COUR INTERNATIONALE DE illSTICE
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Communiquéde presse
Non officiel
N°2002/19
Le 10juillet 2002
Activitésarméessur le territoire du Congo (nouvelle requête: 2002)
(République démocratique du Congo c. Rwanda)
La Cour rejette la demande en indication de mesures conservatoires présentéepar le Congo
ainsi gue la demande du Rwanda tendant à ce gue l'affaire soit rayéedu rôle
LAHAYE, le 10juillet 2002. La Cour internationale de Justice (CIJ) a rejetéaujourd'hui la
demande en indication de mesures conservatoires présentéepar la Républiquedémocratiquedu
Congo (dénomméeci-après le «Congo») dans l'affaire des Activitésarméessur le territoire du
Congo (nouvelle requête: 2002) (République démocratique du Congo c. Rwanda). Dans son
ordonnance, la Cour a constaté«qu'elle ne dispose pas en l'espècede la compétenceprima facie
nécessairepour indiquer les mesures conservatoires demandéespar le Congo». La décisiona été
adoptéepar quatorze voix contre deux.
Dans son ordonnance, la Cour a égalementestimé,par quinze voix contre une, qu' «en
l'absence d'incompétencemanifeste, elle ne saurait accéderà la demande du Rwanda tendant à ce
que l'affaire soit rayéedu rôle».
Le Congoet la Républiquerwandaise (dénommée ci-aprèsle «Rwanda») ne comptant pas de
juge de leur nationalitéparmi les membres de la Cour, ces deux Etats avaient chacun désignéun
juge ad hoc.
Rappel des faits
Dans son ordonnance, la Cour rappelle que, par une requêtedu 28 mai 2002, le Congo avait
introduit une instance contre le Rwanda au sujet d'un différendrelatif à deslations massives,
graves et flagrantes des droits de 1'homme et du droit international humanitaire» qui auraient été
commises «au méprisde la «charte internationale des droits de l'homme», d'autres instruments
internationaux pertinents et [de] résolutionsimpérativesdu Conseil de sécuritéde l'ONU». La
Cour observe que, dans sa requête,le Congo a exposéque «les atteintes graves et flagrantes [aux
droits de 1'homme et au droit international humanitaire]» dont il se plaint «découlentdes actes
d'agression arméeperpétréspar le Rwanda sur le territoire de la République démocratiquedu
Congo en violation flagrante de la souverainetéet de l'intéterritoriale [de celle-ci], garantie[s]
par les Chartesde l'ONUet de l'OUA».
La Cour souligne que le Congo a rappeléqu'il avait fait une déclarationreconnaissant la
juridiction obligatoire de la Cour conformémentau paragraphe2 de l'article 36 du Statut de
celle-ci, et qu'il a exposéque le Gouvernement rwandais «[s'était]abstenu de toute déclaration
dans ce sens». Il est rappeléque, se référantau paragraphe 1 de l'article 36 du Statut, le Congo a
invoqué,pour fonder la compétencede la Cour, l'article 22 de la convention internationale sur -2-
l'élimination de toutes les formes de discrimination raciale du 7 mars 1966 (dénomméeci-après la
«convention sur la discrimination raciale»), le paragraphe 1 de l'article 29 de la convention sur
1'élimination de toutes les formes de discrimination à 1'égarddes femmes du 18 décembre1979
(dénomméeci-après la «convention sur la discrimination à l'égarddes femmes»), l'article IX de la
convention pour la prévention et la répression du crime de génocide du 9 décembre1948
(dénommée ci-après la «convention sur le génocide»), l'article 75 de la Constitution de
l'Organisation mondiale de la Santé du 22 juillet 1946 (dénomméeci-après la «Constitution de
l'OMS»), le paragraphe 2 de l'article XIV de la convention créant une Organisation des
Nations Unies pour l'éducation, la science et la culture du 16novembre 1945 (dénomméeci-après
la «convention Unesco») (ainsi que l'article 9 de la convention sur les privilèges et immunitésdes
institutions spécialisées du 21 novembre 1947, «qui concerne également 1'Unesco»), le
paragraphe 1 de l'article 30 de la convention de New York contre la torture et autres peines ou
traitements cruels, inhumains ou dégradants du 10 décembre1984 (dénommée ci-après la
«convention contre la torture»), et le paragraphe 1 de l'article 14 de la convention de Montréalpour
la répression d'actes illicites dirigés contre la sécuritéde l'aviation civile du 23 septembre 1971
(dénomméeci-après la «convention de Montréal»). Le Congo soutient en outre que la convention
de Vienne de 1969 sur le droit des traitésfonde la compétencede la Cour pour réglerles différends
nésde la violation des normes impératives (jus cogens) en matière de droits de l'homme, telles que
reflétéesdans un certain nombre d'instruments internationaux.
La Cour rappelle que le Congo avait présentéune demande en indication de mesures
conservatoires le mêmejour que son introduction d'instance.
Raisonnement de la Cour
Dans son ordonnance la Cour souligne tout d'abord qu'elle «est profondément préoccupée
par le drame humain, les pertes en vies humaines et les terribles souffrances que 1'on déploredans
l'est de la République démocratique du Congo à la suite des combats qui s'y poursuivent». En
gardant <<présentsà l'esprit les buts et principes de la Charte des Nations Unies, ainsi que les
responsabilités qui lui incombent, en vertu de ladite Charte et du Statut de la Cour, dans le maintien
de la paix et de la sécurité»,la Cour «estime nécessaire de souligner que toutes les parties à des
instances devant elle doivent agir conformément à leurs obligations en vertu de la Charte des
Nations Unies et des autres règles du droit international, y compris du droit humanitaire». Elle
considère qu'elle <<nesaurait trop insister sur l'obligation qu'ont le Congo et le Rwanda de
respecter les dispositions des conventions de Genève du 12août 1949 et du premier protocole
additionnel à ces conventions, en date du 8juin 1977, relatif à la protection des victimes des
conflits armésinternationaux, instruments auxquels ils sont tous deuxparties».
La Cour rappelle ensuite qu'elle <<n'apas automatiquement compétence pour connaître des
différendsjuridiques entre Etats» et que «1'un des principes fondamentaux de son Statut est qu'elle
ne peut trancher un différend entre des Etats sans que ceux-ci aient consenti à sa juridiction». Elle
ajoute que, en présence d'une demande en indication de mesures conservatoires, point n'est besoin
pour la Cour, avant de décider d'indiquer ou non de telles mesures, de s'assurer de manière
défmitive qu'elle a compétence quant au fond de l'affaire; toutefois, la Cour ne peut indiquer de
mesures conservatoires sans que sa compétenceen l'affaire ait étéétablieprima facie (à première
vue).
Compétencede la Cour
Au sujet de sa compétence, la Cour observe que, conformément au paragraphe 2 de
l'article 36 du Statut, le Congo (alors Zaïre) a, par déclarationen date du 8 février 1989, reconnu la
juridiction obligatoire de la Cour à 1'égard de tout Etat acceptant la même obligation; qu'en
revanche le Rwanda n'a pas fait une telle déclaration; qu'en conséquence la Cour ne doit examiner -3-
sa compétenceprima facie que sur la base des traitéset conventions invoquéspar le Congo en vertu
du paragraphe 1de l'article 36 du Statut qui dispose que «la compétencede la Cour s'étendà toutes
les affaires que les parties lui soumettront, ainsi qu'à tous les cas spécialementprévusdans la
Charte des Nations Unies ou dans les traitéset conventions en vigueur».
- La convention contre la torture
La Cour note que le Congo est partie à ladite convention depuis 1996,mais que le Rwanda a
indiquéqu'il n'étaitpas partie et n'avait jamais étépartie à la convention. La Cour constate qu'il
en est bien ainsi.
-La convention sur la discriminationraciale
La Cour note d'abord que tant le Congo que le Rwanda sont parties à la convention sur la
discrimination raciale, mais que l'instrument d'adhésiondu Rwanda à la convention comporte une
réservequi se lit comme suit : «La Républiquerwandaise ne se considère pas comme liéepar
l'article 22 [clause compromissoire] de ladite convention». Elle note également que, dans
1'instance,le Congo a contestéla validitéde cette réserve.La Cour observe que la convention sur la
discrimination raciale interdit les réservesincompatibles avec son objet et son but; qu'aux termes
du paragraphe 2 de l'article 20 de la convention <<Unreéserve[est] considéréecomme rentrant dans
[cette catégorie]si les deux tiers au moins des Etats parties à la convention élèventdes objections»;
que tel n'a pas étéle cas s'agissant de la réserveformuléepar le Rwanda; que cette réserve
n'apparaît pas incompatible avec l'objet et le butde la convention; et que le Congo n'a pas présenté
d'objection à ladite réservelorsqu'il a accédéà la convention. La Cour conclut que la réservedu
Rwanda est applicable prima facie.
-La convention sur le génocide
La Cour note d'abord que tant le Congo que le Rwanda sont parties à la convention sur le
génocide,mais que l'instrument d'adhésiondu Rwanda comporte une réserveformuléecomme
suit: «La République rwandaise ne se considère pas comme liée par l'article IX [clause
compromissoire] de ladite convention». Elle note égalementque, dans l'instance, le Congo a
contestéla validitéde cetteréserve. La Cour observe «que les droits et obligations consacréspar la
convention sont des droits et obligations erga omnes», mais que, comme elle a déjàeu l'occasion
de le souligner, «l'opposabilitéerga omnes d'une norme et la règledu consentement à lajuridiction
sont deux choses différentes».Elle ajoute que le seul fait que des droits et obligations erga omnes
seraient en cause dans un différendne saurait donner compétenceà la Cour pour connaître de ce
différend. La Cour prend ensuite note du fait que la convention sur le génociden'interdit pas les
réserves;que le Congo n'a pas présentéd'objection à la réservedu Rwanda lorsque celle-ci a été
formulée;et que ladite réservene porte pas sur le fond du droit, mais sur la seule compétencede la
Cour. La Cour constate que ladite réserven'apparaît dèslors pas contraire à l'objet et au but de la
convention.
-La convention de Vienne sur le droit des traités
La Cour considère que 1'article 66 (clause compromissoire) de la convention de Vienne sur
le droit des traités invoquéepar le Congo doit êtrelu en conjonction avec l'article 65 intitulé
«Procédureà suivre concernant la nullitéd'un traité,son extinction, le retrait d'une partie ou la
suspension de l'application d'un traité». Elle observe qu'en l'étatle Congo ne soutient pas qu'un
différend, quin'aurait pu êtreréglé en suivant la procédureprévueà l'article 65 de la convention de
Vienne, l'opposerait au Rwanda au sujet d'un conflit entre un traitéet une norme impérativede
droit international; et que l'article6 n'a pas pour objet de permettre que les procédures de
règlement judiciaire, d'arbitrage et de conciliation de la convention de Vienne sur le droit des
traitéssoient substituéesaux mécanismesde règlementdes différendsrelatifs à l'interprétationou à
l'application de traitésdéterminésn,otamment lorsque la violation de ces traitésest alléguée. -4-
-La convention sur la discriminationà 1'égarddes femmes
La Cour note d'abord que tant le Congo que le Rwanda sont parties à la convention sur la
discrimination à l'égarddes femmes. Elle considèreensuite qu'au stade de la procéduresur la
demande d'indication de mesures conservatoires le Congo n'a pas apporté la preuve que ses
tentatives en vue d'entamer des négociationsou d'engager une procédured'arbitrage avec le
Rwanda ont visél'application de l'article29 (clause compromissoire) de la convention sur la
discrimination à 1'égarddes femmes. Elle relèveque le Congo n'a pas davantage préciséquels
seraient les droits protégéspar cette convention qui auraient étéméconnuspar le Rwanda et qui
devraient faire l'objet de mesures conservatoires. La Cour constate qu'en conséquence les
conditions préalablesà la saisine de la Cour, fixéespar l'article29 de la convention, ne semblent
pas remplies prima facie.
-La Constitutionde l'OMS
La Cour note d'abord que tant le Congo que le Rwanda sont parties à la Constitution
de l'OMS et qu'ils sont ainsi l'un et l'autre membres de cette Organisation. La Cour considère
toutefois qu'au stade de la procéduresur la demande en indication de mesures conservatoires, le
Congo n'a pas apportéla preuve que les conditions préalablesà la saisine de la Cour, fixéespar
l'article5 de la Constitution de l'OMS, ont été remplies; etqu'au surplus un premier examen de
ladite Constitution fait apparaître que son article 2, invoquépar le Congo, met des obligatioàsla
chargenon des Etats membres mais de l'Organisation.
-La conventionUnesco
La Cour relèveque le Congo invoque, dans sa requête,l'article premier de la convention et
soutient que <<parle fait de la guerre, la Républiquedémocratiquedu Congo est aujourd'hui
incapablede remplir sesmissions au sein de l'Unesco...» Elle prend note du fait que tant le Congo
que le Rwanda sont parties à la convention Unesco. La Cour considère toutefois que le
paragraphe2 de l'article XIV (clause compromissoire) n'envisage la soumission de différends
relatifs à la convention Unesco, aux conditions prévuespar cette disposition, qu'en matière
d'interprétationde ladite convention; que tel n'apparaît pas êtrel'objet de la requêtedu Congo; et
quecelle-ci n'apparaîtdonc pas entrer dans les prévisionsdudit article.
-La conventionde Montréal
La Cour prend note du fait que tant le Congo que le Rwanda sont parties à la convention
de Montréal. Elle observe toutefois que le Congo n'a demandéà la Cour l'indication d'aucune
mesure conservatoireen rapport avec la sauvegardedes droits qu'il estimetenir de la conventionde
Montréal;et qu'il n'y a dèslors pas lieu pour la Cour, au stade de la procéduresur la demande en
indication de mesures conservatoires, de se prononcer, mêmeprima facie, sur sa compétenceau
regard de ladite convention ou sur les conditions préalablespour fonder la compétencede la Cour
auxtermes de cette dernière.
Conclusions
La Cour constate qu'il résultede l'ensemble des considérationsqui précèdentqu'elle ne
dispose pas en 1'espèce de la compétenceprima facie nécessairepour indiquer les mesures
conservatoiresdemandéespar le Congo.
Elle ajoute toutefois que les conclusions auxquelles elle est parvenue au terme de la
procédure sur la demande en indication de mesures conservatoires ne préjugent en rien la
compétence de la Cour pour connaître du fond de l'affaire, ni aucune question relative à la
recevabilitée la requêteou au fond lui-même,et qu'elles laissent intact le droit du Gouvernement -5-
congolais et du Gouvernement rwandais de faire valoir leurs moyens en la matière. En l'absence
d'incompétencemanifeste, la Cour estime qu'elle ne saurait accéder à la demande du Rwanda
tendant à ce quel'affaire soitrayéedurôle.
*
La Cour rappelle enfin «qu'il existe une distinction fondamentale entre la question de
l'acceptation par un Etat de la juridiction de la Cour et la compatibilitéde certains actes avec le
droit international; la compétenceexige le consentement; la compatibiliténe peut êtreappréciée
que quand la Cour examine le fond, aprèsavoir établisa compétenceet entendu les deux parties
faire pleinement valoir leurs moyens en droit>>.
Elle rappelle que les Etats, qu'ils acceptent ou non la juridiction de la Cour, demeurent en
tout état de cause responsables des actes contraires au droit international qui leur seraient
imputables; qu'ils sont en particulier tenus de se conformer aux obligations qui sont les leurs en
vertu de la Charte des Nations Unies; que le Conseil de sécuritéa adoptéde très nombreuses
résolutionsconcernant la situation dans la région,en particulier les résolutions1234 (1999), 1291
(2000), 1304 (2000), 1316 (2000), 1323 (2000), 1332 (2000), 1341 (2001), 1355(2001), 1376
(2001), 1399 (2002) et 1417 (2002); que le Conseil de sécuritéa, à maintes reprises, exigéque
«toutes les parties au conflit mettent fin ... aux violations des droits de 1'homme et du droit
international humanitaire»; qu'il a notamment rappelé«à toutes les parties les obligations qui leur
incomb[aient] en ce qui concerne la sécuritédes populations civiles conformémentà la quatrième
convention de Genève relative à la protection des personnes civiles en temps de guerre du
12août 1949», et qu'il a ajoutéque <<toutesles forces présentessur le territoire de la République
démocratiquedu Congo [étaient]responsables de la préventiondes violations du droit international
humanitaire commises sur le territoire qu'elles contrôlent». La Cour tient par aillàusouligner la
nécessité pour les Parties à l'instance d'user de leur influence pour prévenirles violations graves et
répétéed ses droits de l'hommeet du droit international humanitaire encore constatéesrécemment.
Composition de la Cour
La Cour était composée comme suit : M. Guillaume, président; M. Shi, vice-président;
MM. Ranjeva, Herczegh, Fleischhauer, Koroma, Vereshchetin, Mme Higgins,
MM. Parra-Aranguren, Kooijmans, Rezek, Al-Khasawneh, Buergenthal, Elaraby, juges;
MM. Dugard, Mavungu, juges ad hoc; M. Couvreur, greffier.
M. Koroma, Mme Higgins, M. Buergenthal et M. Elaraby,juges, joignent des déclarations à
l'ordonnance; MM. Dugard et Mavungu, juges ad hoc, joignent à l'ordonnance les exposésde leur
opinion individuelle.
Un bref résumédes déclarations et opinions est publiésous forme d'additif au présent
communiquéde presse. Le texte intégralde 1'ordonnance, des déclarationset des opinions figure
sur le site internet de la Co(www.icj-cij.org).
Départementdel'information:
M.Arthur Th. Witteveen, premier secrétairede la Cour (+ 31 70 302 23 36)
Mme Laurence Blairon et M. Boris Heim, attachésd'information(+ 31 70 302 23 37)
Adresse électronique:[email protected] Annexe au communiquéde presse 2002/19
Déclarationde M. Koroma
M. Koroma a voté en faveur de l'ordonnance en tant qu'elle vise, de son point de vue, à
remédierà certains motifs de préoccupation quisont au cŒurde la requête.
Se référantaux allégations et arguments avancés par chacune des Parties, il fait observer
qu'il ressort clairement des informations communiquéesà la Cour que de sérieusesmenaces pèsent
en effet sur les populations de la régionconcernée: leur vie, notamment, est en danger.
M. Koroma n'ignore pas que la Cour a subordonnél'indication de mesures conservatoires à
certains critères : pour qu'elle puisse accédeà une demande en ce sens, doivent notamment avoir
étéconstatésune compétenceprima facie ou potentielle, un caractère d'urgence, et le risque qu'un
préjudiceirréparablesoit causési une ordonnance n'est pas rendue à cet effet. Toutefois, il estime
que ces critères doivent êtreappréciésà la lumière de l'article41, qui autorise la Cour à «indiquer»,
si elle estime que les circonstances 1'exigent, quelles mesures conservatoires du droit de chacun
doivent êtreprises, et à la lumière du rôle que joue la Cour dans le maintien de la paix et de la
sécuritéinternationales, notamment la sécuritédes êtreshumains et le droit à la vie.
De l'avis de M. Koroma, la Cour, à défautde pouvoir faire droit à la demande, en l'absence
de compétenceprima facie, a néanmoinseu raison de se déclarer,aux paragraphes 54, 55, 56 et 93
de l'ordonnance, profondémentpréoccupéepar le drame humain, les pertes en vies humaines et les
terribles souffrances quel'on déploredans l'est de la Républiquedémocratiquedu Congo àla suite
des combats qui s'ypoursuivent. C'est égalementà bon droit que la Cour a soulignéque les Etats,
qu'ils acceptent ou non sa juridiction, demeurent en tout état de cause responsables des actes
contraires au droit international qui leur seraient imputables et sont tenus de se conformer aux
obligations qui sont les leurs en vertu de la Charte des Nations Unies et des résolutionspertinentes
du Conseil de sécurité.
M. Koroma conclut en relevant que, si un différenddevait justifier l'indication de mesures
conservatoires, ce serait bien celui-là. A son avis, toutefois, bien que la Cour n'ait pas, en
1'absence de certains éléments,étéen mesure de donner suite à la demande, elle ne s'en est pas
moins acquittéedes obligations qui lui incombent dans le domaine du maintien de la paix et de la
sécuritéinternationales et de l'obligation de prévenir l'aggravation du différend, par les
déclarationsincidentes (obiter dicta) qu'elle a faites aux paragraphes susmentionnés. La position
adoptéepar la Cour ne peut apparaître que constructive, tout en ne préjugeant pas le fond de
l'affaire. Il s'agitd'une position d'ordre judiciaire, et il est de l'intérêtde toutes les parties
concernéesd'entendre l'appellancé par la Cour.
Déclarationde Mme Higgins
Mme Higgins n'est pas d'accord avec l'un des motifs invoquéspar la Cour au paragraphe 79
de son ordonnance.
Mme Higgins rappelle qu'il est bien établi dans la jurisprudence en droit international
humanitaire que, pour établirla compétence sur le fond, le requérant n'est pas tenu de préciser
quelles dispositions du traitéinvoquépar lui pour fonder la compétenceont, selon lui, étéviolées.
Voir, par exemple, les conclusions du Comitédes droits de l'homme dans l'affaire Jennon Stephens
c. Jamaïque (Nations Unies, Documents officiels de 1'Assemblée générale,cinquante et unième
session, supplément n° 40, doc. A/51140); 1'affaire B.d.B. et al c. les Pays-Bas (Nations Unies, -2-
Documents officiels de l'Assemblée générale,quarante-quatrième session, supplément n°40,
doc. A/45/40); et de nombreuses autres affaires. Il n'y a à fortiori aucune raison pour que la Cour
internationale de Justice, en examinant le point de savoir si elle dispose ou non d'une compétence
prima facie pour indiquer des mesures conservatoires, invoque un critèreplus strict. C'est plutôt à
la Cour elle-même,conformément à la pratique habituelle, qu'il devrait revenir de voir si les
prétentionsformuléespar le Congo dans sa demande et les faits alléguéspar lui peuvent constituer
prima facie des violations de 1'une quelconque des clauses de la convention sur 1'éliminationde
toutes les formes de discrimination à l'égarddes femmes, l'instrument qui, selon le Congo, fournit
une base à la compétencede la Cour sur le fond.
Cependant, étant d'accord avec les autres élémentsdu paragraphe 79 et avec les
conséquencesjuridiques qui en découlent,Mme Higgins a votéen faveur de 1'ordonnance.
Déclarationde M. Buergenthal
Tout en approuvant la décisionde la Cour, M. Buergenthal ne peut souscrire au libellédes
paragraphes 54-56 et 93 de l'ordonnance de la Cour. Il n'est pas opposé aux idées nobles
expriméesdans ces paragraphes, mais estime que la Cour n'a pas compétencepour connaître des
questions qui y sont traitées,dès lors qu'elle a décidéqu'elle ne dispose pas de la compétence
prima facie pour indiquer les mesures conservatoires sollicitées.
De l'avis de M. Buergenthal, la mission de la Cour est de se prononcer sur des questions qui
relèvent de sa compétence et non d'exprimer des sentiments personnels ou de formuler des
observations, d'ordre généralou particulier, qui, bien que traduisant certes de «bons sentiments»,
n'ont pas leur place dans la présenteordonnance.
M. Buergenthal souligne que «les responsabilitésqui ... incombent [à la Cour], en vertu de
[la] Charte [de l'ONU] ... dans le maintien de la paix et de la sécurité,t que la Cour invoque au
paragraphe 55, ne revêtentpas un caractèregénéral.Elles se limitent strictement à l'exercice de ses
fonctions judiciaires dans des affaires qui relèventde sa compétence. Ainsi, lorsque la Cour, alors
qu'elle ne dispose pas de la compétencerequise, fait des déclarationscomme celles qui figurent au
paragraphe 55 par exemple, et qui se lisent comme le préambuled'une résolutionde l'Assemblée
généraleou du Conseil de sécurité des Nations Unies, elle n'agit pas comme un organejudiciaire.
S'agissant du paragraphe 56, M. Buergenthal pense que le fait que cette déclarationsoit
impartiale en ce qu'elle est adresséeaux deux Parties à l'affaire ne justifie pas davantage sa place
dans l'ordonnance que si elle n'avait étéadresséequ'à une seule des Parties. Elle n'a pas sa place
dans l'ordonnance, d'abord parce que la Cour n'a pas compétenceen l'espèce pour appeler les
Etats parties à respecter les conventions de Genèveou les autres instruments et principes juridiques
mentionnésdans ledit paragraphe. Ensuite, étantdonnéque la demande en indication de mesures
conservatoires de la Républiquedémocratiquedu Congo visait à ce que le Rwanda mette un terme
à certaines activitéspouvant êtreconsidéréescomme des violations des conventions de Genève,la
déclarationde la Cour telle que formuléeau paragraphe 56 pourrait êtreperçue comme conférant
une certaine crédibilitéà cette prétention. Cette dernièreconclusion est confortéepar le libellédu
paragraphe 93, qui est trèsproche du libelléque la Cour aurait trèsprobablement employési elle
avait indiquéles mesures conservatoires sollicitées. Le fait que le paragraphe vise les deux Parties
est sans pertinence car la Cour, en des circonstances analogues, a indiqué des mesures
conservatoires formuléesde manière similaire en les adressant aux deux Parties, bien que seule
1'une d'entreelles les ait sollicitées.
M. Buergenthal estime que les déclarationsde la Cour, en particulier celles qui figurent aux
paragraphes 56 et 93, pourraient êtreinterprétéesq, u'il s'agisse là de l'intention de la Cour ou non,
comme conférant une crédibilitéaux faits alléguéspar la partie qui sollicite les mesures
conservatoires. A 1'avenir, ces déclarationspourraient par ailleurs inciter les Etats à présenterdes - 3-
demandes en indication de mesures conservatoires en sachant que, mêmes'ils ne seraient pas en
mesure de remplir la condition préalable de 1'établissement de la compétence prima facie de la
Cour, ils obtiendront de la Cour que celle-ci se prononce d'une manièrequi pourrait êtreinterprétée
comme un appui à la demande soumise contre l'autre partie.
Déclarationde M. Elaraby
1. M. Elaraby a votécontre le rejet de la demande en indication de mesures conservatoires
présentéepar la République démocratique du Congo, principalement parce qu'il estime que la
Cour, conformémentà son Statut et à sa jurisprudence actuelle, devrait en principe faire droit à une
demande en indication de mesures conservatoires, dèsqu'il est établi,d'une part, que les conditions
d'urgence sont satisfaites, et, d'autre part, qu'un préjudiceirréparablepeut êtrecauséaux droits de
l'une ou des deux Parties au différend. M. Elaraby estime que la Cour, en vertu de l'article 41 de
son Statut, jouit d'un vaste pouvoir discrétionnairepour indiquer des mesures conservatoires. Il
ressort de sa jurisprudence que si la Cour, auparavant, s'attachait rigoureusement à établir sa
compétenceavant d'exercer les pouvoirs prévus àl'article 41 de son Statut, elle a progressivement,
quoique graduellement, considéréque l'existence d'une base prima facie à sa compétence
constituait le seuil lui permettant d'exercer lesdits pouvoirs.r, selon M. Elaraby, cette évolution
n'est pas prise en compte dans l'ordonnance.
2. M. Elaraby est convaincu que les deux paragraphes de l'article 41, d'après l'interprétation
qu'il leur donne, confèrent à la Cour un vaste pouvoir discrétionnaire pour décider quelles
circonstances justifient l'indication de mesures conservatoires. La mention du Conseil de sécurité
souligne l'importance du lien qui existe entre la Cour et le Conseil en matière de maintien de la
paix et de la sécuritéinternationales. En outre, le Statut ne prévoit pas de conditions
supplémentaires pour que la Cour puisse exercer son pouvoir d'indiquer des mesures
conservatoires. En réalité,il n'est pas nécessaire, à ce stade précoce de la procédure, que la
compétencede la Cour soit établie.
3. M. Elaraby estime que la convention de Montréal aurait dû être considérée comme un
instrument fournissant une base prima facie adéquate à la compétencede la Cour pour indiquer des
mesures conservatoires.
4. M. Elaraby pense qu'au vu des circonstances de l'affaire, il est nécessaire de protéger
d'urgence les droits et les intérse la Républiquedémocratiquedu Congo.
Opinion individuelle de M. Dugard
Dans son opinion individuelle, M. Dugard partage la position adoptéepar la Cour dans son
ordonnance, selon laquelle le Congo n'est pas parvenu à démontrerqu'il existait, prima facie, une
base sur laquelle la compétencede la Cour pourrait êtrefondée;aussi la demande en indication de
mesures conservatoires du Congo doit-elle êtrerejetée. M. Dugard est néanmoins en désaccord
avec l'ordonnance de la Cour lorsqu'elle prévoitque l'affaire ne doit pas êtrerayéedu rôle.
M. Dugard estime qu'une affaire devrait êtrerayée du rôle de la Cour lorsqu'il n'existe
aucune possibilitéraisonnable que le demandeur puisse à l'avenir établirla compétencede la Cour
à l'égarddu différendqui est soumis à celle-ci sur la base des traitésdéjàinvoquésà cet effet, au
motif que, dans ces conditions, il y a absence manifeste de compétence- il s'agit-là du critère
retenu par la Cour dans des décisionsantérieuresaux fins de rayer une affaire de son rôle. -4-
L'examen des traités invoqués par le Congo pour fonder la compétence de la Cour en
l'affaire amène M. Dugard à conclure que ceux-ci ne peuvent manifestement pas servir à cette fin.
TIest donc d'avis que l'affaire aurait dû êtrerayéedu rôle.
M. Dugard craint que, à la suite de la décision prise par la Cour en 2001 dans 1'affaire
LaGrand, selon laquelle une ordonnance en indication de mesures conservatoires est juridiquement
contraignante, un risque existe que la Cour soit saisie d'un très grand nombre de demandes en
indication de telles mesures. La Cour devrait, pour prévenirun abus de cette procédure,adopter
une démarche stricte concernant les demandes pour lesquelles il n'existe manifestement pas de
base de compétence,en procédant à la radiation de telles affaires du rôle de la Cour.
M. Dugard approuve les observations d'ordre généralformuléespar la Cour sur la situation
tragique qui prévautdans l'est du Congo. Il insiste sur le fait que ces observations, dans lesquelles
la Cour déploreles souffrances des populations de l'est du Congo dues au conflit dans la régionet
appelle les Etats àagir conformémentau droit international, sont adressées à la fois au Rwanda et
au Congo, et ne préjugenten rien les questions dont la Cour est saisie.
Opinion individuelle de M. Mavungu
M. Mavungu approuve dans ses grandes lignes l'ordonnance de la Cour. Cependant, il est
d'avis que la haute juridiction aurait pu prescrire des mesures conservatoires malgrél'étroitessedes
bases de la compétencede la Cour, en raison de la nature du différend.
Son opinion aborde deux questions principales : le fondement de la compétencede la Cour et
les conditions d'indication de mesures conservatoires. S'agissant de la première question, il note
que la République démocratique du Congo a présentéplusieurs moyens de droit pour établir la
compétencede la Cour : la déclarationcongolaise d'acceptation de la juridiction obligatoire de la
Cour de février 1989, des clauses compromissoires et des normes jus cogens. TIest des moyens
invoquéspar le demandeur qui ne pouvaient pas fonder la compétencede la Cour : la déclaration
congolaise de 1989, l'acte constitutif de l'Unesco de 1946 et la convention contre la torture
de 1984. De jurisprudence constante de la Cour, sa compétencene peut êtreétablieque sur la base
du consentement des Etats.
En revanche, il estime que la compétence de la Cour pouvait êtrefondée prima facie au
regard des clauses compromissoires contenues dans la Constitution de l'OMS, la convention de
Montréalde 1971 et la convention sur la discrimination àl'égarddes femmes de 1979. La réserve
formulée par la République du Rwanda à la clause de juridiction prévue à l'article IX de la
convention contre le génocidede 1948 serait contraire à l'objet et au but de ladite convention.
Conformément à l'article 41 du Statut et à l'article 73 du Règlement de la Cour, ainsi qu'au
regard de la jurisprudence bien établiede celle-ci, les mesures conservatoires sont tributaires de
plusieurs facteurs : 1'urgence, la préservationdes droits des parties, la non-aggravationu différend
et la compétence prima facie. En 1'espèce, les conditions auraient étéremplies; cela aurait dû
amener la Cour à prescrire quelques mesures conservatoires.
- La Cour rejette la demande en indication de mesures conservatoires présentée par le Congo ainsi que la demande du Rwanda tendant à ce que l'affaire soit rayée du rôle
Activités armées sur le territoire du Congo (nouvelle requête: 2002) (République démocratique du Congo c. Rwanda) - La Cour rejette la demande en indication de mesures conservatoires présentée par le Congo ainsi que la demande du Rwanda tendant à ce que l'affaire soit rayée du rôle