COUR INTERNATIONALE DE ruSTICE
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Communiqué de presse
Non officiel
N° 2004/46
Le 15 décembre2004
Licéitéde l'emploi de la force (Serbie-et-Monténégro c. Royaume-Uni)
Exceptions préliminaires
La Cour dit qu'elle n'a pas compétence pour connaître des
demandes formulées par la Serbie-et-Monténégro
LA HAYE, le 15 décembre2004. La Cour internationale de Justice (CIJ), organe judiciaire
principal de l'Organisation des Nations Unies, a conclu ce jour qu'elle n'avait pas compétencepour
connaître des demandes formuléespar la Serbie-et-Monténégrocontre le Royaume-Uni dans sa
requêtedéposéele 29 avril1999. La décisionde la Cour a étéprise à l'unanimité.
Historique du différend
Le 29 avril1999, la République fédérale de Yougoslavie (devenue à compter du
4 février2003 la «Serbie-et-Monténégro»)a déposéune requêteintroductive d'instance contre le
Royaume-Uni au sujet d'un différendconcernant des actes que le Royaume-Uni aurait commis
«en violation de son obligation internationale de ne pas recoàl'emploi de la force
contre un autre Etat,e l'obligation de ne pas s'immiscer dans les affaires intérieures
d'un autre Etat, de l'obligation de ne pas porter atteinte à la souverainetéd'un autre
Etat,de 1'obligation de protégerles populations civiles et les biens de caractère civil
en temps de guerre, de l'obligation de protéger l'environnement, de l'obligation
touchant à la libertéde navigation sur les cours d'eau internationaux, de l'obligation
concernant les droits et libertésfondamentauxe la personne humaine, de 1'obligation
de ne pas utiliser des armes interdites, de l'obligation de ne pas soumettre
intentionnellement un groupe national des conditions d'existence devant entraîner sa
destructionphysique».
La requêteinvoquait comme base de compétence de la Cour le paragraphe 2 de l'article 36 du
Statut de la Cour ainsi que 1'article IX de la convention pour la préventionet la répressiondu crime
de génocide, adoptée par l'Assemblée générale des Nations Unies le 9 décembre1948
(«convention surle génocide»). Le mêmejour, dans le cadre d'autres différendsayant leur origine
dans les mêmesfaits, la Républiquefédérale de Yougoslavie a déposédes requêtesintroductives
d'instance, rédigéespour l'essentiel en termes similaires, contre l'Allemagne, la Belgique,le
Canada, l'Espagne, les Etats-Unis d'Amérique,la France, l'Italie, les Pays-Bas et le Portugal. -2-
Par ordonnances datées du 2 juin 1999, la Cour a rejeté les demandes en indication de
mesures conservatoires présentéesdans chacune des dix affaires, dont la présente, et a également
décidéde rayer du rôle les affaires introduites contre l'Espagne et les Etats-Unis d'Amérique au
motif qu'elle n'avait manifestement pas compétence.
Le 4 juillet 2000, le Royaume-Uni a présentédes exceptions préliminaires portant sur la
compétence de la Cour pour connaître de l'affaire et sur la recevabilité de la requête. En
conséquence, la procédure sur le fond a étésuspendue. Des audiences, portant sur ces exceptions
ainsi que celles soulevéespar les sept autres défendeurs,ont ététenues du 19 au 23 avril 2004.
Raisonnement de la Cour
La Cour examine tout d'abord une question préliminaire qui a étésoulevée sous diverses
formes dans chacune des huit affaires relatives à la Licéitéde 1'emploi de la force, dont la présente,
en l'occurrence la question de savoir si,àla suite du changement d'attitude du demandeur en ce qui
concerne la compétencede la Cour, exprimédans ses observations sur les exceptions préliminaires
du défendeur,la Cour ne devrait pas simplement se dessaisir de l'affaire in limine litis et la rayer de
son rôle, sans aller plus avant dans l'examen des questions de compétence.
La Cour n'est pas en mesure de faire droit aux diverses assertions des Etats défendeurs à ce
sujet. Elle estime ne pas pouvoir considérer les observations de la Serbie-et-Monténégrocomme
ayant pour effet juridique un désistement et conclut que la présenteespèce ne relève pas de celles
dans lesquelles elle peut, de sa propre initiative, mettre un terme à la procédure. S'agissant de
1'argument avancépar certains défendeurs selon lequel le différendrelatif à la compétence aurait
disparu au motif que les Parties s'accordent désormais à reconnaître que le demandeur n'étaitpas
partie au Statut au moment considéré, la Cour souligne que, dans ses conclusions, la
Serbie-et-Monténégrolui a expressément demandé de se prononcer sur sa compétence. Elle note
qu'il y a de toute manière lieu d'établirune distinction entre une question de compétence liéeau
consentement d'une partie et celle du droit d'une partie àester devant la Cour, qui est indépendante
des vues ou des souhaits des Parties. Quant à l'argument selon lequel le différendau fond aurait
disparu, la Cour fait observer qu'il est clair que la Serbie-et-Monténégron'a aucunement renoncéà
ses prétentions au fond. De fait, celles-ci ont étéabondamment exposées et développéesen
substance au cours de la procédure orale sur la compétence, à propos de la compétence de la Cour
au titre de 1'article IX de la convention sur le génocide. TI est tout aussi clair que lesdites
prétentions sont vigoureusement rejetées par les défendeurs. La Cour ne peut donc dire que la
Serbie-et-Monténégro ait renoncé à l'un quelconque de ses droits au fond ou de ses droits
procéduraux, ni qu'elle ait adopté pour position que le différend entre les Parties aurait cessé
d'exister. Pour tous ces motifs, la Cour estime qu'elle ne peut rayer du rôle les affaires relatives à
la Licéitéde l'emploi de la force, ni prendre une décisionqui mettrait fin à ces affaires in limine
litis, et que, au stade actuel des procédures, elle doit examiner la question de sa compétence pour
connaître de l'affaire.
La Cour observe que la question de savoir si la Serbie-et-Monténégroétaitou non partie au
Statut de la Cour à l'époque de l'introduction des présentes instances est une question
fondamentale; en effet, si la Serbie-et-Monténégron'avait pas étépartie au Statut, la Cour ne lui
aurait pas étéouverte. Aussi cette dernière doit-elle tout d'abord examiner la question de savoir si
le demandeur remplit les conditions énoncéesaux articles 34 et 35 du Statut, avant d'examiner
celles relatives aux conditions énoncées à1'article 36 du Statut.
La Cour relève qu'il ne fait aucun doute que la Serbie-et-Monténégroest un Etat aux fins du
paragraphe 1 de l'article 34 du Statut. Cependant, certains défendeursont affirméque, au moment
où elle a déposésa requête,la Serbie-et-Monténégrone remplissait pas les conditions posées à - 3 -
l'article 35 du Statut. La Cour rappelle que le Royaume-Uni a soutenu, à titre de première
exception préliminaire à la compétence de la Cour, que «la RFY n'[était] pas habilitée à engager
cette procédure» au motif, notamment, que :
«la RFY n'[était]pas partie au Statut de la Cour puisqu'elle n'[était]ni Membre
des Nations Unies ni un Etat non membre devenu partie au Statut en application du
paragraphe 2 de l'article 93 de la Charte [des Nations Unies]». (Exceptions
préliminaires du Royaume-Uni, p. 25, par. 3.1.)
La Cour relate d'abord la suite des événementsqui ont trait au statut juridique du demandeur
vis-à-vis de l'Organisation des Nations Unies. Elle se réfèrenotamment aux élémentssuivants:
1'éclatement de la République fédérativesocialiste de Yougoslavie dans la période allant de 1991
à 1992; la déclaration du 27 avril 1992 de 1'Assembléede la RFSY, de 1'Assemblée nationale de la
République de Serbie et de l'Assemblée de la République du Monténégro proclamant la
continuation par la République fédéralede Yougoslavie de la personnalité juridique et politique de
la RFSY; la note du mêmejour adresséepar la Yougoslavie au Secrétaire généralde l'Organisation
des Nations Unies affirmant que la RFY assurait la continuité de la qualitéde Membre de la RFSY
au sein de l'Organisation; la résolution 777 (1992) du Conseil de sécuritédans laquelle celui-ci a
estiméque la RFY ne pouvait assurer automatiquement la continuité de la qualitéde Membre de la
RFSY; la résolution 47/1 (1992) de l'Assemblée généraleprécisant que la RFY ne participerait pas
aux travaux de l'Assemblée générale;enfin, la lettre datée du 29 septembre 1992 du conseiller
juridique de l'Organisation concernant les «conséquences pratiques» de l'adoption par l'Assemblée
généralede la résolution 4711. La Cour conclut ensuite que la situation juridique ayant prévaluaux
Nations Unies pendant la période comprise entre 1992 et 2000 à l'égard du statut de la République
fédéralede Yougoslavie après l'éclatement de la République fédérativesocialiste de Yougoslavie
étaitdemeurée ambiguë et ouverte à des appréciations divergentes, ce qui découlaitnotamment de
l'absence d'une décision faisant autoritépar laquelle les organes compétents de l'Organisation des
Nations Unies auraient défini de manière claire le statut juridique de la République fédéralede
Yougoslavie vis-à-vis de l'Organisation. La Cour passe ensuite en revue les diverses positions
adoptéesà cet égardau sein de l'Organisation des Nations Unies.
Dans ce contexte, la Cour observe que, dans son arrêtdu 3 février2003 en l'affaire de la
Demande en revision de l'arrêt du 11juillet 1996 en l'affaire relative à l'Application de la
convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Bosnie-Herzégovine
c. Yougoslavie), exceptions préliminaires (Yougoslavie c. Bosnie-Herzégovine), elle a évoquéla
situation «sui generis» où la RFY s'étaittrouvée «dans la période comprise entre 1992 et 2000»;
dans cette affaire, aucune conclusion finale et définitive ne fut toutefois tiréepar la Cour de cette
formule utilisée pour décrire le statut juridique indéterminé de la République fédérale de
Yougoslavie vis-à-vis de l'Organisation des Nations Unies, ou au sein de celle-ci, pendant ladite
période. La Cour considère qu'une nouvelle évolution a mis un terme à cette situation en 2000 :
après avoir demandé le 27 octobre de cette année-là à devenir membre de 1'Organisation des
Nations Unies, la République fédérale de Yougoslavie y fut admise le 1ernovembre par la
résolution 55/12 de l'Assemblée générale.La Serbie-et-Monténégroa donc le statut de Membre de
l'Organisation des Nations Unies depuis le 1ernovembre 2000. Toutefois, son admission au sein de
l'Organisation des Nations Unies n'a pas remonté et n'a pu remonter à l'époque de l'éclatement et
de la disparition de la République fédérativesocialiste de Yougoslavie. Il est apparu clairement
que la situation sui generis du demandeur ne pouvait êtreregardée comme équivalant à la qualitéde
Membre de l'Organisation.
De l'avis de la Cour, l'importance de cette évolution survenue en 2000 tient au fait qu'elle a
clarifié la situation juridique, jusque-là indéterminée,quant au statut de la République fédéralede
Yougoslavie vis-à-vis de l'Organisation des Nations Unies. La Cour se trouvant aujourd'hui à
mêmed'apprécier l'ensemble de la situation juridique, et compte tenu des conséquencesjuridiques
du nouvel état de fait existant depuis le 1ernovembre 2000, elle conclut que la
Serbie-et-Monténégro, au moment où elle a déposésa requêteintroduisant la présente instance -4-
devant la Cour, le 29 avril1999, n'était pas membre de l'Organisation des Nations Unies, ni en
cette qualité partie au Statut de la Cour internationale de Justice. Par voie de conséquence, le
demandeur n'étantpas devenu partie au Statut sur une quelconque autre base, la Cour ne lui était
pas ouverte sur la base du paragraphe 1 de l'article 35 du Statut.
La Cour examine ensuite la question de savoir si elle pouvait être ouverte à la
Serbie-et-Monténégroen vertu du paragraphe 2 de l'article 35, lequel dispose:
«Les conditions auxquelles [la Cour] est ouverte aux autres Etats [à savoir les
Etats non parties au Statut] sont, sous réserve des dispositions particulières des traités
en vigueur, régléespar le Conseil de sécurité,et, dans tous les cas, sans qu'il puisse en
résulterpour les parties aucune inégalitédevant la Cour.»
La Cour commence par relever que 1'expression «traités en vigueur» contenue dans ce
paragraphe, dans son sens naturel et ordinaire, ne fournit pas d'indication quant à la date à laquelle
les traitésvisésdoivent êtreen vigueur. On peut l'interpréter comme visant les traitésqui étaient
en vigueur àla date àlaquelle le Statut lui-mêmeétaitentréen vigueur, ou comme visant les traités
qui étaienten vigueur à la date de l'introduction de l'instance dans une affaire où ces traités sont
invoqués.
La Cour souligne que le paragraphe 2 de l'article 35 vise à réglementer les conditions
d'accès à la Cour pour les Etats qui ne sont pas parties au Statut. Il aurait étéincompatible avec
l'objet essentiel du texte que de permettre que des Etats non parties au Statut puissent avoir accès à
la Cour par la simple conclusion d'un traité spécial, multilatéral ou bilatéral, contenant une
disposition à cet effet. La Cour considère que l'interprétation selon laquelle le paragraphe 2 de
l'article35 se réfèreaux traités en vigueur à la date de l'entrée en vigueur du Statut est en fait
confortéepar une analyse des travaux préparatoires du texte.
La Cour conclut donc que, mêmeà supposer que le demandeur ait étépartie à la convention
sur le génocideà la date pertinente, le paragraphe 2 de l'article 35 ne lui donne pas accès à la Cour
sur la base de l'article IX de cette convention puisque celle-ci n'est entrée en vigueur que le
12janvier 1951, après l'entréeen vigueur du Statut. Dès lors, la Cour n'estime pas nécessaire de
décidersi, lorsque la présenteinstance a étéintroduite, la Serbie-et-Monténégroétaitou non partie
àla convention sur le génocidele 29 avril1999.
La Cour ayant conclu que la Serbie-et-Monténégron'avait qualitépour ester devant la Cour,
ni en vertu du paragraphe 1, ni en vertu du paragraphe 2 de l'article 35 du Statut, elle constate qu'il
n'est pas nécessaire pour elle d'examiner les autres exceptions préliminaires à sa compétence
soulevéespar le défendeur.
La Cour rappelle enfin que, qu'elle ait ou non compétence pour connaître d'un différend,
«les parties demeurent en tout état de cause responsables des actes portant atteinte aux droits
d'autres Etats qui leur seraient imputables».
Le dispositif se lit comme suit :
«Par ces motifs,
LACOUR,
A 1'unanimité,
Dit qu'elle n'a pas compétence pour connaître des demandes formulées par la
Serbie-et-Monténégrodans sa requêtedéposéele 29 avril1999.» - 5-
Composition de la Cour
La Cour était composée comme suit : M. SHI, président; M. RANJEV A, vice-président;
MM. GUILLAUME, KOROMA, VERESHCHETIN, Mme HIGGINS, MM. PARRA-ARANGUREN,
KOOIJMANS,REZEK, AL-KHASAWNEH,BUERGENTHAL,ELARABY, ÜWADA, TOMKA, juges;
M. KREéA,juge ad hoc; M. COUVREURg ,reffier.
*
M. le juge RANJEV A, vice-président, M. le juge GUILLAUME,Mme le juge HIGGINSet
MM. les juges KOOIJMANS, AL-KHASA WNEH, BUERGENTHALet ELARABY joignent une
déclaration commune à l'arrêt; M. le juge KOROMAjoint une déclaration à l'arrêt; Mme le
juge HIGGINS,MM. les juges KOOIJMANSet ELARABYet M. le juge ad hoc KREéAjoignent à
l'arrêtles exposésde leur opinion individuelle.
Un résuméde l'arrêtest fourni dans le document intitulé «Résumén° 2004/3», auquel sont
annexés les résumésdes déclarations et opinions quy sont jointesLe présent communiqué de
presse, le résuméde l'arrêt,ainsi que le texte intégral de celui-ci figurent également sur le site
Internet de la Cour sous les rubriquese» et «Décisions»(www.icj-cij.org).
Départementde 1'information :
M. Arthur Witteveen, premier secrétairede la Cour (tél: 70 302 2336)
Mme Laurence Blairon et M. Boris Heim, attachésd'information (t+l31 70 302 2337)
Adresse électronique: [email protected]
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