Licéité de l'emploi de la force (Serbie et Monténégro c. France) - Exceptions préliminaires - La Cour dit qu'elle n'a pas compétence pour connaître des demandes formulées par la Serbie-et-Monténégro

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107-20041215-PRE-01-00-EN
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2004/41
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COURINTERNATIONALE DEruSTICE
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Communiqué depresse
Nonofficiel

M' 2004/41
Le 15 décembre2004

Licéitéde l'emploi de la force (Serbie-et-Monténégroc. France)
Exceptions préliminaires

La Cour dit gu'elle n'a pas compétencepour connaître des
demandes formuléespar la Serbie-et-Monténégro

LAHAYE, le 15décembre2004. La Cour internationale de Justice (CIJ), organe judiciaire

principal de l'Organisation des Nations Unies, a conclu cejour qu'elle n'avait pas compétencepour
connaître des demandes formuléespar la Serbie-et-Monténégrocontre la France dans sa requête
déposéele 29 avril1999. La décisionde la Cour priseàl'unanimité.

Historique du différend

Le 29 avril1999, la République fédérale de Yougoslavie (devenue à compter du
4 février2003 la «Serbie-et-Monténégro»)a déposéune requêteintroductive d'instance contre la
France au sujet d'un différendconcernant des actes que la France aurait commis

«en violation de son obligation internationale de ne pàs1'emploi de la force

contre un autre Etat, de l'obligation de ne pas s'immiscer dans les affaires intérieures
d'un autre Etat, de l'obligation de ne pas porteràla souverainetéd'un autre
Etat, de 1'obligation de protégerles populations civiles et les biens de caractèrecivil
en temps de guerre,de l'obligation de protéger l'environnement, de l'obligation
touchantàla libertéde navigation sur les cours d'eau internationaux, de l'obligation
concernant les droits et libertésfondamentaux de la personne humaine, de 1'obligation
de ne pas utiliser des armes interdites, d1obligation de ne pas soumettre
intentionnellement un groupe natiodes conditions d'existence devant entraîner sa
destruction physique».

La requêteinvoquait comme base de compétencede la Cour l'article IX de la convention pour la
prévention et la répression du crime de génocide, adoptée par 1'Assemblée généraledes
Nations Unies le 9 décembre948 («convention sur le génocide»). Le mêmejour, dans le cadre
d'autres différendsayant leur origine dans les mêmesfaits, la Républiquefédéralede Yougoslavie
a déposédes requêtesintroductives d'instance,répour l'essentiel en termes similaires, contre
l'Allemagne, la Belgique, le Canada, l'Espagne, les Etats-Unis d'Amérique,l'Italie, les
le Portugal et le Royaume-Uni.

Par ordonnances datéesdu 2juin 1999, la Cour a rejeté les demandes en indication de
mesures conservatoires présentéesdans chacune des dix affaires, dont la présente,et a également
décidéde rayer du rôle les affaires introduites contre 1'Espagne et les Etats-Unis d'Amériqueau

motif qu'elle n'avaitmanifestementpas compétence. - 2 -

Le 5juillet 2000, la France a présentédes exceptions préliminaires portant sur la compétence

de la Cour pour connaître de l'affaire et sur la recevabilité de la requête. En conséquence, la
procédure sur le fond a étésuspendue. Des audiences, portant sur ces exceptions ainsi que celles
soulevéespar les sept autres défendeurs, ont ététenues du 19 au 23 avril2004.

Raisonnement de la Cour

La Cour examine tout d'abord une question préliminaire qui a étésoulevée sous diverses

formes dans chacune des huit affaires relatives à la Licéitéde l'emploi de la force, dont la présente,
en l'occurrence la question de savoir si, à la suite du changement d'attitude du demandeur en ce qui
concerne la compétence de la Cour, exprimédans ses observations sur les exceptions préliminaires
du défendeur,la Cour ne devrait pas simplement se dessaisir de l'affaire in limine litis et la rayer de

son rôle, sans aller plus avant dans 1'examen des questions de compétence.

La Cour n'est pas en mesure de faire droit aux diverses assertions des Etats défendeurs à ce
sujet. Elle estime ne pas pouvoir considérer les observations de la Serbie-et-Monténégrocomme

ayant pour effet juridique un désistement et conclut que la présente espèce ne relève pas de celles
dans lesquelles elle peut, de sa propre initiative, mettre un terme à la procédure. S'agissant de
l'argument avancé par certains défendeurs selon lequel le différend relatif à la compétence aurait

disparu au motif que les Parties s'accordent désormais à reconnaître que le demandeur n'était
pas partie au Statut au moment considéré, la Cour souligne que, dans ses conclusions, la
Serbie-et-Monténégrolui a expressément demandé de se prononcer sur sa compétence. Elle note
qu'il y a de toute manière lieu d'établir une distinction entre une question de compétence liéeau

consentement d'une partie et celle du droit d'une partie à ester devant la Cour, qui est indépendante
des vues ou des souhaits des Parties. Quant à l'argument selon lequel le différend au fond aurait
disparu, la Cour fait observer qu'il est clair que la Serbie-et-Monténégron'a aucunement renoncéà
ses prétentions au fond. De fait, celles-ci ont étéabondamment exposées et développéesen

substance au cours de la procédure orale sur la compétence, à propos de la compétence de la Cour
au titre de l'article IX de la convention sur le génocide. Il est tout aussi clair que lesdites
prétentions sont vigoureusement rejetées par les défendeurs. La Cour ne peut donc dire que la
Serbie-et-Monténégro ait renoncé à l'un quelconque de ses droits au fond ou de ses droits

procéduraux, ni qu'elle ait adopté pour position que le différend entre les Parties aurait cessé
d'exister. Pour tous ces motifs, la Cour estime qu'elle ne peut rayer du rôle les affaires relatives à
la Licéité de 1'emploi de la force, ni prendre une décision qui mettrait fin à ces affaires

in limine litis, et que, au stade actuel des procédures, elle doit examiner la question de sa
compétencepour connaître de l'affaire.

La Cour observe que la question de savoir si la Serbie-et-Monténégroétaitou non partie au

Statut de la Cour à l'époque de l'introduction des présentes instances est une question
fondamentale; en effet, si la Serbie-et-Monténégron'avait pas étépartie au Statut, la Cour ne lui
aurait pas étéouverte. Aussi cette dernière doit-elle tout d'abord examiner la question de savoir si
le demandeur remplit les conditions énoncéesaux articles 34 et 35 du Statut, avant d'examiner

celles relatives aux conditions énoncéesà 1'article 36 du Statut.

La Cour relève qu'il ne fait aucun doute que la Serbie-et-Monténégroest un Etat aux fins du
paragraphe 1 de l'article 34 du Statut. Toutefois, certains défendeurs, au nombre desquels la

France ne figure cependant pas, ont affirmé que, au moment où elle a déposésa requête, la
Serbie-et-Monténégrone remplissait pas les conditions posées à l'article 35 du Statut puisqu'elle
n'étaitpas Membre de l'Organisation des Nations Unies à l'époquepertinente.

La Cour relate d'abord la suite des événementsqui ont trait au statut juridique du demandeur
vis-à-vis de l'Organisation des Nations Unies. Elle se réfèrenotamment aux élémentssuivants:
l'éclatement de la République fédérativesocialiste de Yougoslavie dans la période allant de 1991
à 1992; la déclarationdu 27 avril1992 de l'Assembléede la RFSY, de l'Assemblée nationale de la - 3 -

République de Serbie et de l'Assemblée de la République du Monténégro proclamant la

continuation par la Républiquefédéralede Yougoslavie de la personnalitéjuridique et politique de
la RFSY; la note du mêmejour adresséepar la Yougoslavie au Secrétairegénéralde l'Organisation
des Nations Unies affirmant que la RFY assurait la continuitéde la qualitéde Membre de la RFSY

au sein de l'Organisation; la résolution777 (1992) du Conseil de sécuritédans laquelle celui-ci a
estiméque la RFY ne pouvait assurer automatiquement la continuitéde la qualitéde Membre de la
RFSY; la résolution4711(1992) de l'Assembléegénéraleprécisantque la RFY ne participerait pas
aux travaux de 1'Assemblée générale;enfin, la lettre datée du 29 septembre 1992 du conseiller

juridique de l'Organisation concernant les «conséquences pratiques» de l'adoption par l'Assemblée
générale de la résolution47/1. La Cour conclut ensuite que la situation juridique ayant prévaluaux
Nations Unies pendant la périodecomprise entre 1992 et 2000 à l'égarddu statut de la République
fédérale de Yougoslavie après 1'éclatementde la Républiquefédérativesocialiste de Yougoslavie

étaitdemeuréeambiguë et ouverte à des appréciationsdivergentes, ce qui découlaitnotamment de
l'absence d'une décisionfaisant autoritépar laquelle les organes compétentsde l'Organisation des
Nations Unies auraient défini de manière claire le statut juridique de la République fédéralede
Yougoslavie vis-à-vis de 1'Organisation. La Cour passe ensuite en revue les diverses positions

adoptéesà cet égardau sein de l'Organisation des Nations Unies.

Dans ce contexte, la Cour observe que, dans son arrêtdu 3 février 2003 en l'affaire de la

Demande en revision de l'arrêtdu 11 juillet 1996 en l'affaire relative à l'Application de la
convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Bosnie-Herzégovine
c. Yougoslavie), exceptions préliminaires (Yougoslavie c. Bosnie-Herzégovine), elle a évoquéla
situation «sui generis» où la RFY s'étaittrouvée«dans la périodecomprise entre 1992 et 2000»;

dans cette affaire, aucune conclusion finale et définitivene fut toutefois tiréepar la Cour de cette
formule utilisée pour décrire le statut juridique indéterminé de la République fédéralede
Yougoslavie vis-à-vis de 1'Organisation des Nations Unies, ou au sein de celle-ci, pendant ladite
période. La Cour considère qu'une nouvelle évolutiona mis un terme à cette situation en 2000 :

après avoir demandé le 27 octobre de cette année-là à devenir membre de l'Organisation des
Nations Unies, la République fédéralede Yougoslavie y fut admise le 1ernovembre par la
résolution55/12 de l'Assembléegénérale.La Serbie-et-Monténégroa donc le statut de Membre de
l'Organisation des Nations Unies depuis le 1ernovembre 2000. Toutefois, son admission au sein de

l'Organisation des Nations Unies n'a pas remontéet n'a pu remonter à l'époquede l'éclatementet
de la disparition de la République fédérativesocialiste de Yougoslavie. Il est apparu clairement
que la situation sui generis du demandeur ne pouvait êtreregardéecomme équivalantà la qualitéde
Membre de 1'Organisation.

De l'avisde la Cour, l'importance de cette évolutionsurvenue en 2000 tient au fait qu'elle a
clarifiéla situation juridique, jusque-là indéterminée,quant au statutde la Républiquefédéralede

Yougoslavie vis-à-vis de l'Organisation des Nations Unies. La Cour se trouvant aujourd'hui à
même d'apprécier l'ensemble de la situation juridique, et compte tenu des conséquences
juridiques du nouvel état de fait existant depuis le 1ernovembre 2000, elle conclut que la
Serbie-et-Monténégro,au moment où elle a déposésa requêteintroduisant la présente instance

devant la Cour, le 29 avril1999, n'étaitpas membre de l'Organisation des Nations Unies, ni en
cette qualitépartie au Statut de la Cour internationale de Justice. Par voie de conséquence, le
demandeur n'étantpas devenu partie au Statut sur une quelconque autre base, la Cour ne lui était
pas ouverte sur la base du paragraphe 1 de l'article 35 du Statut.

La Cour examine ensuite la question de savoir si elle pouvait être ouverte à la
Serbie-et-Monténégroen vertu du paragraphe 2 de l'article 35, lequel dispose :

«Les conditions auxquelles [la Cour] est ouverte aux autres Etats [à savoir les
Etats non parties au Statut] sont, sous réservedes dispositions particulières des traités
en vigueur, régléespar le Conseil de sécurité,t, dans tous les cas, sans qu'il puisse en
résulterpour les parties aucune inégalitédevant laCour.» -4-

La Cour commence par relever que 1'expression «traités en vigueur» contenue dans ce

paragraphe, dans son sens naturel et ordinaire, ne fournit pas d'indication quant à la date à laquelle
les traitésvisés doivent êtreen vigueur. On peut l'interpréter comme visant les traitésqui étaient
en vigueur à la date à laquelle le Statut lui-mêmeétaitentréen vigueur, ou comme visant les traités
qui étaient en vigueur à la date de l'introduction de l'instance dans une affaire où ces traités sont

invoqués.

La Cour souligne que le paragraphe 2 de l'article 35 vise à réglementer les conditions
d'accès à la Cour pour les Etats qui ne sont pas parties au Statut. Il aurait étéincompatible avec

l'objet essentiel du texte que de permettre que des Etats non parties au Statut puissent avoir accès à
la Cour par la simple conclusion d'un traité spécial, multilatéral ou bilatéral, contenant une
disposition à cet effet. La Cour considère que 1'interprétation selon laquelle le paragraphe 2 de
l'article 35 se réfèreaux traités en vigueur à la date de l'entrée en vigueur du Statut est en fait

confortéepar une analyse des travaux préparatoires du texte.

La Cour conclut donc que, mêmeà supposer que le demandeur ait étépartie à la convention
sur le génocideà la date pertinente, le paragraphe 2 de l'article 35 ne lui donne pas aàla Cour

sur la base de l'article IX de cette convention puisque celle-ci n'est entrée en vigueur que le
12janvier 1951, après l'entrée en vigueur du Statut. Dès lors, la Cour n'estime pas nécessaire de
décider si, lorsque la présente instance a étéintroduite, la Serbie-et-Monténégroétaitou non partie
à la convention sur le génocidele 29 avril 1999.

La Cour ayant conclu que la Serbie-et-Monténégron'avait qualitépour ester devant la Cour,
ni en vertu du paragraphe 1, ni en vertu du paragraphe 2 de l'article 35 du Statut, elle constate qu'il
n'est pas nécessaire pour elle d'examiner les autres exceptions préliminaires à sa compétence
soulevéespar le défendeur.

La Cour rappelle enfin que, qu'elle ait ou non compétence pour connaître d'un différend,
«les parties demeurent en tout état de cause responsables des actes portant atteinte aux droits
d'autres Etats qui leur seraient imputables».

Le dispositif se lit comme suit :

«Par ces motifs,

LACOUR,

A 1'unanimité,

Dit qu'elle n'a pas compétence pour connaître des demandes formulées par la
Serbie-et-Monténégrodans sa requêtedéposéele 29 avril 1999.»

Composition de la Cour

La Cour était composée comme suit : M. SHI, président; M. RANJEV A, vice-président;
MM. GUILLAUME, KOROMA, VERESHCHETIN, Mme HIGGINS, MM. PARRA-ARANGUREN,
KOOIJMANS,REZEK, AL-KHASAWNEH,BUERGENTHAL,ELARABY, ÜWADA, TOMKA, juges;

M. KREéA, ~ ad hoc; M. COUVREURg , reffier.

* -5-

M. le juge RANJEV A, vice-président, M. le juge GUILLAUMEM , me le juge HIGGINSet
MM. les juges KOOIJMANS,AL-KHASA WNEH, BUERGENTHALet ELARABYjoignent une

déclaration commune à l'arrêt;M. le juge KOROMAjoint une déclaration à l'arrêt;Mme le
juge HIGGINS,MM. les juges KOOIJMANS et ELARABYet M. le juge ad hoc KREéAjoignent à
l'arrêtles exposésde leur opinion individuelle.

Un résuméde l'arrêtest fourni dans le document intitulé<<Résumé° 2004/3», auquel sont
annexésles résumésdes déclarations et opinions quiy sont jointes. Le présent communiqué de

presse, le résuméde l'arrêt,ainsi que le texte intégralde celui-ci figurent également sur le site
Internet de la Cour sous les rubriques <<et «Décisions»(www.icj-cij.org).

Départementde l'information:

M. Arthur Witteveen, premier secrétairede la Cour (tél: 70 302 2336)
Mme Laurence Blairon et M. Boris Heim, attachésd'information (tél:31 70 302 2337)
Adresse électronique: [email protected]

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