Licéité de l'emploi de la force (Serbie et Monténégro c. Belgique) - La Cour rejette la demande en indication de mesures conservatoires présentée par la Yougoslavie, mais reste saisie de l'affaire

Document Number
105-19990602-PRE-01-00-EN
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Number (Press Release, Order, etc)
1999/24
Date of the Document
Document File

COUR INTERNATIONALE DE JUSTICE
Palais de la Paix, 2517 KJ La Haye. Té1.(31-70-30223 23). Télégr.:Intercourt, La Haye.

Télécopie(31-70-364 99 28). Télex32323. Adresse Internet:httpIl www.icj-cij.org

Communiqué
non officiel
poudiffw;ion immédiate

N° 99/24

Le 2 juin 1999

Licéitéde l'emploi de la force
(Yougoslavie c. Belgique)

La Cour rejette la·demande en indication de mesures conservatoires
présentée par la Yougoslavie. mais reste saisie de l'affaire

LA HAYE, le 2 juin 1999. La Cour internationale de Justice (CIJ) a rejeté aujourd'hui
la demande en indication de mesures conservatoires présentéepar laubliqUe fédéralede

Yougoslavie (RFY) dans l'affaire relative à la Licéjtéde l'emploi de la force (Yougoslavie c.
Belgique). La décision a étéadoptée par douze voix contre quatre.

Dans son ordonnance, la Cour dit également qu'elle reste saisie de l'affLa suite
de la procédure a étéréservéepar quinze voix contre une.

La Yougoslavie et la Belgique ne -comptant pas de juges de leur nationalité parmi
les membres de laCour, ces Etats avaient désignédes ja.d....h.Q&.

Rappel des faits

Le 29 avril 1999, la Yougoslavie a déposéune requête introductive d'instance contre
la Belgique pour«violation de l'obligation de ne pas reàol'emploi de la force», accusant
cet Etat de bombarder le territoire yougoslave «conjointement avec d'autres Etats membres de
l'OTAN (c. communiqué de presse 99/17). Le mêmejour, elle a présentéune demande en

indication de mesures conservatoires, priant laur d'ordonner à la Belgique de «cesser
immédiatement de recourir à l'emploi de lforce et~~e «s'abstenir de tout acte constituant
un recoursou une menace de recours à la force» contre la RFY.

Pour fonder la compétence de la Cour, la Yougoslavie a invoqué les déclarations par

lesquelles les deux Etats ont acceptélajuridiction obligatoire de laard detout autre Etat
acceptant la mêmeobligation (article 36, paragraphe 2, du Statut de la Cour) et l'article IX de
la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide, adoptée par l'Assemblée
généraledes Nations Unies le 9 décembre 1948. Cet article prévoit que les différends entre
les parties contractantes relatifserprétation,l'applicationou l'exécutionde la convention seront

soumis à la Cour internationale de Justice. Dans un complément à sa requêtesoumis à la Cour
le 12 mai 1999, la Yougoslavie a invoqué, en tant que chef de compétence supplémentaire,
l'article 4 de la convention de conciliation, de règlement judiciaire et d'arbitrage entre la Belgique
et le Royaume de Yougoslavie, signéeà Belgrade le 25 mars 1930.

Raisonnement de la Cour

Dans son ordonnance, la Cour souligne tout d'abord qu'elle est «profondément préoccupée
par le drame humàin, les pertes en vies humaines et les terribles souffrances que connaît le Kosovo
et qui constituent la toile de fond)) du différend, «ainsi que par les victimes et les souffrances

humaines que l'on déplore de façon continue dans l'ensemble de laoslav Ele s~ .it
également «fortement préoccupée par l'emploi de la force en Yougoslav qiie)~ ·-··--··-··----------------

- 2 -

«dans les circonstances actuelles ... soulève des problèmes très graves de droit intemationah>.
En gardant «présents à l'esprit les buts et les principes de la Charte des Nations Unies, ainsi que
les responsabilités qui lui incombent, en vertu de ladite Charte et [de son] Statut, dans le maintien
de la paix et de la sécurité», la Cour «estime nécessaire de souligner que toutes les parties qui se

présentent devant elle doivent agir conformément à leurs obligations en vertu de la Charte des
Nations Unies et des autres règles du droit international, y compris du droit humanitaire».

La Cour rappelle ensuite qu'elle «n'a pas automatiquement compétence pour connaître des

différends juridiques>>entre Etats et que «l'un des principes fondamentaux de son Statut est qu'elle
ne peut trancher un différend entre des Etats sans que ceux-ci aient consenti à sa juridiction».
Elle ne peut indiquer de mesures conservatoires sans que sa compétence en l'affaire ait étéétablie
prima facie (à première vue).

Au sujet de la première base de compétence invoquée, la Cour fait observer qu'aux termes
de sa déclaration, la Yougoslavie limite son acceptation de la juridiction obligatoire de la Cour aux
«différends, surgissant ou pouvant surgir après la signature de la présente déclaration, qui ont trait
à des situations ou à des faits postérieurs à ladite signature ...» Elle souligne que bien que

la Belgique n'ait pas fait valoir d'arguments quant à cette réserve, il incomàela Cour d'examiner ·i
les effets qu'etle pourrait avoir prima facie sur sa compétence. A cet égard, indique la Cour, il suffit
de détenniner si le différend portédevant la Cour a «surgi» avant ou après Je 25 avril 1999, date
de la signature de la déclaration. Elle constate que les bombardements ont commencé

Je 24 mars 1999 et se sont poursuivis, de façon continue, au-delà du 25 avril 1999. Il ne fait ainsi
pas de doute pour elle «qu'un différend d'ordre juridique ... a «surgi» entre la Yougoslavie et
[la Belgique], comme avec les autres Etats membres de l'OTAN, bien avant le 25 avril 1999)).
La Cour conclut que les déclarations faites par les parties ne constituent pas une base sur laquelle

la compétence de la Cour pourrait prima facie êtrefondée en l'espèce.

Quant à l'argument de la Belgique selon lequel la Yougoslavie n'est pas un Etat membre des
Nations Unies vu la résolution 47/J (1992) de l'Assembléegénéraledes Nations Unies, ni par suite

un Etat partie au Statut de la Cour, de sorte que la Yougoslavie ne peut pas souscrire à la clause
facultative de juridiction obligatoire, la Cour considère qu'elle n'a pas à examiner cette question
compte tenu du fait qu'elle a conclu que les déclarations ne constituent pas une base de compétence.

A propos de l'article IX de la convention sur le génocide, la Cour indique qu'il n'est pas
contesté que tant la Yougoslavie que la Belgique sont parties à cette convention, sans réserves,
et que l'article IX semble ainsi constituer une base sur laquelle sa compétence pourrait êtrefondée.
La Cour estime toutefois qu'elle doit rechercher si les violations de la convention alléguéespar
la Yougoslavie sont susceptibles d'entrer dans les prévisions de cet instrument et si, par suite,

la Cour pourrait avoir compétence pour connaître du différend ratione materjae (quant à J'objet).
Dans sa requête,la Yougoslavie indique que l'objet du différend porte notamment sur «les actes
commis par le Royaume de Belgique, en violation de son obligation internationale ... de ne pas
soumettre intentionnellement un groupe national à des conditions d'existence devant entraîner

sa destruction physique». Elle soutient que le bombardement constant et intensif de l'ensemble de
son territoire, y compris les zones les plus peuplées, constitue «une violation grave de l'article Il
de la convention sur le génocide)), que c'est la nation yougoslave tout entière, tantque telle, qui
est prise pour cible et que le recouàscertaines armes, dont on connaît par avance les conséquences

dommageables à long terme sur la santé et l'environnement, ou la destruction de la plus grande
partie du réseau d'alimentation en électricité du pays, dont on peut prévoir d'avance
les conséquences catastrophiques, «témoigne[nt] implicitement de l'intention de détruire totalement
ou partielle lm ernupe>~national yougoslave en tant que tel. Pour sa part, la Belgique,

se référantà la définition du génocide contenue dans la convention, souligne l'importance de
«l'élémentintentionnel, l'intention de détruire tout ou partie d'[un groupe] ethnique, racia[l] ou
religieu[x]». Elle affirme que la Yougoslavie ne saurait «apporter le moindre élémentde preuve
[d'une telle] intention de la Belgique en l'espèce». La Cour constate que, d'après la convention,

la caractéristique essentielle du génocide est la destruction intentionnelle d'un groupe national, .~···

- 3 - ..
.: 'i~t
ethnique, racial ou religieux; elle précise que <de recours ou la menace du recours à l'emploi de
la force contre un Etat ne sauraient en soi constituer un acte de génocide au sens de l'article II de

la convention sur le génocide». Elle ajoute qu'il n'apparaît pas au présent stade de la procédure que
les bombardements qui constituent l'objet de la requêteyougoslave «comporte[ nt] effectivement
l'élém.entd'intentionnalité, dirigé contre un groupe comme tel, que requiert la disposition>)
sus-indiquée.La Cour indique dès lors qu'elle n'est pas en mesure de conclure, à ce stade de

la procédure, que les actes que la Yougoslavieàla Belgique seraient susceptibles d'entrer
dans les prévisions de la convention sur le génocide; et l'article IX de la convention sur le génocide
ne constitue partant pasbase sur laquelle sa compétence pourrait prima facie êtrefondée en
l'espèce.

En ce qui concerne l'article 4 de la convention de conciliation, de règlement judiciaire et
d'arbitrage entre la Belgique et Je Royaume de Yougoslavie, la Cour fait observer que «l'invocation
par une partie d'une nouvelbase de juridictiau stade du second tour de plaidoiries sur

une demande en indication de mesures conservatoiest sans précédent dans la pratique de
la Coun>; qu'une «démarche aussi tardive, lorsqu'elle n'est pas acceptée par l'autre partie, met
gravement en pérille principe du contradictoire et la bonne administration de la justice)> et que par
conséquent, elle ne saurait prendre en considération ce nouveau chef de compétence.

La Cour ayant conclu qu'elle n'a «pas compétence prima facie pour connaître de la requête
de la Yougoslavie ni sur la base du paragraphe 2 de l'article 36 du Statut ni sur celle de l'article IX
de la convention sur le génocide>>et ayant estimé «ne pas pouvoir, à ce stade de la procédure,
prendreen considération la base de juridictadditionnelinvoquée par la Yougoslavie>),

il s'ensuit qu'elle <me.saurait indiquer quelque mesure consque ce soitl>. Toutefois,
les conclusions auxquelles la Cour est parvenpréju~e eneret [s]a compétence ... pour
connaître du fond de l'affaire>>et elles «laissent intact le droit du Gouvernement yougoslave et du
Gouvernement belge de faire valoir leurs moyens en la matière>>.

"1 ,·
La Cour rappelle enfin qu'<~~ xneidsit setifondacentae oenre la question de
l'acceptation par un Etat de la juridiction de la Cour et la compatibilité de certains actes avec
le droit internationa«[L]a compétence exige le consentemela compatibilité ne peut être

appréciéeue quand la Cour examine le fond, après avoir établi sa compétence et entendu les deux
parties faire pleinement valoir leurs moyens Ellesouligne que <desEtats, qu'ils acceptent
ou non la juridiction de la Cour, demeurent en tout étatde cause responsables des actes contraires
au droit international, y compris au droit humanitaire, qui leur seraient imputables» et que «tout

différend relatif à la licéitéde tels actes doit êtreréglépar des moyens pacifiques dont le choix est
laissé aux parties conformément à l'article 33 de laDans ce cadre, «les parties doivent
veiller à ne pas aggraver ni étendre le différend». La Cour réaffinne que <dorsqu'untel différend
suscite une menace contre la paix, une rupture de la paix ou un acte d'agression, le Conseil de

sécuritéest investi de responsabiJités spéciales en vertu du chapitre VII de la Charte».

Composition de la Cour

La Cour était composée comme suit en l'affaire: M. Weeramayjçe-président. faisant
fonction de président en l'affaire; M. Schwebel, président de la Cour; MM. Oda, Bedjaoui,
Guillaume, Ranjeva, Herczegh, Shi, FleischhauerKoroma, Vereshchetin,Mme Higgins,
MM. Parra-Aranguren, Kooijmans, ~; MM. Kreéa, Duinslaeger, ~ ad hoc;
M. Valencia-Ospiria, greffier. ·

M. Koroma,~ ajoint une déclaration à l'ordonnance de la Cour. M. Oda, Mme Higgins,
et MM. Parra-Aranguren et Kooijma.iY.g§,ont joint les exposés de leur opinion individuelle.
M. Weeramantry,vice-président faisant fonction de président en l'affaire, MM. Shi et Vereshchetin,

~. et M. Kreéa~ ad hoc, y ont joint les exposés de leur opinion dissidente. \

- 4 -

Letexte des déclarations et un bref résumédes opinions seront publiés ultérieurement sous
forme d'additif au présent communiquéde presse. Le texte intégralde l'ordonnance, des déclarations
et des opinions figure sur le site Internet de la Cour (http://www.icj-cij.org).

Les neuf autres affaires relatives à la Licéitéde l'emploi de la force soumises à la Cour par
la Yougoslavie font l'objet de communiqués de presse distincts.

Département de l'information
M. Arthur Witteveen, secrétaire de la Cour (tél: + 31 70 302 23 36)

Mme Laurence Blairon, attachée d'information (tél: + 31 70 302 23 37)
Adresse électronique: [email protected]

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Additif au communiqué de presse 99/24

DÉCLARATION DE M. KOROMA

Dans sa déclaration, M..Koroma fait observer qu'il s'agit peut-êtredes affaires les plus graves­
dont la Cour ait jamais étésaisie, s'agissant de l'indication de mesures conservatoires. Il relève que

ces mesures, selon la jurisprudence, ont pour objet de prévenir la violence et le recours à l'emploi
de la force, de sauvegarder la paix et la sécuritéinternationales ainsi que dejouer un rôle important
dans le mécanisme de règlement des différends que prévoit la Charte des Nations Unies. Aussi
l'indicationde telles mesures est-elle, selon lui, l'une des fonctions les plus importantes de la Cour.

Mais l'octroi de telles mesures, souligne M. Koroma, ne peut se faire qu'en conformité avec
le Statut de la Cour. A cet égardet compte tenu de sa jurisprudence, la Cour ne fera pas droit à
une demande en indication de mesures conservatoires lorsqu'elle n'a pas compétence prima facie ou

lorsque d'autres circonstances s'opposent à leur prononcé.

Il estime toutefois que la Cour, organe judiciaire principal des Nations Unies dont la
principale raison d'êtredemeure le maintien de la paix et de la sécuritéinternationales, a une

obligation claire et nette de contribuer au maintien de la paix et de la sécurité internationales et de
fournir le cadre judiciaire, qui doit permettre de résoudre un conflit juridique, tout particulièrement
lorsque celui-ci non seulement menace la paix et la sécuritéinternationales mais engendre aussi des
souffrances humaines énormes et des pertes en vies humaines qu'on ne cesse de déplorer. C'est

pourquoi il se joint aux autres membres de la Cour pour appeler à un règlement pacifique du conflit
conformément à l'article 33 de la Charte et pour exhorter les Parties à ne pas aggraver ni étendre
le différend et à respecter le droit international, y compris le droit humanitaire et les droits de
l'homme de tous les citoyens yougoslaves.

ÛPI!'i!Q;'I;'INDIVIDUELLE DE M. ÛDA

M. Oda appuie la décision de la Cour de rejeter les demandes en indication de mesures
conservatoires présentées par la Républiquefédéralede Yougoslavie contre les dix Etats défendeurs.
:-t.Oda approuve la décision de la Cour de rayer de son rôle généralles affaires relatives à
l'Espagne et aux Etats-Unis, mais, dans les huit autres affaires, il a voté contre le paragraphe du

dtspositif de l'ordonnance par lequel la Cour a indiqué qu'elle «[r]éserv[ait] la suite de la
procédure)),car il estime que ces huit affaires devraient aussi êtrerayéesdu rôle généralde la Cour
a ce stade de la procédure.

Selon M. Oda, la République fédéralede Yougoslavie n'est pas membre des Nations Unies
et n'est pa;;en conséquence partie au Statut de la Cour internationale de Justice. Pour ce seul motif,
13 Cour aurait dû conclure à J'irrecevabilitédes requêtesprésentéespar la République fédéralede
Yougoslavie, qui de ce fait auraient dû êtrerayées du rôle généralde la Cour.

Il examine toutefois ensuite la question de savoir si la République fédéralede Yougoslavie
aurait pu présenterles requêtesdans ces affaires sur le fondement de certains instruments juridiques,
à supposer que celle-ci puisse êtreconsidéréecomme partie au Statut. Après avoir examiné i) le
sens de la clause facultative du Statut de la Cour ii) le contexte des traitéscoclus en 1930 et 1931

avec la Belgique et les Pays-Bas respectivement et iii) la convention sur le génocide de 1948, il
conclut qu'aucun de ces instruments ne confère à la Cour compétence pour connaître de J'une ou
l'autre de ces dix requêtes.

Tout comme la Cour, M. Oda pense que celle-ci doit, faute de disposer d'une-base de
compétence, rejeter les demandes en indication de mesures conservatoires dans les dix instances.
La Cour ayant décidéqu'elle n'apas compétence pour connaître de ces affaires, fût-ce prima facie,
cela ne peut signifier, selon lui, qu'elle n'a aucune compétence que ce soit à l'égardde ces affaires. - 2 -

li s'ensuit, selonM. Oda, que les requêtesdoivent êtrerejetées à ce stade de la procédure non
seulement dans les affaires concernant l'Espagne et les Etats-Unis où la Cour conclut à son
incompétence manifeste, mais aussi dans toutes les autres affaires puisqu'elle a relevéqu'elle n'avait
mêmepas compétence prima facie.

M. Oda signale aussi que la distinction opéréepar la Cour entre les requêtes - qui ont
pratiquement le mêmeobjet - résulte simplement des positions différentes que les Etats ont pu
adopter â l'égarddes divers documents qu'il y a lieu d'appliquer pour déterminer la compétence de

la Cour. Or cette distinction aboutira à un résultat différent pour la suite de la procédure dans
chacune de ces instances. Pour M. Oda, il s'agit là d'unesituation illogique, qui étayesa conviction
que les dix affaires auraient dû êtrerejetées à ce stade de la procédure, pour la totalité de leurs
éléments.

OPINION INDIVIDUELLE DE MME HIGGINS

Dans ses opinions individuelles, Mme Higgins aborde deux questions que soulèvent les

instances où la République fédéralede la Yougoslavie invoque la compétence de la Cour sur le
fondement du paragraphe 2 de l'article 36 du Statut. La première concerne les limitations ratione
temporis dont sont assorties les «clauses facultatives» et en particulier celle de savoir à quel moment
surgitun différend et quand les événementsen cause se sont produits. Ces notions sont analysées

compte tenu de la déclaration mêmede la Yougoslavie. La deuxième question est de savoir
exactement ce qu'il faut démontrer pour que la Cour soit convaincue qu'elle a compétence prima
facie, 1orsqu'eIle envisage d'indiquer des mesures conservatoires. Certaines questions de compétence
sont d'une telle complexité qu'il n'est pas du tout possible de les examiner à ce stade de la

procédure. Le report de leur examen à un stade ultérieur ne fait pas obstacle à ce que la Cour
détermine si elle a ou non compétence prima facie au regard de l'article 41.

OPINION INDIVIDUELLE DE M.. PARRA-ARANGUREN

M. Parra-Aranguren rappelle que la Yougoslavie soutient que «le bombardement ... de zones
habitées yougoslaves constitue ... une violation de l'article II de la conventionur le génocide>>c ,e

que nie le défendeur; qu'un différend d'ordre juridique s'est élevéentre les Parties du fait de
l'existence d'«une situation dans laquelle les points de vue des deux Parties, quant à l'exécutionou
à la non·exécution de certaines obligations découlantd'[un traité],sont nettement opposés)),comme
la Cour l'a précisédans sa décision du 11 juillet 1996 (Application de la convention pour la

prévention et la répressiondu crime de génocideCBosnievHerzégovinec. Yougoslavie), exceptions
préliminaires. arrêt.C.LJ. Recueil 1996 (Il}. p. 614-615, par. 29); et que, selon l'article 9 de la
convention sur le génocide,«[l]es différends entre les Parties contractantes relatifs à l'interprétation,
l'application ou l'exécutionde la présente convention» seront soumis à la Cour internationale de
Justice. Aussi estime-t-H que la Cour a prima facie compétence pour se prononcer sur les mesures

conservatoires sollicitées par la Yougoslavie.

La Yougoslavie a demandé à la Cour d'indiquer que le défendeur <<doi[t] cesser
immédiatement de recourir à l'emploi de la force et doi[t] s'abstenir de tout acte constituant une

menace de recours ou un recours à l'emploi de la force contre la République fédérale de
Yougoslavie)>. Or, la ménace de recours ou le recours à l'emploi de la force contre un Etat ne
saurait en lui-mêmeconstituer un acte de génocide au sens de la convention sur le génocide. La
Yougoslavie sollicite donc l'indication de mesures conservatoires qui ne visent pas à garantir les

droits qu'elle tient de la convention sur le génocide,à savoir le droit de ne pas êtrevictime d'actes
qui peuvent êtrequalifiés de crimes de génocide par celle-ci. Selon M. Parra-Aranguren, il n'y a
donc pas lieu d'indiquer les mesures demandées par la Yougoslavie. ~·=~;; .~;·:=....,~~':·:·.·~;~·.r,.;.r.~·.
' ~ f

- 3 -

OPINION INDIVIDUELLE DE M. KOOIJMANS

1. M. Kooijmans joint à l'ordonnance de la Cour J'exposéde son opinion individuelle dans

les instances introduites parla Yougoslavie contre la Belgique, le Canada, les Pays-Bas, le Portugal,
l'Espagne et le Royaume-Uni respectivement.

Il ne partage pas le point de vue de la Cour selon lequel la déclaration par laquelle la
Yougoslavie a accepté la juridiction obligatoire de la Cour le 25 avril 1999 ne saurait établir un titre

de compétence dans la présente affaire mêmeprima facie du fait des réserves figurant dans les
déclarations de J'Espagne et du Royaume-Uni ainsi que de la limitation ratione temporis figurant

dans la déclaration de la Yougoslavie (il s'agit des instances introduites contre la Belgique, le
Canada, les Pays-Bas et le Portugal). Il estime que la Cour n'a pas compétence prima facie, parce

que la déclaration de la Yougoslavie, pour ce qui est de sa validité, prêteà controverse. La question
de la validité de cette déclaration constitue une question préliminaire que la Cour aurait dû examiner
dès le départ. ·

Comme cette question n'est pas pertinente dans les quatre autres affaires (contre la France,

l'Allemagne, l'Italie et les Etats-Unis) - ces Etats ne reconnaissant eux-mêmes pas la juridiction
obligatoire de la Cour-, point n'est besoin de joindre l'exposé d'une opinion individuelle pour

celles-ci.

2. Selon le texte mêmedu paragraphe 2 de l'article 36 du Statut, seuls les Etats qui y sont

parties peuvent reconnaître la juridiction de la Cour comme obligatoire en remettant une déclaration
d'acceptation au Secrétaire généralde l'Organisation des Nations Unies. Les Etats Membres de cette

Organisation sont d'office parties au Statut. Chacun des si;. Etats défendeurs a fait valoir que la
déclaration d'acceptation de la République fédérale de Yougoslavie n'a pas étéfaite valablement
étant donné que cet Etat n'est pas membre des Nations Unies.

3. Le 22 septembre 1992, l'Assemblée générale, sur la recommandation du Conseil de

sécurité, a décidé que la République fédérale de Yougoslavie ne pouvait pas assumer
automatiquement la qualité de Membre de l'Organisation des Nations Unies à la place de l'ancienne

République fédérative socialiste de Yougoslavie et qu'elle devrait donc présenter une demande
d'admission à l'Organisation des Nations Unies. Dans l'immédiat, elle ne participerait pas aux
travaux de l'Assemblée générale(résolution 47/1). La République fédérale de Yougoslavie n'a

jamais présentéde demande d'admission.

4. Dans les ordonnances qu'elle rend dans ces affaires, la Cour élude la question de la validité
contestée de la déclaration de la Yougoslavie. Elle estime ne pas avoir à examiner cette question

puisque la déclaration ne saurait lui conférercompétence prima facie sur le fondement d'autres titres.

· 5. Selon M. Kooijmans, le raisonnement de la Cour manque de cohérence à cet égard. Ces

autres titres de compétence n'entrent en ligne de compte que si la validité de la déclaration - du
moins au stade actuel de la procédure - est acceptée. Le raisonnement de la Cour présume la

validité de la déclaration. La Cour aurait dû le dire et aurait dû justifier son point de vue.

6. Selon M. Kooijmans, il n'était certes pas nécessaire pour la Cour de se prononcer

définitivement sur l'admission de la Yougoslavie à l'Organisation des Nations Unies. Il sait
parfaitement que la résolution 47/1 est sans précédentet soulève un certain nombre de questions

juridiques d'une très grande complexité qui exigeront une analyse approfondie et une évaluation
rigoureuse par la Cour à un stade ultérieur de la procédure.

Quelle que soit la difficulté de la question, les décisions pertinentes ont étéprises par les
organes de l'Organisation des Nations Unies (le Conseil de sécuritéet l'Assemblée générale)qui ont

compétence exclusive en matière d'admission, et ces décisions ne sauraient êtreméconnues ou
ignorées. - 4 -

7. Selon M. Kooijmans, les doutes que soulèvent les décisions prises par les organes

compétents de l'Organisation des Nations Unies à l'égardde l'admission de la Yougoslavie et dela
validitéde la déclarationque celle-ci a faite sont toutefois si sérieux que la Cour aurait dû conclure
que cette déclarationne saurait constituer pour elle une base de compétence prima facie. La Cour
ne devrait indiquer des mesures conservatoires que si sa compétence pour connaître du différend

apparaît comme raisonnablement probable. Or cette probabilité raisonnable n'existe pas dans ces
affaires, étantdonné la validité incertainee la déclaration.

8. Si tel est le cas, les questions comme les réserves et les limitations ratione temporis sur

le fondement desquelles la Cour s'est prononcée sont dénuéesde pertinence puisqu'elles sont
totalement subordonnées à la question préliminaire de la validité de la déclaration.

OPINION DISSIDENTE DE M. WEERAMANTRY, VICE-PRÉSIDENT

Dans son opinion dissidente, le vice-président, M. Weeramantry, estime que la Cour a
compétence prima facie pour connaître de la présente affaire et qu'il y a lieu d'indiquer des mesures

conservatoires à l'égarddes deux Parties. La mort frappe chaque jour et un très grand nombre de ~:
personnes, notamment des femmes, des enfimts, des personnes âgées et des infirmes, ne cessent
d'êtreexposésà des risques et des souffrances physiques. D'importantes questions de droit sont en
jeu, qui touchentàl'essentiel du principe de la légalitéinternationale et qui concernent le règlement

pacifique des différends et les dispositions de la Charte relatives à l'interdiction du recours à la
force.

Si la Cour a compétence prima facie, c'est par excellence une affaire où la Cour devrait

indiquer des mesures conservatoires aux deux Parties.

M. Weeramantry se dissocie du raisonnement de la Cour selon lequel les actes reprochés
remontent au 24 mars, date du début des bombardements, d'où il s'ensuit que la Cour n'a pas

compétenceprima facie parce que la date à laquelle la déclarationde la Yougoslavie prend effet est,
selon ce qu'indique celle·ci, le25 avril. Il estime que les demandes de la Yougoslavie ne sont
devenues des demandes juridiques qu'aumoment de l'accomplissement des actes reprochéset non
au moment où l'ensemble de la campagne de bombardements a étéplanifié. Il fonde son

appréciation sur les principes habituellement mis en Œuvre pour déterminer à quel moment une
demande juridique prend naissance. Les demandes de la Yougoslavie sont donc néesaprès la date
indiquée dans la déclaration que celle a~cate, c'est-à-dire le 25 avril et non pas à la date à
laquelle les bombardements ont commencé,à savoir le 24 mars. La Cour a donc compétenceprima

facie pour connaître de l'affaire.

Il se dit en désaccord avec l'affirmation selon laquelle la présence d'unélémentpolitique fait
que ces affaires ne se prêtentpas à l'indication de mesures conservatoires.

La Cour joue un rôle complémentaire à celui d'autres organes des Nations Unies dans le
maintien de la paix et le règlement pacifique des différends. C'est aussi son rôle de faciliter les
négociations entre les Parties ete les aider à parvenir à un règlement pacifique des différendsqui
les opposent. Des mesures conservatoires allant dans ce sens auraient jouéun rôle utile. Une telle

démarche trouve un large appui dans la jurisprudence de la Cour ainsi que dans ·les pouvoirs
inhérents que celle-ci possède.

Une condition préalable à l'indication de mesures conservatoires serait que le demandeur

s'abstienne immédiatement de tous actes de violence envers le peuple du Kosovo et que le retour
des réfugiéset autres personnes déplacéessoit facilité dans le cadre d'un régime de garanties
internationales. Les mesures conservatoires devraient égalementdemander la cessation immédiate

du recours à l'emploide la force contre la Yougoslavie. Ces conditions sont liées. - 5 -
-..·.·.
La Cour est l'héritièredes traditions judiciaires des grandes formes de civilisation et le
règlement pacifique des différends est une tradition bien ancrée dans les civilisations de l'Orient.
Par exemple, le règlement pacifique des différends a une assise profonde dans la tradition

bouddhiste. La jurisprudence de la Cour ne pourrait êtrequ'enrichie par cette orientation, qui aurait
également milité en faveur de l'indication de mesures conservatoires, en vue de limiter le recours
a l'emploi de la force des deux côtéset de contribuer à promouvoir les négociations et le règlement
des différends entre les Parties.

OPINION DISSIDENTE DE M. SHI

Dans les quatre instances introduites par la Yougoslavie contre la Belgique, le Canada, les

Pays-Bas et le Portugal, M. Shi se dit en désaccord avec la conclusion de la Cour selon laquelle la
limitation ratione temporis figurant dans la déclaration d'acceptation par la Yougoslavie de la
compétence obligatoire de la Cour fait que celle-ci n'a pas compétence prima facie en vertu du
paragraphe 2 de l'article 36 de son Statut pour indiquer les mesures conservatoires sollicitées par
la Yougoslavie.

Par sa déclaration signéele 25 avril 1999, la Yougoslavie a reconnu la compétence obligatoire
«pour tous les différends, surgissant ou pouvant surgir après la signature dela présente déclaration,
qui ont traità des situations ou à des faits postérieursà ladite signature .>>Dans les cas où la Cour
se trouve en présence d'une telle «formule de double exclusion)), il lui appartient de déterminer tant

la date du différend que les situations ou faits ayant donné lieu à celui-ci.

S'agissant du premier aspect de la condition relative à-la date, la Cour doit déterminer quel
est l'objet du différend qui, dans les affaires en cause, se compose d'un certain nombre d'éléments

constitutifs. La section «Objet du différend» dans chacune. des requêtes présentées par la
Yougoslavie indique qu'il s'agit d'actes commis par lè défendeur en violation de ses obligations
internationales de ne pas recourir à l'emploi de la force contre un autre Etat, de ne pas s'immiscer
dans les affaires intérieuresd'un autre Etat, de ne pas porter atteinte à la souveraineté d'un autre
Etat, de protéger les populations civiles et les biens de caractère civil en temps de guerre, de

protéger l'environnement, etc.

On ne saurait affirmer que le différend est néavant que tous les élémentsconstitutifs aient
existé. Mêmesi les bombardements aériens du territoire de la Yougoslavie ont commencé quelques

semaines avant la date critique que représente la signature de la déclaration, ceux·ci, avec les
conséquences qui les accompagnent, ne constituent pas un différend. Certes, la Yougoslavie avait
avant la date.critique accusél'OTAN de recourir illégalement à l'emploi de la force à son encontre,
mais ce grief ne constitue tout au plus qu'un des nombreux élémentsconstitutifs du différend. En
outre, l'DTAN ne saurait êtreassimilé au défendeurni ne saurait êtrecelui-ci, ratione personae, dans

les affaires en cause. Le différend n'a pris naissance qu'à une date postérieure à la signature de la
déclaration.

S'agissant du second aspect de la condition relative à la date, le différend porte sur la
prétendue violation de diverses obligations internationales par des recours à la force, sous la forme

de bombardements aériens du territoire de la Yougoslavie, que le demandeur impute à J'Etat
défendeur. II est évident que la prétendue violation d'obligations par un tel fait «continm) s'est
d'abord produite au moment où ce fait a débuté,c'est·à-dire des semaines avant la date critique.
Etant donnéque les bombardements aériens se sont poursuivis bien au-delà de la date critique et

se poursuivent encore, la période au cours de laquelle a étéperpétréela violation de ces obligations
s'étendsur la totalité du laps de temps qui s'est écoulépendant que ces faits se poursuivaient et ne
prendra fin qu'à la cessation de ceux·ci par l'Etat défendeur. - 6 -

On peut conclure que la limitation ratione temporis figurant dans la déclaration de la

Yougoslavie n'empêcheabsolument pas de reconnaître à la Cour, sur le fondement du paragraphe 2
de l'article 36 de son Statut, compétence prima facie pour indiquer des mesures conservatoires dans
les affaires en cause.

En outre, pour des motifs semblables à ceux qu'il a exposés dans les déclarations relatives
aux six autres affaires, M. Shi regrette que la Cour, confrontée à une situation de grande urgence,
se soit abstenue de faire une déclaration généraleexhortant les Parties à agir conformément aux
obligations qui sont les leurs en vertu de la Charte des Nations Unies et de toutes les règles du droit

international applicables en l'espèceet au moins à ne pas aggraver ou étendre leurs différends dès
après le dépôtde la demande de la Yougoslavie et indépendamment de la conclusion à laquelle la
Cour pourrait parvenir sur sa compétence prima facie en attendant qu'elle rende son arrêtdéfinitif.
La Cour s'est également abstenue d'user de la faculté que lui donne le paragraphe 1 de l'article 75
de son Règlement de statuer d'office sur les demandes bien que la Yougoslavie l'en ait priée,

Pour ces motifs, M. Shi s'estvu dans l'obligation de voter contre le paragraphe 1du dispositif
des quatre ordonnances.

ÛPINION DISSIDENTE DE M. VERESHCHETIN

M. Vereshchetin commence son opinion dissidente par une déclaration d'ordre général,qu'il .

jointà toutes les ordonnances rendues par la Cour, dans laquelle il affirme que les circonstances
extraordinaires et sans précédentdes affaires dont la Cour a étésaisie imposaient à celle-ci la
nécessitéd'agir promptement, et, si nécessaire, d'office. Il explique ensuite pourquoi il n'a aucun
doute qu'il existait une compétence prima facie en vertu du paragraphe 2 de l'article 36 du Statut
de la Cour, en ce qui concerne les requêtesintroduites contre la Belgique, le Canada, les Pays-Bas

et le Portugal. Pour ce qui est de la Belgique et des Pays-Bas, la Cour a aussi compétence prima
facie en vertu des accords signésentre la Belgique et la Yougoslavie le 25 mars 1930 et entre les
Pays-Bas etla Yougoslavie le 11 mars 193l.

M. Vereshchetin est en désaccordavec deux propositions fondamentales sur lesquelles, à son
avis, reposent les arguments allant à l'encontre des thèses précitéeset que la Cour a accueillis dans
ses ordonnances. La première proposition est que le texte de la déclaration yougoslave acceptant
la juridiction de la Cour, et en particulier le libellé de la réserve qui y figure, ne confère pas

compétence prima facie à la Cour. La deuxième proposition est que le moment choisi pour la
présentation par la Yougoslavie de bases additionnelles de compétences ne permet pas à la Cour
de conclure qu'elle a compétence prima facie à l'égarddes instances introduites contre la Belgique
et les Pays-Bas.

En ce qui concerne la première proposition, M. Vereshchetin est d'avis que la Cour, en
refusant de tenir compte de l'intention explicite de la Yougosla'vîe, interprète sa déclaration d'une
façon qui pourrait conduire à la conclusion absurde que la Yougoslavie entendait, par sa déclaration
d'acceptation de la juridiction de la Cour, exclure la juridiction de la Cour à l'égardde ses requêtes

introduCtives d'instance contre les défendeurs.

En ce qui concerne la deuxième proposition, qui a trait à l'invocation de motifs de
compétence additionnels, dans le cas·de la Belgique et des Pays-Bas, la préoccupation légitimede
la Cour concernant le respect du «principe du contradictoire et la bonne administration de la

justice;;, de l'avis de M. Vereshchetin, ne peut êtreétendueau point de soustraire à priori le chef
de compétence additionnel à son examen, uniquement parce que les Etats défendeurs n'ont pas eu
assez de temps pour préparer leurs arguments pour y répondre. Certes, on ne saurait considérer
comme normal qu'un nouveau chef de compétence soit invoqué au deuxième tour des exposés

oraux. Toutefois, les Etats défendeurs ont eu la possibilité de présenter leur réplique à la Cour, et
ilsont fait usage de cette possibilité pour présenter diverses observations et objections à l'encontre .,'~·~~
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- 7 -
....·.
du nouveau chef de compétence. Au besoin, ils auraient pu demander une prolongation des

audiences. Pour sa part, le demandeur peut raisonnablement soutenir que l'invocation tardive des
nouveaux chefs de compétence a eu pour cause la situation extraordinaire en Yougoslavie, dans
laquelle la préparation des requêtess'est effectuée dans les conditions créespar les bombardements
aériens quotidiens auxquels procédaient les défendeurs.

Le refus de la majorité de prendre en considération les nouveaux chefs de compétence est
clairement contraire aux dispositions de l'article 38 du Règlement de la Cour et à la jurisprudence

de la Cour. Le refus de tenir dûment compte de l'intention d'un Etat qui fait une déclaration
d'acceptation déla juridiction de la Cour est également incompatible avec la jurisprudence de la
Cour et avec les règles coutumières d'interprétation des instruments juridiques. De l'avis de
M. Vereshchetin, toutes les conditions nécessairesà l'indication de mesures conservatoires, découlant

de l'article41 du Statut de la Cour et de sa jurisprudence bien établie, ont étéréunies,et la Cour
aurait indubitablement dû indiquer de telles mesures pour ce qui concerne les quatre Etats
susmentionnés.

OPINION DISSIDENTE DE M. KREéA

Dans son opinion dissidente, M. Kreéamet l'accent sur les points suivants :

M. Kreéa estime qu'aucune des fonctions de l'institution du juge ad hoc visant à assurer
l'égalitéau sein de la Cour n'a étérespectée dans ce cas particulier. II découle de la lettre et de

l'esprit du paragraphe 2 de l'article 31 du Statut de la Cour, si on l'applique au cas d'espèce, que la
Yougoslavie, en tant qu'Etat demandeur, aur.aitdû avoir le droit de désigner autant de juges ad hoc
pour prendre place sur le siège, étantdonnéqu'il faut assurer une égalitéentre l'Etat demandeur e.t

les Etats défendeurs qui comptent un juge de leur nationalité sur le si~g et qui font cause
commune. Le droit naturel à une représentation égale au sein de la Cour, traduction du principe
fondamental de l'égalité des parties, signifie concrètement que la République fédérale de
Yougoslavie aurait dû avoir le droit de désignercinq juges ad hoc car cinq des dix Etats défendeurs

(les Etats-Unis, le Royaume-Uni, la France, l'Allemagne et les Pays-Bas) comptent sur le siège un
Juge de leur nationalité.

Concurremment, si l'onsuit lajurisprudence constante de la Cour, aucun des Etats défendeurs
n'a le droit de désigner un juge ad hoc (Juridiction territoriale de la commission internationale de
]"Oder; Régime douanier entre l'Allemagne et l'Autriche).

Pomt n'est besoin de souligner la très grande importance des questions susmentionnées, car
L1est évidentqu'elles ne voient pas leurs effets se limiter à la procédure, mais qu'elles peuvent aussi
avoir des conséquences concrètes d'une portée considérable.

Selon M. Kreéa, la Cour a accordé une grande importance au critère de l'impératif
humanitaire dans sa jurisprudence récente relative à l'indication de mesures conservatoires, en
paniculier dans les affaires touchant directement des personnes physiques. Par sa seule force, ce
critère a permis d'écarter certaines règles pertinentes tant de procédure que de fond qui

s'appliquaient à l'indication de mesures conservatoires (voir par exemple l'affaire LaGrand). Ainsi,
les considérations d'ordre humanitaire, indépendamment des normes du droit international en matière
de droits de l'homme et de libertés, ont d'une certaine manière acquis une signification juridique
autonome; elles ont échappéà la sphère de la morale et de la philanthropie pour pénétrerdans le

domaine du droit.

Dans la présente instance, il semble que !'«impératif humanitaire» ait perdu la position

juridique autonome qu'il avait ainsi acquise. Ce fait doit êtresouligné étantdonnéles circonstances
particulières de l'espèce. A la différence des affaires jugées récemment par la Cour, }'((impératif
humanitaire» dont il est question ici a pour objet le sort d'une nation entière, au sens littéral. La - 8 -

République fédéralede Yougoslavie et les groupes nationaux et ethniques qui la composent sont

soumis depuis maintenant plus de deux mois à des attaques continues de la part d'une «armada>>
aérienne redoutable et très organisée, commandée par les Etats les plus puissants de la terre. De
plus, l'arsenal utilisédans les attaques dirigées contre la Yougoslavie comprend des armes dont les
effets ne sont limitésni dans l'espace ni dans le temps, comme l'uranium appauvri, qui causent des

dommages irréparables et d'une portée considérable à la santé de l'ensemble de la population.

M. Kreéa estime qu'en ce qui concerne l'appartenance de la Yougoslavie à l'Organisation des
Nations Unies, la Cour est restée fidèle à sa position qui consiste à «éludem la question en

continuant d'affirmer«qu'elle n'a pas à examiner cette question à l'effet de décider si elle peut ou
non indiquer des mesures conservatoires dans le cas d'espèce». Pourtant, M. Kreéa est
profondément convaincu que la Cour aurait dû répondreà la question de savoir si la République
fédéralede Yougoslavie peut ou non, à la lumière de la résolution 47/1 de l'Assemblée généraleet
de l'usage établiau sein de l'Organisation universelle, êtreconsidéréecomme membre des Nations

Unies et en particulier, comme partie au Statut de laCour; en effet, le texte de la résolution 47/1
ne fait aucune mention du statut de la République fédéralede Yougoslavie en tant que partie au
Statut de la Cour internationale de justice. De même,M. Kreéa est convaincu que la Cour aurait
dû répondre à cette question, étantdonnéen particulier que le texte de la résolution, qui constitue

une contradictio in adjecto, et plus spécialement l'usage sein de l'Organisation universelle après
son adoption il y a près de sept ans, lui fournissaient tous les arguments voulusur se prononcer
sur la question.

M. Kreéa est d'avis que l'emploi de la force armée à grande échelle, particulièrement à

l'encontre d'objets et de moyens qui sont des élémentsessentiels d'une vie normale, peut mener à
la«soumission ... du groupe à des conditions d'existence» qui entraînent «Sa destruction physique»
(convention sur le génocide, art. II).

Certes, précise M. Kreéa,il peut êtresoutenu que les actes de cette nature servent à affaiblir
les capacitésmilitairese la Républiquefédéralede Yougoslavie. On ne saurait toutefois considérer
cette explication comme un argument sérieux. En effet, on risque facilement d'êtreamené à
soutenir, sion se laisse emporter par cette argumentation, que la puissance militaire se compose

après tout de personnes, et que le faite tuer sur une grande échelle des civils peut êtretenu pour
une sorte de mesure de précaution visant à empêcherle maintien ou, en cas de mobilisation,
l'accroissement de la puissance militaired'tin Etat.

M. Kreéa rappelle en outre que, dans le cadre de procédures incidentes, la Cour ne peut et

ne doit pas se soucier d'établirs'il y a effectivement intention d'imposer à un groupe des conditions
qui menacent sa survie. Eu égardà l'objet des mesures conservatoires, on peut dire qu'àce stade
de la procédure il suffit de démontrer que, lorsde bombardements à grande échelle, il existe un
risque objectif que soient crééesdes conditions dans lesquelles la survie du groupe est menacée.

De l'avis de M. Kreéa, la position de la Cour en ce qui concerne sa juridiction ratione
temporis est trèscontestable, ete pour deux motifs fondamentaux. Premièrement, pour des raisons
généralesliées à la jurisprudence de la Cour en l'espèce,d'une part, et à la nature de la procédure
en indication de mesures conservatoires, d'autre part, et deuxièmement, pour des raisons particulières

tenant aux circonstances de l'espèce. S'agissant de la juridiction de la Cour, il paraît incontestable
.que la Cour interprète de façon libérale l'élémentratione temporis de sa compétence en matière
d'indication de mesures conservatoires. Certes, la procédureen indication de mesures conservatoires
ne vise pas à statuer de façon finale et définitive surla compétence de la Cour. Le qualificatif

«prima facie>:>lui-même indique qu'il ne s'agit pas d'établirla compétence définitive, mais une
compétence découlant ou censée découler normalement d'un fait juridique pertinent qui est défini
comme étantle ~<ti de cempétence)). Il peut êtreaffirméque le «titre de compétence>>suffit en
soi à fonder la compétence prima facie, sauf lorsque l'absence de compétence sur le fond est

manifeste (affaires sur la Compétence en matière de pêcheries). .t·.· •·.,·•

- 9 -

M. Kreéa n'est pas d'accord avec la position de la Cour au sujet du chef de compétence
supplémentaire (article 4 du traité de 1930), car il estime que trois conditions essentielles à la
recevabilité de ce chef supplémentaire sont réunies en l'espèce :

g} le demandeur dit sans équivoque qu'il compte s'appuyer sur cette base de compétence;

hl l'invocation de chefs supplémentaires n'a pas pour résultat de transformer le différend dont la
Cour est saisie dans la requêteen un différend distinct, d'une autre nature; -

fl les chefs supplémentaires constituent une base sur le fondement de laquelle la compétence de
la Cour pour connaître de la requêtepeut êtreétablie prima facie.

M. Kreêasignale aussi que même si le document dans iequelle demandeur avait invoqué le
traité de 1930 comme chef de compétence supplémentaire était déclaré<<irrecevable)),la Cour ne
pouvait ne pas tenir compte de l'existence du traité. Auquel cas la Cour aurait pu établir une
distinction entre le document en tant que tel et le traité de 1930 lui-même, comme base de sa

juridiction.

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Licéité de l'emploi de la force (Serbie et Monténégro c. Belgique) - La Cour rejette la demande en indication de mesures conservatoires présentée par la Yougoslavie, mais reste saisie de l'affaire

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