ranjeva, Shi, Koroma, Tomka,
Bennouna et Skotnikov joignent une opinion dissi dente commune à l’ordonnance de la Cour.
M. le juge ad hoc Gaja joint une déclaration à l’ordonnance de la Cour.
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Un résumé de l’ordonnance figure dans le document intitulé «Résumé n 2008/4» auquel est
annexé un résumé de la déclaration et de l’opinion jointes à l’ordonnance. Le présent communiqué
de presse, le résumé de l’ordonnance, ainsi que le texte intégral de celle-ci sont disponibles sur le
site Internet de la Cour (www.icj-cij.org).
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Département de l’information :
Mme Laurence Blairon, secrétaire de la Cour, chef du département (+31 (0)70 302 2336)
MM. Boris Heim et Maxime Schouppe, attachés d’information (+31 (0)70 302 2337)
Mme Joanne Moore, attachée d’information adjointe (+31 (0)70 302 2394)
- Mesures conservatoires - La Cour dit notamment que les deux Parties doivent s'abstenir de tous actes de discrimination raciale et doivent s'abstenir d'encourager, de défendre ou d'appuyer de tels actes ; qu'elles doivent faciliter l'apport d'aide humanitaire ; et qu'elles doivent s'abstenir de tout acte risquant de porter atteinte aux droits respectifs des Parties ou qui risquerait d'aggraver ou d'étendre le différend
Application de la convention internationale sur l'élimination de toutes les formes de discrimination raciale (Géorgie c. Fédération de Russie) - Mesures conservatoires - La Cour dit notamment que les deux Parties doivent s'abstenir de tous actes de discrimination raciale et doivent s'abstenir d'encourager, de défendre ou d'appuyer de tels actes ; qu'elles doivent faciliter l'apport d'aide humanitaire ; et qu'elles doivent s'abstenir de tout acte risquant de porter atteinte aux droits respectifs des Parties ou qui risquerait d'aggraver ou d'étendre le différend