Licéité de l'emploi de la force (Serbie-et-Monténégro c. Portugal) - Exceptions préliminaires - La Cour dit qu'elle n'a pas compétence pour connaître des demandes formulées par la Serbie-et-Monténégro

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111-20041215-PRE-01-00-EN
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2004/45
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COUR INTERNATIONALE DE ruSTICE

Palais de la Paix, 2517 KJ La Haye. Tél:+31 (0)70 302 23 23. Télégr.:Intercourt,
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Communiqué de presse

Non officiel

N° 2004/45

Le 15 décembre2004

Licéitéde l'emploi de la force (Serbie-et-Monténégro c. Portugal)
Exceptions préliminaires

La Cour dit qu'elle n'a pas compétence pour connaître des
demandes formulées par la Serbie-et-Monténégro

LA HAYE, le 15 décembre2004. La Cour internationale de Justice (CIJ), organe judiciaire
principal de l'Organisation des Nations Unies, a conclu ce jour qu'elle n'avait pas compétencepour
connaître des demandes formuléespar la Serbie-et-Monténégrocontre le Portugal dans sa requête
déposéele 29 avril 1999. La décisionde la Cour a étprise à l'unanimité.

Historique du différend

Le 29 avril1999, la République fédérale de Yougoslavie (devenue à compter du

4 février2003 la «Serbie-et-Monténégro»)a déposéune requêteintroductive d'instance contre le
Portugal au sujet d'un différendconcernant des actes que le Portugal aurait commis

«en violation de son obligation internationale de ne pas recourir à 1'emploi de la force
contre un autre Etat, de l'obligation ne pas s'immiscer dans les affaires intérieures
d'un autre Etat, de l'obligation de ne pas porter atteànla souverainetéd'un autre
Etat, de l'obligation de protégerles populations civiles et les biensaractère civil
en temps de guerre, de l'obligation de protéger l'environnement, de l'obligation

touchant à la libertéde navigation sur les cours d'eau internationaux, de l'obligation
concernant les droits et libertésfondamentaux de la personne humaine, de l'obligation
de ne pas utiliser des armes interdites, de l'obligation de ne pas soumettre
intentionnellement un groupe national des conditions d'existence devant entraîner sa
destructionphysique».

La requêteinvoquait comme base de compétence de la Cour le paragraphe 2 de l'article 36 du
Statut de la Cour ainsi que l'article IX de la convention pour la préventionet la répressiondu crime
de génocide, adoptée par l'Assemblée générale des Nations Unies le 9 décembre1948
(«convention sur le génocide»). Le mêmejour, dans le cadre d'autres différendsayant leur origine

dans les mêmesfaits, la Républiquefédérale de Yougoslavie a déposédes requêtesintroductives
d'instance, rédigéespour l'essentiel en termes similaires, contre l'Allemagne, la Belgique,le
Canada, l'Espagne, les Etats-Unis d'Amérique,la France, l'Italie, les Pays-Bas et le Royaume-Uni.

Par ordonnances datées du 2 juin 1999, la Cour a rejeté les demandes en indication de

mesures conservatoires présentéesdans chacune des dix affaires, dont la présente,et a également
décidéde rayer du rôle les affaires introduites contre 1'Espagne et les Etats-Unis d'Amériqueau
motif qu'elle n'avait manifestementpas compétence. -2-

Le 5juillet 2000, le Portugal a présentédes exceptions préliminaires portant sur la
compétence de la Cour pour connaître de l'affaire et sur la recevabilité de la requête. En
conséquence,la procéduresur le fond a étésuspendue. Des audiences, portant sur ces exceptions
ainsi que celles soulevéespar les sept autres défendeurs,ont tenues du 19 au 23 avril2004.

Raisonnement de la Cour

La Cour examine tout d'abord une question préliminairequi a étésoulevéesous diverses
formes dans chacune des huit affaires relativàla Licéitéde 1'emploi de la force, dont la présente,
en l'occurrence la question de savoir àila suite du changement d'attitude du demandeur en ce qui

concerne la compétencede la Cour, exprimé dansses observations sur les exceptions préliminaires
du défendeur,la Cour ne devrait pas simplement se dessaisir de l'affaire in limine litis et la rayer de
sonrôle, sans aller plus avant dans l'examen des questions de compétence.

La Cour n'est pas en mesure de faire droit aux diverses assertions des Etats défendeàrce
sujet. Elle estime ne pas pouvoir considérerles observations de la Serbie-et-Monténégrocomme

ayant pour effet juridique un désistementet conclut que la présenteespècene relèvepas de celles
dans lesquelles elle peut, de sa propre initiative, mettre un teràela procédure. S'agissant de
l'argument avancépar certains défendeursselon lequel le différendrelatif àla compétenceaurait
disparu au motif que les Parties s'accordent désormaià reconnaître que le demandeur n'étaitpas
partie au Statut au moment considéré,la Cour souligne que, dans ses conclusions, la
Serbie-et-Monténégro lui a expressémentdemandéde se prononcer sur sa compétence. Elle note

qu'il y a de toute manièrelieu d'établirune distinction entre une question de compétenceliéeau
consentement d'une partie et celle du droit d'une paràiester devant la Cour, qui est indépendante
des vues ou des souhaits des Parties. Quant àl'argument selon lequel le différendau fond aurait
disparu, la Cour fait observer qu'il est clair que la Serbie-et-Montén'a aucunement renoncé à
ses prétentions au fond. De fait, celles-ci ont étéabondamment exposées et développéesen
substance au cours de la procédureorale sur la compétence,à propos de la compétencede la Cour

au titre de l'article IX de la convention sur le génocide. Il est tout aussi clair que lesdites
prétentionssont vigoureusement rejetéespar les défendeurs. La Cour ne peut donc dire que la
Serbie-et-Monténégroait renoncé à l'un quelconque de ses droits au fond ou de ses droits
procéduraux,ni qu'elle ait adoptépour position que le différendentre les Parties aurait cessé
d'exister. Pour tous ces motifs, la Cour estime qu'elle ne peut rayer du rôle les affaires reàatives
la Licéitéde 1'emploi de la force, ni prendre une décisionqui mettrait fin à ces affaires in limine

litis, et que, au stade actuel des procédures,elle doit examiner la question de sa compétencepour
connaître de 1'affaire.

La Cour observe que la question de savoir si la Serbie-et-Monténégroétaitou non partie au
Statut de la Cour à l'époque de l'introduction des présentes instances est une question
fondamentale; en effet, si la Serbie-et-Monténégron'avait pas étépartie au Statut,a Cour ne lui

aurait pas étéouverte. Aussi cette dernièredoit-elle tout d'abord examiner la question de savoir si
le demandeur remplit les conditions énoncéesaux articles 34 et 35 du Statut, avant d'examiner
celles relatives aux conditions énoncéàsl'article 36 du Statut.

La Cour relèvequ'il ne fait aucun doute que la Serbie-et-Monténégroest un Etat aux fins du
paragraphe 1 de l'article 34 du Statut. Cependant, certains défendeursont affirméque, au moment

où elle a déposésa requête,la Serbie-et-Monténégrone remplissait pas les conditions posées à
l'article 35 du Statut. La Cour rappelle le Portugal a notamment soutenu, à titre de première
exception préliminaire àla compétencede la Cour, que la Cour ne lui étaitpas ouverte au titre du
paragraphe 1 de l'article 35 du Statut (exceptions préliminairesdu Portugal, p. 5-12). Il estime que
le demandeur n'étaitpas membre de l'Organisation des Nations Unies et qu'il n'étaitdèslors pas
partie au Statut car «seuls les Etats Membres des Nations Unies sont ipso facto parties au Statut de

la Cour (article 93, paragraphe 1 de la Charte)» et que le demandeur «n'a pas demandé ày être - 3 -

partie en application du paragraphe 2 de l'article93 [de la Charte des Nations Unies]» (exceptions

préliminairesdu Portugal, p. 7 et12,par. 29 et 56, respectivement).

La Cour relate d'abord la suite des événementsqui ont trait au statut juridique du demandeur
vis-à-vis de l'Organisation des Nations Unies. Elle se réfèrenotamment aux élémentssuivants:

1'éclatementde la République fédérativesocialiste de Yougoslavie dans la périodeallant de 1991
à 1992; une déclarationdu 27 avril 1992 de 1'Assembléede la RFSY, de 1'Assembléenationale de
la République de Serbie et de l'Assemblée de la République du Monténégroproclamant la

continuation par la Républiquefédéralede Yougoslavie de la personnalitéjuridique et politique de
la RFSY; une note du mêmejour adressée par la Yougoslavie au Secrétaire généralde
l'Organisation des Nations Unies affirmant que la RFY assurait la continuité de la qualité de
Membre de la RFSY au sein de l'Organisation; la résolution 777(1992) du Conseil de sécuritédans

laquelle celui-ci a estiméque laRFY ne pouvait assurer automatiquement la continuitéde la qualité
de Membre de la RFSY; la résolution47/1 (1992) de l'Assembléegénéraleprécisantque la RFY ne
participerait pas aux travaux de 1'Assembléegénérale;enfin, la lettre datéedu 29 septembre 1992
du conseiller juridique de l'Organisation concernant les «conséquences pratiques» de l'adoption

par l'Assembléegénéralede la résolution47/1. La Cour conclut ensuite que la situation juridique
ayant prévaluaux Nations Unies pendant la périodecomprise entre 1992 et 2000 à l'égarddu statut
de la Républiquefédéralede Yougoslavie aprèsl'éclatementde la Républiquefédérativesocialiste
de Yougoslavie étaitdemeuréeambiguë et ouverte à des appréciationsdivergentes, ce qui découlait

notamment de l'absence d'une décision faisant autorité par laquelle les organes compétents de
l'Organisation des Nations Unies auraient défini de manière claire le statut juridique de la
Républiquefédéralede Yougoslavie vis-à-vis de l'Organisation. La Cour passe ensuite en revue
les diverses positions adoptéesà cet égardau sein de l'Organisation des Nations Unies.

Dans ce contexte, la Cour observe que, dans son arrêtdu 3 février 2003 en l'affaire de la
Demande en revision de l'arrêtdu 11 juillet 1996 en l'affaire relative à l'Application de la
convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Bosnie-Herzégovine

c. Yougoslavie), exceptions préliminaires (Yougoslavie c. Bosnie-Herzégovine), elle a évoquéla
situation «sui generis» où la RFY s'étaittrouvée«dans la périodecomprise entre 1992 et 2000»;
dans cette affaire, aucune conclusion finale et définitivene fut toutefois tiréepar la Cour de cette

formule utilisée pour décrire le statut juridique indéterminéde la République fédérale de
Yougoslavie vis-à-vis de l'Organisation des Nations Unies, ou au sein de celle-ci, pendant ladite
période. La Cour considère qu'une nouvelle évolutiona mis un terme à cette situation en 2000:
après avoir demandé le 27 octobre de cette année-là à devenir membre de l'Organisation des

Nations Unies, la République fédéralede Yougoslavie y fut admise le 1ernovembre par la
résolution55/12 de l'Assembléegénérale.La Serbie-et-Monténégroa donc le statut de Membre de
l'Organisation des Nations Unies depuis le 1ernovembre 2000. Toutefois, son admission au sein de
l'Organisation des Nations Unies n'a pas remontéet n'a pu remonter à l'époquede l'éclatementet

de la disparition de la République fédérativesocialiste de Yougoslavie. Il est apparu clairement
que la situation sui generis du demandeur ne pouvait êtreregardéecomme équivalantà la qualité de
Membre de l'Organisation.

De l'avis de la Cour, l'importance de cette évolutionsurvenue en 2000 tient au fait qu'elle a
clarifiéla situation juridique, jusque-là indéterminée,quant au statut de la Républiquefédéralede
Yougoslavie vis-à-vis de l'Organisation des Nations Unies. La Cour se trouvant aujourd'hui à
mêmed'apprécierl'ensemble de la situation juridique, et compte tenu des conséquencesjuridiques

du nouvel état de fait existant depuis le 1ernovembre 2000, elle conclut que la
Serbie-et-Monténégro,au moment où elle a déposésa requêteintroduisant la présente instance
devant la Cour, le 29 avri11999, n'étaitpas membre de l'Organisation des Nations Unies, ni en
cette qualitépartie au Statut de la Cour internationale de Justice. Par voie de conséquence, le

demandeur n'étantpas devenu partie au Statut sur une quelconque autre base, la Cour ne lui était
pas ouverte sur la base du paragraphe 1 de l'article5 du Statut. -4-

La Cour examine ensuite la question de savoir si elle pouvait être ouverte à la

Serbie-et-Monténégro en vertu du paragraphe 2 de l'article 35, lequel dispose:

«Les conditions auxquelles [la Cour] est ouverte aux autres Etats [à savoir les
Etats non parties au Statut] sont, sous réserve des dispositions particulières des traités

en vigueur, régléespar le Conseil de sécurité,et, dans tous les cas, sans qu'il puisse en
résulter pour les parties aucune inégalitédevant la Cour.»

La Cour commence par relever que 1'expression «traités en vigueur» contenue dans ce

paragraphe, dans son sens naturel et ordinaire, ne fournit pas d'indication quant à la date à laquelle
les traités visés doivent êtreen vigueur. On peut l'interpréter comme visant les traités qui étaient
en vigueur à la date à laquelle le Statut lui-mêmeétaitentréen vigueur, ou comme visant les traités
qui étaient en vigueur à la date de l'introduction de l'instance dans une affaire où ces traités sont

invoqués.

La Cour souligne que le paragraphe 2 de l'article 35 vise à réglementer les conditions
d'accès à la Cour pour les Etats qui ne sont pas parties au Statut. TIaurait étéincompatible avec

l'objet essentiel du texte que de permettre que des Etats non parties au Statut puissent avoir accès à
la Cour par la simple conclusion d'un traité spécial, multilatéral ou bilatéral, contenant une
disposition à cet effet. La Cour considère que l'interprétation selon laquelle le paragraphe 2 de
l'article 35 se réfère aux traités en vigueur à la date de l'entrée en vigueur du Statut est en fait

confortée par une analyse des travaux préparatoires du texte.

La Cour conclut donc que, mêmeà supposer que le demandeur ait étépartie à la convention
sur le génocide à la date pertinente, le paragraphe 2 de l'article 35 ne lui donne pas accès à la Cour

sur la base de 1'article IX de cette convention puisque celle-ci n'est entrée en vigueur que le
12janvier 1951, après 1'entréeen vigueur du Statut. Dès lors, la Cour n'estime pas nécessaire de
décider si, lorsque la présente instance a étéintroduite, la Serbie-et-Monténégro étaitou non partie

à la convention sur le génocide le 29 avri11999.

La Cour ayant conclu que la Serbie-et-Monténégro n'avait qualité pour ester devant la Cour,
ni en vertu du paragraphe 1, ni en vertu du paragraphe 2 de l'article 35 du Statut, elle constate qu'il
n'est pas nécessaire pour elle d'examiner les autres exceptions préliminaires à sa compétence

soulevées par le défendeur.

La Cour rappelle enfin que, qu'elle ait ou non compétence pour connaître d'un différend,
«les parties demeurent en tout état de cause responsables des actes portant atteinte aux droits

d'autres Etats qui leur seraient imputables».

Le dispositif se lit comme suit :

«Par ces motifs,

LACOUR,

A 1'unanimité,

Dit qu'elle n'a pas compétence pour connaître des demandes formulées par la
Serbie-et-Monténégro dans sa requêtedéposéele 29 avri11999.» - 5 -

Composition de la Cour

La Cour était composée comme suit : M. SHI, président; M. RANJEV A, vice-président;
MM. GUILLAUME, KOROMA, VERESHCHETIN, Mme HIGGINS, MM. PARRA-ARANGUREN,
KOOIJMANS,REZEK, AL-KHASAWNEH,BUERGENTHAL,ELARABY, ÜWADA, TOMKA, juges;
M. KREéA,juge ad hoc; M. COUVREURg ,reffier.

*

M. le juge RANJEV A, vice-président, M. le juge GUILLAUME,Mme le juge HIGGINSet
MM. les juges KOOIJMANS, AL-KHASA WNEH, BUERGENTHALet ELARABY joignent une
déclaration commune à l'arrêt; M. le juge KOROMAjoint une déclaration à l'arrêt;Mme le
juge HIGGINS,MM. les juges KOOIJMANSet ELARABYet M. le juge ad hoc KREéAjoignent à

l'arrêtles exposésde leur opinion individuelle.

Un résuméde l'arrêtest fourni dans le document intitulé «Résumén° 2004/3», auquel sont
annexés les résumésdes déclarations et opinions quy sont jointes.Le présent communiqué de
presse, le résuméde l'arrêt,ainsi que le texte intégral de celui-ci figurent également sur le site
Internet de la Cour sous les rubriquesle» et «Décisions» (www.icj-cij.org).

Département de 1'information :

M. Arthur Witteveen, premier secrétairede la Cour (tél:1 70 302 2336)
Mme Laurence Blairon et M. Boris Heim, attachésd'information (té+:31 70 302 2337)

Adresse électronique: [email protected]

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