COUR INTERNATIONALE DE JUSTICE
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Communiqué de presse
Non officiel
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N 2007/14
Le 24 mai 2007
Ahmadou Sadio Diallo
(République de Guinée c. République démocratique du Congo)
Exceptions préliminaires
La Cour déclare la requête de la Guinée recevable en ce qu’elle a trait à la protection
des droits de M. Diallo en tant qu’individu et de ses droits propres en tant
qu’associé des sociétés Africom-Zaïre et Africontainers-Zaïre
LA HAYE, le 24 mai 2007. La Cour internati onale de Justice (CIJ), organe judiciaire
principal de l’Organisation des NationsUnies, a rendu aujourd’hui son arrêt sur les exceptions
préliminaires soulevées par la République dé mocratique du Congo (RDC) en l’affaire
Ahmadou Sadio Diallo (République de Guinée c. République démocratique du Congo) .
Dans son arrêt, la Cour
1) Quant à l’exception préliminaire d’irrecevabilité soulevée par la République démocratique
du Congo à raison de l’absence de qualité de la République de Guinée pour agir en protection
diplomatique en l’espèce :
a) à l’unanimité,
Rejette ladite exception en ce qu’elle a trait à la protection des droits propres de M. Diallo en
tant qu’associé des sociétés Africom-Zaïre et Africontainers-Zaïre ;
b) par quatorze voix contre une,
Retient ladite exception en ce qu’elle a trait à la protection de M. Diallo pour les atteintes
alléguées aux droits des sociétés Africom-Zaïre et Africontainers-Zaïre ;
POUR : Mme Higgins, président ; M. Al-Khasawneh, vice-président ; MM. Ranjeva, Shi,
Koroma, Buergenthal, Owada, Simma, Tomk a, Abraham, Keith, Bennouna, Skotnikov,
juges ; M. Mampuya, juge ad hoc ;
CONTRE : M. Mahiou, juge ad hoc ;
2) Quant à l’exception préliminaire d’irrecevabilité soulevée par la République démocratique
du Congo à raison du non-épuisement par M. Diallo des voies de recours internes :
a) à l’unanimité,
Rejette ladite exception en ce qu’elle a trait à lotection des droits de M. Diallo en tant
qu’individu ; - 2 -
b) par quatorze voix contre une,
Rejette ladite exception en ce qu’elle a trait à la protection des droits propres de M. Diallo en
tant qu’associé des sociétés Africom-Zaïre et Africontainers-Zaïre ;
POUR : Mme Higgins, président ; M. Al-Khasawneh, vice-président ; MM. Ranjeva, Shi,
Koroma, Buergenthal, Owada, Simma, Tomk a, Abraham, Keith, Bennouna, Skotnikov,
juges ; M. Mahiou, juge ad hoc ;
CONTRE : M. Mampuya, juge ad hoc ;
3) En conséquence,
a) à l’unanimité,
Déclare la requête de la République de Guinée recevable en ce qu’elle a trait à la protection
des droits de M. Diallo en tant qu’individu ;
b) par quatorze voix contre une,
Déclare la requête de la République de Guinée recevable en ce qu’elle a trait à la protection
des droits propres de M. Diallo en tant qu’associé des sociétés Africom-Zaïre et
Africontainers-Zaïre ;
POUR : Mme Higgins, président ; M. Al-Khasawneh, vice-président ; MM. Ranjeva, Shi,
Koroma, Buergenthal, Owada, Simma, Tomk a, Abraham, Keith, Bennouna, Skotnikov,
juges ; M. Mahiou, juge ad hoc ;
CONTRE : M. Mampuya, juge ad hoc ;
c) par quatorze voix contre une,
Déclare la requête de la République de Guinée irrecevable en ce qu’elle a trait à la protection
de M. Diallo pour les atteintes alléguées aux droits des sociétés Africom-Zaïre et
Africontainers-Zaïre.
POUR : Mme Higgins, président ; M. Al-Khasawneh, vice-président ; MM. Ranjeva, Shi,
Koroma, Buergenthal, Owada, Simma, Tomk a, Abraham, Keith, Bennouna, Skotnikov,
juges ; M. Mampuya, juge ad hoc ;
CONTRE : M. Mahiou, juge ad hoc.
Raisonnement de la Cour
La Cour constate que les Parties s’accord ent sur les faits suivants. M. Ahmadou Sadio
Diallo, citoyen guinéen, a créé en 1974 en RDC (dénommée «Congo» de 1960 à 1971, puis «Zaïre»
de1971 à1997) la société d’import/export Africo m-Zaïre, une société privée à responsabilité
limitée (S.P.R.L.) de droit zaïrois, dont il devintle gérant. En 1979, M. Diallo participa à la
création d’une nouvelle S.P.R.L. de droit zaïrois, Af ricontainers-Zaïre, spécialisée dans le transport
de marchandises par conteneurs, avec l’appui de deux partenaires privés. Ceux-ci se retirèrent
en1980, entraînant une redistribution des parts sociales de la société entre Africom-Zaïre et
M.Diallo lui-même, qui devint le gérant d’A fricontainers-Zaïre. Ve rs la fin des années
quatre-vingt, les relations d’Africom-Zaïre et d’Africontainers-Zaïre avec leurs partenaires - 3 -
commerciaux commencèrent à se dégrader. Les deux sociétés entreprirent, par l’intermédiaire de
leur gérant, divers recours, y compris judiciair es, pour tenter de recouvrer des créances alléguées
auprès de l’Etat zaïrois et de sociétés publiqu es et privées au Zaïre. Ces litiges restent pour
l’essentiel non résolus à ce jour.
La Cour estime établi que le 31 octobre 1995, le premier ministre zaïrois prit un décret
d’expulsion à l’encontre de M. Diallo et que, le 31 janvier 1996, M. Diallo fut renvoyé du territoire
zaïrois et reconduit en Guinée par la voie aérienne . Son expulsion lui fut notifiée sous la forme
d’un procès-verbal de refoulement pour «séjour irrégulier», établi à l’aéroport de Kinshasa.
La Cour observe que les Parties divergent sur les circonstances particulières de l’arrestation,
de la détention et de l’expulsion de M. Diallo, et sur les raisons de celles-ci. La Guinée soutient
qu’elles constituent l’aboutissement d’une politique visant à empêcher M.Diallo de recouvrer les
créances dues à ses sociétés. La RDC réfute cet argument, affirmant que l’expulsion de M. Diallo
se justifiait par le fait que sa présence et sa conduite compromettaient l’ordre public zaïrois.
Examinant les demandes de la Guinée, la Cour relève que cette dernière entend exercer sa
protection diplomatique en faveur de M. Diallo à raison de la viola tion de trois catégories de droits
qui aurait accompagné son arrestation, sa détenti on et son expulsion, ou en découlerait : ses droits
individuels en tant que personne, ses droits propres d’associé des sociétés Africom-Zaïre et
Africontainers-Zaïre, et les droits desdites sociétés, par «substitution».
S’agissant de sa compétence, la Cour note que l es Parties ont fait des déclarations en vertu
du paragraphe2 de l’article36 de son Statut. La RDC conteste néanmoins la recevabilité de la
requête guinéenne et soulève deux exceptions prélim inaires. Selon la RDC, la Guinée n’aurait pas
qualité pour agir dans la mesure où les droits qu’elle entend protéger seraient des droits appartenant
aux sociétés Africom-Zaïre et Africontainers-Zaï re, de nationalité congolaise, et non à M.Diallo.
La Guinée ne pourrait en outre pas exercer sa prot ection diplomatique parce que ni M.Diallo, ni
lesdites sociétés n’auraient épui sé les voies de recours ouvertes dans l’ordre juridique interne
congolais afin d’obtenir réparation des préjudices allégués.
⎯ Protection des droits de M. Diallo en tant qu’individu
La Cour examine si la Guinée a satisfait a ux conditions de l’exercice de la protection
diplomatique telles que définies par le droit international coutumier, à savoir si M. Diallo a la
nationalité de la Guinée et s’il a épuisé les voies de recours internes disponibles en RDC.
Sur le premier point, la Cour relève qu’il n’est pas contesté par la RDC que M. Diallo a
seulement la nationalité guinéenne et qu’il a possédé celle-ci de manière continue de la date du
préjudice allégué jusqu’à la date d’introduction de l’instance.
Sur le second point, la Cour observe que «[ l]a règle selon laquelle les recours internes
doivent être épuisés avant qu’une procédure intern ationale puisse être engagée est une règle bien
établie du droit international c outumier». Examinant la question de l’épuisement des recours
internes en ce qui concerne l’expulsion de M. Diallo, à laquelle s’est li mitée l’argumentation des
Parties, elle rappelle que cette expulsion, au moment de son exécution, a été qualifiée de mesure de
«refoulement» et que les mesures de refoulemen t ne sont pas susceptibles de recours en droit
congolais. En réponse à l’argument de la RDC selon lequel le service d’immigration aurait
«malencontreusement» utilisé le terme «refoulement» au lieu d’«expulsion», erreur qui n’aurait pas
été destinée à priver M. Diallo de recours, la Cour estime que la RDC ne saurait aujourd’hui se
prévaloir d’une telle erreur pour prétendre que M. Diallo aurait dû traiter la mesure prise à son
égard comme une expulsion. Quant à la possib ilité qu’aurait eue M. Diallo d’introduire une
demande de reconsidération auprès de l’autorité administrative compétente, la Cour indique que les - 4 -
recours administratifs ne peuvent être pris en considération aux fins de la règle de l’épuisement des
voies de recours internes que dans la mesure où ils visent à faire valoir un droit et non à obtenir une
faveur, à moins qu’ils ne soient une condition préal able essentielle à la recevabilité de la procédure
contentieuse ultérieure. Elle conclut que tel n’est pas le cas en l’espèce.
La requête de la Guinée est par conséquent r ecevable en ce qu’elle a trait à la protection des
droits de M. Diallo en tant qu’individu.
⎯ Protection des droits propres de M. Diallo en tant qu’associé des sociétés Africom-Zaïre et
Africontainers-Zaïre
S’agissant de la qualité de la Guinée pour agir, la Cour rappelle que l’exercice par un Etat de
la protection diplomatique d’une personne physique ou morale de sa nationalité, qui est associé ou
actionnaire, vise à mettre en cause la responsabilité d’un autre Etat pour un préjudice causé à cette
personne par un acte internationalement illicite d udit Etat. Dans le cas de l’associé ou de
l’actionnaire, cet acte revient à la violation par l’ Etat défendeur des droits propres de celui-ci dans
sa relation avec la personne morale, droits propres qui sont définis par le droit interne de cet Etat.
Ayant examiné les arguments des Parties, la Cour constate qu’en l’espèce la Guinée a bien qualité
pour agir dans la mesure où son action concerne une personne ayant sa nationalité, M.Diallo, et
qu’elle est dirigée contre des actes prétendument illic ites de la RDC qui auraient porté atteinte aux
droits de cette personne, en particulier ses dr oits propres en tant qu’associé des sociétés
Africom-Zaïre et Africontainers-Zaïre.
S’agissant du non-épuisement des voies de recours internes, la Cour note que la violation
alléguée des droits propres de M. Diallo en tant qu’associé des sociétés Africom-Zaïre et
Africontainers-Zaïre a été traitée par la Guinée co mme une conséquence directe de son expulsion.
Or, la Cour a déjà constaté que la RDC n’a pas démontré qu’il existait, en droit congolais, des voies
de recours efficaces contre cette mesure d’expulsio n. La Cour relève par ailleurs que, à aucun
moment, la RDC n’a indiqué qu’il existait dans l’ordre juridique congolais des voies de recours
contre les violations alléguées des droits propres de M. Diallo en tant qu’associé, qui auraient été
distinctes de celles relatives à son expulsion, et qu’il aurait dû épuiser.
La requête de la Guinée est par conséquent r ecevable en ce qu’elle a trait à la protection des
droits propres de M. Diallo en tant qu’associé des sociétés Africom-Zaïre et Africontainers-Zaïre.
⎯ Protection en faveur de M. Diallo «par substitution» aux sociétés Africom-Zaïre et
Africontainers-Zaïre
La Cour se penche sur la question de savoir si la Guinée pourrait, comme elle le prétend,
exercer une protection diplomatique en faveur de M. Diallo «par substitution» aux sociétés
Africom-Zaïre et Africontainers-Zaïre. La théorie de la protection par substitution vise à offrir une
protection aux actionnaires étrangers d’une société qui ne pourraient pas invoquer le bénéfice d’un
accord international, et auxquels aucun autre rec ours ne serait ouvert, dans la mesure où les actes
prétendument illicites auraient été commis à l’encontre de la société par l’Etat de la nationalité de
celle-ci. Ayant examiné la pratique des Etats et les décisions des cours et tribunaux internationaux,
la Cour dit qu’elles ne révèlent pas ⎯du moins à l’heure actuelle ⎯ l’existence en droit
international coutumier d’une exception perm ettant une protection par substitution telle
qu’invoquée par la Guinée. La Cour examine ensu ite s’il existe en droit international coutumier
une règle de protection par substitution de portée plus limitée, telle que celle formulée par la
Commission du droit international (CDI) dans son pr ojet d’articles sur la protection diplomatique,
qui ne trouverait à s’appliquer que lorsque la constitution d’une sociét é dans l’Etat auteur de la
violation alléguée «était une condition exigée par ce dernier pour qu’elle puisse exercer ses
activités dans le même Etat» (art. 11, par. b) ). La Cour note que ce cas de figure ne semble pas
correspondre à celui auquel elle a affaire en l’ espèce car il n’a pas été établi à suffisance que la - 5 -
constitution d’Africom-Zaïre et d’Africontainers -Zaïre au Zaïre aurait été exigée de leurs
fondateurs pour que ceux-ci puissent opérer dans les secteurs économiques concernés dans ce pays.
Dès lors, la question de savoir si le projet d’article11, paragraphe b) , de la CDI reflète ou non le
droit international coutumier ne se pose pas en l’espèce.
La Cour ne saurait par conséquent accepter la prétention de la Guinée à exercer une
protection diplomatique par substitution. Etant pa rvenue à cette conclusion, la Cour n’a pas à
examiner plus avant l’exception soulevée par la RDC à raison du non-épuisement des voies de
recours internes.
La requête de la Guinée est donc irrecevable en ce qu’elle a trait à la protection de M. Diallo
pour les atteintes alléguées aux droits des sociétés Africom-Zaïre et Africontainers-Zaïre.
Composition de la Cour
La Cour était composée comme suit: Mme Higgins, président ; M. Al-Khasawneh,
vice-président; MM. Ranjeva, Shi, Koroma, Buerge nthal, Owada, Simma, Tomka, Abraham,
Keith, Bennouna, Skotnikov, juges ; MM. Mahiou, Mampuya, juges ad hoc ; M. Couvreur, greffier.
M. le juge ad hoc Mahiou a joint une déclarati on à l’arrêt de la Cour; M. le juge ad hoc
Mampuya a joint à l’arrêt l’exposé de son opinion individuelle.
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Un résumé de l’arrêt est fourni dans le document intitulé «Résumé n 2007/3», auquel sont
annexés les résumés de la déclaration et de l’opinion qui y sont jointes. Le présent communiqué de
presse, le résumé de l’arrêt, ainsi que le texte intégral de celui-ci figurent également sur le site
Internet de la Cour (www.icj-cij.org) sous les rubriques «Espace Presse» et «Affaires».
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Déparlt’ndeortmation
Mme Laurence Blairon, secrétaire de la Cour, chef du département (+31 70 302 23 36)
MM. Boris Heim et Maxime Schouppe, attachés d’information (+31 70 302 23 37)
Mme Joanne Moore, attachée d’information adjointe (+31 70 302 23 94)
Adresse de courrier électronique : [email protected]
Ahmadou Sadio Diallo (République de Guinée c. République démocratique du Congo) - Exceptions préliminaires - La Cour déclare la requête de la Guinée recevable en ce qu'elle a trait à la protection des droits de M. Diallo en tant qu'individu et de ses droits propres en tant qu'associé des sociétés Africom-Zaïre et Africontainers-Zaïre